Réplique du Chili

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162-20190215-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
16831
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DIFFÉREND CONCERNANT LE STATUT ET L’UTILISATION DES EAUX DU SILALA
(CHILI C. BOLIVIE)
RÉPLIQUE DU CHILI
VOLUME 1
15 février 2019
[Traduction du Greffe]
RÉPLIQUE DU CHILI
VOLUME 1
Titre
Page
Réplique du Chili ..........................................................................................
1
Rapport d’experts : Wheater, H. S. et Peach, D. W., Incidences de la chenalisation du Silala en Bolivie sur l’hydrologie de son bassin hydrographique..............................................................................................
47
Rapport d’experts : Peach, D. W. et Wheater, H. S., La géologie, l’hydrogéologie et l’hydrochimie du bassin hydrographique du Silala .........
95
Déclarations d’indépendance et de sincérité de MM. Howard Wheater et Denis Peach ...................................................................................................
140
Liste des annexes de la réplique du Chili .....................................................
142
Liste des annexes des rapports des experts ...................................................
143
Certification ...................................................................................................
144
- ii -
TABLE DES MATIÈRES
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LISTE DES FIGURES ............................................................................................................................ iv
LISTE DE TABLEAUX .......................................................................................................................... iv
CHAPITRE 1  INTRODUCTION .......................................................................................................... 1
A. Le différend porté devant la Cour ......................................................................................... 1
B. Structure de la réplique .......................................................................................................... 4
CHAPITRE 2  LES PRÉTENTIONS DE LA BOLIVIE S’AGISSANT DE L’ÉCOULEMENT «ARTIFICIELLEMENT AMÉLIORÉ» DU SILALA NE TROUVENT AUCUN APPUI DANS LE DROIT INTERNATIONAL ET NE TIENNENT PAS COMPTE DES FAITS HISTORIQUES ESSENTIELS ........................................................................................................ 6
A. Les principes reflétés dans la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation s’appliquent aux cours d’eau internationaux et à l’intégralité de leurs eaux ............................................. 6
1. Le droit international ne reconnaît pas le concept d’eau «artificielle» ....................... 7
2. Le principe de l’utilisation équitable et raisonnable est pleinement compatible avec les mesures d’optimisation des cours d’eau internationaux .............................. 10
3. Rien ne justifie que des Etats d’amont exigent une redevance pour la construction ou l’entretien d’ouvrages dont ils ont seuls l’initiative sur leur territoire ..................................................................................................................... 12
4. La jurisprudence, la pratique des Etats et la doctrine dont se réclame la Bolivie n’étayent pas l’existence d’un régime juridique distinct applicable à un écoulement «artificiellement amélioré» et sont sans rapport avec la thèse bolivienne .................................................................................................................. 18
B. Le contexte historique à prendre en considération pour les demandes reconventionnelles de la Bolivie : principales omissions de la Bolivie .............................. 21
1. La Bolivie oublie que pendant presque un siècle le Chili et elle-même ont reconnu le Silala comme une rivière, sans distinction entre écoulements «naturels» et «artificiels» .......................................................................................... 22
2. Les faits véritables concernant les concessions de 1906 et de 1908 et la chenalisation ultérieure (1928) effectuée en Bolivie pour des raisons sanitaires .................................................................................................................... 23
3. La Bolivie néglige le simple fait que les chenaux ont été construits avec son autorisation ......................................................................................................... 26
4. Bien que la concession de 1908 ait pris fin en 1997, la Bolivie n’a pas retiré les chenaux ou restauré les zones humides ............................................................... 27
C. Conclusion : la distinction entre écoulement «naturel» et écoulement «artificiellement amélioré» avec les conséquences juridiques que lui attribue la Bolivie est intenable au regard du droit international et les deuxième et troisième demandes reconventionnelles de la Bolivie doivent être rejetées ....................................... 28
CHAPITRE 3  LA THÈSE DE LA PRÉTENDUE INCIDENCE DE LA CHENALISATION EN BOLIVIE EST INDÉFENDABLE DANS LES FAITS ...................................................................................... 30
A. Le Chili et la Bolivie conviennent que de par sa nature et son fonctionnement le Silala est un cours d’eau international ............................................................................. 31
- iii -
1. Le Chili et la Bolivie s’accordent sur le fait que le Silala est un écoulement pérenne qui jaillit de deux ensembles de sources en Bolivie et s’écoule le long de la pente topographique naturelle allant de la Bolivie au Chili ............................. 31
2. Le Chili et la Bolivie s’accordent sur le fait que la chenalisation réalisée en 1928 en territoire bolivien n’a qu’un effet limité sur la perte directe d’eau par évaporation, laquelle représente 2 % au plus de l’écoulement transfrontière actuel ......................................................................................................................... 32
3. Le Chili et la Bolivie s’accordent sur la complexité du réseau d’eaux souterraines du Silala, dont l’origine et les zones de recharge sont différentes ........ 32
4. Même s’ils interprètent différemment la géologie et l’hydrogéologie du bassin hydrographique du Silala, le Chili et la Bolivie s’accordent sur son caractère de cours d’eau international ...................................................................................... 33
B. L’estimation par la Bolivie de l’incidence, sur l’écoulement de surface transfrontière, de la chenalisation de 1928 sur son territoire (30 à 40 % d’«écoulement artificiel») n’est pas tenable et s’appuie sur un modèle numérique fondamentalement vicié ............... 33
1. Les trois scénarios («référence», «sans canal» et «zones humides restaurées») utilisés par la Bolivie pour calculer la proportion d’«écoulement artificiel» (30 à 40 % selon elle) ne sont pas conformes à la loi de conservation de la masse et ne peuvent pas aboutir à un résultat fiable ................................................. 33
2. L’estimation de la Bolivie repose sur un modèle numérique fondamentalement vicié, qui conduit à une surestimation flagrante  par un facteur de 20 environ  de l’incidence de la chenalisation de la zone humide sur le débit de l’écoulement de surface ........................................................................... 37
3. Le modèle en champ proche du DHI repose sur une interprétation erronée de la géologie et de l’hydrogéologie .............................................................................. 40
4. Toute réduction de l’écoulement de surface transfrontière serait de toute façon contrebalancée par une augmentation de l’écoulement souterrain transfrontière ..... 41
5. Les conclusions du rapport Ramsar sur la dégradation des zones humides sur le site du Silala ne sont pas étayées et contredisent les récentes données fournies par le DHI et d’autres rapports d’experts .................................................... 42
C. Conclusion : l’incidence de la chenalisation de 1928, due à une réduction de la perte par évapotranspiration, se limite à 2 % au plus de l’écoulement de surface transfrontière actuel ; toute autre incidence alléguée par la Bolivie est largement exagérée ............................................................................................................................... 44
CONCLUSIONS .................................................................................................................................. 46
- iv -
LISTE DES FIGURES
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Figure 1
Etendue approximative du champ [lointain] du Silala (rapport du DHI. CMB, vol. 2, p. 271, figure 3). ...................................................................................
34
Figure 2
a) Gradient de charge typique des eaux souterraines de la limite du modèle en champ proche à la zone humide ; b) gradient de charge typique des eaux souterraines de la limite du modèle en champ lointain à la zone humide (rapport Wheater 2019, p. 23, figures 3 a) et b)) .............................................
38
LISTE DE TABLEAUX
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Tableau 1
Résultats de la modélisation par le DHI des différents scénarios (rapport du DHI, CMB, vol. 5, p. 67, tableau 1) .............................................................
35
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
1.1. La présente réplique est soumise dans le délai fixé dans l’ordonnance du 15 novembre 2018, par laquelle la Cour a prescrit à la République du Chili (ci-après le «Chili») de déposer une réplique limitée aux demandes reconventionnelles du défendeur.
A. LE DIFFÉREND PORTÉ DEVANT LA COUR
1.2. Dans son mémoire du 3 juillet 2017, le Chili a fait observer que le différend porté devant la Cour est simple et circonscrit par nature1. Le Chili prie la Cour de dire que le Silala est un cours d’eau international (comme la Bolivie et lui-même l’ont constamment reconnu pendant près d’un siècle avant que la Bolivie ne change soudainement de position en septembre 1999)2, et que ce statut génère des droits et obligations corollaires pour les Etats riverains3. Le Chili a décidé de demander ce jugement déclaratoire après que le président bolivien, Evo Morales, l’eut accusé publiquement, en mars 2016, de «voler» les eaux du Silala à la Bolivie, annonçant à la même occasion que celle-ci saisirait la Cour, et après que le ministre bolivien des affaires étrangères eut déclaré par la suite que cette saisine prendrait au moins deux ans4.
1.3. Le contre-mémoire déposé par la Bolivie le 3 septembre 2018 vient circonscrire encore davantage le différend. La Bolivie convient (comme avant 1999) que le Silala est effectivement un cours d’eau international qui s’écoule le long de la pente topographique naturelle de son territoire vers le Chili, franchissant la frontière dans une gorge naturelle5. Elle convient également que les deux Etats riverains ont des droits et des obligations qui leur imposent d’utiliser le Silala de manière équitable et raisonnable, de prévenir les dommages importants, de coopérer, de notifier en temps utile les mesures projetées susceptibles d’avoir un effet préjudiciable important, d’échanger des informations et données et, s’il y a lieu, de conduire des évaluations de l’impact sur l’environnement6.
1.4. La question qui reste à trancher est celle de la nouvelle revendication de la Bolivie, qui affirme avoir des droits souverains sur une partie des eaux du Silala qu’elle qualifie d’«eaux du Silala qui s’écoulent artificiellement» (par opposition à celles qui ont un «écoulement naturel»)7. La Bolivie soutient que cet «écoulement artificiel» est créé par les chenaux et les systèmes de drainage situés sur son territoire et qu’il représente un apport de 30 à 40 % de l’écoulement de surface transfrontière actuel8. Elle affirme également que le droit international coutumier relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux ne s’applique pas à la composante de l’écoulement du Silala qu’elle qualifie
1 Mémoire du Chili (ci-après «MC»), par. 1.3 et 1.5.
2 Ibid., par. 1.8.
3 Ibid., par. 1.2.
4 Ibid., par. 1.8-1.9.
5 Contre-mémoire de la Bolivie (ci-après «CMB»), par. 44.
6 Ibid., par. 16-18.
7 Ibid., par. 14 [les italiques sont omis].
8 Ibid., par. 13.
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d’«artificiel»9, et que la «fourniture» de ces eaux «s’écoulant artificiellement» au Chili est subordonnée à la conclusion d’un accord futur entre les deux Etats10.
1.5. La Bolivie invoque ces arguments non seulement comme moyens de défense contre les demandes du Chili, mais également comme fondement des demandes reconventionnelles qui font l’objet de la présente réplique. En particulier, la Bolivie fait valoir qu’elle détient la souveraineté sur les eaux du Silala dont l’écoulement a été artificiellement aménagé, amélioré ou créé sur son territoire (demande reconventionnelle b)), et que toute fourniture, par la Bolivie au Chili, d’eaux s’écoulant artificiellement du Silala, ainsi que les conditions et modalités d’une telle fourniture, notamment la redevance à verser, sont soumises à la conclusion d’un accord entre les deux pays (demande reconventionnelle c))11. La demande reconventionnelle a), qui vise la souveraineté de la Bolivie sur les chenaux et systèmes de drainage artificiels du Silala situés sur son territoire12, n’est pas contestée par le Chili pour autant que, dans l’exercice de sa souveraineté, la Bolivie respecte les obligations qui découlent du statut de cours d’eau international du Silala. Etant donné qu’il n’existe aucun différend concernant la souveraineté de la Bolivie sur son territoire, la Cour n’est pas compétente pour connaître de la demande reconventionnelle a)13. A titre subsidiaire, la demande reconventionnelle a) est sans objet.
1.6. Les demandes reconventionnelles b) et c) (de même que les moyens de défense avancés en parallèle contre les demandes du Chili) ne sont fondées ni en fait ni en droit.
1.7. S’agissant des faits, il existe un élément très fondamental : le Silala prend sa source en territoire bolivien et s’écoule le long d’une pente jusqu’au Chili. Quand bien même les ouvrages dont la Bolivie a autorisé l’installation sur son territoire auraient une incidence importante sur l’écoulement des eaux de surface (et ce n’est pas le cas), en l’absence de tels ouvrages, les mêmes eaux s’écouleraient de toute façon jusqu’au Chili, sous forme d’eaux souterraines14. La Bolivie n’a aucun argument  et ne pourrait en trouver  pour défendre la thèse selon laquelle, en l’absence d’ouvrages, les eaux dont elle prétend qu’elles «s’écoulent artificiellement» défieraient les lois de la gravité et demeureraient confinées dans la partie située en territoire bolivien du système des eaux de surface et souterraines du Silala.
1.8. De fait, si la Bolivie souhaite retirer les chenaux et procéder à la restauration des zones humides afin que celles-ci reviennent à leur état d’avant les années 1920, le Chili l’encourage vivement à le faire :
a) Le Chili rappelle qu’il n’a aucunement pris part à la construction des chenaux en territoire bolivien. Les travaux ont été effectués en 1928 par une entreprise britannique, la compagnie
9 CMB, par. 14 [les italiques sont omis].
10 Ibid., par. 20.
11 Ibid., par. 181 b) (ou la «deuxième demande reconventionnelle») et c) (ou la «troisième demande reconventionnelle»).
12 Ibid., par. 181 a) (ou la «première demande reconventionnelle»).
13 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 15 novembre 2017, C.I.J. Recueil 2017 (II), p. 311, par. 69-70. Le Chili est d’avis que cette question de compétence distincte  à savoir, le défaut de compétence de la Cour pour statuer sur la demande reconventionnelle a) en l’absence d’un différend entre les Parties, dont l’existence est requise par l’article XXXI du pacte de Bogotá  peut être tranchée au stade du fond.
14 Comme le confirme la Bolivie : «Les eaux de surface et souterraines s’écoulent généralement vers l’ouest», CMB, par. 47.
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ferroviaire Antofagasta (Chili) and Bolivia Railway Company (ci-après la «compagnie de chemin de fer» ou la «FCAB» selon le sigle espagnol), conformément à la concession accordée par la Bolivie en 1908. Cette concession a été résiliée unilatéralement par la Bolivie en 1997. Depuis lors, rien n’empêche cette dernière de retirer ou de remplir les chenaux pour restaurer les zones humides Cajones et Orientales afin de rendre celles-ci à leur état naturel.
b) Le Chili encourage la Bolivie à prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver les zones humides sur son territoire et, si ces mesures comprenaient le retrait des chenaux revêtus de pierres construits dans les années 1920, il ne s’y opposerait aucunement. Bien entendu, toute restauration des zones humides devrait être effectuée de manière à ne pas perturber les conditions naturelles du système hydrographique du Silala, c’est-à-dire sans qu’il y ait manquement aux obligations de la Bolivie envers le Chili en tant qu’Etat riverain en droit international coutumier ou atteinte au droit du Chili à une utilisation équitable et raisonnable des eaux du Silala.
1.9. A supposer qu’il soit nécessaire de se pencher davantage sur les faits (et ce n’est pas le cas), les experts du Chili confirment que l’estimation de la Bolivie, à savoir que l’écoulement «artificiellement amélioré» serait de 30 à 40 %, va à l’encontre du bon sens et est, au mieux, une flagrante exagération. Ces estimations sont entièrement basées sur un modèle hydrologique conçu par le consultant mandaté par la Bolivie, l’institut danois d’hydraulique («DHI» selon son sigle anglais), à partir de données très limitées. Selon les experts du Chili, cette modélisation présente des lacunes fondamentales et repose sur des hypothèses inacceptables, donnant par conséquent des résultats inexacts et trompeurs.
1.10. Sur le plan du droit, la distinction opérée par la Bolivie entre l’écoulement «naturel» et l’écoulement «artificiellement amélioré» est sans fondement. Les principes de la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation (ci-après la «convention de 1997») s’appliquent aux cours d’eau internationaux et à l’intégralité de leurs eaux sans distinction. L’inapplicabilité de la théorie qu’avance la Bolivie est mise en évidence par le fait que celle-ci n’a jamais précisé comment elle différenciait l’écoulement «naturel» de l’écoulement «artificiel» dans le Silala, ni comment elle entendait «fournir» des «eaux s’écoulant artificiellement» dans le cadre d’un accord futur potentiel, alors que l’intégralité des eaux s’écoule malgré tout inévitablement jusqu’au Chili en raison de la pente topographique. Toute augmentation de l’écoulement de surface par la chenalisation entraînant une diminution pratiquement équivalente de l’écoulement souterrain, l’écoulement transfrontière global vers le Chili demeurerait pratiquement le même15.
1.11. De plus, le fait qu’un Etat d’amont procède à l’optimisation d’un cours d’eau international, notamment par le revêtement de canaux ou des utilisations plus efficaces en amont, ne permet pas à cet Etat d’écarter le principe fondamental de l’utilisation équitable et raisonnable des cours d’eau partagés ni de revendiquer un droit à redevance. Si tel était le cas, un Etat d’amont pourrait imposer une «taxe d’eau» aux Etats d’aval en optimisant l’utilisation de l’eau et en laissant passer plus d’eau, ce qui n’est pas acceptable au regard du droit international coutumier.
15 La perte supplémentaire liée à l’évaporation dans le cas de figure où il n’y aurait pas de chenaux serait tout au plus de 2 % de l’écoulement, comme l’ont convenu aussi bien les experts de la Bolivie que ceux du Chili (selon les données récentes du Chili, il n’y aurait aucun changement ; le taux d’évaporation des zones humides de la Bolivie est supérieur à celui d’une zone humide intacte du Chili). De même, il a été démontré que les autres pertes d’écoulement de surface liées aux effets de la chenalisation sur l’alimentation de la nappe souterraine sont peu importantes et que l’eau ainsi perdue s’écoulerait de toute façon jusqu’au Chili sous forme d’eaux souterraines. Voir H. S. Wheater et D. W. Peach, Incidences de la chenalisation du Silala en Bolivie sur l’hydrologie de son bassin hydrographique (ci-après le «rapport Wheater 2019»), p. 4-5.
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1.12. Donnons un exemple hypothétique : l’Etat A effectue des travaux de chenalisation dans la partie d’un cours d’eau international se trouvant sur son territoire, ce qui entraîne une diminution de 20 % du volume d’eau qui se dissipe sur son sol et, en conséquence, une augmentation équivalente du volume qui s’écoule en aval jusqu’au territoire de l’Etat B. Il ne s’ensuit pas que l’Etat A crée des droits souverains ou un quelconque droit à redevance sur cette eau. Tout argument à l’effet contraire témoigne d’une incompréhension fondamentale du droit relatif aux cours d’eau internationaux.
1.13. Le manque de pertinence d’une telle théorie est d’autant plus évident en l’espèce que les chenaux qui auraient fait augmenter l’écoulement d’eau (bien que les experts du Chili affirment que cet effet est négligeable) ont été construits par une entreprise privée, autorisée par la Bolivie conformément à une concession bolivienne, sans consultation préalable du Chili.
1.14. Le Chili tient à rassurer la Bolivie : il reconnaît pleinement la souveraineté qu’elle détient sur les chenaux et systèmes de drainage artificiels du Silala situés sur son territoire, ainsi que son droit de décider si ceux-ci doivent être entretenus et de quelle manière (demande reconventionnelle a)). Une fois de plus, il l’encourage à restaurer les zones humides, puisque c’est le souhait qui semble ressortir du libellé de sa demande reconventionnelle a), pour autant que ladite restauration soit conforme aux obligations que le droit international coutumier lui impose envers le Chili.
1.15. En outre, le Chili tient à rassurer la Bolivie sur le fait qu’il ne prétend pas l’empêcher d’utiliser le Silala à l’avenir, pour autant qu’elle le fasse conformément au principe de l’utilisation équitable et raisonnable, et à condition qu’elle respecte l’obligation qui lui est faite en vertu du droit international coutumier de ne pas causer de dommage important ainsi que les obligations connexes en ce qui concerne la coopération, la notification, l’échange d’informations et, s’il y a lieu, la conduite d’une évaluation de l’impact sur l’environnement, conformément au droit international coutumier. Ce point est important car la Bolivie conteste que l’article 11 de la convention de 1997 fasse partie du droit international coutumier et que ces obligations connexes entrent en jeu dans les circonstances de l’espèce.
1.16. A la lumière de ce qui précède, le différend devant la Cour est beaucoup plus circonscrit qu’il ne l’était lorsque le Chili a décidé d’introduire l’instance en juin 2016. La Bolivie reconnaît à présent que le Silala est un cours d’eau international. Ses moyens de défense et ses demandes reconventionnelles b) et c), qui se fondent sur la notion de «cours d’eau artificiellement amélioré», sont indéfendables en fait comme en droit. La Cour devrait les rejeter.
B. STRUCTURE DE LA RÉPLIQUE
1.17. Le présent mémoire se divise comme suit : le chapitre 2 expliquera plus en détail le caractère indéfendable de la thèse de la Bolivie selon laquelle le droit international établit une distinction entre un cours d’eau international et un «cours d’eau artificiellement amélioré». Le Chili montrera également que tout écoulement «artificiellement amélioré» du Silala est attribuable aux actes de la Bolivie. Dans le chapitre 3, le Chili se penchera sur les divergences limitées qui opposent les Parties quant aux faits, en soulignant toutefois qu’elles ne sont pas décisives en l’espèce (point qui est traité entièrement au chapitre 2). Il sera démontré que le pourcentage de l’écoulement «artificiellement amélioré», à supposer qu’un tel écoulement existe, est une exagération flagrante et a été calculé au moyen d’un modèle hydrologique fondamentalement erroné.
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1.18. La présente réplique est étayée par les rapports de deux experts, MM. Howard Wheater et Denis Peach, qui mettent en évidence les lacunes fondamentales du modèle hydrologique élaboré par le DHI, le consultant mandaté par la Bolivie. Ces rapports apportent en outre des données supplémentaires qui viennent appuyer ou préciser les conclusions des expertises antérieures jointes au mémoire du Chili du 3 juillet 2017. Les rapports de MM. Wheater et Peach sont eux-mêmes étayés par un certain nombre d’études de fond sur le système hydrographique du Silala, qui sont annexées à la présente réplique.
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CHAPITRE 2 LES PRÉTENTIONS DE LA BOLIVIE S’AGISSANT DE L’ÉCOULEMENT «ARTIFICIELLEMENT AMÉLIORÉ» DU SILALA NE TROUVENT AUCUN APPUI DANS LE DROIT INTERNATIONAL ET NE TIENNENT PAS COMPTE DES FAITS HISTORIQUES ESSENTIELS
2.1. Dans son contre-mémoire, la Bolivie revient à sa position d’avant 1999, à savoir qu’elle reconnaît le Silala en tant que cours d’eau international et reconnaît par conséquent que son utilisation est régie par les règles du droit international relatif aux cours d’eau internationaux. En acceptant cette évidence, la Bolivie se retrouve en difficulté, car elle a décidé de maintenir ses moyens de défense et de présenter des demandes reconventionnelles : comment peut-elle revendiquer des droits souverains et de contrôle sur l’eau qu’elle n’utilise pas et qu’elle doit partager en vertu du droit international de manière équitable et raisonnable avec le Chili (qui est le seul à utiliser l’eau en question).
2.2. Pour tenter de contourner cette difficulté, la Bolivie invente une notion qui ne trouve aucun fondement en science ou en droit, à savoir que les travaux qu’elle a autorisés sur son territoire  principalement l’excavation de chenaux de terre dans les zones humides, dont certains ont été revêtus de pierres, et le revêtement du lit naturel du Silala  ont créé un «écoulement artificiel» sur lequel elle «détient la souveraineté» et pour lequel le Chili doit payer une redevance16. Selon la Bolivie, toute «fourniture» au Chili d’eaux «s’écoulant artificiellement» ainsi que les conditions et les modalités d’une telle fourniture, «notamment la redevance à verser», sont donc «soumises à la conclusion d’un accord avec [elle]»17.
2.3. Ainsi qu’il sera expliqué à la section A, la thèse de la Bolivie ne trouve aucun appui dans le droit international. A la section B, le Chili montrera que le contexte historique présenté par la Bolivie au soutien de ses demandes reconventionnelles contient des omissions importantes, qui ébranlent davantage la thèse bolivienne.
A. LES PRINCIPES REFLÉTÉS DANS LA CONVENTION SUR LE DROIT RELATIF AUX UTILISATIONS DES COURS D’EAU INTERNATIONAUX À DES FINS AUTRES QUE LA NAVIGATION S’APPLIQUENT AUX COURS D’EAU INTERNATIONAUX ET À L’INTÉGRALITÉ DE LEURS EAUX
2.4. Le Chili montrera que la distinction entre écoulement naturel et écoulement «artificiel» n’a aucun fondement en droit international (sous-section 1) et que toute distinction de ce type va à l’encontre du principe de l’utilisation équitable et raisonnable des cours d’eau partagés (sous-section 2). Il établira également que la troisième demande reconventionnelle de la Bolivie, visant le versement d’une redevance pour l’entretien d’ouvrages d’adduction d’eau que celle-ci a installés unilatéralement sur son propre territoire, entraînerait, s’il y était fait droit, non seulement une situation inédite, mais aussi une grave atteinte aux régimes de gouvernance de l’eau en vigueur (sous-section 3). Enfin, le Chili démontrera que la jurisprudence, la pratique des Etats et la doctrine dont se réclame la Bolivie ne confirment pas l’existence d’un régime juridique distinct pour l’écoulement «artificiellement amélioré» (sous-section 4).
16 CMB, par. 181 b).
17 Ibid., par. 181 c).
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1. Le droit international ne reconnaît pas le concept d’eau «artificielle»
2.5. La Bolivie s’évertue à établir qu’il existe deux écoulements d’eaux distincts du Silala qui franchissent la frontière en direction du Chili : un écoulement «naturel» et un écoulement «artificiel» ou «artificiellement amélioré»18. Elle affirme que, si le droit international régit l’écoulement «naturel», c’est elle qui «détient la souveraineté sur ... l’écoulement artificiel» et toute «fourniture» au Chili de ces eaux s’écoulant «artificiellement» est subordonnée à la conclusion d’un accord entre les deux pays19.
2.6. Cet argument revient ni plus ni moins à nier le fait que l’eau s’écoule suivant une pente descendante. Tout l’apport naturel des précipitations dans les zones de captage des eaux souterraines du Silala traversera la frontière internationale, soit sous forme d’eau de surface soit sous forme d’eaux souterraines20. Ce que la Bolivie appelle les «système de prises d’eau» et le «réseau complexe de chenaux et systèmes de drainage artificiels en territoire bolivien à proximité des bofedales»21, et dont elle prétend qu’ils ont «créé» l’écoulement «artificiellement amélioré», ont été construits par l’entreprise privée britannique FCAB, avec l’autorisation de la Bolivie22. Ces petits chenaux (d’environ 0,6 m de profondeur et 0,6 m de largeur)23 ne pouvaient avoir qu’une très faible incidence sur l’écoulement des eaux du Silala, qui suit et suivra toujours une pente descendante vers le Chili.
2.7. La mise en valeur des cours d’eau se fait souvent sous la forme de «régulation»24, selon le terme employé dans la convention de 1997. De nombreux cours d’eau dont l’utilisation est intensive sont régulés d’une façon ou d’une autre ; souvent, leurs chenaux sont refaits pour éliminer les méandres naturels et faciliter ainsi leur utilisation, aux fins de navigation ou de production d’énergie hydroélectrique par exemple25. Cela ne signifie pas que l’eau qui y circule passe de «naturelle» à «artificielle». Même le canal de dérivation visé dans l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros26, construit par la Tchécoslovaquie, qui parcourt 31 kilomètres sur ce qui constitue aujourd’hui le territoire slovaque et peut recevoir environ de 80 à 90 % du débit du Danube, n’a jamais été considéré comme un canal acheminant un écoulement «artificiel». Et bien évidemment, la Slovaquie n’aurait pas davantage pu demander une redevance à la Hongrie pour le débit «artificiellement amélioré» qui passait par le canal de dérivation, après que celle-ci eut tenté de dénoncer le traité de 1977 en cause dans cette affaire.
2.8. De plus, les tribunaux nationaux, dans des différends portant sur des questions factuelles similaires, n’ont pas jugé qu’un utilisateur qui avait modifié un système de cours d’eau afin de réduire la «perte» d’eau liée à l’évaporation et à l’évapotranspiration acquérait un droit d’usage de l’eau ainsi gagnée, tel que celui que revendique la Bolivie. Dans l’affaire américaine R.J.A., Inc. v. The Water
18 CMB, chapitre 2, en particulier la section C, «Amélioration artificielle du Silala».
19 Ibid., par. 181.
20 Rapport Wheater 2019, p. 4.
21 CMB, par. 63.
22 Acte de concession (no 48), par la Bolivie, des eaux du Siloli en faveur de l’Antofagasta (Chili) and Bolivia Railway Company Limited, en date du 28 octobre 1908. MC, vol. 3, annexe 41.
23 H. S. Wheater et D. W. Peach, Le Silala dans sa forme actuelle  fonctionnement du système fluvial (rapport d’experts 1), p. 6. MC, vol. 1, p. 134.
24 Convention de 1997, signée à New York le 21 mai 1997, Nations Unies, doc. A/RES/51/229 (1997), article 25. MC, vol. 2, annexe 5.
25 C’est le cas, par exemple, du Danube. Voir Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 7 (ci-après le «Projet Gabčíkovo-Nagymaros»).
26 Ibid.
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Users Association of District No. 6, et al.
27, les faits étaient semblables à ceux allégués en l’espèce. Le litige portait sur un bien situé dans l’Etat américain du Colorado, à la source d’un affluent de la rivière South Platte. La société demanderesse avait entrepris un «projet qui réduira[it] la perte d’eau d’une prairie marécageuse de montagne grâce au retrait de la mousse de tourbe sous-jacente, éliminant ainsi la saturation hydrique du sol. Cette mesure permettra[it] de diminuer l’évaporation dans le sol et en surface ainsi que l’évapotranspiration de la végétation herbeuse.»28 La demanderesse revendiquait un droit sur l’eau ainsi récupérée, comme le fait ici la Bolivie à l’égard de l’écoulement «artificiellement amélioré» résultant de ses travaux de chenalisation et de revêtement de pierres29.
2.9. Par une décision en formation plénière30, la Cour suprême du Colorado a débouté la demanderesse, concluant que la «réduction de l’usage qui est fait à des fins de consommation des eaux tributaires d’un cours d’eau ne p[ouvai]t fonder un droit d’usage de l’eau qui soit indépendant du régime [des droits d’eau] dudit cours d’eau»31. Elle a renvoyé à sa jurisprudence, qui établissait une distinction entre l’eau «valorisée» et l’eau «récupérée». L’eau «valorisée» s’entend de toute «eau nouvelle qui ne faisait pas préalablement partie du système hydrographique, c’est-à-dire l’eau importée ou non tributaire»32. L’eau «récupérée» s’entend de toute «eau tributaire rendue disponible pour une utilisation profitable par l’élimination des pertes». La Cour suprême a expliqué que «[s]eule l’eau valorisée [pouvait] fonder un droit indépendant du régime [des droits d’eau en vigueur]»33 et a dit clairement qu’elle n’était pas disposée à «créer une superclasse de droits d’usage de l’eau n’ayant encore jamais existé»34.
2.10. En l’espèce, il s’agirait de conclure  comme le voudrait la Bolivie  que la construction d’ouvrages visant à optimiser la qualité de l’eau, lesquels pourraient également avoir donné lieu à une légère optimisation de l’écoulement, reviendrait de la même manière à «créer une superclasse de droits de l’eau n’ayant encore jamais existé» en droit international35. Une telle «superclasse» de droits irait à l’encontre du régime de droits et obligations qui régit les cours d’eau
27 R.J.A., Inc. v. The Water Users Association of District No 6, et al., Cour suprême du Colorado, 10 septembre 1984, 690, P.2d 823 (1984). Accessible à l’adresse suivante : https://casetext.com/case/rja-inc-v-water-users-assoc.
28 Ibid., p. 824. Plus précisément, le bien du demandeur «comprenait initialement un marais de mousse de tourbe de 27 acres [10,9 hectares] datant d’environ 3000 ans, qui existait donc bien avant que des droits d’eau aient été établis relativement au système hydrographique [en question].... Selon le [demandeur], la perte d’eau dans l’atmosphère de ce marais était supérieure à celle d’une prairie de montagne bien drainée d’une superficie équivalente.... Au début des années 1970, le [demandeur] avait entrepris un projet consistant à retirer les dépôts importants de mousse de tourbe sous-jacents du marais, pour ensuite drainer le terrain et transformer le marais en une prairie bien drainée.»
29 Ibid. Le demandeur soutenait que «le drainage du marais et l’élimination de la saturation hydrique du sol réduirait les taux d’évaporation et d’évapotranspiration, ce qui diminuerait l’usage fait de l’eau à des fins de consommation d’eau pour l’équivalent de 43,3 acres-pieds [53 409 764,33 litres] par an. Comme cela représenterait un apport net au cours d’eau, le [demandeur] faisait valoir que son droit d’usage de l’eau ne devait pas être soumis au régime du cours d’eau [proprement dit].»
30 Ibid. Une décision rendue «en formation plénière» est une décision rendue par tous les juges d’un tribunal, alors que, plus habituellement, une affaire est entendue et jugée en formation collégiale. Les affaires traitées en formation plénière sont souvent celles qui revêtent un intérêt public exceptionnel.
31 Ibid., p. 825.
32 Ibid.
33 Ibid.
34 Ibid., p. 827, citant Southeastern Colorado Water Conservancy District v. Shelton Farms, Inc., 187 Colo. 181, 190, 529 P.2d 1321, 1326 (1975), la cour a fait observer que, dans cette affaire-là, elle avait «conclu que, puisque l’eau en question avait toujours été tributaire du cours d’eau et ne constituait pas un apport d’eau nouvelle au système hydrographique, l’argument de l’eau valorisée n’était pas pertinent. … «Statuer autrement reviendrait à affaiblir le régime [des droits d’eau] et à créer une superclasse de droits d’eau n’ayant encore jamais existé»».
35 Ibid.
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internationaux dans le monde entier et est clairement inacceptable au regard du droit international coutumier.
2.11. Enfin, la Bolivie semble craindre que la chenalisation du Silala puisse être qualifiée de «canal» et que, à ce titre, elle soit considérée, conformément à ce qu’a dit la Commission du droit international (ci-après la «CDI») dans son projet d’articles de 1994 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux, comme l’un des éléments possibles d’un système hydrographique constituant un «cours d’eau»36. C’est pourquoi la Bolivie s’emploie à prouver que la commission n’avait pas l’intention d’inclure la «déviation artificielle» dans sa définition de «cours d’eau»37.
2.12. L’argument de la Bolivie selon lequel la définition de cours d’eau de la CDI ne comprend pas les «déviation[s] artificielle[s]» n’est pas pertinent, et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, l’échange oral sur lequel s’appuie la Bolivie, reproduit dans les procès-verbaux de la session de 1987 de la CDI38, a eu lieu tandis que le projet d’articles était encore en gestation et on ne saurait donc y voir une position arrêtée. En deuxième lieu, cet échange portait sur la définition de l’expression «Etats du cours d’eau» et non sur le terme «cours d’eau». En effet, pendant cette session, la commission a adopté plusieurs articles introductifs, dont le libellé a par la suite été révisé dans le projet d’articles adopté en seconde lecture en 1994, mais qui ne contenaient pas de définition du terme «cours d’eau». La commission a décidé de ne définir ce terme qu’après avoir achevé ses travaux sur l’ensemble du projet d’articles. En troisième lieu, l’opinion que le rapporteur spécial a formulée «pour sa part», auquel la Bolivie renvoie39, était effectivement une simple opinion personnelle et ne représentait pas nécessairement le point de vue de la commission40.
2.13. Pour essayer de démontrer que les canaux ne font pas partie d’un cours d’eau international et ne sont pas soumis aux règles du droit international coutumier41, la Bolivie cite également de manière sélective des ouvrages faisant autorité, sur lesquels elle fait fond. La citation tirée de l’ouvrage Max Planck Encyclopedia of Public International Law42, par exemple, ne contient pas la partie de l’article cité qui porte sur les canaux et les utilisations à des fins autres que la navigation, soit les éléments les plus pertinents en l’espèce43.
36 Annuaire de la Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 95, par. 4 du commentaire [de l’article 2].
37 CMB, par. 96.
38 Annuaire de la Commission du droit international, 1987, vol. I, p. 231, par. 75.
39 CMB, par. 96. L’opinion en question était que le rapporteur spécial «hésiterait à interpréter l’expression «cours d’eau international» comme s’entendant également des déviations opérées par l’homme, telles qu’un canal, qui pourraient entraîner l’eau d’un cours d’eau international dans un autre bassin de drainage». Annuaire de la Commission du droit international, 1987, vol. I, p. 231, par. 75. Cette position adoptée à titre provisoire, formulée oralement pendant le débat de la commission en 1987 en réponse à une question, portait sur un canal utilisé à une fin précise.
40 La position personnelle du rapporteur spécial a été supplantée par les commentaires adoptés par la CDI à la première lecture en 1991, puis à la deuxième lecture en 1994, selon lesquels les «canaux» faisaient partie des éléments possibles d’un système hydrographique, voir Annuaire de la Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 95, par. 4 du commentaire.
41 CMB, par. 94-102.
42 Ibid., par. 99.
43 Le passage pertinent se lit ainsi :
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2.14. En tout état de cause, les ouvrages hydrauliques réalisés en Bolivie, à savoir l’excavation de chenaux de terre dans les zones humides et le revêtement du lit naturel de la rivière ainsi que l’élimination de ses méandres, sont loin de pouvoir être qualifiés de «canaux» au sens où l’entend la pratique internationale44. C’est pourquoi le Chili ne prétend pas que les chenaux sur le territoire bolivien constituent un ou plusieurs «canaux». Toutefois, le fait que la CDI a inclus les canaux parmi les éléments possibles d’un cours d’eau signifie, a fortiori, que le revêtement de pierres d’un écoulement d’eau n’aurait aucune incidence sur la nature de «cours d’eau» que revêt celui-ci. La Bolivie a donc absolument tort lorsqu’elle affirme que les «preuves indiquent au contraire que la norme admise consiste à exclure les mécanismes artificiels d’acheminement, tels que les canaux et systèmes de drainage, du champ d’application du droit international coutumier relatif aux cours d’eau transfrontières»45.
2. Le principe de l’utilisation équitable et raisonnable est pleinement compatible avec les mesures d’optimisation des cours d’eau internationaux
2.15. La Bolivie affirme que l’optimisation de l’écoulement du Silala crée des écoulements d’eaux «artificiellement améliorés» qui ne sont pas régis par le principe de l’utilisation équitable et raisonnable consacré en droit international coutumier, mais cet argument va à l’encontre aussi bien de ce principe que de la pratique des Etats.
2.16. L’article 5 de la convention de 1997 énonce le principe de l’utilisation de manière équitable et raisonnable, puis dispose ce qui suit :
«En particulier, un cours d’eau international sera utilisé et mis en valeur par les Etats du cours d’eau en vue de parvenir à l’utilisation et aux avantages optimaux et durables  compte tenu des intérêts des Etats du cours d’eau concernés  compatibles avec les exigences d’une protection adéquate du cours d’eau.»46 (Les italiques sont de nous.)
«Lorsqu’un canal est construit de telle sorte qu’il a une incidence sur un cours d’eau international et ses ressources hydriques, il peut être soumis aux règles du droit international coutumier régissant les utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation. Dans le contexte de la codification de cet ensemble de règles juridiques ... la Commission du droit international a défini le cours d’eau international comme un système d’eaux de surface et d’eaux souterraines constituant, du fait de leurs relations physiques, un ensemble unitaire, dont les parties se trouvent dans des Etats différents, et dont les éléments comprennent les rivières, les lacs, les aquifères, les glaciers, les réservoirs et les canaux.... Puisque cette définition est également incorporée à l’article 2 de la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, les principes généraux qui y sont codifiés, et en particulier la règle relative à l’utilisation équitable des ressources en eaux partagées et l’obligation de ne pas causer de dommage important à d’autres Etats riverains, peuvent s’appliquer aux canaux intégrés à un réseau de voies d’eau internationales et exploités à des fins autres que la navigation.» (Les italiques sont de nous.)
M. Arcari, «Canals», Max Planck Encyclopedia of Public International Law, version en ligne, dernière mise à jour en octobre 2007, par. 9. Accessible à l’adresse suivante : http://opil.ouplaw.com/view/10.1093/law:epil/ 9780199231690/law-9780199231690-e1013?rskey=GDqdM0&result=1&prd=EPIL.
44 Dans la pratique internationale, le terme «canal» s’entend normalement d’un moyen servant à l’acheminement de l’eau autre que le lit d’un cours d’eau. Le canal Rhin-Main-Danube, qui a été achevé en 1992 et qui relie deux grands bassins versants internationaux, soit celui du Rhin et celui du Danube, en est un exemple. Il serait considéré comme faisant partie d’un cours d’eau international, bien qu’il soit appelé «canal». Information accessible à l’adresse suivante : https://www.britannica.com/topic/Main-Danube-Canal.
45 CMB, par. 101.
46 Convention de 1997, art. 5 1). MC, vol. 2, annexe 5.
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2.17. Dans son commentaire relatif à l’article 5, la CDI explique que l’expression «parvenir à un résultat optimal» s’agissant de l’utilisation d’un cours d’eau international «signifie que les Etats du cours d’eau s’assurent tous le maximum d’avantages possible et répondent le mieux possible à tous leurs besoins tout en réduisant au minimum les dommages causés à chacun d’entre eux et la part non satisfaite de leurs besoins»47, et ce, de manière «compatible[] avec les exigences d’une protection adéquate du cours d’eau»48.
2.18. Le commentaire de la commission relatif à l’article 25 indique que la «régularisation du débit des cours d’eau est souvent nécessaire … pour tirer le plus d’avantages possible du cours d’eau»49. Comme l’avait dit vingt ans auparavant le tribunal des eaux indien chargé des litiges relatifs au fleuve Krishna : «le gaspillage inutile d’eau doit être évité et l’utilisation efficace, encouragée»50.
2.19. Le paragraphe 3 de l’article 25 de la convention de 1997 définit la «régulation» comme «l’utilisation d’ouvrages hydrauliques ou de toute autre mesure employée de façon continue pour modifier, faire varier ou contrôler d’une autre manière le débit des eaux d’un cours d’eau international»51. Cette définition englobe aisément les ouvrages hydrauliques d’importance mineure installés par la compagnie de chemin de fer en Bolivie qui ont été conçus pour préserver la qualité des eaux du Silala52. Le fait que cette forme de mise en valeur d’un cours d’eau soit reconnue dans la convention de 1997 comme une forme d’utilisation par les Etats régie par le droit international est, en soi, une réponse suffisante à l’argument de la Bolivie selon lequel les ouvrages de régulation des eaux installés sur le site du Silala en territoire bolivien sont des «mécanismes artificiels d’acheminement tels que les canaux et systèmes de drainage [qui sont exclus] du champ d’application du droit international coutumier relatif aux cours d’eau transfrontières»53.
2.20. Même dans l’hypothèse où, comme l’avance la Bolivie, « [l]e réseau de chenalisation a[urait] été installé afin d’améliorer l’acheminement de l’eau du Silala en territoire chilien … [et était] nécessaire pour créer un débit d’eau plus constant et volumineux à partir des sources de Silala en Bolivie, à travers les bofedales denses, puis à travers la frontière jusqu’au Chili»54, il s’agit là de finalités incluses dans la notion de régulation qui, selon la convention de 1997, est une activité régie par le droit international et compatible avec le principe de l’utilisation équitable et raisonnable. Ainsi, les ouvrages construits par la compagnie de chemin de fer en Bolivie, effectivement conçus pour préserver la qualité des eaux du Silala, sont conformes aux exigences de l’article 5 de la convention de 1997.
47 Annuaire de la Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 102, par. 3 du commentaire de l’article 5.
48 Convention de 1997, art. 5 1). MC, vol. 2, annexe 5.
49 Annuaire de la Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 134, par. 1 du commentaire de l’article 25.
50 Tribunal des eaux chargé des litiges relatifs au fleuve Krishna, décision du 24 décembre 1973, par. 310. Accessible à l’adresse suivante : http://cwc.gov.in/main/downloads/KWDT%201volume1.pdf.
51 Convention de 1997, art. 25 3). MC, vol. 2, annexe 5.
52 Comme le Chili l’a démontré, la chenalisation a été effectuée pour des raisons sanitaires et non pour augmenter le débit, voir MC, par. 4.61. Qui plus est, la Bolivie a autorisé ladite chenalisation en vertu de la concession qu’elle a accordée en 1908, voir MC, vol. 3, annexe 41.
53 CMB, par. 101.
54 Ibid., par. 53.
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3. Rien ne justifie que des Etats d’amont exigent une redevance pour la construction ou l’entretien d’ouvrages dont ils ont seuls l’initiative sur leur territoire
2.21. Dans sa troisième demande reconventionnelle, la Bolivie dit ce qui suit :
«c) toute fourniture, par la Bolivie au Chili, d’eaux s’écoulant artificiellement du Silala, ainsi que les conditions et modalités d’une telle fourniture, notamment la redevance à verser, sont soumises à la conclusion d’un accord avec la Bolivie55».
2.22. Il vient d’être démontré à la première sous-section que le droit international ne reconnaissait pas le concept d’«eaux s’écoulant artificiellement» et, à la seconde, qu’aucune source juridique ne pouvait fonder la prétention bolivienne de «souveraineté» sur un écoulement prétendument «artificiel»56. Pourtant, la Bolivie n’exige pas moins, dans sa troisième demande reconventionnelle, que le Chili conclue un accord préalablement à la «fourniture», par elle-même, d’«eaux s’écoulant artificiellement du Silala»57. La sous-section qui suit traitera de cette demande reconventionnelle.
a) La Bolivie, par sa troisième demande reconventionnelle, revendique de fait un droit de veto sur le droit du Chili de recevoir des eaux du Silala
2.23. Par cette demande reconventionnelle, la Bolivie revendique le droit de procéder à la «fourniture», au Chili, d’un prétendu «écoulement artificiel» des eaux du Silala selon des modalités qui, en définitive, sont soumises à son propre accord. L’une de ces modalités inclut «la redevance à verser» par le Chili à la Bolivie en échange «d’une telle fourniture»58.
2.24. Cette affirmation n’a aucun fondement logique ou juridique. Dans la célèbre Affaire du lac Lanoux59, l’Espagne affirmait que le droit de la France d’aménager le Carol, qui s’écoule de la France vers l’Espagne, était subordonné à son accord, ou consentement, préalable. Le tribunal d’arbitrage n’était pas du même avis et a déclaré ce qui suit :
«[P]our apprécier, dans son essence, la nécessité d’un accord préalable, il faut se placer dans l’hypothèse dans laquelle les Etats intéressés ne peuvent arriver à un accord. Dans ce cas, il faut admettre que l’Etat normalement compétent a perdu le droit d’agir seul, par suite de l’opposition inconditionnée et discrétionnaire d’un autre Etat. C’est admettre un «droit d’assentiment», un «droit de veto», qui paralyse, à la discrétion d’un Etat, l’exercice de la compétence territoriale d’un autre Etat.»60
2.25. En l’espèce, c’est l’Etat d’amont, la Bolivie, qui revendique un droit d’assentiment s’agissant de la «fourniture» au Chili de ce que la Bolivie qualifie d’écoulement «artificiellement amélioré» du Silala. Mais la conséquence est la même : la Bolivie revendique «un «droit de veto», qui paralyse, à [sa propre] discrétion, l’exercice de la compétence territoriale [du Chili]»
55 CMB, par. 181 c).
56 CMB, par. 180 et 181 b).
57 CMB, par. 181 c). Voir aussi CMB, p. 106, conclusions, par. 2 c).
58 CMB, par. 165.
59 Affaire du lac Lanoux (Espagne/France), sentence arbitrale du 16 novembre 1957, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XII, p. 281. AJIL, vol. 53, p. 156 (1959) ; et Annuaire de la Commission du droit international, 1974, vol. II, deuxième partie, p. 207.
