Résumé de l'arrêt du 12 novembre 1991

Document Number
6865
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1991/2
Date of the Document
Document File
Document

Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE RELATIVE À LA SENTENCE ARBITRALE DU 31 JUILLET 1989
(GIUIN~E-BISSAU C. SÉNÉGAL)

Arrêd tu 12novem.bre1991

Danssonarrêt enl'affairerelative à la sentencearbi- publique de Guinée-Bissau,qui sont tenues de l'ap-
trale du31juillet 1989(Guinée-Bissauc. Sénégal),la pliquer.
Cour a rejetélesconclusionsde laGuinCe-Bissauselon "POUR :sir Robert Jennings,président; M. Oda,
lesquelles: 1)la sentence du 31juillet 1989est frappée vice-président; MM. Lachs, Ago, Schwebel, Ni,
d'inexistence; 2) subsidiairement, cette sentence est Evensen, Tarassov, Guillaume, Shahabuddeen,
frappéede nullitéabsolue; 3)c'està tort que le Sénégal Ranjeva, juges; M. Mbaye, juge ad hoc;
prétend imposer à la Guinée-Bissau l'applicationde la
sentence. La Cour a dit ensuite, sur les conclusions "CONTRE :MM. Aguilar Mawdsley, Weeraman-
présentéesencesenspar leSénégal,quecette sentence try,juges; M. Thierry, juges ad hoc.
est valable et obligatoire pour les deux Etats, qui sont
tenus de l'appliquer.

M. Tarassov, juge, et M. Mbaye,juge ad hoc, ont
joint des déclarationsàl'arrêt.
La composition de la Cour étaitla suivante: sir Ro- M. Oda, vice-président,et MM. Lachs, Ni et Sha-
bert Jennings. président: M. Oda. vice-président; habilddeen,juges, ontjoint àl'arrêtlesexposésde leur
MM. Lachs, Ago. Schwebel, Ni. Evensen, Tarassov, opinion individuelle.
Guillaume, Shahabuddeen, AguilarMawdsley, Weera-
mantry, Ranjeva, juges; MM. Thierry, Mbaye,juges MM. AguilarMawdsley et Ranjeva,juges, ontjointà
ad hoc. l'arrêt l'exposé de leuorpinion dissidente commune:
M. Weeramantry, juge, et M. Thierry, juge ad hoc,
y ont joint les exposés de leur opinion dissidente.

Le texte completdu dispositif de l'arrêtest reproduit
ci-après:
"La Cour, 1.- Qualités et exposé desfaits (paragraphes 1 à 21)
"1) A l'unanimité,
La Cour décrit les étapes de la procédure depuis :
"Rejette les conclusions de la République de qu'ellea étésaisiede l'affaire(par. à9)et énonceles
Guinée-Bissauselon lesquelles la sentence arbitrale conclusions présentées parles Parties (par. 10et 11).
rendue le 31juillet 1989par le Tribunal constitué en Elle rappelle que, le 23 août 1989,la Guinée-Bissaua
vertu du compromis du 12mars 1985entre la Répu- introduit une instance contre le Sénégal au sujetd'un
blique de Guinée-Bissauet la Républiquedu Sénégal différendconcernant l'existence et la validitéde la sen-
est frappée d'inexistence; tence arbitrale rendue le 31juillet 1989par un tribunal
"2) Par 11voix contre 4, arbitral de trois membresconstitué en vertu d'un com-
"Rejette les conclusions de la République de promis d'arbitrage conclu entre les deux Etats le 12
Guinée-Bissau selon lesquellesla sentence arbitrale mars 1985.Ellerésumeensuiteainsilesfaitsdel'espèce
du 31juillet 1989est frappée de nullitéabsolue : (par. 12à 21) :
Le 26avril 1960,un accord aétéconclu, par échange
"POUR :sir Robert Jennings.président; M. Oda, de lettres, entre la France et le Portugal. en vue de
vice-président; MM. Lachs, Ago, Schwebel, Ni, définirla frontière maritime entre la République du
Evensen, Tarassov, Guillaume, Shababuddeen,ju- Sénégal(qui à cette époqueétaitunEtat autonomede la
ges; M. Mbaye, juge ad hoc; communautéinstituée varla Constitution de la Révu-
"CONTRE :MM. Aguilar, Mawdsley, Weeraman- bliqiie française de 1958)et la province portugaise'de
try, Ranjeva, juges; M. Thierry.juge ad hoc; Guinée.Dans sa lettre, la France proposait notamment
ce qui suit:
"3) Par 12voix contre 3,
"Rejette les conclusions de la République de "Jusqu'àla limiteextérieuredesmers territoriales,
Guinée-Bissau selon lesquelles c'est à tort que le la frontière serait définiepar une lignedroite, orien-
Gouvernement du Sénégap lrétendimposer à celuide tée à 240degrés, partant du point d'intersection du
la Guinée-Bissau l'applicationde la sentence arbi- prolongement de la frontière terrestre et de la laisse
trale du 31juillet 1989;et. surlesconclusionsprésen- de basse mer, représenté à cet effet par le phare du
téesen ce senspar laRépubliquedu Sénégal,dit que Cap Roxo.
la sentence arbitrale du 31juillet 1989est valable et "En ce qui concerne les zones contiguës et le
obligatoirepour la Républiquedu Sénégae lt la Ré- plateau continental, la délimitationserait constituée par le prolongement rectiligne, dans la mêmedirec- tion, de l'avisdu Tribunal, n'appelle pasune réponse
tion, de la frontièredes mers territoriales." de sa part.

La lettre du Portugal marquait l'accord de ce dernier "Au surplus, le Tribunal n'a pas jugéutile, étant
sui-cette proposition. donné sa décision.dejoindre une carte comprenant
Après l'accession àl'indépendancedu Sénégalet de le tracé dela ligne frontière." ,(sentence. par. 87.)
la ,Guinéeportugaise. devenue Guinée-Bissau,un dif- Le dispositif de la sentence était ainsi libellé
férend s'estélevéentre ces deux Etats au sujet de la
délimitationde leurs espaces maritimes. PL partir de "Vu les motifs qui ont étéexposés. le Tribunal
1917,ce différenda fait l'objet entre eux de négocia- décidepar 2 voix contre une :
tions au cours desquelles la Guinée-Bissa11 a insisté "De répondre à la première question formulée
pour que les espaces maritimes en cause soient déli- dans l'article 2 du compromis arbitral de la façon
miles en faisant abstraction de l'Accord de 1960,dont suivante : l'accord conclu par un échange de let-
elle contestait la validité,ainsi que l'opposabilàtson tres, le 26avril 1960,et relatià la frontièreen mer,
égard. fait droit dans les relations entre la Républiquede
Guinée-Bissauet la Républiquedu Sénégae ln ce qui
Le 12mars 1985,lesPa.rtiesont conclu unc:ompromis concerne les seules zones mentionnées dans cet
d'arbitrage en vue de salumettre ce différend à un tri- accord, à savoir la mer territoriale, la zone contiguë
buinalarbitral, dont l'article 2 se lit comme sui: et le plateau continental. La 'lignedroite orientéeà
"Il est demandé aii Tribunal de statuer confor- 240"'est une ligne loxodromique." (Par. 88.)
