Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DU GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DES ÎLES FIDJI
Juillet 2023
[Traduction du Greffe]
Excellence,
Se référant à l’ordonnance de la Cour du 3 février 2023 relative aux « [p]ratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », par laquelle les États Membres de l’Organisation des Nations Unies ont été invités à présenter leur point de vue concernant les questions soumises à la Cour dans la résolution A/RES/77/247 de l’Assemblée générale, le Gouvernement fidjien a l’honneur de soumettre l’exposé écrit ci-après.
Selon les Fidji, la demande d’avis consultatif est inappropriée en l’espèce, et il existe des raisons décisives devant conduire la Cour à refuser, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’y répondre, quand bien même elle s’estimerait compétente pour le faire. Le point de vue du Gouvernement fidjien sur l’opportunité, pour la Cour, d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de rendre un avis consultatif est sans préjudice de son avis sur les questions de fond spécifiques dont la Cour est saisie.
Plus particulièrement, les questions soumises à la Cour sont les suivantes :
« a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) … ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
Le Gouvernement fidjien s’inquiète de plusieurs aspects de la mobilisation de la compétence consultative de la Cour en réponse à la résolution de l’Assemblée générale, tout particulièrement en ce que la demande :
1. vise à contourner des accords juridiquement contraignants ;
2. vise à contourner le principe du consentement requis dans le cadre du règlement des différends sous l’égide des Nations Unies ;
3. vise à instrumentaliser la Cour et procède à cet effet par approximations juridiques ;
4. est de nature contentieuse.
1. TENTATIVE DE CONTOURNER DES ACCORDS JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANTS
Le Gouvernement fidjien estime qu’il est essentiel de maintenir et de faire respecter le cadre juridiquement contraignant établi spécifiquement pour résoudre le conflit israélo-palestinien, tant par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies que par les parties aux accords d’Oslo. Ces régimes juridiques sont contraignants non seulement pour les parties au conflit, mais aussi pour la communauté internationale.
Le processus de paix établi lors de la conférence de Madrid en 1991, soutenue par les Nations Unies, a conduit à une résolution partielle du conflit entre Israël et la Jordanie concernant la Cisjordanie, ainsi qu’à la négociation et à la conclusion d’une série d’accords entre Israël et
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l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). L’OLP présidée par Yasser Arafat a négocié et signé, au nom de tous les Palestiniens, les « accords d’Oslo » entre 1993 et 1997 et s’est dès lors engagée à mettre en place un processus politique pour résoudre le conflit. Dans le cadre de ces accords, Israël et l’OLP (représentant le peuple palestinien) sont convenus d’un plan détaillé et complet pour le redéploiement graduel des forces militaires israéliennes ainsi que le transfert du pouvoir, des responsabilités et de l’autorité du gouvernement militaire israélien et son administration civile à l’Autorité palestinienne autonome.
Les accords d’Oslo sont contraignants et les droits et obligations juridiques qu’ils prévoient demeurent en vigueur non seulement pour les parties à ces accords (Israël et l’OLP), mais aussi pour les États-Unis, la Russie, l’Égypte, la Jordanie, la Norvège et l’Union européenne (en tant que témoins signataires), ainsi que pour tous les Membres de l’Organisation des Nations Unies. Dans sa résolution ES-10/14 du 8 décembre 2003, l’Assemblée générale a approuvé les accords d’Oslo en tant que base pour un processus politique négocié, et lesdits accords ont été déposés au Secrétariat. La Cour a reconnu l’importance des accords d’Oslo dans le cadre de son avis sur le mur1.
Selon l’article premier de la déclaration de principes des accords d’Oslo (1993), « [i]l est entendu que les arrangements intérimaires font partie intégrante de l’ensemble du processus de paix et que les négociations sur le statut permanent aboutiront à l’application des résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité ».
Dans les accords d’Oslo, les parties ont admis que le seul moyen de résoudre leur différend était de passer par le « processus politique convenu ». Dans l’attente d’un accord définitif, elles ont convenu :
qu’Israël serait autorisé à maintenir un gouvernement militaire et une administration civile en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ;
que la Cisjordanie serait divisée en trois zones : A, B et C ; les Palestiniens auraient le contrôle total sur la zone A, la zone B serait placée sous le contrôle conjoint d’Israël et des Palestiniens et la zone C, exclusivement sous contrôle israélien ; et
que les questions concernant les « implantations », les « frontières », « Jérusalem » et d’autres thèmes seraient l’objet de négociations sur le statut permanent.
