Observations de la Géorgie sur la réponse écrite de la Fédération de Russie aux questions posées par MM. les juges Koroma, Abraham et Cançado Trindade à la fin de l'audience publique tenue le 17 septe

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17664
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Incidental Proceedings
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O BSERVATIONS DE LA G ÉORGIE SUR LA RÉPONSE DE LA F ÉDÉRATION DE R USSIE AUX
QUESTIONS POSÉES PAR LES JUGES

Question posée par M. le juge Koroma

[Traduction]

Question : De l’avis des Parties, quels sont au juste l’objet et le but de la clause ainsi libellée : «qui
n’aura pas été réglé par voie de négociati on ou au moyen des procédures expressément
prévues par ladite convention», compte te nu de l’article22 de la convention sur

l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ?

Dans sa réponse écrite, la Russie a repris les arguments qu’elle avançait dans ses exceptions

préliminaires et lors des plaidoiries, à savoir que les négociations et le recours aux procédures
prévues dans la convention «constituent des conditions préalables à l’acceptation par les Etats de la
compétence de la Cour». La Géorgie a pleine ment expliqué durant la procédure écrite et la
procédure orale pourquoi elle rejette les argumentsde la Russie, et elle ne répétera pas ici ces

explications qu’elle maintient dans leur intégralité.

La Géorgie note que les Parties conviennent qu e la notion d’«objet et de but» concerne le
traité dans son ensemble, et non certains mots ou certaines expressions. Cette notion est visée en

huit occasions dans la convention de Vienne de 1969: dans sept cas, l’expression utilisée est
«l’objet et le but du traité» et, dans le huitième, les mots utilisésson objet et son but»(les
italiques sont de la Géorgie), ce qui indique claire ment que la notion concerne le traité dans son
ensemble. C’est aussi l’approche adoptée par la Cour: voir, par exemple, Différend territorial

(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 22, par. 41 et p. 25-26, par. 52.

La Russie invoque «le principe de l’effet u tile» comme technique d’interprétation. La

Géorgie relève que ce «principe» n’est pas consacré dans la convention de Vienne de 1969, et elle
estime qu’il ne saurait ni remplacer ni compléter les règles d’interprétation qui y sont énoncées.

Ceci dit, l’interprétation que fait la Géorgie de l’article 22 est pleinement compatible avec ce

«principe», en ce qu’elle attribue un sens à tous l es mots et expressions de cet article, y compris :
«qui n’aura pas été réglé par voie de négocia tion ou au moyen des procédures expressément
prévues par ladite convention». Po ur la Géorgie, l’«effet utile» de ce libellé est de n’interdire de
porter un différend relevant de la convention devant la Cour que si ce différend a déjà été réglé par

des négociations diplomatiques entre les Parties, ou s’il a été réglé au moyen des procédures de
conciliation prévues dans la deuxième partie de la convention.

Comme, manifestement, le différend entre la Géorgie et la Russie n’a pas été réglé par la

négociation ni par les procédures prévues dans la convention, il en découle que la Cour est
compétente en vertu de l’article 22. Cette conclusi on ne prive pas le texte cité, qui figure dans la
question de M.le juge Koroma, du sens ou de l’effet qui doit être sien; au contraire, elle lui

donne l’effet qui convient en l’interprétant selon son sens ordinaire.

QUESTION POSÉE PAR M. LE JUGE ABRAHAM

Question : Au stade actuel de la procédure, la Cour est appelée seulement à se prononcer sur les
exceptions préliminaires soulevées par la Partie défenderesse. Compte tenu des débats
qui ont eu lieu au cours des audiences,faut-il comprendre que la Russie a retiré sa

troisième exception préliminaire en tant qu’exception préliminaire ?

Dans sa réponse écrite, la Russie déclare: «[i]l ne doit pas…être conclu que la Russie [a]
retiré la troisième objection» et qu’il s’agit «plutôt d’une suggestion de la part de la - 2 -

Russie … tendant à ce qu’il soit sursit à l’examen de cette objection jusqu’à la phase de l’examen
au fond» et qu’elle «se réserve le droit de reveni r sur cette objection dans le cadre de la procédure

sur le fond».

