D EMANDE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES PRÉSENTÉE
PAR L’U KRAINE
[Traduction]
1. J’ai l’honneur de me référer à la requête introductive d’instance déposée le
16 janvier 2017 devant la Cour au nom de l’Ukraine contre la Fédération de Russie, et de présenter,
conformément à l’article 41 du Statut et aux articles 73, 74 et 75 du Règlement, une demande
tendant à ce que la Cour indique d’urgence des mesures conservatoires. Dans le cadre de son
agression illicite contre l’Ukraine, agression qui se poursuit, la Fédération de Russie a commis, et
continue de commettre, des violations de la convention internationale pour la répression du
financement du terrorisme (ci-après la «convention contre le financement du terrorisme») et de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après
la «CIEDR»). Si l’Ukraine demande que soient indiquées des mesures conservatoires, c’est pour
protéger la vie et les droits de l’homme fondamentaux des citoyens ukrainiens, qui sont menacés
par les actes de financement du terrorisme et de discrimination raciale auxquels se livre la
Fédération de Russie. Pareilles mesures sont également nécessaires pour éviter que les différends
qui opposent les Parties en ce qui concerne ces instruments ne se trouvent aggravés ou étendus.
2. Dans sa requête, l’Ukraine décrit une attaque menée contre son peuple de différentes
façons, attaque dont la Fédération de Russie est responsable au regard du droit international. En
Ukraine orientale, celle-ci fournit des armes lourdes et d’autres types d’appui décisifs à des groupes
armés illégaux, dont elle sait qu’ils se livrent à des actes de terrorisme contre des civils. Cet appui
russe a permis la commission d’attentats épouvantables, notamment la destruction de l’appareil de
la Malaysia Airlines assurant le vol MH17, qui a causé la mort de 298 civils, les tirs d’artillerie
dirigés contre la population civile à Volnovakha, Kramatorsk et Marioupol et l’attaque à la bombe
d’un rassemblement pacifique pour l’unité à Kharkiv. La Fédération de Russie manque aux
obligations qui lui incombent au regard de la convention contre le financement du terrorisme non
seulement en s’abstenant de prévenir pareils actes et d’enquêter à cet égard, mais également en
soutenant directement le terrorisme.
3. En Crimée, la Fédération de Russie occupe et cherche à annexer de façon illicite une
partie du territoire de l’Ukraine. Elle a usé de son contrôle sur la péninsule de Crimée pour imposer
une politique de domination ethnique russe visant à l’annihilation culturelle des autres
communautés au moyen d’une campagne de discrimination systématique et continue. De par le
comportement discriminatoire qu’elle a adopté dans le cadre de cette politique d’annihilation
culturelle, la Fédération de Russie manque aux obligations qui lui incombent au regard de la
CIEDR.
4. L’indication de mesures conservatoires est nécessaire car les droits fondamentaux de la
population civile d’Ukraine demeurent constamment menacés. La Fédération de Russie continue de
fournir des armes et d’autres formes d’appui à des groupes armés illégaux ayant perpétré des
attentats terroristes ; la campagne d’annihilation culturelle qu’elle mène en Crimée se poursuit elle
aussi avec la même intensité. Des populations civiles vulnérables, vivant dans un environnement
instable et susceptible de se dégrader rapidement, sont exposées aux violations continues du droit
international auxquelles se livre la Fédération de Russie. Or, c’est précisément dans ce type de
situations que la Cour a estimé qu’il était nécessaire d’indiquer des mesures conservatoires pour
protéger les droits respectifs des parties à un différend (voir Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie
c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008,
C.I.J. Recueil 2008, p. 396, par. 143 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République - 2 -
démocratique du Congo c. Ouganda), mesures conservatoires, ordonnance du 1 juillet 2000,
C.I.J. Recueil 2000, p. 128, par. 43).
I. LA COMPÉTENCE PRIMA FACIE DE LA C OUR
5. Ainsi que cela est exposé dans la requête, la Cour a compétence pour connaître de la
présente affaire au titre de son Statut et de son Règlement, du paragraphe 1 de l’article 24 de la
convention contre le financement du terrorisme et de l’article 22 de la CIEDR. La Fédération de
Russie a accepté la juridiction de la Cour en vertu de ces deux conventions.
