CrY
CR 2008/12 (traduction)
CR 2008/12 (translation)
Jeudi 29 mai 2008 à 10 heures
Thursday 29 May 2008 at 10 a.m. - 2 -
8 Le PRESIDENT: Veuillez-vous asseoir. La séance est ouverte. La Cour se réunit
aujourd’hui pour entendre le deuxième tour de pl aidoiries de la Serbie en l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie
c. Serbie). A la fin de la séance d’aujourd’hui, la Serbie présentera ses conclusions finales. La
Croatie présentera sa réplique orale demain, à 10 heures, puis ses conclusions finales à la fin de la
séance. Chaque Partie dispose d’un temps de parole de trois heures.
Je donne maintenant la parole à M. Varady, agent de la Serbie.
M. VARADY :
INTRODUCTION ET QUESTION DE L ’ACCÈS EN VERTU DU PARAGRAPHE 1 DE L ’ARTICLE 35
A. Introduction
1. Madame le président, Messieurs de la Cour. Ayant examiné les arguments et allégations
formulés par le demandeur lors du premier tour de plaidoiries, nous souhaiterions vous présenter
nos réponses. Selon nous, les arguments présentés par le demandeur ne réfutent pas, et ne sauraient
le faire, nos arguments démontrant que la C our n’a pas compétence en l’affaire. Voilà
probablement pourquoi, au lieu de présenter un f ondement convainquant à la compétence, le
demandeur n’a cessé d’insister sur son argument selon lequel, compte tenu de «l’importance
particulière de la convention de 1948», il ne serait «guère attrayant» 1—voire, d’une certaine
manière déplacé — de contester la compétence en la présente affaire.
2. Dès le premier jour de ses plaidoiries, le demandeur a indiqué que «la véritable cible de la
2
Serbie [était] l’arrêt rendu récemment par la Cour dans l’affaire de la Bosnie» . Il a ajouté qu’«il
serait exceptionnel et même étrange» 3et «bien étrange» 4 que la Cour ne se prononce pas de la
même manière sur la question de la compétence en la présente affaire et en l’affaire de la Bosnie. Il
1CR 2008/10, p. 29, par. 5-6 et p. 37, par. 25 (Sands).
2
CR 2008/10, p. 27-28, par. 2 (Sands).
3
CR 2008/10, p. 9, par. 8 (Šimonović).
4CR 2008/10, p. 9, par. 20 (Šimonović). - 3 -
a également souligné que faire droit aux arguments de la Serbie «causer[ait] d’énormes dommages
5
à l’état de droit au plan international et à la Cour» .
9 3. Madame le président, nous en sommes à la phase des exceptions préliminaires dans une
affaire en laquelle sont formulées des allégations de génocide, et nous ne pensons pas qu’il soit
déplacé de soumettre à votre attention notre convict ion et nos arguments démontrant que la Cour
n’a pas compétence en l’affaire. Oui, il s’agit d’ une affaire de génocide, laquelle revêt une gravité
particulière. Mais il s’agit aussi d’une affaire de génocide du point de vue du défendeur. Il s’agit
d’une affaire particulièrement grave pour les deux Parties.
4. Nous n’estimons pas que le fait que nous souhaitons procéder à un examen minutieux des
conditions juridiques relatives à la compétence en la présente affaire puisse causer un «énorme
dommage» à l’état de droit au plan international et à la Cour. Les règles régissant la compétence
ressortissent à l’état de droit. Nous ne voyons pas en quoi le nécessaire respect de ce principe nous
empêcherait d’examiner la question de savoir s’il existe un fondement juridique à la compétence en
la présente affaire.
5. De surcroît, notre cible n’est naturelle ment pas l’arrêt rendu «récemment» (2007) en
l’affaire de la Bosnie ni aucun autre arrêt en cette affaire. L’affaire de la Bosnie, laquelle portait
sur le plus grave des conflits de l’ex-Yougoslavie, est terminée. Notre «cible» est, bien entendu, la
présente instance — dont certains aspects sont liés à l’affaire de la Bosnie, sans pour autant être les
mêmes— et en laquelle les informations dont di spose la Cour sont radicalement différentes de
celles dont elle disposait en1996. Par ailleurs, en l’affaire de la Bosnie , certains des crimes
commis avaient déjà été qualifiés de génocide par le TPIY, avant qu’ils ne soient examinés par la
Cour et que cette qualification soit confirmée. En la présente affaire ⎯le TPIY n’ayant mis
personne en accusation pour un génocide qui aurait été commis en Croatie ⎯, cette qualification on
ne peut plus grave, qui était nécessaire pour que la Cour puisse se déclarer compétente, n’a pas été
étayée et apparaît excessive.
6. Le demandeur a également mis l’accent sur les liens existant entre les conflits en Bosnie et
en Croatie, s’attachant particulièrement à des conflits tels que celui de la ré gion de Prijedor. On ne
5
CR 2008/10, p. 39, par. 30 (Sands). - 4 -
saurait nier ⎯ et il n’y a aucune raison de le faire ⎯ qu’il existe un lien entre le conflit en Bosnie
et le conflit en Croatie, dès lors qu’il existe un lie n entre tous les conflits yougoslaves, y compris
celui de Slovénie. Toutefois, l’armée yougoslave et les prétendues aspirations à une Grande Serbie
ne sont certainement pas le seul lien. Dans un cer tain nombre de décisions rendues par le TPIY, il
a été établi que le conflit bosniaque avait impli qué «[l]’Etat indépendant de la République de
Croatie et son gouvernement, ses forces armées et représentants dans un conflit armé contre les
6
10 Musulmans de Bosnie sur le territoire de l’Etat indépendant de Bosnie-Herzégovine» [traduction
du Greffe]. Permettez-moi également d’indiquer que nous ne voyons pas comment la thèse de la
Croatie relative à la compétence pour génocide en la présente affaire pourrait être étayée par
l’existence d’un lien avec des conflits spécifiques qui se sont déroulés le long de la frontière entre
la Bosnie et la Croatie — tels que celui de la ré gion de Prijedor —, conflits dont la Cour a déjà dit
qu’ils n’étaient pas constitutifs de génocide.
7. Madame le président, je souhaiterais égal ement revenir brièvement sur quelques allusions
qui ont été faites au comportement du défendeur en la présente affaire. Cherchant à suggérer une
interprétation du comportement du défendeur, le demandeur établit un lien entre deux dates : celle
du mémoire et celle de notre notification d’adhésion à la convention sur le génocide. Il insinue
que, la notification de succession ayant été comm uniquée peu de temps après le mémoire, elle
aurait été motivée par celui-ci 7. Or, il est absolument évident que ce n’est pas par le mémoire du
er
1 mars2001 que le défendeur a été informé du fait que la Croatie le poursu ivait pour génocide.
Comme chacun sait, ce fait était connu depuis le mois de juillet 1999, date à laquelle a été déposée
la requête de la Croatie. La notification d’adh ésion à la convention sur le génocide n’a donc, de
toute évidence, pas été motivée par le mémoire. Elle a été effectuée après les importants
changements qui se sont produits au cours du mois d’octobre 2000 et a été suscitée par une lettre du
conseiller juridique en date du 8 décembre 2000, pa r laquelle celui-ci invitait la RFY à «accomplir,
si nécessaire, certaines formalités conventionnelles, s’agissant des traités en question, si son
6 TPIY, Le procureur c. Rajic, affaire n IT-95-12-S, chambre de première instance, j ugement du 8mai2006,
par. 66. La même conclusion a été formulée par les chambres de première instance dans les affaires Blaskic et Kordic (Le
procureur c. Blaskic, affaire nIT-95-14, jugement du 3mars2000, par.94 et Le procureur c. Kordic, affaire
no IT-95-14/2, jugement du 26 février 2001, par. 108-109).
7 CR 2008/10, p. 37, par. 26 (Sands). - 5 -
intention était d’assumer les droits et obligations juridiques pertinents en tant qu’Etat successeur»
[traduction du Greffe] 8. La convention sur le génocide était l’un des «traités en question».
Permettez-moi également de préciser que —bien que nous ne voyions pas l’importance que cela
pourrait avoir — la convention sur le génocide n’est pas le seul traité auquel la RFY a adhéré après
avoir été invitée à accomplir des formalités c onventionnelles si son intention était d’assumer
certains droits et obligations en la matière 9.
11 8. Un autre point que je souhaiterais abor der —dans le même ordre d’idées— est la
prétendue incohérence du défendeur. Il a été souligné que, entre 1992 et 2000, la RFY s’est
«absten[ue] de toute action» et qu’elle n’a pas contesté en 1996 la thèse selon laquelle elle était liée
10
par la convention sur le génocide , qu’elle «a agi en qualité de partie à un certain nombre de traités
auxquels l’ex-RFSY était partie», qu’elle a formulé une demande rec onventionnelle en l’affaire de
11
la Bosnie, qu’elle a déposé des requêtes contre des pays de l’OTAN en 1999 . Il a par ailleurs été
indiqué que la Croatie «avait le droit de faire fond sur la position adoptée par la RFY».
9. Madame le président, c’est un fait établi que, entre 1992 et 2000, la position de la RFY
était influencée par une conception po litique qui s’est révélée erronée. Il est également vrai que le
fait de se fonder sur cette conception, sans teni r compte de la position adoptée par la communauté
internationale, relevait de l’obstination. Mais il est tout aussi vrai que la position de la RFY — qui
s’est finalement révélée erronée — n’était pas une manŒuvre tactique conçue à des fins judiciaires.
En effet, la RFY s’en tenait à la thèse de la con tinuité, même lorsque cela allait à l’encontre de ses
intérêts —comme cela fut le cas lors de la phase des exceptions préliminaires en l’affaire de la
Bosnie. Elle campait sur sa position en dépit du fa it que cela l’a empêchée de devenir membre de
8Lettre datée du 8décembre2000, adressée au ministère des affaires étrangères de la République fédérale de
Yougoslavie par le conseiller juridique de l’Organisation des Nations Unies, dossier de plaidoiries, onglet 5.
9
Parmi les autres conventions figurent, par exemple, la convention culturelle européenne; la convention
européenne pour la surveillance des personnes condamnées ou libérées sous conditions ; la convention de la pharmacopée
européenne ; la convention européenne dans le domaine de l’information sur le droit étranger ; la convention européenne
sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et notamment de matches de football ;
la convention contre le dopage; la convention douanière relative à l’importa tion temporaire des emballages; la
convention douanière relative au matériel de bien-être destiné aux gens dmer; la convention douanière relative aux
facilités accordées pour l’importation de marchandises destinées à être présentées ou utilisées à une exposition, une foire,
un congrès ou une manifestation similaire ; la convention établissant le conseil de coopération douanière et son annexe ;
et la convention internationale de 1974 sur la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers.
10CR 2008/10, p. 20, par. 12 (Metelko-Zgombic).
11Ibid., p. 25, par. 37 (Metelko-Zgombic). - 6 -
l’Organisation des NationsUnies, ainsi que de nom breuses autres organisations internationales, et
de devenir partie à des traités.
10. Il est également établi que, après que d es centaines de milliers de manifestants ont
provoqué un changement de régime en octobre2 000, la RFY a finalement pris note de ce que la
thèse de la continuité n’était pas acceptée. Le nouveau gouvernement a alors agi sur la base de ce
qu’il considérait comme la réalité et toutes les conséquences en ont été tirées. La compétence de la
Cour a été contestée sur le fondement de la nouvelle approche en l’affaire de la Bosnie, ainsi qu’en
la présente affaire en laquelle la RFY est le défendeur. Cette même conception a par ailleurs
également été présentée à la Cour en l’affaire de la Licéité de l’emploi de la force , en laquelle la
RFY était le demandeur, et nous avons retiré notre demande reconventionnell e en l’affaire de la
Bosnie. A chaque fois, quel qu’ait été notre rôle ou notre situation, nous avons présenté la même
thèse, tant devant la Cour que devant d’autres autorités.
11. Certes, il est vrai que la thèse et les arguments que nous avons toujours présentés
diffèrent de ceux qu’avançait par l’ancien Gouvernement de la RFY. Permettez-moi cependant de
12 souligner que, là encore, il ne s’agissait pas d’une manŒuvre tactique, et que le changement du
mois d’octobre2000 n’était pas un simple change ment de gouvernement. C’était un changement
fondamental qui a conduit le pays à reconsidérer les fondements mêmes de son fonctionnement.
12. Par opposition, le manque de cohérence de la position adopt ée par la Croatie devant la
Cour et en-dehors est flagrant. Dans son cas, ledit changement ne résulte pas d’événements
importants. Des positions différentes ont été adoptées en même temps, au gré des buts poursuivis.
La Croatie avance désormais qu’e lle «avait le droit de faire f ond sur la position adoptée par la
RFY», lorsqu’elle a déposé sa requête en 1999. Or, un mois environ avant d’introduire sa requête
—laquelle était fondée sur l’hypothèse que la Cour était ouverte à la RFY—, la Croatie s’est
catégoriquement élevée, le 27mai1999, contre la déclaration faite par la RFY en vertu du
paragraphe2 de l’article36 du Statut, soulignant que cette dernière «ne pouvait pas assumer
automatiquement la qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies», et que, partant, elle - 7 -
ne pouvait pas être partie au Statut. Il était ajouté que la RFY essayait «délibérément…de faire
12
croire de façon erronée» qu’elle était partie au Statut .
13. Madame le président, cette position adoptée par la Croatie n’était ni fondée ni cohérente.
Au lieu de faire fond sur la «position adoptée pa r la RFY», la Croatie a saisi la moindre
occasion ⎯ à l’exception de la présente affaire ⎯ pour nier et contester «la position adoptée par la
RFY». La Croatie a appuyé la résolution 47/1, laquelle écartait la thèse de la continuité formulée
par la RFY. Depuis lors, et jusqu’à aujourd’hui, la Croatie a nié la thèse de la continuité devant les
13
organisations internationales qui étaient à même de trancher la question de la qualité de Membre, à
savoir l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Elle a plaidé contre la
13
qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies de la RFY , et contre sa qualité de partie à
certains traités 14. Elle a également soutenu et insisté sur le fait que la RFY n’était pas partie au
Statut 15.
14. Permettez-moi de souligne r de nouveau que la différence entre la position de la Croatie
en la présence affaire et celle qu’elle a adoptée en de nombreuses autres occasions ne résultait ni de
changements politiques fondamentaux ni d’inform ations nouvelles dont il aurait fallu tirer les
conséquences. Cette différence est simplement liée aux intérêts de la Croatie en la présence affaire,
lesquels diffèrent de ceux qu’elle avait toutes les autres fois que la question s’est posée de savoir si
la RFY assurait ou non la continuité de l’ex-You goslavie en tant que membre d’organisations
12Lettre datée du 27mai1999, adressé e au Secrétaire général par les représentants permanents de la
Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la Slovénie et de l’ex-République yougoslave de Macédoine auprès de
l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. A/53/992 (7juin 1999) ; dossier de plaidoiries, onglet 4.
13Voir, par exemple, la lettre daté e du 16 février 1994, adressée au Secrét aire général par le représentant
permanent de la Croatie auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, document S/1994/1998
(19 février 1994).
14Voir par exemple, la lettre datée du 24 mai 1995, adressée au président de la Commission des droits de
l’homme par le Chargé d’affaires par intérim de la mission permanente de la Croatie auprès de l’Office des Nations Unies
à Genève, Nations Unies, doc. E/CN.4/1996/134 (1996); la note verbale datée du 20 avril 1998, adressée à la
Commission des droits de l’homme par la mission permanente de la Bosnie Herzé govine auprès de l’Office des Nations
Unies à Genève, lettre c onjointe de la Bosnie Herzégovine, de la Croatie, de la Macédoi ne et de la Slovénie, Nations
Unies, doc. E/CN.4/1998/171; l’aide mémo ire de la mission permanente de la Croatie daté du 23 août 1993, Nations
Unies, doc. S/26349(1993); la note verbale datée du 14 janvier 1994, adressée au Secrétaire général par la mission
permanente de la République de Croatie auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc.CERD/SP/51
e
(1994) ; le procès-verbal de la 18réunion des Etats parties au pacte internati onal relatif aux droits civils et politiques du
16 mars 1994, Nations Unies, doc. CCPR/SP/SR.18 (1994) ; le procès-verbal de la 19 réunion des Etats parties au pacte
international relatif aux droits civils et politiques du 9 décembre 1994, Nations Unies, doc. CCPR/SP/SR.19 (1994).
15
Voir, par exemple, la lettre datée du 27 mai 1997, ad ressée au Secrétaire général par les représentants
permanents de la Bosnie Herzégovine, de la Croatie, de la Slovénie et de l’ex-République Yougoslave de Macédoine
auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. A /53/992 (7 juin 1999). - 8 -
internationales et quel était son statut conventio nnel. La Croatie n’a pas accepté la thèse de la
continuité et ne s’est pas fondée sur elle.
B. Absence d’accès en vertu du paragraphe 1 de l’article 35
B.1. La RFY n’avait pas accès à la Cour lorsque la requête a été introduite puisqu’elle n’était
pas partie au Statut
15. Madame le président, je vous avouerai qu’il est un peu difficile de croire qu’après avoir
rejeté pendant des années de manière catégori que toute manifestation —même indirecte— de
continuité de la qualité de Membre de la RFY au sein de l’Organisation des Nations Unies, au sein
d’autres organisations internationales et à l’égard de certains traités, la Croatie puisse aujourd’hui
alléguer que la RFY était d’une certaine manière partie au Statut. A maintes reprises, la Croatie a
affirmé et insisté sur le fait que la RFY n’éta it autre que l’un des «cinq Etats successeurs égaux».
Elle a adressé des lettres au Secrétaire général en soulignant que la RFY n’était pas partie au Statut.
Alors que cette position est désormais acceptée par tout le monde —y compris la RFY
14 elle-même—, la Croatie prétend-elle vraiment que la RFY n’était pas l’un des cinqEtats
successeurs égaux? La Croatie prétend-elle r éellement, comme elle l’a indiqué, que tous ses
16
efforts pour s’élever contre le statut particulier ont échoué
, alors même que tout le monde a
accepté la position qu’elle défendait ?
16. Le demandeur nous renvoie aujourd’hui à la lettre de 1992 du Con seiller juridique, dans
laquelle il était fait référence à la résolution 47/1 de l’Assemblée générale et qui se lit comme suit :
«[D]’un autre côté, la résolution ne met fin ni ne suspend la qualité de Membre de l’Organisation
de la Yougoslavie.» 17 [Traduction du Greffe.]
17. Or, dans le même temps, il a été pr écisé que la «Yougoslavie», dont la qualité de
Membre n’était ni terminée ni suspendue, n’était pas la RFY, mais l’ex-Yougoslavie. Cela a été
clairement et catégoriquement souligné par la Croatie. Par exemple, dans la lettre datée du
2août1995, adressée au Secrétaire général par le Chargé d’affaires par intérim de la Mission
permanente de la Croatie auprès de l’Organisati on des Nations Unies, il était indiqué : «Pour nous,
16
CR 2008/11, p. 22, par. 8 (Sands).
17Lettre en date du 29 septembre 1992, adressée aux représentants permanents de la Bosnie-Herzégovine et de la
Croatie auprès de l’Organisation des Nations Unies par le sous-secrétai re général, le conseiller juridique, NationsUnies,
doc. A/47/485 (30 septembre 1992). - 9 -
lorsqu’on parle de ‘Yougoslavie’ en tant qu’Etat dans le cadre de l’ONU, il ne peut s’agir que de
l’ex-République fédérative so cialiste de Yougoslavie, Etat Membre fondateur de
18
l’Organisation…» Non seulement la Croatie considéra it que la dénomination «Yougoslavie» ne
pouvait être interprétée que comme renvoyant à l’ex-Yougoslavie, mais elle défendait cette thèse et
insistait dessus.
18. Cette interprétation a été larg ement confirmée; ainsi, dans l’ Annuaire 1998 de
l’Organisation des Nations Unies était publiée une «l iste [officielle] des Nations Unies», liste dans
laquelle figurait la «Yougoslavie» et dans laquelle était indiqué en termes clairs et simples que ce
19
nom «renvo[yait] à l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie» [traduction du Greffe].
M.Sands se réfère désormais aux Annuaires de la Cour. Entre 1992 et 2000, ceux-ci faisaient
figurer la «Yougoslavie» en tant que Membre, tout en ajoutant le qualificatif déterminant de
Membre originaire— ce qui ne peut renvoyer qu’à l’ex-Yougoslavie.
