R ÉPONSE À LA QUESTION POSÉE PAR LE JUGE A BRAHAM
Le 28 mai 2008, le juge Abraham a posé la question suivante aux deux Parties :
Les Parties se sont référées, entre autres, aux a ffaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force, dans lesquelles la Cour a jugé en 2004 qu’ elle n’avait pas compétence pour connaître des
requêtes de la Serbie-et-Monténégro, au motif qu e cet Etat ne remplissait pas les conditions
d’accès à la Cour.
Dans ces affaires, la Serbie-et-Monténégro venait devant la Cour comme demanderesse.
Dans la présente affaire, la Serbie se présente en qualité de défenderesse. Y a-t-il, selon les
Parties, des conséquences à tirer, et si oui lesquelles, de cette différence de situation, en ce qui
concerne les conditions prévues aux paragraphes 1 et 2 de l’article 35 du Statut ?
En réponse à la question posée par le juge Abraham, la Serbie déclare respectueusement ce
qui suit :
A. Observations liminaires
1. Nous estimons que, dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, le même
fait (à savoir que la Serbie-et-Monténégro n’éta it pas partie au Statut) a été qualifié de deux
manières concordantes. Le fait que la Serbie-et-Monténégro n’était pas partie au Statut a été perçu
comme un vice de forme fondamental empêchant l’accès à la Cour et la saisine de celle-ci. Selon
la Cour, le fait que la Serbie-et-Monténégro n’éta it pas partie au Statut au moment du dépôt de la
requête constituait un vice de forme qui infirmait la validité de l’accès et la validité de la saisine.
C’est le même vice de forme qui a conduit la Cour à se déclarer incompétente.
2. Dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , c’est la
Serbie-et-Monténégro qui était la partie demanderesse. La question est de savoir si la logique qui
sous-tendait le raisonnement de la Cour pourrait également s’appliquer à une situation où le
défendeur est un Etat qui n’est pas partie au Statut ⎯ et qui n’a qualité pour ester devant la Cour
sur la base d’aucun autre instrument. Nous estim ons que c’est la même logique qui s’applique.
C’est ce qui ressort, avant tout, de ce que la Cour a dit clairement dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force. En posant l’accès comme une condition préalable à l’exercice de sa
fonction judiciaire, la Cour, non seulement ne parle pas au singulier ⎯ne visant pas l’une des
parties en particulier (le demandeur)—, mais empl oie constamment le pluriel: «La Cour ne peut
exercer sa fonction judiciaire qu’à l’égard des seu ls Etats auxquels elle est ouverte en vertu de
l’article35 du Statut. Et seuls les Etats a uxquels la Cour est ouverte peuvent lui conférer
compétence.» 1
Nous présenterons encore d’autres arguments à cet égard dans la suite du texte.
Il ressort aussi clairement des arrêts rendus dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi
de la force que le moment pertinent où il est nécessaire d’apprécier les conditions préalables à la
saisine de la Cour, c’est le moment où la requête est déposée, celui où l’instance est introduite. Ce
n’est pas le moment où le mémoire est déposé, ni t oute autre étape ultérieure de la procédure. La
1Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténéc.Belgique), exceptions pré liminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2004, par. 46. Le même passa ge figure dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force : au par. 45 des instances engagé es contre la France, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas et le
Portugal ; et au par. 44 des arrêts rendus dans les instances engagées contre l’Allemagne et le Royaume-Uni. - 2 -
question a été définie par la Cour en des termes dénués de toute ambigüité : « La question de savoir
si la Serbie-et-Monténégro était ou non partie au Statut…à l’époque de l’introduction des
présentes instances est une question fondamentale.» 2
Nous nous référerons aussi à nos plaidoi ries (CR2008/12, p.18-22, par.33-45) dans
lesquelles nous avons exposé d’autres arguments indi quant que le moment du dépôt de la requête
est le seul moment pertinent aux fins d’apprécier les conditions relatives à l’accès et à la saisine.
3. En ce qui concerne la saisine, nous aimeri ons d’abord attirer l’attention de la Cour sur
deux interprétations erronées émanant du demandeur : l’une s’applique au défendeur et l’autre à la
Cour. En concluant sa plaidoirie du 30mai2008, M.Crawford a fait observer que le défendeur
(M.Varady) avait affirmé que la Cour n’avait p as été valablement saisie dans la présente espèce,
ajoutant que : «Autrement dit, il a indiqué que l’affa ire avait été irrégulièrement inscrite au rôle de
la Cour.» 3 Ce n’est certainement pas ce que M.Varady avait dit ou laissé entendre. Cette
interprétation erronée repose sur une autre dénaturation de la jurisprudence de la Cour. Au début
du paragraphe 19 de sa plaidoirie du 30 mai 2008, M. Crawford a déclaré, en s’adressant à la Cour :
«Vous avez agi, dans les affaires OTAN, en partant — à bon droit — du principe que la Cour avait
4
été saisie.» Ce n’est pas vrai. C’est le contraire qui est vrai. La question de savoir si la Cour
avait été saisie à bon droit a été expressément soulevée dans les affaires OTAN, et il y a été
répondu par la négative.
4. La question a été soulevée au paragraphe 36 de l’arrêt rendu en 2004 : «La question qui se
pose est celle de savoir si, en droit, au moment où elle a introduit les présentes instances, la
Serbie-et-Monténégro était habilitée à saisir la Cour en tant que partie au Statut.» La Cour a
assurément répondu à cette question par la né gative. Après avoir répété que la
Serbie-et-Monténégro n’était pas partie au Statut au moment où l’instance a été introduite et que la
Cour ne lui était pas ouverte en vertu du paragrap he1 de l’article35 de son Statut, la Cour a
conclu: «En pareille situation, et sous réserve d’une possible application du paragraphe2 dudit
article, la Serbie-et-Monténégro n’aurait pu saisir la Cour de manière valable, quel que soit le titre
de compétence qu’elle puisse invoquer, pour la simp le raison qu’elle n’avait pas le droit d’ester
5
devant la Cour.» Il est bien connu que l’analyse du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut n’a pas
conduit la Cour à changer sa position. De même, da ns son opinion individu elle, le jugeTomka,
citant l’arrêt rendu dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , a confirmé que
«quel que fût le titre de compétence que le dema ndeur aurait pu invoquer, il n’aurait pu saisir la
Cour de manière valable,…pour la simple rais on qu[il] n’avait pas le droit d’ester devant la
Cour» . Après avoir jugé qu’elle n’avait pas été valablement saisie, la Cour n’a certainement pas
conclu que «l’affaire avait été irrégulièrement inscrite au rôle», mais s’est déclarée incompétente.
