COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE AHMADOU SADIO DIALLO
(République de Guinéec. Républiquedémocratique du Congo)
Contre-mémoire de la Républiquedémocratiquedu Congo
(Phase de fixation de l'indemniàéla Guinéepar la RDC)
Partie 1 (Texte) et Partie II (Annexes)
21 février 2012 1
TABLEOESMATIERES
Partie 1- Texte du contre-mémoire
1ntrod uction .......................................................
.......................................1
Section 1 - Ledommage immatériel subi par M. Oiallo...........................................6 .
1- Lefondement du dommage immatériel. ..................................................7 .
11- Fixation du montant de l'indemnité pour réparer le dommage
immatériel su bi par M. Oiallo..............................:....................................7
A. LaCour interaméricaine des droits de l'homme ................................8 .
B. LaCour européenne des droits de l'homme ..................................... l0
B.1. Affaire A. et autres c. Royaume-Uni. .......................................0.1
B.2. Affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce..........................................2..1
B.3. Affaire Assanidze c. Géorgie..................................................3....1
B.4. Affaire lIascu et autres c. Moldova et Russie............................15
C. Le montant de l'indemnité due à la Guinée pour réparer
le dommage immatériel subi par M. Oiallo................................1 . 9
Section 11-Lesdommages matériels subis par M. Oiallo...,.................................2 . 2
1- Laperte de revenus professionnels ....................................................2..2
A- La perte de revenus professionnels de 80 000 USO........................ 23
B- Le manque à gagner de 6 430 148 USO...........................................5.2
11- Laperte des actifs (y compris les avoirs en banque) ............................3 . 3
111- Laperte potentielle de gain..............................................................8.....3
Section 111-Lesfrais de procédure...............................................................
.3......
Section IV- Le paiement des intérêtslégauxmoratoires .................................... .47
Section V- Conclusions.............................................................
..............8....4 2
Partie 11- Annexes au contre-mémoire
Annexe 1 .........................................................
..................................5.1.......
Annexe Il.............................................................
.................................5.2.......
Annexe III.............................................................
................................53........
Annexe IV...............................................................
...............................5.4....... Partie 1
Texte du contre-mémoire Introduction
01. Aux tennes de son arrêt rendu sur le fond. du présentdifférenden
date du 30 novembre 2010, la Cour internationale de Justice a condamné
la République démocratique du Congo (ci-après « RDC ») à payer une
indemnité à la République de Guinée (ci-après « Guinée») en vue de
réparer le préjudice que celle-ci a subi du fait des détentions et de
l'expulsion illicites de M. Ahmadou Sadio Diallo en 1995-1996.
02. A ce propos, la Cour a déclaréce qui suit':
«La Cour ayant conclu que la République démocratique du Congo
avait violéles obligations lui incombant en vertu des articles 9 et
13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, des
articles 6 et 12 de la Cbarte africaine des droits de l'homme et des
peuples, ainsi que l'alinéb)du paragraphe 1 de l'article 36 de la
convention de Vienne sur les relations consulaires (... ), il lui
appartientmaintenant de détenniner,à la lumièredes conclusions
finales de la Guinée,quelles sont les conséquences découlantde
ces faits internationalement illicites qui engagent la responsabilité
internationalede la RDC. »
La Cour rappelle que la «réparationdoit, autant que possible,
effacer toutes les conséquencesde l'acte illicite et rétablirl'étatqui
aurait vraisemblablement existé si ledit acte ilavait pas été
commis» (Usine de Chorzow,fond, arrêtn° 13, 1928, c.P.J! série
A nO 17, p.4l). Lorsque cela n'est pas possible, la réparation peut
prendre «la fonne de l'indemnisationou de la satisfaction, voirede
J'indemnisationet de la satisfaction(Usines de pâte àpapier sur
lefleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêtdu 20 avril 2010,
par.273). Au vu des circonstances propresàl'e~pè ec earticulier
du caractèrefondamental des obligations relatives aux droits de
1 Voir CIJ, Affaire Ahmadou Sadio Diallo, t u 30 novembre 2010, §§ 160,
161,162 et 163. 2
l'homme qui ont étéviolées et de la demande de réparation sous
forme d'indemnisation présentéepar la Guinée, la Cour est d'avis
que, outre la constatation judiciaire desdites violations, la
réparation due à la Guinée à raison des dommages subis par M.
Dialla doit prendre la forme d'une indemnisation.
A cet égard,dans ses conclusions finales, la Guinéea demandéà la
Cour de surseoir à statuer sur le montant de l'indemnité, afm de
permettre aux Parties de parvenir à un règlement concerté. Dans
l'hypothèse où les Parties ne pourraient, « dans un délaide six mois
suivant le prononcé dru présent] arrêt», s'accorder à ce sujet, la
Guinéel'a également priée de l'autoriser à présenter une évaluation
du montant de l'indemnité qui lui est due afin que la Cour puisse en
décider«dans une phase ultérieurede la procédure».
La Cour estime que les Parties doivent effectivement mener les
négociations afin de s'entendre sur le montant de l'indemnité
devant êtrepayée par la RDC à la Guinée à raison du dommage
résultant des détentions et de l'expulsion illicites de M. Diallo en
1995-1996, y compris la perte de ses effets personnels qui en a
découlé ».
03. Dans le dispositif de son arrêt,la Cour a, à l'unanimité 2:
{( Dit que, eu égardaux conditions dans lesquelles M. Diallo a été
expulsé du territoire congolais le 31 janvier 1996, la République
démocratique du Congo a violé l'article 13 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, ainsi que l'article 12,
paragraphe 4, de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples;
Dit que, eu égard aux conditions dans lesquelles M. Dialla a été
2Voir CIl, arrêtdu 30 novembre 2010, § 165, points 2, 3, 7 et 8. 3
arrêtéet détenu en 1995-1996 en vue de son expulsion, la
République démocratique du Congo a violél'article 9, paragraphes
1 et 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
ainsi que l'articl6 de la Charte africaine des droits de l'homme et
des peuples;
Dit que la République démocratique du Congo a l'obligation de
fournir une réparation appropnee, sous la forme d'une
indemnisation à la République de Guinée pour les conséquences
préjudiciables résultantdes violations d'obligations internationales
viséesaux points 2 et 3 ci-dessus;
Décid[é]que, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d'accord
à ce sujet dans les six mois à compter du présentarrêtl,a question
de l'indemnisation due à la Républiquede Guinéesera réglée par la
Cour, et réserveà cet effet la suite de la procédure».
04. Il est donc clair, selon l'arrêtde la Cour, que l'indemnité que la RDC
doit payer à la Guinée concerne la réparationdu dommage résultantdes
détentions et de l'expulsion illicites de M. Diallo en 1995-1996, y
compris la perte de ses effets personnels qui en a découlé.
05. Les deux Parties n'ayant pas réussipendant le délaide six mois fixé
par la Cour à conclure un accord sur le montant de l'indemnitédue par la
RDC à la Guinée, le Président de la Cour les a invitées à venir le
rencontrer à La Haye le 14 septembre 2011 en vue de les entendre sur la
suite de la procédure. Au cours de cette réunion, la RDC a exprimésa
ferme volonté de payer une indemnitéà la Guinée en exécution de l'arrêt
de la Cour. Elle a néanmoins regretté que les difficultés de
communication entre les deux gouvernements et des raisons de politique
intérieure n'aient pas permis de nouer des contacts nécessaires pour
conclure un accord sur le montant de l'indemnité dans le délaifixépar la
Cour. 4
06. Pour montrer sa bOIlllefoi, la RDC a proposéà la Guinéeau cours de
la mêmeréunion présidéepar le Président de la Cour d'engager les
négociations à Bruxelles à partir du mardi 20 septembre 2011 en vue de
conclure un accord sur l'indemnisation et d'épargner ainsi à la Cour de
consacrer un temps précieux pour statuer sur une question aussi simple
qui peut facilement êtrerégléepar la voie diplomatique.
07. Réagissant à la proposition de la RDC, le Président de la Cour a fait
remarquer aux deux Parties que la fixation des délais pour le dépôtdu
mémoire par la Guinée et du contre-mémoire par la RDC en exécution
des dispositions pertinentes de son arrêtdu 30 novembre 2010, objet de la
réunion avec les Parties, ne fait nullement obstacle aux négociations
diplomatiques entre elles pour conclure un accord sur le montant de
l'indemnité. Si les Parties parvenaient à un tel accord avant la fin de la
procédure,ajouta-t-il, la Cour ne manquera pas d'en tenir compte.
08. A partir de Bruxelles, l'ambassade de la RDC a contacté celle de la
Guinéepour connaître sa position sur l'ouverture des négociations suivant
la proposition faite au cours de la réunion tenue à La Haye devant le
Présidentde la Cour. Il lui a étérépondu que l'ambassade guinéenne est
obligée d'attendre les instructions duGouvememe n ~inéen avant de
s'engager dans les négociations proposées.
09. Alors qu'elle attendait la réponse de la Guinée à sa proposition de
négociations entre les deux Etats par le canal de leurs ambassades à
Bruxelles, la RDC a reçu à la place le mémoire de la Guinée déposéen
date du 6 décembre 20Il conformément à l'ordonnance de la Cour du 20
septembre 2011. De ce fait, la RDC a supposé que les instructions
attendues de Conakry pour l'ouverture des négociations entre les deux
Etats à Bruxelles n'ont pas étédonnées par les autorités guinéennes
compétentes.
0.10. Pour négocier,il faut avoir en face un interlocuteur et êtreau moins
à deux. Or, la Guinée n'a pas saisi la main tendue par la RDC comme 5
indiqué ci-dessus et a manifestement préféré laisser à la Cour la
possibilité de fixer le montant de l'indemnité. Dans ces conditions, l'Etat
défendeur s'est donc trouvé dans l'obligation de présenter à la Cour le
présentcontre-mémoire en vue de repousser les prétentions formulées par
l'Etat demandeur concernant le montant de l'indemnitéqui lui est due
conformément à l'arrêtde la Cour du 30 novembre 2010.
0.11. Dans son mémoiredu 6 décembre2011, la Guinéeréclameà la
RDC le paiement des sommes d'argent précisesen -vue de réparerdes
préjudicesbien déterminésque M. Dialla aurait subis. Les sommes
d'argent que la Guinée réclame à la RDC se présententdans l'ordre
comme suit: 1°) le montant de 250 000 dollars américainspour réparer
le préjudicemoral et psychologique déco3lantdes détentionset expulsion
illicites de M. Diallo en 1995-1996 ,2°) la somme de 6 430148 dollars
américainspour réparerle dommage découlantde la perte de revenus
professionnels de M. Diallo4pendant sa détention de 72 jours et depuis
son expulsion de la RDC , 3°) la somme de 550 000 dollars américains
pourréparer les autres dommages matérielscorrespondantà la valeur des
actifs perdus par M. Diallo, y compris ses avoirs en banqueS, 4°) la
somme de 4 360 000 dollars américainspourréparer le préjudicecausé à
M. Diallo par la perte potentielle de gain' et 5°) la somme de 500 000
dollars américains à titre de remboursement des frais de procédure
exposés par la Guinée dans le cadre du présentdifférendsoumis à la
Cour Il faut ajouter à ce qui précèdela demande guinéennerelative au
paiement des intérêt égauxsurles sommes précitées.
0.12. La RDC démontrera dans les lignes qui suivent que les différentes
sommes d'argent réclamées par la Guinéeau titre de l'indemnitédue par
la RDC pour réparerle dommage immatériel(section 1) et les différents
3VoirMG,p.12, §28.
4Ibidem, p.16, § 48.
5Ibidem, p. 19, § 57.
6Ibidem, p. 20, § 65.
7Ibidem, p. 22, § 69. 6
dommages matériels alléguéspar M. Diallo (section II), ainsi que pour le
remboursement des frais de procédure (section III) sont soit excessifs et
disproportionnés soit non fondés au regard des préjudices prétendument
subis. Il en sera de même de la demande de la Guinée relative au
paiement des intérêtslégaux moratoires qui ne repose sur aucune base
juridique (section IV).