Les accords d’Oslo visent à mettre en oeuvre les principes exposés dans la résolution phare 242 du Conseil de sécurité. Cette résolution reconnaissait le droit d’Israël à des frontières sûres et reconnues et à l’intégrité territoriale, n’exigeait pas le retrait complet des forces armées israéliennes des territoires conquis en 1967 et ne reconnaissait pas à l’époque de droits aux « Palestiniens » sur ce territoire ni ne s’y référait. Entre-temps, le statut de la Cisjordanie est resté un sujet de négociations entre Israël et l’OLP.
Le 19 novembre 2003, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1515 (2003), « [a]pprouv[ant] la Feuille de route axée sur les résultats en vue d’un règlement permanent du conflit israélo-palestinien prévoyant deux États, établie par le Quatuor ». Selon cette feuille de route,
« [u]n règlement du conflit israélo-palestinien prévoyant deux États ne verra le jour que lorsque la violence et le terrorisme auront pris fin, que le peuple palestinien aura des dirigeants qui agiront de façon décisive contre le terrorisme et auront la volonté et la capacité de construire une véritable démocratie fondée sur la tolérance et la liberté, qu’Israël se montrera prêt à faire ce que nécessite l’instauration d’un État palestinien
1 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 158, par. 77.
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démocratique et que les deux parties accepteront clairement et sans ambiguïté l’objectif d’un règlement négocié, tel qu’il est décrit ci-dessous ».
Les accords d’Oslo et la feuille de route mettaient l’accent sur l’exécution réciproque et les négociations de bonne foi, censées mener à une solution consensuelle reflétant le caractère complexe des intérêts et préoccupations juridiques, politiques et pratiques. Demander à la Cour de donner son avis uniquement sur les sanctions juridiques découlant du prétendu non-respect du droit international par Israël, sans même faire référence aux droits et obligations de l’OLP en vertu des accords d’Oslo, tend à compromettre l’équilibre délicat entre droits et obligations visé par les accords d’Oslo. Ces questions sont l’objet d’accords contraignants, que la Cour, ipso facto, se doit de respecter.
L’importance et la nature contraignante des accords d’Oslo ont été récemment confirmées par l’Autorité palestinienne, pour le compte de l’OLP, à Charm el-Cheikh. À l’invitation de la République arabe d’Égypte, de hauts représentants politiques et responsables de la sécurité jordaniens, israéliens, palestiniens et américains se sont réunis le 19 mars 2023 dans cette ville égyptienne. Le Gouvernement d’Israël et l’Autorité palestinienne ont réaffirmé « leur attachement indéfectible à tous les accords antérieurs entre elles », « leur engagement dans le cadre de tous les accords antérieurs entre elles et … leur accord s’agissant d’un règlement de toutes les questions en suspens par le dialogue direct ».
Les circonstances relatives à l’archipel des Chagos, qui ont permis à la Cour de rendre un avis consultatif au sujet de la décolonisation, ne s’appliquent pas en l’espèce2. Dans le cadre de la procédure relative aux Chagos, la République de Maurice contestait l’accord de 1966 qu’elle avait conclu avec le Royaume-Uni. À l’opposé, l’Autorité palestinienne reconnaît que les accords d’Oslo conclus avec Israël continuent d’être contraignants. Pour ces raisons et d’autres encore, les deux situations se distinguent clairement.
Israël a indiqué sans ambiguïté qu’il ne consentait pas à la compétence de la Cour s’agissant de questions faisant l’objet des accords conclus entre lui et l’OLP. Les parties sont convenues de ne pas agir en dehors du cadre des négociations. La demande d’avis consultatif constitue une manoeuvre juridique pour esquiver les obligations imposées à l’OLP par les accords d’Oslo, qui prendraient dès lors de nouveaux contours en atténuant les responsabilités de l’OLP.
La Cour devrait rejeter cette manoeuvre visant à contourner le cadre juridiquement contraignant établi pour résoudre le conflit israélo-palestinien. En conséquence, elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser de rendre l’avis consultatif demandé.