19. Quand bien même des doutes auraient subsisté , ils auraient été dissipés par le Secrétaire
général, lequel a indiqué dans sa lettre datée du 27décembre2001, adressée au président de
l’Assemblée générale :
«J’ai l’honneur de me référer à la réso lution55/12 de l’Assemblée générale en
date du 1 enovembre2001, par laquelle l’Asse mblée a décidé d’admettre la
République fédérale de Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies.
15 Cette décision a mis fin ipso facto à la qualité de Membre de l’Organisation de
20
l’ex-Yougoslavie, qui avait été admise en 1945.»
La dénomination «Yougoslavie» ne renvoyait donc pas au défendeur en la présente affaire.
20. Madame le président, après bien des hésitations et des tergiversations, une position claire
et sans ambigüité a été adoptée par toutes les autor ités internationales compétentes — y compris la
Cour. La RFY n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies ni partie au Statut avant le
er
1 novembre 2000. Il n’existe tout simplement aucune raison ⎯ et aucun raisonnement logique —
qui pourrait aujourd’hui nous faire revenir à la situ ation juridique qui était, ainsi que vous l’avez
18
Lettre en date du 7 août 1995, adressée au Secrétaire géné ral par le Chargé d’affaires par intérim de la mission
permanente de la Croatie auprès de l’Organisation des NationsUnie s, NationsUnies, doc.A/53/333-S/1995/659
(7 août 1995).
19Annuaire de l’Organisation des Nations Unies, 1998, p. 1420, note de bas de page 9.
20Lettre datée du 27décembre2001, adressée au président de l’Assemblée générale par le Secrétaire général,
Nations Unies, doc. A/56/767 (9 janvier 2002) ; c’est moi qui souligne. - 10 -
indiqué, «ambiguë et ouverte à des appréciations dive rgentes». La RFY n’était pas partie au Statut
et n’avait pas accès à la Cour en juillet 1999.
B.2. Le défendeur n’avait pas accès à la Cour à l’époque considérée ⎯ et la Cour n’a pas non
plus été saisie de manière valable
21. Madame le président, Messieurs de la Cour, le fait que le défendeur n’était pas partie au
Statut lorsque la requête a été déposée ne conduit pas seulement à conclure que la Cour n’était pas
ouverte au défendeur, mais signifie également que la Cour n’a pas été vala blement saisie, qu’elle
n’a pas acquis la compétence de la compétence.
22. Dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , la Cour a jugé que le
demandeur «n’aurait pu saisir la Cour de manière valable» ( Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil2004 , p.299,
par. 46) 2, parce qu’il n’était pas partie au Statut et n’ avait pas le droit d’ester devant la Cour.
Celle-ci n’avait pas acquis la compétence pour se prononcer sur la compétence.
23. La situation est identique en l’espèce. Il est généralement accepté qu’une saisine valable
peut être effectuée soit par notification conjointe so it de manière unilatérale. En l’espèce, il s’agit
d’une saisine unilatérale. La Croatie avait bien accès à la Cour au moment pertinent. Mais les
conditions d’une saisie unilatérale dans un différend donné ne sont jamais indépendantes de l’autre
Partie à ce différend. On ne saurait tout simplement faire fi des qualités de l’autre Partie. Sinon,
16 un Etat, partie au Statut, pourrait aussi saisir valablement la Cour d’une affaire contre un organisme
non étatique ou celle-ci pourrait être saisie d’une instance contre un Etat qui ne relève pas du
champ d’application de son autorité judiciaire.
24. M. Crawford a fait valoir qu’«[u]ne instan ce avait été dûment introduite devant la Cour
par la Croatie, et [qu’]il y avait donc saisine» 22. Il s’agit en l’espèce d’une saisine unilatérale.
Mais la saisine unilatérale ne peut se réduire à une partie prenant la parole devant la Cour. Ce
simple fait apparaît clairement dans l’affaire Nottebohm (Liechtenstein c.Guatemala), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J.Recueil1953 ), dans laquelle la question éta it de savoir si la déclaration
21
On trouve exactement le même texte dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force : au paragraphe 45 dans les affaires concernant la France, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas et le
Portugal et au paragraphe 44 dans celles faisant intervenir l’Allemagne et le Royaume-Uni.
22
CR 2008/11, p. 34, par. 8 (Crawford). - 11 -
du Guatemala (le défendeur) en vertu du paragraphe2 de l’ article36 permettait de saisir
valablement la Cour de manière unilatérale, compte tenu du fait qu’elle avait expiré après le dépôt
de la requête. Dans cette affaire, même le fait que les deux parties au différend étaient parties au
Statut n’a pas été considéré comme suffisant pour que la saisine soit valable. La Cour a cherché à
savoir si le défendeur remplissait d’autres conditions préalables et a indiqué : «Il est incontestable
qu’une requête déposée après l’expiration de cette période [celle de la validité de la déclaration du
Guatemala] n’aboutirait pas à saisir valablement la Cour.» ( Ibid., p.121.) Il ne suffisait pas que
l’affaire ait été «dûment introduite» par le dema ndeur. Le défendeur de vait remplir certaines
conditions préalables. L’arrêt Nottebohm a précisé la pertinence du statut du défendeur pour la
saisine. Il a aussi clairement indiqué que le mo ment pertinent pour juger les conditions préalables
de la saisine est celui du dépôt de la requête.
25. Une saisine valable signifie simplement la compétence de la compétence. Mais ce serait
contradictio in adiecto de parler de compétence de la compét ence dans une situation dans laquelle
la Cour n’a pas compétence pour présumer sa compétence. La Cour ne saurait être valablement
saisie, elle ne saurait avoir la compétence de la compétence, si l’une des parties au différend n’est
pas partie au Statut, si elle ne relève pas du champ d’application de la compétence de la Cour.
26. Il ne fait aucun doute qu’une saisine valable a des conséquences à la fois pour le
demandeur et pour le défendeur ⎯ et cela suppose qu’ils sont parties au Statut, qualité qui
constitue le point d’ancrage des effets de la pr océdure. L’existence de cette hypothèse a été
précisée dans l’arrêt rendu sur la compétence et la recevabilité en l’affaire de la Délimitation
maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), dans laquelle la Cour
a indiqué : «Une fois la Cour valablement saisie, les conséquences procédurales que le Statut et le
17 Règlement attachent au mode de saisine utilisé s’imposent aux deux Parties.» ( arrêt,
C.I.J. Recueil 1995, p. 24, par. 43.)
27. C’est assurément exact mais cela suppo se manifestement que les deux Etats soient
parties au Statut et, donc, qu’ils puissent être par ties à une affaire particulière soumise à la Cour.
Sinon, «les conséquences procédurales que le Statut et le Règlement attachent au mode de saisine
utilisé» ne s’imposeraient pas à eux. Il est géné ralement accepté que la saisine qui produit la
compétence de la compétence découle du Statut. Mais cela signifie également que l’Etat à l’égard - 12 -
duquel la compétence est revendiquée ⎯ et éventuellement établie ⎯ doit relever du champ
d’application du Statut. La Cour ne saurait avoir la compétence de la compétence si une partie au
différend n’est pas partie au Statut. Cette simple proposition a été reconnue comme un principe de
base dans l’affaire relative à l’ Incident aérien du 27 juillet 1955 , dans laquelle la Bulgarie était le
défendeur, et dans laquelle la Cour a indiqué: «[l] e Statut de la présente Cour ne pouva[i]t
entraîner d’obligation pour la Bulgarie qu’à partir de l’admission de celle-ci aux Nations Unies…»
(Incident aérien du 27 juillet 1955 (Israël c. Bulgarie), arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 143).
28. Madame le président, Messieurs de la Cour, les Etats souverains parties au S
tatut ont
l’obligation de respecter la compétence de la compétence de la Cour à leur égard, dans les
conditions établies par le Statut. De même, la Cour n’est pas compétente pour juger de sa
compétence si l’un des Etats parties au différend ne relève pas du domaine de son autorité
judiciaire.
29. Nous avons déjà démontré que cette conclu sion simple et incontournable a reçu un large
soutien digne de foi. L’une des manifestations les plus évidentes de ce soutien apparaît dans les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, dans lesquelles la Cour précise on ne peut plus
clairement que l’accès a un caractère fondamental, qu’il est une condition préalable à la fonction
judicaire et donc, également, à la compétence. Elle a indiqué: «La Cour ne peut exercer sa
fonction judiciaire qu’à l’égard des seuls Etats auxque ls elle est ouverte en vertu de l’article 35 du
Statut. Et seuls les Etats auxquels la Cour est ouverte peuvent lui conférer compétence.» ( Licéité
de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires, arrêt,
23
C.I.J. Recueil 2004, p. 299, par. 46.)
18 30. C’est parfaitement logique, puisque l’accès est bien une condition préalable à une saisine
valable en même temps qu’à la compétence. Ce tte position évidente ne saurait être interprétée
autrement que comme applicable tant au demandeur qu’au défendeur. La Cour ne peut exercer sa
fonction judiciaire à l’égard des parties qui ne relèvent pas du domaine d’application de sa fonction
judiciaire, à l’égard de celles qui n’ont pas accès à elle.
23
On trouve exactement le même texte dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force : au paragraphe 45 dans les affaires concernant la France, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas et le
Portugal et au paragraphe 44 dans celles faisant intervenir l’Allemagne et le Royaume-Uni. - 13 -
31. La même proposition simple et claire est également mise en évidence par Rosenne.
Partant de l’hypothèse que la capacité d’être pa rtie à des affaires contentieuses n’est réservée
qu’aux seuls Etats, Rosenne ajoute et souligne que :
«Cette qualité d’Etat doit être comp létée par des conditions de forme qui
établissent un lien juridique entre l’Etat et le Statut de la Cour… Seul un Etat qui
remplit l’une de ces conditions de forme a accès à la Cour quel que soit son objectif et
sa qualité. La Cour ne saurait connaître d’un e affaire contentieuse à l’encontre d’un
Etat défendeur qui n’est pas tout aussi qualifié.» 24 [Traduction du Greffe.]
32. Madame le président, nous avons cité la Cour qui indiquait, dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force qu’elle «ne p[ouvai]t exercer sa fo nction judiciaire qu’à l’égard des
seuls Etats auxquels elle [était] ouverte en vertu de l’article 35 du Statut» ( C.I.J. Recueil 2004,
p. 299, par. 46) 25. La question constituait donc un problème essentiel et c’est exactement le même
qui se pose en l’espèce. La Cour ne peut exercer sa fonction judiciaire ⎯ ce qui signifie aussi
qu’elle peut être correctement saisie ⎯ que dans un différend entre des Etats qui, tous deux, ont
accès à elle en vertu de l’article 35 du Statut. En l’espèce, l’une des Parties n’avait pas accès à la
Cour au moment du dépôt de la requête. En l’espèce, la saisine n’était pas valable.
B.3. Le «principe Mavrommatis» n’est pas applicable en l’espèce
33. M. Crawford a fait valoir dans sa plaidoirie d’hier que les condi
tions préalables à la
compétence ne devaient pas nécessairement être toutes réunies au moment du dépôt de la requête,
19 en supposant que la Cour avait été valablement saisi e. Il faisait notamment référence à l’affaire
26
Mavrommatis , dans laquelle il a effectivement été jugé que l’on ne saurait débouter une partie
pour un vice de forme qui existait au moment du dépô t de la requête et auquel il peut être aisément
remédié.
34. Je souhaiterais dire, tout d’abord, que la conclusion avancée par le demandeur est fondée
sur l’hypothèse que la Cour a été valablement saisie. Cette hypothèse n’existe tout simplement pas
24
S. Rosenne, The Law and the Practice of the International Court, 1920-2005 , 2006, Martinus Nijhoff
(dir. publ), Leiden, Boston, p. 588.
25
On trouve exactement le même texte également dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives
à la Licéité de l’emploi de la forc: au paragraphe 45 dans les affaires concer nant la France, le Canada, l’Italie, les
Pays-Bas et le Portugal et au paragraphe 44 dans celles faisant intervenir l’Allemagne et le Royaume-Uni.
26 o o
Concessions Mavrommatis en Palestioe, arrêt n 2, 1924, C.P.J.o. série A n 2 ; Certains intérêts allemands en
Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt n6, 1925, C.P.J.I. sérieA n 6 ; Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicar agua cE.tats-Unis d’Amérique), compétence et recev abilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984 ; Application de la convention pour la préventi on et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II). - 14 -
dans la présente instance. Nous avons démontré que la Cour n’a pas été, en l’espèce, valablement
saisie. Mais il existe une autre difficulté. On ne saurait toujours faire abstraction d’un vice de
forme compte tenu de l’évolution ultéri eure. Celui dont nous parlons à présent ⎯ l’absence
d’accès ⎯ est d’une telle nature que l’on ne peut y re médier de la sorte. Nous voudrions apporter
d’autres arguments à l’appui de cette idée.
35. Les auteurs sont nombreux à soutenir que le moment du dépôt de la requête est la date
critique de la saisine et du titre juridictionnel. Comme l’a précisé Fitzmaurice, «[l]a saisine établit
27
la date critique pour l’efficacité du titre juridictionnel» [traduction du Greffe]. Shihata a souligné
exactement la même idée en indiquant : «[l]a saisi ne a un lien direct avec la compétence quant au
fond en ce qu’elle établit la date critique pour l’effi cacité du titre juridictionnel dont il est fait état
dans une affaire donnée.» 28 [Traduction du Greffe.]
36. Madame le président, la Croatie fait valo ir que, une fois que la Cour a été valablement
saisie par le demandeur, il est devenu possible d’établir ultérieurement la compétence à l’égard du
défendeur, après que celui-ci eut obtenu l’accès à la Cour. Cette interprétation est sans fondement
dans le cadre de la présente inst ance. Tout d’abord, le postulat de départ est faux. On ne saurait
dire que, en l’espèce, puisque la Cour a été valablement saisie au moment du dépôt de la requête, il
peut être porté ultérieurement remède à d’autres vices de forme. On ne saurait le dire car, comme
nous venons de le démontrer, la Cour n’a pas été valablement saisie au moment où la requête a été
déposée.
20 37. En outre, il existe bien des affaires dans lesquelles il a été remédié à un vice de forme au
vu de l’évolution ultérieure, mais il ne s’agit là en aucun cas d’une règle générale. Nous avons déjà
cité de nombreux exemples venant étayer le princi pe selon lequel la date pertinente est bel et bien
celle de la requête. Permettez- moi d’ajouter un seul autre exemple digne de foi à l’appui de cet
argument. Dans l’affaire de Lockerbie, la Cour a indiqué: «La date du 3 mars1992 à laquelle la
Libye a déposé sa requête est en effet la seule date pertinente aux fins d’apprécier la recevabilité de
celle-ci.» ( Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971
27
G, Fitzmaurice. «The Law and Procedure of the International Court of Justice, 1951-4: Questions of
Jurisdiction, Competence and Procedure», BYBIL, vol. 34, 1958, p. 18.
28F.I. Shihata, The Power of the International Court to Deteine its Own Jurisdiction (Compétence de la
Compétence), La Haye, Martinus Nijhoff, 1965, p. 88. - 15 -
résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 26, par. 44.)
38. Madame le président, permettez-moi de soulever une question évidente: pourquoi les
affaires citées par M. Crawford ⎯ Mavrommatis, Haute-Silésie et Nicaragua ⎯ n’ont-elles pas été
tranchées de la même façon que les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force ? Dans
toutes les affaires qu’il a citées, où la Cour a permis de remédier à un vice de forme initial, celui-ci
était le fait du demandeur ⎯ ou était aussi le fait du demandeur, comme dans l’affaire
Mavrommatis.
39. Pourquoi ces affaires ont-elles alors été jugées différemment des affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force ? Ce n’est manifestement pas parce que le vice de forme concernait
une partie différente. Que ce soit dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force ou
dans celles que cite le demandeur, cela concernait la même partie. Il existait manifestement une
autre raison qui justifiait de traiter les affairesdifféremment. La raison est que, dans les affaires
relatives à la Licéité de l’emploi de la force, le problème était d’une autre nature et le vice de forme
était bien plus fondamental que dans les affaires citées par le demandeur.
40. C’est précisément cette nature fondamentale du vice de forme qui a conduit la Cour à
conclure, dans les affaires relatives à Licéité de l’emploi de la force , qu’elle ne pouvait exercer sa
fonction judiciaire si une partie ⎯ il s’agissait là du demandeur ⎯ n’avait pas accès à la Cour au
moment où la requête avait été déposée . Elle l’a formulé ainsi: «La question de savoir si la
Serbie-et-Monténégro était ou non partie au Statut de la Cour à l’époque de l’introduction des
29
présentes instances est une question fondamentale.» ( Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil2004 , p.293,
par.30.) Cet exactement la même question fondamentale qui se pose à nous à présent en ce qui
concerne le statut de ce même Etat.
21 41. Permettez-moi d’indiquer que, si «un remède simple» était justifié en ce qui concerne
l’absence d’accès, cette solution aurait dû s’imposer dans les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force. S’il était possible de ne pas tenir compte de la gravité particulière du vice de
29
On trouve exactement le même texte dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force: au paragraphe 29 dans les affaires concernant la France, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas et le
Portugal et au paragraphe 28 dans celles faisant intervenir l’Allemagne et le Royaume-Uni. - 16 -
forme et de son importance en ce qui concerne la fonction judiciaire de la Cour, quod non, tel aurait
dû être également le cas dans lesdites a ffaires. La Serbie-et-Monténégro est effectivement devenue
partie au Statut après que la requête eut été soum ise et avant que la Cour se soit prononcée sur la
compétence.
42. Mais, dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , la Cour n’a pas
indiqué que le dépôt d’une nouvelle requête pouvait aisément remédier au vice de forme et que l’on
pouvait donc passer outre à celui-ci ⎯ ainsi que cela a été dit dans les affaires citées par la Croatie.
La Cour n’a pas dit cela, elle a insisté en revanche sur le fait que le moment pertinent est celui de
l’introduction de l’instance. Cette position est clai rement justifiée par la nature fondamentale du
vice de forme et c’est précisément la manière dont la Cour l’a justifiée. En l’espèce, il s’agit
exactement du même vice de forme. Quod ab initio vitiosum est, tr actu temporis convalescere
30
nequit .
43. Madame le président, la liberté n’est pas sans limites. Dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force , la Cour a mentionné, avec approbation, des affaires dans lesquelles
elle avait décidé que «lorsque sa compétence [éta it] contestée pour différents motifs, elle [était]
libre de baser sa décision sur un ou plusieurs motifs de son choix» ( Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil2004 , p.299,
par. 46) 31, mais elle a ajouté que ce raisonnement ne s’applique pas lorsque l’absence d’accès est
l’un des motifs pour lesquels la compétence est contestée. La C our a précisé que les affaires qui
offrent la liberté de choisir le motif sur lequel une décision sur la compétence est fondée sont toutes
des affaires dans lesquelles les parties étaient, «à n’en pas douter, parties au Statut de la Cour et, de
ce fait, celle-ci leur était ouverte en vertu du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut» ( ibid., p. 298,
par.46). La Cour a indiqué que cette souplesse ne s’applique pas lorsque l’absence d’accès est
invoquée car «c’est cette question de l’accès à la Co ur qui distingue la présente affaire de toutes
celles qui sont mentionnées ci-dessus» (ibid., p. 298-299, par. 46).
30D. Paul, 50, 17, 29 ⎯ La Catoniana Regula.
31On trouve exactement le même texte également dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives
à la Licéité de l’emploi de la forceau paragraphe 45 dans les affaires concer nant la France, le Canada, l’Italie, les
Pays-Bas et le Portugal et au paragraphe 44 dans celles faisant intervenir l’Allemagne et le Royaume-Uni. - 17 -
22 44. Et il s’agit là, j’insiste, de la question qui distingue notre affaire de celles que la Croatie a
citées. La question de savoir si un Etat a accès à la Cour, ⎯ et donc, s’il relève du domaine de la
fonction judiciaire de la Cour ⎯, précède simplement les autres. C’est logique car, en exerçant sa
fonction judiciaire, la Cour peut, bien évidemment , choisir librement entre différentes méthodes de
raisonnement, elle peut également décider d’accep ter qu’il soit porté remède à certains vices de
forme, mais cette souplesse ne s’applique pas lorsque la question est de savoir si la Cour peut ou
non exercer seulement sa fonction judiciaire.
45. Madame le président, Messieurs de la C our, que nous envisagions la question de l’accès
dans le cadre de la saisine ou d’une autre manière, le résultat est le même ⎯ et il montre qu’il n’y a
pas compétence en l’espèce. Il n’y a pas compéten ce, car le défendeur n’avait pas accès à la Cour,
la Cour n’a pas été valablement saisie et, par conséquent, elle n’est pas dotée de la compétence de
la compétence. En outre, l’absence d’accès est un vice de forme d’une nature si fondamentale qu’il
ne peut y être remédié «tractu temporis».
