Audience publique de la Chambre tenue le mercredi 1 mai 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre

Document Number
075-19910501-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1991/11
Date of the Document
Bilingual Document File
Bilingual Content

C 4/CR 91/11
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LA HAYE THE HAGUE
YEAR 1991
Public sitting of the Chamber
held on Wednesday 1 May 1991, at 10 a.m., at the Peace Palace,
Judge Sette-Camara, President of the Chamber, presiding
in the case concerning the Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening)

VERBATIM RECORD

ANNEE l991
Audience publique de la Chambre
tenue le mercredi 1 mai 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre
en l'affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant))

COMPTE RENDU

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Present:
Judge Sette-Camara, President of the Chamber
Judges Sir Robert Jennings, President of the Court
Oda, Vice-President of the Court
Judges ad hoc Valticos
Torres Bernárdez
Registrar Valencia-Ospina

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Présents :
M. Sette-Camara, président de la Chambre
Sir Robert Jennings, Président de la Cour
M. Oda, Vice-Président de la Cour, juges
M. Valticos
M. Torres Bernárdez, juges ad hoc
M. Valencia-Ospina, Greffier

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The Government of El Salvador is represented by:
Dr. Alfredo Martínez Moreno,
as Agent and Counsel;
H. E. Mr. Roberto Arturo Castrillo, Ambassador,
as Co-Agent;
and
H. E. Dr. José Manuel Pacas Castro, Minister for Foreign Relations,
as Counsel and Advocate.
Lic. Berta Celina Quinteros, Director General of the Boundaries'
Office,
as Counsel;
Assisted by
Prof. Dr. Eduardo Jiménez de Aréchaga, Professor of Public
International Law at the University of Uruguay, former Judge and
President of the International Court of Justice; former President
and Member of the International Law Commission,
Mr. Keith Highet, Adjunct Professor of International Law at The
Fletcher School of Law and Diplomacy and Member of the Bars of
New York and the District of Columbia,
Mr. Elihu Lauterpacht C.B.E., Q.C., Director of the Research Centre
for International Law, University of Cambridge, Fellow of Trinity
College, Cambridge,
Prof. Prosper Weil, Professor Emeritus at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Dr. Francisco Roberto Lima, Professor of Constitutional and
Administrative Law; former Vice-President of the Republic and
former Ambassador to the United States of America.
Dr. David Escobar Galindo, Professor of Law, Vice-Rector of the
University "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador)
as Counsel and Advocates;
and
Dr. Francisco José Chavarría,
Lic. Santiago Elías Castro,
Lic. Solange Langer,
Lic. Ana María de Martínez,
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Le Gouvernement d'El Salavador est représenté par :
S. Exc. M. Alfredo Martínez Moreno
comme agent et conseil;
S. Exc. M. Roberto Arturo Castrillo, Ambassadeur,
comme coagent;
S. Exc. M. José Manuel Pacas Castro, ministre des affaires
étrangères,
comme conseil et avocat;
Mme Berta Celina Quinteros, directeur général du Bureau des
frontières,
comme conseil;
assistés de :
M. Eduardo Jiménez de Aréchaga, professeur de droit international
public à l'Université de l'Uruguay, ancien juge et ancien
Président de la Cour internationale de Justice; ancien président
et ancien membre de la Commission du droit international,
M. Keith Highet, professeur adjoint de droit international à la
Fletcher School de droit et diplomatie et membre des barreaux de
New York et du District de Columbia,
M. Elihu Lauterpacht, C.B.E., Q.C., directeur du centre de recherche
en droit international, Université de Cambridge, Fellow de Trinity
College, Cambridge,
M. Prosper Weil, professeur émérite à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Francisco Roberto Lima, professeur de droit constitutionnel et
administratif; ancien vice-président de la République et ancien
ambassadeur aux Etats-Unis d'Amérique,
M. David Escobar Galindo, professeur de droit, vice-recteur de
l'Université "Dr. José Matías Delgado" (El Salvador),
comme conseils et avocats;
ainsi que :
M. Francisco José Chavarría,
M. Santiago Elías Castro,
Mme Solange Langer,
Mme Ana María de Martínez,
- 6 -
Mr. Anthony J. Oakley,
Lic. Ana Elizabeth Villata,
as Counsellors.
The Government of Honduras is represented by:
H.E. Mr. R. Valladares Soto, Ambassador of Honduras to the
Netherlands,
as Agent;
H.E. Mr. Pedro Pineda Madrid, Chairman of the Sovereignty and
Frontier Commission,
as Co-Agent;
Mr. Daniel Bardonnet, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Derek W. Bowett, Whewell Professor of International Law,
University of Cambridge,
Mr. René-Jean Dupuy, Professor at the Collège de France,
Mr. Pierre-Marie Dupuy, Professor at the Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
Mr. Julio González Campos, Professor of International Law,
Universidad Autónoma de Madrid,
Mr. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, Professor of International Law,
Universidad Complutense de Madrid,
Mr. Alejandro Nieto, Professor of Public Law, Universidad
Complutense de Madrid,
Mr. Paul De Visscher, Professor Emeritus at the Université de
Louvain,
as Advocates and Counsel;
H.E. Mr. Max Velásquez, Ambassador of Honduras to the United Kingdom,
Mr. Arnulfo Pineda López, Secretary-General of the Sovereignty and
Frontier Commission,
Mr. Arias de Saavedra y Muguelar, Minister, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
Mr. Gerardo Martínez Blanco, Director of Documentation, Sovereignty
and Frontier Commission,
Mrs. Salomé Castellanos, Minister-Counsellor, Embassy of Honduras to
the Netherlands,
- 7 -
M. Anthony J. Oakley,
Mme Ana Elizabeth Villata,
comme conseillers.
Le Gouvernement du Honduras est représenté par :
S. Exc. M. R. Valladares Soto, ambassadeur du Honduras à La Haye,
comme agent;
S. Exc. M. Pedro Pineda Madrid, président de la Commission de
Souveraineté et des frontières,
comme coagent;
M. Daniel Bardonnet, professeur à l'Université de droit, d'économie
et de sciences sociales de Paris,
M. Derek W. Bowett, professeur de droit international à l'Université
de Cambridge, Chaire Whewell,
M. René-Jean Dupuy, professeur au Collège de France,
M. Pierre-Marie Dupuy, professeur à l'Université de droit,
d'économie et de sciences sociales de Paris,
M. Julio González Campos, professeur de droit international à
l'Université autonome de Madrid,
M. Luis Ignacio Sánchez Rodríguez, professeur de droit international
à l'Université Complutense de Madrid,
M. Alejandro Nieto, professeur de droit public à l'Université
Complutense de Madrid,
M. Paul de Visscher, professeur émérite à l'Université catholique de
Louvain,
comme avocats-conseils;
S. Exc. M. Max Velásquez, ambassadeur du Honduras à Londres,
M. Arnulfo Pineda López, secrétaire général de la Commission de
Souveraineté et de frontières,
M. Arias de Saavedra y Muguelar, ministre de l'ambassade du Honduras
à La Haye,
M. Gerardo Martínez Blanco, directeur de documentation de la
Commission de Souveraineté et de frontières,
Mme Salomé Castellanos, ministre-conseiller de l'ambassade du
Honduras à La Haye,
- 8 -
Mr. Richard Meese, Legal Advisor, Partner in Frère Cholmeley, Paris,
as Counsel;
Mr. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mrs. Olmeda Rivera,
Mr. Raul Andino,
Mr. Miguel Tosta Appel
Mr. Mario Felipe Martínez,
Mrs. Lourdes Corrales,
as Members of the Sovereignty and Frontier Commission.
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M. Richard Meese, conseil juridique, associé du cabinet Frère
Cholmeley, Paris,
comme conseils;
M. Guillermo Bustillo Lacayo,
Mme Olmeda Rivera,
M. Raul Andino,
M. Miguel Tosta Appel,
M. Mario Felipe Martínez,
Mme Lourdes Corrales,
comme membres de la Commission de Souveraineté et des frontières.
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The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. We begin today hearings on the
second of the disputed sectors, the one that extends from la Peña de Cayaguanca on the west to the
confluence of the Chiquita or Oscura stream with the Sumpul river. According to the agreement, the
delegation of Honduras is going to speak first, and I give the floor to Professor Sánchez Rodriguez.
M. SANCHEZ RODRIGUEZ :
CAYAGUANCA
Monsieur le Président, Messieurs les Juges, permettez-moi de vous dire à nouveau combien je
suis satisfait de m'adresser à vous pour vous expliquer la position du Gouvernement du Honduras en
ce qui concerne, cette fois-ci, le secteur litigieux de Cayaguanca. Pour ce faire, j'exposerai les
éléments de concordance et de discordance entre les Parties tels que je les vois dans leurs arguments
et leurs positions exactes, naturellement de manière synthétique. Afin de respecter un rite scénique
des plus classiques, je diviserai mon intervention en trois parties clairement différenciées : dans la
première - l'exposition - je me permettrai de vous rappeler les grandes lignes dialectiques des
arguments qui ont été développés par les Parties dans leurs écrits successifs; dans la deuxième - le
noeud - je m'efforcerai d'analyser les thèses juridiques en présence; enfin, dans la dernière partie - le
dénouement - je traiterai des prétentions et des conclusions du Gouvernement du Honduras en ce qui
concerne le secteur de Cayaguanca.
1. En manière d'introduction, je commencerai par une description géographique de la zone
contestée, en soulignant certains des aspects qui, de l'avis du Gouvernement du Honduras, revêtent
une certaine importance, comme nous aurons l'occasion de le vérifier plus avant. Ce secteur a la
forme d'un triangle irrégulier dont la surface porte sur un massif montagneux accidenté, complexe,
peu peuplé, avec de petits villages dispersés et consacrés essentiellement à la culture du maïs. Ce
massif est couronné par le Cerro El Pital (2730 mètres) et il ne fait pas de doute qu'il a été connu
dans son ensemble sous le nom de mont ou montagne de Cayaguanca depuis l'époque préhispanique;
c'est ce qui ressort des dénominations homogènes portées par de multiples localités sur son versant
- 11 -
ouest (poblado de Cayaguanca dans la partie, de nos jours, hondurienne; poblado de Cayaguanca
dans la partie, de nos jours, salvadorienne; Cerro Cayaguanca et Peña de Cayaguanca). Cette
communauté de dénominations, qui s'est maintenue jusqu'à nos jours, montre que le nom de
Cayaguanca a été celui employé traditionnellement, aussi bien avant la présence espagnole, que
pendant la domination coloniale espagnole ou à l'heure actuelle.