2 Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, par. 30. Le même passage figure dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force : au par. 29 des instances engagé es contre la France, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas et le
Portugal ; et au par. 28 des arrêts rendus dans les instances engagées contre l’Allemagne et le Royaume-Uni.
3
CR 2008/13, p. 28, par. 17.
4 CR 2008/13, p. 29, par. 19.
5 Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, par. 46. Le même passage figure dans les autres arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force : au par. 45 des instances engagé es contre la France, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas et le
Portugal ; et au par. 44 des arrêts rendus dans les instances engagées contre l’Allemagne et le Royaume-Uni.
6 [ Application de la convention sur le génocide (Bosnie-Herzégovine cS.erbie-et-Monténégro),
C.I.J. Recueil 2007], opinion individuelle de M. Tomka, par. 28. - 3 -
5. Bien sûr, il aurait été plus facile de faire la distinction entre la présente espèce et les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force si nous avions fait valoir que la présente espèce
avait été irrégulièrement inscrite au rôle (plutôt que d’invoquer le fait que la Cour n’avait pas été
valablement saisie) et si la Cour avait estimé en2004 qu’elle n’avait pas été valablement saisie.
Mais ce n’est manifestement pas le cas. Nous demandons à la Cour d’adopter exactement la même
position qui a été la sienne en 2004. La Cour a jugé alors qu’elle n’avait pas été valablement saisie
parce que la Serbie-et-Monténégro n’était pas par tie au Statut au moment du dépôt de la requête
⎯et l’un des arguments que nous avançons, c’est que la Cour n’a pas non plus été valablement
saisie en la présente espèce, et ce pour la même ra ison (parce que la Serbie n’était pas partie au
Statut au moment du dépôt de la requête).
6. Il en découle que le point de vue du demandeur n’est pas compatible avec les arrêts rendus
dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , à moins d’en donner une lecture
erronée. Le demandeur fait valoir qu’«[u]ne instan7e [a] été dûment introduite devant la Cour par
la Croatie, et [qu’]il y [a] donc [eu] saisine» . Si la Cour avait jugé qu’elle avait été valablement
saisie dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force ⎯étant donné que cette
instance-là avait, elle aussi, été dûment introduite par la RFY ⎯, il s’ensuivrait effectivement que
la Cour a aussi été valablement saisie en la présente espèce. Mais, là encore, la Cour n’a pas jugé
qu’elle avait été valablement saisie dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force .
Elle a estimé qu’elle n’avait pas été valablem ent saisie. C’est pourquoi la question du
juge Abraham est également à prendre en considéra tion en ce qui concerne la saisine. Nous avons
démontré qu’il ne peut y avoir de saisine valable sans que les deux Parties aient accès à la Cour, et
que cette absence de saisine ⎯due à l’absence d’accès ⎯ est un vice de forme d’une natu8e si
fondamentale qu’il ne saurait y être remédié en invoquant des développements ultérieurs .
7. A l’audience du 29mai2008, nous avons tenté de démontrer qu’il n’était possible
d’établir aucune distinction entre le demandeur et le défendeur eu égard à un vice de forme aussi
fondamental que le fait de ne pas être partie au Statut. Nous avons présenté des arguments au sujet
de la saisine. Or, compte tenu de la corrélation entre l’accès et la saisine, lesquelles ont servi de
cadre de référence à la Cour pour établir le même vice de forme, nous présenterons des arguments
au sujet de chacune d’elles.
8. Les arguments que nous allons avancer au su jet de la saisine reprennent en partie les
thèses que nous avons déjà développées lors de la procédure orale en l’affaire Bosnie (affaire
relative à l’Application de la convention pour la préven tion et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine S c.rbie-et-Monténégro) , CR 2006/45 du 9 mai 2006, p. 18-23,
par.4.22-4.37). Nous ne répéterons pas ici les arguments que nous avons exposés au sujet du
9
«principe Mavrommatis», mais nous nous y référerons , étant donné qu’ils sont également
pertinents en ce qui concerne la distinction (qui ne peut être faite) entre le demandeur et le
défendeur.
9. De notre point de vue, le principe de l’ég alité des Parties, ainsi que les limites de la
fonction judiciaire de la Cour fixées par le St atut, conduisent nécessairement à la conclusion qu’il
ne peut être fait aucune distinction entre le demandeur et le défendeur en ce qui concerne l’accès à
la Cour et la saisine de celle-ci.
7CR 2008/11, p. 34, par. 8.
8
Voir CR 2008/12, p. 15-22, par. 21-45 (Varady).
9CR 2008/12, p. 18-22, par. 33-45 (Varady). - 4 -
B. Aucune distinction pertinente ne peut être faite entre la partie demanderesse et la partie
défenderesse en ce qui concerne l’accès
B.1. Ni la Charte ni le Statut ne viennent étayer la thèse d’une différence dans les conditions
d’accès
10. Le texte de la Charte ne fait aucune différence entre les jus standi, qu’ils soient positifs
ou négatifs. En outre, les termes du Statut, en pa rticulier l’article35 qui traite de l’accès, ne
viennent pas non plus étayer d’une quelconque manière une distinction entre la partie
demanderesse et la partie défenderesse en ce qui concerne l’accès à la Cour. Tant le paragraphe 1
que le paragraphe 2 de la version anglaise de cet article renferment exactement le même membre de
phrase ⎯à savoir, la Cour «shall be open…». La même expression figure également aux
paragraphes 1 et 2 de la version française de l’article 35 ⎯ «est ouverte». Les termes employés ne
contiennent absolument aucune distinction entre la situation dans laquelle la Cour est «ouverte» au
demandeur et celle dans laquelle elle l’est au défendeur. L’article 35 est formulé de manière neutre
en ce qui concerne la position d’un Etat à un différend et s’applique de la même manière à la partie
demanderesse et à la partie défenderesse.