II. LES FAITS QUI SOUS TENDENT LA DEMANDE
6. La présente affaire a trait à des manquements aux obligations conventionnelles incombant
à la Fédération de Russie, commis dans le cadre de l’agression à laquelle celle-ci s’est livrée et
continue de se livrer contre l’Ukraine. Les différends qui opposent les Parties en ce qui concerne la
convention contre le financement du terrorisme et la CIEDR sont décrits en détail dans la requête.
A. Le financement du terrorisme en Ukraine
7. La Fédération de Russie a fomenté et soutenu une insurrection armée contre l’autorité de
l’Etat ukrainien, notamment en fournissant de manière systématique à des groupes armés illégaux
tels que la «République populaire de Donetsk» (ci-après la «RPD»), la «République populaire de
Louhansk» (ci-après la «RPL»), les «Partisans de la République populaire de Kharkiv» (ci-après les
«Partisans de Kharkiv») et d’autres groupes et personnes qui y sont associés des armes lourdes, de
l’argent, du personnel, un entraînement et d’autres formes d’appui. Ces intermédiaires de la Russie
manifestent le plus grand mépris pour la vie des civils ukrainiens, recourant souvent au meurtre et à
la torture contre ceux-ci. La Fédération de Russie savait que, outre qu’ils avaient engagé la lutte
contre les autorités ukrainiennes, ces groupes illégaux se livraient régulièrement à des actes de
terrorisme contre la population civile ukrainienne. Bien que connaissant leurs agissements, elle a
choisi de les soutenir en leur fournissant de l’argent, un armement décisif et d’autres formes de
soutien. Forts de ces moyens, les groupes armés illégaux opérant en Ukraine avec l’appui des
forces russes ont pu perpétrer une série d’attentats terroristes, parmi lesquels :
a) la destruction de l’appareil de la Malaysia Airlines assurant le vol MH17, qui a causé la mort de
298 civils dont de très jeunes enfants de différentes nationalités ;
b) l’attaque d’un autocar sur une autoroute très fréquentée près de Volnovakha, qui a causé la mort
de douze civils ;
c) l’attaque à la roquette contre un quartier résidentiel densément peuplé de Marioupol, qui a causé
la mort de trente civils ;
d) le bombardement d’un quartier résidentiel de Kramatorsk, qui a causé la mort de sept civils ; et
e) une série d’attentats à la bombe, réussis ou déjoués, dans des villes ukrainiennes fort éloignées
de toute zone de conflit, et notamment celui commis contre un rassemblement pacifique pour
l’unité ukrainienne organisé à Kharkiv.
8. Ces actes de terrorisme ont eu lieu de manière soudaine, sans qu’aucun avertissement n’ait
été adressé à la population civile exposée. Dans chaque cas, ils suivaient de près la fourniture, par
la Fédération de Russie, de moyens de financement et d’appui. Ainsi, quelques heures à peine après
son transfert dans l’est de l’Ukraine, une puissante arme anti-aérienne d’origine russe a été utilisée - 3 -
pour abattre un avion de ligne civil en plein vol. Lorsque les groupes armés illégaux soutenus par la
Russie ont lancé leur offensive au cours de l’hiver 2015, une série d’attaques rapprochées a été
menée contre les populations civiles de Volnovakha, Marioupol et Kramatorsk. La situation
actuelle fait sérieusement craindre une nouvelle offensive similaire, voire plus violente encore.
9. En Ukraine orientale, la situation demeure instable et susceptible de changer rapidement.
Depuis près de trois ans, le conflit fait rage dans cette région sans trouver de solution, la population
civile étant régulièrement victime d’actes de terrorisme. Malgré la succession d’attentats dont les
auteurs sont clairement des intermédiaires de la Russie, la Fédération de Russie continue
d’approvisionner ces derniers. Ainsi que l’a constaté le Haut-Commissaire des Nations Unies aux
droits de l’homme en août 2016, elle continue de fournir «de[s] munitions, d[es]armes et de[s]
1
combattants» à ses intermédiaires opérant en Ukraine orientale . Certains indices troublants
semblent d’ailleurs indiquer une aggravation de la situation, la Fédération de Russie ayant accru sa
capacité militaire dans la région frontalière avec l’Ukraine, et adopté un discours plus belliqueux . 2
Nouvelle illustration des pressions exercées sur la population civile, des groupes armés soutenus
par la Russie ont récemment expulsé une organisation caritative internationale du territoire qu’ils
3
contrôlent .
