Exposé écrit de l'Union africaine

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186-20230725-WRI-12-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18872
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE L’UNION AFRICAINE
25 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. REMARQUES LIMINAIRES ........................................................................................................... 1
A. Introduction .......................................................................................................................... 1
B. L’intérêt de l’Union africaine dans la présente procédure consultative ............................... 2
C. Le contexte historique de la présente procédure consultative .............................................. 5
1. La situation palestinienne constitue une occupation au regard du droit international ..................................................................................................................... 5
2. Le peuple palestinien est privé de son droit à l’autodétermination ................................. 7
3. L’avis consultatif sur le mur et ses conséquences juridiques .......................................... 9
4. L’évolution récente de la situation et le problème particulier de Jérusalem-Est ........... 10
II. LA COUR A COMPÉTENCE POUR DONNER L’AVIS CONSULTATIF SOLLICITÉ ............................ 12
A. L’Assemblée générale est autorisée à demander l’avis consultatif .................................... 13
B. Les questions posées ont un caractère juridique ................................................................. 15
C. Le devoir de la Cour de donner l’avis demandé ................................................................. 16
III. LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ ............................................................................ 19
A. Statut juridique de l’occupation ......................................................................................... 19
1. La définition du concept d’occupation de guerre .......................................................... 20
2. La situation actuelle dans les territoires palestiniens constitue une occupation de guerre par l’État d’Israël ............................................................................................... 22
3. L’occupation israélienne des territoires palestiniens constitue un fait internationalement illicite .............................................................................................. 31
B. Politiques et pratiques associées à l’occupation israélienne des territoires palestiniens qui constituent des faits internationalement illicites .......................................................... 47
1. Les colonies israéliennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie ......................................... 48
2. Les routes de contournement israéliennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie ............... 54
3. Le mur de séparation israélien ...................................................................................... 57
4. L’expropriation de terres, les politiques de zonage restrictives et les mesures israéliennes visant à modifier la composition démographique et le caractère de la ville sainte de Jérusalem, ainsi que le contrôle par Israël des ressources en eau .......... 58
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C. Conséquences juridiques pour l’État d’Israël découlant des faits internationalement illicites liés à son occupation des territoires palestiniens ................................................... 66
1. L’obligation faite à l’État d’Israël de mettre fin aux faits internationalement illicites liés à son occupation des territoires palestiniens .............................................. 66
2. L’obligation faite à l’État d’Israël de réparer intégralement les préjudices causés par ces faits internationalement illicites y compris, s’il y a lieu, par la restitution, l’indemnisation et la satisfaction ................................................................................... 68
3. L’obligation de l’État d’Israël d’offrir des assurances et des garanties de non-répétition de ces faits internationalement illicites .................................................. 70
IV. LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT POUR TOUS LES ÉTATS ET L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES DE L’OCCUPATION ILLICITE AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL ............................................................................................................ 71
A. Les obligations qui incombent à tous les États et à l’ONU ................................................ 72
1. Tous les États et l’ONU ont un devoir de non-reconnaissance de la situation d’occupation illicite ....................................................................................................... 72
2. Tous les États et l’ONU ont l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance à l’occupation illicite ........................................................................................................ 74
3. Tous les États sont tenus de coopérer pour mettre fin à l’occupation illicite ................ 76
4. Tous les États doivent coopérer afin de contribuer au droit à l’autodétermination du peuple palestinien ..................................................................................................... 77
5. Tous les États parties aux conventions de Genève doivent veiller au respect de la convention ..................................................................................................................... 78
6. Tous les États parties à la convention de Genève ont l’obligation de prévenir et de punir les crimes internationaux et les violations du droit international humanitaire .................................................................................................................... 80
B. Les principes communs à ces obligations .......................................................................... 81
1. Il est attendu des États qu’ils exercent la diligence requise .......................................... 82
2. Tous les États doivent faire la distinction entre les différents territoires ...................... 83
3. Les États doivent employer des moyens licites ............................................................. 84
4. La préoccupation primordiale doit être le peuple palestinien ....................................... 84
C. Les mesures concrètes que doivent prendre tous les États et l’ONU ................................. 85
V. CONCLUSION ........................................................................................................................... 87
I. REMARQUES LIMINAIRES
1. Compte tenu de la grande importance des questions dont est saisie la Cour internationale de Justice (ci-après la « Cour »), c’est pour l’Union africaine un honneur que d’intervenir dans la présente procédure. Les avis consultatifs sont pour la Cour un moyen privilégié d’exercer son rôle en tant qu’organe principal de l’Organisation des Nations Unies (ci-après l’« ONU ») et de renforcer encore la fonction et la place du droit international dans les affaires mondiales. Aider la Cour à s’acquitter de ses fonctions est un devoir primordial et une grande fierté pour toute organisation internationale.
2. Dans le présent exposé écrit, l’Union africaine présentera ses observations préliminaires et ses premières conclusions en ce qui concerne les questions soumises à la Cour qui font l’objet de la procédure consultative sur les Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, introduite en application de la résolution A/RES/77/247 (ci-après la « résolution 77/247 ») de l’Assemblée générale des Nations Unies (ci-après l’« Assemblée générale »).
A. Introduction
3. Depuis les premières résolutions de l’ONU1 portant sur la question jusqu’à la dernière en date2, la situation de la Palestine a donné lieu à des centaines de rapports, de conclusions, de résolutions et d’observations, dans le cadre d’un effort multilatéral tendant à parvenir un jour à « un règlement pacifique, juste, durable et global » de ladite question3. La Cour elle-même a eu l’occasion, il y a de cela presque 20 ans, d’y apporter sa contribution en rendant son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (ci-après l’« avis consultatif sur le mur »)4.
4. Pour sa part, l’Union africaine n’a jamais cessé de soutenir les efforts multilatéraux qui ont été déployés en vue d’aboutir à une solution juste et durable de la situation palestinienne5, y compris en participant en qualité d’observateur au Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien. Elle a aussi fréquemment exprimé son soutien au peuple palestinien et déploré le sort de plus en plus préoccupant de celui-ci, en s’opposant à tous les actes et comportements de quelque partie que ce soit, y compris Israël, susceptibles d’aggraver la situation6 ou de détourner la
1 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 181(II) du 29 novembre 1947, intitulée « Gouvernement futur de la Palestine », doc. A/RES/18 (II) ; Conseil de sécurité, résolution 42 du 5 mars 1948, doc. S/RES/42.
2 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022, intitulée « Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », doc. A/RES/77/247 (pièce no 3 du dossier) ; Conseil de sécurité, résolution 2334 du 23 décembre 2016, doc. S/RES/2334, (pièce no 1372 du dossier).
3 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 74/89 du 26 décembre 2019, intitulée « Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », doc. A/RES/74/89, p. 2 (pièce no 834 du dossier).
4 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136.
5 Voir, par exemple, Nations Unies, Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, « Marking Anniversary of Nakba, President Tells Palestinian Rights Committee “Tragedy Constitutes a Scar on Humanity” » (doc. GA/PAL/1453, 15 mai 2023), observations formulées par Salem M. Matug, représentant du bureau de l’observateur permanent de l’Union africaine.
6 Annexe AU-6, « Statement of the Chairperson of the African Union Commission on the Situation in Gaza », 7 août 2022 ; Annexe AU-7, « Statement of the Chairperson of African Union Commission on the American Decision to Recognize Jerusalem as the Capital of Israel », 6 décembre 2017.
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communauté internationale de la solution des deux États dont le besoin se fait cruellement ressentir7. Ce faisant, elle a toujours soutenu qu’« aucun progrès ne p[ouvai]t être réalisé à moins que les deux parties ne conviennent ensemble d’une marche à suivre, fondée sur les résolutions pertinentes de l’ONU, sur le droit international et sur les accords communs »8.
5. Cette situation perdure aujourd’hui, après des décennies d’espoirs déçus, et alors même que la situation sur le terrain continue de se détériorer9. Dans le souci de faire avancer les choses, il a donc été demandé à la Cour, dans la résolution 77/247, de se prononcer sur les deux questions suivantes :
a) « Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées [dans la première question] ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
6. Ces questions touchent au coeur même de la situation palestinienne, et l’Union africaine est convaincue que la réponse qui y sera apportée contribuera substantiellement aux progrès qui pourraient être réalisés à l’avenir pour amener la paix et la justice dans la région.
7. Le présent exposé écrit expose donc les vues de l’Union africaine, dont les membres considèrent que le règlement des questions posées à la Cour revêt une importance cruciale en droit international. Ainsi que l’a reconnu la Cour, l’Union africaine « [est] susceptible de fournir des renseignements sur les questions que lui a soumises l’Assemblée générale »10.
B. L’intérêt de l’Union africaine dans la présente procédure consultative
8. L’Union africaine, créée le 11 juillet 2000, est un organisme régional au sens de l’article 52 du chapitre VIII de la Charte des Nations Unies. Elle compte 55 États membres. Conformément à
7 Nations Unies, Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, « Amid Creeping Annexation, Shrinking Civil Society Space for Palestinians, Israel Must Be Held Accountable, Speakers Stress at Meeting Marking International Solidarity Day » (doc. GA/PAL/1447, 29 novembre 2022).
8 Nations Unies, Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, « Marking International Solidarity Day, Permanent Observer Tells Palestinian Rights Committee Israel’s Illegal Settlements Signal Rejection of Two-State Solution » (doc. GA/PAL/1442, 29 novembre 2021).
9 Plusieurs documents et missions d’établissement des faits des Nations Unies font état de « l’évolution inquiétante de la situation » sur le terrain. Voir, par exemple, pièce no 1240 du dossier, « Protection de la population civile palestinienne » (Nations Unies, doc. A/ES-10/794, 14 août 2018), par. 6 ; résolution 77/247, supra, note 2, par. 2 :
« Déplorant vivement que 55 ans se soient écoulés depuis le début de l’occupation israélienne et soulignant qu’il faut de toute urgence inverser les tendances négatives sur le terrain et rétablir un horizon politique qui permette de faire avancer et d’accélérer des négociations constructives visant à conclure un accord de paix qui mettra totalement fin à l’occupation israélienne commencée en 1967 et à résoudre, sans exception, toutes les questions fondamentales relatives au statut final afin de parvenir à un règlement pacifique, juste, durable et global de la question de Palestine. »
10 Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, « La Cour autorise l’Union africaine à participer à la procédure » (communiqué de presse no 2023/19 du 13 avril 2023).
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son acte constitutif, elle est chargée de « promouvoir et défendre les positions africaines communes sur les questions d’intérêt pour le continent et ses peuples »11.
9. L’Union africaine a un intérêt direct dans la présente procédure, pour plusieurs raisons qui se cumulent et dont une liste non exhaustive figure ci-après :
a) Ayant eux-mêmes subi le fléau de la colonisation, les États africains sont particulièrement sensibles à l’occupation du territoire palestinien. La décolonisation complète du continent africain est l’un des objectifs principaux de l’Union africaine, dans la droite ligne des objectifs de l’organisation qui l’avait précédée, l’Organisation de l’Unité africaine (ci-après l’« OUA »), dont la Charte mettait en avant, dans son préambule, la nécessité de « sauvegarder et [de] consolider l’indépendance et la souveraineté durement conquises, ainsi que l’intégrité territoriale de nos États, et à combattre le néo-colonialisme sous toutes ses formes »12. Dans le même esprit, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples prévoit que « [to]us les peuples ont droit à l’assistance des États parties à la présente Charte, dans leur lutte de libération contre la domination étrangère, qu’elle soit d’ordre politique, économique ou culturel »13. L’Union africaine, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’OUA, a réaffirmé son engagement à « achever le processus de décolonisation en Afrique [et] à protéger le droit à l’autodétermination des peuples africains encore sous domination coloniale »14. Ce contexte lui confère une connaissance et une expérience approfondies des situations contemporaines faisant intervenir des questions d’occupation et d’autodétermination, ainsi qu’un intérêt tout particulier à cet égard.
b) Outre la lutte contre la colonisation, l’Union africaine et l’OUA ont été à l’avant-garde des efforts multilatéraux visant à mettre fin à trois faits internationalement illicites qui trouvent un écho dans la situation actuelle de la Palestine, à savoir :
i) La libération de la Namibie. L’OUA a joué un rôle essentiel dans la lutte de la Namibie pour sa liberté et son indépendance vis-à-vis du régime d’apartheid de l’Afrique du Sud15. Elle a, en particulier, mené les efforts diplomatiques et juridiques qui ont abouti à de multiples décisions de la Cour sur cette question16. Dans la procédure en question, le rôle joué par la Cour pour élucider le droit, notamment en concluant que le comportement de l’Afrique du Sud était illicite et que cette dernière avait l’obligation inconditionnelle de se retirer du territoire occupé17, a contribué à ce que la Namibie puisse enfin exercer son droit à l’autodétermination.
11 Annexe AU-1, Acte constitutif de l’Union africaine (11 juillet 2000), art. 3.
12 Annexe AU-2, Charte de l’Organisation de l’Unité africaine (ci-après l’ « OUA ») (25 mai 1963), préambule, par. 6.
13 Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, OUA, doc. AB/LEG/67/3/rev. 5, art. 20 3).
14 Annexe AU-3, déclaration solennelle sur le cinquantième anniversaire de l’OUA/UA, Assembly/AU/Decl.3(XXI), mai 2013, par. B i).
15 Voir, par exemple, annexe AU-4, conseil des ministres de l’OUA, onzième session ordinaire tenue à Alger (Algérie) du 4 au 12 septembre 1968, résolution sur la Namibie, CM/Res. 150 (XI).
16 Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud)) ; Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité.
17 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 16.
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ii) La situation de l’apartheid en Afrique du Sud. Dès sa création, l’OUA a lutté contre le crime d’apartheid commis par l’Afrique du Sud18. L’Union africaine continue de condamner de tels systèmes de discrimination raciale et se joint aux efforts déployés partout dans le monde pour prévenir et éradiquer l’apartheid19.
iii) La décolonisation de l’archipel des Chagos. L’Afrique a non seulement été le continent le plus durement touché par la colonisation, mais elle a aussi été le théâtre de certains des échecs les plus criants en matière de décolonisation, l’un des meilleurs exemples étant le long refus du Royaume-Uni de restituer l’archipel des Chagos à Maurice. Engagée pendant des décennies dans une action visant à mettre fin à cette injustice, l’Union africaine a été honorée d’intervenir dans la procédure qui a abouti à l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 (ci-après l’« avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos »)20, qui a fait d’elle un témoin de premier plan de la portée et de l’importance qu’ont les procédures consultatives de la Cour pour mettre fin à la colonisation et protéger le droit à l’autodétermination21.
La connaissance intime qu’a l’Union africaine de ces questions explique également son intérêt et son ardeur à aider la Cour en la présente procédure.
c) La Palestine est un territoire voisin de l’Union africaine, limitrophe de l’Égypte, laquelle est non seulement un membre fondateur de l’OUA mais aussi l’un des principaux protagonistes dans l’évolution de sa situation. Ignorer les conséquences juridiques d’un problème d’une telle ampleur à ses portes, problème ancien et fort préoccupant, ne serait pas seulement une erreur de la part de l’Union africaine — ce serait irresponsable. Celle-ci a donc pour devoir de contribuer à trouver une solution à la situation palestinienne.
d) Enfin, de nombreux États membres de l’Union africaine sont également, dans le même temps, membres de la Ligue des États arabes et de l’Organisation de la coopération islamique. Bien que ces organisations intergouvernementales présentent leurs propres observations dans la présente procédure22, l’Union africaine compte aussi des États qui n’en sont pas membres, ce qui lui permet d’apporter à la Cour des éclairages et des expériences émanant de toute la diversité des États du continent.
10. C’est pour l’ensemble des raisons qui précèdent que l’Union africaine a décidé de demander « à la Commission de l’UA, à travers le Bureau du Conseiller juridique, de déployer tous les efforts nécessaires pour présenter une requête écrite de l’UA conformément à l’article 66 des Statuts de la CIJ »23.
18 Annexe AU-5, résolutions adoptées par la conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays indépendants africains tenue à Addis Abeba, Éthiopie, du 22 au 25 mai 1963, CIAS/PLEN.2/REV.2, point II de l’ordre du jour : « Apartheid et discrimination raciale ».
19 Voir ibid., p. 5, par. 4 : « CONDAMNE la discrimination raciale sous toutes ses formes en Afrique et dans le monde entier ».
20 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, exposé écrit de l’Union africaine du 1er mars 2018.
21 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 95.
22 Voir Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, « La Cour autorise la Ligue des États arabes à participer à la procédure » (communiqué de presse no 2023/12 du 10 mars 2023) et « La Cour autorise l’Organisation de la coopération islamique à participer à la procédure » (communiqué de presse no 2023/16 du 31 mars 2023).
23 Annexe AU-8, Union africaine, déclaration sur la situation en Palestine et au Moyen-Orient, Assembly/AU/Decl.2(XXXVI), par. 7.
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C. Le contexte historique de la présente procédure consultative
11. Le contexte historique de la situation en Palestine a été fort bien résumé par la Cour dans son avis consultatif sur le mur24. Dans les sections qui suivent, l’Union africaine se contentera donc d’offrir un bref aperçu de ce contexte, avant de se pencher sur la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui, au vu, notamment, des événements les plus récents. De plus amples informations sur le contexte historique seront fournies lors de l’examen de certaines questions essentielles dans les chapitres suivants.
1. La situation palestinienne constitue une occupation au regard du droit international
12. Après la première guerre mondiale, le territoire palestinien fut placé sous mandat de la Société des Nations et sous administration britannique25. Durant cette période, l’ancienne province ottomane connut un afflux de populations juives26, dans la droite ligne de l’objectif affiché du mandat, qui était de créer « un foyer national pour le peuple juif »27. Ainsi que cela sera précisé ci-après, cependant28, le mandat ne prévoyait pas l’établissement d’un État juif sur l’intégralité du territoire palestinien ; en effet, le Conseil de la Société des Nations avait expressément prescrit au Gouvernement britannique de ne pas « porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non juives en Palestine », confiant également à ce dernier la responsabilité de « la sauvegarde des droits civils et religieux de tous les habitants de la Palestine à quelque race ou religion qu’ils appartiennent »29.
13. En 1947, l’Assemblée générale adopta une résolution sur le gouvernement futur de la Palestine (ci-après la « résolution 181 (II) »)30, dans laquelle elle appelait les parties concernées à accepter un partage du territoire, tout en réservant un statut spécial à la ville sainte de Jérusalem. Ce plan ne fut jamais mis en oeuvre et, en 1948, à la suite de la proclamation de l’État d’Israël et de la fin du mandat britannique, la guerre éclata.
14. Le conflit armé international qui se déclara entre Israël et ses États voisins était avivé par des tensions vieilles de plusieurs décennies entre les populations locales juives et arabes. Dans ce contexte, l’intervention militaire menée par les États en question ne parvint pas à mettre fin aux actions unilatérales d’Israël. Par suite des attaques contre les villes et villages palestiniens, un nombre incalculable de personnes et de familles palestiniennes quittèrent le territoire ; à ce jour, presque six millions de Palestiniens, dispersés dans tout le Moyen-Orient, sont recensés comme réfugiés31.
24 Voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 165-167, par. 70-77.
25 Voir Nations Unies, « Origins and Evolution of the Palestine Problem: 1917-1947 (Part I) », accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/unispal/history2/origins-and-evolution-of-the-palestine-problem/part-i-1917-1947/.
26 Ibid. : « Après un quart de siècle sous le régime du mandat, la Palestine avait été radicalement transformée sur le plan démographique ».
27 Mandat pour la Palestine, Société des Nations (1922).
28 Infra, par. 68-76.
29 Mandat pour la Palestine, art. 2.
30 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 181 (II), supra, note 1.
31 Voir Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), « Who are Palestine Refugees », accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/palestine-refugees.
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15. L’armistice qui suivit fut marqué par l’accord entre Israël et la Jordanie sur une ligne de démarcation, qui allait être connue sous le nom de « Ligne verte »32. Les territoires palestiniens situés à l’est de cette ligne, ainsi que la bande de Gaza, finirent cependant par tomber sous occupation israélienne à l’issue de la guerre de Six Jours de 1967. Cela conduisit à une résolution du Conseil de sécurité, adoptée à l’unanimité, dans laquelle il était demandé à Israël d’assurer le « [r]etrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit »33. Par la suite, d’autres résolutions du Conseil de sécurité condamnèrent « de la façon la plus explicite » les actions d’Israël « visant à incorporer la partie occupée » de la Cisjordanie34.
16. Cela concernait également Jérusalem, lieu de haute importance historique et religieuse. Selon la résolution 181 (II), Jérusalem était censée être constituée en corpus separatum sous un régime international35. Avec la partition de la Palestine, ce n’est toutefois pas ce qui se produisit : après la guerre des Six Jours, Israël en vint à exercer son contrôle sur la ville tout entière, la partie l’ouest comme la partie l’est — faisant fi des nombreuses protestations internationales dénonçant ce fait accompli36. Dans des termes maintes fois répétés depuis lors (mais restés lettre morte), le Conseil de sécurité a condamné toute tentative de modifier le statut de Jérusalem :
« toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, y compris l’expropriation de terres et de biens immobiliers, qui tendent à modifier le statut juridique de Jérusalem sont non valides et ne peuvent modifier ce statut »37.