11. Comme l’a fait observer M. Yee à propos d es termes du paragraphe 2 de l’article 35 du
Statut de la CPJI (on retrouve, bien évidemme nt, dans le présent Statut, les mêmes termes
employés dans l’expression pertinente) : «les termes du Statut de la CPIJ indiquent que la Cour est
«ouverte à d’autres Etats»10sans distinguer entre les Etats, qu’ils soient ou non demandeurs»
[traduction du Greffe] .
12. En outre, dans le cas de l’article 35, l’expression du Statut «est ouverte» a souvent été
remplacée, dans la pratique de la Cour, par les termes et expressions «accès» 11 et «droit d’ester
12
devant la Cour» . Cependant, aucune de ces formules n’i ndique réellement de différence entre la
partie demanderesse et la partie défenderesse. Au contraire, elles se rapportent clairement à la
capacité, pour un Etat, d’être partie devant la Cour et sont parfaitement neutres en ce qui concerne
la position de celui-ci à l’instance.
13. En conclusion, le membre de phrase «la C our est ouverte» de l’article 35 du Statut, dans
son sens naturel et ordinaire, ne se prête pas à d’ autres interprétations. Son sens est clair et sans
ambigüité : le Statut ne distingue nullement entre la partie demanderesse et la partie défenderesse,
entre les Etats qui introduisent une instance et ceux contre lesquels elle est introduite.
14. La lecture de l’article35 du Statut dans son contexte étaye cette interprétation. Tandis
que la question invite les parties à examiner les éventuelles conséquences à tirer des différences de
10
S. Yee, «The interpretation of «Treaties in Forc e» in Article 35(2) of the Statute of the ICLQ, vol.47,
p. 896.
11
Voir, par exemple, Licéité de l’emploi de la fo rce (Yougoslavie c.Belgique), exc eptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, par.46 (ci-après «Licéité de l’emploi de la force ») ; Compétence en matière de pêcheries
(République fédérale d’Allemagne c.Islande), comp étence de la Cour, arrêt, C.I.J.Recueil1973 , p.53, par.11. Il
convient de noter également que, dans les documents relatifs à la rédactiode la résolution 9 du Conseil de sécurité,
figurent de manière interchangeable les expressions «accès à la Cour» et «ouverte aux Etats». Voir la lettre du
1emai1946 adressée au Secrétaire général de l’Organisa tion des NationsUnies par le président de la Cour
(NationsUnies, doc.S/99, 5juillet1946) et le rapport de M. Beelaerts van Blokland, ra pporteur du comité d’experts
concernant les conditions dans lesquelles la Cour internationale de Justice es t ouverte aux Etat non parties au Statut
(Nations Unies, doc. S/169, 24 septembre 1946).
12Voir, par exemple, Licéité de l’emploi de la force, par. 46. - 5 -
statut entre les parties en ce qui concerne les paragraphes1 et2 de l’article35, l’examen est
influencé par le contexte normatif de ces dispositions . L’article 34, en tant qu’autre disposition du
Statut qui traite d’un aspect de l’accès, est particulièrement importante à cet égard. Le
paragraphe1 de l’article34 dispose que «[s]euls les Etats ont qualité pour se présenter devant la
Cour». A la connaissance du défendeur, il n’a jama is été avancé, s’agissant de l’aspect spécifique
de l’accès traité au paragraphe1 de l’article34 du Statut, que l’on puisse faire une distinction
fondée sur la qualité de demandeur ou de défendeur.
15. De la même façon, la distinction entre la partie demanderesse et la partie défenderesse en
ce qui concerne l’accès n’a jamais été considérée co mme pertinente aux fins de l’application du
paragraphe3 de l’article35, qui dispose que : «Lorsqu’un Etat, qui n’est pas Membre des
NationsUnies, est partie en cause, la Cour fixera la contribution aux frais de la Cour que cette
partie devra supporter. Toutefois, cette disposition ne s’appliquera pas si cet Etat participe aux
dépenses de la Cour.»
16. En conclusion, les deux dispositions que M. le juge Abraham mentionne dans sa question
⎯les paragraphes 1 et 2 de l’article35 ⎯ sont donc établies dans un contexte normatif de
dispositions relatives à l’accès qui traitent, de la même façon, la partie demanderesse et la partie
défenderesse. Le fait d’introduire une distinction entre les deux pa rties reviendrait à ne pas tenir
compte de ce contexte.
13
17. Lorsqu’une disposition est formulée aussi clairement, la question devrait être réglée .
Mais, quoi qu’il en soit, l’idée selon laquelle il pour rait exister une différence en ce qui concerne
l’accès à la Cour entre une partie demanderesse et une partie défenderesse n’est pas non plus étayée
par l’historique de la rédacti on du paragraphe2 de l’article35. Au contraire, comme l’a noté
M. Yee, «elle contredit l’historique de la rédaction» 14 [traduction du Greffe].
18. En ce qui concerne le paragraphe 35 du présent Statut, il est presque identique au texte de
l’article35 du Statut de la Cour permanente de Justice internationale, à l’exception de
modifications purement formelles requises par le remplacement de la mention Société des Nations
et de son Pacte par celle des NationsUnies, ainsi que des changements terminologiques visant à
15
aligner davantage la version anglaise sur le texte français . Les changements ne concernaient pas
l’expression «est ouverte». Par conséquent, l’histori que de la rédaction de l’article 35 de l’ancien
Statut est manifestement important aux fins de la formulation de l’article 35 du présent Statut.
19. Au cours de la rédaction de l’article 35 de l’ancien Statut, le président de la
sous-commission de la troisième commission de la première assemblée de la Société des Nations a
signalé une différence dans les conditions d’accès à la Cour, en fonction de la qualité de demandeur
ou de défendeur de l’Etat . Toutefois, rien n’indique que ce point de vue ait recueilli l’adhésion . 17
13
Compétence de l’Assemblée généra le pour l’admission d’un Etat aux Na tionsUnies, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1950, p. 8.
