Réponses des Pays-Bas aux questions posées par MM. les juges Koroma et
Cançado Trindade au terme de la procédure orale
[Traduction]
1. Introduction
1. Le 11décembre2009, au terme des audien ces relatives à la demande d’avis consultatif
présentée par l’Assemblée générale des NationsUnies sur la question de la Conformité au droit
international de la déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires
d’administration autonome du Kosovo , plusieurs membres de la Cour ont posé des questions aux
participants à la procédure orale. Le Roya ume des Pays-Bas souhaite répondre aux questions
posées par MM. les juges Koroma et Cançado Trindade.
2. Réponse à la question posée par M. le juge Koroma
2. M. le juge Koroma a posé la question suivante :
«il a été affirmé que le droit international n’interdit pas qu’un territoire fasse sécession
d’un Etat souverain. Les participants à la présente procédure pourraient-ils indiquer à
la Cour quels sont, selon eux, les éventuels principes et règles de droit international
qui autoriseraient, en dehors d’un contexte colonial, un territoire à faire sécession d’un
Etat souverain sans le consentement de ce dernier ?»
3. Le Royaume des Pays-Bas, convaincu que la Cour devra interpréter certaines dispositions
conventionnelles relatives à l’autodétermination et déterminer les positions juridiques ainsi que la
pratique des Etats pour traiter cette question, se félicite qu’elle ait été posée (voir également le
paragraphe 9 de l’exposé oral du Royaume des Pays-Bas en date du 10 décembre 2009). On peut
en effet supposer, sans risque d’erreur, que les Etats ayant une opinion sur ce point l’auront
présentée au cours de l’instance, que ce soit dans leur exposé écrit, leurs observations écrites, leur
exposé oral ou leurs réponses à la présente question.
4. Le Royaume des Pays-Bas estime que, en dehors du contexte colonial, un territoire peut
être autorisé à faire sécession d’un Etat souverain sans le consentement de ce dernier en vertu du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce droit comprend le droit des peuples de «détermine[r]
librement leur statut politique» (articles premiers des pactes internationaux relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels de1966 et relatif aux droits civils et politiques (ci-après «les
pactes de 1966»)), de «déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence
extérieure» (résolution2625 (XXV) de l’Assemblée générale (ci-après la «résolution2625»)), de
«détermine[r] librement leur statut politique» (sect ionI, paragraphe2, de la déclaration et du
programme d’action de Vienne de 1993, tels qu’adoptés par la conférence mondiale sur les droits
de l’homme) ou de déterminer «en toute liberté…lo rsqu’ils le désirent et comme ils le désirent,
leur statut politique interne et externe, sans ingére nce extérieure, et de poursuivre à leur gré leur
développement politique, économique, social et cu lturel» (partieVIII de l’acte final de la
conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, auquel il est fait référence dans le préambule
de la résolution1244) (voir également le pa ragraphe3.4 de l’exposé écrit du Royaume des
Pays-Bas en date du 17 avril 2009). - 2 -
5. La résolution2625 énumère les différents modes d’exercice du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes. Sont mentionnés a)la création d’un Etat souverain et indépendant, b) la
libre association ou l’intégration avec un Etat indépendant et c)l’acquisition de tout autre statut
politique librement décidé par un peuple. La création par un peuple d’un Etat souverain et
indépendant, sa libre association ou son intégration est nécessairement précédée par la sécession de
son territoire. La résolution ne limite toutefois pas au contexte colonial le choix par un peuple d’un
mode particulier d’exercice du droit à l’autodéterm ination. De même, elle n’impose pas au peuple
concerné d’obtenir le consentement de l’Etat dont il veut se séparer. Toute restriction au droit d’un
peuple de choisir un mode particulier d’exerci ce du droit à l’autodétermination ne peut donc
qu’être déduite, a contrario, de la clause de sauvegarde de la résolution 2625. Aux termes de cette
clause, le principe de l’égalité des droits et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne doit pas
être interprété «comme autorisant ou encourageant une action, quelle qu’elle soit, qui démembrerait
ou menacerait, totalement ou partiellement, l’intégrit é territoriale ou l’unité politique de tout Etat
souverain». Toutefois, cette disposition prévoit égal ement que le principe de l’intégrité territoriale
ne saurait prévaloir si les Etats ne «se conduis[e]nt [pas] conformément au principe de l’égalité des
droits et du droit des peuples à disposer d’eux- mêmes énoncé ci-dessus et [ne sont pas] doté[s]
ainsi d’un gouvernement représentant l’ensemb le du peuple appartenant au territoire sans
distinction de race, de croyance ou de couleur» ( voir également le paragraphe 3.7 de l’exposé écrit
du Royaume des Pays-Bas en date du 17 avril 2009).