2. TENTATIVE DE CONTOURNER LE PRINCIPE DU CONSENTEMENT REQUIS DANS LE CADRE DU RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS SOUS L’ÉGIDE DES NATIONS UNIES
Dans la résolution 77/247, l’Assemblée générale des Nations Unies demande à la Cour de se pencher sur une question qui, fondamentalement, participe d’un différend avec un État Membre de l’Organisation des Nations Unies, à savoir Israël. Il est évident qu’Israël n’a pas consenti à soumettre ce différend à la Cour pour règlement judiciaire.
Les Fidji craignent que le recours à la procédure d’avis consultatif dans un tel cas ne revienne à contourner et n’ait pour effet d’éroder le principe garanti par l’article 36 du Statut de la Cour, selon lequel les affaires contentieuses ne peuvent être portées devant celle-ci qu’avec le consentement des parties concernées.
2 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 107-111, par. 28-49.
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En outre, rendre un avis serait inconciliable avec le caractère judiciaire de la Cour. Comme celle-ci l’a déjà constaté précédemment,
« le défaut de consentement d’un État intéressé peut, dans certaines circonstances, rendre le prononcé d’un avis consultatif incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour. Tel serait le cas si les faits montraient qu’accepter de répondre aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant » (Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33).
Il importe de souligner que cette demande concernant le conflit israélo-palestinien est très différente de celle soumise par l’Assemblée générale en 2003. Dans le cadre de la procédure sur le mur, la Cour avait été invitée à se prononcer sur les conséquences juridiques d’une action spécifique et bien circonscrite, à savoir l’édification, par Israël, d’une barrière de sécurité. Cette demande d’avis-là se distingue de celle-ci en ce qu’elle ne portait que sur un aspect d’un différend plus vaste, comme l’a d’ailleurs souligné la Cour3. En l’espèce, la Cour est invitée à se prononcer sur un éventail on ne peut plus large de questions relatives au conflit politique et armé entre Israéliens et Palestiniens. Un avis consultatif sur les conséquences juridiques des violations alléguées du droit international toucherait au coeur même de ce conflit et obligerait la Cour à dire le droit à propos de l’ensemble dudit conflit.
Par ailleurs, rendre un avis consultatif créerait un précédent dangereux. La Cour pourrait tout aussi bien être invitée à se prononcer sur l’autodétermination des peuples, par la reconnaissance d’États, dans le cas des Basques, Canaques, Cachemiriens, Kurdes, Papous, Taïwanais, Tibétains, ou encore du Xinjiang ou de bien d’autres. En rendant un avis consultatif conformément à la résolution 77/247 de l’Assemblée générale, la Cour mettrait à mal son prestige et son intégrité judiciaire.
Par ailleurs, la procédure consultative n’est pas appropriée parce qu’elle n’offre pas les garanties qui s’appliquent nécessairement à une procédure contradictoire, malgré la nature manifestement contentieuse du différend qui serait examiné en l’espèce. Ainsi, il n’est pas possible de nommer des juges ad hoc de la nationalité des parties, ni à celles-ci de désigner leur conseil ou encore de procéder à un contre-interrogatoire. En outre, la demande est un exemple même de partialité et d’opinion préconçue. L’injustice liée à l’absence de garanties est amplifiée par le libellé de la demande, où sont présentées comme avérées, sans contestation possible, un ensemble de violations de droits d’une manière qui montre qu’il a déjà été préjugé d’aspects factuels et juridiques.
3. RECOURS À DES APPROXIMATIONS JURIDIQUES À L’EFFET D’INSTRUMENTALISER LA COUR
Les à-peu-près juridiques visibles à travers la demande sont problématiques : amalgame entre jus ad bellum et jus in bello, fausses affirmations de violation du droit des Palestiniens à l’autodétermination ainsi que d’annexion israélienne de l’ensemble de la Cisjordanie et du territoire national palestinien.
Le problème posé par l’amalgame entre jus ad bellum et jus in bello est manifeste dans les affirmations que renferme la demande, lesquelles mettent en cause l’occupation israélienne dans son ensemble, bien que celle-ci soit licite au regard du jus ad bellum. Que la manière dont Israël applique le jus in bello prête à controverse ne signifie pas que l’occupant n’ait pas de droits en vertu du jus ad bellum, et ces deux aspects ne doivent pas être confondus.
3 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 158, par. 49.