14
S. Yee, «The interpretation of «Treaties in Forc e» in Article 35(2) of the Statute of theICLQ, vol.47,
p. 896.
15Documents de la Conférence des Nations Unies sur l’Organisation internationale, t. XIV, p. 839.
16Cour permanente de Justice internationale, Documents relatifs aux mesures prises par le Conseil de la Société
des Nations aux termes de l'article 14 du Pacte et à l'adoption par l'Assemblée du Statut de la Cour permanente, p. 141.
17Voir S. Yee, «The Interpretation of «Treaties in Force» in Article 35(2) of the Statute of the ICJICLQ7
884, p. 893-894. - 6 -
20. En outre, la discussion qui a eu lieu au cours de la rédaction des amendements au
Règlement de la Cour permanente de Justice inte rnationale en 1926, seulement six ans après la
rédaction du Statut, permet de bien mieux compre ndre cette question. Au cours des débats sur
l’application du paragraphe 2 de l’ article 35 du Statut dans le Règlem ent de la Cour, le Greffier a
fait remarquer que, dans l’affaire du Wimbledon, la Cour avait décidé que l’obligation d’accepter
les conditions fixées par le Conseil dans le cadre du paragraphe 2 de l’ article 35 du Statut ne
pouvait être imposée qu’à la partie demande resse, et non à la partie défenderesse 1. Toutefois, le
juge Max Huber (qui avait contribué àla rédacti on du Statut de la Cour permanente de Justice
internationale), alors président de la Cour, a re jeté cette interprétation et a fait valoir que les
conditions énoncées dans la résolution du Conseil de vaient être acceptées dans tous les cas, que
l’Etat non membre de la Société ait la qualité de défendeur ou celle de demandeur :
«Il est tout naturel que les Etats qui veulent profiter d’une institution établie par
la Société des Nations doivent accepter les c onditions fixées par le Pacte, et que les
Etats qui, pour une raison ou pour une autre, ne l’ont pas encore fait, les acceptent par
cette déclaration, ⎯ que ce soit en qualité de demandeur ou de défendeur qu’ils
19
paraissent devant la Cour.»
Aucun autre point de vue ni aucune objection n’ont été exprimés au sujet de l’interprétation donnée
par le président.
21. La question de la distinction entre Etat demandeur et Etat défendeur n’a pas été soulevée
lors de la rédaction du présent Statut. Si les ré dacteurs de celui-ci avaient voulu permettre que l’on
s’écarte aussi radicalement des pr incipes acceptés du règlement international des différends et de
l’égalité des Etats, ils se seraient clairement exprimés à cet effet ⎯ mais ils ne l’ont pas fait.
B2. Les principes du consentement ainsi que le rôle des organes politiques de l’Organisation
des Nations Unies ne permettent pas de distinguer les conditions d’accès des
demandeurs de celles des défendeurs
22. La théorie d’après laquelle les conditions d’accès à la Cour ne s’appliqueraient pas aux
défendeurs irait à l’encontre du principe fondamental selon lequel un Etat ne peut s’en remettre aux
décisions d’une instance judiciaire internationale, en l’espèce celle de la Cour internationale de
Justice, que s’il y a consenti 20. Il ne s’agit pas d’accepter un titre de compétence spécifique dans
une affaire donnée au sens de l’article 36 du Statut, mais d’accepter, à titre général, de faire partie
du système judiciaire de l’Organisation des Nations Unies institué par la Charte et le Statut de cette
Organisation. Ce consentement général à prendre part au système judiciaire créé par la Charte et le
Statut est l’une des conditions préalables es sentielles de l’accès à la Cour exposées dans
l’article 35 du Statut.
23. Ce consentement général peut prendre la forme d’une demande d’adhésion à
l’Organisation des NationsUnies; l’Etat non memb re peut aussi déposer une demande formelle
tendant à être partie au Statut, ou accepter les c onditions exposées dans la résolution 9 du Conseil
de sécurité, ou être partie à l’un des «traités en vigueur» au sens du paragraphe 2 de l’article 35 du
Statut. Bien entendu, le consentement de l’Etat en question n’est pas la seule condition de l’accès à
la Cour aux termes de l’article 35, car dans tous les cas précités (excepté la clause des «traités en
18 o
C.P.J.I. série D (Actes et documents relatifs à l’organisation de la Cour, n 2 (add.)), «Revision du Règlement
de la Cour», 1926, p. 75.
19
Ibid., p. 106 ; les italiques sont de nous.
20Voir par exemple, l’affaire Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 19. - 7 -
vigueur»), il doit s’accompagner de mesures sp écifiques prises par les organes politiques de
l’Organisation des Nations Unies ⎯ soit l’admission comme membre de l’Organisation, qui
entraîne ipso facto la qualité de partie au Statut de la Cour (Charte, art. 93, par. 1) ; soit l’indication
des conditions auxquelles un Etat qui n’est pas memb re de l’Organisation des NationsUnies peut
devenir partie au Statut de la Cour (Charte, art.93, par.2); soit enfin l’indication des conditions
auxquelles les Etats non parties au Statut peuvent prendre part aux instances devant la Cour (Statut,
art.35, par.2). Toutefois, dans chacun de ces cas, l’Etat lui-même doit aussi accepter de faire
partie du système judiciaire de l’Organisation des Nations Unies. Par conséquent, si un Etat qui n’a
jamais donné son consentement pouvait néanmoins êt re assigné devant la Cour en qualité de
défendeur, ce serait là enfreindre à l’évidence un principe fondamental de la justice internationale,
que la Cour n’a cessé d’affirmer et de consacrer depuis sa création.