Je vous remercie et vous prie de bien vouloir donner à présent la parole à mon collègue
Vladimir Djerić.
Le PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur Varady, j’appelle maintenant à la barre
M. Djerić.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Varady. Je donne maintenant la parole à
M. Djerić.
DJME.RI Ć :
L’ACCÈS DU DÉFENDEUR À LA COUR AU TITRE DU PARAGRAPHE 2
DE L’ARTICLE 35 DU STATUT
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’examinerai quant à moi la question de
«l’accès du défendeur à la Cour au titre du paragr aphe2 de l’article35 du Statut». Hier,
M. Crawford nous a soutenu que le défendeur ava it qualité pour ester devant la Cour à ce titre, au
motif que la convention sur le génocide devait êt re considérée comme un «traité en vigueur» au
sens de cette disposition. Je dois dire que jbeaucoup apprécié sa brillante présentation et les - 18 -
efforts qu’il a déployés pour convaincre la Cour de revenir sur les arrêts récemment rendus par elle
au sujet de la Licéité de l’emploi de la force , dans lesquels elle avait c onclu précisément l’inverse.
Mais, avec tout le respect dû à mon éminent contra dicteur, l’enchantement d’hier s’est dissipé à
l’examen attentif de ses arguments — exam en dont je me propose de vous rendre compte
maintenant.
32
23 2. A titre liminaire, permettez-moi de dire que, n’en déplaise au demandeur , la question du
paragraphe2 de l’article35 a bel et bien été a bordée dans le cadre des exceptions préliminaires
soulevées dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, ainsi qu’il ressort des arrêts
eux-mêmes (voir, par exemple, Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 316-317, par. 96-97 (ci-après : «Licéité de
l’emploi de la force»)).
3. Selon le demandeur, le membre de phrase «traités en vigueur» est clair et signifie «les
traités en vigueur à la date …à laquelle l’ «autre» Etat vient à ester devant la Cour» 3. Le
demandeur poursuit en ces termes : «un traité ne sau rait être invoqué à moins d’être en vigueur au
moment où il est invoqué» 34. Mais s’il en allait réellement ainsi, les mots «en vigueur» seraient
superfétatoires: pourquoi ne pas se contenter du terme «traités», si un traité «ne saurait être
invoqué à moins d’être en vigueur» ? En outre, si l’expression «en vigueur» était effectivement à
interpréter comme signifian t simplement en vigueur au moment présent , pourquoi utiliser, au
paragraphe5 de l’article36 du Statut, le mot «encore» (les italiques sont de nous). Il semblerait
que l’expression «en vigueur» puisse, dans des c ontextes différents, avoir des significations
différentes — et ne se résume pas à celle que lui prête le demandeur.
4. Tel est du reste le constat que fait la Cour dans les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force, lorsqu’elle écrit que «l’expression «traités en vigueur» [dans] son sens naturel
et ordinaire, ne fournit pas d’indication quant à la date à laquelle les traités visés doivent être en
vigueur, et par conséquen… tpeut être interprétée de différentes manières» ( arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, p. 318, par. 101).
32CR 2008/11, p. 39, par. 23 (Crawford).
33
Ibid., p. 40, par. 26 (Crawford).
34Ibid., p. 41, par. 27 (Crawford). - 19 -
5. Le paragraphe2 de l’article35 est une exception à la règle générale énoncée au
paragraphe1 de cet artic le, qui dispose que la Cour est ouverte aux Etats parties au Statut. Il
constitue une exception parce qu’il autorise d’autres Et ats, non parties au Statut, à ester devant la
Cour dans les conditions réglées par le Conseil de sécurité. Cette exception en renferme une
seconde —la précision «sous réserve des dispositions particulières des traités en vigueur». Si ce
membre de phrase devait être interprété comme l’envisage le demandeur, la règle énoncée au
paragraphe2 de l’article35 serait complètement superflue. Or , une expression, dans un texte
juridique, ne saurait être interpré tée dans un sens qui rendrait complè tement superflu le reste de la
disposition. Dans la logique de l’interprétation avancée par le demandeur, la Cour serait ouverte
24 aux Etats non parties au Statut qui auraient simplement conclu un traité prévoyant sa compétence et
qui échapperaient de ce fait aux cond itions et procédures prévues par la Charte et par le Statut. Le
reste du paragraphe2 de l’article35 du Statut serait dès lors sans objet; si l’on retenait
l’interprétation proposée par le demandeur, cela priverait de toute assise le paragraphe2 de
l’article 93 de la Charte.
6. Echappant aux conditions d’accès prévues au paragraphe 2 de l’article 93 de la Charte et
au paragraphe 2 de l’article 35 du Statut, les Etats non parties au Statut ne pourraient être astreints à
se conformer aux décisions rendues par la Cour dans des affaires auxquelles ils seraient parties ; en
outre, en cas de non-respect, le Conseil de sécurité ne pourrait être saisi. Ce serait là aller à
l’encontre d’une pratique ancienne et constante voulant que les Etats non membres de
l’Organisation des Nations Unies désireux d’ester devant la Cour — que ce soit en devenant parties
au Statut ou dans les conditions réglées par le Conseil de sécurité— sont tenus d’accepter toutes
les obligations incombant aux Membres de l’ Organisation des NationsUnies en vertu de
l’article 94 de la Charte 35.
7. En outre, si l’on suit l’interprétation avancée par le demandeur, cela revient à priver les
organes politiques de l’Organisation des Nations Unies du rôle qui leur incombe de déterminer
35Voir la résolution9 du Conseil de sécurité (1946), par.1; voir aussi la résolution11 du Conseil de sécurité
(1946) et la résolution91 (I) de l’Assemlée générale (Suisse); la résolution71 du Conseil de sécurité (1949) et la
résolution363 (IV) de l’Assemblée générale (Liechtenstein); la résolution102 duConseil de sécurité (1953) et la
résolution805 (VIII) de l’Assemblée générale (Japon); la résolution103 du Conseil de sécurité(1953) et la
résolution806 (VIII) de l’Assemblée générale (Saint-Marin); la résolution600 du Conseil de sécurité (1987) et la
résolution 42 (XXI) de l’Assemblée générale (Nauru). - 20 -
quels sont les Etats en droit d’ester devant la Cour et de participer au système judiciaire de
l’Organisation. Ce serait aller clairement à l’encontre des dispositions de la Charte.
8. Le demandeur affirme n’avoir trouvé trace d’aucun traité en vigueur à la date de l’entrée
36
en vigueur du présent Statut . Mais c’est là un élément dont la Cour avait conscience lorsqu’elle a
rendu ses arrêts dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force (C.I.J. Recueil 2004,
p.323, par.113). «Il était naturel», y préci sait-elle, «de réserver le cas de toute disposition
conventionnelle pertinente qui pouvait alors exister» ( ibid., p.319, par.102). En outre, le Statut
aurait pu entrer en vigueur à une date bien plus tardive et, dans l’
entre-temps, les Etats parties
auraient pu décider de conclure des traités prévoyant la saisine de la Cour, qui auraient alors été en
vigueur. Telle est d’ailleurs la situation qui a re ndu nécessaire l’incorporation de la clause relative
aux traités en vigueur dans le Statut de la Cour permanente, adopté après la conclusion des traités
de paix au lendemain de la première guerre mondiale.
25 9. Madame le président, le demandeur a consacré beaucoup de temps, hier, à la genèse du
paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la Cour permanente et de la Cour. Je ne reviendrai pas sur
cette question de manière exhaustive — la Cour l’ a déjà fait dans les affaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force , et elle est parvenue à des conclusi ons différentes de celles du demandeur.
Mais il me faut, très respectueusement, noter qu’en présentant son analyse des travaux
préparatoires du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la Cour permanente, le demandeur a omis
de mentionner la principale raison ayant motivé l’in corporation de la clause relative aux traités en
vigueur. Après qu’eut été soulevée la question de l’accès à la Cour en vertu des traités de paix
existants —épisode évoqué par le demandeur—, un petit comité de rédaction se vit confier la
tâche de reformuler le texte. C’est la formulation proposée par ce comité —«sous réserve des
dispositions particulières des traités en vigueur» — qui fut en définitive retenue dans le texte du
Statut de la Cour permanente 37. Madame le président, cette form ule fut choisie par le comité de
rédaction sur la base des instructions énon cées à l’unanimité par la sous-commission de la
Troisième Commission de la Société des Nations , qui prévoyaient entre autres qu’«on tiendra[it]
36
CR 2008/11, p. 40, par. 26 (Crawford).
37Société des Nations, Cour permanente de Justice internationale, Documents au sujet de mesures prises par le
Conseil de la Société des Nations aux termes de l’article 14 du Pacte et option par l’Assemblée du Statut de la
Cour permanente (ci-après : les «Documents»), p. 142. - 21 -
compte des parties qui peuvent se présenter devant la Cour en vertu des traités de paix» . Il fallait
donc tenir compte non pas de l’ensemble des «traités en vigueur» mais des «traités de paix». Voilà
qui montre quelle était l’intention sous-tendant cette disposition et permet d’en apprécier comme il
se doit la teneur.
10. En outre, le demandeur soutient que le «moment crucial» fut celui où M.Fromageot
déclara, en réponse à M.Huber, «que l’expressi on «les traités en vigueur» ne signifi[ait] pas
seulement les traités [alors] en vigueur, mais au ssi ceux qui le ser[aie]nt, dans l’avenir, à un
39
moment donné» . Toutefois, cet échange intervint dans le cadre de la discussion des articles33
et 34 ⎯tels qu’ils étaient alors numérotés ⎯ qui portaient sur la compétence ratione materiae .
L’article 32, qui allait devenir l’article 35, et son paragraphe 2 ⎯ qui est pertinent aux fins qui nous
occupent ici ⎯ furent examinés juste après. Rien ne permet de conclure avec certitude que le
propos de M.Fromageot visait l’expression «tra ités en vigueur» telle qu’employée dans ce qui
allait devenir le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut.
26 11. Madame le président, je relèverai encore que, dans son analyse pourtant méticuleuse du
paragraphe 2 de l’article 35, le demandeur a omis de signaler que les membres de la Cour avaient
aussi examiné cette disposition au moment de la revision du Règlement de 1926 et que cet examen
est mentionné dans les arrêts rendus dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force
(C.I.J. Recueil 2004, p. 321).
12. En 1926, le greffier adopta la position que défend aujourd’hui le demandeur, indiquant,
ainsi qu’il ressort du procès-verbal, que l’article 35 du Statut «donn[ait] à la Cour une compétence
absolue dans le cas de traités en vigueur». Le jugeAnzilotti émit des doutes sur cette
interprétation. L’examen de la question fut repor té à une séance ultérieure, dont vous trouverez le
40
procès-verbal à l’onglet 1 de vos dossiers d’audience . Lorsque, en définitive, elle fut examinée,
tant le président de la Cour, le jugeHuber, que le juge Anzilotti se dissocièrent du point de vue
exprimé par le greffier. Le jugeAnzilotti expliqua ainsi l’incorporation de la clause relative aux
traités en vigueur :
38Documents, p. 141 ; les italiques sont de nous.
39
CR 2008/11, p. 53, par. 59 et 61, citant les Documents, p. 144.
40Actes et documents relatifs à l’organisation de la Cour (1926), C.P.J.I. série D n° 2, Add., p. 76-77. - 22 -
«[l]es traités de paix imposent dans certains cas aux Etats centraux la juridiction de la
Cour ; en d’autres cas, on leur a accordé le droit d’introduire eux-mêmes une instance
devant la Cour. En admettant, dès lors, que le Conseil de la Société des Nations
puisse imposer d’autres conditions, on modifierait les traités de paix, ce que l’on ne
41
p[eut] faire. La clause dont il s’agit vise donc les traités de paix.»
13. Le président de la Cour, le juge Hube r, défendit ce raisonnement. Le procès-verbal
indique :
«Sur le fond de la question, [le pr ésident] estime, en tenant compte des
commentaires quasi-officiels du Statut que constitue le rapport de M.Hagerup, que
l’on peut bien arriver à l’interprétation large de l’article 35 du Statut adoptée par la
Cour dans l’affaire de la Haute-Silésie. Mais il faut, avant tout, interpréter la
résolution du Conseil selon les termes mêmes de cet article 35 auquel il se réfère, et le
président croit, avec MAnzilotti, que l’ on n’a pu viser, par l’exception inscrite à
l’article 35, que des situations prévues par les traités de paix.» 42
14. Ainsi, tant le président Huber que le j uge Anzilotti étaient d’avis que la clause relative
aux traités en vigueur visait les traités de paix. Certes, le fait que, dans l’affaire relative à la
o
Haute-Silésie (Certains intérêts allemands en Haute- Silésie polonaise, compétence, arrêt n 6,
1925, C.P.J.I. sérieA n o6), l’Allemagne avait esté devant la Cour sur le fondement de la
convention relative à la Haute-Silésie, conclue entr e elle et la Pologne, laquelle était entrée en
vigueur après l’entrée en vigueur du Statut de la Cour permanente, posa quelque difficulté.
27 Toutefois, ainsi qu’exposé par le juge Anzilotti ⎯ et, une fois de plus, son raisonnement est
retranscrit à la page 105 des Actes et documents de 1926, qui figure à l’onglet 1 de vos dossiers :
«Il s’agissait alors d’un traité —la convention de la Haute-Silésie— rédigé
sous les auspices de la Société des Nations et qui devait être considéré comme un
complément du traité de Versailles. Il est donc possible de faire rentrer le cas sur
lequel la Cour a alors statué dans l’expression générale «sous réserve des traités en
vigueur», tout en interprétant cette expression comme visant les traités de paix, et il
n’est pas nécessaire de la comprendre comme obligeant la Cour à en43er dans la voie
d’une interprétation aussi large que celle qui est proposée.»
15. J’ajouterai qu’en plus d’être défendue par le président Huber, l’interprétation du
jugeAnzilotti ne fut contestée par aucun de ses confrères. Madame le président, nous affirmons
que ce débat revêt une importance cruciale ⎯ tant le juge Anzilotti (alors le «commendatore»
Anzilotti) que le président Huber avaient participé aux examens de la Troisième Commission, et de
sa sous-commission, au moment de la rédaction du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la Cour
41
Actes et documents relatifs à l’organisation de la Cour (1926), C.P.J.I. série D n° 2 Add. , p. 105 ; les italiques
sont de nous.
42
Ibid., p. 106.
43Add. n 2, p. 105. - 23 -
permanente. Ils avaient été «présents à la création», pour paraphraser le titre —«Present at the
creation» — de l’ouvrage de Dean Acheson. Et il en allait de même pour le juge Loder, qui avait
exercé les fonctions de président, et qui, dans le cadre du débat de 1926, ne s’opposa pas à eux sur
la question de la clause relative aux «traités en vigueur». (Comparer Actes et documents (1926),
C.P.J.I. série D n° 2 Add., p. 104 et Documents, p. 82).
16. Tout ce qui précède confirme ainsi clairement la conclusion à laquelle la Cour est
parvenue et qu’elle a exprimée en ces termes :
«l’histoire rédactionnelle du paragraphe de l’article 35 du Statut de la Cour
permanente montre que ses dispositions ét aient conçues comme une exception au
principe énoncé au paragraphe 1, en vue de couvrir les cas prévus par les accords
conclus immédiatement après le premier c onflit mondial, avant l’entrée en vigueur du
Statut».
17. Madame le président, j’en viens ma intenant, si vous le voulez bien, aux travaux
préparatoires du présent Statut. Ils n’apportent aucune indication sur le sens de l’expression
«traités en vigueur», telle qu’employée au paragraphe 2 de l’article 35. Le demandeur soutient que,
si les auteurs du présent Statut avaient voulu restreindre l’accès au titre de cette disposition, ils
44
l’auraient laissée de côté . Toutefois, si la question n’appa raît pas dans les débats de 1945,
j’aimerais relever que l’un des juges présents était le juge Manley Hudson, qui a exprimé l’avis que
le paragraphe 2 de l’article 35 devait être interprété de manière restrictive, et que l’affaire relative à
la Haute-Silésie ne devait pas servir de précédent universel 45.
28 18. Les auteurs du Statut ayant repris le texte de l’ancien paragraphe2 de l’article35 en y
apportant seulement quelques corrections de style mineures, il y a lieu de penser qu’ils souhaitaient
perpétuer également le sens qui était le sien dans le Statut de la Cour permanente. Qu’il n’y ait
peut-être pas eu de traités en vi gueur prévoyant la compétence de la nouvelle Cour à la date de
l’entrée en vigueur du Statut ne prouve pas grand-chose. Les auteurs du Statut étaient parfaitement
en droit de ménager cette autre possibilité d’accès à la Cour. De même ont-ils ménagé la
possibilité pour la Cour d’exercer sa compétence à l’égard des «c as spécialement prévus dans la
Charte» (par. 1 de l’article 36 du Statut), alors que, au bout du compte, la Charte n’en prévoit aucun
44
CR 2008/11, p. 48, par. 50.
45
Manley O. Hudson, The Permanent Court of International Justice 1920-1942, 1943, p. 391-392. - 24 -
(Incident aérien du 10 aoû1t999 (Pakistan c. Inde), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 2000, par. 48).
19. Madame le président, le demandeur soutient que la clause relative aux traités en vigueur
doit être interprétée comme visant les traités en vigueur à la date du dépôt de la requête. Nous
avons démontré que cette interprétation n’était pas défendable. Le demandeur, cependant, évoque,
sans jamais la développer, l’idée que la convention sur le génocid e ferait «partie des règlements
d’après-guerre» 46 ; dans cette optique, la Convention pou rrait être considérée comme un traité de
paix assimilable aux traités de ce type conclus au lendemain de la première guerre mondiale ; dès
lors, pour les mêmes raisons, le paragraphe 2 de l’article 35 pourrait lui être applicable.
20. Très respectueusement, nous soutenons qu’il n’en est rien. Premièrement, les travaux
préparatoires étayent clairement la conclusion à laquelle est parvenue la Cour ⎯ à savoir que seuls
les traités en vigueur à la date de l’entrée en vi gueur du présent Statut pourraient être couverts par
le paragraphe 2 de l’article 35. Deuxièmement, la convention su r le génocide n’avait pas vocation
à régler la situation issue de la seconde guerre m ondiale, comme c’était le cas des traités de paix
conclus au lendemain du premier conflit mondial. Ainsi que l’a démontré M.Zimmermann, elle
était orientée vers l’avenir et n’avait pas d’effet rétroactif 47— en d’autres termes, elle n’avait pas
vocation à régler des questions héritées de la guerre. En outre, la raison d’être de la Convention est
de toucher autant d’Etats que possible, et pas seulement les anciennes puissances belligérantes.
21. Troisièmement, enfin —et c’est la raison la plus importante ⎯, la pratique des Etats à
l’issue de la seconde guerre mondiale atteste clairement que les traités conclus après l’entrée en
vigueur du présent Statut ne furent jamais considérés comme des traités en vigueur au sens du
paragraphe 2 de l’article 35. Une bonne illustration nous en est fournie par le traité de paix avec le
29 48
Japon signé le 8 septembre 1951 . S’il y a un traité faisant partie des règlements de l’après-guerre,
c’est bien celui-ci. Or, ceux de ses signataires qui n’étaient pas parties au Statut — le Cambodge,
le Ceylan, le Laos, le Japon et le Vietnam— ont tous déposé des déclarations au titre de la
résolution9 du Conseil de sécurité. Ainsi, même à ce traité de paix par excellence, il n’était pas
46
CR 2008/11, p. 57, par. 75.
47
CR 2008/9, p. 20-21, par. 39 et 40.
48Traité de paix avec le Japon, signé à SanFr ancisco, le 8septembr e 1951, Nations Unies, Recueil des traités,
1952, p. 46, n 1832. - 25 -
prêté le pouvoir d’attraire devant la Cour des Etats non parties au Statut en vertu de la clause
relative aux traités en vigueur. Tous les Etats qui se trouvaient dans cette situation déposèrent des
déclarations en vertu de la résolution 9 du Conseil de sécurité 49.
