- 2 -
Les réponses à la question posée par le juge Koroma
1. Les réponses que les Parties ont présentées le 19mars2009, y compris les documents
historiques qu’elles ont soumis à l’appui de ces réponses, établissent les faits suivants :
Premièrement , aux environs de 1858, à l’époque de la conclusion du traité de limites, la rive
costa-ricienne du fleuve San juan était inhabitée et aucun élément de pre uve ne démontre que la
rive droite ait accueilli des peuplements permanents avant les années 1960.
Deuxièmement , aux environs de 1858, et durant les centannées suivantes au moins, le
transport de passagers sur le fleuve SanJuan n’était pris en charge que par des entreprises
nicaraguayennes et le Costa Rica a toujours accepté cette situation.
2. En ce qui concerne le premier point, le Nicaragua a démontré dans sa réponse à la
question posée par M. le juge Koroma que, suivant plusieurs sources historiques faisant autorité
⎯parmi lesquelles figurent des sources officielles costa-riciennes ⎯ la rive costa-ricienne du
fleuve était inhabitée dens les 1nnées 1850 et ne compta aucun peuplement humain avant la
dernière partie du XX siècle .
3. Dans la réponse qu’il a soumise le 19ma rs, le CostaRica ne produit aucun élément de
preuve pour contester ce fait historique. Aucune source, historique ou autre, n’a été présentée pour
démontrer l’existence de peuplements humains quels qu’ils soient sur la rive droite du fleuve avant
les années 1960.
2
4. Le CostaRica aborde la question du pe uplement aux paragraphes8 à 12 de sa réponse .
Au paragraphe8, le CostaRica cite un essai d’un voyageur allemand qui, en 1875, «f[i]t état de
3
petites fermes établies sur la rive costa-ricienne du fleuve SanJuan» . En fait, le court extrait de
l’essai que le CostaRica a joint à sa réponse i ndique seulement que le voyageur navigua sur
le Colorado depuis la côte atlantique du CostaRica «jusqu’au fleuve SanJuan» («hasta el río
4
San Juan») . Il n’est aucunement question, dans le texte, de navigation sur une quelconque partie
du San Juan. Il ne ressort pas clairement de l’extr ait fourni par le Costa Rica en quel endroit de ce
parcours l’auteur remarqua les «petites fermes» et leur nombre n’est pas mentionné ni le fait
qu’elles étaient ou non habitées.
e
5. Au paragraphe9, le CostaRica passe directement à «l’aube du XX siècle» et indique,
sans citer aucune source, que le fleuve «demeura tout de même un fleuve important permettant aux
communautés costa-riciennes du nord de communiquer entre elles...». Il est difficile de savoir de
quelles «communautés» il s’agit puisqu’il n’est pas démontré que de quelconques «communautés»
aient existé sur les rives du fleuve San Juan au début du XX siècle.
1
Voir la réponse du Nicaragua, en date du 19 mars 2009, à la question de M. le juge Koroma et ses annexes 1 à 4.
2 Les sept premiers paragraphes de la réponse du Costa Rica portent sur le transport des personnes, y compris des
immigrants, entre la partie centrale du CostaRica et l’ocn Atlantique, par le fleuve SanJuan; les observations du
Nicaragua sur cet aspect de la réponse du Costa Rica sont exposées aux paragraphes 14 à 18 ci-dessous.
3 Elías Zeledón Cartín, Viajes por la República de CostaRica, vol. II(San José, 1997), p.302, réponse du
Costa Rica, annexe 4.
4 Ibid. - 3 -
6. Aux paragraphes10 et 11, le Costa Rica cherche à montrer que des communautés
autochtones vivaient le long des deux rives du SanJuan «[d]ans les années1850». Mais les
éléments de preuve que présente le CostaRica n’ étayent pas cette thèse. Le paragraphe10 ne
contient qu’une citation tirée de ses plaidoiries deva nt le président Cleveland, dans lesquelles le
Costa Rica indiquait que des communautés autochtones vivaient le long du San Juan en 1563 . Le 5
paragraphe suivant révèle qu’ils y vivaient encore trois siècles plus tard, dans les années 1850. A
l’appui de cette affirmation, le CostaRica indi que que «[l]es voyageurs décrivaient souvent leurs
6
petites embarcations», ne citant que l’annexe2 de sa réponse du 19mars . En réalité, les
autochtones que ces voyageurs, suivant leur propr e récit, observèrent, «venaient de Granada»
(«venían de Granada») ⎯ qui se trouve sur le Lac Nicaragua, sur le rivage diamétralement opposé
7
au point de départ du fleuve SanJuan ⎯ et non des rives mêmes du SanJuan ; compte tenu de
cette observation, le fait qu’ils aient été vus navi guant sur le SanJuan n’appuie pas la thèse du
CostaRica selon laquelle ils vivaient sur les rives du fleuve, que les «voyageurs» décrivirent
comme étant couvert sur ses deux berges par un «mur de végétation dense et extraordinairement
luxuriante» [traduction du Greffe] («muralla vegetal, densa y extraordinariamente frondosa») . 8
7. Au paragraphe11, le CostaRica indique également, en ce qui concerne les années1850,
9
que «de modestes centres de peuplement s’étaient formés sur les deux rives du fleuve San Juan» .
Encore une fois, la seule source qu’il cite à ce sujet est l’annexe 2. Et, là encore, elle n’appuie pas
la thèse du Costa Rica. Au contraire, dans l’extra it auquel le Costa Rica se réfère, il n’est fait état
d’aucun centre de peuplement sur le SanJuan. Les auteurs y mentionnent en revanche deux
«auberges pour les passagers du bateau à vapeur» [traduction du Greffe] («posadas para los
10
pasajeros de los vapores») comme suit :
«L’une d’elles, sur la rive nicaragua yenne, appartient à un Allemand; l’autre,
sur la rive costa-ricienne, appartient au don Alvarado qui nous a loué le bateau et les
services de son équipage à Greytown [San Juan del Norte]. Les deux aubergistes
étaient absents, les cantines et les dépenses étaient fermées et nous étions11onc dans
l’impossibilité d’obtenir quoi que ce soit, même avec de l’argent.»
Tel est, dans l’annexe 2 (ou dans tout autre document soumis par le Costa Rica), ce qui s’apparente
le plus à une preuve de la présence de centres de peuplement ou de communautés quels qu’ils
soient sur le fleuve avant les années 1960.