mément aux normes du droit internatioiial sur les M. Barberis, président du Tribunal, qui. comme
questions suivantes :
M. Gros, a votépour la sentence, yajoint unedéclara-
"1. L'Accord conclu par un échangede lettres, tion, et M. Bedjaoui, qui a voté contre cette sentence,
le 26avril 1960,et rela.tiàla frontièreen mer, fait-il y a joint une opinion dissidente. L,a déclaration de
droit dans les relations entre la République de M. Barberis portait notamment :
Guinée-Bissauet la Républiquedu Sénégal ? "J'estime que la réponse donnéepar le Tribunal à
"2. En cas de réponse négative à la première lapremièrequestionposéepar lecompromis arbitral
question, quel est le tracé dela ligne délimitant les aurait pu êtreplus précise. Eneffet,j'aurais répondu
territoires maritimes qui relèvent respectivementde à cette question de la façon suivante :
la Républiquede Guinée-Bissau etde la F1.épublique "L'Accord conclu par un échangede lettres. le
du Sénégal ?" 26 avril 1960,et relatifà la frontière en mer, fait
droit dans les relations entre la Républiquede
L'article 9 du compromisprévoyait notamment que Guinée-Bissau etla République duSénégae ln ce
la décision "doit comprendre le tracé dela lignefron- quiconcerne lamerterritoriale, lazonecontiguë et
tière sur une carte". leplateau continental, maisilnefaitpas droitquant
IJn tribunal arbitral (ci-après:le "Tribuiial") a été aux eaux de la zone économiqueexclusive ou àla
dûment constitué envertu du compromis, Ni.Moham- zone de pêche. La'ligne droite orientée à 240"'
med Bedjaoui et M. AndréGros ayant successivement viséedans l'accord du 26 avril 1960est une ligne
étédésignés commearbitres et M. Julio A. Barberis loxodromique."
coinme président. Le31juillet 1989leTribuiiala rendu
la sentence dont la Guinée-Bissau, dans la présente "Cette réponse partiellement affirmative et par-
instance, a contesté l'existence et la validité. tiellement négative est, à mon avis, la description
laesconclusions du Tribunal sontainsirésuméespar exacte de la situation juridique existant entre les
laCour :leTribunal aestiméque l'Accorddi: 1960était Parties. Comme la Guinée-Bissau l'a suggéré au
valqble et opposable au Sénégal et àla Guinée-Bissau cours de cet arbitrage (réplique, p. 248), cette ré-
(sentence,par. 80);que 1"accorddevait êtreinterprété à ponse aurait habilité le Tribunal à traiter dans la
la lumièredu droiten vigueur àladatede sa conclusion sentence la deuxième question posée par le com-
(ibid., par. 85); que promis arbitral. La reponse pnrtiellement négative à
la premièrequestionaurait attribué au Tribunal une
"l'Accord de 1960 nedélimite pasles espaces mari- compétencepartielle pour répondre à la deuxième,
1:imesqui n'existaient. pas à cette date, qu'on les c'est-à-direpour lefairedans lamesure oùla reponse
ii~~ellezone économiaue exclusive, zone de ~êche à la première question eût éténégative.
cyûautrement.. .": A '6...9,
Le Tribunal a tenu une séancepublique le 31juillet
mais que 1989pour rendre sa sentence; M. Barberis, président,
"'lamer territoriale, la zone contiguë et le plateau et M. Bedjaoui, arbitre, y étaientprésents, non
continental. .. Sont e:<preSSémenm t entic~nnédsans M. Gros. A cette seance, après le le re-
l'accord de 1960et elles existaient à l'époquede Sa présentantde la Guinée-Bissaua déclaréqu'en atten-
conclusion" (ibid.). dant unelecturecomplètedesdocumentset laconsulta-
tion de son gouvernement, il réservaitla position de la
~~~~è~ avoir examiné "la question de savoir jusqu9à
qu,elpoint lalignefrontièreseprolonge . al,jourd9hui, Guinée-Bissauquant à l'applicabilitéetàla validitéde
etant donné19évolution ;accompliepar la définitiondu la sentence, quine répondaitpas, selonlui, aux exigen-
colncept de .plateau continental-9, le 7:,.ibunal a ces poséesd'uncommunaccord par lesdeux Parties. A
expliqué : lasuitedecontacts entre lesgouvernementsdesParties
au coursdesquels laGuinée-Bissaua exposéles motifs
"En tenant compte des conclusions ci-dessus qu'elle avaitde ne pas accepter la sentence, le Gouver-
auxquelles le Tribunal est parvenu et du libelléde nement de la Guinée-Bissaua introduit l'instance qui
l'article 2 du comprorriisarbitral, la deuxièmeques- fait l'objet de l'arrêtde la Cour.
275 II.- Question de la compétence de la Cour, de la doutesur la validitéde la sentence.Le Sénégas loutient
recevabilitéde la requête etdes effEtspossibles notamment que cette déclarationne fait pas partiede la
de I'absetzce d'un arbitre lors de la séance à sentence et qu'en conséquence toute tentative de la
laquelle la sentetlce a étélire (paragraphes 22 Guinée-Bissau pour utilisercette déclaration dans un
à 29) tel but "doit êtrequalifiéed'abus de procédure, abus
visantà priver le Sénégad les droits qui luireviennent
La Cour examine d'abord la question de sa com- aux termes de la sentence".
pétence. Dans sa requête,la Guinée-Bissaufonde la La Cour considère que la requête dela Guinée-Bis-
compétence de la Cour sur les "déclarations par sau aété présentéede manièreappropriéedanslecadre
lesquelles la République deGuinée-Bissauet la Répu- des voies de droit qui lui sont ouvertes devant la Cour
blique du Sénégalont accepté respectivement la juri- dans lescirconstances de I'espèce.En conséquence,la
diction de la Cour dans les conditioris prévuesà l'Ar- Cour ne saurait accueillir la thèse du Sénégal selon i
ticle 36, paragraphe 2, du Statut" de la Cour. Ces laquelle la requête dela Guinée-Bissauou les moyens
déclarationsont étédéposées auprèsdu Secrétairegé- qil'ellefait valoàrl'appui de celle-ciéquivaudraientà
néralde l'organisation des Nations Unies, le 2 décem- un abus de procédure.
bre 1985dans lecas du Sénégae lt le7août 1989dans le La Guinée-Bissausoutientquel'absence de M. Gros
cas de la Guinée-Bissau.La déclaration dela Guinée- lors de la séancedu Tribunal au cours de laquelle la
Bissau ne contenait pas de réserves.La déclarationdu sentence aété lueconstituait comme unaveu del'échec
Sénégal,qui remplaçait une déclaration antérieuredu di1 Tribunal à trancher le différend, qu'il s'agissait
3 mai 1985,disposait notamment que "le Sénégap leut d'une séanceduTribunal d'une particulièreimportance
renoncer à la compétence de la Cour au sujet :- des et que l'absence de M. Gros avait affaibli l'autorité
différends pourlesquelsles parties seraientconvenues de ce Tribunal. La Courrelève qu'iln'est pas contesté
d'avoir recours à un autre mode de règlement. ..", et qiieM. Gros a participéau vote lors de l'adoption de
précisaitqu'elle est applicable seulement à "tous les la sentence. L'absence de M. Gros lors de la séance
différendsd'ordre juridique néspostérieurement à la au cours de laquelle la sentence a étélue ne pouvait
présente déclaration. .." affecter la validitéde cette sentence antérieurement
Le Sénégala fait observer que si la Guinée-Bissau acloptée.
