Résumé de l'arrêt du 10 février 2005

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8236
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Number (Press Release, Order, etc)
2005/1
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2005/1

Le 10 février 2005

Affaire relative à Certains biens
(Liechtenstein c. Allemagne)

Exceptions préliminaires

Résumé de l’arrêt du 10 février 2005

Rappel de la procédure et des conclusions des Partiesar. 1-12)

La Cour commence par rappeler l’historique de la procédure.

1 Le erjuin 2001, la Principauté de Liechtenstein (dénommée ci-après le «Liechtenstein») a

déposé une requête introductive d’instance contre la République fédérale d’Allemagne (dénommée
ci-après l’«Allemagne») au sujet d’un différend afférent à des

«décisions prises en 1998 et depuis lors par l’Allemagne qui tendent à traiter certains
biens de ressortissants du Liechtenstein co mme des avoirs allemands «saisis au titre

des réparations ou des restitutions, oen raison de l’état de guerre» ⎯ c’est-à-dire
comme une conséquence de la seconde guerre mondiale ⎯, sans prévoir d’indemniser
leurs propriétaires pour la perte de ces bi ens, et au détriment du Liechtenstein
lui-même».

Pour fonder la compétence de la Cour, la requête invoquait l’article pr emier de la convention
européenne pour le règlement pacifique des diffé rends du 29 avril 1957, entrée en vigueur entre le
Liechtenstein et l’Allemagne le 18 février 1980.

Le 27juin 2002, l’Allemagne a soulevé des ex ceptions préliminaires à la compétence de la
Cour pour connaître de l’affaire et à la recevabilité de la requête du Liechtenstein. Conformément
aux dispositions du paragraphe5 de l’article79 du Règlement, la procédure sur le fond a été
suspendue.

Le Liechtenstein a déposé un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les
exceptions préliminaires dans le délai fixé.

Des audiences publiques ont été tenues les 14, 16, 17 et 18 juin 2004. Durant ces audiences,
les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties : - 2 -

Au nom du Gouvernement de l’Allemagne,

à l’audience du 17 juin 2004 :

«L’Allemagne prie la Cour de dire et juger :

⎯ que la Cour n’a pas compétence pour connaître des demandes formulées à
l’encontre de l’Allemagne que la Principauté de Liechtenstein lui a soumises par
sa requête en date du 30 mai 2001,

et

⎯ que les demandes formulées à l’encontre de l’Allemagne par le Liechtenstein ne

sont pas recevables dans la mesure précisée dans ses exceptions préliminaires.»

Au nom du Gouvernement du Liechtenstein,

à l’audience du 18 juin 2004 :

«Pour les motifs développés dans ses observations écrites et durant la procédure
orale, la Principauté du Liechtenstein prie respectueusement la Cour :

a) de dire et juger que la Cour est compétente pour connaître des demandes
formulées dans sa requête et que celles-ci sont recevables;

et, en conséquence,

b) de rejeter les exceptions préliminaires de l’Allemagne dans leur intégralité.»

Contexte historique du différend (par. 13-17)

La Cour décrit tout d’abord le contexte historique du différend.

Au cours de la seconde guerre mondiale, la Tchécoslovaquie fut l’une des puissances alliées

et une partie belligérante dans le conflit avec lo Allemagne. En1945, e lle adopta une série de
décrets (les «décrets Beneš»), dont le décret n 12 du 21juin1945, en application duquel certains
biens appartenant à des ressortissants liechtens teinois, dont le prince FranzJosefII de
Liechtenstein, furent confisqués.

Après la promulgation par les Alliés de divers textes concernant un régime de réparations, en
général, et les avoirs et autres biens allemands à l’étranger saisis en rapport avec la seconde guerre
mondiale, en particulier, un régime spécial afférent à cette dernière matière fut institué aux termes

du chapitre sixième de la convention sur le règlem ent de questions issues de la guerre et de
l’occupation, signée le 26mai1952 à Bonn par les Etats-Unis d’Amérique, le Royaume-Uni, la
France et la République fédérale d’Allemagne (telle que modifiée par l’annexe IV au protocole sur
la cessation du régime d’occupation dans la Répub lique fédérale d’Allemagne, signé à Paris le

23octobre1954) et entrée en vigueur le 5ma i1955 (dénommée ci-après la «convention sur le
règlement»).

L’article 3 du chapitre sixième de la convention sur le règlement est ainsi rédigé :

«1. La République fédérale ne soulèvera, dans l’avenir, aucune objection contre
les mesures qui ont été prises ou qui seront prises à l’égard des avoirs allemands à
l’étranger ou des autres biens saisis au titr e des réparations ou des restitutions, ou en - 3 -

raison de l’état de guerre, ou en se fondant sur les accords que les Trois Puissances ont
conclus ou pourront conclure avec d’autres pays alliés, avec des pays neutres ou avec

d’anciens alliés de l’Allemagne.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3. Ne sont pas recevables les réclamations et les actions dirigées contre des
personnes qui ont acquis ou transféré des dro its de propriété, en vertu des mesures
visées aux paragraphes 1 et 2 du présent article, ainsi que contre des organismes

internationaux, des gouvernements étra ngers ou des personnes qui ont agi sur
instruction de ces organismes ou de ces gouvernements étrangers.»

