Réplique du Gouvernement de la République du Tchad

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6697
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COUR NïERNATIONALEDE JUSTICE

(JAMAHIRARABE LIBElTCHAD)

REPLIQUEDUGOUVERNEMENT

DE LA REPUBLIQUE DU
TCHAD

LIVRE 1

1SEPTEM1992Introduction: Objetet plande la réplique

Chapitre I- LA PRESENTATIONDESTHESESDESPARTIESA LA COUR

-L'étonnante thèse libyenne errôle respectifdes forums

politiquesetjudiciaires

-Laproductiondedocuments devant la Cour

-Les"troisthèses"tchadiennes (leconcordance, leur

articulationet leurautonomie)

ChapitreII.- L'OPPOSABILI TE'ITALI(ETA LALIBYE)DELA DELIMITATIONDE

1899-1919

-Laportéede la Déclaratiode 1899par rapportà laTurquie

-L'acceptationparI'ltaliedesfrontièresde laTripolitaineet des

délimitationsfranco-britanniques-

ChapitreIII.- LA PORTEEDE L'ARTICL1E3 DEL'ACCOR DE LONDRE S E1915

ET LA SUCCESSIONDELA LIBYEA LOITALIE

-L'Article3 de I'Accordde Londresde 1915

-Laconfirmationde la portéede l'Article13de I'Accord de

1915 parI'Accord LAVAL-MUSSOLIN dIe 1935

-L'extinction des drquesI'ltaliepouvaittirer de I'Accordde

Londrespar l'Article23duTraitéde paixde 1947ChapitreIV.- LACONSOLIDATIONPROGRESSIVE DU TITR FRANÇAIS PUIS
TCHADIEN

-De lasphère d'influeauterritoire colonial

-De lalimitedessphèred'influencàlafrontièrcoloniale

ChapitreV. - BONNE FOIETDROITDESTRAITES -LAPORTEE DU TRAITE
FRANCO-LIBYENDU 1OAOUT1955

-Les originest les travpréparatoiresuTraitédu10
août1955

-L'interprétatduTraité franco-libyen

Conclusionsde la République du Tchad OBJET ETPLAN

0.01 Lors de la réunionque le Présidentde la Cour a

tenue avec les représentants des partie 27 mars 1992 pour se renseigner
auprès d'elles sur lasuitede la procédure,l'Agentde la Républiquedu Tchad

avait fait part des doutes duGouvernementtchadien sur la nécessité d'une
Réplique quiviendraits'ajouterauxécritures,déjàconsidérablesdes parties:

la Jamahiriyaarabe libyenneavait déposunMémoire de 479 pagesassortide
six volumesd'annexes, totalisa2.608 pages,puisun Contre-Mémoire de 419

pages avec 612 pages d'annexes ; pour sa part le Mémoiredu Tchad
comportait423 pages,accompagnées de 3.035 pages d'annexesrépartiesen

six volumes et sonContre-Mémoire, 590 pages,auxquelles avaientété joints
un atlas cartographique de 161 pages et deux volumes d'annexesde 920

pages au total. Sauf à ce que les partiesse répétassenti,l était doncpeu
vraisemblablequ'un troisièmetour de plaidoiries écrfûtencorenécessaire,
étant donné qu'en toué t tat de cause leuexposés oraux leur donneraient

l'occasion de présenterleurs thèses respectives en mettant l'accent sur les
points qui lesdivisent. 0.02 La partielibyennen'apas partagé cette façon dv eoir
et, par son ordonnanceen datedu 14avril 1992,la Coura décidé d'autorisela r

présentation par chacune des parties d'une réplique avantle 14 septembre
1992.La présenterépliqueest soumise conformément à cette autorisation.

0.03 La lecture attentivedu Contre-Mémoirede la Libye a
cependant renforcé la République duTchaddansla convictionqu'uneréplique

n'étaitpas indispensable :elle a, poursa part, répondupar avanceà'la quasi-
totalitédes arguments avancés dansle Contre-Mémoire libyen. C'est donc

surtout par déférence pour la Cour qu'ellea, finalement,décidé de présenter
unebrèveréplique.

0.04 Au demeurant, pouréviter d'alourdir inutilementun
dossier déjà fortvolumineux,la République du Tchad s'abstiendrade répéter

son argumentation antérieure,qu'elle maintient dans son intégralité et,
conformément aux prescriptionsde l'article49,paragraphe3, du Réglement de

la Cour, elle se limiteraà réfuterles quelquesarguments nouveauxfigurant
dans leContre-Mémoire de la Libye.

0.05 La présenterépliqueaborderadoncsuccessivement

les points suivants:

- la présentationdesthèses des partiesdevantla Cour(Chapitre 1);

- l'opposabilità I'ltalie(àtla Libye)de la délimitation de1899-1919 (chapitre
11);- la portéede l'article13 duTraitede Londresde 1915 et la succession de la
Libyeà I'ltalie(chapitIII) ;

-laconsolidatiop nrogressive dutitre français (putshadien) (chapitrIe) ;

- la porteedu Traitéfranco-libyen du 10 août 1955 - Bonnefoi et droitdes
traités (chapitV).LAPRESENTATIONDESTHESESDESPARTIES

ALACOUR 1.O1 La Républiquedu Tchad, qu si félicitede l'approche

plus juridiqueretenue parla partie libyenne dans son Contre-Mémoe',en a
pas moins été choquée par certaines allégations inutilement polémiEules.

s'abstiendrad'y répondre.

1.O2 Enrevanche,elle souhaite attirerrespectueusement

l'attention de laCour sur certains aspects regrettablla présentationde
l'affairepar la Libye.Enparticulier:

i) Le Contre-Mémoirelibyen présente devuessinguliéressur le rôle respectif

des forums politiqueset des forums judiciaires dansle cadre d'un différend
international(Section.).

ii) Le Gouvernement tchadien ne peut accepter certainesdes allégations
libyennes en ce qui concerne la production de documents devant la Cour

(Section2.). Et,

iii) La partielibyennetouten relevant,stetitre,que la Républidu Tchad
étaie ses conclusions partrois séries d'argumentations, déformcelles-ci

considérablement (Sectio3.).

SECTION 1. L'ETONNANT TEHESE LIBYENNE SUR LE
ROLE RESPECTIF DESFORUMSPOLITIQUESET

JUDICIAIRES

1.O3 Dans ses précédentes écrituresl, République du
Tchad a mis l'accent sur les silences révélateurs gardés palr Libye en
maintescirconstancesdans lesquelleson se seraitattendà ce qu'elleexpose

son pointde vue. Ellea également fait remarquqru'end'autres occasions,laLibye s'était exprimée et avait définil'objet du litige l'opposantau Tchad

beaucoup plusrestrictivement qu'elllefaitdevantla Cour.La République du
Tchad a montré dans soC nontre-Mémoire les conséquencesjuridiques que

l'on devait tirer tant de ces silencesque de ces affirmationsau regarddes
principesdelabonnefoi,del'acquiescemente teI'estoppel(v.not.CMlT,par.
2.96 à2.118,4.52à4.82 ou9.106à9.125).

1.O4 Pourtenterd'échappeà r ces conséquences l, Libye
a, dans son propreContre-Mémoire, forgu énethéoriefort originale qui peut

être résumée ainsi: ineconvient pasdediscuterde problèmes juridiques au
seinde forums politiquesni d'yprésenter des argumend te nature juridiqu;
mais, dansla mesureoùdetels argumentsonteffectivementété invoqués i,

convient de fairecomme si ils ne l'avaient pasété. Une telle positionest
clairement intenable ;même s'il faut faire une distinction entreles silences

d'une partet les déclarationd'autrepart,dans l'uneet l'autre hypothèsesla
thèse libyenne reposesur uneséparation rigide, artificiellet inadmissible,
entreles forumspolitiqueset lesforumsjudiciaires.

a) Les conséquences juridiqued su silence gardé
danslesenceintespolitiques

1.O5 Commela République dT uchadl'amontré,la Libye
s'est,durant detrès nombreusesannées,abstenue defaire valoirla moindre

revendicationà l'égardduTchad,dans touteslescirconstances quis'yseraient
prêtées :

-les autorités libyennes'émirent aucun doutseur lesfrontiéres méridionales
de leurpaysdurant le processusdedécolonisation (cfM/T, pp.233-234),- non plus qu'au momentde l'accessionà I'indépendance (cf M.a, pp. 240-
241 ),

-ou à l'occasiondesdébats relatifauTchadavantI'indépendancede celui-ci

(cf.CMTT,par.4.56-4.58),

- pas davantage que lorsde la première Conférence des Chefsd'Etat et de
Gouvernement deI'OUAquieut lieuau Caireen 1964(cf.CMn, par.4.59 et
S.),

- ouà lasuite delapremièreplainte du Tchad devan lt Conseildesécurité (cf.
MI, PP.36-37),

- oude l'examendu litigeparI'OUA à partirde 1977(cf.CMK, par. 2.30).

1.O6 Pour expliquer ces silences éloquentsl,a partie

libyenne invoqueun argumentextraordinaire: "Unlike Chad, Libya avoided
presentingits case beforesuchpoliticalforumsas the U.N.or the O.A.U. For
Libya considers this territorialdisputeto be one for resolutionin accordance

with the principlesand rulesof internationalla" (CMIL,par. 1.61).Ceci ne
l'empêche d'ailleurspasde trouveruneautreexplicationà ses silences :elle
aurait ignoré les "revendications(""claims")françaisespuis tchadiennes (cf.
CM&, par.8.07et 8.08).

1.O7 Cedernier pointnepeut évidemmenê t tre souten:
les débatquiont eulieuauxNations Uniesavanltadécolonisationde la Libye,
l'incident'Aozou, la négociation du Trait6de 1955, puis les plaintes

tchadiennes devant I'OUAet les Nations Unies ne pouvaient laisser aucun
doutesur les positions, constantes,e laFrancepuisduTchad. 1.O8 Quant à l'idée selon laquelleil conviendrait de
s'abstenirde présenterdes arguments juridiques devanut n organe politique,
elle n'estpas mieux fondée.

1.O9 Certes, le Tchad ne prbtend pas "that Libya is
estoppedfrom presentingits caseto the Courtbecauseit failedto do so to the

SecurityCouncil"(CMIL,par.1.3.),et elledemeurelibrede présenterà la Cour
les arguments qu'ellejuge pertinents.Maisiest douteuxque, commeelle le

croit, elleait, ce faisant, "adoptedthewisercou(m," par. 1.31).C'esten
effet méconnaîtrel'importance que les organes arbitrauxou juridictionnels

attachent, d'une manière générale, à l'attitude des Etats dans les forums
politiques(v.infrpar. 1.14 et 1.16 etS.)et, notammenàleursilence(outrela
jurisprudence citéedans le Contre-Mémoire tchadien, CM/T, pars. 2.112 et

23 13, v. not. la sentence de l'arbitMax HUBERdans l'affaire de I'Jlede
Palmas, R.G.D.I.P. 1935, pp. 169 et 198 ou lesarbitrages rendusdans les

affaires de Grisbadarna, R.S.A.N.U. XI, p. 161,de la Baie de Delaaoa, LA
PRADELLEet POLITIS, Recueil des arbitraaes internationaux,vol. III, Eds.

internationales,Paris, 1954, p.637, ou de la Frontière Guatemala-Honduras,
R.S.A.N Il, p. 1309,et l'art e la C.1.Jen date du26 juin 1992,Çertaineç

terresà ~hosphates à Nauru, 14 à 16).

1.10 La situation cet égarda étébien résumée dans un

ouvrage récent : "...whena participantis definitelyexpectedto react in some
manner or other, abstentionfrom makingany communicationmay become a

good basis for formationof specificand stable expectations.These occasions
are, generally speaking,those on which a participant is expected either to

protestagainstsomethingor acceptit expresselyor in silence"-ce qui,comme
la Républiquedu Tchad l'a montré,etait trhs précis6mentle cas dans les
diverses circonstances, rappelées supra (par. 1.05)."Failure to protest can

have consequencesaffecting the establishmentor maintenanceof claims to
territoriesor situationsconcerningterritones.Absence ofprotestsfromactualor

potential rival claimants assistsin the establishmentof a. It strengthens
the expectation of conformity of the claim to world public order. The rivalclaimantwho remainssilentin the face of activitiesto establish theclaim may
be consideredtohave "acquiescedin"the claim, orby implication"recognized"
the claim as legitimate,and is not permitedlaterto dispu(B.S. MURTY,

The InternationalLawof Di~lomacv,(NewHavenPress,1989,p. 595).

b) Les conséquencesjuridiques des positions

expriméesdan esenceintes politiques

1.11 Le comportement de la Libye dans les forums

politiques internationaux ne se réduitd'ailleursàpson seul silence. Son
attitude est plus complexe:elle s'est à la fois enfermée dansun mutisme
completdanstoutes le circonstances dans lesquellsn auraitpu s'attendàe

ce qu'elle protestât, elle a, en d'autres occasions, exprimé des
revendicationsprécisesqu'elle préfèreraitouorufaireoublier aujourd'hui.

1.12 Ces revendications épisodiques ont porté
exclusivementsur l'appartenancede labande d'Aozoà la Libye, que ce s:it

- lorsde certainesnégociationsbilatérasvecle Tchad (cfCMK, par.2.88),

- à l'Assembléegénérale des Nationsnies(cf.Mn, p. 337 ; CMK, par. 2.54,
2.88 ;v.aussiu, annexe284),

- au Conseilde sécurit(cfm, pp.334ou 339; CMK 2.32ou 2.53),

-àl'O.U.A.et,en particulier,devantle Comadéhoc(cf.S;Ma, par.2.35,2.36
ou 2.78). 1.13 Contrairement à ce que semble penser la Libye
(CMIL, par. 1.61),ces déclarations, qubienmême ellesont étfaitesdans

des enceintes politiquessonttouàfait pertinentesdevanun organejudiciaire
tel que la Cour.Celle-cise fonde continuellemtur l'attitudeadoptée par les

Etatsdansdetels forumset entiredes conséquencejs uridiques.

1.14 Un exemple frappanten est donne par l'affairedes
Essais nucléairesdans laquellela Cour a estimé que des déclarations du
Gouvernement français, annonçantson intention de mettrefin aux essais,

"faitespubliquementen dehorsde la Cour",et notamment devantl'Assemblée
générale desNations Unies, étaient valides et que"leurs conséquences

juridiques [devaient] êenvisagées dans le cadregénéradl e la sécurité des
relations internationaleset dela confiance mutuellesi indispensable dans les

rapports entre Etats" (C.I.J., Rec. 1974,5 51, p. 269 - souligné par la
RépubliqueduTchad).Dela même manière, dans soarrêdt u 26 juin992, la

Cour a longuementexaminé lesdéclarations faites parles représentants du
territoire soustutellede Nauruet par ceuxde l'Autoritéadministrante,tant lors
des pourparlers quiont mené à l'indépendanceque devantles organes des

NationsUnies (Certainesterresà phosphatesà Nauru,$5 15 à 20).

1.15 Les déclarations d'un représentant libyen à
l'Assembléegénérale,au Conseil de sécuritéou à l'O.U.A. ne sont pas

nécessairemenlta preuve d'une intentid'êtreobligé juridiquemen, ais elles
constituentassurémentla preuvede la convictiondu Gouvernementlibyensur
l'existence -ou non- d'un différendet, s'il existe, sur sa portée.Les Etats

rassemblés dansdetelles instancessont, commela Courelle-même,"en droit
de partir de la présomptioque ces déclarationn'ontpas étéfaites ivacuo"

(C.I.J,Bec. 19745 50, p. 269)et que,lorsqu'ilsprennentla parole pendantles
débats solennels quiont l'obdetcomptes-rendusofficielslesdéleguésde la

Libye le font avec l'intention d'êtrepris au sérieux et queles mots qu'ils
emploient engagent effectivementeaysqu'ils représentent. La distinction rigide faite par la Libye entre
C)
forums politiques et forums judiciaires est
totalementartificielle.

1.16 En s'efforçant d'éviter que la Cour prenne en

considération l'attitude posit(déclarationsou negative(silences) qu'elle a
adoptée devantles organes politiquesdes Nations Uniesou de l'O.U.A., la
Libye méconnaîtles rapports étroits qui existent entre forumspolitiques et

organes juridiques et, au-delà, entre le droit international et les relations
internationales.

1.17 Dans soncélèbre ouvrage sur The Functionof Iaw

in the lnternational Communitv, SirHersch LAUTERPACHa ironisé sur les
aspirations d'un savant auteur qui, "anxiousto presewe the strictly judicial

characterof the Permanent Courtof International Justice,suggested thatthe
Court should refrainfrom dealing withpolitical questions: "A suwey of the

work of theCourtupto datewouldshowthat a strict adherenceto this counsel
of caution wouldmeana speedy andradicalliquidationof the activitiesof the

Court" (Clarendon Press,Oxford,1933,p. 155).Cette.remarqueconservetout
son sens aujourd'hui.

1.18 "Organe judiciaireprincipal des Nations Uniesn,la
Cour fait partiede l'organisation aumême titre que lesorganes interétatiques

de caractère politique et,commeeux, elle contribueà la réalisationdes buts
des Nations Unies ; mais elle le fait dans une perspective différente : "le

Conseil[de Sécurité a] desattributionspolitiqueslaCour exercedes fonctions
purement judiciaires. Cesdeux organes peuvent donc s'acquitterde leurs
fonctions distinctesmaiscomplémentaires à propos des mêmes évènements"

(C.I.J.,arrêdu 26 nov. 1984,Activités militairet ara militairsu Nicaraw
et contre celui-ci Icomp6tenceet recevabilite),Bec. 1984,5 95, p.435). Cesont ces6vènemenb que le Tchadsignaleà l'attention dela Cour ainsi que

I'attitude prise par la Libye leur égarddans divers forums politiques,
représentatifde lacommunauté des Etata su plan universelou régionalet qui
contraste avec ses revendications actuelles devantla Cour. La stratégie

verbale de la Libye au seinde ces organes,et ses silences constituentdes
preuvesclairesde ses convictionssurlesfaitsenexamen.

1.19 Non seulement, iln'existe aucune antinomie entre
l'exercicepar la Cour desesfonctionsjudiciaires etcellesde leurs attributions
respectivesparles organes desNations Unies etde l'O.U.A.-cequela Libyea

elle-même reconnu à l'occasionde l'examende sa demandeen indicationde
mesures conservatoires dans l'affaire relaà des(&estions d'interprétation
et d'wli catOn de Ia Convention n 'inci

aérien de Lockerbie (ord.du 14 avr. 1992, Rec .991, 5 23, p. 10 et§ 24,
p.122)-,maisencore, I'attituddespartiesdevantces derniersest directement
pertinente devantla première. Ets'il ne fait aucundoute que "toutdifférend

portédevant[laCour] peutprésenter des aspectp solitiques"(C.I.J.,art u20
déc.1988, Actions armées frontalières et transfrontalières (compétenceet

recevabilité),Rec.1988, 552, p.91),il est nonmoinscertain,à l'inverse, que
les considérationsjuridiques sont pertinentestant devant les organes de
l'O.U.A. que devant le Conseilde Sécuritéou l'Assembléegénéraledes

Nations Uniesqui, envertu de l'article1,paragraphe1,de la Chartesonttenus
d'agir "conformémentaux principes de la justice et du droit international"
lorsqu'ils procèdentà l'ajustementou au "règlementdes différendsou des

situations,de caractère internatiol,usceptiblesdemener à une rupture dela
paix".

1.20 En s'abstenant de présenter quelque argument

juridique que ce soit devant ces organeset en adoptant devant eux des
positions totalement contradictoiaveccelles qu'elleprésenteà la Cour en

ce qui concernel'objetdudifférenlaLibyemontre lepeudecasqu'ellefaitde
cesexigences. Ellenepeut,aujourd'hui,demander à la Cour deneteniraucuncompte de son attitude passée. "La jurisprudence internationale voit avec
défaveurles contradictionsentre les comportementssuccessifs des parties"

(Charles de VISSCHER, Problèmes d'interprétation judiciaire en droit
international~ublic,Pédone, Paris 1p,. 180).

SECTION 2. LA PRODUCTION DE DOCUMENTS

DEVANT LA COUR

1.21 La Libye met en cause,dans sonContre-Mémoire,

certaines des annexes et productions de la Républiquedu Tchad. Ses
remarquesconcernent principalement les documents provenandes archives

du MinistèredesAffairesétrangèrede la Républiqufrançaise.Ellesappellent
les remarques suivantes,que la Républiquedu Tchad complètera s'agissant
plus particulièrementdes travaux préparatosuedraitedu 10août 1955 (v.

infrapar.5.05et S.).

a) Accès aux archives du Ministéredes Affaires
étrangèresdela Républiquefrançaise

1.22 La Libye se plaint de n'avoir obtenu qu'unaccès
tardif aux archives du Ministère des Affaires etrangeres de la République

française(ÇMTT, par. 1.44,note37). Elleprécisece griefdans la note verbale
no7.8.75 du 31 janvier 1992envoyée auMinistèredes Affairesétrangeresde
la Républiquefrançaise (Directd'AfriqueduNordet du Moyen-Orient). Cette

note est présentéecomme exhibitfigurant auvolume 2 du Contre-Mémoire
libyen(CM/L ,xhibi2). 1.23 La République du Tchad n'a pasà prendre position
sur les relations duBureau populairede la Jamahiriyaarabe libyenneavec le

Ministère des ~ffdres Btrangèresde la République française. Elles'etonne
cependant dela datetardivede la requêtelibyenne.Le Tchada entrepris des

la fin de l'année1990 les démarchesnecessaires pour avoir accès aux
archivesdu Ministèrefrançais des Affairesrangbreset a reçuen mars 1991

l'assurance que les archivesrelativesla negociationdu Trait6 franco-libyen
de 1955 seraient mises à la disposition du publià la salle de lecture des

archives.Cettedispositionentraînait ouvertde la possibilitede consulter les
archivesà toute personne intéresséeet notammentaux Conseilsde la Libye.

C'est à la suite de cette décisionMinistère desAffaires étrangères quela
République du Tchad a pu annexer à son Mémoire les documents
diplomatiquesfrançaisrelatifslafrontière entreleTchadet la Libye.

1.24 IIne paraît pasdouteux quela partie libyenneaurait

eu accès à ces documentssi elle en avait fait la demande en temps utile,
puisqu'aussibienle Tchad n'en aeu communicationqu'àla condition expresse,

mise par les autoritésfrançaises,queces archives seraientacessiblàstous.
Elle est mal venueà se plaindrede ne pasavoirpu en prendre connaissance

pour rédigerson Contre-Mémoire et d'avoirreçule 18 mars 1992 uneréponse
du Ministère français desAffaires étrangères alors qunels'estpréoccupée

d'effectuer cesrecherchesquele 31janvier 1992(CMIL,exhibit2).

Authenticité des annexes et productions

présentées parla République du Tchad

1.25 La Libyecontestecertaines des annexespr4sent4es
par la Républiquedu Tchad. D'une partelle estime quele Tchad interprète

certainsdocumentsd'une maniére excessivemef ntvorableà sesvues, ce qui
est son droit. Maisd'autrepart,ellesemble mettreen doute l'authenticité mêmedes documents diplomatiques produitsen considérant qu'il ne s'agitpas

d'élémentsde preuvesacceptables(CM/L,par. 1.20;par.3.41et note44 ; par.
3.46 et note 54)'. La République du Tchadexaminera ulterieurement le

problème de la pauvreté desdocumentsdiplomatiques relatifsà la derniére
phase desnégociations précédanleTraité du10 août1955 (cf.infrpar.5.05.
et S.)Elle se borne icà faire le point sur la question de I'authenticitédes

documentsproduits.

1.26 Un certainnombrede documentsdiplomatiques tirés
des archives du Ministère desAffaires étrangèrefrançais sonten mauvais

état. II s'agit de "pelures" des télégrammesenvoy6s ou reçus par le
Departement. Laphotocopiede ces documentsa encore compliqué la lisibilité
de leurs textes. La Républiqudu Tchad a donc fait procéderà des copies

dactylographiées de ces documents comme l'article 50, paragraphe 1, du
Règlementde la Courl'yautorise, copies certifiées confopar I'Agentde la

République tchadienne.Elle déposerales photocopiesde ces documents en
même temps que l'ensembledes annexes à sa répliqueau Greffe de la Cour

dans les délaisqui lui sont assignés. Ellejoiàt la présente répliqueles
photocopiesde ces documents pourl'informationdes membres dela Cour et

de la partielibyenne(m, annexes86,87,93,134, 135,137et 139).

1.27 Par ailleurs,l'authenticitédes piéces annexéau

Mémoiretchadien est assuréepar ladéclaratide l'Agentde la Republiquedu
Tchad auprès de la Cour internationale de Justice certit conformitéaux

originaux de l'ensemble desdocuments.Cette attestation a étéétablieen
application des dispositions des paragraphes 1 et 3 de l'article 50 du
Règlementde la Cour.La Libyea, du reste,poursa part,procédé exactement

de la même manièreD . e pluset s'agissantdes archivesdu Ministérefrançais
desAffaires étrangèresc,hacune des pièces déposéaes greffesous forme de

photocopies est individuellement authentifiéeparS.E. M. l'Ambassadeur
PhilippeHUSSON,Directeurdesarchiveset dela documentationdu Ministère

des Affaires étrangèrede la République frança(cf.m, annexes86 et S.). SECTION 3. LES "TROIS THESES TCHAD IENNES

[LEUR CONCORDANCE.LEUR ARTICULATION
ET LEUR AUTO NO MI^^

1.28 A la différence dela Libye, le Tchad a présentà,
maintes reprises,lesarguments juridiquepropresà confortersa positiondans

le cadre dudifférendquiopposelesdeuxpaysau sujetde l'appartenancedela
bande d'Aozou (v. par ex. :la lettre du représentant permanent duTchad

auprès de l'ONU au Présidentdu Conseilde Sécurité, en date du 8 février
1978,SI12.553 ; le memorandumtchadienet sesannexesen datedu 22 mars

1983,SI15.649 oule memorandumtchadienadresséen 1987auSous-Comité
des experts juristeset cartographesde I'O-cf.M/L ,nnexeP.81,pp.312 et

S.).

1.29 Sansfournir le moindre commencement depreuve,

la Libye affirmeque la position prisepar le Tchaden ces occasions diffèrede
celle qu'il défenddansla présente instan(cfCM/L, par. 1.32 etS.).Ce n'est

pas exact : il est évidentque la forme de sonargumentation n'apas étéla
même devant les organes politiques des Nations Uno iusde I'OUAet devant

la Cour ; leurs fonctions diffèrent (v. supra, par. 1.18) et le poids des
considérations juridiquesn'estpas le même: si elles sont un dlément,parmi
d'autres,de débat diplomatique, elsontseules pertinentes lorsqu'uaffaire

est soumise à la Haute Juridiction, devant laquelle,au surplus, le débat
contradictoireest plus Rtroitementréglementé. ais, sur le fonsa position

demeureinchangée ; en particulier,et contrairementà ce que prétendla Libye
au paragraphe1.30 deson Contre-Mémoire , Républiquedu Tchad persisteà

soutenir- que la carte "annexée"à la Déclaration de 1899 présente une certaine
importancepourle règlementde laprésente affaires,urtouteuégardau renvoi

qu'yfait l'accordfranco-italde 1902 ;

-quecet accordesttoujours"envigueur"(cf.infra,par.5.47 etS.);et

-que leTraitéde 1955 (auquel ellen'estpas "partie"ausensdu paragraphe 2
de l'article102delaCharte) suffitàétablirlebien-fondesesconclusions.

