Réponses de la Finlande aux questions posées par MM. les juges Koroma et Cançado Trindade au terme de la procédure orale (traduction)

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Réponses de la Finlande aux questions posées par MM. les juges Koroma

et Cançado Trindade au terme de la procédure orale

[Traduction]

Le 11 décembre 2009, dans le cadre de la pro cédure consultative relative à la question de la

Conformité au droit international de la déclar ation unilatérale d’indépendance des institutions
provisoires d’administration autonome du Kosovo , MM.les juges Koroma et CançadoTrindade
ont adressé les questions suivantes aux participants à l’audience publique :

Question posée par M. le juge Koroma :

«Il a été affirmé que le droit international n’interdit pas qu’un territoire fasse

sécession d’un Etat souverain. Les participants à la procédure orale pourraient-ils
indiquer à la Cour quels sont, selon eux, les principes et règles de droit international,
le cas échéant, qui autorisent, en dehors du contexte de la décolonisation, un territoire
à faire sécession d’un Etat souverain sans le consentement de ce dernier ?»

Question posée par M. le juge Cançado Trindade :

«La résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité fait référence, à l’alinéa a) de
son paragraphe 11, à «l’i nstauration au Kosovo d’une autonomie et d’une
auto-administration substa ntielles», compte pleinement tenu des accords de
Rambouillet. De votre point de vue, que faut-il entendre par ce renvoi aux accords de

Rambouillet? Celui-ci a-t-il une incidence sur les questions d’autodétermination, de
sécession ou les deux? Dans l’affirmative, à quelles conditions un peuple devrait-il
satisfaire pour pouvoir prétendre au statut d’Etat, dans le cadre du régime juridique
établi par la résolution 1244 (1999) du Conse il de sécurité ? Et quelles sont, en droit

international général, les conditions factuell es devant au préalable être remplies, pour
constituer un «peuple», et pouvoir prétendre à la qualité d’Etat ?»

A ces questions, la Finlande répond respectueusement ce qui suit :

I. LAUTODÉTERMINATION EN DEHORS DU CONTEXTE DE LA DÉCOLONISATION
(QUESTION DE M. LE JUGE K OROMA )

Comme nous l’avons indiqué dans nos exposés écrits du 16avril2009 ainsi que dans notre
plaidoirie du 8 décembre 2009, les principes de droi t international relatifs à l’autodétermination, y
compris au droit de faire sécession, ont été énon cés dès1920-1921 dans le cadre de l’affaire des

Iles d’Åland, soit bien avant la période de la décolonisation.

En 1920, le Conseil de la Société des Nations institua une commission de juristes chargée de
donner un avis sur le différend opposant la Finlande et la Suède à propos du statut des îles d’Åland,
situées dans la mer Baltique, entre les deux pays. Après l’accession à l’indépendance de la

Finlande en décembre1917, ces îles étaient demeurées partie intégrante du territoire finlandais,
alors que leur population était tr ès majoritairement suédophone et souhaitait être incorporée au
territoire suédois. La question du rôle du droit à l’autodétermination du peuple des îles d’Åland, et

notamment de son droit à faire sécession de la Finlande pour être incorporé à la Suède, se posa
dans le cadre du règlement du différend. - 2 -

La commission de juristes fut d’avis que, de manière générale, le droit à l’autodétermination

était un principe politique qui ne pouvait être in voqué à l’encontre d’Etats existants, ajoutant
toutefois que, en cas de contestation des frontières d’un Etat, ⎯par exemple dans le cadre d’une
révolution ou d’un violent conflit ⎯, l’autodétermination devenait un critère juridique pour le

règlement futur de la situation :

«Au point de vue aussi bien du droit interne que du droit international, la

formation, la transformation et le démembrement d’Etats par suite de révolutions et de
guerres créent des situations de fait qui échappent en grande partie aux règles
normales du droit positif.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dans de telles conditions, le principe que les peuples doivent pouvoir disposer

d’eux-mêmes peut trouver son application. Des aspirations nouvelles de certaines
fractions d’un peuple, aspirations se ratt achant parfois à de vieilles traditions ou se
basant sur une communauté de langue et de civilisation, peuvent se faire jour et

produire des effets dont i1 faut tenir compte dans l’intérêt de la paix intérieure et
extérieure des nations.»