L'affirmation que nous venons de faire peut se vérifier dans la terminologie utilisée dans la
documentation coloniale, dans la littérature historique du siècle passé et jusque dans les écrits soumis
successivement par la République d'El Salvador à cette Chambre de la Cour. En effet, comme nous
le verrons, la procédure de 1742 fait allusion, à côté de Citalá et Ocotepeque, à la "montaña de
Cayaguanca"; Bustamante établissait en 1890 une distinction entre le "rocher" et la "montagne" de
Cayaguanca, distinction que l'on retrouve en termes similaires dans l'ouvrage de Barberena en 1892;
et les écrits salvadoriens se réfèrent à cette zone sous le nom de "Las Pilas ou Cayaguanca". Il est
donc légitime de conclure que le secteur litigieux a toujours été connu sous l'appellation de zone ou
montagne de Cayaguanca, et que les références documentaires ou les actes de procédure judiciaire
ont toujours porté sur un ensemble précis et bien connu de leurs auteurs.
Il n'en est que plus étonnant de voir la tendance de la part d'El Salvador à désigner le secteur
en question sous la dénomination de "Las Pilas", une dénomination qui correspond à un ravin et à un
petit village, fondé au demeurant à l'époque républicaine, et qui, l'un et l'autre, se trouvent situés
dans un recoin de la partie orientale du secteur en litige. Aussi sollicitons-nous respectueusement de
la Chambre de la Cour qu'elle veuille bien prendre note de cette donnée, une donnée qui n'est ni
neutre ni hors de propos comme il pourrait paraître à première vue car, comme nous essaierons de le
démontrer par la suite, la dénomination de "Las Pilas" sert un objectif tactique précis : réduire
l'importance de la procédure de 1742 et de l'uti possidetis juris, de manière à mettre en relief et à
souligner la valeur du titre républicain du Dulce Nombre de La Palma et des prétendues effectivités.
En conséquence, cette dénomination préjuge d'une certaine manière le fondement du titre juridique,
raison pour laquelle j'estime utile d'attirer votre attention sur ce point. En effet la seule chose de sûre
c'est que jamais "Las Pilas", ni avant la date critique de 1821 ni à l'heure actuelle, n'a donné son nom
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à aucun secteur connu.
2. Les premières références à Cayaguanca en tant que secteur litigieux ne sont pas de
"dernière heure", comme on paraît le prétendre, mais remontent aux négociations de 1884 et figurent
très tôt dans les articles 20 et 21 de la convention non ratifiée de 1884 (voir MH, annexes III.1.51
et 54, p. 169 à 183). Elles se sont poursuivies pendant les négociations d'Antigua (Guatemala)
en 1972 (voir MH, annexe IV.1.22 a, p. 579), et ont été maintenues pendant les négociations de la
période 1980-1985, au cours desquelles le Honduras en est même arrivé à présenter des propositions
conciliatoires dans un esprit de composition (voir MH, annexes V.1.22 et 27, p. 915 et 980). Ainsi
donc, les Parties soutiennent des prétentions contradictoires à propos de ce secteur depuis déjà plus
d'un siècle. A noter que tout au long de cette longue période, les prétentions d'El Salvador, à divers
moments, se sont accrues en ce qui concerne le territoire revendiqué (voir MH, carte B.6.4, p. 344),
tandis que la position hondurienne a toujours été souple, ouverte et conciliatrice.
3. Pour ce qui est du Honduras, le fondement juridique de sa prétention au sujet du secteur de
Cayaguanca a toujours été le même : l'application de l'uti possidetis juris de 1821, surtout à partir
des actes de procédure judiciaire intervenus en 1742.
Ce titre qui présente des rapports évidents avec celui de Tepanguisir à l'ouest - sans pour autant se
confondre avec lui - trouve son origine en 1579 dans un titre de terres établi en faveur de la
communauté indigène de Ocotepeque, est maintenu dans les interventions de 1702, qui ont vu
démolir les bornes érigées en 1579, et trouve son parachèvement dans les interventions de Pedro
Díaz del Castillo en 1740 à la demande de Citalá. Par la suite, en 1741, à la demande cette fois-ci de
Ocotepeque, il est procédé à un arpentage des terres de Jupula confié à un juge de la province de
Gracias a Dios (Honduras).
Il n'est pas dans notre intention de reprendre à ce stade l'analyse de la procédure qui a donné
naissance au titre de terres de 1742, car elle a été exposée et amplement débattue par les Parties dans
les écrits successifs et est par conséquent parfaitement connue des Juges de cette Chambre de la
Cour. Aussi croyons-nous seulement utile de faire ressortir certains faits essentiels :
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- primo, dans ces actes de procédure les terres de Jupula sont attribuées au village de Citalá;
- secundo, les deux juges agissent au nom et par délégation du Juge foncier (Juez de Tierras)
de Guatemala et dans leurs ressorts respectifs, à savoir pour l'un la province d'El Salvador et pour
l'autre la province de Gracias a Dios. Les terres attribuées appartenaient au domaine royal et en
conséquence étaient susceptibles de faire l'objet d'une attribution ordinaire;
- tertio, les habitants d'Ocotepeque sollicitent et obtiennent l'attribution de la montagne de
Cayaguanca "à partir de la dernière borne des terres de Jupula en direction de l'est", étant donné
qu'ils cultivaient ses flancs ou versants auparavant et en étaient donc de fait les possesseurs. Ni les
juges, ni les habitants de Citalá ni ceux d'Ocotepeque n'ont eu aucun doute sur la signification
exacte de l'expression "montagne de Cayaguanca", étant donné que celle-ci désignait le massif
montagneux situé à l'est des terres de Jupula.
4. S'agissant d'El Salvador, sa prétention juridique sur le secteur cherche sa première
justification dans le titre de Dulce Nombre de la Palma de 1829 et dans certaines effectivités,
c'est-à-dire en passant outre à l'uti possidetis de 1821 (voir MES, par. 6.19 à 6.22). Quant aux
"effectivités", leur mention apparaît dans certaines cartes non numérotées (voir MES, 7.22 et suiv.)
sans aucune preuve ni justification, sous une forme qui n'est pas recevable dans le cadre d'un
contentieux international soumis à cette Chambre de la Cour.
5. C'est quand on aborde la ligne de frontière que El Salvador sollicite dans ce secteur (voir
MES, 6.70 et carte 6.8), dans le premier écrit, que la "discordance" entre les Parties commence à se
manifester vraiment. S'agissant du tracé proposé par les deux Parties, le Gouvernement du
Honduras estime prudent de formuler les observations suivantes :
A) Le tracé que le Honduras sollicite respectueusement de la Cour (voir MH, vol. II, p. 742,
confirmé dans CMH, vol. II, p. 732) vise à éviter l'arbitraire et obéit à une rigoureuse cohérence
interne avec les titres qui lui correspondent, avec son fondement juridique et avec le raisonnement
linéaire suivi pendant la phase écrite (voir MH, vol. I, cartes 6.1 à 6.4). En effet, la requête
antérieure est conforme à une interprétation raisonnable du titre imprécis (on se doit de lui
reconnaître ce caractère) de 1742, une interprétation qui était donnée manifestement de bonne foi, en
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accord avec le texte et le contexte, qui pour l'essentiel a été maintenue depuis 1884, qui est en outre
cohérente avec le réarpentage de 1818 (voir CMH, vol. I, p. 239 à 242) et qui est restée ouverte à
toute solution de conciliation ou de composition au cours des négociations de la dernière période
1984-1985. La position adoptée, je le souligne en effet, outre son caractère raisonnable, correspond
à une ouverture d'esprit constructive et non dogmatique; par ailleurs, la cohérence de cette position
tient au fait même que cette dernière se veut fidèle à l'uti possidetis juris de 1821, comme prévu à
l'article 5 du compromis du 24 mai et à l'article 26 du traité général de paix de 1980.
B) En revanche, le Gouvernement hondurien estime que la ligne revendiquée par El Salvador
est, avec tout le respect dû à la Partie adverse, injustifiée et arbitraire, étant donné qu'elle ne
correspond à aucun titre de l'époque coloniale ni d'ailleurs à aucun titre de l'époque républicaine et
qu'elle se réfère à des terres de la couronne inexistantes au lieu indiqué par El Salvador (voir MES,
carte 6.8, chap. 22). Je reviens maintenant, Messieurs les Juges, à la justification de certaines des
affirmations que je viens d'exposer :
- primo, le tracé ne répond pas à une interprétation satisfaisante du titre de Dulce Nombre de
la Palma, vu qu'il n'est pas conforme au texte littéral et ne ressort même pas d'une lecture
raisonnable dudit titre pris dans son contexte. Il ne s'assujettit pas davantage au droit espagnol des
Indes, compte tenu notamment de sa conception des ejidos en tant qu'institution politique susceptible
de modifier les limites provinciales, en tant que catégorie de droit public dotée d'effets extensifs à
d'autres autorités publiques. En réalité, les ejidos n'ont jamais eu ce caractère, même s'ils
permettaient aux autorités publiques de disposer de la titularisation de terres relevant d'une autre
juridiction (provinciale ou municipale). Cette remarque vaut également pour les affirmations
concernant les terres "de la couronne" vu qu'elles ignorent à l'évidence le droit espagnol en la
matière, comme le Honduras estime l'avoir démontré dans son contre-mémoire (voir CMH, vol. I,
p. 441 et suiv., en relation avec RH, vol. I, chap. III, p. 43 et suiv.).
- secundo, l'interprétation salvadorienne du titre de Dulce Nombre de la Palma ne porte pas
davantage sur la totalité du territoire revendiqué, notamment le triangle irrégulier compris entre la
Peña de Cayaguanca, le confluent de la rivière Sumpul avec le torrent Copantillo et El Pital (voir
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CMES, carte 3.C, p. 51); ce titre est en outre susceptible de faire l'objet d'une lecture plus restrictive
et littérale, telle que celle à laquelle procède le Honduras (voir CMH, vol. I, carte 3.1, p. 212).
- tertio, la ligne revendiquée par la Partie adverse correspond à la réclamation maximale
intervenue au cours du processus historique allant de 1884 à 1985 (voir CMH, vol. I, carte 3.2,
p. 214).
Nous sommes d'avis, Monsieur le Président, que les trois attitudes extrêmes que je viens de
mettre en évidence démontrent le caractrère injustifié et arbitraire de la revendication salvadorienne.
6. Puis de la "discordance" on en arrivce à la "désaffection", étant donné que les divergences
entre les contestations contenues dans l'écrit salvadorien du contre-mémoire semblent présager une
rupture définitive entre les deux points de vue. En effet, trois divergences surgissent essentiellement
à cette phase de la procédure écrite : sur la question géographique, sur la question de la régularité du
titre de 1742 et finalement sur celle des principes juridiques applicables au secteur. S'agissant des
divergences d'ordre géographique, El Salvador maintient que la procédure de 1742, dans le titre de
Jupula, se rapporte en réalité au secteur de Tepanguisir et non au secteur de Cayaguanca; en
conséquence, le titre ne couvrirait pas le secteur litigieux mais un autre, relativement éloigné
géographiquement. De l'avis du Gouvernement de la République du Honduras, cette thèse est
insolite et erronée compte tenu simplement du texte littéral et de la localisation géographique des
actes de 1742, qui portent tous sur le triangle Ocotepeque (l'ancien Ocotepeque et non pas le
nouveau Ocotepeque), Citalá et Peña de Cayaguanca (voir RH, vol. I, p. 204 à 207). Vu les repères
géographiques indiqués dans ces actes, une erreur de plusieurs kilomètres de distance aussi grave que
celle dénoncée par El Salvador ne paraît pas possible. Il s'agit, semble-t-il, d'une simple tactique de
prétoire, cherchant délibérément à semer la confusion et visant à contester de front un titre colonial
qui démontre l'uti possidetis de 1921, dans le but de réfuter aveuglément sur tous les plans un titre
extrêmement dangereux pour les thèses salvadoriennes. On s'efforce ainsi de faire retomber sur le
Honduras la charge de prouver quelque chose qui est objectivement évident et constatable.