1.30 Ce dernier pointa toujours constitué etconstitue
toujoursce que la Libye appellela "premierethèse"duTchad.Et elle ne s'est
pasméprisesur l'importancequ'icl onvientde lui accorder dans son Mémoire,

la partielibyenne reconnaissatue"an analysisofthe historicalbackgroundof
the disputemight have begunwith ..the 1955Treaty,andthen havereverted
to a reviewof the "actesinternationaux"listedin AnnexIto the Treatyu,

par. 5.03), ce qui est très exactement leparti retenu parle Tchad dans son
propre Mémoire.Et l'oncomprend quela partielibyenneait préféré, pour sa
part, choisirune approche différenconsistantàtenter de submergerla Cour

par l'exposéd'une masse considérable d'évènements de toutes sortes qu'elle
affirme êtr"pertinents"("agreat manyrelevant events"fi, par.5.04)-ce qui
est, pour la plupart,fortcontestable,au moinsdans uneperspectivejuridique-

sans essayerde les hiérarchiser, ni de lespprécieien fonction du droiten
vigueur.

1.31 Au demeurant, cette "premièrethbse" est confortée

et confirméepar deux autres, fondées,la deuxibme, sur les délimitations
conventionnelles de l'époque coloniale,et, la troisième, sur l'occupation
effective et paisiblede la zone revendiquéeaujourd'huipar la Libye, par la
France dès avant la premiere guerre mondiale,par le Tchad depuis son

indépendance (etjusqu'àI'occupation armée d'unpeartiede cettezonepar les
troupeslibyennes). 1.32 Selon la Libye, "such an approach necessarily
carries with it the implicationthatChaddoes not havesufficientconfidencein

any onetheoryto rely entirely upon i[CM/L, par. 1.35).Cestméconnaître les
regles élémentaires du procèjsudiciaire, qui reposesur l'idéequ'il appartient

aux parties de présenter aujuge leur point de vue de la manière la plus
complèteet argumentée possible, àchargepour la Cour dese déterminer "en

se fondant surtelles raisons par ellejugéespertinenteset appropriées"(C.I.J.,
arrêtdu 6 avril 1955, affaireNottebohm, Bec, 1955, p. 16). Abondance de

thèses ne nuit pas, dès lorsqu'ellesne sontpas incompatibles les unes avec
les autres.Or, comme l'a remarqué àjuste titre la Libye, les"trois thèses"du

Tchadconduisenttoutes trois au même résultatcf.CM/L ,ar.1.37et 1.38).Le
raisonnementduTchadest le suivant :parleTraitédu 10août 1955,la France

et la Libye ont consacré le tracde la frontière contest; quand bienmême
elles n'auraient pas conclcetraité,letracé n'en serat asmoinsidentiquedu

fait qu'aumomentde l'indépendance tant de la Libye quedu Tchad,il résultait
d'accordsantérieurs auxquels lesdeuxEtatsontsuccédé ;enfin,si,àleurtour,
ces traitésdevaient êtrenégligés,la bande d'Aozou,n'en serait pas moins

tchadiennedufait de I'effectivide laprésence françaisepuistchadienne.

1.33 Comme l'avait fait remarquer la République du
Tchad, chacunede ces démonstrations, qus i e complètentmutuellement,se

suffit elle-même si on laconsidèreisolément(Ml p. 376,par.2).

1.34 La Libyesembleadmettreque tel est le cas (CM/L,
par. 1.35), mais elle n'en tire pas lesconsequencesqui s'endéduisent. Ainsi,

par exemple, tout le chapitre ler de la quatrième partie de son Contre-
Mémoire,qui prétendrendre comptede la "deuxièmethèse" du Tchad, repose
sur le présupposé erroné selonlequel,les traitésde 1899,1902et 1919 sont

indissociablesde celui de 1955; or c'estle contrairequi est v:le Traitéde
1955 renvoie certesaux accords antérieurs(et, en ce sens, il consacre I'uti

possidetisde 1951),mais, quandbienmême il n'existeraitpas, les délimitationsantérieuresseraient pleinement opposablesà la Libye ; c'est en ce sens que

lesdeuxraisonnementssont autonomes.

1.35 La Libye commet le mêmegenre d'erreur en
présentantla "troisième thèse tchadienn"ansle chapitreler de la cinquième
partie de son Contre-Mémoire et en voulantfaire croire que,puisque le Traité

de 1955ne mentionne pas leseffectivités,elles-cinepeuventjoueraucun rôle
dans la solution du différesoumis à la Cour(cfCM/L,par. 5.05et 5.09). Ici

encore, la partie libyenne déforme considérablementl'argumentation
tchadienne quiconsiste à montrerque,si même aucuntraitén'étaitapplicable

en l'espèce-quod non, la banded'Aozoun'enseraitpas moinstchadiennedu
fait de sonoccupation parla France, achevée en 1913,et de l'administration
française jusqu'à I'indépendancedu Tchad. C'estla Libye qui se contredit

gravement : il n'est pas possibled'affiàmla fois que leTraitéde 1955 n'a
fixé aucune frontiere l'estde Toummo(CMIL,par. 3.130)-en faisant peser

des doutessur savalidité(cf.ml par.5.442ou CMIL,par.3.26ou 3.123)-et
qu'il a exclu que la frontiere puisse résulterde la présence effective dela

France puis du Tchaddans la région contestée, cqeui serait la conséquence
logiquede l'absencede traitéen vigueur car,"Dans l'éventualioù I'effectivité

ne coexiste avecaucun titre juridique, elle doit inévitablement être prise en
considération"(C.I.J, arrêtdu 22 décembre1986,Différendfrontalier, Rec.
1986,9 63, p. 587).C'estdans cette "éventualit-" vrai dire fortimprobable-

que la "troisième thèse"duTchadserait autonome.

1.36 Au demeurant,la République du Tchad tient que les
trois séries d'argumentatiosu'ilprésenteàlaCoursont,en l'espèce,valables

et se renforcent en ce sens notammentque tant le Trait6 de 1955 que les
accords antérieursou les effectiviétablissenlafrontière existantau moment
de l'accession des partiesà I'indépendance ce qui entraîne l'application du

principe uti possidetjuris.Au surplus,elles se complètent mutuellement; en
particulier, le Traitéde 1955 renvoie aux accords antérieurs (sans que le

problème -artificiel-de leur validité"en soi" ait, du reste,la moindreiincidencesur la "premièrethèse") -v. infra, par.5.47et S.)et leseffectivitéssontl'undes
éléments de la consolidationdutitrefrançaisaprès1899(v.infra, chapitre IV).

1.37 La Libye fait subir d'autres déformationsgraves à

l'argumentation présentéà e la Courpar la République du Tchad :la présente
répliqueen donneramaintsexemples.D'autressontplus ponctuelles.Ainsi, la
Libye fait dire au Tchad que "The 1899 Declarationcontained provisions

concerning boundarv delimitation"(CMIL, par. 4.02 -soulignédans le texte)
alors que le Mémoiretchadienadmetexplicitementqu'il s'agissaitalors de la

limite entrezones d'influenceet nond'unefrontière(v. not.M/L, p. 61, par. 56
ou pp. 148et S.); la Libye elle-mêmlee reconnaîtd'ailleurs expressémenstept

pages plusloin (CMIL, par. 1.45).La République du Tchadveut croire que les
erreurs de ce type sont involontaires. Leur accumulation laisse cependant

planer quelques doutes surce point.

1.38 Demêmee ,lles'interroge surl'insistance misepar la

Libye à citer complaisammentune phrasede son Mémoireoù iest écrit:
"Sans doute, cetteprésence turque est-elle limitet se traduit-elleseulement

par l'envoi de troupes très nombreuseset de quelques fonctionnaires civils"
(M/L,p. 179, par. 135).Le contextene pouvait laisseraucun doute surle fait

qu'il s'agissait d'unesimple erreur dactylographique -dontla République du
Tchad prie audemeurant les membres de la Couret la partie libyennede bien

vouloir l'excuser -et qu'ilfallait lire- "troupesnombre us es ;la Libye
n'en essaie pas moins de tirer avantage de cette inadvertance, certes

fâcheuse,maistout à fait évidente, tecià deuxreprises (par.4.137 et 5.30).
Le procédé est, pourle moins, inélégant.

1.39 La Républiquedu Tchad a cru devoir s'étendre
quelque peu sur les trois points qui font l'objet de ce chapitre, car ils lui

paraissent traduire laconception singulière qula partielibyenne d'unprocèsinternational dans lequel ellesemble voirl'occasionde revenir sur l'attitude

qu'elle a adoptée dans lesautres forumsau sein desquels ledifférendté
évoqué -ou auraitpuet dûl'être-t,out en n'hésitant pasrmer,au point de

la caricature,l'argumentationadve-etententantdediscréditer l'autre partie,
plus diligentequ'elle dansla recherche despreuves,ou en s'efforçant defaire

planerun doute sur l'authenticitédocumentsproduitspar celle-ciCe sont
des procédésqui ne devraientpasavoirdeplacedevantla Courmondiale. CHAPITRIEI.

L'OPPOSABILI ATE'ITALIE(ET ALIBYE)

DE LA DELIMITATION1899 -1919iv) entant que successeurde l'Empireottoman,I'ltaliehéritadesdroitset titres

souverainsturcs surl'hinterlandenquestion(CM/L,par.4.135).

2.05 Toute l'argumentation libyenne est doondéesur

le concept d'hinterland.Mais ellese gardebien de l'analyser. Orune analyse
précise de cette notion, tellequ'elle étaiten usage fin du XIXhme et au

débutdu XXème siècle (5 1) montre qu'elle ne peut trouver application en
l'espèceou, plus précisément, qu'elest sans incidence surla validitéde la
Déclarationfranco-britanniquede 189(92).

§ 1- LA NOTIOND'HINTER I w

2.06 La notion d'hinterland aétéétudiée d'une manière
magistrale parW. SCHOENBORNdansle coursqu'il adonnéà l'Académiede

droitinternationalde La Hayeen 1929.Aprèsavoirnoté quepar"hinterland"on
désignel'arrière-payscolonial, continue ai:si

"Le but qu'on poursuitici est le su:vun ou plusieurs Etats
accordent à un autre Etat déterminele droit de soumettrà
l'avenià son activitéet notamment d'occuperen conformité
avecle droitinternationalunterritoireatique(c'esà dire un
territoire non encore occupéou soumis son autoritépar un
membrede la communaut6du droitdes gens,mais habitépar
destribus indigènes). L'expression "hinteremployeepour
le territoire en question s'expliquepar.lefait que d'abord eten
règle générale,les puissances coloniales s'établirenlong
des côtes, puis demandérent un privilège portant sur
l'occupation du territ,ituéenarrière(enallemand: "hinter")
du littoral,dansl'intérducontinent.Tout Etat ayantreconnu
à un autre une pareillesphère d1intér6t, renoncépar là à
toute tentative d'influenpropre dansla sphère d'intérêts, même pour le casoù I'Etatintéressene se serait pas encore

rendu effectivementmaîtreet administrateurditterritoir(W.
SCHOENBORN,"La nature juridiquedu territoire",RCADL,vol.
30, 1929-V,pp. 169-170).

2.07 II ressort clairement de cettedefinition que toute
prétentionde pays coloniaux sur I'hintherlandd'un territoire effectivement
occupéen Afrique avaitun caractère préliminaireet visaià établirles bases

d'une colonisation ultérieude l'arrière-paysde ceterritoire.F. DESPAGNET
illustrace conceptparune imagetrèsefficace :

"Semblable à un homme qui s'avancedans les ténèbresun
flambeau à la mainet qui,éclairant une certaine sphèeutour
de lui, laisse cependant entrela nuitcomplèteet cette sphère
une pénombreoù sa vue ne pénètrequ'imparfaitement, celui
qui entre dans le sombre continent [africain] préoccupé d'y
établirlasouverainetéde sapatrieentrevoittoujours, plutôtqu'il
ne la domine,une zoneplus ou moinsindéciseaux alentours
de la régionqu'il aréellement occupée(" . DESPAGNET,"Les
occupationsdeterritoiresetle procédéde l'hinterland",RGDIP,
1894,p. 107).

2.08 La notion d'hinterland ainsi entendue fut avaoeu
reprise avec lemême contenupardivers auteurs(v. F. DESPAGNET, ibid.,pp.

106-119 ; L. DEHERPE,v e n t de I'occupâtionen dr~if
jnternatiod, Larose, Paris, 1903, pp. 153-195 ; P. FIORE, "Du protectorat

colonial etde la sphère d'influence (hinterland)", 1907,pp. 157-159; P.
FAUCHILLE, mé dedroitintermonal Dublic.. Rousseau,Paris, 1921 ,Vol.

1,pp. 735-738 (par. 552) ; P. HEILBORN, "Interessensphaere", dans K.
STRUPP (éd.),YVoert&uch des Voelkerrechtsund der Diolomatie, Berlin-

Leipzig, 1924-29, vol.1,pp. 550-552 ; M.F. LINDLEY,The Ac-on and
mvernment of BackwardTerritorvin International, Longmans,Grennand
Co., NewYork-Toronto,1926,pp. 234-236 ;0. STEINER,"Interessensphaere",in H.J. SCHLOCHAUER (ed.)W , oerterbuch des Voelkerrechts, vo lIWalter

de Gruyter,Berlin1961,pp.32-34).

2.09 IIdécoule delanotionenquestion,que de nombreux

auteurs assimilent àcellede zoned'influence(v. parex., F; DESPAGNET, L.
DEHERPE,op.cit.,ouG.N.UZOIGWE,"Spheresof Influenceandthe Doctrine
of Hinterlandinthe Partitionof Africa",Journalof AfricanStudies,1976,no3,

pp. 183-203),queles prétentionsd'un Etatcolonialsurunterritoireafricaindont
il avait occupélescôtes n'avaientdevaleurjuridiquequ'à certaines conditions.

En particulier,il n'en allait ainsique sid'autres Etats reconnaissat,arvoie
d'accordsinternationauxou par desdéclarationsunilatérale ssanséquivoques,
sesprétentions sur I'hinterland.Dansce cas "I'Etaà,quiune sphère d'intérêts

a été accordée j,uit alors, d'après l'opinionjuridique dominante, d'un droit
d'occupationexclusif à l'intériede la sphèred'intérêts (W.SCHOENBORN,

op. cit., p. 171).Autrementdit, la reconnaissancedeI'hinterlandne confèreà
I'Etat occupant le littoral aucun titre souverain sur l'arrière-pays, mais
seulementun "droitde préférencea "ssorti pourles Etatsayanteffectué cette

reconnaissance d'une obligation de ne pas entraver l'éventuelle occupation
effectivede I'hinterlanpar I'Etatquia avancédes prétentionsàce sujet.

2.1O L'acquisitiond'un titre souverain lhinterlandétait
subordonnéeaux conditions requises par le droit international générp aolur
toute acquisition de territoire : occupation effective(possessio corpore) et

intention d'exercer des droitssouverains(animus possidendi). En d'autres
termes,la reconnaissancede prétentions surI'hinterlandavancéep sarun Etat,

comportait simplementet exclusivement l'attribution à cet Etat de ce que
SCHOENBORNappelle une"compétence localepotentielle"(op.cit., p. 175),
c'està dire la possibilide devenir souverain surle territoireunefois remplies

les conditions exigées par le droitinternationalà ce sujet.Par elle-même la
notiond'hinterlandne produisaitaucuneffetjuridique: ""The modern doctrine of Hinterland"said Lord Salisbury in
1896, "withits inevitable contradictionsi,ndicatesthe unformed
and unstable condition of international law as applied to
territorial claims restingon constructive occupacontrol".
"The theory or practice of the 'hinterland' idea" replied the

United States Secretary of State, ... (is) "unknown to
internationalaw"" (M.F. LINDLEY,op.cit.,p. 135 ;v. aussi M.
SHAW, Jitle to Territorv in Afria, Clarendon Press,Oxford,
1986, pp.49-50).

2.11 Appliquées à la notiond'hinterlandtelle qu'elle était
conçue avant la premiéreguerre mondiale, lesprétentions libyennessont
doublement inconsistantes: d'une part, la Turquie n'a pas exercé, dansla

région aujourd'huirevendiquée palaLibye,une autorité effectiveet durable,
de nature à lui conférer des droits de souveraineté ; d'autre part, les

Puissances, eten particulier'Italie, n'ont jamaisreconnuni de tels droits, ni
même une quelconque vocation privilégde l'Empireottomanà occuper cette

région.

a) LaTurquie n* a pas acquis dedroits souverains

surlazonerevendiquée parlaLibye

2.12 La Républiquedu Tchad a d6jà abondamment

démontré qu'en failta Turquie n'a pasexercé d'emprieffective, paisible et
constantesur leterritoirelitigieuxet que,de cefait, elle n'a pas été'y

acquérir desdroits souverains(vm, pp. 179-180,par. 1.31-1.39 eCM/L,
par.5.19-5.80). 2.13 II convient cependantde noter que l'argumentation

du Contre-Mémoirede la Libye a évolué par rapportà celle qu'elle avait fait
valoir dans son mémoire.Alors qu'elley distillait des passages rédigéde

façon ambiguë de telle sorte à faire planer ledoute sur la date effective de
l'arrivéedes Turcsdans la region(cu, par.4.15,4.76,4.122, 6.26, etc...),
elle se résigne, dasonContre-Mémoire à unethbseplusconforme à la vérité

des faitset,tout ensignalaàtnouveauqu'''Ottoman garnisonsfromTripoli had
been established in the western partof this hinterland well before 1:at

Ghadamèsin 1862; at Mourzoukin 1865;at Ghatin 1875"(CMtL,par.4.12) -
autantde lieuxtotalementen dehorsducadre du présend tifférend(entout cas

aux yeuxduTchad !)-,elle reconnaîtque''theOttomanoccupation ofthe region
had not yet occurred" au momentde la signaturede la Déclarationde 1899
(par.4.131).

2.14 Dansle même esprit, la partie libyenne,tout en ne

pouvant s'empêched r e signaler que "the Ottoman move beganin 1906, in
regionwest of the borderlands" (régiqui n'estpas contestée devanlta Cour),

admet que I'occupationturquefut éphémère et a duréau plus quatreans à
Bardai'(1908-1912), deuxans à Aozouet quelquesmois, à Oum Chalouba (cf.

CMIL,par.4.139 ou 5.32),en admettant queI'occupationde cesdeux localités
ait véritablement u lieu,ce qui n'estpasétabli.

2.15 La carte LC-M28 (CMIL, p. 174) est censée
permettrede visualiser cette"occupation" turq. llene manquepas d'intérêt,

surtout si onla compareà celle,sansindicationde provenance,reproduità la
page 219du Mémoire libyen ("map no537, dontelle est visiblementinspiré:

elle en reproduit certaines incohérences(par exemple la conquêted'Oum
Chaloubay est figuréecomme ayanteu lieuen 1912 à partirde Faya priseen
1913...) mais la légendeest rectifiée; il ne s'agit plus de "Turkish-Ottoman

Occupation 1906-1913" mais"1908-1913". Au surplus, comme lemontreune
autre carte libyenne (LC-M41,ÇMIL, p. 253) certaines places importantes,commeOunianga,Tekroou Gouro, restaienten dehors decette "occupation"

passagère.

2.16 Ainsila Libye reconnaît uelaTurquie n'étaipt asen

possessioneffectivede larégionlitigieuse lorsde lasignaturede la D4claration
additionnelle de Londres du 21 mars 1899. Ceci a des cons6quences
importantes: en la signant,la Franceet la Grande-Bretagnene portaient pas

atteinte aux droits territoride la Porteet, quand bienmême la Déclaration
étaitres inter alios acta par rapporà celle-ci -ce quele Tchad ne conteste

nullement- la Turquie n'avait aucun droit particulierà protester contre sa
conclusion. Elle pouvait,certes, n'en poitenir compte mais,pour la tenir en
échec,il eût fallu qu'elleoccupâtla régionde manière durableet incontestée.

Comme la République du Tchad l'a déjà montré(cf. les références citées
supra, par.2.1l), tel nefut pas lecas.

b) Les Puissances,et en particulier l'Italie, n'ont
jamais accepté les prétentions turques sur

l'"hinterlandwdela Tripolitaine

2.17 Faute d'occupation effective, les droits que la
Turquie prétendait avoir sur l'"hinterlande la Tripolitaine, auraientpu être

opposéespar elle aux autres puissances intéressées si celles-ci en avaient
reconnul'existence. Toutefois, i la France,ni laGrande-Bretagneni I'ltaliene

reconnurentjamaisriendetel.

2.18 IIest inutile de revenir sur l'attitude des deux

premiers Etats, que laRépublique du Tchad a déjàlonguementexposée(cf.
M/T, pp. 176-181, par. 122-143et CMIT, par. 5.31 à 5.36). La Libye ne
conteste d'ailleurs pas le rejet des prétentions turques paa France et laGrande-Bretagne(cf. u, par. 5.11-52) et se borneàsoulignerla moindre

fermeté de cette dernière (cf. ÇMIL, par. 4.127), ce qu'explique, très
simplement, sonintérêm t oindre pourla région(cf.CM/T, par. 8.71-8.73).Au

demeurant, en tout état de cause,la Grande-Bretagnen'a, pas plus que la
France,en aucunecirconstance, reconnu un droit quelconquà la Turquiesur

la zone revendiquéeparla Libye.

2.19 II en est alléde mêmede l'Italie.La République du

Tchad a déjà montré ce qu'il enétaità cet 6gard(cf.CM/T, par. 5.37 à 5.43).
Toutefois, faceà l'insistancede la partie libyenne,il lui paraît nécessairede

revenir brièvementsurce point.

2.20 Au coursde la période1880-1910 I'ltalie avait déjà
de fortes viséessur la Tripolitaineet la Cyrénaet s'apprêtaià s'emparer

de ces territoires dans le cadre de sa politique d'expansion coloniale. Le
caractèreagressifet efficacede l'expansion coloniale françen Algérie,au

Niger, et dans la régiondu lac Tchad l'inquiétaitet, parce qu'elle espérait
succéder à l'Empire ottoman en Libye, elle avait tout intéàt bloquer la
poussée françaiseet à soutenir les protestationset revendicationsturques

contre I'expansionnisme français. En effet,les autoritésitaliennes étaient
conscientesde ce qu'aussitôt qu'ellse seraientemparées dela Libye,elles

seraient aux prises avec la France, puissance bien plus redoutable que
I'Empireottoman. Onpouvaitdonc penser qu'elles s'efforceraient e soutenir

les revendications turques surl'''hinterland"tripolitain et de critiquer, voire
même d'entraver autantque possible I'expansionniscolonialfrançais.Tout

au moins auraient-ellescherchéà limiter l'extensioncolonialede la Franceau
sud de laTripolitaine. 2.21 En fait, il n'en fut rien. II ressort de différentes
déclarations formelleset notes diplomatiquesitaliennes, que I'ltalie s'inclina

devantles faitssuivants :

i) les prétentions turquessur l'hinterlandtripolitain n'étaientpas étayées par
une occupationeffectiveet permanente ;

ii) la France poursuivait efficacemeta poussée danslazone,qu'elleoccupait
graduellement;

iii) ni la Franceni la Grande-Bretagnene prenaientau sérieuxles protestations

ottomanes.

2.22 La position italienne ressort très clairement de
nombreuxdocuments.

2.23 A cet égard il convient de citer tout d'abord un

passagede la longuedépêche qule 'Ambassadeuritalien à Pans envoyale 29
mars 1890 au Ministre italien des Affairesétrangères.IIrésumaitles points

essentielsde l'actiondiplomatiqueitaliennede la manièresuivante :

"II faut à cette fin établàrl'avance les points stables sur
lesquelsnotredémarche puisses'appuyer :

"1 Durantlesannées 1890-91 m, n -e des
puissances (ItalieAutriche-Hongrie, Allemagne et Angleterre)
fl.aDass o u t u rqui qu'elle
a formuléesdans la notede contestationprésentée à Londres
età Paris contre l'accordanglo-françaisdu 5 août 1890.Cette
action prit fin aprbs que I'iradédu Sultan eut énuméré les
localitésaux extrêmes confins de la Tripolitaineoù devaient
êtretenues desgarnisons par des militaires. "2"Lorsde l'échangede note s Londres, en mêmte emps que
l'accordprécité de 1890,la Franceet l'Angleterreont admis la
possibilité qu'il ait desdroits territoriaux .e.a Turquieau sud
du VilayetdeTripoli,m s n'ontDS pre-1s seraierll
çes droits. En présence desprétentionsexaaérées de la Porte
Ottomane, ilne semble pas que les deux puissances aient
négociéavec cettd eernière à ce sujet.

"3' L'Italiefut contraintepar la nécessité des choses à devoir
distinguerentre sesintérêts liés à la conservationdu statu quo
de la Tripolitaine proprement diteet ceux qui concernent la

préservationde l'hinterland tripoiitain. Les premiersinterets
jouissent d'une garantie généraleet résultent des traités
européensrelatifs à l'intégrité del'Empireottoman ; les autres
n'auraient ~robablementDasI'wui des wes puissances Si
mlie entendaits'en rév va loi^

"4" En 1897,la Franceprit l'initiatived'une entente avecl'Italie
afin de faire disparaîtreles défiances réciproques des deux
gouvernements au sujetde leurs intentions relatives à la
Tripolitaine" (R/T, annexe 1 -soulignépar la Républiquedu

Tchad) (1).

Traductionde laRépubliquedu Tchad -Texteoriginal:
"Occorreatale fine prestabiipunti finalidaiqualipossiamo muoveilpasso :
1" L'azione diplomaticadelle quattro poten:Italia,Austria-Ungheria,Germaniaed
Inghilterra,svoltasi1890-91, lepretensioniterriiorialidellaTurchia
forrnolatenella nota protestativada questapresentata a Londraed a Parigi contro
I'accordoanglo-francesdelocalitàdell'estreconfinedellaTripolitania,chedai militari
ottomanedovevanoesserepresidiate.
2" Nello scambiodi noteseguitoa Londra,contemporaneoal precitatoaccord0del
1890,la Francia e I'lnghilterranoammessola possibilitadella esistenzadi diritti
territorialidellaTurchiaalsuddelVilayetdiTripoli,manonhannoprecisatoqualifossero
queidiritti.Inpresenzadelle essageratetenzioni ellaPortaottomananonrisultache
leduepotenzeentrasseroconquestaultimaintrattativealriiuardo.
3"L'ltaliafu costretta pernecessitàdi cosea doveredistinguerefra gli interessi suoi
connessi con la conservazionedelle statuquonelleTripolitania propriamentetale e
quelli che riguardano la preservazione dell'hinttripolitanoIprimigodonodella
generale guarentigia resultantedai trattati europei relativi alla integrità dell'impero
ottoman0di altra guarentizspeciale,glialtri,probabilme,onaverebberoI'appoggio
d'altrepotenzeseI'ltaliasiaccingensafarlivalere.
le reciproche diffidenze dei duegoverni circatiloro intendimenti rispetto dellaarire
Tripolitania." 2.24 La position italiennene changeapas avec le temps.