La Géorgie prend note de l’ambigüité de la réponsedelaRussie. LaRussiesemble

reconnaître (à juste titre, selon la Géorgie) que c’ est à la Cour et non à une Partie qu’il incombe de
décider s’il convient de joindre au fond une excep tion soulevée à titre préliminaire. La Russie n’a
pas retiré cette objection ni officiellement demandé qu’elle soit jointe au fond, et n’a fait que
réserver son droit de soulever la question dans le cadre de la procédure sur le fond. La Géorgie

note de plus que la Russie n’a pas essayé d’exp liquer pourquoi sa troisième exception préliminaire
devrait être jointe au fond, et n’a aucunement cherché à répondre quant au fond à la conclusion de
la Géorgie selon laquelle la Cour devrait rejeter la troisième exception préliminaire à ce stade.

Durant le second tour1de plaidoirie, la Russi e a concédé que la Géorgie avait développé une
«argumentation complète» sur la raison pour laquelle la troi sième exception préliminaire devrait
être rejetée à ce stade, et pourtant elle a choisi de ne pas répondre à cette argumentation.

Les arguments de la Géorgie n’ayant pas du to ut été réfutés, il n’y a aucune raison que la
Cour ajourne sa décision. La Géorgie invite la C our à rejeter la troisième exception préliminaire
dès à présent.

Q UESTION POSÉE PAR M. LE JUGE C ANÇADO T RINDADE

Question : Selon vous, la nature des traités relatifs a ux droits de l’homme tels que la CIEDR

(régissant des relations au niveau intra-étatique) a-t-elle des conséquences ou une
incidence sur l’interprétation et l’app lication des clauses compromissoires qu’ils
contiennent ?

La Géorgie relève que dans sa réponse écrit e la Russie ne répond pas directement à la
question posée par M. le juge Cançado Trindade. Elle fait observer qu’il n’y a rien dans la réponse
de la Russie qui contredise ou affaiblisse sa propre réponse à la question, à savoir que «[e]n raison

de la nature des traités relatifs aux droits de l’homme, en particulier leur caractère non
synallagmatique, il convient d’ interpréter les clauses compromissoires largement, et non de
manière étroite ou restrictive».

La Russie reconnaît au contraire dans sa réponse que les obligations imposées par la
convention ne doivent pas être exécutées exclusivement au niveau intra-étatique, que la convention
adopte «une forme de garantie collective du resp ect» de ses dispositions et que «les obligations
qu’elle établit ont un caractère erga omnes». Ce faisant, la Russie reconnaît que la convention a été

conçue comme un instrument efficace pour éliminer le fléau de la discrimination raciale (y compris
ethnique) sous toutes ses formes. A cet égard, elle étaye la position de la Géorgie en ce qui
concerne l’interprétation de l’article 22. La saisine de la Cour en vertu de cet article est un des

principaux moyens pour les Etats de donner effet a ux dispositions de la convention contre d’autres
Etats, et de rendre ainsi la convention plus efficace.Lire, dans les dispositi ons de l’article 22, des
conditions préalables à la saisine de la Cour, à l’encontre du sens ordinaire du texte, comme le
propose la Russie, serait contraire à l’objet et aubut de la convention: cela reviendrait à rendre

l’accès à la Cour, à toutes fins utiles, impossible, et réduirait le rôle assigné à la Cour, à savoir celui
d’un moyen de faire exécuter en temps voulu les obligations erga omnes énoncées dans la
convention.

___________

1
CR 2010/10, p. 47, par. 49 (Zimmermann).

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Observations de la Géorgie sur la réponse écrite de la Fédération de Russie aux questions posées par MM. les juges Koroma, Abraham et Cançado Trindade à la fin de l'audience publique tenue le 17 septembre 2010 (traduction)

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