Le régime établi par la convention sur le rè glement ne devait demeurer en vigueur que

jusqu’au moment où serait définitivement réglée la question des réparations par «le traité de paix
entre l’Allemagne et ses anciens ennemis ou par des accords antérieurs relatifs à cette question»
(article 1 du chapitre sixième). Un règlement défi nitif intervint en 1990 par la conclusion du traité
portant règlement définitif concernant l’Allemagne (signé à Moscou le 12 septembre 1990 et entré

en vigueur le 15mars1991). Les27 et28septe mbre1990, il fut procédé à un échange de notes
entre les Trois Puissances occidentales et le Gouve rnement de la République fédérale d’Allemagne
(les parties à la convention sur le règlement), aux termes duquel cette convention cesserait d’être en

vigueur à la date d’entrée en vigueur du traité. Si cet échange de notes mettait fin à la convention
sur le règlement elle-même, et notamment à l’article 5 du chapitresixième (relatif à
l’indemnisation par l’Allemagne), il prévoyait que les paragraphes1 et3 de l’article3 du
chapitre sixième «demeurer[aient] cependant en vigueur».

e
En1991, un tableau de PietervanLaer, peintre hollandais du XVII siècle, fut prêté par un
musée de Brno (Tchécoslovaquie) à un musée de Cologne (Allemagne) pour figurer dans une
exposition. Ce tableau, propriété de la famille du prince régnant de Li echtenstein depuis le
e
XVIII siècle, avait été confisqué en 1945 par la Tchécoslovaquie en application des décrets Beneš.

Une action judiciaire, engagée à titre personnel par le prince Hans-Adam II de Liechtenstein
devant les tribunaux allemands dans les années1990 en vue d’obteni r la restitution de cette toile,

fut déclarée irrecevable au motif que, selon les termes de l’article3 du chapitresixième de la
convention sur le règlement, aucune réclamation ou action ayant trait aux mesures prises contre des
avoirs allemands à l’étranger au lendemain de la seconde guerre mondiale n’était recevable devant

des tribunaux allemands (ci-après «l’affaire du Tableau de Pieter van Laer»).

Une requête, introduite contre les décisi ons des tribunaux allema nds par le prince
Hans-AdamII de Liechtenstein devant la Cour eu ropéenne des droits de l’homme, fut rejetée en

juillet 2001.

*

La Cour commence son exposé des motifs en rappelant que, en la présente instance, le
Liechtenstein fonde la compétence de la Cour su r l’article premier de la convention européenne

pour le règlement pacifique des différends, qui dispose que

«Les Hautes Parties contractantes soumettront pour jugement à la Cour

internationale de Justice tous les différends juridiques relevant du droit international
qui s’élèveraient entre elles et notamment ceux ayant pour objet :

a) l’interprétation d’un traité; - 4 -

b) tout point de droit international;

c) la réalité de tout fait qui, s’il était étab li, constituerait la violation d’une obligation
internationale;

d) la nature ou l’étendue de la répara tion due pour rupture d’une obligation

internationale.»

L’alanéa de l’article 27 de ladite convention est ainsi libellé :

«Les dispositions de la présente convention ne s’appliquent pas :

a) aux différends concernant des faits ou situations antérieurs à l’entrée en vigueur de
la présente convention entre les parties au différend.»

L’Allemagne a soulevé six exceptions préliminaires à la compétence de la Cour et à la
recevabilité de la requête.

La première exception préliminaire de l’Allemagne (par. 20-27)

La Cour rappelle que l’Allemagne, dans sa première exception préliminaire, plaide qu’il n’y
a pas de différend entre les Parties. L’Allemagne fait en particulier observer que, même si les faits
se trouvant au cŒur du différend cons istent en la saisie par la Tc hécoslovaquie de certains biens

liechtensteinois en application des décrets Beneš de 1945, le Liechtenstein fonde les griefs qu’il a
soumis à la Cour sur un prétendu «changement de position» de l’ Allemagne dans les années 1990
quant à la nécessité d’appliquer à ces biens la convention sur le règlement; or, selon elle, un tel
changement n’a jamais eu lieu. L’Allemagne affi rme qu’il convient d’opérer une distinction entre

la question de la licéité des expropriations tchécoslovaques et celle de la compétence des tribunaux
allemands en la matière. Elle prétend n’avoir changé de position sur aucune des deux questions,
pas plus avant qu’après1995: concernant la première, elle n’a jamais reconnu la validité des
mesures prises en Tchécoslovaquie à l’égard de biens liechtensteinois; concernant la seconde, ses

tribunaux ont toujours jugé que la convention sur le règlement leur interdisait de se prononcer sur
la licéité des mesures de confiscation et, aux fins de l’application de l’article 3 du chapitre sixième
de la convention sur le règlement, ils s’en sont toujours remis à l’appréciation de l’Etat qui avait
procédé à l’expropriation. L’Allemagne affirme en outre que ce ne sont pas les mesures

allemandes relatives aux confiscations tchécoslova ques qui sont en cause, mais la licéité des
mesures tchécoslovaques en tant que telles et l’ obligation d’indemnisation, incombant aux Etats
successeurs de l’ancienne Tchécoslovaquie, qui en résulte. L’Allemagne conclut dès lors que le

seul différend existant oppose le Liechtenstein aux Etats successeurs de l’ancienne
Tchécoslovaquie.