Section 1- Le dommage immatériel subi par M. Dia\lo
1.01. L'Etat défendeur utilisera dans le cadre du présent contre-mémoire
8
le concept de « dommage immatériel » qui est un peu plus explicite par
opposition au dommage matériel, en lieu et place de celui de dommage
moral ou psychologique employé par l'Etat demandeur dans son
mémoire. Selon la doctrine sur la responsabilité internationale de l'Etat,
le dommage immatériel (ou moral) peut consister soit en une violation du
droit de l'Etat soit en une atteinteà la dignité,à l'honneur ou au prestige
de l'Etat. Il peut également consister en une atteinte à la considération,
aux sentiments ou à l'affection d'une personne en faveur de laquelle est
9
exercéeune protection diplomatique ou un recours juridictionnel •
\.02. Dans son mémoire du 6 décembre2011, l'Etat demandeur affirme
que M. Diallo a subi un préjudice moral et psychologique, y compris
douleurs, souffrances et chocs émotionnels, ainsi que la perte de position
sociale et une atteinte à sa réputationdu fait des arrestations et détentions
IO
et de l'expulsion dont il a étél'objet de la part de la RDC •Pour réparer
ce préjudice immatériel, la Guinéeréclame à la RDC le paiement d'une
somme forfaitaire de 250 000 dollars américains à titre d'indemnité".
& Le concept de dommage immatériel est abondamment utilisédans la pratique de la
Cour interaméricaine des droits de l'homme par opposition au dommage matériel
tandis que celui de dommage moral est employépar la Cour européenne des droits de
l'homme comme synonyme de dommage immatériel.
9 Voir Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p.361.
laVoir MG, p.8, § 24.
" Ibidem, §28. 7
1.03. La RDC dira d'abord un mot sur le fonde!pent du dommage
immatérielalléguépar la Guinée(I) avant d'examiner la question de la
fixation du montant de l'indemnitépour réparerledit dommage (II).
1- Le fondement du dommage immatériel.
1.04. Il est établique la Cour, dans son arrêtrendu le 30 novembre 2010
sur le fond du présent différend,a constatéque la RDC avait violéses
obligations internationales découlantdes dispositions de l'article 9,
paragraphes 1 et 2 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, ainsi que l'article 6 de la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples à la suite des détentionset de l'expulsion illicites
de M. Diallo en 1995-1996. En conséquence de ce constat, elle a
condamné la RDC à payer à la Guinée une indemnité pour réparerle
préjudicecausé à M. Diallo résultantde ces faits' intemationalement
illicites.
1.05. La RDC respecte cette décisionde la Cour. Elle reconnaît que les
détentions et l'expulsion illicites de M. Diallo en 1995-1996 lui ont
certainement causé un dommage immatérielqui mérited'êtreréparé de
manièreadéquate.Elle accepte donc de fournir, selon les teffi1es de la
Cour, une« réparation appropriée»à la Guinée pourréparer le préjudice
immatérielcauséà M. Dialla et, par voie de conséquence, à elle-même.
1.06. La question qui se pose ici est donc de déterminer le montant de
l'indemnitéque la RDC doit payer à la Guinéepour réparerle dommage
immatérielsubi par M. Diallo.
II- Fixation du montant de l'indemnité pour réparer
le dommage immatérielsubi par M. Diallo.
1.07. Comme la RDC l'a noté plus haut, l'Etat demandeur réclame le
paiement d'un montant de 250 000 dollars américainsà titre d'indemnité
pour réparerle dommage immatérielsubi par M. Diallo. L'Etat défendeur 8
conteste et rejette ce montant qui est manifestement excessif et
disproportionné au regard du préjudice réellement subi. La pratique
constante de certaines juridictions internationalesà caractèrerégional qui
statuent régulièrementsur ce type de dommages montre que les sommes
allouées pour indemniser les victimes des détentions ou expulsions
illicites sont nettement inférieuresau montant réclamépar la Guinéedans
la présenteaffaire. A ce propos, la RDC se réfèreà la pratique de la Cour
interaméricaine des droits de l'homme (A) et à celle de la Cour
européenne des droits de l'homme (ci-après «CEDH ») (B), deux
systèmes régionauxde protection des droits de l'homme les plus anciens
et les mieux développésdans le monde, qui ont une pratique abondante en
ce qui concerne la fixation des indemnités pour réparerles dommages
immatérielsdécoulantdes détentionsillicites et prolongées des personnes
physiques par certains Etats. Au regard de la jurisprudence de ces deux
juridictions internationales, l'Etat défendeur présentera à la Cour sa
propre proposition sur le montant de l'indemnitéqu'il considère comme
raisonnable et proportionnéepar rapportau dommage immatérielsubi par
M. Diallo (C).
A - La Cour interaméricainedes droits de l'homme.
1.08. Dans le cadre de la Cour interaméricainedes droits de l'homme,
l'Etat défendeur cite le cas de l'affaire qui a opposé M. Yvon Neptune,
ancien Président du Sénat et ancien Premier ministre haïtien, à la
République de Haïti et qui a ététranchée par ladite Cour dans son arrêt
n
rendu le 6 mai 200S
1.09. Dans cette affaire, M. Yvon Neptune s'est plaint devant la Cour
interaméricainedes droits de l'homme contre son propre pays pour avoir
étéillégalement et arbitrairement détenu dans deux prisons haïtiennes
pendant 25 mois (+- 760 jours), après la fin de ses fonctions de Premier
ministre, soit du 27 juin 2004 au 27 juillet 2006.
12 VoirCourinteraméricaind eesdroitsde l'homme,affaireYvonNeptunec. Haïti,
arrêdtu6 mai2008 (Fond,Réparatione stFrais), 9
1.10. Concernant la réparationdu dommage immatérielqu'il aurait subi
pendant cette longue détention, M. Neptune a demandé à la Cour de
prendre en compte les nombreux problèmes d'ordre médical soufferts au
cours de sa détention et pendant sa grève de -la faim, tels que
l'hypertension, l'hypotension, l'inflammation, les fluctuations de son
rythme cardiaque et son étatde fragilité.Il a également demandé à la
Cour que soit pris en compte les problèmesmédicauxqu'il continuait
d'endurer aprèssa libération,comme par exemple la fatigue, les maux de
ventre, le vertige, le manque de force motrice et la réductionde sa masse
musculaire; ainsi que les traumatismes psychologiques liés à sa vie
précaireet à sa sécuritéphysique, avec le stigmatisme dont ila souffert
pendant les 25 mois qu'a duréson incarcération,en endurant des
l3
accusations infondées à son encontre et la séparationde sa famille .
1.11. Dans sa décision, la Cour a commencé par constater que M.
Neptune «a étésoumis à des conditions de détention inhumaines, qu'il a
été détenuillégalement et arbitrairement, et qu'il n'a pas comptéavec les
garanties voulues ni avec la protection judiciaire, tout ceci lui ayant
provoquédes souffrances physiques et psychologiques »14
1.12. S'agissant de la fixation du montant de l'indemnitédue par Haïti en
vue de réparerle dommage immatérielsubi par la victime, la Cour a tenu
compte des différents aspects dudit dommage et a fixé l'indemnité
réparatrice,en équité, à la somme de US$ 30.000 (trente mille dollars des
Etats-Unis d'AmériqueY5.
1.13. Comme on peut le constater, cette affaire est emblématique.On est
en présence d'un ancien Premier ministre qui venait à peine de quitter ses
fonctions et qui a étédétenu illégalement et arbitrairement pendant 25
mois dans des conditions qualifiées d'inhumaines par la Cour, soit à peu
près pendant 760 jours. La Cour a fixé l'indemnité réparatrice du
dommage immatérielsubi par la victime à la somme de US $ 30 000. On
13VoirCourinteraméricaind ees droitsde l'homme,arrêtu6 mai2008, §167.
14Ibidem, § 168.
15Ibidem, § 168. 10
est ici trèsloin de la somme de 250 000 US$ réclaméepar la Guinéepour
réparerun donunage immatérieldécoulantd'une détention,certes illégale
et arbitraire, de 72 jours seulement, au cours de laquelle aucun mauvais
traitement n'a été infligéà M. Diallo, mêmesi on peut y ajouter l'aspect
de l'expulsion illicite.
B - La Cour européenne des droits de 1'homme
1.14. La RDC cite ici quelques décisionsrendues par la CEDH en matière
de fixationde l'indemnité pourréparel re dommageimmatéried l écoulant
des détentionset des expulsions illicites en violation des dispositions
pertinentes de la Convention européennede sauvegarde des droits de
1'homme et des libertésfondamentales.
B.l. Affaire A. et autres c. Royaume-Uni
1.15. La CEDH a étésaisie le 21 janvier 2005 par une requêtedéposée
contre le Royaume-Uni par onze personnes de nationalité étrangère
arrêtéee st détenues sur le territoire britannique dans "lecadre de la lutte
contre le terrorisme déclenchéeaprès les attentats terroristes du Il
septembre 2001 commis aux Etats-Unis d'Amérique. Les requérants
affirmaient que leur longue détentionétaitirrégulièreet violait plusieurs
dispositions pertinentes de la Convention européennede sauvegarde des
droits de l'homme et des libertésfondamentales, notamment l'absence de
recours adéquatspour faire examiner leurs griefs.
La Cour a reconnu que neuf (9) requérants sur onze (11) étaient
effectivement victimes d'une détentionillégale prolongée de la part des
autoritésbritanniques.
1.16. Les neuf requérantsretenus par la CEDH avaient été détenusdans la
prison britannique respectivement pendant des périodes ci-après: 1°) le
premier requérant: du 19 décembre 2001 au 11mars 2005, soit 3 ans et 83
jours, 20) le troisième requérant : du 19 décembre 2001 au 11 mars
0
2005, soit 3 ans et 83 jours, 3 )le cinquième requérant: du 19 décembre Il
2001 au 22 avril 2004 et assigné à résidencejusqu'au Il mars 2005, soit 3
ans et 83 jours, 4°) le sixième requérant : du 19 décembre 2001 au 11
mars 2005, soit 3 ans et 83 jours, 5°) le septième requérant: du 8 février
2002 au 11 mars 2005, soit 3 ans et 33 jours, 6°) le huitième requérant:
du 23 octobre 2002 au 11 mars 2005, soit 2 ans et 141 jours, 7°) le
neuvième requérant: du 22 avril 2002 au Il mars 2005, soit 2 ans et 324
jours, 8°) le dixième requérant du 14janvier 2003 au Il mars 2005, soit 2
ans et 57 jours et 9°) le onzlème requérantdu 2 octobre 2003 au Il mars
2005, soit 1 an et 159 jours '.
1.17. Concernant la réparation du dommage immatériel qu'ils
prétendaient avoir subi pendant ces longues détentions, les requérants
réclamaient respectivement les sommes ci-après: le premier requérant
réclamait une indemnité de 234 000 !: pour privation de liberté,
souffrance morale, troubles mentaux, souffrance éprouvéepar son épouse
et les autres membres de sa famille pour avoir étéséparésde lui et
exposés à une publicité fâcheuse; le troisième requérant réclamait une
indemnité de 230 000 !: pour privation de liberté, traumatismes
psychologiques engendrés par cette situation et épreuves que sa famille
a enduréesdu fait de son incarcération; le cinquième requérant réclamait
une indemnité de 240 000 !:pour la détresse morale et les troubles
mentaux provoqués par son incarcération ainsi que les souffrances
éprouvéespar sa femme et ses enfants; le sixième requérantréclamaitune
indemnité de 217 000 !:pour la. souffrance psychique découlant de sa
détention ainsi que pour la détresseressentie par sa femme et ses enfants;
le septième requérant réclamait une indemnité de 197 000 !: pour
incarcération et pour détresse psychologique et maladie mentale qui en
ont résulté;le huitième requérant réclamait une indemnité de 170 000 !:
pour privation de liberté, souffrance psychologique ainsi que pour la
détresse causée à son épouse et à ses enfants; le neuvième requérant
réclamait une indemnité de 215 000 !:pour détention illégale, détresse
morale et troubles mentaux en résultant ainsi que pour les épreuves
enduréespar sa femme et ses enfants; le dixième requérant réclamaitune
l6Voir CEDH, Affaire A. et autres c. Royaume-Uni, arrêtdu 19 février 2009, §§
236-244. 12
indemnité de 144 ooo!: pour privation de liberté ainsi que pour la
souffrance psychologique et les troubles mentaux provoqués par cette
situation; et le onzième requérantréclamaitune indemnitéde 95 000 !
pour détentionillégale et détressemorale qui en a résulté 17•
1.18. Usant de son pouvoir d'appréciation,et tenant dûment compte des
faits de la cause, de la nature des violations const,atées ainsi que du
contexte particulier de l'affaire, la Cour a décidéd'allouer la somme de
3900 euros aux premier, troisième et cinquième requérants(au lieu de
234000 f, 230000 f et 240000 f réclamésrespectivement par eux) ;
3400 euros au sixième requérant(au lieu de 217000 f réclaméspar lui) ;
3800 euros au septième requérant(au lieu de 197000 f réclaméspar lui);
2800 euros au huitième requérant(au lieu de 170000 f réclaméspar lui) ;
3400 euros au neuvième requérant(au lieu de 215000 f réclamés par lui);
2500 euros au dixième requérant(au lieu de 144000 f.réclaméspar lui) et
1700 euros au onzième requérant(au lieu de 95000 f réclaméspar luiY'.