6. Les pactes de1966 ⎯ou l’un quelconque des autres instruments mentionnés au
paragraphe 4 ci-dessus ⎯ n’explicitent pas davantage les modes d’exercice par un peuple du droit
à l’autodétermination. Cependant, rien dans ces instruments ne limite le choix d’un mode
particulier à certaines situations, comme le cont exte colonial, ni ne subordonne ce choix au
consentement de l’Etat dont le peuple cherch e à se séparer. Cette thèse est corroborée par les
travaux préparatoires des pactes de 1966. Au cours des négociations,
«[o]n a envisagé de définir le contenu du dr oit de libre disposition en termes concrets.
On a suggéré, par exemple, que le droit de libre disposition devrait comprendre, pour
tous les peuples et toutes les nations, le dro it «de créer un Etat indépendant», le droit
de «choisir librement la forme du gouvernement», le droit «à la sécession ou à l’union
avec un autre peuple ou une autre nation», etc. Ces suggestions n’ont pas été retenues,
car on a craint que toute énumération d es éléments constitutifs du droit de libre
disposition fût incomplète. On a préféré a ffirmer le droit sous une forme abstraite,
comme on l’a fait dans le paragraphe 1 de l’article.» 1
7. Dès lors, il convient de conclure que les instruments reconnaissant le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes couvrent l’exercice de ce droit par la sécession ; de surcroît, ces instruments
ne limitent pas l’exercice de ce droit par voie de sécession au contexte colonial ni ne le
subordonnent au consentement de l’Etat dont un pe uple cherche à se séparer. Ce qui fait défaut
dans ces instruments, ce sont uniquement les conditions auxquelles un peuple doit satisfaire pour
être autorisé à opter pour l’un des modes d’exerci ce du droit à l’autodétermination plutôt que pour
un autre. C’est donc sur ce point qu’il convient de rechercher quelles sont les positions juridiques
ainsi que la pratique des Etats. Le Royaume des Pays-Bas a déjà exprimé au cours de la procédure
(voir les paragraphes 3.9 à 3.11 de l’exposé écrit Royaume des Pays-Bas en date du 17 avril et les
paragraphes6 à8 de son exposé oral du 10d écembre2009) sa position en ce qui concerne les
conditions auxquelles il doit être sa tisfait pour qu’un peuple puisse choisir un mode d’exercice de
son droit à l’autodétermination, qui corresponde à l’exercice de son droit à l’autodétermination
externe et, partant, à la sécession.
1Nations Unies, doc. A/2929 (1955), p. 15, 15 ; voir également M. J. Bossuyt, Guide to the «Travaux
Préparatoires» of the International Covenant on Civil and Political Rights(1987), p. 34. - 3 -
8. A cet égard, nous avons précisé qu’il n’ét ait guère surprenant qu’il n’existe que peu
d’exemples d’exercice licite du droit à l’autodétermination externe en dehors du contexte de
territoires non autonomes et des situations d’oc cupation étrangère. Pr emièrement, le eroit
postcolonial à l’autodétermination externe n’est apparu que dans la seconde moitié du XX siècle.