10. Dès lors, si la Cour n’indique pas de mesures conservatoires, la population civile
demeurera vulnérable et otage d’une campagne de violences terroristes susceptible de s’aggraver à
tout moment. Le risque est important que les armes et autres moyens qui ne cessent d’affluer en
provenance de la Fédération de Russie continuent, comme par le passé, d’être utilisés à des fins
d’attaques terroristes contre les civils.
B. L’annihilation culturelle par la discrimination menée en Crimée
11. Dans la péninsule de Crimée, la Fédération de Russie applique une stratégie différente,
tout en affichant un égal mépris pour les droits de l’homme fondamentaux du peuple ukrainien. En
vue de soumettre la péninsule à la domination russe, elle mène une campagne d’annihilation
culturelle par la discrimination, dont le point de départ a été l’organisation, en mars 2014, d’un
référendum illicite dans un climat de forte intimidation. Pour punir les communautés non russes qui
contestaient l’occupation illicite et la prétendue annexion de leur territoire, elle a ensuite lancé une
vaste campagne d’annihilation culturelle. S’agissant des Tatars de Crimée, elle les a privés de leurs
dirigeants et institutions politiques, a interdit d’importants rassemblements culturels, instauré un
régime de disparitions et de meurtres, mené une campagne de perquisitions et de détentions
arbitraires, réduit au silence les médias et privé cette communauté de droits en matière d’éducation.
Quant aux Ukrainiens de souche, ils ont eux aussi vu leurs droits en matière d’éducation être remis
en cause ; certains rassemblements culturels importants ont été interdits, les médias étant également
victimes de harcèlement et d’intimidation.
12. Cette discrimination systématique est brutale, et elle se poursuit. Les pressions
croissantes exercées par la Fédération de Russie sur les Tatars ont atteint leur paroxysme en
avril 2016 avec l’interdiction du Majlis, principale institution culturelle et politique de la
1
HCDH, Report on the Human Rights Situation in Ukraine [rapport sur la situation des droits de l’homme en
Ukraine], (16 mai - 15 août 2016), par. 3.
2Voir notamment Max Fisher, Signs of Trouble in Ukraine Prompt Question : What’s Vladimir Putin Up To?
[Signes de troubles en Ukraine: que prépare Vladimir Poutine ?], New York Times (11 août 2016).
3
OSCE, Latest from OSCE Special Monitoring Mission (SMM) to Ukraine, Based on Information received as of
19 :30, 27 November 2016 [Bulletin de la mission spéciale d’observation en Ukraine, basé sur les informations reçues
avant 19 h 30, le 27 novembre 2016] (28 novembre 2016). - 4 -
4
communauté . En application de cette décision, huit membres du Majlis se sont vu infliger des
amendes pour avoir tenu une «réunion illégale» en septembre 2016, et des mesures ont été prises
pour interdire au Majlis d’organiser la commémoration annuelle par laquelle les Tatars de Crimée
5
rendent hommage aux victimes de la déportation soviétique . Des dirigeants tatars continuent d’être
arrêtés pour des «crimes» consistant par exemple à déclarer que la Crimée fait partie de l’Ukraine
et, en septembre 2016, un éminent représentant de la communauté a été interné de force dans un
6
hôpital psychiatrique . Les disparitions perdurent elles aussi, comme en témoigne le cas d’Ervin
Ibragimov, dont l’enlèvement, en mai 2016, n’a donné lieu à aucune enquête de la part des
autorités russes .