60 Annuaire de la Commission du droit international, 19[7]4, vol. II, deuxième partie, p. 210, par. 1065.
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conformément au droit international. Pareille revendication est intenable pour les raisons exposées dans la sentence arbitrale rendue dans l’Affaire du lac Lanoux. S’il y était fait droit, cela donnerait aux Etats d’amont la liberté de revendiquer un droit d’assentiment préalable à l’utilisation d’un cours d’eau partagé par les Etats d’aval, et d’exiger une redevance pour l’apport d’eau dont ces derniers bénéficient sous prétexte que l’Etat d’amont a créé un écoulement «artificiellement amélioré». Cela contreviendrait au principe établi et déstabiliserait les relations relatives à l’usage de l’eau dans le monde.
b) Le concept de souveraineté territoriale ne s’applique pas aux ressources naturelles partagées
2.26. La Bolivie formule ses demandes à l’égard des eaux du Silala s’écoulant par les ouvrages situés sur son territoire en partant du principe qu’elle «détient la souveraineté sur les eaux du Silala dont l’écoulement [est] artificiel[] … et [que] le Chili n’a pas droit à cet écoulement artificiel»61.
2.27. L’idée qu’un Etat puisse détenir la souveraineté exclusive sur une chose qu’il partage avec un autre Etat, dans le cas présent des ressources en eau douce, n’est pas étayée par la pratique des Etats, pas même par celle que cite la Bolivie, comme nous le démontrerons à la sous-section 4. Le Chili ne conteste pas la demande reconventionnelle a) de la Bolivie, à savoir que celle-ci «détient la souveraineté sur les chenaux et systèmes de drainage artificiels du Silala qui sont situés sur son territoire et a le droit de décider si ceux-ci doivent être entretenus et de quelle manière»62. Cette demande revient en substance pour la Bolivie à affirmer qu’elle détient la souveraineté sur son territoire, ce qui est bien évidemment le cas. En revanche, cette souveraineté est sans préjudice des droits du Chili, en tant qu’Etat riverain d’aval, à l’utilisation équitable et raisonnable des eaux du Silala, du principe de la prévention des dommages importants, et des obligations de nature procédurale qui incombent à la Bolivie au regard du droit international coutumier. Il s’ensuit que le Chili ne conteste pas la demande reconventionnelle a), même s’il tient à souligner deux points importants.
2.28. Premièrement, il existe une différence majeure, et déterminante sur le plan juridique, entre les ouvrages physiques en Bolivie, d’une part, et les eaux du Silala, d’autre part. Il est impossible pour un Etat de détenir la souveraineté exclusive sur une ressource partagée avec un autre Etat sans qu’il soit porté atteinte au concept de souveraineté.
2.29. L’absence de souveraineté exclusive d’un Etat sur la partie d’un cours d’eau international qui se trouve sur son territoire est le fondement du droit relatif aux cours d’eau internationaux, par lequel la Bolivie reconnaît être liée s’agissant du Silala63. Le principe le plus fondamental de cette branche du droit — l’utilisation équitable et raisonnable64 — est le rejet de la notion de souveraineté exclusive sur une partie d’un cours d’eau international situé sur le territoire d’un Etat. Comme l’a dit le tribunal des eaux indien chargé des litiges relatifs au fleuve Krishna : «Aucun Etat n’est propriétaire d’un volume particulier d’eau d’un fleuve interétatique sur la base de sa contribution…»65. Même si une partie de l’écoulement du Silala était «amélioré» comme la Bolivie
61 CMB, par. 181 b).
62 Ibid., par. 181 a).
63 Ibid., par. 14-16.
64 La Cour a fait référence à ce principe comme conférant un «droit fondamental» à la Hongrie en tant que co-riverain, avec la Slovaquie, du Danube. Projet Gabčíkovo-Nagymaros, p. 54, par. 78.
65 Tribunal des eaux chargé des litiges relatifs au fleuve Krishna, décision du 24 décembre 1973, par. 308.
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l’affirme  ce qui n’est pas le cas , il s’agirait toujours du réseau hydrographique du Silala, que la Bolivie partage avec le Chili
66.
2.30. Le sens particulier que prend la souveraineté en droit relatif aux cours d’eau internationaux procède de l’arrêt rendu par la Cour permanente de Justice internationale dans l’affaire relative à l’Oder67. En examinant si le principe de la liberté de navigation assurait aux Etats d’aval l’accès à des parties d’affluents intégralement situés sur le territoire d’Etats d’amont, ladite Cour a souligné l’existence d’une «communauté d’intérêts des Etats riverains» plutôt que de faire appel à la notion de souveraineté :
«lorsqu’on examine de quelle manière les Etats ont envisagé les conditions concrètes créées par le fait qu’un même cours d’eau traverse ou sépare le territoire de plus d’un Etat et la possibilité de réaliser les exigences de justice et les considérations d’utilité que ce fait met en relief, on voit tout de suite que ce n’est pas dans l’idée d’un droit de passage en faveur des Etats d’amont mais dans celle d’une certaine communauté d’intérêts des Etats riverains que l’on a cherché la solution du problème. Cette communauté d’intérêts sur un fleuve navigable devient la base d’une communauté de droit, dont les traits essentiels sont la parfaite égalité de tous les Etats riverains dans l’usage de tout le parcours du fleuve et l’exclusion de tout privilège d’un riverain quelconque par rapport aux autres.»68
2.31. Dans l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros, la Cour, après avoir cité le passage susmentionné, a dit ce qui suit :
«Le développement moderne du droit international a renforcé ce principe également pour les utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, comme en témoigne l’adoption par 1’Assemblée générale des Nations Unies, le 21 mai 1997, de la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation.»69
2.32. Il existe donc une communauté d’intérêts entre les Etats riverains, la Bolivie et le Chili, s’agissant des ressources en eau douce partagées du Silala. La Bolivie doit par conséquent respecter le droit qu’a le Chili d’utiliser de manière équitable et raisonnable les eaux du Silala — toutes les eaux du Silala, en ce compris celles qui auraient été «récupérées» grâce aux ouvrages construits en Bolivie.
2.33. Deuxièmement, et en lien avec ce qui précède, la Bolivie est tenue de notifier en temps utile au Chili les mesures projetées sur le cours d’eau du Silala qui sont susceptibles d’avoir un effet
66 MC, par. 2.3-2.6.
67 Affaire relative à la Juridiction territoriale de la Commission internationale de l’Oder, arrêt n° 16, 1929, C.P.J.I. série A no 23 (10 septembre), p. 5.
68 Ibid., p. 27.
69 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, p. 56, par. 85. Le concept de «communauté d’intérêts» a également été invoqué par des Etats dans des différends portés devant la Cour ; voir, par exemple, l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue dans l’affaire relative aux Usines de pâte à papier, p. 122-123, par. 39, et p. 130, par. 64. Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 113.
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préjudiciable et de le consulter à ce sujet
70. La Bolivie a fait savoir qu’elle acceptait cette obligation d’une manière générale71, même si son interprétation de ce qui est exigé ne concorde pas avec celle du Chili.
2.34. La présente réplique n’a pas pour objet de répondre aux arguments insuffisants qu’oppose la Bolivie aux griefs du Chili quant au non-respect de ses obligations de notification et de consultation relativement à plusieurs projets passés72. Cependant, au sujet des demandes reconventionnelles b) et c), le Chili fait observer que la thèse selon laquelle les obligations procédurales en matière de notification et de consultation ne s’appliqueraient qu’aux eaux du Silala s’écoulant naturellement et non à l’écoulement «artificiellement amélioré»73 n’est pas défendable, pas plus que celle qui consiste à dire que l’article 11 de la convention de 1997 (intitulé «Renseignements sur les mesures projetées») ne reflète pas le droit international coutumier et ne s’applique pas au cas d’espèce74. L’article 11 sert de chapeau à la troisième partie de la convention («Mesures projetées»), qui a pour «premier»75 article l’article 12 («Notification des mesures projetées pouvant avoir des effets négatifs»), dont la Bolivie reconnaît la valeur coutumière. La position de la Bolivie est donc intrinsèquement contradictoire.
2.35. La souveraineté que la Bolivie revendique dans la demande reconventionnelle a) est évidemment soumise aux obligations procédurales que cet Etat a acceptées, ainsi qu’aux autres obligations connexes reconnues par la Cour. La Bolivie a pris acte de la conclusion de la Cour selon laquelle «[l]’obligation de notifier est donc essentielle dans le processus qui doit mener les parties à se concerter pour évaluer les risques du projet et négocier les modifications éventuelles susceptibles de les éliminer ou d’en limiter au minimum les effets»76. Elle devrait donc suivre cette conclusion de la Cour à propos de tout ouvrage qu’elle pourrait réaliser sur le site du Silala pour «modifier les chenaux et systèmes de drainage artificiels qui se trouvent sur son territoire en vue d’atteindre [l’]objectif» consistant à maintenir l’écologie naturelle77. Elle devrait de même suivre la conduite décrite par la Cour dans les affaires jointes relatives à Certaines activités et à la Construction d’une route afin de satisfaire à ses obligations en matière de prévention de dommages :
«[A]fin de s’acquitter de l’obligation qui lui incombe de faire preuve de la diligence requise en vue de prévenir les dommages environnementaux transfrontières importants, un Etat doit, avant d’entreprendre une activité pouvant avoir un impact préjudiciable sur l’environnement d’un autre Etat, vérifier s’il existe un risque de
70 La troisième partie de la convention de 1997 («Mesures projetées») expose les procédures visant à prévenir des dommages transfrontières, à «aider les Etats du cours d’eau à maintenir un juste équilibre entre les utilisations d’un cours d’eau international faites respectivement par chacun d’eux» et donc à «aider à éviter les différends relatifs à de nouvelles utilisations des cours d’eau». Annuaire de la Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 117, par. 1 du commentaire de l’article 12.
71 CMB, par. 153.
72 Trois projets ont été annoncés par le gouverneur du département de Potosí en 2011, à savoir la construction d’une ferme piscicole, d’un petit barrage et d’une usine d’embouteillage d’eau minérale. Voir note no 199/39 en date du 7 mai 2012 adressée au ministère des affaires étrangères de l’Etat plurinational de Bolivie par le consulat général du Chili à La Paz. MC, vol. 2, annexe 34. Le poste militaire bolivien a été construit en 2006 et les dix habitations situées à proximité ont été construites en 2016.
73 CMB, par. 148.
74 Ibid., par. 153-155.
75 Annuaire de la Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 117, par. 1 du commentaire de l’article 12.
76 CMB, par. 156, citant Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I) (ci-après «Usines de pâte à papier»), p. 59, par. 115.
77 CMB, par. [179].
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dommage transfrontière important, ce qui déclencherait l’obligation de réaliser une évaluation de l’impact sur l’environnement.»
78
2.36. La Cour avait conclu dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier que «l’on p[ouvai]t désormais considérer qu’il existe, en droit international général, une obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement lorsque l’activité industrielle projetée risque d’avoir un impact préjudiciable important dans un cadre transfrontière, et en particulier sur une ressource partagée»79. Il s’ensuit que la Bolivie devrait procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement pour tout ouvrage répondant à ces critères sur le site du Silala. Le paragraphe 1 de l’article 18 de la convention de 1997 établit la procédure qu’il convient de suivre si la Bolivie manque à ces obligations :
«1) Si un Etat du cours d’eau a des motifs raisonnables de penser qu’un autre Etat du cours d’eau projette des mesures qui peuvent avoir des effets négatifs significatifs pour lui, il peut demander à cet autre Etat d’appliquer les dispositions de l’article 12. La demande doit être accompagnée d’un exposé documenté qui en explique les raisons.»80
2.37. Si, comme ce fut le cas par le passé81, la Bolivie refuse de fournir au Chili les informations sollicitées sur les projets concernés, la procédure à suivre est celle énoncée dans la suite de l’article 18 :
«2) Si l’Etat qui projette ces mesures conclut néanmoins qu’il n’est pas tenu de donner notification en vertu de l’article 12, il en informe le premier Etat en lui adressant un exposé documenté expliquant les raisons de sa conclusion. Si cette conclusion ne satisfait pas le premier Etat, les deux Etats doivent, à la demande de ce premier Etat,
78 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 706, par. 104.
79 Usines de pâte à papier, p. 83, par. 204. La Cour a conclu dans son arrêt rendu dans les affaires jointes relatives à Certaines activités et à la Construction d’une route que «[m]ême si la conclusion [qu’elle avait] formulée … en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier visait des activités industrielles, le principe sous-jacent va[lait], de manière générale, pour toute activité projetée susceptible d’avoir un impact préjudiciable important dans un cadre transfrontière». Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 706, par. 104.
80 Convention de 1997, art. 18, par. 1. MC, vol. 2, annexe 5.
81 La Bolivie dit avoir répondu aux demandes d’information répétées du Chili dans ses notes du 7 mai 2012 et du 9 octobre 2012. Voir MC, vol. 2, annexes 34 et 35, et aussi CMB, par. 143-147. Toutefois, sa note en date du 24 mai 2012, que la Bolivie cite dans ce contexte, ne fournissait aucune information sur les projets qui avaient été annoncés par le gouverneur de Potosí, et dont le Chili s’enquérait. Il y était en revanche souligné que le Silala ne saurait être considéré comme une rivière internationale et que l’utilisation antérieure de ses eaux par le Chili devrait donner lieu à une indemnisation. Voir Note No VRE-DGRB-UAM-009901/2012 from the Ministry of Foreign Affairs of Bolivia to the General Consulate of Chile in La Paz, 24 May 2012, CMB, vol. 2, annexe 12. Dans le même ordre d’idées, voir note no VRE-DGRB-UAM-020663/2012 en date du 25 octobre 2012 adressée au consulat général du Chili par le ministère des affaires étrangères de l’Etat plurinational de Bolivie, MC, vol. 2, annexe 36, également citée par la Bolivie dans ce contexte (CMB, par. 144). Toutes les notes ultérieures mentionnées par la Bolivie dans son contre-mémoire (p. 89, note de bas de page 208), établies entre le 17 janvier 2013 et le 10 avril 2014, ne fournissent pas non plus les informations sollicitées par le Chili et confirment que la décision de la Bolivie d’utiliser les eaux du Silala témoigne de l’exercice de sa pleine souveraineté. Voir MC, vol. 2, annexes 37.2, 37.4, 37.6, 37.8, 37.10, 37.12 et 38.2.
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engager promptement des consultations et des négociations de la manière indiquée aux paragraphes 1 et 2 de l’article 17
82.
3) Au cours des consultations et des négociations, l’Etat qui projette les mesures s’abstient, si le premier Etat le lui demande au moment où il demande l’ouverture de consultations et de négociations, de mettre en oeuvre ou de permettre que soient mises en oeuvre ces mesures pendant une période de six mois, sauf s’il en est autrement convenu.»83
2.38. Cette procédure n’a pas abouti dans le cas de projets passés, en raison du refus de la Bolivie de fournir des informations à leur sujet. Pour ce qui est de tout ouvrage à venir sur le site du Silala, en rapport avec des chenaux et systèmes de drainage artificiels réalisés dans l’exercice de sa souveraineté, la Bolivie est tenue par les règles susmentionnées du droit international de coopérer avec le Chili et de lui notifier en temps utile les mesures projetées qui sont susceptibles d’avoir des effets préjudiciables sur des ressources en eau partagées, de procéder à l’échange de données et d’informations, et de réaliser au besoin une évaluation de l’impact sur l’environnement de l’ouvrage envisagé.
2.39. Par conséquent, si le Chili ne conteste pas la première demande reconventionnelle de la Bolivie, à savoir le droit que celle-ci revendique de décider si les chenaux situés sur son territoire doivent être entretenus et de quelle manière, ce qui soustrait cette demande à la compétence de la Cour, il convient cependant d’interpréter ce droit à la lumière de l’obligation qui est faite à la Bolivie d’utiliser de manière équitable et raisonnable les eaux du Silala et de ne pas causer de dommages importants, ainsi qu’avec les obligations de nature procédurale énoncées ci-dessus, qui sont celles auxquelles se réfèrent les conclusions d) et e) du mémoire du Chili.
c) La demande de la Bolivie de percevoir une redevance n’est pas justifiée
2.40. Compte tenu de ce qui précède, la demande de la Bolivie de percevoir une redevance pour toute «fourniture» au Chili de ce que la Bolivie qualifie à tort «d’eaux s’écoulant artificiellement du Silala»84 n’est pas défendable.
2.41. Cette demande est d’autant plus surprenante que c’est la Bolivie elle-même qui, par le truchement de l’entreprise privée qu’elle a autorisée à cette fin (la FCAB), a unilatéralement procédé aux aménagements qui auraient créé un écoulement «artificiellement amélioré». Cette demande est en contradiction flagrante avec le principe qui veut qu’un Etat ne soit pas tenu de verser une redevance pour un service qu’il n’a pas demandé ou accepté, ou, a fortiori, pour le produit issu de
82 Les dispositions des paragraphes 1 et 2 de l’article 17 de la convention de 1997 énoncent les procédures à suivre en cas de réponse à une notification concernant des mesures projetées par laquelle l’Etat auquel la notification est adressée indique que, selon lui, la mise en oeuvre des mesures projetées serait incompatible avec les dispositions des articles 5 et 7, qui ont trait aux obligations que sont l’utilisation équitable et le fait de ne pas causer de dommages importants, respectivement. MC, vol. 2, annexe 5.
83 Convention de 1997, art. 18, par. 2 et 3. MC, vol. 2, annexe 5.
84 CMB, par. 180 et 181 c).
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tel service
85. Et inversement, tout individu ou Etat qui fournit pareil service non demandé n’est pas en droit de percevoir une redevance en échange.
4. La jurisprudence, la pratique des Etats et la doctrine dont se réclame la Bolivie n’étayent pas l’existence d’un régime juridique distinct applicable à un écoulement «artificiellement amélioré» et sont sans rapport avec la thèse bolivienne
2.42. Au sixième chapitre de son contre-mémoire («Demandes reconventionnelles»), la Bolivie déclare que «[s]es demandes reconventionnelles … se fondent sur les conclusions de fait et de droit exposées dans les précédents chapitres»86. Il sera démontré dans la présente sous-section que les fondements juridiques présentés par la Bolivie au soutien de ses affirmations relatives à l’écoulement «artificiellement amélioré» ne sont pas pertinents et n’étayent nullement ses demandes.
2.43. Les deuxième et troisième demandes reconventionnelles de la Bolivie reposent sur l’argument que les obligations mutuelles des Etats concernant les cours d’eau internationaux ne portent que sur l’«écoulement naturel» des eaux. A l’appui de cette affirmation, la Bolivie cite les travaux de publicistes ainsi que la jurisprudence et le droit des traités. Il suffit d’un examen rapide de ces sources pour constater qu’elles ne lui sont d’aucune utilité.
2.44. La Bolivie cite tout d’abord des sources hautement respectées dans le domaine du droit international public, soit L. Oppenheim (dans l’ouvrage de Jennings et Watts)87 et Max Huber88. Dans les passages cités, les termes «naturelles» et «naturellement» sont employés pour qualifier les conditions du territoire des Etats et l’écoulement, respectivement, mais non par opposition aux conditions «artificielles»89. Ces sources n’étayent pas la thèse de la Bolivie, et ne sont pas remises en cause par le Chili90.
2.45. La Bolivie cherche ensuite à fonder sa thèse de l’écoulement artificiel  sur laquelle reposent les deuxième et troisième demandes reconventionnelles  sur trois décisions, à savoir
85 Ce principe suit le raisonnement qui fonde les principes de res inter alios acta alteri nocere non debet et pacta tertiis nec nocent nec prosunt : une chose n’est pas opposable à qui n’en est pas partie. Ce principe en ce qu’il s’applique aux traités est énoncé à l’article 34 de la convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Nations Unies, doc. A/CONF.39/27. Voir, de manière générale, l’opinion individuelle du juge Owada dans l’affaire relative à la Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 174-176.
86 CMB, par. 173.
87 R. Jennings and A. Watts (éd.), Oppenheim’s International Law, Longman, 9e éd., 1996, p. 585.
88 M. Huber, «Ein Beitrag zur Lehre von der Gebietshoheit an Grenzflüssen», Zeitschrift für Völkerrecht und Bundesstaatsrecht, 1907, p. 29 et suiv. et 159 et suiv., in S. McCaffrey, The Law of International Watercourses, Oxford University Press, 2007, p. 132.
89 CMB, par. 80.
90 La Bolivie fait en outre référence à un article sur le présent différend et affirme qu’«[u]ne rivière fabriquée, prenant la forme de canaux ou d’autres systèmes faits par l’homme, ne relèverait pas du droit international de l’eau dès lors que, par définition, il s’agit d’une masse d’eau exclusive qui a un détenteur et qui est soumise aux accords grâce auxquels elle a été créée». CMB, par. 80. La source citée est «B. Mulligan and G. Eckstein, «The Silala/Siloli Watershed: Dispute Over the Most Vulnerable Basin in South America», International Journal of Water Resources Development, Vol. 27(3), 2011, p. 595-606». S’il reconnaît être quelque peu perplexe quant à savoir quelle était l’intention des auteurs (la citation semble renvoyer à un système d’adduction d’eau intégralement construit par l’homme), le Chili ne pense pas que la formulation en question ait un quelconque rapport avec le système hydrographique du Silala. La citation n’étaye donc nullement la thèse de la Bolivie.
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l’arbitrage du Lac Lanoux
91, l’affaire de la Donauversinkung92 et celle relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros93. La Bolivie cite ces affaires pour essayer de démontrer que «[l]’intérêt juridique d’établir une distinction entre écoulements naturels et artificiels est … reconnu dans des décisions judiciaires nationales et internationales»94. Toutefois, aucune de ces affaires ne porte sur des écoulements «artificiels», ni ne fait mention du terme «artificiel». De surcroît, aucune ne parle de «l’intérêt juridique d’établir une distinction entre écoulements naturels et artificiels»95 ou ne dit quoi que ce soit que l’on pourrait interpréter comme venant étayer cette affirmation.
2.46. La Bolivie tente ensuite de démontrer que la pratique conventionnelle des Etats révèle que certains accords au moins «restreignent … leur champ d’application à l’écoulement naturel d’un cours d’eau partagé»96. Pour tous les cours d’eau cités (le Mahakali, le Mékong et le Columbia), le traité correspondant inclut dans son champ d’application les eaux modifiées par des barrages importants ou d’autres ouvrages artificiels. Or aucun de ces traités ne parle d’écoulement «artificiel», ni n’établit une distinction entre écoulements «naturels» et «artificiels», ni, a fortiori, n’autorise un Etat d’amont à demander aux Etats d’aval une redevance pour les avantages apportés par ses ouvrages ou ne lui permet de revendiquer une souveraineté sur des écoulements «artificiels». L’expression «écoulement artificiel» semble plutôt avoir été créée par la Bolivie pour les besoins de sa thèse.
2.47. Il n’est donc pas surprenant que la pratique des Etats sur laquelle la Bolivie se fonde n’établisse pas de distinction entre les eaux s’écoulant «artificiellement» et «naturellement»97. La Bolivie considère à tort que si l’on parle d’«écoulement naturel» dans la pratique des Etats cela suppose nécessairement l’existence de ce qu’elle appelle un «écoulement artificiel»98.
91 Affaire du lac Lanoux (Espagne/France), sentence arbitrale du 16 novembre 1957, Nations Unies, RSA, vol. XII, p. 281. L’Affaire du lac Lanoux concernait des transferts d’eau entre bassins, au moyen de tunnels et de canaux, du bassin du Carol à l’Ariège, un volume équivalent d’eau de l’Ariège étant ensuite restitué au Carol, d’où l’eau s’écoulait vers l’Espagne. Cette affaire ne portait donc guère sur un écoulement «naturel», à tout le moins au sens où la Bolivie l’entend.
92 Württemberg and Prussia v. Baden (The Donauversinkung Case), German Staatsgerichtshof, 18 juin 1927. Les faits relatifs à cette affaire ont peu en commun avec ceux concernant le Silala, dans la mesure où ils se rapportent au passage des eaux du Danube par les berges et le lit du fleuve pendant certaines périodes de l’année, devenant la source du Aach dans le lac de Constance/bassin du Rhin. Le tribunal a conclu que la «disparition» du Danube en résultant était un phénomène naturel. Aucun écoulement «artificiel» n’entrait en jeu. De fait, aucun ouvrage de quelque sorte que ce soit n’était en cause dans cette affaire.
93 Projet Gabčíkovo-Nagymaros. Il est vrai que l’expression «débit naturel» apparaît dans le passage cité par la Bolivie, mais celle-ci n’explique pas en quoi cela fait avancer sa thèse. La revendication par la Hongrie d’un droit à cinquante pour cent du «débit naturel du Danube» se fondait sur la convention de 1976 citée par la Bolivie, et non sur l’arrêt rendu dans cette affaire. Convention sur la réglementation en matière d’eaux frontières (Tchécoslovaquie et Hongrie), 31 mai 1976, art. 1 et 2. Par ailleurs, la Bolivie omet de mentionner que le champ d’application du traité en question englobe les ouvrages artificiels.
94 CMB, par. 81.
95 Ibid.
96 Ibid., par. 82.
97 Ibid., citant le traité conclu le 12 février 1996 entre l’Inde et le Népal au sujet de l’aménagement de la rivière Mahakali, I.L.M., vol 36, p. 531 ; l’accord de coopération pour la mise en valeur durable du bassin du Mékong, 5 avril 1995, Nations Unies, Recueil des traités (RTNU), vol. 2069, p. 3 ; traité relatif à la mise en valeur des ressources hydrauliques du bassin du fleuve Columbia, 17 janvier 1961, Nations Unies, RTNU, vol. 542, p. 247 ; et le Traité entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique relatif aux eaux limitrophes et aux questions originant le long de la frontière entre le Canada et les Etats-Unis, 11 janvier 1909, 36 Stat. 2448, T.S. No. 548.
98 CMB, par. 81-82.
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2.48. Les traités cités comme exemples par la Bolivie qui font référence à un «écoulement naturel» ne prévoient pas un droit préférentiel à un «écoulement artificiel» qui existerait en dehors du régime prévu par le droit relatif aux cours d’eau internationaux. Ils reconnaissent, sous différentes formes, un droit à une protection contre des dommages importants qui résulteraient d’une réduction, d’une modification ou d’une obstruction de l’«écoulement naturel» dans le cadre du développement, par l’homme, d’un cours d’eau international. Tel est le cas des traités relatifs au Mahakali99, au bassin du Mékong100, au fleuve Columbia101 et aux eaux limitrophes entre le Canada et les Etats-Unis102.
2.49. La Bolivie s’appuie ensuite sur l’article 26 de la convention de 1997, intitulé «Installations», pour affirmer qu’il n’existe «aucune obligation concernant l’installation ou l’entretien d’infrastructures visant à accroître le débit d’eaux transfrontières et à en améliorer l’utilisation. Un Etat n’est pas en droit de demander à un autre Etat d’installer ou d’entretenir pareilles infrastructures à son profit»103. Ces affirmations ne disent rien de particulier et le Chili ne les conteste pas. Elles n’ont aucun rapport avec les circonstances de l’espèce, puisque le Chili n’a jamais demandé à la Bolivie d’installer de chenaux ou d’«améliorer» l’écoulement du Silala.
2.50. Faute de trouver dans la doctrine relative aux cours d’eau internationaux une quelconque source qui étaye son concept d’«écoulement artificiel», la Bolivie se tourne vers le droit de la mer. Elle y trouve bien le terme «artificiel», mais employé dans des contextes qui n’ont aucun rapport, que ce soit direct ou par analogie, avec les cours d’eau internationaux. En effet, les précédents dans
99 CMB, par. 82. Treaty Concerning the Integrated Development of the Mahakali River, India-Nepal, 12 février 1996, I.L.M., vol 36, p. 531. Ce traité prévoit une protection contre les ouvrages susceptibles de «nuire» (art. 7) aux «écoulements et niveaux naturels», mais il ne prévoit aucun droit de propriété préférentiel à l’égard d’un «écoulement artificiel». Le champ d’application de ce traité inclut également la régulation du cours d’eau sur la base de nombreux ouvrages artificiels réalisés sur celui-ci, comme l’illustre le titre même du traité.
100 Accord de coopération pour la mise en valeur durable du bassin du Mékong, 5 avril 1995, Nations Unies, RTNU, vol. 2069, p. 3, article 6, cité par la Bolivie dans CMB, par. 82.
101 Traité relatif à la mise en valeur des ressources hydrauliques du bassin du fleuve Columbia, 17 janvier 1961, Nations Unies, RTNU, vol. 542, p. 247, mentionné par la Bolivie dans CMB, par. 82. L’article XIII dispose comme suit :
«Sauf autres dispositions du présent article, ni le Canada ni les Etats-Unis ne pourront, sans un consentement de l’autre attesté par un échange de notes, détourner des eaux de leur cours naturel, pour des usages autres que la consommation, d’une façon qui modifie le débit des eaux là où elles traversent la frontière du Canada et des Etats-Unis d’Amérique, à l’intérieur du bassin du Columbia.»
102 Traité entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique relatif aux eaux limitrophes et aux questions originant le long de la frontière entre le Canada et les Etats-Unis, 11 janvier 1909, 36 Stat. 2448, T.S. No. 548. L’article II du traité relatif aux eaux limitrophes ne restreint pas, comme la Bolivie l’affirme (CMB, par. 82), son applicabilité aux «cours naturels», mais aux «eaux situées [du] côté de la frontière [de chaque Etat partie] et qui, en suivant leur cours naturel, couleraient au-delà de la frontière ou se déverseraient dans des cours d’eaux limitrophes», et il prévoit des recours pour les personnes lésées par des changements dans le cours naturel. Le traité envisage aussi la construction d’autres ouvrages par les parties (art. III). Ainsi, la régulation des eaux limitrophes est manifestement prévue dans le traité, lequel reste muet quant aux écoulements «artificiels».
103 CMB, par. 83.
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ce domaine que cite la Bolivie concernent les îles artificielles et la délimitation maritime
104. Ils ne viennent nullement étayer son concept d’«écoulement artificiel»105.
2.51. En résumé, les deuxième et troisième demandes reconventionnelles de la Bolivie partent du principe qu’il existe, en droit international, un régime juridique distinct pour l’écoulement «artificiellement amélioré» d’un cours d’eau international. La Bolivie ne cite toutefois aucune source pertinente au soutien de l’existence de pareil régime. La doctrine, la pratique conventionnelle et la jurisprudence auxquelles elle renvoie ne traitent nullement de ce sujet. La thèse bolivienne étant totalement nouvelle et dépourvue de tout fondement en droit international, force est de conclure qu’elle n’est rien de plus que cela, une simple thèse sur laquelle la Bolivie fonde ses demandes reconventionnelles, sans aucune valeur juridique.
B. LE CONTEXTE HISTORIQUE À PRENDRE EN CONSIDÉRATION POUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA BOLIVIE : PRINCIPALES OMISSIONS DE LA BOLIVIE
2.52. Dans ses demandes reconventionnelles, la Bolivie a choisi d’omettre une série de faits essentiels. Tout d’abord, elle fait fi de la pratique qu’elle-même avait adoptée pendant un siècle, qui consistait à reconnaître le Silala en tant que cours d’eau transfrontière et qui ne s’est accompagnée d’aucune déclaration à l’effet d’établir une distinction entre écoulements «naturels» et écoulements «artificiels». Cette omission sera examinée plus en détail à la sous-section 1 ci-dessous. Ensuite, comme il sera exposé de façon détaillée à la sous-section 2, la Bolivie passe sous silence, d’une part, le fait que le Chili a accordé une autorisation à l’entreprise privée britannique FCAB en 1906 relativement aux eaux du Silala en territoire chilien, avant même la concession bolivienne de 1908, et, d’autre part, le fait que la construction des chenaux en Bolivie, à la fin des années 1920, visait à améliorer la qualité, et non la quantité, de l’eau. Il s’agit là de faits importants (mais pourtant omis), car ils confirment que l’écoulement des eaux du Silala jusqu’au Chili ne dépendait pas alors, et ne dépend toujours pas aujourd’hui, des chenaux de terre excavés et revêtus par la FCAB, dont la Bolivie choisit maintenant de tirer argument. Pendant des années, il a été jugé que les eaux pouvaient être exploitées  et elles l’étaient effectivement  sans les chenaux installés par la FCAB.
2.53. Deux autres omissions importantes de la Bolivie sont analysées à la fin de la présente sous-section : la Bolivie ne reconnaît pas que les chenaux en question ont été construits sur son territoire bolivien avec son autorisation, et sont donc une conséquence de ses propres actes souverains (sous-section 3) ; et la Bolivie n’explique pas pourquoi elle n’a tout simplement pas retiré les chenaux et restauré les zones humides sur son territoire (sous-section 4).
104 CMB, par. 85-90.
105 Il n’est pas surprenant que, dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, les structures artificielles et les formations naturelles soient considérées différemment. Ainsi, les îles artificielles, les installations et les ouvrages dans la zone économique exclusive «n’ont pas de mer territoriale qui leur soit propre…». Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 3 décembre 1982, Nations Unies, RTNU, vol. 1833, p. 3, article 60, par. 8. La jurisprudence citée par la Bolivie est tout autant inutile : The South China Sea Arbitration (The Republic of Philippines v. The People’s Republic of China), PCA Case No. 2013-19, Award of 12 July 2016 ; Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 61 ; Délimitation maritime et questions territoriales entre le Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), ordonnance du 11 octobre 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 40 ; Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 116 ; et Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 303. En effet, la Bolivie n’explique pas en quoi ces affaires sont pertinentes ou en rapport avec l’espèce.
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1. La Bolivie oublie que pendant presque un siècle le Chili et elle-même ont reconnu le Silala comme une rivière, sans distinction entre écoulements «naturels» et «artificiels»
2.54. Dans son mémoire, le Chili a démontré que les deux Etats avaient reconnu, pendant près d’un siècle, le Silala comme une rivière naturelle et un cours d’eau transfrontière106. En témoignent par exemple :
a) La représentation du Silala dans la cartographie chilienne et bolivienne, notamment le plan annexé au traité de paix et d’amitié, signé en 1904 par les représentants des deux Etats107. En 1997 encore, le Silala était représenté sur la carte géologique de la Bolivie du service bolivien de géologie et des mines108 et sur la carte officielle de la région préparée par l’institut géographique militaire bolivien109. Pendant tout ce temps, la Bolivie n’a jamais fait mention d’écoulements «artificiels» et «naturels» ni fait la distinction entre ceux-ci.
b) Les membres chiliens et boliviens des diverses commissions mixtes chargées de la démarcation et de la révision de la frontière internationale ont invariablement parlé du Silala, de 1906 jusqu’à la fin des années 1990110. Même après que la Bolivie eut soudainement changé sa position en 1999, sa législation interne et les écritures qu’elle a soumises au secrétariat de la convention de Ramsar continuaient de faire référence au Silala comme étant une rivière111. Là non plus, il n’a jamais été question de distinguer les écoulements «naturels» et les écoulements «artificiels».
2.55. La Bolivie n’a nullement tenté de contester ces éléments de preuve. Elle affirme que, «[d]ans son mémoire, le Chili fait fond sur des interprétations erronées de la cartographie bolivienne et de procès-verbaux et déclarations concernant les eaux du Silala»112, mais sans expliquer les nombreuses représentations et descriptions du Silala faites par ses propres autorités. La Bolivie soutient également que, à l’époque où les nombreux documents ont été produits, «les deux Etats ne disposaient pas de preuves scientifiques suffisantes pour établir avec précision la nature des eaux du Silala»113. Cette affirmation est hors de propos, et erronée :
a) Aucune preuve scientifique n’est requise pour confirmer que le Silala est un cours d’eau transfrontière, dont les eaux s’écoulent naturellement de la Bolivie au Chili. Selon les propos prononcés en 1996 par le président de la commission bolivienne sur la souveraineté et les frontières et président de la commission mixte des frontières, qui s’était rendu à maintes reprises dans la région avec son homologue chilien :
«Il est constitué de deux sources principales mais reçoit également les eaux d’autres sources moins importantes. Le mince écoulement ainsi formé, dénommé le Silala, parcourt le territoire bolivien sur environ deux kilomètres avant de franchir la frontière en un point du versant est-ouest de la vallée située entre les monts Inacaliri et Silala. La pente est d’environ 30 % [sic, plus probablement 3 %], selon les calculs des
106 MC, par. 4.13-4.35.
107 Plan annexé au traité de paix et d’amitié, signé le 20 octobre 1904. MC, vol. 6, annexe 82.
108 Service bolivien de géologie et des mines (SERGEOMIN), carte géologique de la Bolivie, planche 5927-6027, Silala-Sanabria, éd. mars 1997. MC, vol. 6, annexe 89.
109 Institut géographique militaire bolivien (IGM), carte d’Amérique du Sud (Bolivie), Volcán Juriques, 1re éd., republiée en mai 1997. MC, vol. 6, annexe 90.
110 MC, par. 4.36-4.55.
111 Ibid., par. 4.62-4.66.
112 CMB, par. 25.
113 Ibid.
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experts, [le] lit [de la rivière] est étroit et ses eaux cristallines coulent, du fait de la gravité, en direction de l’aval jusqu’en territoire chilien.»
114
b) Après le changement de position de la Bolivie en 1999, le Chili a effectivement accepté (en 2004) de mettre sur pied une commission technique conjointe et de mener des études techniques et scientifiques communes sur le Silala, mais ce n’était pas en raison du manque de données scientifiques, comme le laisse entendre la Bolivie115. Le Chili a plutôt agi dans l’espoir raisonnable que la Bolivie, une fois mise devant les faits incontestables, reviendrait à sa position d’avant 1999 en reconnaissant le Silala comme une rivière internationale, comme elle le fait à présent.
2.56. La Bolivie affirme également que les rapports d’experts soumis par les deux Parties confirment sa position, à savoir que le Silala est un «cours d’eau artificiellement amélioré»116. Cela est faux. Ni les experts du Chili ni ceux de la Bolivie ne font mention d’un «cours d’eau artificiellement amélioré» ou une quelconque distinction entre écoulement «artificiel» et écoulement «naturel». Ces notions sont une pure invention de la Bolivie.
2.57. En résumé, pour répondre aux demandes reconventionnelles de la Bolivie, le Chili renvoie aux éléments de preuve qu’il a déjà présentés dans son mémoire, et sur lesquels la Bolivie est restée muette alors qu’ils démontrent qu’elle a reconnu, pendant un siècle, le Silala comme un cours d’eau international, sans faire de distinction entre l’écoulement «naturel» et l’écoulement «artificiel».
2. Les faits véritables concernant les concessions de 1906 et de 1908 et la chenalisation ultérieure (1928) effectuée en Bolivie pour des raisons sanitaires
2.58. La Bolivie ne mentionne pas la concession relative aux eaux du Silala qui fut accordée en 1906 par les autorités chiliennes à l’entreprise privée britannique FCAB117. Cette concession est importante, car elle montre que, en 1906, avant que ne soient construits des ouvrages au Chili ou en Bolivie, le Silala coulait naturellement à travers la frontière entre les deux pays. S’il en avait été autrement, le Chili n’aurait pas été en mesure d’accorder une concession pour ces eaux.
2.59. La Bolivie affirme que, avant la chenalisation, les eaux du Silala ne s’écoulaient pas naturellement à travers la frontière «à un débit et à un volume suffisants pour servir les buts recherchés [par la compagnie ferroviaire]»118. Elle fait fond, à cet égard, sur le libellé de l’acte de concession bolivien de 1908, qui disait que, «[m]oyennant un système de captage et de canalisations ... la compagnie pourrait utiliser les eaux des sources susmentionnées ... même si cela
114 «Dialogue on Friday with Dr. Teodosio Imaña Castro», Presencia, La Paz, 31 mai 1996. MC, vol. 3, annexe 71.
115 CMB, par. 25.
116 Ibid., par. 42.
117 Acte de concession (no 1892) par le Chili des eaux du Siloli en faveur de l’Antofagasta (Chili) and Bolivia Railway Company Limited, en date du 31 juillet 1906 (ci-après la «concession chilienne de 1906»). MC, vol. 3, annexe 55. Voir, pour son examen, MC, par. 2.21, 4.56-4.58 ; cf. CMB, par. 48.
118 CMB, par. 65 ; voir également, par. 63.
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entraînerait un surcroît de dépenses»
119, et que «les travaux envisagés permettr[aient] d’utiliser des eaux qui [étaient alors] perdues et ne profit[ai]ent donc à personne»120.
2.60. Cependant, lorsqu’elle décrit la construction des ouvrages et des chenaux, la Bolivie ne respecte pas la chronologie des faits, ne tient pas compte des preuves existantes et présente les choses sous un jour particulièrement trompeur.
2.61. Comme l’a expliqué le Chili dans son mémoire, les premiers travaux ont été réalisés en 1910 et consistaient en la construction d’une prise d’eau (la prise d’eau no 1) en territoire bolivien à tout juste 600 mètres de la frontière internationale121. Rien n’indique que des chenaux aient été construits à cette époque dans les zones humides boliviennes ou dans la gorge du Silala, et la Bolivie n’a pas démontré le contraire.
2.62. La version juste, c’est que la chenalisation a été entreprise en 1928 pour des raisons sanitaires, près de dix-huit ans après que la FCAB eut commencé à capter les eaux du Silala122. Les motifs pour lesquels les chenaux ont été construits sont bien documentés dans des échanges entre le directeur général de la FCAB à Antofagasta et le conseil d’administration de la FCAB à Londres, comme suit :
«Depuis quelque temps, il est difficile de garder l’eau de cette source au niveau élevé de pureté souhaité et la découverte, par examen au microscope, de certains oeufs de mouches dans l’eau à Antofagasta a éveillé des soupçons. De ces oeufs sort une espèce de petite mouche verte. Nous avons finalement réussi à identifier la cause, qui trouve son origine dès l’ouvrage de régulation dans la vallée du Silala où pousse une importante végétation à travers laquelle l’eau s’écoule avant d’atteindre la prise d’eau.»123
2.63. Le directeur général envisageait deux options possibles pour résoudre ce problème :
«L’ingénieur en charge des ouvrages hydrauliques a prévu deux mesures pour surmonter cette difficulté : la première consiste à nettoyer le cours d’eau à travers la vallée en creusant un chenal de terre depuis les sources supérieures jusqu’à la prise d’eau existante et une tranchée à partir des sources Cajones près de la prise d’eau ; la deuxième consiste à faire un chenal de béton plutôt que de terre.»124
2.64. Compte tenu des archives qui attestent de manière circonstanciée la chenalisation de 1928, la Bolivie ne peut affirmer que «le Chili ne tient pas compte du but ou des raisons mêmes de
119 CMB, par. 63 et 65, citation tirée de l’acte de concession (no 48) par la Bolivie des eaux du Siloli en faveur de l’Antofagasta (Chili) and Bolivia Railway Company Limited, en date du 28 octobre 1908. MC, vol. 3, annexe 41.
120 Ibid., par. 67, citation tirée de l’acte de concession (no 48) par la Bolivie des eaux du Siloli en faveur de l’Antofagasta (Chili) and Bolivia Railway Company Limited, en date du 28 octobre 1908. MC, vol. 3, annexe 41.
121 MC, par. 4.60. Pour la demande officielle soumise le 3 août 1910 aux autorités boliviennes par la FCAB pour amener jusqu’en Bolivie les conduites en provenance du territoire chilien, voir Request from FCAB to the Government of Bolivia, 3 August 1910, MC, vol. 3, annexe 65 ; et pour l’autorisation accordée par la Bolivie à cette fin, voir communication no 71 en date du 9 août 2010 adressée à la FCAB par le Gouvernement bolivien, MC, vol. 3, annexe 42.
122 MC, par. 4.61.
123 Letter from the General Manager of FCAB in Chile to the Secretary of the Board of Directors of FCAB in London, 27 janvier 1928. MC, vol. 3, annexe 67.1.
124 Ibid.
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la construction des chenaux»
125. Bien au contraire, les archives infirment la thèse de la Bolivie selon laquelle les chenaux ont été construits pour augmenter l’approvisionnement en eau126.
2.65. C’est à tort que la Bolivie affirme maintenant que, «avant l’installation des chenaux artificiels, les eaux du Silala dans la région des bofedales boliviens étaient relativement stagnantes, et l’écoulement de surface à travers la frontière était nettement moindre qu’à l’heure actuelle»127 et que, avant la chenalisation, «le Silala en Bolivie n’avait pas une forme d’écoulement ni un débit ou un volume permettant de répondre aux besoins de la compagnie de chemin de fer»128.
2.66. La concession chilienne de 1906 avait été demandée pour approvisionner «la ville d’Antofagasta en eau abondante et de qualité»129, et avait été jugée suffisamment importante pour «r[égler] … la question de l’approvisionnement en eau potable de la ville susmentionnée»130, ce qui démontre qu’il y avait un écoulement considérable qui allait de la Bolivie au Chili avant la construction d’ouvrages hydrauliques ou la chenalisation.
2.67. Il est également faux de dire, comme la Bolivie le fait à présent, qu’une deuxième conduite (la conduite no 2) a été construite en 1942 pour acheminer les eaux «générées par la chenalisation» en territoire chilien131. Dès 1916, la construction d’une deuxième conduite était prévue, mais la FCAB n’avait pas été en mesure de lever les fonds nécessaires132. La seule conduite installée à l’époque (la conduite no 1) avait une capacité de 75 l/s133, que la FCAB aurait pu doubler grâce à une deuxième conduite134. La conduite no 2 a finalement été construite en 1942, soit quatorze ans après l’excavation des chenaux de 1928, et elle n’avait aucun lien avec ces ouvrages antérieurs.
125 CMB, par. 58.
126 A fortiori, rien ne montre que la chenalisation dans Orientales et Cajones ait eu pour effet «délibéré de réduire … ces zones humides fragiles», comme l’affirme la Bolivie (CMB, par. 69). De fait, la FCAB a choisi l’option des chenaux de terre et non de béton afin d’agir d’urgence, sans se soucier de l’efficacité accrue que les chenaux de béton pouvaient offrir : «Le problème a été expliqué en détail à M. Bolden lors de sa visite et il a été recommandé que les travaux de rénovation et d’amélioration des ouvrages de prise d’eau existants et la construction d’un chenal de terre entre les sources actuelles et la prise de la conduite du Silala soient menés à bien rapidement vu l’urgence de la situation. Il a été expliqué que, s’il fallait ultérieurement construire un chenal de béton, les dépenses engagées pour creuser le chenal de terre correspondraient à celles d’un ouvrage préliminaire pour le chenal de béton.», voir Letter from the General Manager of FCAB in Chile to the Secretary of the Board of Directors of FCAB in London, 27 janvier 1928, MC, vol. 3, annexe 67.1. Pour autant que le Chili sache, aucun chenal de béton n’a été construit par la suite et les chenaux de terre de 1928 existent toujours plus ou moins aujourd’hui.
127 CMB, par. 62.
128 Ibid., par. 6[4].
129 Voir l’acte de la concession chilienne de 1906, MC, vol. 3, annexe 55, p. 201.
130 Ibid., p. 205.
131 CMB, par. 52.
132 Lettre du 7 avril 1916 adressée au secrétaire du conseil de direction de la FCAB par l’administrateur général de la compagnie. Réplique du Chili (ci-après «RC»), vol. 2, annexe 92. Voir aussi lettre du 8 septembre 1916 adressée au secrétaire du conseil de direction de la FCAB par l’administrateur général de la compagnie, où il est expliqué que la construction d’une deuxième conduite avait été jugée nécessaire pour satisfaire aux demandes croissantes en eau de la compagnie minière américaine Chile Exploration Company (Chilex). RC, vol. 2, annexe 93.
133 Robert H. Fox, The Waterworks Department of the Antofagasta (Chili) & Bolivia Railway Company, South African Journal of Science, 1922. MC, vol. 3, annexe 75. Voir aussi MC, par. 2.22.
134 Lettre du 7 avril 1916 adressée au secrétaire du conseil de direction de la FCAB par l’administrateur général de la compagnie. RC, vol. 2, annexe 92.
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2.68. Le Chili relève au passage que la Bolivie affirme que des explosifs ont été utilisés au niveau des sources du Silala pour permettre de retirer la terre et les pierres, afin, là encore, d’augmenter l’écoulement135. La Bolivie ne fournit aucune preuve de cette affirmation hormis une photographie de pierres qui auraient été dynamitées et qui sont alignées le long d’un segment non identifié du Silala136. L’image ne permet pas de savoir si les pierres ont bien été dynamitées, ni où, quand, pourquoi et par qui elles l’auraient été. Cette image ne prouve rien137.
3. La Bolivie néglige le simple fait que les chenaux ont été construits avec son autorisation
2.69. Même si la Bolivie avait raison lorsqu’elle affirme que les chenaux ont été construits pour augmenter l’écoulement des sources dans les zones humides du Silala (ce qui n’est pas le cas), cette affirmation ne présenterait pas d’intérêt. Les chenaux ont été construits par l’entreprise privée britannique FCAB (et non par le Chili) conformément à la concession bolivienne de 1908, et donc avec l’autorisation de la Bolivie138.