22. En ce qui concerne spécifiquement la c onvention sur le génocide, invoquée en l’espèce,
nous avons en outre l’exemple de la République fédérale d’Allemagne, qui jugea nécessaire de
déposer une déclaration au titre de la résolution 9 du Conseil de sécurité aprè s être devenue partie à
la convention 50. Le libellé de la déclaration allemande est reproduit à l’onglet2 du dossier des
juges. Il en ressort que l’Allemagne, qui, à l’époque, n’était pas partie au Statut, considérait que la
convention sur le génocide, et son article IX, ne lui ouvraient pas l’accès à la Cour. Elle déposa en
conséquence une déclaration en vertu de la résolu tion9, sans soulever d’objections de la part des
autres Etats parties à la Convention. Il convient de noter que l’Allemagne déposa des déclarations
analogues à l’égard de cinq autres traités, dont la convention de Bruxelles, dont on pourrait soutenir
51
qu’elle faisait partie du règlement de l’après-seconde guerre mondiale . Le demandeur ne fait pas
la moindre mention de cette pratique.
23. Il convient également de relever que la pl ace reconnue à la Cour par la Charte dans le
système de l’Organisation de Nations Unies est di fférente de celle qu’occupait la Cour permanente
de Justice internationale dans le système de la Société des Nations. La Cour internationale de
Justice fait partie intégrante du système, ce qui n’était pas le cas de la Cour permanente, et ce
facteur a forcément des conséquences en ce qui co ncerne l’accès à la Cour. Gardons-nous de le
perdre de vue au moment d’interpréter le paragra phe 2 de l’article 35 du Statut. Gardons-nous, de
même, d’ouvrir la moindre brèche qui permettra it de contourner les conditions et procédures
régissant l’accès à la Cour, car une telle brèche modifierait l’équilibre délicat fixé par la Charte
entre les principaux organes de l’Organisation des Nations Unies. Le demandeur ne prend pas non
plus en compte cet élément.
30 24. Madame le président, il est clair que la pratique des Etats au lendemain de la seconde
guerre mondiale étaye davantage encore, et étaye so lidement, la conclusion à laquelle est parvenue
49
Annuaire 1951-1952, p. 208-209 (Japon et Ceylan) et 209-210 (Cambodge) ; Annuaire 1952-1953, p. 197-198
(Laos et Vietnam).
50
Annuaire 1955-1956, p. 210.
51Annuaire 1971-1972. - 26 -
la Cour dans ses arrêts sur la Licéité de l’emploi de la force , à savoir que la clause relative aux
traités en vigueur s’applique uniquement aux traités en vigueur à la date de l’entrée en vigueur du
présent Statut.
25. Hier, M.Crawford a consacré force temps et énergie, et usé de toute son autorité, pour
vous convaincre de retenir l’interprétation du paragraphe2 de l’article35 avancée par le
demandeur, et de revenir sur votre récente déci sion, dans laquelle vous vous étiez livrés à une
analyse détaillée de cette disposition. Néanmoins, ainsi que je l’ai dém ontré, son argument ne
résiste pas à l’examen, à la lumière du paragraphe 2 de l’article 35, de sa genèse et de la pratique
des Etats au lendemain de la seconde guerre mondiale.
26. De surcroît, si la Cour retenait cette in terprétation, cela reviendrait à donner à la Serbie
deux réponses distinctes à une même question posée da ns le cadre d’affaires qui non seulement ont
été introduites à peu près au même moment mais concernent en outre le même problème — savoir
si la Serbie avait qualité pour ester devant la Cour avant novembre 2000. Les arrêts rendus dans les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force concernent l’accès à la Cour et traitent
explicitement et en détail de cette question, ce qui n’est le cas d’aucun autre de vos arrêts. L’une
des questions examinées dans ce s affaires était de savoir si la convention sur le génocide pouvait
fonder l’accès à la Cour au titre du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut. La Cour a apporté une
réponse à cette question et, Madame le président, M essieurs de la Cour, elle a apporté la réponse
qui s’imposait. La Serbie n’a pas qualité pour ester devant la Co ur en vertu du paragraphe2 de
l’article35 en la présente espèce, parce que la co nvention sur le génocide n’ est pas un traité en
vigueur au sens de cette disposition.
27. Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre aimable attention.
Nous pourrions poursuivre avec l’intervention de M.Zimmermann, ou marquer maintenant une
pause.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Djeri ć. Je pense que M.Zimmermann peut
commencer sa plaidoirie, s’il le veut bien, et essayer de trouver un moment opportun pour
s’interrompre d’ici environ 25 minutes. Je vous remercie. - 27 -
M. ZIMMERMAN :
I. NTRODUCTION
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, mes collègues ont examiné divers aspects de
31 la question de l’accès, dans le cadre de la première exception préliminaire de la Serbie. Cependant,
si cette première exception est fondée, ce n’est p as uniquement parce que le défendeur n’avait pas
accès à la Cour. Elle doit également être retenue parce que la Cour n’est pas compétente pour
connaître de la demande de la Croatie.
II.LA C OUR N ’EST PAS COMPÉTENTE POUR CONNAÎTRE DE LA PRÉSENTE AFFAIRE
2. Madame le président, les Parties conviennent qu’en l’espèce, la Cour peut uniquement
tirer sa compétence de l’article IX de la conve ntion sur le génocide. J’aurais cru qu’elles
s’accorderaient aussi à penser que la présente affaire couvre des qu
estions assez complexes de
personnalité juridique, de qualité d’Etat, de continuité et de succession.
3. Sur cette base, j’espérais effectivement entendre dans quelle exacte mesure, selon le
demandeur, l’article IX de la convention sur le génocide pouvait lier la Serbie.
Le PRESIDENT: MonsieurZimmerman, on me demande si vous pourriez parler un peu
plus lentement, s’il vous plaît.
M. ZIMMERMAN: Certainement. J’ai particulièrement eu cette atte nte parce que dans sa
plaidoirie de lundi, mon collègue, M. Tibor Varady, a invité la partie requérante à dire exactement
52
dans quelle mesure et à quelle date le défendeur est resté ou devenu lié par l’articleIX .
Malheureusement, son invitation semble être restée lettre morte.
4. Il est vrai que lors du premier tour de pl aidoiries, les conseils du demandeur ont été très
clairs ⎯ voire «absolument limpides» 53⎯au sujet du résultat: ils ont affirmé sans hésiter que
54
l’article IX était applicable au défe ndeur «à tous les moments pertinents» . Mais ni M. Crawford
ni M.Sands n’ont clairement dit pourquoi cela devrait être le cas. En essayant d’expliquer
52CR 20008/8, par. 48 et suiv., par. 19 et suiv. (Varady)
53
CR 2008/10, p. 32, par. 13 et p. 38, par. 29 (Sands) ; CR 2008/11, p. 23, par. 9 et p. 54, par. 65 (Crawford).
54CR 2008/10, p. 28, par. 3. - 28 -
comment ils sont parvenus à leurs résultats «absolument limpides», ils ont continué à avancer le
même mélange d’arguments inconciliables qui figure nt déjà dans les observations écrites de la
Croatie. Il s’agissait notamment :
32 ⎯ aux droits de l’homme, alors présentée comme couvrant également les dispositions relatives au
55
règlement des différends, toute autre approche étant jugée «troublante» ;
⎯ de commentaires sur la déclaration et la note du 27 avril 1992, que M.Sands n’a guère
56
analysées mais qu’il a qualifiées «[d]’engagement solennel» —qualifiant aussi de
«déplaisants» les arguments avancés sur ce point 57;
⎯ enfin, la partie requérante a fréquemment renvoyé, sans trop s’y attarder, aux notions de bonne
foi, de confiance et d’attentes légitimes qui, à l’en croire, justifient que la Croatie considère la
58
Serbie comme liée par l’article IX de la convention sur le génocide .
5. Si le résultat est censé être absolument limpide, le raisonnement qui y a conduit est loin de
l’être, si je puis dire.
6. Madame le président, Messieurs de la Cour, le demandeur a délibérément mélangé des
arguments inconciliables. Il l’a fait pour év iter d’avoir à prendre position sur les questions
juridiques complexes et difficiles qui se posent à ce state de la procédure.
7. Nous sommes aux prises avec des questions de formalité conven tionnelle, de qualité de
partie aux traités, de succession d’Etats et d’identité étatique. Ce sont des questions techniques au
sujet desquelles la communauté internationale des Etats, ainsi que les dépositaires des traités
insistent, à juste titre, sur la précision et la cl arté. Il ne s’agit pas d’un domaine du droit où
gouverne la philosophie du droit, où règnent l’objet et le but et dominent des notions d’une large
portée. Nous sommes confrontés à un domaine du droit où les Etats sont tenus d’être précis,
techniques, nuancés et exacts. Cela explique pour quoi, en 2006, même dans le cas incontesté de la
continuité d’Etat entre la Serbie-et-Monténégro d’ une part, et la Serbie, d’autre part, en sa qualité
55Ibid., p. 33, par. 16 (Sands).
56
Ibid., p. 30, par. 10 (Sands).
57
Ibid., p. 29, par. 6 (Sands).
58CR 2008/11, p. 9, par. 7 (Crawford). - 29 -
de dépositaire, le Secrétaire général a demandé à la Serbie de faire preuve de la plus grande
précision.
8. Bien que la demande de la Serbie, formulée par écrit par le président Tadić, n’ait alors pas
été contestée, le Secrétaire général a demandé à ce pays de confirmer expressément que ««[t]outes
33 les formalités [conventionnelles]…accomplies pa r la Serbie-et-Monténégro reste[raie]nt en
vigueur…et que, «[p]ar conséquent, la Ré publique de Serbie maintiendra[it] toutes les
déclarations, réserves et notifications faites par la Serbie-et-Monténégro» 59.
9. Le ministre serbe des affaires étrangères s’est acquitté de cette demande du Secrétaire
général 60. Pure formalité, dira-t-on, mais elle est essentielle quand il s’agit d’identité étatique et de
succession d’Etat.
10. Madame le président, bien entendu, M. Sands a le droit de trouver la position de la Serbie
déplaisante. Mais est-ce vraiment la question qui se pose en l’espèce ? Et plus particulièrement au
regard de la question de la succession ? La présente affaire n’est pas un concours de beauté dont le
vainqueur sera l’argument le plus plaisant. J’ai bien peur que les dispositions régissant la
succession aux traités soient un domaine technique du droit, qu’on les juge plaisantes ou pas. Un
mélange attrayant d’affirmations contradictoires ne saurait remplacer une évaluation détaillée des
manières dont la Serbie pourrait être devenue ou restée liée par l’article IX, quod non.
11. C’est à cette évaluation détaillée, qui inclut une analyse détaillée de la pratique pertinente
des Etats, que je vais me livrer par la suite . Permettez-moi donc de vous prévenir que je
prononcerai un discours que M. Sands, au moins, pourrait trouver déplaisant. Il s’agit néanmoins
d’un discours dans lequel je démontrerai qu’aucune des interprétations possibles ne montre que le
défendeur en l’espèce est lié par l’article IX de la convention sur le génocide.
12 Madame le président, Messieurs de la Cour , si l’on fait abstraction de la thèse de la
continuité, à laquelle il a été renoncé, il reste deux interprétations possibles. Le défendeur aurait pu
devenir lié par l’article IX :
⎯ soit par voie de succession automatique,
59
Lettre citée dans le courrier adressé le 19 juillet 2006 par la Cour à la Croatie et à la Serbie-et-Monténégro.
60Voir collection des traités des Nations Unies, traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au
15 novembre 2007, informations de nature historique, disponible sur
http://untreaty.un.org/ENGLISH/bible/englishinternetbible/historicalinf… - 30 -
⎯ soit par la déclaration et la note du 27 avril 1992.
Permettez-moi d’aborder ces deux questions l’une ap rès l’autre. Ensuite, par souci d’exhaustivité,
j’envisagerai une troisième possibilité à laquelle le conseil de la Partie requérante semble au moins
avoir fait allusion, sans vraiment l’analyser.
34 1. La Serbie n’a jamais succédé automatiquement à la convention sur le génocide
13. Madame le président, à en croire le c onseil de la Croatie, «[celle-ci] a succédé à la
convention sur le génocide par notifi cation de succession datée du 12 octobre 1992» 61. Je ne peux
qu’approuver cette observation. Ce pendant, le conseil de la Croa tie a beau essayer de laisser
entendre le contraire, la Serbie n’a jamais notif ié au dépositaire qu’elle succédait à la convention
62
sur le génocide .
14. De toute évidence, la Croatie a conscience de ce problème. C’est pour cette raison
qu’elle a invoqué un prétendu principe du droit inte rnational coutumier. Selon elle, ce principe
exige la succession automatique à tous les tra ités en cas de séparation. Subsidiairement,⎯ et ceci
est, pour ainsi dire, la version modérée de son argument ⎯ elle dit que la succession automatique
devrait au moins s’appliquer aux traités relatifs aux droits de l’homme.
15. Ces deux lignes d’argumentation doivent néanmoins être réfutées. Permettez-moi de
commencer par la version radicale des arguments de la Croatie, celle qui préconise la succession
automatique à tous les traités.
a) L’article 34 de la convention de Vienne de 1978 sur la succession des Etats en matière de
traités ne reflète pas le droit international coutumier
16. Madame le président, à l’appui de cet argu ment, le conseil du demandeur cite l’article 34
de la convention de Vienne de 1978 sur la succession des Etats en matière de traités. Or, cette
disposition ne s’appliquait visiblement pas à la dissolution de la Yougosla vie. Plus important
encore, elle ne reflète pas le dr oit international coutumier. Cela est confirmé par le fait qu’à ce
61
CR 2008/10, par. 9 (Sands).
62Voir CR 2008/10, p. 20, par. 13, où Mme Metelko-Zgombi ć déclare que la note concernée avait été envoyée
«au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, dépositaire des traité s des Nations Unies». Cependant, cette
désignation ne tient pas compte des diffé rentes fonctions du secrétai re général ni du fait que la note n’avait pas été
délibérément envoyée au dépositaire. - 31 -
jour, à savoir trente ans après son adoption, seuls 21 Etats ont adhéré à cette convention. Sur le
plan de la codification, cet instrument est clairement un échec.
17. Qui plus est, l’une des raisons de cet éche c est son article 34. La majorité des Etats
n’acceptent pas le principe étendu et vague de succession universelle défe ndu par le demandeur.
Au contraire, ces Etats acceptent l’opinion classique qui plaide en faveur d’une grande part de
liberté permettant aux Etats de décider s’ils pe uvent succéder ou non à certains ou à la totalité des
traités auxquels leurs prédécesseurs respectifs étaien t parties ou si, au contraire, ils veulent y
accéder et, dans l’affirmative, dans quelles conditions.
35 18. Permettez-moi de vous rappeler par ailleurs que jusqu’à présent, la Cour n’a jamais
accepté le caractère coutumier du principe contenu à l’article 34 de la c onvention de 1978 (affaire
relative au Projet Gab číkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaqui e), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p.71,
par. 123). Comme je l’ai déjà dit, vous avez plut ôt, ne serait ce qu’implicitement, pris une position
qui contredit l’idée même de succession automatique 63, comme ce fut le cas dans l’arrêt rendu en
l’affaire Congo c. Rwanda. Et justement, dans une affaire re lative à l’application de la convention
sur le génocide, cette question est au cŒur même des débats.
19. Il est au contraire plutôt curieux que le conseil de la Croatie renvoie à une déclaration de
celui qui était alors le représentant de l’Union sovi étique à la conférence de Vienne de 1977 sur la
succession des Etats, pour soutenir expressément la succession automatique à des traités «à
caractère universel». Cela est en effet très curie ux, car pendant ladite conférence diplomatique, la
proposition, susmentionnée, de préconiser expressém ent la succession automatique à ces traités à
«caractère universel» a été formellement retirée lo rsqu’il est devenu évident qu’elle ne recevrait
pas suffisamment d’appui 64.
63
CR 2008/8, p. 34, par. 9-13 (Zimmermann).
64Cf. M. Yasseen «La convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités» ; AFDI, 1978, p. 59
(107). - 32 -
b) Les traités des droits de l’homme et en particulier les clauses compromissoires qu’ils
contiennent ne sont pas soumis à la succession automatique
20. Madame le président, cela m’amène à la ve rsion modérée de l’argument de la Croatie:
l’article IX devrait lier le défendeur parce que ce dernier avait automatiquement succédé aux traités
des droits de l’homme auxquelles avait été partie l’ancienne Yougoslavie.
21. Une fois de plus, que la Croatie formul e un tel argument à ce stade de la procédure est
quelque peu étrange. Lors du pr emier tour de plaidoiries, mes collègues et moi-même avons
souligné certains des exemples les plus frappants montrant que la Croatie avait empêché la RFY de
participer au travail d’organes créés en vertu d’ instruments internationaux relatifs aux droits de
l’homme. Si la RFY avait automatiquement succédé à ces traités, elle n’aurait guère eu besoin de
présenter les notifications expresses de succession constamment réclamées (avec succès) par la
Croatie.
22. La pratique étatique propre de la Croatie contredit donc clairement l’idée même de
succession automatique aux traités des droits de l’ homme. Mais la Croatie n’est pas la seule à
36
rejeter la notion de succession automatique. Sa co nduite est analogue à celle de nombreux autres
Etats. Je constate qu’un nombre considérable d’Etats successeurs sur le territoire desquels la
convention sur le génocide avait été appliqu ée avant leur succession ont formellement accédé à
ladite Convention. Cette succession n’a jamais été contestée, à l’exception de celle de la Serbie, à
laquelle, cependant, seuls trois des 140 parties contractantes à la Convention ont formulé une
objection. Par ailleurs, deux de ces trois pays, ⎯ à savoir, la Croatie elle-même ainsi que la
Bosnie — avaient un intérêt litigieux non avoué.
23. On trouve la même caractéristique dans de nombreux autres traités relatifs aux droits de
l’homme. A titre d’exemple, permettez-moi de dire que par le passé, plus de 30 Etats successeurs
ont accédé à la convention relative au statut des réfu giés de 1951 même si cette convention était
déjà applicable sur leur territoire bien avant ce tte date. Il s’agit notamment des Etats successeurs
qui y ont accédé après que la Croatie elle-même fut devenue partie à cet instrument. Et une fois de
65
plus, la Croatie n’a nullement jugé nécessaire de s’opposer à ces adhésions .
65
A titre d’exemple; le Swaziland a ac cédé à la convention relative au statut des réfugiés le 14février 2000; le
Royaume-Uni a élargi la porté géographique de cette conntion au Swaziland en vert u d’une déclaration datée du
11 juillet 1960. - 33 -
24. Madame le président, Messieurs de la Cour, sur la question de la succession, la Croatie a
également cité des déclarations d’organes crées en vertu de traités relatifs aux droits de l’homme.
Il est vrai que ces organes jouent un rôle im portant au regard de l’évolution du régime
conventionnel relatif à la succession, et un rôle crucial dans son a pplication quotidienne.
Cependant, ces organes ont pour mandat de traite r d’un régime conventionnel précis et de ses
caractéristiques propres, et non de développer des règles générales de succession étatique. Leurs
déclarations ne sauraient remplacer la pratique des Etats, et en particulier celle des Etats
directement intéressés: cette observation s’applique d’autant plus quand cette pratique n’est pas
contestée par les autres parties contractantes.
25. Madame le président, quoi que l’on pense des traités des droits de l’homme comme tels,
il y a un autre aspect que le conseil de la partie demanderesse essaie d’occulter. Comme je l’ai dit
lors du premier tour de plaidoiries, une prét endue succession automatique est encore moins
envisageable au regard des clau ses compromissoires, et cette idée a été étayée par l’abondante
66
jurisprudence que nous avons invoquée dans nos exceptions préliminaires .
26. Le conseil de l’appliquant a qualifié de «troublante» la distinction entre clauses de fond
67
et clauses compromissoires , mais au-delà de ce constat, il n’a pas dit grand-chose pour réfuter
cette distinction. En fait, la nécessité de di stinguer les deux types de clauses— d’une part, les
37 obligations de fond et, d’autre part, les règles de procédure établissant des mécanismes spécifiques
de règlement de différends — est évidente si l’on accepte les raisons avancées par le conseil de la
Croatie à l’appui de la prétendue succession automatique aux traités relatifs aux droits de l’homme.
27. Selon le conseil de la Croatie, la succession automatique est justifiée parce que ces traités
68
confèrent des droits individuels et que les obligations contenues dans la convention relèvent
également du droit international coutumier 69. Cependant, l’articleIX de la convention sur le
génocide ⎯ la clause compromissoire en cause en l’espèce ⎯ ne présente aucune de ces
caractéristiques. Il ne crée pas de droits indivi duels. Il ne relève pas du droit international
66 Exceptions préliminaires, par. 3.93-3.103.
67
CR 2008/10, p. 33, par. 16 (Sands).
68
Ibid., p. 33 et suiv., par. 16-18 (Sands).
