COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel
o
N 2010/39
Le 30 novembre 2010
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo)
La Cour dit que la RDC, en procédant à l’arrestation, la détention et l’expulsion
de M. Diallo en 1995-1996, a violé les droits fondamentaux de l’intéressé,
mais qu’elle n’a pas violé ses droits propres en tant qu’associé des
sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre
LA HAYE, le 30 novembre 2010. La Cour interna tionale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal des NationsUnies, a rendu ce jour son arrêt en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo).
Dans son arrêt, qui est définitif, sans recours et obligatoire pour les Parties, la Cour,
1) dit , par huit voix contre six, que la demande de la République de Guinée relative à l’arrestation
et à la détention de M. Diallo en 1988-1989 est irrecevable ;
2) dit , à l’unanimité, que eu égard aux conditions dans lesquelles M.Diallo a été expulsé du
territoire congolais le 31janvier1996, la République démocra tique du Congo a violé
l’article13 du Pacte international relatif aux dits civils et politiques, ainsi que l’article12,
paragraphe 4, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
3) dit , à l’unanimité, que eu égard aux conditions dans lesquelles M. Diallo a été arrêté et détenu
en1995-1996 en vue de son expulsion, la République démocratique du Congo a violé
l’article 9, paragraphes 1 et 2, du Pacte internati onal relatif aux droits civils et politiques, ainsi
que l’article 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
4) dit , par treize voix contre une, que, en n’inform ant pas sans retard M.Diallo, lors de sa
détention en 1995-1996, de ses droits en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de
la convention de Vienne sur l es relations consulaires, la Ré publique démocratique du Congo a
violé les obligations lui incombant en vertu dudit alinéa ;
5) rejette , par douze voix contre deux, le surplus des conclusions de la République de Guinée
relatives aux conditions dans lesquelles M. Diallo a été arrêté et détenu en 1995-1996 en vue de
son expulsion ;
6) dit , par neuf voix contre cinq, que la République démocratique du Congo n’a pas violé les
droits propres de M. iallo en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et
Africontainers-Zaïre ; - 2 -
7) dit , à l’unanimité, que la République démocra tique du Congo a l’obligation de fournir une
réparation appropriée, sous la forme d’une inde mnisation, à la République de Guinée pour les
conséquences préjudiciables à raison des viola tions d’obligations internationales visées aux
points 2 et 3 ci-dessus ;
8) décide , à l’unanimité, que, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet dans
les six mois à compter du présent arrêt, la question de l’indemnisation due à la République de
Guinée sera réglée par la Cour, et réserve à cet effet la suite de la procédure.
Raisonnement de la Cour
La Cour rappelle que le différend opposant la Guinée et la RDC porte sur de «graves
violations du droit international» qui auraient été commises par la RDC «sur la personne d’un
ressortissant guinéen», M. Ahmadou Sadio Diallo (par. 1). Ce dernier, qui avait créé en RDC deux
sociétés privées à responsabilité limitée, la société Africom-Zaïre et la société Africontainers-Zaïre,
fut arrêté et incarcéré le 25 janvier 1988, avant d’être libéré, un an plus tard, après que le procureur
général de Kinshasa eut classé le dossier judiciaire pour «inopportunité de poursuites». La Cour
déduit par ailleurs des éléments de preuve soumis à elle par les Pa rties que M.Diallo fut arrêté
le 5 novembre 1995, mis en détention jusqu’au 10janvier1996, puis à nouveau arrêté et mis en
détention à une date qui se situerait au plus tard le 25 janvier 1996 ; ces mesures étaient destinées à
permettre la mise en exécution d’un décret d’e xpulsion pris à son encontre le 31octobre1995.
M. Diallo fut finalement expulsé du territoire congolais le 31 janvier 1996.
Ayant déclaré, dans son arrêt du 24 mai 2007 su r les exceptions préliminaires, la requête de
la République de Guinée recevable, d’une part, «en ce qu’elle a trait à la protection des droits de
M.Diallo en tant qu’individu» et, d’autre part, «en ce qu’elle a trait à la protection des droits
propres de [celui-ci] en tant qu’associé des sociét és Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre», la
Cour se penche successivement sur ces deux questions, avant d’examiner les demandes de
réparation présentées par la Guinée.