2.70. La concession bolivienne de 1908 est un acte souverain de l’Etat bolivien, réglementé par le droit bolivien. Son exploitation et les modalités de celle-ci ne peuvent pas engager la responsabilité internationale du Chili, comme les deux Parties l’ont d’ailleurs confirmé à diverses reprises par le passé. Par exemple, par la note en date du 3 septembre 1999, adressée au Chili, la Bolivie a déclaré ce qui suit :
«Il y a lieu de rappeler que cette concession avait été accordée par la préfecture du département de Potosí à une entreprise privée et non à l’Etat chilien. Par conséquent, l’ensemble des mesures adoptées à ce jour, ainsi que celles prises par la compagnie concernée, l’[ont] été dans un cadre privé, compte dûment tenu de la juridiction bolivienne.»139
2.71. La Bolivie avait le droit d’autoriser la construction des chenaux par la FCAB en territoire bolivien. Cependant, si ces chenaux avaient une quelconque incidence sur l’écoulement de surface transfrontière du Silala (ce qu’ils n’ont pas de manière notable), on ne saurait en imputer la responsabilité au Chili, ni en tirer pour celui-ci une obligation de redevance.
135 CMB, par. 59 et 61.
136 Ibid., p. 48, fig. 19.
137 Le Chili attire l’attention sur la mention par la Bolivie d’une étude de cas concernant l’utilisation d’explosifs pour augmenter le débit d’exploitation de puits par un facteur de 6 à 20, laissant entendre que cette technique a pu être utilisée au Silala pour améliorer le débit des sources. Voir CMB, par. 61, renvoyant à F. G. Driscoll, «Blasting — It Turns Dry Holes into Wet Ones», Johnson Drillers Journal, novembre-décembre 1978, Johnson Division, UOP, Inc. St. Paul, MN, p. 3. L’article en question décrit dans le détail des techniques de fracturation n’ayant aucun lien avec la situation du Silala, puisque les sources s’écoulent naturellement d’un aquifère superficiel. Les experts du Chili considèrent qu’il n’est pas possible d’augmenter fortement le débit des sources en utilisant ces méthodes de dynamitage. Voir D. W. Peach et H. S. Wheater, La géologie, l’hydrogéologie et l’hydrochimie du bassin hydrographique du Silala (ci-après le «rapport Peach 2019»), p. 52 et 54.
138 Acte de concession (no 48), par la Bolivie, des eaux du Siloli en faveur de l’Antofagasta (Chili) and Bolivia Railway Company Limited, en date du 28 octobre 1908, p. 19. MC, vol. 3, annexe 41.
139 Note no GMI-656/99 en date du 3 septembre 1999 adressée au consulat général du Chili par le ministère des affaires étrangères et des cultes de la République de Bolivie. MC, vol. 2, annexe 27.
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4. Bien que la concession de 1908 ait pris fin en 1997, la Bolivie n’a pas retiré les chenaux ou restauré les zones humides
2.72. La Bolivie affirme que la construction des ouvrages hydrauliques sur son territoire a eu une incidence considérable sur ses zones humides140. Elle soutient que pour restaurer ces zones humides elle pourrait avoir à modifier les chenaux et systèmes de drainage141. A cette fin, elle prie la Cour de lui reconnaître la souveraineté sur ces installations et le droit de décider si celles-ci doivent être entretenues et de quelle manière (demande reconventionnelle a))142.
2.73. Demander pareille déclaration à la Cour est inutile (et injustifié). Le Chili ne s’oppose pas à ce que la Bolivie décide souverainement de restaurer les zones humides se trouvant sur son territoire, pour autant qu’elle respecte les obligations qui lui incombent envers le Chili en droit international coutumier et le droit du Chili à l’utilisation équitable et raisonnable des eaux du Silala. Il n’existe aucun différend entre les Parties sur ce point.
2.74. De plus, la Bolivie semble n’accorder qu’un intérêt secondaire à la restauration de ses zones humides. Il appert de ses deuxième et troisième demandes reconventionnelles qu’elle serait prête à «fournir» au Chili les eaux provenant de «l’écoulement artificiel» du Silala qui a été «aménagé, amélioré ou créé sur son territoire», moyennant le paiement par le Chili d’une redevance dont le montant reste à déterminer. Or, si l’on s’en tient à la thèse de la Bolivie, cette «fourniture» serait manifestement subordonnée à l’entretien de la chenalisation dans les zones humides boliviennes (car, d’après la Bolivie, c’est cette chenalisation qui produit l’écoulement «artificiel» pour lequel une redevance serait due), et non à une restauration des zones humides pour rendre celles-ci à leur état naturel143.
2.75. De fait, la Bolivie aurait pu retirer les chenaux et restaurer les zones humides à tout moment au cours du siècle passé, ou à tout le moins après la cessation de la concession bolivienne de 1908, en mai 1997144. Telle n’a toutefois pas été la ligne de conduite qu’elle a adoptée :
a) Plutôt que de ce faire, en avril 2000, la Bolivie a accordé une nouvelle concession sur les eaux du Silala, cette fois-ci à l’entreprise bolivienne DUCTEC S.R.L., pour une durée de quarante ans. Cette nouvelle concession autorisait la commercialisation et l’exportation des eaux à des fins industrielles et de consommation par l’homme145.
140 CMB, par. 73 et 176, citant le secrétariat de la convention Ramsar, rapport de la mission consultative Ramsar n° 84 effectuée sur le site Ramsar Los Lípez, Bolivia, 2018 (ci-après le «rapport Ramsar»). CMB, vol. 5, annexe 18.
141 Ibid., par. 179.
142 Ibid., par. 181 a).
143 Ibid., par. 181 b) et c).
144 Arrêté no 71/97 de la préfecture du département de Potosí (Bolivie), 14 mai 1997. MC, vol. 3, annexe 46.
145 Contrat de concession de l’utilisation et de l’exploitation des sources du Silala, conclu le 25 avril 2000 entre le surintendant bolivien des installations sanitaires de base et DUCTEC S.R.L. MC, vol. 3, annexe 48. La concession excluait l’utilisation des eaux du Silala pour la distribution d’eau potable et l’évacuation des eaux usées en Bolivie en l’absence d’une autre concession d’utilité publique, ainsi pour les activités minières par des tiers en territoire bolivien. Les seuls utilisateurs finaux potentiels des droits relatifs à l’eau accordés à DUCTEC se trouvaient donc au Chili. DUCTEC a cherché à faire payer la FCAB et la Corporación Nacional del Cobre de Chile (CODELCO) pour leur utilisation de l’eau en territoire chilien, en vain. Voir Invoice No 003/00 from DUCTEC to CODELCO, 5 May 2000. MC, vol. 3, annexe 76. Voir, pour l’opposition officielle du Chili à la concession de la Bolivie de la totalité des eaux du Silala à DUCTEC, note no 006738 en date du 27 avril 2000 adressée au ministère des affaires étrangères et des cultes de la République de Bolivie par le ministère des affaires étrangères de la République du Chili. MC, vol. 2, annexe 31. La concession DUCTEC a pris fin le 30 mai 2003, en raison du caractère illégal du contrat de concession, voir Bolivian Administrative Resolution Nº 75/2003 by the Superintendency of Basic Sanitation, 30 May 2003. MC, vol. 3, annexe 50.
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b) Au cours des années qui ont suivi, la Bolivie a envisagé, et dans certains cas mis en oeuvre, plusieurs projets visant à utiliser les eaux du Silala, notamment une ferme piscicole, un petit barrage et une usine d’embouteillage d’eau minérale146. Lorsque le Chili a demandé des informations sur ces projets, conformément au droit international applicable aux cours d’eau internationaux147, la Bolivie a soutenu qu’elle avait pleine souveraineté sur l’utilisation et l’exploitation de ces ressources148.
2.76. L’intention de restaurer les zones humides que la Bolivie affiche depuis peu semble avoir coïncidé avec le dépôt de la requête du Chili le 6 juin 2016. Peu après, le 6 juillet 2016, la Bolivie s’est entretenue avec les représentants du secrétariat Ramsar à Genève au sujet du site Ramsar Los Lípez, dont le Silala fait partie149. A la suite de cette rencontre, elle a demandé, par lettre en date du 27 juillet 2016, qu’une mission Ramsar soit menée sur le site, car elle était «préoccup[ée] face aux changements négatifs observés dans les caractéristiques écologiques du site de Los L[ípez], des zones humides du Silala et des zones connexes, dus à la chenalisation artificielle des sources réalisée pour faciliter l’exploitation de leurs eaux»150.
2.77. En tout état de cause, la Bolivie n’a pas expliqué à la Cour pourquoi elle n’avait pas restauré les zones humides, et le Chili tient à souligner qu’il n’était pas responsable (et ne pourrait l’avoir été) des retards s’agissant de la restauration en territoire bolivien. Le Chili considère en outre que la restauration complète des zones humides aurait une incidence minime sur l’écoulement transfrontière vers son territoire, et il encourage la Bolivie à prendre les mesures qui sont nécessaires et appropriées pour une telle restauration (en respectant ses obligations envers le Chili, notamment par voie de notification et de consultation).
C. CONCLUSION : LA DISTINCTION ENTRE ÉCOULEMENT «NATUREL» ET ÉCOULEMENT «ARTIFICIELLEMENT AMÉLIORÉ» AVEC LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES QUE LUI ATTRIBUE LA BOLIVIE EST INTENABLE AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL ET LES DEUXIÈME ET TROISIÈME DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA BOLIVIE DOIVENT ÊTRE REJETÉES
2.78. Les demandes reconventionnelles b) et c) de la Bolivie reposent sur une distinction que fait celle-ci entre écoulement «naturel» et écoulement «artificiellement amélioré», distinction qui est dénuée de fondement en droit international et va de fait à l’encontre du principe reconnu qu’est l’utilisation équitable et raisonnable des cours d’eau internationaux. La Bolivie méconnaît en outre des éléments essentiels de l’histoire du Silala et de ses utilisations, et elle passe sous silence le simple fait que la chenalisation du Silala a été faite sur son propre territoire, avec son autorisation, et qu’elle
146 MC, par. 3.26.
147 Note no 199/39 en date du 7 mai 2012 adressée au ministère des affaires étrangères de l’Etat plurinational de Bolivie par le consulat général du Chili à La Paz. MC, vol. 2, annexe 34. Note no 389/149 en date du 9 octobre 2012 adressée au ministère des affaires étrangères de l’Etat plurinational de Bolivie par le consulat général du Chili à La Paz. MC, vol. 2, annexe 35.
148 Voir, entre autres, note no VRE-DGRB-UAM-020663/2012 en date du 25 octobre 2012 adressée au consulat général du Chili par le ministère des affaires étrangères de l’Etat plurinational de Bolivie. MC, vol. 2, annexe 36.
149 Note no VRE-Cs-58/2016 du 27 juillet 2016 adressée au conseiller principal pour les Amériques du secrétariat Ramsar par le ministère bolivien des affaires étrangères. RC, vol. 2, annexe 97.
150 Note no VRE-Cs-58/2016 du 27 juillet 2016 adressée au conseiller principal pour les Amériques du secrétariat Ramsar par le ministère bolivien des affaires étrangères. RC, vol. 2, annexe 97. Le Chili fait observer que, en 2015, la Bolivie a indiqué au Secrétariat Ramsar qu’il n’y avait «pas de changement négatif» dans ses sites Ramsar, voir National Report on the Implementation of the Ramsar Convention on Wetlands submitted by the Plurinational State of Bolivia to the 12th Meeting of the Conference of the Contracting Parties, 2 January 2015, réponse à la question 2.6.2. RC, vol. 2, annexe 95.
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aurait pu retirer les chenaux il y a longtemps afin de restaurer ses zones humides. Les deuxième et troisième demandes reconventionnelles de la Bolivie n’ont aucun fondement et doivent être rejetées.
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CHAPITRE 3 LA THÈSE DE LA PRÉTENDUE INCIDENCE DE LA CHENALISATION EN BOLIVIE EST INDÉFENDABLE DANS LES FAITS
3.1. La Bolivie fonde ses deuxième et troisième demandes reconventionnelles sur une série d’arguments qu’elle avance au sujet des incidences de la chenalisation effectuée en 1928 sur son territoire. Ces arguments sont tirés à leur tour des estimations auxquelles les experts du DHI mandatés par la Bolivie sont parvenus grâce à une modélisation faite pour les besoins de l’espèce. Le Chili examinera ces arguments factuels dans le présent chapitre, mais rappelle néanmoins que, de son point de vue, les deuxième et troisième demandes reconventionnelles de la Bolivie peuvent et doivent être rejetées en droit seulement.
3.2. Comme on le verra à la section A ci-après, les Parties sont largement d’accord pour dire que le Silala, de par sa nature et son fonctionnement, est un cours d’eau international.
3.3. Comme il sera expliqué à la section B, l’incidence qu’aurait la chenalisation en Bolivie sur l’écoulement de surface du Silala (dont la Bolivie estime que 30 à 40 % sont «artificiellement amélioré[s]») est largement exagérée, à supposer qu’une telle incidence existe effectivement.
3.4. Le Chili a demandé à la Bolivie certaines données et informations que son expert, M. Wheater, jugeait nécessaires pour pleinement comprendre le modèle et les résultats du DHI et les évaluer de manière critique151. La Bolivie n’a pas fourni ces informations à temps pour que les experts du Chili puissent les traiter dans la présente écriture152. Le Chili réserve donc son droit d’utiliser les données et informations sollicitées une fois qu’elles auront été examinées et analysées par ses experts.
3.5. Néanmoins, les informations disponibles suffisent pour dégager les points clés suivants, qui seront développés dans le présent chapitre :
a) indépendamment de toutes tentatives de modélisation, l’intégralité de l’eau du bassin hydrographique du Silala s’écoulera de la Bolivie au Chili, que ce soit en surface ou en sous-sol ;
b) l’apport dans chaque scénario modélisé par le DHI étant différent, l’écoulement est également différent, ce qui n’apporte aucune preuve quant à l’incidence de la chenalisation ;
c) les résultats de la modélisation du DHI dépendent entièrement de l’amplification de l’incidence des chenaux par modélisation de seulement 1 % de la zone concernée (le champ proche) ;
d) la Bolivie s’appuie sur un rapport du secrétariat de la convention Ramsar datant de 2018153 qui conclut que les zones humides boliviennes sont fortement détériorées, alors que ce fait est
151 Lettre du 5 novembre 2018 adressée à l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie par l’agent de la République du Chili (RC, vol. 2, annexe 99.1), lettre du 30 novembre 2018 adressée à l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie par l’agent de la République du Chili (RC, vol. 2, annexe 99.3) et lettre du 21 décembre 2018 adressée à l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie par l’agent de la République du Chili (RC, vol. 2, annexe 99.5).
152 Lettre du 22 novembre 2018 adressée à l’agent de la République du Chili par l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie (RC, vol. 2, annexe 99.2), lettre du 11 décembre 2018 adressée à l’agent de la République du Chili par l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie (RC, vol. 2, annexe 99.4), lettre du 11 janvier 2019 adressée à l’agent de la République du Chili par l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie (RC, vol. 2, annexe 99.6) et lettre du 7 février 2019 adressée à l’agent de la République du Chili par l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie (RC, vol. 2, annexe 99.7).
153 Rapport Ramsar. CMB, vol. 5, annexe 18.
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contredit par ses propres documents, l’étude Castel
154 de 2017 et un rapport ministériel de 2016155.
3.6. En résumé, les deuxième et troisième demandes reconventionnelles de la Bolivie ne reposent sur aucune base factuelle et scientifique solide et doivent donc être rejetées.
A. LE CHILI ET LA BOLIVIE CONVIENNENT QUE DE PAR SA NATURE ET SON FONCTIONNEMENT LE SILALA EST UN COURS D’EAU INTERNATIONAL
1. Le Chili et la Bolivie s’accordent sur le fait que le Silala est un écoulement pérenne qui jaillit de deux ensembles de sources en Bolivie et s’écoule le long de la pente topographique naturelle allant de la Bolivie au Chili
3.7. Les Parties conviennent que le Silala est un système complexe d’eaux de surface et d’eaux souterraines qui proviennent de deux ensembles de sources en Bolivie et traversent la frontière internationale entre la Bolivie et le Chili en raison de la pente topographique naturelle156. La Bolivie estime que la pente est d’environ 3,7 %157. Les Parties s’entendent en outre sur le fait que la chenalisation en territoire bolivien n’a pas modifié ou détourné la direction naturelle de l’écoulement de l’eau de la Bolivie vers le Chili158. Par conséquent, les eaux du Silala s’écoulent dans la même direction depuis des milliers d’années.
3.8. Les Parties conviennent que le ruissellement des eaux de surface apporte une très faible part de l’écoulement quotidien moyen du Silala, qui provient principalement d’eaux souterraines159. Elles s’accordent également sur le fait que le Silala interagit avec les eaux souterraines sur tout son cours et que celles-ci s’écoulent vers l’ouest (tout comme les eaux de surface) jusqu’au Chili160. L’expert de la Bolivie, le DHI, estime que l’écoulement des eaux souterraines est au moins du même ordre de grandeur que l’écoulement de surface161.
154 Ana Paola Castel, Analyse multi-temporelle à partir d’images satellite des bofedales (zones humides des hauts plateaux andins) des sources du Silala, Potosí – Bolivie, septembre 2017 (ci-après «l’étude Castel»). RC, vol. 2, annexe 98.
155 Ministry of the Environment and Water of Bolivia, Characterization of Water Resources in the Southwest of the Department of Potosí  Municipality of San Pablo de Lípez «Wetlands of Silala Valley and Adjacent Sectors» (Volume II), July 2016. RC, vol 2, annexe 96.
156 CMB, par. 41-44.
157 Ibid., par. 44.
158 DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala (ci-après «rapport du DHI»), CMB, vol. 2, annexe 17, p. 267 : «14. Les canaux ont modifié le débit des sources du Silala mais pas la direction de l’écoulement naturel sortant des zones humides du Silala. En l’absence de canaux, les eaux provenant des sources s’écoulent aussi en direction du Chili.» (Les italiques sont dans l’original.)
159 CMB, par. 47.
160 Ibid. Voir aussi rapport du DHI, CMB, vol. 5, annexe I, p. 84 : «les gradients des eaux souterraines et les propriétés hydrogéologiques indiquent clairement qu’il y a un écoulement souterrain de la Bolivie au Chili».
161 Rapport du DHI, CMB, vol. 5, p. 84.
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2. Le Chili et la Bolivie s’accordent sur le fait que la chenalisation réalisée en 1928 en territoire bolivien n’a qu’un effet limité sur la perte directe d’eau par évaporation, laquelle représente 2 % au plus de l’écoulement transfrontière actuel
3.9. Le Chili et la Bolivie conviennent en outre que la chenalisation de 1928 a pu entraîner une réduction de la perte directe d’eau par évaporation, en raison d’une éventuelle réduction de l’étendue des eaux de surface dans les zones humides boliviennes. Dans le mémoire, les experts du Chili ont indiqué qu’ils estimaient l’évaporation à 1,3 l/s, soit 0,7 % de l’écoulement à la frontière, mais compte tenu de l’incertitude de ce calcul, ils ont également donné une estimation plus prudente de 3,4 l/s, soit 2 % de l’écoulement à la frontière162. L’estimation du DHI est légèrement inférieure, chiffrant l’évaporation à 2 ou 3 l/s des écoulements à la frontière des eaux souterraines et de surface combinés163. Les deux Parties sont d’avis que cette évaporation réduite représente une faible fraction du bilan hydrique total du système hydrographique du Silala et n’est bien évidemment pas à l’origine des 30 à 40 % d’écoulement «artificiellement amélioré» à l’existence desquels la Bolivie voudrait nous faire croire.
3.10. Les conclusions au sujet de l’évaporation sont confirmées par de récentes études du Chili, qui estiment que l’évaporation dans les zones humides boliviennes (avec chenalisation) est très similaire à celle qui se produit dans une zone humide semblable du bassin hydrographique du Silala au Chili (sans chenalisation)164. Cela laisse supposer que les effets de la chenalisation sur le bilan hydrique  si effets il y a  sont très limités.
3. Le Chili et la Bolivie s’accordent sur la complexité du réseau d’eaux souterraines du Silala, dont l’origine et les zones de recharge sont différentes
3.11. Les experts du Chili et de la Bolivie s’accordent sur le fait que les sources dans les zones humides Orientales et Cajones en Bolivie présentent des compositions chimiques et isotopiques différentes, ce qui signifie qu’elles ont des origines et des zones de recharge différentes165. Sur la base des données fournies par la Bolivie, les sources de la zone humide Orientales (Sud) présentent des similitudes chimiques avec les eaux souterraines plus profondes analysées au Chili et sont probablement un mélange d’eaux souterraines alimentées localement et d’eaux souterraines issues d’un aquifère régional. Les sources de la zone humide Cajones (Nord) ont une composition chimique similaire à celle des sources situées dans la partie nord des gorges du Silala au Chili et, comme elles, sont rechargées localement166. Les experts du Chili comme ceux de la Bolivie confirment donc que le Silala et son réseau d’eaux souterraines ont une nature complexe.
162 MC, vol. 1, p. 133.
163 Rapport du DHI, CMB, vol. 2, p. 267.
164 En fait, l’évaporation estimée des zones humides boliviennes avec chenalisation est supérieure de 10 % à celle de la zone humide chilienne sans chenalisation, mais cela reste dans la marge d’erreur pour la méthode utilisée. Rapport Wheater 2019, p. 41.
165 Rapport du DHI, CMB, vol. 4, p. 103.
166 Rapport Peach 2019, p. 46. S’il est probable que l’âge des sources soit différent, les dates fournies par les experts de la Bolivie sont incorrectes, ibid., p. 45-46.
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4. Même s’ils interprètent différemment la géologie et l’hydrogéologie du bassin hydrographique du Silala, le Chili et la Bolivie s’accordent sur son caractère de cours d’eau international
3.12. Malgré ces points d’accord importants, les experts du Chili et de la Bolivie interprètent différemment la géologie et l’hydrogéologie du bassin hydrographique du Silala.
3.13. Les données qu’avance la Bolivie concernant la succession et la datation des dépôts d’ignimbrite (perméable) et de lave dans la vallée du Silala ne peuvent pas être rapprochées de la récente cartographie géologique que le Chili a établie, ni des résultats de la datation radiométrique et des essais de forage et de pompage qu’il a obtenus167. Aussi le système aquifère identifié par le Chili dans les ignimbrites n’est-il pas pris en considération par la Bolivie168. De son côté, la Bolivie suppose qu’il existe un important système de failles géologiques qui s’étendraient de la zone humide Orientales à celle de Cajones, sur son territoire, formant un coude et suivant l’axe du Silala jusqu’au Chili, ce que les experts chiliens considèrent fort peu plausible. Cette supposée faille n’est pas mise en évidence par des déplacements de roches de part et d’autre de la vallée fluviale, comme ce serait le cas dans une importante zone de failles169.
3.14. Ces différences d’interprétation n’empêchent pas le Chili et la Bolivie de considérer l’un et l’autre que le Silala est un cours d’eau international. Toutefois, elles mettent à mal la fiabilité du modèle en champ proche du DHI, qui est la seule source présentée par la Bolivie au soutien de sa thèse concernant les effets importants de la chenalisation, comme nous le verrons plus avant à la section B ci-dessous.
B. L’ESTIMATION PAR LA BOLIVIE DE L’INCIDENCE, SUR L’ÉCOULEMENT DE SURFACE TRANSFRONTIÈRE, DE LA CHENALISATION DE 1928 SUR SON TERRITOIRE (30 À 40 % D’«ÉCOULEMENT ARTIFICIEL») N’EST PAS TENABLE ET S’APPUIE SUR UN MODÈLE NUMÉRIQUE FONDAMENTALEMENT VICIÉ
1. Les trois scénarios («référence», «sans canal» et «zones humides restaurées») utilisés par la Bolivie pour calculer la proportion d’«écoulement artificiel» (30 à 40 % selon elle) ne sont pas conformes à la loi de conservation de la masse et ne peuvent pas aboutir à un résultat fiable
3.15. L’évaluation, faite pour la Bolivie par les experts du DHI, de l’incidence de la chenalisation repose entièrement sur un modèle mis au point par les experts eux-mêmes. Il s’agit d’un modèle numérique intégré (eaux de surface et eaux souterraines) du Silala, dans une zone appelée le «Silala champ proche». Le Silala champ proche, toutefois, couvre une superficie de 2,56 kilomètres carrés seulement, de la frontière internationale jusqu’à un point immédiatement en amont des zones humides Cajones et Orientales. Cela correspond à 1,1 % seulement du total du bassin versant souterrain du Silala, lequel fait 234,2 kilomètres carrés170 et est désigné sous l’appellation «Silala champ lointain», comme on peut le voir sur la figure 1. Comme il sera expliqué plus en détail ci-après, l’utilisation d’une aussi petite zone aboutit à des résultats qui, dans le cas de l’exercice de modélisation du DHI, ne sont absolument pas fiables.
167 Rapport Peach 2019, p. 52.
168 Ibid., p. 7.
169 Ibid., p. 22-23, 30-31 et 34.
170 Rapport du DHI, CMB, vol. 2, p. 289.
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Figure 1 Etendue approximative du champ [lointain] du Silala
Source : rapport du DHI, CMB, vol. 2, p. 271, figure 3
Légende :
International border
=
Frontière internationale
Silala canal
=
Canal du Silala
Silala Near Field
=
Silala champ proche
Road
=
Route
3.16. Les experts du DHI ont utilisé le modèle en champ proche pour différents scénarios, avec ou sans chenalisation et avec ou sans couche de tourbe restaurée, afin, semble-t-il, d’évaluer les effets des chenaux et systèmes de drainage en Bolivie sur les écoulements de surface et souterrain171.
a) Le scénario de référence du modèle en champ proche du DHI représente la situation actuelle, avec les chenaux existant en Bolivie.
b) Le scénario sans canal représente une situation dans laquelle ces chenaux sont retirés et l’écoulement de surface dépend largement de la pente topographique.
c) Enfin, le scénario avec zones humides restaurées évalue le rôle que pourraient avoir à long terme les zones humides entièrement restaurées s’il s’y produisait une accumulation durable de tourbe172.
3.17. Les résultats des scénarios sont reportés dans le tableau 1 de l’annexe H du rapport final du DHI173 :
171 Rapport du DHI, CMB, vol. 5, p. 66.
172 Ibid.
173 Ibid., p. 67.
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Tableau 1  Résumé des résultats clés des scénarios
Scénario de référence
Scénario sans canal
Zones humides restaurées
Composante du bilan hydrique
Equivalent volume (mm/an)
Equivalent débit (l/s)
Equivalent volume (mm/an)
Equivalent débit (l/s)
Equivalent volume (mm/an)
Equivalent débit (l/s)
Apport
3116
253
2722
221
2655
216
Variation de stockage
49
4
12
1
64
5
Evapo transpiration
125
10
150
12
164
13
Erreur
25
2
0
0
-2
0
Ecoulement (canaux)
1846
150
0
0
0
0
Ecoulement (surface)
0
0
1159
94
1112
90
Ecoulement (souterrain)
1310
106
1418
115
1441
117
Tableau 1 Résultats de la modélisation par le DHI des différents scénarios
Source : rapport du DHI, CMB, vol. 5, p. 67, tableau 1
3.18. Comme le font remarquer les experts du Chili, le modèle en champ proche est fortement vicié, à de nombreux égards importants. En particulier, l’effet exagéré de la chenalisation est largement dû à une mauvaise définition des conditions limites du modèle. En outre, celui-ci repose sur une compréhension erronée de la géologie et de l’hydrogéologie.
3.19. Avant d’aborder ces aspects du modèle en champ proche, nous pouvons dès à présent formuler les observations qui suivent d’après un simple examen du tableau 1 du DHI, qui révèle plusieurs problèmes dans la modélisation :
a) Le tableau 1 donne les résultats de la modélisation des écoulements de surface et souterrain, dont la Bolivie tire ses arguments, mais également des informations sur le bilan hydrique du Silala dans le modèle en champ proche174. La loi de conservation de la masse exige que le bilan hydrique soit fermé afin que le système soit modélisé, c’est-à-dire que l’apport au bassin versant dans le modèle en champ proche doit correspondre à l’écoulement total, plus toute augmentation dans le stockage. Ici, le modèle a été exécuté comme une simulation à l’équilibre175, avec des apports et des écoulements constants (sans variation dans le temps) qui doivent donc être égaux ; il ne devrait pas y avoir de variation de stockage176. Or, le tableau 1 indique une variation de stockage dans chaque scénario. C’est là une première indication que le modèle n’est pas fiable.
b) En l’espèce, l’apport au modèle est l’eau de recharge issue des précipitations dans le bassin versant souterrain plus large qui alimente les sources en territoire bolivien. L’écoulement est la somme des écoulements de surface et souterrain transfrontières auxquels s’ajoute la perte directe par évapotranspiration. Comme il ressort du tableau 1, dans le scénario de référence, l’apport est
174 Le bilan hydrique sur une période donnée peut être exprimé par l’équation (P – E = R + ΔS), où P correspond aux précipitations, E à l’évapotranspiration, R à l’écoulement et S à la variation de l’eau en réserve, voir MC, vol. 1, p. 160.
175 Rapport du DHI, CMB, vol. 5, p. 13.
176 Rapport Wheater 2019, p. 30.
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de 253 l/s alors que l’écoulement total, en ce compris l’évapotranspiration, est de 266 l/s. Même en admettant une légère variation de stockage, ce résultat est clairement erroné. De même, dans le scénario avec zones humides restaurées, l’apport est de 216 l/s et l’écoulement total de 220 l/s, ce qui est également faux. C’est seulement dans le scénario sans canal que l’apport et l’écoulement total sont égaux (221 l/s). Cela montre une fois de plus que les scénarios résultant de la modélisation en champ proche du DHI ne sont pas conformes à la loi de conservation de la masse, ce qui prive le modèle de toute fiabilité.
c) Le bassin versant et l’eau de recharge issue des précipitations restant les mêmes dans les trois scénarios, l’apport dans chaque scénario devrait également être identique. Or, comme on vient de le voir, l’apport au modèle est différent dans chaque scénario à l’étude.
Dans le scénario de référence, l’apport est de 253 l/s ; dans celui sans canal, il est de 221 l/s ; et dans celui avec zones humides restaurées, il est de 216 l/s.
Par conséquent, la différence d’apport entre le scénario de référence et celui avec zones humides restaurées (c’est-à-dire 253 l/s moins 216 l/s) est égale à 37 l/s. Si les apports sont corrigés de façon à être équivalents aux écoulements, comme l’exige la loi de la conservation de la masse177, l’apport nécessaire pour le scénario de référence devrait être de 266 l/s et celui pour le scénario avec zones humides restaurées, de 220 l/s, soit une différence de 46 l/s.
Ce résultat est très proche de la différence nette d’écoulement entre ces deux mêmes scénarios, qui est de 49 l/s (soit une perte de 60 l/s en écoulement de surface, compensée par un gain de 11 l/s en écoulement souterrain vers le Chili)178.
La différence constatée dans l’écoulement est donc principalement due à la différence dans l’apport, sans modification notable dans le bassin versant ou l’eau de recharge qui justifierait pareille variation.
d) Cette différence dans les apports soulève la question de savoir où irait l’eau de recharge «supplémentaire» dans le scénario de référence une fois les chenaux retirés ? D’après la topographie et la géologie, l’eau de recharge doit s’écouler vers le Chili, en eau souterraine si ce n’est en eau de surface179.
3.20. Ces premières observations montrent toutes que des difficultés fondamentales se posent avec le modèle du Silala champ proche, en particulier le fait que l’eau de recharge du bassin versant souterrain du Silala varie selon les scénarios, alors que la zone de recharge et les précipitations restent identiques. Comme l’expliquent les experts du Chili, ces variations dans l’apport sont largement dues à la façon dont le modèle numérique est configuré, et non à la chenalisation. Par conséquent, les 30 à 40 % d’écoulement «artificiellement amélioré» dont se prévaut la Bolivie sont également le produit de la modélisation et non des chenaux construits dans ce pays.
177 En ne tenant pas compte de la variation de stockage dans chaque scénario, qui est faible et en outre non permise dans une simulation à l’équilibre.
178 Rapport Wheater 2019, p. 17.
179 Ibid., p. 3, 4 et 8.
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2. L’estimation de la Bolivie repose sur un modèle numérique fondamentalement vicié, qui conduit à une surestimation flagrante  par un facteur de 20 environ  de l’incidence de la chenalisation de la zone humide sur le débit de l’écoulement de surface
3.21. Une étape cruciale dans tout exercice de modélisation est la définition de la zone à modéliser et des conditions à ses limites (les conditions limites). L’une des caractéristiques marquantes du modèle en champ proche est qu’il couvre une très petite zone, équivalant à seulement 1,1 % de la totalité du bassin hydrographique du Silala. Le modèle en champ proche englobe les deux zones humides et la gorge du Silala en territoire bolivien, avant la frontière, comme l’illustre la figure 1, mais il exclut 98,9 % du bassin versant souterrain.
3.22. Le DHI utilise une condition limite à «charge imposée» aux limites externes (en amont) du modèle en Bolivie. Une limite à «charge imposée» précise que les nappes resteront constantes, mais cela signifie que l’écoulement à travers la frontière peut changer. Ce type de condition limite est souvent utilisé lorsqu’une zone modélisée est proche d’un grand lac ou hydrauliquement reliée à la mer et que, en conséquence, le modèle peut baser ses apports sur une quantité d’eau infinie. Cependant, il est évident que la quantité d’eau disponible sur les hauts plateaux du désert d’Atacama n’est pas infinie — en réalité, les apports sont limités par l’eau de recharge issue des précipitations.
3.23. Il résulte d’une limite à «charge imposée», comme le DHI lui-même l’explique, que «l’écoulement dans la zone modèle peut changer si les nappes souterraines varient, par exemple en raison de changements dans le système hydrographique de surface»180. Il en est ainsi du fait de la loi de Darcy, l’une des lois fondamentales en matière d’écoulement souterrain, qui énonce que «la vitesse d’écoulement des eaux souterraines est proportionnelle au gradient de l’énergie potentielle des eaux souterraines, ou charge hydraulique»181.
3.24. L’effet de la loi de Darcy peut être directement observé dans les scénarios du modèle en champ proche. D’après le DHI, les chenaux dans la zone humide Cajones font généralement moins de 50 centimètres de profondeur et les nappes dans les deux zones humides se situent à une profondeur comprise entre 15 et 45 centimètres182. En retirant les chenaux dans le scénario sans canal, la nappe souterraine remonte d’autant, dans la limite de 50 centimètres. En conséquence, le gradient hydraulique entre la «charge imposée» à la limite du champ proche et la nappe souterraine dans les zones humides du scénario sans canal est réduit, occasionnant une entrée d’eau moindre dans la zone modèle. Voilà ce qui explique pourquoi l’écoulement diminue dans les scénarios sans canal et avec zones humides restaurées, et pourquoi aussi l’apport à travers la limite à «charge imposée» est réduit.
3.25. Cet effet sur l’apport est largement exagéré du fait que le DHI a choisi une limite à «charge imposée» pour un modèle à très petite échelle, c’est-à-dire le modèle en champ proche. On peut facilement comprendre que l’effet sur le gradient hydraulique d’une différence de 50 centimètres dans la hauteur de la nappe souterraine, bien que relativement faible, est proportionnellement beaucoup plus important lorsque la «charge imposée» est établie à une distance de 360 mètres, comme dans le modèle en champ proche183, que lorsqu’elle se trouve à une distance
180 Rapport du DHI, CMB, vol. 5, p. 18.
181 Rapport Wheater 2019, p. 18.
182 Rapport du DHI, CMB, vol. 3, p. 12-13, fig. 6 et 7. Voir rapport Wheater 2019, p. 18.
183 Ce sont les distances types pour le modèle en champ proche, identifiées par les experts du Chili. Voir rapport Wheater 2019, fig. 3 a).
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de 10 500 mètres, soit la limite correcte du champ lointain, c’est-à-dire la limite du bassin versant souterrain
184. Les experts du Chili démontrent, en utilisant les charges souterraines simulées par le DHI, que la variation dans le gradient hydraulique moyen diffère par un facteur de 29, en raison uniquement de la géométrie185.
184 Rapport Wheater 2019, p. 19-22.
185 Ibid., p. 25.
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Figure 2 a) Gradient de charge typique des eaux souterraines de la limite du modèle en champ proche à la zone humide ; b) gradient de charge typique des eaux souterraines de la limite du modèle en champ lointain à la zone humide
Source : rapport Wheater 2019, p. 23, figures 3 a) et b)
3.26. Même avec un calcul élémentaire, qui tienne compte de l’eau de recharge estimée par le DHI ainsi que de la différence topographique de hauteur entre la limite du champ proche et la limite du champ lointain et aussi d’autres paramètres, l’effet qu’aurait le retrait des chenaux sur l’apport de la nappe libre se trouve amplifié par un facteur de 12186.
3.27. Le choix d’une limite à «charge imposée» en champ proche a le même effet d’exagération sur le facteur de «résistance hydraulique», introduit par le DHI dans le scénario avec zones humides restaurées. Dans ce scénario, le DHI part du principe qu’une couche de tourbe pouvant atteindre jusqu’à 60 centimètres se développera, au fil de plusieurs siècles voire plus, à l’endroit où
186 Rapport Wheater 2019, p. 25.
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se trouvaient les chenaux
187. Selon lui, du fait de la perméabilité relativement faible de la tourbe, cela créera une zone de plus grande résistance hydraulique aux eaux souterraines émergeant dans les zones humides («zone tampon»)188. En réalité, à supposer que cette couche de tourbe soit effectivement un facteur de contrôle189, la résistance à l’écoulement entraînerait une hausse des niveaux d’eaux souterraines en amont. Toutefois, dans le modèle, la condition à «charge imposée» à la limite en amont empêche cette hausse. Par conséquent, l’écoulement à travers la limite dans la zone modèle diminue pour contrebalancer cet effet190. Les experts du Chili utilisent un calcul simple pour démontrer que la «zone tampon» a un effet disproportionné sur l’apport dans la zone «champ proche», par rapport à la zone «champ lointain». Dans l’exemple qu’ils donnent, l’effet est exagéré par un facteur de 23191.
3.28. De même, les experts du Chili démontrent que l’effet combiné d’une hausse de la nappe libre de 50 centimètres dans les zones humides et l’incorporation d’une «zone tampon» de 1 mètre adjacente aux chenaux, conjointement à la condition limite à «charge imposée» en amont du modèle en champ proche, est un écoulement diminué de 24 % dans cette configuration192. En revanche, ces mêmes conditions limites dans un modèle en champ lointain comprenant la totalité du bassin versant du Silala (ce qui serait la limite correcte) ont pour effet combiné de réduire l’apport de seulement 1,2 %193. Aussi l’effet du retrait des chenaux et de la restauration des zones humides sur l’apport (et partant, sur l’écoulement) est-il exagéré par un facteur de 20194. Cette analyse, basée sur de simples calculs théoriques, montre que l’exagération de la Bolivie est directement due à la configuration du modèle en champ proche, dans lequel la condition limite à «charge imposée» en amont est proche des zones humides. C’est pour cette raison que le gradient hydraulique diminue et que l’écoulement d’eau dans la zone modèle est moindre, exactement comme la loi de Darcy le prédit.
3. Le modèle en champ proche du DHI repose sur une interprétation erronée de la géologie et de l’hydrogéologie
3.29. Les experts du Chili et de la Bolivie interprètent de manière fondamentalement différente la géologie et l’hydrogéologie du bassin hydrographique du Silala. Les séquences et dates géologiques avancées par la Bolivie ne sont pas étayées par la récente cartographie géologique, la datation radiométrique ou les résultats des essais de forage et de pompage présentés par le Chili195. Rien ne prouve non plus qu’il y ait une faille à forte perméabilité le long du Silala, ce que le DHI présente comme un élément important dans son modèle en champ proche196. A l’inverse, la faille qui a été identifiée par les experts du Chili à l’extrémité en aval du bassin versant du Silala n’est pas prise en considération dans le modèle du DHI197.
187 Rapport du DHI, CMB, vol. 5, p. 70.
188 Ibid. Les experts du Chili ont marqué cette «zone tampon». Voir le rapport Wheater 2019, p. 27.
189 Les experts du Chili constatent que la représentation faite par le DHI de la situation hydrogéologique est simplifiée et potentiellement trompeuse, voir le rapport Wheater 2019, p. 27.
190 Rapport Wheater 2019, p. 27.
191 Ibid.
192 Ibid., p. 28.
193 Ibid.
194 Ibid.
195 Rapport Peach 2019, p. 17-21 et 52.
196 Ibid., p. 29-30.
197 Ibid., p. 32, 35 et 52.
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3.30. Un modèle numérique fondé sur une géologie erronée ne représente pas correctement la répartition des zones de forte et faible perméabilité dans le bassin. Il propose des voies d’écoulement souterrain et une répartition des zones de forte et faible conductivité hydraulique hypothétiques, qui ne sont pas étayées par des preuves et pourraient très bien être différentes. Ces prédictions n’ont donc aucun fondement scientifique et sont très probablement erronées198.
3.31. En outre, bien qu’il reconnaisse les différences d’origine et de zone de recharge entre les deux sources situées en Bolivie et l’existence de systèmes aquifères distincts199, le DHI ne tient pas compte de ces éléments dans le modèle en champ proche200. Les eaux souterraines émergeant dans les sources ont très probablement des temps de séjour différents, du fait que leurs voies d’écoulement souterrain sont différentes et proviennent de zones de recharge différentes, ce qui a probablement une incidence sur leur comportement dans les divers scénarios de la configuration en champ proche  c’est-à-dire avec ou sans chenalisation et avec ou sans l’hypothétique couche additionnelle de tourbe201. Il est très peu probable que, ignorant cet élément important et la complexité du système hydrogéologique du Silala, le modèle en champ proche puisse prédire correctement le comportement des sources202.
3.32. D’après les experts du Chili, la méconnaissance de caractéristiques essentielles de l’hydrogéologie du Silala, en particulier les âges et les séquences des ignimbrites perméables et l’existence de systèmes aquifères et de recharge distincts, est une grave lacune du modèle en champ proche du DHI, ce qui rend très improbable que les prédictions des scénarios du DHI soient correctes203.
4. Toute réduction de l’écoulement de surface transfrontière serait de toute façon contrebalancée par une augmentation de l’écoulement souterrain transfrontière
3.33. Le DHI admet que la réduction des écoulements de surface dans les scénarios sans canal et avec zones humides restaurées serait contrebalancée par des écoulements souterrains accrus204. Il reconnaît aussi que les eaux souterraines, comme les eaux de surface, s’écoulent de la Bolivie en direction du Chili205. Partant, toute l’eau du bassin versant du Silala, hormis le volume directement perdu par évaporation, atteindra finalement le Chili, que ce soit sous la forme d’écoulement de surface ou d’écoulement souterrain206.
3.34. Les écoulements combinés dans les scénarios «sans canal» et «avec zones humides restaurées» sont de 209 l/s et de 207 l/s respectivement, ce qui correspond à une réduction totale des
198 Ibid., p. 35.
199 Rapport du DHI, CMB, vol. 4, p. 103.
200 Rapport Peach 2019, p. 47.
201 Ibid.
202 Ibid.
203 Rapport Peach 2019, p. 49, et rapport Wheater 2019, p. 29-30.
204 Rapport du DHI, CMB, vol. 2, annexe 17, p. 266 : «11. En l’absence de canaux, une quantité supérieure d’eau traverse la frontière sous forme d’eaux souterraines.»
205 Ibid. : «5. Les niveaux piézométriques observés dans de nombreux forages établis dans le «champ proche» du Silala et à des étages supérieurs indiquent clairement que l’écoulement des eaux souterraines se fait dans la direction est-ouest.»
206 Rapport Wheater 2019, p. 3, 4 et 8.
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écoulements transfrontières (eaux de surface et souterraines) de 18 à 19 % par rapport au scénario de référence (256 l/s). Sachant qu’une simple analyse montre que la modélisation en champ proche du DHI exagère l’effet sur les écoulements par un facteur de 20, il en ressort que la réduction totale des écoulements transfrontières (eaux de surface et souterraines) due au retrait des chenaux serait de quelques centièmes au plus, et donc négligeable.
5. Les conclusions du rapport Ramsar sur la dégradation des zones humides sur le site du Silala ne sont pas étayées et contredisent les récentes données fournies par le DHI et d’autres rapports d’experts
3.35. Outre l’expertise du DHI, la Bolivie a présenté le rapport Ramsar207, qui vise à documenter une importante dégradation des zones humides du Silala en Bolivie.
3.36. La mission Ramsar a été demandée par la Bolivie en juillet 2016208, peu après que le Chili eut introduit sa requête en l’espèce le 6 juin 2016. Le rapport Ramsar s’appuie sur des informations fournies par la Bolivie et sur les données recueillies lors d’une visite du site Ramsar Los Lípez effectuée en novembre 2016209. Il contient plusieurs déclarations qui semblent reprendre, sans la contester, la position de la Bolivie quant au Silala et qui ne sont pas étayées par les données pertinentes, telles que le rapport du DHI et d’autres récentes études menées par la Bolivie.
3.37. D’après la mission Ramsar, le système hydrogéologique du Silala est un «aquifère non renouvelable à l’échelle géologique»210. La neuvième conclusion du rapport Ramsar se lit comme suit : «[d]es études avec des isotopes stables ont montré que les eaux qui émergent dans les sources du Silala sont des eaux fossiles datant de plus de 10 000 ans. En d’autres termes, ces eaux ne sont pas renouvelées par les recharges naturelles d’eaux météoriques dans l’aquifère local.»211
3.38. Ces affirmations sont contredites par le DHI, qui confirme sans équivoque que les eaux du Silala proviennent largement de recharges :
«Le bassin versant hydrologique (bassin versant B) peut alimenter un écoulement de l’ordre de 151 à 374 l/s à partir d’eaux de recharge, une fourchette qui se situe dans le même ordre de grandeur que l’eau de surface observée (160-210 l/s) et l’écoulement souterrain transfrontière estimé (100-230 l/s) (voir les annexes F et H).
Dans l’ensemble, l’analyse indique qu’une large part de l’eau qui alimente la zone humide provient de la recharge issue des précipitations et de la fonte des neiges dans le bassin versant hydrologique.»212
207 Rapport Ramsar. CMB, vol. 5, annexe 18. Les zones humides du Silala se trouvent à la frontière nord-ouest du site Ramsar Los Lípez en Bolivie. Le Chili constate que le rapport Ramsar inclut une discussion concernant plusieurs lagunes comprises dans le site Ramsar Los Lípez, certaines étant assez éloignées du Silala et aucune n’ayant de lien avec les zones humides du Silala.
208 Note n° VRE-Cs-58/2016 du 27 juillet 2016 adressée au conseiller principal pour les Amériques du secrétariat Ramsar par le ministère bolivien des affaires étrangères. RC, vol. 2, annexe 97.
209 Rapport Ramsar. CMB, vol. 5, p. 101.
210 Ibid., p. 149.
211 Ibid., p. 167.
212 Rapport du DHI, CMB, vol. 2, p. 290.
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3.39. La mission Ramsar reproduit aussi, sans la mettre en doute, la position de la Bolivie selon laquelle la chenalisation aurait eu une incidence sur l’étendue des zones humides :
«La construction de canaux de captage des eaux entreprise en 1908 a eu une incidence considérable sur les zones humides qui se trouvent dans la région du Silala. Actuellement, il ne reste que les vestiges des zones humides d’origine qui s’étendaient sur 141 200 mètres carrés (14,1 hectares). Ces zones humides ne couvrent maintenant qu’une superficie d’environ 6000 mètres carrés (0,6 hectare) et sont entourées d’ouvrages de captage et de canaux artificiels (SERGEOMIN, 2003).»213
3.40. Le rapport établi en 2003 par le SERGEOMIN, seule source directe sur laquelle s’appuie cette affirmation, ne se réfère à aucune étude historique ou enquête scientifique pour confirmer les 14,1 hectares auxquels il estime la superficie originelle des zones humides. Il ne prouve pas davantage la supposée réduction de cette superficie à quelque 0,6 hectare en 2003. De fait, ailleurs dans ce même rapport, la superficie totale des zones humides estimée en 2003 est beaucoup plus vaste, soit 108 600 mètres carrés (10,8 hectares)214. L’estimation très basse de la superficie de la zone humide du Silala sur laquelle s’appuie la mission Ramsar est également contredite par des études plus récentes menées par la Bolivie elle-même, notamment une étude de 2016 du ministère bolivien de l’environnement et de l’eau, selon laquelle la superficie totale des zones humides du Silala était estimée à 10,89 hectares en juin 1986 et à 9,81 hectares en juin 2010215.