La seconde divergence porte, comme nous l'avons annoncé plus haut, sur la régularité du titre
de 1742. Ici, les thèses salvadoriennes sont encore plus extravagantes et audacieuses.
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Extravagantes parce qu'elles font allusion, dans le souci de prédisposer les Juges de cette Chambre
de la Cour, à "l'impérialisme territorial" et à la "malice" démontrés par les habitants d'Ocotepeque
pendant la procédure de 1742. Ce procès d'intention, outre qu'il est totalement hors de propos du
point de vue du droit international, a quelque chose de manichéen et d'infantile puisqu'il attribue des
intentions expansionnistes et annexionnistes à une communauté indigène (la "mauvaise"
communauté), face à une autre communauté indigène de la même ethnie (la "bonne" communauté)
vivant à une courte distance. Il est plus légitime de penser que l'une et l'autre communautés avaient
des intérêts et des aspirations similaires qui les amenaient à chercher une solution satisfaisante et
définitive de leurs problèmes fonciers, ce qui justifie que l'on qualifie également la thèse
d'El Salvador d'audacieuse étant donné qu'elle prétend lier la validité d'un titre juridique aux
intentions d'une communauté indigène.
Dans ce même ordre d'idées, El Salvador conteste également la régularité du titre de 1742
pour diverses autres raisons : inobservance des conditions préalables requises, absence de garanties
et incompétence des juges qui sont intervenus. Ces raisons, de l'avis du Honduras, sont toutes
inacceptables (voir RH, vol. I, p. 213 à 221), comme il ressort de la continuité des interventions, de
l'absence de contestations quant à la procédure et des dispositions du droit espagnol de l'époque. A
cet égard, le Gouvernement du Honduras souhaite communiquer deux réflexions à cette Chambre de
la Cour : en premier lieu, les actes de 1742 constituent un titre juridique parfait et en soi suffisant,
dans le sens indiqué par une autre Chambre de cette Cour : "tout moyen de preuve susceptible
d'établir l'existence d'un droit" (C.I.J. Recueil 1986, p. 564, par. 18). Par ailleurs, l'attitude
d'El Salvador suppose qu'il n'y a qu'à accepter purement et simplement le titre de 1742 dans ce qui
favorise ce pays et à le réfuter dans tout ce qu'El Salvador estime être préjudiciable à ses intérêts.
Cette attitude, tant du point de vue intellectuel que du point de vue juridique, est inacceptable.
Enfin, les divergences entre les Parties portent également sur les principes juridiques
applicables au secteur. Au fond, la réfutation radicale présentée par El Salvador dans son
contre-mémoire à l'encontre du titre de 1742, suppose parallèlement et symétriquement la réfutation
du principe de l'uti possidetis juris comme idée foce de la controverse relative au secteur de la
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montagne de Cayaguanca. Bien que la position formelle de ce pays suppose une acceptation
pro forma du principe invoqué, son ardeur à mettre en avant le titre républicain de Dulce Nombre de
la Palma et les prétendues effectivités finit par détourner la question de l'uti possidetis, et par la faire
entrer dans le cadre plus général de l'exercice pacifique et continue des fonctions étatiques. Du point
de vue tactique, la thèse salvadorienne est parfaitement compréhensible car si ce pays ne dispose pas
de titre colonial qui lui serve de base pour prouver l'uti possidetis, il est logique qu'il invoque
d'autres principes juridiques pour lesquels il estime disposer d'éléments de preuve suffisants. Sur ce
point, la position du Honduras est sans équivoque (voir RH, vol. I, p. 221 à 238) et ne s'écarte en
rien de celle qu'il soutient depuis la première phase de la procédure écrite. Quant aux effectivités,
nous reviendrons ultérieurement sur cette question particulière.
7. Pour en terminer avec ce premier "acte" de notre exposé, nous étudierons certaines des
affirmations avancées par El Salvador dans sa réplique et formulerons quelques conclusions
sectorielles. Etant donné que les observations critiques formulées dans cet écrit sont très concrètes
(voir RES, par. 3.15 à 3.40), je crois souhaitable d'apporter des réponses tout aussi concrètes, afin
que Messieurs les Juges de la Cour connaissent exactement la position du Honduras en la matière.
a) Le premier développement argumentaire d'El Salvador (ibid., par. 3.15 à 3.22) consiste à
soutenir que les actes de procédure de 1742 se réfèrent exclusivement aux habitants de Citalá et ne
concernent en rien ceux de Ocotepeque tout en insistant sur le fait que le document hondurien ne
comprend qu'"une seule page". Il s'agit en effet de la page nécessaire pour prouver que la montagne
de Cayaguanca avait été attribuée à la communauté d'Ocotepeque, qui vivait dans la province de
Gracias a Dios comme il est expressément établi au paragraphe 3.20, ce qui explique pourquoi,
conformément à l'uti possidetis de 1821, la zone litigieuse est devenue partie intégrante de la
République du Honduras. Le paragraphe 3.20 déjà cité est explicite sur ce point :
"C'est seulement 'au pied d'un rocher blanc situé au sommet d'une colline très élevée'
que les habitants d'Ocotepeque ont demandé à conserver 'la montagne ... qui s'étendait depuis
cette dernière borne en direction de l'est' et que les juges des terres (jueces de tierras) ont
autorisé les habitants d'Ocotepeque à exploiter cette montagne."
Il en résulte que si la montagne de Cayaguanca était attribuée à Ocotepeque depuis 1742, les
conséquences juridiques de ce fait vont dans le sens de la requête présentée par le Honduras dans ses
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écrits successifs.
b) La deuxième ligne d'argumentation de la réplique salvadorienne (voir ibid., par. 3.23 à
3.28) en prolonge également une autre utilisée dans les écrits antérieurs. Elle consiste à affirmer
d'un côté que les actes de 1742 se réfèrent à un secteur déjà délimité par le traité général de paix de
1980 et, par ailleurs, qu'ils n'ont jamais été approuvés par la "Real Audiencia" de Guatemala.
S'agissant de la première observation, il y a lieu de rappeler que les indigènes d'Ocotepeque ont
demandé en 1742 que leur soit laissée la montagne de Cayaguanca "qui se trouve en amont de la
rivière Jupula", mais il est également dit dans le document que "la montaña que tenían pedida como
consta de estos autos era la que corría de este mojón último para el oriente que llaman Cayaguanca"
("la montagne qu'ils réclamaiemt comme il ressort de ces actes juridictionnels était celle qui allait
vers l'est à partir de cette dernière borne et qui s'appelle Cayaguanca"). Or la borne à laquelle font
allusion les indigènes est "un rocher blanc se trouvant au sommet d'une montagne très haute où il
s'est vérifié qu'il y avait un tas de pierres". Les repères géographiques précédents décrivent sans
équivoque possible l'emplacement de la montagne et ne constituent pas, comme le soutient la Partie
adverse, une vague référence étant donné que : 1) la montagne revendiquée se trouvait en amont de la
rivière Jupula; 2) qu'elle se situait à l'est de la dernière borne appelée Cayaguanca; 3) que cette
borne était un rocher blanc situé au sommet d'une montagne très haute. En fin de compte, les
références sont donc précises (aussi précises qu'il était nécessaire au milieu du XVIIIe
siècle dans un
contexte géographique connu de tous) et sont reprises sans ambiguité sur les cartes 3.1 et 3.2 du
contre-mémoire du Honduras. En effet, cette "montagne très haute" ne pouvait être que celle de la
Peña de Cayaguanca, située au nord de la rivière Jupula et c'est à l'est de cette éminence que se
trouve la montagne de Cayaguanca, massif montagneux de Cayaguanca couronné par le mont El
Pital. Au demeurant, l'amont de la rivière Jupula était déjà délimité par le traité général de paix de
1980, ce que El Salvador a tout à fait raison de souligner; mais le secteur auquel le Honduras se
réfère en fait dans sa plaidoirie s'étendait précisément à l'est du dernier point délimité et également à
l'est du dernier point visé par la procédure de 1742. Or ce secteur est attribué en 1742 aux Indiens
d'Ocotepeque, c'est-à-dire à la province de Gracias a Dios. Dans cet ordre d'idées, la représentation
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graphique présentée par El Salvador sur la carte 3.A de son contre-mémoire apporte une
confirmation à la réclamation hondurienne. A aucun moment de la procédure écrite, Monsieur le
Président, le Honduras n'a prétendu que la montagne de Cayaguanca se situait sur les "ejidos"
d'Ocotepeque, par suite de l'arpentage de 1818, car comme on l'a si souvent répété, la réclamation
hondurienne se fonde exclusivement sur le titre de 1742, titre qui comme nous aurons l'occasion de le
voir est corroboré par d'autres données postérieures de la pratique.
Un mot maintenant sur la deuxième observation d'El Salvador. Avant tout, il y a lieu de
rappeler une fois encore que MM. Lanuza et del Castillo, juges qui ont été chargés d'intervenir en
1742, étaient parfaitement habilités à agir au nom du Licenciado Don Francisco Manrique de Lara,
du Conseil de Sa Majesté, son "Oidor" et "Alcalde de Corte" de la "Real Audiencia" et de la
Chancellerie qui résidait dans la ville de Guatemala, "Juez Privativo del Real Derecho de Tierras"
(juge royal foncier). Ils étaient investis de pouvoirs leur permettant de résoudre le différend foncier
survenu entre les Indiens de Citalá et ceux de Ocotepeque, raison pour laquelle le jugement rendu par
ce juge avait pleine valeur juridique et ne demandait pas à être corroboré ultérieurement par la "Real
Audiencia" de Guatemala. Par ailleurs, et pour répondre à un autre argument avancé par la Partie
adverse, s'il est vrai qu'il n'est dit nulle part dans les documents présentés pendant le phase écrite que
les actes de procédure cités ont été confirmés par la "Real Audiencia", il n'en ressort pas davantage
que ces actes aient été réfutés devant la "Real Audiencia" ou rejetés par cette dernière. De sorte que
la ligne proposée par El Salvador s'avère arbitraire et sans fondement dans le jugement de 1742.
