Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras;Nicaragua (intervenant))
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Le 11 décembre 1986, El Salvador et le Honduras ont notifié à la Cour un compromis en vertu duquel les Parties ont demandé à la Cour de constituer une chambre — composée de trois membres de la Cour et de deux juges ad hoc — en vue: 1) de délimiter la ligne frontière dans les six secteurs non délimités par le traité général de paix conclu entre les deux Etats en 1980 et 2) de déterminer la situation juridique des îles dans le golfe de Fonseca et des espaces maritimes situés à l’intérieur et à l’extérieur de ce golfe. Une telle chambre a été constituée par ordonnance du 8 mai 1987. Les délais afférents à la procédure écrite ont été fixés, puis prorogés à plusieurs reprises à la demande des Parties.
En novembre 1989, le Nicaragua a adressé à la Cour une requête à fin d’intervention en l’espèce, en vertu de l’article 62 du Statut, en indiquant qu’il désirait non pas intervenir dans le différend concernant la frontière terrestre mais protéger ses droits dans le golfe de Fonseca (dont les trois Etats sont riverains), ainsi que « pour informer la Cour de la nature des droits du Nicaragua qui [étaient] en cause dans le litige ». Le Nicaragua a en outre soutenu que sa requête relevait exclusivement de la Cour plénière en matière de procédure. La Cour, par une ordonnance adoptée le 28 février 1990, a dit qu’il appartenait à la Chambre de décider de l’admission de la requête à fin d’intervention. Après avoir entendu les Parties et le Nicaragua lors d’audiences, la Chambre a rendu le 13 septembre 1990 un arrêt par lequel elle a considéré que le Nicaragua avait bien un intérêt d’ordre juridique susceptible d’être affecté par une partie de l’arrêt que la Chambre devait rendre au fond, au sujet du régime juridique des eaux du golfe de Fonseca.
La Chambre a par contre considéré que le Nicaragua n’avait pas établi l’existence d’un intérêt d’ordre juridique susceptible d’être affecté par toutes décisions qu’elle pouvait être requise de rendre en ce qui concerne la délimitation de ces eaux, la situation juridique des espaces maritimes extérieurs au golfe ou la situation juridique des îles du golfe. Dans le cadre ainsi tracé, la Chambre a décidé que le Nicaragua était autorisé à intervenir dans l’instance. Une déclaration écrite du Nicaragua et des observations écrites d’El Salvador et du Honduras sur cette déclaration ont été ensuite déposées. Les exposés oraux des Parties et les observations orales du Nicaragua ont été entendus lors de cinquante audiences, tenues en avril et juin 1991. La Chambre a rendu son arrêt le 11 septembre 1992.
La Chambre note tout d’abord que les deux Parties conviennent que le principe fondamental à appliquer pour la détermination de la frontière terrestre est celui de l’uti possidetis juris, à savoir le principe, généralement admis en Amérique espagnole, que les frontières internationales suivent les anciennes limites administratives coloniales. La Chambre a été en outre autorisée à tenir compte, s’il y avait lieu, d’une disposition du traité de paix de 1980 qui prescrit que la délimitation doit se fonder notamment sur les documents établis par la Couronne d’Espagne ou toute autre autorité espagnole durant l’époque coloniale, qui indiquent les ressorts ou les limites de territoires, ainsi que les autres preuves, thèses et argumentations d’ordre juridique, historique ou humain et tout autre élément. Relevant que les Parties avaient invoqué l’exercice de pouvoirs gouvernementaux dans les zones en litige et d’autres formes d’effectivité, la Chambre a considéré qu’elle pouvait tenir compte d’éléments de preuve d’action de ce genre qui apportent des précisions sur la frontière de l’uti possidetis juris. La Chambre a ensuite examiné successivement, d’ouest en est, chacun des six secteurs en litige de la frontière terrestre, auxquels sont consacrés spécifiquement quelque cent cinquante-deux pages.