17. Ce nonobstant, depuis la promulgation de la loi fondamentale de 1980, Israël a déclaré qu’il adoptait Jérusalem comme la capitale « entière et réunifiée » d’Israël38, annexant de jure cette partie de la Ville sainte. Cette mesure a été condamnée par l’ONU, l’Assemblée générale appelant les États à ne pas reconnaître la loi fondamentale et à retirer toute mission diplomatique de la ville de Jérusalem39. Et alors même que, par les accords d’Oslo de 1993, Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) étaient convenus de tenir des négociations sur l’avenir de la ville40, la question demeure non résolue.
18. C’est à la lumière de ce contexte historique et de l’évolution ultérieure de la situation que la Cour a confirmé, dans son avis consultatif sur le mur, ce que la communauté internationale
32 Convention d’armistice général entre Israël et la Jordanie (3 avril 1949), Recueil des traités des Nations Unies (RTNU), vol. 42, p. 304 (1949), art. V-VI.
33 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 242 du 22 novembre 1967 (ci-après la « résolution 242 »), doc. S/RES/242 (pièce no 1245 du dossier).
34 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 166, par. 75, citant Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 298 du 25 septembre 1971, doc. S/RES/298 (pièce no 1257 du dossier).
35 Nations Unies, résolution 181 (II), supra, note 1, troisième partie (« Ville de Jérusalem »).
36 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 298 du 25 septembre 1971, doc. S/RES/298, par. 3-4 (pièce no 1257 du dossier).
37 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 252 du 21 mai 1968, doc. S/RES/252 (pièce no 1247 du dossier) ; et 298 du 25 septembre 1971, doc. S/RES/298 (pièce no 1257 du dossier).
38 Israel: Basic Law of 1980, Jerusalem, Capital of Israel, 5 août 1980, accessible à l’adresse suivante : https://www.refworld.org/docid/3ae6b52f14.html.
39 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 476 du 30 juin 1980, doc. S/RES/476 (pièce no 1273 du dossier) ; et 478 du 20 août 1980, doc. S/RES/478 (pièce no 1274 du dossier).
40 Nations Unies, lettre adressée au Secrétaire général en date du 8 octobre 1993, doc. A/48/486-S/26560, annexe, « Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie » (13 septembre 1993) (« Accord d’Oslo I »), art. V (pièce no 1302 du dossier).
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dénonçait déjà depuis des décennies, à savoir que, au regard du droit international, « [l]’ensemble de ces territoires (y compris Jérusalem-Est) demeur[aient] des territoires occupés et [qu’]Israël y a[vait] conservé la qualité de puissance occupante »
41.
19. La situation s’est cependant détériorée depuis que la Cour a donné cet avis, Israël s’étant implanté encore plus fermement dans le territoire occupé, i) en déplaçant des Palestiniens42 ; ii) en établissant des « colonies de peuplement » toujours plus nombreuses dans le territoire palestinien43, entraînant de graves violences dans la région44 ; iii) en construisant des infrastructures, telles que des routes de contournement, destinées à diviser et à morceler l’intégrité territoriale des terres palestiniennes45 ; et iv) en étendant son contrôle et son annexion de facto de Jérusalem-Est et en modifiant le caractère démographique de celle-ci. À cela s’ajoute bien évidemment le fait qu’Israël a manqué à son obligation de mettre fin à la construction du mur (ci-après le « mur de séparation ») que la Cour a jugé illicite en 200446. Tous ces éléments factuels ont été dûment constatés et décrits dans d’innombrables publications successives émanant de sources justes et impartiales ; ainsi que cela sera expliqué ci-après (chapitre III, section B), ils sont essentiels à l’examen des questions posées à la Cour dans la résolution 77/247.
2. Le peuple palestinien est privé de son droit à l’autodétermination
20. Le mandat pour la Palestine établi en 1922 devait être temporaire47, les Palestiniens étant appelés, à terme, à exercer leur droit à l’autodétermination48, tout comme l’ensemble des autres peuples qui se trouvaient placés sous mandat ou sous tutelle49. L’importance de cet objectif tient au
41 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 167, par. 78.
42 Nations Unies, note du Secrétaire général du 3 octobre 2022, intitulée « Rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés », doc. A/77/501, par. 12-16, décrivant l’« Annexion de Masafer Yatta », présentée (au paragraphe 8) comme « le plus grand déplacement de Palestiniens depuis 1967, pouvant s’apparenter à un transfert forcé, à savoir une grave violation du droit international humanitaire » (pièce no 758 du dossier).
43 Ainsi que l’a reconnu la Cour dans l’avis sur le mur (p. 183-184, par. 120), citant en particulier la résolution 465 du 1er mars 1980 du Conseil de sécurité, doc. S/RES/465 (pièce no 1267 du dossier). Pour un point de situation plus récent, voir Nations Unies, Assemblée générale, rapport du Secrétaire général du 3 octobre 2022, intitulé « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/77/493, par. 4-16 ; et note du Secrétaire général du 3 octobre 2022, intitulée « Rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés », doc. A/77/501, par. 17-29 (pièce no 758 du dossier).
44 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 465, voir note 43 ci-dessus, par. 28-42 (pièce no 1267 du dossier). Voir également Comité des droits de l’homme, « Observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël », 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5, par. 24 (pièce no 1794 du dossier).
45, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 465, voir note 43 ci-dessus, en particulier par. 28 (pièce no 1267 du dossier).
46 Voir note 44 ci-dessus, par. 14 (pièce no 1794 du dossier).
47 Mandat pour la Palestine, supra, note 27.
48 L’article 22 du Pacte de la Société des Nations se lisait comme suit :
« Certaines communautés, qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman, ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un Mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules. » (Les italiques sont de nous.)
49 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 31, par. 53 : « [le régime du mandat] avait pour objectif ultime l’autodétermination et l’indépendance des peuples en cause ».
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fait que l’autodétermination, selon le droit international et comme l’a confirmé maintes fois la Cour
50, est un « droit humain fondamental »51 que tous les États ont l’obligation de respecter52. En conséquence, le mandat imposait au Gouvernement britannique d’assurer « le développement d’institutions de libre gouvernement [et] la sauvegarde des droits civils et religieux de tous les habitants de la Palestine à quelque race ou religion qu’ils appartiennent »53.
21. Il n’en fut pas ainsi. Comme cela sera exposé de manière plus approfondie ci-après dans le cadre de l’examen du statut juridique de l’occupation54, à l’expiration du mandat, la création de l’État d’Israël, ainsi que les guerres et l’occupation qui suivirent, ont empêché tout exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination. Bien que cela n’ait pas complètement empêché le peuple palestinien d’entreprendre des démarches en vue d’exercer ce droit  et l’Union africaine, comme on le verra plus loin55, considère que la Palestine remplit les critères de la qualité d’État en droit international , toutes les mesures qui ont été prises en ce sens sont loin d’avoir abouti à un exercice véritable du droit à l’autodétermination, qui nécessiterait, comme « critère minimal de justice », la création d’un « État politiquement indépendant s’étendant sur tout le Territoire palestinien occupé »56.
22. Dans ce contexte, il convient de souligner que, dans la procédure sur le mur, la Cour a définitivement écarté toute idée selon laquelle les Palestiniens ne satisferaient pas aux critères pour être considérés comme un « peuple » ayant droit à l’autodétermination : comme elle l’a relevé, même Israël l’a reconnu57. Or, le peuple palestinien reste à ce jour privé de ce « droit inaliénable »58.
23. En effet, ainsi que cela sera décrit plus en détail ci-après59, l’occupation toujours en cours du territoire palestinien par Israël empêche la Palestine de jouir pleinement de sa qualité d’État et de l’exercer. Le dernier rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 atteste qu’un ensemble de politiques israéliennes, notamment l’implantation de colonies sur des terres palestiniennes, contribue à une fragmentation territoriale qui prive l’État de Palestine de sa pleine souveraineté, empêchant ainsi le peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination.
50 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 172, par. 88.
51 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 131, par. 144.
52 Charte des Nations Unies, art. 1, par. 2 ; Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, intitulée « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies », doc. A/RES/2625 (XXV).
53 Mandat pour la Palestine, supra, note 47, art. 2.
54 Infra, chap. III, sect. A.
55 Infra, par. 110.
56 Nations Unies, Assemblée générale, note du Secrétaire général en date du 21 septembre 2022, intitulée « Situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 », doc. doc. A/77/356, par. 12 (pièce no 1429 du dossier).
57 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 182-183, par. 118. Voir également ibid., p. 200-201, par. 162, dans lequel la Cour indique sa volonté d’aboutir à « une solution négociée des problèmes pendants et à la constitution d’un Etat palestinien vivant côte à côte avec Israël et ses autres voisins ».
58 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 3236 (XXIX) du 22 novembre 1974, intitulée « Question de Palestine », doc. A/RES/3236 (XXIX) (pièce no 382 du dossier).
59 Infra, par. 103-118.
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3. L’avis consultatif sur le mur et ses conséquences juridiques
24. Dans son avis consultatif sur le mur, la Cour a formulé des conclusions essentielles :
a) le contrôle d’Israël sur le territoire constituait une occupation au regard du droit international60 ; et
b) le comportement d’Israël, y compris la construction du mur, « dress[ait] … un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et viol[ait] de ce fait l’obligation incombant à Israël de respecter ce droit »61.
c) La Cour a ensuite jugé que, de ces conclusions, qui engageaient la responsabilité internationale d’Israël62, découlaient un certain nombre d’obligations :
i) Israël était tenu de respecter les obligations auxquelles il avait manqué, notamment celle de respecter le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et les obligations auxquelles il était tenu au regard des règles et principes du droit humanitaire et du droit des droits de l’homme63 ;
ii) Israël devait assurer la liberté d’accès aux Lieux saints sous son contrôle64 ;
iii) Israël devait mettre un terme aux violations constatées par la Cour, notamment en cessant les travaux d’édification d’autres tronçons du mur de séparation et en en démantelant les portions construites dans le Territoire palestinien occupé65. La Cour a en outre clairement indiqué que cette obligation s’appliquait non pas seulement au mur, mais également au « régime qui lui [était] associé », les actes législatifs adoptés dans le cadre dudit régime devant « immédiatement être abrogés ou privés d’effet »66 ; et
iv) Israël avait l’obligation de réparer les dommages causés par ses violations du droit international, sous la forme d’une restitution ou d’une indemnisation67.
25. Cet avis consultatif n’était pas, comme cela a été allégué, une attaque contre Israël. La Cour n’a en effet pas manqué de prendre en compte le point de vue d’Israël :
« Reste qu’Israël doit faire face à des actes de violence indiscriminés, nombreux et meurtriers, visant sa population civile. Il a le droit, et même le devoir, d’y répondre en vue de protéger la vie de ses citoyens. Les mesures prises n’en doivent pas moins demeurer conformes au droit international applicable. »68
60 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 167, par. 78.
61 Ibid., p. 184, par. 122.
62 Ibid., p. 197, par. 147.
63 Ibid., p. 197, par. 149.
64 Ibid.
65 Ibid., p. 197-198, par. 151.
66 Ibid.
67 Ibid., p. 198, par. 152-153.
68 Ibid., p. 195, par. 141. Voir également ibid., p. 200, par. 162, où la Cour a reconnu que « [d]es actions illicites [avaien]t été menées et des décisions unilatérales [avaien]t été prises par les uns et par les autres ».
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Dans ses observations finales, la Cour a également souligné s’être acquittée de sa mission consistant à aider l’Assemblée générale en prenant en considération le « maintien de la paix et de la sécurité internationales et le règlement pacifique des différends »69.
26. Quelques semaines après que la Cour eut rendu son avis, l’Assemblée générale a voté à une écrasante majorité une résolution dans laquelle elle exigeait qu’Israël se conforme à celui-ci70.
27. Malheureusement, de l’avis général de la communauté internationale, Israël n’a jusqu’à présent pas observé l’avis consultatif sur le mur71. La commission internationale de juristes, citant les constatations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies (qui avait appelé Israël à respecter l’avis consultatif) a ainsi relevé que « non seulement Israël n’a[vait] pas mis en oeuvre les recommandations du Comité des droits de l’homme, mais [qu’]il a[vait] également continué à étendre les colonies et à transférer sa propre population dans le » Territoire palestinien occupé72.
4. L’évolution récente de la situation et le problème particulier de Jérusalem-Est
28. Près de 20 ans se sont aujourd’hui écoulées depuis que la Cour a qualifié les actions d’Israël en Palestine de tentative de créer un « fait accompli » qui « équivaudrait à une annexion de facto »73. Rien n’a changé, si ce n’est pour le pire74 :
a) Israël a-t-il cessé son occupation et fait machine arrière ? Au contraire : la construction de colonies a continué dans toute la Cisjordanie, déracinant les Palestiniens et créant encore davantage de trous dans le territoire, qui demeure officiellement sous le contrôle des autorités palestiniennes. La construction du mur de séparation se poursuit, au mépris flagrant des conclusions de la Cour, tandis que les routes de contournement fragmentent encore davantage le territoire palestinien au détriment de ses habitants. Des millions de réfugiés sont toujours dispersés à travers le monde et l’Assemblée générale a dû prolonger le mandat de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) — qui a ainsi le triste honneur d’être l’organisation d’aide aux réfugiés la plus ancienne au monde.
69 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200, par. 161.
70 Nations Unies, Assemblée générale, résolution ES-10/15 du 20 juillet 2004, intitulée « Avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est », doc. A/RES/ES-10/15 (pièce no 1227 du dossier).
71 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, application des recommandations figurant dans le rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », doc. A/HRC/31/42, 8 janvier 2016, par. 15 : « Durant les dix années qui se sont écoulées depuis que la Cour internationale de Justice a statué, dans son avis consultatif du 9 juillet 2004 … que l’édification du mur dans le Territoire palestinien occupé et les colonies de peuplement étaient illégales, le nombre de colons en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, a considérablement augmenté. » (Pièce no 1566 du dossier.)
72 Commission internationale de juristes, « Israel: Ensure Full Compliance with the International Covenant on Civil and Political Rights » (juin 2020), accessible à l’adresse suivante : https://www.icj.org/wp-content/uploads/2020/06/Israel- ICCPR-compliance-Advocacy-Analysis-Brief-2020-ENG.pdf, p. 6.
73 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 121.
74 Voir Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 2334, supra, note 2, p. 2, mentionnant les « tendances négatives sur le terrain, qui ne cessent de fragiliser la solution des deux États et d’imposer dans les faits la réalité d’un seul État » (pièce no 1372 du dossier).
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b) Israël a-t-il fini par respecter le droit à l’autodétermination du peuple palestinien ? Au contraire, ce droit reste bafoué, au vu des nombreuses politiques et pratiques d’Israël qui, en violation du droit international (considérées isolément ou conjointement) privent à la fois le peuple palestinien de l’exercice de son droit à l’autodétermination et l’État palestinien de l’exercice de sa pleine souveraineté. Ajoutant l’insulte au préjudice, Israël a promulgué une nouvelle loi fondamentale en 2018 dans laquelle est énoncé le principe suivant : « le droit d’exercer l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif »75. En outre, et en représailles à la décision de l’Assemblée générale de demander un avis consultatif à la Cour, Israël a cherché à priver l’Autorité palestinienne de fonds qui lui sont légitimement dus76.
29. En ce qui concerne Jérusalem, son annexion de facto et de jure s’est poursuivie sans relâche. En particulier, Israël a intensifié les expulsions de citoyens palestiniens, sous le couvert d’une loi qui permet le transfert de biens ayant antérieurement appartenu à des Juifs aux héritiers de leurs précédents propriétaires, laquelle n’offre aucun remède comparable aux Palestiniens dépossédés de leurs biens77.
30. Dans la résolution 2334 (2016), le Conseil de sécurité a de nouveau exprimé la préoccupation de longue date de la communauté internationale vis-à-vis de la situation palestinienne et réaffirmé que « la création par Israël de colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n’a[vait] aucun fondement en droit et constitu[ait] une violation flagrante du droit international »78. Il a également appelé les parties à respecter leurs obligations internationales, à faire preuve de retenue dans leurs échanges et à collaborer pour parvenir à une « paix globale, juste et durable au Moyen-Orient »79. Des rapports successifs du Secrétaire général des Nations Unies ont depuis établi qu’Israël s’était soustrait à ces instructions claires du Conseil de sécurité80.
31. C’est dans ce contexte qu’a été adoptée la résolution 77/247. Le premier projet de ce texte a été rédigé lors de la soixante-dix-septième session de la Quatrième Commission et présenté par
75 Loi fondamentale adoptée le 19 juillet 2018 (également appelée « Loi fondamentale : Israël, État-nation du peuple juif »), principe fondamental 1 C), (traduction anglaise non officielle accessible à l’adresse suivante : https:// main.knesset.gov.il/EN/activity/Documents/BasicLawsPDF/BasicLawNationState.pdf.
76 Voir Nations Unies, Conseil de sécurité, procès-verbal de séance, soixante-dix-huitième année, 9290e séance, 22 mars 2023, rapport du Secrétaire général sur l’application de la résolution 2334 (2016) du 23 décembre 2016, doc. S/PV.9290, p. 4 (pièce no 1401 du dossier) :
« Le 6 janvier, le Gouvernement israélien a approuvé une série de mesures contre l’Autorité palestinienne, notamment le transfert de quelque 39 millions de dollars de recettes fiscales de l’Autorité palestinienne retenues par Israël aux familles des Israéliens tués dans des attaques palestiniennes. Cette mesure faisait suite à l’adoption, le 30 décembre 2022, d[’une] résolution … de l’Assemblée générale, dans laquelle l’Assemblée sollicite un avis consultatif de la Cour internationale de Justice au sujet de l’occupation par Israël du territoire palestinien. Le 16 janvier, 39 États Membres ont signé une déclaration commune réaffirmant leur appui à la Cour internationale de Justice et exprimant leur profonde inquiétude face aux mesures punitives adoptées par le Gouvernement israélien. »
77 Voir UN News, « UN independent experts spotlight ‘prima facie war crime’ in East Jerusalem », 13 avril 2023, accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/en/story/2023/04/1135602.
78 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 2334 du 23 décembre 2016, supra, note 2, par. 1 (pièce no 1372 du dossier).
79 Ibid., par. 9.
80 Nations Unies, Conseil de sécurité, rapport du Secrétaire général en date du 18 juin 2021, intitulé « Application de la résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité », doc. S/2021/584, par. 2 (pièce no 1391 du dossier).
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13 États, dont six États membres de l’Union africaine
81. Dix-huit États supplémentaires se sont joints aux auteurs de la proposition, y compris six autres États membres de l’Union africaine82. Une grande majorité des États membres de l’Union africaine ont ensuite voté en faveur du projet de résolution, les autres s’étant, pour la plupart, abstenus83 ; le vote final s’est établi à 98 voix, contre 17, avec 52 abstentions. Ces chiffres montrent l’importance que revêt la question pour l’Union africaine. De même, la résolution 77/247 a en définitive été adoptée par l’Assemblée générale, la plupart des États membres de l’Union africaine ayant voté pour ou s’étant abstenus84.
32. Enfin, début 2023, le Conseil de sécurité a fait sa première déclaration sur la question depuis plusieurs années, en réponse à une énième annonce d’Israël selon laquelle, loin de se conformer à ses obligations internationales, il allait étendre et légaliser ses colonies en Cisjordanie85. Le Conseil de sécurité
« [a] soulign[é] avec force la nécessité pour toutes les parties de respecter leurs obligations et engagements internationaux ; s’[est] oppos[é] fermement à toutes les mesures unilatérales qui entravent la paix, notamment, entre autres, la construction et l’expansion de colonies de peuplement par Israël, la confiscation de terres palestiniennes et la “légalisation” des avant-postes de colonies, la destruction de maisons palestiniennes et le déplacement de civils palestiniens86 ».
II. LA COUR A COMPÉTENCE POUR DONNER L’AVIS CONSULTATIF SOLLICITÉ
33. Avant de rendre un avis consultatif, la Cour doit d’abord déterminer si elle a compétence pour répondre aux questions qui lui sont posées, et si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas le faire87.
34. Ainsi que cela est expliqué dans la présente section, il ne fait aucun doute que la Cour a compétence en la présente procédure. Cette compétence est régie par l’article 65 de son Statut, qui est ainsi libellé : « La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet avis. »88
81 Voir Nations Unis, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, Commission des questions politiques spéciales et de la décolonisation (Quatrième Commission), « Point 47 de l’ordre du jour », doc. A/C.4/77/L.12/Rev.1, 10 novembre 2022. Les pays africains figurant parmi les auteurs du texte étaient l’Algérie, l’Égypte, la Mauritanie, la Namibie, le Sénégal et la Tunisie.
82 Nations Unies, Assemblée générale, rapport de la Commission des questions politiques spéciales et de la décolonisation (Quatrième Commission), « Pratiques et activités d’implantation israéliennes affectant les droits du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés », doc. A/77/400, 14 novembre 2022, par. 8, dans lequel sont mentionnés l’Afrique du Sud, Djibouti, le Maroc, le Niger, la Somalie et le Soudan (pièce no 2 du dossier).