3.41. Une étude plus approfondie de la superficie des zones humides a été commandée par la Bolivie en 2017 (l’étude Castel). Elle consiste en une analyse multi-temporelle utilisant l’imagerie satellite pour évaluer les changements survenus dans les zones humides Orientales et Cajones entre 1975 et 2017216. Selon l’étude Castel, la superficie des zones humides a varié entre 8,01 et 6,21 hectares en saison des pluies et entre 6,75 et 2,16 hectares en saison sèche pendant la période 1975-2000, et entre 5,88 et 3,58 hectares en saison des pluies, et entre 3,65 et 1,92 hectares en saison sèche pendant la période 2002-2017217. Ces estimations sont bien loin du 0,6 hectare tiré du rapport de 2003 du service bolivien de géologie et des mines sur lequel la mission Ramsar s’appuie. Il n’y a aucune estimation dans l’étude Castel quant à la superficie de la zone humide avant la chenalisation, car il n’existe pas d’image satellite datant du début du XXe siècle qui puisse étayer pareille estimation218.
213 Rapport Ramsar, CMB, vol. 5, p. 16. Le Chili fait observer que 1908 correspond à l’année de la concession bolivienne, mais pas de la chenalisation, laquelle a été entreprise en 1928. Le texte reproduit dans le rapport Ramsar provient d’une étude du service bolivien de géologie et des mines : SERGEOMIN, Study on Hydrographic Basins, Silala Springs Basin, Basin 20, June 2003, p. 59-60. RC, vol. 2, annexe 94.
214 SERGEOMIN, Study on Hydrographic Basins, Silala Springs Basin, Basin 20, June 2003, p. 26 et 65. RC, vol. 2, annexe 94.
215 Ministry of the Environment and Water of Bolivia, Characterization of Water Resources in the Southwest of the Department of Potosí  Municipality of San Pablo de Lípez «Wetlands of Silala Valley and Adjacent Sectors» (Volume II), July 2016, p. 40. RC, vol. 2, annexe 96. Le rapport Ramsar cite l’étude de 2016, faisant observer une réduction de 1,08 hectare de la superficie des zones humides entre 1986 et 2010, apparemment sans remarquer que les estimations du ministère ne coïncident pas avec l’estimation très basse sur laquelle la mission Ramsar s’appuie et qui provient du rapport 2003 de SERGEOMIN. Voir rapport Ramsar, CMB, vol. 5, p. 163.
216 Etude Castel, p. 4. RC, vol. 2, annexe 98.
217 Ibid., p. 38. RC, vol. 2, annexe 98.
218 Ibid., p. 38 : «[l]es zones humides d’altitude des sources du Silala se trouvent dans un état aménagé depuis le début du XXe siècle, si bien qu’il est impossible d’analyser une période à l’état naturel, sans aménagements, à partir d’images satellite.» RC, vol. 2, annexe 98.
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3.42. L’étude Castel n’apporte pas non plus de preuve de la «dégradation progressive» des zones humides que la mission Ramsar aurait observée lors de sa visite du site en novembre 2016219. L’étude Castel affirme ce qui suit pour la période considérée (1975-2017) :
«Aucun changement significatif à long terme n’a été constaté dans la superficie des zones humides d’altitude pendant les deux périodes étudiées. Tant les images Landsat que les images à haute résolution montrent que, en dépit d’une variabilité saisonnière considérable, on ne note aucune tendance à la contraction de la superficie totale des zones humides d’altitude.»220
3.43. L’étude Castel corrobore les résultats présentés par le Chili dans son mémoire, qui révèlent une forte variabilité d’une saison et d’une année à l’autre dans les zones humides, plutôt qu’un changement à long terme221. De récents résultats obtenus par l’équipe scientifique du Chili montrent que les zones humides Cajones et Orientales couvrent actuellement l’intégralité du fond de la vallée disponible et s’étendent de manière saisonnière sur les versants montagneux adjacents, tout comme le fait une zone humide intacte au Chili222. Par conséquent, les affirmations de la mission Ramsar quant à la dégradation de la zone humide semblent totalement infondées et contraires aux faits.
3.44. Toutefois, même si la chenalisation de 1928 avait eu un effet néfaste sur les zones humides Orientales et Cajones, le Chili n’en serait pas responsable. La Bolivie a autorisé les ouvrages de la FCAB sur son territoire et elle aurait pu restaurer les zones humides il y a de nombreuses années.
C. CONCLUSION : L’INCIDENCE DE LA CHENALISATION DE 1928, DUE À UNE RÉDUCTION DE LA PERTE PAR ÉVAPOTRANSPIRATION, SE LIMITE À 2 % AU PLUS DE L’ÉCOULEMENT DE SURFACE TRANSFRONTIÈRE ACTUEL ; TOUTE AUTRE INCIDENCE ALLÉGUÉE PAR LA BOLIVIE EST LARGEMENT EXAGÉRÉE
3.45. Comme il a été expliqué, le seul désaccord pertinent qui subsiste entre les Parties concerne l’incidence quantitative, sur l’écoulement de surface transfrontière, de la chenalisation de 1928 effectuée en territoire bolivien, incidence qui, d’après les experts de la Bolivie, à savoir le DHI, serait de 30 à 40 % moindre en l’absence de chenalisation223. Selon les experts du Chili, l’incidence de la chenalisation est minime et l’estimation très élevée du DHI est improbable et contraire au bon sens224. Cette divergence n’est pas sans conséquence pour la thèse de la Bolivie, car cette dernière fonde son argument de l’écoulement «artificiellement amélioré» sur la conviction qu’il est scientifiquement démontré que la chenalisation entraîne un apport d’eau supplémentaire améliorant l’écoulement naturel de 30 à 40 %.
3.46. Les experts du Chili ont démontré que la modélisation en champ proche du DHI présentait d’importantes lacunes qui ont conduit aux résultats exagérés et inexacts sur lesquels la Bolivie fonde ses deuxième et troisième demandes reconventionnelles. Les estimations du DHI
219 Rapport Ramsar. CMB, vol. 5, p. 163. Le Chili fait observer que la visite du site en novembre 2016 a eu lieu à la fin de la saison sèche.
220 Etude Castel, p. 38. Voir aussi p. 15, 21, 25, 28 et 30. RC, vol. 2, annexe 98.
221 Alcayaga, H., Characterization of the Drainage Patterns and River Network of the Silala River and Preliminary Assessment of Vegetation Dynamics Using Remote Sensing, 2017, p. 31, fig. 16. MC, vol. 4, annexe I.
222 Rapport Wheater 2019, p. 44.
223 Rapport du DHI, CMB, vol. 2, p. 266.
224 Rapport Wheater 2019, p. 2.
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reposent sur un modèle numérique qui correspond à une petite partie seulement du bassin hydrographique du Silala, appelé le modèle en champ proche, conçu à partir d’une compréhension erronée de la géologie et de l’hydrogéologie du système hydrographique du Silala, et qui utilise des conditions limites mal définies. Les projections du DHI quant au développement à long terme de la tourbière est également très hypothétique.
3.47. Les experts des deux Parties conviennent que la chenalisation a pu avoir une incidence mineure sur l’écoulement de surface transfrontière, en raison d’une réduction de la perte par évapotranspiration dans les zones humides boliviennes, que toutes deux estiment à 2 % au plus de l’écoulement transfrontière actuel. De fait, les récentes estimations de l’évaporation faites par le Chili à partir de données satellite ne font ressortir aucun effet décelable de la chenalisation225.
3.48. Par conséquent, l’argument de la Bolivie selon lequel les chenaux construits sur son sol ont entraîné un écoulement «artificiellement amélioré» de 30 à 40 % n’a pas de fondement scientifique ou factuel. En outre, quelle que soit l’incidence de la chenalisation — elle est négligeable —, la distinction entre écoulements naturel et «artificiel» est intenable en droit international, comme il a été démontré au deuxième chapitre de la présente réplique.
225 Rapport Wheater 2019, p. 45.
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CONCLUSIONS
S’agissant des demandes reconventionnelles présentées par l’Etat plurinational de Bolivie, le Chili prie la Cour de dire et juger que :
a) La Cour n’est pas compétente pour connaître de la demande reconventionnelle a) de la Bolivie ou, à titre subsidiaire, la demande reconventionnelle a) de la Bolivie est sans objet, ou rejetée pour autre motif ;
b) Les demandes reconventionnelles b) et c) de la Bolivie sont rejetées.
Le 15 février 2019.
L’agente de la République du Chili,
Ximena FUENTES T.
___________
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RAPPORT D’EXPERTS
Wheater, H. S. et Peach, D. W., Incidences de la chenalisation du Silala en Bolivie sur l’hydrologie de son bassin hydrographique
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INCIDENCES DE LA CHENALISATION DU SILALA EN BOLIVIE SUR L’HYDROLOGIE DE SON BASSIN HYDROGRAPHIQUE
Howard Wheater et Denis Peach
Janvier 2019
A PROPOS DES AUTEURS
Howard Wheater
Howard Wheater est titulaire d’une chaire d’excellence en recherche du Canada sur la sécurité de l’eau à l’Université de la Saskatchewan, où il a fondé et dirigé le Global Institute for Water Security, et il est chargé de recherche de classe exceptionnelle et professeur émérite d’hydrologie à l’Imperial College London. Eminent spécialiste des sciences et de la modélisation hydrologiques, il a publié plus de 200 articles revus par un comité de lecture et 6 livres. Il est membre de la Royal Society of Canada, de la Royal Academy of Engineering du Royaume-Uni et de l’American Geophysical Union. Il a reçu la médaille Dooge du prix international d’hydrologie 2018 décerné par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’organisation météorologique mondiale et l’association internationale des sciences hydrologiques, et il a remporté en 2006 le prix international du prince Sultan bin Abdulaziz pour l’eau. Il a lancé et dirigé des programmes de recherche nationaux et internationaux au Royaume-Uni et au Canada, et a conseillé des Etats, provinces et gouvernements nationaux sur des questions liées aux crues, aux ressources hydriques et à la qualité de l’eau. Il a été mandaté pour représenter la Hongrie et l’Argentine devant la Cour internationale de Justice et a récemment siégé au tribunal international d’arbitrage établi conformément au traité sur les eaux de l’Indus. Il était jusqu’en 2014 vice-président du projet intitulé «Expérience mondiale sur les cycles de l’énergie et de l’eau» (GEWEX) du programme mondial de recherche sur le climat et il dirige le réseau d’information de l’UNESCO sur l’eau et le développement dans les zones arides (GWADI). Au Canada, il a été à la tête du réseau Changing Cold Regions Network, axé sur l’analyse et la prédiction des changements hydrologiques dans l’ouest du Canada, et du Global Water Futures Program, consacré à la gestion de l’avenir de l’eau au Canada et dans d’autres régions froides, où le réchauffement planétaire modifie les paysages, les écosystèmes et le milieu aquatique. En sa qualité de président du groupe d’experts sur la gestion durable de l’eau dans les paysages agricoles du Canada, rattaché au conseil des académies canadiennes, il a supervisé la publication d’un rapport, paru en février 2013, intitulé «Water and Agriculture in Canada: Towards Sustainable Management of Water Resources». En 2018, il était le seul membre non américain du groupe d’experts des académies nationales des Etats-Unis chargé d’établir un rapport sur l’avenir de l’eau et ses priorités dans le pays.
Denis Peach
Denis Peach a dirigé pendant neuf ans le programme du British Geological Survey (institut britannique d’études géologiques (BGS)) portant sur les eaux souterraines puis a travaillé six ans comme scientifique en chef pour cet institut. Cet hydrogéologue aux nombreux centres d’intérêt scientifiques est fort de 44 années d’expérience professionnelle qu’il a notamment consacrées à travailler pour une administration des eaux au Royaume-Uni, à effectuer des missions à l’étranger pour étudier les milieux hydrogéologiques tropicaux et l’hydrogéologie des petites îles et à collaborer avec des consultants internationaux dans le domaine de l’hydrogéologie des zones arides. Il s’intéresse particulièrement à la modélisation des eaux souterraines, sur laquelle il a travaillé au sein du BGS, ainsi qu’à l’hydrogéologie des zones arides et à l’hydrogéologie karstique. Il a été vice-président de la société géologique de Londres (GSL) et professeur invité à l’Imperial College London et à l’Université de Birmingham ; il a également eu l’honneur de présenter la conférence Ineson à la GSL. Il a dirigé de nombreux programmes nationaux de recherche géologique et
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hydrogéologique au Royaume-Uni et a siégé au sein de nombre de comités de programmes de recherche nationaux et de comités stratégiques nationaux sur les ressources en eau. Il mène actuellement des travaux de recherche avec le BGS et l’Imperial College London et a récemment conseillé l’Université de la Saskatchewan ainsi que des consultants en ingénierie britanniques.
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TABLE DES MATIÈRES
Page
LISTE DES FIGURES ........................................................................................................................... 51
LISTE DES TABLEAUX ....................................................................................................................... 52
LISTE DES ACRONYMES ET ABRÉVIATIONS ...................................................................................... 53
1. INTRODUCTION....................................................................................................................... 54
1.1. Cahier des charges de l’expertise ........................................................................................ 54
1.2. Informations générales ........................................................................................................ 54
1.3. Structure du rapport ............................................................................................................. 55
2. RÉSUMÉ ................................................................................................................................. 55
3. POINTS DE CONVERGENCE SCIENTIFIQUE ENTRE LES EXPERTS DES PARTIES CONCERNANT L’HYDROLOGIE DU SILALA ............................................................................. 57
3.1. Les experts sont d’accord sur le fait que le Silala est un cours d’eau international ............ 57
3.2. Les experts s’accordent sur la présence probable d’un bassin versant souterrain ............... 58
3.3. Les experts s’accordent sur le fait que les effets de la chenalisation en Bolivie sont susceptibles d’influer sur les écoulements des eaux de surface à la frontière ..................... 59
3.4. Les experts s’accordent sur les effets qu’a le drainage sur l’évaporation des zones humides ............................................................................................................................... 61
4. DIVERGENCES PROFONDES ENTRE LES EXPERTS DES PARTIES CONCERNANT L’HYDROLOGIE DU SILALA .................................................................................................... 62
4.1. Effets du drainage des zones humides sur les émergences d’eaux souterraines .................. 62
4.1.1. Considérations relatives au bilan hydrique ............................................................... 62
4.1.2. Augmentation des gradients hydrauliques ................................................................ 64
4.1.3. Réduction de la résistance hydraulique ..................................................................... 70
4.1.4. Autres problèmes liés à la modélisation .................................................................... 72
4.2. Autres points de divergence ................................................................................................ 73
5. VARIABILITÉ ET FONCTIONNEMENT NATURELS DES ZONES HUMIDES BOLIVIENNES ET CONTRAINTES TOPOGRAPHIQUES ...................................................................................... 74
6. CONCLUSIONS ........................................................................................................................ 83
7. RÉFÉRENCES .......................................................................................................................... 85
APPENDICE 1 .................................................................................................................................... 86
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LISTE DES FIGURES
Figure
Titre
Page
Figure 1
Bassin versant topographique du Silala (délimité en noir) et bassin versant souterrain (délimité en vert) ..........................................................................
59
Figure 2
Simulation du potentiel (charge) des eaux souterraines dans l’aquifère ignimbritique, adapté d’une figure du DHI (CMB, vol. 3, p. 488) ...............
65
Figure 3a
Gradient de charge typique des eaux souterraines de la limite du modèle en champ proche jusqu’à la zone humide ..........................................................
68
Figure 3b
Gradient de charge typique des eaux souterraines de la limite du modèle en champ lointain jusqu’à la zone humide. ........................................................
68
Figure 4
Effet d’une charge hydraulique imposée à la limite du modèle en champ proche sur l’émergence des sources ..............................................................
69
Figure 5
Effet d’une charge hydraulique imposée située à une limite plus réaliste de 10,5 km sur l’émergence des sources ............................................................
70
Figure 6
Effet de la zone de faible conductivité sur l’émergence des sources  charge imposée en champ proche .............................................................................
71
Figure 7
Effet de la zone de faible conductivité sur l’émergence des sources  charge imposée en champ lointain ............................................................................
72
Figure 8
Position de la zone humide Quebrada Negra au sein du bassin versant topographique du Silala au Chili (Muñoz et Suárez, 2019) ..........................
75
Figure 9
Photographie de la zone humide Quebrada Negra, prise depuis le versant nord (Muñoz et Suárez, 2019) .......................................................................
76
Figure 10
Photographie prise dans la zone humide Quebrada Negra, vue vers l’amont (Muñoz et Suárez, 2019) ...............................................................................
76
Figure 11
Photographie de la zone humide Quebrada Negra, prise depuis le versant sud (Muñoz et Suárez, 2019) ........................................................................
76
Figure 12
Photographie de la zone humide bolivienne (CMB, vol. 2, p. 333) ..............
77
Figure 13
Distribution moyenne de l’indice NDVI dans les zones humides Quebrada Negra, Cajones et Orientales pour la période allant de juillet à novembre 2018 (Muñoz et Suárez, 2019) ......................................................................
78
Figure 14
Coupe transversale du couvert végétal (NDVI > 0,2) et topographie de la zone humide Quebrada Negra (Muñoz et Suárez, 2019) ..............................
79
Figure 15
Coupe transversale du couvert végétal (NDVI > 0,2) et topographie de la zone humide Cajones (Muñoz et Suárez, 2019) ............................................
79
Figure 16
Coupe transversale du couvert végétal (NDVI > 0,2) et topographie de la zone humide Orientales (Muñoz et Suárez, 2019) ........................................
80
Figure 17
Disposition des forages de contrôle dans la zone humide Quebrada Negra (Muñoz et Suárez, 2019) ...............................................................................
82
Figure 18
Courbes isohypses des niveaux d’eaux souterraines (en mètres au-dessus du niveau de la mer) relevés dans des piézomètres peu profonds ; ces mesures ont été effectuées en septembre 2018 dans les principaux herbages de la zone humide Quebrada Negra (Muñoz et Suárez, 2019) ..............................
83
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LISTE DES TABLEAUX
Tableau
Titre
Page
Tableau 1
Principaux résultats de la modélisation réalisée par le DHI à partir de différents scénarios (CMB, vol. 5, p. 67, tableau 1)......................................
63
Tableau 2
Superficie du couvert végétal dans les zones humides Quebrada Negra, Cajones et Orientales, de juillet à novembre 2018 (Muñoz et Suárez, 2019) .............................................................................................................
81
Tableau 3
ETr, NDVI annuelle médiane et écart-type (E.-T.) en mm/an estimés pour les zones humides Quebrada Negra, Cajones et Orientales (d’après Muñoz et Suárez, 2019). ...............................................................................................
81
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LISTE DES ACRONYMES ET ABRÉVIATIONS
CMB
contre-mémoire de l’Etat plurinational de Bolivie
DHI
Danish Hydraulic Institute (institut danois d’hydraulique)
ETr, NDVI
taux d’évaporation réel estimé à l’aide de données NDVI
ha
hectare
l/s
litre par seconde
m
mètre
m/jour
mètre par jour
m/s
mètre par seconde
MC
mémoire de la République du Chili
NDVI
indice de végétation normalisé (Normalized Difference Vegetation Index)
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1. INTRODUCTION
1.1. Cahier des charges de l’expertise
Dans le contexte du différend concernant le statut et l’utilisation des eaux du Silala qui oppose la République du Chili à l’Etat plurinational de Bolivie et a été porté devant la Cour internationale de Justice, la République du Chili a sollicité notre opinion d’experts indépendants sur les questions suivantes :
«Questions posées à M. Howard Wheater, ingénieur hydrologue :
i) Au plan scientifique, quels sont les grands points de convergence entre les experts de la Bolivie et ceux du Chili concernant l’hydrologie du Silala ?
ii) Au plan scientifique, quels sont les grands points de divergence entre les experts de la Bolivie et ceux du Chili concernant l’hydrologie du Silala ?
iii) Quels éléments nouveaux ont été produits depuis le dépôt du mémoire du Chili en juillet 2017 concernant l’effet de la chenalisation de l’écoulement en territoire bolivien sur le parcours du Silala de la Bolivie au Chili ?
Questions posées à M. Denis Peach, hydrogéologue :
i) Quels éléments nouveaux ont été produits depuis le dépôt du mémoire du Chili en juillet 2017 concernant la compréhension de la géologie et de l’hydrogéologie du Silala ?
ii) La représentation conceptuelle de l’hydrogéologie et la paramétrisation des modèles numériques proposées par les experts de la Bolivie (le DHI) offrent-elles une base suffisante pour quantifier les effets de la chenalisation sur les écoulements de surface et souterrains qui circulent de la Bolivie au Chili ?
iii) Dans les sources Cajones et Orientales, l’écoulement des sources à apports souterrains aurait-il pu être considérablement amplifié par le recours à des explosifs ?»
Dans le présent rapport conjoint, nous examinons les trois questions posées à M. Wheater. Celles posées à M. Peach sont traitées dans un second rapport (Peach et Wheater, 2019).
1.2. Informations générales
Le présent rapport fait suite aux deux rapports d’experts  Wheater et Peach (2017) et Peach et Wheater (2017)  que le Chili a commandés pour étayer le mémoire qu’elle a soumis à la Cour internationale de Justice. Au moment de l’expertise, la question au coeur du différend opposant le Chili à la Bolivie était de savoir si le Silala était ou non un cours d’eau international.
Ayant pris connaissance du contre-mémoire de la Bolivie (ci-après le «CMB») et, en particulier, de l’expertise que celle-ci a demandée à l’institut danois d’hydraulique (DHI, selon son sigle anglais), soumis le 3 septembre 2018, nous croyons aujourd’hui comprendre que les parties s’accordent sur un point central, à savoir que le Silala s’écoule naturellement de la Bolivie au Chili et est un cours d’eau international. Comme nous le démontrons ci-après, les experts de la Bolivie et nous-mêmes émettons des avis globalement convergents en ce qui concerne la nature et le fonctionnement du système hydrologique naturel.
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Aujourd’hui, la question au coeur du différend opposant le Chili à la Bolivie consiste à déterminer l’effet quantitatif de la chenalisation du Silala, en territoire bolivien, sur l’écoulement transfrontière. Le DHI estime qu’en l’absence de drainage et de chenalisation, les écoulements naturels seraient de 30 à 40 % inférieurs à ce qui est observé aujourd’hui (CMB, vol. 2, p. 266). Nous ne partageons pas cet avis. Selon nous, les estimations très larges réalisées par le DHI sont invraisemblables, car elles sont formulées en dépit du bon sens.
1.3. Structure du rapport
Nous résumons nos conclusions à la section 2. Nous exposons à la section 3 les points de convergence entre les experts des Parties et expliquons à la section 4 leurs divergences profondes ainsi que leurs motifs de désaccord. A la section 5, nous présentons de nouvelles informations relatives à une zone humide exempte de perturbations qui est située du côté chilien dans le bassin hydrographique du Silala et qui est comparable aux zones humides Cajones et Orientales en Bolivie, et nous formulons sur cette base des observations sur le fonctionnement hydrologique des deux zones humides boliviennes. Enfin, nous présentons nos conclusions à la section 6.
Si le présent rapport, que nous signons en qualité de coauteurs, reflète notre opinion conjointe, il est à noter que M. Wheater en est l’auteur principal.
2. RÉSUMÉ
Nous constatons avec satisfaction que d’importants points d’entente existent entre les experts de la Bolivie (le DHI) et nous-mêmes.
Nous avons des avis globalement convergents sur l’hydrologie du Silala et son bassin versant. Un point central concerne le fait que le Silala, qui émerge de deux ensembles de sources boliviennes alimentant les zones humides Cajones et Orientales, s’écoule naturellement de la Bolivie au Chili et est un cours d’eau international. Il est essentiellement alimenté par des apports souterrains et interagit avec les eaux souterraines le long de son parcours. Les eaux souterraines se rechargent dans un bassin versant souterrain plus large, que le DHI appelle «bassin hydrologique». Outre l’écoulement de surface qui alimente le Silala au Chili, il existe un vaste système hydrogéologique dont l’eau s’écoule également de la Bolivie vers le Chili et qui se recharge dans le bassin versant souterrain et peut-être même au-delà. Les eaux de recharge provenant du bassin versant souterrain, auxquelles il faut soustraire les pertes par évaporation dans les zones humides du bassin hydrographique, s’écoulent de la Bolivie au Chili, sous forme d’eaux de surface ou d’eaux souterraines.
Nous partageons également l’avis du DHI quant au fait que la chenalisation réalisée en Bolivie dans les années 1920, qui a consisté à creuser des chenaux dans les zones humides boliviennes et à poser un revêtement sur le lit principal en aval de ces zones humides, a eu une incidence sur les écoulements. Nous sommes d’accord pour dire que les chenaux aménagés dans les zones humides sont susceptibles d’avoir réduit les pertes par évaporation et nous convenons que cet effet est mineur, inférieur à 2 % de l’écoulement actuel traversant la frontière (et probablement bien moindre, selon l’avis que nous formons aujourd’hui sur la base des nouvelles données chiliennes). Nous nous accordons en outre sur le fait que certains changements sont susceptibles de s’être produits dans les interactions entre la rivière et les eaux souterraines en aval des zones humides, en raison de la chenalisation du tracé principal de la rivière, mais ces effets sont eux aussi faibles.
Il existe toutefois un point de désaccord majeur. Le DHI laisse entendre que la chenalisation peut avoir eu des incidences sur les apports d’eaux souterraines alimentant les sources Cajones et Orientales, en raison d’une modification du gradient hydraulique du flux souterrain et de l’élimination de la tourbe formée à l’aplomb des sources. Il prétend que ces effets sont considérables, si bien que, au total, la chenalisation serait responsable d’une variation de l’ordre de 30 à 40 % des
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écoulements de surface. Nous convenons que ces effets peuvent se produire, mais force est de constater que les larges estimations du DHI ne sont pas plausibles. Elles reposent intégralement sur la modélisation hydrologique d’une petite zone entourant les sources (le champ proche), une approche que nous jugeons fondamentalement biaisée.
Au nombre des erreurs commises dans la modélisation, citons la représentation inexacte de la géologie sous-jacente et le caractère inapproprié des conditions aux limites du modèle. En particulier, les conditions de la nappe libre à la limite du modèle en amont sont maintenues constantes. Il en résulte que les débits entrants du modèle varient considérablement dans les différents scénarios étudiés par le DHI, alors que, dans les faits, la recharge provient de la lame d’eau précipitée sur le bassin versant souterrain et n’est pas influencée par la chenalisation. Ainsi, puisque les flux entrants du modèle varient, les données de sortie varient elles aussi. Le total combiné des écoulements de surface et des écoulements souterrains dans le modèle du DHI varie de 18 à 19 % selon les scénarios. En réalité, les eaux de recharge ne peuvent s’écouler qu’en direction du Chili, soit sous forme d’eaux de surface soit sous forme d’eaux souterraines.
Nous démontrons, à l’aide de calculs simples, que cette hypothèse erronée aux limites du modèle peut conduire à une amplification (par un facteur de 20) des effets de la remontée de nappe et de la présence de tourbe et qu’elle semble expliquer les estimations outrancières du DHI. Nous sommes d’avis que les effets de la remontée de nappe et du couvert de la tourbière seront mineurs, correspondant tout au plus à quelques centièmes de l’écoulement transfrontière. En outre, toute réduction de l’écoulement de surface s’accompagnerait d’une hausse correspondante de l’écoulement souterrain, les deux flux descendant la pente topographique et le gradient hydraulique jusqu’au Chili.
Nous examinons de manière synthétique les trois questions qui nous ont été posées par le Chili. De plus amples détails sont fournis dans le rapport complet qui suit :
i) Au plan scientifique, quels sont les grands points de convergence entre les experts de la Bolivie et ceux du Chili concernant l’hydrologie du Silala ?
Les experts de la Bolivie et nous-mêmes émettons des avis convergents sur les points suivants :
1. Le Silala s’écoule naturellement de la Bolivie au Chili. Il émerge de deux ensembles de sources en Bolivie, qui alimentent les zones humides Cajones et Orientales.
2. La rivière est essentiellement alimentée par des apports souterrains et elle interagit avec les eaux souterraines présentes le long de son parcours jusqu’à la frontière et au-delà.
3. En outre, d’importants écoulements souterrains, dont l’ampleur est probablement équivalente à celle des écoulements de surface, transitent de la Bolivie au Chili.
4. La construction des canaux de drainage et la chenalisation de la rivière dans les années 1920 ont sans doute eu un effet léger sur l’écoulement. On peut s’attendre à ce qu’elles en aient augmenté le débit.
5. L’incidence du drainage sur l’évaporation des zones humides est faible.
ii) Au plan scientifique, quels sont les grands points de divergence entre les experts de la Bolivie et ceux du Chili concernant l’hydrologie du Silala ?
Les experts de la Bolivie et nous-mêmes émettons des avis divergents concernant l’ampleur des effets des ouvrages de drainage. Nous sommes d’avis que les estimations de la Bolivie  variation de 30 à 40 % des écoulements  ne sont pas plausibles. Ces estimations ont été produites
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à l’aide d’un modèle en champ proche des interactions entre les eaux de surface et les eaux souterraines. Nous montrons que le modèle se fonde sur une représentation incorrecte de la géologie ; que, à l’aide de simples calculs, on peut démontrer que les hypothèses erronées retenues pour les conditions aux limites du modèle conduisent à une surestimation des incidences par un facteur de 20 environ ; et que la modification des données d’entrée du modèle n’est pas réaliste.
iii) Quels éléments nouveaux ont été produits depuis le dépôt du mémoire du Chili en juillet 2017 concernant l’effet de la chenalisation de l’écoulement en territoire bolivien sur le parcours du Silala de la Bolivie au Chili ?
De nouvelles études reposant sur l’observation détaillée d’une zone humide chilienne exempte de perturbations dans le bassin hydrographique du Silala, couplées à des données de télédétection à haute résolution, montrent que les zones humides boliviennes et chiliennes occupent encore à ce jour la totalité du fond de vallée et qu’elles s’étendent, de façon saisonnière, jusqu’au pied des collines adjacentes. D’après les données de télédétection, l’état de la végétation hygrophile est similaire dans les trois zones humides et les estimations connexes de l’évaporation réelle semblent indiquer que les taux d’évaporation les plus élevés sont observés dans les zones humides Cajones et Orientales, où ils sont supérieurs de 10 % environ à ceux relevés dans la zone non perturbée de Quebrada Negra. Il apparaît, du moins selon les données satellite, qu’aucune modification importante de l’évaporation ne s’est produite en lien avec la chenalisation des zones humides boliviennes et que la variation de l’évaporation n’a donc eu aucun effet sur les écoulements de la rivière.
En résumé, nous restons convaincus que les effets des ouvrages de drainage sur l’évaporation sont assez limités, comme indiqué dans le mémoire du Chili (ci-après le «MC»), et qu’ils équivalent tout au plus à un écoulement moyen de 2 à 3 l/s, soit environ 2 % de l’écoulement naturel, mais à la lumière de nos récents résultats, nous pensons même que l’effet est probablement moindre. De la même façon, les autres effets seront faibles. Les estimations de la Bolivie, pour qui les variations de l’écoulement de la rivière sont de l’ordre de 30 à 40 %, s’expliquent par des erreurs dans les travaux de modélisation du DHI et ne sont pas plausibles. Nous réaffirmons également que le Silala est incontestablement un cours d’eau international et nous notons avec satisfaction que les experts de la Bolivie sont d’accord sur ce point.
3. POINTS DE CONVERGENCE SCIENTIFIQUE ENTRE LES EXPERTS DES PARTIES CONCERNANT L’HYDROLOGIE DU SILALA
3.1. Les experts sont d’accord sur le fait que le Silala est un cours d’eau international
Les données factuelles que nous avons produites dans le mémoire du Chili et les annexes scientifiques qui l’accompagnent ont montré que :
Le Silala émerge de deux ensembles de sources (Cajones et Orientales) en Bolivie et s’écoule le long de la pente topographique naturelle de la Bolivie au Chili, traversant la frontière dans une gorge. L’évolution géomorphologique montre que la rivière s’écoule de la Bolivie au Chili, dans la gorge qu’elle occupe encore aujourd’hui, depuis au moins 8000 ans.
Les caractéristiques de l’écoulement réel mesuré à la frontière montrent que les apports dominants proviennent des eaux souterraines. En plus des sources Cajones et Orientales, nous avons découvert d’autres écoulements de sources qui alimentent la rivière en apports de surface supplémentaires ainsi que d’importants écoulements souterrains en profondeur, en aval de la frontière. Il existe également des zones où la rivière perd de l’eau au profit du système hydrogéologique sous-jacent.
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Ces informations ont été résumées dans notre rapport joint au mémoire du Chili (MC, vol. 1, p. 177), où nous affirmons que :
 «la topographie du bassin versant du Silala est telle que les eaux naturellement drainées … en Bolivie empruntent un trajet qui les amène à traverser la frontière internationale entre la Bolivie et le Chili».
 «bien que l’écoulement pérenne à la frontière émane de deux grands réseaux de sources souterraines en Bolivie (les sources d’eau des zones humides Orientales et Cajones), la rivière interagit avec les eaux souterraines présentes sur le reste de son parcours».
 parlant du Silala, «[i]l s’agit … d’«un système d’eaux de surface et d’eaux souterraines constituant, du fait de leurs relations physiques, un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un point d’arrivée commun»».
Nous notons avec satisfaction que les experts de la Bolivie acceptent les affirmations ci-dessus. Le DHI confirme que le Silala est «un système couplé d’eaux souterraines et d’eaux de surface ... s’étendant au-delà de la frontière» (CMB, vol. 2, p. 266). Il note également que de nombreuses sources supplémentaires sont présentes en aval des zones humides Orientales et assurent des apports supplémentaires à la rivière (CMB, vol. 2, p. 368-369). Il soutient que les travaux de chenalisation réalisés en Bolivie en 1928 ont influé sur l’ampleur de l’écoulement à la frontière, mais fait remarquer que «[l]es canaux ont modifié la quantité d’eau débitée par les sources de Silala, mais pas la direction de l’écoulement naturel sortant des zones humides du Silala», «en l’absence de canaux, les eaux émises transitent en direction du Chili» et «[e]n l’absence de canaux, il est impossible que tous les écoulements de surface émis par les zones humides s’infiltrent entre le point de confluence et la frontière» (CMB, vol. 2, p. 266-267). En outre, «les gradients hydrauliques des eaux souterraines et les propriétés hydrogéologiques traduisent clairement la présence d’un écoulement souterrain qui circule de la Bolivie au Chili» et «l’écoulement souterrain à la frontière est au moins du même ordre que l’écoulement de surface au même point» (CMB, vol. 5, p. 84).
Ainsi, outre que les Parties sont d’accord pour dire que le Silala s’écoule naturellement de la Bolivie au Chili, les experts de la Bolivie et nous-mêmes convenons de l’existence d’importants écoulements souterrains qui transitent de la Bolivie au Chili. Manifestement, que ce soit sous forme d’eaux de surface ou d’eaux souterraines, les eaux collectées par le bassin versant du Silala s’écoulent de la Bolivie au Chili. La nature et le fonctionnement du système hydrologique naturel font aussi consensus, comme nous le montrons ci-après.
3.2. Les experts s’accordent sur la présence probable d’un bassin versant souterrain
Dans son mémoire, le Chili a délimité le bassin versant topographique du Silala, c’est-à-dire la zone où les écoulements de surface ou hypodermiques sont naturellement drainés à travers la frontière (MC, vol. 1, p. 140, figure 2), tout en envisageant également l’existence d’apports souterrains provenant de zones situées au-delà de ce périmètre, en territoire bolivien (MC, vol. 4, p. 273, figure 7-1). Notre estimation actuelle la plus plausible de l’aire plus large qui alimente le Silala en eaux souterraines, fondée sur des données d’analyse topographique et géologique, est illustrée à la figure 1 ci-dessous.
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Figure 1 Bassin versant topographique du Silala (délimité en noir) et bassin versant souterrain (délimité en vert)
Légende :
Silala river basin groundwater catchment
=
Bassin versant souterrain du bassin hydrographique du Silala
Silala river topographic catchment
=
Bassin versant topographique du Silala
Inacaliri Police Station
=
Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake
=
Prise d’eau de la CODELCO
Military Post
=
Poste militaire
Area enlarged
=
Zone agrandie
Cette zone est très similaire à celle que le DHI définit comme le «bassin hydrologique» du Silala (CMB, vol. 2, p. 275, figure 5) (à quelques différences mineures près, qui s’expliquent par le recours à un modèle numérique de terrain différent) ; nous reconnaissons toutefois, tout comme le fait le DHI (CMB, vol. 4, p. 103), qu’on ne peut exclure la présence d’apports souterrains supplémentaires qui proviendraient d’autres sources, plus éloignées.
3.3. Les experts s’accordent sur le fait que les effets de la chenalisation en Bolivie sont susceptibles d’influer sur les écoulements des eaux de surface à la frontière
Les premières concessions d’utilisation des eaux du Silala ont été accordées en 1906 (par le Chili) et en 1908 (par la Bolivie), et, à l’époque, de petits ouvrages ont été mis en place dans la rivière, à proximité de la frontière, afin de permettre la dérivation de l’eau dans des canaux de collecte et des canalisations qui l’acheminaient jusqu’aux utilisateurs en aval. Quelque vingt ans plus tard, en 1928, des modifications ont été apportées au chenal à l’amont de la rivière en Bolivie. Comme nous l’avons indiqué dans notre précédent rapport, «[d]es chenaux en terre mesurant 0,6 sur 0,6 m en coupe transversale ont été construits, puis revêtus de pierres. Ils font office de canaux de drainage et sont à même de recevoir les eaux des sols dans les zones humides (et de restituer ces eaux dans les sols riverains)» (MC, vol. 1, p. 134).
Nous sommes reconnaissants à la Bolivie de nous avoir transmis des informations plus détaillées sur la géométrie des drains ainsi que des photographies récentes (CMB, vol. 1, p. 41-42,
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figures 15 et 16), montrant notamment les zones où les drains ont été obstrués ces dernières années pour dériver l’écoulement du chenal vers les zones humides adjacentes (CMB, vol. 2, p. 370, figure 4). La Bolivie présente également des données relatives à l’effet des drains sur les niveaux des eaux souterraines dans les aires d’alimentation des zones humides (CMB, vol. 3, p. 12-13, figures 6 et 7). Ces données montrent que, dans les zones humides drainées, les niveaux piézométriques actuels oscillent entre 0,15 et 0,4 m de profondeur (sous la surface du sol) dans les zones humides Cajones (appelée zone humide «nord» par la Bolivie) et entre 0,15 et 0,45 m dans la zone humide Orientales (appelée zone humide «sud» par la Bolivie). Autrement dit, plutôt que d’avoir des eaux stagnantes en surface, on constate que les niveaux d’eau ont baissé, mais de moins de 50 cm
1.
Les experts de la Bolivie et nous-mêmes partageons l’avis selon lequel ces ouvrages de drainage et la chenalisation de la rivière ont un certain effet sur les écoulements à la frontière. Toutefois, si les deux Parties s’accordent sur les divers effets possibles ainsi que sur l’ampleur de certains d’entre eux, elles sont en profond désaccord quant à l’ampleur et à l’importance de certains autres. Le DHI laisse entendre que, au total, ces effets pourraient entraîner une variation potentielle des écoulements de l’ordre de 30 à 40 %, soutenant que la chenalisation a amplifié les écoulements de la rivière et que la restauration à long terme des sols tourbeux en zone humide pourrait réduire l’écoulement (CMB, vol. 2, p. 266). Nous sommes d’avis que ces estimations sont outrancières et invraisemblables, pour les raisons que nous exposons ci-après.
Concernant les variations de l’évaporation dans les zones humides, nous avons par exemple fait observer que,
«[e]n période d’activité, les ouvrages de chenalisation ont probablement réduit l’étendue des eaux de surface dans les zones humides et donc diminué les pertes directes par évaporation. ... Toute réduction de l’évaporation ainsi causée pourrait se traduire par une augmentation des apports en eau alimentant le débit d’écoulement en surface, y compris pour ce qui concerne les écoulements transfrontières» (MC, vol. 1, p. 134).
La Bolivie en convient et les diverses estimations présentées par les deux parties sont examinées au paragraphe 3.4 ci-dessous. Il est généralement admis que, bien que des variations de l’évaporation soient à prévoir, elles auront des effets mineurs sur les écoulements de la rivière.
Nous convenons également que la chenalisation peut avoir eu une incidence sur l’interaction entre les eaux de surface et les eaux souterraines en aval des zones humides, en Bolivie, mais nous sommes toutefois d’avis que ces effets sont faibles. Par exemple, le DHI affirme que l’infiltration des eaux de la rivière sera moindre dans les secteurs où les niveaux des nappes libres sont inférieurs au niveau topographique des terrains qui les renferment (CMB, vol. 2, p. 276), ce qui accroît les écoulements de surface en aval. C’est sans doute possible, même si, comme on peut le voir sur les profils piézométriques de la Bolivie (CMB, vol. 2, p. 285-287, figures 11 à 13), les niveaux des eaux souterraines sont, pour l’essentiel, supérieurs aux niveaux du lit le long du chenal principal et sur une grande partie du parcours des affluents Cajones (au nord) et Orientales (au sud), conditions dans lesquelles il est probable que les eaux souterraines fournissent des apports au cours d’eau. D’après les observations du Chili en aval de la frontière, les pertes par infiltration d’un secteur déficitaire s’élèvent à 3,3 l/s sur environ 2 km (MC, vol. 5, p. 489), alors que nous estimons que les secteurs potentiellement déficitaires en Bolivie s’étendent sur 1,4 km, ce qui semble indiquer que la quantité d’eaux de surface éventuellement perdues au profit des eaux souterraines en Bolivie est susceptible d’être assez limitée. Il convient également de noter que, comme l’affirme la Bolivie, nous sommes face à un système couplé d’eaux de surface et d’eaux souterraines. Le DHI déclare (CMB, vol. 2, p. 266) que
1 Partant de l’hypothèse que les eaux stagnantes, variables dans l’espace, ont une hauteur de moins de 5 cm.
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«[l]es niveaux piézométriques observés dans de nombreux forages établis dans le «champ proche» du Silala et à des étages supérieurs indiquent clairement que l’écoulement des eaux souterraines se fait dans la direction est-ouest. Si l’on considère conjointement les éléments factuels tirés des forages d’un aquifère perméable saturé en eau, on a la preuve de la présence d’un écoulement souterrain transfrontière pénétrant en territoire chilien.»
L’interprétation de l’hydrogéologie donnée par la Bolivie et celle que nous proposons convergent sur le fait que l’eau de la rivière perdue au profit des eaux souterraines s’écoulera quoi qu’il en soit jusqu’au Chili, même si c’est sous forme d’eaux souterraines plutôt que via un écoulement de surface.
Les experts de la Bolivie et nous-mêmes sommes donc dans l’ensemble d’accord pour dire que les travaux de drainage de 1928 ont sans doute eu une incidence sur les écoulements de surface à travers la frontière, en raison d’une réduction des pertes directes d’eau par évaporation et peut-être par infiltration, mais que les effets qui en résultent sur les écoulements de surface et souterrains allant de la Bolivie au Chili sont mineurs.
La Bolivie avance également que les émergences d’eaux souterraines qui alimentent les zones humides boliviennes ont subi des modifications considérables, dues aux variations des niveaux d’eaux souterraines associées à la construction de chenaux dans les zones humides, ainsi qu’aux effets des sols tourbeux qui s’y trouvent et de leur possible évolution à long terme, lesquels créent une résistance hydraulique à l’émergence des eaux souterraines dans les zones humides (CMB, vol. 5, p. 83). Nous convenons que de tels effets pourraient se produire, mais nous sommes d’avis qu’ils seront également très mineurs. Les estimations de la Bolivie ne sont pas plausibles et semblent, pour l’essentiel, être le fruit d’erreurs commises dans les simulations du modèle, comme nous le montrons ci-après.
3.4. Les experts s’accordent sur les effets qu’a le drainage sur l’évaporation des zones humides
Les experts de la Bolivie et nous-mêmes partageons l’avis selon lequel les ouvrages de drainage au voisinage immédiat des sources Cajones et Orientales en Bolivie ont eu pour effet d’abaisser la nappe libre dans la zone des sources.
Les ouvrages de drainage ont pour effet de réduire la superficie des zones d’émergence des eaux de surface, où les taux d’évaporation sont relativement élevés. Toutefois, les nappes libres restent très proches de la surface (15 à 45 cm d’après les données boliviennes), si bien que l’eau reste directement disponible pour soutenir la transpiration végétale dans les zones humides. Dans l’ensemble, une réduction modeste de l’évaporation est attendue, ce qui augmente la quantité d’eau disponible pour alimenter la rivière. Le DHI estime que cet effet correspond à un débit de 2 à 3 l/s (CMB, vol. 2, p. 303). Dans nos rapports joints au mémoire du Chili, nous avons indiqué que, selon notre estimation la plus probable (MC, vol. 1, p. 161), le débit moyen annuel varierait de 1,3 l/s (0,7 % de l’écoulement) ; toutefois, reconnaissant le fort degré d’incertitude entourant ces estimations, nous avons mentionné une estimation haute de 3,4 l/s, soit 2 % de l’écoulement (MC, vol. 5, p. 448). Nous reviendrons sur ce point à la section 5, à la lumière de travaux récents menés par des scientifiques du Chili, qui ont utilisé des données de télédétection pour estimer l’évaporation dans une zone humide exempte de perturbations (Quebrada Negra) au sein du bassin hydrographique du Silala au Chili, ainsi que dans les zones humides Cajones et Orientales en Bolivie (Muñoz et Suárez, 2019). Cela étant, les experts de la Bolivie et nous-mêmes émettons des avis globalement convergents pour ce qui est des incidences du drainage sur l’évaporation dans les zones humides et du fait que ces incidences équivalent tout au plus à 2 % de l’écoulement transfrontière actuel des eaux de surface. L’eau évaporée est un élément mineur du bilan hydrique.
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4. DIVERGENCES PROFONDES ENTRE LES EXPERTS DES PARTIES CONCERNANT L’HYDROLOGIE DU SILALA
4.1. Effets du drainage des zones humides sur les émergences d’eaux souterraines
Comme indiqué plus haut, la chenalisation des zones humides Cajones et Orientales a notamment pour effet de réduire les niveaux des nappes libres et nous avons noté les points de vue convergents des experts des Parties quant aux incidences de cette baisse sur l’évaporation. Autre effet possible, la chenalisation pourrait influencer les écoulements d’eaux souterraines qui alimentent les sources des zones humides. Le DHI affirme que «[c]ela a augmenté les gradients hydrauliques, réduit la résistance hydraulique dans les sources et amplifié leur débit» (CMB, vol. 5, p. 83). Nous convenons qu’il s’agit là d’effets plausibles. Toutefois, le DHI soutient que ces effets sont d’une telle ampleur que, en l’absence de drainage et de chenalisation, les écoulements naturels seraient de 30 à 40 % inférieurs à ce qui est observé aujourd’hui (CMB, vol. 2, p. 266). Nous sommes en profond désaccord sur ce point. Les effets sur les émergences d’eaux souterraines dans les zones humides, tels que proposés par le DHI, ne peuvent être que faibles ; nous sommes d’avis que les estimations très larges calculées par le DHI ne sont pas plausibles. Nous constatons que le DHI fonde intégralement ses résultats sur ses travaux de modélisation en champ proche. Bien que les détails relatifs à la configuration du modèle, aux conditions aux limites ou aux paramètres ne nous aient pas encore été communiqués, nous estimons d’après les informations synthétiques disponibles que le modèle comporte d’importants défauts et que ceux-ci ont amplifié les effets simulés, comme nous le montrerons ci-après.
Nous notons également que les variations de 30 à 40 % de l’écoulement de surface mentionnées par la Bolivie excluent l’augmentation connexe de l’écoulement souterrain en direction du Chili. Comme on peut le voir au tableau 1 de l’annexe H du rapport du DHI (CMB, vol. 5, p. 67), reproduit ci-après, dans le scénario de référence, le débit combiné de la rivière et des écoulements souterrains totalise 256 l/s, tandis que dans les scénarios «sans canal» et «avec zones humides restaurées», les débits sortants combinés s’élèvent respectivement à 209 l/s et 207 l/s, soit une réduction de 18 % et 19 % de l’écoulement total qui entre au Chili. L’estimation exagérée de la Bolivie, selon laquelle les écoulements de surface auraient subi des variations de l’ordre de 30 à 40 %, est par conséquent trompeuse ; la différence qu’elle a observée dans le débit d’eau circulant de la Bolivie au Chili est inférieure à 20 %. Toutefois, comme il sera examiné plus en détail ci-après, c’est erroné ; que ce soit sous forme d’eaux de surface ou d’eaux souterraines, les eaux collectées par le bassin versant du Silala s’écoulent de la Bolivie au Chili.