Deuxièmement, certaines conditions doivent être remplies pour qu’un peuple puisse recourir à
l’autodétermination externe. Lors de la présente instance, de nombreux cas ont été cités de peuples
concernés ne remplissant pas ce s conditions et ne pouvant licitement exercer le droit à
l’autodétermination externe. Il existe cependant plusieurs cas dans lesquels la communauté
internationale a accepté l’exercice du droit à l’ autodétermination externe en dehors du contexte
colonial et sans le consentement de l’Etat dont le peuple en question faisait sécession. Nous avons
cité, à titre d’exemple, la création du Bangladesh et de la Croatie (voir également le paragraphe 10
de l’exposé oral du Royaume des Pays-Bas en date du 10 décembre 2009).
9. Nous avons également fait observer que l es cas de désintégration consensuelle d’Etats
différaient du présent cas d’espèce, sans toutefois êt re nécessairement dépourvus de pertinence.
Dans certains cas, les peuples concernés ont admis qu’une violation antérieure du droit à
l’autodétermination avait rendu impossible pour eux la poursuite de la vie au sein d’un seul et
même Etat. Ainsi de la création de l’Erythrée et de la Slovénie, que nous avons citée (voir
également le paragraphe 11 de l’exposé or al du Royaume des Pays-Bas en date du
10 décembre 2009).
10. En résumé, il ressort des instruments r econnaissant le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes, et en particulier des pactes de1966 et de la résolution2625, qu’un peuple peut, en
dehors du contexte colonial, faire sécession du terri toire d’un Etat souverain sans le consentement
de ce dernier.
11. Le principe de l’intégrité territoriale restreint sans doute les modes d’exercice du droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes en dehors du contexte colonial (voir également le
paragraphe3.6 de l’exposé écrit du Royaume d es Pays-Bas en date du17avril2009). Cette
restriction trouve son expression dans la clause de sauvegarde de la résolution 2625, mentionnée au
paragraphe 5 ci-dessus, laquelle tente d’établir un équilibre entre le droit à l’autodétermination et le
principe de l’intégrité territoriale. La mise en balance de normes antagonistes du droit international
est régie par le principe d’équité et tient comp te des circonstances particulières de chaque cas
d’espèce. Ces considérations ont guidé le Ro yaume des Pays-Bas dans la formulation des
conditions auxquelles un peuple doit satisfaire pour pouvoir faire sécession d’un Etat dans le cadre
de l’exercice de son droit à l’autodétermination externe.
12. Dans l’hypothèse où le droit d’un peuple à l’autodétermination a été violé par l’Etat dans
lequel il cherchait à l’exercer, la pr otection de ce droit doit être privilégiée. En effet, il est un
principe général du droit international que la responsabilité inte rnationale d’un Etat, qui est
engagée à raison d’un fait internationalement illic ite, entraîne des conséquences juridiques (voir
l’article28 des articles sur la r esponsabilité de l’Etat pour fait in ternationalement illicite). Des
conséquences particulières découlent nécessairement de la violation grave d’obligations découlant
de normes impératives du droit international généra l, catégorie à laquelle appartient à n’en pas
douter le droit à l’autodétermination (voir égal ement le paragraphe3.2 de l’exposé écrit du
Royaume des Pays-Bas en date du 17 avril 2009). Si l’on veut que les différents modes d’exercice
du droit à l’autodétermination, tel que consacré par les instruments susmentionnés, puissent faire
sens, un peuple doit au moins être libre de choisi r l’un quelconque d’entr e eux dans l’hypothèse
d’une violation grave de son droit à disposer de lui-même. - 4 -
3. Réponse à la question posée par M. le juge Cançado Trindade
13. M. le juge Cançado Trindade a posé la question suivante :
«La résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité fait référence, à l’alinéa a) de
son paragraphe 11, à «l’i nstauration au Kosovo d’une autonomie et d’une
auto-administration substa ntielles», compte pleinement tenu des accords de
Rambouillet. De votre point de vue, que faut-il entendre par ce renvoi aux accords de
Rambouillet? Celui-ci a-t-il une incidence sur les questions d’autodétermination, de
sécession ou les deux? Dans l’affirmative, à quelles conditions un peuple devrait-il
satisfaire pour pouvoir prétendre au statut d’Etat, dans le cadre du régime juridique
établi par la résolution 1244 (1999) du Conse il de sécurité ? Et quelles sont, en droit
international général, les conditions factuell es devant au préalable être remplies, pour
constituer un «peuple», et pouvoir prétendre à la qualité d’Etat ?»