devaitcontester la décisiondu Tribunalquant au fond,
elle soulèveraitlà une question qui, aux termes de la II:[- Question de l'itiexistence de la sentence ipara-
déclarationdu Sénégale ,st exclue de lacompétencede graphes 30 à 34)
la Cour. En effet, selon le Sénégall,edifférendrelatià A l'appui de sa thèse principale selon laquelle la
la délimitation maritime a fait l'objet du compromis sentence est frappée d'inexistence, la Guinée-Bissau
d'arbitrage du 12mars 1985et rentre par suite dans la soutient que la sentence n'était pas fondée sur une
catégorie des différendspour lesquels les Parties sont majoritévéritable. Elle ne conteste pas que, selon le
"convenues d'avoir recours àun autre mode de règle- texte de la sentence, celle-ci avait étéadoptée par les
ment". En outre, de l'avisdu Sénégalc .e différendest votes du président Barberis et de M. Gros; mais elle
néavant le 2 décembre1985,date à laquelle l'accepta- soutient que la déclarationdu président Barberis con-
tion par le Sénégalde la juridiction obligatoire de la tredisait et invalidait son vote, ôtant aàla sentence
Cour a pris effet, et setrouveainsi exclu de lacatégorie le fondement d'une majoritévéritable.A cet égard,la
des différends "néspostérieurement" à cette décla- Guinée-Bissaua appelé l'attention sur les termes du
ration. dispositif de la sentence(voir page 4 ci-dessus)et surla
Toutefois, lespartiesontreconnu qu'ilyavait lieude formulation préconisée parle président Barberis dans
distinguer le différend de fond qui les oppose rela- sa déclaration(ibid.).
tivement à la délimitation maritimede celui qui con- La Cour considèrequ'en avançant cette formulation
cerne la sentencerendue par le Tribunal,et que seul ce le président Barberis avaità l'esprit le fait que la ré-
dernier différend, qui est népostérieurement à la dé- ponse du Tribunal à la première question "aurait",
claration du Sénégalf,ait l'objet delaprésente instance selon les termes qu'il a employés, "pu êtreplus pré-
devant la Cour. La Guinée-Bissaua aussi adopté la cise". et non qu'elle aurait dû êtreplus précisedansle
position,acceptée par le Sénégals ,elonlaquelle la pré- sens indiqué parsa formulation; cette dernièreétait,à
sente instance ne doit pas être considéréc eomme un son avis, une formulationpréférablemais non obliga-
appel de la sentence ou comme une demande en révi- toire. De l'avis de la Cour, cette formulation ne révèle
sion de celle-ci. Ainsi, lesparties reconnaissentqu'au- aucune contradiction avec celle de la sentence.
cun aspect du différendde fond relatifà la délimitation
n'est en cause. Sur cette base. le Sénéganl'a pas con- LaGuinée-Bissaua aussiappelél'attention surlefait
testé que la Cour est compétente pour connaître de la que le présidentBarberis a dit que sa propre formula-
requête en vertudu paragraphe 2 de l'Article 36 du tion "aurait habilitéle Tribunalà traiter dans la sen-
Statut. Dans les circonstances de l'espèce, la Cour tence la deuxième question posée par le compromis
considère sa compétence comme établie et souligne arbitral" et qu'en conséquence le Tribunal "aurait été
que, comme les deux Parties en sont convenues, la compétent pour délimiter les eaux de la zone écono-
présenteinstanceconstitue une action en inexistence et mique exclusive ou la zone de pêcheentre les deux
en nullitéde la sentence rendue par le Tribunal,et non pays", en plus desautresespaces.La Courestimeque
unappel de ladite sentence ou unedemandeen révision cette opinion expriméeparle présidentBarberis cons-
de celle-ci. tituait, non un position qu'il avait adoptée quanà ce
que le Tribunal était dans l'obligation de faire, mais
La Cour examine ensuite une affirmation du Sénégal seiilementuneindication decequi, àsonavis,aurait été
selon laquelle la requêtede la Guinée-Bissau serait untemeilleurefaçon deprocéder.Saposition nepouvait
irrecevable, dans la mesure où elle viseraià utiliser la donc pas êtreconsidéréecomme étant encontradiction
déclarationdu président Barberis dans le but dejeter le avec celle adoptée dans la sentence. E:noutre, mêmes'ily avait eu, pour l'une ou l'autre conde. Ilest regrettable qu'il n'aitpas éprocédéde la
des deux raisons qu'invoque la Guinée-Bi:ssau,une sorte. Toutefois,la Cour est d'avis que le Tribunal,en
contradictionquelconque entre l'opinionexpriméepar idoptant la sentence, a par là mêmenon seulement
leprésident Barberis et celle indiquéedans la sentence, iipprouvélecontenudu paragraphe 88, mais encore l'a
la Cour note qu'une telle contradiction ne pouvait pré- fait pour les motifs exposés antérieurement dans la
valoir contre laposition que le présidentBarberis avait sentence et en particulier dans le paragraphe 87. Il
prise lorsqu'il avait votépourla sentence. EIIdonnant ressort clairement de ce dernier paragraphe pris dans
son accord à la sentence, ila définitivementacceptéles son contexte, comme d'ailleurs de la déclaration du
décisions que celle-ci cointenaitquantà 1'Ctt:nduedes président Barberis, que le Tribunal a jugé.par 2 voix
aspects maritimes régis par l'accord de 1960.et quant contre une, qu'ayant répondu affirmativement à la
au Saitque le Tribunal n'eitaitpas tenu de répondrà la première question il n'avait pas à répondre à la se-
seclondequestion, vu la riSponsequ'ilavaitdonnée à la conde. La Cour observe que, ce faisant, le Tribunal a
première. La Cour ajoute que, comme le montre la bien pris une dCcision : celle de ne pas répondre à la
pratique desjuridictions internationales, il arrive par- seconde question quiluiétaitposée.Elle conclutque la
fois au'un membre d'un tribunal vote en faveur de la sentencen'est entachée d'aucuneomission de statuer.