5
Pedro Perez Zeledón, Argument on the Question of the Validity of the Treaty of Limits between Costa Rica and
Nicaragua (Washington D.C.: Gibson Bros., 1887) , p.33, MCR, volume3 des annexe s. Il convient de noter que,
en1563, le CostaRica n’exista it pas juridiquement. Ce n’est qu’en 1573que fut nommé le premier gouverneur de la
province de Costa Rica. Ce gouverneur, Diego de Artieda y Cherinos, quitta la ville nicaraguayenne de Granada pour son
nouveau poste en emmenant avec lui des soldats, ainsi que des fermiers et des artisans car le territoire du Costa Rica n’en
comptait pas, n’ayant eu qu’une très faible importance durant toute la périod e coloniale jusqu’en1821. Les quelques
habitants indigènes que le gouverneur du Nicaragua avait rencontré le long de s rives du fleuve en1539 avaient été
rassemblés et conduits jusqu’aux principaux établissements de la Colonie espagnole installés sur les rivages du grand lac
du Nicaragua.
6
Moritz Wagner et Carlo Scherzer, La República de CostaRica en Centro América, traduit de l’allemand par
Jorge A. Lines (San José, Yorusti Library, 1944), p. 55 et 59. Réponse du Costa Rica, annexe 2.
7 Réponse du Costa Rica, annexe 2, p. 59.
8 Réponse du Costa Rica, annexe 2, p. 59.
9 Réponse du Costa Rica, annexe 2, p. 62.
10
Réponse du Costa Rica, annexe 2, p. 62.
11
Réponse du CostaRica, annexe2, p. 62. [Original espagnol : «Una de éstas, en la orillnicaragüense, es
propiedad de un alemán ; la otra, en la orilla costarricen se, pertenece al mismo don Alvarado que nos había alquilado el
bote y 1os marineros en Greytown. Ambo s posaderos estaban ausentes y habían cerrado las cantinas y despensas, de
modo que no pudimos conseguir nada, ni con dinero.»] - 4 -
8. Enfin, au paragraphe 12, le Costa Rica s outient que ses bateliers «et [s]es riverains … ont
e
continué d’utiliser le fleuve tout au long duXX siècle». Il mentionne à l’appui huit d12larations
sous serment jointes à ses pièces écrites et deux tirées de celles du Nicaragua . Toutefois,
lorsqu’on lit véritablement ces déclarations, on découvre que toutes, sauf une, traitent de
l’utilisation du fleuve par le CostaRica, y compris par les communautés riveraines, entre les
années1960 et aujourd’hui . Seule une des déclarations sous serment mentionnées par le
Costa Rica porte sur la période précédant les ann ées 1960. Un batelier costa-ricien y prétend avoir
navigué sur le fleuve depuis les années1940 et indique que les communautés riveraines entre
lesquelles il navigua alors sont San Juan del Nort e (au Nicaragua), Barra del Colorado (sur le
Colorado, au Costa Rica, là où il re joint l’océan Atlantique) et La Virgen de Sarapiquí (à la source
du Sarapiquí au Costa Rica, à plus de 40 kilomètres en amont par rapport au San Juan) . Ainsi, les
propres éléments de preuve du CostaRica ne s outiennent pas l’affirmation de celui-ci selon
laquelle des communautés ou d’autres centres de pe uplement se trouvaient le long de sa rive du
San Juan avant les années 1960.
9. A partir de ce fait solidement établi à présent, on peut tirer la conclusion suivante : lorsque
les Parties conclurent le traité de limites en 1858, le droit de libre navigation qu’elles décidèrent
d’accorder au Costa Rica ⎯ à savoir de naviguer «con objetos de comercio» ⎯ n’était pas destiné
à inclure des droits étendus de navigation pour «les Costa-Riciens habitant la région» et ne pouvait
être destiné à inclure de tels droits pour la simple raison qu’il n’y avait aucun centre de peuplement
dans les années 1850 (ni durant les cent années qui suivirent). Par conséquent, même si, en théorie,
le Costa Rica pouvait établir d’une manière ou d’une autre, à ce stade tardif de la procédure, qu’il
existait quelques maisons éparpillées le long du Sa nJuan en 1858, aucun élément de preuve ne
semble indiquer que les Parties y pensaient, ne serait-ce qu’un peu, ni qu’elles se préoccupaient de
la navigation d’une poignée, au plus, d’habitants de la région, lorsqu’elles conclurent le traité.
Certes, le droit de libre navigation «con objetos de comercio» est ouvert à tous les Costa-Riciens, y
compris à ceux qui s’installèrent plus tard sur la ri ve droite du fleuve, bien après la conclusion du
traité. Toutefois, les droits de navigation de ces «Costa-Riciens habitant la région» ne portent que
sur la navigation «con objetos de comercio».
10. Malgré l’absence d’un droit de naviguer autrement que «con objetos de comercio», le
Nicaragua a toujours donné aux «Costa-Riciens habitant la région», par courtoisie, l’autorisation de
naviguer librement sur le fleuve à toute fin licite. Les «Costa-Riciens habi tant la région» sont
soumis aux mêmes réglementations que tous les autres utilisateurs du fleuve, à la différence que,
également à titre de courtoisie de la part du Nicaragua, ils sont exemptés des formalités d’entrée sur
le territoire nicaraguay14 et ne sont pas tenus de payer les sommes généralement exigées au titre
des frais d’inspection .
11. A l’évidence, le Nicaragua n’a violé auc un droit conventionnel du Costa Rica en ce qui
concerne l’utilisation du fleuve San Juan par «les Costa-Riciens habitant la région».
12. Le Nicaragua n’a pas non plus violé les prétendus «droits coutumiers» afférents à la
pêche de subsistance dont bénéficieraient les Costa- Riciens habitant dans la région. En premier
lieu, de tels «droits coutumiers» n’existent pas. Le Costa Rica fonde sa prétention sur l’hypothèse
12MCR, annexes 91, 92, 93, 95, 96, 103, 106 et 108 ; DN, annexes 65 et 75.
13
Voir MCR, annexe 103.
14Voir DN, par. 4.74, 4.88, 5.110; voir également DN,annexes 48, 70, 72, 73, 77 et 78; CR 2009/5, p.21,
par. 35 et p. 24, par. 42 ; CR 2009/7, p. 38-39, par. 6 ; p. 41, par. 13 ; RCR, annexe 50, p. 280. - 5 -
que les Costa-Riciens habitant la région pêchaien t sur le fleuve depuis des temps immémoriaux.
Mais c’est impossible. Comment peut-il exister une «coutume» de pêche ancienne suivie par les
«Costa-Riciens habitant la région» puisqu’il n’y avait pas de «Costa-Riciens habitant la région»
pour pratiquer cette coutume jusqu’aux années 1960 ? Le Costa Rica n’a introduit aucun élément
de preuve démontrant que qui que ce soit ait pratiqué la pêche dans le fleuve ou sur celui-ci avant
les années 1960. Il y a à cela une raison évidente. Il n’existait pas de coutume consistant à pêcher
depuis la rive costaricaine du fleuve car pers onne n’y résidait de manière permanente pour y
exercer cette activité.