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En vertu du jus ad bellum, la présence d’Israël est légitime, comme l’affirment les résolutions 242 (1967), 338 (1973) et 2334 (2016) du Conseil de sécurité. Ces résolutions reconnaissent le contrôle par Israël des territoires présumés occupés sans toutefois affirmer que ce contrôle constitue en soi une violation du droit international. De plus, la présence d’Israël en Cisjordanie est entérinée par des accords juridiques internationaux détaillés, tels que le traité de paix entre l’État d’Israël et le Royaume hachémite de Jordanie du 26 octobre 1994. Selon les accords d’Oslo, le statut définitif des territoires doit faire l’objet de négociations. Il a été admis, dans différentes propositions de paix négociées entre les parties — y compris dans la lettre du 14 avril 2004 adressée par le président américain George W. Bush au premier ministre israélien Ariel Sharon —, que des échanges de territoires étaient possibles.
La demande pose également la question des conséquences juridiques qui découlent de « l’occupation prolongée » d’Israël. Si Israël occupe un reste de territoires dont il a pris le contrôle au titre de la légitime défense en juin 1967, le simple fait de l’occupation n’entraîne pas l’illicéité. Le contrôle d’une grande partie de ces territoires a été restitué à la suite de la conclusion d’un accord de paix entre l’Égypte et Israël, fondé sur la base des accords de Camp David de 1978. (Israël a unilatéralement renoncé à son contrôle sur la bande de Gaza en 2006 et l’a remis à l’Autorité palestinienne la même année, sans qu’un accord de paix ait été signé concernant le statut définitif. Les actes d’agression qui ont continué d’être commis contre Israël depuis la bande de Gaza sont notoires.) Israël a exprimé et démontré sa volonté de céder le contrôle de ces territoires en échange d’un retour à la paix. Le droit international n’impose aucune contrainte en ce qui concerne la durée de l’occupation. Le droit s’y rapportant reste applicable tout au long d’un conflit armé et perdure jusqu’à ce qu’il soit résolu.
Le cas de la présence illicite de l’Afrique du Sud en Namibie n’est pas comparable, car il s’agissait en l’espèce d’un mandat de classe C de la Société des Nations dans le Sud-Ouest africain (Namibie) accordé à l’Afrique du Sud en 1915 et auquel il a été mis fin en 1966 en vertu de la résolution 2145 (XXI) de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui a rendu illicite la poursuite de la présence sud-africaine. Dans la situation actuelle, il n’y a ni mandat ni fin de celui-ci. La présence israélienne est licite.
La demande fait également référence à l’« annexion » dans le contexte de la Cisjordanie ; or Jérusalem-Est constitue le seul territoire annexé. La situation concernant Jérusalem-Est est complexe, et la Cour ne peut trancher cette question que si des éléments juridiques et historiques exhaustifs, objectifs et vérifiés lui sont présentés. En 1947, l’Assemblée générale des Nations Unies avait recommandé que la ville de Jérusalem, auparavant unifiée, devienne un condominium international, mais Jérusalem-Est a été envahie de manière illicite par la Jordanie en 1948, puis prise à la Jordanie par Israël dans l’exercice de son droit à la légitime défense en 1967, ensuite annexée de facto et réunifiée par Israël en 1980, avant d’être transmise symboliquement par la Jordanie à l’OLP en 1988. Une importante population juive réside à Jérusalem-Est depuis des siècles ; c’est la capitale historique du peuple juif depuis plus de 3 000 ans. Jérusalem-Ouest a été édifiée par les Juifs et se trouve sous la juridiction et le contrôle d’Israël depuis 1948 ; elle a été considérée comme relevant de la souveraineté israélienne dans la résolution 242 du Conseil de sécurité, qui ne mentionnait comme contrepartie à l’instauration de la paix que les territoires occupés par Israël en 1967. Bien que le Conseil de sécurité ait fait référence en 1980 à la « ville sainte de Jérusalem » et affirmé que l’annexion de facto de la ville par Israël constituait une violation de ses obligations en tant que puissance occupante, cette résolution ne concernait que Jérusalem-Est. Par ailleurs, les allégations selon lesquelles Israël a, de manière illicite, annexé Jérusalem-Est présupposent que le droit international interdit l’annexion en toutes circonstances, y compris lors de la réunification d’une capitale nationale.