1.19. La RDC relève ici qu'au regard des sommes allouées par la CEDH
aux victimes par rapport à leurs prétentions financières et aux
conséquences préjudiciablesde leur détention,aucune d'entre elles n'a
mêmepas reçu 2% du montant réclamé à titrd'indemnité, alors qu'elles
avaient cormu une détention plus longue et plus dure que celle de M.
Diallo qui réclamela somme de 250 000 US$ pour une détentionde 72
JOurs.
B.2. Affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce
1.20. L'origine de l'affaire se trouve dans une requêtedéposéele 11juin
2009 auprès de la CEDH contre la Belgique et la Grèce par M.S.S., un
demandeur d'asile afghan, pour violation à son égard de certaines
dispositions de la Convention européennede sauvegarde des droits de
l'homme et des libertésfondamentales.
17Ibidem, §§ 236-244.
l'Ibidem, §§ 250 -253 13
1.21. Dans sa requête,le plaignant prétendait que son expulsion par les
autoritésbelges vers la Grèce violait les articles 2 et 3 de la Convention et
qu'il avait subi en Grèce des traitements prohibés par l'article 3. Il
dénonçaitégalement l'absence des recours conformes à l'article 13 de la
l9
Convention pour faire examiner les griefs précités ,
1.22. Au sujet de la responsabilité de la Belgique, le requérantréclamaità
celle-ci le paiement d'une inderrmité de 24900 euros pour réparer le
préjudicemoral qu'il a subi du fait de la décision des'autorités belges de
le transférer en Grèce.
1.23. Dans son arrêt,la Cour a estiméque le plaignant avait éprouvéune
détressecertaine et, eu égardà la nature des violations constatées, elle lui
a alloué la somme de 24900 euros à titre de réparation du dommage
morafo,
1.24. Pour ce qui a trait à la responsabilité de la Grèce, le requérant
réclamait à ce pays le paiement de la somme de 1000 euros à titre
d'indemnitépour réparerle dommage moral causédurant sa détention.
1.25. La Cour, après avoir constaté que les conditions de détention de
l'intéresséont emporté violation des dispositions de l'article 3 de la
Convention, a estiméque le plaignant avait éprouvéune détresse certaine
et lui a allouéla somme de 1000 euros à titre de réparation du dommage
mora1 21,
B.3. Affaire Assanidze c. Georgie
1.26. Dans cette affaire, M. Assanidze se plaignait contre la Géorgiepour
détention illégale et arbitraire prolongée en violation des dispositions de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
19Voir CEDH, Affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce, arrêtdu 21 janvier 2011, § 3.
20Ibidem, §§ 406 et 411.
21Ibidem, §§ 404 et 406. 14
libertés fondamentales et du droit interne géorgien. Arrêté et détenu le Il
décembre 1999, le requérant avait étéacquitté le 29 janvier 2001 par une
décision de la Cour suprême de Géorgie qui avait en même temps
ordonné sa libération immédiate. Mais depuis et malgré son acquittement
et sa libération immédiate décidéspar la Cour suprêmede Géorgie le 29
janvier 2001, l'intéresséest restéen détention pendant plus de trois ans.
Cette détention pour une duréeindétenninéeet imprévisible ne reposait
22
donc sur aucune loi ni sur aucune décisionjudiciaire •
1.27. L'Etat central géorgien lui-mêmene cessait d'affirmer qu'il n'y
avait aucun fondement à la détention de M. Assanidze. Mais les autorités
23
provinciales adjares qui le détenaient refusaient de le mettre en liberté •
1.28. Devant cet étatde choses, la Cour a commencé par affirmer, d'une
part, qu' « il est inconcevable que dans un Etat de droit un individu
demeure privéde sa liberté malgré l'existence d'une décision de justice
ordonnant sa libération» et d'autre part, que «la détention d'une
personne pour une période indétenninéeet imprévisible, sans que cette
détention se fonde sur une disposition légaleprécise ou sur une décision
judiciaire, est incompatible avec le principe de la sécuritéjuridique, revêt
un caractère arbitraire et va à l'encontre des élémentsfondamentaux de
l'Etat de droit »24.
1.29. Pour justifier et fixer la hauteur de l'indemnité pour réparer le
dommage immatériel subi par M. Assanidze, la Cour a commencé par
déclarerce qui suit: « en ce qui concerne le préjudice moral déjàsubi, la
Cour considère que la violation de la Convention a causéau requérantun
tort certain et considérable. Détenuarbitrairement en méconnaissance des
principes fondateurs de l'Etat de droit, l'intéresséest dans une situation
d'impuissance et de frustration. Il est confronté, d'une part, au refus des
autoritésadjares de se confonner à l'arrêtd'acquittement rendu il y a trois
22Voir CEDH, Affaire Assanidze c. Géorgie,arrêtdu 8 avril 2004, § 172
23 Ibidem,§ 174.
24 Ibidem,§§ 173et 175. 15
ans déjà et, d'autre part, à l'échec des tentatives auxquelles s'est livré
l'Etat central pour que les autoritéslocales respectent cette décision »25,
1.30. Dans ces conditions, et vu la gravité de la situation de détention de
l'intéresséq.ui perdurait, la Cour a allouéau requérant la somme de 150
000 euros à titre d'indemnité pour réparer l'ensemble des dommages
qu'il a subis alors que la victime réclamaitle montant de 3000 000 (trois
millions) euros à titre d'indemnité réparatrice pour le seul dommage
morae 6•
BA. Affaire Ilascu et autres c. Moldova et Russie
1.31. Les requérants se plaignaient tous devant la CEDH contre la
Moldavie et la Russie pour mauvaises conditions de détention et mauvais
traitements qui leur ont étéinfligésau cours de celle-ci.
1.32. M. Ilascu se plaignait en particulier de ses conditions de détention
pendant 8 ans dans l'attente de son exécution après sa condanmation à la
peine capitale le 9 décembre 1993 jusqu'à sa libération le 5 mai 2001 2•
Pendant sa longue détention, M. Ilascu a étésauvagement battu par les
gardiens de la prison de Tiraspol, a subi de menaces de mort, a été privé
de nourriture et de lumière en guise de punition, a fait l'objet de
simulacres d'exécution, a étédétenuen régime d'isolement sévère,sans
contact avec d'autres détenus, sans aucune nouvelle de l'extérieur,a été
privédu droit de prendre contact avec son avocat ou de recevoir la visite
de sa famille, a étédétenudans une cellule non chaufféemêmependant
l'hiver, dépourvue d'éclairageet d'aération,etc. Il ne prenait de douche
que rarement, et parfois à plusieurs mois d'intervalle.
1.33. La Cour en a conclu que la condamnation de l'intéresséà la peine
25
26 Ibidem, § 199.
Ibidem, §§ 196 et201.
27 Voir CEDH, Affaire Ilascu et autres c. Moldova et Russie, arrêtdu 8juillet 2004,
§ 419. 16
capitale par un tribunal illégal, les conditions dans lesquelles il a vécu
pendant cette longue détention et les traitements qu'il a subis revêtentun
caractère particulièrement grave et cruel et doivent donc êtreconsidérés
comme des actes de torture 28.
1.34. En ce qui concerne M. Ivantoc, la Cour a établique l'intéresséavait
subi pendant sa détention des coups et des supplices, des brimades et des
mauvais traitements. Il a étéprivéde nourriture et de soins de santé,du
droit d'avoir un avocat. Il a étédétenudans une cellule non chauffée,mal
aérée,sans lumière naturelle. Selon la Cour, de tels traitements étaientde
nature à engendrer des douleurs ou des souffrances, tant physiques que
mentales, qui ne pouvaient qu'êtreexacerbées par l'isolement total de
l'intéressé et susceptibles de lui inspirer des sentiments de peur,
d'angoisse et de vulnérabilitépropres à l'humilier, à l'avilir et à briser sa
résistanceet sa volonté.
1.35.La Cour en a conclu que pris dans leur ensemble et compte tenu de
leur gravité, de leur caractère répétitifet du but auquel ils tendaient, les
traitements infligésà M. Ivantoc ont provoquédes douleurs et souffrances
aiguës et revêtentun caractère particulièrement grave et cruel. Force est
de considérer, aj29te-t-elle, l'ensemble de ces agissements comme des
actes de torture .
1.36. Au sujet de MM. Lesco et Petrov-Popa, la Cour a relevé qu'ils ont
connu des conditions de détention extrêmementsévèresau cours de leur
détention, notamment: visites ou colis de la part" de leurs familles
accordés de manière discrétionnaire par l'administration pénitentiaire;
privation à certains moments de nourriture ou distribution de nourriture
impropre à la consommation; privation la plupart du temps de toute
assistance médicale adéquate en dépitde leur étatde santé fragilisé par
ces conditions de détention; et absence de repas diététiques,bien que
prescrits médicalement.
28Ibidem, §§ 435-44l.
29Ibidem, §§ 443 _447. 17
1.37. La Cour a en outre constaté que M. Petrov-Popa était détenu en
régime d'isolement cellulaire depuis 1993 sans contact avec d'autres
détenuset sans accès aux journaux dans sa langue. Les deux plaignants se
sont également vu refuser l'accès à un avocat jusqu'en juin 2003.
1.38. Eu égardà ce qui précède.la Cour a estiméque de tels traitements
sont de nature à engendrer des douleurs ou des souffrances tant physiques
que morales. Et pris dans leur ensemble, et compte tenu de leur gravité,
les traitements infligésà MM. LeseD et Petrov-Popa peuvent êtrequalifiés
30
de traitements inhumains et dégradants •
1.39. Concernant le montant des indemnités pour réparer le dommage
immatériel qu'ils ont subi du fait de leur longue détention illégaleet des
mauvais traitements endurés au cours de celle-ci, les quatre victimes ont
réclaméà la Moldavie et àla Russie le paiement des sommes ci-après: M.
Ilascu, 7 395 000 euros; M. Ivantoc, 7 842 000 euros31M. Petrov-Popa, 7
441 000 euros; et M. Lesco, 7 830 000 euros • Ils ont réclaméces
montants très élevéscompte tenu de la gravité des violations dénoncées,
des circonstances de l'espèce, de l'attitude des gouvernements défendeurs
et des effets durables sur leur étatde santéet du traumatisme qu'ils ont
subi pendant leur longue détention illégale.
1040. A son tour, pour fixer le montant des indemnités sollicitées par les
plaignants, la Cour a commencé par réaffinner que MM. Ilascu et Ivantoc
ont étésoumis à des actes de torture, que les deux autres requérants ont
étésoumis à des traitements inhumains et dégradants, que tous les
requérants ont étédétenus arbitrairement, et que MM. Ivantoe, Leseo et
Petrov-Popa continuent d'être détenus en violation de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales. Elle a ensuite estimé que les requérants ont
indéniablement subi un préjudice moral résultant des violations
constatées. La Cour a enfin alloué à chacun des requérants la somme de
30Ibidem, §§450 - 452.