13. Cette répression culturelle et politique systématique engagée depuis près de trois ans a
affaibli les dirigeants tatars et rendu la communauté particulièrement vulnérable aux autres
pratiques discriminatoires et violentes des autorités russes. Avec l’interdiction de son instance
représentative et les internements psychiatriques, arrestations, perquisitions et autres formes de
harcèlement auxquels sont soumis ses dirigeants politiques, quand ils ne sont pas en exil, la
communauté des Tatars de Crimée est aujourd’hui soumise à une pression intense, sous l’effet
conjugué des pratiques discriminatoires déjà en cours et de la menace de nouvelles mesures
susceptibles de conduire à la disparition pure et simple de son identité culturelle. La diminution
spectaculaire de la population tatare dans la péninsule passée de 243 400 personnes lors du
dernier recensement ukrainien à seulement 42 254 depuis l’occupation témoigne du danger
continu et imminent auquel sont soumis les Tatars de Crimée et leur culture . 8
14. Le groupe des Ukrainiens de souche demeure lui aussi extrêmement vulnérable. La
Fédération de Russie s’est montrée particulièrement efficace pour priver cette communauté de ses
droits en matière d’éducation et de sa capacité de préserver sa langue et sa culture. L’enseignement
en langue ukrainienne a pratiquement disparu en Crimée, comme l’indique la chute du nombre
d’élèves qui en bénéficient, passé de plus de 12 000 avant l’occupation à moins de 1 000 deux ans
9
plus tard . Sur les sept établissements d’enseignement en langue ukrainienne qui existaient en
Crimée jusqu’en 2014, un seul fonctionne encore pour l’année scolaire 2016-2017 et il ne
4
HCDH, Report on the Human Rights Situation in Ukraine [rapport sur la situation des droits de l’homme en
Ukraine] (16 février - 15 mai 2016), par. 186 ; HCDH, Report on the Human Rights Situation in Ukraine [rapport sur la
situation des droits de l’homme en Ukraine] (16 mai – 15 août 2016), par. 164.
5
HCDH, Report on the Human Rights Situation in Ukraine [rapport sur la situation des droits de l’homme en
Ukraine] (16 août - 15 novembre 2016), par. 168.
6 HCDH, Report on the Human Rights Situation in Ukraine [rapport sur la situation des droits de l’homme en
Ukraine] (16 mai - 15 août 2016), par. 178 ; Human Rights Watch, Crimean Tatar Activist Confined in Psychiatric
Hospital [Un activiste tatar de Crimée interné dans un hôpital psychiatrique] (26 août 2016) ; HCDH, Report on the
Human Rights Situation in Ukraine [rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine] (16 août – 15 novembre
2016), par. 159 ; Radio Free Europe/Radio Liberty, Punitive Medicine ? Crimean Tatars Shaken By Leader’s
Confinement to Mental Asylum [Une médecine punitive ? Les Tatars de Crimée choqués par l’internement de leur leader
dans un asile psychiatrique] (24 août 2016) ; Amnesty International, Help Drop Charges Against Activist Released From
Forced Psychiatric Detention (Ukraine : UA 205/16) [Aider à abandonner les poursuites contre l’activiste libéré après sa
détention forcée en hôpital psychiatrique] (9 septembre 2016).
7 HCDH, Report on the Human Rights Situation in Ukraine [rapport sur la situation des droits de l’homme en
Ukraine] (16 mai - 15 août 2016), par. 154 ; Amnesty International, URGENT ACTION : Crimean Tatar Activist Forcibly
Disappeared [URGENT : Disparition forcée d’un activiste tatar de Crimée] (26 mai 2016).
8
Commission nationale des statistiques de l’Ukraine, About Number and Composition Population of Autonomous
Republic of Crimea by Data All-Ukrainian Population Census, http ://2001.ukrcensus.gov.ua/eng/
results/general/nationality/Crimea ; recensement russe effectué en République de Crimée, composition nationale de la
population (18 août 2015), http ://crimea.gks.ru/wps/wcm/connect/rosstat_ts/crimea/ru/census_and_researching/census/
crimea_census_2014/score_2010/.
9 HCDH, Report on the Human Rights Situation in Ukraine [rapport sur la situation des droits de l’homme en
Ukraine] (16 août - 15 novembre 2016), par. 157. - 5 -
10
dispense même plus cet enseignement pour les première et deuxième classes du premier cycle .
Des mesures conservatoires sont donc nécessaires pour empêcher que cette annihilation culturelle
ne s’aggrave encore durant l’examen de la présente affaire.