décisionde ce tribunal, mêmesi, personnellement, il b) La ~ ~ i ~ ~ ~ - ~ex~p~se en deuxième lieu que
aurait Ctéenclin àpréférerune autre solutiori. La vali- ltoute arbitrale doit, conformémentau droit
dité:'un telvote n'est pas affectéepardesdivergences iinternationalgén6ral, êtremotivée. En outre, selon
dec:egenreexpriméesdarisunedéclaration 011dans une ducompromis, lesparties avaient convenuau
opillionindividuelledu membre concerné,qui sontdès que -la décisionsera[itl pleinement mo-
lors sans conséquence sur la décisiondu tribunal. itivCeWO .r. selonlaGuinée-Bissau.leTribunaln'aurait
Par suite, de l'avis de liaCour, la thèsede la Guinée- donnéaucine motivation pour fonder son refus de ré-
Bissau selon laquellela sentence est frappée:d'inexis- pondre à la seconde questionposée par les Parties ou,
tence pour défaut de majoritévéritablene peut être tout le moins, aurait retenu une motivation "abso-
accueillie. llumentinsuffisante". La Courremarquequ'au paragra-
phe 87dCjàcité,le Tribunal, "tenant compte des con-
IV. - Question de la nullité dela sentence (paragra- i:lusionsWauxquelles il est parvenu et "du libelléde
phes 35 à65)
iquestionqui lui avait étéposéen'appelait pas de ré-
A titre subsidiaire, la Guinée-Bissausoutient que la lponsede sa part. La motivation ainsi retenue est brève
sentence est frappéedanssonensemblede nullit6abso-
lue à la fois pour excès de pouvoir et pour dCfautde opérCspar le paragraphe 87 tant aux conclusions du
motivation. La Guinée-Bissauobserve que le Tribunal 'Tribunalqu'au libelléde l'article 2 du compromis n'en
n'a pas répondu àlasecoridequestionposéeà.l'article2
du compromisd'abitrage et n'a pasjoint àlsrsentence permettent pas moins de déterminer sans aucune dif-
la carte prévue àl'article 9 du compromis. Cette dou- ficultéles raisons qui ont conduit le Tribunaà ne pas
ble omission constituerait un excès de polivoir. Par irépondre àla seconde question. La Cournote qu'en se
ailleurs, aucune motivation n'aurait étédonnée parle irkférantau libelléde l'article 2 du compromis, le Tri-
Tribunal à sa décisiondi: ne pas passer à la seconde bunal constatait que, selon cet article, il lui étaitde-
question, à la non-production d'une ligne unique de imandéen premier lieu de dire si l'accord de 1960"fait
droit dans les relations" entre la Guinée-Bissau et
délimitationet au refus de porter le tracédecette ligne lie SCnégal,puis, "en cas de réponse négative à la
sur une carte. ]premièrequestion, quel est le tracé de la ligne déli-
imitantles territoires maritimes" des deux pays. En se
1. Abseilce de réponse à la seconde question iréféranatux conclusionsauxquelles ilétait parvenu,le
a) La Guinée-Bissau suggèreque le Tribunalaurait 'Tribunalconstatait qu'il avait, aux paragraphes80 et
noripasdécidé denepasrépondre àlasecond'squestion !suivantsde la sentence, estimé que l'accord de 1960,
qui lui Ctaitposée,mais aurait simplement omis, faute dont il avait fixéle domaine de validitématériel, était
de ]majoritévéritable, de prendrequelque décisionque '"valable et opposable au SénCgalet à la Guinée-
ce !;oitsur ce point. Dans cette perspective, ].aGuinée- :Bissauw.Ayant apporté une réponseaffirmative à la
]premièrequestion et s'attachant au texte même du
Bissau a soulignéque ce qui est, selon la première compromis, le Tribunal jugeait par voie de consé-
phrase du paragraphe 87 de la sentence, un "avis du quence qu'il n'avait pas à répondre àla seconde. La
Tribunal" sur la questio,n ne se trouve qui: dans les Gour remarque que cette motivation, bien que ramas-
motifset non dans ledispositifde la sentence; quecette isée,est claire et précise, et conclut que le deuxième
dernièrene précisepas à quelle majoritéce paragraphe argument de laGuinée-Bissaudoit luiaussi êtreCcarté.
aurait étéadopté;et que seul M. Gros aurait pu voter c) La Guinée-Bissauconteste en troisième lieu la
pour ce paragraphe; elle sedemande,compte tenu dela 'valeurduraisonnement ainsi retenupar leTribunalsur
déclarationdu Barberis, si vote est bien liaquestion de savoir s'il était tenu de rkpondreà la
intervenu sur le paragraphe 87. La Cour reconnaît que :secondequestion :
la sentence est de ce point de vue constriiite d'une
manièrequi pourrait donner prise à la critique. L'arti- i) La Guinée-Bissau soutient tout d'abord que le
cle2 du compromis posaiitdeux questions au Tribunal. compromis correctementinterprétéfaisait obliga-
Ce dernier, d'après l'article 9. devait faire "connaître tionauTribunalderépondre àlasecondequestion
aux deux Gouvernementssa décisionquant aux ques- quelleque fût saréponse àlapremière.Ace sujet,
tioris énoncéesà l'article 2". Dèslors, la Cour estime la Cour tientà rappelerqu'à moins de convention
qu'ileût éténormal de faire figurer dans le.spositifde contraire un tribunal international est juge de
la sentence tant laréponsefournie àla premièreques- saproprecompétenceet alepouvoir d'interpréter
tion que la décisionprise de ne pas répondre à la se- à cet effet les actes quigouvernent celle-ci. Aussi
277bien au cas particulier le compromis avait-il con- Comme,pourles motifsdonnésparleTribunal, la
firmé quele Tribunalavait compétence pour sta- réponsequ'ilapportait àla premièrequestion po-
tuer sur sa compétence et interpréter pour ce sée dansle compromis ne pouvait conduire à une
faire ce compromis. La Courconstate que, par le délimitationcomplète, il s'ensuivait, de l'avis de
moyen susmentionné, la Guinée-Bissaucritique la Guinée-Bissau,que, nonobstantles mots intro-
en réalitél'interprétation donnéedanlsasentence ductifs de la seconde question, le Tribunal était
desdispositions du compromis quidéterminentla tenu de répondre à cette dernièreetde procéder à
compétencedu Tribunal,et enpropose une autre. la délimitationcomplète voulue par les Parties.