1. La protection des droits de M. Diallo en tant qu’individu
a) La demande relative aux mesures d’arrestation et de détention prises à l’égard de
M. Diallo en 1988-1989
Avant de se prononcer sur la demande de la Guinée tendant à ce qu’elle déclare que
M. Diallo a été victime, en 1988-1989, de mesures d’arrestation et de détention contraires au droit
international, la Cour se penche sur l’argumen t de la RDC selon lequel ladite demande serait
irrecevable au motif qu’elle aurait été présentée tardivement. Elle note que la demande relative aux
faits de1988-1989 a été présentée pour la première fois par la Guinée dans sa réplique, dans
laquelle elle «expose en détail les circonstances de l’ arrestation et de la détention de M.Diallo
en1988-1989» et précise que cette affaire «fait indubitablement partie des faits illicites à raison
desquels [elle] entend engager la responsabilité in ternationale du défendeur » (par.32). La Cour
considère que ladite demande n’est pas «implicitement contenue dans la requête» ni ne «découle
directement de la question qui fait l’objet de la requête» (par.41). Elle fait observer à cet égard
que la requête porte sur «les atteintes aux droits i ndividuels de M. Diallo qui auraient résulté, selon
la Guinée, des mesures d’arrestation, de déte ntion et d’expulsion prises à son encontre en
1995-1996». Or, la demande rela tive aux faits de1988-1989 porte sur «d’autres mesures
d’arrestation et de détention, prises à un autre moment et dans un autre contexte» et, au surplus,
«sur des bases juridiques complètement différentes» (par.43). La Cour conclut que «la demande
relative aux mesures d’arrestation et de déte ntion dont M.Diallo a fait l’objet en1988 -1989 est
irrecevable» (par. 47). - 3 -
b) La demande relative aux mesures d’arrestation, de détention et d’expulsion prises à
l’égard de M. Diallo en 1995-1996
La Cour examine en premier lieu l’argumen t de la Guinée selon lequel l’expulsion de
M.Diallo aurait méconnu l’article13 du Pacte inte rnational relatif aux dro its civils et politiques
(ci-après le «Pacte») et l’article12, paragraphe4, de la Charte africaine des droits de l’homme et
des peuples (ci-après la «Charte africaine»). La Cour observe que, pour être conforme à ces
dispositions, l’expulsion d’un étranger qui se trouve lé galement sur le territoire d’un Etat partie à
ces instruments doit, d’une part, être prononcée conf ormément au droit national applicable en la
matière ⎯qui doit lui-même être compatible avec le s autres exigences du Pacte et de la Charte
africaine ⎯ et, d’autre part, ne pas revêtir un caractère arbitraire (par. 65). La Cour observe que
cette interprétation est «pleinement corroborée pa r la jurisprudence du Comité des droits de
l’homme institué par le Pacte» (par.66) et par «la jurisprudence de la commission africaine des
droits de l’homme et des peuples» (par.67). La Cour est d’avis que le décret d’expulsion
du 31octobre1995 n’a pas respecté les prescripti ons de la loi congolaise pour deux raisons:
1)iln’a pas été précédé de la consultation de la commission nationale d’immigration, dont l’avis
est requis par l’article16 de l’ordonnance-loi du 12septembre1983 relative à la police des
étrangers; 2)il n’a pas été «motivé», comme l’ exige l’article15 de cette même ordonnance-loi
(par. 72). Il en découle que, sur ces deux points, l’expulsion n’a pas été prononcée «conformément
à la loi» et viole l’article 13 du Pacte et l’article 12, paragraphe 4, de la Ch arte africaine (par. 73).
La Cour estime en outre que la Guinée est fondée à soutenir que le droit reconnu par l’article 13 du
Pacte à l’étranger qui est sous le coup d’une mesu re d’expulsion de «faire valoir les raisons qui
militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente» n’a pas été
respecté dans le cas de M. Diallo. La Cour est ime par ailleurs que la RDC n’a pas démontré que
«des raisons impérieuses de sécurité nationale» auraie nt justifié qu’il soit fait exception au droit de
M. Diallo de faire valoir les raisons militant cont re son expulsion et de faire examiner son cas par
une autorité compétente. La Cour conclut que, pour ce motif également, l’article 13 du Pacte a été
violé eu égard aux conditions dans lesquelles M. Diallo a été expulsé (par. 74).