31Ibidem, §485. 18
180 000 euros pour dommage moral et matérielsuite à la violation des
articles 3 et 5 de la Convention (actes de torture, traitements inhumains et
dégradantset détention illégale)et à chacun des requérantsla somme de
10 000 euros pour le dommage moral résultantde la mécormaissancede
l'article 34 de la Convention par la Russie et la Moldova (absence de
recours individuel )32.Comme on peut le voir, les sommes allouéesaux
victimes par la Cour dans cette affaire représentent moins de 1 % des
sommes réclaméespar les victimes pour réparerle dommage immatériel
subi,
1.41. On peut donc conclure de toutes les décisionsjudiciaires exposées
ci-dessus concernant les montants des indemnités pour réparer un
dommage immatériel résultant d'une détention illégale et arbitraire ou
d'une expulsion illicite, que les sommes allouées par les juridictions
internationales saisies sont souvent modestes et raisonnables par rapport
aux prétentionsinitiales des victimes qui ont tendanceà les exagérer.
1.42. Les seuls cas où les indemnitésallouéespour réparerun dommage
immatériel ou moral ont été assez importantes, c'est lorsque les
détentions dénoncéesont éténon seulement particulièrement longues et
illégales, mais également accompagnées des actes de torture ou des
traitements cruels, inhumains et dégradants. Les juridictions saisies
condamnaient ainsi les Etats reconnus responsables des faits
intemationalement illicites à payer une sorte de dommages intérêts
« punitifs ou exemplaires» aux victimes desdits faits.
1.43. Ces précisions apportées,la RDC indiquera ci-dessous son point de
vue sur le montant de l'indemnitéqui serait raisonnable et appropriépour
réparerle dommage immatérielsubi par M, Diallo,
J2Ibidem, § 489. 19
C - Le montant de l'indemnité due àla Guinéepour
réparerle dommage immatériel subi par M. Diallo
1.44. Il est indiscutable que M. Diallo a subi un dommage immatériel
découlantde sa détention pendant 72 jours et de son expulsion illicites en
1995-1996. Il a eu certainement un choc psychologique et émotionnel à la
suite de son expulsion de la RDC, un pays où il a vécupendant 32 ans de
sa vie. Ce dommage immatériel méritedonc d'êtreréparépar la RDC.
1.45. Il est aussi établiet indiscutable que pendant sa courte détention, M.
Diallo n'a subi aucun mauvais traitement de la part des autorités
congolaises. A ce propos, la Cour a déclaré dans son arrêt du 30
novembre 201a sur le fond du présentdifférendque
« la Guinéen'a pas démontréde façon suffisamment convaincante
que M. Diallo aurait étésoumis lors de sa détention à [des
traitements inhumains et dégradants]. L'allégation selon laquelle il
aurait reçu des menaces de mort n'est étayéepar aucune preuve. Il
semble bien que M. Diallo ait pu communiquer 'avec ses proches et
ses avocats sans rencontrer de grandes difficultés, et mêmesi cela
n'avait pas étéle cas, de telles entraves n'auraient pas constituépar
elles-mêmes[des traitements inhumains et dégradants 1 prohibéspar
l'article la du Pacte et par le droit international général.Enfin, la
circonstance que M. Diallo était nourri grâce aux vivres que ses
proches lui apportaient sur son lieu de détention - ce que la RDC ne
conteste pas - ne suffit pas à établir en elle-même l'existence de
mauvais traitements, dès lors que l'accès des proches à la personne
privéede liberté n'étaitpas entravé.En conclusion, la Cour estime
qu'il n'a pas étédémontréque M. Dialla ait étésoumis à des
[traitements cruels, inhumains ou dégradants]33».
1.46. Eu égard à ce qui précède,la RDC fait donc remarquer à la Cour
33Voir CIJ, Affaire Ahmadou Sadio Diallo (Républiquede Guinée c. République
démocratiquedu Congo, arrêtdu 30 novembre 201§§88-89. 20
que la présenteaffaire est nettement différentede certaines affaires citées
ci-dessus où les victimes ont étéillégalement détenues pendant plus de
deux ans et soumises à des actes de torture ou à des traitements cruels,
inhumains ou dégradants. Dans le cas sous examen, M. Dialla a été
détenupendant une courte périodede 72 jours, entrecoupée par quelques
jours de mise en liberté ordonnée par le Président de la République,
pendant laquelle il n'a subi aucun traitement cruel, inhwnain ou
dégradantde la part des autoritéscongolaises. Il faut égalementajouter le
fait que sa détention aétéordonnéeaux fins de son expulsion du territoire
congolais et non dans le cadre d'une procédurejudiciaire normale. C'est
ce qui explique l'inattention des autoritéscongolaises par rapport au délai
légal de huit jours qui a étédépasséen l'espèce. Le non -respect de ce
délai n'était pas dû à une quelconque volonté délibéréede punir
l'intéressémais aux difficultésd'organiser le voyage aérienvers son pays
d'origine.
1.47. A la lumière de ce qui précède,la RDC demande à la Cour de tenir
compte des circonstances propres à cette affaire, du caractère court de la
détentiondénoncée,de l'absence de mauvais traitements à l'égardde M.
Diallo, du fait que l'intéresséa étéexpulsévers son pays d'origine avec
lequel il a su garder des contacts permanents et de haut niveau pendant
son long séjour au Congo et non vers un pays où il allait subir des
mauvais traitements, ce qui est confinné par la présente action en
protection diplomatique initiée en sa faveur par le Gouvernement
guinéen,ainsi que de la pratique des autres juridictions internationales qui
rendent régulièrementdes décisionsjudiciaires en matière des indemnités
pour réparerle dommage immatérielsubi par des personnes physiques de
la part des Etats, même si la Cour n'est pas liéepar ces décisions.
1.48. L'Etat défendeur rappelle que le but de l'indemnité pour réparerle
dommage immatérielsubi par M. Diallo n'est pas d'enrichir ni l'intéressé
pour l'aider à investir dans des activités commerciales en Guinée ni la
Guinée elle-même,mais d'octroyer une sorte de consolation pécuniaire
pour compenser ledit préjudice. On ne saurait perdre de vue que la 21
Guinéea déjàobtenu satisfaction par la seule constatation judiciaire faite
par la Cour de la violation du droit international attribuàela RDC. La
Guinéeaura donc reçu une double satisfaction dans cette affaire.
1.49. Ainsi, la RDC estime que le montant de 250000 US$ réclamépar la
Guinéepour réparerle dommage immatérielsubi par M. Dialla est
excessif et disproportionnépar rapport au dommage immatérielque
l'intéresséa subi du fait de ses détentionset expulsion illicites en
1995-1996. Il s'agit d'un montant purement forfaitaire qui ne repose sur
aucune base objective et crédible.La Guinée ne se réfère à aucun
précédent SUf le plan de la jurisprudence internationale judiciaire ou
arbitralepour fixer un tel montant. C'est du reste une pratique constante
de M. Diallo et de la Guinée d'exagérer le montant des sommes qu'ils
réclament à la RDC, comme la somme de 36 milliards de dollars
américainsqu'ils réclamaient dans le volet des créancesdues aux sociétés
Africom-Zaïre et Africontainers Zaïre.
1.50. Etant donnéque les Parties n'ont pas demandé à la Cour de statuer
ex aequo et bonD, conformémentaux dispositions de l'article 38 alinéa2
du Statut de la Cour, pour fixer le montant de l'indemnité dans la présente
affaire, la RDC estime qu'un montant forfaitaire se situant dans une
fourchette de 25 000 USD à 30 000 USD, sans excéder ce dernier
montant, est raisonnable et proportionnéau dommage immatérielsubi par
M. Diallo. La RDC est donc disposée à payer à la Guinée une telle
indemnité.
1.51. Au total, la RDC demande à la Cour d'allouer à la Guinée une
indemnitése situant entre un minimum de 25 000 USD et un maximum
de 30 000 USD à titre de réparation du dommage immatériel subi par M.
Diallo du fait de ses détentionset expulsion illicites en 1995-1996.
1.52. La RDC va examiner dans la section suivante la question de la
réparationdes dommages matérielsallégués par la Guinée. 22
Section II. Les dommages matériels subis par M. Diallo
2.01. Le dommage matériel est défini par la doctrine conune une
«atteinte à un intérêtéconomique ou patrimonial, c'est-à-dire un intérêt
s'appréciantimmédiatement en termes monétaires »34,
2.02. Dans ses écritures, la Guinéeprétendque M. Diallo a subi plusieurs
dommages matériels qu'elle présentecomme suit: 1°) la perte de revenus
professionnels depuis son expulsion de la RDC", 2') la perte de la valeur
des actifs, y compris ses avoirs en banque" et 3') la perte potentielle de
gain 37. La question du remboursement des frais de procédure sera
examinéeplus loin dans la troisième section du présentcontre-mémoire.
2.03. Pour des raisons de clarté, l'Etat défendeur examinera
successivement les prétendus dommages matériels alléguéspar la Guinée
dans l'ordre suivant: la perte de revenus professionnels (1), la perte des
actifs,y compris les avoirs en banque (II) et la perte potentielle de gain
(III).
1- La perte de revenus professionnels
2.04. Dans son mémoire du 6 décembre2011, la Guinéeaffirme qu'avant
son expulsion de la RDC le salaire mensuel de M. Diallo en sa qualitéde
gérantdes sociétésAfricom-Zaïre et Africontainers-Zaïre étaitde 25000
USD à raison de 10 000 USD pour la première et de 15 000 USD pour la
seconde. L'Etat demandeur ajoute qu'en tenant compte de l'inflation, dont
il n'indique mêmepas le taux, le préjudice immédiat subi par M. Diallo
serait de 80 000 USD du fait de la non-perception de son revenu
professionnel pendant les 72jours au cours desquels il a étédétenu 38•
34Voir Dictionnaire de droit international public, op.cit. p. 361.
J5Voir MG, p.16, § 48.
36Ibidem, p.19, § 57.
31Ibidem: p.20, § 65.
38Voir MG, §§ 34e135. 23
2.05. Par ailleurs, l'Etat demandeur soutient que compte tenu de la
périodeécouléedepuis son expulsion, le préjudice subi par M. Diallo en
raison de la perte de ses revenus professionnels pendant cette période
pourrait êtreévalué,en tenant compte de l'inflation, d39t iln'indique
toujours pas le taux, à la somme de 6 430148 USD •
2.06. La RDC examinera ci-dessous la question du prétendu préjudice
matériel direct et immédiat de 80 000 USD (A) et de celle du prétendu
manque à gagner de 6 430 148 USD (B) qui auraient étésubis par M.
Diallo en rapportavec la perte de ses revenus professionnels.
A - La perte de revenus professionnels de 80 000 USD
2.07. Ainsi qu'il a étéindiqué au paragraphe 2.04 ci-dessus, la Guinée
réclameà la RDC le paiement de la somme de 80 000 USD représentant
le préjudice matériel immédiat subi par M. Diallo du fait de la
non-perception par celui-ci de son revenu professionnel pendant les 72
jours au cours desquels il a étédétenu.
2.08. La RDC montrera dans les lignes qui suivent que cette demande
n'estpasfondée,et ce pourplusieursraisons.
2.09. Il convient d'abord de relever que dans son arrêtdu 30 novembre
2010 rendu en cette affaire, la Cour a rappelésa jurisprudence constante
en matièredepreuveen soulignantqu'
«en règle générale,il appartient à la partie qui allègue un fait au
soutien de ses prétentionsde faire la preuve de l'existence de ce
40
fait ».
2.10. Dans la présenteaffaire, la Guinéeprétendqu'avant son expulsion
de la RDC, M. Diallo percevait un salaire mensuel de 25 000 USD en sa
39 Ibidem,§ 48.
40 VoirCIl, AffaireAhmadouSadioDiallo, arrê dtu30 novembre2010, § 54. 24
qualitéde gérantdes sociétésAfricom-Zaïre et Africontainers-Zaïre. Mais
force est de constater que l'Etat demandeur n'apporte aucune preuve
écrite pour étayer cette allégation. Aussi, il il'existe aucune preuve du
paiement des impôts par l'intéressé au fisc congolais sur une
rémunérationaussi élevée.
2.11. En outre, tout au long de ce procès, y compris dans la phase actuelle
de la procédure, la Guinéen'a cesséde soutenir que M. Dialla étaitgérant
et associé unique des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre.