83 Ibid., par. 9.
84 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière, doc. A/77/PV.56 (Resumption 1), 30 décembre 2022, p. 4.
85 Isabel Debre, « Israeli Cabinet ministers reject US criticism on settlements », Associated Press, 14 février 2023.
86 Nations Unies, Conseil de sécurité, déclaration de sa présidente du 20 février 2023, doc. S/PRST/2023/1 (pièce no 1400 du dossier).
87 Voir, par exemple, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 111, par. 54, et la jurisprudence citée.
88 Statut de la Cour internationale de Justice, 18 avril 1946, art. 65.
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35. Cette disposition prévoit deux conditions préalables pour qu’une demande d’avis consultatif puisse être jugée valide : A) la demande doit être faite par un organe dûment autorisé ; et B) la question posée à la Cour doit être une question juridique. Comme cela sera exposé en détail ci-après, ces deux conditions sont remplies dans la présente procédure, la Cour ayant donc le devoir de rendre l’avis demandé C).
A. L’Assemblée générale est autorisée à demander l’avis consultatif
36. Aux termes de la Charte, l’Assemblée générale (tout comme le Conseil de sécurité) « peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique »89. Contrairement à d’autres organes des Nations Unies, le droit qui lui est ainsi conféré n’est pas circonscrit par le « cadre de [son] activité »90. L’Assemblée générale est, en tout état de cause, dotée d’une très large compétence par les articles 10, 11 et 13 de la Charte des Nations Unies, y compris en ce qui concerne les « questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales dont elle aura été saisie par l’une quelconque des Nations Unies »91.
37. La Cour a maintes fois confirmé que cette disposition autorisait l’Assemblée générale à solliciter un avis consultatif en vertu de l’article 65 de son Statut92. Elle a également affirmé que la situation en Palestine avait trait à la paix et à la sécurité internationales93. Il est indéniable que la situation en Palestine a été activement examinée par l’Assemblée générale pendant plusieurs décennies avant que celle-ci ne décide de demander un avis à la Cour. En conséquence, l’« objet de la requête dont la Cour est saisie est d’obtenir de celle-ci un avis que l’Assemblée générale estime utile pour exercer comme il convient ses fonctions »94.
38. La compétence de l’Assemblée générale est uniquement limitée par le paragraphe 1 de l’article 12 de la Charte des Nations Unies, qui est ainsi libellé :
« Tant que le Conseil de sécurité remplit, à l’égard d’un différend ou d’une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l’Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande. »95
39. Cependant, comme la Cour l’a souligné dans sa jurisprudence, la pratique qui découle de cette disposition a sensiblement évolué depuis l’adoption de la Charte et l’on a pu observer, au cours des décennies récentes, « une tendance croissante à voir l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité examiner parallèlement une même question relative au maintien de la paix et de la sécurité internationales »96. Ainsi que la Cour l’a indiqué dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur la
89 Charte des Nations Unies, art. 96, par. 1.
90 Ibid., art. 96, par. 2.
91 Ibid., art. 11, par. 2.
92 Et récemment encore dans l’avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, p. 112, par. 56.
93 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 145, par. 17.
94 Ibid., p. 159, p. 159, par. 50.
95 Charte des Nations Unies, art. 12, par. 1.
96 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 149, par. 27.
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question de la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo,
« [l]a limite que la Charte pose à l’Assemblée générale pour protéger le rôle du Conseil de sécurité est énoncée à l’article 12 et elle s’applique au pouvoir de faire des recommandations à la suite d’un débat, non à celui d’engager un tel débat. »97
Quoi qu’il en soit, la Cour a également considéré qu’une demande d’avis consultatif ne constituait pas en soi une « recommandation » et n’était donc pas visée par la restriction énoncée au paragraphe 1 de l’article 12 de la Charte des Nations Unies98.
40. Pendant les débats qui ont précédé l’adoption du projet de résolution par la Quatrième Commission, il a été allégué que la formulation de la demande d’avis consultatif avait été « insérée à un stade avancé de la négociation, ce qui n’a[vait] pas permis de mener des consultations suffisantes » et n’était pas la procédure appropriée pour ce type de demande99. Dans le même ordre d’idées, certains États ont estimé que les questions posées à la Cour, telles qu’adoptées dans le cadre de la résolution 77/247, « aurai[ent] bénéficié de discussions et de consultations plus approfondies avec l’ensemble des Membres de l’ONU »100.
41. Il n’existe cependant pas de « procédure » particulière pour l’adoption par l’Assemblée générale ou par ses commissions d’une résolution demandant à la Cour un avis sur des questions appropriées de droit international ; en l’absence de violation d’une règle spécifique, il n’y a donc aucune raison de considérer la résolution 77/247 comme n’étant pas valide101. Quant aux griefs concernant le manque de consultations, ils semblent assez vains, puisque la situation en Palestine est examinée par les organes des Nations Unies depuis plusieurs décennies102 et fait l’objet d’une surveillance et de débats continus.
97 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 420, par. 40.
98 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 148, par. 25.
99 Voir Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, Commission des questions politiques spéciales et de la décolonisation (Quatrième Commission), « Compte rendu analytique de la 25e séance », 10 novembre 2022, doc. A/C.4/77/SR.25, déclaration du représentant des États-Unis, dont l’enregistrement vidéo est accessible à l’adresse suivante : https://media.un.org/en/asset/k1p/k1p3p1b46n (à la 44e minute). Il a également été avancé que la résolution traduisait un parti pris contre Israël : ibid. (à la 47e minute). Cet argument n’est étayé par aucune preuve et n’a, en tout état de cause, aucune incidence sur la validité de la demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale.
100 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière, 30 décembre 2022,doc. A/77/PV.56 (Resumption 1), déclaration du représentant de Malte (qui a néanmoins voté pour la résolution), p. 6. Voir également ibid., déclaration du représentant du Portugal : « nous jugeons qu’il aurait dû y avoir des consultations plus approfondies » ; ibid., déclaration du représentant de la Roumanie, p. 5.
101 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 22, par. 20 ; voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 152, par. 34.
102 Voir Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 421, par. 43, dans lequel est examiné l’avis consultatif sur le mur et où il est souligné que « [l]’Assemblée générale se préoccupait activement depuis plusieurs dizaines d’années de la situation dans le territoire palestinien occupé lorsqu’elle a décidé de demander à la Cour un avis et avait par ailleurs débattu du sujet précis sur lequel l’avis de la Cour était sollicité ».
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42. Comme elle l’a fait dans l’avis consultatif sur le mur 103, la Cour devrait donc considérer que l’Assemblée générale a valablement exercé les pouvoirs que lui confère le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies.
B. Les questions posées ont un caractère juridique
43. La Cour ne peut répondre à une demande d’avis consultatif que si les questions qui lui sont présentées ont un caractère juridique104.
44. Le fait que les deux questions soumises à la Cour par l’Assemblée générale soient de nature juridique ne fait aucun doute. De prime abord, ces questions ont été délibérément formulées par l’Assemblée générale comme ayant trait à des problèmes juridiques. En particulier, elles sont l’une et l’autre axées sur les « conséquences juridiques » ou le « statut juridique » de certains faits sous-jacents. Pour reprendre ce qu’a indiqué la Cour dans l’avis consultatif sur le mur (où la question en cause se rapportait également aux « conséquences » « en droit »), l’emploi de ces termes « implique nécessairement de déterminer si [le comportement en cause] viole ou non certaines règles et certains principes de droit international »105.
45. Autrement dit, il s’agit en l’espèce de questions « libellées en termes juridiques et soul[evant] des problèmes de droit international », qui « sont, par leur nature même, susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit »106. La Cour a donc compétence pour y répondre.
46. De plus, bien que des doutes aient été soulevés, dans le cadre de l’adoption de la résolution 77/247, au sujet de la « formulation technique de la demande »107, la Cour reste libre d’interpréter les questions d’une manière qui les accorderait avec la nature juridique de la procédure108. Ce pouvoir d’interprétation est également censé être exercé lorsqu’une question manque de clarté ou que son caractère juridique est ambigu109. Bien qu’elle n’estime pas que les questions posées à la Cour manquent de clarté, l’Union africaine reconnaît que celle-ci sera donc capable de les interpréter de la manière la plus susceptible d’apporter des réponses juridiques aux questions de l’Assemblée générale.
47. En conséquence, la Cour a compétence pour donner l’avis consultatif sollicité.
103 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 145, par. 15.
104 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 112, par. 57.
105 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 154, par. 39.
106 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 18, par. 15.
107 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière, 30 décembre 2022, doc. A/77/PV.56 (Resumption 1), déclaration du représentant du Portugal, p. 3-4.
108 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 154, par. 38.
109 Ibid.
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C. Le devoir de la Cour de donner l’avis demandé
48. Une fois qu’elle a établi sa compétence, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas rendre l’avis sollicité, afin de « protéger l’intégrité de [s]a fonction judiciaire … en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies »110. Cette question est entièrement à sa discrétion, conformément à la latitude offerte par l’article 65 de son Statut111. La Cour a cependant précisé qu’elle n’exercerait son pouvoir discrétionnaire de ne pas rendre un avis consultatif que lorsque des « raisons décisives » la conduiraient à opposer un tel refus112. À ce jour, elle n’a jamais exercé ce pouvoir113.
49. Si la devancière de la Cour, la Cour permanente de Justice internationale (ci-après la « CPJI »), ait refusé de donner un avis consultatif dans la procédure relative au Statut de la Carélie orientale114, elle l’a cependant fait pour des motifs  l’impossibilité de vérifier certains faits sans entendre certaines parties ; l’existence d’un différend parallèle impliquant un État qui n’était pas partie au Statut de la CPJI  qui sont étrangers à la présente procédure.
50. De fait, dans la procédure consultative au sujet du Sahara occidental, la Cour a indiqué qu’une considération essentielle dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire était de déterminer si elle
« dispos[ait] de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour être à même de porter un jugement sur toute question de fait contestée et qu’il lui faudrait établir pour se prononcer d’une manière conforme à son caractère judiciaire »115.
51. En l’espèce, la Cour se trouve assurément dans une telle situation. Peu de situations internationales ont été aussi bien documentées, par des sources crédibles et faisant autorité, que l’occupation de longue date de la Palestine. Lorsqu’elle a décidé de présenter ces questions à la Cour, l’Assemblée générale s’est appuyée sur de multiples rapports et enquêtes factuelles116. Le volume considérable du « Dossier » soumis par le Secrétariat de l’ONU conformément au paragraphe 2 de l’article 65 du Statut de la Cour, qui comprend 3 206 documents et compte en tout 29 159 pages, garantit que la Cour sera en possession de « tou[s les] document[s] pouvant servir à élucider la question »117. Enfin, la Cour demeure libre de demander des renseignements complémentaires ou d’exercer ses pouvoirs généraux en matière d’administration de la preuve.
110 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 113, par. 64.
111 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72.
112 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 30.
113 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 56, par. 44. Voir également Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 235, par. 14.
114 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5.
115 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 28-29, par. 46.
116 Voir, par exemple, Nations Unies, « Rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés », supra, note 43 (pièce no 758 du dossier) ; « Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk », 12 août 2022, doc. A/HRC/49/87 (pièce no 1539 du dossier).
117 Statut de la Cour, art. 65, par. 2.
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52. Par ailleurs — et par opposition, là encore, à la procédure relative au Statut de la Carélie orientale —, il n’est nullement nécessaire pour la Cour d’entendre spécifiquement Israël ou la Palestine sur une question qui concerne les Nations Unies. Bien que certains États, en votant contre la résolution 77/247, aient fait part de leurs préoccupations selon lesquelles « il est inapproprié de demander à la Cour de rendre un avis consultatif sur ce qui est fondamentalement un différend bilatéral, sans l’assentiment des deux parties »118, cela va à l’encontre de l’avis sur le mur, dans lequel la Cour a jugé que l’« avis [avait été] demandé à l’égard d’une question qui intéress[ait] tout particulièrement les Nations Unies, et qui s’inscri[vait] dans un cadre bien plus large que celui d’un différend bilatéral » entre Israël et la Palestine 119. Si la situation plus circonscrite concernant le mur de séparation ne pouvait pas être considérée comme un différend bilatéral en 2004, la situation palestinienne au sens large, a fortiori, ne peut pas l’être non plus 20 ans plus tard.
53. Lors des débats qui ont précédé l’adoption du projet de résolution 77/247, il a également été avancé que l’avis n’aurait aucune utilité120 ou qu’il nuirait en réalité au processus de paix en Palestine121. Ces préoccupations sont cependant dépourvues de pertinence s’agissant de l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire de répondre aux questions juridiques posées par l’Assemblée générale ; ainsi que la Cour l’a précisé dans son avis consultatif sur la question de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, il ne lui
« appartient pas … de prétendre décider si l’Assemblée a ou non besoin d’un avis consultatif pour s’acquitter de ses fonctions. L’Assemblée générale est habilitée à décider elle-même de l’utilité d’un avis au regard de ses besoins propres »122.
54. Il a en outre été avancé que la demande d’avis consultatif visait à « utiliser [la Cour]comme une arme » pour « imposer la réalité déformée des Palestiniens à Israël » et que, par là même, « [c]’[était] un poignard dans le coeur de tout espoir de progrès »123. Certaines délégations ont également décrit le projet de résolution comme reposant sur des informations « délétère[s] » et
118 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière, 30 décembre 2022, doc. doc. A/77/PV.56 (Resumption 1), supra, note 84, déclaration du représentant du Royaume-Uni, p. 4.
119 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), par. 49.
120 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière, 30 décembre 2022, doc. A/77/PV.56 (Resumption 1), supra, note 84, déclaration du représentant du Portugal, p. 4 : « Le bénéfice direct pour le processus de paix n’est pas clair. » Voir également ibid., déclaration du représentant du Royaume-Uni, p. 4 : « nous n’avons pas le sentiment qu’un renvoi à la Cour internationale de Justice soit de nature à favoriser une reprise du dialogue entre les parties » ; déclaration du représentant de la Roumanie, p. 5 : « nous ne sommes pas convaincus que la demande d’avis consultatif adressée à la Cour internationale de Justice serve l’objectif général de promouvoir un règlement juste, durable et négocié du conflit entre Israéliens et Palestiniens ».
121 Voir Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, Quatrième Commission, compte rendu analytique de la 25e séance, supra, note 99, déclaration du représentant d’Israël, dont l’enregistrement vidéo est également accessible à l’adresse suivante : https://media.un.org/en/asset/k1p/k1p3p1b46n (à 1 min 10 s), où Israël suggère que « [l]’entrée en lice de la Cour internationale de Justice étouffera tout espoir de réconciliation ».
122 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 16. Voir également Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 418, par. 34.
123 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, Quatrième Commission, compte rendu analytique de la 25e séance, supra, note 99, déclaration du représentant d’Israël, dont l’enregistrement vidéo est également accessible à l’adresse suivante : https://media.un.org/en/asset/k1p/k1p3p1b46n (à 1 min 10 s).
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« diffamatoires »
124. D’autres États l’ont présenté comme risquant de « donner un tour trop judiciaire aux relations internationales »125.
55. De telles critiques ne sont pas nouvelles, loin de là : en contestant la compétence ou le pouvoir discrétionnaire de la Cour de rendre un avis consultatif qui pourrait les incommoder, les États ont souvent affirmé que la nature prétendument politique des questions posées devrait empêcher cette dernière d’accomplir son devoir. Or, la Cour a toujours écarté ce type d’arguments, faisant observer que la plupart des questions qui lui étaient posées « présent[ai]ent une importance politique plus ou moins grande »126 et que cela ne devrait pas faire obstacle à sa fonction judiciaire127. Elle a en outre relevé que les motifs politiques sous-tendant une question n’avaient, de fait, aucune pertinence quant à l’exercice de cette fonction128 et que, par ailleurs, ses juges n’étaient pas à même de déterminer si l’avis aurait des conséquences préjudiciables, alors que l’Assemblée générale — par le fait même de poser la question — avait implicitement estimé le contraire129.
56. Cette position se retrouve dans la fonction contentieuse de la Cour, les ramifications politiques d’un différend n’ayant pas empêché cette dernière d’exercer ses fonctions130. La jurisprudence internationale va dans le sens de la position de la Cour sur ce point, étant donné qu’une interdiction générale de tout règlement international de questions prétendument politiques mettrait la justice internationale au point mort 131. Qui plus est, comme l’a précisé la Cour,
« lorsque des considérations politiques jouent un rôle marquant, il peut être particulièrement nécessaire à une organisation internationale d’obtenir un avis
124 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, Quatrième Commission, compte rendu analytique de la 25e séance, supra, note 99, déclaration du représentant d’Israël, dont l’enregistrement vidéo est également accessible à l’adresse suivante : https://media.un.org/en/asset/k1p/k1p3p1b46n (à 1 min 10 s).
125 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière, 30 décembre 2022, doc. A/77/PV.56 (Resumption 1), supra, note 84, déclaration du représentant du Portugal, p. 4, reconnaissant néanmoins le « rôle crucial de la Cour internationale de Justice en tant qu’organe judiciaire principal de l’ONU, qui sous-tend l’ordre international fondé sur des règles que nous cherchons à préserver et qui assume une fonction centrale dans le développement du droit international ».
126 Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962, p. 155.
127 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234, par. 13 :
« Quels que soient les aspects politiques de la question posée, la Cour ne saurait refuser un caractère juridique à une question qui l’invite à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire, à savoir l’appréciation de la licéité de la conduite éventuelle d’Etats au regard des obligations que le droit international leur impose. »
128 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415, par. 27 ; et p. 417, par. 33. Voir également Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 16.
129 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 418, par. 35.
130 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 91, par. 52 : « La Cour se prononce en droit et n’a pas à s’interroger sur les motivations d’ordre politique qui peuvent amener un Etat, à un moment donné ou dans des circonstances déterminées, à choisir le règlement judiciaire. »
131 CEDH, Ukraine c. Russia (Crimée), décision (Grande Chambre), 16 décembre 2020, requêtes no 20958/14 et 38334/18, par. 273-274 : « la nature politique des mobiles qui auraient inspiré la requête et les implications politiques que pourrait avoir l’avis donné sont sans pertinence au regard de l’établissement de sa compétence pour donner un tel avis ».
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consultatif de la Cour sur les principes juridiques applicables à la matière en discussion »
132.
57. La raison en est aussi que le fait de ne pas répondre à de telles questions constituerait en soi une prise de position politique — même si, dans un tel cas de figure, la Cour n’aurait pas eu l’occasion d’exprimer sa fonction juridique. Ainsi que l’a fort bien dit le juge Kooijmans dans l’avis consultatif sur le mur,
« [u]ne fois que l’Assemblée a pris sa décision [de demander un avis consultatif], la Cour s’est retrouvée propulsée sur la scène politique, qu’elle ait décidé ensuite de rendre ou non l’avis. Un refus de rendre l’avis aurait tout autant risqué de politiser la Cour que l’acceptation de donner suite à la demande »133.
58. Autrement dit, « [l]a circonstance que d’autres pourraient évaluer et interpréter ces faits de manière subjective ou politique ne saurait … constituer un motif pour qu’une cour de justice s’abstienne d’assumer sa tâche judiciaire »134. Dans la présente procédure également, le précédent établi par la Cour à la quasi-unanimité dans l’avis consultatif sur le mur devrait prévaloir, et la Cour devrait estimer qu’il n’y a aucun motif d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas donner d’avis sur les questions en cause135.
III. LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ
A. Statut juridique de l’occupation
59. La première question que la résolution 77/247 soumet à la Cour porte sur les « conséquences juridiques » de l’occupation, de la colonisation et de l’annexion prolongées des territoires palestiniens par Israël. Toutefois, avant d’examiner les conséquences juridiques découlant de la situation actuelle dans ces territoires, il convient d’abord de déterminer le statut juridique de l’occupation israélienne. Cette approche est conforme à celle adoptée par la Cour dans son avis consultatif sur le mur :
« [S]i l’Assemblée générale prie la Cour de dire “[q]uelles sont en droit les conséquences” de la construction du mur, l’emploi de ces termes implique nécessairement de déterminer si cette construction viole ou non certaines règles et certains principes de droit international. »136
132 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 87, par. 33.
133 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle du juge Kooijmans, p. 225, par. 21.
134 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 162, par. 58.
135 Voir également R. Falk, « Toward Authoritativeness: The ICJ Ruling on Israel’s Security Wall », AJIL vol. 99, no 1, p. 45-46 (2005), notant que
« la quasi-unanimité de la Cour sur cette ébauche de fonction judiciaire donne un poids considérable à l’affirmation selon laquelle un avis consultatif sur ces questions mérite d’être traité avec le plus grand respect. Le calibre des juristes siégeant présentement à la Cour, ainsi que la qualité du raisonnement dans l’avis lui-même et dans les opinions individuelles qui y sont jointes, renforcent encore son autorité. »
136 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 154, par. 39.