La demande d’avis consultatif évoque également des « lois et mesures discriminatoires ». Faire vaguement référence à une prétendue « adoption par Israël de lois et mesures discriminatoires connexes » relève de l’imprécision et de la pétition de principe. L’application du jus in bello implique une législation et des mesures distinctes du droit interne d’Israël. L’application de celui-ci
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équivaudrait à une annexion de fait. En outre, Israël peut s’écarter de l’application du droit jordanien antérieur dans la mesure nécessaire pour répondre à ses besoins en matière de sécurité en tant que puissance occupante
4. Il serait incompatible avec sa fonction judiciaire que la Cour procède, en l’espèce, en choisissant de manière sélective, d’une part, les mesures prétendument « discriminatoires » et, d’autre part, les normes à l’aune desquelles les évaluer.
La demande fait également référence à la « colonisation … du territoire palestinien », en utilisant des approximations en ce qui concerne le statut juridique de ce territoire. Le droit international interdit les déplacements forcés de populations dans des territoires occupés, mais ne prohibe pas les migrations civiles en tant que telles5. Par ailleurs, le terme « territoire palestinien » est un concept politique sans spécificité juridique. En ne recommandant pas le retrait de l’ensemble des territoires, la résolution 242 du Conseil de sécurité n’exclut pas les revendications territoriales légitimes d’Israël sur certains d’entre eux. C’est d’ailleurs la Jordanie, et non les Palestiniens, qui a revendiqué le territoire à l’origine.
Il est dès lors possible de considérer que la question de la souveraineté sur les territoires en cause est en suspens jusqu’à ce qu’un accord de paix soit conclu. La Cour a pris soin, en 2004, d’éviter de se prononcer sur le statut souverain de ces territoires, sauf pour déterminer qu’ils ne faisaient pas alors partie du territoire souverain d’Israël. Le statut juridique de la Cisjordanie/Judée-Samarie occupée par Israël n’a jamais été défini. En outre, pour trancher cette question, la Cour devrait examiner l’histoire complexe de la région depuis 1920, un exercice dont il est permis de penser qu’il dépasse le cadre de la demande. Il convient, de plus, de mentionner que l’article 2 du mandat pour la Palestine, attribué en 1922 par le Conseil de la Société des Nations, a une portée juridique certaine, puisque cet article, en imposant l’obligation en droit d’assurer l’établissement du foyer national pour le peuple juif sur le territoire situé entre la Méditerranée et le Jourdain, reconnaît les droits du peuple juif à cet égard. Le mandat incluait, en son article 6, un droit à l’immigration et à l’établissement du peuple juif sur ce territoire6.
Le principe des « droits juridiques acquis » en droit international faisait partie des dispositions transitoires entre le système des mandats de la Société des Nations et le régime de tutelle de la Charte des Nations Unies. L’article 80 de ladite Charte a maintenu les droits du peuple juif et des autres peuples dont les territoires étaient placés sous le système des mandats. Lorsque les Britanniques ont unilatéralement mis fin à leurs responsabilités au titre du mandat et que l’État d’Israël a été proclamé le 14 mai 1948, les droits prévus par le mandat sont restés applicables sur le territoire qui n’était pas encore sous le contrôle du nouvel État. La Cour a souligné l’importance des droits conférés par un mandat aux peuples concernés dans ses avis consultatifs sur le Sud-Ouest africain7 et la Namibie8.
Autre exemple d’artifice tendant à instrumentaliser la Cour : la demande qui lui est faite de se prononcer sur les « conséquences juridiques » de la « violation persistante par Israël » du « droit du peuple palestinien à l’autodétermination ». Il est présumé que la Cour approuve les affirmations de fait concernant la violation alléguée de ce droit. Il ne fait aucun doute que le peuple palestinien a le droit de disposer de lui-même ; toutefois, il ne peut être supposé qu’Israël viole les droits des Palestiniens à cet égard :
4 Convention de Genève IV, art. 64.
5 Ibid., art. 49, sixième alinéa.
6 Wolfgang Bock, Andrew Tucker, Gregory Rose: will Two States for Two Peoples? The Palestinian-Israeli Conflict, International Law and European Union Policy. Sallux ECPM Foundation, 2023, Chapter 7 — West Bank Territorial Sovereignty.
7 Statut international du Sud-Ouest africain, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 128-133.
8 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 16-33 et 38.