14. Le paragraphe11 de la résolution1244 définit les principales responsabilités de la
présence civile internationale au Kosovo. Le renvoi aux accords de Rambouillet à l’alinéa a)
implique que la présence civile internationale doit tenir pleinement compte de ces accords en
s’acquittant de la responsabilité qui lui incombe de faciliter l’instauration d’une autonomie et d’une
auto-administration substantielles au Kosovo. Il donne donc des orientations sur la manière de
s’acquitter de cette responsabilité. Une auto-administration substa ntielle a été instaurée par la
promulgation et la mise en Œuvre du cadre cons titutionnel de l’autonomie provisoire au Kosovo,
qui a été adopté par le représentant spécial du secrét
aire général le 15 mai 2001 et a fini d’être mis
en place à la fin de l’année 2003. La prise en compte des accords de Rambouillet ne concernait que
la mise en place du cadre constitutionnel.
15. Au regard de la présente procédure cons ultative, le renvoi aux accords de Rambouillet à
l’alinéa a) du paragraphe11 de la résolution1244 n’a pas d’incidence sur les questions
d’autodétermination et/ou de sécession. La réso lution1244 prévoyait qu’une autonomie et une
auto-administration substantielles seraient instau rées «en attendant un règlement définitif».
L’administration internationale du Kosovo établie pa r le Conseil de sécurité dans cette résolution
devait être «une administration intérimaire» (par. 0). Par conséquent, l’autonomie et
l’auto-administration substantielles prévues dans la résolution 1244 ne pouvaient être permanentes,
et il y a été mis fin après l’épuisement de tous les efforts visant à un règlement définitif et la
proclamation de l’indépendance du Kosovo le 17 février 2008.
16. Dans ses observations écrites du 17 juillet 2009, le Royaume des Pays-Bas a examiné les
conditions factuelles à remplir au préalable en dr oit international pour constituer un «peuple» et
pour pouvoir prétendre à la qualité d’Etat. Il a souligné que des critères anthropologiques et
sociaux sont à prendre en compte pour déterminer si un groupe de personnes constitue un peuple.
Parmi les critères anthropologiques figurent a)des caractères communs à un groupe de personne
comme leur origine ethnique, leurs traditions, leur culture, leur langue, leur religion ou leur patrie
(critères objectifs), b)la volonté d’un groupe de personnes de constituer un peuple, résultant par
exemple d’un sentiment d’appartenance (critère s ubjectif). Vu la diversité anthropologique des
populations de la planète, la présence de tels critères varie d’un peuple à l’autre et ne peut donc être
identifiée qu’au cas par cas. De plus, la communauté de caractères au sein d’un groupe de
personnes et/ou la volonté de ce groupe de constituer un peuple peuvent varier au fil du temps (voir
paragraphe 3.6 des observations écrites du Ro yaume des Pays-Bas du 17 juillet 2009). - 5 -
Pour exercer son droit à l’autodétermination par l’établissement d’un Etat indépendant, un peuple
doit également disposer d’un territoire commun. La proclamation d’indépendance doit être liée à
ce territoire, suivre les frontières internationales existantes et d’anciennes frontières intérieures et
respecter le principe de l’ uti possidetis juris (voir paragraphe3.8 des observations écrites du
Royaume des Pays-Bas).
Le 21 décembre 2009.
Le représentant du Royaume des Pays-Bas,
(Signé) LL. IJNZAAD .
___________
Réponses des Pays-Bas aux questions posées par MM. les juges Koroma et Cançado Trindade au terme de la procédure orale (traduction)