4.1.1. Considérations relatives au bilan hydrique
A la simple lecture du bilan hydrique du bassin versant souterrain (le bassin versant hydrologique du DHI), on constate qu’il existe une raison fondamentale de rejeter les estimations du DHI relatives aux variations majeures des émergences d’eaux souterraines qui alimentent les sources des zones humides. Si l’on postule que le bassin versant souterrain reste constant, les eaux de recharge du ou des aquifères doivent soit émerger sous forme de sources puis s’écouler dans le Silala, soit s’écouler sous forme d’eaux souterraines en suivant le gradient hydraulique orienté vers la partie inférieure du bassin versant, traversant au passage la frontière internationale pour pénétrer en territoire chilien.
La recharge du bassin versant souterrain du Silala, qui alimente les sources boliviennes et l’écoulement souterrain en direction du Chili, est indépendante du régime d’écoulement des eaux souterraines et, à moins que la zone de recharge évolue, la somme des écoulements devrait rester inchangée. Fondamentalement, l’eau de recharge des aquifères qui alimentent les sources boliviennes et filtrent dans les zones humides Cajones et Orientales doit être comptabilisée soit dans l’écoulement émanant des sources et des zones humides qui forme le Silala, soit dans l’écoulement souterrain, en
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l’occurrence l’écoulement qui transite jusqu’au Chili, comme en conviennent les experts de la Bolivie. Tous travaux de chenalisation ou de restauration des zones humides sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’évaporation locale et le bilan entre l’écoulement de surface et l’écoulement souterrain, mais ils n’auront aucun effet sur la recharge. Dans le bilan, la recharge du système aquifère doit donc être compensée par des sorties d’eau, qui peuvent se manifester notamment sous forme d’évaporation, d’écoulements de surface ou d’écoulements souterrains.
Ces écoulements souterrains, comme en conviennent les experts de la Bolivie (DHI, 2018a), sont acheminés jusqu’au Chili au sud-ouest, dans un aquifère régional composé de dépôts ignimbritiques qui s’étendent dans le sous-sol bolivien jusqu’au Chili. L’aquifère occupe le bassin versant souterrain du Silala et se poursuit au Chili. Même si la résistance hydraulique dans l’aire d’émergence des sources des zones humides boliviennes venait à augmenter, réduisant ainsi l’écoulement de surface, comme le propose le DHI (2018b), les eaux souterraines s’écouleraient quand même vers l’aval pour pénétrer en territoire chilien, comme expliqué dans le second rapport d’experts joint à la réplique du Chili (Peach et Wheater, 2019).
D’après les calculs du DHI, la recharge souterraine qui permet d’alimenter les sources Cajones et Orientales équivaut à la différence entre les précipitations et l’évaporation (estimée à 24 mm/an par le DHI (CMB, vol. 3, p. 478)) dans le périmètre de son bassin hydrologique, dont la superficie s’élève à 234 km2 (CMB, vol. 2, p. 274). Comme examiné plus haut, ce taux de recharge n’est pas influencé par le drainage des zones humides et les calculs du DHI ne font d’ailleurs aucune mention d’une variation de l’aire d’alimentation. Toutefois, les résultats du modèle en champ proche du DHI montrent clairement que le débit entrant du modèle, qui provient de cette recharge, varie selon le scénario considéré. Dans le tableau 1 ci-dessous (extrait du CMB, vol. 5, p. 67, tableau 1), le «débit entrant» varie de 3116 à 2655 mm/an (équivalant à un écoulement de 253 à 216 l/s), selon le scénario. Ces importantes variations du débit entrant n’ont aucun sens au plan physique et le DHI n’en offre aucune explication. Elles constituent pourtant la justification première des estimations réalisées par le DHI concernant les variations des flux de surface et souterrains sortants qui s’écoulent jusqu’au Chili.
Scénario de référence
Scénario sans canal
Scénario avec zones humides restaurées
Terme du bilan hydrique
Equivalent de volume
Equivalent de flux
Equivalent de volume
Equivalent de flux
Equivalent de volume
Equivalent de flux
(mm/an)
(l/s)
(mm/an)
(l/s)
(mm/an)
(l/s)
Flux entrant
3116
253
2722
221
2655
216
Variation de réserve
49
4
12
1
64
5
Evapotranspiration
125
10
150
12
164
13
Erreur
25
2
0
0
-2
0
Flux sortant (chenaux)
1846
150
0
0
0
0
Flux sortant (écoulement de surface)
0
0
1159
94
1112
90
Flux sortant (écoulement souterrain)
1310
106
1418
115
1441
117
Tableau 1 Principaux résultats de la modélisation réalisée par le DHI à partir de différents scénarios (CMB, vol. 5, p. 67, tableau 1)
- 64 -
Une question se pose alors : si, dans les scénarios sans canal et avec zones humides restaurées, les flux sortants d’eaux de surface et d’eaux souterraines qui parviennent au Chili sont en effet entre 18 et 19 % inférieurs aux valeurs du scénario de référence avec canaux et compte tenu de l’importance de la pente topographique et des gradients hydrauliques qui font jaillir les eaux souterraines jusqu’aux sources, à précipitations/recharge constantes, dans quelle direction les eaux de recharge «excédentaires» circuleront-elles dès lors qu’elles ne s’écoulent pas au Chili ?2
Il n’existe aucune trajectoire évidente qui permettrait aux eaux de recharge de contourner le domaine du modèle en champ proche (voir Peach et Wheater, 2019), de sorte qu’il nous faut considérer que cette variation des apports entrants n’est pas réaliste. Bien que la Bolivie n’ait pas communiqué les détails complets de la configuration ou des conditions aux limites du modèle, nous estimons que, selon toute probabilité, cette variation résulte directement des hypothèses retenues pour les limites du modèle du DHI, comme il sera examiné plus en détail aux sections 4.1.2 et 4.1.3 ci-après.
4.1.2. Augmentation des gradients hydrauliques
S’agissant des effets de la chenalisation sur la réduction des niveaux d’eau dans les zones humides, rappelons que le DHI a affirmé (CMB, vol. 5, p. 83) que le drainage avait accentué les gradients hydrauliques. Il convient de rappeler que l’une des lois fondamentales gouvernant la dynamique des eaux souterraines est la loi de Darcy (Darcy, 1856), qui établit que la vitesse d’écoulement des eaux souterraines est proportionnelle au gradient de l’énergie potentielle des eaux souterraines, ou charge hydraulique3. Par conséquent, on peut en effet s’attendre à ce qu’une modification du gradient entraîne une variation de la vitesse d’écoulement des eaux souterraines.
Toutefois, rappelons que le DHI (CMB, vol. 2, p. 280, figure 6) montre que les drains collecteurs dans la zone humide Cajones (nord) ont généralement une profondeur inférieure à 50 cm et que les nappes libres mesurées dans les deux zones humides sont situées entre 15 et 45 cm sous la surface. C’est une fluctuation très légère du niveau piézométrique.
Notons que l’aire d’alimentation des eaux souterraines définie par le DHI en territoire bolivien se prolonge jusqu’à une distance de quelque 20 kilomètres des sources et, au plan topographique, atteint jusqu’à environ 5686 mètres au-dessus du niveau de la mer, les sources se situant à 4370 mètres au-dessus du niveau de la mer, soit un dénivelé de 1316 mètres. Nous n’avons aucune information sur les niveaux piézométriques dans cette aire d’alimentation éloignée, mais nous nous appuyons sur les résultats du DHI (CMB, vol. 3, p. 488, figure 11 ; adaptée à la figure 2 ci-dessous) pour expliquer nos inquiétudes.
2 La Bolivie estime que les effets du drainage sur l’évaporation des zones humides sont de l’ordre de 2 à 3 l/s (CMB, vol. 5, p. 67, tableau 1) ; les effets de l’évaporation ne peuvent donc expliquer la variation des débits sortants estimée par le DHI (pour les zones humides restaurées par rapport au scénario de référence), à savoir une différence nette de 49 l/s (soit une perte de 60 l/s au niveau des écoulements de surface, compensée par un gain de 11 l/s dans les écoulements souterrains qui pénètrent au Chili).
3 Pour un flux unidimensionnel s’écoulant dans la direction s, la loi de Darcy établit que (voir, par exemple, Verruijt, 1970) : q = -KA dh/ds, q étant la vitesse d’écoulement des eaux souterraines (m3/jour), K la conductivité hydraulique de l’aquifère (m/jour), A la section d’une zone d’écoulement (m²) et h l’énergie potentielle ou charge hydraulique (m).
- 65 -
Figure 2 Simulation du potentiel (charge) des eaux souterraines dans l’aquifère ignimbritique, adapté d’une figure du DHI (CMB, vol. 3, p. 488)
Légende :
Hydrological catchment (Bolivia)
=
Bassin versant hydrologique (Bolivie)
Inacaliri Police Station
=
Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake
=
Prise d’eau de la CODELCO
FCAB Intake
=
Prise d’eau de la FCAB
Military Post
=
Poste militaire
Silala Near Field
=
Champ proche du Silala
Area enlarged
=
Zone agrandie
Comme on peut le voir sur les courbes isohypses issues de la simulation des eaux souterraines et sur la coupe choisie par le DHI, représentée ici par la droite BC, les eaux souterraines s’écoulent d’un niveau (charge) d’environ 4520 mètres au-dessus du niveau de la mer jusqu’aux sources Cajones et Orientales à environ 4370 mètres au-dessus du niveau de la mer (soit une différence verticale de 150 mètres), sur une distance horizontale d’environ 10 500 mètres. Il est donc difficile de concevoir qu’une baisse de moins de 50 centimètres du niveau des nappes libres (soit moins de 0,3 % de la différence verticale entre les eaux souterraines, 150 mètres) puisse avoir une incidence significative sur le débit des eaux souterraines.
- 66 -
Le DHI a établi ces estimations au moyen d’un modèle à très petite échelle (son modèle en champ proche du Silala) aux abords immédiats des sources (CMB, vol. 5, p. 16, figure 2). La zone représentée mesure 2,56 km², soit environ 1 % de la superficie du bassin hydrologique défini par le DHI (234 km²)4. Le DHI souligne que ses résultats comportent un haut degré d’incertitude et que, par conséquent, une «analyse quantitative de l’incertitude n’est pas réalisable», et il note en outre que «l’incertitude du modèle ne saurait être ignorée au moment de l’interprétation des résultats» (CMB, vol. 2, p. 303). Toutefois, aucun effort n’a été fait pour étudier l’incertitude liée au modèle. En outre, le modèle présente plusieurs problèmes fondamentaux, qui nous amènent à conclure que les résultats erronés s’expliquent par la configuration du modèle, en particulier ses conditions aux limites.
Lorsque l’on configure un modèle hydrogéologique, il est essentiel de bien choisir les conditions aux limites du modèle (aussi appelées conditions limites). Pour simuler un bassin versant, il est d’usage de prendre la totalité du bassin hydrographique pour former le domaine modélisé, généralement confiné par des limites à flux nul, afin que l’alimentation soit incluse dans la simulation. Or, comme le DHI a recours à un petit domaine en champ proche, il convient d’adopter une autre approche pour représenter les conditions aux limites. Il est possible de spécifier une limite de flux entrant, une limite de charge ou une combinaison des deux. Comme indiqué dans le manuel de référence sur la modélisation des eaux souterraines publié par Rushton et Redshaw (1979, p. 132),
«lorsque l’on spécifie un problème d’écoulement des eaux souterraines, il est d’usage de prendre une ligne le long de laquelle le potentiel hydrogéologique est constant et d’en faire une condition limite. C’est une condition valide si le potentiel des eaux souterraines s’établit à cette valeur constante parce que l’aquifère s’inscrit dans une continuité hydraulique avec la mer ou un grand lac. En revanche, un potentiel fixe suppose l’existence d’une source d’eau infinie dans laquelle l’aquifère peut s’alimenter.»5
Le DHI a choisi une «charge imposée» comme condition limite pour représenter le flux souterrain entrant dans le modèle à partir de l’aire d’alimentation souterraine (son bassin hydrologique) (CMB, vol. 5, p. 18). Cela signifie que le DHI a fixé le niveau des nappes libres (et donc la «charge» ou énergie potentielle des eaux souterraines) à la limite du modèle, qui est très proche des sources. Il fait ensuite varier les nappes libres dans la zone humide pour introduire l’effet du drainage, mais les nappes libres à la limite en amont restent inchangées, alors que, en réalité, elles varieront aussi en réponse à l’évolution des nappes libres dans la zone humide (une hausse/baisse des niveaux des eaux souterraines dans les zones humides s’accompagnera d’un mouvement correspondant à la limite du champ proche). Ce choix est contraire au critère fondamental de Rushton selon lequel un potentiel imposé ne constitue une condition limite valide que si le potentiel des eaux souterraines reste constant. Rushton note également qu’un potentiel fixe suppose l’existence d’une source infinie d’eau dans laquelle l’aquifère pourra s’alimenter. Dans le cas présent, le fait de ne pas contraindre le débit entrant dans le modèle alors que la charge aux limites est fixe a permis au flux entrant de varier en réponse aux modifications du gradient de charge, lesquelles sont dues aux fluctuations du niveau d’eau dans les zones humides. En réalité, le débit entrant aux limites est à l’évidence égal à la quantité estimée par le calcul de la recharge. Le fait que le DHI spécifie une charge imposée comme condition aux limites a induit les variations de «débit entrant» notées ci-dessus. L’établissement d’une condition limite incorrecte donne donc lieu à des variations incorrectes des débits entrants dans le tableau 1 du DHI.
4 C’est une approche raisonnable en principe, mais uniquement si les écoulements aux limites du modèle peuvent être correctement représentés. Par convention, il est d’usage d’imbriquer un tel modèle localisé dans un modèle à plus large échelle pour surmonter cette difficulté.
5 Les italiques sont de nous.
- 67 -
Cette condition limite n’est pas réaliste et cela a d’importantes conséquences, car, comme indiqué plus haut, a) la variation du gradient des nappes libres détermine l’écoulement souterrain6, b) la variation du gradient est amplifiée dès lors que le niveau des nappes libres est maintenu fixe en un point si proche de la zone humide, et c) la condition limite à charge imposée n’impose aucune contrainte à la vitesse d’écoulement à travers la frontière, de sorte que le débit entrant varie par adaptation aux erreurs associées à la variation excessive du gradient.
On peut voir sur une simple coupe topographique que cette condition limite amplifie grandement l’effet des drains sur le gradient de l’écoulement souterrain. Sur la base des charges simulées par le DHI, nous prenons par exemple un chemin d’écoulement hypothétique AB, qui s’étend des sources jusqu’à la limite du modèle en champ proche (figure 3a), soit une distance d’environ 360 m, afin de montrer qu’une variation de 0,5 m du niveau piézométrique aux sources modifie le gradient moyen de la charge des eaux souterraines de 0,0794 degré.
Toutefois, si nous revenons au chemin d’écoulement en champ lointain à la figure 2 et considérons qu’une charge imposée est spécifiée à la limite du champ lointain, où il est plus probable qu’elle soit constante, et non à la limite du champ proche, alors la modification du gradient moyen est de 0,0027 degré (figure 3b).
Le gradient moyen varie par un facteur de 29. Comme le montre manifestement la loi de Darcy, cela aura d’importantes conséquences sur les calculs de flux et on peut donc aisément se rendre compte, même à partir de cette simple comparaison géométrique, que l’hypothèse d’une charge imposée à la limite du champ proche a d’importantes incidences sur le calcul par le DHI de l’effet des drains sur les écoulements des sources, que nous examinons ci-après.
6 La loi de Darcy (Darcy, 1856) établit que l’écoulement des eaux souterraines est proportionnel au gradient de l’énergie potentielle, ou charge, des eaux souterraines.
- 68 -
Figure 3a Gradient de charge typique des eaux souterraines de la limite du modèle en champ proche jusqu’à la zone humide
Légende :
Silala near field
=
Champ proche du Silala
Diagramme en bas à gauche : variation du gradient des eaux souterraines si l’on utilise la limite de champ proche de la Bolivie, avec l’altitude en ordonnée et la distance en abscisse.
Figure 3b Gradient de charge typique des eaux souterraines de la limite du modèle en champ lointain jusqu’à la zone humide
Légende :
Silala near field
=
Champ proche du Silala
Hydrological catchment (Bolivia)
=
Bassin versant hydrologique (Bolivie)
Military post
=
Poste militaire
Inacaliri Police Station
=
Poste de police d’Inacaliri
FCAB Intake
=
Prise d’eau de la FCAB
CODELCO Intake
=
Prise d’eau de la CODELCO
Fig. 3a Area enlarged
=
Carré agrandi à la figure 3a
Diagramme en bas à droite : variation du gradient des eaux souterraines si l’on utilise la limite de champ lointain en Bolivie, avec l’altitude en ordonnée et la distance en abscisse. L’encadré montre la limite de champ proche de la Bolivie.
On peut par exemple utiliser un calcul standard, fondé sur une solution analytique aux équations d’écoulement des eaux souterraines, pour décrire un peu plus en détail l’effet potentiel de la condition limite erronée sur les émergences d’eaux souterraines (voir l’appendice 1 du présent rapport pour plus de détails et, par exemple, Verruijt (1970), p. 53). C’est un calcul bidimensionnel, fondé sur des propriétés uniformes ; il ne cherche donc pas à représenter les détails de la simulation du DHI, qui nous sont inconnus, mais vise simplement à démontrer l’ampleur de l’effet engendré par les hypothèses retenues par le DHI pour les conditions limites. Nous examinons d’abord l’effet d’une variation du niveau piézométrique dans la zone humide, résultant de la chenalisation. Nous nous intéressons ensuite à une modification de la résistance à l’écoulement.
- 69 -
La figure 4 représente un segment de versant en deux dimensions idéalisé7 d’une longueur de 360 m, calqué à des fins d’illustration sur la section du modèle en champ proche de la figure 2 ; ce segment draine une limite à charge constante (à 4385 mètres au-dessus du niveau de la mer) et émet des eaux au profit d’une zone humide (à 4370 mètres au-dessus du niveau de la mer). La différence de charge équivaut à 15 m. Pour les besoins de la démonstration, nous postulons que l’aquifère est uniforme et qu’il présente une conductivité hydraulique standard (4,3 m/jour, ou 5 x 10-5 m/s, voir CMB, vol. 5, p. 21, tableau 3, ignimbrite du haut Silala), un taux de recharge de 24 mm/an (CMB, vol. 3, p. 478) et une profondeur de 400 m (CMB, vol. 5, p. 17), d’après les valeurs utilisées par le DHI. Si la nappe libre remonte de 0,5 m pour représenter l’effet du remplissage des chenaux par les matériaux de l’aquifère, l’émergence des eaux souterraines baisse de 3,3 %. En revanche, si nous prenons une condition à charge imposée à la limite du champ lointain, comme à la figure 2 (section AC), 10 500 m plus loin (figure 5), et que, là aussi, nous faisons remonter de 0,5 m le niveau de la nappe libre aux sources, l’effet obtenu correspond à une baisse de 0,28 % de l’émergence. Ces deux effets sont faibles, mais le fait que le DHI ait choisi une condition limite incorrecte amplifie par un facteur de 12 l’effet des gradients hydrauliques sur la variation des niveaux piézométriques induite par la chenalisation (notons que ce facteur est inférieur au facteur de 29 cité plus haut, en raison des détails supplémentaires inclus dans les calculs, en particulier la recharge appliquée le long de la section, qui permet au gradient hydraulique de varier sur toute la longueur de la section, ce qui n’est pas le cas dans l’exemple simplifié donné plus haut).
Figure 4 Effet d’une charge hydraulique imposée à la limite du modèle en champ proche sur l’émergence des sources
Légende :
Recharge = 24 mm/year
=
Recharge = 24 mm/an
Ground surface
=
Surface du sol
Water table
=
Surface libre de la nappe
Unconfined aquifer
=
Aquifère à nappe libre
Impermeable layer
=
Couche imperméable
Channel
=
Chenal
Flow with channels
=
Ecoulement avec chenaux
Flow w/o channels
=
Ecoulement sans chenaux
3.3% decrease
=
Baisse de 3,3 %
7 Notons que les échelles ont été altérées pour permettre la visualisation du problème.
- 70 -
Figure 5 Effet d’une charge hydraulique imposée située à une limite plus réaliste de 10,5 km sur l’émergence des sources
Légende :
Recharge = 24 mm/year
=
Recharge = 24 mm/an
Ground surface
=
Surface du sol
Water table
=
Surface libre de la nappe
Unconfined aquifer
=
Aquifère à nappe libre
Impermeable layer
=
Couche imperméable
Channel
=
Chenal
Flow with channels
=
Ecoulement avec chenaux
Flow w/o channels
=
Ecoulement sans chenaux
0.28% decrease
=
Baisse de 0,28 %
4.1.3. Réduction de la résistance hydraulique
Selon le DHI (CMB, vol. 5, p. 83), le drainage et la chenalisation ont eu pour deuxième effet de réduire la résistance hydraulique. Le DHI soutient que la construction des ouvrages de drainage a enlevé une couche de sol8 (CMB, vol. 2, p. 374) et que cela a augmenté la quantité d’eaux souterraines débitées. Il avance également que, dans une zone humide restaurée, une tourbière mesurant jusqu’à 60 cm d’épaisseur se développera, à raison de 0,1-1 cm/an, et que l’épaississement de la couche de tourbe accroîtra la résistance à l’émergence des eaux souterraines dans les zones humides (CMB, vol. 5, p. 70). Pour plusieurs raisons, il s’agit d’une simplification trompeuse de la situation hydrogéologique, comme il sera examiné dans la section 5 (voir aussi Muñoz et Suárez, 2019). Toutefois, là encore, un calcul élémentaire (appendice 1, partie 2) montre que le choix de la condition limite du modèle en champ proche amplifie largement tout effet de ce type. La figure 6 représente une limite à charge imposée en champ proche, à 360 m de l’émergence des sources et avec le même dénivelé que ci-dessus (15 m). Nous introduisons une «zone tampon» au pied de la pente, qui représente théoriquement l’effet d’une couche de tourbe d’un mètre sur le chemin d’écoulement des eaux souterraines adjacent au chenal. Nous posons que la perméabilité de la tourbe est inférieure de deux ordres de grandeur à celle de l’aquifère ignimbritique (0,043 m/jour = 5 x 10-7 m/s, ce qui est compatible avec la limite inférieure des hypothèses du DHI (CMB, vol. 5, p. 26, tableau 4)). La zone tampon a pour effet de réduire de 22 % les entrées d’eaux souterraines dans la zone humide. Or, si l’on utilise une limite à charge imposée en champ lointain (10 500 m) (figure 7), la même configuration tampon réduit le flux de seulement 0,9 %. La zone tampon a un effet disproportionné (facteur de 23) sur le champ d’écoulement dans le modèle en champ proche, ce qui s’explique par le choix d’une limite à charge imposée dans le domaine du modèle.
8 Le DHI soutient que «[l]’excavation du sol ... a réduit la résistance hydraulique à l’émission souterraine».
- 71 -
Si nous combinons à présent l’effet de la variation du gradient hydraulique et celui de la réduction de la résistance hydraulique et que nous superposons l’effet provoqué par une remontée de nappe de 0,5 m couplé à la présence d’une couche de tourbe (également représenté aux figures 6 et 7), l’écoulement décroît de 24 % dans la configuration en champ proche, mais de 1,2 % en champ lointain ; l’effet est donc multiplié par 20.
Bien que ces calculs soient fortement simplifiés, ils démontrent clairement que le choix inadapté de la condition limite en champ proche a pour effet d’amplifier largement (par un facteur de 20 environ) les effets des chenaux de drainage à la fois sur la réduction des charges des eaux souterraines et sur toute réduction hypothétique de la résistance hydraulique. La valeur calculée en champ lointain — 1 % — pour déterminer l’effet de ces changements donne une idée de l’ampleur de la réponse attendue, et si nous lui ajoutons les variations possibles de l’évaporation (et considérons les questions relatives au bilan hydrique examinées à la section [4].1.1), nous restons convaincus que la variation des écoulements de la rivière provoquée par la chenalisation est de l’ordre de quelques points de pourcentage.
Figure 6 Effet de la zone de faible conductivité sur l’émergence des sources  charge imposée en champ proche
Légende :
Recharge = 24 mm/year
=
Recharge = 24 mm/an
Ground surface
=
Surface du sol
Water table
=
Surface libre de la nappe
Ignimbrite Aquifer
=
Aquifère ignimbritique
Peat layer
=
Couche de tourbe
Unconfined aquifer
=
Aquifère à nappe libre
Impermeable layer
=
Couche imperméable
Channel
=
Chenal
Flow w/o peat layer (d2=0) and no water table rise
=
Ecoulement sans couche de tourbe (d2=0) et sans montée de nappe
Flow with peat layer (d2=1 m) and no water table rise
=
Ecoulement avec couche de tourbe (d2=1 m) et sans montée de nappe
Flow with peat layer (d2=1 m) and 0,5 water table rise
=
Ecoulement avec couche de tourbe (d2=1 m) et avec une montée de nappe de 0,5 m
24% decrease
=
Baisse de 24 %
- 72 -
Figure 7 Effet de la zone de faible conductivité sur l’émergence des sources  charge imposée en champ lointain
Légende :
Recharge = 24 mm/year
=
Recharge = 24 mm/an
Ground surface
=
Surface du sol
Water table
=
Surface libre de la nappe
Ignimbrite Aquifer
=
Aquifère ignimbritique
Peat layer
=
Couche de tourbe
Unconfined aquifer
=
Aquifère à nappe libre
Impermeable layer
=
Couche imperméable
Channel
=
Chenal
Flow w/o peat layer (d2=0) and no water table rise
=
Ecoulement sans couche de tourbe (d2=0) et sans montée de nappe
Flow with peat layer (d2=1 m) and no water table rise
=
Ecoulement avec couche de tourbe (d2=1 m) et sans montée de nappe
Flow with peat layer (d2=1 m) and 0,5 water table rise
=
Ecoulement avec couche de tourbe (d2=1 m) et avec une montée de nappe de 0,5 m
1.2% decrease
=
Baisse de 1,2 %
4.1.4. Autres problèmes liés à la modélisation
Comme indiqué plus haut, les thèses de la Bolivie relatives aux incidences de la chenalisation sont intégralement fonction des effets simulés par un modèle couplé eaux de surface-eaux souterraines en champ proche. Nous avons montré ci-dessus qu’une erreur fondamentale dans le choix d’une condition aux limites du modèle a conduit à une amplification des effets et que la variation correspondante des flux de recharge entrants du modèle est incorrecte. Même si nous nous sommes concentrés plus haut sur la spécification erronée du débit entrant à la limite du modèle en champ proche, il faut savoir qu’un problème similaire se pose aux autres limites du modèle. Par exemple, un gradient hydraulique imposé est spécifié comme condition limite de sortie d’écoulement du modèle en champ proche, ce qui exclut toute variation du gradient d’écoulement des eaux souterraines en réponse aux modifications d’écoulement postulées, variation pourtant attendue. En outre, les courbes piézométriques représentées à la figure 35 de l’annexe G du rapport du DHI sont incompatibles avec les conditions limites latérales postulées dans le modèle (CMB, vol. 5, p. 49).
- 73 -
Nous estimons qu’il s’agit de limites à flux nul, mais si tel est le cas, les courbes de même charge hydraulique (lignes isopièzes) des eaux souterraines doivent être orthogonales aux limites du modèle, et ce n’est clairement pas le cas dans cette figure.
Les experts de la Bolivie et nous-mêmes comprenons que l’hydrogéologie du système du Silala est complexe et difficile à appréhender compte tenu de la quantité limitée de données disponibles. Néanmoins, la description détaillée de la géologie locale est particulièrement importante pour comprendre les flux souterrains en champ proche et les éventuelles réponses à la chenalisation. La représentation des eaux souterraines par le DHI est biaisée à bien des égards et ne reflète pas fidèlement la situation réelle, comme discuté en détail dans le second rapport ci-joint (Peach et Wheater, 2019). Cela transparaît manifestement dans le fait que la modélisation des eaux souterraines omet les différences marquées qui sont relevées dans la caractérisation chimique des ions majeurs et des isotopes du carbone présents dans les eaux des sources Cajones et Orientales, ces eaux ayant par conséquent des origines différentes. Le modèle conceptuel hydrogéologique du DHI admet cette réalité (CMB, vol. 2, p. 294), mais la modélisation numérique ne tient pas compte de cet élément fondamental des données. Ce dernier point ainsi que d’autres aspects de la géologie sont examinés plus en détail dans Peach et Wheater (2019).
Il est aussi pertinent de noter à ce stade que le modèle suscite d’autres inquiétudes, mais nous ne pouvons pousser plus loin l’analyse, car (pour l’heure) nous n’avons aucune information détaillée sur la configuration, les paramètres, les données de forçage ou les données de sortie des différents modèles utilisés. Néanmoins, plusieurs points sautent aux yeux :
1. Il est indiqué que le modèle en champ proche est exécuté en «régime permanent» (CMB, vol. 5, p. 13, «un régime permanent a été calé pour le modèle»). Etant donné qu’il n’y a pas de variation dans le temps, cela signifie que les données d’entrée du modèle doivent être égales aux données de sortie, ce qui, par définition, exclut les variations de la réserve. Ce n’est pas le cas dans les résultats du DHI. Par exemple, dans le tableau synthétique des résultats du DHI (CMB, vol. 5, p. 67, tableau 1), les variations annuelles de la réserve (accumulation d’année en année) sont quantifiées pour chacun des trois scénarios considérés (de référence, sans canal, avec zones humides restaurées). C’est une erreur fondamentale du modèle.
2. Les résultats du modèle en champ proche, tels que présentés dans le même tableau, ne tiennent pas la route. Par exemple, dans le scénario de référence, le débit entrant du modèle (apports de recharge) équivaut à un écoulement de 235 l/s, tandis que les pertes du modèle totalisent 266 l/s (pertes par évaporation de 10 l/s, débit sortant des eaux de surface de 150 l/s et débit sortant des eaux souterraines de 106 l/s). Même si l’on compte un terme d’«erreur» (2 l/s) et une variation de la réserve (4 l/s, notant toutefois que ce terme ne peut être admis dans un modèle en régime permanent), les chiffres donnés n’ont aucun sens. En outre, dans le scénario avec zones humides restaurées, le débit entrant (216 l/s) n’équivaut pas au total des flux sortants/pertes (220 l/s).
4.2. Autres points de divergence
Il existe de nombreux points de détail supplémentaires sur lesquels l’analyse du DHI diffère quelque peu de la nôtre, par exemple pour ce qui concerne les précipitations sur le bassin topographique du Silala et sur son bassin versant souterrain plus large. Toutefois, nous sommes d’avis que ces autres points de divergence sont relativement mineurs dans le contexte global du présent différend et sont à bien des égards prévisibles, compte tenu des difficultés liées à la quantification de la réponse hydrologique dans un contexte très pauvre en données. Toutefois, le point fondamental est que le modèle en champ proche du DHI se fonde sur une représentation inexacte de la géologie (comme examiné en détail dans Peach et Wheater, 2019), que les conditions limites sont inappropriées, ce qui entraîne des incohérences dans les bilans hydriques, et que, par conséquent, le modèle n’explique pas correctement les effets de la chenalisation en Bolivie sur les écoulements des eaux de surface et des eaux souterraines circulant jusqu’au Chili.
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5. VARIABILITÉ ET FONCTIONNEMENT NATURELS DES ZONES HUMIDES BOLIVIENNES ET CONTRAINTES TOPOGRAPHIQUES
Le contre-mémoire de la Bolivie évoque à maintes reprises la dégradation des zones humides, mais ne fournit aucune donnée prouvant que les zones se sont fortement détériorées avec le temps. Au contraire, la Bolivie cite les résultats de Castel (2017), qui confirment les observations du Chili (MC, vol. 4, p. 37, figure 16) concernant le rôle majeur de la variabilité naturelle annuelle et saisonnière dans la détermination de la zone de végétation hygrophile active, mais n’établissent aucune tendance à long terme concernant les décennies récentes pour lesquelles des données sont disponibles.
Malgré cela, le DHI fait référence aux modifications induites par la chenalisation dans les zones humides boliviennes et affirme, par exemple, qu’elle «a réduit la superficie des zones humides» (CMB, vol. 2, p. 374). Selon le rapport Ramsar (CMB, annexe 18), «[a]ujourd’hui, il ne reste que des vestiges des zones humides originelles qui occupaient autrefois une superficie d’environ 141 200 m², soit 14,1 hectares. La superficie actuelle des zones humides n’est plus que de 6000 m² environ, soit 0,6 ha» (CMB, vol. 5, p. 163). C’est à l’évidence une affirmation foncièrement inexacte, comme on peut le voir dans a) les propres données de la Bolivie relatives aux zones humides (Castel, 2107), et b) les données de télédétection du Chili, présentées dans le mémoire (MC, vol. 4, p. 37, figure 16), dans la réplique (Muñoz et Suárez, 2019) et dans les données synthétiques exposées dans le présent rapport (voir le tableau 2 ci-dessous). Loin de nous l’idée d’affirmer que la chenalisation n’a eu aucun effet sur les zones humides boliviennes, mais il importe que toute dégradation soit quantifiée de manière appropriée afin que ses effets sur l’écoulement du Silala puissent être mieux compris.
Pour favoriser la compréhension du fonctionnement et du comportement dynamique des zones humides du Silala, le Chili a récemment mis en place une étude détaillée de la zone humide Quebrada Negra, située dans le bassin topographique du Silala au Chili (Muñoz et Suárez, 2019), comme illustré à la figure 8. Cette zone humide est de superficie comparable à celle des zones humides Cajones et Orientales en Bolivie (environ 3 hectares), mais elle n’a souffert aucune perturbation induite par l’activité humaine.
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Figure 8 Position de la zone humide Quebrada Negra au sein du bassin versant topographique du Silala au Chili (Muñoz et Suárez, 2019)
Légende :
Silala river basin groundwater catchment
=
Bassin versant souterrain du bassin hydrographique du Silala
Area enlarged
=
Zone agrandie
Inacaliri Police Station
=
Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake
=
Prise d’eau de la CODELCO
Military Post
=
Poste militaire
FCAB Intake
=
Prise d’eau de la FCAB
Quebrada Negra study area
=
Zone d’étude de Quebrada Negra
Plusieurs clichés de la zone humide sont reproduits dans le présent rapport (figures 9 à 11), d’après Muñoz et Suárez (2019). On peut voir que la zone humide occupe le fond de vallée, caractérisé par des chenaux naturels qui se gorgent en eau en réponse à l’émergence de sources, se rejoignent pour former un réseau entrelacé, puis perdent leurs eaux par réinfiltration. On peut également constater que la végétation s’étend jusqu’au pied des versants adjacents, se concentrant dans de petites gorges tributaires, ce qui indique l’émergence de sources aux limites de versant de la zone humide basse.
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Figure 9 Photographie de la zone humide Quebrada Negra, prise depuis le versant nord (Muñoz and Suárez, 2019)
Figure 10 Photographie prise dans la zone humide Quebrada Negra, vue vers l’amont (Muñoz et Suárez, 2019)
Figure 11 Photographie de la zone humide Quebrada Negra, prise depuis le versant sud (Muñoz et Suárez, 2019)
Comme le montrent les images reproduites par la Bolivie dans son contre-mémoire, de vastes zones de végétation active sont présentes dans les zones humides Cajones et Orientales, en dépit de
- 77 -
la chenalisation (par exemple, CMB, vol. 2, p. 273, figure 4 ; p. 333, frontispice ; p. 370, figure 5 ; p. 372, figure 8). On consultera, par exemple, le frontispice de l’annexe B du rapport du DHI, reproduit à la figure 12 ci-dessous.
Figure 12 Photographie de la zone humide bolivienne (CMB, vol. 2, p. 333)
Dans le mémoire du Chili, des images de télédétection Landsat (datées de 1987 à 2016) sont utilisées pour montrer que la surface active des zones humides Cajones et Orientales a connu d’importantes variations, à la fois saisonnières et interannuelles (MC, vol. 4, p. 37, figure 16), mais aucune tendance générale n’apparaît. La Bolivie en fait également le constat. Castel (2017), qui utilise des images Landsat de 1975 à 2000, aboutit aux mêmes conclusions, comme indiqué ci-dessus — une forte variabilité saisonnière et interannuelle est observée dans la surface végétalisée des zones humides, d’après la cartographie réalisée à l’aide de l’indice de végétation normalisé NDVI (qui représente l’activité de la végétation), mais aucune tendance manifeste ne transparaît.
Dans les récents travaux du Chili, Muñoz et Suárez (2019) s’appuient sur des images satellite à résolution plus fine (Sentinel 2, 10 mètres de résolution) pour la période allant de juillet à novembre 2018 (figure 13), ce qui permet de cartographier l’étendue de la surface végétalisée sur une carte topographique.
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Figure 13 Distribution moyenne de l’indice NDVI dans les zones humides Quebrada Negra, Cajones et Orientales pour la période allant de juillet à novembre 2018 (Muñoz et Suárez, 2019)
Les résultats sont reproduits aux figures 14 à 16 ci-dessous pour les zones humides boliviennes Cajones et Orientales et la zone humide chilienne Quebrada Negra. On peut observer que la
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végétation active occupe intégralement les parties basses des vallées respectives des trois zones et que, de façon saisonnière, la végétation s’étend jusqu’au pied des versants adjacents.
Figure 14 Coupe transversale du couvert végétal (NDVI > 0,2) et topographie de la zone humide Quebrada Negra
Le couvert végétal moyen (en vert) et le couvert végétal maximum (en rouge) exprimés sous forme de coupe transversale ont tous deux la même longueur. C’est pourquoi seul le couvert moyen en vert apparaît sur la figure (Muñoz et Suárez, 2019.)
Figure 15 Coupe transversale du couvert végétal (NDVI > 0,2) et topographie de la zone humide Cajones (Muñoz et Suárez, 2019)
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Figure 16 Coupe transversale du couvert végétal (NDVI > 0,2) et topographie de la zone humide Orientales (Muñoz et Suárez, 2019)
Légende des figures 14, 15 et 16 :
Cross-section
=
Coupe transversale
Elevation
=
Altitude
Horizontal distance
=
Distance horizontale
Cover vegetation estimation using Sentinel-2
=
Estimation du couvert végétal à l’aide de Sentinel 2
Average section covered by vegetation (NDVI=0.2, Green line)
=
Coupe représentant le couvert végétal moyen (NDVI = 0,2, courbe verte)
Maximum section covered by vegetation (NDVI=0.2, Red line) between Jul/2018-Nov/2018
=
Coupe représentant le couvert végétal maximum (NDVI = 0,2, courbe rouge) entre juillet et novembre 2018
Nous en concluons que les activités de chenalisation dans les zones humides de la Bolivie, qui se concentrent exclusivement sur la topographie plane des fonds de vallée, n’ont pas eu d’incidence significative sur la superficie active des zones humides en fond de vallée.
Intéressons-nous à présent aux effets de la chenalisation sur l’évaporation des zones humides. S’il est à prévoir que les ouvrages de drainage aient un certain effet sur la végétation des zones humides vu que la superficie des zones de stockage de surface sera réduite, le fait que les nappes libres restent si proches de la surface indique que la végétation hygrophile dispose de réserves d’eau abondantes et peut transpirer librement.
Le principal indicateur y relatif provient des données NDVI extraites des images à haute résolution du satellite Sentinel 2, pour la période comprise entre juillet et novembre 2018, lesquelles sont résumées dans le tableau 2 ci-dessous (d’après Muñoz et Suárez, 2019). Rappelons que cette période correspond à l’hiver austral ainsi qu’au début du printemps. Il convient de noter que la superficie combinée des zones humides Cajones et Orientales est toujours largement supérieure à la superficie «actuelle» de 0,6 hectare citée dans le rapport Ramsar (CMB, vol. 5, p. 163).
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Superficie du couvert végétal (ha)
Juillet
Août
Septembre
Octobre
Novembre
Zone humide Cajones
0,81
1,12
1,31
2,2
2,41
Zone humide Orientales
2,23
2,7
2,86
6,09
7,5
Total combiné des zones humides Cajones et Orientales
Cj
3,04
3,82
4,17
8,29
9,91
Zone humide Quebrada Negra
2,13
2,31
2,58
4,12
3,43
Tableau 2 Superficie du couvert végétal dans les zones humides Quebrada Negra, Cajones et Orientales, de juillet à novembre 2018 (Muñoz et Suárez, 2019)
Une estimation au premier ordre des taux d’évaporation réelle annuels peut être calculée à partir des données NDVI estivales, suivant la méthode de Groeneveld (2007), comme expliqué dans Muñoz et Suárez (2019). Les résultats sont présentés dans le tableau 3 ci-dessous.
ETr, NDVI annuelle
(mm/an)
Moyenne
E.-T.
Zone humide Cajones
705
17
Zone humide Orientales
702
23
Zone humide Quebrada Negra
631
21
Tableau 3 ETr, NDVI annuelle médiane et écart-type (E.-T.) en mm/an estimés pour les zones humides Quebrada Negra, Cajones et Orientales (d’après Muñoz et Suárez, 2019)
Les taux d’évaporation annuels estimés pour les zones humides Cajones et Orientales sont très similaires et sont supérieurs de 10 % au taux d’évaporation de la zone humide Quebrada Negra. Si l’on considère les différentes zones humides, l’évaporation totale annuelle équivaut, rapportée au Silala, à un débit de 0,6 l/s pour la zone humide Cajones, de 2,3 l/s pour la zone humide Orientales et de 0,7 l/s pour Quebrada Negra.
Comme indiqué ci-dessus, les experts de la Bolivie et nous-mêmes émettons des avis globalement convergents concernant les effets du drainage sur l’évaporation dans les zones humides ainsi que leur amplitude, qui n’excédera pas 2 % de l’écoulement transfrontière actuel. L’eau évaporée est un élément mineur du bilan hydrique. Toutefois, comme l’indiquent les conclusions des récents travaux menés par Muñoz et Suárez (2019), les données satellite ne laissent apparaître aucun effet détectable de la chenalisation sur l’évaporation des zones humides Orientales et Cajones ; en pratique, les deux zones humides boliviennes semblent enregistrer un taux d’évaporation supérieur à celui de la zone humide Quebrada Negra «exempte de perturbations», même si l’écart relevé se situe dans la marge d’erreur attendue pour cette méthode.
Maintenant que nous avons établi que la chenalisation des zones humides en Bolivie ne semble pas avoir influé sur la superficie des zones humides ni avoir eu d’effet significatif sur les taux d’évaporation, revenons aux études de terrain décrites par Muñoz et Suárez (2019) afin d’apporter de nouveaux éclairages sur la fonction des zones humides. Un programme très détaillé d’observation des eaux souterraines (82 points de mesure, charge des eaux souterraines mesurée à deux profondeurs distinctes à chaque emplacement, voir la figure 17) a été mis en place.
- 82 -
Figure 17 Disposition des forages de contrôle dans la zone humide Quebrada Negra
Les sites où les niveaux des eaux souterraines sont relevés en continu sont indiqués en bleu (Muñoz et Suárez, 2019).
Légende :
Monthly monitored wells
=
Puits relevés mensuellement
Continously monitored wells
=
Puits relevés en continu
Silala River basin groudwater catchment
=
Bassin versant souterrain du bassin hydrographique du Silala
Area enlarged
=
Zone agrandie
Quebrada Negra wetland
=
Zone humide Quebrada Negra
Les résultats obtenus à ce jour montrent que les zones d’apports souterrains alimentant les zones humides sont assez hétérogènes. En fait, sur une grande partie du fond de vallée, les gradients hydrauliques dénotent des flux descendants (figure 18) — et, à l’évidence, dans de telles zones, un chenal de drainage n’aurait pas d’incidence sur les émergences d’eaux souterraines. On distingue des remontées d’eaux souterraines à la limite supérieure de la zone humide, le long du pied des pentes alentour, et, au coeur même de la zone humide, ces remontées ne se manifestent qu’en quelques points limités. C’est peut-être pour cette raison que les effets apparents des chenaux de drainage sur les zones humides boliviennes, en particulier sur leur superficie, leur fonction et leur taux d’évaporation, se sont révélés inférieurs à ce que pouvait anticiper la Bolivie.
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Figure 18 Courbes isohypses des niveaux d’eaux souterraines (en mètres au-dessus du niveau de la mer) relevés dans des piézomètres peu profonds ; ces mesures ont été effectuées en septembre 2018 dans les principaux herbages de la zone humide Quebrada Negra
Les cercles rouges représentent les points où un gradient positif a été observé (plongée des eaux), les cercles bleus indiquent les points à gradient négatif (remontée des eaux) et les cercles jaunes désignent les points à gradient nul. Les chenaux d’eaux de surface observés dans la zone humide sont représentés par les lignes bleu clair. Les sources apparentes d’eaux de surface sont indiquées par les lignes en pointillé jaunes, tandis que les clés C1 à C4 indiquent les types de couvert végétal définis par Muñoz et Suárez (2019).
Légende :
Shallow piezometers
=
Piézomètres peu profonds
Cover type
=
Type de couvert
Vertical gradient direction
=
Direction du gradient vertical
Upwelling
=
Remontée d’eaux souterraines
Zero gradient
=
Gradient nul
Downwelling
=
Plongée des eaux souterraines
Surface water channels
=
Chenaux d’eaux de surface
Quebrada Negra wetland
=
Zone humide Quebrada Negra
Silala river basin groundwater catchment
=
Bassin versant souterrain du bassin hydrographique du Silala
Area enlarged
=
Zone agrandie
6. CONCLUSIONS
i) Au plan scientifique, quels sont les grands points de convergence entre les experts de la Bolivie et ceux du Chili concernant l’hydrologie du Silala ?
Les experts de la Bolivie et nous-mêmes émettons des avis convergents sur les points suivants :
1. Le Silala s’écoule naturellement de la Bolivie au Chili. Il émerge de deux ensembles de sources en Bolivie, qui alimentent les zones humides Cajones et Orientales.
- 84 -
2. La rivière est essentiellement alimentée par des apports souterrains et interagit avec les eaux souterraines présentes le long de son parcours jusqu’à la frontière et au-delà.
3. En outre, d’importants écoulements souterrains, dont l’ampleur est probablement équivalente à celle des écoulements de surface, transitent de la Bolivie au Chili.
4. La construction des canaux de drainage et la chenalisation de la rivière dans les années 1920 ont sans doute eu un effet léger sur l’écoulement. On peut s’attendre à ce qu’elles en aient augmenté le débit.
5. L’incidence du drainage sur l’évaporation des zones humides est faible.
ii) Au plan scientifique, quels sont les grands points de divergence entre les experts de la Bolivie et ceux du Chili concernant l’hydrologie du Silala ?
Les experts de la Bolivie et nous-mêmes émettons des avis divergents concernant l’ampleur des effets des ouvrages de drainage. Nous sommes d’avis que les estimations de la Bolivie  variation de 30 à 40 % des écoulements  ne sont pas plausibles. Ces estimations ont été produites à l’aide d’un modèle en champ proche des interactions entre les eaux de surface et les eaux souterraines. Nous avons montré que le modèle se fonde sur une représentation incorrecte de la géologie ; qu’à l’aide de simples calculs, on peut démontrer que les hypothèses erronées retenues pour les conditions aux limites du modèle conduisent à une surestimation des incidences par un facteur de 20 environ ; et que la modification des données d’entrée du modèle n’est pas réaliste.
iii) Quels éléments nouveaux ont été produits depuis le dépôt du mémoire du Chili en juillet 2017 concernant l’effet de la chenalisation de l’écoulement en territoire bolivien sur le parcours du Silala de la Bolivie au Chili ?
De nouvelles études reposant sur l’observation détaillée d’une zone humide chilienne exempte de perturbations dans le bassin hydrographique du Silala, couplées à des données de télédétection à haute résolution, montrent que les zones humides boliviennes et chiliennes occupent encore à ce jour la totalité du fond de vallée et qu’elles s’étendent, de façon saisonnière, jusqu’au pied des collines adjacentes. D’après les données de télédétection, l’état de la végétation hygrophile est similaire dans les trois zones humides et les estimations connexes de l’évaporation réelle semblent indiquer que les taux d’évaporation les plus élevés sont observés dans les zones humides Cajones et Orientales, où ils sont supérieurs de 10 % environ à ceux relevés dans la zone non perturbée de Quebrada Negra. Il apparaît, du moins selon les données satellite, qu’aucune modification importante de l’évaporation ne s’est produite en lien avec la chenalisation des zones humides boliviennes et que la variation de l’évaporation n’a donc eu aucun effet sur les écoulements de la rivière.