On peut mentionner àcet égardle discoursque le Ministreitalien des Affaires
étrangères, l'Amiral CANEVARO,prononça le 24 avril 1899 devant le Sénat

italien. Les Sénateurs DICAMPOREALE etVITELLESCHIavaient présenté
une interpellationdans laquelleilsdemandaient auMinistresi le Gouvernement

étaitau courant d'un accord franco-anglais(la Ddclarationde 1899) qui avait
poureffetde permettre à la Francede s'emparerdesterritoiresenvironnantsla
Tripolitaine. Le Ministre répondit qu'il avait été inforde cet accord, et

s'étendit ensuitesur la questionde l'hinterland tripolitAice sujet,ildit et
répéta plusieursfoisque

i) la Turquien'avait déploaucune actioneffectivedansla zonepour appuyer,

en fait, ses prétentiojuridiques;

ii) la Turquie avait avancé des prétentions excessivet peu réalistes,ce qui
avaitamenéla France, l'Allemagne et laGrande-Bretagne ànepasattacher de

valeurà ces prétentions;

iii) en revanche,la France étendait graduellement sinfluenceet son emprise

effective dansla zone, sans rencontrer d'oppositioimportantede la part des
Turcs ;

face à ces circonstances,il ne restaità I'ltalie qu'à cherchàrobtenir de la

Franceet de la Grande-Bretagnedesassurances ausujetdes limitesspatiales
de l'expansionnismecolonialfrançais.

2.25 Du fait de l'importance dece discours, il convient
d'enciter lespassages les plussignificatifs"[..Canevaro,MinistredesAffairesEtrangeres :[...]

"La Turquie [...n'a rien voulu fairejusqu'à maintenant pour
assurer ses droits sur I'hinterland, manquantaussi à ses
obligations, tandis queles protestations,que I'on a tentéde
faire quelquefois, n'ont paét6prises en considération par les
puissances, celles-là mêmesqui ont établi la théorie de
I'hinterland[...].

"Afin de répondre maintenant auxinterpellations de nos
honorables collèguesDi Camporealeet Vitelleschi,il me faut
retourner en arrière de quelques annéeset faire une brève
histoire de I'hinterland tripolitain, avant d'en arriverà la
Convention anglo -française du21 mars dont la teneur est
désormais connue.

"Après l'occupationde laTunisie,en 1881,il étaitévidentque la
France cherchaità étendresoninfluenceau-delàde la frontière
méridionale du Beilicato,s'avançant le long de la frontiere
occidentalede la Tripolitaine, dansles régionsoù I'hinterland
algériense confondavecI'hinterlandtripolitain.

"En revanche, leGouvernementottoman,alors qu'il hésitait à
négocieravecla Francepour définir chairementles limitesde la
Tripolitaine, de crainte que la négociation puisse apparaître

comme la reconnaissance de la souverainetéfrançaise en
Tunisie, ne fit rien pour prendre possessionde I'hinterland
tripolitain de sorte que la France put, sans être dérangée,
continuer à étendre largemen stoninfluencewersle sud.

"En 1890, et précisémenlte 5 août, une Convention signée
entre l'Angleterreet la Franceétablissaitlesfrontières entrele
Soudanfrançais et les régions duNiger, par uneligne qui de
Saysur leNigerallait versI'estjusqu'àBarruasur le lacTchad ;
c'est pourquoi,rien n'étantprécisé versI'est,I'ondevait retenir
que l'influencefrançaise pouvait arriver jusquune autre ligne
qui de l'extrémitésud-ouestde la TripolitainerejointBarrua,et
ainsi laTripolitainecommençaitdéjàà perdreunede sesvoies
de commerce avec lecentrede l'Afrique.

"La France déclarait, cependant, dan css circonstancesvouloir
respecterles "droitsde laTurquiedansles régions établiessur
la frontiere sud de la Tripolitaine", mais au fond cette
gx~ressionim~liauaitseu lementle res~ectdesdroits du Sultan
sur la Dartim éridionalede laTripolitainà.savoirle Fezm. et
flan sur1hinterladde laTri~olitaine."C'est alors que le Gouvernement italien et d'autres

gouvernements se sentirent dans l'obligation de soutenir
l'intégride l'Empire.t',m.net commencèrent à craindre,en
effet,que celle-ci,gui netait pasdiremnt mena, puisse
être tout de mêmeentourée progressivement par les
possessions de la France dans I'hinterland, et être, d'une
certaine manière, étouffée car privée des autres route par
lesquelless'alimentait encore lecommerce,principale activité
du Vilayet.

"Naturellement, I'ltalie s'yintéressa plus queles autresais
l'accord entreles Puissances,alors qu'il apparaissait efficace
pourla protectionde laTripolitaine proprement dit, 'avaitpas
un tel succès pour I'hinterland, dans lequel les autres
Puissancesne reconnaissaientpasun lien effectif avec le statu
quodansla Méditerranée.

"A tout cela s'ajoutaitqu'yne note de la Sublime Porte de
novembre 189Qexagérait tellemenIt'hinterlandauquelle Sultan
croyait avoir droit commesouverainde la Tripolitaine qu'elle
étaitde natureà froisser les droits as selonlathéoriemême

de l'hinterlandparla France, l'Allemaget l'Angleterre.Celles-
ci ne pouvaient pas attacher d'importance auxprétentions
turques et réglèrent sans tarder leur situation autour u lac
Tchad [...].

"De ce rapide exposé, il apparaît qu'à la fin de 1890,
l'Angleterre avait déjà commencé à se désintéresser
complétementde I'hinterlandtripolitain tandis quela Francele
voyaitouvertpour ellesans quepersonnenes'yoppose.

"Pendant tout cetemps, la Turquie, lieu def&
d'une manièreou d'une autreactede ?résencedans les oasis
principalesde I'hinterlandtripolise préoccupait uniquement
de défendre la façade maritime, le Vilayet, qu'elleestimait
menacépar nouset où elle s'armaitet se fortifiait, croyantaux
visées ambitieusesde I'ltalieJlouvementSc.onvers-) [...].

"En attendant,en Italie,s'enracinaittoujours plusla conviction
qu'il nous revenait,plusqu'auxautres,de soutenir'intégrit6de
la Tripolitaine et la tranquillité de ses commerces avec
l'intérieur.Mais dans les faits,les Cabinetsqui se succédèrent

au pouvoir, bien que se démontrant devaillants et efficaces
défenseursdu Vilayet, pour des raisonstenant à l'intégride
l'Empire ottomanet au statu quo dans la Méditerranée,ne
purents'opposerd'une manièreutile à l'influencefrançaisequi,
peu à peu, envahissait I'hinterland. Ainsi, nos notes
diplomatiquesexprimèrent,pourI'hinterlandtnpolitain,un intérêt plus ou moins direct,mais qui ne trouvait pas d'écha ouprès
des Gouvernements amis. Pendanc tetemps,la France,avec
énergieet une forte persévérance, continud ait parcourirles
routes de I'hinterland avec des expéditions scientifiques,
commercialeset militaires,concluantaussi en sa faveur des

conventionsavecdeschefs indigènesde I'hinterland [...]." (RTT,
annexe 6 - souligné parla Républiquedu Tchad ()).

Traductionde laRBpublique duTchad - Texteoriginal:
"Canevaro,ministrodemffari :
"Turchia (...nullahavolutosinoadora fare per assicurare isuoidirittisuII'-,
mancando anche ai suoi obblighi, mentre quelle proteste che qualche volta si è
arrischiatadi faresonostatetenuteper nulledaquasituttele potenze,daquelle stesse
chehannostabilitolateoriadeIl'- (...).
"Nel rispondere oraalle interpellanzedei nostri onorevolicolleghidi Camporeale e
Vitelleschi, .miè necessariotornare addietrodi qualche anno e fare breve storia
dell'hinterlantripolino,primadigiungere alla Convenzion anglo-francese del21 mano,
ilcuitenore6ormainoto.
"DopoI'occupazione delle Tunisia,ne11881, divenneevidente,da partedellaFrancia, il
proposito di estendere la sua influenzaoltre ilconfine meridionaledel Beilicato,
inoltrandosi, lungo la frontiera occidentale della Tripolitania, nelle regionidove
l'hintedm algerinosiconfondeconi'B tripolino.
"II Governoottomano,invece,mentreera riluttante anegoziarecon la Franciaper
definirechiaramentei limitidella Tripolitania, petremacheil negoziatopotesseparere
riconoscimentodi sovranità francesein Tunisia,nullafacevaper prendere possesso
dell'merland tripolino,sicchela Francia pote,indisturbata,continuare adestendere

"Nela1890,le precisamentene1giornolSu5.agosto,unaConvenzione firmata fraI'lnghilterra
e la Francia stabilivi confinitrailSudanfrancesee leregionidelNiger,con unalinea
cheda Saysu1Nigerandava,per levante, finoa Barruasu1lagoTchad ;cosicchè,nulla
essendo precisatoverso Est,si doveva ritenereche la influenza francesepotesse
giungere, daquella parte, sino ad altra lineache dalla estremità Sud-Ovestdella
Tripolitaniavenissefino a Barrua,e cosi la Tripolitanigià incominciavaa perdereuna
dellesueviedicommerciocolcentrodelI'Africa.
"La Francia dichiaravabensi, in quella circostanza,di voler rispettare i"diritti della
Turchia nelle regioni stabilieullafrontierasuddella Tripolitania", aquesta locuzione,
in fondo, implicavasolo ilrispettodei dirittidel Sultanosulla parte meridionale della
Tripolitania,ci06su1Fezzan,enongiàsull'h- tripolino.
"Si fu allora che ilGovernoitalianoed altri Govemiche si ritenevanoin obbligo di
sostenere I'integritàdell'lmperoottomano,wminciaronoadimpensierirsp i erlesortidella
Tripolitania!Eraa temersi,infatti,chequesta,se non direttamente minacciata,potesse ,
esseregradatamente circondatada1procederedella Francianell'hinterlande . desserein
certo modo soffocata (pur rimanendo sotto idominioturco),percheprivatadelle altre
strade per le qualiaucorasi alimentavaquel commercioche A la principalevita del
YibeL
"L'ltaliase neinteress6piùchele altre,comeeranaturale ;maI'accordofra le Potenze,
mentreapparveetficaceper la tuteladella Tripolitania propriamente dettan,on aveva
egual fortunaper I'W, ne1qualele altrePotenzenonrawisavanouna effettiva
connessioneconlastatuquo ne1Mediterraneo.
"Aci6si aggiungevachelaSublime Portac ,on unasuanotadel novembre1890,aveva
delineatocon tantaesagerazione l'hinterlanducui ilSuitanocredevaaverdirittocome
sovranodella Tripolitania,da offenderediritti già acquisiti,secondola stessa teoria 2.26 Ainsi, quelque doute que l'on puisse avoir sur la

consécration juridique par le droit internationa eln vigueur à l'époque dela
notiond'hinterland,.il estétabliquelaTurquien'enpouvaittirer aucundroit : les

Etats auxquelselle a tentéde l'opposern'ontjamaisaccepté sesprétentionset

elle s'est montréeincapable deles mettreen Œuvrepar l'occupation effective
et durable dela région qu'ellerevendiquait.

SECTION 2. L'ACCEPTATION PAR L'ITALIE DES

FRONTIERES DE I A TRIPOLITAINE ET DES
DELIMITATIONS FRANCO-BRITANNIQUe

2.27 La Libye seconsidère à l'évidencecomme une

sorte de "successeur universel". Mais des successions qu'elrle evendique-de
la Turquie, de l'Italie,pour ne riendire de celle dela Senoussia surlaquelleil

ne paraît pas utilede revenir à ce stade-, ellen'accepte quel'acti: elle se pose

en successeurde l'Empireottoman,mais,commela Républiquedu Tchad l'a

dell'iiinterland, e dalla Francia,e dallaGermaniae dall'ln;ond'Ache queste
Potenze non potevanodar valorealle preteseturche.Le tre Potenzenontardavano,
anzi,a regolareformalmentelalorosituazioneintornoallagoTc(...).
"Da questa rapidaesposizione apparisceche già fin da11890 I'lnghilterra aveva
accennatoa completamentedisinteressarsida quantoconcernei'hin- tripolino,
"In tuttoquestofrattempo,laTurchiataceva,ed invecedi fare in qualche modoattodi
presenzanelle oasi principalidell'hinterlandtripolino,si preoccupava unicamentedi
difendere,dallapartedelmareim, Chetemevaminacciatodanoi, edNisi armava
e sifortificava,credendoa mirearnbiziosedell'ltalia(Movimenti,conv(...)".ni)
"Intantoin ltaliasemprepiùsi radiilconvincirnenchea noispettasse,piùchead
altri,sostenerel'integritàdellaTripolitaniae la incolumitàdeisuoi commerciwll'interno,
mentrene1fattoi Gabinettisuccedutisial potere,pur dirnostrandosistrenuied efficaci
difensoridel per ragionidi integritàdell'lmpero otte per ragionidi statu
quo ne1Mediterraneo, nonavevanopotuto opporsi con utile effetto alla influenza
francese, che a poco a poco ne invadevaI'hin-. Cosi, mentre le nostre note
diplomatiche esprimevano, pl'hinterltripolino,uninteresseOimenodiretto,che
perbnontrovavaecopresso iGoverniamici,la Franc, onenergiae conperseveranza
grandi, continuava a percorrerele vieell'hin- con spedizioni scientifiche,
commercialie militari,concludendoanchein suofavore convenzioi onapi indigeni
dell'hinterlandstesso".montré dansla section précédentee , lle "oublie" que celui-ci ne fit qu'une
incursion brève et tardive dans la régionet s'y heurtaaux protestationsde la

France qui, elle,' s'y implanta effectivement et durablement, et que les
prétentions dela Turquie sur l'"hinterlandde la Tripolitaine"n'&aient, en tout

étatde cause, pas opposables,en tant que telles, aux autres puissancesen
l'absence d'occupation effective.

2.28 Sans craindre la contradiction, la Libye insiste au

contraire sur lefait queles délimitationsfranco-britanniquesde 1899et 1919
étaient par rapport I'ltalie-dontellese veutdgalementle successeur-resinter

alios acta.ommela Républiquedu Tchad l'atoujoursadmis (cfml p. 176,
par. 119-120, ou CMK, par.8.13),il nesauraitfaire aucun douteque,toujours

en tant aue telles, ces délimitationsne sont pas opposablesaux 'tiers. Ceci
n'est,à vrai dire, ni plus ni moins exact qce qui concernela revendication
turque sur l'"hinterlande la Tripolitaine,les deux notions d'hinterlandet de

zone d'influence se recouvrant largement(v. supra, par. 2.08) :comme
l'hinterland,une zone d'influencen'est opposableaux Etats tiers que si soit

ceux-cil'ontreconnu,soit la régionconcernéea 6téeffectivement occupéepar
l'undes protagonistes.

2.29 Or,en ce quiconcernela zoned'influencefrançaise,

celle-cia étéeffectivementet durablementoccupéepar la France à partir de
191 3 (v. infra, chapitIV)et, des 1900, I'ltalieavait reconnu la validité des
revendicationsfrançaises(§ 1).Cette reconnaissancer,enouveléeet renforcée

en 1902 et en 1912, interdisait I'ltaliede remettreen cause la delimitation
résultantde la Conventionfranco-britanniqude 1919, queletrac6en résultant

fût ou non(quodnon) conforme à celuide 1899(§2). L'OPPOSABI ALLI'EALIE DES FRONTIERESDE LA
TRIPOLITAIN ET DE LA DELIMITATION FRANCO-

BRITANNIQUE DE J899

2.30 La Libye critique l'argumentation tchadienne
concernant l'acceptation par I'ltalieen 1900, 1902 et 1912, du partage des

zones d'influenceeffectué parla France etla Grande-Bretagneen 1899. Les
arguments avancés par la partie libyenne à cet égard sont obscurs et

elliptiques.Ilssemblents'articulerautourde deuxpoints essenti:ls

i) traité conclu entre la France et la Grande-Bretagne, la Déclaration
additionnellede Londresdu 21 mars1899 était pouIr'ltalies interliosacta;

à ce titre, elle ne lui était pas oppoet ne l'est,parvoie de conséquence,
pas nonplus à la Libyeentantqu'Etatsuccesseur(cf.CMIL,par. 1.28,4.16 ou

4.118) ;

ii) au demeurant,en 1900et 1902, I'ltalie n'avait atitre juridique ("had no

standing") à participeà,ou à reconnaître, unaccord concernantla frontière
d'un territoireassujettia souveraineté ottoman;edéslors,ici encore,l'accord

auquel I'ltalie aurait participé ou qu'elle aurait recoest, pourl'Empire
ottoman, resinteraliosacta,et nepeutlierce dernierElat (cf.CMIL,par. 1.28,

4.123 ou 4.124).

2.31 Ces affirmationsnesauraientemporterla conviction.
II ne serà rien de répéterindéfiniment quela Dedarationfranco-britannique

était,en tant quetelle,sinteraliosactaà l'égard deI'ltalie;ce pointn'estpas
en litige entre les partiesupra, par.2.27).Enrevanche,la Libye néglige le
fait que les accords de 1900 et 1902ont rendu opposables à I'ltalie les

frontières de la Tripolitaine et l'existencedes zones d'influence française et
britannique déterminées en 1899 et se trompe si elle considère que I'ltalie

n'avait pas compétence pour reconnaître cesfaits au regarddu droit alors en
vigueur. Les accords de 1900 et 1902 ont rendu

opposables B I'ltalie les frontiéres de la
Tripolitaineet leszonesd'influence française et
britannique

2.32 Comme la Républiquedu Tchad l'a souligné à

maintes reprises, la Déclaration franco-britannique de 1899 n'itas un
accord internationalpour unpartageterritorialentre deuxEtatsayant des titres

souverainssur la régionconcernée.II s'agissaitsimplementd'un accord relatif
au partage de sphères d'influenceeà l'acquisition, futureet éventuelle, de
droits souverainssur la zone viséepar l'accord.Celaouled'une manière

claire et irréfutable du textemêmede l'article ler de la Déclaration ("Le
Gouvernement dela République françaisestena;isà n'acquérirni territoire ni

influence a l'est de la ligne frontière définie dans le paragraphe
suivant,et le Gouvernementde sa Majesté britannie'enaaaeà n'acquérirni

territoire niinfluencepolitiau~à l'Ouestde cette ligne" -souligné parla
République duTchad).

2.33 Même à supposerquel'Empireottoman eût,en vertu

de la doctrine de l'hinterland,des droits virtuelssur le territoire en question,
aucun principe juridiquede droit international n'interdisait,ou empêchaitla
Franceet la Grande-Bretagne,d'assumerinterse desengagements juridiques

concernant leur éventuelle action futuresur ce territoire que la Porte ne
contrôlait pas (v. supra, par. 2.11 et S.). Assurement, ces engagements

juridiques ne valaient que pour les parties contractantes et ne liaient
aucunementlaTurquie.

2.34 En réalitéi,l advintque celle-ci, ayant euvent de la
Déclaration, protesta.Franceet laGrande-Bretagnerépondiren etn donnant

des assurances purement formelles car, étant pleinement conscientedsumanque d'emprise effective de l'Empireottomansur la zoneen question,ces

deux puissances (surtout la France) se préparaient à pénétrerdans les
territoires visés pla Déclaratioet àlesoccuper.

2.35 Toutefois,la Francesavait pertinemment que I'ltalie
avait des viséessur la Libye, qu'elle pouvait cherchr étendreson influence
sur la Tunisie et s'opposerà la pénétrationfrançaiseau Maroc. Elle estima

donc utilede composeravecI'ltalie.

2.36 Après de longues négociationsl,a Franceet I'ltalie
aboutirent à un accord, dans lequel la France, après avoir rappelé la
"Convention" franco-anglaisede 1899, précisait, "en raisondes relations

amicales quiont été établiesentre[elle]et I'ltalie",quecette Conventionlaissait
"en dehorsdu partage d'influence qu'elleanctionn[ait]levilayet deTripoli".En

outre, elle s'engageaità ne pasdépasserla limite de la sphère d'influence
française établie en 1899, par rapport à la Tripolitaine-Cyrénaïque. La
République du Tchad a démontré que cet accord,consacré par l'échangd ee

notes Barrère-ViscontiVenosta des 14-16 décembre 1900,constituait un
véritable accord internationelnforme simplifiéeM_L L,.168-170,paras. 95-

101 ;CMK, par.8.23-8.30).

2.37 Parcet accord,la France:

i) donnait soninterpretationformellede la Déclaratiode 1899, en précisant
que celle-ci laissait le Vilayetde Tripoli en dehors du partage de sphères

d'influenceetii) assumait une obligationinternationale par rappt I'ltal:elle n'étendrait

pas sa sphère d'influenceen direction du nordpar rapport à la Cyrénaïque -
Tripolitaineet s'engageait formellemeàt nepas"dépasser"cette "limite".

2.38 Quant à l'Italie, par la lettre du 16 décembre1900
(formantpartie intégrantde I'accord),

i) en acceptantlesassurancesfrançaisese , lle prenaitactede la Déclaration de

1899et du partagede sphèresd'influencequecelle-ci définissait,

ii) elle s'engageait, en échange, à reconnaître les droits et prétentions
françaisesconcernant leMaroc.

2.39 Au demeurant, dansun discours à la Chambredes

Députés le14 décembre1901, le Ministre italien des Affaires atrangéres,
PRINETTI,admit expressément que I'ltalieconsidéraitcette interprétation de
l'accord de 1899 comme satisfaisante. Après avoir parléde la "confiance

réciproque qui désormais régi[ssait]les rapports" entrela Franceet I'ltalie, il
observa:

"Cette confianceest, de notre part, d'autantplus fondée que
déjàdepuis quelque temps,le Gouvernementde la République
a d
21 mars 1899 mat Dour la Fram, par rapport à la
régioncontiguë à la frontière orientalede ses possessions
africaines et précisément par rappora tu Vilayet de Tripoli,
(province de l'Empireturc), une limite qu'elle n'avait aucune
intentionde franchir ; (Uèsbierl !), ajoutant qu'ellene projetait
pas d'intercepter les routes caravanières qui ménent de la
Tripolitaine aucentrede l'Afrique.Les rapports amicauxentre
les deux pays sont par la suite devenustels qu'ils ont rendu possibleen toute occasion des échanged s.explicationsentre
lesdeux Gouvernements wi francsquesatisfaiçants ausujet
de leurs intérêts respectifs e Mnéditerranée. Ce esxplications
nous ont toujoursamenésà constater avec satisfaction unii

parfaiteconveraence devuessurtout cequi,àce propos, peut
intéresser notre situatioréciproque. (Bien !w, annexe 333
-soulignépar la République du Tchad ()).

2.40 Cetteimportante déclaratiotn rouvaun&ho dans la
déclaration que le Ministre français des Affaires étrangère Ds,LCASSÉ,fit le

21 janvier 1902 à la Chambre des Députés français De. LCASSÉnotatout
d'abordque

"l'accord commercial franco-italien d2 u1 novembre 1898, la
convention africainedu 21 mars1899 qui,en enveIoQgul
définitivementdans notres~hèred'influenceles territoiresdu
Borkou. du Tibesti.du Kanem.du Baahirmi.et du Ouad&, a
relié la rive française du Congo à la rive algérienne et
tunisienne de la Méditerranée, forme ains piour nous, par
rapport aux autres payset régions attenantà la frontiére
orientaledenotredomaineafricain,unelimitequenous n'avons
pas l'intentionde dépasser,ont très heureusementmodifié le
caractère des relations politiqudselaFrance etdel'Italiew ;

il soulignaensuite, lui aussi,

3
Traductiondela R6publiqueduTcha-Texteorigina:
GovernodellaRepubblicahaavutocuradisignificai helawnvenzionefranco-inglese
da121 marzo 1899,segnava, perla Francia,rispettoalla regioneattiguaalla frontiera
orientaledel suoi possedimenti africani,e precisamenterispettoaldi Tripoli,
provinciaell'lmperoturco,un limiteche essanonavevaalcunaintenzionedi varcare
(moltobene !)aggiungendo nonessere neppureneisuoiprogettidi intercettarelevie
carovanierehedallaTripolitaniaconduconoalcentrodell'Africa.Lerelazioniamichevoli
fraidue passisonodi poidiventatetali,da rendereinognioccasionepossibiduera
Governiscambidi spiegazionialtrettantoschietti quantosoddisfacieirispettivi
con sodisfazionelacompletaconcordanzadi vedute sopra qua, ta1riguardo,pot6e
interessarelareciproca situa(Bene !) "la parfaite concordancede leurs [de I'ltalieet de la France]
vues sur tout ce qui est de natuàeintéresser leurs situations
respectives"(Mn, annexe334).

2.41 Ceci conduisit l'Ambassadeur italien à Paris à
envoyer à Rome,le 22 janvier 1902, une dépêch oeùilmettaiten exerguela

totaleconvergence entrelesdeuxpays pour cequiest des questionsafricaines
(Mn, annexe77).

2.42 L'autre partie contractantà l'accord de 1899, à
savoir la Grande-Bretagne, donna elle ausi I'ltaliedes assurancesau sujet

du contenu et des buts de la Déclaration. Ala demandedu Gouvernement
italien, le1 mars 1902,l'Ambassadeur anglais à Rome remit aux autorités

italiennesune note verbalequiprécisait entre ausueq

"[Tlhe agreement betweenGreat Britain and France of 21st
March 1899,laid down a line,to the Eastand West of which,
respectively, the twosignatorypowersboundthemselvesnotto
acquireterritoryor political influenceinthenstraversedby
thesaid line,bu[..the agreementin noway purportedto deal
with the nghtsof otherPowers,and[...] in particular,as regards
the Vilayetof Tripoli andthe Mutessariflikof Benghasiuch
rights remainentirely unaffectedt"(u, vol.2, annexe6).

2.43 Le 12 mars 1902 le Ministre italien des Affaires
etrangéres,PRINETTI,commentantcette noteverbale dans une dépêche à

l'Ambassadeuritalienà Londres, notait que

"Le Gouvernement Royal est reconnaissan atu Gouvernement
de Sa Majesté Britannique d'avoir éclairci d'eaniérenon ambiguë, par les déclarations précises contenue dsans la note
verbale ci-jointe,ses intentionset résolutionsausujet de l'état
présentet des éventuelles futures contingencesdans cette
région"(U, vol. 2, annexe6) (4).

2.44 II ressort clairementde la note verbale anglaise et

des commentairesitaliensque :

i) I'ltalie prenaitacte del'accordfranco-britanniquede 1899;

ii) la Grande-Bretagne,à l'instarde la France,s'engageaità ne pas avancer de
droits ou prétentionsdans le Vilayetde Tripoli : ou plutôt, la Grande-Bretagne

s'engageait à ne pas s'opposerà l'exercicede droits,par des Etats tiers, dans
ce Vilayet. II est évident qu'àla différencede la France,qui s'engageaità ne

pas étendre sa sphère d'influence dans le Vilayet de Tripoli, la Grande-

Bretagnes'engageait à respecter les droitsd'Etatstiers dansla zone :par là, la
Grande-Bretagne visaitclairement à laisser ouvertela question de savoir qui,

de la Turquie oude I'ltalie,était légitiméeà avancer desdroits dans le Vilayet,
mais, en ce qui concernece dernier pays, le résultat était le même :si I'ltalie

avait des droits, ceux-ciétaient confinés au Vilayetet elle se désintéressait de
ce qui pouvaitse faire passer horsdes limitesde celui-ci.