24. Si le défendeur n’a pas accès à la Cour , cela signifie soit qu’il n’a pas consenti, en
général ou en particulier, à faire partie du systèm e judiciaire de l’Organisation des Nations Unies,
soit que les organes compétents des Nations Uni es n’ont pas accepté le défendeur comme membre
de ce système judiciaire de la manière envisagée par la Charte et le Statut, soit encore que ces deux
conditions n’ont pas été remplies. Il en résulte que le défendeur n’a pas de lien avec la Cour, qui ne
peut donc exercer sa fonction judiciaire à l’égard de celui-ci. Ainsi que la Cour l’a noté dans l’arrêt
rendu en l’affaire relative à l’ Incident aérien du 27juillet1955 , à propos de la situation de la
Bulgarie avant son admission à l’Organisation d es NationsUnies, «Jusqu’à son admission, il est
resté étranger à la Charte et au Statut. Ce qui a été convenu entre les signataires de ceux-ci n’a pu
créer à sa charge une obligation, spécialement l’ obligation de reconnaître la juridiction de la
21
Cour.»
25. Si ce principe est appliqué à la présente espèce, le fait que le défendeur ne pouvait avoir
eu d’obligation aux termes de la Charte et du Statut avant son admission à l’Organisation des
Nations Unies signifie qu’il ne pouvait être assigné devant la Cour, à savoir qu’il n’était pas tenu de
se présenter devant celle-ci. Cela confirme encore à l’évidence que les conditions d’accès
s’appliquent pleinement aux Etats défendeurs. Sur un plan plus général, cela signifie que la
condition préalable fondamentale de l’exercice par la Cour de sa fonction judiciaire faisait défaut.
En deux mots, jusqu’à son admission à l’Organisation des NationsUnies, le défendeur était
«étranger à la Charte et au Statut», pour reprendre l’expression de la Cour.
26. La possibilité qu’un Etat défendeur puisse être assigné devant la Cour sans satisfaire aux
conditions d’accès prévues dans la Charte et le Statut empêcherait également le Conseil de sécurité
et l’Assemblée générale d’exercer leur pouvoir de décision sur la participation des Etats au système
judiciaire de l’Organisation des NationsUnies. Cela suspendrait effectivement non seulement
l’article 93 de la Charte et l’article 35 du Statut mais perturberait aussi l’équilibre existant entre les
principaux organes de l’Organisation.
27. Par ailleurs, toute distinction entre le de mandeur et le défendeur remettrait en cause le
rôle de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité en vertu de l’article 6 de la Charte. En effet,
il serait toujours possible d’introduire une instance devant la CIJ, principal organe judiciaire de
l’Organisation des Nations Unies, à l’encontre d’un Etat ayant été exclu de l’Organisation en dépit
du fait que celui-ci n’est donc plus membre de l’Or ganisation. Cela remettrait également en cause
la décision des organes politiques de l’Organisation de ne pas agir seulement en application de
l’article 5 de la Charte et de priver l’Etat en qu estion de ses droits et privilèges de membre (dont le
droit de porter une affaire devant la CIJ et d’être ainsi demandeur), mais aussi d’exclure
délibérément et complètement cet Etat de l’Organisation proprement dite.
21
Affaire relative à l’Incident aérien du 27 juillet 1955 (Israël c. Bulgarie), arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 143. - 8 -
28. La distinction proposée irait par ailleur s à l’encontre de l’idée sous-tendant le
paragraphe1 de l’article94 de la Charte, qui présuppose que les parties à une instance devant la
Cour sont tenues de respecter les décisions de celle-ci. La pratique des organes politiques de
l’Organisation des NationsUnies a ux termes du paragraphe 2 de l’article93 de la Charte et du
paragraphe2 de l’article35 du Statut confir me que l’acceptation de cette obligation est jugée
essentielle pour qu’un Etat non membre de l’Organisation des NationsUnies ait accès à la Cour.
Autoriser l’introduction d’une instance contre un Etat qui n’a pas accès (en tant que non membre de
l’Organisation des Nations Unies et, partant, qui n’est pas lié par le paragra phe 2 de l’article 93 de
la Charte, ou qui ne répond pas aux conditions fix ées par l’Assemblée générale et le Conseil de
sécurité en vertu du paragraphe2de l’article93 de la Charte et du paragraphe2 de l’article35 du
Statut), ce serait enfreindre cette disposition essentielle . Cela est d’autant plus pertinent qu’il est
très important que l’Etat assigné devant la Cour , à savoir le défendeur, ait l’obligation d’en
respecter les arrêts.
B3. La question de l’égalité
29. En outre, l’admission d’une telle possibilité créerait une inégalité fondamentale entre les
Etats devant la Cour ⎯les Etats ne remplissant pas les conditions d’accès pourraient être attraits
mais ne pourraient pas attraire. Or, dans le cas d’affaires contentieuses, la Cour, pour s’acquitter de
ses fonctions en tant qu’organe j udiciaire et rendre la justice, doit assurer une égalité de traitement
entre les parties. La Cour a énoncé le caractère essentiel de ce devoir, notamment lorsqu’elle a 22
déclaré que «le principe de l’égalité des par ties au différend rest[ait] pour elle fondamental» .
L’égalité des parties, a-t-il en outre été relevé , «n’est pas une notion abstraite ou une simple
déclaration de principe, mais une réalité solidement anc23e, qui trouve son origine dans la nature et
l’objet mêmes du processus juridique international» .
30. Il convient aussi de noter que le princi pe de l’égalité est à nouveau confirmé au
paragraphe2 de l’article35 du Statut, expresséme nt en ce qui concerne les Etats non parties au
Statut.
31. Pour illustrer les conséquences de l’ inégalité fondamentale qui résulterait d’une
différence de traitement entre Etat défendeur et Etat demandeur en matière d’accès, il suffira de
mentionner la question des demandes reconventionnelles. Aux termes de l’article 80 du Règlement
de la Cour, un défendeur peut présenter de telles demandes. La demande reconventionnelle ne
constitue pas un moyen de défen se mais une demande distincte 24; en ce qui la concerne, le
défendeur se trouvera en position de requérant, et le demandeur en positio n de défendeur. Si un
Etat n’ayant pas accès à la Cour pouvait se trou ver en position de défendeur, mais pas de
demandeur, il lui serait impossible de présenter des demandes reconventionnelles dans une affaire
introduite à son encontre. A l’évidence, si l’ on considère qu’il serait tenu de répondre à une
demande formée devant la Cour, mais n’aurait pas le droit d’en former une lui-même, l’Etat
défendeur ne remplissant pas les conditions d’accès à la Cour serait placé dans une situation
d’inégalité fondamentale à l’égard du demandeur dans le cadre d’une même affaire. La question
des demandes reconventionnelles montre aussi clairement que «le principe Mavrommatis» ne
22
Activités militaires et param ilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 25 (par. 31).