c) La troisième argumentation développée par El Salvador porte sur les "effectivités", grand
argument rhétorique que ce pays n'a jamais prouvé dans le secteur en cause et que le Honduras ne
considère pas pertinent dans le contexte de l'uti possidetis. Où sont donc corroborées ces
"effectivités" salvadoriennes existant "depuis des temps immémoriaux", Messieurs les Juges? (voir
ibid., par. 3.29 à 3.31). Pour ce qui est des extrapolations évidentes figurant au paragraphe 3.30, il
suffit d'en revenir à la lecture de l'ensemble du droit constitutionnel comparé de l'époque, comme l'a
fait la République du Honduras dans ses écrits, et à la totalité des positions soutenues dans l'affaire
Honduras-Guatemala, en s'assurant que l'on se reporte bien au texte complet et au contexte exact,
- 20 -
pour aboutir à la seule conclusion possible, à savoir celle répétée sans désemparer par le pays que
j'ai l'honneur de représenter devant vous. Et ce même pays ne voit, cela va de soi, aucun
inconvénient à reconnaître également comme siens les extraits de la jurisprudence mise en avant par
El Salvador au paragraphe 3.31, c'est-à-dire Groënland oriental/Minquiers et Ecréhous
(respectivement, C.P.J.I. série A/B n° 53, p. 46 et C.I.J. Recueil 1953, p. 52), mais bien entendu à
une condition sine qua non : celle de rapprocher ces extraits jurisprudentiels des conclusions arrêtées
par une autre Chambre de cette Cour dans l'affaire Burkina Faso/Mali, comme j'aurai l'occasion de
l'expliquer à un autre moment de mon intervention.
d) Enfin, la quatrième série d'arguments d'El Salvador met à découvert l'artillerie lourde -
bien entendu au plan dialectique - dont ce pays estime disposer dans le cas du secteur litigieux de
Cayaguanca : le titre républicain de El Dulce Nombre de La Palma (voir ibid., par. 3.32 à 3.40). Au
sujet de ce titre républicain, la Partie salvadorienne soumet un faisceau épais d'affirmations
multiples, variées et hétérogènes qui obligent à recourir à une technique minutieuse de dissection en
vue de son examen analytique.
- Au paragraphe 3.32 de la réplique, on lit : premièrement, "le cours supérieur du Rio Sumpul
a toujours été considéré comme constituant la frontière". Dans ce cas, il n'y aurait pas de
controverse. Mais permettez-moi, Messieurs les Juges de la Chambre, de traduire mon étonnement
en quelques questions : depuis quand cette rivière a-t-elle été considérée comme constituant la
frontière dans tout son cours, depuis l'époque préhispanique, depuis 1742, depuis 1821, depuis 1829
peut-être, depuis 1884, depuis 1972 ou depuis 1985 ? Quelle est la preuve irréfutable présentée par
El Salvador pour appuyer une semblable affirmation ? Deuxièmement, également dans la lignée des
affirmations radicales et dogmatiques, on nous dit que "le Cerro El Pital appartient à El Salvador".
Une affirmation aussi catégorique, énoncée à la légère et qui se veut indiscutable, non seulement
réclame des preuves mais amène à poser les mêmes questions que celles que je viens de formuler
devant vous à propos de la première affirmation. Troisièmement, les propositions du Honduras
impliqueraient, paraît-il, de "transférer abstraitement l'emplacement de la montagne de Cayaguanca",
argument inédit qui peut être dissout comme le sucre dans le café, grâce aux références
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géographiques contenues dans les actes de 1742 - auxquelles nous avons déjà fait allusion - dûment
confrontées à n'importe quelle carte de la zone. Il s'agit là d'une question que j'ai déjà évoquée au
début de mon intervention et qui a fait l'objet d'abondantes explications de la part du Honduras
(voir CMH, vol. I, p. 353 à 355; CMH, vol. I, p. 228 à 234; et RH, vol. I, p. 203 à 208).
S'agissant plus spécifiquement du titre républicain de La Palma, le Gouvernement du
Honduras souhaite donner, avec tout le respect dû à la Chambre, les explications suivantes (voir
ibid., par. 3.33 à 3.38) : premier point, la délimitation actuelle existant entre les Parties aboutit à la
Peña de Cayaguanca; or il s'agit d'un massif rocheux dénudé que l'on ne peut à aucun moment
confondre, comme le fait El Salvador, avec la zone montagneuse, ravinée et susceptible en partie
d'être cultivée sur ses flancs qui se trouvent à l'est de la Peña en question, une zone qui a été
attribuée en 1742 aux habitants d'Ocotepeque. Deuxième point, concernant le paragraphe 3.34 : le
Honduras a effectivement soumis dans la carte 3.1 de son contre-mémoire, carte remise à Messieurs
les Juges, sa propre interprétation des "ejidos" de La Palma, telle qu'elle ressort de l'arpentage
effectué en 1831 par José Antonio González. Conformément à cette interprétation - qui n'a rien
d'arbitraire mais au contraire s'en tient aux faits et à la logique - l'arpenteur José Antonio González a
suivi le cours de la rivière Sumpul, en amont, jusqu'à son confluent avec la Quebrada del Copantillo,
endroit où il a installé comme borne une croix maintenue par des pierres. A partir de là, comme il
est dit dans l'acte d'arpentage
"on a changé de direction en remontant le petit torrent au sud-ouest 4° sud-sud-ouest (une
direction qui une fois transcrite dans le système moderne d'arpentage équivalait
à 41° sud-ouest) et on est arrivé 35 cordes plus loin au site connu sous le nom de El Pital".
En fait, je dois attirer l'attention de Messieurs les Juges de la Chambre sur le fait que la transcription
que fait El Salvador de ce passage du titre de La Palma est incorrecte, car tandis que El Salvador
indique "au sud-ouest 4° degrés sud-ouest", l'original de l'arpentage indique "au sud-ouest
4° sud-sud-ouest" ce qui implique un changement dans le tracé de la ligne favorable à la Partie
auteur de l'omission. Laissons de côté cette donnée néanmoins significative pour nous arrêter sur le
terme de "site" (le terme espagnol de "parage" indiquant un site éloigné ou isolé) utilisé dans le
document de l'arpentage. C'est en effet ce terme qui est utilisé dans l'acte d'arpentage et non celui de
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"cime" (qui en espagnol comme en français a un sens plus précis :"lo más alto de los montes, cerros
y collados", (le plus haut des montagnes, collines et coteaux) selon le Diccionario de Lengua de la
Real Academia Española, 20e
éd. Madrid, 1984), que El Salvador évoque à tort comme repère.
Puis une fois l'arpenteur arrivé au "parage de El Pital", il a dressé une borne de pierre signalée par
une croix et a interrompu son arpentage jusqu'au lendemain. Le 1er août de cette même année,
l'arpenteur s'est placé à la borne linéaire du "parage" de El Pital et a poursuivi l'arpentage dans la
même direction sud-ouest 4° sud sud-ouest - qui équivaut au sud 41° ouest - et 60 cordes plus loin
déclare être arrivé à proximité du Copo de Cayaguanca. Cette borne linéaire située à proximité du
Copo de Cayaguanca a été placée en un lieu à partir duquel on aperçoit la Peña de Cayaguanca,
point de référence le plus utile à l'arpenteur pour fixer cette borne; ensuite à partir de là, c'est-à-dire à
partir de la borne à proximité du Copo de Cayaguanca, il a continué d'arpenter, toujours dans la
même direction (sud-ouest 4° sud-sud-ouest, c'est-à-dire sud 41° ouest) et 37 cordes plus loin est
arrivé à la source de la rivière Jupula, source constituée par le confluent de la Quebrada de la
Mojarra et de la Quebrada de El Botoncillal.
Ayant rencontré des difficultés pour continuer de tracer une ligne droite, en raison du terrain
inégal et accidenté qu'il avait à traverser, l'arpenteur a préféré se rendre par différents chemins
- comme il l'indique lui-même - jusqu'au "Copo de Santa Rosa (également dénommé Marrano)", où,
arrivé le 3 août 1831, il a trouvé une borne qui marquait la limite entre les "ejidos" de La Palma et
les terrains qu'il était en train de mesurer. Plaçant alors sa boussole en cet endroit, il effectua une
visée vers la borne qu'il avait placée auparavant à la source de la rivère Jupula et trouva que la
direction était "ouest, nord-ouest 2° nord-ouest", c'est-à-dire, nord 65° 30' ouest, qui dans le sens
inverse serait sud 65° 30' est, ce qui, comme indiqué dans le rapport du "Revisor General",
"constitue une absurdité", puisque l'arpenteur González a également déclaré à cet endroit que entre le
Copo de Santa Rosa et la borne située à la source de la rivière Jupula, la ligne a suivi la même
direction que celle indiquée par la corde depuis la Quebrada de Copantillo. Mais si nous nous
fondons sur la direction qu'a signalée l'arpenteur depuis le confluent de la Quebrada de Copantillo
jusqu'à la borne de la Quebrada de Jupula, c'est-à-dire au sud-ouest 4° sud-sud-ouest (et non au
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sud-ouest, comme le déclare de manière manifestement inexacte El Salvador dans sa réplique) ou ce
qui revient au même à 41° à l'ouest, il a pris à partir de ce même point la direction signalée (et non
pas celle que donne El Salvador après avoir tronqué le libellé du titre) et a mesuré 35 cordes jusqu'au
"parage" de El Pital.
Je suis convaincu que Messieurs les Juges de cette Chambre de la Cour me pardonneront cette
description touffue, complexe et minutieuse mais que nous estimons nécessaire à partir du moment
où El Salvador a qualifié l'interprétation hondurienne du titre de La Palma de "à la fois fantaisiste et
arbitraire". La Chambre pourra constater que l'interprétation que vient de donner le Gouvernement
du Honduras est dans le pire des cas littérale, logique et rigoureuse, autant de qualificatifs que l'on
ne peut appliquer à la manipulation du texte qui ressort de la réplique salvadorienne. D'autant plus
que ce pays ne fait pas davantage mention du fait que l'arpenteur a poursuivi sa tâche au-delà des
bornes situées à proximité du Copo de Cayaguanca et l'"esquinero" (borne d'angle) de la source de la
rivière Jupula, qui ont été installées dans la direction suivie depuis le début de l'arpentage. Bref, le
titre de Jupula est connu dans son libellé exact et ce dernier ne corrobore pas la thèse selon laquelle
l'interprétation hondurienne serait arbitraire ou fantaisiste mais montre bien au contraire qu'elle est
rigoureuse et raisonnable.
- Nous allons maintenant traiter de certains aspects des affirmations contenues aux
paragraphes 3.35 à 3.37 de la réplique d'El Salvador. En premier, comme on l'a déjà expliqué, le
Honduras n'accepte pas la thèse salvadorienne selon laquelle "le bon sens" indique que le juge
foncier ("juez de tierras") est arrivé "au sommet du Cerro El Pital". Cette thèse ne lui paraît pas
acceptable parce que le terme "sommet" a un sens précis et indiscutable dans des actes judiciaires en
matière foncière qui aurait été utilisé dans le cas où on aurait effectivement atteint ce point. Mais
l'arpenteur déclara être arrivé au "parage" de El Pital, c'est-à-dire à un point indéterminé ou indéfini
de cette zone. Et c'est à ces mots de l'arpenteur que se rattache l'interprétation hondurienne.