69 Ibid., p. 28 et suiv., par. 5 (Sands). - 34 -
coutumier et encore mois du jus cogens. Il régit uniquement les relations entre les Etats. Même
s’il doit être accepté pour les besoins de l’argumenta tion, le raisonnement du conseil de la partie
demanderesse ne s’applique tout simplement pas à l’article IX de la convention sur le génocide.
28. En réalité, même si l’on acceptait d’app liquer une règle de succession automatique aux
mécanismes de supervision des traités relatifs aux dr oits de l’homme tels que le pacte international
relatif aux droits civils et politiques, il n’y aurait toujours pas de succession automatique à
l’articleIX. La raison en est la suivante: les mécanismes de supervisi on du pacte international
relatif aux droits civils et politiques pourrait bien jouer un rôle central au regard de toute l’efficacité
des instruments en question. En revanche, outre l’article IX, la convention sur le génocide prévoit
beaucoup d’autres mécanismes de prévention de ce crime, telles que l’obligation précise d’en punir
les auteurs, ainsi que celle, contenue à l’artic le VI, de collaborer avec la cour criminelle
internationale compétente à cet égard. Cela e xplique également pourquoi l’article IX ne partage
pas le sort des obligations conventionnelles de fond même si, ne serait-ce que pour les besoins de
l’argumentation, on devait partir de l’hypothèse d’une succession automatique aux clauses de fond
de la Convention.
29. En dernier lieu, la distinction entre obligations de fond et clauses compromissoires est
également confirmée par la pratique. Permettez- moi de vous renvoyer à l’interprétation qui a été
donnée à la convention européenne de sauvegard e des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, probablement l’un des traités modernes des droits de l’homme les plus importants,
après que la République tchèque et la République slovaque eurent notifié leur succession à cette
convention. Même dans ce cas, autrement dit, même après que les deux Etats successeurs eurent
indiqué leur volonté de continuer la qualité de partie au traité assumée par leur Etat prédécesseur,
une décision du comité des ministres du Conseil de l’Europe avait encore été jugée nécessaire à
38 leur adhésion ainsi qu’à l’élargissement de la compétence de la Cour européenne des droits de
l’homme à ces Etats successeurs 7.
30. Cela prouve une fois de plus que même lorsqu’elles sont contenues dans des traités
relatifs aux droits de l’homme, les dispositions conventionnelles prévoyant la compétence d’une
70
Voir J.-F. Flauss, «convention européenne des droide l’homme et succession d’Etats aux traités: une
curiosité, la décision du comité des ministres du Conseil de l’Europe en date du 13 juin 1993 concernant la république
tchèque et la Slovaquie», RUDH, 1994, p. 1 et suiv. - 35 -
instance judiciaire internationale ne peuvent p as faire automatiquement l’objet d’une succession.
Et cela est d’autant plus vrai pour un Etat qui n’a même pas notifié sa succession à un traité
contenant une clause compromissoire, mais a au contraire formulé une réserve à cette fin.
31. Madame le président, ce dernier point conclut mon exposé sur la question de la
succession automatique et je pense que le moment est venu de faire une pause.
Le PRESIDENT: Oui, MonsieurZimmermann. Merci beaucoup. La Cour va se retirer
brièvement.
L’audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 40.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Oui, Monsieur Zimmermann.
M. ZIMMERMANN: Je vous remercie, Madame le président. J’ai démontré, avant la
pause, que l’article IX de la c onvention sur le génocide n’était p as et n’aurait pu être soumis au
régime de la succession automatique par la RFY, à présent la Serbie. Permettez-moi maintenant de
passer au deuxième lien envisageable entre le défendeur et l’article IX, à savoir la déclaration et la
note du 27 avril 1992.
2. La déclaration de 1992 et la note qui a suivi n’ont pas entraîné la succession de la Serbie à
la convention sur le génocide
32. Les conseils du demandeur ont qualifié ce tte déclaration et cette note d’engagement
«solennel», et fait valoir que la Croatie les avait invoquées à bon droit71. Lundi, j’ai montré que la
déclaration et la note étaient dénuées de tout élém ent prouvant l’effectivité et la validité de la
notification de succession. Les conseils de la Croatie se sont contentés de juger l’argument
39 «déplaisant», et n’ont pas abordé ces sujets. Je ne répèterai pas ma position maintenant et porterai
plutôt mon attention sur une autre question: la Croatie s’est-elle réellement fondée sur la
déclaration et la note du 27 avril 1992? La répon se à cette question est claire : non. Cela tombe
peut-être même sous le sens. Mais pour les besoins du présent différend, elle a toujours écarté
l’idée que cette déclaration et cette note puissent avoir un effet q
uelconque. Je n’énumérerai pas
71
CR 2008/10, p. 30, par. 10 (Sands) ; également, CR 2008/11, p. 9, par. 7 (Crawford). - 36 -
les multiples exemples du comportement de la Croa tie, que l’on retrouve dans nos écritures. Je
donnerai juste un exemple :
«Attendu que la «République fédé rative de Yougoslavie (Serbie et
Monténégro)» n’a pas notifié sa successi on aux Conventions relatives à l’esclavage,
elle ne saurait être considérée comme partie auxdites Conventions.» 72
Ce ne sont pas mes propos, c’est ce qui ressort d’une lettre adressée au Président de la Commission
des droits de l’homme le 24mai1995 par la mission permanente de la Croatie auprès de
l’Organisation des Nations Unies. Cette lettre a été écrite par la Croatie plus de trois ans après la
déclaration et la note de 1992 et de nombreuses déclarations de la Croatie vont dans le même sens.
33. Madame le président, la Croatie n’a jamais invoqué la déclarat ion et la note. Elle ne leur
a jamais accordé foi. La déclaration et la note étaient intrinsèquement liées à la thèse même de la
continuité que la Croatie, ainsi que les autres Etats successeurs, ont toujours rejetée. Que la Croatie
invoque des arguments de bonne foi à propos de documents qu’elle conteste vigoureusement
depuis des années est simplement déplacé.
34. Enfin, c’est précisément pour cette raison que la déclaration et la note de 1992 n’ont pas
produit d’effets juridiques autonomes à l’égard de la Croatie. Dans un bref passage de son exposé,
M. Crawford semble l’indiquer lorsqu’il les oppose à une offre qui doit être acceptée pour produire
des effets 73. Mais le droit de la succession d’Etats, comme je l’ai indiqué initialement, est
technique. Il prévoit des mécanismes distincts de transmission d’obligations aux Etats — tels que
les notifications de succession ou adhésions formelle s. Par ailleurs, même à les considérer comme
une forme de déclaration unilatérale, conformes à la jurisprudence de la Cour, elles seraient
soumises à des conditions strictes: elles devraient tout de même émaner d’autorités compétentes,
être spécifiques et être invoquées. Aucune de ces conditions n’est remplie en l’espèce.
40 35. Madame le président, Messieurs de la Cour, ces considérations concluent l’argument du
défendeur relatif à la première exception préliminaire. Permettez-moi de résumer. Cette exception
repose sur deux piliers : pas d’accès à la Cour et incompétence de celle-ci.
72
Lettre datée du 24 mai 1995 adressée au Président de Commission des droits de l’homme par le chargé
d’affaires par intérim de lmission permanente de la Croatie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève,
Nations Unies, doc. E/CN.4/1996/134 (1996).
73CR 2008/11, p. 9, par. 7 (Crawford). - 37 -
36. Mes collègues ont montré que le défendeur n’avait pas accès à la Cour. J’ai démontré
qu’il n’existait pas de base de compétence étan t donné que le défendeur n’était pas lié par
l’article IX de la convention sur le génocide à la date de la requê te, seul fondement allégué de cette
demande — ni par la voie de la succession automatique ni en vertu de la déclaration et de la note
du 27 avril 1992. En conséquence, la RFY — à présent la Serbie — était libre d’indiquer les traités
de l’Etat prédécesseur auxquels elle voulait succéd er en vertu d’une notification de succession
valable et ceux auxquels elle voulait adhérer.
37. La RFY a en effet déposé des notifications de succession à un nombre important de
traités, mais (contrairement aux allégations du demandeur) elle a également adhéré à plusieurs
autres traités. La convention sur le génocide fait partie de ce dernier groupe. Plus exactement, il
existe aussi d’autres traités auxquels la Serbie a adhéré et auxquels, pour certains, la Croatie était
déjà partie contractante 74. Et, encore une fois, aucun Etat —y compris la Croatie— n’a jamais
protesté contre aucune des autres adhésions, accepta nt ainsi que la RFY —à présent la Serbie—
puisse effectivement y adhérer.
38. En adhérant à la convention sur le génoc ide, la RFY pouvait dès lors évidemment se
prévaloir du droit de formuler une réserve à l’article IX de la Convention — du type de celles dont
la Cour confirme par ailleurs la validité depuis 1951 (voir plus récemment Activités armées sur le
territoire du Congo (nouvelle requête:2002) (Rép ublique démocratique du Congo c.Rwanda),
compétence de la Cour et recevabilité de la requête, C.I.J. Recueil 2006 , p. 21-33, par. 28-70). Il
n’était ainsi nullement question d’un quelconque effet rétroactif de la réserve serbe, comme veulent
nous le faire croire les conseils de la Croatie. Et , de fait, même la Croati e, l’un des rares Etats
ayant protesté en 2001 contre la réserve du dema ndeur à l’articleIX, semble récemment avoir
reconsidéré sa propre position sur cette réserve de la RFY. C’est du moins ce que paraît indiquer
sa conduite à l’égard d’un Etat qui, jusqu’à vendr edi dernier, était mentionné dans la présente
affaire : le Monténégro.
74Tels que la convention culturelleeuropéenne, ratifiée par la RFSY en 1987: la RFY y a adhéré le
28 février 2001 ; la Croatie y a succédé le 27 janvier 1993. - 38 -
41 39. On sait que le Monténégro est devenu un Etat indépendant en 2006. Comme il n’assurait
pas, contrairement à la Serbie, la continuité de la personnalité juridique de l’ancienne communauté
étatique de Serbie-et-Monténégro, il devait clar ifier sa position à l’égard des traités auxquels la
Serbie-et-Monténégro avait été partie. L’un de ces traités était la convention sur le génocide.
40. Le 26 octobre 2006, le Monténégro a notifié au Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies son intention de succéder à la conve ntion sur le génocide. Cette notification reçue
par le dépositaire figure sous l’onglet3 de votre dossier de plaidoiries. Celle-ci, comme vous
pouvez le voir dans la note de bas de page 2 de ce document, renvoie spécifiquement à l’adhésion
de la RFY à la convention sur le génocide en 2001. A l’occasion de cette succession, le
Monténégro a par ailleurs confirmé la réserve à l’article IX qu’avait formulée la
Serbie-et-Monténégro lors de son adhésion à la Convention.
41. La notification de succession ainsi que la c onfirmation de la réserve à l’articleIX ont
dûment été transmises par le déposita ire à l’ensemble des parties au traité, dont la Croatie. En
octobre 2007, le délai de douze mois fixé pour le dépôt des protestations et objections à l’encontre
des réserves a expiré. A cette date, aucun Etat n’avait protesté contre la réserve à l’articleIX
formulée par le Monténégro et, ce qui est plus important, la Croatie ne l’avait pas fait.
42. Madame le président, Messieurs de la Cour , je vous prierais de réfléchir sur ce point un
instant: en acceptant la conduite du Monténégro, les autres Etats (dont la Croatie) ont admis que
celui-ci, en vertu de sa notification de succession, succédait au statut conventionnel de la
Serbie-et-Monténégro à l’égard de la convention sur le génocide résultant de l’ adhésion de la RFY
en 2001 — statut conventionnel qui incluait la réserve à l’article IX de la RFY.
43. En ne protestant pas contre ce statut conventionnel, les autres parties contractantes dont
la Croatie ont admis non seulement que la RFY était devenue liée par la convention sur le génocide
uniquement en vertu de son adhésion, mais aussi que la réserve à l’article IX de la convention sur
le génocide de la RFY était valable.
44. En d’autres termes, et s’agissant tout particulièrement du demandeur, la Croatie n’a
semble-t-il pas vu de raison de protester contre la réserve à l’article IX confirmée par le
Monténégro quand bien même —comme vous le ve rrez dans le dossier de plaidoiries— cette
notification faisait référence à la RFY proprement dite. - 39 -
42 45. Madame le président, la Croatie n’est p as à même d’invoquer la bonne foi dans la
présente procédure. Depuis le début, son comportement, comme l’a indiqué mon collègue
Tibor Varady, est motivé par des considérations tactiques. Le dernier épisode concernant la réserve
apparemment acceptable du Monténégro n’est que le dernier d’une série d’incohérences croates.
46. Madame le président, Messieurs de la C our, permettez-moi maintenant de faire quelques
très brèves remarques sur les décl arations des conseils de la Croatie à propos de notre troisième
exception préliminaire — ou plutôt sur ce qu’ils n’ont pas dit.
O
III. XCEPTION PRÉLIMINAIRE N 3
47. En ce qui concerne la remise de personnes, notre argument selon lequel la Cour n’est pas
compétente, en vertu de l’article IX, pour connaître de l’obligation qu’aurait la Serbie de punir les
auteurs d’actes de génocide prétendument commis en Croatie, à savoir en dehors de la Serbie, ou
de remettre des personnes à la Croatie, n’est pas contesté et doit être considéré comme ayant été
accepté.
48. Mutatis mutandis , la Croatie n’a pas non plus contesté l’argument selon lequel les
demandes de renseignements sur le sort de personnes disparues sont irrecevables puisque les
Parties sont convenues de régler la question par la voie d’un accord bilatéral.
49. Enfin, en ce qui concerne la restitution de biens culturels, permettez-moi de répéter que
conformément à la jurisprudence constante de la Cour, sa compétence ne s’étend à aucune forme de
saisie ou de destruction de biens culturels et ne peut donc non plus s’étendre à la restitution de ces
biens, et qu’il n’existe par ailleurs pas de dfférend entre les Parties à cet égard —ce dernier
argument n’ayant pas non plus été contesté par les conseils de la Croatie.
IV.L A COMPÉTENCE NE S ’ÉTEND PAS AUX ACTES ANTÉRIEURS AU 27 AVRIL 1992
50. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à un autre aspect de
ma plaidoirie, qui concerne les arguments du demandeur sur la deuxième exception préliminaire de
la Serbie — exception selon laquelle, en tout état de cause, la compétence ne saurait s’étendre à la
période antérieure au 27 avril 1992. J’examinerai les deux éléments suivants de cette exception :
⎯ premièrement, l’application dans le temps de l’article IX de la convention sur le génocide ; et - 40 -
⎯ deuxièmement, les questions soulevées par le paragraphe 2 de l’article 10 des articles de la CDI
sur la responsabilité de l’Etat.
43
1. L’application dans le temps de l’article IX de la convention sur le génocide
51. Madame le président, j’ai exposé lundi plus ieurs arguments dirigés contre l’application
75
rétroactive de l’article IX . Ces arguments venaient compléter notre thèse principale selon
laquelle le défendeur n’était jamais devenu lié par l’article IX, et visaient à exclure l’application de
l’articleIX à des événements an térieurs au 27 avril 1992, date à laquelle le défendeur est devenu
Etat successeur.
52. A l’appui de cette conclusion, j’ai considéré les conséquences de l’application de traités à
des entités qui n’existaient pas encore en tant qu’Etats. J’ai également attiré votre attention sur des
déclarations faites par la Croatie elle-même 76 et par le juge Shahabuddeen 77. J’ai examiné
l’article28 de la convention de Vienne sur le droit des traités, disposition qui régit les effets
78
rétroactifs des traités , et j’ai ensuite indiqué la manière dont des commentateurs éminents tels que
William Schabas 79 ou Nehemiah Robinson 80 avaient interprété la convention sur le génocide
proprement dite.
53. Je ne pense pas que le demandeur ait abordé ou encore moins réfuté aucun de ces
arguments dans ses plaidoiries. Bien entendu, les conseils du demandeur ont présenté une
conclusion qui diffère de la mie nne —à savoir que l’article IX s’ applique bien rétroactivement,
même à des événements antérieurs à l’existence du défendeur en tant qu’Etat. Ils ont néanmoins
ajouté bien peu de choses à l’appui de cette affirmation. Là encore —en ce qui concerne la
succession des Etats — tout était évident et tombait sous le sens pour M. Sands.
54. Madame le président, comme on dit, il ex iste beaucoup de réponses claires et faciles à
des questions complexes —le seul problème étant qu’elles sont presque inévitablement fausses.
Cela s’applique ici, je dois dire.
75CR 2008/9, p. 13 et suiv., par. 1 et suiv. (Zimmermann).
76
Ibid., par. 12-13 (Zimmermann).
77
Ibid., par. 21 (Zimmermann).
78Ibid., par. 29 et suiv. (Zimmermann).
79Ibid., par. 40 (Zimmermann).
80Ibid., par. 39 (Zimmermann). - 41 -
55. De même que pour la succession d’Etats, les choses ne sont pas aussi simples et
évidentes que M. Sands veut bien le faire croire. Selon lui, l’application rétroactive de l’article IX
est obligatoire puisque vous l’auriez décidé au pa ragraphe 34 de l’arrêt re ndu en l’affaire de la
Bosnie, et puisqu’il ne peut y avoir de délai dans l’application d’un traité comme la convention sur
44
le génocide. Aucune de ces affirmations n’est cependant convaincante.
56. Permettez-moi de dire pour commencer que, selon moi et je le démontrerai, la Croatie
fait erreur en invoquant le paragraphe 34 de votre arrêt de 1996.
a) Paragraphe 34 de l’arrêt de 1996
57. J’ai le regret d’indiquer que la manière dont la Croatie a tenté de transposer la conclusion
que vous avez tirée au paragraphe 34 de l’arrêt de 1996 en l’affaire de la Bosnie à la présente
affaire est erronée car cela ne tient aucun compte du cadre et du contexte de cette conclusion.
58. Premièrement, pourquoi la Cour a-t-elle dû se prononcer en 1996 sur le champ
d’application temporel de la Convention ? Elle l’a fait en raison du doute qui planait sur le statut
du demandeur à l’égard de la Conve ntion. Dans les sixième et se ptième exceptions préliminaires
— dont le texte figure sous l’onglet 4 de votre dossi er de plaidoiries — la RFY, le défendeur, a fait
valoir que la notification de succession de la Bosnie, datée du 29décembre1992, devait être
considérée comme une adhésion ou que, même si el le était réputée constituer une notification de
succession proprement dite, elle ne pouvait pas avoir d’effet rétroactif à la date d’indépendance de
la Bosnie-Herzégovine.
59. Ce sont les deux seuls arguments soulevés par le défendeur quant à la compétence
81
ratione temporis de la Cour, les deux seuls que les conseils des deux parties ont fait valoir à
l’époque, et la Cour s’est prononcée sur ces seuls points. Rien de plus et rien d’autre.
60. Aux paragraphes 23 et 24 de son arrêt de 1996, la Cour a d’abord déclaré que la Bosnie
avait effectivement succédé à la convention sur le génocide. Vient ensuite le paragraphe 34 de
l’arrêt —dont le texte figure sous l’onglet 5 de votre dossier— où est examiné l’effet ratione
temporis de cette succession.
81
CR 96/6, p. 20-33 (Etinsky), CR 96/10, p. 46-48 (Suy) ; voir également CR 96/9, p.35-42 et CR 96/11, p. 62-67
(Pellet). - 42 -
61. Après avoir noté les exceptions préliminai res du défendeur, la C our a conclu que la
convention sur le génocide ne comportait pas de clause excluant —contrairement à ce que
prétendait la RFY — qu’un Etat successeur puisse rétroactivement être lié à compter de la date de
son indépendance, même si sa notification de succession n’avait été déposée que beaucoup plus
tard.
45 62. C’est la raison sous-jacente pour laquelle la Cour, abordant la question de sa compétence
ratione temporis au paragraphe 34, a très justement aj outé, en pesant ses mots, que sa compétence
ratione temporis ne pouvait être limitée «de la sorte» —c’est-à-dire ne pouvait être limitée de la
manière exposée par le défendeur dans ses sixième et septième exceptions préliminaires.
63. La Cour a ainsi considéré que la Bosnie-Herzégovine était devenue liée par la convention
sur le génocide lors de son indépendance, en ra ison de sa notification de succession, à savoir le
6 mars 1992, même si cette notification n’avait été déposée que le 29 décembre 1992.
64. D’un autre côté, la RFY était à l’époque de l’arrêt de 1996 considérée comme partie à la
convention sur le génocide depuis 1950 (C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17). En conséquence,
il n’était pas douteux que le 6mars1992, la relation conventionnelle entre la Bosnie et la RFY
avait été établie.