2.45 Ainsi, par les accords de 1900 et 1902 avec la

Franceet la Grande-Bretagne,I'ltaliereconnaissaitformellement l'existenceet
la validitéde la Déclarationde 1899. En vertu de cette reconnaissance, cet

accord devenait opposable à I'ltali:cette reconnaissance ayant constituéla

4 Traductiode laRépubliqudeuTchad - Texteorigin:l
"IIR. Governé gratoalGovernodiS.M.Britanicadell'avereconlepreciseenunciarioni
contenutenella unita nota, chiarito inmodonon dubbiole sue intenzionied i suoi
propositi ircaIostatopresentee le eventuali eontingenzinquellaregione".prémisseet la basefondamentale, des engagement psrisrespectivementpar la
France en 1900 et la Grande-Bretagne en 1902 par rapport à I'ltalie, il

s'ensuivaitque celle-ci n'étaitplus en droit de prétendre que accord était
pour elleres interaliosacta.Même si formellementelle ne devenaitpas partie

contractante à I'accord franco-anglais, sa reconnaissance de I'accord
comportait une forclusion, pour I'ltalie,d'éventuecontestations futuresde

I'accorden question.

2.46 En 1902, la Déclarationfranco-britannique' e 1899
acquit pour I'ltalieune valeur juridique supplémentairen vertu de I'accord

BARRERE-PRINETTIdu ler novembre. Eneffet, par cet accord, qui visait
expressément à "préciserles engagements qui résultent des lettres échangées

à ce sujet les 14 et 16 décembre190OUl,a Franceprécisaitque "la limitede
l'expansion françaiseen Afrique septentrionale" visédans I'accordde 1900

était "la frontière de la Tripolitaine indiquéepar la carte annexée à la
Déclarationdu 21 mars1899".

2.47 En 1902, donc, la France et l'Italie réaffirmaient
l'obligation de la première de ne pas étendresa sphère d'influence en

Tripolitaine-CyrénaïqueD. ecettemanière,I'accordde7899 revêtaiu t nevaleur
juridique supplémentaire dans les rapportsentre la Franceet I'ltali:tandis

qu'auparavant I'accord fanco-italiende 1900 et la note verbale anglaisede
1902 rendaient la Déclarationde 1899 opposable à I'ltalie, dorénavantla

Franceassumait formellement par rapportà I'ltalieun engagementidentique à
celui qu'elle avait pris en 1899B l'égardde la Grande-Bretagne et I'ltalie

l'acceptait.Celane signifie pas,biensûr,quecelle-cidevintpartiecontractante
à la Déclarationde 1899,qui restapourelleun accordnecomportantni droit,ni

aucune obligation internationaledirecte. Toutefois, par le biaisde I'accord
franco-italiende 1902, l'ltaliedevinttitulairedu droit d'exigerle respectpar la

France de "la frontière de la Tripolitaine indiquée parla carte annexée la
déclarationdu 21 mars1899". 2.48 Des éléments supplémentaires confirment que la

ligne tracée dans la carte de 1899 était devenue contraignantepour I'ltalie
également.

2.49 En 1910, lorsquele Gouvernement italieneut vent

des visées de certains militairefrançaissur Gadamès, l'Ambassadeuritalien,
TlTTONl demanda des explicationsà PICHON, qui admit quela France était

liéepar la ligne de 1899. Voicile texte de la dépêche de TlTTONl au Ministre
italiendes Affairesétrangères :

"Monsieur le Ministre,

"PICHON avecquij'ai parlé,exclutabsolumentla possibilitéde
tentatives d'officiers français sur Gadamès. II reconnaît
parfaitement que l'entente franco-italienne, fixant comme
frontière de la Tripolitainecelletracéesur la carte annexée au
précédent accord franco-anglais ,xclut unequelconque action
de la Francesur lesoasis de Ghat et de Gadamès lesquelles

font partie de la Tripolitaine. PICHONa ajouté quesi quelque
officier français, contrairement notre entente, préparaitune
action vers Ghat et Gadamès, il serait sans aucun doute
désavoué et rappelé"(m, annexe18) (5).

2.50 Cet épisodemontre clairement quenon seulement

I'ltalie avait reconnula validitéde la Déclaration additionnellede 1899 et la
possibilité juridique pourla Franceet la Grande-Bretagnede s'établir dansla

5 Traductiondela Rbpubliqdu Tchad-Texteorigina:
"SignorMinistro, Pichoncol qualehoconferitoesclude assolutala possibilitàdi
tentatividiufficialifrancesi suGadamès. Egliperfettamentchei'intesafranco-
italiana, fissandocomeconfine dellaTripolitaniaquellosegnatonellacaria annessaal
precedenteaccord0franco-ingle, scludequalunqueazionedellaFranciasulleoasidi
Ghat e Gadamès le qualinnoparie della Tripolitania. n i hasoggiuntoche se
qualche ufficiale franceseesse cosa contraria alla nostraintesa e preparasse
un'azioneverso GhatGadamès, sarebbseenz'aitrosconfessatoe richiamato."zone sur laquelleportait leur accordmais aussi queI'ltalie, avantmêmed'avoir
délogélaTurquie de la Tripolitaine n'hésitaitpasse prévaloirde l'échange de
lettres de 1902 et de la carte laquelleil renvoyaitpour s'opposeraux visées

qu'elle soupçonnait la France d'avoir et à ses tentatives supposées pour
s'établirau-delà des limitesde la Tripolitaine figurantsur carte de 1899 et

reconnues par lesdeux parties.

2.51 II est très significatif à cet égardque I'ltalie ait fait
cette carte sienne. Ainsi, le Foreign Office britannique annexe à un
memorandum en date du 12 octobre 1911 au sujet de la frontière égypto-

libyenne,une carte montrant lesprétentionsitaliennes (m, annexe23). Cette
carie, qui figure ci-contre n'est autreue la carte du Livre iaune,à laquelle

renvoie l'échangede lettres franco-italiende 1902,urcharaéeen italien, avec
notamment, le long de la limite entre les sphèresfrançaise et italienne, la

mention :

"Dichiarazione Anglo-francese 21 Marzo 1899" (Déclaration
franco-anglaise21 mars 1899).

Ainsi, I'ltalie

i) reproduitla carte de 1899et l'utilisedanssesrapportsavec les Puissances,

ii) et se fonde non seulementsur la frontièrede la Tripolitainetelle qu'elle est

figurée surcette carte,

iii) mais aussi sur la limite qui y est retenue entre les sphères d'influence

françaiseet britannique. b) L'Italie-et,parsuite,la Libye-sontliéespar

cette reconnaissance

2.52 II résulteclairement de ce qui précède quel'Italie,
sans êtredevenue partieà la Déclarationfranco-britanniquede 1899, n'en avait

pas moins reconnu que celle-ci,tellequ'elle avait étinterprétée parla carte du
Livre iaune, lui étaitopposable.II restetoutefoià déteminer si I'ltalie étaiten

droit d'agir ainsi.

2.53 La Libye le conteste au prétexteque I'ltalie "had no
standing to recognize any right atal1in the area,which were under or derived
from Ottoman sovereignty"(CMJL,par. 4.124). '

2.54 L'argument, sic'enest un, repose sur unepétitionde

principe : le territoire concernéétait "sousla souveraineté ottomaneou en
dérivait".Cette formuleétrange témoigne de l'embarrasde la partie libyenneet

de l'effort qu'elle tente de faire pour contourner leoblème ; c'est que si, en
1900-1902, laTurquieest bien présente dans le Vilayetde Tripoli et le contrôle,

d'ailleurs imparfaitement mais d'une manière probablementsuffisante compte
tenu de l'époqueet des caractéristiquesde la région,en revanche, elle n'est

nullement en possession de la zone sur laquelle la France et la Grande-
Bretagne entendent étendre leurinfluencecomme la Républiquedu Tchad l'a

rappelédansla sectionprécédente et comme durestela Libyeelle-mêmeafini
par l'admettre(v. supra,par. 2.13 et S.).

2.55 Parconséquent,ni la France etla Grande-BRetagne

en 1899, ni I'ltalieen 1900et 1902,ne disposaientde territoires appartenant à
la Turquie : les trois puissances se bornent à constater l'extension de
l'occupation effective de celle-ci etn déduire,conformémentaux règles dudroit international en la matière, les limites de territoire lui appartenant. Ce

faisant, elles respectent les droitsde la Turquieet son intégritéterrEnoriale.
revanche,commeelles enont ledroiten vertu des règlesen vigueurà l'époque

(v. supra, par.2.06 et),elles ne reconnaissentaucun droità l'Empireottoman
sur l'hinterlandqu'ilrevendique.

2.56 Cette attitude contraste avecla reconnaissancepar

I'ltalie des spheres d'influence françaiseet britannique ce qui est tout aussi
conforme au droit alors en vigueur:s'il ne fait aucun doute qu'un traité par
lequel deux Etatsse reconnaissentmutuellementdes sphèresd'influenceest,

par rapportauxtiers,res interaliosacta,il n'estpas moinsétabli qu'untel traité
et les spheres d'influence qu'il établitsont opposables aux Etats tiers les

reconnaissant.A partirde 1900 et,plusnettementencore,de 1902,I'ltalies'est
trouvéedans cette situation elle étaitdonc liée parsa reconnaissance tant de

la frontière de la Tripolitaine figurant sur la carte de 1899 que de la faculté
ouverte à la France et à la Grande-Bretagnede s'établiren dehors de ces

limitespar la Déclaratide Londresde 1899 ; et cela ne'portaiten rien atteinte
aux droits de la Turquie, absente de cette zone au moment de la conclusion

des accords franco-britannique,franco-italiet italo-britannique.

§ 2* L'OPPOSABILIT AEL'ITALIE DE LA DELIMITATION
FRANCO-BRITANNIQUE DE1919

2.57 IIn'entre pas danslesintentionsde la Républiquedu
Tchad de revenir à nouveausur l'identit-à quelques minutesgéographiques

près- des tracés résultant des délimitations franco-britanniqse 1899 et
1919 sur laquelle elle s'est longuement étentant dans son Mémoire (ml

pp. 185-189, par. 160-177) que dans son Contre-Mémoire(CMTT,par. 8.114-
8.121). suffit bien plutôtde constater que, quandbien même tracéde 1919

différerait decelui de 1919quod non-, il n'en seraitpas moins opposablàI'ltalie (et, par suàtla Libye)du fait des engagementspris par ce paysà
l'égardde la Franceet de la Grande-Bretagneen 1900et 1902 et qu'elle a
d'ailleurs renouvelés après s'être rendueaître de la Tripolitaine et de la

Cyrénaïqueau détrimentde laTurquie.

a) Du faitdesaccordsde1900et 1902,I'ltalien'était
pas juridiquement fondde B protestercontre la

délimitationfranco-britanniqd ue 1919

2.58 Faute de pouvoir sérieusement se poser en

successeur deI'ltalie-sinon pource quiestduterritoire inclus dansla frontière
de la Tripolitaineindiquée par la cade 1899-,la Libyerevenantà sa thèse

initiale, abandonne alors partiellementla "piste italienne" pour préteàdre
l'héritage dela Turquie. Vaguementconsciente cependant qu'elle ne peut

mettretotalement entre parenthèsesla colonisation italie, lle doit admettre
-sans toutefois le reconnaitreexpressémentque c'est I'ltaliequi a, dans un

premier temps, hérité des prétendu droits ottomans,transmis ensuiteà la
Libyeau momentde sonaccession à l'indépendance(v. notCM/L, par. 4.142
et S.et, en particulier,par. 4.147).

2.59 Indépendammen dte lasimilitudedestracésde 1899

et 1919, cettethèseméconnaît au moinsdeuxélémentsfondamentaux :

- d'une part, comme la Républiquedu Tchadl'a, ànouveau,démontré supra
(par.2.12 etS.),la Turquien'avaitaucun droit souveraen dehorsdes limites
de la Tripolitaine ; elle ne pouvait donctransférerà I'ltalie des droitsqu'elle

n'avait pas : nemoplusjuristransferrepotestguam@sehabet(v. par ex. la
sentencearbitralerendue le4 avril1928 parMax HUBERdans l'affairede I'b

de Palmas,RGDlP1935,p. 168);-d'autre part,même si l'onadmettait, pour les sbesoins dela discussion,

que la Turquie avait des droitsterritoriaux dansla région concernée palres
accordsfranco-britanniquesde 1899et de1919, I'ltalie n't lusen mesure,
après 1900-1902, d'opposer les droitsdont elle aurait "hérau titre de la

successiond'Etats,àla Franceetà la Grande-Bretagne.

2.60 II n'est pasdouteux que,par les Traitésuchyet

de Lausanne des 15 et 18 octobre 1912 (v.m, vol. 2, annexe 10,em,
annexe 5), I'ltalie succédàila Turquiedans les relations internationalesdu

territoire qui allaitdevenir la Libyeet que le Pacte de Londres de 1915 etle
Traitéde Lausannedu 24juillet 1923 (m, vol.2, annexe20) ontaffermi les
droits de I'ltalie en Libye. Mais aucunde ces accordsne comportede clause

proprement territoriale.Davantagemême:par l'article 16duTraitéde 1923,

"La Turquiedéclarerenoncerà tous droitset titres, de quelque
nature que ce soit,sur ou concernant territoires situésau-
delàdes frontièresprévues pleprésentTraité..."

(v. aussi l'article22) ; mais, contrairementà ce qu'a laissé entendrela partie

libyenne (ml par.5.145 ; v. aussiCM/L, par.4.147),cette renonciationn'est
pas adressée à la seule Italie ; elle l'est aussi à l'Empirebritanniqueet à la
France, également parties au traité.II faut en déduire que les droits

improbablesde laTurquiesurlesterritoires occupépar la Francesont,entout
étatde cause, éteints, xactement aumême titre que ceuxqu'ellepouvaitavoir
sur lescoloniesbritanniquesou italiennes-dont,danscedernier cas,la Libye.

2.61 Enfin et de toutes maniéres,l ne faut pas oublier
que les traitésd'Ouchy et de Lausannede 1912, conclus entre I'ltalie et laTurquie, étaient, parrapportaux autres Etatsresinteraliosacta. Dès lors, si

I'onpouvait les interprétercommesignifiant quela Portetransmettaità I'ltalie
d'hypothétiques droitssur l'hinterlandtripolitain -ceàuvrai dire, paraît fort

aventureux-, il n'en résulteraitstrictement aucuneobligatioà l'égardde la
Franceet de la Grande-Bretagneet ces traitésne délieraient nullemenIt'ltalie

desengagements contractéspa erlle enversces Etatsen 1900et 1902.

2.62 Or,encescirconstances,ettout particulièrementpar
les accords secrets conclus avec la France, I'ltalie s'était satisfaite des

assurancesqui luiavaient données BARRERE s, lon lesquellelafrontièrede
la Tripolitaine indiquée parla carte de 1899 marquaient, "pour la sphere

d'influence française(...) une limite que le Gouvernement dela République
n'[avait] pas l'intention de dépasser".En conséquence,I'ltalie n'étaitpas

juridiquementfondéeà se plaindreque la Franceétendit,le cas échéants ,on
territoireau détrimentde la sphèred'influence britanniqu, u momentque, ce

faisant, elle n'empiétait passur le territoire de la Tripolitaine. Or, quelque
interprétationque I'ondonnede la Convention du8 septembre1919,tel n'était

assurément pas le cas.

2.63 Les protestations italiennesse trouvaient exclues

d'autant plus que sa reconnaissancede la validitéde la sphhre d'influence
française constituaitl'une des contreparties(le"quidproquo") de la liberté
reconnue en 1902par la France à I'ltalie de développersa propre sphere

d'influenceenTripolitaine-Cyrénaïque. L'Italia confirmé,après l'éviction de la Turquie,
b)
ses engagements de 1900 et1902

2.64 L'impossibilité juridique dans laquelle setrouvait
I'ltalie de protester contre l'occupation effective par la France de la zone

d'influenceque lui reconnaissaientlesaccords concluspar elle avec I'ltalieest
d'autant plusfermement établieque, commela Républiquedu Tchad l'a déjà

souligné dans son Contre-Mémoire (CMIT, par. 7.18-7.36), en 1912, I'ltalie,
devenue entretemps titulaire de droits souverains sur la Libye, confirma son

acceptation de l'Accord de 1902 -donc aussi sa reconnaissance de la
Déclarationde 1899- par l'accord POINCARE-TITTONIdu 28 Octobre 1912

(M, annexe6).

2.65 La Libye tentede tirer partide cet accord en le citant

parmi les "examplesof recognitionby other Powersof Italy'sinheritance"et en
le présentantde la manièresuivante :

"-British and French Declarationsin 1912, recognizing ltalian
sovereignty, and the absence of any reservations by France
and Great Britainas regardsthe1912 Treaty of Ouchy" (CMIL,
par. 4.147).

Cette lecture est fort singulière: d'une part, la
2.66
DéclarationTITTONI-POINCAREnecontientpas la moindre allusionau Traité
d'Ouchy ; d'autre part et surtout, la Libye omet de mentionner lefait pourtant

fondamental qu'au lendemaindu débutla colonisation italienne en Libye, la
France et I'ltalie réaffirmenten revanche formellementleur attachement aux

accords de 1902. 2.67 Au surplus,l'Italie,dorénavanstouverainterritorialen
Tripolitaine-Cyrénaïqueattacha aussitôt une grande valeur juridiqueà la

délimitationde 1899. Cecifut confirméen 1914 parle Sous-Secrétaire d'Etat

italienaux Colonies,Gaetano MOSCA. Interrogésurl'occupationpar la France
d'une oasisenTripolitaine, il répondi:

"(...) Or, il faut savoir, et notre éminentcollègue le sait
certainement, quen J 899. une convention.entre la France et
J'Analeterrea étéconclue, conventionqui laissaità la Turquie
I'oasisde Ghat, nom qui comprend communément le groupe
destroisoasissignalées. Parconséquent, I'oasid se Ghat serait
sous la souveraineté italienne à présentet, c'est pour cette
raison que I'ltalie croit que le groupe entier des oasis lui
appartient.Car, en vérité, ldseuxoasis mineuresde Fehoutet

El-Barkartnesontqu'unappendicedecellede Ghat.
II
carte aéoaraphique,au ' fut rédiaée après la conventio~
franco-analaise (6),posait la frontière turque près de Ghat,
incorporant cette localitédans le territoire turc. Toutefois,il
s'agit d'une carte avecune échellede un quatremillionième ;
or, sur ce genre de carte, il est impossible de déterminer
exactementla ligne defrontière.

"C'estpourquoile Gouvernementfrançais acru que I'oasisEl-
Barkatétaitsoussa souverainetém , ais leGouvernementitalien
nes'estjamais ralliéà cette manièrede voir.

"La question commença à être négociée dès 1913. En

substance,on tomba d'accord pourdire qu'onaurait étudiéet
délimitéla frontière, et entretempsni la France, ni I'ltalie
n'auraientoccupé I'oasis de El-Barkat,pour laisser la solution
de la question complètement ouverte" (m, annexe 28 -
souligné parla Républiquedu Tchad 7).

On remarque que le Sous-Secretaired'Etat italien manifesta ainsi sa parfaite
connaissancedescirconstancedanslesquellesateRtablielacarted1899.
TraductiondelaFiepubliqduTchad -Texteorigina:
"Orabisognasapere,e I'egregio collegacertarnentelo sa, ch18991fu fatta una
convenzionetrala FranciaetI'lnghil, dinquestaconvenzioneI'oasii Ghat,soilo
quai nome sicomprendecomunemente tuttoilgwppodelletre oasi accennate,veniva
lasciataallaTurchiae conseguentemente sareora sottolasovranitàdeli'ltalia,e per
questa ragione'ltaliacredeche tutto I'intierogruppodi oasi le appartenga. Perchè 2.68 L'importancede cette déclarationfut soulignée par

l'Ambassadeur de Grande-Bretagne à Rome, qui en rapporta la teneur au
Ministre anglais des Affaires étrangères dans une dépêch du 13 décembre

1914 (131La,nnexe 29).

2.69 Dansun discours à la Chambredes Députés, le 27

septembre 1919, le Ministreitaliendes Affairesétrangères,TITTONI, confirma
à nouveau quel'Italieavait formellement reconnu, en 1900-1902, la Déclaration

franco-britanniquede 1899.

"[Dléjàdans l'Accord Prinetti-Barrèredu 1er novembre 1902,
nous avions reconnu la frontière de la Convention franco-
anglaise du 15 (sic)juin 1898, quiavait assigné à la France le
Tibesti et le Borkou"(ml annexe337).

Même sile Ministre italien mentionna la Convention de 1898, il découle
évidemmentdu fait qu'ilajouta une référence expliciteau Borkouet au Tibesti,

qu'il visait en effet la Déclaration franco-anglaisede 1899 (dont d'ailleurs le
texte précise,au premier alinéa,que "l'art. IV dela Conventiondu 14juin 1898

veramente le dueoasi minoridei Feuiat etdi Baracat non sche una appendicedi
quelladi Ghat.
"Lacariageograficachefu redattainseguitoallaconvenzioneanglo-france, onevail
confine turco vicinoa Ghatincludendo quelocalitàne1terrlorio turco.Se nonche si
trattadi unacaria,allascala da aquattromilioni,edinunaimilecartaAimpossibile
determinare esattamente ineadelconfine.
"PercibiGovernofrancesehacredutoche I'oasidi Baracatfosse sottoposta allasua
sovranit;ma iGovernoitalianononsiAmaiconformato aquestomododivedere.
"La questione comincia trattarsioda11913. Si restd'accordain sostanza,chesi
sarebbe studiatoe si sarebbedelimitatoonfine,ed intantne la FrancianéI'ltalia
completamenteuirnpregiudicata."acat, per lasciare la soluzione della quistioneest complété par les dispositions suivantes qierontconsidérées comme en

faisantpartieintégrante").

2.70 Face aux prétentions exprimées palres Etats sur
l'''hinterland"de leurs possessions africaines ousur les sphères d'influence
qu'ils revendiquaient,les exigencesdu droit internationalen vigueurla fin du

siècle dernier ou au débutde celui-ci étaient identiques : ces prétentions
n'étaientopposablesaux Etatstiers quesi ceux-ci les avaient reconnues ou si

I'Etatles faisant valoir occupait effectivement, durablemett paisiblementla
région convoitéeC . es conditionsont été rempliesource qui est dela sphère

d'influencefrançaise dansla partieseptentrionalede cequi constituel'actuelle
République du Tchad ; ellesnel'ontpasété ence qui concerne lesconvoitises

de laTurquiesur l'''hinterland"de laTripolitaine.

2.71 En effet, la Porte n'a jamaisoccupé effectivement
cette région avant 1908.Et après s'y être aventurée, poud res périodes

variables selon les endroits mais toujours inférieureà quatre ans, et sans
prendre intégralementle contrôlede la zone aujourd'hui revendiquée par la

Libye, elle a dû très rapidement s'enretirer définitivement. Au surplus, les
Puissances,y comprisI'ltalie,pourtantparticulièrementintéressée pl'irntégrité

territoriale de la Tripolitainequ'elle convoitait,ont toujours contesté lebien-
fondédes revendicationsturques.

2.72 Au contraire,I'ltaliea reconnusans équivoque, en

1900 et 1902, l'existence et la validité des zones d'influence française et
britannique résultant de la Déclaration de 1899 en contrepartie de la

reconnaissance parla Francede sa proprezoned'influence à l'intérieurde la
frontièrede la Tripolitainefigurantsur "la carte géographiqqui fut rédigée

la suite dela Convention franco-anglaise(""lacartageograficachefu redattain
seguito allaconvenzioneanglo-francese")de 1899,pour reprendre lesproprestermes du Sous-Secrétaire d'Etatitalienaux Colonies(v. supra par. 2.68). De
ce fait, I'ltalie admettaitque cettefrontière luiétaitopposableet ne pouvait se
prévaloir d'aucun droit sur la zone couverte par la Déclaration franco-

britanniquede 1899,dont lesdeux signataires pouvaient secomporter comme
ilsl'entendaientà l'intérieurde cette zone, leur comportementétantopposable

à I'ltalie. CHAPITRIII.

LAPORTEEDEL'ARTICLE13 DEL'ACCOR DE LONDRES

DE1915ET LASUCCESSIONDELA LIBYEAL'ITALIE 3.01 Développantconsidérablemeu nnte thèse esquissée

dans son Mémoire (m,par. 5.152-5.155),la Libye tentede montrer,dans son
Contre-Mémoire, que I'Accord secret de Londresdu 26 avril 1915 donnait à

I'ltalie le droit de revendiquer des compensations territoriales et la
"détermination"en sa faveurdesfrontièresen Afriquesansque I'onsachetrès

bien selon quels critèrescette "détermination" devrait êetfectuée :ce droit
seraitpasséà la Libye parvoiede succession,au moment desonaccessionà
l'indépendance. En conséquencec ,elle-ciseraitaujourd'huien droit d'invoquer

l'article13pourexigerqueI'onétablisse lafrontiere conformémen àtsesvues.

3.02 Plusprécisément , thèse libyennes'articule autour
des pointssuivants:

i) I'article 13de I'Accord deLondresprévoyait en faveurde I'ltalie aussibien

des cessions de territoires que la déterminationfavorable de frontières
contestées (CMIL, par. 6.17-6.19)(Section1.).

ii) La conclusionde I'Accord Laval-Mussolinei n 1935 visaità faire application

de I'article13 de I'Accordde Londresà un double pointde vue :en son article
4, il prévoyait une cession de territoire concernanI'tErythréeet la Somalie,

tandis qu'en ce qui concernela frontière méridionale dela Libye, I'article2
procédait à la déterminationde la frontièredans une zone contestée(CMIL,

par.6.20.-6.35)(Section2.).

iii) comme I'Accord Laval-Mussolini n'entra jamais en vigueur, le droit
appartenant à I'ltalie d'invoquer I'article13 de I'Accord de Londreset donc

d'exigerla détermination de la frontiere méridionaee la Libyeserait passéàla Libye, lorsde I'accessionde ce dernierEtatà l'indépenda,n vertu des

règles internationales régissala successiond'Etats en matière de traités
(Section3.).

3.03 Ces argumentssontdépourvus de tout fondement.

L'ARTICL1 E3 DEL'ACCORDDE LONDRES
SECTION 1.
DE 1915

3.04 Tantletextequeles travauxpréparatoiresde l'article
13 de l'Accord de Londres du 26 avril 1915 montrent que cette disposition

comportaitun engagement assez vaguede la Franceet dela Grande-Bretagne
à l'égardde I'ltalipro futurosans qu'il en résultâtpour celle-ci un droit

directement exigibleet se bornaà prévoirla possibilitéde transfertsà I'ltalie
deterritoiresafricains britannioufrançais.

a) L'article13 ne contenaitqu'un engagementnon
exécutoire

3.05 II ressort clairementdu texte mde l'article 13et

des travaux préparatoireque cette dispositionne contenaitqu'une promesse
assezvague,au mieuxun pactum decontrahendo.

3.06 L'article13estrédigé ainsi "Dans le cas où la France et la Grande-Bretagne
augmenteraient leursdomaines coloniaux d'Afrique auxdépens
de l'Allemagne, cesdeuxPuissancesreconnaissent Bnpc@&
que I'ltalie7 quelques Compensations

éauitables, notammentdans le règlementen sa faveur des
questions concernant lesfrontibresdes colonies italiennesde
I'Erythré, e la Somalieet de la Libyeet des colonies voisines
de la France et de la Grande-Bretagne" (souligné par la
République du Tchad).

3.O7 Les mots soulignés acquièrenttoute leur valeur

lorsqu'on les compare aux conditions auxquelles I'ltalie avait cherchéà
monnayer son entréeen guerre aux côtésde la France et de la Grande-

Bretagnecontrel'Allemagneet l'Autriche.