En résumé, nous restons convaincus que les effets des ouvrages de drainage sur l’évaporation sont assez limités, comme indiqué dans le mémoire du Chili, et qu’ils équivalent tout au plus à un écoulement moyen de 2 à 3 l/s, soit environ 2 % de l’écoulement naturel, mais à la lumière de nos récents résultats, nous pensons même que l’effet est probablement moindre. De la même façon, les autres effets seront faibles. Les estimations de la Bolivie, pour qui les variations de l’écoulement de la rivière sont de l’ordre de 30 à 40 %, s’expliquent par des erreurs dans les travaux de modélisation du DHI et ne sont pas plausibles. Nous réaffirmons également que le Silala est incontestablement un cours d’eau international et nous notons avec satisfaction que les experts de la Bolivie sont d’accord sur ce point.
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7. RÉFÉRENCES
Alcayaga, H., 2017. Characterization of the Drainage Patterns and River Network of the Silala River and Preliminary Assessment of Vegetation Dynamic using Remote Sensing (mémoire du Chili, vol. 4, annexe l).
Castel, A. P. Analyse multi-temporelle à partir d’images satellite des bofedales (zones humides des hauts plateaux andins) des sources du Silala, Potosí  Bolivie, DIREMAR, La Paz (réplique du Chili, vol. 2, annexe 98).
Darcy, H., 1856. Les Fontaines publiques de la ville de Dijon. Dalmont.
Dupuit, J., 1863. Etudes théoriques et pratiques sur le mouvement des eaux dans les canaux découverts et à travers les terrains perméables, 2e éd., Dunod.
Forchheimer, P., 1886. Über die Ergiebigkeit von Brunnen-Anlagen und Sickerschlitzen. Zeitschr. Archit. Ing. Ver. Hannover, 32, 539-563.
Danish Hydraulic Institute (DHI), 2018a. Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala (contre-mémoire de la Bolivie, vol. 2, annexe 17).
Danish Hydraulic Institute (DHI), 2018b. Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala (contre-mémoire de la Bolivie, vol. 5, annexe 17-I).
Muñoz, J. F. et Suárez, F., 2019. Quebrada Negra Wetland Study (réplique du Chili, vol. 3, annexe XIII).
Peach, D. W. et Wheater, H. S., 2017. L’évolution du Silala, de son bassin versant et de sa gorge (mémoire du Chili, vol. 1).
Peach, D. W. et Wheater, H. S., 2019. La géologie, l’hydrogéologie et l’hydrochimie du bassin hydrographique du Silala (réplique du Chili, vol. 1).
Rushton, K. R. et Redshaw, S. C., 1979. Seepage and Groundwater Flow. Wiley.
Verruijt, A., 1970. Theory of Groundwater Flow. Macmillan.
Wheater, H. S. et Peach, D. W., 2017. Le Silala dans sa forme actuelle — fonctionnement du système fluvial (mémoire du Chili, vol. 1).
- 86 -
APPENDICE 1
CALCUL SIMPLIFIÉ DES ÉCOULEMENTS SOUTERRAINS SUR UN VERSANT
Un calcul analytique simplifié de l’écoulement des eaux souterraines sur un versant idéalisé est utilisé pour démontrer que le choix par le DHI d’une condition limite à charge imposée pour la modélisation en champ proche des zones humides boliviennes provoque une amplification des incidences sur les écoulements souterrains qui transitent vers la zone humide, sous l’effet des modifications des niveaux piézométriques dans la zone humide d’une part et de la présence d’une couche de tourbe à conductivité hydraulique réduite d’autre part.
1. Réponse des eaux souterraines à la modification du niveau des nappes libres dans la zone humide
Pour les besoins de la démonstration, nous adoptons le champ de charge des eaux souterraines proposé par le DHI (CMB, vol. 3, p. 488, figure 11) (voir la figure A1 ci-dessous).
Figure A1 Simulation du potentiel (charge) des eaux souterraines dans l’aquifère ignimbritique, adapté de l’annexe E du rapport du DHI (CMB, vol. 3, figure 11, p. 488)
Légende :
Hydrological catchment (Bolivia)
=
Bassin versant hydrologique (Bolivie)
Inacaliri Police Station
=
Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake
=
Prise d’eau de la CODELCO
FCAB Intake
=
Prise d’eau de la FCAB
Military Post
=
Poste militaire
Silala Near Field
=
Champ proche du Silala
Area enlarged
=
Zone agrandie
Prenons un versant idéalisé, lequel représente l’écoulement souterrain dans un aquifère qui se vidange dans une zone humide, et considérons deux chemins d’écoulement de longueur différente, désignés par les coupes AB et AC à la figure A1. Comparons une charge imposée à la limite C du champ lointain à une charge imposée à la limite B du champ proche, selon l’hypothèse émise par le DHI, pour démontrer l’effet des conditions limites postulées sur le calcul. Le niveau des nappes dans la zone humide est choisi comme condition limite en aval.
- 87 -
Considérons un calcul standard (voir Verruijt, 1970, p. 53), tel que représenté à la figure A2 ci-dessous, d’un écoulement souterrain permanent unidimensionnel, pour une coupe d’épaisseur unitaire, l’hypothèse étant que l’écoulement est à peu près horizontal (conformément à la célèbre approximation de Dupuit-Forchheimer (Dupuit, 1863 ; Forchheimer, 1886)), ce qui signifie que l’on peut considérer que la charge des eaux souterraines est égale à la hauteur de la nappe libre.
Figure A2 Représentation schématique de l’écoulement souterrain descendant de la limite à charge imposée en amont à celle du niveau de la nappe en zone humide
Légende :
Recharge N
=
Recharge N
Ground surface
=
Surface du sol
Water table
=
Surface libre de la nappe
Elevation
=
Altitude
Hydraulic conductivity
=
Conductivité hydraulique
Unconfined aquifer
=
Aquifère à nappe libre
Impermeable layer
=
Couche imperméable
Channel
=
Chenal
Spring emergence
Flow qL
=
Emergence de sources
Ecoulement qL
Horizontal distance
=
Distance horizontale
La loi de Darcy s’applique à la vitesse de l’écoulement souterrain à travers une tranche d’aquifère en fonction du gradient de charge ou différence de potentiel des eaux souterraines.
Ainsi, d’après la loi de Darcy,
où vx est la vitesse d’écoulement des eaux souterraines (m/jour), h est la «charge» ou niveau de la nappe (m), K est la conductivité hydraulique (m/jour) et x la longueur horizontale (m).
Si nous introduisons un taux de recharge (précipitations moins évaporation) N (m/jour), alors, selon le principe de conservation de la masse,
- 88 -
Et on peut montrer simplement que
Pour un versant de longueur L, confiné par des limites à charge constante h0 et hL, si qL représente l’écoulement par unité de largeur (m3/jour/m), appelé débit spécifique,
Pour le calcul en champ proche, sur la base de la simulation du DHI représentée à la figure A1 ci-dessus et du chemin d’écoulement allant de B à A, la différence de charge s’entend de la différence entre deux niveaux, 4370 et 4385 mètres au-dessus du niveau de la mer, soit 15 m, pour un chemin de 360 m de longueur. Nous utilisons le taux de recharge du DHI, à savoir 24 mm/an (CMB, vol. 3, p. 478), la conductivité hydraulique K = 4,3 m/jour (CMB, vol. 5, p. 21, tableau 3) et un aquifère de 400 m de profondeur sous la zone humide, comme proposé par le DHI (CMB, vol. 5, p. 17), et nous postulons que la nappe en zone humide remonte de 0,5 m en l’absence de chenaux (figure A3).
Figure A3 Représentation schématique du calcul du débit le long du chemin d’écoulement en champ proche
Légende :
Recharge = 24 mm/year
=
Recharge = 24 mm/an
Ground surface
=
Surface du sol
Water table
=
Surface libre de la nappe
Unconfined aquifer
=
Aquifère à nappe libre
Impermeable layer
=
Couche imperméable
Channel
=
Chenal
Flow with channels
=
Ecoulement avec chenaux
Flow w/o channels
=
Ecoulement sans chenaux
3.3% decrease
=
Baisse de 3,3 %
De même, pour le champ lointain, la différence de charge s’entend — là encore sur la base de DHI (2018) et en utilisant le chemin d’écoulement allant de C à A — de la différence entre deux niveaux, 4520 et 4370 mètres au-dessus du niveau de la mer, soit 150 m, pour un chemin de 10 500 m de longueur (figure A4).
- 89 -
Figure A4 Représentation schématique du calcul du débit le long du chemin d’écoulement des eaux souterraines en champ lointain
Légende :
Recharge = 24 mm/year
=
Recharge = 24 mm/an
Ground surface
=
Surface du sol
Water table
=
Surface libre de la nappe
Unconfined aquifer
=
Aquifère à nappe libre
Impermeable layer
=
Couche imperméable
Channel
=
Chenal
Flow with channels
=
Ecoulement avec chenaux
Flow w/o channels
=
Ecoulement sans chenaux
0.28% decrease
=
Baisse de 0,28 %
Les résultats synthétisés dans le tableau A1 ci-dessous montrent que l’hypothèse incorrecte retenue pour la limite du champ proche, à savoir une charge imposée, amplifie par un facteur de 12 l’effet d’une montée de nappe.
Eaux souterraines débitées en m3/m/jour
CHAMP PROCHE
Avec chenal
73,0
Sans chenal
Montée de la nappe de 0,5 m
70,6
% de diminution de l’écoulement
3,3 %
CHAMP LOINTAIN
Avec chenal
29,5
Sans chenal
Montée de la nappe de 0,5 m
29,4
% de diminution de l’écoulement
0,28 %
RAPPORT ENTRE LES VARIATIONS EN %
11,8
Tableau A1 Synthèse des résultats  suppression des chenaux/montée de la nappe libre
- 90 -
2. Réponse des eaux souterraines en présence d’une couche de tourbe à conductivité hydraulique réduite
Le DHI part de l’hypothèse que sur une période de temps prolongée, en l’absence de perturbations, une tourbière de profondeur croissante se développera dans les zones humides en Bolivie (CMB, vol. 5, p. 70). Comme la tourbe a normalement une conductivité hydraulique relativement faible, le DHI soutient que la tourbière réduira l’émission d’eaux souterraines dans la zone humide. Ici, nous démontrons que si un tel effet venait à se produire, son ampleur estimative serait grossièrement amplifiée par l’hypothèse d’une condition limite à charge imposée dans le modèle en champ proche du DHI. Nous adoptons la même approche que pour l’exemple 1 ci-dessus : nous utilisons une représentation simplifiée de l’écoulement souterrain, qui peut être résolue de manière analytique, pour indiquer la nature et la portée potentielle de cette hypothèse erronée.
Pour les besoins de cette analyse, nous postulons que l’écoulement souterrain emprunte un chemin descendant dans un aquifère jusqu’à la zone humide et émerge au travers d’une couche de tourbe sur laquelle repose la zone humide, comme représenté de manière schématique à la figure A5 ci-dessous. Comme le fait observer le DHI (CMB, vol. 2, p. 279), la profondeur de la tourbière oscille généralement entre 0,2 et 1,0 m dans les zones humides et les chenaux de drainage sont réputés traverser la plupart des sols des zones humides. Par conséquent, nous partons de deux cas de figure : un cas où la tourbière est inexistante et un autre où une tourbière d’un mètre de profondeur est présente  condition hypothétique en dehors de toute perturbation.
Figure A5 Représentation schématique des chemins d’écoulement sur le versant et en fond de vallée, indiquant les domaines de champ proche et de champ lointain
Légende :
Bolivian Wetlands
=
Zones humides boliviennes
Ground surface
=
Surface du sol
Water table
=
Surface libre de la nappe
Near Field
=
Champ proche
Far Field
=
Champ lointain
Ignimbrite Aquifer
=
Aquifère ignimbritique
Peat Layer
=
Couche de tourbe
Channel
=
Chenal
Near Field (not in scale)
=
Champ proche (la représentation n’est pas à échelle)
Nous représentons l’effet d’une couche à perméabilité réduite sur le chemin d’écoulement des eaux souterraines en introduisant une tranche à perméabilité réduite au pied du versant, comme indiqué à la figure A6, où d2 = 1 m.
- 91 -
Figure A6 Représentation schématique du calcul du débit le long du chemin d’écoulement des eaux souterraines
Légende :
Recharge N
=
Recharge N
Ground surface
=
Surface du sol
Water table
=
Surface libre de la nappe
Elevation
=
Altitude
Hydraulic conductivity
=
Conductivité hydraulique
Unconfined aquifer
=
Aquifère à nappe libre
Impermeable layer
=
Couche imperméable
Channel
=
Chenal
Spring emergence
Flow qL
=
Emergence de sources
Ecoulement qL
Horizontal distance
=
Distance horizontale
Pour un écoulement souterrain uniforme en régime permanent, avec une recharge N, la relation applicable au débit spécifique souterrain qA dans le domaine A (zone de gauche) s’écrit :
En outre, le débit spécifique des eaux souterraines qB dans le domaine B (zone de droite) s’écrit :
En vertu du principe de conservation de la masse, qA (d1) = qB (d1). Sur cette base, la valeur de ℎ1, charge hydraulique lorsque x1 = d1, se calcule comme suit :
- 92 -
Si
Ainsi, le débit spécifique q lorsque x1 = d1 + d2 se calcule comme suit :
Les dimensions et les principaux paramètres retenus ici sont ceux utilisés aux figures A3 et A4 ci-dessus. Dans notre exemple, nous réduisons la perméabilité de deux ordres de grandeur pour une couche de tourbe de 1 m d’épaisseur, pour obtenir 0,043 m/jour, valeur représentative des estimations du DHI pour un sol de tourbe. La simulation en champ proche indique une baisse de 22 % de l’écoulement induite par la présence d’un mètre de couche de tourbe et une baisse totale de 24 % si la nappe remonte de 0,5 m. La simulation en champ lointain nous donne une baisse de 1 % sous l’effet de la couche de tourbe et une baisse de 1,2 % si l’on ajoute une remontée de nappe de 0,5 m.
Figure A7 Représentation schématique du calcul du débit le long du chemin d’écoulement des eaux souterraines en champ proche
Légende :
Recharge = 24 mm/year
=
Recharge = 24 mm/an
Ground surface
=
Surface du sol
Water table
=
Surface libre de la nappe
Ignimbrite Aquifer
=
Aquifère ignimbritique
Peat layer
=
Couche de tourbe
Unconfined aquifer
=
Aquifère à nappe libre
Impermeable layer
=
Couche imperméable
Channel
=
Chenal
Flow w/o peat layer (d2=0) and no water table rise
=
Ecoulement sans couche de tourbe (d2=0) et sans montée de nappe
Flow with peat layer (d2=1 m) and no water table rise
=
Ecoulement avec couche de tourbe (d2=1 m) et sans montée de nappe
Flow with peat layer (d2=1 m) and 0.5 water table rise
=
Ecoulement avec couche de tourbe (d2=1 m) et avec une montée de nappe de 0,5 m
24% decrease
=
Baisse de 24 %
- 93 -
Figure A8 Représentation schématique du calcul du débit le long du chemin d’écoulement des eaux souterraines en champ lointain
Légende :
Recharge = 24 mm/year
=
Recharge = 24 mm/an
Ground surface
=
Surface du sol
Water table
=
Surface libre de la nappe
Ignimbrite Aquifer
=
Aquifère ignimbritique
Peat layer
=
Couche de tourbe
Unconfined aquifer
=
Aquifère à nappe libre
Impermeable layer
=
Couche imperméable
Channel
=
Chenal
Flow w/o peat layer (d2=0) and no water table rise
=
Ecoulement sans couche de tourbe (d2=0) et sans montée de nappe
Flow with peat layer (d2=1 m) and no water table rise
=
Ecoulement avec couche de tourbe (d2=1 m) et sans montée de nappe
Flow with peat layer (d2=1 m) and 0.5 water table rise
=
Ecoulement avec couche de tourbe (d2=1 m) et avec une montée de nappe de 0,5 m
1,2% decrease
=
Baisse de 1,2 %
Eaux souterraines débitées en m3/m/jour
CHAMP PROCHE
Avec chenal
73,0
Avec couche de tourbe de 1 m
57,3
% de diminution de l’écoulement
21,6 %
CHAMP LOINTAIN
Avec chenal
29,5
Avec couche de tourbe de 1 m
29,2
% de diminution de l’écoulement
0,9 %
RAPPORT ENTRE LES VARIATIONS EN %
23
Tableau A2 Synthèse des résultats  incidence d’une couche de tourbe d’un mètre d’épaisseur
- 94 -
Eaux souterraines débitées en m3/m/jour
CHAMP PROCHE
Avec chenal
73,0
Sans chenal
Montée de la nappe de 0,5 m et couche de tourbe de 1 m
55,4
% de diminution de l’écoulement
24,1 %
CHAMP LOINTAIN
Avec chenal
29,5
Sans chenal
Montée de la nappe de 0,5 m et couche de tourbe de 1 m
29,2
% de diminution de l’écoulement
1,2%
RAPPORT ENTRE LES VARIATIONS EN %
20
Tableau A3 Synthèse des résultats  incidences de la couche de tourbe et de la suppression des chenaux/montée de la nappe libre
3. Conclusions
Quoique simplifiés, ces calculs démontrent de manière convaincante que le choix inapproprié d’un niveau de nappe imposé à la limite du champ proche amplifie par un facteur de 20 les effets d’une montée de nappe et d’une augmentation de la résistance hydraulique.
RÉFÉRENCES
Dupuit, J., 1863. Etudes théoriques et pratiques sur le mouvement des eaux dans les canaux découverts et à travers les terrains perméables, 2e éd., Dunod.
Forchheimer, P., 1886. Über die Ergiebigkeit von Brunnen-Anlagen und Sickerschlitzen. Zeitschr. Archit. Ing. Ver. Hannover, 32, 539-563.
Verruijt, A., 1970. Theory of Groundwater Flow. Macmillan.
___________
- 95 -
RAPPORT D’EXPERTS
Peach, D. W. et Wheater, H. S., La géologie, l’hydrogéologie et l’hydrochimie du bassin hydrographique du Silala
- 96 -
LA GÉOLOGIE, L’HYDROGÉOLOGIE ET L’HYDROCHIMIE DU BASSIN HYDROGRAPHIQUE DU SILALA
Denis Peach et Howard Wheater
Janvier 2019
A PROPOS DES AUTEURS
Denis Peach
Denis Peach a dirigé pendant neuf ans le programme du British Geological Survey (institut britannique d’études géologiques (BGS)) portant sur les eaux souterraines puis a travaillé six ans comme scientifique en chef pour cet institut. Cet hydrogéologue aux nombreux centres d’intérêt scientifiques est fort de 46 années d’expérience professionnelle qu’il a notamment consacrées à travailler pour une administration des eaux au Royaume-Uni, à effectuer des missions à l’étranger pour étudier les milieux hydrogéologiques tropicaux et l’hydrogéologie des petites îles et à collaborer avec des consultants internationaux dans le domaine de l’hydrogéologie des zones arides. Il s’intéresse particulièrement à la modélisation des eaux souterraines, sur laquelle il a travaillé au sein du BGS, ainsi qu’à l’hydrogéologie des zones arides et à l’hydrogéologie karstique. Il a été vice-président de la société géologique de Londres (GSL) et professeur invité à l’Imperial College London et à l’Université de Birmingham ; il a également eu l’honneur de présenter la prestigieuse conférence Ineson à la GSL. Il a dirigé des programmes de recherche géologique et hydrogéologique au Royaume-Uni et a siégé au sein de plusieurs comités de programmes de recherche nationaux et de comités stratégiques nationaux sur les ressources en eau. Il mène actuellement des travaux de recherche avec le BGS et l’Imperial College London et a récemment conseillé l’Université de la Saskatchewan ainsi que des consultants en ingénierie britanniques.
Howard Wheater
Howard Wheater est titulaire d’une chaire d’excellence en recherche du Canada sur la sécurité de l’eau à l’Université de la Saskatchewan, où il a fondé et dirigé le Global Institute for Water Security. Il est également chargé de recherche de classe exceptionnelle et professeur émérite d’hydrologie à l’Imperial College London. Eminent spécialiste des sciences et de la modélisation hydrologiques, il a publié plus de 200 articles revus par un comité de lecture et 6 livres. Il est membre de la Royal Society of Canada, de la Royal Academy of Engineering du Royaume-Uni et de l’American Geophysical Union. Il a reçu la médaille Dooge du prix international d’hydrologie 2018 décerné par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’organisation météorologique mondiale et l’association internationale des sciences hydrologiques et a remporté en 2006 le prix international du prince Sultan bin Abdulaziz pour l’eau. Il a lancé et dirigé des programmes de recherche nationaux et internationaux au Royaume-Uni et au Canada, et a conseillé des Etats, provinces et gouvernements nationaux sur des questions liées aux crues, aux ressources hydriques et à la qualité de l’eau. Il a été mandaté par la Hongrie et l’Argentine pour les représenter devant la Cour internationale de Justice et a récemment siégé au tribunal international d’arbitrage établi conformément au traité sur les eaux de l’Indus. Il était jusqu’en 2014 vice-président du projet intitulé «Expérience mondiale sur les cycles de l’énergie et de l’eau» (GEWEX) du programme mondial de recherche sur le climat et il dirige le réseau d’information de l’UNESCO sur l’eau et le développement dans les zones arides (GWADI). Au Canada, il a été à la tête du réseau Changing Cold Regions Network, axé sur l’analyse et la prédiction des changements hydrologiques dans l’ouest du Canada, et du Global Water Futures Program, consacré à la gestion de l’avenir de l’eau au Canada et dans d’autres régions froides, où le réchauffement planétaire modifie les paysages, les écosystèmes et le milieu aquatique. En sa qualité de président du groupe d’experts sur la gestion durable de l’eau dans les paysages agricoles du Canada, rattaché au conseil des académies canadiennes, il a supervisé la publication d’un rapport, paru en février 2013, intitulé «Water and
- 97 -
Agriculture in Canada: Towards Sustainable Management of Water Resources». En 2018, il était le seul membre non américain du groupe d’experts des académies nationales des Etats-Unis chargé d’établir un rapport sur l’avenir de l’eau et ses priorités dans le pays.
- 98 -
TABLE DES MATIÈRES
Page
1. INTRODUCTION..................................................................................................................... 101
1.1. Cahier des charges de l’expertise ...................................................................................... 101
1.2. Informations générales ...................................................................................................... 101
1.3. Structure du rapport ........................................................................................................... 102
1.4. Le bassin hydrographique du Silala  emplacement et superficie ................................... 102
2. RÉSUMÉ DES CONSTATATIONS ............................................................................................. 104
3. GÉOLOGIE DU SILALA, DE SA GORGE ET DE SON BASSIN VERSANT SOUTERRAIN ................ 105
3.1. Le contexte géologique du Silala ...................................................................................... 105
3.2. Stratigraphie ...................................................................................................................... 109
3.2.1. Stratigraphie du bassin hydrographique du Silala réalisée par le Chili ................... 109
3.2.2. Stratigraphie réalisée par la Bolivie ........................................................................ 113
3.2.3. Discussion ............................................................................................................... 116
3.3. Visualisation tridimensionnelle de la géologie du bassin versant souterrain plus large du Silala ........................................................................................... 120
3.4. Conclusions ....................................................................................................................... 124
4. HYDROGÉOCHIMIE DES EAUX DE SURFACE ET DES EAUX SOUTERRAINES DU BASSIN HYDROGRAPHIQUE DU SILALA ........................................................................... 125
4.1. Introduction ....................................................................................................................... 126
4.2. Examen des résultats de l’analyse chimique ..................................................................... 127
4.3. Analyses des isotopes ........................................................................................................ 128
4.3.1. Interprétation des données relatives à l’oxygène 18 et au deutérium (δ18O et δ2H) .................................................................................. 128
4.3.2. Données relatives au carbone 14 et au carbone 13 .................................................. 131
4.4. Conclusions relatives aux origines des eaux de source dans le bassin versant souterrain du Silala ........................................................................ 133
5. RÉSUMÉ DE L’HYDROGÉOLOGIE DU BASSIN VERSANT SOUTERRAIN DU SILALA  POINTS DE CONVERGENCE ET DE DIVERGENCE ENTRE LE CHILI ET LA BOLIVIE ............................................................................................ 134
6. DISCUSSION SUR L’AUGMENTATION DES ÉCOULEMENTS DES SOURCES DANS LES ZONES HUMIDES CAJONES ET ORIENTALES PAR LE RECOURS À DES EXPLOSIFS ...................................................................................... 136
7. CONCLUSIONS ...................................................................................................................... 137
8. RÉFÉRENCES ........................................................................................................................ 138
- 99 -
Liste des figures
Figure
Titre
Page
Figure 1-1
Le Silala, la surface du bassin versant topographique et quelques-unes des principales entités physiographiques situées à l’intérieur et autour du bassin versant ...............................................................................................
103
Figure 3-1
Synthèse de la géologie de la région où se situe le bassin hydrographique du Silala (SERNAGEOMIN (Chili), 2019) .................................................
107
Figure 3-2
Carte illustrant la restitution et l’interprétation de la géologie du bassin versant souterrain du Silala (SERNAGEOMIN (Chili), 2019) ...................
108
Figure 3-3
Colonne stratigraphique intégrée et actualisée du bassin hydrographique du Silala, tel que cartographié au Chili (SERNAGEOMIN (Chili), 2019) .
110
Figure 3-4
Colonne stratigraphique extraite de SERGEOMIN Carte 1 (SERGEOMIN (Bolivie), 2017) ...........................................................................................
114
Figure 3-5
Disposition de l’ignimbrite Silala (1,61 Ma) reposant sur les laves dacitiques du Pliocène (2,6 Ma) (SERNAGEOMIN (Chili), 2019) ............
118
Figure 3-6
Profil schématique de la chaîne volcanique Inacaliri-Apagado à la frontière entre le Chili et la Bolivie (SERNAGEOMIN (Chili), 2019)......................
118
Figure 3-7
Coupe conceptuelle du DHI extraite de DHI (2018) (CMB, vol. 4, p. 88) ............................................................................................................
119
Figure 3-8
Coupe géologique A-B, qui traverse du sud-ouest au nord-est le bassin versant souterrain plus large du Silala et illustre la distribution des unités lithologiques et leurs positions stratigraphiques, et coupe C-D traversant du nord-ouest au sud-est les zones humides Cajones et Orientales (SERNAGEOMIN (Chili), 2019) ................................................................
121
Figure 3-9
Carte du DHI modifiée (2018) (CMB, vol. 4, p. 76, figure 29) où apparaît en rouge (HGU7) le système de failles postulé par le DHI (SERNAGEOMIN (Chili), 2019) ................................................................
122
Figure 3-10
Joint à peu près horizontal observé dans l’ignimbrite Silala, qui traverse la gorge du Silala, sans déplacement. Photo prise vers l’amont à la jonction avec Quebrada Negra (SERNAGEOMIN (Chili), 2019) ............................
123
Figure 3-11
Profil structural schématisé dans le secteur sud-ouest du Silala (SERNAGEOMIN (Chili), 2019) ................................................................
124
Figure 4-1
Diagrammes de Stiff modifiés des eaux de la zone du Silala au Chili et en Bolivie (Herrera et Aravena, 2019b) ...........................................................
127
Figure 4-2
Représentation schématique de la composition isotopique δ18O et δ2H de la rivière, de l’eau de source et de l’eau des puits pendant la saison des pluies (Herrera et Aravena, 2019a) ..............................................................
129
Figure 4-3
Représentation schématique de la composition isotopique δ18O et δ2H de la rivière, de l’eau de source et de l’eau des puits pendant la saison sèche (Herrera et Aravena, 2019a) ........................................................................
130
Figure 4-4
Distribution des points d’échantillonnage du 14C dans le bassin hydrographique du Silala au Chili (pendant la saison sèche) et en Bolivie, et leurs valeurs exprimées en pourcentage de carbone moderne (pMC) (Herrera et Aravena, 2019a). .......................................................................
132
- 100 -
LISTE DES TABLEAUX
Tableau
Titre
Page
Tableau 1
Liste des âges radiométriques disponibles pour la zone du Silala ................
112
Tableau 2
Colonne stratigraphique des unités rocheuses volcaniques décrites dans SERGEOMIN (Bolivie) et représentées à la figure 3-4 (SERGEOMIN (Bolivie), 2017, carte 1). Les âges radiométriques sont extraits du tableau 1 ...................................................................................................
116
LISTE DES ACRONYMES ET ABRÉVIATIONS
μS/cm
microsiemens par centimètre
13C
carbone 13
14C
carbone 14
18O
oxygène 18
2H
deutérium
cm
centimètre
CMB
contre-mémoire de la Bolivie
DHI
Danish Hydraulic Institute
DML
droite météorique locale
DMM
droite des eaux météoriques mondiale
l/s
litre par seconde
Ma
million d’années avant le présent
MC
mémoire du Chili
pMC
pourcentage de carbone moderne
SERGEOMIN (Bolivie)
Servicio Nacional de Geología y Minería de Bolivia (Service national bolivien de géologie et des mines)
SERNAGEOMIN (Chili)
Servicio Nacional de Geología y Minería de Chile (Service national chilien de géologie et des mines)
δ18O
rapport entre l’oxygène 18 (18O) et l’oxygène 16 (16O)
δ2H
système deutérium-hydrogène
- 101 -
1. INTRODUCTION
1.1. Cahier des charges de l’expertise
Dans le contexte du différend concernant le statut et l’utilisation des eaux du Silala qui oppose la République du Chili à l’Etat plurinational de Bolivie et a été porté devant la Cour internationale de Justice, la République du Chili a sollicité notre opinion d’experts indépendants sur les questions suivantes :
«Questions posées à M. Howard Wheater, ingénieur hydrologue :
i) Au plan scientifique, quels sont les grands points de convergence entre les experts de la Bolivie et ceux du Chili concernant l’hydrologie du Silala ?
ii) Au plan scientifique, quels sont les grands points de divergence entre les experts de la Bolivie et ceux du Chili concernant l’hydrologie du Silala ?
iii) Quels éléments nouveaux ont été produits depuis le dépôt du mémoire du Chili en juillet 2017 concernant l’effet de la chenalisation de l’écoulement en territoire bolivien sur le parcours du Silala de la Bolivie au Chili ?
Questions posées à M. Denis Peach, hydrogéologue :
i) Quels éléments nouveaux ont été produits depuis le dépôt du mémoire du Chili en juillet 2017 concernant la compréhension de la géologie et de l’hydrogéologie du Silala ?
ii) La représentation conceptuelle de l’hydrogéologie et la paramétrisation des modèles numériques proposées par les experts de la Bolivie (le DHI) offrent-elles une base suffisante pour quantifier les effets de la chenalisation sur les écoulements de surface et souterrains qui circulent de la Bolivie au Chili ?
iii) Dans les sources Cajones et Orientales, l’écoulement des sources à apports souterrains aurait-il pu être considérablement amplifié par le recours à des explosifs ?»
Dans le présent rapport conjoint, nous examinons les trois questions posées à M. Peach. Celles posées à M. Wheater sont examinées dans Wheater et Peach (2019). Si le présent rapport reflète l’opinion conjointe des experts, M. Peach en est l’auteur principal.
1.2. Informations générales
En 2016, le Chili nous a demandé de rédiger deux rapports d’experts sur le Silala, lesquels ont été soumis à la Cour internationale de Justice en juillet 2017 en accompagnement de son mémoire (Wheater et Peach, 2017 ; Peach et Wheater, 2017). Au moment de l’expertise, la question au coeur du différend opposant le Chili à la Bolivie était de savoir si le Silala était ou non un cours d’eau international.
Après le dépôt du contre-mémoire de la Bolivie (ci-après le «CMB») le 3 septembre 2018, nous avons été priés de rédiger des rapports d’experts afin de commenter les arguments scientifiques avancés à l’appui des demandes reconventionnelles de la Bolivie.
- 102 -
Nous croyons aujourd’hui comprendre que les Parties s’accordent sur un point central, à savoir que le Silala s’écoule naturellement de la Bolivie au Chili. Comme examiné dans Wheater et Peach (2019), les experts de la Bolivie et ceux du Chili émettent des avis globalement convergents en ce qui concerne la nature et le fonctionnement du système hydrologique naturel.
La question au coeur du différend résiduel qui oppose le Chili à la Bolivie consiste à déterminer l’effet quantitatif de la chenalisation du Silala, en territoire bolivien, sur l’écoulement transfrontière. L’organisme d’experts mandaté par la Bolivie, l’institut danois d’hydraulique (DHI, selon son sigle anglais), estime que les écoulements naturels, en l’absence de drainage et de chenalisation, seraient de 30 à 40 % inférieurs à ce qui est observé aujourd’hui (CMB, vol. 2, p. 266). Nous sommes en désaccord avec les estimations du DHI relatives aux effets de la chenalisation. Selon nous, les estimations très larges réalisées par le DHI sont invraisemblables.
Le DHI fonde intégralement ses estimations sur les résultats de son modèle intégré d’écoulement des eaux souterraines et de surface, censé représenter le système hydrologique naturel qui alimente le cours supérieur du Silala en eaux de source. Dans le présent rapport, nous examinons les fondements théoriques de la construction du modèle numérique du DHI. Nous nous appuyons sur de nouvelles recherches géologiques et hydrochimiques menées en 2018, après le dépôt du mémoire du Chili (ci-après le «MC»), pour améliorer notre connaissance et compréhension de la géologie et du fonctionnement hydrogéologique du Silala et des écoulements souterrains associés. Nous montrons que la modélisation du DHI repose sur une interprétation biaisée de la géologie et du fonctionnement hydrogéologique et hydrogéochimique du bassin hydrographique et qu’elle ne peut donc être considérée comme une base valide pour modéliser en détail les effets de la chenalisation sur les écoulements des eaux de surface ou des eaux souterraines.
1.3. Structure du rapport
La section 1 donne des informations sur le contexte du rapport, décrit l’économie de celui-ci et précise l’emplacement du Silala, de sa gorge et de son bassin versant. La section 2 expose la réponse à la question posée et résume brièvement les principales constatations dressées dans le rapport. La section 3 décrit la géologie du bassin hydrographique du Silala, sa gorge et son bassin versant souterrain, et met en lumière les failles observées dans les interprétations du DHI et dans les éléments factuels sur lesquels il a fondé son modèle numérique. La section 4 décrit l’hydrochimie et l’origine des eaux superficielles et souterraines du bassin hydrographique du Silala, ainsi que l’importance de la provenance des eaux pour la modélisation des eaux souterraines. La section 5 fait la synthèse de l’hydrogéologie du bassin hydrographique du Silala. La section 6 évalue les éléments de preuve avancés dans le contre-mémoire de la Bolivie pour démontrer que les écoulements d’eaux de source ont été amplifiés par le recours à des explosifs. La section 7 livre quelques conclusions, ainsi que des éléments de réponse aux questions posées à M. Denis Peach, hydrogéologue. On trouvera à la section 8 la liste des références bibliographiques citées dans le présent rapport.
1.4. Le bassin hydrographique du Silala  emplacement et superficie
Le Silala prend sa source en Bolivie et s’écoule jusqu’à la région d’Antofagasta au Chili. C’est l’un des principaux affluents du San Pedro. Ce dernier rejoint ensuite le Loa, plus grand fleuve du Chili (440 km de long) et principal cours d’eau de la région du désert d’Atacama qui se jette dans l’océan Pacifique. On trouvera plus de détails sur l’emplacement du Silala dans le mémoire du Chili (MC, vol. 1, p. 137-144).
La figure 1-1 représente le bassin versant topographique du Silala et les principales caractéristiques du réseau hydrographique. Dans le mémoire du Chili, nous avons indiqué qu’une recharge souterraine et des apports souterrains provenant de zones situées au-delà du bassin versant topographique, en territoire bolivien, étaient possibles (MC, vol. 4, p. 273, figure 7-1 ; Arcadis,
- 103 -
2017). La figure 1-1 représente le périmètre de ce bassin versant souterrain plus large, estimé à partir d’une analyse topographique et géologique. Cette zone est très proche du «bassin hydrologique» du Silala délimité par le DHI (CMB, vol. 2, figure 5, p. 275) (à quelques différences mineures près, qui s’expliquent par le recours à un modèle numérique de terrain différent) ; nous reconnaissons toutefois, tout comme le fait le DHI (CMB, vol. 4, p. 103), qu’on ne peut exclure la présence d’apports souterrains supplémentaires qui proviendraient d’autres sources, plus éloignées.
Nous notons que la rivière prend naissance dans des sources souterraines, situées dans les zones humides Cajones et Orientales en Bolivie, qui assurent la plus grande part de l’écoulement pérenne à la frontière internationale. Les eaux alimentant ces sources proviennent essentiellement des précipitations qui tombent sur le bassin versant souterrain plus large en Bolivie, bien que la rivière reçoive également des apports de sources au Chili, elles-mêmes alimentées, au moins en partie, par le bassin versant topographique. Les experts chiliens et boliviens s’accordent sur le fait que l’écoulement de surface ne contribue que pour une part très négligeable au débit moyen quotidien du Silala. Dans le présent rapport, nous examinons la géologie du bassin versant souterrain plus large et, partant, les contrôles hydrogéologiques qui s’opèrent sur les écoulements des eaux de surface et des eaux souterraines de la Bolivie au Chili, en nous appuyant sur de récentes analyses hydrochimiques. En particulier, nous mettons en lumière les importants éléments géologiques et géochimiques qui ne sont pas représentés dans la modélisation de la Bolivie.
Figure 1-1 Le Silala (drainage pérenne en bleu et cours d’eau épisodiques en pointillé bleu), la surface du bassin versant topographique (délimitée en noir) et quelques-unes des principales entités physiographiques situées à l’intérieur et autour du bassin versant
Le bassin versant souterrain plus large du Silala est représenté en vert et comprend une vaste zone en territoire bolivien.
Légende :
Silala river basin groundwater catchment
=
Bassin versant souterrain du bassin hydrographique du Silala
Silala river topographic catchment
=
Bassin versant topographique du Silala
Inacaliri Police Station
=
Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake
=
Prise d’eau de la CODELCO
Military Post
=
Poste militaire
Area enlarged
=
Zone agrandie
- 104 -
2. RÉSUMÉ DES CONSTATATIONS
Dans la présente section, nous répondons brièvement aux questions posées dans le cahier des charges qui nous a été confié et présentons une synthèse de nos conclusions.
i) Quels éléments nouveaux ont été produits depuis le dépôt du mémoire du Chili en juillet 2017 concernant la compréhension de la géologie et de l’hydrogéologie du Silala ?
De nouvelles recherches ont été menées dans le bassin versant topographique du Silala, notamment des observations de terrain, une nouvelle analyse des déblais de forage, une cartographie géologique et une datation radiométrique de l’ignimbrite Silala (notation chilienne) et des laves du Pliocène. Ces nouvelles informations ont permis une compréhension plus détaillée de la stratigraphie au Chili et de la présence, sur une vaste zone, d’une coulée de débris reposant à la base de l’ignimbrite Silala (notation chilienne) et à la limite supérieure de l’ignimbrite Cabana (notation chilienne). Elles ont aussi permis de mettre au jour, en territoire chilien, une faille majeure située à quelques centaines de mètres sous la jonction entre le Silala et sa vallée tributaire Quebrada Negra. Ni la stratigraphie ni cette structure n’ont été prises en compte dans la représentation conceptuelle hydrogéologique de la Bolivie ou intégrées à ses modèles numériques. Le DHI présente un nouveau système de failles qui s’étendrait à travers les zones humides boliviennes puis le long de la gorge du Silala et jusqu’au Chili (DHI, 2018), mais aucune preuve de son existence n’a été découverte au Chili.
De nouvelles recherches hydrogéochimiques ont révélé la nature différente des eaux de source et des eaux souterraines de Quebrada Negra. Couplées aux données chiliennes, les analyses chimiques et isotopiques de la Bolivie ont en outre révélé : a) les origines nettement différentes de la recharge des eaux de source des zones humides boliviennes, Cajones (mentionnée dans DHI (2018) sous l’appellation zone humide ou bofedal nord) et Orientales (mentionnée dans DHI (2018) sous l’appellation zone humide ou bofedal sud), et b) les grandes similitudes entre les eaux de source chiliennes, qui se rechargent dans des aquifères à nappe perchée, et les eaux de source et eaux souterraines de la zone humide Cajones en Bolivie. Comme pour la structure géologique et la stratigraphie, mentionnées ci-dessus, cette différence importante observée dans les eaux de recharge des deux sources boliviennes n’a pas été intégrée à la modélisation du DHI.
ii) La représentation conceptuelle hydrogéologique et la paramétrisation des modèles numériques proposées par les experts de la Bolivie (le DHI) offrent-elles une base suffisante pour quantifier les effets de la chenalisation sur les écoulements de surface et souterrains qui circulent de la Bolivie au Chili ?
Les modèles numériques du DHI intègrent une stratigraphie incorrecte et un système de failles invraisemblable et ne tiennent pas compte de la structure géologique chilienne à gradient descendant ni des origines différentes des eaux des sources Cajones et Orientales. En particulier :
a) Le système aquifère ignimbritique mis au jour au Chili (les ignimbrites Silala et Cabana chiliennes) de même qu’une coulée interstratifiée de sédiments fluviatiles n’ont pas été pris en compte par le DHI dans son rapport (DHI, 2018) et n’ont pas non plus été intégrés à ses modèles, ce qui vaut également pour l’hétérogénéité verticale de la perméabilité. Il ne fait donc aucun doute que les chemins d’écoulement des eaux souterraines qu’il simule en réaction à la répartition de la perméabilité dans le modèle sont faux.
b) Le système de failles qu’il propose aura aussi une incidence sur les chemins d’écoulement des eaux souterraines et la facilité avec laquelle ces eaux sont capables de se déplacer dans la région du système de failles postulé.
- 105 -
c) Les origines différentes des eaux des sources Cajones et Orientales s’expliquent par la présence de deux systèmes aquifères distincts mis en évidence par le Chili (en s’appuyant sur un volume considérable de preuves corroborantes (sections 3, 4 et 5)), mais ceux-ci n’ont pas été inclus dans les modèles du DHI.
d) Le jeu de failles cartographié à l’aval de l’affleurement au Chili et la présence de laves du Pliocène (sections 3 et 5) entre les deux ignimbrites (chiliennes) (au Chili), qui entraîne une réduction de la perméabilité des ignimbrites Cabana et Silala au Chili, n’ont pas non plus été pris en compte.
Nous en concluons que les modèles du DHI ne simulent pas correctement le système hydrogéologique et ne sont pas indiqués pour quantifier les effets de la chenalisation dans les zones humides boliviennes ou représenter de manière exacte l’actuel système hydrologique.
iii) Dans les sources Cajones et Orientales, l’écoulement des sources à apports souterrains aurait-il pu être considérablement amplifié par le recours à des explosifs ?
Les éléments utilisés pour démontrer que les sources à apports souterrains de la zone humide Cajones et Orientales ont été amplifiées par le recours à des explosifs sont peu convaincants et la référence invoquée à l’appui de l’accroissement des rendements des forages profonds au moyen de procédés par explosifs n’est pas applicable en l’espèce. Il est impossible que les sources aient été considérablement agrandies pour augmenter les rendements selon les procédés par explosifs évoqués par la Bolivie.
En résumé, nous avons montré que les résultats de la modélisation numérique présentés par la Bolivie pour démontrer les effets allégués de la chenalisation dans les zones humides boliviennes sont incorrects. Les modèles de la Bolivie reposent sur une représentation erronée du système hydrologique actuel et des scénarios proposés. En bref, avec un tel fondement conceptuel, les modèles étaient voués à produire des prédictions invraisemblables.
3. GÉOLOGIE DU SILALA, DE SA GORGE ET DE SON BASSIN VERSANT SOUTERRAIN
Dans la présente section, nous examinons en quoi l’interprétation géologique faite par la Bolivie du bassin versant souterrain du Silala est à bien des égards incorrecte. Cette interprétation sous-tend la représentation bolivienne de l’hydrogéologie du bassin versant et donc la construction des modèles numériques mis au point par les experts de la Bolivie (DHI, 2018), pour simuler les écoulements d’eaux souterraines et d’eaux de surface dans le bassin hydrographique du Silala. L’interprétation géologique présentée par le DHI n’est pas plausible et est incompatible avec les données du Chili. Par conséquent, nous concluons que la modélisation du DHI est biaisée et qu’elle ne constitue pas une base appropriée pour prédire les effets de la chenalisation.
3.1. Le contexte géologique du Silala
La géologie à l’échelle régionale dans une zone d’environ 20 km de rayon autour du Silala est dominée par des roches volcaniques. Les affleurements de ces roches témoignent des processus volcaniques qui se sont produits dans la région au cours des douze derniers millions d’années environ (SERNAGEOMIN (Chili), 2017). Le volcanisme est souvent épisodique et, entre deux événements, des périodes d’érosion et de sédimentation peuvent se succéder. Parmi les roches volcaniques les plus anciennes visibles en surface dans cette région, on trouve des séquences de roches ignimbritiques. Elles sont perméables et forment les principaux aquifères de la région.
- 106 -
Les roches volcaniques sont recouvertes d’alluvions et de colluvions, qui se composent de sables, de graviers, dont des blocs, et de limons. Ces sédiments forment des aquifères mineurs localisés à nappe perchée dans le bassin hydrographique du Silala au Chili. Ils y alimentent de nombreuses sources, en particulier le long du versant nord de la gorge du Silala.
Les ignimbrites sont déposées par des éruptions volcaniques explosives qui émettent des gaz volcaniques, des roches fondues et des cendres sous forme de coulée pyroclastique extrêmement fluide, laquelle se déplace par gravité à des vitesses d’au moins 100 km par heure (Wilson et Houghton, 2000). Ces coulées sont très destructrices et tendent à remplir les dépressions et les vallées que l’on distingue dans la topographie existante. Elles parcourent souvent de longues distances, pouvant atteindre des dizaines de kilomètres. Les autres roches volcaniques effusives qui affleurent dans la région, y compris le bassin versant du Silala, sont des laves, composées de roches fondues plus ou moins fluides. Ces laves ont été déposées par des événements moins explosifs que ceux à l’origine des ignimbrites. Elles ont sans doute descendu la pente depuis une cheminée volcanique, mouvement qui se fait souvent à très faible vitesse, et ont parcouru des distances bien plus courtes. On peut généralement observer ce type de laves autour des volcans, où elles affleurent dans le sens radial autour du centre volcanique et se manifestent souvent sous forme de lobes. Les laves apparaissent à la figure 3-1 (par exemple PPlv en violet et Msv en marron clair) et à la figure 3-2 (par exemple Pliv(a) en violet et Msvd en marron clair) et traduisent la façon dont les coulées de lave se sont déplacées le long de la pente depuis la bouche éruptive de la cheminée. Les coulées de lave plus récentes, quand elles sont andésitiques ou basaltiques, sont souvent perméables. On trouve d’autres roches qui affleurent en amont sur les deux flancs des volcans, notamment des tills glaciaires, composés de fragments rocheux dans une matrice argileuse. Ces derniers ont été déposés par des glaciers pendant les périodes glaciaires du Pléistocène et ont généralement une faible perméabilité. Les écoulements de sédiments fluviatiles sont fréquents dans les régions volcaniques et leur nature sédimentaire leur confère une importante porosité, qui permet le stockage d’eaux souterraines, et peut leur assurer une perméabilité intergranulaire élevée. Compte tenu de leurs différences de perméabilité, tout modèle numérique doit être construit sur la base d’une interprétation correcte des séquences géologiques.
Dans le cadre des études et investigations mentionnées dans la section 1.2, de nouvelles études de terrain, des études de cartographie géologique et de datation des roches ont été réalisées par le service national chilien de géologie et des mines (SERNAGEOMIN), depuis le dépôt du mémoire du Chili en [juillet] 2017. On en trouve le compte rendu dans SERNAGEOMIN (Chili), 2019.
- 107 -
Figure 3-1 Synthèse de la géologie de la région où se situe le bassin hydrographique du Silala
La ligne noire délimite le bassin versant topographique du Silala (SERNAGEOMIN (Chili), 2019). La ligne verte montre le périmètre du bassin versant souterrain plus large, comme représenté à la figure 3-2 (SERNAGEOMIN (Chili), 2019, modifié à partir de SERNAGEOMIN (Chili), 2017).