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60. La présente partie est donc divisée en trois sections : dans la première, l’Union africaine définira le concept d’occupation de guerre (1) ; dans la deuxième, elle appliquera cette définition à la présente procédure et conclura que l’occupation israélienne des territoires palestiniens (à savoir, Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza) constitue une occupation de guerre (2) ; enfin, dans la troisième section, l’Union africaine montrera que l’occupation israélienne des territoires palestiniens constitue un fait internationalement illicite (3).
1. La définition du concept d’occupation de guerre
61. Aux termes de l’article 42 du règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la quatrième convention de La Haye du 18 octobre 1907 (ci-après dénommé le « règlement de La Haye de 1907 »), un « territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer »137. En outre, l’article 2 commun aux conventions de Genève de 1949 dispose que ces quatre conventions s’appliquent « en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles », et dans tous les cas « d’occupation de tout ou partie du territoire d’une Haute Partie contractante, même si cette occupation ne rencontre aucune résistance militaire »138. Ces dispositions du règlement de La Haye de 1907 et des conventions de Genève de 1949 sont universellement reconnues comme reflétant les règles du droit international coutumier139.
62. En conséquence, selon le règlement de La Haye de 1907 et les conventions de Genève de 1949, il y a occupation de guerre chaque fois qu’un État établit un contrôle effectif sur des territoires sur lesquels il n’a pas de titre de souveraineté pendant un conflit armé international ou à la suite d’un tel conflit, qu’il existe ou non un état de guerre formel entre les belligérants ou que des forces armées aient ou non résisté au contrôle de ce territoire140.
63. Déterminer si une situation constitue à une occupation de guerre est une question de fait. Le principal critère à cet égard est celui de savoir si une puissance ennemie exerce un contrôle effectif sur le territoire en question. Comme l’a affirmé le Tribunal militaire des États-Unis à Nuremberg dans l’affaire des Otages :
« Le point de savoir si une invasion s’est transformée en occupation est une question de fait. Le terme invasion implique une opération militaire, tandis qu’une occupation signifie l’exercice de l’autorité gouvernementale en lieu et place du gouvernement légal. Cela présuppose la destruction de toute résistance organisée et le
137 Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la quatrième convention de La Haye, 1907, The Hague Peace Conferences and Other International Conferences Concerning the Laws and Usages of War: Texts of Conventions with Commentaries (A.P. Higgins, 1909).
138 Conventions de Genève du 12 août 1949, Comité international de la Croix-Rouge.
139 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 167, par. 78 ; Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ci-après « TPIY »), Le Procureur c/ M. Naletilić et V. Martinović, jugement, Chambre de première instance, affaire no IT-98-34-T (31 mars 2003), par. 215.
140 Cela fait écho à la définition souvent reprise d’Eyal Benvenisti, selon laquelle l’occupation de guerre est « le contrôle effectif exercé par une puissance (qu’il s’agisse d’un ou de plusieurs États ou d’une organisation internationale telle que l’ONU) sur un territoire sur lequel cette puissance n’a pas de titre de souveraineté, contre la volonté du souverain de ce territoire ». Eyal Benvenisti, The International Law of Occupation, p. 43 (2e édition, 2012). De même, dans un article qui a fait date (« What is Military Occupation? », British Yearbook of International Law, vol. 55, p. 255 (1984)), Adam Roberts a expliqué que « les dispositions des traités et la doctrine concernant l’occupation étaient toutes articulées autour de l’image des forces armées d’un État exerçant une forme de domination ou d’autorité sur un territoire habité hors des frontières internationales acceptées de cet État ».
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mise en place d’une administration afin de préserver la loi et l’ordre. Dans la mesure où le contrôle exercé par l’occupant est maintenu et où celui du gouvernement civil est éliminé, la zone sera dite occupée. »
141
64. Le TPIY a en outre fait observer que, pour qualifier une situation d’occupation de guerre, il devait procéder à une analyse factuelle au cas par cas, guidée par les critères suivants :
 « la puissance occupante doit être en mesure de substituer sa propre autorité à celle de la puissance occupée, désormais incapable de fonctionner publiquement ;
 les forces ennemies se sont rendues, ont été vaincues ou se sont retirées. À cet égard, les zones de combat ne sont pas considérées comme des territoires occupés. Cela étant, le statut de territoire occupé n’est pas remis en cause par une résistance locale sporadique, même couronnée de succès ;
 la puissance occupante dispose sur place de suffisamment de forces pour imposer son autorité, ou elle peut en envoyer dans un délai raisonnable ;
 une administration provisoire a été établie sur le territoire ;
 la puissance occupante a donné des ordres à la population civile et a pu les faire exécuter »142.
65. Géographiquement, une occupation de guerre s’étend aux zones qui sont sous le contrôle effectif d’une puissance ennemie143. Pour qu’une situation soit qualifiée d’occupation de guerre, il n’est toutefois pas nécessaire que les forces de ladite puissance soient présentes partout dans le territoire occupé et en tout temps. Il suffit que celle-ci conserve des forces dans la région et ait la capacité de les déployer pour exercer son contrôle sur le territoire en question. En outre, la persistance d’actes de résistance contre la puissance occupante, y compris par un mouvement de libération nationale, ou l’exercice d’éléments de l’autorité gouvernementale ou administrative par des représentants de la population du territoire occupé, n’a pas nécessairement d’incidence sur la qualification d’occupation de guerre attribuée à une situation. Autrement dit, une situation sera considérée comme constituant une occupation de guerre chaque fois qu’une puissance ennemie maintient un contrôle physique sur un territoire étranger ou conserve la capacité d’exercer un tel contrôle144.
66. Temporellement, une occupation de guerre commence à partir du moment où une puissance ennemie établit un contrôle effectif sur le territoire en question. Comme l’a expliqué la Commission des réclamations entre l’Érythrée et l’Éthiopie,
« [u]ne zone où les combats se poursuivent et sur laquelle les forces attaquantes n’ont pas encore établi leur contrôle ne saurait en principe être considérée comme étant
141 Tribunal militaire des États-Unis à Nuremberg, Wilhelm List et. al. (« affaire des Otages »), affaire no VII, 19 février 1948, p. 55-56.
142 TPIY, Le Procureur c/ M. Naletilić et V. Martinović, supra, note 139, par. 217.
143 Comme le soutient Yoram Dinstein (Yoram Dinstein, The International Law of Belligerent Occupation, p. 43 (2e édition, 2019)),
« [d]eux critères doivent être réunis pour démontrer l’existence d’une occupation de guerre : i) l’autorité de la puissance occupante doit être établie ; et ii) la puissance occupante doit pouvoir (“peut”) exercer cette autorité. Autrement dit, l’occupation de guerre ne concerne que la zone dans laquelle la puissance occupante exerce effectivement son autorité et a la capacité de le faire ».
144 Voir Procès de Wilhelm List et. al. (affaire des Otages), supra, note 141, p. 56.
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occupée … En revanche, lorsqu’il n’y a plus de combats dans une zone qui se trouve, ne serait-ce que depuis quelques jours, sous le contrôle des forces armées d’une puissance ennemie, la Commission est d’avis que les règles juridiques applicables aux territoires occupés doivent s’appliquer. »
145
67. La question de savoir si une occupation de guerre a pris fin sera aussi tranchée au cas par cas, sur la base d’une analyse factuelle. Les positions déclarées par la puissance occupante sont juridiquement sans importance à cet égard. Les critères déterminants sont de savoir si la puissance ennemie s’est retirée pleinement et effectivement du territoire en question et si elle n’a plus la capacité d’exercer de nouveau un contrôle effectif ou une autorité administrative sur ce territoire146.
2. La situation actuelle dans les territoires palestiniens constitue une occupation de guerre par l’État d’Israël
68. À la lumière de la définition qui précède, il ne fait aucun doute pour l’Union africaine que l’État d’Israël occupe les territoires palestiniens qu’il contrôle depuis la guerre des Six Jours. Un rappel de l’évolution historique du statut juridique de la Palestine démontrera donc que l’État d’Israël ne détient pas de titre juridique valable sur ces territoires.
69. À l’origine, les territoires qui constituent aujourd’hui l’État d’Israël et l’État de Palestine relevaient de la souveraineté de l’Empire ottoman. Après la dissolution de celui-ci et le renoncement de la Türkiye à sa souveraineté sur les zones anciennement sous son autorité (y compris la Palestine), conformément au traité de Lausanne de 1923147, l’intégralité de la Palestine et des territoires qui constituent aujourd’hui le Royaume hachémite de Jordanie ont été placés sous mandat de la Société des Nations.
70. Selon le Pacte de la Société des Nations, les territoires et les peuples administrés dans le système des mandats s’inscrivaient dans le cadre d’« une mission sacrée de civilisation »148. Cette « mission sacrée » reposait sur deux principes interdépendants. Premièrement, les territoires sous mandat ne pouvaient pas être annexés par les puissances mandataires149 ; deuxièmement, les populations de ces territoires étaient considérées comme ayant « la possibilité de vivre indépendantes lorsqu’elles auraient atteint un certain stade de développement »150. En outre, à mesure que le droit international se développait, il a été reconnu que les peuples des territoires non autonomes relevant
145 Commission des réclamations entre l’Érythrée et l’Éthiopie, sentence partielle, front central — Réclamations de l’Érythrée Nos 2, 4, 6, 7, 8, & 22, 28, décision du 28 avril 2004, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXVI, p. 115, par. 57.
146 Comité international de la Croix-Rouge, réunion d’experts: Occupation and Other Forms of Administration of Foreign Territory (2012).
147 Traité de paix avec la Turquie, et autres instruments (1923), Société des Nations, Recueil des traités, vol. XXVIII.
148 Pacte de la Société des Nations, art. 22.
149 Statut international du Sud-Ouest africain, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 131, où il est fait observer que, dans le cadre du système des mandats, « deux principes furent considérés comme étant d’importance primordiale : celui de la non-annexion et celui qui proclamait que le bien-être et le développement de ces peuples formaient “une mission sacrée de civilisation” ».
150 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 29, par. 46.
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du système des mandats disposaient du droit à l’autodétermination
151. En conséquence, les puissances administrantes n’ont jamais acquis de titre sur ces territoires ; le droit d’exercer la pleine autonomie sur ces derniers demeurait réservé à leurs populations, lesquelles étaient habilitées à accéder à l’indépendance une fois le mandat expiré152.
71. Le 24 juillet 1922, le Conseil de la Société des Nations a confié le mandat pour la Palestine au Royaume-Uni153. La Palestine a été classée dans la catégorie des territoires de « classe A » qui, selon le Pacte de la Société des Nations, étaient habités par des communautés qui avaient « atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes [pouvait] être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un Mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles [seraient] capables de se conduire seules »154.
72. Dans son préambule, le mandat pour la Palestine confiait au Royaume-Uni la responsabilité, en sa qualité de puissance mandataire, de mettre à exécution la déclaration Balfour publiée par le Gouvernement britannique le 2 novembre 1917, qui exprimait son soutien à « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ». Le mandat pour la Palestine comportait aussi la reconnaissance « des liens historiques du peuple juif avec la Palestine et des raisons de la reconstitution de son foyer national en ce pays »155. Dans la poursuite de cet objectif, le Conseil de la Société des Nations a toutefois demandé au Royaume-Uni de ne pas « porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non juives en Palestine » et d’assurer « la sauvegarde des droits civils et religieux de tous les habitants de la Palestine, à quelque race ou religion qu’ils appartiennent »156.
73. Dans ce contexte, Winston Churchill, alors secrétaire d’État britannique aux Colonies, a publié en juin 1922 un livre blanc officiel qui expliquait l’objet et le but du mandat pour la Palestine et de la déclaration Balfour, et qui constitue une source faisant autorité aux fins de l’interprétation de ces documents. Ce livre blanc précisait que le mandat ne visait pas à provoquer « la disparition ou la subordination de la population, de la langue ou de la culture arabes en Palestine » et avait été conçu, non pas pour que « la Palestine dans son ensemble soit transformée en foyer national juif, mais pour que ce foyer soit fondé en Palestine ». En effet, « le développement du foyer national juif en Palestine » n’avait pas pour but d’imposer
« une nationalité juive aux habitants de la Palestine dans son ensemble, mais de développer la communauté juive existante, avec le concours de juifs d’autres parties du monde, afin que celle-ci devienne un centre à l’égard duquel le peuple juif dans son ensemble, pour des raisons de religion et de race, puisse éprouver un l’intérêt et de la fierté. Cependant, pour pouvoir disposer des meilleures perspectives de libre développement et donner au peuple juif la possibilité de montrer ses capacités, cette
151 Voir Jan Klabbers, « The Right to be Taken Seriously: Self-Determination in International Law », Human Rights Quarterly, vol. 28, p. 186 et 191 (2006), où il est indiqué que, « [d]e surcroît, on pensait que la fonction même du système des mandats était de rendre possible l’autodétermination et l’indépendance des peuples ».
152 Voir Ramendra Nath Chowdhuri, International Mandates and Trusteeship Systems: A Comparative Study, p. 235-236 (1955).
153 Mandat pour la Palestine, supra, note 27.
154 Ibid.
155 Ibid.
156 Ibid., art. 2.
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communauté [devait] impérativement savoir que sa présence en Palestine [était] de plein droit et non simplement tolérée »
157.
74. Le mandat ne transférait donc pas la souveraineté sur la Palestine au Royaume-Uni. Celle-ci a au contraire été provisoirement reconnue comme une nation indépendante placée sous l’administration d’une puissance mandataire jusqu’au moment où l’autonomie complète serait réalisable. En outre, le mandat ne faisait pas obligation à la puissance mandataire d’établir un État juif en Palestine (de fait, le statut final de celle-ci n’y était pas précisé)158, mais prescrivait au Royaume-Uni d’administrer ce territoire en tant que territoire unique et non divisé, au nom de la Société des Nations, comme une tutelle et de sorte y à favoriser le développement et la croissance de la communauté juive, sans subordonner la population arabe ni porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives159. Tel était le statut juridique du territoire de la Palestine jusqu’à l’expiration du mandat britannique, le 15 mai 1948 à minuit.
75. Le mandat ne précisait pas les frontières territoriales de la Palestine, qui devaient être définies par une série d’instruments antérieurs et ultérieurs. Les frontières sud et est de la Palestine présentent un intérêt particulier aux fins du présent avis consultatif. La première a été définie dans l’accord conclu entre le Gouvernement égyptien et le Gouvernement ottoman le 1er octobre 1906, qui délimitait la « ligne de séparation administrative » entre l’Égypte, celle-ci ayant un statut de vassal vis-à-vis de l’Empire ottoman, et les provinces ottomanes du Hedjaz et de Jérusalem160. Cette frontière administrative est devenue la frontière internationale entre l’Égypte et Israël, et entre l’Égypte et la bande de Gaza.
76. La frontière orientale de la Palestine sous mandat a été délimitée durant le processus de création de l’émirat de Transjordanie, devenu plus tard le Royaume hachémite de Jordanie161. En septembre, avec le consentement de la Société des Nations, le Royaume-Uni a séparé le territoire transjordanien de la Palestine sous mandat162, séparation qui a été suivie par la conclusion d’un traité
157 UK correspondence with Palestine Arab Delegation and Zionist Organization/British policy in Palestine, “Churchill White Paper” — UK documentation Cmd. 1700, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/unispal/ document/auto-insert-196917/ (les italiques sont dans l’original).
158 Michael Akehurst, « The Arab-Israeli Conflict and International Law », New Zealand Universities Law Review, vol. 5, p. 231-233 (1973). Voir aussi John Quigley, Britain and Its Mandate Over Palestine: Legal Chicanery on a World Stage, p. 17-21 (2022).
159 Victor Kattan, From Coexistence to Conquest: International Law and the Origins of the Arab-Israeli Conflict, 1891-1949, p. 56-63 (2009).
160 Affaire concernant l’emplacement des balises frontalières à Taba, entre l’Égypte et Israël, sentence du 29 septembre 1988, RSA, vol. XX, première partie. Voir aussi Gabriel Warburg, « The Sinai Peninsula Borders, 1906-1947 », Journal of Contemporary History, vol. 14, p. 677 (1979).
161 Pour l’évolution du statut de la Transjordanie, voir Eugene Rogan, Frontiers of the State in the Late Ottoman Empire: Transjordan, 1850-1921 (1999).
162 Malcolm Shaw, « The League of Nations Mandate System and the Mandat sur la Palestine: What Did and Does It Say About International and What Did and Does It Say about Palestine? », Israel Law Review, vol. 49, p. 301 (2016). Dans ce processus, la Transjordanie a été définie comme étant constituée de « tous les territoires situés à l’est d’une ligne partant à deux milles à l’ouest de la ville d’Akaba, sur le golfe de ce nom, pour suivre le milieu de la rivière Ouadi Araba, de la mer Morte et du Jourdain jusqu’à son confluent avec la rivière Yarmouk, et se diriger, à partir de ce point, en suivant le centre de cette dernière rivière, jusqu’à la frontière de Syrie ».
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entre la Transjordanie et le Royaume-Uni le 20 février 1928
163. La frontière entre la Transjordanie et la Palestine sous mandat est devenue la frontière internationale entre Israël et la Jordanie164.
77. En février 1947, le Royaume-Uni a informé l’ONU qu’il entendait renoncer au mandat pour la Palestine en raison, d’une part, de l’escalade des tensions et des conflits intercommunautaires entre les communautés juive et arabe en Palestine, et, d’autre part, de l’augmentation des actes de violence contre les autorités britanniques165. Le 12 avril 1947, le Royaume-Uni a aussi sollicité la convocation d’une session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la question de Palestine. Cela a conduit à la création de la Commission spéciale des Nations Unies pour la Palestine, qui a publié en septembre 1947 un rapport concernant l’avenir de celle-ci.
78. Une majorité des membres de la Commission spéciale des Nations Unies pour la Palestine a proposé que celle-ci soit divisée en trois parties : i) un État juif sur 56 % de la Palestine sous mandat ; ii) un État arabe sur 43 % de la Palestine sous mandat ; et iii) Jérusalem166. Cette proposition a servi de base à la résolution 181 (II), qui recommandait la fin du mandat britannique et le partage de la Palestine en deux États distincts, l’un arabe, l’autre juif, liés par une union économique, toute la ville de Jérusalem devant être constituée en « corpus separatum » et administrée par l’ONU167.
79. Ce plan de partage n’a toutefois jamais été mis en oeuvre. Le 14 mai 1948, l’État d’Israël a déclaré son indépendance, et le Royaume-Uni a renoncé à son mandat le lendemain. Cela a conduit à l’éclatement d’un conflit armé international entre Israël et ses voisins arabes, qui s’est poursuivi jusqu’à l’année suivante. Après la cessation des hostilités, une convention d’armistice général a été conclue entre l’Égypte et Israël le 24 février 1949168, et une autre entre Israël et la Jordanie le 3 avril 1949169. Ces conventions ont établi des lignes d’armistice qui délimitaient les territoires sous le contrôle de chacune des parties, la ligne définie dans la convention israélo-jordanienne étant communément appelée « Ligne verte ». À la suite de ce conflit armé et des conventions d’armistice ultérieures, Israël a établi son contrôle sur davantage de territoires que ceux qui lui avaient été octroyés dans le cadre du plan de partage élaboré par l’ONU170.
80. Israël a été admis à l’ONU le 11 mai 1949171. Bien qu’il soit aujourd’hui presque universellement reconnu comme un État souverain, y compris par la grande majorité des États membres de l’Union africaine, le fondement juridique de sa revendication de souveraineté sur les territoires qu’il contrôlait à la suite des conventions d’armistice était incertain à l’époque. Ainsi que l’a observé le regretté juge James Crawford,
163 Yitzhak Gil-Har, « Boundaries Delimitation: Palestine and Trans-Jordan », Middle Eastern Studies, vol. 36, p. 68 et p. 70-71 (2000).
164 Traité de paix israélo-jordanien, point de franchissement d’Arava/Araba, 26 octobre 1994, 34 ILM 43.
165 Pour une analyse des considérations qui ont conduit à l’abandon par la Grande-Bretagne du mandat pour la Palestine, voir Avi Shlaim, « Britain and the Arab-Israeli War of 1948 », Journal of Palestine Studies, vol. 16, p. 50 (1987).
166 Commission spéciale des Nations Unies pour la Palestine, rapport à l’Assemblée générale (doc. A/364, 3 septembre 1947).
167 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 181 (II), supra, note 1.
168 Convention d’armistice général entre l’Égypte et Israël (24 février 1949), RTNU, vol. 42, p. 251 (1949).
169 Convention d’armistice général entre le Royaume hachémite de Jordanie et Israël (3 avril 1949), RTNU, vol. 42, p. 304 (1949).
170 Benny Morris, 1948: A History of the First Arab-Israeli War, p. 375-376 (2008).
171 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 273 (III) du 11 mai 1949, intitulée « Admission d’Israël à l’Organisation des Nations Unies », doc. A/RES/273 (III).