23S. Rosenne, The Law and Practice of the Inter national Court of Justice 1920-2005 (2006), vol.III, Martinus
Nijhoff Publishers, Leyde, Boston, p. 1048-1049. [Traduction du Greffe.]
24 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c.Iran), mesures
conservatoires, ordonnance du 15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 15, par. 24 ; Application de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie- Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles,
ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 256-257, par. 27-28. - 9 -
pourrait entrer en jeu s’agissant d’une question aussi fondamentale que l’accès à la Cour. S’il
pourrait obtenir la qualité pour ester en devenant partie au Statut à une date ultérieure, le défendeur
n’en risquerait pas moins de se trouver privé de la possibilité de présenter une demande
reconventionnelle s’il ne le devient pas avant l’e xpiration du délai fixé pour le dépôt d’une telle
demande.
32. Une inégalité aussi fondamentale entr e les parties, si elle était possible ⎯ quod non ⎯,
ne permettrait pas à la Cour d’exercer sa compétence dans les règles.
B4. La résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité n’étaye pas la thèse de la différence entre le
demandeur et le défendeur en matière d’accès
33. La résolution 9 du Conseil de sécurité a été adoptée le 15octobre1946, conformément
au paragraphe2 de l’article35 du Statut ⎯soit un peu plus d’un an après l’élaboration et
l’adoption du Statut. Mais rien dans le libellé de cette résolution, ou dans la correspondance et les
25
projets de résolution qui l’ont précédée , ne tend à indiquer que les conditions d’accès s’imposant
aux Etats non membres du Statut diffèrent selon que ces Etats sont demandeurs ou défendeurs.
34. La résolution 9 du Conseil de sécurité dispose que les Etats non parties au Statut peuvent
déposer une déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour ayant soit un caractère particulier
soit un caractère général :
«La déclaration d’un caractère particulier est celle par laquelle un Etat accepte
la juridiction de la Cour seulement pour un ou plusieurs différends déjà nés. La
déclaration d’un caractère général est celle par laquelle un Etat accepte la juridiction
de la Cour pour tous diffé rends ou pour une ou plusieurs catégories de différends nés
ou à naître.» 26
35. Là encore, les termes employés valent de la même façon pour les Etats demandeurs et les
Etats défendeurs, et ne permettent d’établir aucune distinction sur ce fondement en ce qui concerne
l’accès à la Cour des Etats non parties au Statut. De fait, la simple possibilité qu’un tel Etat fasse
une déclaration de caractère général acceptant la juridiction de la Cour pour tous différends
implique qu’il puisse être ou bien demandeur ou bien défendeur dans des affaires portées devant la
Cour. En outre, des déclarations d’un caractère aussi général couvrent nécessairement le cas où
l’Etat est défendeur et celui où il est demandeur et leur portée ne saurait, en réalité, être circonscrite
à l’un ou à l’autre de ces cas. Il s’ensuit claire ment que les conditions d’accès à la Cour valent de
la même façon pour les défendeurs et pour les demandeurs et ce, sans exception.
36. En conclusion, il est tout simplement impossible d’attraire devant la Cour, comme
défendeur, un Etat non partie au Statut qui ne satisferait pas aux conditions d’accès énoncées à
l’article 35 du Statut. Les défendeurs doivent remplir les conditions d’accès au même titre que les
demandeurs. Selon nous, il ne pourrait en aucun cas en aller autrement au regard de la Charte et du
25Voir la lettre en date du mai 1946 adressée au Secrétaire général de s Nations Unies par le président de la
Cour internationale de Justice (Nations Unies, doc.S/99, 5juillet1946) et le rapport de M.Beelaerts van Blokland,
rapporteur du comité d’experts sur les conditions d’accès à la Co ur internationale de Justice d’Etats non parties au Statut
de la Cour (Nations Unies, doc. S/169, 24 septembre 1946).
26Résolution 9 (1946) du Conseil de Sécurité, par. 2. - 10 -
Statut. Ceux-ci ne prévoient aucune distinction sur la base de la position occupée par l’Etat dans le
cadre du différend. En outre, le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut énonce expressément que les
conditions auxquelles la Cour est ouverte sont réglées par le Conseil de sécurité «sans qu’il puisse
en résulter pour les parties aucune inégalité devant la Cour».
B5. La Cour n’a jamais fait de distinction en matière de conditions d’accès
37. La Cour n’a jamais, dans sa pratique , fait la moindre distinction entre accès du
demandeur et accès du défendeur. On en trouve une illustration dans l’affaire Bosnie : au stade des
mesures conservatoires, la Cour s’est appuyée sur la clause relative aux traités en vigueur prévue au
parag27phe2 de l’ar ticle35 pour fonder prima facie (provisoirement) la qualité pour ester de la
RFY . Bien que forcément provisoire, à ce stade de la procédure, l’invocation de cette clause
traduisait de la part de la Cour le sentiment qu’il était nécessaire de suivre les voies offertes par le
Statut et de remplir les conditions d’accès voul ues. Pourquoi aurait-il été jugé nécessaire
d’invoquer le paragraphe 2 de l’ article 35 si une instance pouvait être valablement introduite et un
défendeur ester devant la Cour sans satisfaire a ux conditions d’accès prescrites par les textes ? Si
le défendeur n’avait pas eu à remplir les conditions d’accès, la Cour se serait contentée de le relever
et aurait procédé à l’examen de l’affaire.