Autrement, confondre les termes espagnols "parage" et "cima" supposerait une distorsion grave de la
langue castillane, distorsion qui, ne l'oublions pas, se traduit par des effets juridiques précis.
El Salvador utilise ainsi arbitrairement la langue au service de ses intérêts. Il en va de même, en
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deuxième lieu, pour ce qui est du Copo de Cayaguanca, étant donné que l'arpenteur ne déclare pas
davantage être arrivé à la "cima" ou au "Copo" et utilise l'expression plus indéterminée de
"proximité". Enfin, El Salvador soutient que l'arpenteur des "ejidos" de La Palma a convoqué les
propriétaires des "haciendas" contiguës, notamment Santiago Valle, propriétaire de l'"hacienda" de
Sumpul. Et c'est un fait. Mais El Salvador passe néanmoins sous silence le fait qu'aucun des
voisins n'a comparu à l'occasion des actes partiels d'arpentage et ne fait pas davantage remarquer
que le dossier ne contient pas d'acte de reconnaissance des bornes qui aurait dû être établi par
l'arpenteur au moment d'entreprendre les opérations d'arpentage. En résumé, El Salvador prétend
faire ressortir certains points concrets mais au lieu de faire la lumière à ce sujet, soit il établit une
image distorsionnée, soit il enveloppe dans un épais silence d'autres points d'importance.
- Les documents auxquels El Salvador fait allusion aux paragraphes 3.38 et 3.39 ne précisent
en aucune manière l'emplacement exact ou même approximatif des lieux mentionnés dans ces
mêmes documents, ce qui fait qu'ils manquent de toute valeur probante pour ce qui est de la zone
revendiquée par El Salvador. Ces documents se révèlent manquer de toute spécificité géographique
et leur application au secteur directement en cause est capricieuse. A cet égard, nous pouvons
prendre comme exemple le document de 1807 dans lequel il est indiqué que la rivière Sumpul sépare
les juridictions des provinces d'El Salvador et de Gracias a Dios. Une affirmation de ce type ne sera
jamais réfutée par le Honduras étant donné qu'il est bien connu que la rivière Sumpul sert de ligne de
partage sur une bonne partie de son cours; mais le document cité ne prouve en aucune manière que la
Sumpul constitue la ligne de partage précisément dans le secteur frontalier que nous sommes en train
d'étudier et El Salvador n'apporte pas non plus de preuves ou d'indices complémentaires dans ce
sens. En conséquence, il est totalement gratuit et sans fondement d'affirmer que les documents
mentionnés représentent des éléments de preuve devant cette Chambre de la Cour. En réalité, ils ne
font qu'apporter des éléments de confusion à la tâche déjà difficile de Messieurs les Juges, étant
donné que produire des documents qui se révèlent impossibles à situer exactement revient à
entretenir, voire à chercher la confusion.
- Pour en terminer avec cette partie de mon intervention où je me suis efforcé de réfuter les
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dernières affirmations avancées par El Salvador dans sa réplique, je me reporterai au
paragraphe 3.40. Un minimum de sérieux dans l'argumentation devrait dissuader de procéder à des
extrapolations à partir d'affirmations formulées par un pays à l'occasion d'une procédure de
médiation telle que celle effectuée par le département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique entre le
Honduras et le Guatemala et d'appliquer ces extrapolations au contentieux en cours. Je ne voudrais
pas avoir à rappeler ici, devant vous, que la médiation est une procédure non juridictionnelle de
règlement de controverses avec l'intervention d'un tiers qui propose des bases d'accord, intervient
dans les négociations et suggère des solutions sur lesquelles les Parties ont à se prononcer. Et que
cette procédure ne répond fatalement pas à des principes juridiques précis mais prend en compte des
arguments de toutes sortes : politiques, économiques, sociologiques, stratégiques, etc. En
conséquence, prétendre que l'on peut opposer au Honduras ce que ce pays a déclaré au cours de cette
procédure, alors que dans la procédure judiciaire en cours les Parties sont d'accord sur le droit
applicable à la controverse et sur les moyens de preuve de ce droit, paraît de toute évidence excessif,
déformateur du point de vue juridique. La République du Honduras a respecté tout au long de ce
contentieux l'application de l'uti possidetis juris de manière claire et sans équivoque. Monsieur
le Président, je viens de passer un assez long moment de mon intervention à répondre à des questions
très précises de la réplique salvadorienne et ce avec une volonté constante de clarté et de précision et
dans un esprit constructif même si je ne suis pas sûr d'y être parvenu. Ce dont je suis sûr néanmoins
c'est que je n'ai pas réussi à éviter un style touffu et pesant, peut-être excessivement pointilleux en de
nombreuses occasions; j'espère que vous pourrez m'en excuser. Mais les manoeuvres employées par
la Partie adverse qui consistent à nier l'évidence, à extrapoler à partir de textes ou de citations et à
rajouter des argumentations supposément nouvelles, amème le Honduras à s'efforcer continuellement
de revenir au concret afin d'éviter constamment de donner l'impression qu'il accepte ou reconnaît les
arguments de la Partie adverse, ce qui justifie le recours à une analyse détaillée de chaque point.
8. Enfin, je mettrai un terme à cette première phase de mon exposé en tirant quelques
conclusions générales. La première conclusion est que la procédure de 1742 démontre que, à partir
de cette date, la zone de Cayaguanca sur laquelle porte un litige plusieurs fois séculaire a été
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considérée comme faisant partie intégrante de la province de Gracias a Dios. Cette zone fait donc
partie du territoire hondurien depuis 1821, en application de l'uti possidetis juris. La seconde
conclusion est que la République d'El Salvador ne produit aucun document de l'époque coloniale
étant donné que son argumentation repose sur un titre foncier républicain et sur les prétendues
"effectivités" ainsi que sur une interprétation outrancière et sans justification du point de vue de son
emplacement géographique. La troisième conclusion est que derrière l'acceptation purement formelle
de l'uti possidetis juris comme un principe juridique applicable à la solution de cette controverse
terrestre se cache en fait un refus d'appliquer ce principe, en le réléguant en permanence à un second
plan par rapport aux "effectivités" et à un titre républicain.
Voilà, Monsieur le Président, la première partie de mon intervention. Etant donné qu'il est
11 h 5 il me conviendrait d'arrêter ici mon intervention si vous l'estimez opportun.
* * *
THE PRESIDENT: I thank Professor Sánchez Rodriguez and the Chamber will take a break
of 15 minutes now.
L'audience est suspendue de 11 h 5 à 11 25.
- 27 -
Le PRESIDENT : Please, be seated. The sitting is resumed. and I give the floor again to
Professor Sánchez Rodriguez.
M. SANCHEZ RODRIGUEZ : Merci Monsieur le Président.
9. Le véritable "noeud" de la question dans la zone de Cayaguanca consiste, au plan juridique,
à préciser la portée, le contenu et l'efficacité de l'uti possidetis juris, en tant que principe directeur.
Par conséquent, je procéderai tout d'abord à cet examen dans le secteur en litige; puis j'analyserai la
question des "effectivités", qu'il s'agisse de celles mises largement en cause par El Salvador ou de
celles mentionnées par le Honduras, à l'appui de l'uti possidetis, ces dernières effectivités n'ayant pas
fait l'objet d'une mention dans les deux derniers écrits salvadoriens, ce qui est pour le moins
inexplicable.
10. Pour le Honduras, il n'y aucun doute que le principe juridique applicable à la controverse
terrestre en général et au secteur de Cayaguanca en particulier est celui de l'uti possidetis juris,
conformément à l'article 5 du compromis signé entre les Parties le 24 mai 1986, compte tenu des
dispositions de l'article 26 du traité général de paix du 30 octobre 1980 qui fait remonter le principe
à la date critique de 1821. El Salvador quant à lui donne l'impression d'accepter la même thèse mais
cette acceptation se révèle purement formelle puisque toute son argumentation juridique repose sur le
titre républicain de El Dulce Nombre de la Palma et sur les "effectivités" dans le secteur. D'où la
position de ce pays qui se livre en plus d'une occasion à une relativisation ou à une dévalorisation des
titres coloniaux produits par le Honduras dans ce secteur de Cayaguanca. Cette tactique
procédurière ne manque pas de logique du point de vue de la Partie adverse : en effet, manquant de
tout titre antérieur à 1821, elle fait tendre tous ses efforts à nier la valeur juridique de la procédure
de 1742. Car, en l'absence de titre qui atteste le droit d'une des Parties sur la zone litigieuse à la
date critique indiquée de 1821, il faudrait retenir d'autres principes juridiques; et c'est là que le
Honduras prend appui sur l'uti possidetis et croit avoir apporté à cette fin les preuves suffisantes de
ce qu'en 1742 le secteur de Cayaguanca était situé dans la province de Gracias a Dios et que cette
situation est restée inchangée jusqu'au moment de l'indépendance.
11. La preuve qu'il en est bien ainsi, nous la trouvons dans la part que l'une et l'autre Parties
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ont faite dans leurs écrits à la jurisprudence internationale relative à l'uti possidetis juris. Le
Honduras estime avoir énoncé de manière complète, détaillée et équilibrée les décisions arbitrales et
judiciaires existantes dans l'application de l'uti possidetis juris (voir MH, vol. I, p. 123 à 154). De
son côté, El Salvador fonde son analyse jurisprudentielle assez curieusement sur la sentence arbitrale
de 1933 dans l'affaire qui a opposé le Guatemala au Honduras, en affirmant que
"Le sens vrai du principe d'uti possidetis juris a été défini avec la plus grande précision
dans la sentence arbitrale prononcée entre le Guatemala et le Honduras ..." (CMES, par. 2.6.)
Il semble de toute évidence excessif de réduire la jurisprudence internationale dans toute sa
complexité, son étendue et sa richesse, à un cas concret, en l'occurrence, à une sentence qui a arrêté
que lorsqu'il était difficile d'établir la volonté du monarque espagnol, le tribunal n'était pas "requis de
faire l'impossible" (RSA, vol. II, p. 1352). L'intention qui sous-tend cette thèse, au plan de la
technique judiciaire, semble indiscutable : même s'il existe un titre donné, si ce dernier se révèle
imprécis, obscur ou difficile à situer géographiquement, le tribunal peut prendre en compte d'autres
éléments pour déterminer la frontière. Transposé concrètement au cas de Cayaguanca, cette thèse
signifie que si les actes de procédure de 1742 sont imprécis quant à la totalité du secteur contesté, il
convient de prendre en compte d'autres éléments étrangers à l'uti possidetis juris, tels que par
exemple le titre républicain de 1829 (même s'il est pour le moins aussi imprécis que le précédent) et
les "effectivités". Le Honduras a déjà eu l'occasion d'analyser la sentence arbitrale susmentionnée
(voir MH, vol. I, p. 140 à 142 et RH, vol. I, p. 68 et 69) et d'établir les rapports qui peuvent exister
entre cette décision et l'affaire qui nous occupe. En conséquence, nous devons manifester une fois
encore notre opposition à ce que l'uti possidetis fasse l'objet d'un "réductionnisme" aussi abusif que
simplificateur. Le Honduras ne demande pas à la Cour qu'elle fasse l'impossible mais il se borne à la
prier respectueusement, en application du principe déjà mentionné, qu'elle interprète raisonnablement
le cadre physique des interventions de 1742; mais bien entendu, en application de l'uti possidetis
juris, sans admettre aucun recours mystificateur à d'autres principe applicables.