La Cour examine en second lieu l’argument de la Guinée selon lequel l’arrestation et la
détention de M.Diallo auraient violé l’article9, paragraphes1 et2, du Pacte, ainsi que l’article6
de la Charte africaine. En particulier, les pr ivations de liberté que M.Diallo aurait subies
n’auraient pas eu lieu «conformément à la procédur e prévue par la loi» au sens de l’article9,
paragraphe 1, du Pacte, ni «dans [les] conditions préalablement déterminé[e]s par la loi» au sens de
l’article6 de la Charte africaine. En outre, ces privations de liberté auraient été «arbitraires» au
sens de ces dispositions. Enfin, M. Diallo n’aura it pas été, au moment de ses arrestations, informé
des raisons de celles-ci, ni n’aurait reçu notification des accusations portées contre lui, ce qui aurait
constitué une violation de l’article 9, paragraphe 2, du Pacte (par. 76).
S’agissant du premier grief de la Guinée, tir é de ce que l’arrestation et la détention de
M. Diallo n’auraient pas été conformes aux prescripti ons de la loi de la RDC, la Cour observe que
l’article15 de l’ordonnance-loi du 12septembre 1983 prévoit que l’étranger «susceptible de se
soustraire à l’exécution» d’une mesure d’expulsion peut être in carcéré pour une durée initiale de
quarante-huit heures, pouvant être «prorogée de quarante-huit heures en quarante-huit heures, sans
que la détention puisse dépasser huit jours». La Cour constate que «l’arrestation et la détention de
M.Diallo n’ont pas été conformes à ces dispositions ». En effet, «rien n’indique que les autorités
de la RDC ont cherché à déterminer si M. Diallo était «susceptible de se soustraire à l’exécution»
du décret d’expulsion et, en conséquence, s’il était nécessaire de le placer en détention». La Cour
relève en outre que «[l]a longue ur totale de la période au cours de laquelle il a été détenu
⎯soixante-six jours à partir de sa première ar restation et au moins sixjours supplémentaires à
partir de sa seconde arrestation ⎯ excède de beaucoup la durée maximale autorisée par
l’article 15». La Cour relève enfin que «la RDC n’a produit aucune preuve tendant à établir que sa
détention a fait l’objet d’un réexamen toutes les quarante-huit heures, comme il est exigé par cette
disposition» (par. 79). - 4 -
S’agissant du deuxième grief de la Guinée, sel on lequel l’arrestation et la détention de
M. Diallo auraient été arbitraires au sens de l’article 9, paragraphe 1, du Pacte et de l’article 6 de la
Charte africaine, la Cour constate, tout d’abor d, que M.Diallo «a été détenu pendant une durée
particulièrement longue, sans qu’il apparaisse que les autorités aient même cherché à établir si sa
détention était nécessaire». La Cour observe en suite que «non seulement le décret d’expulsion
lui-même n’était pas motivé de façon suffisamment précise», mais que «la RDC n’a jamais été à
même, tout au long de la procédure, de fournir des motifs qui puissent être de nature à donner un
fondement convaincant à l’expulsion de M.Diallo». La Cour relève enfin que les allégations de
«corruption» et d’autres infractions formulées à so n encontre n’ont donné lieu à aucune poursuite
devant les tribunaux ni, a fortiori , à aucune condamnation. La Cour conclut que l’arrestation et la
détention de M.Diallo ont été arbitraires au sen s de l’article9, paragraphe1, du Pacte et de
l’article 6 de la Charte africaine (par. 82).
S’agissant du troisième grief de la Guinée, selon lequel M.Diallo n’aurait pas été, au
moment de ses arrestations, informé des raisons de celles-ci, en violation de l’article9,
paragraphe2, du Pacte, la Cour considère que «[l]a RDC n’a produit aucun document ni aucun
autre élément de preuve de nature à établir que le décret d’expulsion aurait été notifié à M. Diallo
au moment de son arrestation le 5 novembre 1995, ni qu’il aurait été informé de quelque manière, à
ce moment, de la raison pour laquelle il était arrêté». La Cour relève qu’il n’a pas été davantage
établi que M. Diallo ait été informé, lors de son arrestation en janvier 1996, de ce qu’il était éloigné
par la contrainte du territoire congolais en exécuti on du décret d’expulsion. Elle observe en outre
que «le jour de son renvoi effectif, il lui a été four ni l’information erronée qu’il était «refoulé» en
raison de sa «situation irréguliè re»». La Cour conclut que l’ exigence d’information prévue à
l’article 9, paragraphe 2, du Pacte n’a pas été respectée en ces deux occasions (par. 84-85).
La Cour examine en troisième lieu l’argumen t de la Guinée selon lequel M.Diallo aurait
subi des conditions de détention assimilables à d es traitements inhumains ou dégradants prohibés
par le droit international. E lle considère que «la Guinée n’a p as démontré de façon suffisamment
convaincante que M. Diallo aurait été soumis lors de sa détention à de tels traitements» (par. 88).