Le Liechtenstein soutient que le différend qui l’oppose à l’Allemagne a trait à l’attitude de

celle-ci, qui aurait, pour la première fois en199 5, commencé à traiter les avoirs liechtensteinois
comme des avoirs allemands à l’étranger aux fins de la convention sur le règlement, violant de ce
fait la neutralité et la souverai neté du Liechtenstein. Le Liechte nstein reconnaît l’existence d’un
différend l’opposant par ailleurs à la République tchèque, mais relève que cela n’exclut pas

l’existence d’un différend distinct entre lui-même et l’Allemagne, né du comportement illicite de
celle-ci à son égard. Le Liechtenstein soutie nt en outre que l’Alle magne a elle-même admis
l’existence du différend qui les oppose, tant au cours de consultations bilatérales tenues en
juillet 1998 et en juin 1999 que dans une lettre adr essée le 20 janvier 2000 par le ministre allemand

des affaires étrangères à son homologue liechtensteinois. - 5 -

L’Allemagne, pour sa part, nie avoir admis l’ex istence d’un différend en prenant part à des
consultations diplomatiques à la demande du Liechte nstein. Elle estime que le fait de débattre de

divergences de vues juridiques ne saurait prouver l’ex istence d’un différend au sens du Statut de la
Cour «avant d’avoir atteint un certain seuil».

En examinant la première exception préliminai re de l’Allemagne, la Cour se réfère à sa

jurisprudence constante et à celle de la Cour permanente de Justice internationale, selon laquelle un
différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de
thèses juridiques ou d’intérêts entre des parties. E lle poursuit en observant que, en outre, aux fins
de déterminer s’il existe un différe nd juridique, la Cour doit rechercher si «la réclamation de l’une

des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre».

La Cour relève que, dans la présente instance, les griefs formulés en fait et en droit par le
Liechtenstein contre l’Allemagne sont rejetés par cette dernière et conclut que «[d]u fait de ce rejet,

il existe un différend d’ordre juridique» entre le Li echtenstein et l’Allemagne. La Cour note par
ailleurs que la position adoptée par l’Allemagne dans le cadre de consultations bilatérales et dans la
lettre du 20janvier2000 émanant du ministre des af faires étrangères conforte l’affirmation selon
laquelle les revendications du Li echtenstein se sont heurtées à l’opposition manifeste de

l’Allemagne et que cette dernière l’a reconnu.

Passant à la définition de l’objet du différend, la Cour, ayant examiné le dossier de l’affaire,
conclut que l’objet du différend est de savoir si, en appliquant l’article 3 du chapitre sixième de la

convention sur le règlement à des biens liechtensteinois confisqués par la Tchécoslovaquie en 1945
au titre des décrets Beneš, l’Allemagne a violé les obligations qui lui incombaient envers le
Liechtenstein et, dans l’affirmativ e, de déterminer quelle serait la responsabilité internationale de
l’Allemagne.

Ayant par conséquent établi l’existence d’un di fférend entre le Liechtenstein et l’Allemagne
et déterminé son objet, la Cour conclut que la première exception préliminaire de l’Allemagne doit
être rejetée.

La deuxième exception préliminaire de l’Allemagne (par. 28-52)

La Cour examine ensuite la deuxième excepti on préliminaire de l’Allemagne, selon laquelle

la requête du Liechtenstein doit être rejetée au motif que la Cour n’a pas compétence ratione
temporis pour trancher le présent différend.

L’Allemagne fait valoir que, si la Cour devait conclure à l’existence d’un différend, celui-ci

n’en échapperait pas moins à la compétence de la Cour en vertu de l’alinéa a) de l’article 27 de la
convention européenne pour le règlement pacifique des différends (voir p. 4 ci-dessus). Selon elle,
un tel différend concernerait des faits ou des situations antérieurs au 18 février 1980, date à laquelle
la convention européenne pour le règlement paci fique des différends est entrée en vigueur entre

l’Allemagne et le Liechtenstein. De l’avis de l’Allemagne, la requête devrait dès lors être rejetée.

L’Allemagne affirme que, à l’instar de biens appartenant à d’autres ressortissants
liechtensteinois, les biens du prince FranzJosefII de Liechtenstein, parmi lesquels le tableau de

Pieter van Laer, furent saisis en Tchécoslovaqui e en application des décrets Beneš; et que la
convention sur le règlement imposait à l’Allema gne d’interdire à ses tribunaux de connaître de
toute action tendant à contester la licéité de ces conf iscations. De l’avis de l’Allemagne, le procès
intenté par le prince Hans-Adam II de Liechtenstein en vue de rentrer en possession du tableau de

Pieter van Laer relevait des dispositions de la convention sur le règlement. Les diverses
juridictions allemandes qui ont, en applica tion de ces dispositions, rejeté sa demande ⎯ à
commencer par le tribunal régional de Cologne dans sa décision de 1995 ⎯ se sont conformées à la

jurisprudence allemande antérieure. Selon l’A llemagne, ses tribunaux se sont systématiquement
déclarés incompétents pour juger de la licéité de te lles confiscations. Le différend ayant vu le jour - 6 -

dans les années1990 au sujet du tableau de Pieter van Laer concernait directement la convention
sur le règlement et les décrets Beneš; il trouvait son origine réelle dans des faits et situations

antérieurs à la date critique de 1980.