J'estime, Monsieur le Président, que les visées salvadoriennes sur ce point concret sont claires
et nettes. Elles ressortent des références jurisprudentielles effectuées à propos du secteur de
Cayaguanca, à l'arrêt de la Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire du Statut
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juridique du Groënland oriental ("Dans beaucoup de cas, le tribunal n'a pas exigé de nombreuses
manifestations d'un exercice de droits souverains pourvu que l'autre Etat en cause ne pût faire valoir
une prétention supérieure") et à l'arrêt de la Cour internationale de Justice dans l'affaire des
Minquiers et Ecréhous ("la Cour doit rechercher laquelle des Parties a produit la preuve la plus
convaincante d'un titre") (voir CMES, par. 3.45, et RES, par. 3.31). Manifestement, ces références
ne sont pas neutres mais traduisent une intention précise. En effet, comme Messieurs les Juges de
cette Chambre de la Cour le savent parfaitement, du fait même que l'un d'entre eux a rédigé en la
matière des pages déterminantes et bien connues, dans les deux affaires citées par El Salvador, ce
n'était pas l'application de l'uti possidetis juris qui était en cause, puisque le principe juridique
applicable était différent : l'exercice pacifique et continu des fonctions de l'Etat sur un territoire
donné, comme mode d'acquisition de la souveraineté territoriale. Les titres juridiques en présence
(dans le sens de moyens de preuve de l'existence d'un droit) était d'une autre nature et avait un autre
contenu puisqu'il s'agissait de préciser l'intensité et l'étendue de l'exercice des fonctions étatiques
dans un territoire sans maître. En conséquence, l'extrapolation à partir de ces citations au secteur de
Cayaguanca vise dans l'immédiat à ignorer l'uti possidetis juris comme principe juridique directeur
et à chercher à vous amener insensiblement, Messieurs les Juges, sur un terrain totalement étranger
audit principe, celui des "effectivités". En d'autres termes, nous assistons à un tour de
prestidigitation à l'égard des principes juridiques applicables : puisque El Salvador se croit dans une
position plus confortable avec les effectivités postérieures à 1821 (bien qu'il n'en soit pas non plus
ainsi, comme je m'efforcerai de le démontrer par la suite), il est logique qu'il fasse tout pour faire
oublier ou pour relativiser l'uti possidetis juris. Mais cette tactique comporte également un risque
puisque du même coup El Salvador reconnaît implicitement que la procédure de 1742 touchant la
montagne de Cayaguanca constitue un titre solide qui favorise le Honduras en application stricte de
l'uti possidetis, conformément à toute la jurisprudence internationale.
12. Il est un fait que l'application de l'uti possidetis juris à la solution d'une controverse
n'exclut pas automatiquement l'apparition de tensions dialectiques entre ce principe juridique et les
effectivités. Ces tensions peuvent se produire et dans les faits elles se produisent, comme s'est
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chargée de le démontrer la Chambre de la Cour dans son arrêt de 1986 dans l'affaire du Différend
frontalier (Burkina Faso/République du Mali) (C.I.J. Recueil 1986, p. 569, par. 63). Le schéma de
base susceptible de se faire jour entre les titres juridiques et les effectivités peut se résumer comme
suit (CMH, vol. I, p. 223; RH, vol. I, p. 229) :
a) si le fait correspond exactement au droit, les effectivités ne font
que corroborer le titre;
b) si le fait ne correspond pas au droit et que le territoire contesté
est administré effectivement par un autre Etat que celui qui possède le titre juridique, le titre
prévaut sur les effectivités;
c) en l'absence de titre l'effectivité doit inévitablement être prise
en compte;
d) si le titre est obscur et imprécis, les effectivités peuvent jouer
alors un rôle pour indiquer comment le titre est interprété dans la pratique.
Dans laquelle de ces quatre situations nous trouvons-nous dans le cas du secteur contesté de
Cayaguanca ? La stratégie développée par El Salvador est catégoriquement - même si cela n'est pas
reconnu ouvertement - en faveur de la situation c) dans les termes suivants : le Honduras ne dispose
pas de titre et les effectivités militent en faveur d'El Salvador. L'argument rhétorique salvadorien est
en réalité plus complexe qu'il soutient que, le cas échéant, les effectivités peuvent jouer pour
interpréter le titre qui est obscur et imprécis, c'est-à-dire qu'El Salvador construit une première ligne
défensive sur le cas de figure d) mais compte davantage sur le cas de figure c). En effet, lorsqu'il
met l'accent sur la seconde phrase de l'article 26 du traité général de paix selon laquelle
"Il sera également tenu compte des autres preuves, thèses et argumentations d'ordre
juridique, historique ou humain et de tout autre élément présenté par les parties et admissibles
en droit international",
il montre une tendance à glisser vers ce second type d'argumentation, non pas pour renforcer le titre
mais plutôt pour le remplacer.
En revanche, le Honduras estime que dans le secteur en cause, nous nous trouvons dans le cas
de figure a). Et cela du fait même que la procédure de 1742 montre sans ambiguïté qu'avant la date
- 31 -
critique de 1821, le secteur de la montagne de Cayaguanca était considéré comme une partie
intégrante de la province de Gracias a Dios (aujourd'hui Honduras). Peu importe que cette
procédure ait été favorable aux Indiens de Citalá, peu importe par ailleurs qu'elle attribue d'autres
terres à cette localité. La procédure de 1742 sert à prouver un fait déterminant : à cette date,
Cayaguanca se trouvait dans la province de Gracias a Dios. Et les effectivités corroborent ce titre,
ce moyen de preuve, comme je m'efforcerai de l'établir par la suite. Mais le Gouvernement du
Honduras, Messieurs les Juges, serait disposé également à accepter les cas de figure b) et d), étant
donné que le résultat pratique serait le même : dans le cas de figure b), le titre colonial hondurien
prévaudrait sur les supposées effectivités salvadoriennes et, par voie de conséquence, le secteur de
Cayaguanca devrait être considéré comme formant partie du territoire hondurien. Dans le cas de
figure d), si la Chambre de la Cour en arrivait à considérer que le titre de 1742 est obscur et
imprécis, les effectivités n'auraient d'autre valeur juridique que de permettre d'interpréter ce titre dans
la pratique, pour le cas concret qui nous intéresse. Ce que le Gouvernement de la République du
Honduras réfute catégoriquement c'est que nous nous trouvions dans la situation c), étant donné que
le titre - qu'il soit ou non suffisamment précis - existe effectivement.
13. Toute la stratégie poursuivie par El Salvador dans ses écrits successifs vise à donner la
primauté au cas de figure c), en fonction du schéma formulé dans la sentence de la Cour dans
l'affaire Burkina Faso/République du Mali. Première affirmation : le titre de 1742 n'est pas
applicable au secteur litigieux de Cayaguanca; deuxième affirmation : le titre est obscur et imprécis
quant à ses limites; troisième affirmation : dans tous les cas, le titre est favorable à El Salvador;
quatrième affirmation : il existe des éléments humains - les effectivités - et un titre républicain
favorables à El Salvador. Ce faisceau d'affirmations aboutit logiquement à la négation ou à
l'affaiblissement du titre et à l'affirmation ou renforcement des effectivités. En d'autres termes, dans
la confrontation entre le titre colonial espagnol favorable au Honduras et les effectivités
républicaines favorables à El Salvador, l'aspect dominant de cette confrontation se trouverait dans ce
second élément; ou, si vous le préférez, Messieurs les Juges, l'uti possidetis juris ne constitue pas un
principe juridique effectif dans la recherche d'une solution à la controverse de Cayaguanca et le droit
- 32 -
applicable doit être modifié pour devenir celui de l'exercice pacifique continu des compétences
étatiques postérieurement à 1821.
Le Gouvernement du Honduras se déclare catégoriquement opposé à une approche telle que
celle qui vient d'être décrite ainsi qu'aux corollaires juridiques qui en découlent. En premier lieu,
parce que, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire valoir, la procédure de 1742 prouve sans l'ombre
d'un doute que la montagne de Cayaguanca a été attribuée à la collectivité d'Ocotepeque et donc à la
province de Gracias a Dios. En deuxième lieu, parce que, comme nous allons l'analyser
immédiatement, les effectivités avancées par El Salvador ont très peu de consistance, parce que les
preuves apportées par ce pays sont pour le moins discutables et insuffisantes sur le plan des
effectivités et, finalement parce que le Honduras a lui également évoqué des effectivités qui
corroborent son titre initial de 1742, effectivités qui n'ont jamais été réfutées par la Partie adverse.
14. Nous en arrivons ainsi au terrain que El Salvador considère le plus convenable à ses
intérêts: celui des effectivités. Et nous aborderons ce terrain, Monsieur le Président , en utilisant, à
notre tour, l'argument des effectivités honduriennes mais, nous le répétons, en ne lui accordant qu'un
caractère subsidiaire et dans le but de corroborer ou d'entériner le titre initial et originel de 1742.
A) La première effectivité que le Honduras soumet à l'attention de la Chambre de la Cour est
celle correspondant aux titres fonciers républicains. Le pays que j'ai l'honneur de représenter dans
cette phase orale actuelle a soumis les titres républicains de "Volcán de Cayaguanca" (1824),
également celui de "Volcán de Cayaguanca" (1838) et celui de Las Nubes" (1885). Ces trois titres
portent sur des terrains qui ont été revendiqués en totalité ou en partie par la République
d'El Salvador, l'un d'entre eux s'étend notablement au sud du secteur revendiqué par ce pays ("Las
Nubes") et dans les deux cas les titres couvrent les versants nord et sud du Cerro El Pital ("Las
Nubes" et "Volcán de Cayaguanca" de 1838) (voir la représentation graphique de ces titres dans RH,
vol. I, carte II.1, p. 240). Ces titres républicains corroborent les actes des autorités honduriennes
dans la partie nord-ouest du secteur litigieux de Cayaguanca et établissent sans l'ombre d'un doute
quelque chose que nous avons déjà soutenu et sur lequel nous reviendrons immédiatement, à savoir
que le Cerro El Pital n'a jamais été considéré comme salvadorien. Mais d'autre part, les deux titres
- 33 -
du "Volcán de Cayaguanca" revêtent une importance particulière compte tenu de leurs dates (1824
et 1838), puisqu'il ressort de ces dernières qu'ils sont immédiatement postérieurs à 1821.