La Cour examine en dernier lieu l’argument de la Guinée selon lequel M. Diallo n’aurait pas
été informé, lors de son arrestation, de son dro it à solliciter l’assistance consulaire de son pays, en
violation de l’article36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations
consulaires de1963. La Cour relève que l’a ffirmation selon laquelle la RDC aurait «informé
oralement M. Diallo aussitôt après sa détention de la possibilité de solliciter l’assistance consulaire
de son Etat» est arrivée «très tard dans la procédure, alors que ce point était en cause depuis le
début» et qu’elle n’était «pas assortie du moindre élément de nature à la corroborer» (par. 94-96).
Elle conclut qu’il y a eu violation, de la part de la RDC, de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b) de
la convention de Vienne sur les relations consulaires (par. 97).
2. La protection des droits propres de M. Diallo en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre
et Africontainers-Zaïre
Après avoir éclairci certaines questions relatives à l’existence juridique des deux sociétés et
au rôle et à la participation de M. Diallo dans celles-ci, la Cour examine les demandes relatives aux
droits propres de M. Diallo en tant qu’associé formulées par la Guinée.
a) Le droit de prendre part aux assemblées générales et d’y voter
La Cour commence par constater qu’il découl e de l’article79 du décret congolais sur les
sociétés commerciales de 1887 que «le droit de pren dre part aux assemblées générales et d’y voter
appartient aux associés et non à la société» (p ar.119). Elle observe ensuite qu’en vertu de
l’article83 de ce même décret, les associés ont le droit de demander la convocation d’une - 5 -
assemblée générale s’ils réunissent un cinquième du nom bre total de parts sociales. A la lumière
des éléments de preuve que les Parties lui ont pr ésentés, la Cour conclut que «rien ne prouve que
M. Diallo, agissant en qualité de gérant ou d’associé détenteur d’au moins un cinquième du nombre
total des parts sociales, ait pris la moindre m esure pour convoquer une assemblée générale, soit
après son expulsion de la RDC, soit à un quelco nque moment après1980, alors qu’il résidait en
RDC». Or, selon la Cour, «le droit de M. Diallo de prendre part aux assemblées générales et d’y
voter n’aurait pu être violé que si des assembl ées générales avaient effectivement été convoquées
après son expulsion». La Cour relève à cet égard que,
«quand bien même l’article pr emier de l’ordonnance-loin o66-341 du 7juin1966
obligerait les sociétés ayant leur siège admi nistratif en RDC à tenir leurs assemblées
générales sur le territoire congolais, il n’a pas été prouvé que M.Diallo aurait été
empêché d’agir pour convoquer des assemblées générales depuis l’étranger, en qualité
de gérant ou d’associé» (par. 121).
La Cour examine ensuite la question de savoir si
«M.Diallo a été privé de son droit de prendre part à d’éventuelles assemblées
générales et d’y voter au motif que, comme le soutient la Guinée, il n’aurait pu, après
son expulsion, exercer ce droit que par l’in termédiaire d’un mandataire, alors que la
législation congolaise lui reconnaîtrait le droit de choisir, soit de désigner un tiers pour
le représenter, soit de siéger en personne» (par. 122).
La Cour considère qu’il résulte des dispositions pertinentes de la législation congolaise que «le
droit de l’associé de prendre part et de voter aux assemblées générales peut être exercé par
lui-même en personne ou par l’intermédiaire d’un mandataire de son choix». Elle estime en
revanche qu’on ne peut déduire avec certitude d esdites dispositions qu’elles consacreraient «le
droit pour l’associé d’assister en personne aux asse mblées générales» (par. 124). La Cour ne peut
donc accueillir l’allégation de la Guinée selon laquelle la RDC aurait violé le droit de M. Diallo de
prendre part aux assemblées générales et d’y voter (par. 126).
b) Les droits relatifs à la gérance
La Cour note que la Guinée a soutenu que, en expulsant M.Diallo de manière illicite, la
RDC a commis: 1)une violation du droit que l’intéressé aurait de nommer un gérant, 2)une
violation du droit qu’il aurait d’être nommé gérant, 3) une violation du droit qu’il aurait d’exercer
les fonctions de gérant et 4)une violation du droit qu’il aurait de ne pas être révoqué en tant que
gérant (par. 127).