La Cour relève que le Liechtenstein soutie nt que, avant que les tribunaux allemands se
prononcent sur l’affaire du Tableau de Pieter van Laer , il était entendu, entre l’Allemagne et

lui-même, que la convention sur le règlement ne pouvait, du fait de la ne utralité du Liechtenstein,
être considérée comme s’appliquant aux biens liechtensteinois confisqués en application des
décrets Beneš. Cette convention n’interdisait d ès lors pas aux tribunaux allemands d’apprécier la
licéité de ces confiscations. Pour le Liech tenstein, les décisions rendues par les tribunaux

allemands dans les années1990 au sujet du tableau , en montrant clairement que l’Allemagne ne
souscrivait plus à cette position jusqu’alors pa rtagée par les Parties, ont donc constitué un
changement de position. Le Liechtenstein allè gue entre autres que, dans la mesure où serait
intervenu un changement de position de la part de l’Allemagne, ce seraient les décisions rendues

par les tribunaux allemands dans l’a ffaire du Tableau de Pieter van Laer et les «positions adoptées
par le Gouvernement allemand après 1995» qui aura ient donné naissance au présent différend. Ce
ne seraient par conséquent ni la convention sur le règlement ni les décrets Beneš qui auraient
déclenché le présent différend, mais la décisi on prise par l’Allemagne en1995 d’appliquer la

convention sur le règlement aux biens liechtensteinois.

La Cour note que, à l’appui de leurs arguments sur la question des critères juridiques en
matière de compétence ratione temporis , tant le Liechtenstein que l’Allemagne se réfèrent à la

jurisprudence de la Cour permanente de Justi ce internationale (affaire des Phosphates du Maroc et
affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie ) et de la Cour actuelle (affaire du
Droit de passage).

La Cour fait observer que la deuxième excep tion préliminaire de l’Allemagne impose à la
Cour de déterminer, en appliquant les dispositions de l’alinéa a) de l’article27 de la convention
européenne pour le règlement pacifique des différends, si le présent différend concerne des faits ou
situations qui sont antérieurs ou postérieurs à la date critique de 1980.

La Cour estime que, par son libellé, l’alinéa a) de l’article27 de la convention européenne
pour le règlement pacifique des différends ne s’écar te pas en substance des limitations temporelles
à la juridiction qui ont été examinées dans l’affaire des Phosphates du Maroc , l’affaire de la

Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie et l’affaire du Droit de passage . En particulier,
aucune conséquence ne saurait être tirée de l’usage des mots «au sujet de» ou «concernant» qui ont
été employés indifféremment dans les divers textes en cause. La Cour observe en outre que, dans

ces affaires, la Cour permanente de Justice in ternationale et elle-même ont été appelées à
interpréter des déclarations unilatérales d’acceptation de la juridiction de la Cour en vertu du Statut,
alors que, dans la présente espèce, la Cour doit interpréter une convention multilatérale. Sans se
prononcer de manière plus générale sur la mesure dans laquelle de tels instruments appellent un

traitement comparable, la Cour ne voit ici au cun motif d’interpréter la phrase en cause d’une
manière différente. Les Parties, observe-t-elle, n’ont d’ailleurs pas laissé entendre qu’il devrait en
être autrement. La Cour conclut en conséquen ce que sa jurisprudence anté rieure concernant les
limitations temporelles est pertinente en l’espèce.

La Cour est d’avis que, en tant qu’elle doit déterminer les faits ou situations que le présent
différend concerne, le critère énoncé dans la jurisprudence susmentionnée visant à établir la
compétence ratione temporis de la Cour, consistant à identifier l’origine ou la cause réelle du

différend, est également applicable en l’espèce. - 7 -

La Cour souligne qu’il n’est pas contesté que le différend a été déclenché par les décisions
des juridictions allemandes en l’affaire du Tableau de Pieter van Laer . Cette conclusion ne règle

cependant pas la question que la Cour est appelée à trancher, car, d’après l’alinéa a) de l’article 27
de la convention européenne pour le règlement pacifique des différends, l’élément décisif n’est pas
la date à laquelle le différend a vu le jour, mais celle des faits ou situations que concerne le
différend.

De l’avis de la Cour, le présent différend ne saurait concerner les événements intervenus
dans les années1990 que si, comme le soutient le Liechtenstein, l’Allemagne s’est, au cours de
cette période, écartée d’une position jusqu’alors commune selon laquelle les biens liechtensteinois

échappaient aux dispositions de la convention sur le règlement, ou si les tribunaux allemands, en
appliquant pour la première fois à des biens liechtensteinois leur jurisprudence antérieure fondée
sur la convention sur le règlement, ont appliqué ladite convention «à une situation nouvelle» après
la date critique.