13. Malgré l’absence d’un droit coutumie r, le Nicaragua a toujours autorisé les
«Costa-Riciens habitant la régi on» à pêcher pour leur subsistan ce. Le Nicaragua considère la
pêche depuis la rive droite du fleuve comme une pêch e de subsistance et l’autorise. Il n’interdit
que la pêche à des fins commerciales ou sportives qui requiert l’utilisation d’un bateau. Lorsque
les bateaux sont utilisés à des fins halieutiques, de larges filets sont tendus d’une rive à l’autre afin
d’attraper et de vendre le plus de poissons possi ble, ce que le Nicaragua juge inconsidéré et
préjudiciable pour les poissons ainsi que pour les autres espèces aquatiques, à la différence de la
pêche de subsistance, qui, dans les circonstances du fleuve SanJuan, peut fort bien être pratiquée
depuis ses rives. Le CostaRica prétend, dans sa réponse du 19ma rs, que le Nicaragua,
15
contrairement à ses dires, a interdit aux rivera ins de pêcher à des fins de subsistance . Le
CostaRica se trompe. Certes, il fait référence à certaines déclarations sous serment de pêcheurs
costa-riciens qui font état de sanctions que leur a imposées le Nicaragua. Mais, dans chaque cas,
ainsi que les déclarations elles-mêmes le font clairement apparaître, les sanctions ont été appliquées
à des personnes qui pêchaient à bord de bateaux situés au milieu du fleuve, ce que le Nicaragua
considère comme de la pêche commerciale 16. Il n’est pas démontré que le Nicaragua ait jamais
interdit de quelconques activités de pêche menées depui s la rive costa-ricienne ni n’en ait perturbé
aucune.
14. S’agissant du transport de passagers, y compris des immigrants, le long du fleuve
San Juan à destination du Costa Rica, le Nicaragua est largement d’accord avec l’exposé que fait le
CostaRica de cette pratique aux paragraphes1 à 7 de sa réponse du 19mars. En particulier, le
Nicaragua souscrit à ce que le CostaRica affirm e au paragraphe 1, à savoir que «[l]e fleuve
San Juan constituait pour le Costa Rica une voie d’accès à l’Atlantique» et que
«[d]epuis San José [la capitale du Costa Rica, située au centre géographique du pays],
par exemple, ils devaient tout d’abord parcourir quelque 70kilomètres sur terre
jusqu’au Sarapiquí, descendre celui-ci sur une quarantaine de kilomètres puis naviguer
sur le SanJuan pendant quelque 55kilomètr es jusqu’au port de SanJuan del Norte,
également connu sous le nom de Greytown».
Le Nicaragua est également d’accord avec ce qu’indique le CostaRica dans son paragraphe2, à
savoir que
15
Voir la réponse du Costa Rica, par. 25.
16
Voir les annexes 106, 107, 108 et 109 citées dans MCR, par. 5.142-5.143. - 6 -
«[l]es immigrants et les autres voyageurs u tilisaient eux aussi le fleuve pour entrer au
Costa Rica. Arrivant par le port de San Juan del Norte, ils naviguaient sur le San Juan
jusqu’à sa confluence avec le Sarapiquí qu’ils descendaient ensuite jusqu’à La Virgen,
une localité du canton de Sarapiquí. De là, ils gagnaient la région de la Vallée centrale
du Costa Rica, où la plupart d’entre eux élisait domicile.» 17
15. Alors que le Costa Rica a consacré septparagraphes au fait incontesté que les
ressortissants costa-riciens et les immigrants ont emprunté le San Juan à bord de bateaux pour se
rendre en d’autres lieux (à l’intérieur du Costa Rica ou dans l’océan Atlantique, au-delà de
San Juan del Norte), il ne mentionne nullement la manière dont ces personnes qui se rendaient au
CostaRica ou en venaient ont navigué sur le San Juan, ni dans quelles conditions. Il s’agit d’un
oubli important et, peut-être, délibéré, sachant not amment que cette question est abordée dans les
annexes jointes aux réponses du Costa Rica en date du 19mars. Il est notamment précisé, dans
l’annexe 1 communiquée par le Costa Rica, que, dans les années 1850, le transport de passagers sur
le SanJuan dans son ensemble, y compris entre son confluent avec le Sarapiquí et San Juan del
Norte, se faisait à bord des bateaux à va peur de la Nicaraguan Transit Company («de ahi [le
Sarapiquí] con los vapores de la Compañía del Transito de Nicaragua en el río San Juan»), une
société américaine sous licence nicaraguayenne.
16. Cela est confirmé par l’ annexe 2, également communiquée par le Costa Rica, qui relate
elle aussi le transport de passagers sur le San Juan entre San Juan del Norte et le confluent avec le
Sarapiquí: «on peut se rendre au confluent avec le Sarapiquí à bord des petits bateaux à vapeur
américains qu18assurent la liaison entre les deux océans et transportent les passagers de
Californie» . L’annexe du Costa Rica se poursuit en d écrivant ensuite la navigation au-delà du
San Juan, à l’intérieur du territoire du Costa Rica : il n’était possible d’emprunter le Sarapiquí pour
se rendre à l’intérieur du Costa Rica qu’à bord de «petits canots» («pe queños botes») étant donné
que «la navigation sur le fleuve lui-même, à bord de bateaux à vapeur, rest[ait] très problématique»
parce que «la profondeur des eaux dépend entièreme nt des précipitations, et qu’elle est très
19
variable» . Le document précise que «seuls les bate aux20 vapeur très étroits, d’un tirant d’eau
maximum de vingt pouces, pourraient assurer ce service» . L’annexe fait ensuite référence à une
proposition faite en 1854 par un certain Forest au Gouvernement du Costa Rica en vue de créer un
service de bateaux à vapeur de ce type sur le Sara piquí «mais, en 1855, aucun bateau à vapeur ne
naviguait sur [c]e [fleuve]» 21. En réalité, aucun élément de preuve n’atteste que ce service ait
jamais été mis en place. Le CostaRica lais se entendre, au paragraphe3 de ses réponses du
19mars, que le service de bateaux à vapeur proposé par Forest ⎯qui n’a jamais vu le jour ⎯
17Cette affirmation du Costa Rica confirme ce que le Nicaragua a dit dans sa réponse du 19 mars à la question du
juge Koroma, à savoir qu’ «il n’y avait pas de Costa-Riciens habitant la région ni d’imants» résidant sur la rive
droite du fleuve San Juan à l’époque de la conclusion du traité de limites ni durant les décennies qui ont suivi. Ainsi que
le CostaRica l’a maintenant confirmé, ses immigrants voyageaient au-delà du SanJuan, remontaient le Sarapiquí, et de
là, par voie terrestre, jusqu’à la région centrale du pays où ils s’installaient.