65. Permettez-moi également de noter que le conflit en Bosnie-Herzégovine n’a débuté
qu’en avril 1992, à savoir environ un mois après que la relation conventionnelle, telle qu’elle était
comprise en 1996, avait été établie entre les deux Etats. Par conséquent, l
orsque la Cour déclare au
paragraphe 34 de l’arrêt de 1996 qu’elle est compétente au regard des «faits pertinents qui se sont
déroulés depuis le début du conflit dont la Bosnie-Herzégovine a été le théâtre» ( ibid., p.617,
par.34), il n’est nullement question d’appliquer la convention sur le génocide et son articleIX à
une période où la Bosnie-Herzégovi ne n’était pas encore liée par la Convention ou bien où elle
n’existait même pas.
66. Dans ces conditions, la Croatie interprète donc beaucoup trop largement le paragraphe 34
de l’arrêt de 1996. Il ne s’agit pas d’une déclara tion très générale exigeant l’application rétroactive
d’une convention à une période où l’une des parties n’existait pas.
67. La Cour confirme plutôt que la Bosnie a succédé à la convention sur le génocide, et que
sa succession peut prendre effet à partir de la date d’indépendance de la Bosnie, étant donné que la - 43 -
relation conventionnelle entre les deux Etats parties ét ait établie à l’époque. Rien de plus, rien de
moins, rien d’autre.
68. Quel est donc le véritable effet de cette conclusion, interprétée correctement, sur notre
affaire ? Nous affirmons qu’il est le suivant : la Cour a compétence ratione temporis à partir de la
46
date à laquelle une relation conven tionnelle aurait pu naître entre la Croatie et la RFY. Celle-ci
n’aurait pu exister, le cas échéant, que le 27 avril 1992, puisque la RFY n’existait pas encore avant
cette date.
69. Conformément à la conclusion qu’elle a é noncée au paragraphe 34 de l’arrêt de 1996, la
Cour peut donc en l’espèce être compétente — pour autant qu’elle le soit — pour donner effet à la
convention sur le génocide s’agissant de faits survenus après le 27 avril 1002.
70. Madame le président, permettez-moi à présent d’examiner le second argument de la
Croatie, par lequel celle-ci tente de demander l’application rétroactive de la Convention à une
période où le défendeur n’existait pas encore ; c’est l’allégation suivant laquelle toute autre chose
conduirait à une interruption inacceptable.
b) la thèse de l’interruption temporelle
71. Permettez-moi tout d’abord de faire obser ver que cette thèse ne tient pas compte des
travaux préparatoires de la convention et de la forte présomption de non-rétroactivité énoncée à
l’article 28 de la convention de Vienne sur le droit des traités.
72. Elle fait aussi abstraction des analyses de Robinson et Schabas que j’ai mentionnées
lundi82. Mais, ce qui est plus important, elle estompe la distinction fondamentale qu’il convient de
faire entre les différentes obligations découlant de la convention sur le génocide. En qualifiant la
convention de «traité universel» et mettant en garde contre les interr uptions temporelles, le conseil
du demandeur tente de transformer l’articleIX en disposition fourre-tout recouvrant aussi des
obligations découlant du droit coutumier et de cont ourner les règles usuelles de l’interprétation des
traités.
73. Madame le président, personne ne nie l’ importance cruciale et fondamentale de la
convention sur le génocide. Comme l’a fait observe r M.Sands, la jurisprudence de la Cour, qui
82
CR 2008/9, p. 20, par. 39-40 (Zimmermann). - 44 -
interprète la Convention depuis 1951, est d’une impo rtance extrême. Mais cette jurisprudence doit
être prise au premier degré. Cela dit, la prendre au premier degré nous oblige à faire la distinction
entre les différents types d’obligations qu’elle re nferme et nous permet d’avoir une vision plus
réaliste des mises en garde contre les interruptions temporelles.
74. D’abord, la jurisprudence établie par la Cour depuis 1951 ne saurait être interprétée
comme signifiant que tous les aspects de la Convention étaient décl aratoires. En fait, elle souligne
la distinction qu’il convient de faire entre différentes types d’obligations. Prenons l’exemple de
l’article IX, qu’il y a lieu de prendre en compte da ns notre affaire dans laquelle il occupe une place
47 centrale: comment une disposition sur le règlement des différends pourrait-elle être déclaratoire
dans un système de règlement des différends reposant sur des clauses compromissoires ?
75. Certes, les articles II et III de la convention confirmaient les obligations préexistantes,
mais le système de règlement des différends mis en place n’existait pas auparavant. Ou bien, pour
reprendre les termes employés par M.Crawford: il n’y a assurément pas deux types de génocide
—un génocide selon le droit des traités et un génocide selon le droit coutumier— et il ne peut
assurément y avoir qu’un type de compétence, c’est-à-dire une compétence fondée sur les traités.
76. Ainsi, au regard de l’articleIX, la Convention pourrait difficilement être qualifiée de
«traité de caractère déclaratoire qui consacre des règles juridiques universelles». Cet aspect est mis
en évidence très clairement par la jurisprudence de la Cour qui a maintes fois souligné la distinction
entre les obligations de fond et les moyens de procédure permettant de s’en acquitter (voir par
exemple Activités armées sur le territoire du C ongo (nouvelle requête:2002) (République
démocratique du Congo c.Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil2006 , p. 27,
par. 66-67).
77. Le conseil du demandeur a voulu bala yer cette approche nuancée et qualifier la
83
convention dans son ensemble de traité de caractère universel et déclaratoire . Ce faisant, il a
tenté de rendre moins spectaculaire la thèse de la rétroactivité développée par le demandeur. Alors
qu’elle est, incontestablement, spectaculaire.
83
CR 2008/10, p. 36, par. 21 (Sands). - 45 -
78. Je vous invite à réfléchir un moment aux conséquences de la thèse avancée par la
Croatie.
79. Imaginez ce qui pourrait se produire si l’article IX de la convention sur le génocide —
ou, en l’espèce, d’autres clauses compromissoires annexées aux traités— s’appliquaient
effectivement de manière rétroac tive et s’ils pouvaient s’appliquer aussi à des périodes auxquelles
n’existaient pas encore les entités qui allaient de venir des Etats indépendants, lesquels seraient
parties aux conventions en question.
80. Supposez que des demandes en matière de génocide portent sur des comportements
remontant au XIX esiècle et que l’articleIX soit transformé en un moyen de remédier à tous les
types d’injustices passées. Si nous acceptons la thèse du demandeur, il est difficile de voir
comment la boîte de Pandore pourrait à nouveau être refermée. Dans ses travaux sur le droit des
traités, la CDI avait certainement de bonnes rais ons d’être particulièrement prudente en ce qui
48
concerne les effets rétroactifs des clauses de rè glement des différends. Et , puisque le conseil du
demandeur a tenté de qualifier la convention sur le génocide dans son ensemble et les droits
individuels auxquels elle se rapporte, il est es sentiel de comprendre que cette thèse repose
entièrement sur l’application rétroactive d’une disposition de règlement des différents réservée
uniquement aux litiges interétatiques.
81. C’est sous cet angle qu’il convient de voir la deuxième assertion du demandeur: la
prétendue interruption temporelle évoquée par M. Sands.
82. Je dirai d’abord qu’il est difficile de comprendre jusqu’où exactement l’argument de
l’interruption temporelle nous conduit. La Croatie veut-elle dire que l’article IX devient applicable
à chaque fois qu’il y a une interruption temporelle? Ou veut-elle dire que l’existence d’une
interruption temporelle est en fait une autre manière de devenir lié par l’article IX ? Nous sommes
convaincus que cette dernière hypothèse n’est — à l’évidence — pas acceptable.
83. Mais permettez-moi de faire une observa tion : si nous examinons les règles universelles
en matière de génocide, telles que les a évoquées M.Sands, il n’y a en fait aucune interruption
temporelle. Jusqu’au 27avril1992, date de la création de la RFY, l’ex-Yougoslavie continuait à
exister et à être liée par la convention sur le génocide. C’est ce qu’a effectivement reconnu le - 46 -
conseil de la Croatie lorsqu’il a déclaré : «[a]ussi longtemps que la RFSY a continué d’exister, elle
84
est demeurée liée par les termes de la convention sur le génocide» .
84. Ce qui est plus important, comme nous l’a rappelé M. Sands, c’est que les règles
interdisant le génocide ne relèvent pas exclusivemen t du droit des traités. Comme la Cour l’a déjà
dit en1951, la commission d’un génocide est aussi prohibée par le droit coutumier. A l’heure
actuelle, son interdiction en droit c outumier revêt même un caractère de jus cogens . Par
conséquent, indépendamment de l’ application ou de la non-application de la convention sur le
génocide en tant que telle, le fait de commettre les actes visés aux articles II et III de la Convention
constitue une violation du droit international coutumier et peut, en tant que telle, engager la
responsabilité de l’Etat ou la responsabilité pénale des individus.
85. Il n’y a simplement aucune interruption tem porelle de l’interdiction du génocide ou de la
responsabilité en matière de génocide.
49 86. Ce à quoi la Croatie semble vouloir en ve nir en réalité, ce n’est pas à une interruption
temporelle de l’interdiction du génocide ou de la responsabilité —que ce soit celle des individus
ou de l’Etat—, mais à l’existence d’un type particulier de règlemen t des différends visé à
l’article IX.
87. Mais nous ne nous situons pas du tout, à ce stade, sur le plan des principes généraux
établis. Ce n’est pas seulement parce que, en règle générale, le type de différends visé à l’article IX
—les procédures de la Cour internationale de Justice visés dans une clause compromissoire—
doit, logiquement, avoir une base conventionnelle. Mais parce qu’en examinant l’article IX de plus
près, on ne peut guère dire qu’il y ait un consensus entre les Etats parties.
88. Sur les 140 Etats parties à la convention sur le génocide, 27
— c’est-à-dire un sur cinq —
ne sont ou, à un moment donné, n’étaient pas liés par l’article IX. La Cour a respecté leurs réserves
dans de nombreux cas, y compris dans les affaires introduites par le défendeur contre les Etats-Unis
et l’Espagne (voir les deux ordonnances rendues le 2 juillet 1999 dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force entre la Yougoslavie et l’Espagne, C.I.J. Recueil 1999, p. 761; et
84
CR 2008/10, p. 29, par. 8 (Sands). - 47 -
entre la Yougoslavie et les Etats-Unis, ibid., p. 916) ou plus récemment dans l’arrêt Congo
c. Rwanda (C.I.J. Recueil 2006, p. 21-33, par. 28-70).
89. La Cour a ainsi accepté que, si les défendeurs respectifs étaient liés par l’interdiction du
génocide, et si tout acte de génocide qui leurserait imputable entraînait une responsabilité, leur
responsabilité n’aurait pas pu être établie à travers le type particulier de différend visé à
l’article IX.
90. En s’inspirant de la terminologi e employée par M. Sands, on pourrait parler
d’«interruption temporelle» ; en fait, il s’agirait d’une interruption illimitée à laquelle il ne pourrait
être mis fin que si les Etats en question décidaie nt de retirer leurs réserves — réserves qui ont été
jugées valables. Mais c’est manifestement une «interruption» que la Cour a acceptée dans de
nombreux cas.
91. Madame le président, voilà qui nous conduit au sujet que je vais traiter ensuite, à savoir
que la Cour peut ne pas exercer sa compétence à l’ég ard de la Serbie en rais on de violations de la
convention du génocide commises par un prétendu mouvement au cours d’une période à laquelle le
défendeur n’existait pas encore.
V. L AC OUR NE PEUT EXERCER SA COMPÉTENCE À L ÉGARD DE LA S ERBIE EN RAISON DE
VIOLATIONS DE LA CONVENTION DU CRIME DE GÉNOCIDE COMMISES PAR
UN PRÉTENDU MOUVEMENT AU COURS D ’UNE PÉRIODE À LAQUELLE LE
DÉFENDEUR N ’EXISTAIT PAS ENCORE
92. Permettez-moi de vous montrer pourquoi no us continuons à croire, contrairement à ce
que M. Crawford a tenté de démontrer hier, que la Cour ne saurait exercer sa compétence en raison
50 de violations de la conventi on sur le génocide commises par un mouvement quelconque au cours
d’une période à laquelle le défendeur n’existait pas en core et, de ce fait, à l’entrée en vigueur de la
convention.
93. Je vais vous le démontrer en dével oppant ce que mon collègue Vladimir Djeri ć a
brièvement exposé lundi.
94. Madame le président, tout fait international illicite d’un Etat présuppose la violation
d’une obligation internationale et l’attribution du fait considéré à l’Etat en question. Par
conséquent, les règles en matière de responsabilité de l’Etat sont des règlsecondaires qui, par
leur nature même, présupposent l’existence de règles primaires. Et ce n’est que la violation d’une - 48 -
règle primaire de ce type qui peut éventuellement mettr e en cause la responsabilité de l’Etat, sous
réserve que la violation alléguée d’une règle primaire de ce type est imputable à un Etat donné.
95. Le paragraphe2 de l’artic le10 constitue une règle particuliè re en matière d’attribution.
Cela présuppose cependant qu’il y a eu violatio n d’une règle primaire, ce qui, en vertu du
paragraphe2 de l’article10, serait imputable à l’ Etat en question, qui serait, dans la présente
espèce, la Serbie.
96. Plus précisément en ce qui concerne la présente espèce, et pour que la Cour puisse
exercer sa compétence en vertu de l’article IX, la Cour doit être en mesure d’établir qu’il y a eu une
violation de la convention sur le génocide pouvant en définitive être imputée à la Serbie. Cela
résulte du fait que sa compétence en la présente espèce —si toutefois compétence il y a— se
limite à d’éventuelles violations de la convention.
97. Je rappelle que, pour permettre à la Cour d’ exercer sa compétence en la présente espèce,
il faut, logiquement, qu’une violation de la Conventio n ait pu être commise. La Cour aurait donc à
décider en fin de compte si une violation de la convention sur le génocide en tant que telle a pu être
commise dans la période antérieure au 27 avril 1992.
98. Pareille décision présuppose cependant que la convention sur le génocide, et donc aussi,
son article IX, étaient déjà applicables au cours de cette période.
99. Dans la présente espèce, la Convention est l’unique instrument contenant des obligations
primaires en vertu desquelles la Cour pourrait exercer sa compétence — si toutefois compétence il
y a. La question de savoir si la convention sur le génocide était applicable au cours de la période
pertinente ne peut être tranchée que par la C onvention elle-même et par les règles du droit des
traités. C’est ce qu’a confirmé la CDI qui a déclaré, dans son commentaire relatif à ses articles sur
la responsabilité de l’Etat :
51 «Ils ne traitent pas non plus de la question de savoir si des obligations primaires
particulières sont en vigueur à l’égard d’un Etat, et pour combien de temps. C’est au
droit des traités qu’il appartient de déterminer si un Etat est partie à un traité valide, si
ce traité est en vigueur…et pour quell es dispositions, et comment il doit être
interprété… Les articles envisagent les rè gles primaires du droit international telles
qu’elles existent et avec le contenu qu’ell es ont au moment considéré; ils aident à - 49 -
déterminer si les obligations qui en découlent pour chaque Etat ont été violées, et
quelles conséquences juridiques cela entraîne pour les autres Etats.» 85
100. Voilà qui nous conduit au pa ragraphe 2 de l’article 10. Toute tentative d’appliquer le
principe contenu au paragraphe 2 de l’article 10 à des faits qui auraient été commis avant le
27avril1992 suppose que l’existence d’une obligation primaire au moment décisif ait
préalablement été établie, c’est-à-dire bien avan t le 27avril1992. Or, les seules obligations
primaires pertinentes sont les obligations contenues dans la convention sur le génocide étant donné
que la compétence de la Cour repose exclusivement sur l’article IX de la Convention.
101. J’ai déjà démontré que les faits qui se ser aient produits au cours de cette période ne
pouvaient constituer des violations de la convention sur le géno cide par la RFY parce que la
convention sur le génocide n’aurait pas pu être en vigueur en RFY, étant donné que la RFY
n’existait pas avant le 27 avril 1992.
102. La Croatie tente à présent d’éluder cette ré alité en faisant fond sur le paragraphe2 de
l’article10 des articles de la CDI. Cette norme ne régit cependant que l’attribution qui est une
question secondaire. Or, cette question secondaire de l’attribution ne peut se poser que si la
violation d’une obligation primaire a préalablement été établie.
103. La question d’une violation de la conve ntion sur le génocide eu égard à des faits
antérieurs au 27 avril 1992 ne peut pas se poser, simplement parce que la RFY n’existait pas encore
et ne pouvait donc pas encore être liée par la Convention. De même, le mouvement allégué
n’aurait, à l’évidence, en aucune façon pu être partie à la convention sur le génocide.
104. Ce n’est pourtant qu’en raison de violati ons de la convention su r le génocide que la
Cour pourrait éventuellement exercer sa compétence en vertu de l’article IX de la Convention.
Cela dit, un mouvement —insurrectionnel ou au tre— ne saurait, logiquement, commettre des
violations d’un traité par lequel il n’est et ne peut être lié.
52 105. Madame le président, ce que le demande ur a tenté de faire, c’est d’estomper la
distinction cruciale et essentielle qu’il convient de faire entre une violation éventuelle d’une
obligation primaire, d’une part, et la question de l’attribution, de l’autre. D’un point de vue
objectif, la Croatie a invoqué la deuxième règle énoncée au paragraphe 2 de l’article 10 pour laisser
85
Paragraphe 4 du commentaire introductif des articles de la CDI sur la responsabilit é de l’Etat, reproduit dans
Nations Unies, doc. A/56/10, p. 43 et suiv. - 50 -
entendre que les obligations contenues dans la convention sur le génocide, et, par voie de
conséquence, la compétence de la Cour, pourraient s’étendre à une période à laquelle le défendeur
dans la présente affaire n’existait même pas. Pour ce faire, elle a affirmé que les actes de génocide
allégués, qu’aurait commis le prétendu mouvement au cours d’une période à laquelle le défendeur
n’existait pas encore, pouvaient être imputés à l’Etat défendeur.
106. Supposons un instant, aux seules fins de l’argumentation, que le prétendu mouvement
était effectivement un mouvement au sens du paragr aphe 2 de l’article 10 et que ce mouvement ait
commis des actes de génocide. Ces actes de génocide pourraient alors être imputés au défendeur et
engageraient la responsabilité de l’Etat pour ces actes de génocide. Cependant, cela ne suffit
toujours pas à donner compétence à la Cour, étant d onné que le mouvement n’aurait pas pu être lié
par la convention sur le génocide dont il n’était pas partie contractante.
107. En conséquence, même à supposer qu’il y avait une attribution au sens du paragraphe 2
de l’article10, la Cour pourrait toujours, pour cette seule raison, exercer sa compétence qui est
limitée aux violations de la convention sur le génocide en tant que telle.
108. Madame le président, cette exception d’incompétence que je viens d’exposer est
uniquement et exclusivement liée à l’exercice de la compétence de la Cour. Aucune conclusion
préalable quelconque quant aux faits n’est nécessaire pour pouvoir statuer sur elle; il suffit de
raisonner de manière logique. En fait, déjà dans l’affaire du Cameroun septentrional , le
jugeFitzmaurice a confirmé que «la demande doit être écartée comme irrecevable dès lors qu’il
apparaît clairement qu’elle vise une période où il était impossible a priori que l’Etat défendeur ait
aucune obligation» ( Cameroun septentrional (Cameroun c R.oyaume-Uni), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, opinion individuelle de sir Gerald Fitzmaurice, p. 129).
109. Madame le président, Messieurs de la Cour, voilà qui conclut ma plaidoirie. Mon
collègue, Tibor Varady, va maintenant démontrer qu’il y a encore un argument indiquant pourquoi
le paragraphe 2 de l’article 10 des articles de la CDI ne peut s’appliquer dans la présente espèce,
notamment parce qu’il n’y a pas eu, à un mome nt pertinent quelconque, de «mouvement» au sens
du paragraphe 2 de l’article 10. Je vous remercie. - 51 -
53 Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Zimmermann. J’appelle à présent M. Varady à la barre.
M. VARADY :
LA COMPÉTENCE NE PEUT ÊTRE ÉTENDUE RÉTROACTIVEMENT SUR LA BASE DE L ’ARTICLE 10
DES ARTICLES DE LA CDI
A. Introduction
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, je voudrais maintenant étayer au moyen de
quelques arguments supplémentaires et sous un angle différent notre deuxième exception
préliminaire. M.Crawford a souligné hier que «la règle applicable est codifiée à l’article10 des
articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat». Il a cité également l’article 10, dont il considère
que le second paragraphe est applicable aux circonstances de l’esp èce. Avec tout le respect que je
lui dois —et ça n’est pas qu’une façon de parl er, M.Crawford fait autorité—, je voudrais
démontrer que cette disposition n’est pas applicable.