S’agissant du premier terme de l’alternative, la Cour dit ne disposer d’aucune base pour
conclure que, avant les décisions des juridic tions allemandes dans l’affaire du Tableau de
Pieter van Laer, aurait existé entre le Liechtenstein et l’Allemagne une entente
ou un accord tel que

les biens liechtensteinois saisis à l’étranger, en tant qu’«avoirs allemands à l’étranger», au titre des
réparations ou en raison de la gue rre auraient échappé aux dispos itions de la convention sur le
règlement. La question de savoir si cette convention s’appliquait ou non aux biens liechtensteinois
n’avait jamais été soulevée auparavant devant des juridictions allemandes, pas davantage qu’elle

n’avait fait l’objet de discussions intergouvernementa les entre l’Allemagne et le Liechtenstein. La
Cour fait observer, en outre, que les juridictions allemandes ont toujours jugé que la convention sur
le règlement leur interdisait de se prononcer sur la licéité de toute confiscation de biens traités par
l’Etat qui en était l’auteur comme des biens allemands. Dans l’affaire du Tableau de

Pieter van Laer, les juridictions allemandes se sont bor nées à préciser que la convention sur le
règlement était applicable en cas de confiscations opérées au titre du décret n 12 comme des autres
décrets Beneš, et qu’elle était en conséquence égal ement applicable à la confiscation de cette toile.

De l’avis de la Cour, l’argument du Liechtenste in concernant l’existence d’un accord ou d’une
entente préalable et d’un prétendu «changement de position» de l’Allemagne ne saurait dès lors
être retenu.

S’agissant de l’argument du Liechtenstein selon lequel le différend concernerait l’application
par les tribunaux allemands, à partir des années 1990, de leur jurisprudence antérieure à 1990 à des
biens liechtensteinois, la Cour relève que, lorsqu’ils furent pour la première fois appelés à examiner
une affaire portant sur la confiscation de bien s liechtensteinois consécutive à la seconde guerre

mondiale, les tribunaux allemands ne se trouvèrent pas face à une «situation nouvelle». La Cour
considère que cette affaire, comme celles qui l’av aient précédée et avaient trait à la confiscation
d’avoirs allemands à l’étranger, était inextricablement liée à la convention sur le règlement. La
Cour estime que les décisions rendues par les tr ibunaux allemands en l’affaire du Tableau de

Pieter van Laer ne sauraient être dissociées de la convention sur le règlement ni des décrets Beneš
et qu’elles ne sauraient, en conséquence, être regardées comme étant à l’origine ou constituant la
cause réelle du différend entre le Liechtenstein et l’Allemagne.

La Cour conclut dès lors que, si ces décisions ont bien déclenché le différend opposant le
Liechtenstein à l’Allemagne, ce sont la convention su r le règlement et les décrets Beneš qui sont à
l’origine ou constituent la cause réelle de ce différend. A la lumière des dispositions de l’alinéa a)
de l’article 27 de la convention européenne pour le règlement pacifique des différends, la deuxième

exception préliminaire de l’Allemagne doit donc être retenue.

Ayant écarté la première exception préliminaire de l’Allemagne, mais retenu la deuxième, la
Cour conclut qu’il n’y a pas lieu pour elle d’exam iner les autres exceptions de l’Allemagne et

qu’elle ne peut se prononcer au fond sur les demandes du Liechtenstein. - 8 -

*

Le texte intégral du dispositif (par. 54) se lit comme suit :

moPifs,

L A C OUR ,

a)1) Par quinze voix contre une,

Rejette l’exception préliminaire selon laquelle il n’existe pas de différend entre le
Liechtenstein et l’Allemagne;

POUR: M. Shi, président ; M. Ranjeva, vice-président ; MMG . uillaume, Koroma,
Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh,
Buergenthal, Elaraby, Owada, Tomka, juges; sir Franklin Berman, juge ad hoc;

CONTRE : M. Fleischhauer, juge ad hoc;

b) Par douze voix contre quatre,

Retient l’exception préliminaire selon laquelle la requête du Liechtenstein doit être rejetée au
motif que la Cour n’a pas compétence ratione temporis pour trancher le différend;

POUR: M. Shi, président ; M. Ranjeva, vice-président ; MMG . uillaume, Koroma,

Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal,
Tomka, juges; M. Fleischhauer, juge ad hoc;

CONTRE : MM. Kooijmans, Elaraby, Owada, juges; sir Franklin Berman, juge ad hoc;

2) Par douze voix contre quatre,

Dit qu’elle n’a pas compétence pour connaître de la requête déposée par le Liechtenstein le
er
1 juin 2001.

POUR: M. Shi, président ; M. Ranjeva, vice-président ; MMG . uillaume, Koroma,
Vereshchetin, MmeHiggins, MM.Parra-Aranguren , Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, Tomka,

juges; M. Fleischhauer, juge ad hoc;

CONTRE : MM. Kooijmans, Elaraby, Owada, juges; sir Franklin Berman, juge ad hoc.»

___________ Annexe au résumé 2005/1

Opinion dissidente de M. le juge Kooijmans

Le juge Kooijmans adhère à la conclusion de la Cour concernant l’existence d’un différend
entre le Liechtenstein et l’Allemagne, ainsi qu’à sa définition de l’objet du différend en question.

Il ne peut, cependant, souscrire à la conclu sion de la Cour selon laquelle le différend
concerne des faits ou situations antérieurs à l’entr ée en vigueur entre les parties de la convention
européenne pour le règlement pacifique des di fférends, le 18février1980, motif pour lequel la

Cour n’aurait pas compétence. Au terme d’une analyse de la jurisprudence de juridictions
allemandes concernant l’application de l’article3 du chapitre sixième de la convention sur le
règlement de1952, il conclut que, av ant la date critique, les tribun aux allemands ne s’étaient pas
prononcés sur l’applicabilité de cet article aux avoi rs des ressortissants d’un Etat qui était resté

neutre pendant la seconde guerre mondiale. Ils le firent pour la toute première fois dans l’affaire du
Tableau de Pieter van Laer , dont ils furent saisis par le prince de Liechtenstein qui régnait alors,
créant ainsi une «situation nouvelle» postérieure à la date critique. Dès lors, l’exception
préliminaire ratione temporis n’aurait pas du être retenue.

Le juge Kooijmans étant d’avis que les autr es exceptions préliminaires, qui n’ont pas été
examinées par la Cour, sont dénuées de fondement, il conclut que la Cour a compétence et que la
requête du Liechtenstein est recevable.

Opinion dissidente de M. le juge Elaraby

Le juge Elaraby souscrit à la conclusion de la Cour que la première exception préliminaire de

l’Allemagne, selon laquelle il n’existerait aucun différe nd, doit être rejetée. En revanche, il n’est
pas d’accord avec la Cour lorsque celle-ci conclu t que la deuxième exception préliminaire de
l’Allemagne doit être retenue, ni lorsque, en conséq uence, la Cour rejette l’affaire au motif qu’elle
n’a pas compétence ratione temporis.

Le juge Elaraby relève tout d’abord que la clause de limitation temporelle examinée en
l’espèce diffère de celles interprétées dans des affair es antérieures par la Cour et sa devancière, la
Cour permanente de Justice internationale, du fait que, d’une part, cette clause est libellée en des

termes plus généraux et que, d’au tre part, elle figure dans un traité multilatéral et non dans une
déclaration unilatérale d’acceptation de juridiction. Même s’il estime qu’il y avait lieu, compte
tenu de ces différences, de s’écarter de l’a pproche adoptée dans ces affaires antérieures ⎯ selon

laquelle, dans le cadre d’une analyse ratione temporis , les faits et situations à prendre en compte
sont ceux qui constituent «réellement la cause» du différend ⎯, le juge Elaraby s’est contenté dans
son opinion d’expliquer pourquoi la Cour est parvenue, selon lui, à une conclusion erronée
lorsqu’elle a appliqué le critère de la «cause réelle» aux faits particuliers de l’espèce.

Pour le juge Elaraby, les décisions des tr ibunaux allemands rendues en l’affaire du Tableau
de Pieter van Laer dans les années 1990 ⎯ soit bien après la date critique ⎯ constituaient la cause

réelle du différend qui oppose le Liechtenstein à l’Allemagne. Puisque ces décisions visaient pour
la première fois à assimiler des biens neutres liechtensteinois à des «avoirs allemands à l’étranger»
au sens de la convention sur le règlement, le ju geElaraby en conclut que tout fait ou situation
antérieur à ces décisions (par exemple, la convention sur le règlement, les décrets Beneš et les

décisions antérieures concernant la convention) ne constituait que le contexte historique et ne
pouvait être la cause réelle du différend opposant les Parties.

En parvenant à cette conclusion, le jugeElaraby estime qu’il y a lieu de préciser que, à la

différence des trois affaires invoquées par la Cour (Droit de passage , Compagnie d’électricité de
Sofia et Phosphates du Maroc ), il n’existait en l’espèce aucun fait antérieur à la date critique - 2 -

imputable au défendeur et revê tant une pertinence à l’égard des prétentions du demandeur; les
seules actions imputables à l’Allemagne suscep tibles le cas échéant d’engager sa responsabilité

internationale vis-à-vis du Liechtenstein étaient postérieures à la date critique.

Le juge Elaraby en conclut que la Cour n’aurait pas dû juger que la clause de limitation
temporelle l’empêchait d’exercer sa compétence et fait remarquer que la Cour européenne des droits

de l’homme est parvenue à la même conclusion que lui lorsqu’elle a analysé la question de sa
compétence ratione temporis en l’affaire dont le prince de Liechtenstein l’avait saisie en vertu des
dispositions de la convention européenne des droits de l’homme. Il ajoute que, la Cour, du moins,
aurait dû opter pour une jonction del’exception ratione temporisau fond au lieu de rejeter l’affaire in

limine. Enfin, le jugeElaraby dit regretter que la Cour, ayant reconnu l’ existence d’un différend
entre les Parties puis défini celui-ci, ait ensuite choisi de s’en dessaisir sans tenir audience, cette
solution n’apportant pas, selon lui, de cont ribution positive au règlement des différends
internationaux.

Opinion dissidente de M. le juge Owada

Le juge Owada joint à l’arrêt son opinion, dissidente en ce qui concerne la conclusion
principale selon laquelle la Cour n’a pas compéten ce pour connaître de la requête déposée par la
Principauté de Liechtenstein.

Le juge Owada s’associe à la première conclusion de la Cour (alinéa 1 a) du dispositif) dans
laquelle celle-ci rejette l’exception préliminaire de la République fédérale d’Allemagne selon
laquelle aucun différend n’oppose le Liechtenstein à l’Allemagne. Toutefois, il est en désaccord
avec la seconde conclusion de la Cour (alinéa1b) du dispositif) consistant à retenir l’exception

préliminaire du défendeur selon laque lle la requête du Liechtenstein doit être rejetée au motif que
la Cour n’a pas compétence ratione temporis pour trancher le différend.