3.O8 Les premièrespropositionsitaliennes en matièrde
concessions territoriales enAfrique figurent dansun télégrammdu Ministre

italien des Affaires étrangères,le Marquis de SAN GIULIANO, datédu 25
septembre1914. Au point13,I'ltaliese proposaitde

"Demander à l'Angleterreetà la France d.esconcessionsen
Afrique comme compensation des avantages qu'elles
obtiendront avec l'annexion des colonies allemandes"(R/T,
annexe 56)(*).

3.09 Les demandes italiennes furentpréciséesdans le
télégramme que le Ministre italiendesAffairesetrangeres,SONNINO,envoya

le 16février1915 à l'Ambassadeuritalieà Londres. L'arXlll despropositions
italiennes étaitrédicomme suit :

* Traductiode laRApubliqeuTchad Texteorigin:l
"Domandareall'lnghiltaallaFranciaconcessii Africaincornpevantaggche
otterrannocon I'annessidellecolonietedesch. e texteest reproduitdM.s
TOSCANO, UPattol Indra,N.ZANICHELLI, ologn1934,p53. "Dans le casoù les autres Puissancesaugmenteraient leurs
Colonies Africainesauxdépens de l'Allemagne,on procederaà
un accord spécial pour assurer à I'ltalie quelques
compensations équitables ,n particulierdans le règlementen
sa faveur des questionsconcernant les frontières entre ses
colonies de I'Erythrée,de la Somalie et de la Libye et les

Colonies contiguës françaiseset anglaises" (m, annexe 30)
(9).

3.1O Cependant,laformule proposée pa l'rItaliefut rejetée

par ses partenaires,et I'ltaliefut obligée d'acceple libellé proposé par les
autres Puissances, quifut repris dans letexte final de I'article 13, dont les

parties contractantes convinrentque la version française ferait foi(v.m,
annexes33 et 36).

3.11 La comparaison entre lespropositions italienneset

le texte finalde l'article13 montrebienque ces propositions furentaccueillies
dans uneforme très édulcorée : I'article13finalementadopténecontientqu'un

simple accord de principe, assortide la mention de ce que I'ltalie "pourrait
réclamer"des compensationsterritorialesL .'extrêmefaiblesse dela disposition

en questionfut soulignée par le grand historieintalien MarioTOSCANO, qui
relève quepar l'article3,

"La questionavait été abordé commes'il suffisaitde quelques
rectifications des frontières pour la résoudre. Deplus, le
conditionnel"pourrait"nouslaissetrès perplexessur la portée
des obligationsassuméespar l'Entente,et le verbe "réclamer"

9 Traductiode laRapubliquduTchad -Texteoriginal:
"Qualora le altre Potenzeaumentasserole loro Colonie Africanea spese della
Germania, siarà luogoad un appositoaccord0per assicurareall'ltaliaqualche
corrispondenequocompensoe , ciospecialmenne1regolamenta suofavoredelle
questioniionfinetralesueColonielllEritr,ellaSomaliae dellaLibiae lecolonie
attigue franeeinglesi". ne paraît pas pouvoircoexister avecun droitpleinement défini,
et affaiblitassurémentlavaleurde l'engagement" (m, annexe

56) (lO).

3.12 Le comportement des autorités françaises fu ttut
aussi révélateur.En avril 1915, le Gouvernementfrançais proposaque l'on

insèredansle Traité une dispositioe nxcluanttoute compensationterritorialeau
détrimentde la coloniefrançaisede Djibouti :

"Ces compensations toutefoisne seront pas prises sur la
colonie françaisede I'Oboch-Djiboutidont le territoire esttrop
restreint pour êtrediminuéet la situationtrop importante surla
route de l'Indochine et de Madagascarpour permettre une
cessionquelconque" (m, annexe34).

3.13 Dans sa réponse, leMinistre italien des Affaires
étrangères fit valoir quela réticence française était hors dperopos :dans la

mesure où les compensations éventuelles devaien ft ire l'objet de négociations
ultérieures, qui nepouvaient aboutir qu'avec l'accord mutuel des parties, la

Francene pouvait être forcée d'accepter unceession contre son gré :

"Je ne vois pas, écrimit-il au sujet de l'article 13, de bonne
raison pour l'introductide lasecondephrase relative à Obok-
Djibouti, introduction qui apparaît inexplicable et inutile :
inexplicable dansla mesureoù le memorandumest présenté

parI'ltalietandis quela France émeut ne réserve;inutilecar les
éventuelles compensationd sevantse faireen temps utile avec

Traductiode laR6publiqueuTchad -Texteorigina:l
"Laquestioneera stataimpostatacomese bastassequalche rettificai confinia
risolver. onsolo,mamoltopensosilasciaquelcondizionale'potrebe' ullaportata
degliobblighidell'lntesa,mentre ilverbo'reclamnonsembrapoter facilmente
coesisterconundirittopienamentdefinitecertoattenuailvaloredell'impegnM."
TOSCANO,jl Pa-, op.cit.,p. 161). I'accordmutueldesparties, laFrancepourratoujours demander
une exceptionquelle qu'elle soit(m, annexe35) (Il).

3.14 La France se rangea à cette manière de voir les

choses et accepta que toute référence à Djiboutisoit exclue du texte finalde
l'accord(v.m, annexe38). Etant donné les fortes réserves qu'elle avait ce

propos, son attitudeconciliantemontre clairement qu'elle considérait u'ensoi
I'article13 n'octroyaitaucun droit spécifiqueI'ltalie,et qu'il n'impliquaitqu'un

engagement à envisager, le moment venu, l'éventualitéde cessions de
territoires.

L'article 13 n'envisageait que des cessions

territoriales

En ce qui concerne le contenu des engagements
3.15
assumés par les Alliés vis-à-vis de l'Italie, tant le texte de l'article 13 que
l'intention des négociateurs, tellequ'elle résultedes travaux préparatoires,

montrent bien que les parties contractantes n'entendaient aucunemenftaire
une distinctionentre, d'unepart les compensations consistanten des cessions

territoriales et,d'autre part, celles qui visaient déterminationfavorable de
frontieres en des zones contestées.II ressort clairement du texte de la

disposition en question qu'elle visait exclusivement des concessions
territoriales à I'ltalie,en particulierdansdes zonessituéesà la frontière entre

les colonies italienneset celles de la Franceet de la Grande-Bretagne. Lire
I'article 13 comme s'il prévoyaiauss iétablissement de frontieres dansdes

11 Traductionde la Republiquedu Tc-Texteorigin:l
"Art. 1-Non so vedere una buona ragione per I'introduzionedel secondo periodo
relativoa Obok-Djibouti,introduzioneche apparisceinesplicabilee inutiin, inesplicabile
quantoil memorandum compariscecome presentato dall'ltalia mentre qui si fa una
riserva per parte dellaFranciaile perchei compensi eventuali dovendofarsi a suo
tempo col mutuo consens0 la Francia potrà sempre muoverequalunque eccezione
voglia".zones contestées, c'est allerà l'encontre de l'interprétationlittérale de la
disposition,en attribuantà son texte -tout à fait clair- uneambiguïtédont il est
dépourvu.

3.16 Cette disposition prévoit"quelques compensations

équitables" en faveur de I'ltalie ; ceci implique des transferts territoriaux,
notamment dansles zones limitrophesde sescolonies. Rien deplus et rien de

moins. "Le devoir de la Cour est nettement tracé. Placée en présence d'un
texte dont la clarténe laisserienà désirer, elleesttenue de l'appliquertel qu'il
est..."(CPJI, avis consult., 15 sept. 1923, Acquisition de la nationalité

polonaise,sérieB, no7, p.20).

3.17 Au demeurant,l'interprétationlittéraleest confirmée
par les travaux préparatoires, quimontrent bien quelle était l'intention des

parties.

3.18 Au cours des négociations, l'Ambassadeur italien à

Paris, TlTTONl (qui avait étéMinistre des Affairesétrangères), envoyale 23
mars 1915 un télégrammeau Ministre italien des Affaires étrangères,

SONNINO,dans lequel ilfaisait état despourparlers avecla France. Passant
en revue les différentesclausesdu futur accord, il proposait, pource qui etait

des concessions territoriales en Afrique, que I'ltalie demandât différentes
portionsde territoire adjacentesaux coloniesitaliennes,y inclus le Tibesti et le
Borkou. IIconvient dementionnerla partiepertinentede ce longtélégramme :

"Puis pour l'Afrique, outre les compensations majeures
opportunémentexigéespar V.E. en cas de partage total ou
partieldes Colonies allemandes par la Triple Entente,je réitère
qu'il serait bon de demander à la France : 1" - que la
convention ViscontiVenostapour la Tunisie soit prorogée pour
vingt ans ; 2- que noussoit reconnuel'oasis de Barakat; 3' - qu'onnousdonne lesdeuxcoinsqui,selonles accordsPrinetti-
Delcassé, pénètren dtanslaTripolitaine parGhadamèset Ghat
et par Ghat et Toummo, nous obligeant pour communiquer
avec ces localités à traverser les territoires français. La piste
caravanièreentreces localités devrait être dann sotreterritoire.

"En outre, nous pourrionsdemanderen tout ou en partie le
Tibesti et le Borkou qui,en d'autres temps,étaient considérés
comme appartenant à laTripolitaine.Il serait,aussi,prudentde
s'assurerle droità la liaisonde la [Libye]par lefutur chemin de
fer qui de la Tunisieira à travers leSahara vers lelac Tchad,
nous assurant les habituelles garanties pour l'exercice
cumulatif. A l'Angleterreen échangede Djaraboub,que nous
voudrions mais qu'ellene veut donner à aucun prix, nous

pourrionsdemanderKisimayo à l'embouchuredu Djouba. Au-
delà de Koufra que l'Angleterre nous a déjà reconnu, nous
pourrions demander une large zone qui porterait notre
possession jusqu'àla ligne qui partagela sphère d'influence
anglaisedecellede la France." (m, annexe 31) (12).

3.19 Bien que cette proposition ait étéjugée trop
spécifiqueet qu'ellen'aitpasété prise encomptelorsdela rédaction de l'article

13, elle montre trèsclairementque les demandesitaliennesse limitaient à des
transfertsde territoire.

l2
TraductiondelaRepublique du Tchad -Texteoriginal:
"Per I'Africapoi,oîîimaggioricompensi opportunamentre ichiestida V.E. in cas0di
che sarebbebenedomandarealla Francia: l0des-che la convenzione Visconti Venostaii
perTunisisia prorogata perentianni: 2- checi sia riconosciI'oasidi Baraka;3"-
che ci sianodatiiduecuneichesecondogli accordiPrinetti-Delcassepenetranonella
TripolitaniatraGhadamese Ghatetra Ghate Tumrno,obbligandocipercomunicaretra
queste località ad attraversare territori francesi. Le carovara queste località
dovrebberoessereinterntorionostro.
"Inoîîrepotremmo domandare intuttoO in partilTibestiedilBorkuche in abritempi
erano considerati come appartenenti alla Tripolitania. Sarebbealtresi prudente
assicurarsildiritto alcollegamento della[Libia]collaferroviafuturache dalla Tunisia
andrà attraversoiSahara verso ilagoTchad,assicurandoclie consuetegaranzieper
I'esercizicumulativeAll'lnghiîîerrain cambiodi Giarabub,che noi vorremmo mache
essa non vuole dare anessun costo,potremmo domandareKisimayo allafoce del
Giuba. Oltre a KufcheI'lnghiîîerci hagiàriconosciut, otremmochiedereunalarga
zonacheportasse inostro possessofinoalla lineachedividelasferad'influenza inglese
dallafrancese". 3.20 Cela est confirmé pad'autres éléments importants

des négociations.Tel est le cas de la proposition,évoquéeplus haut (par.
3.12),faite parle Gouvernementfrançaisen avril 191et quitendaitBexclure
toute compensation relativàDjibouti"dontleterritoire esttrop rest..et la

situation trop importan...pour permettre uneçession quelconque" (R/T,
annexe 34 - souligné parla République du Tchad). Ceredactionmontrebien

que, comme I'ltalie elle-même,la France n'envisageait que l'éventualide
cessionsterritoriales.

3.21 Dureste,de soncôté,l'Ambassadeur d'ItalàeParis,
TITTONI, avait déjà proposé, dansun télégramme du21 avril 1915 à

SONNINO, de subordonner l'acceptationdu texte français relatifà Oboch-
Djiboutià une sériede condition(cf.ml annexe 36,ce qui confirmequ'il se
plaçaitluiaussidansla perspectivedecessionsterritoriales.

3.22 Par la suite, la France renonçaà la référenceà

Oboch-Djibouti : DELCASSÉindiqua à l'Ambassadeuritalien à Paris qu'il
n'attachaitpasbeaucoupd'importance àcetteréférence ,ui futomisedu texte
final. Comme la Républiquedu Tchad l'a relevé(supra, par. 3.14), ce

comportementmontraitque la France était bien consciente dece que l'article
13 ne se suffisait pas lui-même et ne mettaitpasà sa charge d'obligations

déterminées.

3.23 Entoutehypothèse,il ressortclairementdestravaux

préparatoiresde l'article13quetouteslesparties contractantesenvisageaient
exclusivementdescessionsterritorialesde la Franceet dela Grande-Bretagne

à I'ltalie. 3.24 II convientd'ajouterquelesnégociationsentrI'ltalie
et les Alliés qui eurent liàuParis en 1919, et au cours desquelles I'ltalie

demanda l'applicationde l'articlee l'Accordde Londres, confirmentque les
parties contractantesinterprétaiet nanimementla dispositionen questionde

cette maniere. Commel'arappeléle Mémoire de la RépubliquduTchad (M,
pp. 198-200),I'ltaliedemandait entre autlacessionde Djibouti,tandis quela

France offrait"une concessionnouvelle(...) au sud de la Tripolitaine, versle
Tibesti (R/T,annexe 41). Cette propositionfut refusée par I'ltalie,qui en
revanche réclama "les territoisahariens duTibesti,du Borkouet de I'Ennedi,

tous (sic)entiers,dans leurs délimitations géographiquesethniques"(u,
annexe 92). LaCommission coloniale dela Conférencedes préliminairesde

paix releva égalementque le différend portaitsur l'étenduedes cessions
territoriales. Dans son rapport, le ConseilSuprêmdes Alliés rapportede la
maniere suivante la positidesparties :

"4- L'Italie n'accepte pas la partie du Tibesti offerte par la
France et retire la demande qu'elle avait adresséeà cette
puissance en vue d'une rectificationde la frontièreoccirfenm
méridionalede la I ibve, I'ltalie entend par là garder la
questioncolonialeafricaine ouverte enelleet la France;[...]

"7- La France acceptela rectificationde lafrontièreoccidentale
du, qui lui avait éprimitivement demandée, et elle
maintient l'offre qu'elle a présentéeà I'ltalie en vue de
rechercher la base d'une délimitatnouvelle danslaréaion
Tibesti"(m, annexe 89 -souligné parla Républiquedu
Tchad).

3.25 Parler de "rectification de frontière" ou de

"délimitation nouvelle" n'évidemment de sens que si l'on part du principe
qu'une frontière existebel et bien. Lestermes utilisés dans ce Rapport, e

même queles positions de la France et de I'ltalie rapportées ci-dessus,
confirmentdoncquetouteslespartiesen cause s'accordaient àconsidérerque
l'article 13n'envisageaitque des cessions territoriales,le cas écsous la

forme de rectifications des frontisxistantes. SECTION 2. LA CONFIRMATION DE LA PORTEE DE

&'ARTICLE 13 DE L'ACCORD DE 1915 PAR
L'ACCORD LAVAL-MUSSOL IEI1935

3.26 Le Traité LAVAL-MUSSOLINIdu 7 janvier 1935 a
été conclu, commele rappelleson préambule,envue "de réglerd'une manière

définitive les questionspendantesau sujet.) de l'Accordde Londres du 26
avril 1915 en son article 13". 11constitue donc un indice important pour

déterminerle sensque les partiesdonnaientette disposition.

3.27 La Libye prétend quele Traité de 1935 fait une
distinction entre la déterminationde la frontiere méridionale dela Libye et la
rectification de la frontiere méridionaledeythrée.Dans le premier cas,

l'articledu Traité n'aurait pas pde cession territoriale, mais une simple
délimitation de frontière dansune zonecontestée,tandis que dans le second

cas, l'articleurait envisagéune rectification de frontière, doncla cession
d'une partie d'un territoirecolonial françaisie(CMIL,par. 6.19, 6S., et

en particulier,par. 6.26-6.27).

3.28 Cette thèse est erronée. Le texte du Traité, son
contexte et les cartes auxquellesil se réfère prouvent que, dansle cas de la
frontiere méridionalede la Libye, le Traité envtne cession territoriale,

au mêmetitre qu'ence qui concerne'Erythrée. Letexte et lecontexte de l'articl2
a)

3.29 En ce qui concerne le textdu Traité,il est vrai que

tandis que I'article 2, relatià la Libye, prévoit que la frontiere "sera
déterminée", I'article qui concerneI'Erythrée,précise que "le tracé suivant

sera substitué à la délimitationétablie,...".Cependant,il serait erroné dese
fonder sur cette différeneeterminologiepouraffirmer quele Traitéopèreune

distinctionentre la déterminationd'une frontière préalablemintxistanteet la
rectification d'unefrontiere bienétablie. En réalil est clair que les parties
contractantes n'entendaient pas attribuer de conséquences juridiques

différentesauxexpressions utiliséesans lesdeuxdispositions.

3.30 Cela apparaît clairementà la lecture de I'article 2,
lequel, en indiquantle tracéde la frontière dansla zone au nord du Tibesti,

précise à deux reprisesque ce tracé est établi "dtelle sorte que [certaines
zones] restententerritoire français"(souligparla République du Tchad). Ce

faisant,letexteduTraitéprésuppose qu'ilexistaitbelet bienunefrontiere entre
les deux Pays, frontièrquiest déplacée pa lr Traité de manière transférerà

I'ltalieune partiedesterritoiresappartenaàtla France.

3.31 Comme les traités internationaux doivent être

toujours interprétés de manière à rendre leur texte cohérent et non
contradictoire,force est de conclureque lesarticles2 et 4 du Traitén'opèrent

pas la distinction suggérée parla Libye mais envisagent tous deux des
cessionsdeterritoire.

3.32 Cetteconclusionest confirméepar le contexte de la

négociation du Traité, c'est-à-dire l'ensemble des déclarations quiaccompagnèrent et suivirent sa conclusion.II en découleque les Parties
contractantes, et notamment l'Italie, considéraient quele Traité visait une
cessionde territoireaussibienà l'article2 (concernantla Libye) qu'àl4article

(concernant I'Erythrée).Le texte de ces déclarations adéjàété cité palra
République du Tchad, dans ses précédentes écriture(MA ,p. 208-210 et

CM/L, par. 9.55-9.72). Pointn'est doncbesoin d'y revenir. La seule note
discordante provient d'unpassagede l'exposé des motifs accompagnant le
projet françaisde loi autorisantla ratification,et dont le Contrlibyenire

fait grand cas(par.6.28),maisil ne s'agitlà qued'unpropos isolé, contredit par
de nombreusesaffirmations officielltant françaises qu'italieny compris

de LAVAL lui-mêmes ,ignatairede l'exposé dmotifs(cf.CM/T, par. 9.59 et
9.60).

b) Les cartes annexée su Traité

3.33 L'examen desdeux cartes annexéesau Traitéet
mentionnéesrespectivementauxarticles 2 et 4 conduàtla même conclusion.
Toutes deux portent la même mention: "Nuovo confinemeridionalesecondo

I'accordo italo-francese del7-1-1935-Xlll" ("Nouvellefrontière méridionale en
vertu du Traité franco-itadu 7 janvier1935"à,la seulenuanceprès que la

carte no 2, concernant I'Erythrée,ajoute après les mots "nuovoconfine
mendionale" : "dell'Erit("deI'Erythrée) m, annexe 58).

3.34 II convient de préciserque les cartes en question,
annexées à la présente réplique, sont celles publiées dans les actes
parlementaires italiens(Sénatet Chambredes Députés)e,n annexe au texte

du Traité. L'original,qui devrait se trouver dans les archives diplomatiques
italiennes et françaises, n'a pu retrouvé.II n'en reste pas moins qu'elles

sont reproduitesdansdes actesofficiels,ce qui prouveau-delàde tout doute,
qu'ils'agitbiendescartesmentionnées dans lesrticles2 et 4 duTraité. 3.35 Au demeurantet en tout étatde cause, le fait que le

&xte soumis par MUSSOLINIau Parlementitalienpour obtenir l'autorisation à
la ratification,ait portéles mentions citci-dessus,démontresans la moindre

ambiguïté que-en tout cas pour l'Italie- le Traité établissaitune "nouvelle
frontière" aussi bienen Libyequ'en Erythrée.

3.36 La Libye rejette avec beaucoup de désinvolture

l'argument fondésur les cartes et les mentions qui y sont contenues. A ce
propos,le Contre-Mémoire libyen affirmeque :

"To describe a boundary (or forthat matter an automobile) as
'new' certainly impliesthat itis notd',but no morethan that. If
someonepoints out his or her newcar, itdoes not necessarily
meanthat, before,that personowneda differentcar. Evenif the
person had never before ownedan automobile,the car being
pointed out to may accuratelybe describedor referredto as a
'newcar' " (CMIL,par.6.21).

3.37 Sans insister sur le caractère oiseuxdes analogies

du Contre-Mémoirelibyen , il faut souligner que cettethéorieàal'encontre de
la thèse libyenne relativeà I'ErythréeA supposeren effet que l'on admette la

version libyenne,on voit mal pourquoi à proposde I'Erythréet ,erritoire au sujet
duquel la Libye admetque le Traitéde 1935 envisageaitunevéritable cession

territoriale, on auraitfait mentiond'une"nouvellefrontière".

3.38 Dans l'un et l'autre cas, c'est bien d'une "nouvelle

frontière" qu'ils'agit et cette cession donnait eft ux engagementspris par la
France dans l'article 13du Traitéde 1915. L'EXTINCTIO D ES DROITS QUEL'ITALIE

POUVAITTIRER DE I'ACCORD DE LONDRES
PAR L'ARTICLE 23 DU TRAITE DE PAIX DE
1947
-

3.39 Le Traitéde 1935 n'étantpas entré en vigueur,la
Libye en déduit quela France ne s'étaitpas acquittée des obligationslui

incombantà l'égardde I'ltalieen vertude I'article 13de l'Accordde Londresde
1915 (ÇMIL, par. 6.10 et S.),ce qui est probablement exact-sous réserve du
caractèrevague (v.suprapar.3.05et S.)et non"territorialementsiu,é" (v.

p. 202, par. 2.32) de ces obligations-, et que les droits de I'ltalie ont été
transmisparvoiede successionà la Lib(CM/L ,ar.6.39)'argumentqui, en

revanche,est dépourvudetout fondement.Commele montrentletexte même
et lestravaux préparatoide I'article23 du Traitéde paixdu 10 février1947,
I'ltalie a renonàétous ses droits et titres coloniauxet ceci implique une

renonciationau bénéfidesdispositionsde I'article13de l'Accordd5.La1
doctrinequi s'estpenchéesurceproblème confircette interprétation.

LetexteduTraité

3.40 Envertude l'article23 duTraite depaix de 1947,

"1. L'Italie renonceà tous droitset titres sur les possessions
territorialesitaliennesen Afrique,c'est-à-direla Libye,I'Erythrée
et la Somalie italienne.

"2. Lesdites possessiodemeureront sousleuradministration
actuelleusqu'àce queleursortdéfinitifsoitréglé. "3. Le sort définitifde ces possessions sera déterminé d'un
commun accord par les Gouvernements des Etats-Unis
d'Amérique,de la France, du Royaume-Uni, etde l'union
soviétique, dans undélaid'unan à partirde l'entréeen vigueur
du présent Traitéet selon les termes de la déclaration
commune faite par cesGouvernements le 10février1947 et
dont letexteest reproduit dans'annexeXI".

3.41 L'alinéaler de cette annexeXI confirme l'intention
des quatre puissancesde déterminerle sort des colonies italiennes dans le

délai d'unan. L'alinéa2précisait:

"Les QuatrePuissancesrèglerontle sortdéfinitif des territoires
en questionet procèderontauxajustementsappropriés de leurs
frontièresen tenant compte desaspirationset du bien-êtredes
habitants,ainsique des exigencesde la paix etde la sécurité,

et en prenant en considération les vues des autres
Gouvernementsintéressés".

Et l'alinéa 3 poursuiten disposant qu'encas de désaccord entre les quatre

puissances, la questionserait soumiseà l'Assembléegénérale des Nations
Unies.

3.42 II ressort clairement du texte de l'article23 et de

I'annexeXI que I'ltalierenonçait, parla ratificationdu Traitéde Paix,à tous les
droitset prétentionsconcernant cestroisterritoires coloniaux,qui pouvaientlui

appartenir.

3.43 Plusprécisément,par l'article 23i) I'ltalie renonçaitformellemenà ses droitset prétentions,quels qu'ils fussent,
concernant lesdits territoires

ii) La souverainetésur ces territoiresétait transféreuxquatre puissances,qui
acquéraientdonc letitre souverainsur ceux-ciet lepouvoird'endisposer, mais

seulement d'uncommunaccord ;

iii) de même, les quatrepuissances acquéraient le droit d'apporter, toujours
d'un commun accord,les rectificationsdefrontièresappropriées ;

iv) les droits souverains transférésaux Puissances alliées étaienttoutefois
soumis à deux limitations:

1' - l'administration effective des territoires n'étaitpas confiée aux quatre

puissances, mais demeurait entreles mains de celles qui, au moment de la
conclusion du Traitéde paix administraientles anciennescolonies italiennes
(on opéraitdonc une dissociation entre le titulaire formel d'un titre juridique

souverainet l'exerciceeffectifde l'autoritésurun territoire)

2" - le titre juridique souverain étt oumis àune condition résolutoireou, plus
précisément, à unterme :si dans l'annéequi suivait lesquatre puissancesne

parvenaient pas à un accord, la décisionfinale appartiendrait à l'Assemblée
générale des Nations Unies.

3.44 II ressort de ce qui précèdeque I'ltalie perdit tous
ses droits et titres juridiques sur ses anciennes colonies en 1947, lors del'entrée en vigueurdu Traitéde Paix. Cesdroits furenttransférés aux quatre

puissanceset, encasdedésaccord entreelles,aux Nations Unies.

3.45 Qu'advint-il,dans cesconditions, des droitsà des
"compensationsterritoriales"tirésde I'article13del'Accordde Londres? Ces

droitsne pouvaientpasêtre transféré auxquatrepuissances,cardeuxd'entre
elles étaientles destinatairesde ces revendications. Al'évidence,on ne peut

pas être titulaire enmême temps d'un droitet de l'obligationcorrespondante!
Forceest doncde conclureque les droits enquestion prirentfin avec le Traité

de Paixde 1947.

b) Lestravauxpréparatoires

3.46 Les travauxpréparatoiresde l'article 23 confirment
cette conclusion.

3.47 Le texte finalde l'artic23 dérivede l'article 17du
projetdeTraitéde paixprésenté par les quatrepuissances à I'ltalie.