En ce qui concerne ensuite la situation juridique des îles dans le golfe, la Chambre a estimé qu’elle avait compétence pour déterminer la situation juridique de toutes les îles, mais qu’une détermination judiciaire ne s’imposait qu’en ce qui concerne les îles faisant l’objet d’un litige, qui étaient, selon elle, El Tigre, Meanguera et Meanguerita. Elle a rejeté la prétention du Honduras selon laquelle il n’existait pas vraiment de différend au sujet d’El Tigre. Notant qu’en théorie juridique chaque île appartenait à l’un des Etats entourant le golfe du fait qu’il avait succédé à l’Espagne, ce qui empêchait l’acquisition par occupation, la Chambre a observé que la possession effective par l’un des Etats pouvait constituer une effectivité postcoloniale, révélatrice de la situation juridique. Comme le Honduras occupait El Tigre depuis 1849, la Chambre a conclu que les deux Parties s’étaient comportées comme si El Tigre appartenait au Honduras. La Chambre a conclu que Meanguerita, qui est très petite, inhabitée et contiguë à Meanguera, était une « dépendance » de Meanguera. Elle a noté qu’El Salvador avait revendiqué Meanguera en 1854 et qu’à partir de la fin du XIXe siècle la présence d’El Salvador sur cette île s’était intensifiée, comme en témoignaient les preuves documentaires considérables concernant l’administration de Meanguera par El Salvador. Elle a considéré que la protestation adressée en 1991 par le Honduras à El Salvador au sujet de Meanguera avait été formulée trop tard pour dissiper la présomption d’acquiescement de la part du Honduras. La Chambre a donc conclu que Meanguera et Meanguerita appartiennent à El Salvador.
S’agissant des espaces maritimes dans le golfe, El Salvador soutenait que lesdits espaces étaient soumis à un condominium des trois Etats riverains et qu’une délimitation était en conséquence inappropriée ; le Honduras affirmait qu’il existait à l’intérieur du golfe une communauté d’intérêts qui nécessitait une délimitation judiciaire. Appliquant les règles normales d’interprétation des traités au compromis et au traité de paix, la Chambre a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour procéder à une délimitation, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du golfe. A propos de la situation juridique des eaux du golfe, la Chambre a noté que, compte tenu de ses caractéristiques, il était généralement reconnu que le golfe était une baie historique. La Chambre a examiné l’histoire du golfe afin de déterminer quel était son « régime », en tenant compte de l’arrêt de 1917 rendu par la Cour de justice centraméricaine dans une affaire qui avait opposé El Salvador au Nicaragua au sujet du golfe. Dans son arrêt, la Cour centraméricaine avait entre autres conclu que le golfe était une baie historique possédant les caractéristiques d’une mer fermée. Notant que les Etats riverains persistaient à soutenir que le golfe était une baie historique possédant le caractère d’une mer fermée, et que d’autres nations avaient acquiescé à cela, la Chambre a observé que son opinion sur le régime des eaux historiques du golfe suivait celle qui avait été exprimée dans l’arrêt de 1917. Elle a considéré que les eaux du golfe, hormis une ceinture maritime de 3 milles, étaient des eaux historiques et étaient soumises à la souveraineté conjointe des trois Etats riverains. Elle a noté qu’aucune tentative n’avait été faite de diviser ces eaux selon le principe de l’uti possidetis juris. La succession conjointe des trois Etats à la zone maritime semblait donc découler logiquement du principe de l’uti possidetis juris. En conséquence, la Chambre a conclu que le Honduras possédait des droits existants dans les eaux situées jusqu’à la ligne de fermeture du golfe, qu’elle a également considérée comme une ligne de base.
Pour ce qui est des eaux situées à l’extérieur du golfe, la Chambre a observé qu’elles mettaient en cause des concepts juridiques entièrement nouveaux auxquels la Cour de justice centraméricaine n’avait pas songé quand elle avait rendu son arrêt en 1917, en particulier le plateau continental et la zone économique exclusive, et a constaté que, à l’exclusion d’une bande située à l’une et l’autre extrémité correspondant aux ceintures maritimes d’El Salvador et du Nicaragua, les trois souverains communs avaient droit, à l’extérieur de la ligne de fermeture, à une mer territoriale, à un plateau continental et à une zone économique exclusive, mais devaient procéder à une division par voie d’accord mutuel. S’agissant enfin de l’effet de l’arrêt sur l’Etat intervenant, la Chambre a conclu qu’il n’a pas autorité de la chose jugée à l’égard du Nicaragua.
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.