Mais la Cour n'a pas à se demander si le com-
promis était susceptibleou non de plusieursinter- Après avoir rappelé les circonstances dans
prétations en ce qui concerne la compétencedu lesquelles lecompromisavait été élaborél,aCour
Tribunal, et dans l'affirmativeà s'interroger sur constatequelesdeuxquestionsavaientdesobjets
celle qui eût étépréférable. En procédantde la toutdifférents.La premièreconcernaitle point de
sorte, la Cour estime qu'elle traiterait en effet la savoir siun accord international faisait droitdans
requêtecommeunappelet non commeunrecours le relations entre les Parties; la seconde visait
en nullité.La Cour ne sauraitprocéderde la sorte procéder àune délimitation maritime pour lecas
en l'espèce. Elle doit seulementrechercher si le où cet accord ne ferait pas droit. Le Sénégal
Tribunal, en rendant la sentence contestée, a escomptait une réponse positive à la première
manifestement méconnu la compétence qui lui question et en concluait qu'en pareil cas la ligne
avait étédonnée parle compromis, en outrepas- droiteorientée à240"retenue par l'accord de 1960
sant sa compétenceou en ne l'exerçant pas. Une constituerait la ligne unique séparantI'ensemble
telle méconnaissance manifeste pourrait par desespaces maritimes des deux pays. La Guinée-
exemplerésulterdecequele Tribunaln'aurait pas Bissau escomptait une réponse négative à la
correctementappliquéles règlespertinentes d'in- première question et en concluait qu'une ligne
terprétationaux dispositions du compromis gou- séparative unique pour l'ensemble des espaces
vernantsacompétence. La Courobservequetout maritimes des deux Etats serait fixéeexnovo par
compromis d'arbitrage constitue un accord entre le Tribunal en réponseà la secondequestion. Les
Etats qui doit êtreinterprétéselon les règlesdu deux Etats entendaient obtenir une délimitation
tion destraités.Elle rappelleensuitelesprincipes- de l'ensemble de leursespaces maritimes par une
d'interprétation définisdans sajurisprudence et ligne unique. Mais le Sénégalcomptait atteindre
observe que ces principes se trouvent traduits ce résultatgriice à une réponseaffirmative à la
dans les articles 31 et 32 de la Convention de premièrequestionet laGuinée-Bissaugrâce àune
Vienne sur le droit des traités qui, à bien des réponsenégative à cette mêmequestion. La Cour
égards, peuvent être considérés surce point constate qu'aucun accord n'était intervenu entre
comme une codification du droit international les Parties sur ce qui adviendrait dans I'hypo-
coutumierexistant. La Cour note égalementque thèse où une réponse affirmative ne conduirait
les Etats, en signant un compromis d'arbitrage, qu'à une délimitationpartielle, et sur la tâcheà
concluent un accord ayant un objetet un but bien confieréventuellement au Tribunalen pareil cas,
particuliers: confierà un tribunal arbitral le soin et que les travaux préparatoires confirment par
de trancher un différend selonles termes con- suite le sensordinaire de l'article 2. La Cour con-
venus par les parties. Dans l'exercice de la tâche sidèrequecette conclusion n'est pasendésaccord
qui lui est confiée,un tel tribunal doit alors s'en avec le fait que le Tribunal s'est donnéle titre
tenir àces termes. de "Tribunal arbitral pour la déterminationde la
frontière maritime, Guinée-Bissau/Sénégal",ou
La Cour observe que, dans la présente affaire, qu'il a, au paragraphe 27 de la sentence, prCcisé
l'article 2 du compromis posait une première que "le seul objet du différend. ..porte. .. sur
question concernant l'accord de 1960,puis une la déterminationde la frontièremaritime entre la
seconde question relative àla délimitation.Il de- Républiquedu Sénégalet la Républiquede Gui-
vait êtrerépondu à la seconde question "en cas née-Bissau.question qu'elles n'ont pu résoudre
de réponsenégative à la première question". La par voie de négociation..." De l'avisde la Cour,
Cournoteque ces derniersmots,proposésenleur ce titre et cette définitiondoivent êtrelus à la
temps par la Guinée-Bissauelle-même, sont ca- lumièrede la conclusion du Tribunal,que laCour
tégoriques. Elle examine ensuite des situations partage, suivantlaquelle,s'il est vrai qu'il entrait
dans lesquelles ilétait demandéà desjuridictions dansla mission de celui-cid'effectuer la délimita-
internationales de répondre à des questions suc- tion de tous les territoires maritimes des Parties,
cessives conditionnées ou non les unes par les cette tâche neluiincombait quedans lecadre dela
autres. La Cour constate qu'en réalité les Par- secondequestionet "en cas de réponsenégative à
ties auraient pu utiliser en l'espèce une expres- la première question". La Cour constate qu'en
sion telle que le Tribunal aurait dû répondrà la définitive,si les deux Etats avaient exprimé de
seconde question "compte tenu" de la réponse manière générale, dansle préambule du com-
apportée à lapremière, maiselles ne l'ontpasfait; promis, leur désir de parvenirà un règlementde
elles ont spécifié qu'il fallairtépondàcette se- leur différend, ils n'y avaient consenti que dans
conde question seulement "en cas de réponse les termes prévus à l'article 2 du compromis. La
négative" à la première. S'appuyant sur divers Cour conclut que, par voie de conséquence, le
élémentsdu texte du compromis, la Guinée-Bis- Tribunal n'apas méconnu manifestementsacom-
sauconsidèrecependantque leTribunalétaittenu pétence en ce qui concerne sa propre compé-
de délimiterpar une ligneunique l'ensemble des tence, enjugeant qu'il n'était pastenu de répon-
espaces maritimes relevant del'unet l'autre Etat. dre àla seconde question, sauf en casde réponse négative à la première, et que le premier moyen une irrégularitéde natureà entacher la sentence arbi-
doit êtreécarté. trale d'invalidité.La Cour conclut que le dernier grief
de la Guinée-Bissau nesaurait dès lors êtreaccueilli.
ii) La Guinée-Bissausoutientensuiteque laréponse
que leTribunaladonnéeenl'espèce à Isipremière 'V.- Observationsfinales (paragraphes 66 à 68)
questionétaitune rtiponse partiellement négative
etquecela suffisaiÈLremplirlaconditioriprescrite La Cour n'en constate pas moins que la sentence n'a
pour aborder I'exainen de la seconde question. pas abouti à une délimitationcomplète des espaces
Dèslors, et comme le démontreraitla ds5claration maritimes qui relèvent respectivement de la Guinée-
du président Barberis, le Tribunal auraià la fois ]Bissauet du SénégalM. ais elle observe que ce résultat
eu le droit et le devoir de répondre liaseconde trouve sonoriginedans larédactionretenue à l'article2
question. du compromis.
La Cour observe que la Guinée-Bissaune sau-
rait fonder son argumentation sur une rédaction La Coura par ailleurs pris note dufait que laGuinée-
(celle du président Barberis)qui en définitiven'a ]Bissaua déposéau Greffe de la Cour, le 12mars 1991,
pas étéretenue pair le Tribunal. En réalité, ce ilne seconde requêtelui demandant de dire et juger :
dernierajugé, en réponse à lapremièrequestion, "Quel doit être,sur la base du droit international
que l'Accord de 1960faisait droit dans les rela- de la mer et de tous les éléments pertinentsdeI'af-
tions entre les Parties, tout en précisanl.laportée faire, y compris la future décisionde la Cour dans
matérielledudit accord. Un telle réponsene per- l'affairerelativela 'sentence'arbitrale du 31juillet
mettait pas d'aboutirà une délimitationde I'en- 1989, le tracé(figurésur une carte) délimitantI'en-
semble des espaces maritimes des deux Etats et semble des territoires maritimes relevant respecti-
de réglerentièrement le différendexistant entre vement de la Guinée-Bissau etdu Sénégal."
eux. Elle aboutissaitàune délimitation partielle.
Mais elle n'en était pasmoins une réponsecom- IElleaégalementprisnotedeladéclarationdel'agentdu
plète et affirmativeà la première question. Dès !Sénéga dlans la présente instance selon laquelle une
lors, le Tribunal a pu, sans méconnaître:manifes- "solution serait de négocieravec le Sénégal,qui ne
tement sa compétence,juger que la réponsequ'il s'yopposepas, une frontièrede la zoneéconomique
avait donnée à la première question n'était pas exclusive ou, si un accord n'est pas possible, de
négative, et que piaï suite il n'avait pas com- porter l'affaire devant la Cour".
pétence pour répondre à la seconde. La Cour Au vude cette requête etde cette déclaration, et au
conclutqu'à cet égardégalementl'argumentation terme d'une procédurearbitralelongueet difficileet de
de la Guinée-Bissau selon laquelle la sentence la présente procéduredevant la Cour, cette dernière
dans sonensembleest frappéede nullittSdoit être estime qu'il serait éminemment souhaitable que les
écartée. t5lémentsdu différendnon régléspar la sentence arbi-
trale du 31juillet 1989puissentl'être danslesmeilleurs
2. Absence d'unecarte délais,ainsi que les deux Parties en ont exprimé le
La Guinée-Bissaurappelle enfin que, selon le para- tiésir.
graphe 2 de l'article 9di1compromis, la décisiondu
Tribunal devait "comprendre le tracéde la 1:ignefron- Résumé des déclarations etdes opinionsjointes
tière sur une carte", etqu'une telle carte n'a pas été à l'arrêdt e la Cour
établieparle Tribunal. LiaGuinée-Bissau soiitientque
cederniern'aurait enoutre pas motivésuffisammentsa 1Mclarationde M. Tarassov,juge
décisionsur ce point. La sentence devrait pour ces
derniers motifs êtreconsidéréecomme nulle dans son Au débutde sa déclaration, M. Tarassov dit qu'il a
ensemble. but de celui-ci est de régler le différendentre la Répu-
blique de Guinée-Bissauet la Républiquedu Sénégal
La Courconsidèreque la motivation du Tribunal sur c:oncernantla validitéou la nullitéde la sentence arbi-
ce point est, là encore, brève, mais suffisante pour trale du31juillet 1989,et que la Cour n'a pas examiné
écla.irerles Parties et la Cour sur les raisons qui ont -- ce quelesParties ne luiont pas demandédefaire -
guicléle Tribunal. Ce dernier a estimé que la ligne lescirconstances et lesfaits se rapportanà la détermi-
fontièrefixéeentre les deux pays par l'accord de 1960 riationmêmede la frontière maritime. Du point de vue
poirit d'intersection du prolongement de la frontière cle la procédure, il souscrità l'analyse et aux con-
terrestre et de la laisse de basse mer, représeiitéen cetc:lusionsde la Cour, qui a considéréque lesmoyens et
effet par le phare du Cap Roxo. Ne répondarit pas àla les argumentsavancés par la Guinée-Bissau pourcon-
seconde question, il n'a euà fixeraucune autre ligne. tester l'existence ou la validitéde la sentence ne sont
Dèslors, illui est apparu :inutilede fairete:rsur une pas convaincants.

ultimes caractéristiques.tous etdont ilavaitpréciséles Il observe ensuite que la sentence contient quelques
lacunes graves, qui appellent un certain nombre de
Compte tenu de la rédaction des articles 2 et 9 du sdrieusescritiques. A son avis, le Tribunalarbitral ne
compromiset despositions prises parlesPartiesdevant s,'estpas acquittéde la principale tâche que luiavaient
le Tribunal, la Cour remarque qu'on pourraii:discuter c:onfiéeles Parties, dans la mesure où il n'a pas été
de liaquestion de savoirsi,en l'absence deréponse àla cléfinitivementregléledifférendconcernant ladélimita-
secondequestion, le Tribiinalétait dansl'obligationde tion de tous les territoires maritimes adjacents de cha-
dresser la carte prévue au compromis. Mai!;la Cour cun des deux Etats. Le Tribunal aurait dû faire con-
n'estime pas nécessaire d'entrer dansun tel débat. En naîtreauxParties sa décisionquant aux deuxquestions
effet, et en tout état de cause, l'absence de carte ne posées àl'article 2 du compromis, et l'affirmation du
saurait constituer dans les circonstances de l'espèce Tribunal, au paragraphe 87de la sentence, qu'il n'avait
2pas à répondre à la seconde question en raison "du quate des prémisses de leur négociation, àla lumière,
libellédel'articleducompromis d'arbitrage" ne suffit eriparticulier,des liensréciproquesqu'entretiennent la
pas à fonder la décisionprise sur une question aussi zone économiqueexclusive et le plateau continental.
importante. M. Oda, vice-président,se demande en outre si I'in-
Le Tribunal n'a pas dit non plus si la ligne droite troduction de la présente instancedevant la Cour avait
orientée à340"que vise l'accord de 1960pouvait ou non une réelle signification, puisque les positionsdes Par-
êtreutiliséepourladélimitationdelazoneéconomique. ties par rapport l'objet principaldeleur différen- à
De l'avis de M. Tarassov, toutes ces omissions, ainsi sa.voir,ladélimitationdela zone économiqueexclusive
que le refus du Tribunal de joindre une carte (con- relevant de chacun d'eux - n'auraient pas étéaffec-
trairement aux dispositions de l'article 9 du compro- tées,mêmesi la Cour avait déclaréla sentence inexis-
mis), n'ont pas aidé à régler l'ensembledu différend tante ou nulle. La divergenceà laquelle les deux Etats
entre les Parties et ont simplement ouvert la voià la devraient maintenantfaire face est celle portant sur la
nouvelle requête quela Guinée-Bissaua soumise à la délimitationdeces zones, alors qu'ilest defait qu'a été
Cour. confirméel'existence d'une ligne loxodromique orien-
téeà 240"pour leplateaucontinental.Enconséquence,
Déclarationde M. Mhaye, juge ad hoc et sans préjudicede l'interprétation dela nouvellere-
Dans sa déclaration M. Mbaye a émisde sérieux quiêtesoumise à la Cour, l'auteur de l'opinionobserve,
doutes quant à la compétence de la Cour à connaître pour conclure, que les deux Etats doivent se fonder,
d'une demande en contestation de Eavaliditéd'une dans toute négociationfuture, sur l'une ou l'autre de
sentence arbitrale sur la seule base des dispositions de deux possibilités: soit que des régimesdistincts puis-
l'Article 36, paragraphe 2. de son Statut. C'est pour- sent coexister pour le plateau continental et la zone
quoi il s'est félicité quela Cour, prenant acte de la économiqueexclusive, soit qu'ilsdésirentarriver àune
position des Parties, n'ait considérésa compétence seule lignefrontière pour les deux Etats; mais. dans ce
comme établieque comptetenu des "circonstances de dernier cas, une négociationn'est concevable qu'en
l'espèce", évitantainsi de se lier pour l'avenir. supposantque lalignequia maintenant été fixéepour le
plateau continental puisse êtremodifiée ouajustée.