S’agissant de la première allégation formulée par la Guinée, la Cour rappelle que, aux termes
de l’article65 du décret de1887, «[l]es gérant s sont nommés soit dans l’acte constitutif, soit par
l’assemblée générale». La Cour en déduit que, lo rsque la nomination du gérant a lieu par décision
de l’assemblée générale, elle relève de la respon sabilité de la société elle-même, sans constituer un
droit de l’associé. En conséquence, la Cour conclut que l’argument de la Guinée selon lequel la
RDC a violé le droit de M. Diallo de nommer un gérant doit être rejeté (par. 133).
S’agissant de la deuxième allégation formulée par la Guinée, la Cour estime que le droit de
M. Diallo d’être nommé gérant ne peut avoir été violé en l’espèce puisque, de fait, M. Diallo a bien
été nommé gérant, et demeure le gérant des deux sociétés en question (par. 134).
S’agissant de la troisième allégation formulée par la Guinée, la Cour se réfère à l’article 69 du
décret de 1887, qui prévoit que «la gérance peu[t] co nfier la gestion journalière de la société et des
pouvoirs spéciaux à des agents ou autres ma ndataires associés ou non associés», ainsi qu’aux
statuts d’Africontainers-Zaïre, qui permettent à la gérance d’établir des sièges administratifs ou des - 6 -
bureaux en RDC ou à l’étranger. La Cour considère que «[s]’il est vrai qu’il a pu être plus difficile
pour M.Diallo d’exercer ses fonctions de gérant du fait qu’il se trouvait hors du territoire de la
RDC, la Guinée n’a pas démontré que cela lui avait été impossible»(par.135). Elle relève en
outre, qu’«il ressort clairement de différents documents soumis à la Cour que, même après
l’expulsion de M.Diallo, des représentants d’Afri containers-Zaïre ont continué à agir au nom de
cette société en RDC et de négocier avec la société Gécamines au sujet de réclamations
contractuelles» (par.136). La Cour conclut que «l’argument de la Guinée selon lequel la RDC a
violé le droit de M. Diallo d’exercer ses fonctions de gérant doit être rejeté» (par. 137).
S’agissant de la quatrième allégation de la Gu inée, la Cour fait observer que M.Diallo n’a
pu être révoqué «pour de justes motifs par l’assemb lée générale», conformément à l’article67 du
décret de 1887, dans la mesure où «aucun élément de preuve [n’] a été présenté [à la Cour] attestant
que M. Diallo avait été privé de son droit de de meurer gérant, aucune assemblée générale n’ayant
été convoquée pour le révoquer ou à toute autre fin». Elle estime que, s’il est vrai qu’«il a pu être
plus difficile pour l’intéressé d’exercer ses fonctions depuis l’étranger à la suite de son expulsion,
M.Diallo est néanmoins demeuré, d’un point de vue juridique, le gérant d’Africom-Zaïre et
d’Africontainers-Zaïre». La Cour conclut que «l’argument de la Guinée selon lequel la RDC a
violé le droit de M. Diallo de ne pas être révoqué en tant que gérant doit être rejeté» (par. 138).
c) Le droit de surveiller et de contrôler les actes accomplis par la gérance
La Cour examine l’argument de la Guinée selon lequel, en arrêtant et en expulsant M. Diallo,
la RDC a privé celui-ci de son droit de surveiller et de contrôler les actes accomplis par la gérance
et les opérations des deux sociétés. La Cour déduit de l’article 71, paragraphe 3, du décret de 1887,
selon lequel «[s]i le nombre des associés ne dépa sse pas cinq, la nomination de commissaires n’est
pas obligatoire et chaque associé a les pouvoirs des commissaires» que, «dès lors qu’Africom-Zaïre
et Africontainers-Zaïre comptaient moins de cinq associés, M. Diallo était autorisé à agir en qualité
de commissaire». La Cour considère que, si les détentions et l’expulsion de M.Diallo ont pu
rendre plus difficile l’activité commerciale des sociétés, «elles n’ont pu en aucun cas empêcher
celui-ci de surveiller et de contrôler la gérance, quel que soit l’endroit où il se trouvait» (par. 147).
La Cour conclut que «l’allégation de la Guinée selon laquelle la RDC a violé le droit de M. Diallo
de surveiller et de contrôler la gérance ne saurait être accueillie» (par. 148).
d) Le droit de propriété de M. Diallo sur ses parts sociales dans les sociétés Africom-Zaïre et
Africontainers-Zaïre
La Cour examine l’argument de la Guinée selon lequel,
«privé du contrôle et de l’usage effectif de ses droits en tant qu’associé, M.Diallo
a[urait] été victime d’une expropriation indirecte de ses parts sociales dans les sociétés
Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre, parce que ses droits de propriété [auraient] fait
l’objet d’une atteinte telle qu ’il a été durablement privé de leur contrôle effectif, de
leur usage ou de leur valeur» (par. 149).