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« Israël n’a été créé ni en vertu d’une attribution du territoire faisant autorité, ni en vertu d’une autorisation valide et encore en vigueur … Au moment du cessez-le-feu, il s’étendait sur un territoire nettement plus important que celui qui lui avait été accordé par la résolution relative au plan de partage … Israël a été créé par l’emploi de la force, sans le consentement de quelque souverain antérieur et d’une manière qui ne respectait en rien un quelconque acte d’attribution. »172
81. À la suite de la conclusion des conventions d’armistice, l’Égypte a conservé le contrôle de la bande de Gaza, tandis que la Jordanie contrôlait Jérusalem-Est et le territoire connu sous le nom de Cisjordanie qui est la zone située entre la frontière orientale de la Palestine sous mandat et la Ligne verte définie dans la convention d’armistice israélo-jordanienne. L’Égypte contrôlait et administrait la bande de Gaza sans annexer ce territoire ni prétendre qu’il relevait de sa souveraineté. Pour leur part, Jérusalem-Est et la Cisjordanie ont été incorporées dans le Royaume hachémite de Jordanie en application de l’acte d’union de 1950 et, partant, officiellement placées sous la souveraineté jordanienne173. En 1974, cependant, la Jordanie a reconnu l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme étant le seul représentant légitime du peuple palestinien. En 1988, l’union entre la Jordanie et la Cisjordanie a été dissoute, après quoi la Jordanie a reconnu l’État de Palestine, renonçant ainsi à toute revendication de souveraineté sur Jérusalem-Est et la Cisjordanie174.
82. En juin 1967, un conflit armé international a éclaté et a conduit à la prise de contrôle par Israël de l’ensemble du territoire de la Palestine sous mandat, y compris Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Ces zones sont dénommées collectivement « les territoires palestiniens occupés »175. Il est établi qu’avant la guerre des Six Jours, l’État d’Israël n’était pas en possession de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie ou de la bande de Gaza, et n’avait pas de titre juridique valable ou de revendication de souveraineté sur ces territoires. À la lumière de ce qui précède et de la définition de la notion d’occupation de guerre donnée plus haut176, l’Union africaine considère que le contrôle israélien de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza équivaut à une occupation de guerre continue.
83. Immédiatement après la cessation des hostilités, Israël a commencé à prendre des mesures visant à incorporer Jérusalem-Est dans son territoire. Le 27 juin 1967, il a adopté l’ordonnance sur la législation et l’administration, qui a étendu la législation, la juridiction et l’administration israéliennes à Jérusalem-Est. Le lendemain, il a promulgué l’ordonnance sur les municipalités, qui a élargi les frontières administratives de Jérusalem au-delà des limites fixées par les autorités jordaniennes. Enfin, en juillet 1980, Israël a adopté la loi fondamentale sur Jérusalem, en vertu de
172 James Crawford, « Israel (1948-1949) and Palestine (1998-1999): Two Studies in the Creation of States », dans The Reality of International Law: Essays in Honor of Ian Brownlie, p. 95 et 108 (Guy Goodwin-Gill & Stefan Talmon, dir. publ.), 1999.
173 Parlement jordanien, « Résolution pour la décision d’unité », Journal officiel du Royaume hachémite de Jordanie, édition spéciale (avril 1950). L’incorporation de la Cisjordanie et de Jérusalem au Royaume hachémite de Jordanie n’a été reconnue que par le Royaume-Uni et le Pakistan. En outre, l’article 2 de l’acte d’union disposait que la Jordanie reconnaissait l’identité et le statut distincts de ce territoire. Il précisait que l’union visait
« à préserver les pleins droits des Arabes en Palestine, et à défendre ces droits par tous les moyens légaux dans l’exercice de leurs droits naturels, sans préjudice du règlement définitif de la juste cause palestinienne conformément aux aspirations nationales, à la coopération interarabe et à la justice internationale ».
174 Victor Kattan, chapitre « Jordan and Palestine: Union (1950) and Secession (1988) », dans Research Handbook on Secession (Jure Vidmar, Sarah McGibbon & Lea Raible, dir. publ.), 2022, p. 275.
175 Israël s’est aussi emparé de territoires appartenant à d’autres États arabes voisins.
176 Supra, par. 61-67.
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laquelle Jérusalem-Est a été officiellement annexée et déclarée capitale éternelle et unifiée de l’État d’Israël
177.
84. Israël continue aussi d’exercer un contrôle effectif sur la Cisjordanie. Malgré le transfert de certains pouvoirs d’administration à l’Autorité palestinienne sur une portion limitée de la Cisjordanie, conformément aux accords d’Oslo et aux accords israélo-palestiniens ultérieurs, la Cisjordanie reste soumise à l’occupation de guerre israélienne. En effet, ces accords reconnaissaient qu’Israël continuerait d’exercer des pouvoirs importants sur la plus grande partie du territoire de la Cisjordanie178.
85. Plus précisément, comme le montre la carte ci-après179, l’accord d’Oslo II a divisé la Cisjordanie en trois zones. La zone A, qui couvre environ 18 % du territoire de la Cisjordanie, est composée de villes importantes et d’autres grands centres de population principalement habités par des Palestiniens. La zone B, qui couvre environ 22 % de la Cisjordanie, est constituée de villes, de villages et de petits centres de population essentiellement palestinienne. L’Autorité palestinienne exerce des pouvoirs civils et de sécurité limités dans les zones A et B. En revanche, la zone C, qui représente plus de 60 % de la Cisjordanie, est restée sous contrôle israélien. Les zones A et B ne sont pas géographiquement contiguës ; la zone C entoure et sépare presque complètement les territoires, y compris les centres urbains qui y sont situés180. En outre, Israël maintient une présence militaire importante dans toute la Cisjordanie et, comme expliqué ci-après, continue d’exproprier des terres appartenant aux habitants palestiniens, en plus de construire des colonies de peuplement et des routes de contournement et de maintenir le mur de séparation181.
177 Antonio Cassese, « Legal Considerations on the International Status of Jerusalem », Palestine Yearbook of International Law, vol. 3, p. 13 (1986).
178 Par exemple, l’article X (par. 4) de l’accord d’Oslo I dispose qu’« Israël continuera à assumer la responsabilité de la sécurité extérieure, ainsi que la responsabilité de la sécurité en général des Israéliens en vue de préserver leur sécurité intérieure et l’ordre public. » En conséquence, comme l’a observé un auteur, « [c]onformément aux accords d’Oslo, Israël a redéployé des forces et transféré des pouvoirs et des responsabilités à [l’Autorité palestinienne] ». Toutefois, de par sa nature, ce transfert d’autorité était essentiellement celui « d’une puissance occupante permettant l’installation d’un nouveau gouvernement local pendant l’occupation, “l’existence des pouvoirs résiduels d’Israël montr[ant] indubitablement que l’occupation de guerre n’était pas terminée” après son retrait partiel, tant sur le plan géographique que sur celui de sa teneur », Aeyal Gross, The Writing on the Wall, p. 184 (2017).
179 Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), Occupied Palestinian Territory: Humanitarian Factsheet on Area C of the West Bank, juillet 2011, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/sites/default/files/ocha_opt_Area_C_Fact_Sheet_July_2011.pdf.
180 Pour une description des zones A, B et C, accompagnée de cartes de ces zones, voir Joel Singer, « West Bank Areas A, B, and C – How Did They Come into Being? », International Negotiation, vol. 26, 1-11 (2021).
181 Infra, sect. B, sur les politiques et pratiques d’Israël relatives à son occupation des territoires palestiniens.
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Légende :
Restriction
=
Restriction
Israeli Closed Military Area – Access is prohibited
=
Zone militaire israélienne fermée – Accès interdit
Existed and projected Closed Area Behind the Barrier – Access is limited to permit holders
=
Zone fermée existante et zone fermée prévue derrière la barrière – Accès réservé aux titulaires de permis
Border
=
Frontière
International border
=
Frontière internationale
Armistice Line (Green Line)
=
Ligne d’armistice (Ligne verte)
Oslo Agreement
=
Accord d’Oslo
Area A
=
Zone A
Area B
=
Zone B
Area C and “Wye” River Nature Reserves
=
Zone C et réserves naturelles de Wye River
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Israeli Unilaterally Declared Municipal Area Of Jerusalem1
1. In 1967, Israel occupied the West Bank and unilaterally annexed to its territory 70.5 km of the occupied area
=
Zone municipale de Jérusalem unilatéralement déclarée par Israël1
1. En 1967, Israël a occupé la Cisjordanie et annexé unilatéralement à son territoire 70,5 km de la zone occupée
Barrier
=
Barrière
Contructed/Under construction
=
Construite/en construction
Planned
=
Prévue
Oslo Interim Agreement
=
Accord d’Oslo
Area A : Full Palestinian civil and security control
=
Zone A : Contrôle palestinien total sur les affaires civiles et la sécurité
Area B : Full Palestinian civil control and joint Israeli-Palestinian security control
=
Zone B : Contrôle palestinien total sur les affaires civiles et contrôle conjoint israélo-palestinien sur la sécurité :
Area B : Full Israeli control over security, planning and construction
=
Zone C : Contrôle israélien total sur la sécurité, la planification et la construction
United Nations Office for Coordination of Humanitarian Affairs
Cartography : OCHA-OPI juin 2011
=
Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires
Cartographie : OCHA-OPI juin 2011
Much of the land behind the Barrier is Area C. In parts that have been declared “seam zones”, Palestinians wishing to reside in their houses or access their land in the closed area must apply for a permit from the Israeli authorities.
=
Une grande partie des terres derrière la barrière se trouve dans la zone C. Dans les parties déclarées « zones de jointure », les Palestiniens qui souhaitent habiter dans leurs maisons ou accéder à leurs terres dans la zone fermée doivent solliciter un permis auprès des autorités israéliennes.
West Bank
=
Cisjordanie
East Jerusalem
=
Jérusalem-Est
No Man’s Land
=
No Man’s Land
1949 Armistice Line (Green Line)
=
Ligne d’armistice de 1949 (Ligne verte)
Dead Sea
=
Mer Morte
Palestinian access to large parts of Area C is restricted (e.g. closed military/’fire’ zones, settlements areas, etc.). Palestinian construction is largely prohibited.
=
Les Palestiniens ont un accès limité à une grande partie de la zone C (zones militaires fermées/zones « de tir », zones de colonies, etc.). La construction palestinienne est généralement interdite.
86. En ce qui concerne la bande de Gaza, il a été dit que le « désengagement unilatéral » d’Israël en 2005 marquait la fin de l’occupation compte tenu de la décision ultérieure de celui-ci de détruire ses colonies dans Gaza et de retirer sa présence militaire permanente de ce territoire182. L’Union africaine considère toutefois qu’Israël continue d’exercer un contrôle effectif sur la bande de Gaza, qui, en conséquence, reste sous occupation de guerre israélienne. Ce constat est conforme aux conclusions du Conseil de sécurité183, de l’Assemblée générale184, de la conférence des Hautes
182 Voir Haute Cour de justice d’Israël, Jaber Al-Bassiouni v. Prime Minister and Others, Judgment, HCJ 9123/07, 30 janvier 2008.
183 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 1860 du 8 janvier 2009, doc. S/RES/1860 (pièce no 1356 du dossier), qui énonçait ce qui suit : « Soulignant que la bande de Gaza fait partie intégrante du territoire palestinien occupé depuis 1967 et fera partie de l’État palestinien ».
184 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 75/126 du 21 décembre 2020, intitulée « Assistance au peuple palestinien », doc. A/RES/75/126, qui énonçait ce qui suit :
« Profondément préoccupée par les conditions de vie et la situation humanitaire difficiles du peuple palestinien, en particulier des femmes et des enfants, dans tout le territoire palestinien occupé, particulièrement dans la bande de Gaza, où il faut d’urgence assurer le relèvement économique et effectuer de grands travaux de réparation, de remise en état et de développement des infrastructures, surtout après le conflit de juillet et août 2014 » (les italiques sont de nous).
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Parties contractantes à la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre
185 et des commissions d’enquête successives créées par le Conseil des droits de l’homme186.
87. De fait, le contrôle effectif qu’Israël exerce sur la bande de Gaza se manifeste par le contrôle des points de passage frontaliers, de l’espace aérien et sur des zones maritimes de la bande de Gaza187. Par ailleurs, Israël conserve la capacité de rétablir le contrôle sur la bande de Gaza en redéployant ses forces terrestres dans ce territoire, ce qu’il a d’ailleurs fait à maintes reprises188. De plus, l’article IV de l’accord d’Oslo I dispose que la Cisjordanie et la bande de Gaza sont « une unité territoriale unique, dont l’intégrité sera préservée durant la période intérimaire ». Cela confirme aussi que, compte tenu de la poursuite de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, un retrait partiel, un redéploiement ou un désengagement unilatéral des forces armées israéliennes de la bande de Gaza ne modifie pas le statut de la bande de Gaza en tant que territoire soumis à l’occupation de guerre israélienne.
88. Ces faits étayent la conclusion formulée par la Cour dans son avis consultatif sur le mur, selon laquelle « [l]’ensemble de ces territoires (y compris Jérusalem-Est) demeurent des territoires occupés et Israël y a conservé la qualité de puissance occupante »189.
89. En conséquence, l’Union africaine est d’avis que le règlement de La Haye de 1907 et la quatrième convention de Genève sont applicables à l’occupation de guerre israélienne des territoires palestiniens, y compris Jérusalem-Est190. La Cour a confirmé que cette convention et le règlement annexé à celle-ci reflétaient le droit international coutumier191. En outre, l’État d’Israël et l’État de Palestine sont tous deux parties à la quatrième convention de Genève192, et, si le premier a adopté la position selon laquelle cette convention n’était pas applicable aux territoires palestiniens occupés193,
185 Voir la déclaration du 17 décembre 2014 adoptée par la conférence des Hautes Parties contractantes à la quatrième convention de Genève.
186 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, rapport de la commission d’enquête indépendante, doc. A/HRC/29/52, 24 juin 2015, par. 6 (pièce no 1518 du dossier) : la Commission
« a estimé que son mandat consistait à examiner les violations présumées du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre le 13 juin et le 26 août 2014 dans le territoire palestinien occupé, en particulier à Gaza, et en Israël, et [à] déterminer si des violations [avaient] effectivement été commises » (les italiques sont de nous).
187 Iain Scobbie, « An Intimate Disengagement: Israel’s Withdrawal from Gaza, the Law of Occupation and of Self-Determination », Yearbook of Islamic and Middle Eastern Law, vol. 11, p. 3 (2004).
188 Yuval Shany, « Faraway, So Close: The Legal Status of Gaza Under Israel’s Disengagement », Yearbook of International Humanitarian Law, vol. 8, p. 369 (2005).
189 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 167, par. 78.
190 Ardi Imseis, « On the Fourth Geneva Convention and the Occupied Palestinian Territory », Harvard International Law Journal, vol. 44, p. 65 (2003).
191 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 172, par. 89.
192 Les quatre conventions de Genève sont entrées en vigueur pour Israël le 6 janvier 1952. Le 2 avril 2014, l’État de Palestine a déposé auprès du Conseil fédéral suisse son instrument d’adhésion aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes de guerre.
193 Voir Nations Unies, La question de l’observation de la quatrième conférence de Genève de 1949 dans les territoires de Gaza et de la rive occidentale, y compris Jérusalem, occupés par Israël en juin 1967, étude établie à l’intention et sous la direction du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, New York (1979), accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-200116/.
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la Cour
194, le Conseil de sécurité195, l’Assemblée générale196 et le Conseil des droits de l’homme197 en ont conclu autrement, confirmant que ledit instrument s’appliquait à l’occupation de guerre des territoires palestiniens par Israël.
3. L’occupation israélienne des territoires palestiniens constitue un fait internationalement illicite
90. À la lumière de ce qui précède, l’Union africaine invite la Cour à conclure que l’occupation israélienne prolongée des territoires palestiniens est, en soi, illicite198.
91. Compte tenu de la nature de la question qui lui était posée par l’Assemblée générale, la Cour n’est pas parvenue à cette conclusion dans son avis consultatif sur le mur. Toutefois, d’autres organes de l’ONU ont affirmé à plusieurs reprises que l’occupation israélienne des territoires palestiniens était illicite199. Plus précisément, l’occupation de ces territoires par Israël constitue un fait internationalement illicite à caractère continu, et ce, pour les raisons suivantes :
a) Premièrement, l’occupation israélienne des territoires palestiniens constitue une violation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien;
b) Deuxièmement, l’occupation prolongée des territoires palestiniens par Israël prive l’État de Palestine de sa pleine souveraineté, privant également le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination ;
c) Troisièmement, l’occupation israélienne prolongée et les politiques et pratiques qui y sont associées équivalent à une annexion de facto et de jure des territoires palestiniens, ce qui constitue une violation de l’interdiction d’acquérir un territoire par la force.
194 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 174-175, par. 95 ; et p. 177, par. 101.
195 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions S/RES/2334 (2016), S/RES/799 (1992), S/RES/726 (1992), S/RES/681 (1990), S/RES/672 (1990), S/RES/641 (1989), S/RES/636 (1989), S/RES/605 (1987), S/RES/592 (1986), S/RES/478 (1980), S/RES/476 (1980), S/RES/465 (1980), S/RES/452 (1979), S/RES/446 (1979), S/RES/271 (1969) et S/RES/237 (1967).
196 Nations Unies, Assemblée générale, résolutions A/RES/77/247, A/RES/77/126, A/RES/76/82, A/RES/75/98, A/RES/75/97, A/RES/73/255, A/RES/71/247, A/RES/70/225, A/RES/69/241, A/RES/64/254, A/RES/63/98, A/RES/62/181, A/RES/60/183, A/RES/60/107, A/RES/59/124, A/RES/58/292, A/RES/56/204, A/RES/ES-10/8, A/RES/55/131, A/RES/54/77, A/RES/53/54, A/RES/44/48, A/RES/45/69, A/RES/42/160, A/RES/41/70, A/RES/32/91, 2727 (XXV), 2792 (XXVI), 2963 (XXVII), 3330 (XXIX) et 3525 (XXX).
197 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolutions A/HRC/RES/52/3, A/HRC/RES/52/35, A/HRC/RES/49/29, A/HRC/RES/49/4, A/HRC/RES/46/26, A/HRC/RES/43/32, A/HRC/RES/43/3, A/HRC/RES/40/24, A/HRC/RES/40/13, A/HRC/RES/37/35, A/HRC/RES/34/28, A/HRC/RES/34/31, A/HRC/RES/31/36, A/HRC/RES/31/35, A/HRC/RES/29/25, A/HRC/RES/28/26, A/HRC/RES/S-21/1, A/HRC/RES/25/28, A/HRC/RES/22/28, A/HRC/RES/19/16, A/HRC/RES/16/32 et A/HRC/RES/S-6/1.
198 Comme l’ont noté trois éminents publicistes, « [c]urieusement, la majeure partie de l’abondante doctrine consacrée aux différents aspects de l’occupation [israélienne] concerne le respect ou le non-respect par Israël de ses obligations en tant que puissance occupante ; pratiquement aucune attention n’a été accordée à la question de la licéité de l’occupation proprement dite », voir Orna Ben-Naftali, Aeyal Gross et Keren Michaeli, « Illegal Occupation: Framing the Occupied Palestinian Territory », Berkeley Journal of International Law, vol. 23, p. 551-552 (2005).
199 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 3414 (XXX) du 5 décembre 1975, intitulée « La situation au Moyen-Orient », doc. A/RES/3414 (XXX), par. 1-2 (pièce no 563 du dossier). L’occupation israélienne a aussi été qualifiée d’« illégale » dans d’autres résolutions ultérieures de l’Assemblée générale. Voir, par exemple, résolutions 32/20 (1977), 33/29 (1978), 34/70 (1979), 35/122E (1980), 35/207 (1980) et 36/147E (1981).
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92. Les positions exposées dans la présente section reposent sur l’assertion selon laquelle l’occupation israélienne des territoires palestiniens est un fait internationalement illicite distinct de la question de l’illicéité de certaines politiques et pratiques israéliennes dans les territoires occupés200. Comme on le verra plus loin, dans la section B, nombre des activités d’Israël dans les territoires occupés — telles que l’implantation de colonies de peuplement, l’expropriation de terres et de biens palestiniens, et la construction de routes de contournement et du mur de séparation — constituent, d’une part, des faits internationalement illicites emportant violation des obligations que le droit international humanitaire et les règles applicables du droit international des droits de l’homme mettent à la charge d’Israël en tant que puissance occupante, et, d’autre part, des violations composites du droit international contribuant à l’illicéité de l’occupation israélienne des territoires palestiniens201. Toutefois, outre ces violations spécifiques du droit international, l’occupation des territoires palestiniens par Israël constitue en soi un fait internationalement illicite pour les trois raisons susmentionnées202.
a) L’occupation des territoires palestiniens par Israël constitue une violation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien
93. Il n’est pas contesté que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est une règle de droit international général établie203. La Cour a affirmé à maintes reprises que le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était une obligation erga omnes204, la Commission du droit international ayant estimé qu’il s’agissait d’un principe qui avait acquis le statut de norme impérative du droit international205.
200 Comme l’a fait observer le spécialiste israélien Yael Ronen (« Illegal Occupation and its Consequences », Israel Law Review, vol. 41, p. 201, p. 205 (2008)), il est important de faire la distinction entre une « occupation qui s’accompagne d’une violation du droit international et une occupation qui repose sur une violation du droit international ».