Opinion individuellede M. Oda, vice-président
Dans son opinion individuelle, M. Oda, vice-
président, soutient que les conclusions de la Guinée- Opinion individuellede M. Laclzs,juge
Bissau auraient pu êtrerejetéespour des raisons beau- M. Lachs, dans son opinion individuelle, souligne
coup plus simplesque celles qu'a exposéeslonguement que, sanss'érigerencoursd'appel, iln'étaitpas interdit
la Cour dans son arrêt.En premier lieu, la thèsede la à laCourd'examiner l'ensemble du processus suivipar
Guinée-Bissau selon laquellela sentence était inexis- le'Tribunalarbitraldans sesdélibérations,qui avait été
tante dufaitque leprésidentduTribunala, par sadécla- marquéde sérieuses carences. La déclaration du pré-
ration, "exprimé une opinion en contradiction avec sidentduTribunalarbitralconstituait ungravedilemme
celle apparemment votée" ne pouvait être accueillie, et un défi.M. Lachs estime que le libelléde la réponse
étant donné quela déclarationcorroborait simplement soulevait degravesobjections. Elleétaitnon seulement
ladécisionayant fait l'objetd'un voteau paragraphe 88 trop brève mais insuffisante. L'absence de carte ne
de la sentence et que toute divergence de vues que constituait pas une "irrégularitédenatureàentacher la
cette déclaration pouvait révélerne concernait que le seiitence arbitrale d'invalidité", mais la courtoisie la
paragraphe 87. En second lieu, la thèse de la Guinée- plus élémentaireexigeait que la question fût traitée
Bissau selonlaquellela sentenceétaitnulle, leTribunal différemment.M. Lachs regrette que le Tribunal n'ait
n'ayant pas répondu à la premièrequestion qui luiétait pas,réussià parvenir à une décisionassez solide pour
posée etn'ayant ni délimité l'ensemble des territoires forcer le respect.
maritimes ni tracéune ligne unique sur une carte, ne
faisait que refléterle fait que le compromisd'arbitrage Opinion individuellede M. Ni, juge
n'avaitpas étéconçu endestermes jugéspar laGuinée- Dans son opinionindividuelle, M. Ni observe quede
Bissau conformes à son intérêt. La thèsene pouvait ma,nièregénéraleil est d'accord avec l'argumentation
être accueillie,étant donnéque leTribunal avaitdonné de l'arrêtmais il considère qu'à certains égards elle
une réponsepleinement affirmative àla premièreques- aurait dû être développéeA . son avis la questionde la
tion quiluiétait posée,commele montrait le fait même zoneéconomiqueexclusiveétaitendehors del'objet de
que le Président Barberis avait dû modifier cette ré- l'arbitrageet ladéclarationqueM. Barberis ajointe àla
ponse pour laisser entendre qu'elle pouvait êtrecon- seritence ne pouvait l'emporter sur le vote qu'il avait
sidéréecomme étantpartiellement négative. Par con-
séquent, il n'était pas nécessaire de répondre à la émisenfaveur de la sentence ni annulerce vote. M. Ni
seconde question. estimequ'une réponsede lapart du Tribunal arbitral à
la seconde question de l'article 2, paragraphe 2, du
L'auteur de l'opinionanalyseensuitelesantécédents coinpromis d'arbitrage n'aurait étéobligatoire qu'au
du différendetl'élaborationdu compromisd'arbitrage, cas où la première question aurait fait l'objet d'une
en indiquant que les deux Etats avaient eu des raisons réponsenégative.C'est cequiest clairement ditdans le
opposéesdemettreen relieflaquestion dela validitéde compromis et confirmé en outre par les négociations
l'accord de 1960,bien que chacun d'eux avait en vue qui ont précédésa conclusion. La première question
une délimitationde sa zoneéconomiqueexclusiveres- ayant reçu une réponse affirmative, aucune délimita-
pective, ainsi que des autres espaces maritimes des tion ex novo, par une ligneunique, de tous les espaces
deux pays. Mais le compromisd'arbitrage n'avait ce- maritimes ne devait êtreeffectuée, il n'y avait pas à
pendant pas été rédigéde façon à garantirquecerésul- tracer de nouvelle ligne frontièrèet. par conséquent,
tat serait atteint, déficiencequ'on ne peut reprocher au aucune carte ne pouvait êtrejointe. Tous ces points
Tribunal.C'était plutôtlesreprésentantsdesdeuxpays soritliésentre eux et la motivation de la sentence doit
qui n'avaient pas manifestéune compréhension adé- s'apprécier dansson ensemble. Opinion individuellede iM.Shahabuddeen de M. Barberis, president du Tribunal arbitral, et de
l'opiniondissidente de M. Bedjaoui, arbitre.
ilans son opinion indlividuelle,M. ~ha)~~b~dd~~~
observe, sur le point capital de savoir si le Tribunal Pourlesauteurs del'opiniondissidentecommune.la
aurait dû répondreà la seconde question qui lui dtait Cour ne sidgeantni en appel ni en cassation a l'obliga-
posée dansle compromisd'arbitrage, que 1:iCour re- tion de se montrer exigeante vis-à-vis des sentences
connaît la validitk de la sentence au motif que le Tri-arbitrales dont elle peut avoià connaître. En effet
bunal,ensedisant noncompétentpourrdpondre àcette relèvedelamissiondel'organejudiciaire principaldela
que:stion,avait interprete le compromis de l'une des communautd internationale la garantie du respect du
manièresdont ilétaitpossiblede lefairesans qu'ilyait droit des parties et d'une qualité d'argumentation-
méconnaissancemanifestede sa compktence. IIa note monstrative de la part des autres tribunaux internatio-
que:la Cour ne s'est pasprononcee ensuite sur lajus- naux. Les membres de la communauté internationale
tesse de l'interprktationdu Tribunal sur ce point. Celaonten effetledroit de bénkficierd'une bonneadminis-
est dû au fait que la Cour, se fondant sur la distinctitration de lajustice internationale.
entre recours en nullit6 et appel, dtait d'avis qu'elleOpiniondissidente de M. Weeramantv, juge
outrepasserait sinon son1mandat. M. Shah.abuddeen Dans son opinion dissidente, M: Weeramantry se
conisidère,en premier lieu, que cette distinci:ionn'em-declare pleinement d'accord avec la (2ourPour rejeter
pêchaitpas la Cour de se:prononcer sur lajiistesse de lesconclusionsdelaGuinée-Bissau,selonlesquellesla
ce faisant ]a Cour tienni?compte des considdrations sentence est inexistante, et les thèsesdu Sénégatlou-
relativeà la sécuritkdes procédures d'arbitrage quant chant au défautde compktence et à l'abus de pro-
au caractèredéfinitifdes sentences; et, en secondlieu, ckdure.