18Réponse du Costa Rica, annexe 2, p. 63 [original es pagnol : «Con los pequeños vapores norteamericanos, que
mantienen el trafico entre ambos océanos y que llevan a los viajeros californianosse puede llegar hasta la
desembocadura del Sarapiquí.»]
19Réponse du Costa Rica, annexe 2, p. 63 [originale epagnol: «La navegación del río mismo, por medio de
vapor, es aún bastante problemática… La altura de agua depende por completo de las lluvias y está sometida a muchos
cambios.»]
20Réponse du Costa Rica, annexe 2, p. 63 [original epagnol: «[S]ólo vapores muy angostos, con un calado
máximo de veinte pulgadas, serían capaces de mantener el servicio.»]
21Ibid., p. 63, note de bas de page ; [original espagnol : «pero la navegación del Sarapiquí por vapores, no había
empezado aún en 1855»]. - 7 -
visait également la navigation sur le San Juan. Tel n’était pas le cas. Ainsi que cela ressort
clairement de l’annexe 2, citée par le Costa Rica, le service de bateaux à vapeur proposé par Forest
visait exclusivement la navigation sur le Sarapi quí, dans les eaux du Costa Rica, où un tel service
22
n’existait pas .
17. Les réponses du Costa Rica en date du 19ma rs confirment donc ce que le Nicaragua a
lui-même dit dans ses réponses du 19mars ainsi que dans ses écritures, à savoir que le transport
commercial de passagers sur le San Juan, à l’époque où fut conclu le traité de limites, puis pendant
plus de cent ans, a toujours été contrôlé par le Nicaragua et ce, de manière exclusive. Il n’a jamais
fait l’objet d’autorisations, de permis ou d’un cont rôle du CostaRica. Les éléments de preuve
attestant ces faits sont résumés dans le cont re-mémoire du Nicaragua, aux paragraphes1.3.9
à1.3.22, dans sa duplique, aux paragraphes3.90 et3.91, et dans sa réponse du 19mars à la
question posée par M. le juge Keith.
18. A la lumière de ces éléments, désormais étayés par les documents présentés par le
CostaRica en annexe de ses réponses en date du 19 mars, on peut tirer la conclusion suivante:
lorsque les Parties signèrent le traité de limite s en1858, le droit de libre navigation dont elles
convinrent que le Costa Rica jouirait ⎯ à savoir le droit de naviguer «con objetos de comercio» ⎯
ne visait pas à englober, et ne pouvait le faire, le transport commercial de passagers sur le San Juan
lui-même (par opposition au transport sur les afflue nts et défluents costa-riciens du fleuve) pour la
simple raison qu’il s’agissait d’un droit que le Ni caragua exerçait de manière exclusive, qui était
extrêmement précieux et important pour lui, et qu’il n’avait nullement l’intention de le céder ou de
le partager avec le Costa Rica, lequel n’a, à l’époque, nullement manifesté le besoin ou l’envie d’en
jouir. Cette interprétation du traité était manifestement partagée par les Parties, au moins durant les
centans qui suivirent sa conclusion, ainsi que le re flète leur pratique constante au cours de cette
période: le Nicaragua, et lui seul, assurait le contrôle, délivrait des permis et autorisait la
circulation de passagers sur le San Juan; non seu lement le Costa Rica n’ assurait aucune de ces
fonctions, mais il n’a jamais cherché à le faire et n’a jamais protesté contre le fait que seul le
Nicaragua les exerçait.
Les réponses à la question posée par le juge Keith
19. Dans sa réponse à la question posée par le juge Keith, le Costa Rica lutte tant bien que
mal contre les éléments de preuve relatifs au transport sur le San Juan de passagers, par opposition
aux marchandises, en s’obstinant à se prétendre titu laire d’un droit de transporter des passagers sur
le fleuve tant à des fins commerciales qu’à des fins non commerciales, et ce contre paiement ou
non . Pour parvenir à cette conclusion, le Costa Rica prête «un caractère extensif et non limitatif»
24
à l’expression «con objetos de comercio» qui figure à l’article VI du traité de 1858 .
20. Avec cet argument, le Costa Rica en dit peut -être plus long qu’il ne le voudrait. En
particulier, il confirme ce que le Nicaragua a t oujours dit de ses véritables motivations en la
présente instance: il veut «augmenter» les droits de navigation que lui confère le traité de1858.
Le Costa Rica ne se satisfait pas de son droit de libre navigation que l’articleVI limite
expressément à la navigation «con objetos de comercio» parce que ce droit-là ⎯ celui de
transporter du café et d’autres articles de commerce sur le fleuve ⎯ a perdu toute véritable valeur
22Ibid.
23
Réponse du Costa Rica, par. 15 et 18.
24Ibid., par. 16. - 8 -
pour lui peu après la conclusion du traité, lorsqu ’il cessa d’utiliser le San Juan pour exporter et
25
importer des marchandises . Depuis cette époque, il a cherché à tirer du traité des droits qui
auraient de la valeur pour lui, mais qui ne lui on t pas été accordés. Lors de l’arbitrage devant le
président Cleveland, il a tâché d’élargir le champ de l’articleVI pour y inclure un droit de faire
naviguer des bateaux de guerre et d’autres navires officiels. Tout ce qu’il a obtenu du président
Cleveland, c’est la reconnaissance d’un droit de faire naviguer les bateaux de son service des
douanes ⎯ non ses bateaux de guerre ou autres navires officiels ⎯ et ce uniquement dans le cadre
d’une navigation «con objetos de comercio». En l’espèce, il veut élargir encore davantage la
portée de l’article VI, pour y inclure un droit de faire naviguer tous les bateaux officiels ainsi que
les bateaux privés, y compris les bateaux de sa po lice avec des hommes en armes à leur bord, et de
transporter des passagers de toutes sortes, à titre onéreux ou non. L’interprétation «extensive» que
le Costa Rica fait de l’articleVI suppose (et même impose) de traduire le terme «comercio» par
«communication», si bien que toute navi gation d’un point à un autre constitue une
«communication» et donc un «comercio» entre les deux 26. Pour le Costa Rica, «navegación con
objetos de comercio» signifie donc «navigation aux fins de naviguer entre deux points, quels qu’ils
soient». Ce «caractère extensif», pour reprendr e l’expression du Costa Rica, aurait pour effet non
seulement d’augmenter les droits que celui-ci tient de l’articleVI, mais aussi de leur ôter toute
limite, et de lui permettre ainsi de faire naviguer sur le fleuve t ous ses bateaux, à toutes fins, avec
ou sans cargaison commerciale, avec ou sans passagers.