Légende :
Silala river basin groundwater catchment
=
Bassin versant souterrain du bassin hydrographique du Silala
Silala river topographic catchment
=
Bassin versant topographique du Silala
Inacaliri Police Station
=
Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake
=
Prise d’eau de la CODELCO
Military Post
=
Poste militaire
Msv
=
Roches volcaniques du Miocène
PPlv
=
Roches volcaniques du Pliocène  Pléistocène
Pliis
=
Ignimbrite Silala
Piic
=
Ignimbrite Cabana
PlHs
=
Dépôts non consolidés
Les affleurements rocheux qui peuvent être observés dans le bassin versant du Silala sont représentés sur la carte géologique détaillée reproduite à la figure 3-2 (SERNAGEOMIN (Chili), 2019). Cette carte a été établie à partir d’études récemment actualisées (SERNAGEOMIN (Chili), 2019) et du rapport publié par le SERGEOMIN (Bolivie) en 2017. Sur les figures 3-1 et 3-2, les ignimbrites sont représentées en jaune, tandis que le violet et le marron clair sont utilisés pour illustrer les différents âges des laves.
- 108 -
Figure 3-2 Carte illustrant la restitution et l’interprétation de la géologie du bassin versant souterrain du Silala (SERNAGEOMIN (Chili), 2019)
Cette carte englobe une partie du territoire bolivien et s’appuie sur des cartes boliviennes et des données issues de SERGEOMIN (Bolivie) (2003 et 2017). On voit sur la carte la droite AB, coupe représentée à la figure 3-8, et la droite verte CD, elle aussi représentée à la figure 3-8.
Légende :
Silala river basin groundwater catchment
=
Bassin versant souterrain du bassin hydrographique du Silala
Silala river topographic catchment
=
Bassin versant topographique du Silala
Inacaliri Police Station
=
Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake
=
Prise d’eau de la CODELCO
Military Post
=
Poste militaire
Hf
=
Dépôts fluviatiles de l’Holocène
Ha
=
Dépôts alluviaux de l’Holocène
PlH(pc)
=
Dépôts de retombées pyroclastiques
PlHa
=
Dépôts alluviaux du Pléistocène supérieur  Holocène
Pls(a)
=
Dépôts alluviaux du Pléistocène supérieur
Plg
=
Dépôts glaciaires (Pléistocène supérieur)
Pliis
=
Ignimbrite Silala (Pliocène  Pléistocène)
Pliv(a)
=
Séquences volcaniques du Pléistocène inférieur (vers 1,5 Ma)
Pliv(b)
=
Dôme de lave rhyolitique (vers 1,5 Ma)
Psvd
=
Séquences volcaniques du Pliocène supérieur (vers 2,6 Ma)
Piic
=
Ignimbrite Cabana (Pliocène inférieur ; vers 4,12 Ma)
Msvd
=
Séquences volcaniques du Miocène supérieur (vers 6,6 à 5,8 Ma)
- 109 -
La restitution présentée à la figure 3-2 est à de nombreux égards similaire aux cartes figurant dans SERGEOMIN (Bolivie) (2017), mais elles présentent des différences fondamentales d’interprétation qui influent considérablement sur l’hydrogéologie de la zone et la construction de tout modèle de calcul. La première différence de taille provient de la séquence des couches géologiques et de leurs âges relatifs. C’est ce qu’on appelle la stratigraphie (expliquée à la section 3.2 ci-dessous), qui définit les éléments fondamentaux sous-tendant l’interprétation géologique. A la section 3.3, nous visualisons en trois dimensions la géologie, depuis la bordure du bassin versant souterrain du bassin hydrographique du Silala en Bolivie jusqu’au Chili en passant par la frontière internationale, et cette représentation nous montre que les écarts entre les stratigraphies chilienne et bolivienne conduisent à d’importantes différences dans la structure géologique qui soutient l’hydrogéologie du bassin hydrographique. L’interprétation erronée de la succession stratigraphique donne lieu à une interprétation incorrecte de la géologie, qui fausse à son tour la représentation conceptuelle et le modèle hydrogéologiques.
Des différences d’interprétation sont également à noter concernant la formation de failles dans la séquence géologique et, en particulier, l’existence d’un système de failles dans le secteur des zones humides boliviennes et le long de la gorge du Silala de la Bolivie jusqu’au Chili, tel que proposé par la Bolivie (section 3.4). Ce type de grandes failles peut offrir aux eaux souterraines des chemins d’écoulement à forte perméabilité ou, à l’inverse, faire obstacle à la circulation souterraine transverse.
Comme nous l’examinons plus en détail ci-après, nous concluons que les modèles numériques du DHI se fondent sur une conception erronée de l’hydrogéologie, qui conduit inévitablement à des erreurs dans les prédictions du modèle.
La figure 3-2 montre aussi les affleurements de dépôts volcaniques plus récents en Bolivie, dont l’existence est reconnue par les Parties. Sur ces affleurements reposent des alluvions et des dépôts glaciaires (SERNAGEOMIN (Chili), 2017 et 2019 ; Arcadis, 2017). Au sein des dépôts alluviaux, on trouve des aquifères à nappe perchée, qui jouent un rôle important dans l’alimentation des sources le long du Silala au Chili. Ces alluvions affleurent également en Bolivie et les éléments hydrogéochimiques disponibles semblent indiquer qu’ils jouent là aussi un rôle important, fournissant une part des eaux de source qui alimentent les zones humides boliviennes Cajones et Orientales.
3.2. Stratigraphie
3.2.1. Stratigraphie du bassin hydrographique du Silala réalisée par le Chili
Au Chili, cinq grandes unités géologiques de socle sont à présent mises en évidence dans le bassin versant topographique du Silala. De nouvelles radiodatations des roches composant ces unités ont été utilisées pour étayer la stratigraphie illustrée à la figure 3-3. Les âges radiométriques disponibles sont répertoriés dans le tableau 1.
- 110 -
Figure 3-3 Colonne stratigraphique intégrée et actualisée du bassin hydrographique du Silala, tel que cartographié au Chili (SERNAGEOMIN (Chili), 2019)
Les références bibliographiques utilisées pour déterminer les dates radiométriques figurent dans le tableau 1. (Ici, l’écoulement de débris mentionné ci-dessous est appelé «Dépôts alluviaux du Pliocène supérieur  Pléistocène inférieur».)
Légende :
A gauche de la colonne, de haut en bas
Pyroclastic fall deposits
PIH(pc) – ca. 630-11ky BP
=
Dépôts de retombées pyroclastiques
PlH(pc) — vers 630-11 ka BP
Glacial deposits
Plg – ca. 40–12 ky BP
=
Dépôts glaciaires
Plg  vers 40-12 ka BP
Volcanic sequences of the Upper Pliocene
Psvd – ca. 2.6 Ma
=
Séquences volcaniques du Pliocène supérieur
Psvd  vers 2,6 Ma
Cabana Ignimbrite
ca.4.12 Ma
=
Ignimbrite Cabana
vers 4,12 Ma
A droite de la colonne, de haut en bas
Silala river ravine
=
Gorge du Silala
Alluvial Deposits from the Upper Pleistocene
Pls(a)
=
Dépôts alluviaux du Pléistocène supérieur
Pls(a)
Terrace III: 11 – 8.5 ky BP
=
Terrasse III : 11-8,5 ka BP
Volcanic Sequences from the Lower Pleistocene
Pliv – ca. 1.6-1.1 Ma
=
Séquences volcaniques du Pléistocène inférieur
Pliv  vers 1,6-1,1 Ma
Terrace II: 8,430 cal yrs BP
(Latorre & Frugone, 2017)
=
Terrasse II : 8430 ans cal BP
(Latorre et Frugone, 2017)
Terrace I: 530-670 cal yrs BP
(Latorre & Frugone, 2017)
=
Terrasse I : 530-670 ans cal BP
(Latorre et Frugone, 2017)
Silala Ignimbrite
Pliis – ca. 1.61 Ma
=
Ignimbrite Silala
Pliis  vers 1,61 Ma
Alluvial Deposits
from the Upper Pliocene – Lower Pleistocene
=
Dépôts alluviaux du Pliocène supérieur  Pléistocène inférieur
- 111 -
Volcanic Sequences from the Upper Miocene – Pliocene
MsPvd – ca. 6.6 – 5.8 Ma
=
Séquences volcaniques du Miocène supérieur  Pliocène
MsPvd  vers 6,6-5,8 Ma
En résumé, la succession stratigraphique des roches volcaniques, qui comprend un écoulement de débris et commence par l’affleurement des roches les plus anciennes observées dans le bassin hydrographique du Silala au Chili, se présente comme suit :
Séquences volcaniques du Miocène supérieur  Pliocène (MsPvd), vers 6,6 à 5,8 Ma (voir le tableau 1). Elles comprennent une série de roches volcaniques, dont des dômes, des dômes de lave, des coulées de lave et des brèches autoclastiques. Cette unité a été corrélée aux parties plus anciennes des volcans Inacaliri et Apagado, dont l’âge radiométrique a été établi à 5,8 Ma. Ces séquences sont moins fracturées que les ignimbrites et sont probablement bien moins perméables.
Ignimbrite Cabana (Piic), vers 4,12 Ma (voir le tableau 1). L’ignimbrite Cabana consiste en un tuf modérément à faiblement soudé de couleur blanche à blanc rosé, accompagné de pierres ponces vésiculaires et dacitiques et de pierres subanguleuses et anguleuses dans une matrice de cendres. Au Chili (SERNAGEOMIN (Chili), 2019), dans le forage CW-BO à la frontière internationale, elle mesurait plus de 53 mètres d’épaisseur. Récemment, il a été déterminé que l’ignimbrite avait 4,12 Ma (SERNAGEOMIN (Chili), 2017). Il a été découvert, dans un forage artésien (SPW-DQN) et dans des forages réalisés en 2016, que l’ignimbrite Cabana était le siège de considérables flux souterrains (Arcadis, 2017).
Ecoulement de débris (date par position stratigraphique). On distingue un fin dépôt fluviatile (20 cm) dans la zone d’affleurement située à proximité du poste de police d’Inacaliri au Chili (SERNAGEOMIN (Chili), 2019), où il repose directement sur l’ignimbrite Cabana et sous l’ignimbrite Silala (voir ci-dessous). Le forage CW-BO, percé tout près de la frontière internationale, a été carotté et une coulée de débris a été mise en évidence sur l’ignimbrite Cabana (Arcadis, 2017 ; SERNAGEOMIN (Chili), 2017 et 2019). Elle mesurait 13 m d’épaisseur, mais elle a été corrélée aux dépôts fluviatiles observés dans la zone d’affleurement ; en effet, un écoulement de débris est un dépôt fluviatile et on peut s’attendre à ce que la taille des grains diminue à mesure qu’il descend la pente, tandis que sa position stratigraphique sera maintenue dans la succession géologique. Lors d’un pompage d’essai (Arcadis, 2017), il a été découvert que les strates supérieures de l’ignimbrite Silala et la coulée de débris alimentaient un écoulement souterrain.
Séquences volcaniques du Pliocène supérieur (Psvd), vers 2,6 Ma (voir le tableau 1). Ces laves dacitiques, de couleur gris clair, peuvent être observées dans la zone d’affleurement au-dessous de l’ignimbrite Silala (1,61 Ma (voir ci-dessous)). Elles ont été datées à 2,6 Ma et ont aussi été mises en évidence sous l’ignimbrite Silala dans le forage MW-DQN (SERNAGEOMIN (Chili), 2019). Ces laves présentent de faibles niveaux de fracturation et ont probablement une faible conductivité hydraulique.
Ignimbrite Silala (Pliis), vers 1,61 Ma (voir le tableau 1). Cette ignimbrite consiste en un tuf soudé de composition andésitique. De couleur rose, elle présente des unités de refroidissement ou niveaux d’écoulement distincts, dont on peut observer le faible pendage vers le sud-ouest dans les parois de la gorge du Silala au Chili. Dans SERNAGEOMIN (Chili) (2017), l’âge des dépôts a été estimé dans une fourchette située entre 2,6 Ma et 1,48 Ma, puisqu’ils surplombent les laves dacitiques (2,6 Ma, voir ci-dessus) et sont recouverts d’une coulée de lave andésitique (séquences volcaniques du Pléistocène inférieur — 1,48 Ma, voir le tableau 1) émise par le volcan Inacaliri en Bolivie. Un nouvel âge radiométrique, établi à 1,61 Ma (voir le tableau 1), confirme sa position stratigraphique.
- 112 -
Dépôts de retombées pyroclastiques (PlH(pc), vers 630 ka (voir le tableau 1). Ces dépôts comprennent des cendres à granulométrie fine à moyenne, bien stratifiées, que l’on trouve dans les parties centre et sud de la zone d’étude chilienne. Il a récemment été déterminé que les dépôts de cendres dataient de 630 ka (voir le tableau 1). Ces dépôts forment une fine coiffe dans les zones méridionales du bassin versant topographique et ont une faible conductivité hydraulique. Les essais de perméabilité (Arcadis, 2017) ont révélé que la capacité d’infiltration était faible.
Age (Ma)
Unité
Référence
630 ± 310 ka
Dépôt de retombées pyroclastiques
Blanco et Polanco, 2018
1,48 ± 0,02*
Séquences volcaniques du Pléistocène inférieur
Almendras et al., 2002
1,612 ± 0,018
Séquences volcaniques du Pléistocène inférieur
Sellés et Gardeweg, 2017
1,61 ± 0,08
Ignimbrite Silala (Chili)
Blanco et Polanco, 2018
1,74 ± 0,02*
Nlsg  Séquences volcaniques du Pléistocène inférieur
SERGEOMIN (Bolivie), 2003
2,6 ± 0,4
Séquences volcaniques du Pliocène supérieur
SERNAGEOMIN (Chili), 2017
3,2 ± 0,4*
Ntpg  Ignimbrites Silala (notation bolivienne)
SERGEOMIN (Bolivie), 2017
4,12 ± 0,08
Ignimbrite Cabana (Chili)
SERNAGEOMIN (Chili) 2017
5,84 ± 0,09*
MPv2  Séquences volcaniques du Miocène supérieur
Almendras et al., 2002
5,8 ± 0,4*
MPv2  Séquences volcaniques du Miocène supérieur
Almendras et al., 2002
6,04 ± 0,07*
Séquences volcaniques du Miocène supérieur
SERGEOMIN (Bolivie), 2003
6,63 ± 0,06
Séquences volcaniques du Miocène supérieur
Blanco et Polanco, 2018
6,6 ± 0,5*
Nis-3  Ignimbrites Silala (notation bolivienne)
SERGEOMIN (Bolivie), 2017
7,8 ± 0,3*
MPvl  Ignimbrites Silala (Nis 1 dans la notation bolivienne)
Ríos et al., 1997
Tableau 1 Liste des âges radiométriques disponibles pour la zone du Silala
* Indique un âge radiométrique bolivien (SERGEOMIN (Bolivie), 2017) ; toutes les autres dates indiquées sont détaillées dans SERNAGEOMIN (Chili) (2019).
- 113 -
3.2.2. Stratigraphie réalisée par la Bolivie
Les détails de la stratigraphie élaborée par le SERGEOMIN (Bolivie) en 2017 sont décrits ci-dessous à des fins de comparaison avec la stratigraphie déterminée par cartographie et analyse géologiques au Chili. La colonne stratigraphique représentée à la figure 3-4 et dans le tableau 2 est extraite de SERGEOMIN (Bolivie) (2017) (annexe A, secteur cartographique 1). Le secteur cartographique 1 est mis en avant, car il appartient au modèle en champ proche du DHI (DHI, 2018).
Le SERGEOMIN (Bolivie) a mis en évidence trois dépôts ignimbritiques (appelés Nis 1, Nis 2 et Nis 3) et deux coulées de débris, la première s’étant produite à la base de Nis 1 et l’autre entre Nis 2 et Nis 3. Il convient de noter que, dans leurs rapports, le SERGEOMIN (Bolivie) et le DHI désignent les trois ignimbrites en Bolivie par l’appellation ignimbrite Silala. Cela peut prêter à confusion, car le SERNAGEOMIN (Chili) fait référence à deux ignimbrites au Chili, qu’il appelle ignimbrite Silala (l’ignimbrite supérieure) et ignimbrite Cabana (l’ignimbrite inférieure), comme détaillé à la section 3.2.1. Dans son rapport (DHI, 2018), le DHI divise les ignimbrites en différentes catégories lithologiques, selon leur degré de soudage, mais, en l’état actuel des choses, cette division ne peut être directement corrélée aux découpages chiliens des ignimbrites Silala et Cabana.
La Bolivie mentionne trois dates pour les roches ignimbritiques situées dans le bassin hydrogéologique plus large du Silala, en territoire bolivien : 7,8 Ma, 6,6 Ma et 3,2 Ma (voir le tableau 1). Selon ce que rapporte la Bolivie, la plus ancienne de ces dates (7,8 Ma) est relevée pour la base d’un affleurement de l’ignimbrite Silala bolivienne Nis 1 dans la gorge du Silala (en Bolivie), tandis que la deuxième date (6,6 Ma) s’applique aux roches se trouvant bien plus au nord, qui proviendraient de l’ignimbrite Silala bolivienne Nis 3. La dernière date (3,2 Ma) est relevée pour l’ignimbrite située non loin de la bordure septentrionale du bassin versant souterrain plus large et n’a pas été corrélée aux ignimbrites Silala boliviennes (Nis 1, Nis 2 et Nis 3) (SERGEOMIN (Bolivie), 2017). A des fins des comparaisons, notons que l’âge de l’ignimbrite Silala chilienne a été établi à 1,61 Ma et celui de l’ignimbrite Cabana chilienne à 4,12 Ma.
- 114 -
Figure 3-4 Colonne stratigraphique extraite de SERGEOMIN Carte 1 (SERGEOMIN (Bolivie), 2017)
Légende :
Stratigraphic Column
=
Colonne stratigraphique
Characteristics of Geological Units
=
Caractéristiques des unités géologiques
Sedimentary units
=
Unités sédimentaires
Qa Alluvial Deposit Silt, sand and clays
=
Qa Dépôt alluvial Limon, sable et argiles
Qcf Colluvial-fluvial deposit Gravel, sand, silt and clays
=
Qcf Dépôt colluvial-fluviatil Graviers, sable, limon et argiles
Qc Colluvial deposit Pebbles and bricks
=
Qc Dépôt colluvial Galets et blocs
Qfg Fluvio-glacial deposit Gravel, sand and clays
=
Qfg Dépôt fluvio-glaciaire Graviers, sable et argiles
Qm Moraine deposits
=
Qm Dépôts morainiques Blocs, galets, graviers et argiles
- 115 -
Volcanic units
=
Unités volcaniques
Volcanic chain Aqua de Perdíz
=
Chaîne volcanique Agua de Perdíz
Qlin2 Lavas Inacaliri 2 Porphyritic dark violet, laminated or in blocks, flow banding. Andesites of px, px.
=
Qlin2 Laves Inacaliri 2 Laves porphyriques violet foncé, laminées ou en blocs, litage de flux. Andésites px, px.
Nlcn Lavas Cerro Negro Porphyritic dark gray, laminated or in blocks, flow banding. Andesites of hb, olg-bt-hb
=
Nlcn Laves Cerro Negro Laves porphyriques gris foncé, laminées ou en blocs, litage de flux. Andésites hb, olg-bt-hb
Nlsg Lavas Silala Grande Porphyritic dark gray, laminated or in blocks, flow banding. Andesites of px, olg-bt-cpx
=
Nlsg Laves Silala Grande Laves porphyriques gris foncé, laminées ou en blocs, litage de flux. Andésites px, olg-bt-cpx
NlIn1 Lavas Inacaliri 1 Porphyritic dark gray, laminated or in blocks, flow banding. Andesites of hb, ads-bt-hb
=
NlIn1 Laves Inacaliri 1 Laves porphyriques gris foncé, laminées ou en blocs, litage de flux. Andésites hb, ads-bt-hb
Nlsc Lavas Silala Chico Porphyritic gray, laminated or in blocks, flow banding. Andesites of bt, ads-bt-hb-cpx
=
Nlsc Laves Silala Chico Laves porphyriques grises, laminées ou en blocs, litage de flux. Andésite bt, ads-bt-hb-cpx
Nis-3 Ignimbrite Silala 3 Dacitic Ignimbrite brown porphyritic, in slabs, with developed crystals, qz-olg-cpx-p
=
Nis-3 Ignimbrite Silala 3 Ignimbrite dacitique marron, porphyrique, en dalles, avec cristaux développés, qz-olg-cpx-p
Nfd2 Deposit flow 2 Brown gray deposits of pebbles, gravel, pumicestone, sands.
=
Nfd2 Dépôt de coulée 2 Dépôts marron gris de galets, graviers, pierres ponces et sables
Nis-2 Ignimbrite Silala 2 Dacitic Ignimbrite brown porphyritic, in blocks, with andesitic monomictic clastic rocks, qz-olg-cpx-p
=
Nis-2 Ignimbrite Silala 2 Ignimbrite dacitique marron, porphyrique, en blocs, avec clastites andésitiques monomictiques, qz-olg-cpx-p
Nis-1 Ignimbrite Silala 1 Dacitic Ignimbrite brown porphyritic, light pin, in blocks, with intermediate welding, qz-olg-cpx-p
=
Nis-1 Ignimbrite Silala 1 Ignimbrite dacitique marron, porphyrique, rose pâle, en blocs, avec soudage intermédiaire, qz-olg-cpx-p
Nfd1 Deposit Flow 1 Gray brown deposit. Pebbles, gravel, volcanic glass, pumicestone, sands.
=
Nfd1 Dépôt de coulée 1 Dépôt marron gris. Galets, graviers, verre volcanique, pierres ponces, sables
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Abréviations utilisées sur la carte
Ages
Unité volcanique
Lithologie
Qlin2
1,48 Ma
Laves Inacaliri 2
Andésite
Nlcn
1,74 Ma
Laves Cerro Negro
Andésite
Nllsg
Laves Silala Grande
Andésite
Nlin1
5,84 Ma
Laves Inacaliri 1
Andésite
Nlsc
Laves Silala Chico
Andésite
Nis-3
6,6 Ma
Ignimbrite Silala 3
Ignimbrite
Nfd-2
Dépôt de coulée 2
Galets, graviers, ponces, sable
Nis-2
Ignimbrite Silala 2
Ignimbrite
Nis-1
7,8 Ma
Ignimbrite Silala 1
Ignimbrite
Nfd1
Dépôt de coulée 1
Galets, graviers, ponces, sable, verre volcanique
Tableau 2 Colonne stratigraphique des unités rocheuses volcaniques décrites dans SERGEOMIN (Bolivie) et représentées à la figure 3-4 (SERGEOMIN (Bolivie), 2017, carte 1). Les âges radiométriques sont extraits du tableau 1
Le rapport du SERGEOMIN (Bolivie) de 2017 met en évidence des laves issues du Cerrito Silala (Chico en Bolivie), des laves anciennes émises par le volcan Inacaliri et des laves provenant du volcan Apagado (Silala Grande en Bolivie). Toutes ces roches remontent à environ 6,6 à 5,8 Ma (voir le tableau 1). Le rapport prend les deux dates radiométriques les plus anciennes pour les ignimbrites (Nis 1 et 3) pour les placer, dans la colonne stratigraphique, sous les laves du Cerrito Silala et les laves primitives des volcans Inacaliri et Apagado. C’est incompatible avec l’interprétation du Chili. D’après les éléments de preuve chiliens, l’ignimbrite Silala (au Chili) et l’ignimbrite Cabana sont plus jeunes que les laves émises par le Cerrito Silala (Chico en Bolivie) et, dans la colonne stratigraphique, elles se situent au-dessus de ces laves.
Dans le bassin versant souterrain plus large qui s’étend du côté bolivien, il semble n’y avoir aucun affleurement de laves dont les âges seraient comparables à ceux des séquences volcaniques du Pliocène supérieur (2,6 Ma, voir le tableau 1). Toutefois, le SERGEOMIN (Bolivie) et le DHI partagent l’avis du Chili selon lequel les laves plus récentes émises par Inacaliri et Apagado à l’époque du Pléistocène reposent au-dessus de toutes les roches volcaniques plus anciennes mentionnées plus haut (voir la figure 3-2).
3.2.3. Discussion
Les principales différences d’interprétation géologique entre la Bolivie et le Chili portent sur les dépôts ignimbritiques. Il est clair qu’il existe une succession épaisse de dépôts ignimbritiques distincts qui ont rempli le bassin hydrographique du Silala en Bolivie et que seuls quelques-uns d’entre eux affleurent au Chili. Les ignimbrites âgées de 1,61 Ma et 4,12 Ma, telles qu’observées au Chili, n’ont pas été mises en évidence en Bolivie. On compte cinq dates pour les ignimbrites (voir le tableau 1), qui représentent des événements volcaniques distincts s’étant produits sur un temps long :
- 117 -
a) 7,8 Ma  Ignimbrite Silala bolivienne Nis 1
b) 6,6 Ma  Ignimbrite Silala bolivienne Nis 3
c) 4,12 Ma  Ignimbrite Cabana chilienne
d) 3,2 Ma  Ignimbrite Silala bolivienne (Ntpg)
e) 1,61 Ma  Ignimbrite Silala chilienne
En outre, on distingue des coulées de débris entre divers dépôts ignimbritiques, une au Chili et deux en Bolivie, mais elles ne semblent pas corrélées. Elles sont toutefois importantes, car, au Chili, des données de forage et les résultats d’un pompage d’essai montrent qu’elles contribuent à de solides horizons hydrogéologiques (Arcadis, 2017). Les Parties sont plus ou moins d’accord sur la stratigraphie des dépôts du Pléistocène et des périodes ultérieures.
Il semblerait hautement improbable que l’ignimbrite Silala (chilienne) affleurant au Chili, dont l’âge radiométrique (1,61 Ma) a été bien défini et récemment analysé et que l’on peut tracer en continu sur les parois de la gorge du Silala au Chili jusqu’à la frontière internationale, soit âgée de 7,8 Ma plus en amont dans la gorge en Bolivie. Cette date n’est pas plausible et, pour qu’elle le soit, il faudrait que l’on puisse distinguer une large structure géologique telle qu’une faille dont le rejet atteindrait plusieurs dizaines voire centaines de mètres, structure pour laquelle aucun élément de preuve n’a été présenté par le SERGEOMIN (Bolivie) ou le DHI (voir la section 3.4). L’âge de l’ignimbrite Silala (notation chilienne) est bien défini, car cerné par plusieurs dates radiométriques établies pour les dépôts sous-jacents. Les laves des séquences volcaniques du Pliocène supérieur, que l’on peut observer dans l’affleurement situé sous l’ignimbrite Silala, tel que représenté à la figure 3-5, ont été récemment datées à 2,6 Ma (tableau 1). Signalons également que l’ignimbrite Cabana sous-jacente (au Chili), observée dans plusieurs forages réalisés en 2016 (Arcadis, 2017), est âgée de 4,12 Ma selon son âge radiométrique récent ; toutes ces datations sont nettement inférieures à 7,8 Ma. L’affleurement de l’ignimbrite Silala (notation chilienne) traverse manifestement la frontière internationale et, de manière plus générale, des éléments particulièrement probants nous permettent de penser que la succession ignimbritique au Chili se produit également de l’autre côté de la frontière en Bolivie. Les âges des ignimbrites chiliennes confirment que, au Chili, les roches les plus anciennes sont les séquences volcaniques du Miocène/Pliocène, qui reposent sous l’ignimbrite Cabana. Si, comme l’indiquent les datations en Bolivie, il existe des ignimbrites plus anciennes affleurant dans le bassin hydrographique, alors ces formations sont nécessairement situées sous les laves du Miocène/Pliocène plus jeunes. Or, les ignimbrites supérieures et plus récentes (au Chili, les ignimbrites Silala et Cabana) surmontent ces laves. Pour plus de clarté, une coupe conceptuelle a été élaborée à la frontière internationale sur la base des âges radiométriques établis, et les affleurements relatifs décrits ci-dessus sont présentés à la figure 3-6.
A des fins de comparaison, la coupe conceptuelle de la Bolivie, extraite de DHI (2018), qui illustre la géologie à la frontière internationale, est reproduite à la figure 3-7. Les différences d’interprétation géologique y transparaissent clairement. Sur la coupe du DHI, une zone de failles est représentée (voir aussi la section 3.3), mais il ne semble y avoir aucun déplacement de roches de part et d’autre. Les failles géologiques se forment lorsque d’importantes pressions accumulées dans les roches crustales du manteau terrestre se relâchent, ce qui entraîne le déplacement des roches de part et d’autre d’un plan de faille. Les mouvements peuvent être très faibles, se mesurant en centimètres, ou très importants, et se produire selon un axe horizontal, vertical ou légèrement pentu. Il est clair que, lorsque les roches se déplacent, elles se fracturent le long du plan de faille et un déplacement se produit. Sur le diagramme conceptuel du DHI (figure 3-7), on aperçoit un horizon d’ignimbrite soudée qui traverse la gorge. Bien qu’une zone de failles majeure soit représentée dans la figure, l’ignimbrite soudée apparaît au même niveau sur les deux parois de la gorge, ce qui suppose que la zone de failles majeure inférée par le DHI n’a provoqué aucun déplacement. C’est tellement improbable que c’en est selon nous impossible.
- 118 -
Figure 3-5 Disposition de l’ignimbrite Silala (1,61 Ma) reposant sur les laves dacitiques du Pliocène (2,6 Ma) (SERNAGEOMIN (Chili), 2019)
Légende :
Chile –named Silala Ignimbrite – age 1.61 Ma (Pliis)
=
Ignimbrite Silala (notation chilienne)  1,61 Ma (Pliis)
Pliocene Lavas – age 2.6 Ma (Psvd)
=
Laves du Pliocène  2,6 Ma (Psvd)
Figure 3-6 Profil schématique de la chaîne volcanique Inacaliri-Apagado à la frontière entre le Chili et la Bolivie, comprenant le Cerrito Silala, le Cerro Inacaliri et le volcan Apagado
Le profil montre que l’ignimbrite Silala s’insère sur l’ignimbrite Cabana, qui repose à son tour sur les laves du Miocène/Pliocène émises par le Cerrito Silala, le volcan Apagado et le volcan Inacaliri. En dessous de toutes ces formations, on distingue les premiers dépôts ignimbritiques. On aperçoit en violet les laves du Pléistocène émises par les volcans Inacaliri et Apagado (SERNAGEOMIN (Chili), 2019).
- 119 -
Légende :
Undifferentiated basement
=
Socle non différencié
Dacitic tuff (bt-hb); Cabana Ignimbrite
=
Tuf dacitique (bt-hb) ; ignimbrite Cabana
Dacitic and andesitic lavas
=
Laves dacitiques et andésitiques
Andesitic tuff (bt-px); Silala Ignimbrite
=
Tuf andésitique (bt-px) ; ignimbrite Silala
Andesite and basaltic andesite lavas
=
Laves andésitiques et andésitiques basaltiques
Alluvial deposits
=
Dépôts alluviaux
Moraine /glacial deposits
=
Moraines/dépôts glaciaires
Glacier
=
Glacier
Water
=
Eau
Figure 3-7 Coupe conceptuelle du DHI extraite de DHI (2018) (CMB, vol. 4, p. 88, figure 36)
Légende :
Surface Water Inflow
=
Flux entrant d’eau de surface
Lined Channel
=
Chenal revêtu
Regional Groundwater Inflow
=
Flux souterrain régional entrant
Surface and Groundwater Outflow
=
Flux sortant d’eau de surface et souterraine
Fault Zone
=
Zone de failles
Welded and Fractured Ignimbrite
=
Ignimbrite soudée et fracturée
Groundwater
=
Eaux souterraines
Bofedal (Organic Matter)
=
Bofedal (matières organiques)
Channel Alluvium
=
Alluvions du chenal
Alluvium/Colluvium
=
Alluvions/colluvions
Local Andesitic Volcanism
=
Volcanisme andésitique localisé
Local Dacitic Volcanism
=
Volcanisme dacitique localisé
Regional Ignimbrite
=
Ignimbrite régionale
- 120 -
3.3. Visualisation tridimensionnelle de la géologie du bassin versant souterrain plus large du Silala
Pour permettre la visualisation de la géologie du bassin versant souterrain plus large et faciliter la bonne compréhension de l’hydrogéologie à l’échelle régionale comme locale, on a établi la carte représentée à la figure 3-2 ainsi que le profil A-B (coupe) présenté à la figure 3-8. Pour ce faire, on a étudié les cartes géologiques et les rapports du SERGEOMIN (Bolivie) de 2003 et 2017, ceux du SERNAGEOMIN (Chili) de 2017 et 2019  dont tous les âges radiométriques disponibles (voir le tableau 1)  ainsi que des images satellite Google Earth. La carte (figure 3-2) est très similaire à la version reproduite dans SERGEOMIN (Bolivie) (2003). Elle a pu être dressée après le dépôt du contre-mémoire de la Bolivie et du rapport du DHI (2018) qui l’accompagne, lesquels font référence à plusieurs rapports du SERGEOMIN (Bolivie) (2003 et 2017). Ces rapports ont ainsi été demandés à la Bolivie, qui les a transmis. Il n’a pas été possible de mener des études de terrain et des observations en Bolivie, ni de procéder à une nouvelle étude pétrographique ou datation radiométrique.
Les centres volcaniques, dont le Cerrito Silala, sont plus ou moins alignés sur un axe nord-sud (SERNAGEOMIN (Chili), 2017 et 2019). Cette orientation s’est dessinée en réponse à une extension crustale localisée (étirement de la croûte terrestre), qui a créé un plan de faiblesse que le magma ascendant (roche en fusion) sous pression a exploité, ce qui a permis la formation d’un alignement de volcans (centres volcaniques). Ces centres ont entre 6,6 et 6 Ma (voir le tableau 1). Les volcans Inacaliri et Apagado forment une coupole, ce qui signifie, si l’on considère l’alignement nord-sud mentionné ci-dessus, que les coulées pyroclastiques qui ont déposé les ignimbrites Silala et Cabana au Chili ont eu une coupole à franchir pour s’écouler en pente descendante vers le sud-ouest jusqu’au Chili.
La coupe géologique A-B, représentée à la figure 3-8, permet de visualiser la géologie en fonction de la profondeur. La droite de la coupe (voir la figure 3-2) part de la bordure du bassin versant souterrain en Bolivie et suit une orientation sud-ouest, qui longe à peu près le tracé du Silala. La rareté des informations de forage limite la précision tridimensionnelle de la connaissance et de la compréhension géologiques. Néanmoins, la compilation des données chiliennes et boliviennes (dates radiométriques répertoriées dans le tableau 1, observations de terrain disponibles dans les rapports boliviens et observations cartographiques chiliennes) devrait nous permettre d’obtenir la meilleure représentation de la géologie du bassin versant plus large disponible à ce jour.
Si l’âge de l’ignimbrite donné par la Bolivie (7,8 Ma) est valide, alors on doit trouver des dépôts ignimbritiques sous les laves du Miocène/Pliocène émises par le Cerrito Silala, car ces dernières sont plus jeunes, et c’est ce qui transparaît à la figure 3-8. Les éléments chiliens montrent qu’il existe au moins deux dépôts ignimbritiques reposant sur les laves du Miocène/Pliocène au Chili. La stratigraphie bolivienne est incorrecte, puisqu’elle ne met en évidence aucun dépôt ignimbritique au-dessus des laves du Miocène/Pliocène. La succession géologique bolivienne sous les laves du Pléistocène émises par les volcans Inacaliri et Apagado ne peut être corrélée à la succession géologique chilienne.
Une coupe des zones humides Cajones et Orientales (figure 3-8) montre l’interprétation géologique du Chili en fonction de la profondeur. On voit clairement que les ignimbrites Silala et Cabana (notation chilienne) surplombent les volcanites du Miocène/Pliocène du Cerro Silala (Chico en Bolivie). Cette configuration géologique en trois dimensions n’a pas été utilisée par le DHI dans la construction de ses modèles. Il lui préfère une stratigraphie, qui nous donne des couches hydrogéologiques différentes, et invoque un système de failles qui justifie peut-être la distribution de ses paramètres hydrauliques. La région circonscrite des ignimbrites Silala et Cabana chiliennes, à travers lesquelles la circulation souterraine s’opère nécessairement sous le Silala, apparaît également à la figure 3-8.
- 121 -
Figure 3-8 Coupe géologique A-B, qui traverse du sud-ouest au nord-est le bassin versant souterrain plus large du Silala et illustre la distribution des unités lithologiques et leurs positions stratigraphiques (voir la figure 3-2 pour la légende), et coupe C-D traversant du nord-ouest au sud-est les zones humides Cajones et Orientales
L’axe vertical en noir pointillé représente l’alignement nord-sud des centres volcaniques à travers le Cerrito Silala (SERNAGEOMIN (Chili), 2019).
Le modèle en champ proche du DHI n’intègre pas les ignimbrites Silala et Cabana chiliennes avec la coulée interstratifiée de débris. Ces dépôts, qui forment le principal aquifère profond au Chili, reposent sur les laves du Miocène/Pliocène et se poursuivent nécessairement selon une orientation nord-est jusqu’en Bolivie, en passant par la frontière internationale. La représentation de la géologie et de l’hydrogéologie utilisée dans le modèle du DHI n’intègre pas cette configuration géologique, avérée au Chili, et est donc intrinsèquement biaisée.
Les Parties s’accordent sur le fait que le principal aquifère régional est formé par les ignimbrites, mais, au Chili, ces dernières recouvrent des laves du Miocène/Pliocène bien moins perméables. Par conséquent, le chemin d’écoulement des eaux souterraines à travers les ignimbrites Silala et Cabana jusqu’au Chili est circonscrit, bien qu’il soit reconnu que ces dépôts soutiennent d’importants écoulements souterrains.
Il est une autre facette de la géologie tridimensionnelle qui peut considérablement influer sur le régime d’écoulement des eaux souterraines : la présence de failles géologiques. Les failles géologiques engendrent le déplacement de séquences rocheuses, si bien que des strates de nature différente peuvent se retrouver côte à côte. Elles peuvent provoquer la formation de vastes fractures ou broyer les roches en poudre fine, cette dernière pouvant se déposer en couche sur les plans de faille, ce qui donne une région à faible perméabilité. Ainsi, elles peuvent entraîner la formation de chemins d’écoulement à forte perméabilité pour les eaux souterraines ou, au contraire, créer des barrières à faible perméabilité qui font obstacle à l’écoulement souterrain.
Dans la modélisation réalisée à l’appui du contre-mémoire de la Bolivie (DHI, 2018), des conductivités hydrauliques élevées sont appliquées le long d’une zone de failles alléguée, qui, sur les cartes présentées (SERGEOMIN (Bolivie), 2017), s’étire de la zone humide Orientales jusqu’à la zone humide Cajones et s’incurve pour suivre le tracé du Silala et traverser la frontière internationale jusqu’au Chili (voir la figure 3-9). Toutefois, la présence d’une telle faille n’est corroborée en territoire chilien par aucune preuve, qu’il s’agisse d’un déplacement, d’un dépôt d’argile de faille ou encore d’éclats de roche. Dans ses rapports de 2003 et 2017, le SERGEOMIN (Bolivie) ne fournit aucun élément tendant à prouver un déplacement de grande ampleur et, dans sa coupe conceptuelle (figure 3-7), le DHI ne dépeint aucun déplacement dans la tranche de la faille. Dans son rapport de 2017, le SERGEOMIN (Bolivie) présente des éléments attestant la présence de fractures, leur orientation ainsi que l’existence de quelques failles mineures et de modestes déplacements associés
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en Bolivie, mais rien qui soit d’une ampleur comparable à celle du système de failles majeur introduit par le DHI.
Figure 3-9 Carte du DHI modifiée, 2018 (CMB, vol. 4, p. 76, figure 29) où apparaît en rouge (HGU7) le système de failles postulé par le DHI (SERNAGEOMIN (Chili), 2019)
Le DHI (2018) part de l’hypothèse que ce système de failles est vertical ; or, au plan géométrique, pour qu’un tel système à affleurement sinueux se produise conformément à l’hypothèse avancée dans DHI (2018), il faut que l’angle du système soit très faible. Le DHI spécifie que ce système de failles mesure 400 mètres de profondeur et 50 mètres de largeur et lui confère une conductivité hydraulique élevée jusqu’à 200 mètres de profondeur (DHI, 2018). Sur les cartes géologiques fournies avec SERGEOMIN (Bolivie) (2017), les failles apparaissent en tant qu’élément inféré. Toutefois, elles n’ont pas été mises en évidence dans la zone d’affleurement en Bolivie (SERGEOMIN (Bolivie), 2017) ou au Chili (SERNAGEOMIN (Chili), 2019). En outre, la morphologie des parois de la gorge du Silala à la frontière internationale et en aval de celle-ci, qui sont formées dans l’ignimbrite Silala (notation chilienne), ne présente aucune marque de déplacement, et on peut distinguer de larges joints qui se situent à peu près au même niveau de part et d’autre de la gorge (voir la figure 3-10) et dont le tracé est clairement continu tout le long de celle-ci.
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Figure 3-10 Joint à peu près horizontal observé dans l’ignimbrite Silala, qui traverse la gorge du Silala, sans déplacement. Photo prise vers l’amont à la jonction avec Quebrada Negra (SERNAGEOMIN (Chili), 2019)
En bref, aucune preuve ne semble attester l’existence du système de failles présenté par le DHI, alors même qu’il s’agit d’une caractéristique dominante de la représentation hydrogéologique qu’il utilise pour modéliser le système en champ proche.
Une faille normale verticale a été cartographiée au Chili (SERNAGEOMIN (Chili), 2019), d’orientation nord-sud ; elle influe sur le front de la coulée de lave dacitique datée de 2,6 Ma (tableau 1, séquences volcaniques du Pliocène supérieur), mais elle ne déplace pas l’ignimbrite Silala chilienne sus-jacente. Cet événement tectonique (faille) s’est produit entre 2,6 et 1,6 Ma (voir la figure 3-11). Cette configuration structurale et la présence de laves du Pliocène à faible perméabilité sous lesquelles on trouve l’ignimbrite Cabana, de même que l’amincissement de l’ignimbrite Silala, réduite progressivement à ses 8 mètres supérieurs (SERNAGEOMIN (Chili), 2019), réduisent la transmissivité de l’aquifère ignimbritique. Par conséquent, une surface piézométrique élevée est observée au forage SPW-DQN (Suárez et al., 2017), où les eaux souterraines débordent pour alimenter le Silala à hauteur d’environ 90 l/s (Suárez et al., 2017). L’exsurgence est apparue pendant le forage, à partir de 28 mètres de profondeur (communications personnelles, Muñoz, 2017). Cela indique clairement que la perméabilité varie considérablement en fonction de la profondeur, puisque ici l’étage supérieur de l’ignimbrite Silala (notation chilienne) se comporte sur plusieurs mètres comme une couche à faible perméabilité qui confine des eaux souterraines captives dans les couches inférieures et dans l’ignimbrite Cabana, que l’on trouve en profondeur (SERNAGEOMIN (Chili), 2019). Les écoulements souterrains descendants orientés vers le sud-ouest se trouvent très nettement réduits par l’existence de la faille, la présence de laves du Pliocène sous l’ignimbrite Silala chilienne et la représentation de l’ignimbrite Cabana sous-jacente à un niveau plus profond. Par conséquent, les niveaux des eaux souterraines dans l’ignimbrite Cabana sont très bas, comme on a pu le constater dans le forage EW-PS (SERNAGEOMIN (Chili), 2019 ; Arcadis, 2017). Ainsi, il existe d’importantes entités géologiques au Chili qui influent considérablement sur les écoulements souterrains à travers la frontière, mais ces entités ne sont pas reconnues par la Bolivie ou ne sont pas incluses dans la modélisation du DHI.
- 124 -
Figure 3-11 Profil structural schématisé dans le secteur sud-ouest du Silala (SERNAGEOMIN (Chili), 2019)
Légende :
N-S normal fault system (2.6-1.6 Ma), morphologically is a “soft” flexure
=
Système de failles normal d’orientation N-S (2,6-1,6 Ma), texture «meuble» au plan morphologique
Dacitic lava flow
=
Ecoulement de laves dacitiques
Debris flow deposit
=
Dépôt d’un écoulement de débris
Cabana fault
=
Faille Cabana
3.4. Conclusions
La géologie du bassin versant souterrain plus large du Silala est extrêmement complexe. Il apparaît clairement qu’une succession d’événements volcaniques à l’origine de coulées pyroclastiques s’est produite sur plusieurs millions d’années, entrecoupés de périodes érosives durant lesquelles des sédiments ont été déposés sous forme de coulées de débris et de dépôts fluviatiles mineurs. Quoiqu’inconnue, l’épaisseur de ces dépôts ignimbritiques est probablement importante, peut-être plus de 200 mètres, mais cela n’a pas été démontré par forage.
Il existe quatre différences principales entre l’interprétation chilienne de la géologie et celle proposée dans le rapport du DHI (DHI, 2018), lesquelles influent sur le modèle conceptuel hydrogéologique que le DHI tente de représenter numériquement dans ses modèles.
La première tient à la position stratigraphique des deux dépôts ignimbritiques mis en évidence le long du Silala au Chili. Les différents contacts géologiques observés au Chili, comme examinés ci-dessus, et les âges obtenus (tableau 1) sont compatibles avec la coupe schématique de la frontière internationale représentée à la figure 3-6 et les coupes géologiques présentées à la figure 3-8 (SERNAGEOMIN (Chili), 2019). Ils diffèrent considérablement de la coupe reproduite dans DHI (2018), laquelle représente de façon schématique la géologie observée le long de la même tranche à travers la gorge du Silala à la frontière internationale. L’interprétation du DHI n’est pas corroborée par les données chiliennes. En d’autres termes, la stratification intégrée dans ses modèles, utilisée pour représenter la configuration hydrogéologique, n’est pas étayée par les données chiliennes. Le DHI a eu recours au degré de soudage des ignimbrites et à un système de failles qu’il a lui-même proposé (voir ci-dessous) pour déterminer la stratification et la distribution des paramètres dans ses modèles, dont certaines zones se situent à la frontière internationale. L’effet susceptible d’en résulter est une distribution erronée des paramètres hydrauliques, à la fois en fonction de la profondeur et sur un plan latéral, ce qui influera sur le régime d’écoulement des eaux souterraines en aval et peut-être
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en amont des zones humides boliviennes. Un tel effet aura très probablement une incidence sur les écoulements de source et les charges motrices des eaux souterraines dans les modèles du DHI.
La deuxième différence tient au fait qu’il n’existe aucune preuve de l’existence d’une faille verticale majeure s’étirant le long du tracé de la gorge du Silala au Chili. Le DHI postule qu’il existe un système de failles vertical, qui génère des conductivités hydrauliques élevées à grande profondeur et dont la largeur en apparence arbitraire équivaut plus ou moins à la largeur de la gorge du Silala à la frontière internationale. Ce système impose une contrainte majeure aux écoulements souterrains dans le modèle, mais, comme noté plus haut, il n’est corroboré par aucun élément factuel.
La troisième différence réside dans le fait que, bien que nous reconnaissions que les dépôts ignimbritiques, dès lors qu’ils sont observés dans les couches affleurantes dans les zones humides boliviennes ou dans les carottages, sont susceptibles de présenter un haut degré de fracturation et de conférer au système une importante perméabilité par fracturation, la modélisation du DHI ne tient pas compte de la variabilité verticale de la perméabilité, démontrée par les conditions artésiennes relevées dans le forage chilien SPW-DQN, ce qui suppose la présence d’une importante couche encaissante.
Enfin, le DHI, dans ses modèles, ne tient pas compte de la géologie chilienne en aval, notamment de l’influence déterminante du jeu de failles ou de la présence de laves dacitiques du Pliocène à faible perméabilité qui reposent sur l’ignimbrite Cabana et sous l’ignimbrite Silala chilienne.
Le modèle numérique construit par le DHI a été utilisé pour prédire les écoulements de surface et souterrains, dans le but de comprendre quels auraient pu être ces écoulements avant l’aménagement des chenaux dans les zones humides boliviennes. Les biais introduits dans la représentation hydrogéologique du modèle sont clairs. La représentation géologique est incorrecte tant au plan stratigraphique qu’au plan structural et invoque un système de failles qui n’a pas été cartographié et qui est hautement improbable d’un point de vue géométrique. Ainsi, dans son modèle, le DHI émet l’hypothèse d’une distribution de valeurs élevées de conductivité hydraulique dans la région du système de failles postulé, sans aucun fondement.
Les effets de ces biais de modélisation sur la performance d’un modèle numérique souterrain sont inconnus, mais, à n’en pas douter, dans la réalité du terrain, les chemins d’écoulement des eaux souterraines et la distribution des valeurs hautes et basses de conductivité hydraulique seront nettement différents de ceux modélisés par le DHI. L’hydrogéochimie nous livre en outre d’autres preuves de cette mauvaise compréhension de l’hydrogéologie, comme nous l’examinons à la section 4 ci-après.