Selon la Guinée, et la Cour l'a bien notédans son arrêtdu 24 mai 2007
sur les exceptions préliminaires,
«en fait comme en droit, il était à peu près impossible de
distinguer M. Dialla de ses sociétés »41.
En outre, la Cour a déclaréelle-mêmedans son arrêtsur le fond que
«le seul gérant agissant pour le compte de l'une ou l'autre des
sociétés,tant au moment des détentions de M. Diallo qu'après son
expulsion, étaitM. Diallo lui-même »42.
2.12. Dans ces conditions, il devient inconcevable que les deux sociétés
censées être en activité au moment des faits, dirigées et contrôlées
pleinement par M. Diallo, leur gérantet unique associé, puissent refuser
de verser à celui-ci ses salaires mensuels pendant les 72 jours de sa
détention. Si tel est le cas, suivant la thèse défendue par la Guinée,alors
c'est M. Diallo lui-mêmequi aurait refuséde se faire payer ses propres
salaires mensuels parce qu'il était le seul habilité à prendre une telle
décisionportant gravement atteinte à ses propres moyens de survie alors
qu'il était incarcéré.Dans ce cas, la RDe n'y est donc pour rien dans
cette prétendueperte de revenus professionnels.
41Voir CU, Affaire Ahmadou Sadio Diallo, arrêtdu 24 mai 2007 (Exceptions
rréliminaires),§ 56.
2Voir CU, Aff.Alnnadou Sadio Diallo, arrêtdu 30 novembre 2010 (fond), § 112 25
2.13. En outre, M. Dialla n'étaitpas un simple travailleur liàces deux
sociétépsarun contratde travailquiauraitpu être résiliéà la suited'une
longue détention.Il étaitun organe et un des propriétaires,sinon, et selon
la Guinée, le seul propriétaire des sociétés Africom-Zaïre et
Africontainers-Zaïre, en sa double qualitéde gérantet d'associé de ces
deux sociétés.On ne saurait donc confondre le cas de M. Dialla avec
celui des salariés ordinaires cl'une sociétécommerciale qui peuvent
perdre leur emploi, et donc leurs salaires,à la suite d'une longue
détentionjudiciaire.
2.14. Enfin, la Guinéen'a pas démontré que les deux sociétésconcernées
ont brusquement manquéde ressources financièrespendant les deux mois
de détentionde M. Dialla, et ce à cause de cette détention, et qu'elles
n'ont donc pas étéen mesure de verser des salaires mensuelsàce dernier.
2.15. Au total, l'Etat défendeur soutient que l'Etat demandeur n'a pas:
1") apportéla preuve que M. Diallo touchait un salaire mensuel de 25 000
USD, 2") donnéla preuve du paiement des impôts au fisc congolais sur ce
salaire et3°)expliqué de manière crédibleet convaincante comment M.
Diallo, gérantet associé unique des sociétésconcernées, n'a pas étéen
mesure de se faire payer ses salaires mensuels pendant ses deux mois de
détention alors qu'il en avait le pouvoir et les moyens. En outre, la
Guinéen'indique ni le taux d'inflation qu'elle applique dans cette affaire
ni le pays dudit taux d'inflation pour passer de 50 000 USD à 80000
USD.
2.16. Il s'ensuit que la prétentionde la Guinéerelative au paiement par la
RDC de la somme de 80 000 USD à titre de perte de revenus
professionnels pendant sa détention de 72 jours n'étant ni crédible ni
fondée,la Cour devra purement et simplement la rejeter.
B - Le manque à gagner de 6 430148 USD
2.17. La Guinée, sans utiliser expressément le terme manque à gagner, 26
réclamele paiement de la somme de 6 430 148 USD en vue de réparerle
dommage matériel qu'aurait subi M, Diallo découlant de la perte de ses
revenus professionnels, c'est-à-dire ses salaires mensuels, pendant la
période postérieure à son expulsion de la RDC le 31 janvier 1996, En
d'autres tenues, l'Etat demandeur sollicite le paiement du manque à
gagner subi par M, Diallo du fait qu'il aurait manqué de toucher son
salaire mensuel de 25 000 USD aprèset depuis son expulsion de la RDC,
2.18. Pour justifier le prétendumanquer à gagner sur ses revenus
professionnels qu'aurait subi M. Dialla pendant la périodepostérieure à
son expulsion de la RDC, l'Etat demandeur affirme que l'expulsion de
l'intéressé aentraînéles conséquences préjudiciablesci-après:
« 10) l'exercice de ses fonctions de PDG et de·géranta été rendu
impossible ou, du moins, s'en est trouvé considérablement
compliqué,étantdonnéque M. Dialla ne peut plus se rendre sur
place; 2°) en expulsant le gérantsans qu'il ne puisse confier, dans
les règles de l'art, ses fonctions à un tiers, on le prive de ses
revenus professionnels habituels, mêmes'il conserve sa facultéde
désignerun tiers pour le suppléerdans l'exercice de ses fonctions;
et 3°) en expulsant l'associéunique et gérant,tout en le réduisantà
l'indigence, on accule ainsi ses sociétésà la faill»43.
2.19, La RDC expliquera ci-dessous que la thèse développéepar la
Guinéepour justifier le paiement en sa faveur d'un prétendumanque à
gagner sur les revenus professionnels n'est pas défendable. La
réclamation du manque à gagner par la Guinée étant liée à la perte de
revenus professionnels de M. Diallo, les arguments avancésci-dessus par
la RDC pour rejeter ladite perte sont également valables pour le prétendu
manque à gagner rattachéauxdits revenus.
220, Ainsi qu'il a étésouligné plus haut, la Guinée n'a pas apporté la
43Voir MG, § 47. 27
moindre preuve écrite que M. Dialla touchait un sal~i menesuel de 25
000 USD. A ce sujet, la partie guinéennedemande à êtrecrue sur simple
parole par la Cour. Aussi, la Guinéen'a pas non plus expliqué comment
les deux sociétésappartenant à M. Diallo lui-même,qui en étaitgérantet
associéunique, ont pu refuser de lui verser ses salaires mensuels pendant
les deux mois de sa détention.
2.21. Il s'ensuit que M. Diallo n'ayant pas perdu des revenus
professionnels pendant sa détention de 72 jours, on ne saurait soutenir la
perte desdits revenus après sa détentionet son expulsion de la RDC dans
la mesure où les deux sociétésdébitricesde ces revenus et dont il étaitet
est toujours gérant et associé ont continué de fonctionner sans aucune
entrave de la part des autorités congolaises.
2.22. A propos des sociétés,la Cour a déclaréque,d'une part,
«Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre n'ont pas cessé d'exister.
En l'absence d'une liquidation judiciaire, la dissolution d'une
sociéténe peut, aux yeux du décretde 1887, « êtredécidéeque par
une assemblée générale ». Une fois la dissolution décidée, la
procédure de liquidation commence. Or, la Cour observe qu'aucun
élémentde preuve n'établit qu'une liquidation judiciaire aurait eu
lieu ou qu'une assemblée généraleaurait ététenue aux fins de
décider de la dissolution ou de la liquidation de l'une ou de j'autre
de ces sociétés» et, d'autre part, «M. Diallo, en tant que gérant
comme en tant qu'associé des deux sociétés, dirigeait et
contrôlait celles-ci pleinemen»44.
2.23. Pour revenir aux trois prétendues conséquences préjudiciables de
l'expulsion invoquées par la Guinée, la RDC estime qu'elles ne sont pas
fondées, et ce pour plusieurs raisons qui seront développéesci-dessous.
44Voir CIl, Affaire Ahmadou Sadio Diallo, arrêtdu 30 novembre 2010 (fo§§),
113 et114. 28
2.24. En premier lieu, contrairement aux allégations de la Guinée,
l'exercice des fonctions de PDG et de gérant des deux sociétéspar M.
Diallo n'a pas été rendu impossible ou ne .s'est pas trouvé
considérablement compliqué du fait qu'il ne pouvait se rendre sur place à
Kinshasa. En effet, la Guinée avait déjàsoulevé le mêmeargument lors
du débatsur le fond du différenden écrivantqu'
« à la suite de sa détention et de son expulsion par les autorités
[congolaises], M. Diallo a étémis dans l'impossibilité, d'un point
de vue pratique, de remplir le rôle de gérant depuis la Guinée,
puisqu'il se trouvait hors du territoire [congola».]
2.25. La Cour a rejetéce raisonnement en ces tennes:
«La Cour ne saurait souscrire àce raisonnement et, à cet égard,se
réfèreà l'article 69 du décretde 1887, qui prévoit que «la gérance
peu[t] confier la gestion journalière de la sociétéet des pouvoirs
spéciaux à des agents ou autres mandataires associés ou non
associés». En ce qui concerne Africontainers-Zaïre, la Cour
renvoie en outre à l'article 16 des statuts de cette société,aux
termes duquel « [l]a gérancepourra établirdes sièges administratifs
en République du Zaïre et des succursales, bureaux, agences,
dépôtsou comptoirs en n'importe quel lieu, tant dans la République
du Zaïre qu'à l'étranger».
S'il est vrai qu'il a pu êtreplus difficile pour M. DiaHo d'exercer
ses fonctions de gérantdu fait qu'il se trouvait hors du territoire de
la RDC, la Guinée n'a pas démontré que cela lui avait été
impossible. De surcroît, elle n'a pas démontré que M. Dialla
avait tenté de désigner un mandataire, qui aurait pu agir en RDC
sur ses instructions.
En fait, il ressort clairement de différents documents soumis à la
Cour que, mêmeaprès l'expulsion de M. Diallo, des représentants 29 .
d'Africontainers-Zaïre ont continuéà agir au nom de cette société
en RDC et de négocier avec la sociétéGécamines au sujet de
réclamations contractuelles.
En conséquence, la Cour conclut que l'argwnent de la Guinéeselon
lequel la RDC a violéle droit de M. Diallo d'exercer ses fonctions
de gérantdoit êtrerejeté »45,
2.26. Eu égard à cette position de la Cour, qui n'appelle pas de
commentaire, la première conséquencepréjudiciable de l'expulsion de M.
Diallo invoquéepar la Guinéedoit êtrerejetée.
2.27. En second lieu, contrairement aux allégations de la Guinée,
l'expulsion de M. Dialla sans qu'il puisse confier, dans les règles de l'art,
ses fonctions à un tiers, n'a pas privé celui-ci de ses revenus
professionnels habituels.
2.28. A la lumière de la positon de la Cour qui vient d'êtreexposée
ci-dessus, la deuxième conséquence préjudiciable de l'expulsion de M.
Dialla avancéepar la Guinéedoit êtrerejetéecomme la première. Il est en
effet établique pour garantir le paiement de ses revenus professionnels,
M. Diallo a confié,comme la Cour l'a constaté,la gestion journalière des
deux sociétésaprès son expulsion à des personnes qui ont continuéà agir
pour celles-ci sous son contrôle. Il est aussi piquant de constater que sur
le document de l'inventaire des biens de la sociétéAfricontainers-Zaïre
signé le 12 février 1996, il est indiqué sous nota bene (N.B.) ce qui
suit en ce qui concerne certains véhiculesde cette société:
«La Saviem 301 KN 1794 E, Remorque KN 9773K et l'élévateur
pourront êtreréparéssur ordre de PDG Mr Diallo Amadou Sadio
pour êtreexploités 46».
45Ibidem, §§ 135-137.
46Voir Annexe l, p. 3 de l'inventaire. 30
On voit bien que M. Dialla continuait à gérerses affaires en RDC malgré
son expulsion et qu'il n'a donc pas perdu des revenus professionnels à
cause de celle-ci.
2.29. En troisième lieu, la Guinée soutient qu'en expulsant l'associé
unique et gérant, tout en le réduisant à l'indigence, on accule ainsi ses
sociétés à la faillite. Cette troisième conséquence préjudiciable de
l'expulsion de M. Diallo développéepar la Guinée doit également être
rejetée dans la mesure où elle sort du cadre de l'arrêtdu 30 novembre
2010.
2.30. En effet, dans l'hypothèse où l'expulsion de l'intéresséaurait acculé
les deux sociétésà la faillite, il s'agit d'un dommage qui serait peut-être
causéaux sociétésen tant que personnes morales et non à M. Dialla en
tant qu'individu. Or, la présente procédure concerne la fixation de
l'indemnité à payer à la Guinée pour réparer le préjudice causé à M.