21. Il est désormais clair, s’il ne l’était pas déjà, que telle est exactement l’intention du Costa
Rica. Mais son intention est inconciliable avec le libellé de l’articleVI. Interprétée comme le
Costa Rica le voudrait, en effet, l’expression «con obj etos de comercio» perdrait tout son sens. Le
Costa Rica n’en fait pas seulement une lecture «extensive» ⎯encore que même celle-ci serait
injustifiée ⎯, mais il la lit d’une manière qui la rend pa rfaitement inutile et dépourvue d’objet, au
mépris des principes fondamentaux de l’interprétation des traités d écoulant du droit général en la
matière. Les termes «con objetos de comercio» ne peuvent avoir de sens qu’en tant que termes
limitatifs, réduisant le droit de libre naviga tion du Costa Rica à la navigation «con objetos de
comercio». Cela signifie nécessairement que ce dernier n’est pas titulaire d’un droit de libre
navigation si ce n’est «con objetos de comercio».
22. Le Nicaragua soutient respectueusement que la navigation aux seules fins de transporter
des passagers, par opposition au transport de marc handises, ne constitue pas et ne peut constituer
une navigation «con objetos de comercio» au sens de l’article VI. Que la navigation «con objetos
de comercio» signifie «avec des articles de commerce» ou «aux fins du commerce», elle ne
s’applique pas au transport de passagers à titre comm ercial, puisque les éléments de preuve soumis
à la Cour par les deux Parties, y compris ceux qui sont exposés aux paragraphes 14 à 17 ci-dessus,
montrent que lorsque celles-ci conclurent le tra ité de 1858, elles n’entendaient pas priver le
Nicaragua de son droit exclusif de pratiquer et de contrôler le transport de passagers sur le fleuve.
Si elles avaient voulu investir le Costa Rica de ce droit, elles auraient indiqué que celui-ci avait le
droit de transporter des passagers ainsi que des marchandises sur le fleuve, une précision contenue
27
expressément dans d’autres traités et accords de l’époque . Elles ne l’ont pas fait.
25Voir CMN, par.4.2.8., 4.2.17., 4.3.1; voir égalemen t CMN, annexe69; DN, pa r. 3.53-3.57, 4.10-4.11 ; DN,
annexe 50 ; CR 2009/5, p. 44-46, par. 6.-9 ; CR 2009/7, p. 48, par. 29.
26
Réponse du Costa Rica, par. 14.
27Voir DN, par. 3.91. - 9 -
23. Au paragraphe17 de sa réponse du 19mars à la question du juge Keith, le Costa Rica
énumère six différentes formes sous lesquelles s’ est exercé son prétendu «droit de navigation des
28
personnes, transportées ou voguant par leurs propres moyens» . La liste que le Costa Rica dresse
de ses utilisations effectives du fleuve ne prouve nullement l’existence ou l’étendue de son «droit
de navigation» aux termes du tra ité de 1858. Le Costa Rica confond la navigation que ce traité
l’autorise à exercer de plein droit ⎯qui se limite au «transport de marchandises, notamment
d’articles de commerce, tant entre les villages costa-riciens qu’à destination de villages
nicaraguayens comme San Juan del Norte», comme indiqué à l’alinéa e) du paragraphe17 de sa
réponse du 19 mars ⎯ et la navigation que le Nicaragua l’autorise à exercer par courtoisie, dont il
fait état aux alinéas a) à d) et à l’alinéa f) du paragraphe17. Seule sa navigation de plein droit,
pour le «transport de marchandises, notamment d’articles de commerce» ⎯ telle qu’indiquée à
l’alinéa e) du paragraphe17 ⎯a été exercée de manière continue depuis la conclusion du traité
de 1858 ; c’est uniquement dans les années 1960 au plus tôt que le Costa Rica s’est mis à utiliser le
fleuve à l’une quelconque des autres fins é numérées au paragraphe17. Aux alinéas a) et b), par
exemple, le Costa Rica mentionne la navigation de ses bateaux de tourisme, laquelle a débuté dans
les années 1990 et ne constitue pas, du point de vue du Nicaragua, une navigation «con objetos de
comercio». Toutefois, le Nicaragua a autorisé par courtoisie le Costa Rica à pratiquer cette forme
de navigation, pourvu qu’il respecte la réglementation régissant la navigation sur le fleuve San Juan
d’une manière générale. De même, aux alinéas c) et d), le Costa Rica mentionne la navigation des
habitants de sa rive, y compris les écoliers; or, comme il a été exposé plus haut, aucune
communauté locale ne s’était formée sur la rive droite du fleuve avant les années1960, et les
habitants du secteur n’ont aucun droit de navigati on, si ce n’est avec des marchandises ou d’autres
29
articles de commerce ; pourtant, le Nicaragua les y a autorisés par courtoisie, à condition qu’ils
respectent la réglementation a pplicable. Enfin, l’alinéa f) du paragraphe17 ajoute à la liste le
«transport d’agents de la fonction publique pour assurer aux habitants de la rive costa-ricienne du
fleuve des services essentiels dans les domaines de l’ aide sociale, de la santé, de l’éducation et de
la sécurité». Le Nicaragua a déjà démontré que la navigation des agents de la fonction publique à
bord de bateaux officiels pour exercer des fonc tions gouvernementales, dont il n’existe aucune
trace avant les années 1990, n’entre pas dans le cadre de la navigation «con objetos de com30cio» et
que, dès lors, le Costa Rica n’a nullement le droit de s’y livrer sur le San Juan . Toutefois, le
Nicaragua a laissé les agents de la fonction pub lique costa-ricienne emprunter le San Juan pour
assurer des services gouvernementaux, pourvu qu’ils se conforment à la réglementation applicable
à la navigation sur le fleuve d’une manière générale. Il leur permet de naviguer sur le fleuve à bord
de n’importe quel type de bateau, public ou privé, les seuls à être exclus étant ceux de la police
costa-ricienne puisque, depuis juillet1998, il a in terdit le fleuve à ces derniers. Le Nicaragua a
déjà démontré que le Costa Rica n’avait nullement le droit de faire naviguer les bateaux de ses
forces de police sur le fleuve 31, mais qu’il avait tout de même laissé ceux-ci l’emprunter pour des
besoins limités et sous des conditions st32ctes, ju squ’à ce que le Costa Rica abuse de sa courtoisie
entre les mois de mai et de juin 1998 .