201 Nations Unies, Commission du droit international (ci-après la « CDI »), articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État, doc. A/56/49 (« Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite »), art. 15.
202 Nations Unies, Assemblée générale, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, doc. A/72/556, 23 octobre 2017. Dans son rapport, le rapporteur spécial observe qu’« [é]tant donné la durée de l’occupation du territoire palestinien par Israël, qui a été jugée à bien des égards contraire au droit international, certains spécialistes du droit international se sont demandé s’il existait un seuil au-delà duquel une occupation autrefois considérée comme licite pouvait cesser de l’être ». Sur la base de cette observation, le rapporteur spécial a proposé les quatre critères d’appréciation suivants pour déterminer la licéité d’une occupation : i) l’occupant ne peut annexer aucune partie du territoire occupé ; ii) l’occupation de guerre est de nature provisoire; elle ne saurait s’étendre de manière permanente ou indéfinie. L’occupant est tenu de chercher à mettre fin à l’occupation et à remettre le territoire au dépositaire de sa souveraineté [aussi rapidement] qu’il est raisonnablement possible de le faire ; iii) pendant la durée de l’occupation, l’occupant agit dans l’intérêt de la population sous occupation ; et iv) l’occupant doit administrer de bonne foi le territoire occupé, dans le plein respect de ses devoirs et obligations découlant du droit international et de sa qualité de Membre de l’Organisation des Nations Unies.
De même, le professeur Aeyal Gross, universitaire israélien, a fait valoir que l’évaluation normative d’une occupation de guerre devait être réalisée sur la base de « trois critères connexes : 1) la non-acquisition de la souveraineté ; 2) la gestion du territoire dans l’intérêt de la population locale ; et 3) le caractère temporaire par opposition à une prolongation indéfinie », Aeyal Gross, The Writing on the Wall, p. 35 (2017).
203 Comme la Cour l’a fait observer dans son avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 31, par. 52, « [e]n outre l’évolution ultérieure du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il est consacré par la Charte des Nations Unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires ».
204 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 139, par. 180 ; Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
205 Nations Unies, CDI, projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), et commentaires y relatifs, doc. A/77/10, p. 92.
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94. Le droit à l’autodétermination est codifié dans plusieurs instruments, dont la Charte des Nations Unies206, le pacte international relatif aux droits civils et politiques et le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels207, et exprimé dans plusieurs déclarations adoptées par l’ONU208. Dans son avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, la Cour a précisé que ces résolutions avaient « un caractère déclaratoire s’agissant du droit à l’autodétermination »209.
95. Les Palestiniens constituent un « peuple » fondé à exercer son droit à l’autodétermination210. Comme l’a déclaré la Cour dans son avis consultatif sur le mur : « l’existence d’un “peuple palestinien” ne saurait plus faire débat »211. Nombre de résolutions adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies et d’autres organes de l’ONU ont aussi affirmé que le droit à l’autodétermination s’appliquait au peuple palestinien, ce qui incluait le droit pour celui-ci de créer son propre État souverain et indépendant212.
206 Aux termes de l’article premier de la Charte des Nations Unies, l’un des buts de l’Organisation des Nations Unies est de « [d]évelopper entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde » ; l’article 55 de la Charte Unies dispose quant à lui que, « [e]n vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront ».
207 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, RTNU, vol. 999, p. 171 (1966), art. premier ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, RTNU, vol. 993, p. 3 (1976), art. premier.
208 Au nombre desquelles figurent, en particulier, les résolutions 1514 (XV) du 14 décembre 1960 de l’Assemblée générale, intitulée « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », doc. A/RES/1514 (XV) ; 1541 (XV) du 15 décembre 1960, intitulée « Principes qui doivent guider les États Membres pour déterminer si l’obligation de communiquer des renseignements, prévue à l’alinéa e de l’Article 73 de la Charte, leur est applicable ou non », doc. A/RES/1541 (XV) ; 1803 (XVII) du 14 décembre 1960, intitulée « Déclaration relative à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles », doc. A/RES/1803 (XVII) ; et 2625 (XXV), supra, note 52 (pièce no 235 du dossier).
209 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 132, par. 152.
210 Sally Mallison et Thomas Mallison, « The Juridical Bases for Palestinian Self-Determination », Palestine Yearbook of International Law, vol. 1, p. 36, p. 44-46 (1984).
211 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 182-183, par. 118.
212 Le processus de reconnaissance du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, par opposition au droit au retour des réfugiés, a commencé avec la pièce no 945 du dossier : Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2535 (XXIV) du 10 décembre 1969, intitulée « Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient », doc. A/RES/2535 (XXIV) B, réaffirmant « les droits inaliénables du peuple de Palestine ». Celle-ci a été suivie par la pièce no 286 du dossier, résolution 2649 (XXV) du 30 novembre 1970, intitulée « Importance, pour la garantie et l’observation effectives des droits de l’homme, de la réalisation universelle du droit des peuples à l’autodétermination et de l’octroi rapide de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », doc. A/RES/2649 (XXV), qui exprime plus clairement le droit du peuple palestinien à l’autodétermination :
« 2. Reconnaît le droit qu’ont les peuples assujettis à une domination coloniale et étrangère, dans l’exercice légitime de leur droit à l’autodétermination, de solliciter et de recevoir tous types d’assistance morale et matérielle ; …, 4. Considère que l’acquisition et la conservation d’un territoire contrairement au droit à l’autodétermination du peuple de ce territoire est inadmissible et constitue une violation flagrante de la Charte ; 5. Condamne les gouvernements qui refusent le droit à l’autodétermination aux peuples auxquels on a reconnu ce droit, notamment les peuples d’Afrique australe et de Palestine ».
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96. Le droit à l’autodétermination s’exerce sur un territoire donné213. Les populations d’un territoire non autonome sont habilitées à déterminer librement leur statut politique en choisissant soit de créer un État souverain indépendant, soit de s’associer librement à un autre État indépendant, soit de s’intégrer à un autre État indépendant214. Dans le cas de la Palestine, il est généralement admis que le peuple palestinien est habilité à exercer son droit à l’autodétermination  y compris en créant son propre État souverain et indépendant  à l’égard des territoires occupés par Israël depuis la guerre des Six Jours.
97. Il est aussi établi en droit international que les États doivent s’abstenir de se livrer à des activités, en particulier coercitives, qui empêchent les peuples d’exercer leur droit à l’autodétermination215. Il convient de relever que l’expression « toute mesure de coercition » employée dans la résolution 2625 (XXV) ne se limite pas à l’emploi de la force militaire : est interdit tout usage de la contrainte, de la violence institutionnalisée ou de pratiques répressives qui empêche un peuple de déterminer librement son statut politique. Comme l’a noté le regretté juriste Antonio Cassese, « l’autodétermination est violée chaque fois qu’il y a invasion militaire ou occupation de guerre d’un territoire étranger »216.
98. À ce titre, et comme corollaire du droit à l’autodétermination, il est illicite au regard du droit international de compromettre ou de menacer l’unité ou l’intégrité du territoire à l’égard duquel un peuple est fondé à exercer son droit à l’autodétermination. Ce principe trouve son expression dans la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (1960), qui affirme que « [t]oute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations
De même, la pièce no 946 du dossier, Assemblée générale, résolution 2672 (XXV) du 8 décembre 1970, intitulée « Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, doc. A/RES/2672 (XXV) C, réaffirme « les droits inaliénables du peuple palestinien en Palestine, y compris : a) Le droit à l’autodétermination sans ingérence extérieure ; et b) Le droit à l’indépendance et à la souveraineté nationales ». Celle-ci a été suivie par la pièce no 1205 du dossier, résolution ES 7/2 du 29 juillet 1980, intitulée « Question de Palestine », doc. A/RES/ES-7/2, qui non seulement réaffirme le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, mais souligne aussi le droit de celui-ci de « créer son propre État souverain et indépendant ». Ces droits ont été réaffirmés dans de nombreuses résolutions adoptées au cours des décennies suivantes, dont l’une des dernières en date est la pièce no 381 du dossier, résolution 77/208 du 15 décembre 2022, intitulée « Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, doc. A/RES/77/208, qui, comme les résolutions précédentes, a réaffirmé « le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris son droit à un État de Palestine indépendant ». Voir également Assemblée générale, résolutions A/RES/76/150 (2021), A/RES/75/172 (2020), A/RES/74/139 (2019), A/RES/73/158 (2018), A/RES/72/160 (2017), A/RES/71/184(2016), A/RES/70/141 (2015), A/RES/69/165 (2014), A/RES/68/154 (2013), A/RES/67/158 (2012), A/RES/66/146 (2011), A/RES/65/202 (2010), A/RES/64/150 (2009), A/RES/63/165 (2008), A/RES/62/146 (2007), A/RES/61/152 (2006), A/RES/60/146 (2005) et A/RES/59/179 (2004).
213 Comme l’a noté le regretté professeur Cherif Bassiouni, (« Self-Determination and the Palestinians », American Journal of International Law, vol. 65, p. 34 (1971)) : « [d]ans l’abstrait, les peuples déterminent leurs objectifs indépendamment des limites géographiques ; toutefois, dans la pratique, [ce droit] ne peut être exercé qu’à l’intérieur d’un territoire donné pouvant acquérir les caractéristiques de la souveraineté, ce qui est une condition préalable à l’adhésion à la communauté des nations ». De même, comme expliqué dans la pièce no 1710 du dossier, rapport du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, M. John Dugard, sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, soumis conformément à la résolution 1993/2 A de la Commission, doc. E/CN.4/2004/6, septembre 2003, par. 15, « [l]e droit à l’autodétermination est étroitement lié à la notion de souveraineté territoriale. Un peuple ne peut exercer son droit à l’autodétermination qu’à l’intérieur d’un territoire donné ».
214 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1541 (XV), supra, note 208.
215 C’est ce que dit la résolution de l’Assemblée générale 2625 (XXV), supra, note 52 : tout État a le « devoir de favoriser, conjointement avec d’autres États ou séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes », et « [t]out État a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance les peuples mentionnés dans la formulation du principe de l’égalité de droits et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ».
216 Antonio Cassese, Self-Determination of Peoples: A Legal Reappraisal, p. 99 (1995).
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Unies »
217. En conséquence, il est illicite pour une puissance coloniale, administratrice ou occupante de détacher, d’annexer ou d’acquérir un territoire (ou une partie de territoire) ou d’établir de toute autre manière un contrôle permanent sur l’ensemble (ou une partie) du territoire à l’égard duquel un peuple est fondé à exercer son droit à l’autodétermination. Cela a été confirmé par la Cour dans son avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos :
« La Cour rappelle que le droit à l’autodétermination du peuple concerné est défini par référence à l’ensemble du territoire non autonome … Tant la pratique des États que l’opinio juris, au cours de la période pertinente, confirment le caractère coutumier du droit à l’intégrité territoriale d’un territoire non autonome, qui constitue le corollaire du droit à l’autodétermination … Les États n’ont cessé de souligner que le respect de l’intégrité territoriale d’un territoire non autonome était un élément clef de l’exercice du droit à l’autodétermination en droit international. La Cour considère que les peuples des territoires non autonomes sont habilités à exercer leur droit à l’autodétermination sur l’ensemble de leur territoire, dont l’intégrité doit être respectée par la puissance administrante. »218 (Les italiques sont de nous.)
99. À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi que cela a été exposé plus haut dans la section A, la Palestine dans son ensemble a été provisoirement reconnue comme une nation indépendante et placée sous le système des mandats de la Société des Nations en tant que territoire non autonome unique et non divisé, administré sous la tutelle du Royaume-Uni. Tout en tenant compte de l’engagement d’établir un foyer national juif en Palestine, qui avait été incorporé dans le mandat palestinien, c’est par référence au territoire tout entier que le peuple palestinien dans son ensemble était habilité à exercer son droit à l’autodétermination219. Toutefois, après l’adoption de la résolution 181 (II) de l’Assemblée générale, qui proposait la partition de la Palestine en trois unités territoriales (un État juif, un État arabe et la ville de Jérusalem), la création ultérieure de l’État d’Israël en 1948 et la conclusion des conventions d’armistice entre celui-ci et ses voisins arabes en 1949, la communauté internationale a progressivement reconnu que les territoires à l’égard desquels le peuple palestinien était habilité à exercer son droit à l’autodétermination étaient ceux occupés par Israël depuis le conflit armé de 1967.
100. Dans de nombreuses résolutions, les organes de l’ONU ont affirmé que les territoires occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, étaient des territoires occupés et que le peuple palestinien était habilité à exercer son droit à l’autodétermination à leur égard. Ainsi, l’Assemblée générale a déclaré ce qui suit dans sa résolution 58/292 :
« 1. Affirme que le statut du territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, reste un statut d’occupation militaire, et que, conformément aux règles et principes du droit international et aux résolutions pertinentes des Nations Unies, y compris celles du Conseil de sécurité, le peuple palestinien a le droit de disposer de lui-même et d’exercer sa souveraineté sur son territoire et qu’Israël, puissance
217 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1514 (XV), supra, note 208, par. 6.
218 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 134, par. 160.
219 Dans son rapport à l’Assemblée générale (doc. A/364, 3 septembre 1947), la Commission spéciale des Nations Unies pour la Palestine a observé au sujet du droit du peuple palestinien à l’autodétermination :
« 176. En ce qui concerne le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, s’il a été internationalement reconnu à la fin de la première guerre mondiale et s’il a été admis en ce qui concerne les autres territoires arabes à l’époque de la création des Mandats A, il ne s’appliquait pas à la Palestine, car on avait sans doute l’intention de permettre la création d’un foyer national juif dans ce pays. En fait, il est permis de dire que le foyer national juif et le Mandat conçu spécialement pour la Palestine vont à l’encontre de ce principe. »
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occupante, n’a que les devoirs et obligations qui incombent à une puissance occupante aux termes de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, et du Règlement annexé à la Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 ;
2. Se déclare déterminée à contribuer à ce que le peuple palestinien exerce ses droits inaliénables et à ce que soit trouvé un accord de paix négocié, juste et global au Moyen-Orient, aboutissant à l’existence de deux États viables, souverains et indépendants, Israël et la Palestine, sur la base des frontières d’avant 1967, vivant côte à côte en paix et en sécurité. »
101. L’Union africaine est d’avis que l’occupation de guerre par Israël de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est constitue un acte internationalement illicite à caractère continu qui viole l’obligation faite à Israël de ne pas priver le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination. Autrement dit, l’occupation israélienne proprement dite, indépendamment des politiques ou pratiques qui lui sont associées, telles que les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, constitue une mesure de coercition qui continue de priver le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination.
102. En outre, les politiques et pratiques israéliennes dans les territoires palestiniens occupés, telles qu’elles sont décrites plus loin dans la section B, considérées dans leur ensemble, sont des éléments constitutifs d’une violation composite de l’obligation faite à Israël de ne pas priver le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination. Par exemple, en ce qui concerne le mur de séparation, la Cour a reconnu dans son avis consultatif sur le mur que ces politiques et pratiques « dress[aient] [] un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination »220. De même, le Secrétaire général de l’ONU a estimé que la construction et l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est avaient conduit à une situation telle que « le territoire du peuple palestinien [était] divisé en enclaves excluant pratiquement toute continuité géographique », et que « [l]a fragmentation de la Cisjordanie compromet[tait] la possibilité pour le peuple palestinien d’exercer [son] droit à l’autodétermination par la création d’un État viable »221.
b) L’occupation prolongée des territoires palestiniens par Israël prive l’État de Palestine de sa pleine souveraineté, privant également le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination
103. L’occupation israélienne prolongée constitue aussi une violation de l’intégrité territoriale de l’État de Palestine, qu’elle prive de sa capacité d’exercer pleinement sa pleine souveraineté sur son territoire. Ce fait internationalement illicite prive en outre le peuple palestinien de sa capacité d’exercer son droit à l’autodétermination par la création d’un État de Palestine en mesure d’exercer une souveraineté complète sur son territoire222.
220 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 122.
221Rapport du Secrétaire général, intitulé « Les colonies de peuplement israéliennes dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/67/375, 18 septembre 2012, par. 11-13, où il est en outre relevé que les « [l]es colonies de peuplement [israéliennes] et les restrictions qui leur sont liées, dont l’effet est d’interdire aux Palestiniens l’accès à de vastes portions de la Cisjordanie, ne permettent pas au peuple palestinien d’exercer un contrôle permanent sur les ressources naturelles » (pièce no 62 du dossier).
222 Bien qu’il existe un lien entre ces deux violations des obligations juridiques internationales incombant à Israël, à savoir l’obligation de ne pas priver le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et celle de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’État de Palestine, cette sous-section est consacrée à cette dernière violation, en tant que fait internationalement illicite séparé et distinct.
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104. La présente sous-section ne s’attachera pas à déterminer si l’État de Palestine satisfait aux critères devant être remplis pour acquérir la qualité d’État selon les règles applicables du droit international coutumier, l’Union africaine n’étant pas habilitée à se prononcer sur cette question. Celle-ci observe cependant que, le 15 novembre 1988, le Conseil national palestinien a adopté la Déclaration d’indépendance de l’État de Palestine223. Depuis lors, la très grande majorité des États membres de l’Union africaine224, tout comme la majorité des États Membres de l’ONU, parmi lesquels des États de tous les groupes régionaux de l’Organisation, ont reconnu l’État de Palestine.
105. L’État de Palestine a le statut d’État membre ou d’État observateur au sein de nombreuses organisations internationales et régionales, y compris l’Union africaine. Il a également le statut d’État membre de plusieurs institutions spécialisées et d’entités de l’ONU, telles que l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO)225.
106. L’admission de l’État de Palestine, en tant qu’État membre ou État observateur, au sein de nombre d’entités, d’institutions spécialisées et d’organes subsidiaires de l’ONU, est la dernière initiative dans une longue série d’étapes franchies depuis plusieurs décennies pour permettre aux représentants du peuple palestinien d’accéder à l’ONU. En 1974, l’Assemblée générale a invité l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui avait été reconnue comme « le représentant du peuple palestinien », à participer à ses délibérations sur la question de Palestine226. La même année, elle a invité l’OLP à « participer aux sessions et aux travaux de l’Assemblée générale en qualité d’observateur » et décidé que l’OLP avait « le droit de participer en tant qu’observateur aux sessions et aux travaux de toutes les conférences internationales convoquées sous les auspices d’autres organes de l’Organisation des Nations Unies »227.
107. Après que l’État de Palestine eut proclamé son indépendance, l’Assemblée générale a pris acte de cette proclamation et affirmé qu’il était « nécessaire de permettre au peuple palestinien d’exercer sa souveraineté sur son territoire occupé depuis 1967 ». Elle a aussi décidé que « la désignation “Palestine” dev[]ait être employée au sein du système des Nations Unies au lieu de la désignation “Organisation de libération de la Palestine” »228. Dix ans plus tard, en 1998, elle a conféré à la Palestine « des droits et privilèges supplémentaires pour ce qui est de participer aux sessions et aux travaux de l’Assemblée générale et des conférences internationales convoquées sous les auspices de l’Assemblée ou d’autres organes de l’Organisation des Nations Unies, ainsi qu’aux conférences
223 Nations Unies, lettre datée du 18 novembre 1988 adressée au Secrétaire général par le représentant permanent de la Jordanie auprès de l’Organisation des Nations Unies, doc. A/43/827-S/20278.
224 À ce jour, 46 des 55 États membres de l’Union africaine reconnaissent l’État de Palestine.
225 Pour une liste complète des organisations régionales et internationales dont l’État de Palestine est membre, voir État de Palestine, ministère des affaires étrangères et des expatriés, qualité de membre de l’État de Palestine aux organisations internationales (« Membership of the State of Palestine in International Organizations »), accessible à l’adresse suivante : http://www.mofa.pna.ps/en-us/mediaoffice/membership-of-the-state-of-palestine-in-international-organizations-as-of-25-may-2018.
226 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 3210 (XXIX) du 14 octobre 1974, intitulée « Invitation à l’Organisation de libération de la Palestine », doc. A/RES/3210 (XXIX).
227 Ibid., résolution 3237 (XXIX) du 22 novembre 1974, intitulée « Statut d’observateur pour l’Organisation de libération de la Palestine », doc. A/RES/3237 (XXIX).
228 Ibid., résolution 43/177 du 15 décembre 1988, intitulée « Question de Palestine », doc. A/RES/43/177, (pièce no 398 du dossier).
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des Nations Unies »
229. Enfin, en 2012, l’Assemblée générale a accordé « à la Palestine le statut d’État non membre observateur auprès de l’Organisation des Nations Unies »230.
108. En outre, l’État de Palestine a conclu des traités bilatéraux avec de nombreux États de diverses régions231 et a adhéré à plusieurs traités multilatéraux portant sur un large éventail de questions, notamment les relations diplomatiques et consulaires232, les droits de l’homme233, le droit de la mer234, la protection de l’environnement235 ou encore la maîtrise des armements et le désarmement236, ainsi qu’au Statut de Rome de la Cour pénale internationale237.