Ainsi, en1920, la commission de juristes a-t-elle affirmé la pertinence, d’un point de vue

juridique, de l’autodétermination en tant que critère de règlement des litiges territoriaux dans le
cadre de situations dans lesquelles la normalité juridique a été perturbée pour cause de «révolutions
et de guerres». L’année suivante(1921), le Conseil instaura une commission de rapporteurs

chargée de mettre en Œuvre les principes juridiqu es formulés par la commission de juristes. La
commission indiqua que l’autodétermination pouvait passer par la sécession lorsque la perspective
de sa réalisation sur le plan interne n’était plus crédible :

«Le fait qu’une minorité se sépare d’un Etat dont elle fait partie et soit
incorporée à un autre Etat ne saurait être considéré autrement que comme une solution
exceptionnelle, une solution de dernier recours lorsque l’Etat en question ne veut pas
2
ou ne peut pas édicter ou appliquer des garanties justes et effectives.»

Ainsi, le principe selon lequel, dans certain es situations exceptionnelles, l’autodétermination
e
peut passer par la sécession a été admis en droit international tout au long du XX siècle et la mise
en Œuvre de l’autodétermination par accession à l’indépendance pendant la période de la
décolonisation n’a pas constitué une exception au droit existant, mais une application du principe
formulé dans le cadre de l’affaire des Iles d’Åland, principe dont l’arrêt de la Cour suprême du

Canada en l’affaire de la Sécession du Québec (1998) contient la plus récente affirmation faisant
autorité; la cour, résumant son argumenta tion, y a en effet indiqué que le droit à
l’autodétermination externe (c’est-à-dire la sécessi on) était applicable dans les trois situations

suivantes :

«En résumé, le droit à l’autodétermination en droit international donne tout au

plus ouverture au droit à l’autodétermination externe dans le cas des anciennes
colonies; dans le cas des peuples opprimés, comme les peuples soumis à une
occupation militaire étrangère; ou encore dans le cas où un groupe défini se voit

1
Rapport de la commission internationale de juristes, char gée par le Conseil de la So ciété des Nations de rendre
un avis consultatif sur les aspects juridiquesla question des îles d’Åla nd, Société des Nations, Journal officiel,
supplément spécial n° 3 (octobre 1920), p. 6.
2Rapport communiqué au Conseil de la Société des Na tions par la commission des rapporteurs, Société des
Nations, doc. B.7.21/68/106 (1921), p. 28. - 3 -

refuser un accès réel au gouvernement pour assurer son développement politique,

économique, social et culturel. Dans ces tr ois situations, le peuple en cause jouit du
droit à l’autodétermination externe parce qu’on lui refuse la faculté d’exercer, à
l’interne, son droit à l’autodétermination.»3

En d’autres termes, il existe un droit à la sécession en dehors du contexte de la décolonisation
«dans le cas où un groupe défini se voit refuser un accès réel au gouvernement pour assurer son

développement politique, économique, social et culturel».

II. LES CONDITIONS FACTUELLES DEVANT AU PRÉALABLE ÊTRE REMPLIES POUR CONSTITUER

UN «PEUPLE » QUESTION DE M. LE JUGE C ANÇADO T RINDADE )

La seconde question, posée par M. le juge Ca nçado Trindade, comporte deux parties; qu’il

soit permis à la Finlande de ne répondre qu’à la dernière partie, c’ est-à-dire à la question de savoir
«quelles sont, en droit international général, les conditions factue lles devant au préalable être
remplies, pour constituer un «peuple», et pouvoir prétendre à la qualité d’Etat ?»