Le juge Owada est d’avis que la Cour a défi ni de façon exacte l’objet du différend existant

entre les Parties comme étant le traitement par l’Allemagne des biens liechtensteinois confisqués en
Tchécoslovaquie en vertu des décrets Beneš, à savoir l’application par l’Allemagne de l’article 3 du
chapitre sixième de la convention sur le règlement aux biens en question. Sur cette base, la date
critique pour se prononcer sur la portée de la limitation rationetemporis prévue à l’alinéaa) de

l’article27 de la convention européenne pour le règlement pacifique des différends sur la
compétence de la Cour doit être déterminée en référence à l’objet du différend ainsi défini . On ne
saurait nier à cet égard que «le changement de posit ion» de l’Allemagne concernant le traitement
des biens liechtensteinois en question et consistant à leur appliquer la convention sur le règlement,

«changement de position» apparu dans une série de décisions de s tribunaux allemands confirmées
par les autorités allemandes, a créé une situation qui a donné naissance à un différend qui n’existait
pas entre les Parties avant la survenance de ces événements. En conséquence, le jugeOwada
soutient que ces événements équivalent bel et bien à la création d’une «situation nouvelle», aux fins

de l’application de la règle de compétence ratione temporis telle qu’établie par la jurisprudence de
la Cour, du fait du traitement des biens liechte nsteinois par les tribunaux allemands, qui ont
appliqué pour la première fois à des biens neut res l’article3 du chapitresixième de la convention
sur le règlement. Il va sans dire que la question de savoir si cette «situation nouvelle» a eu pour

effet d’engager la responsabilité internationale de l’Allemagne est une question qui doit être
examinée au stade de l’examen de l’affaire au f ond. Puisque ce fait nouveau n’est survenu qu’à la
fin des années 1990, dans cette mesure et da ns le seul but de déterminer sa compétence , la Cour

aurait dû conclure que cette évolution pouvait cons tituer «des faits ou des situations à l’origine du
différend» entre les Parties aux fins de l’app lication de la clause compromissoire figurant à
l’alinéa a) de l’article27 de la convention européenne pour le règlement pacifique des différends.
Cette question, qui aurait pu nécessiter un examen plus approfondi au stade du fond, doit par

conséquent être jointe au fond. - 3 -

Quant aux autres exceptions préliminaires de l’Allemagne concernant la compétence de la
Cour (troisième exception préliminaire) ou la re cevabilité des demandes du Liechtenstein (les

quatrième, cinquième et sixième exceptions), le ju ge Owada est d’avis qu’elles doivent être soit
rejetées comme non fondées (troisième, quatrième et sixième exceptions), soit, n’étant pas de
nature exclusivement préliminaire, jointes au fond (cinquième exception).

Déclaration de M. le juge Fleischhauer

Le juge Fleischhauer exprime son accord avec la décision de la Cour de retenir la deuxième

exception préliminaire de l’Allemagne. S’agissant de la première exception préliminaire, il ne peut
suivre la Cour quant à la position adoptée par l’A llemagne dans les négociations bilatérales et dans
la lettre en date du 20 janvier 2000 émanant du ministre allemand des affaires étrangères.

Opinion dissidente de M. le juge Berman

Le juge Berman explique dans son opinion dissidente pourquoi, bien qu’il souscrive en
grande partie à ce qu’a dit la Cour, il n’approu ve ni la conclusion sel on laquelle la deuxième

exception préliminaire de l’Allemagne doit être re tenue ni, plus généralement, la façon dont la
Cour a conduit la phase préliminaire de l’affaire.

Ayant souligné que la demande du Liechtenstein, bien qu’elle soit peut-être sans précédent,

n’en est pas moins simple en substance, le juge Berman appelle l’attention sur le fait que cette
demande s’est vue opposer pas moins de six exceptions préliminaires soulevées par l’Allemagne, la
Cour étant priée aux termes de trois d’entre elles de refuser de connaître de l’affaire même si elle
conclut qu’elle a compétence pour ce faire. Le j uge Berman approuve pleine ment le rejet par la

Cour de la première exception préliminaire de l’Allemagne (selon laquelle il n’existe aucun
différend entre les Parties) et aurait été prêt à aller plus loin, pour dire que l’Allemagne est
empêchée, à présent, de soulever une telle excepti on, puisqu’elle avait reconnu auparavant, lors de
ses contacts diplomatiques avec le Liechtenstein, qu’il existait entre les deux Etats des divergences

qui pourraient exiger un règlement par voie judiciaire.

Bien qu’il ne soit fondamentalement pas en désaccord avec la manière dont la Cour a analysé
sa jurisprudence antérieure relative aux clauses temporelles limitant l’acceptation de la juridiction

de la Cour (deuxième exception préliminaire de l’Allemagne), le juge Berman précise que, à ses
yeux, il ressort de cette jurisprudence que la Cour jouit d’une certaine latitude ou d’un pouvoir
discrétionnaire pour déterminer que lles situations ou faits sont l’ «origine ou la cause réelle» d’un

différend donné, notamment par ce que deux différends internationaux ne naissent jamais
exactement de la même manière. Il ajoute que, sel on lui, la question de savoir si les Parties ont
accepté la juridiction dans un traité général sur le règlement pacifique des différends, et non dans
des déclarations unilatérales d’acceptation au titre de la clause facultative, pourrait, dans des

circonstances appropriées, avoir une incidence sur ce pouvoir discrétionnaire.