que l'interprétation du'Tribunalétait enfait I'inter-
prét.ation correcte. Toutefoisilne s'associepas àla majoritkde laCour,
en ce qui concerne l'interprétationde la sentence et la
questionde la nullitéde celle-ci.Touten reconnaissant
Opiniondissidente communede MM. Aguilar Mawd- qu'ilest important de prkservei I'intégrdes Senten-
sley et Ranjeva,juges ces arbitrales, il souligne qu'iln'est pas moins impor-
MM.Agui1arMawdsleyet Ranjevaont ex:primk une tant degarantirlaconformitéde lasentence auxtermes
opinioncommuneaxkep1:incipalementsurUriecritique du compromis. Let compromis, le principe de laiste
épistémologique de la d6:marchedu Tribunailarbitral. entre
Le problèmede la nullitélvaliditdvoire de I'invaliditd petenc ne protègepas la
d'une sentence arbitraleie saurait, en effet, se réduire De l'avis de M. Weeramantry, la sentence en ques-
àulnexamen fondéexcliisivement sur les b;asesaxio- tion s'kcartait substantiellement des termes du com-
matiquesdu droit. L'autaaitdde lachosejugéedont est promis en ce qu'elle ne répondaitpas à la seconde
revêtuetoute decision de:justice assure pleillementsa questionetlaissaitlatâcheduTribunalincomplètepour
fonction lorsqu'ellerecue:illel'adhksionde laconvictio l'essentiel,puisqu'ellenefixaitpasleslignesdélimitant
juris. lazonekconomiqueexclusiveetlazonedepêche.Sion
Se limitantaux attributions de la Cour en matièrede interprdtaitle compromisà la lumièrede son contexte,
contrôledes sentencesarbitralesdevenues dlEfinitives, ,de objets et de sesbuts, onnepourrait que conclure
MM. Aguilar MawdsleYet Ranjeva s'abstid~nnentde que ce sur quoi on avait demandéau Tribunal de se
substituer leurs motifset leur interprdtatiàceux du prononcerétaitune seulequestionconcernant Iqensem-
Tribunalarbitral; ilsreprochent cependantàce dernier blede lafrontière Dece fait le Tribunal était
sa inéthode,que la Cour d'ailleurs reconnaît comme tenude rkpondre à la seconde question, sous peine de
critiquable. Comment, eii effet,justifier le fait qu'au-ne pas accomplir sa tâche. Le Tribunal par
cuneexplicationn'estfourniepar lajuridictioi~arbitrale ,conskquentpas ledroit dedéciderde nepas répondre à
à l'absence de delimitation complètedecoulitnt, d'une question, et la décision a priseà cet
part, d'une réponseaffirmative àla première:question ,effetconstituait un excèsde pouvoirqui la
et, d'autre part, de la dkcision de refus de rkponàe nuIlitede lasentence.
sa seconde question ? L.es auteurs de l'opinion dis- En outre, les liens naturellement réciproquesexis-
side:ntecommune considèrent, contrairemeiit àl'avis 'tantentre leslignesfrontièresétabliesparlasentenceet
de ]a Cour, que le Tribunal arbitral, en s9abr;tenantde ,cellesqu'elle a iaissk en suspens sont susceptibles de
fou:rnirunerkponse à lasecondequestion, acommisun lcauserun grave prkjudiceà la Guinée-Bissaulorsque
excèsde pouvoir infrapetira ou par omission, hypo- ,serontulterieurement dkterminkesles zonesrestantes,
thè:jerarissimedanslajurisprudence internatiionale.Le 'etce tant que les lignes frontalières de la mer ter-
Tribunalauraitdûtenirsiinultanementcompt,?destrois :ritoiaie, de la zone contiguë et du plateau continental
éléments constitutifsdu compromis - lalettre, l'objet 'demeurerontfixkes par la sentence. 11s'ensuit quela
et le but de ]'accor- pour interprkter ce compromis :nullit6aurait dû S'appiiq~erégaiementaux décisions
lorsqu'ilprocédaità la restructurationdu differend.Le :pises relativemenà la premièrequestion.
IXCOUr àS l'arg~mentati~npar la CO~C~US~O~~logique, iC)piniondissidente de M. Thierry,juge ad hoc
conime technique de motivation du rejet, d'une part,
d'ulle requêtetendant à faire constater un droit et, M. Thierry, juge ad hoc, expose les pour
part, de la d9ktablissemc:nt Ilesquellesil ne lui est pas possible de s'assocàela
est auxyeux de MM. AguilarMawdslc:y et Ran- ~jkcisionde la Cour. Son dissentiment porte essen-
jeva constitutif de pouvoir, car la ltiellementsur les conséquencesjuridiques du fait, re-
logiquen'est concevable quesilesrelationsclecause à connupar laCour,que lasentencearbitrale du3 1juillet
effet entre les deux propositions ont un caractèreink- 1989
luctable, ce qui n'est m~lnifestementpas le cas dans "n'a pas abouti à une délimitationcomplète des
la sentence attaquke, compte tenu de la dtJclaration espaces maritimes quirelèvent respectivementde la

281 Guinée-Bissauet du Sénégal"(par. 66de l'arrêtde la tive, mais. en s'appuyant sur les termes "en cas de
Cour). réponsenégative à la première question". par laquelle
Selon l'opinion de M. Thierry, le Tribunal arbitral, la secondequestion débute,leTribunal a implicitement
constituéenvertuducompromisd'arbitrage du 12mars dkcidéde ne pas répondre à cette seconde question
1985.n'a pas régléle différend relatif àla détermina- relative au tracédelalignefrontière. laissant ainsi sans
tion de lafrontièremaritime entre lesdeux Etats, quilui solution la partie essentielle du différend.y compris la
était soumis. dklimitation de la zone économique exclusive.
M. Thierry estime qu'il appartenait au Tribunal d'in-
Selon les dispositions du préambule etdes articles2, terpréter l'articleà la lumièrede l'objet et du but du
paragraphe 2. et 9 de ce compromis, le Tribunal était compromis, conformément aux règles du droit inter-
appelé à déterminer la "frontière maritime" entre les na.tiona1applicablesà l'interprétation des traités,et de
deux Etats par une "ligne frontière" dont le tracéde- répondreen conséquence à laseconde question dèslors
vait figurer sur une carte comprise dans la sentence. que la réponse àlapremière ne suffisaitpas àassurer le
Faute d'avoir accompli ces tâches, le Tribunal arbi-. règlementdu différendquiétaitsatâche prioritaire etsa
tral a manqué à sa mission juridictionnelle. Cette ca- raison d'être.
rence aurait dû conduire la Cour à déclarer nulle la
sentence du 31juillet 1989. M.Thierry s'associe enrevanche auxconsidérations
formuléesdans les paragraphes 66 à68 de l'arrêtde la
Selon M. Thierry, le manquement du Tribunal à sa Cour en vue du règlement "des élémentsdu différend
mission ne pouvait pas êtrejustifié par les termes de non régléspar la sentence arbitrale du31juillet 1989".
I'article, paragraphe 2. du compromis. Cette disposi- IIs'agità sonavis,d'assurer ladétermination équitable
tion formule deux questions poséesau Tribunalpar les de la frontière maritime entre les deux Etats confor-
Parties.La première portant sur I'applicabilitéde l'ac- mément aux principes et aux normes du droit inter-
cord franco-portugais de 1960a reçu une réponseposi- na.tiona1.

Document file FR
Document
Document Long Title

Résumé de l'arrêt du 12 novembre 1991

Links