3.48 Aussitôtqu'il appritla teneur decette disposition,le

Gouvernementitalienfit valoirqu'unerenonciationtotaleauxdroitssouverains
de I'ltalie sur ses colonies étaitinacceptable,et proposa une dispositionen

vertude laquellecepaysn'abandonnerait pas ses droitd sèsl'entréeenvigueur
du Traité, maisprogressivement,tout encontinuant àexercer à titre transitoire

des pouvoirsd'administrationsurces territoires. 3.49 La première réaction italienne était contenue dans
une notedu22 juin 1946,ainsirédigée :

"D'après des informationsde pressele Gouvernementitalien a
appris que,dans sa séance du20juin, le Conseildes Ministres
des Affairesétrangèresauraitdécidé de soumettre à l'examen
d'unComité d'experts unepropositionenvuede reculer d'unan
toute solutionduprobléme desterritoiresitaliensd'Afrique.

"Le Gouvernemenittaliendoitfaire observerà cetégard que :

"1. Ce renvoi ne saurait, en aucune façon, être interprété,
directementou indirectement,comme une renonciation de la
partde I'ltalie,à sesdroitssursesterritoires d'Afrique.

"Toute clause qui,dansun projetde Traitéde paixformulerait
un "surrenderof riahtg"inconditionnéde la part de I'ltalie sur
ces territoires,serait inacceptable pourle Gouvernementainsi
quepourle peuple italien.

"2. Le Gouvernementitalienfait remarquer queles territoires

italiens d'Afriquese trouvent dans la condition juridique de
zones de souveraineté italienne internationalement reconnue,
militairementoccupéespar causede la guerre. Au cas où la
décisionsurla destinée de cesterritoiresseraitreculée, serait
partant nécessaire de faire participer à I'administration
provisoiredesditsterritoires,et pourla périodeen question, un
nombre adéquat de fonctionnaires italiens, munde pouvoirs
qui suivant le droit de la guerre,sont laisàéI'administration
d'un territoire occupé sous lecontrôle de la puissance
occupante.

"3. Le Gouvernementitalienenfindoit exprimer son regretdu
fait qu'il n'a pas encore étentendu sur la question de ces
territoires. Aussi demande-t-il formellement au Conseil des
Ministresdes Affaires étrangèreds'êtreadmis à faire connaître
son point de vue à ce sujet" (Texte in G. ROSSI,L'Africa
italianaverso I'indi~endenza(1941-19491,Giuffrè,Milan 1980,
p.234 -ml Annexe 164).

3.50 L'Italie réitérases protestations à trois autres

reprises :lathèseitalienne futsoumiseen des termes vigoureux le25 juin 1946par l'Ambassadeur italienTARCHlANlau Secrétaired'Etatdes Etats-Unisp.i.

(v.RTT annexe61),puis parleMinistreitalien NENNIau Secretaired'Etatdes
Etats-Unis, le31juillet 1946(v. annexe62)et enfin dans un mémorandum
du 19 août 1946, dontil convientdeciterlapartie centrale:

"The ltalian Governmentfully realizing the spiritgoverning this
post-ponementproposal,has thefollowing remarksto makeon
the formulationof Article17

"1.The present position, bothdejureand de facto, of Libya,
Eritrea and Somalia is still that of territories under ltalian
sovereignty and as such internationally recognized.These
territories are under British military occupation (forthe major
part)and underFrench militaryoccupation withregardsolelyto
southern Libya.

"Undersuchcircumstances,Article 17,as it stands addsto the
post-ponementclause, two veryseriousconditions:

"a. ltaly must renounce her sovereignty now, before any
decisionistaken ;

"b. ltaly must accept for one more year British military
administration (andFrench fora smallpart).

"ln other wordsArticle 17, asit now reads,imposes on ltaly a
renouncementto the onlyties stillbindingher both dejureand
defacto to herAfrican territonesIt isthus nolongera matterof
simple post-ponement as proposea dt first, buta formula which
impliesa decisionalreadytakenagainstltalianinterests.

"2.The surrenderof sovereignty has no juridicaljustification.If
Italy'ssovereigntyis cancelledbytreaty,throughthe formulaof
Article 17 (first part), these territories (Libya, Eritrea and
Somalia)become, accordingto internationallaw, "resnullius".
Such a juridical situationis contrary to Italy's interests as she
would thus see al1her rights voided, but it would likewisebe
extrernelyprejudicialtothe general interestsofthe international
community,andthis in a partoftheworldso politicallyneuralgic
as the Middle East. What would be the advantageof such a
voiding of ltalian sovereigntyf the resultis merelyto increase
the instabilityofthe MiddleEast? "3. The necessity has been mentioned for ltaly to renounce
the administrationin trusteeshipof her Africanterritories. But in

when the United Nations approve the trusteeship sothat no
solution (dissolution[u) of continuitytakes place between
ltalian sovereignty and the new juridical situationr the
UnitedNations". (Voirletexte intégral mlns annexe63)

3.51 II apparaît ainsi que I'ltalie était parfaitement

consciente de ce que le libelléproposépar les quatrepuissances impliquait la
perte immédiateettotale de tout droititalien sur les colonies.

3.52 Malgré les protestations italiennes,les quatre
puissances ne modifièrent en rien leur texte initial qui devint l'article 23 du
Traitéde Paix (tous les amendements proposéspar certains Etatsavaient été

retirés: voir The Foreian Relationsof the UnitedStateç, 1946,vol. IV, pp.301-
304 ;811 ,nnexe64).

Lesanalyses doctrinales

3.53
Les auteurs qui se sont penchés sur l'article23 du
Traité de Paix de 1947, tous italiens, sont unanimeà considérer que la
disposition en question implique la perte immédiateet totale, de la part de

I'ltalie,de tous ses droitssur sesanciennescolonies.

3.54 La partie libyennecroit cependant pouvoir invoquer

en sens contraire l'autorité du Juge Roberto AGO, alors membre de la
Commission du droit international des Nations Unies dont elle cite très
partiellement l'opinionexpriméelors des débatsconsacrésla discussion dedivers projetsd'articlessur la successiond'Etatsen matière detraités(CMIL,
par. 6.41-6.42).

3.55 La citation intégrale du compte-rendu de
l'interventiondu Juge AG0 suffià montrerque celui-cin'a nullemententendu

prendre positionsur la questionde savoirsi les Etatsparties au présent litige
demeuraientliés parle Traitéde Londresde 191 5 et par"the obligationunderit

incurred by Franceto make "compensations équitablest" o Italy" (ÇMIL, par.
6.42) :

"M. AG0 estime, comme le Président, quela question à
I'examenest liéeaux définitions.S'il est vrai qu'auxtermes de
l'article2, paragraphe1 b, une successiond'Etatss'entend de
la substitutiond'un Etat un autre dansla responsabilité des
relations internationales d'un territoire déterminé, cette
substitution ne peut s'opérer que sur le territoire même que
possédait I'Etatprédécesseur . 'estcette précision, banaleen
soi, qu'apportentavant toutlestticles29 et 30. Toutefois, ces
dispositions ont aussi pour objet d'énoncerune exception
à
I'article 11, quiconsacrel'application du principede la "table
rase"aux Etats nouvellement indépendants.

"Pour illustrer cette exception,M. AG0 mentionne leTraité
conclu en 1935 entreI'ltalieet la France,en vue de régler une
question remontant à 1915, annéede l'entréeen guerre de
I'ltalie lorsde la première guerre mondialA cette époque,il
avait étéprévuque,en casde victoirecommuneconférant à la
France et à la Grande-Bretagne des avantages dansleurs
territoires coloniaux, des compensations seraietccordées à
I'ltalie,en particuliersousformede rectificationde frontLeres.
Traitéde 1935a eu poureffet de rectifier la frontière entrela
Libye, qui était alorsune colonie italienne,et les territoires
tunisiens et algériensdépendantde la France.Les articles à
l'examen ne signifient passeulement que,lorsque la Libye,
l'Algérie et la Tunisie ont accédé à l'indépendance,leurs

territoires étaient limités es frontiéres ainsi établies, mais
signifientaussique ces Etatsn'auraient paspu se prévaloir de
la possibilitéde fairetable rasede cestraités en applicatden
l'article. "II est à noter d'ailleursque lestraitéscommel'accord franco-
italienprévoientgénéralement en outr un régime defrontière
qui peutprésenterunegrande importance pourle déplacement

des caravanes et des tribus. La Commission ne veut
certainement pas permettre que des Etats nouvellement
indépendants puissent renier entièremendtetellesdispositions,
en invoquant I'article11, et prét.n.ren'êtreliés par aucune
obligation."Annua ire de la Commission duDroit1-,
1972,vol. 1,p.226).

3.56 Si l'onnégligele procédé indéliceat maladroitde la

Libye consistant à solliciter lapensée d'un Juge dela Cour, qui n'a pas pris
positionsur la questionenexamen, pour s'intéresserà l'opiniondes auteursqui

l'ont effectivement abordée,on ne peut qu'être frappépar leur unanimité à
considérer que I'articl23 du Traitéde 1947 mettaitfin à tous les droits de

I'ltalie làésesanciennespossessions coloniales.

3.57 La seule petite divergence que l'on puisse relever
dans ces opinionsconcernela nature juridiquede cette perte de droits. Pour

certains auteurs (R. QUADRI,Diritto c-, 4eme éd.,Padova,1958, pp.
142-143 ; F. CAPOTORTI,"Sulla efficaciain ltaliadi sentenzeeritreeposteriori

al Trattato di pace",inForo Italian~, 1950, Partie Il p. 232 ; C.G. RAGGI,
L'amministrazione fiduciaria internazionale, Milan, 1950, pp.91-92)! I'ltalie

ayant renoncéà ses droits souverains,ceux-ci furent transférés aux Alliés.
D'autresconsidèrent plutôtque I'article23 impliquaune derelictide la partde
I'ltalie (G.A. COSTANZO,"L'interpretazionedell'Art.23del trattato di Pacecon

I'ltalia",in GiurisprudenzacompletadellaCorteSu~remadi Caççazione,1952,
Il pp.475-490).

3.58 Pour résumer la position de la doctrine italienne

prédominantesur la questioncrucialede savoir quels étaientles droits dont
I'ltaliese dépouillait,il suffitde citerce qu'écritle professeur RolandoQUADRI ""Renonciation à tout droit et titre" de la part de I'ltalie,
s'agissant de territoires qui étaient déjà soumis à l'autorité
matérielle des Puissances occupantes, signif,e*.urementet
simplement qu'pn enleva a IIta lie toute lemion fora
découlant des divers enaaaements au sujet de I'ex~ansion
coloniale italienne auiavaientete assumés. aufur et à mesure,
par les différentesPuissances" (op. cit.,p. 142-soulignépar la

Républiquedu Tchad) (13).

3.59 Dèslors,la renonciationtotaleet définitive,de la part
de I'ltalie,à tous droits et titres sur ses colonies, et l'acquisition de droits

souverains de la part des quatre puissances sur ces territoires, eut comme

conséquenceque I'ltalie"sortaitde la scène". Ainsiprirentfin les droits qu'elle
pouvaittirer de l'article13 del'Accordde Londres.

3.60 Le droit de disposer des anciennes colonies

italiennes, de mêmeque le droit d'effectuer In'appropriateadjustment of their

boundaries" (prévu par l'Annexe XI du Traité de paix) passa aux quatre
puissanceset ensuite, à cause de leur désaccord,aux Nations Unies. Ausein

de l'organisation mondiale,comme leMémoireet le Contre-Mémoire tchadiens
l'ont déjà démontré, la frontière 1899-1919 ne fut pas remise en question (v.

aussi infra,par.5.18 et S.).

3.61 IIestdes lorstoutà fait erroné d'invoquer un droit de

successionde la Libye à I'ltaliedans ce domaine.

l3 traductionde lRepubliqueduTchad.Texteoriginal:
""Rinunciaad ognidirittoe titolouda partedell'ltalia,trattandosidi territorigià nella
materialedisposizionedellePotenzeoccupanti,significapuramente e semplicemente
che all'ltaliafu toltaognilegittimazformalerisultantedai ve[sicimpegniche a
favore dell'espansiocolonialeitalianaerano statviaassuntidalle variePotenze" 3.62 L'insistance mise parla Libye à se réclamer des
dispositions del'article13de l'AccorddeLondresde 191 5 esttrès étrange:

i) Cette disposition, qui n'aaucun caractère exécutoire et ne vise aucun
territoire déterminé, a cessé d'être en vigud eurfait de la renonciationpar

I'ltalàetous ses droitsettitrescoloniauxen 1947.

ii) Commele montrent clairemens t estermesmêmes, sets ravauxpréparatoires
et l'interprétationconstante qu'enont donnée les parties concernéese ,lle

comportait un engagement -imprécis- de cession territorialeet, en visant à
réaliser une telle cession palre Traité LAVAL-MUSSOLIN dIe 1935, la France

et I'ltalieont témoignde leurconvictionde l'appartenance à la première dela
bande d'Aozou,objet de cettecessionqui,finalement, n'eutpaslieu.

iii) IIest toàtfait extraordinaireque la Libye qui, dans écritures,se fait le

chantre de l'anticolonialismle plusvirulent,se réclame d'unedisposition qui,
en prévoyantle découpage arbitraire,le "charcutage",de l'Afrique, portela
marque ducynismeimpérialiste leplusintolérable. CHAPITR EV.

LACONSOLIDATIONPROGRESSIVE

DU TITREFRANÇAISPUISTCHADIEN 4.01 Alors que la Républiquedu Tchad a consacréde
longs passages Cieson Mémoire à l'examende "laconsolidation dela ligne
frontière"(cfM, chapitreV, pp.205-292et, dansune large mesure, chapitre

VI, pp. 293-344) ety est revenue dantoute ladeuxièmepartie de son Contre-
Mémoire (CMIT, pp. 167-472; v. en particulier les chapitres8 et 9, pp. 299-

405), la Libye n'aborde laquestion que dansla partie Vlll de son propre
Contre-Mémoire(CMIL,pp. 363-393).A cettefin, elle fait sienne l'analyse,du

reste très remarquable, que CharlesDE VISSCHERa faite de cette notion
(CM/L,par.8.02).

4.02 Toutefois, la partie libyenne,en prenant tropà la

lettre les citations, isolde leur contexte, d'extrade l'Œuvre de l'éminent
internationaliste belge, omet un élémentfondamental et oublie que la

"consolidation historiqun'opèrepasdans levide ;commeon l'aécrit,

"[lit mustbe emphasizedthat howeverimportantthese various
consolidating factors [recognition, acquiescencend estoppel]
may bel it is still the fact of possession thatis the foundation
and the sine qua non of consolidation. Theprocess cannot,
therefore, begin to operate until actual possession is first
enjoyed" (R.Y. JENNINGS, The Acquisition of Territorv in
InternationalLaw, Manchester U.P.,1963,p. 26).

4.03 Aussibien, leTchad,pour sa part a une conception
plus large mais quifait moins de plaà la notion dangereused'"intérêts"ont,

dansson Mémoire surtout,la Libyea tellement abuset contre laquelle d'utiles
mises en garde ont été lancées (v. R.Y. JENNINGS, ibid.).II est, très

simplement, partide l'idéqu'

"II esttout à fait naturel quel'établissementla souveraineté
soit l'aboutissement d'une lentévolution,d'un développement progressif du contôle étatique" (Sentence arbitralede Max
HUBER,4 avril 1928, affaire de I'Jlede Pm, R.G.Q.1.P'
1935,p. 198).

4.04 Dans ce processus, letitre, quelle que soit son

origine, se trouve affermi -dans cette acceptation, "affermissement" et
"consolidation" peuvent être tenuspour synonymes- d'une part par le

renforcementde I'occupationeffective et, d'autre part, parl'attitude des autres
Etats intéressésqui, par leurconduite oula conclusiondetraitésreconnaissant

letitre dusouverain territorial,acquiescànsa souveraineté.

4.05 La Libye ne conteste pas ouvertement ce
raisonnement,mais, àtrois reprises, ellefait valoir qu'il convient de faire une

distinctionentre

"(i) title to the territory, and (ii) the evidence of a precise
boundary"(CMIL,par.8.17;v. aussipar. 8.01et 8.07).

4.06 De l'avis de la Républiquedu Tchad, il n'est pas

évident que cette distinctioait lieu d'êtreès lors que la sphèred'influence
initiale est dotéede limites précises,sa transformationen territoire colonial

implique nécessairement que ces limites deviennent des frontières
internationales.Néanmoins, pour surplusde droit,et dansle soucide répondre

complètement aux objectionsde la Libye, elle abordera successivementles
deux aspects dela questionet montreraci-aprèsque, par le jeu combinéde

I'occupationet de l'attitudedes différents Etatsconcernés,non seulement la
zone d'influence françaises'esttransforméeen territorie colonial (Sectionl),

mais encoreque les limitesde celles-cisont devenuesune véritable frontière
internationale(section2). SECTION 1. DE LA SPHERED'INFLUENCEAU TERRITOIRE
COLONIAL

4.07 L'idéequela Déclarationfranco-britannique e899

créaitune simple sphère d'influenau profitde la France etque,dès lors,ses
limites ne constituaient pasunevéritablefrontière,revientcommeun leitmotiv

dans lesécrituresde la Libye.

4.08 Cefaisant,elle discutefaux. D'emblée,le Tchad a

admis qu'un traité établissant ne sphère d'influence ne créait pasun titre
suffisant à la souverainetémais constituait un simple "pvers celle-ci (cf.

m, p. 61, par.55), mais que, en revanche,

"S'ily avait occupation effective, des droits souverains
s'ensuivaient.(Mn, p. 61,par.56 ;v. aussip. 148,par.23 et
p. 255,par. 181;CM/T,par.8.15et 8.22). .

4.09 IIest vrai que la partielibyenne objecteeci à la

fois sur le plan des faits -enprétendantl 'yeut pasd'effectivité(cf. CMIL,
pp. 246-313)-et en droit -en affirmantque,de toutes manières,d86ventuelles

effectivitésn'auraientpu avoir poureffetd'opérerla transformationde la zone
d'influencefrançaiseen unterritoire colol otédefrontières véritables.

4.10 II n'est pas utile de réfuterà nouveau l'objection
fondée sur les faits, dont la République du Tchad a fait justice dans sonMémoireet son Contre-MémoireE . lle souhaite enrevanche revenir briévement
sur les erreurs de droit commises par la Libye et qui portent tant sur le

caractère même des zonesd'influence (51)que surles effets de l'occupation
françaiseet de l'attitudeadoptéeparles autresEtats 2).

§ 1- LE CARACTERETRANSITOIRE DES ZONES D'INFLUFNCE

4.11 S'il faut en croire la Libye, ce qu'elle appelle les
"Libya-Chad Borderlands"seraient restées une zonede non-souveraineté où

les prétentionsturquesà un hinterlanddémesuré de laTripolitaine-prétentions
dont elle serait'héritière-,se heurteraientà la sphèred'influencerevendiquée

par la Franceet dont le Tchad se réclamerait,sans queles faits aient tranché
entre ces revendications contraires. Par elle-même,cette thèse est fort
saugrenueet elle est démentiepar la naturemême des notions(voisinessinon

identiques -v. supra, not. par. 2.06 oupar. 2.28) d'hinterland et de sphère
d'influence.

Comme l'a souligné unedoctrine apparemment

unanime ;

"Experience has shown thatthe Powers whosespheres have
been delimitedby internationalagreement have notbeen slow
to strengthentheir positiwithintheirspheres"(M.F.LINDLEY,
The Acquisition and Government of Racwrd Territorvin
InternationalLaw,Longmans, London, 1926p ,. 217 ;v. aussi p.
224).

"ln the courseoftime theacquiescenceofthird stateswasto be
implied, whileacts of effective occupation have nowcome to
confirm title by the rules of customary law" (Charles G.
FENWICK, International b, G. Allen and Unwin, London,
1924, p. 229 ;v. aussi Lord CURZON OF KEDLESTON,

Frontiers, Clarendon Press,Oxford, 1908, p.47 ; Thomas H. HOLDICH, Political Frontiersand BoundarvMaking,Mc Millan,
London, 1916,pp. 95 et S. ; ou G.N. UZOIGWE,"Sphere of
Influenceand the Doctrineof the Hinterlandin the Partitionof
Afnca",.JIof AfncanStum, 1976,p. 186; etc.).

4.13 Partout, les accords créan dtes sphères d'influence

"marked a transitionalstage onthe roadto colonial acquisition" (Malcolm N.
SHAW,Title toTerrito- in Africa,ClarendonPress,Oxford,1986,pp.48-49),et

la Déclaration franco-britanniquedu 21 mars 1899n'a pas fait exception à la
règle : l'impérialisfrançaisa prisappuisurelleet sur le désintéressemen dte

son plus dangereux concurrent pourprocéder,en moins de quinze ans, à
l'occupationeffectivede l'ensemblede la zonequi lui était reconnue(cfGMn,

pp. 239-268)et y établir ainsi a souverainetterritoriale.

4.14 Sans doute, ce processus s'est-il heurté à des
protestations: de laTurquie d'abord; de l'Italieensuite,à partirde 1921.Mais

ni l'une ni l'autrede ces puissancesne pouvaientse réclamerd'un titre autre
que celui fondésur la revendicationvague (et constammentrejetéepar la

France)d'unhinterlandde laTripolitainedontla Libyeelle-même reconnaq îtu'il
s'agissaitd'untitre imparfait(v. parex.CMIL, par.4.129).A partir de 1913,la

Franceavaittransforméson propretitre-audépartlui aussiimparfait-fondésur
la sphère d'influenceconsacrée parla Déclarationde 1899,en un véritable titre

territorialétablisursa présenceeffectivedanstoutela zone.

"Un titre imparfait nepeut (...) prévaloir sur untitre définitif,
fondésur un exercice continuet pacifiquede la souveraineté"
(Sentencedu4 avr.1928, préc.a , ffairede'Jlede Palma, ibid.,
p. 192).

4.15 La sphère d'influence françaiseétait devenuezone
de souveraineté.Les protestations italiennes n'ypouvaientplus rien changer.Quant à la Senoussia, elle s'était repliée vers leNord, n'exerçait plus
d'influence sur la région -sinon, peut-être, religieue-t lut...contre les

Italiens.

5 2 LA CONSOLIDATIONREALISEEPAR L'OCCUPATION
FRANCAISE ET L'ATTITUDE DES AUTRES ETATS

CONCERNES

a) Les conséquencesde l'occupation effective

française

4.16 La République du Tchad a montré que les

"effectivités",d'aborcoloniales, puis tchadiennepouvaient,en elles-mêmes,
constituer un titre valable,opposablà la Libye qui,pas plus que l'Italie, n'a

jamais contrôléla région qu'elrevendique, sice n'est,en ce qui concerneune
partie de la bande d'Aozou, par l'usagde la forcecontraireaux prescriptions

du droitinternationalcontemporain,depuis1973.Telleest la signification de ce
que la Libye appellela "troisième thèse" tchadien(v.supra,par. 1.35). Dans

cette perspective,les effectivitésne contribuentpasla consolidationdu titre,
elles constituent le titre lui-même,et la présente section n'a pas à s'y

intéresser.

4.17 Maistel n'est pasla seulefonction des effectivités.

Comme l'a relevéla Chambre dela Cour appelée à trancher leDifférend
frontalier entre le Burkina Faso et le Mali, elles peuvent aussi "confirmer

l'exercicedu droit néd'un [autre]titrejuridiquà"l'inverse, "Dans le cas où le faitne correspond pas au droit, où le
territoireobjet du différendest administré effectivemtar un
Etatautre que celui qui possède le titre juridiil y a lieu de
préférerletitulairedutitre"(arrtu22 déc.1986, Rec. 1986, 9
63, p. 587).

4.18 En la présente espèce,il n'est pas douteux queles
effectivités colonialfrançaisesont "confirm6l'existencedu droit" nédans le

chef de la Francedu fait desconventions concluesparelle. Consciente qu'elle
ne peut, raisonnablement, contester l'occupation effective, duralt paisible

de la régionqu'elle revendiquepar la France,la Libyes'estemployée à tenter
d'établir que cette occupationse heurterait à des obstacles juridiques qui

empêcheraienlt atransformationde sontitreimparfait(lasphbred'influence)en
une véritablesouverainetéterritoriale.II est cependantremarquable queson
Contre-Mémoire n'apporte guère d'éléments nouveauxsur ce point. Il suffit

doncde rappelerbrièvementlapositionde la République du Tchadà cetégard.

4.19 La partie libyenne a invoquéen premier lieu la
jurisprudencede la Cour dansl'affaireduSaharaoccidentaletfait valoir que,la

régionétant habitée pa dres peuples socialement eptolitiquement organiséet
en l'absenced'accordsde protectorats,la France nepouvait prétendreà aucun

titre(M/L,par. 6.29-6.31).Le Tchad a réfutécet argument(CMIT, par. 3.09-
3.11)sur lequella LibyenerevientpasdanssonContre-Memoire.

4.20 De mêmee , lle n'yapporte aucunélément nouveau
en ce qui concerne laprétendue impossibilité où se serait trouvéela France

d'acquérir parla force un titre territorial.La Républdu Tchad a démontré
l'inconsistance totalede cet argument, auqueles référencepseuconvaincues

à la notion de crime international(CMIL, par. 8.14) n'ajoutentrien, avec les
principes du droit intertemporel (cf.CMIT, par. 3.23 et S.) etillui paraît

également inutiled'yrevenir. 4.21 Dès lors, un seul point quelque peu nouveau du
Contre-Mémoire libyenméritede retenir brièvement l'attention, encorequ'il ne

soit nulle part clairement formulé. Cependant, à plusieurs reprises, la Libye
laisse entendre que, poursa part, la Grande-Bretagne, n'avaitpas entrepris

l'occupation effective de sa propre sphère d'influence et ne considérait,en
conséquence, pasla délimitationde 1899-191 9 comme portant sur le tracé

d'une frontière (cf. CM/L, par. 4.97 et S.,4.182 et S. ; 4.230 et S.,etc.). La
République du Tchadest conscientede ce fait, qu'ellea elle-même souligné

dans son Contre-Mémoire (cf. CMTT,par.8.45 ou par. 8.65et S.),mais rien ne
peut en être inféré en ce qui concerne la nature du titre français et de la

délimitationenrésultant.

4.22 Si, en effet, unEtatA-en l'espèce,la France-est en
possession d'un titre souverain sur un territoire dans le cadre de certaines

limites au-delà desquelles un Etat B -la Grande-Bretagne-ne revendique, et
n'a, qu'un titre imparfait, la ligne qui les sépare n'enprésente pas moinsle

caractère d'une frontière internationale véritable, fautede quoi, le concept
mêmede sphère d'influence eût été vidé de toute substance : il avait

précisément pour objectif de permettre au bénéficiaire(non de l'y obliger) d'y
établir sa souveraineté territorialedans le cadre spatial prévu parle traité

l'instituant.

4.23 Sans doute, peut-on imaginerdes hypothèsesdans

lesquelles une puissance européenne n'aurait pas occupé l'intégralitéde la
sphère d'influence qu'elle s'étaitfait reconnaître soit parce qu'un autre Etat

I'aurait supplantée, soparcequ'ellese seraitdésintéressée d'unp eartie de sa
sphèreet I'auraitabandonnée à d'autres.Telleest d'ailleursla présentation que

fait la Libye de la renonciationau "trianglede Sarraupar la Grande-Bretagne
(cf. CM/L,par. 4.230 et S.). 4.24 Mais, enla présente occurrence, rien dteel ne s'est
produit. La France n'a jamais renoncé à ses droits et les a, au contraire,

toujours affirmésavec véhémence. Le Tchad a fait de mêmeaprès son
accessionà l'indépendance.