En revanche, le principal désaccord du juge Berman avec la Cour tient à la manière dont
celle-ci, sans se poser de questions, a fait sien un argument qui se trouve au cŒur de la thèse de

l’Allemagne et aussi du raisonnement de la Cour elle-même, à savoir que les tribunaux allemands
n’ont eu d’autre choix que d’appliquer la conve ntion sur le règlement de1952/1955 à des biens
neutres lorsque la question se posa pour la première fois bien des années après. Le juge Berman,
selon sa lecture de la jurisprudence allemande (celle-ci n’ayant pas été produite en totalité devant la

Cour ni explicitée en détail), démontre que les juridictions supérieures allemandes, au début, ne
considéraient manifestement pas qu’elles étaient empêchées d’examiner, dans des affaires données,
si la convention sur le règlement (ou la législation alliée antérieure) s’app liquait, ou même si elle
devait s’appliquer, et que cette pratique consistant à examiner si les conditions requises pour - 4 -

l’application de la convention étaient réunies s’est poursuivie tout au long du déroulement de
l’affaire du Tableau de Peter van Laer elle-même dans les années 1990, y compris devant la Cour

européenne des droits de l’homme.

En outre, interpréter la convention sur le règl ement (à laquelle le Liechtenstein n’était de
toute façon pas partie) comme s’appliquant aux bi ens neutres va à l’encontre du libellé de cet

instrument, et pareille interprétation n’a jamais été étayée devant les juridictions allemandes par des
éléments prouvant qu’il s’agissait bien là de l’in tention des parties contractantes. Par ailleurs,
prêter cette intention aux Trois Puissances alliées défie toute logique et reviendrait à dire que
celles-ci avaient enfreint leurs obligations à l’égard des Etats qui avaient été neutres pendant la

seconde guerre mondiale. Il n’était donc guère prévisible que l’Allemagne adopterait par la suite
une telle position dans le cadre de ses relations bilatérales et l’invoquerait comme argument pour
exclure toute possibilité d’indemnisation. Pourtant, c’est précisément l’adoption de cette position
qui, selon le juge Berman, était la cause réelle du différend: elle a créé une situation nouvelle et

cette position a été adoptée par l’Allemagne bien après la date critique. Si l’on ne saurait nier que
la convention sur le règlement et les décrets Ben eš sont liés au différend, cela ne suffit pas à en
faire l’«origine ou la cause réelle».

Le juge Berman poursuit en examinant les circonstances dans lesquelles certaines parties de
ce qui était reconnu comme un régime temporaire, établi par la convention sur le règlement, ont été
pérennisées tandis que d’autres (l’obligation d’indemn isation) ont été abrogées au moment de la
réunification de l’Allemagne, en 1990. Bien que l es Parties, soit n’aient pas eu en leur possession

d’éléments de preuve, soit, du moins, n’en ai ent pas produit devant la Cour, éléments qui
prouveraient pourquoi il en fut ainsi décidé, on doit, par déduction, estimer que cela a été fait à la
demande de l’Allemagne, ce qui renforce aussi le point de vue selon lequel l’origine du différend
se situe après la date critique.

Le juge Berman conclut en déclarant que, s’il subsistait toutefois le moindre doute sur l’un
quelconque de ces points, la bonne démarche au rait été de joindre la deuxième exception
préliminaire au fond, de manière à permettre que soient produits par les Parties tous les éléments de

preuve et que soient exposés par elles tous leurs arguments.

Quant aux autres exceptions préliminaires, le juge Berman affirme qu’il inclinerait à les
rejeter toutes. Il examine brièvement la cinquième exception (absence d’une tierce partie

indispensable), mais estime évident que le différend, tel qu’il est à présent défini dans l’arrêt de la
Cour, n’aurait pas imposé à cette dernière de se prononcer d’une manière ou d’une autre sur la
licéité des décrets Beneš en tant que tels, pas plus que sur les confiscations particulières qui furent

opérées en application de ces décr ets. Là encore, conclut-il, tout doute sur ce point aurait été
dissipé pour le mieux en joignant cette exception au fond.

Enfin, le juge Berman souligne que cet a rrêt par lequel la Cour décline sa compétence ne
règle pas le différend proprement dit, dont la Co ur a désormais formellement établi l’existence

entre les deux Etats, et il déplore que ceux-ci ne se soient pas entendus, sur une base ad hoc si
nécessaire, pour que le différend soit tranché par la Cour internationale de Justice, conformément
aux traditions de l’une et de l’autre Parties. Il s’interroge sur l’opportunité, pour un Etat, de

revendiquer la protection de la convention sur le règlement tout en dégageant sa responsabilité
concernant l’obligation de l’indemnisation que la convention prévoit en contrepartie de cette
protection, et indique que les griefs formulés par le Liechtenstein, pour inhabituels qu’ils soient,
méritaient d’être entendus.

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Résumé de l'arrêt du 10 février 2005

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