Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal)
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Le 23 août 1989, la Guinée-Bissau a introduit une instance contre le Sénégal, sur la base des déclarations faites par les deux Etats conformément à l’article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour. La Guinée-Bissau a expliqué que, malgré les négociations qu’ils avaient menées depuis 1977, les deux Etats n’avaient pas pu parvenir au règlement d’un différend concernant la délimitation maritime à effectuer entre eux et qu’ils étaient donc convenus, par un compromis d’arbitrage daté du 12 mars 1985, de soumettre ce différend à un tribunal arbitral composé de trois membres. Elle a indiqué que, aux termes de l’article 2 dudit compromis, il avait été demandé au Tribunal de statuer sur la double question suivante :
« 1. L’accord conclu par un échange de lettres [entre la France et le Portugal] le 26 avril 1960, et relatif à la frontière en mer, fait-il droit dans les relations entre la République de Guinée-Bissau et la République du Sénégal ?
2. En cas de réponse négative à la première question, quel est le tracé de la ligne délimitant les territoires maritimes qui relèvent respectivement de la République de Guinée-Bissau et de la République du Sénégal ? »
La Guinée-Bissau a également fait valoir qu’il avait été précisé à l’article 9 du compromis que le Tribunal ferait connaître aux deux gouvernements sa décision quant aux questions énoncées à l’article 2 et que cette décision devrait comprendre le tracé de la ligne frontière sur une carte. Selon la requête, le Tribunal aurait, le 31 juillet 1989, communiqué aux Parties un « texte supposé tenir lieu de sentence » mais qui n’en constituait pas une en fait. La Guinée-Bissau a fait valoir que la sentence serait frappée d’inexistence, la majorité de deux arbitres (contre un) ayant voté en faveur du texte n’étant qu’apparente au motif que l’un des deux arbitres — en l’occurrence le président du Tribunal — aurait, par une déclaration annexe, « exprimé une opinion en contradiction avec celle apparemment votée ». A titre subsidiaire, la Guinée-Bissau a soutenu que ladite sentence serait frappée de nullité, le Tribunal n’ayant pas, à plusieurs titres (voir ci-après), accompli la tâche qui lui avait été assignée par le compromis. Par une ordonnance du 12 février 1990, la Cour a rejeté une demande en indication de mesures conservatoires présentée par la Guinée-Bissau.
La Cour a rendu son arrêt le 12 novembre 1991. Elle a d’abord examiné la question de sa compétence, et constaté notamment que la déclaration de la Guinée-Bissau ne contenait pas de réserves, mais que celle du Sénégal, qui remplaçait une déclaration antérieure du 3 mai 1985, précisait notamment qu’elle était applicable seulement à « tous les différends d’ordre juridique nés postérieurement à la présente déclaration… ». Les Parties ayant reconnu que seul le différend qui concernait la sentence rendue par le Tribunal (né postérieurement à la déclaration du Sénégal) faisait l’objet de la présente instance et que celle-ci ne devait pas être considérée comme un appel de la sentence ou comme une demande en revision de celle-ci, la Cour a considéré sa compétence comme établie. Ensuite, la Cour a rejeté entre autres la thèse du Sénégal selon laquelle la requête de la Guinée-Bissau ou les moyens qu’elle faisait valoir à l’appui de celle-ci équivaudraient à un abus de procédure. En ce qui concerne l’argument de la Guinée-Bissau selon lequel la sentence serait inexistante, la Cour a estimé que l’opinion exprimée par le président du Tribunal dans sa déclaration constituait seulement une indication de ce qui, à son avis, aurait été une meilleure façon de procéder. Sa position ne pouvait donc pas être considérée comme étant en contradiction avec celle adoptée dans la sentence. Par suite, la Cour a rejeté la thèse de la Guinée-Bissau selon laquelle la sentence était frappée d’inexistence pour défaut de majorité véritable.
La Cour a ensuite examiné la question de la nullité de la sentence, la Guinée- Bissau ayant observé que le Tribunal n’avait pas répondu à la seconde question posée à l’article 2 du compromis d’arbitrage et n’avait pas joint à la sentence la carte prévue à l’article 9 du compromis. Selon la Guinée-Bissau, cette double omission constituerait un excès de pouvoir. Par ailleurs, aucune motivation n’aurait été donnée à cet égard par le Tribunal. En ce qui concerne l’absence de réponse à la seconde question, la Cour a reconnu que la sentence était construite d’une manière qui pourrait donner prise à la critique ; mais a conclu que la sentence n’était entachée d’aucune omission de statuer. La Cour a ensuite remarqué que la motivation y relative du Tribunal à cet égard, bien que ramassée, était claire et précise, et a conclu que le deuxième argument de la Guinée-Bissau devait lui aussi être écarté. S’agissant de la valeur du raisonnement du Tribunal sur la question de savoir s’il était tenu de répondre à la seconde question, la Cour a rappelé qu’un tribunal international est normalement juge de sa propre compétence et a le pouvoir d’interpréter à cet effet les actes qui gouvernent celle-ci. Elle a constaté que la Guinée-Bissau critiquait en réalité l’interprétation donnée dans la sentence des dispositions du compromis qui déterminent la compétence du Tribunal, et en a proposé une autre. A la suite d’un examen minutieux de l’article 2 du compromis, elle a conclu que le Tribunal n’avait pas méconnu manifestement sa compétence en ce qui concerne sa propre compétence, en jugeant qu’il n’était pas tenu de répondre à la question, sauf en cas de réponse négative à la première. Concernant ensuite l’argument de la Guinée-Bissau selon lequel la réponse que le Tribunal avait donnée à la première question était une réponse partiellement négative et que cela suffisait à remplir la condition prescrite pour aborder l’examen de la seconde question, la Cour a constaté que la réponse donnée aboutissait à une délimitation partielle, et que, dès lors, le Tribunal avait pu, sans méconnaître manifestement sa compétence, juger que la réponse qu’il avait donnée à la première question n’était pas négative. La Cour a conclu qu’à cet égard également l’argumentation de la Guinée-Bissau selon laquelle la sentence dans son ensemble était frappée de nullité devait être écartée. Elle a par ailleurs considéré que l’absence de carte ne saurait constituer en l’espèce une irrégularité de nature à entacher la sentence arbitrale d’invalidité.
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.