24. En somme, le Costa Rica n’est pas parvenu à démontrer, sur la base du libellé du traité
de 1858, des règles régissant l’interprétation des traités ou des éléments de preuve liés à la pratique
des Parties, qu’il était titulaire d’un droit de tr ansporter des passagers su r le fleuve San Juan,
moyennant paiement ou non.
28Réponse du Costa Rica, par. 17 a)-f).
29Voir par. 9 et 10 ci-dessus.
30
Voir CR2009/5, p.43, par.5; p.54-55, par.25-28 ; p. 26-42, par. 4-44 ; CR 2009/7, p. 52-54, par. 37-41 ;
p. 31-37, par. 2-15.
31
CR 2009/5, p. 26-42, par. 4-44; p. 46-54, par. 10-24; CR 2009/7, p. 31-37, par. 2-15 ; p. 48-52, par.31-37.
32Voir DN, par. 5.82-5.91, 5.101-5.108. - 10 -
Les réponses à la question posée par le juge Bennouna
25. Dans sa réponse du 19 mars à la question du juge Bennouna, le Costa Rica nie avoir été
consulté par le Nicaragua au sujet de l’une quelconque des dispositions prises par celui-ci pour
réglementer la navigation sur le fl euve San Juan, et nie que la plupart d’entre elles soient issues
d’un processus consultatif ou aient été modifiées ains i. Ce faisant, le Costa Rica ne tient aucun
compte des faits essentiels, qui sont avérés par les archives officielles de l’époque ⎯ y compris les
accords conclus entre les deux Etats et les pr ocès-verbaux approuvés des séances de leur
commission binationale, que le Nicaragua a cités et inclus dans sa propre réponse du 19 mars à la
33
question du juge Bennouna .
26. Au paragraphe 20 de sa réponse du 19 mars, le Costa Rica reproche au Nicaragua d’avoir
adopté en mars 1994, sans le consulter au préal able, la disposition obligeant les ressortissants
étrangers naviguant sur le San Juan à se procurer une carte de touriste nicaraguayenne (de 5 dollars
pièce), et affirme avoir protesté. Le Nicaragua maintient que, ayant souveraineté sur le fleuve, il
lui est loisible de prendre des mesures raisonnabl es pour réglementer la navigation sur le fleuve
sans devoir en référer préalablement au Costa Rica . Cela étant, il ressort du dossier que, suivant
l’échange de correspondance diplomatique entre le s deux Etats dont le Costa Rica a fait mention,
ceux-ci sont parvenus à un accord en juin 1994, à savoir que le Nicaragua maintiendrait
l’obligation d’acquérir une carte de touriste et f ournirait aux agences de voyage costa-riciennes ces
cartes «qu’ell34 s[eraie]nt tenues d’acheter, de rem plir correctement et de remettre aux autorités
pertinentes» . Les deux Etats avaient aussi convenu «d’entreprendre les travaux de construction et
de rénovation nécessaires» aux postes de contrôle situés le long de la rive «pour permettre aux
navires et aux touri35es de se conformer de façon efficace, rapide et sûre aux formalités d’entrée
sur le territoire» . Ces «formalités d’entrée sur le territo ire» comprenaient non seulement les
cartes de touriste mais aussi les droits d’immigr ation de deux euros prélevés par le Nicaragua à
36
l’entrée et à la sortie de son territoire . Compte tenu de cet accord, signé par les ministres du
tourisme des deux Etats, le Costa Rica ne peut dé plorer aujourd’hui les formalités d’entrée sur le
territoire du Nicaragua, ni prétendre n’avoir joué au cun rôle dans leur élaboration ou ne pas les
avoir approuvées. En fait, les consultations se sont poursuivies entre les Parties au sujet de ses
réglementations, et le Costa Rica ne peut s’en prendre qu’à lui-même si le Nicaragua n’exempte
pas les ressortissants costa-riciens (autres que les riverains) de l’obligation d’acquérir sa carte de
touriste et de se plier à ses formalités. En sep tembre2002, en effet, les ministres des affaires
étrangères du Nicaragua et du Costa Rica avaient signé un accord, soumis par ce dernier à
l’annexe 29 de son mémoire , dans le cadre duquel ils avaient convenu que le Costa Rica
supprimerait le droit qu’il faisait acquitter aux Nicar aguayens pour obtenir un visa costa-ricien, et
que, «[a]u moment où le Gouvernement du Costa Rica supprimera[it] le droit applicable aux visas,
le Gouvernement du Nicaragua élim inera[it] au niveau national le droit perçu sur les cartes de
37
touriste et de services du contrôle des frontièr es qui sont délivrées aux citoyens costa-riciens» .
Plus de six années se sont aujourd’hui écoulées depuis la conclusion de cet accord, et le Costa Rica
n’a toujours pas respecté son obliga tion de lever le droit de visa acquitté par les ressortissants
nicaraguayens. Lorsqu’il s’y conformera, si tant est qu’il le fasse, le Nicaragua sera disposé à
honorer son engagement d’exempter tous les ressortissants costa-riciens de l’obligation d’acquérir
sa carte de touriste et de se plier aux formalités d’entrée sur son territoire.
33Voir la réponse du Nicaragua, annexes 5, 6 et 7.
34MCR, vol. II, annexe 26, p. 187 ; les italiques sont de nous.
35
Ibid., p. 187-188 ; les italiques sont de nous.
36
Voir DN, vol. II, annexe 73, p. 455.
37MCR, vol. II, annexe 29, p. 199. - 11 -
27. Au paragraphe 21 de sa réponse, le Costa Rica prétend ne pas avoir été consulté avant
que le Nicaragua interdise le fleuve aux bateaux de ses forces de police, interdiction ayant pris effet
le 14juillet1998. Le Nicaragua maintient que le Costa Rica n’a nullement le droit de faire
naviguer les bateaux de sa police sur le fleuve et que, avant le 14juillet1998, il ne38e faisait
qu’après avoir demandé et obtenu au préalable une autorisation expresse de sa part . Dès lors, sur
le plan juridique, le Nicaragua n’était aucunement tenu de consulter le Costa Rica ou de l’informer
avant de décider de ne plus consentir à cette navi gation. Cela étant, le rapport de polier officiel
établi à l’époque par les propres services du Costa Rica indique que, le 1 juillet 1998,
deux semaines avant de lui signifier cette interdicti on, le Nicaragua avait averti le Costa Rica qu’il
ne tolèrerait plus que sa police navigue sur le fle uve pour intercepter et arrêter des Nicaraguayens 39
dans les eaux nicaraguayennes, et il lui avait demandé instamment de faire cesser cette pratique .