Comme l’a déclaré la Finlande dans ses exposés écrits et oraux, l’accession à la qualité
d’Etat est un fait qui n’est régi par aucune règle de droit international précise. Hormis les critères

établis dans le cadre de la convention de Montevideo et les pr incipes généraux de l’intégrité
territoriale et de l’autodétermina tion, la formation des Etats n’est régie par aucun traité ni aucune
règle de droit international coutumier. Il n’exis te pas non plus de critère permettant de définir ce

qu’est un «peuple», et ceux qui ont été avancés à cet égard ⎯notamment des principes
d’identification d’ordre ethnique, religieux, linguistique, territorial et historique ⎯ ont
généralement tendance dans la pratique à se superposer ou à se contredire et bien peu d’Etats (voire

aucun) sont homogènes à l’aune de tels critères. Au demeurant, il serait moralement et
politiquement inacceptable de supposer que les Etats devraient être homogènes au regard de ces
critères, puisque cela reviendrait de facto à admettre les politiques de nettoyage ethnique (ou

religieux, linguistique ou politique) comme moyen d’accession à la qualité d’Etat.

Les instruments juridiques internationaux qui font référence à la notion de «peuple», tels que

la déclaration relative aux relations amicales (r ésolution 2625(XXV) de l’Assemblée générale de
l’ONU) ou l’acte final d’Helsinki, le font principa lement pour distinguer la population entière d’un
Etat en tant que bénéficiaire du droit à l’autodétermination (interne ou externe) 4. Ce terme est

parfois, mais pas nécessairement, employé comme l’équivalent du terme «nation».

Cependant, lorsque le droit à l’autodétermina tion est invoqué en faveur de sous-groupes au
sein d’un Etat, il n’est généralement fait référence à aucun critère spécifique, ⎯ chose bien

naturelle si l’on veut bien considérer que les gr oupes disposant, au sein d’un Etat, d’une identité
spécifique peuvent se constituer par référence à de nombreux principes d’identification différents
(et subjectifs), tels que des critèr es religieux, linguistiques, historiques ou territoriaux. La liste de

3Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 138.
4
Le passage pertinent de la déclaration relative aux relations amicales est ainsi libellé :
«En vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes,
principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut

politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique,
social et culturel, et tout Etat a le devospecter ce droit conforméme nt aux dispositions de la
Charte.»
Le texte du principe VIII de l’acte final d’Helsinki est le suivant :

«En vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes,
tous les peuples ont toujours le droit, en toute liberté, de déterminer, lorsqu’ils le désirent et comme ils le
désirent, leur statut politique interne et externe, sans ingérence extérieure, et de poursuivre à leur gré leur
développement politique, économique, social et culturel.» - 4 -

ces critères ne constitue pas un ensemble fini puisq u’il s’agit simplement de faits sociologiques ou

anthropologiques; par ailleurs, le droit international n’impose pas non plus de limite à une telle
auto-identification (à condition, bien entendu, qu’e lle se fasse sans violence et dans le respect des
droits de l’homme). La seule exception con cerne les situations dans lesquelles un groupe
revendique un droit spécifique précisément fondé sur la manière dont il s’identifie, la situation

typique en la matière étant celle d’un «peuple autochtone», dans laquelle l’identification d’un
groupe à un «peuple autochtone» sert de fondement à la revendication d’un statut ou d’un droit
spécifique créé par une source de droit (par exemple la déclaration des Nations Unies sur les droits
5
des peuples autochtones, adoptée en 2007) .

En d’autres termes, le droit international ne définit pas de «conditions factuelles devant au
préalable être remplies pour constituer un «p euple»». Il n’existe pas de limite juridique aux

critères en vertu desquels un groupe peut s’identifier comme constituant un «peuple». La question
de savoir si une telle identification existe ou non est purement factuelle et l’existence de ce fait
(consistant pour un groupe à s’identifier à un «peuple») peut contribuer à la volonté de ce groupe

de créer un Etat ⎯ y compris en faisant sécession ⎯ et renforcer cette volonté. Mais déterminer à
quel stade le fait de faire sécession devrait être r econnu par le droit (c’est-à-dire à quel stade un
groupe est parvenu à constituer un Etat) est une question d’évaluation et seuls s’appliquent alors les

critères établis dans le cadre de la conventio n de Montevideo et les principes généraux de
l’intégrité territoriale et de l’autodétermination.

Helsinki, le 21 décembre 2009.

Le directeur général du service

des affaires juridiques,

(Signé) PäiviK AUKORANTA .

___________

5Voir la résolution61/295 adoptée par l’Assembl ée générale de l’Organi sation des NationsUnies

le 13 septembre 2007.

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