4. HYDROGÉOCHIMIE DES EAUX DE SURFACE ET DES EAUX SOUTERRAINES DU BASSIN HYDROGRAPHIQUE DU SILALA
Dans la présente section, nous examinons en quoi l’interprétation des données hydrogéochimiques influe sur la compréhension des origines des eaux souterraines qui alimentent les différentes sources situées dans le bassin versant souterrain du Silala et, en particulier, nous mettons en évidence les différences dans la composition chimique et isotopique des eaux des sources Cajones et Orientales en Bolivie. Ces données mettent en lumière des origines différentes, lesquelles, bien qu’acceptées par le DHI dans son rapport (CMB, vol. 4, p. 94), n’ont pas été représentées dans ses travaux de modélisation.
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4.1. Introduction
L’étude de l’évolution chimique et isotopique des eaux superficielles et souterraines peut contribuer au décodage des interactions complexes entre la rivière et les eaux souterraines, ainsi que des mécanismes de recharge à l’échelle locale et régionale qui alimentent le débit de la rivière, grâce à la différenciation des origines des eaux et des temps de résidence potentiels des eaux souterraines dans les aquifères.
Par exemple, la chimie des eaux souterraines dépend du chemin d’écoulement et de la chimie des roches traversées par l’eau. Les eaux souterraines sont généralement plus minéralisées que les eaux ruisselant en surface sur une pente, ces dernières rejoignant les eaux des rivières après avoir parcouru de courtes distances en surface et sur un temps court. Dans le cas du bassin versant du Silala, les eaux de surface qui intègrent le Silala proviennent essentiellement de sources alimentées par des émergences d’eaux souterraines. Les eaux souterraines transitent parfois pendant plusieurs années, à très faible vitesse, dans un aquifère. Si l’eau de source émane d’un aquifère particulier, on en trouvera généralement la trace dans la chimie de l’eau. En outre, les eaux de recharge des nappes peuvent présenter une signature isotopique, qui reflète l’altitude des précipitations à l’origine de la recharge.
Dans ce contexte, l’étude hydrogéochimique des eaux souterraines constitue une approche importante pour comprendre l’écoulement des eaux souterraines, ainsi que pour valider ou invalider les hypothèses du modèle conceptuel hydrogéologique. Dans le cas du bassin hydrographique du Silala, l’étude de l’hydrogéochimie a aidé à distinguer deux types différents d’aquifères et, surtout, à différencier les eaux de source des zones humides Cajones et Orientales.
Nous examinons ci-dessous les résultats des analyses chimiques, y compris des études isotopiques, des échantillons d’eau du Silala, d’eau de source et d’eau souterraine prélevés au Chili. Ces résultats sont présentés en détail dans Herrera et Aravena (2019a et 2019b). Les échantillons ont été principalement prélevés lors de trois campagnes d’échantillonnage, qui ont eu lieu en 2016 et 2017 (Herrera et Aravena, 2019a), pour couvrir à la fois la saison humide et la saison sèche. Une campagne plus modeste d’échantillonnage et d’analyse des eaux superficielles et souterraines a également été menée en 2018 dans la zone humide Quebrada Negra (Herrera et Aravena, 2019b), où un échantillon d’eau de source, deux échantillons d’eau de surface et quatre échantillons d’eau souterraine prélevés dans des piézomètres ont été analysés pour en déterminer la teneur en ions majeurs. Faute de temps, aucune analyse isotopique n’a pu être effectuée sur les échantillons prélevés lors de cette dernière campagne.
Les résultats cités par le DHI dans son rapport (DHI, 2018), joint au contre-mémoire de la Bolivie, sont également utilisés pour établir la nature et les origines des eaux du bassin hydrographique du Silala. Les données exposées dans le rapport du DHI (CMB, vol. 4, p. 89-94) se rapportent à 14 analyses chimiques d’échantillons d’eau prélevés dans des sources et des eaux souterraines peu profondes (extraites de piézomètres) dans le bassin hydrographique du Silala en Bolivie. Il n’est fait état d’aucune analyse de l’eau du Silala. Ces échantillons ont été prélevés au cours de campagnes réalisées pour les besoins de différentes études entre les années 2000-2001 et 2016-2017 (CMB, vol. 4, p. 539-542).
Herrera et Aravena (2019a) ont limité leur étude aux analyses qui présentaient une marge d’erreur inférieure à 10 % sur le bilan ionique (Custodio et Llamas, 1983). Cette pratique est communément utilisée pour assurer le contrôle de la qualité (Herrera et Aravena, 2019a) et, compte tenu de son application, seules 6 des 14 analyses boliviennes ont pu être utilisées pour être comparées aux données chiliennes. Dans ces analyses, on trouve des échantillons prélevés dans la gorge Cajones et dans la zone Orientales.
La variation spatiale de la composition chimique des eaux peut être visualisée à l’aide de diagrammes de Stiff. Un diagramme de Stiff consiste en une figure géométrique polygonale
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composée de trois axes horizontaux parallèles reportés de part et d’autre d’un axe vertical d’origine (axe 0). Les cations sont représentés en milliéquivalents à gauche de l’axe 0, en trois axes horizontaux, et les anions sont représentés à droite. Les diagrammes de Stiff présentés à la figure 4-1 ont été établis pour toutes les analyses chimiques des données en saison sèche au Chili (les données en saison humide sont similaires) et pour toutes les analyses boliviennes présentant une marge d’erreur satisfaisante sur le bilan ionique.
Figure 4-1 Diagrammes de Stiff modifiés des eaux de la zone du Silala au Chili (saison des pluies) et en Bolivie (Herrera et Aravena, 2019b)
Légende :
Scale
=
Echelle
Sample sites
=
Sites d’échantillonnage
Wells
=
Puits
River
=
Rivière
Surface runoff
=
Ecoulement de surface
4.2. Examen des résultats de l’analyse chimique
Toutes les analyses d’eaux présentées dans Herrera et Aravena (2019a) dénotent une salinité relativement faible, bien que l’on constate des écarts de salinité significatifs entre les différentes eaux.
La figure 4-1 montre que les eaux de source dans la partie septentrionale du Silala en territoire bolivien (gorge Cajones et pentes du Cerro Inacaliri) se caractérisent par une faible salinité, oscillant entre 113 et 129 μS/cm (Herrera et Aravena, 2019a), une fourchette proche de celle des sources situées dans la partie septentrionale du Silala en territoire chilien. Les eaux souterraines de la gorge Cajones, prélevées dans des piézomètres peu profonds, affichent elles aussi une faible salinité, similaire à celle des eaux de source au Chili (Herrera et Aravena, 2019a). Tous ces échantillons, comme on peut le voir à la figure 4-1, ont un faciès bicarbonaté Na-Ca.
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En revanche, on distingue des eaux de source plus salines, dans la fourchette 254-394 μS/cm, dans la zone humide Orientales en Bolivie (Herrera et Aravena, 2019a). De même, les eaux souterraines de la zone humide Orientales, prélevées dans des piézomètres peu profonds, ont une salinité relativement élevée, proche de celle relevée dans les sources Orientales. Il convient de noter que les eaux des sources Orientales présentent une salinité nettement plus élevée que celle des sources situées au Chili ou dans la zone Cajones en Bolivie et que leurs conductivités se trouvent dans le même intervalle de salinité que les eaux souterraines au Chili (y compris celles de la zone humide Quebrada Negra). Ces eaux tendent également à présenter un faciès bicarbonaté calcique, tout comme les eaux souterraines prélevées en territoire chilien.
Au Chili, les sources du versant nord de la gorge du Silala ont une composition chimique similaire à celle des eaux de la rivière et se distinguent clairement des eaux souterraines profondes prélevées au Chili ou des échantillons d’eau de source de la zone humide Orientales. En aval de la confluence entre Quebrada Negra et le Silala, l’eau de la rivière affiche une teneur en magnésium nettement supérieure (voir la figure 4-1 et Herrera et Aravena, 2019b). Cette composition chimique reflète les apports en eaux riches en magnésium retrouvées dans les échantillons d’eaux souterraines de la vallée de Quebrada Negra et est très différente de la composition des autres eaux, notamment celles des échantillons boliviens, ce qui indique l’extrême complexité de l’hydrogéologie et des origines de ces eaux.
Si l’on examine de plus près la figure 4-1, on constate que les diagrammes de Stiff et la salinité des eaux de source et des eaux souterraines de Cajones et des pentes d’Inacaliri sont très similaires à ceux des sources du versant nord de la gorge du Silala, en aval.
4.3. Analyses des isotopes
La présente section s’intéresse à l’évaluation des données relatives aux isotopes de l’environnement recueillies à partir de sources, de la rivière et de puits situés, en territoire chilien, dans le bassin versant topographique du Silala. Les isotopes stables examinés dans la présente section sont l’oxygène 18 (18O), le deutérium (2H) et le carbone 13 (13C), auxquels s’ajoute l’isotope radioactif du carbone 14 (14C).
4.3.1. Interprétation des données relatives à l’oxygène 18 et au deutérium (δ18O et δ2H)
La méthode d’interprétation des données d’analyse de δ18O et δ2H est expliquée en détail dans Herrera et Aravena (2019a). Les résultats sont exposés aux figures 4-2 et 4-3, où les données pour les saisons humide et sèche sont présentées avec la droite des eaux météoriques mondiale (DMM) et la droite météorique locale (DML).
Les deux graphiques laissent apparaître une tendance nette. Les sources situées dans le cours supérieur de la rivière au Chili (en amont de sa jonction avec Quebrada Negra) ont une empreinte isotopique différente de celle des sources se trouvant dans la partie nord du cours inférieur de la rivière (en aval de sa jonction avec Quebrada Negra). Les données du deuxième diagramme sont proches de la DML, ce qui indique que la recharge est localisée, tandis que les données du premier diagramme sont situées en dessous de la DML, ce qui traduit une recharge à plus haute altitude. Les résultats montrent également que certaines sources situées dans la partie méridionale du cours inférieur de la rivière (en aval de sa jonction avec Quebrada Negra) au Chili ont une empreinte isotopique similaire à celle du cours supérieur. Cette tendance semble indiquer que ces sources appartiennent au même système hydrogéologique que celui qui alimente les sources dans le cours supérieur de la rivière au Chili (ou à un système similaire). C’est important dès lors que l’on intègre les données chimiques et isotopiques relatives au Chili et à la Bolivie pour étudier les origines des eaux des sources boliviennes.
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Figure 4-2 Représentation schématique de la composition isotopique δ18O et δ2H de la rivière, de l’eau de source et de l’eau des puits pendant la saison des pluies (Herrera et Aravena, 2019a)
Légende :
SMOW
=
Etalon moyen de l’eau de mer
LML
=
DML
GML
=
DMM
Silala River rainy season
=
Silala, saison des pluies
Springs Silala River rainy season
=
Sources, saison des pluies du Silala
Wells in Silala River rainy season
=
Puits, saison des pluies du Silala
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Figure 4-3 Représentation schématique de la composition isotopique δ18O et δ2H de la rivière, de l’eau de source et de l’eau des puits pendant la saison sèche (Herrera et Aravena, 2019a)
Légende :
SMOW
=
Etalon moyen de l’eau de mer
LML
=
DML
GML
=
DMM
Silala River dry season
=
Silala, saison sèche
Springs Silala River dry season
=
Sources, saison sèche du Silala
Wells in Silala River dry season
=
Puits, saison sèche du Silala
L’eau émanant d’une source de Quebrada Negra (SP-SI-10) présente une composition isotopique comprise dans la fourchette de l’eau de source qui jaillit de la rive nord du cours de la rivière, en amont de sa jonction avec Quebrada Negra.
Les données isotopiques recueillies pour les eaux souterraines pendant les deux saisons révèlent également une empreinte similaire, ce qui semble indiquer que toutes ces eaux sont associées à des zones de recharge situées à des altitudes similaires. Toutefois, pendant la saison sèche, le groupe des eaux souterraines tend à se séparer quelque peu des eaux de source, ce qui pourrait signifier que l’aquifère régional se recharge à plus haute altitude que la rivière et les sources au Chili.
Il ressort clairement de ces données isotopiques et des analyses chimiques (Herrera et Aravena, 2019a et 2019b) que l’eau de la rivière et les sources au Chili en amont de Quebrada Negra sont probablement étroitement liées. La tomographie électrique (Arcadis, 2017) a montré la présence
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probable d’aquifères à nappe perchée dans les dépôts alluviaux (Herrera et Aravena, 2019a ; Arcadis, 2017) sur le versant sud du Cerro Inacaliri. Il semble probable que la recharge de ces aquifères à nappe perchée situés dans les dépôts alluviaux, lesquels reposent sur l’ignimbrite Silala chilienne et, peut-être, sur l’ignimbrite Cabana, alimente en eaux souterraines peu profondes les sources du Silala au Chili, en amont de Quebrada Negra. Les dépôts alluviaux qui renferment ces aquifères perchés sont, sans l’ombre d’un doute, contigus aux dépôts similaires observés en Bolivie, dépôts dont on peut s’attendre à ce qu’ils alimentent eux aussi des aquifères à nappe perchée. De même, un ou plusieurs aquifères à nappe perchée situés dans les vastes coulées de lave andésitique (SERNAGEOMIN (Chili), 2017) qui affleurent en Bolivie au nord-ouest de la zone humide Cajones et au nord de la zone humide Orientales sont susceptibles d’alimenter en eaux souterraines les sources de la zone humide Cajones et d’une partie de la zone humide Orientales en Bolivie.
4.3.2. Données relatives au carbone 14 et au carbone 13
On trouve dans Herrera et Aravena (2019a) une discussion détaillée des motifs justifiant la datation au carbone 14 et l’utilisation du carbone 13 pour corriger les facteurs de complication, à savoir l’apport de carbone issu de la zone de sol, de la dissolution des minéraux carbonatés et du dioxyde de carbone des roches volcaniques dans les eaux souterraines. En raison de ces facteurs de complication et de l’incertitude liée aux corrections, Herrera et Aravena se sont limités, dans leur interprétation de la teneur en 14C des eaux souterraines échantillonnées dans le bassin versant souterrain du Silala, au pourcentage de carbone moderne (pMC) utilisé comme traceur pour évaluer les interactions entre la rivière et les eaux souterraines, d’une part, et entre la rivière et les sources, d’autre part. En général, plus le pMC est élevé, plus l’eau est jeune. En raison des complications évoquées ci-dessus, il est estimé que les dates boliviennes (CMB, vol. 4, tableau 14, p. 92) ne sont pas crédibles.
Les sites d’échantillonnage chiliens et les valeurs pMC pour la saison sèche sont représentés à la figure 4-4, en parallèle des sites et des données boliviens. Les données boliviennes sont extraites du rapport du DHI (CMB, vol. 4, tableau 14, p. 92).
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Figure 4-4 Distribution des points d’échantillonnage du 14C dans le bassin hydrographique du Silala au Chili (pendant la saison sèche) et en Bolivie, et leurs valeurs exprimées en pourcentage de carbone moderne (pMC) (Herrera et Aravena, 2019a)
Légende :
Silala river basin groundwater catchment
=
Bassin versant souterrain du bassin hydrographique du Silala
Inacaliri Police Station
=
Poste de police d’Inacaliri
CODELCO Intake
=
Prise d’eau de la CODELCO
FCAB Intake
=
Prise d’eau de la FCAB
Military Post
=
Poste militaire
Sample sites
=
Sites d’échantillonnage
Springs
=
Sources
Wells
=
Puits
River
=
Rivière
(14C pMC)
=
(teneur en 14C exprimée en pMC)
Etablie à 31,25 pMC (figure 4-4) à la frontière internationale, la teneur en 14C augmente à mesure que l’eau s’écoule vers l’aval dans le Silala au Chili. Cette hausse est attribuée aux apports latéraux d’eaux souterraines issus des sources qui alimentent la rivière sur le versant nord de la gorge. En un point situé plus en aval, au-delà de la jonction avec Quebrada Negra, la teneur en 14C de la rivière descend à 18,1 pMC. La baisse est causée par un apport d’eaux souterraines jaillissant du puits artésien, échantillon SPW-DQN-SI-O17, dont la teneur en 14C s’établit à 8,36 pMC ; il s’agit donc d’eaux beaucoup plus vieilles (figure 4-4). En aval de ce puits, d’autres apports souterrains fournis par des sources émergeant de nappes perchées entraînent une augmentation du pMC dans la rivière. Le rapport du DHI (2018) ne contient aucune information sur la concentration en 14C d’eaux qui auraient été prélevées dans la rivière.
En revanche, des concentrations bien supérieures ont été relevées dans des échantillons des sources situées au nord de la gorge, en aval de Quebrada Negra, tant pendant la saison sèche que
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pendant la saison des pluies, les valeurs oscillant entre 67,44 et 70,66 pMC. Ces valeurs sont comparables à la teneur en 14C (86,29 pMC) relevée pour une source située en Bolivie, qui alimente la zone humide Cajones. Des valeurs de concentration inférieures, 25,67 et 30,67 pMC, similaires à celles des sources se trouvant dans le secteur chilien, sont observées dans les sources situées dans la zone humide Orientales en Bolivie. Ces sources présentent une salinité supérieure à celle des sources de la zone humide nord (Cajones) et proche de celle des eaux souterraines échantillonnées au Chili, ce qui semble indiquer que les sources en question sont associées aux eaux souterraines émises par un système d’écoulement hydrogéologique régional. La source située à Quebrada Negra (échantillon SP-SI-10-O17), qui pourrait être une émergence d’un système d’écoulement régional, lui-même potentiellement rechargé à plus haute altitude en Bolivie, présente un pMC similaire à celui des sources susmentionnées dans les zones humides Orientales.
Les eaux souterraines profondes échantillonnées au Chili affichent des concentrations en 14C bien inférieures (figure 4-4) à celles relevées dans les sources, le Silala ou les échantillons boliviens. Comme indiqué ci-dessus, la plus faible teneur en 14C (8,36 pMC) a été enregistrée dans les eaux souterraines émises par le forage artésien, échantillon SPW-DQN-SI-O17. Les eaux souterraines qui jaillissent de ce forage devraient normalement rester captives sous les couches supérieures de l’ignimbrite Silala chilienne.
Le rapport du DHI (CMB, vol. 4, p. 103), qui se fonde sur les données de concentration en 14C de la Bolivie, évoque «des eaux anciennes dans la zone humide sud (qui pourraient avoir jusqu’à 11 000 ans d’âge) et des eaux nettement plus jeunes dans la zone humide nord (qui pourraient avoir jusqu’à 1000 ans d’âge)». S’il est vrai que ces eaux ont des origines et des compositions chimiques différentes, comme nous l’avons montré plus haut, ces estimations d’âges sont incorrectes, puisqu’elles ne tiennent pas compte de l’effet de dilution dû à la dissolution des carbonates le long du système d’écoulement des eaux souterraines et de l’apport potentiel de CO2 issu des roches volcaniques (Herrera et Aravena, 2019a).
4.4. Conclusions relatives aux origines des eaux de source dans le bassin versant souterrain du Silala
A l’évidence, l’eau du Silala qui traverse la frontière internationale est étroitement liée aux écoulements des sources émergeant dans les zones humides boliviennes. Néanmoins, les analyses chimiques et isotopiques révèlent que les systèmes hydrogéologiques sont complexes. La thèse selon laquelle il existe un ou plusieurs aquifères à nappe perchée, qui alimentent les sources dans la zone située au nord de la gorge du Silala, en amont de la jonction avec Quebrada Negra, est fondée, compte tenu de la différence de composition chimique entre les sources et les eaux souterraines profondes et sachant que les niveaux des eaux souterraines profondes au Chili sont bien inférieurs à la cote de la rivière. Les eaux souterraines et les eaux de surface observées dans la zone humide Quebrada Negra sont encore plus complexes. Elles sont plus riches en magnésium que toutes les autres eaux analysées dans le bassin hydrographique du Silala et elles semblent influencer la chimie de l’eau du Silala en aval de sa jonction avec la gorge Quebrada Negra, mais leur salinité élevée porte à croire qu’elles sont peut-être reliées à un aquifère profond régional.
Les différences relevées dans la salinité, la chimie des ions majeurs et les valeurs pMC des eaux des sources Cajones et des eaux des sources Orientales sont marquées et indiquent que les deux ensembles de sources en Bolivie ont des origines distinctes.
Les analyses chimiques et isotopiques des eaux de source de la zone Cajones révèlent d’importantes similitudes avec les sources observées sur le versant nord de la gorge du Silala, en aval de la jonction avec Quebrada Negra. Ces dernières présentent des compositions δ18O et δ2H compatibles avec l’émergence d’une zone de recharge localisée.
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Les analyses chimiques et isotopiques de la source et des eaux souterraines peu profondes de la zone humide Orientales indiquent une origine différente, qui correspond probablement à un mélange d’eaux souterraines peu profondes à recharge localisée (probablement issues des dépôts alluviaux ou des laves du Pléistocène des volcans Inacaliri et Apagado) et d’eaux souterraines provenant d’un aquifère régional. Certains des échantillons étaient très similaires aux eaux souterraines plus profondes analysées au Chili.
Il apparaît clairement que les caractéristiques chimiques des eaux de source de la zone Orientales et de celles de la zone Cajones sont nettement différentes. Toutefois, le modèle en champ proche du DHI ne semble pas avoir tenu compte de ces différences ni des origines distinctes des deux réseaux d’émergence des sources, si bien que la représentation des écoulements de source par le modèle est probablement biaisée. Ainsi, les scénarios simulés pour prédire ce que ces écoulements de source auraient été à l’état naturel, sans l’influence de la chenalisation ou dans un environnement humide restauré, sont aussi susceptibles d’être biaisés. La recharge de l’un des réseaux de sources se fait via des chemins d’écoulement souterrains qui se distinguent clairement de ceux empruntés dans l’autre réseau ; il est donc très probable que les temps de résidence des eaux souterraines débitées dans ces sources soient assez différents. Par conséquent, on ne saurait raisonnablement modéliser ces réseaux en postulant qu’ils sont identiques, s’alimentent dans les mêmes zones de recharge et ont les mêmes origines. Nous en concluons que la modélisation se fonde sur une représentation conceptuelle incorrecte du régime d’écoulement des eaux souterraines et qu’elle produira nécessairement des résultats et des prédictions biaisés.
5. RÉSUMÉ DE L’HYDROGÉOLOGIE DU BASSIN VERSANT SOUTERRAIN DU SILALA  POINTS DE CONVERGENCE ET DE DIVERGENCE ENTRE LE CHILI ET LA BOLIVIE
Dans la présente section, nous faisons la synthèse de l’hydrogéologie du bassin versant souterrain du Silala et, partant, nous mettons en lumière les défauts relevés dans la modélisation du DHI, qui propose une représentation incorrecte de l’hydrogéologie. C’est un point important, car, sans représentation appropriée de l’hydrogéologie, il est probable que les résultats des différentes prédictions établies à l’aide des scénarios soient incorrects.
Dans notre brève description de l’hydrogéologie du bassin hydrographique du Silala, nous nous appuyons sur un ensemble d’éléments probants issus de la cartographie géologique, de la datation radiométrique et de forages, auxquels nous ajoutons les interprétations des analyses hydrogéochimiques entreprises aussi bien au Chili qu’en Bolivie, le tout corroborant de manière convaincante la représentation hydrogéologique chilienne du régime d’écoulement des eaux souterraines dans le bassin hydrographique du Silala.
Il apparaît clairement qu’il existe au moins deux types d’aquifères actifs dans le bassin versant au Chili :
a) un système aquifère à nappe perchée, présent dans les dépôts alluviaux qui reposent sur les formations volcaniques de socle mises en évidence dans le bassin hydrographique du Silala (Arcadis, 2017) ;
b) un système aquifère régional formé par une succession de dépôts ignimbritiques interstratifiée dans des écoulements de sédiments fluviatiles déposés en Bolivie et au Chili, qui se recharge dans le bassin versant souterrain du Silala (Arcadis, 2017 ; DHI, 2018).
Il ressort en outre clairement que les eaux de recharge du bassin versant souterrain, situé en grande partie côté bolivien, qui pénètrent dans l’aquifère régional ignimbritique émergent sous forme d’eaux de source dans les zones humides boliviennes ou bien s’écoulent dans les ignimbrites (au Chili, l’ignimbrite Silala (notation chilienne) ou l’ignimbrite Cabana (notation chilienne)). Il est clair
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que les eaux souterraines circulent sous l’effet d’un gradient hydraulique de la Bolivie au Chili, à travers les ignimbrites (Arcadis, 2017), comme en conviennent les experts de la Bolivie. Les eaux souterraines de l’aquifère régional formé par la succession d’ignimbrites ne peuvent atteindre le Chili que sous forme d’écoulement de surface issu des sources du champ proche en Bolivie, en particulier les sources des zones humides Cajones et Orientales boliviennes, ou sous forme d’écoulement souterrain sous la zone du modèle en champ proche bolivien, écoulement qui transitera jusqu’au Chili sous l’effet du gradient hydraulique. Aucun autre chemin d’écoulement souterrain n’est possible, en raison de la présence des édifices du Cerro Inacaliri et du volcan Apagado, dont les bases sont posées sur des dépôts volcaniques du Miocène à faible perméabilité (SERNAGEOMIN (Chili), 2019).
Les analyses hydrogéochimiques ont apporté de solides éléments corroborant l’existence de ces deux systèmes aquifères distincts, qui, dans l’ensemble, présentent un faible degré de connexion (Arcadis, 2017 ; Herrera et Aravena, 2017 ; Herrera et Aravena, 2019a et 2019b). Or, le DHI ne les inclut pas en tant que systèmes aquifères séparés dans son modèle en champ proche, alors même qu’il reconnaît que les données isotopiques du 14C mettent en évidence des différences nettes entre les eaux des zones humides Orientales et celles des zones humides Cajones. La configuration de la géologie et de l’hydrogéologie du bassin versant souterrain du Silala, telle qu’élaborée par le Chili sur la base de solides éléments probants, n’est pas intégrée au modèle en champ proche du DHI.
Les apports issus des précipitations (pluies et fonte des neiges) s’infiltrent dans les deux systèmes aquifères et les eaux souterraines s’écoulent jusqu’à un certain nombre de systèmes de sources au Chili (dont certains alimentent la zone humide Quebrada Negra (Muñoz et Suárez, 2019)) et en Bolivie, où ils alimentent les zones humides Cajones et Orientales (Arcadis, 2017 ; Muñoz et al., 2017 ; DHI, 2018).
Ces apports d’eau fournissent des flux aux systèmes de sources et à ceux des zones humides. Toutefois, la configuration détaillée de la géologie est extrêmement complexe (SERNAGEOMIN (Chili), 2019). Cela signifie que les chemins d’écoulement des eaux souterraines, la distribution de la perméabilité et les origines des eaux alimentant les différents systèmes de sources sont aussi complexes et ne sont pas connus avec précision.
Si les experts s’accordent sur l’existence d’un aquifère régional dans les roches ignimbritiques, il a été montré que l’interprétation bolivienne de la nature tridimensionnelle de ce système était à plus d’un titre incorrecte :
 Il apparaît clairement que le système aquifère ignimbritique mis en évidence au Chili (les ignimbrites Silala et Cabana chiliennes), auquel est associé un écoulement de sédiments fluviatiles interstratifié (voir la section 3 ci-dessus), n’est pas reconnu par le DHI dans son rapport (DHI, 2018) et n’est pas intégré à ses modèles.
 Les éléments présentés montrent que la thèse d’un système de failles majeur situé sous la gorge du Silala n’est pas du tout plausible. Le DHI introduit ce système de failles sous forme de distribution particulière de valeurs élevées de perméabilité dans son modèle en champ proche, ce dernier étant par conséquent fondé sur une représentation conceptuelle incorrecte de la géologie et de l’hydrogéologie.
 La modélisation du DHI ne tient nullement compte de la variabilité verticale de la perméabilité dans l’aquifère ignimbritique régional, variabilité clairement démontrée par les conditions artésiennes observées dans le forage chilien SPW-DQN, ce qui suppose l’existence d’une importante couche encaissante.
 Les effets de la formation de failles à l’extrémité aval du bassin versant topographique du Silala sur le système d’écoulement souterrain dans le bassin versant n’ont pas été pris en compte par le DHI dans sa modélisation.
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 Enfin, les origines différentes des eaux alimentant les systèmes de sources des zones humides boliviennes n’ont pas été intégrées au modèle en champ proche du DHI (voir la section 4.4 ci-dessus).
A l’évidence, l’hydrogéologie du bassin versant souterrain est extrêmement complexe et nombre de ses caractéristiques mises en évidence au Chili n’ont pas été prises en compte par le DHI dans sa modélisation. Compte tenu, en particulier, de la subtilité des changements associés à la chenalisation en Bolivie et de la non prise en compte de caractéristiques clés de l’hydrogéologie, les prédictions reposant sur les scénarios du DHI comporteront nécessairement de graves biais.
6. DISCUSSION SUR L’AUGMENTATION DES ÉCOULEMENTS DES SOURCES DANS LES ZONES HUMIDES CAJONES ET ORIENTALES PAR LE RECOURS À DES EXPLOSIFS
Dans la présente section, nous examinons brièvement la thèse avancée dans le contre-mémoire de la Bolivie, selon laquelle des explosifs auraient été utilisés pour élargir les points d’émergence des sources dans les zones humides boliviennes. Nous concluons que l’amplification des écoulements d’eaux de source au moyen de procédés par explosifs, tels que décrits dans le contre-mémoire de la Bolivie, n’est pas possible.
La Bolivie mentionne le recours à des explosifs pour accroître les émergences d’eaux de source («Des traces de l’utilisation d’explosifs sont toujours clairement visibles à de nombreux points d’émergence des sources en Bolivie» ; CMB, vol. 1, p. 47).
Les seuls éléments avancés à l’appui de cette prétention proviennent d’un cliché unique (CMB, vol. 4, p. 101, figure 44), qui inclut, entre parenthèses, l’expression «précipités déposés sur les roches». Ce n’est en rien suffisant pour que le DHI puisse affirmer que, «[c]ompte tenu de l’abattage des roches à l’explosif dans la zone occupée par nombre des sources, il se peut que les gradients hydrauliques actuels aient été altérés par rapport à ce qu’ils seraient à l’état naturel» (CMB, vol. 4, p. 101). Si des tirs d’abattage avaient été utilisés pour creuser les chenaux aux points d’émergence des sources, les effets sur les gradients hydrauliques seraient à notre avis négligeables.
Si l’abattage à l’explosif a été pratiqué en d’autres endroits pour accroître les rendements des puits de pompage, nous sommes d’avis qu’il est hautement improbable, compte tenu de l’existence historique des émergences de sources (séculaires, voire millénaires) et des processus naturels d’érosion associés, que des tirs de mines, si tant est qu’ils aient eu lieu, aient eu une incidence notable sur les émergences de sources. Dans son contre-mémoire, la Bolivie cite Driscoll, F. G. (1978) (CMB, vol. 1, p. 47) pour prouver que l’abattage à l’explosif peut accroître les flux d’eau par un facteur de 6 à 20. L’article auquel le contre-mémoire fait référence porte sur l’amplification des apports d’eau dans des forages profonds réalisés dans des granites, quartzites et ardoises présentant un faible degré de fracturation, et non sur des sources. Ces roches sont métamorphes et ont subi de considérables modifications sous l’effet de pressions et températures élevées. Elles sont en général très peu perméables. Les ignimbrites des zones humides du Silala présentent, d’après les éléments produits par la Bolivie elle-même, un degré élevé de fracturation ainsi que des joints majeurs et mineurs (SERGEOMIN (Bolivie), 2017).
Les forages profonds (bien plus de 100 mètres) qui ont subi les travaux de tirs cités ont été obturés par du sable de bourrage pour diriger le tir horizontalement. Avec ces méthodes, une augmentation considérable de l’écoulement des sources ne serait pas possible. L’affirmation de la Bolivie selon laquelle des explosifs ont été utilisés pour accroître les débits des sources n’est par conséquent pas crédible.
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7. CONCLUSIONS
i) Quels éléments nouveaux ont été produits depuis le dépôt du mémoire du Chili en juillet 2017 concernant la compréhension de la géologie et de l’hydrogéologie du Silala ?
De nouvelles recherches ont été menées dans le bassin versant topographique du Silala, notamment des observations de terrain, une nouvelle analyse des déblais de forage, une cartographie géologique et une datation radiométrique de l’ignimbrite Silala (notation chilienne) et des laves du Pliocène. Ces nouvelles informations ont permis une compréhension plus détaillée de la stratigraphie au Chili et de la présence, sur une vaste zone, d’une coulée de débris reposant à la base de l’ignimbrite Silala (notation chilienne) et à la limite supérieure de l’ignimbrite Cabana (notation chilienne). Elles ont aussi permis de mettre au jour, en territoire chilien, une faille majeure située à quelques centaines de mètres sous la jonction entre le Silala et sa vallée tributaire Quebrada Negra. Ni la stratigraphie ni cette structure n’ont été prises en compte dans la représentation conceptuelle hydrogéologique de la Bolivie ou intégrées à ses modèles numériques. Le DHI introduit un nouveau système de failles qui s’étire à travers les zones humides boliviennes jusqu’à la gorge du Silala puis se poursuit au Chili (DHI, 2018), mais aucune preuve corroborante n’a été découverte au Chili.
De nouvelles recherches hydrogéochimiques ont révélé la nature différente des eaux de source et des eaux souterraines de Quebrada Negra. Couplées aux données chiliennes, les analyses chimiques et isotopiques de la Bolivie ont en outre révélé : a) les origines nettement différentes de la recharge des eaux de source des zones humides boliviennes, Cajones (mentionnée dans DHI (2018) sous l’appellation zone humide ou bofedal nord) et Orientales (mentionnée dans DHI (2018) sous l’appellation zone humide ou bofedal sud), et b) les grandes similitudes entre les eaux de source chiliennes, qui se rechargent dans des aquifères à nappe perchée, et les eaux de source et eaux souterraines de la zone humide Cajones en Bolivie. Comme pour la structure géologique et la stratigraphie, mentionnées ci-dessus, cette différence importante observée dans les eaux de recharge des deux sources boliviennes n’a pas été intégrée à la modélisation du DHI.
ii) La représentation conceptuelle hydrogéologique et la paramétrisation des modèles numériques proposées par les experts de la Bolivie (le DHI) offrent-elles une base suffisante pour quantifier les effets de la chenalisation sur les écoulements de surface et souterrains qui circulent de la Bolivie au Chili ?
Les modèles numériques du DHI intègrent une stratigraphie incorrecte et un système de failles invraisemblable et ne tiennent pas compte de la structure géologique chilienne à gradient descendant ou des origines différentes des eaux des sources Cajones et Orientales. En particulier :
a) Le système aquifère ignimbritique mis au jour au Chili (les ignimbrites Silala et Cabana chiliennes) de même qu’une coulée interstratifiée de sédiments fluviatiles n’ont pas été pris en compte par le DHI dans son rapport (DHI, 2018) et n’ont pas non plus été intégrés à ses modèles, ce qui vaut également pour l’hétérogénéité verticale de la perméabilité. Il ne fait donc aucun doute que les chemins d’écoulement des eaux souterraines qu’il simule en réaction à la répartition de la perméabilité dans le modèle sont faux.
b) Le système de failles qu’il propose aura aussi une incidence sur les chemins d’écoulement des eaux souterraines et la facilité avec laquelle ces eaux sont capables de se déplacer dans la région du système de failles postulé.
c) Les origines différentes des eaux des sources Cajones et Orientales s’expliquent par la présence de deux systèmes aquifères distincts mis en évidence par le Chili (en s’appuyant sur un volume considérable de preuves corroborantes (sections 3, 4 et 5)), mais ceux-ci n’ont pas été inclus dans les modèles du DHI.
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d) Le jeu de failles cartographié à l’aval de l’affleurement au Chili et la présence de laves du Pliocène (sections 3 et 5) entre les deux ignimbrites (chiliennes) (au Chili), qui entraîne une réduction de la perméabilité des ignimbrites Cabana et Silala au Chili, n’ont pas non plus été pris en compte.
Nous en concluons que les modèles du DHI ne simulent pas correctement le système hydrogéologique et ne sont pas indiqués pour quantifier les effets de la chenalisation dans les zones humides boliviennes ou représenter de manière exacte l’actuel système hydrologique.
iii) Dans les sources Cajones et Orientales, l’écoulement des sources à apports souterrains aurait-il pu être considérablement amplifié par le recours à des explosifs ?
Les éléments utilisés pour démontrer que les sources à apports souterrains de la zone humide Cajones et Orientales ont été amplifiées par le recours à des explosifs sont peu convaincants et la référence invoquée à l’appui de l’accroissement des rendements des forages profonds au moyen de procédés par explosifs n’est pas applicable en l’espèce. Il est impossible que les sources aient été considérablement agrandies pour augmenter les rendements selon les procédés par explosifs évoqués par la Bolivie.
En résumé, nous avons montré que les résultats de la modélisation numérique présentés par la Bolivie pour démontrer les effets allégués de la chenalisation dans les zones humides boliviennes sont incorrects. Les modèles de la Bolivie reposent sur une représentation erronée du système hydrologique actuel et des scénarios proposés. En bref, avec un tel fondement conceptuel, les modèles étaient voués à produire des prédictions invraisemblables.
8. RÉFÉRENCES
Arcadis, 2017. Detailed hydrogeological study of the Silala River (mémoire du Chili, vol. 4, annexe II).
Almendras, A. O., Balderrama, Z. B., Menacho, L. M., et Quezada, C. G., 2002. Mapa geológico hoja Volcán Ollagüe, escala 1:250.000. Mapas Temáticos de Recursos Minerales de Bolivia. SERGEOMIN, Bolivie.
Blanco, N. et Polanco, E., 2018. Geology of the Silala River Basin, Northern Chile. Servicio Nacional de Geología y Minería (SERNAGEOMIN) (réplique du Chili, vol. 3, annexe XIV, appendice C).
Custodio, E. et Llamas, M. R., 1983. Hidrología subterránea. Omega. Barcelone.
Danish Hydraulic Institute (DHI), 2018. Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala (contre-mémoire de la Bolivie, annexe 17).
Driscoll, F. G., 1978. Blasting — It turns dry holes into wet ones. Johnson Drillers Journal, 3.
Herrera, C. et Aravena, R., 2019a. Chemical and isotopic characterization of surface water and groundwater of the Silala River transboundary basin, Second Region, Chile (réplique du Chili, vol. 3, annexe XI).
Herrera, C. et Aravena, R., 2019b. Chemical characterization of surface water and groundwater of the Quebrada Negra, Second Region, Chile (réplique du Chili, vol. 3, annexe XII).
Herrera, C. et Aravena, R., 2017. Chemical and Isotopic Characterization of Surface Water and Groundwater of the Silala River Transboundary Basin, Second Region, Chile (mémoire du Chili, vol. 4, annexe II).
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Latorre, C. et Frugone, M., 2017. Holocene Sedimentary History of the Río Silala (Antofagasta Region, Chile) (mémoire du Chili, vol. 5, annexe IV).
Muñoz, J. F. et Suárez, F., 2019. Quebrada Negra Wetland Study (réplique du Chili, vol. 3, annexe XIII).
Muñoz, J. F., Suárez, F., Fernandez. B., et Maas, T., 2017. Hydrology of the Silala River Basin (mémoire du Chili, vol. 5, annexe VII).
Peach, D. W. et Wheater, H. S., 2017. L’évolution du Silala, de son bassin versant et de sa gorge (mémoire du Chili, vol. 1).
Ríos, H., Baldellón, E., Mobarec, R. et Aparicio, H., 1997. Mapa Geológico Hojas Volcán Inacaliri y Cerro Zapaleri, escala 1:250.000. Mapas Temáticos de Recursos Minerales de Bolivia, SGM Serie II-MTB-15B. SERGEOMIN.
Sellés, D. et Gardeweg, M., 2017. Geología del área Ascotán-Cerro Inacaliri. SERNAGEOMIN, Carta Geológica de Chile, Serie Geología Básica, Santiago (mémoire du Chili, vol. 6, appendice G).
SERGEOMIN (Bolivie), 2003. Estudio de cuencas hidrográficas, Cuenca manantiales del Silala, Cuenca 20 [Etude des bassins hydrographiques, bassins des sources du Silala, bassin 20] (réplique du Chili, vol. 2, annexe 94).
SERGEOMIN (Bolivie), 2017. Proyecto Mapeo Geológico-Estructural del área circundante al manantial del Silala, Departamento de Potosí. Convenio Interinstitucional, Servicio Geológico Minero (SERGEOMIN)-DIREMAR, La Paz, Bolivia (réplique du Chili, vol. 3, annexe XIV, appendice D).
SERNAGEOMIN (Chili), 2017. Geology of the Silala River Basin (mémoire du Chili vol. 5, annexe VIII).
SERNAGEOMIN (Chili), 2019. Geology of the Silala River Basin: An Updated Interpretation (réplique du Chili, vol. 3, annexe XIV).
Suárez, F., Sandoval, V. et Sarabia, A., 2017. River-Aquifer Interactions Using Heat as a Tracer in the Transboundary Basin of the Silala River (mémoire du Chili, vol. 5, annexe X).
Wheater, H. S. et Peach, D. W., 2017. Le Silala dans sa forme actuelle — fonctionnement du système fluvial (mémoire du Chili, vol. 1).
Wheater, H. S. et Peach, D. W., 2019. Incidences de la chenalisation du Silala en Bolivie sur l’hydrologie de son bassin hydrographique (réplique du Chili, vol. 1).
Wilson, C. et Houghton, B., 2000. «Pyroclast Transport and Deposition». Dans : Sigurdsson, B. H., Houghton, B., McNutt, S., Rymer, H. et Stix, J. (eds.), Encyclopedia of Volcanoes, San Diego CA, Academic Press, p. 545-554.
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DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE ET DE SINCÉRITÉ
1. Les opinions que j’ai formulées dans mes rapports sont l’expression de mon appréciation professionnelle sincère et indépendante. Lorsque je me suis appuyé sur les études d’observation et de surveillance réalisées sous ma supervision par les experts scientifiques chiliens ou sur des données qui m’ont été communiquées par la République du Chili, j’en ai fait état dans mon rapport.
2. J’ai conscience que le devoir dont je suis chargé m’incombe en premier lieu envers la Cour, tant au stade de la rédaction des deux rapports d’experts qui accompagnent la réplique de la République du Chili que dans le cadre d’une éventuelle déposition orale. Je me suis acquitté et continuerai de m’acquitter de ce devoir.
3. J’ai fait de mon mieux, lorsque j’ai rédigé les présents rapports, pour répondre de manière précise et complète aux questions posées par la République du Chili dans le cahier des charges reproduit dans les rapports. Je considère que tous les sujets sur lesquels j’ai exprimé une opinion relèvent de mon domaine d’expertise.
4. Pendant la rédaction des présents rapports, je n’ai eu connaissance d’aucun conflit d’intérêts, réel ou potentiel, de nature à compromettre ma capacité à produire un avis expert indépendant.
5. Je confirme n’avoir conclu aucun accord aux termes duquel le montant ou le versement de mes honoraires dépendrait d’une quelconque manière de l’issue de la présente procédure.
6. Lorsque j’ai mentionné des faits ne relevant pas de mon domaine de compétence, j’en ai indiqué la source.
7. Je n’ai jamais repris à mon compte un élément m’ayant été suggéré par des tiers, y compris des membres de l’équipe technique ou mes mandataires, sans m’être préalablement forgé une opinion indépendante.
L’ingénieur hydrologue,
(Signé) Howard WHEATER.
Le 24 janvier 2019.
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DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE ET DE SINCÉRITÉ
1. Les opinions que j’ai formulées dans mes rapports sont l’expression de mon appréciation professionnelle sincère et indépendante. Lorsque je me suis appuyé sur les études d’observation et de surveillance réalisées sous ma supervision par les experts scientifiques chiliens ou sur des données qui m’ont été communiquées par la République du Chili, j’en ai fait état dans mon rapport.
2. J’ai conscience que le devoir dont je suis chargé m’incombe en premier lieu envers la Cour, tant au stade de la rédaction des deux rapports d’experts qui accompagnent la réplique de la République du Chili que dans le cadre d’une éventuelle déposition orale. Je me suis acquitté et continuerai de m’acquitter de ce devoir.
3. J’ai fait de mon mieux, lorsque j’ai rédigé les présents rapports, pour répondre de manière précise et complète aux questions posées par la République du Chili dans le cahier des charges reproduit dans les rapports. Je considère que tous les sujets sur lesquels j’ai exprimé une opinion relèvent de mon domaine d’expertise.
4. Pendant la rédaction des présents rapports, je n’ai eu connaissance d’aucun conflit d’intérêts, réel ou potentiel, de nature à compromettre ma capacité à produire un avis expert indépendant.
5. Je confirme n’avoir conclu aucun accord aux termes duquel le montant ou le versement de mes honoraires dépendrait d’une quelconque manière de l’issue de la présente procédure.
6. Lorsque j’ai mentionné des faits ne relevant pas de mon domaine de compétence, j’en ai indiqué la source.
7. Je n’ai jamais repris à mon compte un élément m’ayant été suggéré par des tiers, y compris des membres de l’équipe technique ou mes mandataires, sans m’être préalablement forgé une opinion indépendante.
L’hydrogéologue,
(Signé) Denis PEACH.
Le 24 janvier 2019.
___________
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LISTE DES ANNEXES DE LA RÉPLIQUE DU CHILI
VOLUME 2 (ANNEXES 92-99)
Annexe 92
Lettre du 7 avril 1916 adressée au secrétaire du conseil de direction de la FCAB par l’administrateur général de la compagnie
Annexe 93
Lettre du 8 septembre 1916 adressée au secrétaire du conseil de direction de la FCAB par l’administrateur général de la compagnie
Annexe 94
Bolivian Geology and Mining Survey (SERGEOMIN), Study on Hydrographic Basins, Silala Springs Basin, Basin 20, June 2003
Annexe 95
National Report on the Implementation of the Ramsar Convention on Wetlands Submitted by the Plurinational State of Bolivia to the 12th Meeting of the Conference of the Contracting Parties, 2 January 2015
Annexe 96
Ministry of the Environment and Water of Bolivia, Characterization of Water Resources in the Southwest of the Department of Potosí  Municipality of San Pablo de Lípez “Wetlands of Silala Valley and Adjacent Sectors” (Volume II), July 2016
Annexe 97
Note n° VRE-Cs-58/2016 du 27 juillet 2016 adressée au conseiller principal pour les Amériques du secrétariat Ramsar par le ministère bolivien des affaires étrangères
Annexe 98
Ana Paola Castel, Analyse multi-temporelle à partir d’images satellite des bofedales (zones humides des hauts plateaux andins) des sources du Silala, Potosí  Bolivie, septembre 2017
Annexe 99
99.1. Lettre du 5 novembre 2018 adressée à l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie par l’agent de la République du Chili
99.2. Lettre du 22 novembre 2018 adressée à l’agent de la République du Chili par l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie
99.3. Lettre du 30 novembre 2018 adressée à l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie par l’agent de la République du Chili
99.4. Lettre du 11 décembre 2018 adressée à l’agent de la République du Chili par l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie
99.5. Lettre du 21 décembre 2018 adressée à l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie par l’agent de la République du Chili
99.6. Lettre du 11 janvier 2019 adressée à l’agent de la République du Chili par l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie
99.7. Lettre du 7 février 2019 adressée à l’agent de la République du Chili par l’agent de l’Etat plurinational de Bolivie
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LISTE DES ANNEXES DES RAPPORTS DES EXPERTS
VOLUME 3 (ANNEXES XI-XIV)
ANNEXE XI
Herrera, C. and Aravena, R., 2019. Chemical and Isotopic Characterization of Surface Water and Groundwater of the Silala River Transboundary Basin, Second Region, Chile
ANNEXE XII
Herrera, C. and Aravena, R., 2019. Chemical Characterization of Surface Water and Groundwater of the Quebrada Negra, Second Region, Chile
ANNEXE XIII
Muñoz, J. F and Suárez, F., 2019. Quebrada Negra Wetland Study
ANNEXE XIV
SERNAGEOMIN (National Geology and Mining Service), 2019. Geology of the Silala River: An Updated Interpretation
DATA CD
CD-ROM containing supporting data to Annexes XI–XIV
APPENDICE C À L’ANNEXE XIV
Blanco, N. and Polanco, E., 2018, Geology of the Silala River Basin, Northern Chile
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CERTIFICATION
Je certifie par la présente que les annexes et rapports joints sont des copies conformes des documents auxquels il est fait référence et que les traductions fournies sont exactes.
Le 15 février 2019.
L’agente de la République du Chili,
(Signé) Ximena FUENTES T.
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Réplique du Chili

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