38. La position adoptée par la Cour dans son arrêt de 1996 sur les exceptions préliminaires
(considéré comme revêtu de l’autorité de la chose jugée dans l’arrêt de 2007) est de toute évidence
différente de celle qu’elle a retenue dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force .
Mais il est non moins évident que cette différence ne tient pas à une distinction entre la qualité de
demandeur ou de défendeur ; tout comme il est clair que, en 1996, la Cour n’a pas envisagé ⎯ ni, à
fortiori, conclu ⎯ qu’il pourrait ultérieurement être remé dié au défaut de qualité pour ester au
moment de l’introduction de la requête. Si la Cour est parvenue à des conclusions différentes, dans
l’affaire de la Bosnie, de celles qu’elle avait énoncées dans les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force , d’autre part, la raison en est incontestablement à rechercher dans la
(non-)disponibilité d’informations exactes et suffisantes en 1996. En 1996, la question de la qualité
pour ester n’a été soulevée ni par l’une ni par l’autr e des parties et, sur la base de ce que l’on savait
alors, le postulat que la RFY était partie au Statut à la date du dépôt de la requête était plausible.
L’arrêt de 1996 a été rendu dans l’intervalle de huit années au cours duquel la position de la RFY
est demeurée, pour reprendre les mots de la Cour, «ambiguë et ouverte à des appréciations
divergentes» (Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique) , par. 64). Les arrêts sur la
Licéité de l’emploi de la force ont, en revanche, été rendus après qu’il est devenu clair que la RFY
n’était devenue partie au Statut qu’à compter du 1 ernovembre 2000 ⎯ce que la Cour a confirmé
sans équivoque. La présente affaire est également examinée à un stade où des éclaircissements
concluants ont été apportés.
B6. Les parties soulevant la question du défaut de qualité ont confirmé la thèse selon laquelle
la Cour doit être ouverte tant au demandeur qu’au défendeur
39. Dans les diverses affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , plusieurs parties
ont, elles aussi, expressément fait valoir que tant la partie demanderesse que la partie défenderesse
à une affaire donnée devaient avoir qualité pour ester. Ainsi l’Italie a-t-elle indiqué que, «[p]our
qu[’elle] puisse se prononcer sur une affaire portée devant elle, il faut en premier lieu que la Cour
soit compétente ratione personarum, c’est-à-dire que tant le demandeur que le défendeur figurent
27Affaire relative à l’ Application de la convention pour la préve ntion et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoir es, ordonnance du 8avril1993,
C.I.J. Recueil 1993, p. 14, par. 19. - 11 -
28
parmi les Etats ayant accès à la Cour» . Dans le même ordre d’id ée, le Portugal écrivait: «Il
s’ensuit que la question de la compétence ne se po se même pas dans le cas d’une entité qui n’a pas
droit d’accès à la Cour. L’entité en question ne pe ut tout simplement pas agir devant la Cour en
29
tant que demandeur ou que défendeur.»
C. Aucune distinction pertinente ne peut être faite entre demandeurs et défendeurs en
matière de saisine
40. Dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de30a force, la Cour avait déclaré que le
requérant «n’aurait pu saisir la Cour de manière valable» parce qu’il n’était pas partie au Statut et
n’avait pas le droit d’ester devant la Cour.
41. Il est généralement admis qu’une saisine va lable peut être effectuée soit par notification
conjointe, soit de manière unilatérale. En l’esp èce, nous parlons de saisine unilatérale. Mais les
conditions de la saisine unilatérale dans le cadre d’un différend donné ne sont pas limitées par des
conditions préalablement imposées au requérant. Le s caractéristiques de l’autre partie ne peuvent
simplement pas être écartées. Autrement, un Etat partie au Statut pourrait aussi saisir valablement
la Cour d’une affaire contre une entité non étatique. Ou encore, la Cour pourrait être saisie d’une
affaire contre un Etat qui ne relève pas de son autorité judicaire.
42. La saisine unilatérale ne saurait se limiter au fait pour une partie d’ ester devant la Cour.
31
Ce simple fait apparaît clairement dans l’affaire Nottebohm , dans laquelle s’est posée la question
de savoir si la déclaration faite par le Guatemala (le défendeur) en vertu de l’article 36 2) pourrait
donner lieu à une saisine unilatérale valable étant donné que cette déclaration avait expiré après le
dépôt de la requête. Dans cette affaire, même le fait que les deux parties au différend étaient
parties au Statut n’a pas été jugé suffisant pour qu e la saisine ait été valable. Ayant évalué si
d’autres conditions préalables imposées au défendeur étaient remplies, la Cour a déclaré ce qui
suit : «Il est incontestable qu’une requête déposée après l’expiration de cette période [de validité de
la déclaration du Guatemala] n’aboutirait pas à saisir valablement la Cour.» 32 Ilnesuffisaitpas
que l’affaire ait été «dûment introduite» par le de mandeur. Le défendeur devait également remplir
des conditions préalables. L’arrêt Nottebohm a montré que le statut du défendeur était pertinent au
regard de la saisine.
43. La saisine valable implique simplement que la Cour a compétence pour exercer sa
compétence. Mais ce serait une contradictio in adiecto que de parler de compétence de la
compétence dans une situation dans laquelle la Cour n’est pas habilitée à exercer cette compétence.
La Cour ne peut être saisie de manière valable, elle ne peut exercer la compétence de sa
compétence si l’une des parties au différend n’est pas partie au Statut, si elle ne relève pas de la
compétence statutaire de la Cour.
28
Affaire relative à laLicéité de l’emploi de la fo rce (Yougoslavie c.Italie), ex ceptions préliminaires de la
République italienne, p. 8 ; les italiques sont de nous.
29 Affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Portugal), exceptions préliminaires de la
République portugaise, p. 5 ; les italiques sont de nous.
30 Affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil, 2004 , par.46. Le même texte figure dans les autres arrêts re ndus en2004 dans les
autres affaires relatives à la Licéité de l’empl oi de la force : au par.45 des arrêts rendus dans les affaires introduites
contre la France, le Canada, l’Italie, s Pays-Bas et le Portugal; et au par.44 des arrêts rendus dans les affaires
introduites contre l’Allemagne et le Royaume-Uni.