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a) L’application d’un droit à l’autodétermination nécessite que la volonté des peuples concernés soit pleinement établie9. Étant donné que les dirigeants palestiniens n’ont pas réussi à organiser des élections au cours des 16 dernières années, cette condition n’est pas remplie.
b) Contrairement à une opinion très répandue, mais infondée, des sondages d’opinion fiables (par exemple, celui de décembre 2021) montrent qu’une très grande majorité d’Arabes de Jérusalem-Est préfèrent le maintien de l’administration israélienne du territoire10.
c. L’autodétermination est un droit relatif, qui doit être respecté parallèlement à d’autres droits, y compris ceux du peuple juif à l’autodétermination et à la sécurité. C’est pourquoi il est essentiel que le conflit soit résolu par le biais d’un processus politique.
Dans le cadre des accords d’Oslo, l’OLP a accepté que la « réalisation des droits légitimes du peuple palestinien et de ses justes exigences » dépende du respect de conditions comprenant des « élections politiques générales, libres et directes » en tant que « base démocratique pour la mise en place d’institutions palestiniennes ». Aux articles II à IX et l’annexe 2 de l’accord intérimaire d’Oslo II (1995) figurent les dispositions régissant l’élection de l’Autorité. C’est le fait que leurs dirigeants n’ont pas appliqué ces dispositions qui prive actuellement les Palestiniens de leur droit à l’autodétermination.
Même prima facie, l’on comprend à quel point relèvent de l’approximation les allégations quant au droit que renferme la demande et que les affirmations factuelles présentées sont trompeuses ou fausses. Si l’Assemblée générale veut obtenir un avis, elle ne peut exiger que la Cour soit, au préalable, d’accord avec ses propres affirmations. Si la Cour devait examiner ces questions, il est très probable que son avis consultatif serait fondé sur des informations erronées11.
4. LA NATURE CONTENTIEUSE DE LA DEMANDE
Il est primordial de garder à l’esprit le contexte politique de la demande, qui n’a pas été appuyée par la majorité des États Membres des Nations Unies. Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale a adopté la résolution par 87 voix contre 26, avec 53 abstentions. C’est une minorité d’États (87 sur 193) qui ont soutenu cette résolution12. La motion avait été préparée par l’Autorité palestinienne au sein de la Quatrième Commission de l’Assemblée générale, et la nature contentieuse et politisée de la résolution est apparue clairement lors des débats et du vote, au cours duquel une majorité d’États membres ayant exprimé leur opposition se sont abstenus ou ont choisi d’être absents. Donner un avis consultatif accentuerait ces divisions internationales, renforcerait l’esprit partisan et rendrait le conflit plus insurmontable encore.
Plus grave encore, peut-être, d’aucuns pourraient voir dans le choix de rendre un avis consultatif en réponse à cette demande un encouragement à détourner le droit international de ses justes objectifs. Donner un tel avis porterait atteinte au principe pacta sunt servanda, selon lequel les accords juridiques doivent être respectés, affaiblirait le principe du consentement à la résolution des différends, compromettrait la fonction judiciaire de la Cour et entraverait le règlement pacifique des différends. À long terme, le respect de l’état de droit et l’intégrité des institutions juridiques internationales s’en trouveraient ébranlés.
9 Voir le paragraphe 4 de l’avis no 4 de la commission Badinter (commission d’arbitrage de la conférence pour la paix en Yougoslavie).
10 https://www.shfanews.net/post/102082.
11 Dans le cadre de l’avis consultatif sur le mur, de fausses informations ont été utilisées, comme l’a montré la Cour suprême israélienne dans son arrêt Maraábe et al v. Prime Minister of Israel et al, Supreme Court of Israel, H.C.J. 7957/04, 15 septembre 2005.
12 https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N22/690/18/PDF/N2269018.pdf?OpenElement
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Afin de protéger les valeurs que promeut la Charte des Nations Unies en matière de règlement pacifique des différends et de préserver l’intégrité et la neutralité politique de la Cour, il serait judicieux que celle-ci exerce le pouvoir discrétionnaire qui est le sien de ne pas rendre l’avis consultatif demandé.
Je vous prie d’accepter, Excellence, l’assurance renouvelée de ma plus haute considération.
Le 24 juillet 2023.
L’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, représentant permanent des Fidji auprès de l’Organisation des Nations Unies,
(Signé) Filipo TARAKINIKINI.
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Exposé écrit du Fidji