III. LES DROITS QUE L ’U KRAINE CHERCHE À PROTÉGER
15. Conformément à l’article 41 du Statut de la Cour, l’indication de mesures conservatoires
a pour objet de sauvegarder les droits de chacune des parties en attendant que la Cour rende sa
décision (voir notamment Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance du
8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 19, par. 34). La Cour, à ce stade, ne «conclu[t] [pas]
définitivement» (Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo
er
c. Ouganda), mesures conservatoires, ordonnance du 1 juillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p. 127,
par. 41 ; voir également Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011,
C.I.J. Recueil 2011 (I), déclaration de M. le juge Greenwood, p. 46, par. 2). La Cour peut indiquer
des mesures conservatoires dès lors qu’elle estime «plausibles» les droits dont la protection est
demandée (voir Immunités et procédures pénales (Guinée Equatoriale c. France), mesures
conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, par. 78). Les droits que l’Ukraine cherche à faire
protéger satisfont très largement à ce critère peu exigeant.
16. L’Ukraine entend sauvegarder ses droits et ceux de sa population au titre de la
convention contre le financement du terrorisme. Ainsi que cela est exposé dans la requête , 11
l’article 18 de cet instrument impose à la Fédération de Russie de «coop[érer] pour prévenir» le
financement du terrorisme. Loin de «coopérer», celle-ci a en réalité manqué à maintes reprises aux
obligations qui lui incombent au regard de ladite convention, en finançant directement le terrorisme
en Ukraine et en refusant de mettre fin à pareil financement par des personnes publiques ou privées
qui se trouvent sur son territoire et d’enquêter à cet égard. L’Ukraine demande que des mesures
conservatoires soient indiquées pour protéger sa population des nouveaux actes de terrorisme
qu’elle pourrait avoir à subir en conséquence du soutien que la Fédération de Russie, en violation
de la convention, apporte au terrorisme.
17. L’Ukraine cherche par ailleurs à protéger 12s droits et ceux de sa population au titre de la
CIEDR. Ainsi que cela est exposé dans la requête , la campagne d’annihilation culturelle par la
discrimination que mène la Fédération de Russie contrevient aux articles 2, 3, 4, 5 et 6 de cet
instrument. L’Ukraine demande que des mesures conservatoires soient indiquées pour protéger sa
population du préjudice irréparable causé par cette campagne discriminatoire d’annihilation
culturelle qui perdure à ce jour.
IV. L A RAISON DE L ’URGENCE
18. La Cour estime qu’il y a lieu d’indiquer des mesures conservatoires lorsque la situation
est «instable et pourrait changer rapidement» et, lorsque des «tensions» existent, en l’absence de
«règlement global du conflit [en question]» (voir Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie),
mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 396, par. 143). De
10
HCDH, Report on the Human Rights Situation in Ukraine [rapport sur la situation des droits de l’homme en
Ukraine] (16 août - 15 novembre 2016), par. 180.
11Requête, par. 125-130.
12Ibid., par. 131-133. - 6 -
même, des mesures conservatoires ont été accordées dans des cas où des conflits ou d’autres
«incidents s[’étaient] produits à diverses reprises … causant des pertes en vies humaines, des
blessés et des déplacements de populations» (Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962
en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande),
mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 550, par. 53).
Lorsque des violations ont déjà été commises, il convient d’indiquer des mesures conservatoires
dès lors qu’il n’est «pas inconcevable» que ces violations se reproduisent condition aisément
remplie en l’espèce (Immunités et procédures pénales (Guinée Equatoriale c. France), mesures
conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, par. 89). Tous ces éléments justifiant l’indication
de mesures conservatoires ont encore plus de poids lorsque c’est une population «vulnérable» qui a
besoin de la protection de la Cour (Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures
conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 396, par. 143).
19. Pour les raisons exposées ci-dessus et dans la requête, les populations civiles d’Ukraine,
tout particulièrement dans sa partie orientale et en Crimée, sont extrêmement vulnérables et ont
besoin de la protection immédiate de la Cour.
20. En Ukraine orientale, la situation est instable et pourrait changer rapidement. La
Fédération de Russie continue d’armer et de financer par d’autres moyens ses intermédiaires qui se
sont livrés en Ukraine à des actes de terrorisme aux conséquences catastrophiques. Si aucune
mesure n’est indiquée pour couper court à ces pratiques persistantes, il est fort à craindre que la
population civile subisse de nouvelles violences terroristes.