4.25 A l'inverse,la puissance voisine, quelle qu'elle soit

n'ajamais empiété, concrètemen s,rleterritoiretchadien14):

- La Turquies'yest essayée mais n'a pus'yimplanter (v.not.supra,par.2. 12
et S.),et, en tout étatde cause elle s'enest retirée avant l'occupatiopar la

France, qui,de son côté, a protestécontreles tentatives d'implantation turques

(cfÇM/T, par. 6.52 à 6.55).

- la Grande Bretagne, conformémena tux engagements qu'elle avaitpris en
1899,n'ajamais exercé, ni tenté d'exerce lr,moindreemprise territoriale dans

la bande d'Aozouni, a fortiori, dans d'autres régiochadiennes;

- l'Italie, qui a du reste mis fort longtemàsoccuper l'ensembledu territoire
libyen (v. CMTT,par. 8.62-8.63),n'en ajamaistransgressé les frontièressous

réservede quelques velléitéd se donnereffet prématurémen atuTraité LAVAL-
MUSSOLINI et quifurentcontréespar la France;

l4 A l'exceptide la Libyeelle-mêma,près1973.Mais cetteoccupatarmée,faiteau
méprisdes principesles plusimpéradu droitinternational contemporasaurait
produired'effetjuridique(cf.pp.71-73,par.89-92 et pp.381-382, par.23-27). La
Libyenes'aventure d'aillsasàpretendrelecontraire.-la Libye elle-même ne peut -exception faide l'invasionarmée audébut des

années 1970- invoquer aucune effectivité danszlonequ'ellerevendique.

4.26 Davantagemême :lorsque I'ltalie puis la Libye se

sont risquéesà essayerdetesterI'effectivitde la présencefrançaise, ellese
sont heurtéesà une riposte immédiate, pleine d'enseignemente sn ce qui

concernele problèmeenexamen.

4.27 II est en effet significatif quela France ait réagi

immédiatement, non seulement dansle temps mais aussi,en quelque sorte,
"dans l'espace", en ce sens que, malgré le caractère particulièrement

inhospitalier de la région, les autorités coloniales françaosnt stoppé les
tentatives d'infiltraétrangèreau momentmême oùellescommençaient à se

produire età quelques kilomètresde la frontière. Lesincidents de Jef-Jef en
1938 et d'Aozou en1955entémoignend t efaçonéclatante:

- dans le premier cas, les autoritfrançaises arrêtèreutne équipe d'ouvriers
italiens qui avaient entreprisde creuserun puits dans la régionde Jef-Jef,

135 km. du villagefixe le plus proche,Tekro (v. la carte annexéeau Mémoire
tchadien) (cfu, pp.211-21 8,par.23-47) ;

- dans le second, les militaires françaisdu poste d'Aozou interceptèrentun
convoi libyen,a 10 km. aunordde ce bourg quiest leplus septentrional des
villages tchadiens(cfM/T ,p. 132-135,par.106-114et pp.284-289,par.296-

311).

4.28 La présence française n'est donc pas une
occupation symbolique. Ellese traduit pardes réactions immédiates à toutetentative d'empiètementsur son territoire. Malgrle caractèreinhospitalieret
largement inhabitéde la région, les Français réagissen atussitôt après le

franchissement dela frontière -ce quiconfirmeI'effectiviet l'intensité de leur
occupationet les autresEtats concernés necontestentpas I'effectivitéde cette

présence.Parelle se trouveréalisée la transformationde leur zone d'influence
en territoire colonial. Le titre imparfait est devenu un titre territorial

incontestable.

Les Etats concernés ont réagi en pleine

connaissance decause

4.29 La Libye soulève cependan utneautrequestion :elle
fait valoir que le comportement desEtats intéressése présente de pertinence

aux fins de laconsolidation quesi ceux-ciavaientpleinement connaissance de
la situation(CMiL, par. 8.17). Souscette formevagueet généralel,a réponse

est certainement affirmative. Maisla partie libyennene s'en tientpasà cette
question simple : elle la module différemment en divers passages de son

Contre-Mémoireet selon I'Etat concerné ; sa présentationdevient alors
beaucoup plus contestable :

4.30 i) En premier lieu, elle précise: "...in particular,
knowledge that the conduct would necessarily and adversely affect any

contrary claims the State might have("ibid.).Sous cetteforme, la question est
vaine : un Etat souveraindoit agir de façon responsable; s'il a lui-même des

revendications,il lui appartientd'agiren conséquenceet delesfaire valoir;tel
n'a,assurément, pasété lecasde la Libye(v.supra, par.1.O3 et S.);

4.31 ii) En deuxième lieu, etappliquant, ici encore, le
principede la "connaissance nécessaire" à son propre cas,la partie libyenneaffirmeque "theonusis clearly onChadto prove that Libya,did indeed, have
actual knowledgeor constructiveknowledge orboth" (CMIL,par. 8.07) et que

"lt cannot be the case that a newly-independent State must be regarded as
"succeeding" to al1knowledge of its predecessor" (CMII, par. 8.09). Ces

"arguments"sont tout à fait extraordinaire:

- en ce qui concernele premier, on voit mal comment le Tchad pourrait -et

pourrait être obligé de- prouvc er que savaitou nonla Libye.Au demeurant,
en la présente espèce, le problèmene se posepas :les négociationsde1955

l'ont pleinement informée des positions françaises (encore s'agissait-il d'une
confirmation: la Libye ne pouvait,par exemple, ignorerl'incident d'Aozou) et,

par la suite, le Tchad, contrairement à elle, a constammentexposé ses
arguments ausein des enceintes internationales (cfsupra, par. 1.28);

- quant à prétendre que la Libye n'a pas "héritde l'informationdontbénéficiait

I'ltalie,argumentest doublementirrecevable: d'une part, siun Etat peut être
tenu pour responsable de cet Etat de choses, ce pourrait peut-être être

l'ancienne puissance coloniale, mais certainementpas le Tchad ; d'autre part,
et surtout,la questionn'estpasde savoirsi les "informations"("knowledge")de

I'ltaliesont passées à la Libyemaissi, lorsqu'elleétaitle souverain territorial,
celle-ci a acquiescéau titre français ;si tel est le cas, la Libye, entant que
successeur, estliéenon parcet acquiescementlui-même, mais par les effets

que celui-cia produits.

4.32 iii) Enfin,la Libye prétend appliqur même ''testde
la connaissance"à la Grande-Bretagne,lorsqu'elleaffirme :"...thereis no hint

of any knowledge of,or acquiescence in, a French claimof title based upon
effective occupation" ($3vlA,par. 8.60). Cetteaffirmationest si "fantaisiste",

démentie partant de piècesdu dossier,quel'onpeutdifficilementla prendreau
sérieuxet il suffità cet égardde renvoyer, par exempleu- n exempleparmi centautres- à la réponse du Foreign Office du 5 février 1923à la note de

protestation italienne du 18 décembre 1921contre la Convention franco-
britannique de 191 :

"His Majesty's Government understand that the French
Government havein addition particular reasonsfor regarding
the ltalianstandpoint as untenab(Ml annexe 101).

Cette note, rédigéeaprès une intense concertationdiplomatique avec les
Français, renvoie expressément à l'argumentation de la France ; et de
nombreux éléments du dossier établissent à suffisance que l'occupation

effective par cette dernièrede la sphèred'influence que lui avait reconnuela
Déclarationde 1899 faisait partiede cetteargumentationettaitbien connue

des autorités britanniques quin'y ont jamais fait objection (v. par ex.
annexes40,42 ou 55).

4.33 Laconsolidationdutitre dont le Tchadse prévaut ne
tient pas à l'addition de quelques actes isolés,d'où pourrait se déduire un

estoppel, mais, bien plutôt,'ensembledudossier :la France estprésente, les
autres Etats concernésen sont pleinement conscientset se gardent bien de

contester surleterraincette occupationqui a consolidésontitre initial. SECTION 2. DE LA LIMITE DES SPHERESD'INFLUENCE A
LAFRONTIERECOLONIALE

4.34 Pour autant que la République du Tchad la
comprenne, l'argumentation rappeléeci-dessus (par.4.08) de la partielibyenne

consiste àdire quequand bienmême la France auraiteffectivement occupéla
sphère d'influencequi lui reconnaissailta Déclaratden1899,il n'entésulterait

pas que le tracé de la frontière du territoire sur lequel elle exercerait des
compétences territorialessouveraines,seraitidentiqueà la limitede la sphère

d'influence.

4.35 La République duTchadéprouvequelquedifficultéà

comprendrela logiquede ceraisonnement :la France estlà;elle fait respecter
les limitesde cequi est devenusonterritoire; les Etatstiers les respectent;on

voit mal, dans ces conditions,u serait situéla frontière, sinonsur cette ligne
qui, de l'avis commun constitue la limite d'exercice des compétences

territorialesfrançaises.

4.36 Certes la France n'a pas déployéde fils barbelés
tout au longde cette frontièreniinstallédepostesde douaneà chaquepointde

passage potentiel. Maisla régionne s'y prête pas :elle est pratiquement
inhabitéeet l'absenced'eaueût rendu untel dispositifà la fois impraticableet
inutile. En revanche,il est frappantde constater que chaquefois qu'uneautre

puissance s'aventure à transgresser la frontière, les autorités françaises
interceptentles fauteursdetroubleaussitôtaprèsle franchissementde celle-ci

et les reconduisent 2 la frontière (supra, par. 4.26-4.27). Ce simple fait
confirme la coïncidencedes frontièresde la coloniedu Tchad avec les limites

de l'ancienne sphère d'influencrançaise. 4.37 Si l'onmet à partla Turquie qui,par les articles 16et
22 du Traitéde Lausanneçonclunotammentavecla France, a renoncé"àtous

droits et titres" sur les territoires quiavaient cesséde lui appartenir (v.
par. 2.60), tous les Etats intéressés concourentd'ailleurs, positivement, à

l'affermissement du titrefrontalierde la France.

.4.38 Tel est lecasd'abordde la Grande-Bretagnequi, par
le biais de la Déclaration de Londresde 1899, est à l'origine de la sphère
d'influence française et qui en confirme et en précise les limites par la

Convention supplémentaire du 8 septembre 191 9 et les accords de 1924.

4.39 L'attitude de I'ltalie paraît,prima facie, plus
contrastée : de 1921 à 1935, elle émet, périodiquement, des protestations à

l'encontre de la présence française au-delà de ce qu'elle prétend êtrela
délimitation de 1899. Mais, mêmeces protestations sont d'interprétation
difficile:

- elles se fondent surle fait -erronéM/T, pp. 185 etS.etCM/T, par.8.114et

S.)-d'une différencesubstantielle entreletracéde 1899et celui de 1919 ;

- son argumentation privilégiée(elleen changeasouvent)montre, a contrario,

qu'elle reconnaît la validitéde la délimitation résultant dela Déclarationde
1899 ;

- elle se fonde avanttout sur desconsidérationpolitiqueset sur les promesses
qui lui ont été faites l'Accordde Londresde191 5 ;A l'inverse,

- elle a reconnu,en 1900et en 1902, à la fois "la frontière dela Tripolitaine
indiquée parla carte annexée à la Déclarationdu 21 mars 1899" -dont elle

connaît parfaitement la provenance (v. supra, par. 2.67)- et la validité du
partage franco-britannique et,

- par la conclusion du Traité LAVAL-MUSSOLINIs eet s réactioàsl'occasion
de plusieurs incidents(dontle plusimportant estceluide Jef-Jefen 1938),elle

témoigne sansambiguité de sa conviction dubien-fondé, en droit,de la
présencefrançaise et de l'existence de la frontière telle que la France la

conçoit.

4.40 Quant àla Libye,elle concourt, évidemmenpt,ar son

attitude constantejusqu'au début deasnnées 1970, à la consolidationdu titre
français, puis tchadien, que ce soit par son comportementlors de l'incident

d'Aozouen 1955,par son mutismetotal lors des nombreuses occasionsdans
lesquelleselle aurait pu et dû s'exprimer si elle at u la conviction quela

frontière affirmépar laFrance puis parleTchad était erronéev. not., pp.
320 et S. et CMIT, par. 9.106 etS.et supra, par. 1.05 et S.)ou, et peut-être

avant tout, par la conclusion,aprèsde longues négociations,u Traité du10
août 1955 par lequel, devenue souveraine, elle accepte formellement et
solennellementletracé delafrontière.

4.41 Ainsi se trouve confirmée, e manièreéclatante,la

coïncidence des frontières du Tchadavec les limites del'ancienne sphère
d'influence française. Au demeurant, il ne s'agit pas làd'un phénomèneexceptionnel et, sans qu'une étude exhaustive soit nécessaire,il paraît établi
que de très nombreuses frontières africaines -probablemenlta majorité d'entre

elles- sont issues des limitesdes spheresd'influenceque s'étaientreconnues
les puissanceseuropéennes et enont épousé lte racé à la suitede l'occupation
coloniale.

4.42 On peuten donner quelquesexemples :

- la frontière entre le Soudan et leZaïre résultede l'accord conclu le 12 mai

1894entre la Grande-Bretagneet leRoiLéopoldde Belgiqueau nom de I'Etat
libre du Congo, par lequel les Parties se reconnaissaientmutuellement des
zones d'influencecorrespondant à la lignede partage deseaux entre lebassin

du Nil et celui du Congo; la frontière actuelleest conforàece tracé(cf.U.S.,
Dept.of State,The Geographer,I.B.S. no106,20 oct.1970et lan BROWNLIE,

African Boundaries -A leaal and Di~lomatic Encvclooedia. Hurst, London,
1979, p.683) ;

- la frontière du Cameroun et de la Guinée équatoriale a été fixée

conformément à la ligne prévue parle Protocoledu 24 décembre 1885et la
Convention du 15 mars 1894délimitantles spheresd'influencerespectivesde
l'Allemagneet de la France (ibid,p. 545) ;

- et les accords franco-britanniques du 14 juin 1898 et du 21 mars 1899

(Déclarationadditionnellede Londres),ceux-làmême qui sontà l'origine dela
délimitation des territoiresactuelsdu Tchadet de la Libye,constituentI'origine

de la frontiere entre le Tchad et le Soudan, sans que des contestations se
soientélevées sur ce point. IIen va de même s'agissantde la frontiereentre laRépubliquedu Centre-Afrique et le Soudan (cf. lan BROWNLIE, op. cit., pp.

597 et S.et 617 et S. (15).

4.43 IIest vrai que, dans cedernier cas, la convention et

le protocole franco-britanniquesde 1924ont réaffirmé et préciséle tracéde la
frontière. Mais il s'agit là d'un processus de consolidation dont la présente

affaire fournit égalementun exemple. En effet, contrairement à ce qui s'est
produit dans la plupart des cas précités, la transformation de la limite de la

sphère d'influence française enune frontièreau sens plein du mot netient pas

à la seule occupation effective parla France ; elle a été consacréee ,n 1900-
1902, 1919, 1924et 1955, parune longue sériede traités quitous convergent

en une conclusion unique: l'affermissementdu titre territorialet frontalier de la
France puisdu Tchad qui luia succédé.

'5 11ne s'agit là que de quelques exemples ; de très nombreuses autres frontières
africaines ont directementleuroriginedansleslimitesdes anciennes sphèresd'influence
coloniales.IIen va ainsides frontières
-Angola -Namibie (Déclarationgermano-portugaisedu 30décembre 1886);
-Kenya - Tanzanie (Echange de notes germano-britannique des 29 octobre etler
novembre 1886et Accord du 1erjuillet 1890);
délimitant lasphéred'influenceallemande)c;rd germano-britannique du ler juillet 1890
-Malawi -Tanzanie (Accordgermano-britanniquedu ler juillet 189;)
-Centre-Afrique- Zaïre (Convention entrela Franceet I'Etatindépendantdu Congo du
14août 1894) ;
-Tanzanie -Zaïre (Conventiongermano-belge du 11août1910) ;etc. BONNE FOET DROIT DESTRAITES

LA PORTEEDUTRAITEFRANCO-LIBYEN

DU 10AOUT1955 5.01 Faute de pouvoir soutenir avec un soupçon de

vraisemblance la non-pertinencedu Traitéd'amitiéet de bon voisinageconclu
le10 août 1955entre la France etla Libye, celle-cise résigneà en reconnaître
la validité maiss'efforcede faire planerun doutesur l'attitudede la France,qui

n'est pas partie la présente instance,et de le vider de toute substance en
interprétantson articleet l'annexeI à laquelleil renvoie d'une manièreaussi

compliquéequetéméraire.

5.02 La notionde bonne foiest aucentre de la mauvaise
querelle faite par la Libye tant au Tchad qu'à la France. Au premier, elle
reproche d'occulter une partie des travaux préparatoires quiont abouti

conclusion du Traitéet d'en donner une interprétation inacceptable elle
impute à la secondede sombresdesseinsqui l'auraient conduiàcirconvenir

les dirigeants libyenslorsdes négociat. esinsinuationsnesontfondéesni
en ce qui concerne les origines et les travaux préparatoiresdu Traitédu

août 1955(section 1.), ni pource qui est de son interprétation,son contenu ne
laissant pas placeau doute(section).

SECTION 1. LES ORIGINES ET LES TRAVAUX
PREPARATOIRES DU TRAITE DU 10 AOUT

-1955

5.03 La République dTchad n'entend pas revenirsur le

détail des négociations préalablesla conclusion,à Tripoli, du Traitédu 10
août 1955.Cette procédure complexequi a son origine dans leTraitéde paix

de 1947avec l'Italie,se poursuitavec lesdébatssur le sort de la Libyeau sein
des Nations Unies, et aboutit aux négociations bilatéralesde Paris (janvier
1955) et de Tripoli (juillet-août), a été longuement analysée dans leMémoire (ml pp. 99-115, 125-132 et 135-138) et le Contre-Mémoire(ÇMTT,
par. 1.Il1 à11.132)tchadiens.

5.04 A ce stadede la procédure écritla Républiquedu
Tchad se limiteradoncàune miseau pointsur lestravaux préparatoires relatifs

à la phase ultime des négociations deTripoli ($ 1) et sur deux questions,
artificiellement soulevéespar la partie libyenne,au sujet de l'incidence de la

résolution392 (V) de l'Assemblée généralees Nations Unies($ 2.) et de la
bonne foi lorsde la négociationdu Traité($ 3.).

0 1. LESTRAVAUXPREPARATOIRES AUTRAITE
DU 10 AOUT 1955

5.05 La Libye regrette, non sans raison, la relative

pauvretédes documents relatifsà la dernière phase des négociations; mais
elle en impute, bienà tort, la responsabilitéà la Républiquedu Tchad qui n'en

peut mais. On peut, en revanche, s'étonnerde ce que la partie libyenne n'ait
pas été àmême de produireses propresarchives relativàla négociation du

Traité.

Le manquede travauxpréparatoires concernant
a)
lestade finaldes négociation(juillet-août1955)

5.06 Le Contre-Mémoire libyenobserve la modestie de
travaux préparatoires présentés par le Gouvernemetcthadien et touchant la

phase finale de la négociation du Traité daoût 1955(cf.CM&, par. 1.39,
1.40ou 3.33). 5.07 Les documents d'archives mis par le Ministère

françaisdesAffairesétrangèreà la dispositiondu public comportentcertaines
lacunes incontestables.Ainsi, dans legrammeno178180du 4 mars 1955,
M. DUMARÇAY, MinistredeFranceàTripoli,déclare :

"j'ai adresséce matin mêmeune note de protestation au
Gouvernementlibyenettenul'Ambassadede Grande-Bretagne
informéede cetincident." annexe 251).

Le Gouvernementtchadien n'apas trouvédanslesarchivesdu Quai d'Orsay le

texte de la notede protestationdontM. DUMARÇAYfaitétat.Maisl n'a pasde
raison de penser que le diplomate transmettaitune information erronàe
l'Administrationcentrale.

5.08 En revanche, lorsque le Contre-Mémoire libyen

comparel'abondancerelative desdocumentsfournispourla période décembre
1954-janvier 1955 et notamment les comptes rendus des négociations
MENDES FRANCE - BEN HALIM à la pauvretédes archives ayant traità la

négociation finaleconduità Tripoli par M. DEJEANavec M. BEN HALIM, il
s'agitd'un problème distinct.

5.09 La République du Tchad n'avait pas voulu
encombrerla Couravec l'ensemblede ladocumentationdiplomatiquefrançaise

relativeà la négociatidu Traitédu 10 août1955.Elle n'avaitretenu que les
documents pertinents relatifsà la frontière entre le Tchad et la Libye.
Cependant dansle soucide répondre complètement à la partie libyenne,le

Gouvernement du Tchad annexe à la présente répliquel'intégralitéde la
documentation disponible au Ministère français desAffaires etrangères et

concernant la phase ultime de la négociation(juillet-août 19(cf.m,
annexes95à97,100à106,108à115,117à132,134à137et 139). 5.1O Au demeurant la rareté des documentspertinents
s'explique.La questionde ladélimitatiode lafrontière méridionade la Libye

était relativementecondaireauxyeuxdespartieset avaitétélargementréglée
dès l'époque1950-1951, lorsquele Gouvernementfrançais avaitpris devant

les Nations Uniesune position sanséquivoquesur le tracéde la frontière en
rejetant I'applicabildu Traité LAVAL-MUSSOLINIde 1935 et en indiquant

quels instruments internationaux établissaieàtses yeux la ligne frontière.
Cette positiondu Gouvernement français n'ajamais été mise en cause parla
partie libyenne lorsdes négociationsà l'exception de l'incident du27 juillet

1955, lorsqu'un officier libyen a produitune carte qui indiquait unefrontière
contestéesur leTibesti. L'incidet yant étréglécommele montrela dépêche

transmise parM. DEJEANau Ministèredes Affaires étrangères le lendemain
28 juillet. (MIT, annexe 268), confirmée par le télégrammedu 30 de

l'Ambassade britannique à Tripoli(R/T,annexe 120), les parties n'avaient
aucune raison de s'attardersur le secteurnon disputéde la frontiere entrela

Libye et les possessions françaises d'Afrique. En revanche,l'examen des
archives françaisesmontre que lesdifficultéss'accumulèrententre les parties

surd'autressujetsimportants,concernane tn particulierl'évacuationdes troupes
françaises du Fezzan et l'établissementde la ligne frontiere à l'ouest de

Toummo. Les dépêches diplomatiques françaisn eavaient doncpas lieu de
s'étendre surune question considéré comme réglée à la satisfactiondesdeux

parties.

5.11 De plus, les négociateurs ne semblentpas avoir

cherchéà établirun procès-verbal des négociations ultimesconduites par
l'Ambassadeur DEJEAN et le Premier ministreBEN HALlM pour la bonne
raison que ces négociationasboutirentàun texte,le Traité du10août 1955.11

n'étaitdonc pas nécessairec,ommeenjanvier1955,de tenter de fairele point
du progrès des négociations puisquecelles-ci étaientparachevéespar la

signature du Traité. la connaissanceduGouvernement tchadien, les archives
diplomatiques françaises accessiblesau public ne contiennenten tout cas

aucun élément comparabla eux notes établiepar les diplomates français lors
des négociations MENDESFRANCE 1BENHALlMenjanvier1955. L'absence quasi-totale d'archives libyennes

relatives& la négociation du Trait6 du 10 août
1955

5.12 Si le Gouvernementtchadien nepeutêtre accuséde
rétention de l'information,il n'est pas sûr qu'il en aille de mêla partie

libyenne. La Républiquedu Tchad constate en effet l'absencequasi-totale
d'archives libyennes relatives au Traidu 10 août 1955. Elle s'étonne dela

faiblesse des productions libyennesà cet égard.II semble en effet que le
Gouvrnement libyendétienne certaines archivesp,uisqu'ilen fait étatdans son

Contre-Mémoire.IIs'exprimeen cestermes :

"This is confirmedby the Libyanjravaux relatingto the 26 July
meeting. Annex I made its Warance then. but it onlv
çoncerned the frontier between Ghat and Toummo and the
dema rcationcommissionto dema- that boundarv.There is
no mention of the list. which had vet to be added to Annex 1"
(CMJL,par.3.32 - soulignédansletexte).

5.13 La partie libyenne admet donc l'existence de
documents libyens relatifsà la réuniondu 26 juillet mais ne donne aucune

indicationquantà leurcontenu.

5.14 Bien que le texte du Contre-Mémoire libyen nes'y

réfère pas,le passagecité faitsansdouteréférenceau documentproduitpar la
Libye en annexe à son Mémoire,volume 6, exhibit73, intitulé"Excerpts of

Franco-Libyan negociations of July1955". Ce document très singulier, sans
aucune indication d'origine, semble constituépar des notes prises par les

diplomates libyens lors des négociations franco-libyennes de juillet 1955.serait évidemment esse ntiel aue ces éléments de D reuve soient ?résentés
complètementafin d'éclairer les partieset la Coursur la position libyenne lors

de cettenégociation ultime.

5.15 II convient du reste de releverau passage que la
partielibyenne,si prompte à s'indignerdeserreursde procédure qu'elleimpute

au Tchad, nes'estpas,quantà elle,acquittée des obligationslui incombant en
vertu de l'article, paragraphe2, du Règlementde la Cour. Irésulte en effet

de cette disposition que si un document produit à l'appui d'une,pièce de
procédure"n'est pertinentqu'enpartie,il suffitdejoindreen annexeles extraits

nécessairesaux fins de la piècedont il s'agit",mais que "çppie du document
çom~let" doit êtredéposée au Greff eà moinsqu'il n'ait été publié sous une

forme quile rendefacilement accessible". Cette conditionn'étantpas remplie
en l'espèce,il appartenaità la Libye,au moins dedéposer auGreffe dela Cour

l'intégralidu document dontestextraitI'exhibitno73joint à son Mémoire (16).

5.16 Le Gouvernementtchadien examinera avec intérêt
cet ensemblede documentsdont il ne comprend pas pourquoila Libye ne l'a

pas annexé à son Mémoire ou à son Contre-Mémoirepour renforcer sa
démonstration.Au demeurant, il observeque les quelques passages cités en

annexe auMémoirene font queconfirmer sa propre argumentatioe nt semblent
bien indiquerun accorddes partiessur lafrontièreentreleTchadet la Libye. II

fait en particulier étatla date du 26 juillet 1955de l'accord des deux parties
sur une lettre interprétatirelativeauxfrontières ainsidécrites:

"the frontier:the two parties agreedto an interpretativeletter
relating to the frontiers, and similarly they agreed to the
formation of the Franco-Libyan Committee to demarcate the
frontier".

l6 Lamême remarque s'appliB qu'xhibino74, 5.1.7 Le Gouvernementde la Jamahiryia arabe libyenne

analyse cette déclaratcomme étantl'accordsur l'annexe du Traité, maisil
limite curieusement cetteannexeàIla seulefrontière entre Ghatet Toummo

sans produire aucun élémentde preuve permettant de conforter cette
interprétationrestricm,ve annexe173).

§ 2. LA RESOLUTION 392(V) DEL'ASSEMBLEEGENERALE
DES NATIONU SNIESETLE TRAITEDU 10 AOUT 1955

5.18 Le Contre-Mémoirelibyententedetirer argument de

la résolution392 (V) adoptéele 15 décembre1950 par l'Assemblée générale
des Nations Unies quiy aurait décque la frontière entrela Libyeet 1'A.E.F.

n'était pas délimitéeet que la délimitation devait êtreeffectuée après
I'accessiondela Libyeà l'indépendance. etteinterprétationinexacteconduit

la partielibyenne desconclusions erronéesuantà la lecturedu Traitédu 10
août1955.

5.19 La Libye affirme que, par la résolution 392 (V),
I'Assembléegénérale

"called upon France to negociate with Libya, after it had
achieved independance ; to delimit its vet undelimited
boundarieg" (CM/.Lp,ar.3.103-soulignépar la Républiquedu
Tchad).