De l'avis du Gouvernement du Honduras, ces titres fonciers républicains confirment que dans
la phase immédiatement postérieure à l'indépendance, les autorités honduriennes ont continué
d'exercer leur compétence sur un territoire qu'elles considéraient comme leur. Et en effet, il l'était
depuis 1742, puisque les mesures prises par le Honduras pour octroyer des terres à des habitants de
Ocotepeque n'ont jamais été réfutées ou contestées par El Salvador. En outre, ces titres apportent
deux confirmations importantes : d'une part que les habitants d'Ocotepeque occupaient ces terres
en 1742 et continuaient de le faire pendant la période 1824-1838, ce qui démontre un phénomène de
continuité historique. D'autre part, la dénomination de deux des titres honduriens montre que la zone
continuait d'être appelée au XIXe
siècle "montagne" ou "volcan" de Cayaguanca et que le massif
montagneux était connu dans son ensemble sous cette même dénomination. Exactement comme en
1742.
B) La seconde des effectivités découle directement de la pratique administrative hondurienne,
en particulier du document remis par le ministère de l'intérieur, la justice, la santé et la bienfaisance
du Honduras au gouverneur politique d'Ocotopeque, en date du 25 avril 1934 (voir RH, vol. I,
p. 244 à 246). Cet écrit, dont le contenu exact est déjà connu de Messieurs les Juges, offre un intérêt
à plusieurs titres. Tout d'abord, parce que, comme il ressort du document lui-même, il existe une
requête du Président de la République d'El Salvador et de son ministère des relations extérieures,
reçue par le ministère hondurien homologue. Deuxièmement, l'emplacement du secteur frontalier
auquel il est fait allusion ne laisse pas de place au doute, vu qu'il se réfère à San Ignacio qui se
trouve au sud de la Peña de Cayaguanca et non pas à Citalá, qui se trouve au nord-ouest de cette
localité et approximativement au centre du secteur frontalier déjà délimité entre le Honduras et
El Salvador. Par ailleurs, la requête salvadorienne sollicitant le franchissement de la frontière et la
liberté de culture ne se limite pas à un secteur particulier (nord-est ou nord-ouest de cette localité de
San Ignacio), ce qui implique que dans les deux cas on reconnaissait la souveraineté territoriale
hondurienne à une certaine distance de San Ignacio dans la direction générale du nord, étant donné
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que dans le cas contraire on aurait défini avec exactitude le secteur pour lequel l'autorisation était
demandée. C'est pourquoi, les autorités honduriennes ont communiqué l'ordre aux autorités
d'Ocotopeque dans la juridiction de laquelle les habitants de San Ignacio cultivaient leur maïs, et on
n'oubliera pas que Cayaguanca se trouve dans la juridiction d'Ocotopeque.
Par conséquent, ce document se révèle également utile pour démontrer qu'en 1934 le Honduras
continuait d'exercer sa juridiction au nord de San Ignacio dans la zone de Cayaguanca et que cet
exercice des fonctions étatiques était reconnu expressément par les plus hautes autorités
salvadoriennes. Depuis au moins 1742, la culture du maïs était une pratique courante sur les pentes
de la montagne de Cayaguanca et, certaines fois, les habitants des villages salvadoriens situés au sud
de ladite montagne devaient venir chercher leurs cultures sur les terres honduriennes situées plus au
nord, dans le secteur de Cayaguanca. C'est exactement ce qui s'est produit une fois encore en 1934.
C) La troisième des effectivités honduriennes s'inscrit dans le cadre de la correspondance
diplomatique avec El Salvador (voir RH, vol. I, p. 246 à 250). La première note, datée du
4 septembre 1936, permet de démontrer qu'à cette date l'un et l'autre pays considéraient les "sources
du Sumpul" comme territoire hondurien, et il ne faut pas oublier que ce site se trouvait à proximité
du Cerro El Pital. L'importance stratégique du mont El Pital pour le contrôle des mouvements
révolutionnaires dans ce secteur frontalier explique valablement la présence d'un contingent militaire
hondurien dans cette région. Dans le cas contraire, c'est-à-dire, si El Salvador avait exercé
effectivement des fonctions souveraines dans cette zone, ce sont des forces armées de ce pays qui
auraient occupé ledit mont, bien que, vu son importance stratégique, cela eût été recommandable
pour le contrôle de la frontière.
Une deuxième note du ministère des relations extérieures de la République d'El Salvador,
adressée le 22 août 1936 à la mission diplomatique du Honduras à El Salvador, nous semble encore
plus importante que la précédente. Dans cette note, El Salvador reconnaît expressément, sans laisser
la moindre place au doute, que la montagne de "El Pital" se trouve située dans la juridiction
d'Ocotopeque, c'est-à-dire en territoire hondurien. Exactement comme en 1742.
D. Le quatrième groupe d'effectivités qu'a présenté la République du Honduras est d'ordre
- 35 -
cartographique (voir ibid., p. 250 à 252). La cartographie du secteur au cours du XIXe
sièce ne
laisse pas davantage de place au doute en ce qui concerne la délimitation de la frontière dans le
secteur litigieux de Cayaguanca, puisqu'elle place toujours ce secteur à l'intérieur du territoire
hondurien (voir MH, annexes, vol. VI, annexe cartographique). C'est le cas dans les cartes A.6, A.8,
A.12, A.17, A.18 et A.19 du mémoire hondurien, sur lesquelles le tracé de la frontière est similaire,
voire identique, à celui que propose à l'heure actuelle la République du Honduras, la zone en cause
apparaissant sur certaines sous la dénomination de "Cayaguanca" (voir cartes A.17 et A.18), ce qui
renforce notre thèse selon laquelle le secteur a toujours porté cette dénomination générique.
Certaines de ces cartes méritent une attention particulière compte tenu de leur clarté ou du
contexte dans lequel elles ont été élaborées. C'est le cas de la carte A.12 ou "Carte générale de la
République d'El Salvador", car il s'agit d'un travail réalisé par Maximilien V. Sonnestern en 1859
par ordre du Président de la République d'El Salvador. Et cette carte montre clairement que, dans la
zone de Cayaguanca, la frontière intercepte la rivière Sumpul très au sud de la source. C'est
également le cas de la carte A.19, préparée par Francisco Altschull pour le directoire national du
Honduras en 1898, car elle montre clairement que la zone contestée de la montagne de Cayaguanca
se trouve en territoire hondurien. Et les cartes de Barberena A.17 et A.18 placent de même
Cayaguanca en territoire hondurien. Exactement comme en 1742.
15. Procédons maintenant à l'évaluation des effectivités honduriennes. A notre avis, les
démonstrations précédentes de possession effective sont utiles à deux fins différentes : tout d'abord,
elles permettent de confirmer certaines thèses soutenues par le Honduras en ce qui concerne le
secteur litigieux qui nous occupe à l'heure actuelle; deuxièmement, elles entérinent ou corroborent
parfaitement le titre colonial de 1742. Cela du fait que les effectivités soumises par le Honduras
établissent que ses positions étaient correctes et que la situation n'a guère changé entre 1742 et
aujourd'hui. En particulier : - la cartographie du XIXe
siècle confirme la thèse
hondurienne selon laquelle le secteur contesté, y compris le massif montagneux situé à l'est et au
nord de la Peña de Cayaguanca, a toujours été reconnu comme constituant une unité à laquelle est
attribuée le nom de "Cayaguanca", même s'il est accompagné de termes variables tels que
- 36 -
"montagne", "volcan", "mont", etc., comme le prouvent les titres républicains honduriens de la même
époque;
- les titres fonciers républicains aussi bien que la documentation administrative ou la
correspondance diplomatique confirment que "El Pital" a toujours été reconnu comme un lieu ou un
site qui fait partie intégrante du territoire hondurien, depuis la période immédiatement postérieure à
l'indépendance jusqu'au siècle actuel;
- depuis le XVIIIe
siècle jusqu'à nos jours, les habitants salvadoriens des villages situés tant au
sud de la frontière établie qu'au sud de la zone non délimitée (autant que nous sachions, entre Citalá
et San Ignacio) ont eu besoin périodiquement de se rendre dans la zone de Cayaguanca pour cultiver
le maïs, lorsque les conditions de subsistance alimentaire de la population devenaient difficiles dans
la partie salvadorienne;
- le point le plus oriental de la frontière reconnue - au XIXe
siècle - dans ce secteur litigieux
selon la cartographie utile - est le confluent entre le Río Sumpul et le torrent (ou quebrada) Chiquita
ou Oscura.
Mais la conclusion la plus importante est que les effectivités signalées corroborent sur tous les
points le titre hondurien de 1742 et dissipe ainsi les éventuels doutes d'interprétation dont il pourrait
faire l'objet en prouvant que, tout au moins entre 1742 et 1936 (date de la dernière note
diplomatique), l'histoire n'a pas varié notablement dans le secteur quant à l'exercice de la
souveraineté territoriale. A cet égard nous prions respectueusement les Membres cette Chambre de
la Cour de bien vouloir prendre note du silence que El Salvador a scrupuleusement observé au sujet
des effectivités honduriennes évoquées dans les deux premiers écrits. En résumé, ces effectivités
républicaines permettent de corroborer le titre démonstratif de l'uti possidetis de 1821.
16. Passons maintenant à l'examen des effectivités salvadoriennes, qui ont été si souvent
évoquées dans ce secteur. Dans le premier écrit (voir MES, annexes, vol. II, annexes 2 et 3), il est
plutôt difficile de retrouver les références de ces effectivités de telle façon que le résultat est on ne
peut plus décevant. Mis à part les interventions d'El Dulce Nombre de La Palma dont nous avons
déjà traité abondamment et qui peuvent être neutralisées par d'autres titres fonciers républicains
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honduriens, El Salvador apporte purement et simplement deux brèves références doctrinales à deux
ouvrages (l'un de Jorge Lardé y Larin, l'autre de Santiago Ignacio Barberena) où il est fait allusion
au village de La Palma. Et c'est tout, Messieurs les Juges. Voilà pour la première "effectivité"
spécifique, qu'il ne semble pas risqué de qualifier de bagage léger face à des prétentions aussi vastes.
Notre première question serait : ces références ont-elles une valeur quelconque comme moyen de
preuve ? Et la seconde : dans l'affirmative, que prouvent-elles ? La réponse à la première question
serait négative et la réponse à la seconde serait qu'au milieu du XIXe
siècle il existait un petit village
appelé La Palma dont on dit qu'il était salvadorien. Et ce parce qu'à l'annexe 3 est ajoutée une
référence à La Palma, dont nous ignorons totalement la source, faute d'une quelconque indication sur
ce point, ce qui, en tant qu'élément supposé de preuve, ne peut qu'être jugé inacceptable.