21. En Crimée, la Fédération de Russie poursuit avec la même intensité sa politique
d’annihilation culturelle par la discrimination. Les Tatars et les Ukrainiens de souche sont en
permanence victimes d’actes de harcèlement, de mauvais traitements et de restrictions. Si aucune
mesure n’est indiquée pour couper court à ces pratiques persistantes, la discrimination exercée à
l’égard de ces groupes vulnérables se poursuivra, et la politique russe visant à annihiler leur identité
culturelle risque fort d’aboutir.
V. LES MESURES DEMANDÉES
22. Au vu des faits exposés ci-dessus, et afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit
causé à ses droits et à ceux de ses citoyens et que les différends qui opposent les Parties en ce qui
concerne la convention contre le financement du terrorisme et la CIEDR ne s’aggravent ou ne
s’étendent, l’Ukraine prie respectueusement la Cour, en attendant que celle-ci se prononce sur le
fond de la présente affaire, d’indiquer des mesures conservatoires pour protéger ses droits et ceux
de sa population.
23. S’agissant de la convention contre le financement du terrorisme, l’Ukraine prie la Cour
d’indiquer les mesures conservatoires suivantes :
a) La Fédération de Russie doit s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le
différend porté devant la Cour sur le fondement de la convention contre le financement du
terrorisme, ou d’en rendre la solution plus difficile.
b) La Fédération de Russie doit exercer un contrôle approprié sur sa frontière afin de prévenir tout
nouvel acte de financement du terrorisme, y compris la fourniture d’armes en provenance de
son territoire et à destination du territoire ukrainien. - 7 -
c) La Fédération de Russie doit cesser et prévenir tous transferts d’argent, d’armes, de véhicules,
de matériels, de moyens d’entraînement ou de personnel en provenance de son territoire et à
destination de groupes s’étant livrés à des actes de terrorisme contre des civils en Ukraine ou
dont elle sait qu’ils pourraient se livrer à pareils actes dans le futur, à savoir, et sans que cette
énumération soit limitative, la «République populaire de Donetsk», la «République populaire de
Louhansk», les «Partisans de Kharkiv» et tous groupes ou personnes qui y sont associés.
d) La Fédération de Russie doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour s’assurer que tout
groupe opérant en Ukraine et ayant auparavant bénéficié de transferts d’argent, d’armes, de
véhicules, de matériels, de moyens d’entraînement ou de personnel en provenance de son
territoire s’abstienne de se livrer à des actes de terrorisme contre des civils en Ukraine.
24. S’agissant de la CIEDR, l’Ukraine prie la Cour d’indiquer les mesures conservatoires
suivantes :
a) La Fédération de Russie doit s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le
différend porté devant la Cour sur le fondement de la CIEDR ou d’en rendre la solution plus
difficile.
b) La Fédération de Russie doit s’abstenir de tout acte de discrimination raciale visant des
personnes, groupes ou institutions sur le territoire placé sous son contrôle effectif, et notamment
dans la péninsule de Crimée.
c) La Fédération de Russie doit mettre fin et renoncer à tout acte de répression politique et
culturelle visant le peuple tatar de Crimée, notamment en suspendant le décret ayant interdit le
Majlis de ce groupe et en s’abstenant d’exécuter ledit décret ainsi que toute autre mesure
similaire, tant que la présente affaire demeurera pendante.
d) La Fédération de Russie doit prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin aux
disparitions de Tatars de Crimée et enquêter sans délai sur celles qui ont déjà eu lieu.
e) La Fédération de Russie doit mettre fin et renoncer à tout acte de répression politique et
culturelle visant les Ukrainiens de souche en Crimée, notamment en levant les restrictions
relatives à l’enseignement en langue ukrainienne et en respectant les droits de ce groupe en
matière de langue et d’éducation, tant que la présente affaire demeurera pendante.
25. L’Ukraine se réserve le droit de modifier la présente demande et les mesures sollicitées.
26. L’Ukraine prie respectueusement la Cour d’examiner la présente demande dès que son
calendrier le lui permettra, notamment en fixant rapidement des audiences.
Respectueusement.
La vice-ministre des affaires étrangères de l’Ukraine,
agent de l’Ukraine,
(Signé) Mme Olena Z ERKAL.
Le 16 janvier 2017.
___________
Demande en indication de mesures conservatoires déposée par l'Ukraine