Réponse de la République de Chypre aux questions posées par MM. les juges Koroma, Bennouna et Cançado Trindade à la clôture de la procédure orale (traduction)

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Réponse écrite de la République de Chypre aux questions posées par certains

membres de la Cour

[Traduction]

1. «Il a été affirmé que le droit international n’interdit pas qu’un territoire fasse

sécession d’un Etat souverain. Les participants à la présente procédure pourraient-ils
indiquer à la Cour quels sont, selon eux, les éventuels principes et règles de droit
international qui autoriseraient, en dehors d’un contexte colonial, un territoire à faire

sécession d’un Etat souverain sans le consentement de ce dernier ?» [Juge Koroma.]

1.1. Fondamentale en droit international public, l’«égalité souveraine» est le premier des
principes juridiques mentionnés dans la Charte des NationsUnies. Ainsi qu’indiqué dans la

résolution2625 de l’Assemblée générale des Nations Unies, le principe de l’«égalité souveraine»
signifie, notamment, a) que «[c]haque Etat jouit des droits i nhérents à la pleine souveraineté» et
b) que «[l]’intégrité territoriale et l’indépendance politique de l’Etat sont inviolables». Le territoire
constitue un attribut essentiel de l’Etat, une caractér istique indissociable de la qualité d’Etat; or,

l’un des droits inhérents à la souveraineté de t out Etat est que celui-ci a comme prérogative de
pouvoir disposer de son territoire quand et comme bon lui semble.

1.2. La proclamation d’une déclaration unila térale d’indépendance est par définition un acte
émanant d’une entité qui, jusque-là, n’était ni un Etat souverain ni un organe habilité (comme c’est
le cas d’un gouvernement) à agir au nom d’un Etat souverain. En faisant une telle déclaration,
cette entité revendique le statut d’Etat souverain.

1.3. Le droit international n’empêche pas une personne ou un groupe de personnes de faire
concrètement pareilles déclarations unilatéral es —en d’autres termes, il n’interdit pas la

proclamation en tant qu’acte. La situation est tout autre dans le droit interne, qui peut interdire la
proclamation de telles déclarations au motif qu’elle relèverait de la trahison ou de l’atteinte à la
sûreté de l’Etat. Ce que le dr oit international régit, en revanche, c’est les conséquences juridiques
d’une déclaration unilatérale d’indépendance.

1.4. Telle est pour l’essentiel la distinction que la Cour avait établie en l’affaire des
Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège) :

«La délimitation des espaces maritimes a toujours un aspect international ; elle
ne saurait dépendre de la seule volonté de l’Etat riverain telle qu’elle s’exprime dans
son droit interne. S’il est vrai que l’acte de délimitation est nécessairement un acte

unilatéral, parce que l’Etat riverain a se ul qualité pour y procéder, en revanche la
validité de la délimitation à l’égard des Et ats tiers relève du droit international.»
(C.I.J. Recueil 1951, p. 132.)

1.5. Le caractère central du principe de l’éga lité souveraine au sein du droit international
explique que ce dernier n’interdise pas la proclamation de déclarations unilatérales d’indépendance.
Comme il ressort de l’extrait cité concernant les Pêcheries, ces deux notions s’accordent en ce que

si la proclamation de la déclaration constitue n écessairement un acte unilatéral, non interdit par le
droit international, cet acte unilatéral se trouve privé d’effet juridique dès lors qu’il n’est pas
conforme au droit international. Le fait qu’une déclaration unilatérale d’indépendance ne puisse
être valide sur le plan du droit international protège ainsi les droits souverains d’un Etat contre les

violations pouvant être commises par d’autres Etats comme par des acteurs non étatiques. - 2 -

1.6. Dès lors, la volonté d’un territoire de faire sécession d’un Etat souverain sans le
consentement de ce dernier est incompatible avec le droit international et avec le pouvoir que

celui-ci reconnaît aux Etats de disposer eux-mê mes de leur territoire quand et comme bon leur
semble. Un tel acte unilatéral portant sécession n’est donc pas conforme au droit international.

1.7. Ainsi qu’elle l’a exposé par écrit et oral ement à la Cour, la République de Chypre ne
pense pas que les déclarations de sécession aient la moindre validité juridique en droit
international, sauf cas d’autodétermination dans un contexte colonial, si ce n’est lorsque l’Etat
originel a consenti à la sécession. En fait, Chyp re considère qu’une déclaration unilatérale de

sécession visant à faire éclater un Etat lui-même issu par autodétermination d’un empire colonial
serait incompatible avec le droit du «peuple» de cet Etat à disposer de lui-même.

1.8. Qui plus est, pour Chypre, la population du Kosovo n’est pas un «peuple» aux fins de

l’autodétermination : il s’agit plutôt de groupes qu i constituaient des minorités au sein de la Serbie,
avec le bénéfice des droits reconnus aux minorités et des droits de l’homme, conformément au droit
international.

1.9. Compte tenu de ce qui précède, Chypre estim e que, hors contexte colonial, le droit
international n’autorise pas un territoire à fa ire sécession d’un Etat souverain sans le
consentement de ce dernier.