31 Affaire Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953.
32 Ibid., p. 121. - 12 -
44. Il ne fait aucun doute qu’une saisine valable a des conséquences pour l’appliquant
comme pour le défendeur, à supposer cependant qu’ils soient tous deux parties au Statut, qui est le
point d’ancrage des effets de la procédure. L’existence de cette suppos ition a été précisée dans
l’affaire de la Délimitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn
(compétence et recevabilité) dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit: «Une fois la Cour
valablement saisie, les conséquences procédural es [découlant du] Statut et [du] Règlement
s’imposent aux deux Parties.» 33
45. Ce point est certainement vrai, mais il d onne clairement à entendre que les deux parties
sont liées par le Statut et peuvent donc être pa rties à une affaire introduite devant la Cour.
Autrement, «les conséquences procédurales [découlant du] Statut et [du] Règlement» ne
s’appliqueraient pas à elles. Il est d’avis général que la saisine qui donne lieu à la compétence de la
compétence découle du Statut. Mais cela signifie ég alement que l’Etat au regard duquel la
compétence est examinée, et probablement établie, doit relever du champ d’application du Statut.
La Cour ne peut être habilitée à exercer sa compétence si une partie à un différend n’est pas partie
au Statut. Cette simple proposition a été accepté e comme une hypothèse essentielle dans l’affaire
relative à l’Incident aérien du 27 juillet 1955, dans laquelle la Bulgarie était le défendeur et la Cour
avait déclaré que : «le statut de la présente cour ne pouvait entraîner d’obligation pour la Bulgarie
qu’à partir de l’admission de celle-ci aux Nations Unies» . 34
46. Les Etats souverains parties au Statut sont tenus de respecter la compétence de la
compétence de la Cour à leur égard dans les conditions prévues par le Statut. De la même manière,
la Cour n’est pas habilitée à se prononcer sur sa compétence si l’un des Etats parties au différend ne
relève pas de son autorité judiciaire.
47. Cette conclusion a été confirmée dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force, dans lesquelles la Cour précise on ne pe ut plus clairement que l’accès a un caractère
fondamental, qu’il est une condition préalable à la fonction judicaire et donc, également, à la
compétence. Elle a ainsi indiqué : «La Cour ne peut exercer sa fonction judiciaire qu’à l’égard des
seuls Etats auxquels elle est ouverte en vertu de l’article 35 du Statut. Et seuls les Etats auxquels la
35
Cour est ouverte peuvent lui conférer compétence.»
48. Cela est parfaitement logique, puisque l’accès est bien une condition préalable à une
saisine valable en même temps qu’à la compétence. Cette position claire ne saurait être interprétée
autrement que comme s’appliquant tant au demandeur qu’au défendeur. La Cour ne saurait exercer
sa fonction judiciaire à l’égard des parties qui n’entrent pas dans le champ de sa fonction judiciaire,
à l’égard de celles qui n’ont pas accès à elle.
49. La même idée simple et claire est ég alement mise en évidence par ShabtaiRosenne.
Partant de l’hypothèse que la capacité d’être par tie à des affaires contentieuses est réservée aux
seuls Etats, Shabtai Rosenne ajoute et souligne que :
33
Affaire de la Délimitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.Bahreïn),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1995, par. 43.
34Affaire relative à l’ Incident aérien du 27juillet1955 (Israël clgarie), exceptions pr éliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1959, p. 143.
35 Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténég ro c.Belgique), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, par. 46. On trouve exactement le même texte dans les autres arrêts rendus en2004 dans les affaires
relatives à la Licéité de l’emploi de la force : au paragraphe 45 dans les affaires concernant la France, le Canada, l’Italie,
les Pays-Bas et le Portugal et au paragraphe 44 dans celles concernant l’Allemagne et le Royaume-Uni. - 13 -
«Cette qualité d’Etat doit être complétée par des conditions de forme établissant
un lien juridique entre l’Etat et le Statut de la Cour… Seul un Etat qui remplit l’une
de ces conditions de forme a accès à la C our, quels que soient son objectif et sa
qualité. La Cour ne saurait connaître d’ une aff36re contentieuse en laquelle le
défendeur ne remplit pas, lui aussi, ces conditions.» [Traduction du Greffe.]
50. La Cour a indiqué, dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , qu’elle
«ne peut exercer sa fonction judiciaire qu’à l’égard des seuls Etats auxque ls elle est ouverte en
vertu de l’article35 du Statut» 37. Il s’agissait donc là d’un problème fondamental, à savoir celui
des limites à l’exercice éventuel par la Cour de sa fonction judiciaire. La Cour ne peut exercer
cette fonction ⎯ ce qui signifie aussi qu’elle ne peut être correctement saisie ⎯ que dans le cadre
d’un différend entre des Etats qui, tous deux, ont accès à elle en vertu de l’article35 du Statut.
Aucune distinction ne saurait être opérée entre le demandeur et le défendeur. L’exercice de la
fonction judicaire dans le cadre d’affaires cont entieuses suppose clairement que les deux parties
relèvent de la juridiction de la Cour, telle que définie par le Statut.
___________
51. Pour conclure, la Serbie considère que le fait qu’elle n’était pas partie au Statut à la
date du dépôt de la requête fait obstacle tant à la validité de l’accès qu’à celle de la saisine, et
entraîne un défaut de compétence, que la Serbie soit la partie demanderesse ou défenderesse.
___________
36S.Rosenne, The Law and the Practice of the International Court, 1920-2005 , 2006, Martinus Nijhoff
Publishers, Leyde, Boston, p. 588.
37 Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténég ro c.Belgique), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 2004, par. 46. On trouve exactement le même texte dans les autres arrêts rendus en2004 dans les affaires
relatives à la Licéité de l’emploi de la force : au paragraphe 45 dans les affaires concernant la France, le Canada, l’Italie,
les Pays-Bas et le Portugal et au paragraphe 44 dans celles concernant l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Réponse écrite de la Serbie à la question posée aux Parties par le juge Abraham (traduction)