Cette pratique ayant persisté malgré l’aver tissement du Nicaragua, le commandant militaire
nicaraguayen responsable du San Juan envoya l’ un de ses hommes informer personnellement le
commandant de la police du Costa Rica que le San Juan serait dorénavant interdit aux bateaux de la
police costa-ricienne. Cela ressort également des propres registres du Costa Rica 40. Là encore, ce
dernier n’a aucune raison de se plaindre. En fa it, son propre président, AbelPacheco, a reconnu
en 2002 que le Costa Rica n’avait aucune raison de tirer grief de l’impossibilité pour ses forces de
police de naviguer sur le fleuve San Juan. Pour citer le président du Costa Rica, dont les propos
ont été publiés: «Il faut comprendre qu’il est absu rde, pour un Etat qui n’a pas d’arm ée, d’avoir
maille à partir avec un autre au sujet du passage de personnes en armes sur un fleuve navigable qui
est en voie d’assèchement. Dans ces conditions, à quoi rime cette querelle ?» . 41
28. Le Costa Rica affirme au paragraphe 22 de sa réponse que, aux mois d’août et de
septembre1998, «le Nicaragua commença à empêcher le passage d’autres agents de la fonction
publique costa-ricienne». Les éléments de preuve dont il se prévaut n’appuient pas cette
affirmation. Le Costa Rica ne cite que les paragraphes5.97 à 5.98 de son mémoire, lesquels
renvoient eux-mêmes à deux annexes du mémoire, à savoir la 150 et la 52. Toutefois, lorsque l’on
consulte les annexes citées, l’affirmation du Costa Rica disparaît. L’annexe 150 expose seulement
comment des fonctionnaires costa-riciens navigant à bord de bateaux de la police se sont vus
interdire l’accès au San Juan, le Nicaragua ayant interdit le fleuve aux bateaux de la police
costa-ricienne à compter de juillet1998. Celui- ci n’a empêché aucun représentant de la fonction
publique costa-ricienne d’emprunter le San Juan à bord d’autres bateaux, publics ou privés, en
dépit du fait que les intéressés n’avaient nulle ment le droit d’y naviguer puisque ce n’était
manifestement pas avec des «objetos de comercio». En fait, les propres éléments de preuve du
Costa Rica montrent que les fonctionnaires costa- riciens en question furent autorisés à naviguer
42
lorsqu’ils revinrent à bord d’une embarcation privée . L’annexe 52 fait état de s retards, de la part
du Nicaragua, pour autoriser à passer par le fleuve certains agents des services de santé
costa-riciens qui participaient à la campagne de vaccination du bétail contre la lucilie. Pourtant, les
propres éléments de preuve du Costa Rica montrent que le Nicaragua a délivré à ces fonctionnaires 43
l’autorisation demandée, et que ceux-ci ont pu mener à bien le programme de vaccination .
29. Au paragraphe 23, le Costa Rica reproche au Nicaragua de s’être «mi[s] … à imposer des
horaires de navigation sur le fleuve» en1999. Il se réfère là avec exagération à la disposition
nicaraguayenne, en fait adoptée en1994, portant interdiction de la navigation nocturne sur le
38
Voir CMN, p. 214-224 ; DN, p. 264-269 ; p. 284-292.
39Voir MCR, vol. VI, annexe 227, p. 963.
40Ibid., p. 964.
41
CMN, vol. II, annexe 81.
42
MCR, vol. V, annexe 150, p. 670.
43Voir MCR, vol. III, annexe 53. - 12 -
44
fleuve, sauf en cas d’urgence . Applicable à tous les bateaux, y compris ceux du Nicaragua, cette
interdiction a été jugée nécessaire pour assurer la sécurité de la navigation. Le Costa Rica ne s’en
plaignit pas à l’époque, pas plus qu’au cours d es années1990, et il reconnaissait déjà lorsqu’il
plaida devant le président Cleveland que la na vigation nocturne sur le fleuve n’était pas sans
risques 45; aux audiences, le conseil du Costa Rica a reconnu que l’interdiction par le Nicaragua de
naviguer une fois la nuit tombée constitua46 un moyen—certes pas celui qu’il préférait ⎯
d’assurer la sécurité de la navigation . Les éléments de preuve ont démontré que, selon une
pratique déjà ancienne, Costa-Riciens et Nicaraguaye ns ne s’aventuraient pas sur le fleuve la nuit
47
car ils étaient eux-mêmes bien conscients des risques encourus .
30. Au paragraphe24, le CostaRica incrimine un certain nombre de dispositions
réglementaires nicaraguayennes qui auraient été adoptées en2001 mais qui, en fait, l’ont été bien
avant, en consultation avec le CostaRica lui-même et avec son approbation. Le CostaRica
dénonce notamment l’obligation, pour tous les batea ux, de faire halte et de s’enregistrer aux postes
de contrôle nicaraguayens, de subir des inspections aux fins de l’établissement de certificats
d’appareillage et de payer pour ce service, ainsi que de l’obligation, pour les Costa-Riciens (autres
que les riverains), d’acheter des cartes de touris te et de couvrir les frais liés au contrôle des
frontières lorsqu’ils empruntent le fleuve. Le CostaRica ne fait aucun cas des comptes rendus
finaux agréés des réunions de la commission bina tionale en1995 et 1997, ni de l’accord conclu
entre les ministres du tourisme des Parties en1994 lorsque ces mesures ont été approuvées de
manière concertée et conjointe. Selon le comp te rendu de 1995, «le Gouvernement du Costa Rica
prend acte des efforts déployés par le Gouvernement du Nicaragua concernant l’installation de
postes de contrôle dans la province du Sa nJuan [mentionnant expressément les postes
nicaraguayens de Sarapiquí, El Delta et San Juan del Norte]» . Selon le compte rendu de 1997,
«il a été convenu que le Nicaragua s’efforcera d’établir des postes à des endroits
déterminés… En ce qui concerne les mouvements de navires, il a été jugé nécessaire
que ceux-ci naviguent uniquement s’ils ont été dûment enregistrés par les postes qui
délivrent les certificats de navigation correspondants , en l’espèce, les postes de
San Juan del Norte, de San Carlos et de Sarapiquí.» 49
La partie pertinente de l’accord conclu par les ministres du tourisme en 1994 a déjà été citée plus
haut. Par conséquent, l’obligation, pour tous les bateaux, y compris les bateaux costa-riciens, de
faire halte et de s’enregistrer aux postes de contrôle nicaraguayens, et de ne continuer à naviguer
sur le fleuve qu’après s’être vu délivrer des certificats d’appareillage par le Nicaragua, ainsi que
l’obligation, pour les Costa-Riciens, d’acquitter des droits pour une carte de touriste et pour couvrir
les frais liés au contrôle des frontières, ont été convenues de manière concertée et consensuelle
entre les parties et appliquées avant 1998.