2. «Est-ce que les auteurs de la déclaration unilatérale d’indépendance des institutions
provisoires d’administration autonome du Kosovo ont fait auparavant campagne, lors de

l’élection de novembre2007 de l’assemblée des institutions provisoires d’administration
autonome du Kosovo, sur la base de leur volonté de déclarer unilatéralement, une fois élus,
l’indépendance du Kosovo, ou bien ont-ils, au mo ins, présenté à leurs électeurs la déclaration
unilatérale d’indépendance du Kosovo comme l’un e des alternatives de leur action future ?»

[Juge Bennouna.]

2.1. Cette question s’adresse principalement a ux auteurs de la déclaration, et Chypre n’a

aucun commentaire à formuler à son sujet.

3. «La résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité fait référence, à l’alinéa a) de son

paragraphe11, à «l’instauration au Kosovo d’ une autonomie et d’une auto-administration
substantielles», compte pleinement tenu des acco rds de Rambouillet. De votre point de vue,
que faut-il entendre par ce renvoi aux accords de Rambouillet ? Celui-ci a-t-il une incidence
sur les questions d’autodétermination, de sécession ou les deux ? Dans l’affirmative, à quelles

conditions un peuple devrait-il satisfaire pour pouvoir prétendre au
statut d’Etat, dans le
cadre du régime juridique établi par la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité? Et
quelles sont, en droit international général, l es conditions factuelles devant au préalable être
remplies, pour constituer un «peuple», et pouvoir prétendre à la qualité
d’Etat?»

[Juge Cançado Trindade.]

3.1. L’importance de la référence aux accords de Rambouillet dans la résolution1244 du

Conseil de sécurité ressort de façon évidente du texte même de la résolution.

3.2. Les accords de Rambouillet sont mentionn és à quatre reprises dans la résolution1244.
Au paragraphe11 du dispositif, le Conseil a d écidé que les principales responsabilités de la - 3 -

présence civile internationale consisteraient notam ment à «[f]aciliter, en attendant un règlement
définitif, l’instauration au Kosovo d’une autonomie et d’une auto-adminis tration substantielles,

compte pleinement tenu de l’annexe 2 et des accords de Rambouillet» et à «[f]aciliter un processus
politique visant à déterminer le statut futu r du Kosovo, en tenant compte des accords de
Rambouillet».

3.3. La troisième mention apparaît à l’annexe1 de la résolution1244, dans laquelle les
ministres des affaires étrangères du G-8 exposaient les principes généraux qu’ils souhaitaient voir
appliquer dans le cas du Kosovo. L’un de ces principes visait l’instauration d’un

«[p]rocessus politique menant à la mi se en place d’un accord-cadre politique
intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonomie substantielle, qui tienne
pleinement compte des accords de Rambouillet et des principes de souveraineté et

d’intégrité territoriale de la République fédé rale de Yougoslavie et des autres pays de
la région, et la démilitarisation de l’ALK».

3.4. La quatrième mention figure à l’annexe 2, intitulée «accord sur les principes suivants

afin de trouver une solution à la crise du Kosovo», et se lit comme suit :

«Un processus politique en vue de l’établissement d’un accord-cadre politique
intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonomie substantielle, qui tienne

pleinement compte des accords de Rambouillet et du principe de la souveraineté et de
l’intégrité territoriale de la République fédé rale de Yougoslavie et des autres pays de
la région, et la démilitarisation de l’ALK. Les négociations entre les parties en vue

d’un règlement ne devraient pas retarder ni perturber la mise en place d’institutions
d’auto-administration démocratiques.»

3.5. La résolution 1244 du Conseil de sécur ité définit donc les objectifs que le «processus

politique» doit tendre à atteindre : la mise en place d’une «autonomie et d’une auto-administration
substantielles» du Kosovo. Cette formule n’est pas synonyme d’indépendance. En fait, elle
n’aurait guère de sens appliquée à un Etat indépe ndant. D’ailleurs, en tout état de cause, il
s’agissait alors uniquement du statut temporaire du Kosovo. La résolution 1244 était muette sur le

statut définitif du Kosovo.

3.6. La résolution1244 recense ensuite un cer tain nombre d’aspects dont il doit être tenu

«pleinement compte» dans le cadre du processus politique. Les accords de Rambouillet en font
partie ; la souveraineté, l’intégrité territoriale et la démilitarisation de l’ALK également.

3.7. Les références aux accords de Rambouillet visaient donc à faire en sorte que les parties
impliquées dans le processus politique tiennent compte de ces accords, et ne les ignorent pas. Elles
ne signifient pas que les accords aient force de loi, ni que la «démilitarisation» constituait une
obligation juridique. Elles ne signifient pas dava ntage que l’«accord» envisagé à l’annexe 2 doive

reprendre les accords de Rambouillet en tous points. Suggérer le contraire serait incompatible avec
l’idée d’un règlement concerté.

3.8. Quant à la signification du terme «peuple», Chypre considère que la question n’est
pertinente que lorsqu’il s’agit de l’autodétermination d’un «peupl e» dans un contexte de type
colonial, ce qui n’est pas le cas ici.

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