Diallo en tant qu'individu et non en tant qu'associé des sociétés
concernées.
2.31. A ce propos, la Cour a déclaré que
« les droits et les biens de la sociédoivent êtredistingués de ceux
de l'associé 47» et «tant que la sociétésubsiste, l'actionnaire [ou
l'associé]n'a aucun droit à l'actif socia48»,
Il n'est pas inutile de rappeler ici que les réclamations de la Guinée
concernant les droits et les créances des deux sociétésont étédéclarées
irrecevables par la Cour.
2.32. Concernant la prétendue indigence de M. Diallo qui serait
provoquée par son expulsion, la RDC relève que l'intéressés'était fait
délivrer, et ce à sa propre demande, l'attestation d'indigence
47Ibidem, § 155.
48Voir CIl, Affaire Ahmadou Sadio Diallo, arrêtdu 24 mai 2007, Rec. 2007, § 63. 31
nOOIIDUAS/B.2.10974/95 du 12 juillet 1995 établie par la Division
urbaine des affaires sociales de la ville de Kinshasa. Dans cette
attestation, établieplusieurs mois avant ses détentions et expulsion de la
RDC, il est indiquéque
«M. Diallo est un indigent temporaire, insolvable et dépourvu de
tout appui vital aprèsexamen de son dossier »49,.
Cette attestation a étéproduite par la Guinéeelle-mêmeà l'annexe n° 22
de ses Observations sur les exceptions préliminaires de la RDe du 7
5
juillet2003 °, Il est donc clair que l'intéressé,de son propre aveu, avait
d'énonnes difficultés financières bien avant ses détentions et son
expulsion de la RDC en 1995-1996.
En outre, la RDC fait remarquer à la Cour que depuis l'année 1991, soit
plus de quatre ans avant ses détentions et expulsion du territoire
congolais, M. Diallo manquait de l'argent pour payer les loyers mensuels
de l'appartement qu'il occupait à Kinshasa. C'est cette situation qui a
pousséla sociétéPLZ, propriétaire dudit appartement, à résilierle contrat
de baille 30 avril 1992 et à saisir les tribunaux congolais pour obtenir le
déguerpissement de l'intéresséet le paiement des loyers échusnon payés
chiffrés à la somme de 32 964 USD à la date du 19 novembre 1992 5•
Cette situation est une preuve supplémentaire montrant que M. Diallo
avait d'importantes difficultésfinancières, au point de ne pas êtrecapable
de payer des loyers mensuels sur l'appartement qu'il occupait et de
pousser le bailleur à saisir la justice congolaise pour obtenir son
déguerpissement et le paiement des loyers impayés,et ce plusieurs années
avant son expulsion de la RDC.
49Voir Annexe II du présentcontre-mémoire.
50Voir Observations de la Républiquede Guinéesur les exceptions préliminairesde
la Républiquedémocratiquedu Congo, Livre II (Annexes), 7 juillet 2003, annexe nO
22.
51Voir les détailssur cette affaire, Exceptions préliminaires de la RDC, 1er octobre
2002, volume l, p.36. 32
Aussi, il n'a étéfourni devant la Cour aucune preuve crédible et
convaincante de son prétendu état d'indigence en Guinée qui serait
consécutifà son expulsion de la RDC.
Eu égard à ce qui précède la RDC soutient que M. Diallo avait déjà
d'énonnes difficultés financières longtemps avant ses détentions et
expulsion de son territoire en 1995-1996 et que l'Etat défendeur n'a
aucune responsabilité dans ces difficultés.
2.33. Pour conclure sur cette question, la RDC appelle au secours la
jurisprudence de la Cour dans l'affaire du détroitde Corfou concernant la
fixation du montant des réparations dues par l'Albanie au
Royaume-Uni 52.Dans cette affaire, le Royaume-Uni réclamait à l'Albanie
le paiement de la somme de 50 048 f à titre d'indemnités dues pour les
décèssurvenus dans le personnel naval britannique et pour les blessures
infligées à ce personnel. Le montant ainsi réclamé représentait les
dépenses résultant des pensions et des indemnités allouées par le
Royaume-Uni aux victimes ou à leurs ayants droit, ainsi que des frais
d'administration, de traitements médicaux, etc.
2.34. La Cour a allouéledit montant au Royaume-Uni en estimant que
«le montant de ces dépenses a été justifié à la satisfaction de la
Cour par les documents que le Gouvernement du Royaume-Uni a
53
produits sous les annexes 12 et 13 de son mémoire ainsi que par
les indications complémentaires et les rectifications qui y ont été
apportéessous les appendices J, IIetIII de ses Observations du 28
juillet 1949 »54.
52Voir CIl, Affaire du détroitde Corfou (Fixation du montant des réparationsdues
par la République populaire d'Albanie au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d'Irlande du Nord), arrêtdu 15 décembre1949,Rec. 1949, p.244.
53C'est la RDC qui souligne.
54lbidemp,p.249-250. JJ
2.35. Il est donc clair que c'est parce que le Royaume-Uni a produit des
documents probants justifiant les dépensesencourues par lui que la Cour
lui a allouéle montant réclamé.Or, dans la présente affaire, la Guinéen'a
produit aucun document probant pour justifier ni la réalitédes revenus
professionnels alléguésni le manque à gagner sur lesdits revenus dans le
chef de M. Diallo. L'Etat demandeur n'a pas non plus expliqué comment
M. Diallo aurait étéprivé de ses salaires mensuels alors qu'il était le
gérant et l'associé unique des deux sociétésqui lui versaient lesdits
salaires avant ses détentionset son expulsion.
2.36. Conscient du fait que ses prétentions ne reposent sur aucun
document ayant une valeur probatoire irréfutable, l'Etat demandeur en est
arrivéà confier à la Cour la mission de rechercher à sa place les preuves
pour étayer ses 55opres allégations, y compris mêmesa propre fiche de
paie mensuelle • A ce sujet, la RDC souligne que l'Etat demandeur doit
soit produire des preuves écritespour étayerses réclamations financières
soit retirer celles-cis'il n'en a pas les preuves. Et s'il n'a pas les preuves,
la Cour ne pourra que constater cette carence et en tirer les conséquences
juridiques qui s'imposent dans ce type de situation.
2.37. Au total, et eu égardà ce qui précède,l'Etat défendeur demande à la
Cour de rejeter la prétention de la Guinée concernant le paiement des
indemnitésde 80 000 USD et de 6 430 148 USD relatives respectivement
à la prétendue perte des revenus professionnels pendant les 72 jours de
détentionde M. Diallo et au prétendumanque à gagner sur lesdits revenus
subi par celui-ci pendant la période postérieure à son expulsion du
territoire congolais.
II - La perte des actifs (y compris les avoirs en banque)
2.38. L'Etat demandeur allèguequ'à la suite de l'expulsion de M. Diallo
de la RDC, il a perdu tous ses biens meubles qui se trouvaient dans
55Voir MG, pp.l6-17, § 49. 34
l'appartement où il vivait à Kinshasa. La RDC rappelle ici qu'il s'agit
d'un appartement qui étaitlouépar la sociétéAfricom-Zaïre auprès de la
sociétéPLZ en faveur de M. Diallo.
La Guinéepréciseque l'inventaire des biens personnels de M. Diallo qui
a été dresséaprès son expulsion est incomplet et ne reflète pas la réalité,
car certains biens auraientétésoustraits frauduleusement entre la date de
l'expulsion et celle de l'inventaire du fait que l'Etat congolais n'aurait pas
pris des mesures pour protégerlesdits biens. A cet égard,elle cite certains
objets de valeur qui ne figurent pas dans ledit inventaire tels que des
bijoux, une montre Cartier comportant 16 petits di~mant 5s,stylos à
bille en or pour cadeaux-visiteurs, etc.
2.39. En outre, la Guinée fait étatde la perte des biens mobiliers de la
sociétéAfricontainers-Zaïre dont l'inventaire dresséle 12 février1996
serait également incomplet. La RDC observe icique cette référenceà la
prétendue perte des biens de la sociétéAfricontainers est inappropriée
dans la mesure où la Cour a déjàdéclaré irrecevables toutes les demandes
de la Guinéerelatives aux droits de cette société.
2.40. Pour réparer le dommage matériel résultant de la perte des biens
personnels de M. Diallo, la Guinéeréclame à la RDC le paiement d'une
somme forfaitaire et globale de 550 000 USD correspondant à la valeur
56
des actifs perdus, y compris les avoirs en banque.
2.41. La RDC expliquera à la Cour que cette réclamation de la Guinéene
repose sur aucune preuve sérieuse et crédible et qu'elle doit êtrerejetée
pour plusieurs raisons qui seront exposées ci-dessous.
2.42. Ainsi qu'il a étérelevé plus haut, il est vrai que la Cour avait
clairement indiqué dans son arrêtsur le fond du différend que la RDC
devait payer une indemnité à la Guinée à raison du dommage résultant
56Ibidem, pp.17-19, §§ 50-61. 35
des détentions et de l'expulsion illicites de M. Diallo en 1995-1996, y
compris la perte de ses effets personnels qui en a découlé 57.Pour l'Etat
défendeur, il s'agit d'un simple principe retenu par la Cour d'une
éventuelleperte des effets personnels de M. Diallo. C'est donc à ce stade
de la procédure que la Guinéedevait administrer devant la Cour une triple
preuve: 1°) la preuve crédible et convaincante de l'existence réelleet non
imaginaire des effets personnels de M. Diallo, 2°) la preuve de la perte
effective et non hypothétique desdits effets après son expulsion et 3°) la
preuve crédibleet irréfutable de leur valeur financière.
2.43. S'agissant de l'existence des effets personnels de M. Diallo, la
Guinée cite l'inventaire de ces effets dressé le 12 février 1996, soit 12
jours après l'expulsion de l'intéresséintervenue le JI janvier 1996 58•
L'examen de ce document montre qu'il a été également établi sur
instructions et sous la supervision de l'ambassade de Guinée à Kinshasa
par deux représentants de M. Diallo, dont un membre de sa propre famille
M. Ibrahim Diallo. Il en est de mêmede l'inventaire des biens de la
59
société Africontainers - Zaïre •
2.44. C'est ce seul inventaire des effets personnels de M. Diallo qui se
trouvaient à son domicile à Kinshasa et dressé sous la supervision de la
Guinée elle-même qui constitue la seule preuve crédible et sérieuse de
l'existence desdits effets. La Guinée ne peut donc plus invoquer
l'existence d'autres effets personnels de M. Diallo en dehors de
l'inventaire qu'elle a fait établirelle-même in tempore non suspecta.
2.45. Pour ce qui est de la perte des effets personnels de M. Diallo, la
RDC fait d'abord observer à la Cour que l'intéressé vivait dans un
appartement avec ses travailleurs domestiques qui prenaient soin de
celui-ci. Ensuite, la RDC n'avait pas ordonné le déguerpissement de M.
Diallo de l'appartement où se trouvaient ses effets personnels et n'avait
57 C'est la RDC qui souligne.
58 Voir Annexe III du présentcontre-mémoire.
59 Voir Annexe 1du présentcontre-mémoire. 36
donc pas de contrôle sur celui-ci. Il appartient donc à la Guinée qui a fait
dresser un inventaire détaillé des effets personnels de M. Dialla
d'indiquer à la Cour les dispositions qu'elle avait prises pour assurer la
protection des effets concernés. Selon le document .de l'inventaire, les
effets personnels de M. Dialla ne pouvaient pas se perdre parce qu'ils se
trouvaient entre les mains de la Guinéeet des amis et des proches parents
de l'intéressé.En tout étatde cause, ce n'est pas laRDe qui doit assumer
la responsabilité de la prétendue perte desdits biens alors que ceux-ci se
trouvaient à la disposition de la Guinéeelle-mêmequi en avait fait établir
un inventaire approprié en temps utile.
2,46. Concernant le cas spécifique de la perte des avoirs en banque de M.
Diallo alléguéepar la Guinée, la RDC s'étonne et éprouve beaucoup de
difficultéspour comprendre comment l'intéresséa pu perdre ses avoirs en
banque après son expulsion. Or, s'il ya un endroit au monde où les avoirs
financiers d'une personne sont en meilleure sécurité c'est dans une
banque. La RDC fait également observer à la Cour qu'il est surprenant de
voir que l'Etat demandeur n'indique pas dans ses écritures ni les banques
congolaises qui détenaient les avoirs de M. Diallo ni le montant de ces
aVOlrs.
2.47. En tout étatde cause, la Guinéen'explique pas comment M. Diallo
a pu perdre ses avoirs bancaires aprèsson expulsion de la RDC alors qu'il
est censé en détenir les preuves et qu'il connaît les banques concernées
pour pouvoir récupérerses avoirs. Aussi, la Guinée ne démontre pas que
M. Diallo a tenté de récupérerses avoirs propres logés dans les banques
congolaises et que les autorités congolaises auraient demandé à celles-ci
de ne pas les lui remettre.
2.48. A propos de la valeur des effets personnels de M. Diallo qui ont été
inventoriésdans son appartement, la Guinéeexplique elle-mêmedans ses
écrituresqu'ils sont de faible importance et en nombre dérisoire. Mais la
Guinée en arrive même à critiquer l'inventaire des biens, ce qui est
paradoxal, d'avoir occulté certains biens alors que c'est l'Etat demandeur 37
lui-même qui a fait établir ledit inventaire. Pour expliquer que
l'appartement de M. Diallo contenait des objets de grande valeur, la
Guinéecite, à titre de preuve, un article du journal Jeune Afrique du 16
février 1984, publié 12 ans avant l'expulsion de l'intéressé,où il était
indiquéque ledit appartement étaitstrict, propre et meubléavec goût60•
Mais ces élogesde la part d'un journaliste bienveillant ne signifient pas
que l'appartement loué par Diallo contenait les objets non inventoriés
repris en 2011 par la Guinéedans ses écritures.Aussi, le bon journaliste
de Jeune Afrique ne pouvait pas imaginer que 12 ans plus tard le
millionnaire Diallo allait êtreincapable de payer les loyers sur ledit
appartement et que son bailleur allait le déféreren justice pour obtenir
son déguerpissement pour non-paiement des loyers échus évaluésà la
somme de 32 964 USD.
2.49. La RDC fait remarquer à la Cour que les contradictions et les
incohérences de l'Etat demandeur au sujet de la perte et de la valeur des
effets personnels de M. Diallo montrent le désarroi dans lequel il se
trouve pour justifier ses réclamations excessives et fantaisistes,
notamment la somme de 550000 USD à titre d'indemnitéréparatrice.
2.50. Eu égard à ce qui précède, l'Etat défendeur prie la Cour de
constater, d'une part, que la Guinée n'a pas démontré de manière
suffisante et convaincante, au-delà de tout doute raisonnable, que M.
Diallo possédait des biens personnels autres que ceux qui ont été
inventoriés et qu'il a perdu ces derniers et, d'autre part, que l'Etat
demandeur n'a pas non plus justifié à la satisfaction de la Cour par des
documents probants déposéspar lui, le montant de l'indemnité de 550
000 USD qu'il réclame pour réparer les prétendus autres dommages
matérielsqui auraient été subis par son ressortissant. Et, de ce fait, aucune
indemnitén'est due pour ce chef de demande.
60Voir sur cette partie, MG,p.IS, §§ 55 et 56. 38
III - La perte potentielle de gain
2.51. L'Etat demandeur sollicite auprès de la Cour la condamnation de
l'Etat défendeur à lui payer la somme de 4 360 000 USD à titre
d'indenmité pour réparer le préjudice causéà M. Dialla à la suite de la
perte potentielle de gain.
2.52. La Guinée explique dans ses écritures la perte potentielle de gain
subie par M. Dialla comme suit:
«empêché d'administrer ses sociétésen raison de son arrestation
illégale,qui avait d'ailleurs précisémentcet objet, M. Dialla a
égalementété entravédans la poursuite de ses activitésà la têtedes
deux sociétés et, surtout,dans la cession de ses parts sociales à
des tiers, avant d'êtreexpulsé. Or du fait de son expulsion et des
conditions de sa mise en Œuvre, la situation des deux sociétéset
notamment d'Africontainers a immédiatement périclité,et leurs
actifs ont étédispersés ».
L'Etat demandeur préciseque
« les conséquences financières de la perte potentielle de gain qui
en résulte peuvent êtreévaluéescomme une fraction de la valeur
d'échange des titres composant la totalité du capital social des
deux sociétéi E• cas de cession, la valeur de ces deux sociétés
qui ne faisaient faceà aucun passif exigible, aurait tenu compte: 1°)
de la valeur des biens meubles et immeubles dont elles étaient
propriétaires, et dont un inventaire non exhaustif a étédresséen ce
qui concerne la sociétéAfricontainers; et 2°) des créancesqu'elles
détenaient à l'encontre de leurs différents clients dont l'Etat
congolais lui-mêmeau titre de l'affaire du papier-listing »62.
61C'est la RDC qui souligne.
62VoirMG,p.20, §§63-64. 39
2.53. Concernant le mode de calcul du montant de l'indenmité pour
réparerla perte potentielle de gain subie par M. Diallo, la Guinéeprocède
comme suit: 1°) la somme de 1 000 000 USD représentant la créancede
la sociétéAfricom-Zaïre sur l'Etat congolais relative au papier-listing +
2°) la somme de 5 000 000 USD représentant la valeur d'acquisition et
celle de mise en valeur de la premièreparcelle de 8000 m de la société
Africom-Zaïre + 3°) la somme de 2 000 000 USD représentant la valeur
d'acquisition et celle de mise en valeur de la deuxième parcelle de 2400
m' de la sociétéAfricom-Zaïre + 4°) la somme 'de 720 000 USD
représentantla valeur de 600 conteneurs, au prix de 1200 USD par pièce,
appartenantà la sociétéAfricontainers-Zaïre, soit au total la somme de 8
63
720 000 USD ,
2.54. Selon la Guinée, le gain potentiel dont M. Diallo aurait étéprivé
peut êtreévaluéà hauteur de 50% de la somme de 8 720 000 USD
calculée ci-dessus, et ce compte tenu du rôle central et essentiel que
l'intéresséjouait au sein de ces deux sociétéscommerciales, soit la
somme de 4 360 000 USD".
2.55. L'Etat défendeur démontrera dans les lignes qui suivent que cette
prétentionde l'Etat demandeur n'est ni crédibleni fondée et demandera
en conséquence son rejet pur et simple par la Cour.
2.56. A ce sujet, la RDC relève d'abord que les biens et les créancessur
lesquels la Guinées'appuie pour calculer la perte potentielle de gain qui
aurait étésubie par M. Diallo appartiennent non pas à celui-ci mais plutôt
aux sociétésAfricom-Zaïre et Africontainers-Zaïre qui, selon la Cour,
existent jusqu'à ce jour. Or, la Cour a déjàdéclarédans une jurisprudence
constante, et cela a étérappelé plus haut, que « tant que subsiste la
société,l'actionnaire [ou l'associé] n'a aucun droit à'actif socia».
La Guinéene peut donc pas calculer la prétendueperte potentielle de gain
qu'aurait subie M. Diallo sur la base des biens qui n'appartiennent pas à
63 Ibidem, p. 21, §§ 66 - 68.
64
Ibidem,p.20, § 65. 40
celui-ci. Elle ne pourrait le faire éventuellement que sur la base des
activitéset des biens propres de l'intéressé.
2.57. Ensuite, les biens des deux sociétéssur lesquels la Guinéese fonde
pour calculer la prétendue perte potentielle de gain subie par M. Diallo
existent jusqu'à ce jour. La Guinéen'a pas apportéla preuve et n'a pas
prétenduque ces biens ont été perdus. Les deux parcelles d'une valeur de
7 000 000 USD qui appartiendraient à la société Africom-Zaïre n'ont pas
été expropriéespar l'Etat congolais. Ainsi, si la sociétéAfricom-Zaïre
parvient à vendre ses deux parcelles ou à recouvrer sa créancesur l'Etat
congolais, M. Diallo, qui en est le gérantet l'unique propriétaire,va
récupérerla totalitédu prix de vente desdites parcelles et le montant de la
créancerelative au papier-listing, soit la somme de 8 000 000 USD, dans
la mesure où la Guinée soutient que cette sociéténe faisait face à aucun
passif exigiblé5•Le mêmeraisonnement est également valable en ce qui
concerne la vente éventuelle des 600 conteneurs de la société
Africontainers-Zaïre. La situation serait également la mêmepour les
droits de M. Diallo en cas de dissolution judiciaire ou consensuelle des
deux sociétéss,uivie de leur liquidation.
2.58. La RDC tient à souligner que la Guinéerévèlepour la première fois
devant la Cour que la sociétéAfricom-Zaïre, et donc M. Diallo selon la
thèse de l'Etat demandeur, possède deux importantes propriétés
immobilièressituéesau centre de la ville de Kinshasa"d'une valeur totale
de 7 000 000 USD. Dans ces conditions, la Guinée n'explique pas
pourquoi M. Diallo n'a pas vendu ces propriétésimmobilières pour
gagner de l'argent et relancer ses affaires en Guinée au lieu de vivre,
selon l'Etat demandeur, dans la pauvretéet l'indigence à Conakry.
Ilen résulteque le prétenduétatde pauvretéet d'indigence de M. Diallo
qui serait une conséquencepréjudiciablede son expulsion de la RDC, et
qui est développé à plusieurs reprises au cours du présentdifférendpar la
65Ibidem, p. 20, § 64. 41
Guinée,ne serait qu'une contrevéritéavancéepour les besoins de la cause
devant la Cour.
2.59. Mais la RDC peut également envisager l'hypothèse inverse selon
laquelle la sociétéAfricom-Zaïre ne serait pas propriétairedes deux
parcelles concernéesdans la mesure où la Guinéen'a verséau dossier
judiciaire aucun titre de propriétérelatià ces propriétésimmobilières
établipar les autoritéscongolaises compétentes au nom de cette société.
2.60. En effet, la matièrede la propriétéimmobilièreest régieen droit
interne congolais par la loi foncière du 20 juillet 1973 telle que modifiée
par celle du 18 juillet 1980. Les dispositions de l'article 219 de cette loi
prévoientque:
«Le droit de jouissance d'un fonds n'est légalementétablique par
un certificat d'enregistrement du titre concédépar l'Etat.
La propriétéprivée des immeubles par incorporation, qui est
toujours envisagée séparémentdu sol, n'est légalement établieque
par l'inscription, sur le certificat établissantla concession du fonds,
desdits immeubles. Elle peut être établie par nn certificat
d'enregistrement distinct dontilest fait annotation sur le certificat
établissant la concessio»66.
Or, la Guinée affinne que la société Africom-Z estïpr~priétaireà
Kinshasa des deux parcelles d'nne valeur globale de 7000000 USD.
Mais elle ne produit pas devant la Cour deux certificats d'enregistrement,
les seuls titres de proprireconnus en droit congolais, relatifs à ces deux
propriétésimmobilières pour prouver leur existence et leur appartenance
à ladite société.
2.61. Dans ces conditions, le calcul effectué par la Guinée sur la base de
66VoirAnnexe IV duprésentcontre-mémoire. 42
la somme de 7 000 000 USD représentant la valeur des deux parcelles
d'Africom-Zaïre, sans verser au dossier judiciaire aucune preuve de
l'existence desdites parcelles, de leur enregistrement légal au nom de
cette sociétéet de leur valeur actuelle expertisée, ne repose sur aucune
preuve sérieuseet crédible.
2.62. Ce qui est encore plus absurde et plus contradictoire dans la
réclamationde la Guinée, c'est que l'Etat demandeur fixe à hauteur de
50% de la valeur des actifs des deux sociétéschiffréeà 8 360000 USD la
perte potentielle de gain subie par M. Diallo. Mais étantdonnéque selon
la GuinéeM. Dialla est l'associéunique des deux sociétés,et donc leur
unique propriétaire,et que celles-ci ne faisaient face à aucun passif
exigible, la RDC ne parvient pas à identifier à qui la Guinéelaisse ou
donne les 50% restants sur la valeur totale desdits actifs.