31. Il semble y avoir une raison pour laquelle le CostaRica affirme subitement que ces
dispositions règlementaires ont été adoptées en 2001, alors que tous les éléments de preuve
montrent qu’elles ont été appliquées, certaines mê me à la suite d’accords, entre 1994 et 1997.
Dans son mémoire, le CostaRica reconnaît qu’a vant juillet1998 ses droits de navigation sur le
44
Voir la déclaration sous serment de M. Membreño, réponse du Nicaragua, annexe 7.
45
DN, vol. II, annexe 5, p. 160-161.
46Voir CR 2009/3, p. 32, par. 26 e).
47DN, p. 209-211; voir également l’annexe 73, par. 9.
48Réponse écrite du Nicaragua aux ques tions posées aux Parties par MM. le s juges Koroma, Keith et Bennouna,
annexe 6, p. 11.
49DN, vol. II, annexe 4, p. 24 ; les italiques sont de nous. - 13 -
50
SanJuan n’étaient pas violés de manière systématique par le Nicaragua . Par conséquent, les
mesures qui ont été systématiquement mises en application avant juillet1998, c’est-à-dire
l’ensemble des dispositions réglementaires dont il s’agit ici, n’ont ⎯de son propre aveu ⎯ pas
porté atteinte aux droits du CostaRica. Voilà qui explique pourquoi celui-ci s’ingénie tant à les
postdater, les situant, sans plus de précisions, en 2001.
32. Aux paragraphes25 et 26, le CostaRica tient grief d’abord de ce que, pour ses
travailleurs médicaux et sociaux, le Nicaragua «a fait du passeport une obligation et subordonné la
navigation sur le fleuve à l’obtention d’un visa ni caraguayen», puis de ce que, l’année suivante, le
Nicaragua «a édicté une règle obligeant les trav ailleurs médicaux et sociaux du CostaRica…à
demander auprès de l’ambassade du Nicaragua une autorisation écrite de naviguer sur le fleuve».
Le Nicaragua relève que, comme il l’a indiqué au paragraphe1.3.20 de son contre-mémoire,
l’obligation qu’il impose à tous les ressortissants étrangers entrant sur son territoire d’être munis
d’un passeport valide n’est pas une nouveauté; elle est en vigueur à tous les points d’entrée, y
compris sur le San Juan, depuis la promulgation du décret du 11 septembre 1862. Mais ce que ces
deux griefs du CostaRica ont d’étrange, assu rément, c’est que la seconde obligation ⎯ imposant
aux fonctionnaires costa-riciens d’obtenir l’auto risation écrite de l’ambassade nicaraguayenne et
non d’acquitter des droits de visa d’un montant de 20dollars ⎯ reflète en fait un relâchement
délibéré de l’obligation de visa de la part du Nicaragua, qu
i se montre ainsi conciliant à l’égard du
Costa Rica après les protestations émises par celui-ci au sujet de cette obligation. Le Nicaragua a
récemment adopté une nouvelle procédure par laquelle les visas et/ou autorisations écrites
permettant d’entrer au Nicaragua, et d’emprunter le San Juan, peuvent être obtenus directement aux
postes de contrôle du Nicaragua sur le fleuve, sans qu’il soit nécessaire de se rendre à l’ambassade
51
ou aux consulats nicaraguayens au Costa Rica . Cette nouvelle disposition facilite également les
procédures d’entrée au Nicaragua par le SanJuan ou par tout autre point de son territoire. Le
Nicaragua maintient, bien entendu, qu’il a un droi t souverain de contrôler ses frontières et de
réglementer l’entrée des étrangers sur son territoire et que, ce faisant, il est libre, comme le sont les
autres Etats souverains, d’exiger de tous les étrangers, ou des ressortissants de certains pays,
d’obtenir des visas avant d’être autorisés d’entrer au Nicaragua 52. Le Costa Rica, qui interdit aux
étrangers d’entrer sur son territoire sans être muni s d’un visa costa-ricien, n’a aucune raison de se
plaindre. Pourtant, le Nicaragua a entendu les griefs du Costa Rica, les a pris en considération et a
modifié en conséquence ses dispositions en matière de visa.
33. Enfin, les éléments de preuve n’étayen t pas l’affirmation du CostaRica selon laquelle
«[l]e Nicaragua n’a ni informé ni consulté le CostaRica avant de soumettre la navigation
costa-ricienne sur le fleuve San Juan à une que lconque mesure ou au versement d’un droit», ainsi
qu’il est indiqué au paragraphe 19 de la réponse du Costa Rica en date du 19 mars. C’est en fait le
contraire qui ressort des éléments de preuve. Ceux-ci montrent que, si le Nicaragua n’a jamais
50Voir, par exemple, MCR, par. 3.02.
51Décret présidentiel nicaraguayen n 07-2009 du 13 mars 2009, dont l’article premier est ainsi libellé :
«Conformément à l’accord portant création d’un vi sa centraméricain unique aux fins de la libre
circulation des étrangers, approuvé et ratifié par l’Assemblée nationale le 12décembre2006 et publié
dans le n 13 du Journal officiel du 18 janvier 2007, les ressortissants de pays classés dans la catégorie B,
celle des visas à délivrance automatique, qui souhaitent voyager au Nicaragua se verront accorder le visa
correspondant sans préjudice de la nécessité de sconformer aux dispositions de la loi à chaque fois
qu’ils pénètrent sur le territoire national, à tous les postes frontière ⎯ maritime, aérienne ou terrestre ⎯
et devront se présenter aux serv ices du contrôle des frontières, à ces postes, afin d’y acquitter un droit
couvrant le montant du visa et de la carte de touriste.»
52Voir CR 2009/5, p. 12-15, par. 14-20 ; p. 24-25, par. 43 ; CR 2009/7, p. 44, par. 18 ; voir aussi DN, p. 215-218. - 14 -
faibli dans sa conviction selon laquelle, en tant que souverain sur le fleuve, il a le droit de
réglementer la navigation de ma nière raisonnable sans consulter le CostaRica ni obtenir son
approbation, les dispositions nicaraguayennes régissan t la navigation sur le fleuve sont en fait le
résultat d’un processus reposant presque toujours sur la consultation, le dialogue, le commun
accord, les concessions mutuelles et la volonté de compromis à l’égard du Costa Rica.
La Haye, le 26 mars 2009.
(Signé) Carlos J. Argüello G ÓMEZ ,
Agent de la République du Nicaragua.
___________
Observations du Nicaragua sur la réponse écrite du Costa Rica aux questions posées aux Parties par MM. les juges Koroma, Keith et Bennouna à la fin de l'audience publique tenue le 12 mars 2009 (traduction)