Elle laisse ainsi nettement entendreque l'Assembléegénérale des Nations

Unies a constaté l'absencede délimitationde la frontière méridionale dela
Libye.Or le textede la Résolutnedit riendetel et se borneemander quela frontière, dansla mesureoùelle n'est "pasdélimitée par des arrangements
internationaux, soitdélimitée, lse l'accessionde la Libyà l'indépendance,

par la voie de négociationentre le Gouvernementlibyenet le Gouvernement
français". La résolutionse garde biende dire dans quelle mesurla frontière

entrela Libyeet les possessionsfrançaises d'Afriqestdélimitéeou non.

5.20 Cette prudence louable s'explique aisément(M/i,
pp. 222-240). Le processus de décolonisation desanciennes colonies

italiennesfut conduitsur une périodde moinsde deux ans,compliquée par la
guerre froideet par les rivalités entre empires coloniaux. Danse contexte,

l'Assemblée générala econsidéré qu'il ne lui appartenait pas,en principe, de
fixer les frontières mais qu'il convenait de renvoyer la question aux

négociations bilatéralesntre parties concernées.

5.21 Devantla 17èmeSous-Commission dela première
Commission de l'Assemblée généraleM, . COUVEde MURVILLE affirma, au

nom de la France,le 14 octobre 1949, à l'occasiondu débat sur les frontières
libyennes:

"A la connaissance de la France, il n'existe pas de
contestations relativementaux frontières de la Libye, ni avec
I'Egypte, ni avec la Tunisie, l'Algérieet l'Afrique Occidentale
[sic]Française".(A/C.I/SC.17/SR.SI. 15, par.73 m, annexe
71) ('7).

5.22 D'une importance particulièreest la déclaration de

Philip JESSUP, qui affirmeau nom des Etats-Unis,auteurs du projet de
résolution, que "l'Assemblée généra nlepeut fixer les frontièresd'un pays",

'7 La Libyeprétenque les procès-verbdexcedebatnesontpasdisponiblesIl.sse
trouvenptourtatuxarchives de'ONU.mais que "s'il existaitun litige,celui-cidevrairésolu par des négociations
directes entre le Gouvernement futur de la Libye et celui du pays voisin

intéressé"(ibid.,par. 74).

5.23 Cette règle générale deprudence, affirmée par

JESSUP en 1949, trouve, l'année suivantes , on application s'agissantde la
frontière méridionale de la Libye. Le 16 janvier 1950, la Commission

intérimairede I'Assembléegénérale demande au Secrétariat de préparerun
rapport sur l'ensemble des frontièresdes anciennes colonies italiennes(cf.
Doc.AI1368,par. 12).Le27janvier suivant,soitdans un délaide onze jours,le

secrétariat produitle rapportNAC.181103sur les frontières de la Libye, de
I'Erythréeet de la Somalieitalienne (m,. annexe309).

5.24 Dans la fièvre du moment, on comprend que des
erreurs se soient glisséesdans l'étude du Secrétardtel'ONU.Ainsi, il affirme

que la frontière méridionalede la Libye a é"fixée"par le Traitéde Romede
1935, tout en notant les objections françaisesà cet égard(ibid., p. 6). Au

demeurant,les auteursde l'étudeont consciencedu caractère approximatifde
leur travail puisqu'ils concluent sur ce point Commissionintérimaire aura

besoin de renseignements complémentaires pourpouvoir déterminer si la
frontière est fixéeau sens de la résolutionde I'Assembléegénérale"ibid., p.
17).

5.25 Le délégué de la Franceà la Commission politique

spéciale de l'Assemblée générale, M. NAUDY, précisa que la frontière
méridionale de laLibye avait été fixéepar d'autres accords internationaux.
Cette interprétationne fut contestéepar aucun autreGouvernement (u, pp.

227-228). Cependant, l'Assemblée généraln ee prit pas position surla thèse
française et adopta la résolution 392),laissantaux partiesle soin de décidersi la frontière avait été délimitée etennt que de besoin, de procéderpar
voie de négociation.

5.26 Laprocédure arrêtépear l'Assembléegénérad lans

sa résolution392 (V) n'a été, aucune manière, "contradictoryand incorrect"
contrairement à ce qu'affirme la Libye (CMIL, par. 3.102). 1s'agissait au

contraire dela seule solution raisonnable, compte tenu des délaiss courts
danslesquels l'Assemblée générale deNsationsUnies Œuvra.

5.27 Le Contre-Mémoire libyen procède donc d'une
pétition de principe lorsqilffirm:

"ln signing theTreatyof 1955, Libya didnot thereby accept(...)
that a boundary did necessarily exist, based hosetreaties.
Had a boundary existed there would have been little point in
Resolution392 (V) calling upon Franceand Libyato negociate
a boundary" (CMIL,par.4.05).

C'est présupposer que l'Assemblée généra alexaminéles traités énumérésà
l'annexeI du Traitédu 10août1955, les a considérés comme inapplicables et

a enjoint aux partiesde négocieruneautre ligne frontière.

5.28 Enréalité, les chosese passèrentplussimplement.
La France et la Libye, au terme de la négociation, reconnurentque leur

frontière était fixée urne série d'accorsnumérésdanIs 'annexe1.Lesdeux
partiesn'avaient aucune raison d'entrer daa question abstraite desavoirsi,
en procédantainsi, ils reconnaissaientunefrontiere délimitau préalable ou

s'ils délimitaila frontiere parréférenàeuneséried'accords.II leur suffisait
de fixerla ligne frontière par l'exprdu consentement émis pardeux Etatssouverains lorsde l'échangedes instrumentsde ratificationdu Traitédu 10

août 1955. Ce faisant,ils réalisaientpleinementl'objectiffixépar la résolution
392 (V).

LA BONNEFOI ETLA NEGOClATlONDU TRAITE DU IQ
§ 3-
AOUT 1955

5.29 Le Contre-Mémoire libyen affirme, sans apporter
d'éléments de preuve,que la Francea contrevenuau principede bonnefoi lors

de la négociation du Traitdu 10 août 1955 (v,net.CMIL, par. 3.24- 3.25,
3.68). 11déduit d'une affirmation sans fondement des conséquences

inacceptables.

5.30 Le principede la bonne foi régit relations entre
Etats souverains. II s'agit d'un principe très généralqui est rarement

d'application directe et qui trouve sa concrétisation dans des règlplus
précisesénoncées palr e droitinternationalpublic.

5.31 La présomptionde bonnefoi gouverne la matière.
Les Etats sont présumés être debonnefoi. II est gravede mettre en cause

cette présomption. Lachargede la preuveincombe àla partie qui allègue la
mauvaise foi dansle comportement d'unEtatsouverain.Or la Libyen'apporte

aucun élémend te preuveà l'appuide sesdires touchantle comportementde la
France,-Etat du reste tiers par rapportà la présenteprocédure-, pencest

négociations. 5.32 Au demeurant,la Convention de Viennesur le droit

des traitéssanctionne le manquement à la bonnefoi dans la négociation des
accords internationauxpar la théorie des vicesdu Consentement.Or la Libye

souligne qu'elle n'invoque pas la théoriedes vices du consentement pour
demander à la Cour deconstaterla nullitéduTraitédu 10août 1955:

"Libya inet invoking Frenchconductin the negociationof the
Franco-ltalian Accords of 1900-1902 norin the negociation of
the 1955 Treaty as a ground for invalidating any of these
agreementsin whole or in part, whether onthe ground of fraud
or of error"CMIL,par.7.09 -souligné dansletexte).

5.33 Si la Libye renonce à invoquer l'erreur ou le dol,

faute d'élémentsde preuve, elle ne saurait tirer bénéfice d'une sorte de
suspicion artificiellementcrééel'encontred'un Etat souverainpour réclamer

une interprétationconformeà ses vues.

L'INTERPRETATIO DUNTRAITE FRANCO-
LIBYEN

5.34 La thèse du Tchad est connue et a fait l'objet du
chapitre III de son Mémoire(pp. 93-140) et de la troisième partie de son

Contre-Mémoire (CMK, pp. 473-559). 11n'aspire qu'àdonner aux termes de
l'article du Traité leursens naturel et ordinaire, c'est-à-consacrer les

frontières "qui résultent des actes internationaux en vigueura date de la
constitution du Royaume-Unide Libyetels qu'ilssontdéfinisdans l'échangede

lettres ci-jointes", ledit échange de lettres reprenasériede conventions
plaçant la frontière au nord de la bande d'AozouMTT,par. 11.10 et 11.11).

Cette interprétation textuelle est confortée notamment parun examen du
contexte (article 5 du Traité,MIT, par. 11.53,articles 1, 9, 10 et 11 de la

"Conventionde bon voisinage"du 10août1955, CM/T,par. 11.55 et11.59),del'objet et du but du Traité (CMIT, par. 11.68 et ss.), et de la pratique
subséquentedes Parties, (CM/T,par. 11.76et ss.).

5.35 La Libye n'apportepas de réponse àl'ensemble de
ces élémentsdans son Contre-MémoireA. insi,ni le contexte,ni la pratiquedes

deux Partiesdans l'applicationdu Traiténesont analysésen tant que facteurs
d'interprétation.Pourtant, la conduitede la Libye démontreclairement que le

Traitéde 1955a étéinterprété comme contenantle règlementdéfinitifde tout
litigefrontalier. Parexemple,par'Accordde bonvoisinagedu 2 mars 1966,la

Libye et le Tchad ont confirméla frontière définie parle Traitéde 1955 en
plaçant explicitementde part et d'autrede cettefrontière une série delocalités
sur leursterritoires respectifsT,par. 11.84et ss.).

5.36 Plutôt que de suivre les règles d'interprétation

codifiées par laConventionde Viennesur le droit destraités, laLibye préfère
recourirà des méthodes insolites d'interprétani1) et contestersur un point

l'interprétation tchadienne celle de la notion d'actes internationaux "en
vigueur"au sens duTraitédu 10août 1955 (92).

8 1- LA LIBYE RECOURT A DFS METHODES INSOLITES
P'INTERPRETATION

5.37 La Libyesegardebiende reprendredans l'ordre, les
règlesd'interprétationreçuespar le droitinternationals naturelet ordinaire

des termes, objet et but du Traité,contexte, conduite subséquente, travaux
préparatoires,etc..Faisantl'impassesurces méthodesusuelles,elle se borne

à invoquer le principede la bonne foi, qu'elleinteàpsa manière,et la règle
contra proferentem.. 5.38 II est superflu de revenir sur l'absence de toute

preuve de la mauvaise foi française-qui ne saurait se présumer- lorsde la
négociationdu Traitédu 10 août 1955 et sur l'inélégancedes imputations de

"fourberie"(ÇMlL, par. 1.42)et autres amabilitéde ce genrefaites parla partie
libyenne à un Etat nonpartieà la présente instance(v.supra,par.5.29 et S.).

5.39 La Libyeneprécise paslefondement dela méthode
qu'elle invoque et s'appuie, pour toute source, sures extraits, isolésde leur

contexte, d'écritsdoctrinauxdontelle sollicite passablemenlte sensCMIL,par.
7.01 et S.).L'enseignementessentielquis'en dégage est que

"(...) la bonne foi revici [lorsde la conclusion des traités]un
contenu indéfiniet incertain"E.ZOLLER, Lê bonnefoi en droit
jnternational ~ublic,Pédone,Paris, 1977,p. 4.9 -citéin CM/L,
par. 7.03),

et qu'elle reçoit un contenu précdansles règlesdu droitinternational relatives

à l'interprétationeà la nullitédestraités.

5.40 Conscienteque l'application de ces règles conduità

des résultats contrairesà ses thèses, la partie libyenne se garde bien d'y
recourir :elle écarte expressément celles qu siont applicables en matière de

nullité(v. supra, par. 5.32) et renonçant à se fonder sur la règle générale
d'interprétation des traités codifiée par l'ar31 de laConvention de Vienne
du 23 mai 1969, elle fait appel à la méthode d'interprétationconnue sous le

nom de "règle contra proferentem", dont elle reconnaît pourtant le caractère
subsidiaire: "lt is very muchan auxiliary rule of interpretation tobe applied
l n r have
failed to resolvetheproblenf'(çM11,par. 7.32- soulignépar la
RépubliqueduTchad).

5.41 Mais la Libyene tire pas la conclusionqui s'impose
de cette analyse, exacte, de la règle qu'elle invoqueet ne se résoutpas à

examiner le Traité de 1955 à la lumière de "al1 [the] other methods of
interpretation",dontelle reconnaît pourtantla primauté.

5.42 Au demeurant,la règle contraproferentem n'est, de
toutes manières, pasapplicableen l'espèce.

5.43 Le Contre-Mémoire libyen la présente-à juste titre-

en cestermes :

"Doubtful provisionsmustbeinterpretedagainstthe Statewhich
draftedthem" (CMIL,par.7.31).

5.44 Or les formules utilisées par le Traitédu 10 août
1955 ont éténégociées entre les partiesdurant des mois de discussions

ardues. Chacun des deux Etats a eu l'occasion d'attirer l'attention de son
partenaire sur lesquestions litigieusesà plusieursreprises.L'origine même des

formules employées n'est pas établie et -au demeurant- est sansimportance
dès lors quela négociationaété effective.

5.45 La jurisprudence citéepar la Libye à l'appui de la
règle contra proferentem confirme l'interprétation tchadienne. Elle concerned'une part des Traitésde paix imposésunilatéralementpar le vainqueur au
vaincu, d'autre part'affaire des Empruntsserbes dans laquelle la disposition

litigieuse avait été rédipear lesautoritésd'une seulepartieCMJL, par. 7.32
à 7.36).

5.46 Le recours à des méthodes d'interprétation plus
orthodoxesconduit d'ailleursà des résultatspluscohérentset raisonnables.

LA NOTIOND'"ACTESINTERNATIONAUX EN VIGUEUR"

5.47 L'argumentation libyenne se borne à une

interprétationassez saugrenuede la notiond'''actesinternationauxen vigueur à
la date de la constitutiondu Royaume-Unide Libye" auxquels renvoiel'article3

du Traitéde 1955. Selon la Libye,tel ne serait pas le cas des accords franco-
italiensde 1902et 1919, devenus caducs.

5.48 Cette caducitése déduirait del'article 44 du Traité

de paix de 1947,ainsi rédigé:

"1. Chacune des Puissances Alliéeset Associéesnotifiera à
I'ltalie,dans un délaide six mois à partir de l'entréeen vigueur
du présent Traité,les traités bilatérauxqu'elle a conclus avec
I'ltalieantérieurementà la guerreet dont elle désire lemaintien
ou la remise en vigueur. Toutes dispositions destraités dont

s'agit qui ne seraient pasen conformité avecle présent Traité
seronttoutefoissupprimées.

"2. Tous lestraitésde cette naturequi aurontfait l'objet decette
notificationseront enregistau Secrétariatdes Nations Unies,
conformément àI'article102de la Chartedes Nations Unies. "3. Tous les traitésde cette nature qui n'aurontpas fait l'objet
d'unetelle notificationseronttenuspour abrogés."

5.49 En application de cette disposition, les accords

franco-italiens de 1902et de 1919 seraient "tenuspour abrogés",faute d'avoir
été notifiés à I'ltalie et enregistrés au Secrétariatdes Nations Unies. lis

n'auraient donc pu être "en vigueur" au sens deI'article3 du Traité du10 août

1955 (CM/L, par. 3.03 et S. ; en particulier par. 3.11) (18).Le raisonnement
libyenfait l'impassesur I'article23 du même Traité,en vertu duquel :

"1. L'Italie renonce à tous droits et titres sur les possessions
territorialesitaliennes en Afrique, c'est-à-dila Libye,I'Erythrée
et la Somalie italienne" (le texte complet de I'article 23 est
reproduit supra, par.3.39).

5.50 La renonciation par I'ltalieà tous droits et titres sur

ses anciennes possessions coloniales explique l'absence, dans la liste des
traités notifiéau titre de I'article44, des accordsrelatifs des frontières qui ne

concernent plus I'ltalie. Le sort des possessions devant être réglé palra
procédure évoquéedans I'article 23 du Traité (v. supra, par. 3.42), il

n'appartenait ni à I'ltalie,ni à la Francedansle cadrede ses rapportsbilatéraux
avec I'ltalie, de considérer lestraités relatifs aux frontières des colonies

comme maintenus, remisen vigueur ou abrogés. Ayant renoncé à "tous droits
et titres", I'ltalie ne pouvait, de toutes manières,plus être considérée comme

partie à ces traités(v.aussi supra,par. 3.44).

l8 La Libye relèva l'inverse l'omisde quatreautres"actesinternationauxenvigueur"
pertinentssur la listefiguàal'annexeI à laquelle renvoieI'article3 du Trait6 : "The
1902 -il faut sans doute lire 1900 ?- Franco-ltalianAccords and the Franco-ltalian
Agreement of 28 October 1912" ainsi que le Protocole et la Dadaration franco-
britanniques de 1924 (CM11 ,par. 3.14-3.15). 11n'y a pas lieu de s'arr cette
remarque: l'accordde 1902figuresur la listeet renvoieà celui deceluide 1912
n'est pertinent qutantqu'ilconfirmeceluide 1902,et les deuxinstrumentsde 1924ne
fontqueconfirmersurunpoint pr6cislaConventionfranco-britanniee 1919. 5.51 Cetteinterprétatiodu texte del'article44 du Traité
de paix situé dansson contexte est confirméepar l'examen de sa mise en

Œuvre. La France n'a notifiéaucun traitéfrontalier relatif aux limites de ses
possessions colonialeset des anciennes colonies italiennes. LRoyaume-Uni

n'apasdavantage notifié detraitéconcernantsesfrontieres colonialesavec les
anciennes colonies italienne(R.T.N.U.,vol. 104,pp.41 etS.- cfm, annexe
66).

5.52 On nepeut donctirerde l'article44 du Traitéde paix

avec I'ltalie aucunargumenten faveur ou contre lemaintien en vigueur des
accordsrelatifsauxfrontières desanciennescolonies italiennes.

5.53 En revanche,il convientde relever quela France a

notifié desaccords internationaux relatàfsesfrontieresmétropolitainesavec
I'ltalie. Le maintien en vigueur de ces textes est intéressant ence qu'il se
combine avecletextede l'articleI duTraitéde paixqui dispose :

"Les frontieresde I'ltaliedemeureronttelles qu'ellesétaient au
1er janvier 1938,sous réserve desmodificationsindiquéesaux
articles2, 3, 4, 11 et 22.Letracéde cesfrontièresest indiqué
sur les cartesjointes au préseTtraité(annexe1)..."

5.54 Sans vouloir comparer des situations différentes

(contrairement à I'ltalie,la Libye ne conclut pasen 1955 un Traitéde paixet
n'acceptepasde modificationterritoriale),n noteralatechnique juridique mise

en Œuvreen 1947 :constatationdu maintienen vigueurde certainstraités en
matièrede frontières, plusprécisiondutracé dans lecorpsmême du Traitéde

paix. Unetechnique semblable estutilisée en1955. Là où la frontière paraît
délimitéeavec une précision suffisante par les instruments internationauxreconnus par les parties, comme étanten vigueur, l'énumération de ces
instruments suffità la délimitation.Là ou les partiesen ressentent lebe-oin
comme entre ~hat et Toummo-, le nouveau traité ajouteles précisions

nécessaires.

5.55 Au demeurant, commela Républiquedu Tchad l'a
montré(cf. CMIT, par. 11.26 et S.),il existe une raison décisivede rejeter

l'interprétatide l'article3 duTraitéde 1955donnéepar laLibye.Celle-ciest
en effet contredite partextemême decette disposition qurienvoieaux "actes

internationauxen vigueurà ladatede laconstitutiondu Royaume-Unide Libye
jels au'ilssontdéfinisdans I'échanade lettres ci-iointes(annexe1j "(souligné
par la République du Tchad): le Traité règlelui-mêmela question en

énumérant les texteq sue les Partiesont considéré comméetant "en vigueur".
Dès lors, il n'y a pas lieude se référeà des éléments extrinsèques pour

contourner le sens clair et ordinaire des terme:il suffit de se rapportàr
l'annexe I pour découvrirles instruments dont résulle tracéde la frontière

aujourd'huicontestéeparla Libye.

5.56 La Républiquedu Tchad l'a souligné à maintes
reprisesdans ses précédentes écritures:le Traité franco-libyprésenteune

importanceexceptionnelleauxfinsdu règlementdu différend soumis à la Cour;
certes,il nefait que confirmerladélimitatide la frontièretelle qu'elleexistait
le 27 décembre 1951, date de l'accessionde la Libyeà l'indépendancmais,

en même temps, il suffità établirle bien-fondéconclusionstchadiennes.

5.57 IIest intéressade releverà cet égardque la Libye
ne remet nullementen cause la validitéde cet instrument fondamentalqu'elle

s'efforceseulementde "neutraliser"en s'ingénianà faire peser des soupçons
assez vagueset qu'ellen'étaieparaucun élément concret sluarbonnefoi de la
France au momentde sa conclusion,et en en donnant une interprétationcontraireà ses termes clairs envisagés dans leurcontexteet à l'objetet au but
du Traité tels qu'ilssont définis dansle préambule :"...le règlementde toutes
les questions que posentpour lesdeux pays leur situation géographique".Ce

résultat absurde,déraisonnable, contraireaux objectifs que s'étaientfixésla
France et la Libye,ne saurait êtreadmis. CONCLUSIONS

DELAREPUBLIQUEDUTCHAD 6.01 Pour lesmotifs quisontexposésdans son Mémoire
et son Contre-Mémoireet dontcertainssontprécisdansla présente réplique,

la République du Tchad persiste dans ses conclusions et prie
respectueusement la CourInternationaledeJusticede bien vouloiryfairedroit.

A LaHaye, le14 septembre1992

AbderahmanDADl
Agentde la République dTchad TABLE DES MATIERES

.Schémade la Réplique .........................................P..............

.Introduction :OBJET ET PLAN DE LA REPLIQUE ............................

Chapitre 1.. $-A PRESENTATIONDESTHESESDESPARTIESA LA COUR ....P. 9

Section 1.. L'étonnante thèse libvenne sur le r61eres~ectifdes
forums ~olitiaues et iudiciaire~..........................................

a) Lesconséquences juridiquesdu silence ....................1

b) Lesconséquences juridiques despositions exprimées
dans les enceintespolitiques .......................................

c) Ladistinction rigide faite parla Libyeentreforums

politiques et judiciaires est totalementartificie.........p...16

Section 2 ..La ~roductionde documents devantla COL^ ........ 18

a) Accès auxarchivesdu Ministèredes Affaires Btrangères
de la Républiquefrançaise ............................. ....18..............

b) Authenticité desannexeset productions présentées par la
Républiquedu Tchad ........................................19....... Section 3. -Les "trois thèses" tchadiennes (leur concordance.leur
~rticulation et leur autonomid ................................p..........

Chapitre 11 .L'OPPOSABILIT AEL'ITALIE (ET A LIBYE) DE LA DELIMITATION

DE 1899 -1919 ...................................................p....2
.............

Section 1. -La ~ortéede la Déclarationde 1899 DarraDDort h la
......................................................
.................

5 1.- La notion d'hinterland.......................................

5 2.- L'inconsistancedes rétentions turaues (et libvennes)
BU reaardde la théoriede l'hinterland ....................p.....3

a) LaTurquie n'apas acquis dedroits souverains sur la zone
revendiquéepar la Libye ................................p.....3....

b) Les Puissances,en particulier I'ltalie, n'ontjamais accepté
les prétentions turques sur"l'hinterland" de laTripolitaine p. 35

Section 2.-L'acce~tationDarI'ltalie desfrontières de la Tri~olitaine
et des délimitationsfranco-britanniques ............................3

5 1.- L'o~posabilité tI'ltalie des frontièresde la Tri~olitaine
et de ladélimitationfranco-britanniauede 1899 ..........p.. 45

a) Lesaccords de 1900 et 1902 ont rendu opposablesh I'ltalie

lesfrontièresde laTripolitaineet leszonesd'influence
française et britannique ..................................p...46...............

b) L'Italie-et, par la suite, la Libye-sont liéespar cette
reconnaissance ..........................................p. 56...................... 52. -L'o~~osabilité àI'ltaliede ladélimitation franco-
Pritanniaue de 1919 ...................................................

a) Dufait des accords de 1900 et1902, I'ltalie n'étaitpas

juridiquement fondée h protestercontre la délimitation
franco-britannique de 1919 ...................................8.....

b) L'Italiea confirmé, aprèsl'évictionde laTurquie,ses

engagements de 1900 et1902 ................................1.

CHAPITR II.-LA PORTEEDE L L I ,ONDRESDE 1915
ET LA SUCCESSIONDE LA LIBYE A L'ITALIE......................................

Section 1. -L'articl13 de l'Accord de Londresde 1913 ......... 69

a) L'articl13 necontenaitqu'un engagementnon

exécutoire ...................................................9...
....

b) L'article3 n'envisageaitque des cessions territoriales p. 73

Section 2. -La confirmation de la ~ortéede I'articl13 de l'Accord
de 1915 ~arl'Accord LAVAL-MUSSOLINd Ie 1933 .................78

a) Le texte et le contextede l'artic2....................p...79.......

b) Les cartesannexéesauTraité ........................p...80..........

Section 3. -L'extinction des droits que I'ltalie ~ouvaittirer de
o a i x de 1947 ..p.
l'A r 82

a) Le texte du trait...................................................... b) Les travaux préparatoires .................................5...

c) Lesanalysesdoctrinales .................................8.....

CHAPITRE IV..LA CONSOLIDATIONPROGRESSIVEDU TITRF ERANCAISPUIS
TCHADIEN .........................................................P
..9....................

Section 1 .ODela sphère d'influenceauterritoire colonial .....p.. 96

5 1.. Lecaractèretransitoire deszonesd'influence ......p. 97

5 2.. Laconsolidation réalisée Darl'occupation francaise

et l'attitude des autres Etatsconcernés .................p....99

a) Les conséquences del'occupation effective française p . 99

b) Les Etats concernés ont réagi en pleine connaissance
de cause ...............................................p
...4.................

Section 2 ..Dela limite des sphèresd'influence B lafrontière

coloniale ........................................................
07...........

CHAPITR E ..BONNE FOIETDROITDESTRAITES .LA PORTEEDUTRAITE
FRANCO-LIBYEN DU IO AOUT 1955 .........................................3......

Section 1..Les oriaines et les travaux~réparatoiresdu Traité
bu 10août 1955 ...................................................4.....
....

g 1.. Lestravaux ~ré~aratoires du Traitédu 10 août 1955 p. 115 a) Lemanquedetravaux préparatoires concernantle stade
final des négociations(juilletaoût 1955) ................p...115

b) L'absence quasi-totale d'archiveslibyennes relatives h

la négociationdu Traitédu 10 août1955 ........................

5 2.. La résolution392 (VIde l'Assembléeaénérale des
Nations Unieset leTraitédu 10 août1953 ................... 120

5 3.. La bonnefoi et la néaociationdu Traitédu 10août

1955 ....................................................
p...................

Section 2..L'inter~rétationdu Traitéfranco-libven ............p...125

5 1.. La Libve recourt à des méthodesinsolites

d'interprétation .............................................1............

5 2.O La notion d'"actes internationauxenviaueur" ......p. 129

TABLE DES MATlERES .....................................................137.................

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Réplique du Gouvernement de la République du Tchad

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