En d'autres termes, la RDC ne comprend pas pourquoi la Guinée ne
réclame pas la totalité de la valeur des actifs des deux sociétéspour le
compte de M. Diallo au lieu de se limiter 50% de ces actifs.
2.63. Ce qui précèdeest révélateurde la stratégiejudiciaire intenable de
l'Etat demandeur qui consiste à présenterdevant la Cour plusieurs chefs
de préjudice et de demande, même en sacrifiant toute rigueur
intellectuelle, en vue de multiplier des possibilitésde capter de l'argent
pour M. Diallo.
2.64. Eu égard à ce qui précède,la RDC ne peut que constater que la
Guinéen'a pas justifié à la satisfaction de la Cour,par les documents
probants déposéspar elle, le montant de l'indemnité de 4 360 000 USD
qu'elle réclamepour réparerla prétendueperte potentielle de gain qui
aurait étésubie par M. Diallo. De ce fait, l'Etat défendeur prie la Cour de
dire qu'aucune indemniténe peut être due à la Guinéepour ce chef de
demande.
2.65. La RDC va aborder dans la section suivante la question du 43
remboursement des frais de procédureréclamépar l'Etat demandeur dans
ses écritures.
Section III. Les frais de procédure
3.01. L'Etat demandeur soutient qu'il a étécontraint à engager la présente
procédure au cours de laquelle ila effectuédes dépenses à titre des frais
de procédure qui ne sauraient êtrelaisséesà sa charge. Il demande en
conséquence à la Cour de condamner la RDC à lui payer la somme de
500 000 USD à titre de remboursement des frais de procédure qu'il a
ainsi exposéspour défendre ses droits 67.
3.02. La RDC expliquera à la Cour dans les lignes qui suivent que cette
prétentionde la Guinéen'est pas fondéeet méritedonc d'êtrerejetée.
3.03. La RDC commence d'abord par se référerà la pratique de la Cour
européenne des droits de l'homme sur la question du remboursement des
frais de justice. En effet, la Cour européennedes droits de l'homme rend
régulièrement des décisions judiciaires sur les demandes de certaines
Parties relatives au remboursement des frais de procédure qu'elles
auraient exposés. Elle a ainsi dégagédans son abondante pratique sur la
question un principe généralet constant qui gouverne les demandes de
remboursement des frais de procédure.
3.04. Ainsi, dans l'affaire Oçalan c. Turquie où le plaignant réclamaità la
Turquie le remboursement des frais de justice qu'il avait exposésau cours
de la procédure, la CEDH a rappelé sa jurisprudence constante en la
matièreen ces termes:
«Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'allocation de frais
et dépensau titre de l'article41 [de la Convention] présuppose que
se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le
67Ibidem, p. 22§ 69. 44
caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne
sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la
violation constatée »68.
3.05. Appliquant ce principe au cas qui lui étaitsoumis, elle a accordé,en
équité, la somme de 120000 euros àla partie Oçalan.
3.06. Dans l'affaire Mooren c. Allemagne, la CEDH a encore rappelésa
jurisprudence constante en indiquant que
« les frais et dépens ne peuvent donner lieu à remboursement au
titre de l'article 41 [de la Convention] que s'il est établiqu'ils ont
étéréellement exposés, qu'ils correspondaient à une nécessitéet
qu'ils sont raisonnables quant à leur taux. De surcroît, seuls
peuvent êtrerecouvrésles frais exposésen rapport avec la violation
constatée» 69.
3.07. La CEDH a répété et appliquéla mêmejurisprudence dans l'affaire
M.S.S. c. Belgique et Grèce où elle a rejeté la partie de la demande de
remboursement des frais qui n'était pas accompagnée des pièces
70
justificatives .
3.08. Dans la présente affaire, la Guinéesollicite la condamnation de la
RDC à lui payer la somme de 500 000 USD à titre de remboursement des
frais et des dépenses qu'elle aurait exposés au cours de la présente 71
procédure.
3.09. Cette réclamation de la Guinéesoulève deux questions essentielles
qui sont sans réponse dans les écrituresde l'Etat demandeur. En premier
68Voir CEDH, Affaire Ocalan c.Turquie, arrêtdu 12 mai 2005, § 215.
69Voir CEDH, Affaire Mooren c. Allemagne, arrêtdu 9 juillet 2009,§ 134.
70Voir CEDH, Affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce, arrêtdu 21 janvier 2011, §§ 418
et 422.
71 C'est la RDC qui souligne. 45
lieu, la somme réclaméese rapporte-t-elle uniquement à la présentephase
de la procédure relative à la fixation du montant de l'indemnité ou à
toutes les trois phases du procès? En second lieu, les preuves des frais et
des dépensesencourus par la Guinéeexistent-elles ou non?
3.10. La RDC estime que la Guinée a perdu le procès sur la partie
fondamentale de sa réclamation relative au paiement des créances de 36
milliards de dollars américains appartenant aux sociétés Africom-Zaïreet
Africontainers-Zaïre.C'est cette demande principale qui constituait la
raison d'êtrede son action en protection diplomatique initiée devant la
Cour en décembre 1998. La Cour elle-mêmea constatédans son arrêtsur
les exceptions préliminaires que
«la plus grande partie de la requêtede la Guinée se rapporte aux
litiges opposant les sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre
à leurs partenaires publics et privés. La Guinée y consacre en
particulier de longs développements à la description des créances
qui seraient dues à ces sociétéset à M. Dialla ainsi qu'aux motifs
de droit pour lesquels la RDC serait redevable de toutes ces
créances en l'espèce. La Cour ajoute également que « dans son
mémoire sur le fond, la Guinée évoque encore dans une large
mesure la question des créances qui seraient dues aux sociétés
Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre et à M. Diall»72.
3.11. C'est dire que la plus grande partie des prestations de la Guinée
devant la Cour se rapportaient à cet aspect essentiel deemande. Ayant
perdu le procès sur ce principal chef de demande, la Guinée ne saurait
bénéficierdu remboursement des frais et des dépenses qu'elle aurait
encourus pour les prestations effectuéessur ce point.
3.12. Par ailleurs, la Guinée a également perdu le procès sur la question
des droits propres de M. Diallo en tant qu'as~o cesé sociétés
72Voir CU, Affaire Ahmadou Sadio Diallo, arrêtdu 24 mai 2007 (Exceptions
préliminaires),ec.200§§ 27et29. 46
Africontainers-Zaïre et Africom-Zaïre. De ce fait, et à l'instar de ce qui
vient d'êtredit au paragraphe précédent,la Guinéene peut pas bénéficier
du remboursement des frais et dépenses relatifs aux prestations portant
sur ce chef de demande.
3.13. Il reste la question du succès de la Guinéesur la question secondaire
de la violation constatée par la Cour des droits de M. Diallo en tant
qu'individu, en l'occurrence le cas des détentionset expulsion illicites de
l'intéresséen 1995-1996. Sur ce point, la ROC ne saurait admettre que les
frais et dépenses encourus par la Guinée pour les prestations aussi
limitéesrelatives à ce chef de demande puissent êtrefixés à la somme de
500000 USD.
3.14. La ROC admet facilement que la Guinéea effectivement engagédes
dépensesau cours de ce procès. Mais la Guinéen'a fourni aucune preuve
à la Cour de la réalitédes sommes dépensées,de leur nécessitéet du
caractère raisonnable de leur taux. Il en découle que le montant de
500 000 USD réclamépar l'Etat demandeur est fantaisiste, forfaitaire et
ne repose sur aucune preuve sérieuseet crédible.
3.15. La ROC, à l'instar de la Guinée, a également dépensé
d'importantes sommes d'argent pour se défendre devant la Cour et a
gagué sur plusieurs chefs de demande. Il serait donc inéquitable qu'elle
soit condamnée par la Cour à rembourser les frais encourus par la Guinée
et que celle-ci ne lui rembourse rienà son tour. Etant donnéque dans la
présente affaire chaque Etat a gagné sur certains chefs de demande et
perdu sur d'autres, la justice commande que chacun des Etats supporte
ses propres frais de procédureet ne réclamerien à l'autre.
3.16. Sur ce point, la ROC invoque la pratique du Centre international
pour le règlement des différendsrelatifs aux investissements entre Etats et
ressortissants d'autres Etats (ci-après «CIRDI ») en ce qui concerne la
question du remboursement des frais de procédure. 47
3.17. Ainsi, dans l'affaire Patrick Mitchell c. RDC, le Comité ad hoc du
CIRDI a jugé, dans sa Décision du 1" novembre 2006, que
«chaque Partie supporte les frais engagés pour sa défense, y
inclus les honoraires de ses conseils »73.
3.18. Aussi, dans l'affaire African Holding Company of America et
Sociétéafricaine de construction c. RDC, le Tribunal arbitral du CIRDI a
décidéque
« chaque Partie réglera ses propres frais et dépensesjudiciaires })74.
3.19. Il est vrai que la Cour n'est liéeni par les décisions du CIRDI ni par
celles de la CEDH en matière de remboursement des frais de procédure
engagés par les Parties. Mais la pratique de ces juridictions donne des
indications intéressantes sur la manière de réglerce type de questions.
3.20. Dans la présente affaire, la RDC prie la Cour, pour des motifs
exposés ci-dessus, de rejeter la demande de remboursement des frais
introduite par la Guinée et de laisser chaque Etat supporter ses propres
frais de procédure, y inclus les frais et honoraires de ses conseils, avocats
et autres.
Section IV- Le paiement des intérêtslégaux moratoires
3.21. Dans ses écritures, l'Etat demandeur prie la Cour de condamner
l'Etat défendeur à lui payer les intérêtl ségauxmoratoires 75 sur la somme
de 11 590 148 USD 76, qui est le total de toutes les sommes que la Guinée
73 Voir CIRDI, affaire Patrick Mitchell c. RDC (Affaire nOARB/9917) , Procédureen
annulation de la sentence arbitrale rendue le 9 février 2004, Décision sur la demande
en annulation de la sentence arbitrale, 1er novembre 2006, § 67.
74 Voir CIRDI, affaire n° ARB/OS/21,sentence du 29 juillet 2008, § 125.
75 La RDC souligne.
76 Voir MG, p. 21. § 69. 48
réclameà la RDC.
3.22. La RDC fait remarquer à la Cour que la Guinéen'indique pas dans
ses écrituresla loi qui prévoitl'application des intérêtlségauxmoratoires
en l'espèce. S'agit-il de la loi guinéenne,de la loi congolaise ou encore
d'une règledu droit international positif opposable aux deux Etats?
3.23. En outre, la RDC relève que l'Etat demandeur n'indique nulle part
le taux d'intérêmt oratoire qui serait applicable en l'espèce. Il n'indique
pas non plus l'instrument juridique international où l'.on pourrait trouver
ledit taux d'intérê t oratoire et qui lierait les deux Parties au présent
différend.
3.24. Eu égardà ce qui précède,l'Etat défendeurprie la Cour de rejeter
la demande de la Guinée relative au paiement des intérêts légaux
moratoires sur les sommes qu'elle pourrait lui alloueà titre d'indemnité
réparatrice.
Section V - Conclusions
3.25. Eu égardà tous les arguments de fait et de droit exposésci-dessus,
la Républiquedémocratiquedu Congo prie la Cour de ·direet juger que,
1°) l'indemnitéd'un montant de 30 000 USD est due à la Guinéepour
réparerle préjudicie immatériel subi par M. Diallo à la suite de ses
détentionset expulsion illicites en 1995-1996;
2°) aucun intérêm t oratoire n'est dû sur le montant de l'indemnité fixé
ci-dessus;
3°) la RDC dispose d'un délaide 6 mois àcompter du prononcéde l'arrêt
de la Courpour verser à la Guinéel'indemnitéfixéeci-dessus; 49
4°) aucune indemnité n'est due pour les autres dommages matériels
allégués par la Guinée;
5°) chacune des Parties supporte ses propres frais de procédure, y inclus
les frais et honoraires de ses conseils, avocats, conseillers, assistants et
autres.
Le 21 février2012
Professeur Tshibangu Kalala
Coagent de la Républiquedémocratiquedu Congo
Contre-mémoire de la République démocratique du Congo - Indemnisation due à la Guinée