La Cour commence par observer que «le droit intern ational a maintes fois reconnu le principe de
droit interne selon lequel une société possède une pe rsonnalité juridique distin cte de celle de ses
actionnaires». Dès lors, «les droits et les biens de la société doivent être distingués de ceux de
l’associé» (par. 155). La Cour rappelle que «le capital fait partie du patrimoine de la société, tandis
que les associés sont propriétaires des parts sociales» : «[c]es dernières représentent le capital sans
se confondre avec lui, et confèrent à leurs détent eurs des droits dans le fonctionnement des
sociétés, ainsi qu’un droit à percevoir un éventuel dividende ou tout autre montant en cas de
liquidation des sociétés». La Cour observe qu’il n’existe «aucune preuve de ce que des dividendes
aient jamais été déclarés ou qu’une quelconque mesu re ait été prise pour liquider les sociétés, et - 7 -
encore moins de ce que les droits de M. Diallo à cet égard aient été violés par un quelconque acte
attribuable à la RDC» (par.157). La Cour conc lut que «les allégations, formulées par la Guinée,
d’atteinte au droit de propriété de M. Diallo su r ses parts sociales dans les sociétés Africom-Zaïre
et Africontainers-Zaïre ne sont pas établies» (par. 159).
3. Réparations
Au vu des circonstances propres à l’espèce, en particulier du caractère fondamental des
obligations relatives aux droits de l’homme qui ont été violées et de la demande de réparation sous
forme d’indemnisation présentée par la Guinée, la Cour est d’avis que, «outre la constatation
judiciaire desdites violations, la réparation due à la Guinée à raison des dommages subis par
M.Diallo doit prendre la forme d’une indemnisa tion» (par.161). La Cour estime que les Parties
doivent «mener des négociations afin de s’entendre sur le montant de l’indemnité devant être payée
par la RDC à la Guinée à raison du dommage résulta nt des détentions et de l’expulsion illicites de
M.Diallo en1995-1996, y compris la perte de ses effets personnels qui en a découlé» (par.163).
Elle considère que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, «dans l’hypothèse où les
Parties ne parviendraient pas, dans un délai de sixmois suivant le prononcé du présent arrêt, à
s’entendre sur le montant de l’indemnité due par la RDC, la question devra être réglée par la Cour
dans une phase ultérieure de la procédure» (par. 164).
Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit: M.Owada, président , M.Tomka, vice-président ;
MMA . l-Khasawneh, Simma, Abraham, Ke ith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov,
CançadTorindade, Yusuf, Greenwood, juges ; MM M. ahiou, Mampuya, juges ad hoc ;
M. Couvreur, greffier.
MM. les juges Al-Khasawneh, Simma, Bennouna, Cançado Trindade et Yusuf joignent une
déclaration commune à l’arrêt; MM.les juges Al-Khasawneh et Yusuf joignent à l’arrêt l’exposé
de leur opinion dissidente commune ; MMl.es juges Keith et Greenwood joignent
une déclaration commune à l’arrêt; M.le j uge Bennouna joint à l’arrêt l’exposé de son
opinion dissident;el. juge Cançado Trindade joint à l’arrêt l’exposé de
son opinion individuelle; M.le juge ad hoc Mahiou joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
dissidente ; M. le juge ad hoc Mampuya joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.
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Un résumé de l’arrêt figure dans le document intitulé «Résumé n 2010/3». Le présent
communiqué de presse, le résumé de l’arrêt, ainsi que le texte intégral de celui-ci sont disponibles
sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».
___________
Département de l’information :
M. Andreї Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
M. Boris Heim, attaché d’information (+31 (0)70 302 2337)
Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)
- La Cour dit que la RDC, en procédant à l'arrestation, la détention et l'expulsion de M. Diallo en 1995-1996, a violé les droits fondamentaux de l'intéressé, mais qu'elle n'a pas violé ses droits propres en tant qu'associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo) - La Cour dit que la RDC, en procédant à l'arrestation, la détention et l'expulsion de M. Diallo en 1995-1996, a violé les droits fondamentaux de l'intéressé, mais qu'elle n'a pas violé ses droits propres en tant qu'associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre