D EMANDE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES PRÉSENTÉE PAR
LE G OUVERNEMENT DE LA R ÉPUBLIQUE DE L ’INDE
1. J’ai l’honneur de me référer à la requête introductive d’instance déposée ce jour à la Cour
au nom de la République de l’Inde contre le Gouvernement de la République islamique du
Pakistan. Conformément à l’article 41 du Statut et aux articles 73, 74 et 75 du Règlement, je
présente ci-après à la Cour une demande urgente en indication de mesures conservatoires visant à
préserver les droits de la République de l’Inde.
2. La Cour a compétence en vertu de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations
consulaires de 1963 et de l’article premier du Protocole de signature facultative à cette convention
concernant le règlement obligatoire des différends.
I. Les faits
3. Ainsi que cela est exposé plus en détail dans la requête, les autorités du Pakistan ont
arrêté, détenu, jugé et condamné à mort le 10 avril 2017 un ressortissant indien, M. Kulbhushan
Sudhir Jadhav, en violation flagrante des droits de l’Inde, énoncés au paragraphe 1 de l’article 36
de la convention de Vienne, de communiquer avec lui par l’entremise de ses autorités consulaires.
4. Le 25 mars 2016, l’Inde a été avisée qu’un ressortissant indien (M. Kulbhushan Sudhir
Jadhav) aurait été arrêté le 3 mars 2016. Le jour même, elle a demandé à ce que ses autorités
consulaires puissent entrer au plus vite en communication avec cette personne. N’ayant reçu
aucune réponse, l’Inde a réitéré sa demande le 30 mars 2016, puis à treize autres reprises : les
6 mai 2016, 10 juin 2016, 11 juillet 2016, 26 juillet 2016, 22 août 2016, 3 novembre 2016,
19 décembre 2016, 3 février 2017, 3 mars 2017, 31 mars 2017, 10 avril 2017, 14 avril 2017 et
19 avril 2017. Toutes ces demandes sont restées lettre morte.
5. Le 23 janvier 2017, soit près d’un an après la première demande de l’Inde tendant à ce que
ses autorités consulaires puissent entrer en communication avec son ressortissant, le Pakistan a
adressé à celle-ci une demande d’assistance dans le cadre d’une enquête engagée sous la référence
«FIR n 6 de 2016». Puis, le 21 mars 2017, il lui a formellement fait connaître que la possibilité de
communiquer par l’entremise de ses autorités consulaires avec M. Jadhav «sera[it] étudiée à la
lumière de la suite qu’elle donnerait à la demande d’assistance aux fins d’enquête et de célérité de
la justice formulée par le Pakistan». Cela était tout à fait contraire à l’obligation incombant au
Pakistan en application de la convention de Vienne, qui ne limite d’aucune manière le droit d’un
Etat d’entrer en communication avec l’un de ses ressortissants par l’entremise de ses autorités
consulaires, ainsi qu’au droit de l’intéressé de communiquer librement avec les autorités indiennes
en vertu de l’article 36 de ce même instrument.
6. Le 10 avril 2017, l’Inde a appris par voie de presse que le Pakistan avait tenu un procès
militaire contre M. Jadhav et que celui-ci avait été condamné à mort sur la base de prétendus aveux
de sa part.
7. A cette même date, l’Inde a reçu une nouvelle note verbale du ministère des affaires
étrangères du Pakistan, indiquant que la possibilité, pour ses autorités consulaires, d’entrer en
communication avec l’intéressé serait étudiée à la lumière de la suite qu’elle donnerait à la
demande d’assistance aux fins d’enquête du Pakistan. - 2 -
8. L’Inde a répondu à cette note verbale le même jour, précisant que cette proposition, déjà
formulée, intervenait alors que la condamnation à mort de son ressortissant avait été confirmée
information qu’elle tenait d’une conférence de presse du Pakistan. Estimant que cela
«soulign[ait] que la procédure et le prétendu procès devant une cour martiale pakistanaise n’étaient
qu’un simulacre», l’Inde a rappelé que, en dépit de ses demandes répétées, ses autorités consulaires
n’avaient pas été autorisées à entrer en communication avec l’intéressé.
9. Le Pakistan avait l’obligation juridique internationale de se conformer aux droits de l’Inde
— qui est partie à la convention de Vienne — de communiquer avec son ressortissant par
l’entremise de ses autorités consulaires, tels qu’énoncés aux alinéas a) et c) du paragraphe 1 de
l’article 36. Il avait également, au regard du droit international et de la convention de Vienne,
l’obligation de permettre à l’intéressé de communiquer avec lesdites autorités.
10. Ce n’est qu’après la conclusion du procès, le 21 mars 2017, que le Pakistan a proposé
d’étudier la demande de l’Inde ; encore ne l’a-t-il fait qu’à la condition que celle-ci accède d’abord
à sa demande d’assistance aux fins d’enquête. Le ressortissant indien a été condamné à mort le
10 avril 2017. A cette même date, le Pakistan s’est contenté de réitérer sa proposition du
21 mars 2017.
11. Le Pakistan continue de refuser aux autorités consulaires indiennes d’entrer en
communication avec leur ressortissant et de fournir toute information relative à la procédure contre
celui-ci, y compris sur le point de savoir s’il a été interjeté appel de la décision du tribunal. L’Inde
soutient que, en tout état de cause et pour les raisons exposées en détail dans sa requête , un
appel serait un remède illusoire. Ce nonobstant, la mère de M. Kulbhushan Sudhir Jadhav a formé
un appel en vertu de l’article 133 B de la loi de 1952 sur l’armée pakistanaise et introduit un
recours auprès du Gouvernement fédéral du Pakistan en vertu de l’article 131 de cette même loi.
Cet appel et ce recours ont été remis au Gouvernement pakistanais par le Haut-commissaire de
l’Inde à Islamabad le 26 avril 2017.
12. La présente demande en indication de mesures conservatoires revêt un caractère de
grande urgence puisque M. Jadhav a déjà été condamné à mort et ne dispose que de 40 jours pour
interjeter appel. L’Inde n’a aucun moyen de communiquer avec M. Jadhav et n’a accès à aucune
information concernant les éléments en cause dans cette affaire. Au vu du communiqué de presse
du 17 avril 2017, la déclaration de culpabilité de l’intéressé semble reposer sur le fait qu’il serait
«passé aux aveux» alors qu’il était en captivité et privé de la liberté de communiquer avec ses
autorités consulaires. L’Inde doute fort que son ressortissant soit en mesure d’interjeter un appel
qui lui permette de contester réellement la déclaration de culpabilité et la condamnation dont il est
l’objet. Aussi est-il vital que son exécution soit immédiatement suspendue.
13. Un appel a été formé au nom de l’intéressé par sa mère et, d’après les informations
communiquées par la presse, il apparaît qu’une cour d’appel a déjà été constituée. Cette affaire est
donc d’autant plus urgente qu’il est possible que cette cour se prononce sur l’appel avant même
l’expiration du délai de 40 jours susmentionné.
II. L’AUTORITÉ DE LA COUR
14. Le paragraphe 1 de l’article 41 du Statut de la Cour confère à celle-ci le «pouvoir
d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de
chacun doivent être prises à titre provisoire» en attendant l’arrêt définitif en l’affaire. Par ailleurs, - 3 -
les ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de l’article 41 créent des obligations
contraignantes. LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 506,
par. 109.
15. La Cour a déjà indiqué des mesures conservatoires tendant à empêcher des exécutions
dans trois affaires dans lesquelles la réclamation du demandeur était fondée sur une violation de
l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires. Cela témoigne de l’attention
qu’elle porte aux questions relevant des droits de l’homme telles que celles qui résultent d’une
violation du droit de communiquer avec ses autorités consulaires et d’être assisté dans le cadre
d’une procédure judiciaire.
16. Dans l’affaire relative à la Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay
c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 9 avril 1998,
C.I.J. Recueil 1998, p. 248, la Cour a ainsi indiqué des mesures conservatoires tendant à empêcher
l’exécution de M. Angel Francisco Breard, ressortissant paraguayen, dans l’attente de son arrêt
définitif. La Cour en a fait de même en l’affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique),
mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 9, à l’effet
d’empêcher l’exécution de M. Walter LaGrand, ressortissant allemand. Enfin, dans l’affaire Avena
et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires,
ordonnance du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 77, la Cour a prescrit aux Etats-Unis
d’Amérique de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les trois ressortissants mexicains ne
soient pas exécutés en attendant la décision finale dans cette affaire.
17. Le droit international reconnaît le caractère sacré de la vie humaine. Le pacte
international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Pakistan est partie, affirme ainsi que le
droit à la vie est inhérent à la personne humaine et qu’il doit être protégé par la loi. Aux termes de
l’article 14 de ce pacte, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et
publiquement par un tribunal impartial. Le caractère impartial de tout procès dépend en grande
partie des moyens dont dispose un accusé pour se défendre efficacement. Lorsqu’une personne est
arrêtée dans un pays étranger et doit y être jugée, c’est le droit de l’intéressé de communiquer avec
ses autorités consulaires et de solliciter l’aide de son pays d’origine aux fins d’assurer sa défense
qui conditionne cette impartialité.
18. La violation de la convention de Vienne par le Pakistan a entraîné la condamnation à
mort du ressortissant indien. Cette violation a empêché l’Inde d’exercer les droits qu’elle tient de
la convention, et privé le ressortissant indien de la protection que celle-ci lui reconnaît.
19. L’Inde soutient que M. Kulbhushan Sudhir Jadhav sera exécuté, à moins que la Cour, par
des mesures conservatoires, ne prescrive au Gouvernement du Pakistan de prendre toutes les
mesures nécessaires pour qu’il soit sursis à cette exécution tant qu’elle ne se sera pas prononcée sur
le fond des demandes de l’Inde. L’exécution de M. Kulbhushan Sudhir Jadhav porterait un
préjudice irréparable aux droits que l’Inde revendique (Convention de Vienne sur les relations
consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du
9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 257, par. 37 ; LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique),
mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 15, par. 24 ; Avena
et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires,
ordonnance du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 77, p. 91, par. 55). - 4 -
20. En conséquence, l’Inde présente cette demande urgente en indication de mesures
conservatoires afin de protéger la vie et la liberté de son ressortissant, M. Kulbhushan Sudhir
Jadhav, et de s’assurer que la Cour ait la faculté de rendre la décision qu’elle sollicite. Si la Cour
n’indique pas les mesures conservatoires demandées, le Pakistan procédera à l’exécution de
M. Kulbhushan Sudhir Jadhav avant qu’elle ait pu examiner les demandes de l’Inde au fond, et
celle-ci sera privée à jamais de toute possibilité de faire valoir ses droits. Le fait que la Cour ait
indiqué des mesures conservatoires dans les trois affaires susmentionnées étaye le droit de l’Inde à
ce que soit rendue la décision qu’elle sollicite.
21. Ainsi que cela a déjà été indiqué ci-dessus, la présente demande revêt un caractère
d’extrême urgence, étant donné que, en tout état de cause, la période de quarante jours expire le
19 mai, et que, la mère de l’intéressé ayant d’ores et déjà formé un appel et la cour d’appel ayant
d’ores et déjà été constituée, cette dernière peut se prononcer d’un jour à l’autre sur ledit appel.
III. LES MESURES SOLLICITÉES
22. Au nom du Gouvernement de la République de l’Inde, je prie donc respectueusement la
Cour de prescrire, en attendant l’arrêt définitif en la présente affaire, que
a) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan prenne toutes les mesures nécessaires
pour que M. Kulbhushan Sudhir Jadhav ne soit pas exécuté ;
b) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan porte à la connaissance de la Cour les
mesures qu’il aura prises en application de l’alinéa a) ; et que
c) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan fasse en sorte qu’il ne soit pris aucune
mesure qui puisse porter atteinte aux droits de la République de l’Inde ou de M. Kulbhushan
Sudhir Jadhav en ce qui concerne toute décision que la Cour pourrait prendre sur le fond de
l’affaire.
23. Eu égard à l’extrême gravité et à l’imminence de la menace d’exécution d’un citoyen
indien au Pakistan en violation des obligations auxquelles celui-ci est tenu envers l’Inde, cette
dernière prie instamment la Cour de considérer la présente demande comme une question de la plus
grande urgence et de rendre immédiatement, et sans attendre la tenue d’audiences, une ordonnance
en indication de mesures conservatoires suo motu. L’Inde prie également le président de la Cour,
dans l’exercice des pouvoirs que lui confère paragraphe 4 de l’article 74 du Règlement, en
attendant que la Cour se réunisse, d’inviter les Parties à agir de manière que toute ordonnance de la
Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les effets voulus.
Le 8 mai 2017.
Le Joint Secretary du ministère des affaires
étrangères de la République de l’Inde,
(Signé) M. Deepak M ITTAL .
Demande en indication de mesures conservatoires déposée par la République de l'Inde