2. Madame le président, Messieurs de la C our, pour que la compétence soit établie à l’égard
d’une personne, celle-ci doit être qualifiée de manière appropriée. Elle doit avoir accès à la Cour,
et elle doit être liée par son consentement. Mais il y a également une autre condition. Les
demandes formulées contre un défendeur ne sont r ecevables que si elles sont dirigées contre la
personne qui est également invitée à se présenter comme défendeur. Cette condition évidente n’est
pas remplie si le défendeur est la Serbie alors que les demandes sont dirigées contre le «mouvement
nationaliste serbe». En d’autres termes, cette condition préalable évidente ne peut tout simplement
pas être remplie si l’Etat défendeur n’existait pas à l’époque à laquelle les demandes sont liées. On
ne peut avoir compétence vis-à-vis d’un Etat en ce qui concerne des actes qui ont été commis avant
que cet Etat n’ait vu le jour. De telles demandes doivent aussi être considérées comme
irrecevables.
54 3. Nous n’ignorons pas que presque chaque principe souffre une ex ception. La question
s’est posée au sujet de situations particulièrayant précédé l’indépendance, avant qu’un Etat ne
voit le jour. Dans son traité intitulé The Law and Practice of the International Court ,
ShabtaiRosenne estime que la date d’accession à l’indépendance d’un Etat n’est pas
«automatiquement et à toutes fins la date d’excl usion», et il explique que la compétence d’une - 52 -
juridiction internationale peut en théorie parfois remonter jusqu’à une date précédant
l’indépendance lorsqu’un ancien mouvement devient le nouvel Etat 8.
4. Rosenne se hâte toutefois d’ajouter : «Néanmoins, par principe, la Cour ne devrait pas se
hâter d’exercer sa compétence pour connaître de di fférends nés avant qu’une partie commence à
exister en tant qu’Etat ou ayant trait à des situations ayant existé et des faits s’étant produits avant
cette date.» [Traduction du Greffe.] Il poursuit alors :
«La raison d’être de ce principe doit êt re recherchée dans le lien indubitable qui
existe toujours entre la responsabilité juridique et la personnalité juridique et, en droit
international, entre la responsabilité interna tionale et la personna lité internationale.
C’est ce lien surtout qui milite contre la ré troactivité jusqu’à une époque où ce facteur
essentiel faisait défaut.» 87 [Traduction du Greffe.]
5. Le tableau est clair. La compétence ne doit pas être rétroactivement étendue, en principe,
jusqu’à une période où la personnalité internationale faisait défaut —où l’Etat n’existait pas. Il
peut exister des exceptions dans certaines situ ations où des mouvements insurrectionnels finissent
pas créer un Etat, mais il ne faut pas faire de telles exceptions à la légère.
6. Madame le président, il semble que la Parties conviennent que les articles de la CDI sur la
responsabilité de l’Etat ont recensé les situations spécifiques dans lesquelles la responsabilité d’un
Etat peut être invoquée rétroactivement à raison d’ un comportement qui a précédé l’existence de
cet Etat. Nous allons maintenant démontrer que l es articles de la CDI n’étayent pas et ne peuvent
pas étayer l’argument selon lequel la compétence peut être éte ndue rétroactivement jusqu’à une
période antérieure au 27 avril 1992.
B. Ni la notion elle-même ni les trois éléments essentiels de cette notion ne correspondent
aux faits de l’espèce
Madame le président, l’article10 décrit deux cas de figure dans lesquels le comportement
d’un mouvement insurrectionnel peut être attribué à un futur Etat. Ils sont expliqués en détail dans
les commentaires qui accompagnent les articles 88. Les paragraphes 1 et 2 de l’article 10 ont trait à
86
Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-2005 , vol. II, «Jurisdiction», Nijhoff
(dir. publ.), 2006, p. 919.
87Ibid., p. 920.
88J. Crawford, The International Law Commissions Articles on State Responsability ⎯ Introduction, text and
Commentaries, 2002, Cambridge University Press (ci-après le «Commentaire»). - 53 -
ces deux cas de figure. La Croatie a choisi d’invoquer le cas de figure visé au paragraphe 2, qu’elle
89
cite dans ses observations écrites .
55 8. En ce qui concerne le paragraphe 2, le Commentaire explique :
«Le paragraphe 2 de l’article 10 couvre le second cas de figure c’est-à-dire celui
où les structures du mouvement révolutionnaire insurrectionnel, ou autre, sont
devenues celles d’un nouvel Etat, qui s’ est constitué par sécession ou décolonisation
d’une partie du territoire qui était précédemment soumis à la souveraineté ou à
l’administration de l’Etat prédécesseur.» 90
9. Le paragraphe 2 comporte trois éléments essentiels :
a) un mouvement luttant pour créer un nouvel Etat sur une partie du territoire d’un Etat préexistant
doit exister ;
b) ce mouvement doit être un mouvement insurrectionnel ou un mouvement analogue ;
c) ce mouvement doit réussir dans son entreprise.
10. Il est clair que ces éléments sont tous trois des conditions nécessaires à l’application de la
norme formulée au paragraphe 2 de l’article 10. Le comportement d’un mouvement
insurrectionnel ne peut être attribué au nouvel Etat que si la situation co rrespond au cas de figure
défini dans ce paragraphe2. Si un seul des éléments fait défaut, ça n’est plus le cas de figure
envisagé dans cette disposition. Nous allons montrer, Madame le président, qu’aucun des éléments
essentiels prévus au paragraphe 2 de l’article 10 n’est présent en l’espèce.
B.1. Aucun «mouvement» ne luttait pour créer la RFY en tant que nouvel Etat
11. Les tentatives faites pour étendre les termes du paragraphe 2 de l’article 10 aux faits de la
cause se heurtent d’emblée à un obstacle de taille. Le paragraphe2 de l’article10 vise les
mouvements luttant pour créer un nouvel Etat sur une partie du territoire d’un Etat préexistant.
Pour attribuer au défendeur un comportement antérieur à la naissance de la RFY, il faudrait d’abord
démontrer qu’un mouvement visant à créer la RFY en tant qu’Etat existait. Aucun mouvement de
ce type n’a toutefois été identifié, ni n’aurait pu l’être.
12. Lorsque le demandeur présente ses arguments dans le contexte de l’article10, le mot
«mouvement» apparaît, mais les références demeuren t vagues et imprécises. Une tentative a été
89
OEC, par. 3.21.
90
Ibid. - 54 -
faite dans les observations écrites pour décrire le «mouvement» en question. On peut y lire, au
paragraphe3.33: «Il ne saurait faire de doute que le mouvement nationaliste serbe qui est
finalement parvenu à créer la RFY (Serbie-et-M onténégro) en tant que nouvel Etat peut être
considéré comme un «mouvement insurrectionnel ou autre» aux fins du paragraphe 2 de l’article 10
des articles de la CDI.»
56 13. Madame le président, durant le conflit, il n’y avait aucun mouvement, aucune structure
appelé «mouvement nationaliste serbe». Ce rtes, on peut concevoir qu’un mouvement puisse
exister sans porter de nom. Ceci serait sans précédent, mais même si tel était le cas, il faudrait
définir ce mouvement d’une manière ou d’une autre. Le demandeur n’a donné aucune définition.
Il ne lui donne qu’un nom, qui n’est le nom d’ aucun mouvement ayant existé. Cette absence de
définition s’explique tout simplement par le fait qu’aucune définition ne peut être donnée qui
corresponde à l’objectif du demandeur. Il n’y av ait aucun mouvement qui visait à créer la RFY et
ait réussi à le faire.
14. De plus, pour proposer un cas de figure qui soit compatible avec l’article10, il est à
l’évidence nécessaire d’identifier un mouvement qui est ⎯aux termes du Commentaire ⎯ «en
lutte avec les autorités constituées»9. Cette caractéristique essentielle est elle aussi manifestement
absente. Le «mouvement» suggéré par le demandeur n’est manif estement pas un tel mouvement.
Même le demandeur ne le dit pas. Quoi que so it ce dont on parle dans la présente affaire, ça n’est
assurément pas une lutte entre ledit mouvement et l’au torité constituée. Il n’y avait pas de lutte de
ce type.
B.2. Absence de mouvement insurrectionnel ou mouvement analogue
15. Même si l’on pouvait d’une manière ou d’une autre ne pas tenir compte de l’absence de
mouvement identifiable luttant pour créer la RFY en tant que nouvel Etat, et même si un
mouvement de ce type existait (ce qui n’est pas le cas), ce mouvement ne correspondrait pas par sa
nature aux mouvements visés au para graphe2 de l’article10. Il est clair que la RFY n’a pas été
créée par une insurrection. N’ignorant pas que la notion de mouvement insurrectionnel ne fait pas
l’affaire, la Croatie souligne que la définiti on figurant au paragraphe2 de l’article10 vise un
91
Commentaire, p. 118, par. 2. - 55 -
mouvement «insurrectionnel ou autre». Ceci, à l’évidence est un fait. Mais il est aussi exact qu’un
contexte est défini par les termes «insurrectionnel ou autre». Ce contexte est expliqué dans le
Commentaire qui évoque les mouvement s insurrectionnels ou autres mouvements
révolutionnaires 92. Il ne s’agit pas de n’importe quel mouvement ; il doit s’agir d’un mouvement
contestant l’ordre établi.
16. De plus, le contexte et le cadre du paragraphe 2 de l’article 10 postulent une insurrection,
un soulèvement, une contestation sur le territoire qui devient celui du nouvel Etat . Là encore, cela
ne correspond pas aux faits de l’espèce. Il n’y avait ni insurrection ni révolution en RFY (en
57
Serbie-et-Monténégro), le conflit ne se déroulait pas en Serbie-et-Monténégro.
17. Expliquant l’attitude des mouvements insurrectionnels ou mouvements comparables
envers l’Etat préexistant, et expliquant dans quels cas leur comportement sera imputé à l’Etat en
gestation, le Commentaire vise le «comportement de tels mouvements, tout au long de leur lutte
93
avec les autorités constituées…» . Chacun sait que l’Etat préexistant, les autorités constituées,
étaient la RFSY, l’ex-Yougoslavie. Mais les forces serbes n’étaient assurément pas «en lutte» avec
la RFSY. Le comportement faisant l’objet de la demande n’est pas à l’évidence un comportement
durant une «lutte avec les autorités constituées». La RFY (aujourd’hui la Serbie) n’est pas accusée
d’actes qu’elle aurait commis contre les «autorités constituées», qui sont les autorités de
l’ex-Yougoslavie. Là encore, cela ne correspond tout simplement pas.
B.3. Il n’y a pas eu réussite
18. Un autre élément clé du cas de figure envi sagé au paragraphe2 de l’article10 est la
réussite. Le libellé de ce paragraphe2 le dit expressément, et ceci est également largement
souligné dans le Commentaire. Le Commentaire décrit la situation envisagée dans ce paragraphe 2
comme une situation dans laquelle «l e mouvement insurrectionnel ou autre réussit à créer un
nouvel Etat…» 94 Le Commentaire donne des exemples à l’appui des règles proposées, et dans tous
95
les exemples cités la réussite est une condition . Mais où est la réussite en l’espèce ?
92Commentaire, p. 121, par. 8 ; les italiques sont de nous.
93
Commentaire, p. 118, par. 2.
94
Commentaire, p. 120, par. 6 ; les italiques sont de nous.
95Commentaire, p. 123-124, par. 12-13. - 56 -
19. Madame le président, l’élément de réuss ite est manifestement absent en l’espèce. Un
mouvement qui réussit est un mouvement qui atteint ses objectifs. Ceci signifie que ce qui était
envisagé et revendiqué a aussi été accompli. La question se pose de savoir quels étaient les buts du
«mouvement nationaliste serbe dirigé par le président Miloševi ć». S’il y avait réellement eu un
mouvement insurrectionnel au sens du paragraphe2 de l’article10, il aurait été facile de l’établir.
Tel n’est pas le cas.
20. Il est toutefois facile de répondre à la questi on de savoir s’il y a eu réussite. Il est facile
d’y répondre parce qu’il est évident que le c onflit ne s’est pas terminé par la réussite du
58 nationalisme serbe ⎯que ce nationalisme serbe ait ou non donné naissance à un mouvement au
sens du paragraphe 2 de l’article 10.
21. Il n’y a pas eu réussite que l’on accepte comme objectif celui proclamé par M. Miloševi ć
et ses fidèles (la préservation de la RFSY), ou celui d ont la Croatie affirme qu’il était le but réel du
«mouvement nationaliste serbe dirigé par le président Milošević».
22. Point n’est besoin de démontrer que l’ex -Yougoslavie n’a pas été préservée. Elle a été
dissoute. Si l’on admet, pour la discussion, qu’a insi que l’allègue la Croatie, l’objectif réel du
96
«mouvement nationaliste serbe» était une «Grande Serbie» , là encore il n’y a rien qui ressemble à
une réussite. Aucune «Grande Serbie» n’a vu le jour. Aucune partie de la Croatie, aucune partie
de la Bosnie-Herzégovine ou de la Macédoine n’est devenue territoire serbe. Ceci est évident.
23. Madame le président, il y a peut-être des choses qui se sont passées durant le conflit dans
l’ex-Yougoslavie qui ne pourront être éclaircies, mais une chose est certaine. Le conflit ne s’est
pas terminé par un succès des aspirations serbes. N’ignorant pas que le succès est une condition
nécessaire, et pour essayer de créer de toutes pièces quelque chose qui y ressemble, le demandeur
affirme dans ses observations écrites que «le m ouvement nationaliste se rbe … est finalement
97
parvenu à créer la RFY» . Mais cette réussite ne corres pond pas à un but ou objectif déclaré ou
non. Il n’est pas non plus compatible avec la logique. Il n’y avait nul besoin d’un «mouvement
insurrectionnel ou autre» pour créer la RFY en tant qu’Etat. Ni la Croatie ni les autres républiques
de l’ex-Yougoslavie n’y étaient opposées.
96
Voir, par exemple, mémoire, par. 1.26, 2.04, 2.44, 2.71, 2.86, 3.03, 3.71 et 3.80.
97
Observations écrites, par. 3.33. - 57 -
C. Conclusions
24. Madame le président, Messieurs de la Cour, la règle énoncée au paragraphe2 de
l’article 10 a été conçue pour des situations dans lesquelles de nouveaux Etats se sont constitués par
sécession ou décolonisation. Ceci est indiqué expressément dans le Commentaire 9. L’article10
n’est pas censé s’appliq uer à tous les conflits possibles, ou à toutes les variantes de la
décomposition d’un Etat. Aussi ne faut-il pas c onsidérer comme inhabituel ni inattendu que les
circonstances précises de la dissolution d’un Etat des Balkans ne correspondent pas au cas de figure
envisagé au paragraphe 2 de l’article 10. Aucun des éléments de ce cas de figure ne correspond à
la situation en cause en l’espèce.
59 25. Rien ne correspond, parce que rien ne peut y correspondre. Les rédacteurs des articles de
la CDI visaient à créer une exception pour un type donné de situation qu’ils avaient à l’esprit. Il est
dit expressément dans le Commentaire que le cas de figure visé au paragraphe 2 de l’article 10 est
«celui où les structures du mouvement révolutionnaire insurrectionnel, ou autre, sont devenues
99
celles d’un nouvel Etat, qui s’est cons titué par sécession ou décolonisation…» . La situation à
laquelle nous sommes confrontés est totalement différente.
26. C’est pourquoi même une interprétation la rge du paragraphe2 de l’article10 ne peut
aboutir à un résultat différent. Aucun élément ne correspond. Pour commencer, il n’y avait tout
simplement pas de mouvement nationaliste serbe visant à créer la RFY en tant que nouvel Etat.
27. De plus, le terme «insurrection» peut être largement interprété -- mais il ne peut signifier
son contraire. On ne peut dire -- comme le fait la Croatie -- que les autorités et l’armée de l’Etat
préexistant (la RFSY) ont commis des actes condamnab les sous le contrôle d’un «mouvement
nationaliste serbe» et, dans le même temps, présenter ce «mouvement nationaliste serbe» comme
une insurrection, un mouvement révolutionnaire ou un mouvement analogue en lutte contre le
même Etat préexistant.
28. De même, la réussite peut elle aussi être largement interprétée, mais elle ne peut signifier
son contraire. Le nationalisme serbe n’a pas réussi.
98
Commentaire, p. 121, par. 8.
99
Ibid. - 58 -
29. Madame le président, Messieurs de la Cour , le paragraphe2 de l’article10 envisage un
cas de figure, un ensemble défini de circonstan ces. Les faits de l’espèce ne correspondent tout
simplement pas à ce cas de figure. Le paragra phe2 de l’article10 ne peut s’appliquer aux
circonstances de l’espèce. Le paragraphe2 de l’ar ticle10 ne saurait justifier une extension
rétroactive de la compétence de la Cour à un comportement antérieur à l’apparition de la RFY en
tant qu’Etat.
C ONCLUSIONS
1. Permettez-moi, Madame le président, de vous présenter nos conclusions. Je commencerai
mon exposé final en mentionnant brièvement certains arguments de principe avancés par la Croatie.
Dans son discours introductif, M.Šimonovi ć a déclaré que la reconnaissance de la responsabilité
juridique par la Cour «préparer[a] le terrain d’une paix durable, de la stabilité et de bonnes relations
de voisinage» 10. Nous pensons que cette a ffirmation mérite d’être considérée avec respect. Mais
60 permettez-moi de dire par ailleurs que les déce nnies passées ont montré qu’il n’est pas facile de
prévoir les mesures ou décisions qui amèneront la paix dans notre région. On pourrait dire aussi
que dans notre région ⎯ et peut-être pas seulement dans celle-ci ⎯ la confrontation incessante des
Etats attise les passions et risque aussi d’être vue comme le prolongement des rivalités ethniques.
2. Il n’est pas facile de prédire ce qui contribuera le plus à la paix. La justice y conduit
certainement. Mais elle présente de multiples facet tes. La prétendue compétence de la Cour en
l’espèce se limite au génocide et, comme nous l’av ons souligné, le TPIY s’est livré à un examen
approfondi des agissements commis en Croatie , sans que quiconque ne soit condamné ni même
accusé de génocide en Croatie. Il n’y a prima facie pas de génocide. Par conséquent, ce remède,
qui possède sa propre dignité et qui a apporté une aide inestimable à la compréhension et au
règlement des conflits dans les Balkans, n’est pe ut-être pas le plus adapté aux circonstances
spécifiques du présent différend.
3. De plus, la Serbie et la Croatie ont accompli des progrès tout à fait considérables depuis le
conflit et ont amélioré leurs relations mutuelles. On peut s’interroger sur les effets que l’examen
du fond d’un différend axé sur des accusations de génocide aurait aujourd’hui entre deux Etats.
100
CR 2008/10, p. 8, par. 5 (Šimonović). - 59 -
4. Madame le président, on s’accorde à reconnaître de nos jours que les crimes
internationaux ne doivent pas demeurer impunis. Ce principe est devenu partie intégrante de notre
civilisation et revêt une importance critique. Mais cela ne signifie pas qu’il n’existe ⎯ ou qu’il ne
devrait exister ⎯ qu’un seul moyen de juger les auteurs de crimes internationaux. Permettez-moi,
à ce stade, de me référer à une déclaration contenue dans l’opinion individuelle commune en
l’affaire du Mandat d’arrêt :
«Dans le même temps, le consensus international selon lequel les auteurs de
crimes internationaux ne doivent pas deme urer impunis est promu par une stratégie
souple, dans le cadre de laquelle les tribunaux pénaux internationaux nouvellement
créés, les obligations conventionnelles et les juridictions nationales ont tous leur rôle à
jouer. Nous repoussons l’idée que la lutte contre l’impunité est «transférée» aux traités
et tribunaux internationaux, les tribunaux na tionaux n’ayant pas compétence en la
matière.» ( Mandat d’arrêt du 11avril2000 (République démocratique du Congo
c.elgique), arrêt, C.I.J. Recueil002, opinion individuelle commune de
Mme Higgins et de MM. Kooijmans et Buergenthal, p. 78-79, par. 51.)