Poursuivons notre examen des "effectivités" dans ce secteur. A la fin du chapitre 7 du
mémoire d'El Salvador figure un croquis, élaboré par la direction générale des frontières du ministère
des relations extérieures de la République d'El Salvador, sous le titre de "Human Settlements
included in the Non Delimited Zones. El Salvador-Honduras Frontier. Las Pilas or Cayaguanca
Sector". En soi, ce document est dépourvu de toute valeur probante en ce qui concerne ce que l'on a
appelé l'"argument humain", étant donné qu'il se borne à signaler la présence supposée de quelques
établissements humains salvadoriens dans la zone litigieuse. Or, dans l'annexe correspondante (dont
il se révèle impossible de citer exactement la référence) sont joints quelques certificats municipaux
qui, semble-t-il, cherchent à prouver l'exactitude du croquis précédent. Examinons-les donc sans
plus tarder. Dans le croquis sus-mentionné sont indiqués les "human settlements" suivants : Sumpul,
La Montañita, El Botoncillal, Las Cruces, Río Chiquito, Las Cumbres, Salguero, Las Flores,
Milingo, Las Granadillas, Río Abajo, Las Pilas et El Centro. Voyons maintenant les documents
salvadoriens pertinents que l'on prétend donner comme base à cet argument "humain". Il s'agit de :
- trois extraits de naissance (dont l'un de 1984) et cinq extraits
mortuaires (dont l'un de 1986), pour El Centro;
- trois extraits de naissance (dont l'un de 1965) et un extrait
mortuaire pour Las Pilas;
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- trois extraits de naissance (dont l'un de 1984 et l'autre de 1986)
et quatre extraits mortuaires (dont l'un de 1981) pour La Granadilla;
- un extrait de naissance (de 1986) et un autre extrait mortuaire
pour Río Chiquito.
THE FOLLOWING TEXT HAS BEEN RETYPED AND NOT CHECKED
Que prouvent ces vingt et un documents reproduisant des certificats isolés soumis par El
Salvador pour une période allant de 1905 à `986, dans la zone de Cayaguanca ? A mon avis,
Messieurs les Juges, rien du tout. La prétendue preuve ne saurait être plus faible, évanescente et
incomplète. Et j'ajouterai deux données significatives à ce sujet : primo, si l'on devait en croire tant
les certificats que le croquis, le secteur de Cayaguanca dépendait de la municipalité de San Ignacio,
ce qui est en contradiction flagrante avec le document hondurien de 1934 où était reproduite la
requête du Président de la République d'El Salvador visant à ce que les habitants de San Ignacio
soient autorisés à cultiver le maïs dans la zone de Cayaguanca. Secundo, aucune attestation n'est
fournie quant aux neuf "human settlements" auxquels El Salvador fait allusion et qu'il réclame
comme siens. Parfois, les silences sont aussi expressifs que les revendications mal fondées.
Dans l'écrit suivant (voir CMES, par. 4.19, en relation avec les annexes vol. XI.2), El
Salvador prétend avoir exercé la juridiction militaire de manière permanente sur la totalité du
territoire revendiqué par le Honduras dans le secteur de Cayaguanca, ce qui contredit les documents
relatifs aux effectivités présentés par le Honduras. A l'appui de cette prétention sont joints des
certificats surprenants de l'autorité militaire d'El Salvador contenant des listes de journaliers et
d'agriculteurs qui semblent avoir, entre 1936 et 1960, effectué un certain type de service militaire
dans certains des cantons contestés. En réalité, des documents aussi peu spécifiques que ceux dont
nous traitons en ce moment, que n'importe quel pays peut produire dans une zone frontière, ne nous
permettent pas très bien de savoir à quel titre ces personnes servaient sous les drapeaux. Dans le
cadre de milices régulières, de milices populaires, de circonscriptions militaires permanentes,
d'escadrons militaires constitués à des fins spécifiques, etc. ? Rien n'est dit dans l'annexe en
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question. Ce qui rend difficile toute observation sur ce pont.
Quoi qu'il en soit, il ne fait pas de doute pour le Gouvernement de la République du Honduras
qu'il ne s'agit que d'un argument de plus, dépourvu de toute valeur probante, que ce soit du point de
vue de la forme ou du fond. Mais mon collègue et ami, le professeur Gonzalez Campos, se chargera
d'analyser ce type particulier d'"effectivités" dans son intervention orale de manière plus précise et
nuancée. Aussi me bornerai-je. à cette phase de ma propre intervention, à signaler le problème.
Passons enfin à l'analyse des "effectivités" reprises dans la réplique salvadorienne (voir RES,
par. 3.39, en relation avec les annexes, vol. I, p. 43 à 60). Tous ces documents font référence, de
manière vague et imprécise, à "Sumpul", à la "vallée du Sumpul"ou à la "rivière Sumpul", l'un
d'entre eux signalant que cette rivière divise les deux provinces. Une lecture attentive et détaillée de
ce document nous amène irrémédiablement à conclure qu'ils ne suffisent absolument pas à préciser,
avec un minimum d'exactitude à quel lieu ils se réfèrent : à la hacienda de Sumpul (qui se trouve en
territoire hondurien non revendiqué), à la source du Sumpul et à l'amont de son cours, à l'autre partie
de ce cours (qui sert de frontière reconnue entre deux Etats), etc. ? Sans compter la difficulté que
l'on rencontre pour situer la "vallée du Sumpul" sur la carte.
En résumé et en toute sincérité, le Gouvernement du Honduras considère que lesdits
documents, peut-être en raison des dates auxquelles ils se rapportent et des descriptions génériques
qu'ils contiennent, manquent totalement de spécificité et ne fournissent donc aucun élément nouveau
ou révélateur. Rapprocher les vagues références que l'on trouve d'un point géographique concret
relèverait de l'arbitraire tout autant que si on les rapprochait d'un quelconque autre point, ce qui nous
fait dire qu'elles sont inutilisables comme éléments concrets de preuve, contrairement à ce que
prétend El Salvador.
Voilà pour les effectivités salvadoriennes. Mais comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer à
la Cour dans mon intervention précédente, la réplique hondurienne fournit, elle également, de
nombreuses preuves de présence humaine de ce pays dans la zone de Cayaguanca, précisément du
fait que cette zone controversée a toujours fait partie intégrante du territoire hondurien en application
de l'uti possidetis juris de 1821 (cf. RH, annexes, vol. II, annexe IX.2, p. 503 et suiv.).
- 40 -
Le pays que j'ai l'honneur de représenter devant vous a soumis des documents accréditant sa
compétence de juridiction en matière judiciaire, administrative, civile et religieuse sur de multiples
localités situées dans le secteur litigieux qui attestent que la juridiction sur ce secteur a appartenu au
siècle dernier et au siècle actuel au département d'Ocotepeque. Nous ne croyons pas nécessaire de
revenir en détail sur les documents fournis par le Honduras étant donné qu'ils sont déjà connus de
Messieurs les Juges; je me bornerai simplement à rappeler certaines données objectives. Tout
d'abord, le Honduras a présenté deux actes de procédure judiciaire de 1861 et de 1870
respectivement; il a ensuite fourni vingt et une pièces sur les écoles rurales dans divers noyaux de
population de la zone de Cayaguanca, entre 1946 et 1973; troisièmement, il joint dix extraits du
registre de la propriété immobilière et commerciale, portant sur des transmissions immobilières qui
ont eu lieu en divers endroits du secteur litigieux entre 1901 et 1975; quatrièmement, figurent au
dossier trois actes de naissance et trois certificats de décès liés à des localités situées également dans
le secteur, ces certificats allant de 1886 à 1931; enfin, sont également produits les archives de la
paroisse de San José attestant le baptême de personnes nées dans les bourgades et hameaux du
secteur de Cayaguanca.
Comme auront pu le constater Messieurs les Juges, les moyens et preuves apportés par le
Honduras dans la zone de Cayaguanca en ce qui concerne la présence humaine dans ladite zone sont
pour le moins en quantité et en qualité égaux — sinon supérieurs — à ceux apportés par la Partie
adverse. Ceci avec une différence fondamentale, à savoir que ces données corroborent ou confirment
sur tous les points le titre juridique de 1742 qui nous est favorable puisqu'il en ressort que la
juridiction sur Cayaguanca appartenait au Honduras avant et après la date critique de 1821. Enfin,
ces données sont en tout point cohérentes avec les effectivités examinées plus haut dans les écrits
honduriens : les titres fonciers républicains soumis par le Honduras dans le secteur, la pratique
administrative et diplomatique, la cartographie de la zone, coïncident en effet avec ces preuves de la
présence humaine hondurienne sur laquelle porte ce qui vient d'être dit.
20. Le troisième "acte"de mon intervention — le dénouement — nous amène — cela va de
soi — à l'aboutissement de toute la trame précédente.
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Ma première conclusion est que, quant au fond, les positions des Parties n'ont pas évolué
notablement au long des trois écrits soumis, de sorte que leurs prétentions sont aujourd'hui les mêmes
que celles énoncées initialement.
La deuxième conclusion est que de l'avis de la République du Honduras, le seul principe
applicable est celui de l'uti possidetis juris de 1821 et que la procédure menée à bien en 1741 à
Cayaguanca représente un titre — un moyen de preuve — raisonnable, suffisant et susceptible d'une
interprétation assez proche de la réalité de la part de la Cour. Par ailleurs — essentiellement dans
son dernier écrit — le Honduras croit avoir apporté des preuves complémentaires sur ses effectivités
qui corroborent et entérinent ledit titre.
La troisième conclusion est que la République d'El Salvador ne dispose d'aucun titre colonial
jusqu'à la date critique de 1821. En toute logique, ce pays cherche donc appui sur le titre républicain
de El Dulce Nombre de la Palma et sur les effectivités postérieures. Mais ce titre ne peut être
opposé au Honduras, en vertu du principe de l'uti possidetis juris : sans compter que je crois avoir
démontré que l'interprétation salvadorienne de ce titre est excessive. S'agissant des effectivités, les
documents fournis par El Salvador nous semblent — à notre grande surprise — peu nombreux,
vagues et dépourvus de toute valeur probante, encore qu'ils servent à faire ressortir la faiblesse de la
présence salvadorienne dans le secteur contesté.
Compte tenu de tout ce qui précède, le Gouvernement de la République du Honduras demande
respectueusement à Messieurs les Juges de cette Chambre de la Cour qu'ils déclarent comme
frontière dans le secteur litigieux de Cayaguanca le tracé suivant : du rocher de Cayaguanca
(14o
21' 55" de latitude nord et 89o
10' 05" de longitude ouest), en ligne droite jusqu'à la confluence
du torrent Chiquita ou Oscura avec la rivière Sumpul (14o
20' 25" de latitude nord et 89o
04' '57" de
longitude.
Pour en terminer avec mon intervention, je voudrais vous annoncer que mon intention a été
non seulement de procéder à une analyse critique des positions de la Partie adverse, mais également
de défendre les thèses propres à la Partie que je représente. Je tiens à vous exprimer toute ma
reconnaissance pour l'attention et l'amabilité avec lesquelles vous avez, Messieurs les Juges, suivi
- 42 -
mon intervention d'aujourd'hui. Merci beaucoup, Monsieur le Président.
THE PRESIDENT: I thank Professor Sánchez Rodriguez. The sitting is adjourned until
tomorrow at 10 o'clock.
L'audience est levée à 12 h 20.
___________

Document Long Title

Audience publique de la Chambre tenue le mercredi 1 mai 1991, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Sette-Camara, président de la Chambre

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