109. Bien évidemment, la reconnaissance par les États ne confère pas à elle seule le statut d’État à l’entité qui se définit comme tel, pas plus que la reconnaissance ne confère la personnalité juridique internationale à un État238. Néanmoins, comme l’a expliqué le professeur Malcolm Shaw,
229 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 52/250 du 13 juillet 1998, intitulée « Participation de la Palestine aux travaux de l’Organisation des Nations Unies », doc. A/RES/52/250.
230 Ibid., résolution 67/19 du 4 décembre 2012, intitulée « Statut de la Palestine à l’Organisation des Nations Unies », doc. A/RES/67/19.
231 Voir, par exemple, accord entre le Gouvernement de la République sud-africaine et le Gouvernement de l’État de Palestine pour la mise en place d’une commission mixte de coopération (26 novembre 2014), RTNU, no 53393 ; accord entre le Gouvernement de la République sud-africaine et le Gouvernement de l’État de Palestine dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la formation (26 novembre 2014), RTNU, no 53394 ; accord entre la République argentine et l’État de Palestine relatif à l’éducation (20 mars 2019), RTNU, no 57208 ; « Agreement between the Government of the Republic of Turkey and the Government of the State of Palestine concerning the Reciprocal Promotion and Protection of Investments » [accord entre le Gouvernement de la République de Turquie et le Gouvernement de l’État de Palestine pour la promotion et la protection réciproques des investissements] (5 septembre 2018).
232 L’État de Palestine est partie aux conventions de Vienne sur les relations diplomatiques, et sur les relations consulaires, auxquelles il a adhéré le 2 avril 2014.
233 Par exemple, l’État de Palestine est partie aux instruments suivants : convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adhésion le 2 avril 2014 ; protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture, adhésion le 29 décembre 2017 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adhésion le 2 avril 2014 ; deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, adhésion le 18 mars 2019 ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adhésion le 2 avril 2014 ; convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adhésion le 2 avril 2014 ; convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adhésion le 2 avril 2014 ; convention relative aux droits de l’enfant, adhésion le 2 avril 2014 ; convention relative aux droits des personnes handicapées, adhésion le 2 avril 2014.
234 L’État de Palestine a adhéré le 2 janvier 2015 à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
235 Par exemple, l’État de Palestine est partie aux instruments suivants : convention sur la diversité biologique, ratification le 2 janvier 2015 ; convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, adhésion le 2 janvier 2015 ; convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, adhésion le 2 janvier 2015 ; convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, signature et ratification le 22 avril 2016.
236 Par exemple, l’État de Palestine est partie aux instruments suivants : convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, adhésion le 29 décembre 2017 ; traité sur le commerce des armes, adhésion le 29 décembre 2017 ; convention sur les armes biologiques, adhésion le 9 janvier 2018 ; convention sur les armes chimiques, adhésion le 17 mai 2018 ; convention sur certaines armes classiques, adhésion le 5 janvier 2015 ; convention sur les armes à sous-munitions, adhésion le 2 janvier 2015 ; convention sur la modification de l’environnement, adhésion le 29 décembre 2017 ; convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, adhésion le 29 décembre 2017 ; traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, adhésion les 10 et 12 février 2015 ; traité sur l’interdiction des armes nucléaires, ratification le 22 mars 2018.
237 L’État de Palestine a adhéré le 2 janvier 2015 au Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
238 Comme l’a expliqué Antonio Cassese, « [l]’acte de reconnaissance n’a pas d’effet juridique sur la personnalité internationale de l’entité : il ne confère pas de droits et n’impose pas d’obligations en soi ». Antonio Cassese, International Law, p. 74 (2e édition, 2005). De même, comme l’a fait observer Andrew Clapham dans James Brierly’s International Law, p. 151 (2014), la reconnaissance
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« la reconnaissance est une déclaration faite par une personne juridique internationale quant au statut en droit international d’une autre personne juridique internationale réelle ou alléguée ou de la validité d’une situation de fait donnée »
239.
110. À la lumière de ce qui précède, l’Union africaine considère que, de l’avis des États qui ont reconnu l’État de Palestine, lesquels constituent une majorité large et représentative des États Membres de l’ONU, parmi lesquels la très grande majorité des États membres de l’Union africaine, l’État de Palestine a satisfait aux critères devant être remplis pour acquérir la qualité d’État selon les règles applicables du droit international coutumier.
111. Dans ce contexte, il est établi que, au regard du droit international, les États n’ont pas l’obligation de reconnaître d’autres États ou d’autres entités se définissant comme des États. Toutefois, il est également établi en droit international que la non-reconnaissance d’un État ne prive pas cet État non reconnu des droits normalement accordés aux États conformément au droit international, et ne le libère pas des obligations que le droit international met à la charge des États. Au sujet des conséquences juridiques de la non-reconnaissance d’Israël par nombre de ses voisins arabes pendant plusieurs décennies, Ian Brownlie a fait observer que « peu nombreux [étaient] ceux qui consid[érai]rent que les voisins arabes d’Israël p[ouvai]ent se permettre de le traiter comme une non-entité : les organes de l’ONU et les États responsables estiment qu’Israël est protégé, et lié, par les principes de la Charte des Nations Unies régissant l’emploi de la force »240.
112. Cette obligation s’applique aussi à l’État de Palestine. Tous les États, y compris ceux qui, comme Israël, ne le reconnaissent pas, ont l’obligation, entre autres, de respecter sa souveraineté et son intégrité territoriale. En effet, comme l’a affirmé la Cour dans l’affaire du Détroit de Corfou, « le respect de la souveraineté territoriale est l’une des bases essentielles des rapports internationaux »241. L’Union africaine est donc d’avis que l’occupation prolongée des territoires palestiniens par Israël prive l’État de Palestine de sa pleine souveraineté sur ses territoires et constitue une violation de son intégrité territoriale.
113. À cet égard, l’article V de l’accord d’Oslo I énumérait un certain nombre de questions qui devaient être traitées dans le cadre des négociations sur le statut permanent, notamment Jérusalem, les implantations et les frontières. Le fait que les frontières entre l’État d’Israël et la Palestine soient restées sujettes à négociations ne saurait toutefois avoir une incidence sur la validité de la conclusion qui précède : si l’un des critères bien établis pour déterminer la qualité d’État est un territoire défini, il n’est cependant pas nécessaire que les frontières d’un État soient définitivement délimitées pour que celui-ci puisse satisfaire aux critères devant être remplis pour acquérir cette qualité242.
« ne crée pas juridiquement un État qui n’existait pas auparavant … La fonction première de la reconnaissance est d’accepter comme un fait quelque chose qui était jusqu’ici incertain, à savoir l’indépendance de l’entité se définissant comme un État, et de déclarer que l’État qui a fait cette reconnaissance est prêt à accepter les conséquences normales de ce fait — à savoir les égards, droits et obligations habituels découlant des relations internationales entre États. »
239 Malcolm Shaw, International Law, p. 330 (8e édition, 2017).
240 Ian Brownlie, Principles of International Law, p. 90 (7e édition, 2012).
241 Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 35.
242 Ainsi que la Cour l’a relevé dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 32, par. 46, « [a]ucune règle ne dispose par exemple que les frontières terrestres d’un État doivent être complètement délimitées et définies ».
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114. De la même façon, bien que des questions telles que le statut de Jérusalem et les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est doivent encore faire l’objet de négociations, l’occupation israélienne prolongée prive néanmoins l’État de Palestine de sa pleine souveraineté sur ses territoires et constitue une violation de son intégrité territoriale. En effet, comme on l’a vu plus haut, Israël n’a jamais détenu de titre valable sur les territoires palestiniens occupés depuis 1967, et ses politiques et pratiques qui constituent une annexion de facto ou de jure de ces territoires ne lui ont pas non plus conféré un tel titre ; lesdits territoires — c’est-à-dire la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza — sont des territoires occupés qui, en droit, font partie de l’État de Palestine243, bien que celui-ci soit dans l’incapacité d’y exercer pleinement sa souveraineté en raison de l’occupation israélienne.
115. Un dernier point doit être abordé ici. On pourrait soutenir qu’il est contradictoire d’affirmer, d’une part, que l’occupation des territoires palestiniens par Israël viole l’obligation incombant à celui-ci de ne pas priver le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, et, d’autre part, que l’occupation prolongée des territoires palestiniens par Israël viole la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’État de Palestine244. Toutefois, de l’avis de l’Union africaine, ces deux assertions ne sont pas contradictoires.
116. La création d’un État souverain indépendant est l’un des mécanismes dont dispose un peuple pour exercer son droit à l’autodétermination245. Le peuple palestinien, par l’intermédiaire de l’OLP, qui est universellement reconnue comme son représentant légitime, a choisi d’exercer son droit à l’autodétermination en créant un État souverain et indépendant. Au cours des décennies qui se sont écoulées depuis que l’État de Palestine a déclaré son indépendance en 1988, les représentants du peuple palestinien ont franchi des étapes importantes, au nombre desquelles figurent la mise en place de structures gouvernementales et l’exercice de son autorité gouvernementale sur certaines zones des territoires occupés, étapes qui, de l’avis de l’écrasante majorité des États membres de l’Union africaine et d’une majorité d’autres États et d’autres personnes juridiques internationales, signifient que la Palestine satisfait aux critères devant être remplis pour acquérir la qualité d’État selon le droit international coutumier.
117. Cependant, en raison de la poursuite de l’occupation des territoires palestiniens par Israël, ainsi que des politiques et pratiques qui y sont associées, l’État de Palestine est privé de sa capacité d’exercer pleinement sa souveraineté sur ses territoires. Il s’agit d’un fait internationalement illicite à caractère continu, qui est distinct des autres violations du droit international imputables à l’État d’Israël.
243 Lorsqu’il a saisi la Cour pénale internationale de la situation dans les territoires palestiniens occupés, l’État de Palestine a déclaré ce qui suit : « L’État de Palestine comprend le territoire palestinien occupé en 1967 par Israël, tel que défini par la ligne d’armistice de 1949, et comprend la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et la bande de Gaza ». Voir État de Palestine, Referral by the State of Palestine Pursuant to Articles 13(a) and 14 of the Rome Statute [renvoi adressé par l’État de Palestine conformément aux articles 13 (al. a) et 14 du Statut de Rome], 15 mai 2018, par. 9.
244 Au sujet des spécialistes qui ont soutenu que la Palestine satisfaisait aux critères devant être remplis pour acquérir la qualité d’État, le regretté professeur et juge James Crawford, supra, note 172, p. 122-123, a écrit que :
« Le point essentiel est assurément qu’un processus de négociation destiné à atteindre des objectifs définis et acceptables est toujours en place, même s’il demeure précaire. Selon moi, prétendre qu’une partie a déjà ce à quoi elle aspire [à savoir la qualité d’État] déforme la réalité de la situation (si tel était le cas, pourquoi avoir cette aspiration ?) … Jusqu’à présent, le droit international a toujours établi une distinction entre le droit à l’autodétermination et l’acquisition effective de la qualité d’État, et ce, à juste titre. Même l’exercice de l’autodétermination externe ne doit pas nécessairement aboutir à l’indépendance ; d’autres résultats sont possibles. »
245 Voir Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1541 (XV), supra, note 208, principe VI.
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118. Compte tenu des circonstances historiques uniques de la question de la Palestine, le fait qu’Israël prive l’État de Palestine de la capacité d’exercer pleinement sa souveraineté sur ses territoires entrave aussi la capacité du peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination. À cet égard, bien que ces deux situations ne soient pas identiques, un parallèle peut être établi entre la procédure au sujet de l’archipel des Chagos et la question de la Palestine. Dans son avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, la Cour a conclu que l’archipel en question avait été illicitement détaché par le Royaume-Uni, ce qui signifiait que « le processus de décolonisation de Maurice n’a[vait] pas été validement mené à bien au moment de l’accession de ce pays à l’indépendance en 1968 »246. De la même manière, l’Union africaine est d’avis que l’occupation prolongée et continue des territoires palestiniens par Israël empêche l’État de Palestine d’exercer pleinement sa souveraineté sur l’ensemble du territoire sur lequel son peuple est fondé à exercer son droit à l’autodétermination.
c) L’occupation israélienne prolongée constitue une annexion des territoires palestiniens occupés, y compris de la ville sainte de Jérusalem, qui viole l’interdiction d’acquérir des territoires par la force
119. Le droit de l’occupation de guerre repose sur deux principes interdépendants. Le premier est qu'une occupation de guerre est une situation temporaire247 : la puissance occupante est autorisée à exercer son autorité et à prendre des mesures pour maintenir l’ordre public dans le territoire occupé, tout en respectant les lois établies du territoire occupé et en permettant aux populations de celui-ci de vivre normalement selon leur culture et leurs traditions248. Ce principe trouve son expression à l’article 43 du règlement de La Haye de 1907, qui se lit comme suit :
« L’autorité du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l’occupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays. »
120. Le second principe, corollaire du premier, est qu’une occupation de guerre ne confère pas à la puissance occupante un titre sur le territoire occupé, pas plus qu’elle ne porte atteinte à la
246 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 137, par. 174.
247 Voir Salvatore Fabio Nicolosi, « The Law of Military Occupation and the Role of De Jure and De Facto Sovereignty, Polish Yearbook of International Law, vol. 31, p. 165, p. 168 et 184 (2011), faisant valoir que le caractère temporaire est « l’aspect le plus important de l’occupation de guerre » et ajoutant que, « [p]our déterminer [la] licéité [de l’occupation], il convient d’évaluer sa conformité avec les deux principes essentiels de l’occupation militaire, à savoir l’inaliénabilité de la souveraineté légitime sur le territoire occupé et le caractère temporaire de l’occupation ».
248 Comme l’a relevé le CICR,
« [d]e manière générale, la IVe Convention de Genève protège la population civile en territoire occupé contre tout abus de la part de la Puissance occupante. Elle le fait notamment en garantissant que cette population ne fera l’objet d’aucune discrimination, qu’elle sera protégée contre toute forme de violence et que, en dépit de l’occupation et de la guerre, elle aura la possibilité de mener une vie aussi normale que possible, conformément à ses propres lois, à sa culture et à ses traditions. Si le droit humanitaire confère certains droits à la Puissance occupante, il impose également des limites à l’étendue de ses pouvoirs. N’étant que l’administrateur temporaire du territoire occupé, la Puissance occupante ne doit pas s’ingérer dans les structures économiques et sociales, l’organisation, le système juridique ou la démographie qui existaient préalablement à l’occupation. Elle doit également garantir la protection, la sécurité et le bien-être de la population qui vit sous occupation. Cela signifie que le développement normal du territoire doit être autorisé si l’occupation dure pendant une période prolongée. »
Voir conférence des Hautes Parties contractantes à la quatrième convention de Genève, déclaration du Comité international de la Croix-Rouge, 5 décembre 2001, accessible à l’adresse suivante : https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/ misc/5fzjsm.htm.
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souveraineté du détenteur légitime du titre sur le territoire occupé
249. Comme l’a observé Lassa Oppenheim,
« Il n’y a pas une once de souveraineté dans l’autorité de l’occupant, puisqu’il est aujourd’hui généralement admis que la souveraineté du gouvernement légitime, bien qu’elle ne puisse pas être exercée, n’est en aucune façon diminuée par la seule occupation militaire. »250 [Traduction du Greffe.]
121. Ces principes sont aussi une application de l’interdiction d’acquérir un territoire par la force, qui constitue une règle bien établie du droit international251. Comme l’a souligné un auteur, « un corollaire des articles 2 (par. 4), 51 et 24 (par. 2) de la Charte des Nations Unies est que l’acquisition de territoire par l’emploi de la force — que ce soit par une annexion unilatérale ou par un traité de paix imposé à l’État vaincu — est inadmissible, même si cet emploi est licite »252. Autrement dit, l’interdiction d’acquérir un territoire par la force est une règle qui ne souffre aucune exception, et cette règle s’applique à tous les cas d’occupation de guerre, y compris lorsqu’une telle occupation résulte d’un emploi de la force conforme aux règles applicables du jus ad bellum, y compris le droit de recourir à la force en légitime défense contre une attaque armée. En outre, l’interdiction d’acquérir un territoire par la force et, de fait, l’ensemble des règles régissant les situations d’occupation de guerre continuent de s’appliquer dans les cas où le statut du territoire en question est contesté253.
122. Dans ses questions, l’Assemblée générale n’a pas invité la Cour à se prononcer sur la licéité de l’emploi de la force par Israël pendant le conflit armé de 1967. Les archives historiques ont cependant démontré qu’Israël n’était alors pas fondé à recourir à la force armée au titre de la légitime défense. Elles ont également démontré que les États voisins d’Israël n’avaient pas l’intention de lancer une attaque armée contre lui durant cette période254.
249 Dinstein, supra, note 143, p. 58-59.
250 Lassa Oppenheim, « The Legal Relations between an Occupying Power and the Inhabitants », Law Quaterly Review, vol. 33, p. 363, p. 346 (1971).
251 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), par. 87. Voir aussi résolution de l’Assemblée générale 2625 (XXV), supra, note 52 :
« Le territoire d’un État ne peut faire l’objet d’une occupation militaire résultant de l’emploi de la force contrairement aux dispositions de la Charte. Le territoire d’un État ne peut faire l’objet d’une acquisition par un autre État à la suite du recours à la menace ou à l’emploi de la force. Nulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale. »
252 Sharon Korman, The Right of Conquest: The Acquisition of Territory by Force in International Law and Practice, p. 201 (1996). Voir aussi Robert Kolb, International Law on the Maintenance of Peace : Jus Contra Bellum, p. 346 (2018).
253 Commission des réclamations entre l’Érythrée et l’Éthiopie, sentence partielle, front central — Réclamations de l’Érythrée Nos 2, 4, 6, 7, 8 & 22, décision du 28 avril 2004, RSA, vol. XXVI, p. 155, par. 27-28 :
« [E]n droit international humanitaire coutumier, les dommages qu’une Partie à un conflit armé international cause illicitement à des personnes ou à des biens situés sur un territoire qui était administré pacifiquement par l’autre Partie à ce conflit avant son déclenchement sont des dommages dont la Partie qui les cause doit être responsable, et cette responsabilité n’est pas affectée par l’emplacement de la frontière entre les Parties qui sera susceptible d’être déterminé ultérieurement … Ces protections ne doivent pas être mises en doute au motif que les belligérants contestent le statut du territoire. »
254 John Quigley, chapitre « Israel’s Unlawful 1967 Invasion of Palestine », Prolonged Occupation & International Law (Susan Power & Nada Kiswanson, dir. publ.), 2023. Voir également John Quigley, The Six-Day War and Israeli Self-Defense (2013) ; Avi Shlaim & Wm. Roger Louis, The 1967 Arab-Israeli War: Origins & consequences (2012) ; Avi Shlaim, The Iron Wall, p. 252 et 257 (2014).
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123. En conséquence, l’Union africaine considère que la décision d’Israël d’employer la force pendant la guerre des Six Jours, qui a conduit à l’occupation des territoires palestiniens en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est, en sus de l’occupation de la péninsule du Sinaï en République arabe d’Égypte et des hauteurs du Golan en République arabe syrienne, était un fait internationalement illicite qui constituait un acte d’agression en violation de l’interdiction du recours à la menace ou à l’emploi de la force. Cette position a toujours été celle de l’Organisation de l’unité africaine, qui a déclaré à plusieurs reprises que la décision prise par Israël d’employer la force contre ses voisins arabes dans le conflit armé de 1967 constituait un acte d’agression255.
124. La communauté internationale a toujours affirmé que l’interdiction d’acquérir des territoires par la force s’appliquait à l’occupation israélienne des territoires palestiniens. En particulier, la résolution 242 du Conseil de sécurité (1967)256 a souligné « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre », affirmant qu’une « paix juste et durable au Moyen-Orient » devait être instaurée sur la base du principe du « [r]etrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit »257.
125 En outre, les politiques et pratiques d’Israël dans les territoires palestiniens occupés constituent une violation supplémentaire de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force. Ces politiques et pratiques démontrent qu’Israël a l’intention de conserver indéfiniment le territoire en cause par la voie d’un processus comprenant l’annexion de jure et de facto de ces zones258.
126. De même, en ce qui concerne Jérusalem-Est, Israël a adopté des politiques et des pratiques qui constituent une annexion de jure et de facto. Comme cela a été exposé plus haut, au lendemain du conflit armé de 1967, il a pris des mesures législatives et administratives qui ont incorporé Jérusalem-Est au territoire israélien. Il s’agit notamment de l’adoption, en 1967, de l’ordonnance sur la législation et l’administration et de l’ordonnance sur les municipalités, qui a été suivie, en 1980, par la promulgation de la loi fondamentale sur Jérusalem, en application de laquelle Jérusalem-Est a été officiellement annexée par Israël. Ces mesures législatives et administratives constituent des faits internationalement illicites qui équivalent à une annexion de jure des territoires palestiniens.