61 La Cour n’est pas compétente dans la présente espèce
5. Madame le président, Messieurs de la Cour, ce que j’essaie de dire, c’est qu’il existe bel et
bien diverses considérations de principe qui se j uxtaposent. Pour lutter contre l’impunité, il faut
adapter une stratégie souple, en envisageant da vantage de voies possibles pour que des décisions
soient prises. Mais permettez-moi d’ajouter que la question qui nous occupe à présent est une
question éminemment juridique.
6. Nous sommes convaincus ⎯et nous nous sommes efforcés de démontrer ⎯ que cette
Cour n’est pas compétente en l’espèce. Nous avons indiqué deux raisons majeures, chacune d’elles
suffisant à étayer la conclusion de son incompétence.
7. Premièrement, la Cour n’est pas compétente car le défendeur n’était pas partie au Statut et
n’avait pas accès à la Cour lors du dépôt de la requê te. Partant, une condition préalable essentielle
à l’exercice de sa fonction judiciaire fait défaut. La Cour n’a pas été valablement saisie. Il est
possible, à la rigueur, d’examiner des circonstances ultérieures lorsqu’un mécanisme judiciaire a
été dûment mis en branle, ce qui n’a pas été le cas ic i. La Cour n’a pas été valablement saisie, elle
n’a pas acquis la compétence de la compétence , qui lui aurait peut-être permis d’examiner de
nouvelles circonstances, et de statuer sur la compétence. - 60 -
8. Deuxièmement, cette Cour n’est pas compétente parce qu’il n’y a pas de base de
compétence. Madame le président, l’acceptation détermine seule la compétence. Evoquant la
réalité de l’acceptation, Fitzmaurice est parvenu à la conclusion suivante : «En résumé, pour éviter
de commettre une injustice à l’égard de l’une ou l’autre des parties, on exige non pas des
interprétations limitées ou libérales de clauses juridictionnelles, mais la stricte preuve du
consentement.» 101 Telle semble être la règle à suivre. Et même si l’on adoptait une interprétation
large ou libérale, l’acceptation n’est pas prouvée en l’espèce. La thèse de la continuité aurait pu
fonder la compétence mais a été rejetée sans équivoque. Rejet ne vaut certainement pas
acceptation.
9. Lorsque la RFY a accepté la proposition sel on laquelle elle ne pouva it devenir partie aux
traités qu’en vertu de formalités conventionnelles spécifiques, elle choisit d’être liée par la
convention sur le génocide ⎯mais de ne pas être liée par l’articleIX, qui constitue la base du
prétendu consentement et, partant, de la compét ence en la présente espèce. La réserve, qui fait
partie intégrante de la notification d’adhésion, l’ indique expressément. Il est de notoriété publique
62 que la RFY (à présent la Serbie) est partie à la convention sur le gé nocide depuis mars2001,
moyennant une réserve à l’article IX. Madame le président, dans certains cas, on peut à la rigueur
interpréter une acceptation ambiguë comme un consentement, mais on ne peut simplement pas
interpréter un refus d’acceptation comme un consentement.
10. Outre notre première exception prélimin aire, nous avons démontré que les arguments
portant sur la période antérieure au 27avril1992 sont irrecevables, et que la Cour n’est pas
compétente ratione temporis à l’égard de ces demandes. Nous avons également montré que l’on ne
peut pas étendre les demandes à une période antérieure à l’existence du défendeur sur la base du
paragraphe2 de l’article10 des articles de la CDI, les circonstances réelles ne répondant pas aux
critères de l’article10. Aucune des conditions du paragraphe2 de l’article10 n’est remplie ou
corroborée par les faits réels.
101
Fitzmaurice, «The Law and Procedure of the Internati onal Court of Justice, 1951-4: Questions of Jurisdiction,
Competence and Procedure», 34 BYBYL, 1958, p. 88. - 61 -
11. Dans notre troisième exception prélimin aire, nous avons démontré que les arguments
relatifs au jugement de personnes responsables, aux personnes disparues et aux biens culturels sont
irrecevables et en dehors de la compétence de la Cour.
La question de l’uniformité
12. Madame le président, près de deux décennies se sont écoulées depuis le début du
processus de dissolution de l’ex-Yougoslavie. Ce processus a été marqué par de vives
controverses, et aussi par des drames humains. Presque toutes les autorités internationales et les
organisations ont eu à prendre position sur des problèmes relatifs au conflit en ex-Yougoslavie. La
Cour internationale de Justice ne fait assurément pas exception. Il a, pendant longtemps, été
difficile de prendre position, parce qu’il n’était pas facile d’appliquer des modèles à ces situations
peu orthodoxes, parce qu’il existait des divergen ces profondes entre les points de vue exprimés,
parce que les éclaircissements tardaient à venir. On comprend très bien que les mesures prises par
diverses organisations et autorités internationa les aient été marquées à la fois par un souci
d’uniformité et par les difficultés rencontrées pour y parvenir.
13. S’agissant d’uniformité, en cherchant à invoquer l’arrêt rendu en1996 dans
l’affaire Bosnie comme précédent, le demandeur mise sur l’aspiration à l’uniformité. Le
demandeur, qui cherche à étayer sa position, met l’accent sur l’affaire Bosnie, dans laquelle la Cour
a considéré en 1996 que la RFY était partie à la convention sur le génocide et qu’elle avait accès à
la Cour. Je voudrais présenter des arguments montrant que les décisions prises dans
l’affaire Bosnie ne sauraient en aucun cas être invoquées comme précédent et qu’elles n’étayent pas
les affirmations du demandeur.
63 14. Pour invoquer un précédent, il convient manifestement de comparer les questions
précises tranchées dans l’affaire en question avec celles qui se posent en l’espèce. Si ces questions
ne sont pas les mêmes, il faut établir l’inapplicabilité de ce précédent à l’espèce, et non y avoir
recours. Cela a été formulé en des termes clairs et convaincants par le juge Shahabuddeen dans sa
monographie intitulée Precedent in the World Court . A propos de l’arrêt rendu dans l’affaire
relative à Certains emprunts norvégiens , qui était également un arrêt sur la compétence, le
jugeShahabuddeen souligne: «Ainsi, une ma nière d’établir l’inapplicabilité d’un précédent - 62 -
consiste à montrer que, bien que la décision puisse à première vue sembler applicable, elle n’en
102
reste pas moins une décision où le point particulier de droit n’était pas à l’examen.»
15. Il s’ensuit que pour établir si les conclusions de la Cour dans les arrêts Bosnie étayent les
affirmations du demandeur en la présente affaire, il convient tout d’abord de les examiner de plus
près, de déterminer quels étaient les points particulie rs de droit soulevés dans cette affaire et de les
comparer avec ces dernières. Le demandeur a présenté une liste impressionnante d’affaires
concernant le conflit en Bosnie. Un réexamen montrera d’emblée que la liste des affaires ayant
trait aux questions posées dans la présente affaire est en réalité bien plus courte que ne le laisse
entendre le demandeur. Dans les affaires con cernant des demandes en indication de mesures
conservatoires, la Cour n’avait pris qu’une pos ition provisoire sur les questions d’accès et de
compétence. Dans l’affaire en revision et dans l’a rrêt définitif de 2007, la Cour n’a pas examiné la
question de la compétence, et a en fait refusé de le faire. Cette longue liste qui était censée être
impressionnante se réduit en réalité à l’arrêt de1996. En outre, il n’est pas aisé de comparer les
«points de droit» examinés dans l’affaire de1996 avec ceux qui sont formulés dans la présente
affaire ⎯le demandeur n’ayant, en l’espèce, avancé aucun fondement juridique clair permettant
d’établir la base de compétence.
16. Il est toutefois certain que la «su ccession automatique» ou la qualification de la
déclaration et de la note de1992 comme notifi cation de succession ne faisaient partie ni des
éléments établis par l’arrêt Bosnie de 1996 ni de ceux qui ont été considérés dans l’arrêt rendu dans
la même affaire en2007 comme ayant l’autorité de la chose jugée. Ces points de droit n’étaient
«pas à l’examen» dans l’arrêt sur la compétence rendu dans l’affaire Bosnie en 1996.
17. Penchons-nous maintenant sur la question de l’accès à la Cour. L’arrêt de 1996 rendu en
l’affaire de la Bosnie ne l’abordait pas du tout. Mais allons un peu plus loin, et posons la question
de savoir si la logique des arguments que soutient le requérant en la présente espèce est directement
64 —ou même indirectement— confirmée par la jurisprudence Bosnie, ou par les postulats
sous-jacents à celle-ci. Là encore, la réponse est clairement négative. Le requérant fait valoir
principalement deux thèses et l’une d’elle est fondée sur le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut.
102
M. Shahabuddeen, Precedent in the World Court, 1996, Cambridge University Press, p. 119. - 63 -
L’arrêt de 1996 rendu en l’affaire de la Bosnie ne l’étaye en aucune manière. La deuxième thèse
principale est fondée sur la jurisprudence Mavrommatis: le requérant soutient que même si le
défendeur n’était peut-être pas partie au Statut et n’avait peut-être pas le droit d’ester devant la
Cour lorsque la requête a été déposée, elle y est de venue partie par la suite , et la Cour peut donc
remédier à ce vice initial. Cette thèse es t-elle confirmée dans l’arrêt sur la Bosnie ? Peut-on tirer
de cet arrêt quelque enseignement que ce soit ? Certainement pas.
18. Madame le président, si la Cour devait c onclure que, bien que le défendeur n’était pas
partie au Statut à l’époque du dépôt de la requête, il est possible d’y remédier avant jugement sur la
compétence, cela ne serait pas cohérent, pas même compatible avec la logique de l’arrêt Bosnie.
Dans cette affaire, la question du droit d’ester devant la Cour n’avait pas été soulevée ou débattue.
Selon une interprétation possible de cet arrêt, on peut dire que —en l’absence de contestation—
celui-ci est fondé sur un postulat: le défendeur était partie au Statut, et donc il avait accès à
la
Cour. Mais c’est un défi à la logique ou au si mple bon sens de soutenir que, aux termes de l’arrêt
de 1996, même si la RFY n’était pas partie au Statut lors du dépôt de la requête (le 20 mars 1993),
il a été remédié à ce vice parce que la RFY aurait acquis cette qualité entre 1993 et le
11 juillet 1996 lorsqu’a été rendu l’arrêt relatif à la compétence.
19. Madame le président, je voudrais insister sur une autre raison pour laquelle on ne peut
s’appuyer sur l’arrêt de 1996 sur la Bosnie, même à des fins de cohérence. Les suppositions qui
étaient concevables il y a 12 ans ne le sont plus aujourd’hui. Quand on parle de cohérence, on
l’apprécie à la lumière de ce qui est connu et accepté comme vrai. Ce qui est connu et accepté
comme vrai aujourd’hui ne l’était pas il y a 12 ans. Nul ne conteste aujourd’hui que l’on peut
discerner deux périodes distinctes dans la vision du conflit en Yougoslavie. Nous avons déjà
mentionné que la Cour en a donné une délimitation convaincante dans les arrêts relatifs à la Licéité
de l’emploi de la force de 2004. Elle alors dit que la première période allait de 1992 à 2000, et elle
a ajouté :
«De fait, de l’avis de la Cour, la s ituation juridique qui prévalut aux Nations
Unies pendant ces huit années à l’égard du statut de la République fédérale de
65 Yougoslavie après l’éclatement de la Républi que fédérative socialiste de Yougoslavie
demeura ambiguë et ouverte à des appréciations divergentes.» (Licéité de l’emploi de - 64 -
la force (Serbie-et-Monténégro cB . elgique), exceptions préliminaires, arrêt,
103
C.I.J. Recueil 2004, p. 305, par. 64.)
20. Depuis cette période, une nouvelle période de huit ans s’est écoulée au cours de laquelle
les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies ont formulé des conclusions qui font
autorité ; une vision fiable des événements a main tenant cours. Pendant cette nouvelle période, on
est parvenu à un consensus : la RFY n’était pas me mbre des Nations Unies et n’est devenue partie
er
au Statut qu’à compter du 1 novembre 2000, et l’on a tiré les conséquences de ces conclusions.
Dans l’affaire de la Bosnie, la Cour devait se prononcer sur la compétence quant à la période
relativement à laquelle il y avait un flou. Les arrêts relatifs à la Licéité de l’emploi de la force ont
été rendus au cours de la nouvelle période dans laquelle la Cour disposait d’éclaircissements
concluants. La présente espèce — et toutes les décisions qui doivent être prises — se rattachent à
cette nouvelle période.
21. Il est tout simplement impossible de concilier les arguments du requérant en l’espèce,
d’une part, et les enseignements des arrêts sur la Bosnie (ou les suppositions sous-jacentes à
ceux-ci), d’autre part. Nulle cohérence à y escompter. Mais on peut, en effe t, trouver la cohérence
ailleurs.
22. Madame le président, au cours des années 1990, la diplomatie yougoslave et croate a dû
faire face à un grand problème. Deux thèses, deux visions s’opposaient quant aux conséquences de
la dissolution de l’ex-Yougoslavie. La RFY soutenait la thèse de la continuité, et n’a épargné nul
effort pour la défendre. Elle ne s’est jamais écartée de la thèse de la continuité, même lors de la
phase des exceptions préliminaires de l’affaire de la Bosnie, même si c’était à son propre détriment,
et alors que nulle des parties n’avaient soulevé les questions centrales, ou tenté de donner à la Cour
les éclaircissements qui faisaient défaut et qui étaient nécessaires à l’époque. Parallèlement, la
Croatie a soutenu fermement qu’il n’ y avait pas continuité, elle n’a épargné aucun effort pour nier
qu’il y avait continuité et fait plutôt valoir qu’il y avait cinq successeurs qui devaient être traités sur
un pied d’égalité.
23. La thèse qu’a soutenue la RFY n’a pas donné lieu à autre chose que quelques ambiguïtés
et ajournements. Le principe qu’ont soutenu la Croatie et les autres Etats successeurs s’est imposé,
103On trouvera aussi ce texte identique dans les autres arrêts de 2004 relatifs à la Licéité de l'emploi de la force :
au paragraphe 63 des arrêts ayant pour pa rties la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal et au paragraphe 62 des arrêts
ayant pour parties l’Allemagne et le Royaume-Uni. - 65 -
et a été généralement accepté. Comme nous l’avons dit auparavant, dans sa lettre du
16 février 1994 adressée au Secrétaire général en qualité de dépositaire, la Croatie critiquait la RFY
et affirmait que celle-ci
66 «n’a pas agi conformément aux règles du droit international et aux résolutions…du
Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale. Au contraire, elle en a fait fi et a tenté
de participer aux travaux d’instances internationales en tant qu’Etat partie…»
vu sa déclaration de continuité. Ayant rejeté cette déclaration, la Croatie a conclu que si la RFY
voulait vraiment être partie aux traités en ques tion à titre de nouvel Etat, celle-ci devait présenter
104
des notifications de succession, que la «Croatie honorerait pleinement» .
24. Et en fin de compte, c’est ce que la RFY a fait. Elle a renoncé à invoquer le principe de
continuité, et elle n’a donc pas eu la qualité de membre d’organisati ons internationale ni de partie
aux traités. Elle a plutôt accepté sa qualité de nouvel Etat, elle a demandé son admission à
l’Organisation des Nations Unies et à d’autres or ganisations internationa les. Après avoir été
invitée par le conseiller juridique à «accomplir les formalités requises…si elle envisage[ait]
105
d’assumer, en qualité d’Etat successeur, les dr oits et obligations qui en découl[ai]ent» , la RFY a
accompli des formalités conventionnelles précis es par des notifications de succession ou
d’adhésion à tous les traités auxquels elle voulait être partie. La question qui se pose maintenant
est celle de savoir si la Croatie «honorerait pleinement» cette démarche (comme elle avait promis
de le faire), et si elle acceptait les consé quences de la vision selon laquelle il n’y avait pas
continuité, qu’il y avait cinq Etats successeurs égaux, cinq nouveaux Etats. L’absence de
continuité signifie qu’il n’y a pas d’appartenance ininterrompue aux organisations internationales,
pas de participation ininterrompue aux traités — mais cela signifie aussi que le nouvel Etat peut
choisir de demander son admission a ux organisations internationales et de succéder ou d’adhérer à
des traités spécifiques, ou non. Cela vaut aussi pour la convention sur le génocide. Il en va de
même pour les centaines d’autres formalités conventionnelles que la RFY a accomplies en 2001,
lesquelles ont été dûment acceptées et sont restées incontestées jusqu’à présent; tout cela serait
104
Voir la lettre en date du 16 février 1994 du représnt permanent de la Croati e auprès des NationsUnies
adressée au Secrétaire général, Nations Unies, doc.S/1994/198 (19 février 1994) citée dans nos observations finales le
26 mai 2008.
105Lettre en date du 8décembre2000, adressée par le Conseiller juridique des Nations Unies au ministre des
affaires étrangères de la République fédérale de Yougoslavie, produite à l’annexe 23 de nos exceptions préliminaires. - 66 -
soudainement réputé être nul et sans effet si l’on devait supposer que la déclaration de 1992 a fait,
d’une manière ou d’une autre, de la RFY une partie aux traités.
25. Madame le président, le principe qu’a défendu, notamment, la Croatie, lequel est
maintenant généralement accepté, est le seul qui assure une vision cohérent e de la situation.
Cependant, il n’y aurait aucune cohérence si l’on co ncluait que ce principe s’applique dans toutes
les circonstances — sauf lorsque cela ne convient pas à la Croatie.
67 Madame le président, Messieurs de la C our, il est maintenant 13heures; pourriez-vous
m’accorder quelques instants supplémentaires, cinq minutes tout au plus ?
Le PRESIDENT : Certainement.
M. VARADY : Je vous remercie.
26. La Yougoslavie a connu une suite de conflits tragiques qui ont aussi retenu l’attention de
la Cour car ils se sont traduits par des affrontements juridiques entre Etats. Le conflit en Croatie en
est le point de départ. Il a commencé en 1991. Après 17 ans, il est le seul qui perdure. Nous
sommes d’avis que l’on peut maintenant mettre fin à cette succession d’affrontements—et qu’on
peut le faire pour un motif juridique solide et convaincant.
27. Madame le président, en la présente espèc e, le requérant n’avait pas le droit d’ester
devant la Cour à l’époque où la procédure a ét é engagée; la Cour n’a donc pas été saisie de
manière appropriée. En la présente espèce, le seul fondement de compétence de la Cour qui a été
invoqué est l’article IX de la convention sur le génocide, et nul n’ignore que l’adhésion du
défendeur était assortie d’une réserve à l’article IX. En la présente espèce, un nombre considérable
de demandes se rapportent à la période pendant laquelle le défendeur n’existait tout simplement pas
—et certaines demandes se rapportent à une péri ode pendant laquelle le requérant n’existait pas
non plus. Là encore, un nombre considérable de demandes sont irrecevables, et aussi sans objet, vu
l’intervention du TPIY, vu l’intervention des tribunaux en Serbie et en Croatie, et vu la coopération
fructueuse des parties. En la présente espèce, vu le seul fondement de compétence de la Cour
invoqué, l’intervention de la Cour ne porterait que sur la question du génocide ; pourtant, au cours
de dix années de travail exhaustif, le TPIY n’a pas jugé bon de procéder à une seule inculpation de
génocide relativement aux agissements commis au cours du conflit dans l’ex-Yougoslavie. Le - 67 -
temps est venu de mettre un terme à cette succe ssion d’affrontements judiciaires auxquels a donné
lieu le conflit en Croatie. Tout cela n’a que trop duré et nulle raison juridique ne justifie le
maintien de l’instance. Je demande respectueusement à la Cour de décliner sa compétence en
l’espèce.
28. Et maintenant, avec votre permission, je vais exposer mes derniè res conclusions. Pour
les raisons exposées dans ses écritures et dans ses plai doiries, la Serbie demande à la Cour de dire
et de juger, premièrement, que la Cour n’a pas compétence ; deuxièmement, et subsidiairement :
a) que les demandes fondées sur les agissements et les omissions antérieurs au 27avril1992 ne
68
relèvent pas de la compétence de la Cour et sont irrecevables,
b) que les demandes tendant à ce que soient poursu ivies certaines personnes qui se trouvent sur le
territoire de la Serbie, à ce qu’elles produisen t des renseignements concernant les lieux où se
trouvent des citoyens croates portés disparus et à ce que soient rendus des biens culturels ne
relèvent pas de la compétence de la Cour et sont irrecevables.
Je vous remercie de votre attention.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Varady.
Ainsi s’achève le deuxième tour de plaidoiries et la Cour se réunira demain à 10 heures pour
entendre le deuxième tour de plaidoiries de la Croatie.
L’audience est levée.
L’audience est levée à 13 h 5.
___________
Translation