255 OUA, « Resolution on the Aggression Against the United Arab Republic [résolution sur l’agression contre la République arabe unie] », doc. AHG/Res.53 (V), cinquième session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement, Alger, Algérie, du 13 au 16 septembre 1968 (pièce AU-9) ; OUA, « Resolution on the Situation in the United Arab Republic [résolution sur la situation en République arabe unie] », doc. AHG/Res.57/Rev.1 (VI), sixième session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement, Addis-Abeba, Éthiopie, du 6 au 10 septembre 1969 (pièce AU-10) ; OUA, « Resolution on the Continued Aggression Against the United Arab Republic [résolution sur la poursuite de l’agression contre la République arabe unie] », doc. AHG/Res.63 (VII), septième session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement, Addis-Abeba, Éthiopie, du 1er au 3 septembre 1970 (pièce AU-11) ; OUA, « Resolution on the Continued Aggression Against the Arab Republic of Egypt [résolution sur la poursuite de l’agression contre la République arabe d’Égypte] », doc. AHG/Res.67 (IX), neuvième session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement, Rabat, Maroc, du 12 au 15 juin 1972 (pièce AU-12) ; OUA, « Resolution on the Continued Occupation by Israel of Part of the Territory of the Arab Republic of Egypt [résolution sur la poursuite de l’occupation par Israël d’une partie du territoire de la République arabe d’Égypte] », doc. AHG/Res.70 (X), dixième session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement, Addis-Abeba, Éthiopie, du 27 au 28 mai 1973 (pièce AU-13).
256 Supra, note 33.
257 D’aucuns ont soutenu que le libellé de la résolution 242 n’exigeait pas qu’Israël se retire de tous les territoires occupés depuis le conflit armé de 1967. Les archives historiques montrent toutefois que telle n’était pas l’intention des rédacteurs de la résolution. Au contraire, comme l’a noté lord Caradon, auteur principal de la résolution et représentant du Royaume-Uni, « il est nécessaire de répéter que le principe premier était l’“inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre”, ce qui signifiait que rien ne pouvait justifier l’annexion de territoires du côté arabe de la ligne de 1967 au seul motif qu’ils avaient été conquis lors de la guerre de 1967 » . Cité dans Michael Lynk, « Conceived in Law: The Legal Foundations of Resolution 242 », Journal of Palestinian Studies, vol. 37, p. 7, p. 12 (2007).
258 Voir Omar Dajani, « Israel’s Creeping Annexation », American Journal of International Law, vol. 111, p. 51-53 (2017).
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127. Qui plus est, Israël a pris des mesures, telles que l’expulsion de familles palestiniennes chrétiennes et musulmanes, l’expropriation de leurs biens, la restriction de l’accès à Jérusalem-Est, y compris à la vieille ville, et la poursuite de la construction des colonies de peuplement et des routes de contournement associées, qui visent toutes à modifier le caractère physique et la composition démographique de Jérusalem-Est259. Outre qu’elles peuvent être qualifiées de faits internationalement illicites au regard des règles applicables du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, ces politiques et pratiques, considérées dans leur ensemble, constituent un fait internationalement illicite à caractère composite qui s’inscrit dans une politique systématique visant à conduire à l’annexion de facto de Jérusalem-Est par Israël.
128. La communauté internationale a toujours exprimé la position selon laquelle ces politiques et pratiques israéliennes à Jérusalem-Est étaient illicites. Par exemple, dans sa résolution 252 (1968), le Conseil de sécurité a souligné qu’il considérait que « toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, y compris l’expropriation de terres et de biens immobiliers, qui tend[aient] à modifier le statut juridique de Jérusalem [étaient] non valides et ne [pouvaient] modifier ce statut »260. Cette initiative a été suivie par la résolution 267 (1969), dans laquelle le Conseil de sécurité a réaffirmé « le principe établi selon lequel l’acquisition de territoire par la conquête militaire [était] inadmissible », déclarant qu’il « [c]onfirm[ait] que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël qui [avaient] pour effet d’altérer le statut de Jérusalem, y compris l’expropriation de terres et de biens immobiliers, [étaient] non valides et ne [pouvaient] modifier ce statut »261. En 1980, le Conseil de sécurité a adopté les résolutions 476 et 478, qui ont réaffirmé le caractère non valide des politiques et pratiques israéliennes visant à altérer le statut de Jérusalem-Est, y compris l’adoption de la loi fondamentale262. L’Assemblée générale a elle aussi souligné l’illicéité de l’acquisition de territoire par la force et réaffirmé que Jérusalem-Est était un territoire occupé et que les mesures israéliennes visant à modifier le statut de la ville étaient nulles et non avenues263.
259 Voir Al-Haq, Occupying Jerusalem’s Old City: Israeli Policies of Isolation, Intimidation and Transformation (2019), accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/publications/15212.html.
260 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 252, supra, note 37, par. 2 (pièce no 1247 du dossier).
261 Ibid., résolution 267 du 3 juillet 1969, doc. S/RES/267 (pièce no 1253 du dossier). Voir également ibid., résolution 271 du 15 septembre 1969, doc. S/RES/271, qui a été adoptée à la suite de l’incendie criminel commis contre la sainte mosquée Al-Aqsa à Jérusalem le 21 août 1969 (pièce no 1254 du dossier). Voir également résolution 298 du 25 septembre 1971, doc. S/RES/298 (pièce no 1257 du dossier), dans laquelle le Conseil de sécurité a confirmé
« de la façon la plus explicite que toutes les mesures législatives et administratives prises par Israël en vue de modifier le statut de la ville de Jérusalem, y compris l’expropriation de terres et de biens, le transfert de populations et la législation visant à incorporer la partie occupée, sont totalement nulles et non avenues et ne peuvent modifier le statut de la ville ».
262 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 476 (pièce no 1273 du dossier) ; et 478 (pièce no 1274 du dossier), supra, note 39.
263 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 35/169 E du 15 décembre 1980, intitulée « Question de Palestine », doc. A/RES/35/169 E, par. 1-3 (pièce no 388 du dossier). Voir également ibid., résolution 42/209 du 11 décembre 1987, intitulée « La situation au Moyen-Orient », doc. A/RES/42/209 A-D (pièce no 577 du dossier), dans laquelle l’Assemblée générale
« 7. [d]éplore qu’Israël ne se conforme pas aux résolutions 476 (1980) et 478 (1980) du Conseil de sécurité, en date des 30 juin et 20 août 1980, et aux résolutions 35/207 et 36/226 A et B de l’Assemblée générale, en date des 16 décembre 1980 et 17 décembre 1981, estime que la décision d’Israël d’annexer Jérusalem et d’en faire sa “capitale”, ainsi que les mesures prises pour en modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure institutionnelle et le statut juridique sont nulles et non avenues et exige qu’elles soient rapportées immédiatement, et demande à tous les États Membres, aux institutions spécialisées et à toutes les autres organisations internationales de respecter la présente résolution et toutes les autres résolutions et décisions pertinentes. »
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129. En outre, Israël a récemment pris des mesures supplémentaires pour annexer de jure d’autres zones de Cisjordanie au-delà de Jérusalem-Est. Un accord a dernièrement été conclu au sein du Gouvernement israélien, en application duquel l’administration de portions importantes de la Cisjordanie sera transférée des forces armées israéliennes à une autorité civile264. Ce changement d’autorité administrante a été décrit comme constituant une annexion de jure des zones de Cisjordanie déjà sous contrôle militaire israélien, dont les plus importantes et les plus étendues sont les colonies établies par Israël dans la zone C265.
130. Outre les mesures de jure par lesquelles Israël a officiellement annexé certaines parties des territoires palestiniens occupés, y compris à Jérusalem-Est, d’autres politiques et pratiques montrent qu’Israël met en oeuvre une stratégie d’annexion de facto de portions importantes de ces territoires.
131. La notion d’annexion de facto a été reconnue dans l’avis consultatif sur le mur, la Cour ayant mis en garde contre la possibilité que la construction du mur de séparation « crée[] sur le terrain un “fait accompli” qui pou[v]ait fort bien devenir permanent, auquel cas, et nonobstant la description officielle qu’Israël donne du mur, la construction de celui-ci équivaudrait à une annexion de facto »266.
132. Le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 a expliqué que l’expression « annexion de facto »
« décrit généralement les mesures prises par un État pour s’attacher, souvent indirectement et par des mesures progressives, à renforcer un cadre législatif, politique, institutionnel et démographique dont il entend se prévaloir par la suite pour revendiquer la souveraineté sur un territoire acquis par la force ou la guerre, mais sans déclaration officielle d’annexion »267.
133. De même, la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël a appliqué la notion d’annexion de facto à la situation dans les territoires palestiniens occupés. Sur la base de son enquête et de son analyse des politiques et pratiques israéliennes, elle a indiqué ce qui suit :
« 75. …[L]’occupation israélienne du territoire palestinien est aujourd’hui illégale au regard du droit international en raison de sa permanence et des mesures mises en oeuvre par Israël pour annexer de facto et de jure certaines parties de ce territoire…
264 Dan Williams, « Israeli Pro-Settler Minister Formally Gains West Bank Powers » [Un ministre israélien pro-colons obtient officiellement les pouvoirs en Cisjordanie], Reuters, 23 février 2023.
265 Pour une explication et des illustrations sur les conséquences de ce changement, voir Michael Sfard, « Israel is Officially Annexing the West Bank », Foreign Policy, 8 juin 2023, accessible à l’adresse suivante : https://foreignpolicy .com/2023/06/08/israel-palestine-west-bank-annexation-netanyahu-smotrich-far-right/ ; Dhalia Scheindlin & Yael Berda, « Israel’s Annexation of the West Bank has Already Begun », Foreign Affairs, 9 juin 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.foreignaffairs.com/israel/israels-annexation-west-bank-has-already-begun ; Tamar Megiddo, Ronit Levine-Schnur & Yael Berda, Israel is Annexing the West Bank. Don’t be Misled by its Gaslighting, JustSecurity, 9 février 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.justsecurity.org/85093/israel-is-annexing-the-west-bank-dont-be-misled-by-its-gaslighting/.
266 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 121.
267 Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, doc. A/73/447, 22 octobre 2018, par. 29 (pièce no 1425 du dossier).
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76. La Commission conclut qu’Israël considère l’occupation comme une situation permanente et qu’il a — à toutes fins utiles — annexé des parties de la Cisjordanie, tout en invoquant pour se justifier le caractère temporaire de la situation, lequel n’est qu’une fiction. Israël a pris des mesures qui sont constitutives d’une annexion de facto, à savoir notamment : l’expropriation de terres et de ressources naturelles, l’établissement de colonies et d’avant-postes, l’application aux Palestiniens d’un régime d’aménagement et de construction restrictif et discriminatoire et l’application extraterritoriale de la législation israélienne aux colons israéliens en Cisjordanie…
77. L’attachement d’Israël à l’entreprise en question s’est traduit par une série de politiques destinées à soutenir et à étendre cette entreprise, qui ont eu des effets négatifs dans tous les domaines de la vie palestinienne. Il s’agit notamment d’expulsions, de déportations et de transferts forcés de Palestiniens à l’intérieur de la Cisjordanie, de l’expropriation, du pillage et de l’exploitation de terres et de ressources naturelles vitales, de restrictions des déplacements et du maintien d’un environnement coercitif dans le but de fragmenter la société palestinienne, d’inciter les Palestiniens à quitter certaines zones et de faire en sorte qu’ils soient incapables de réaliser leur droit à l’autodétermination. La Commission souligne que les activités des entreprises contribuent à l’expropriation et à l’exploitation par Israël des terres et des ressources palestiniennes et qu’elles facilitent le transfert de colons israéliens dans le Territoire palestinien occupé. »268
134. Enfin, d’un point de vue pratique, la question démographique conditionne le contrôle d’Israël sur les territoires palestiniens — que ce soit par une annexion de facto ou une annexion de jure. Comme l’a expliqué Merav Amir, « [l]a démographie est la principale pierre d’achoppement [pour achever l’annexion officielle] : près de trois millions de Palestiniens résident en Cisjordanie, et leur intégration dans la population israélienne devrait éroder la majorité juive de l’État — perspective que la plupart des Israéliens juifs redoutent »269. Autrement dit, les politiques et pratiques israéliennes procèdent du souhait d’Israël de conserver la plus grande superficie possible des territoires palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est avec le moins de Palestiniens possible.
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135. Dans le rapport qu’elle a soumis à l’Assemblée générale en 2022, la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël a estimé que « [l]a pratique et le droit internationaux n’établiss[ai]ent pas clairement le moment où une situation d’occupation belligérante devient illégale »270. D’éminents auteurs ont considéré que, bien que certaines politiques et pratiques israéliennes dans les territoires
268 Nations Unies, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, doc. A/77/328, 14 septembre 2022, par. 75-77 (pièce no 1408 du dossier).
269 Merav Amir, « Unfastening Israel’s Future from the Occupation: Israeli Plans for Partial Annexation of West Bank Territory », Antipode I (2023).
270 Nations Unies, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, supra, note 268, par. 8 (pièce no 1408 du dossier).
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occupés aient été systématiquement condamnées comme étant illicites, le statut et la licéité de l’occupation en tant que telle n’avaient pas fait l’objet d’une appréciation juridique systématique
271.
136. L’Union africaine a comblé cette lacune dans la présente section. Selon elle, l’occupation israélienne est illicite per se pour trois raisons : 1) l’occupation israélienne prive le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination ; 2) son caractère prolongé prive l’État de Palestine de sa pleine souveraineté, privant ainsi encore le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination ; et 3) l’occupation israélienne prolongée et les politiques et pratiques associées à cette occupation équivalent à une annexion de jure et de facto des territoires palestiniens.
B. Politiques et pratiques associées à l’occupation israélienne des territoires palestiniens qui constituent des faits internationalement illicites
137. Comme il a été exposé plus haut272, considérées dans leur ensemble, certaines politiques et pratiques associées à l’occupation israélienne des territoires palestiniens, en particulier le maintien, l’expansion et l’implantation de colonies de peuplement à Jérusalem-Est et en Cisjordanie constituent un fait internationalement illicite à caractère composite, qui prive le peuple palestinien de sa capacité d’exercer son droit à l’autodétermination, et l’État de Palestine de sa capacité d’exercer sa pleine souveraineté sur son territoire, entraînant l’annexion de jure et de facto des territoires palestiniens occupés.
138. Ces politiques et pratiques constituent également des faits internationalement illicites distincts et séparés, en violation des obligations spécifiques mises à la charge d’Israël en tant que puissance occupante.
139. En particulier, Israël viole le droit international par les politiques et pratiques suivantes : 1) la construction de colonies de peuplement à Jérusalem-Est et en Cisjordanie et leur expansion; 2) la construction de routes de contournement dans ces mêmes zones ; 3) l’extension du mur de séparation ; et 4) d’autres mesures telles que l’expropriation des terres et les politiques de zonage restrictives, les mesures visant à modifier la composition démographique et le caractère de la ville sainte de Jérusalem, ainsi que le contrôle des ressources en eau.
140. Avant de poursuivre, il est nécessaire de déterminer quelles règles du droit international sont applicables dans le contexte de l’occupation par Israël des territoires palestiniens.
141. Comme on l’a vu plus haut dans la section A, les territoires palestiniens occupés par l’État d’Israël relèvent du régime de l’occupation de guerre. Il s’agit donc de territoires auxquels s’applique le droit international humanitaire. En tant que puissance occupante, Israël a l’obligation de respecter les règles consacrées par la quatrième convention de Genève, en plus des règles de droit international coutumier applicables, telles que le règlement de La Haye de 1907273. Comme il a été dit plus haut, cela a été affirmée à maintes reprises par plusieurs organes de l’ONU274.
271 Voir supra, note 198, et paragraphe correspondant.
272 Supra, par. 102 et 127.
273 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 172, par. 89 ; et p. 177, par. 101.
274 Supra, par. 89.
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142. Israël est également tenu de respecter les droits de l’homme. Comme la Cour l’a souligné dans son avis consultatif sur le mur, « la protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en cas de conflit armé, si ce n’est par l’effet de clauses dérogatoires du type de celles figurant à l’article 4 du pacte international relatif aux droits civils et politiques »275. Le fait que le droit des droits de l’homme s’applique aux territoires palestiniens occupés a été réaffirmé par l’Assemblée générale276, le Conseil des droits de l’homme277, le Secrétaire général et le haut-commissaire aux droits de l’homme278.
1. Les colonies israéliennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie
143. Dans un rapport récemment présenté au Conseil des droits de l’homme, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) a constaté une augmentation substantielle des colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ainsi qu’un accroissement de la population dans ces colonies. Entre 2012 et 2022,
« la population des colonies en Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est, est passée de 520 000 personnes en 2012 à un peu moins de 700 000. La population vit dans 279 colonies israéliennes réparties en Cisjordanie, dont 14 colonies à Jérusalem-Est, soit une population totale de plus de 229 000 personnes. Parmi ces colonies, au moins 147 sont des avant-postes, qui sont illégaux même au regard du droit interne israélien »279.
144. Dans ce même rapport, le HCDH a également constaté une accélération du taux d’expansion des activités de colonisation : « L’expansion des colonies s’est poursuivie année après année au cours de la décennie » ; « [l]es données officielles sur les autorisations de construction de logements indiquent un taux trimestriel moyen de 763 unités … La colonisation de Jérusalem-Est et de ses environs s’est également poursuivie, menaçant de rompre le lien entre le sud et le nord de la
275 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 178, par. 106.
276 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 71/98 du 6 décembre 2016, intitulée « Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », préambule, doc. A/RES/71/98 (pièce no 831 du dossier) :
« Rappelant également le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention relative aux droits de l’enfant, et affirmant que ces instruments relatifs aux droits de l’homme doivent être respectés dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. »
277 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution 31/35 du 24 mars 2016, « Faire en sorte que les responsabilités soient établies et que justice soit faite pour toutes les violations du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », préambule, doc. A/HRC/RES/31/35 (pièce no 1461 du dossier) :
« Rappelant également la Déclaration universelle des droits de l’homme et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention relative aux droits de l’enfant … Affirmant que toutes les parties ont l’obligation de respecter le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme. »
278 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport intitulé « Colonies de peuplement israéliennes dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/HRC/34/39, 13 avril 2017) : « Il incombe à Israël de se conformer, dans le territoire palestinien occupé, aux obligations énoncées dans les sept principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qu’il a ratifiés. » (Pièce no 1568 du dossier.) Voir également ibid., rapport intitulé « Les colonies de peuplement israéliennes dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et dans le Golan syrien occupé », doc. A/HRC/25/38, 12 février 2014 (pièce no 1564 du dossier).
279 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport intitulé « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/HRC/52/76, 15 mars 2023 (pièce no 1574 du dossier).
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Cisjordanie et détachant encore davantage Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie »
280. Un rapport publié par l’Union européenne apporte des renseignements et un éclairage supplémentaires sur l’expansion continue des activités de peuplement israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est :
« Le nombre de projets de construction présentés pour les colonies (en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est) a fortement augmenté depuis 2017 et est en progression constante depuis 2019. La construction d’unités de logement a augmenté de 40 % en 2020 par rapport à 2019 (passant de 11 733 à 16 439) et de 10 % en 2021 (passant de 16 439 à 18 246). Le nombre d’appels d’offres a légèrement diminué entre 2020 et 2021 (passant de 3 841 à 3 784), mais reste relativement élevé par rapport aux années 2017, 2018 et 2019.
La progression des colonies en Cisjordanie, à l’exclusion de Jérusalem-Est, a connu un ralentissement en 2021. Alors que 13 992 unités (12 150 plans et 1 833 appels d’offres) étaient prévues 2020, 7 136 unités (3 645 plans et 3 491 appels d’offres) ont été proposées en 2021, ce qui représente une forte baisse.
C’est donc tout particulièrement la progression des unités de logement dans les colonies situées à Jérusalem-Est qui est sans précédent, et qui représente une grande partie du nombre total d’unités de logement proposées en 2021 … 14 601 unités de logement figuraient dans les plans directeurs proposés pour les colonies/enclaves israéliennes situées de l’autre côté de la Ligne verte à Jérusalem. »281
145. En sus des colonies, des « avant-postes » sont fréquemment établis par des ressortissants israéliens dans les territoires palestiniens occupés. Ces « avant-postes » sont, officiellement, illégaux au regard du droit israélien. En dépit de ce statut juridique interne, le HCDH a relevé que l’« [o]n compt[ait] actuellement 147 avant-postes en Cisjordanie, dont 78 ont été érigés depuis 2012. Sur ce nombre, 77 sont des “fermes”, dont 66 ont été créées au cours des dix dernières années »282.
146. La création et l’expansion de colonies et d’avant-postes sont activement soutenues par le Gouvernement israélien, qui a adopté un large éventail d’incitations et d’avantages, notamment en fournissant des infrastructures et services essentiels, conçus pour appuyer la création, le maintien et l’expansion des colonies et des avant-postes et pour encourager les Israéliens à s’installer dans ces colonies. Comme l’a noté l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem.
« depuis plus de 50 ans, tous les gouvernements israéliens encouragent ouvertement et officiellement les Juifs à s’installer dans les colonies et à développer leurs investissements dans ces colonies et leurs environs. Cette politique est mise en oeuvre en s’appuyant sur deux types d’avantages financiers et d’incitations : ceux consentis aux colons à titre individuel, et ceux accordés aux colonies, qui bénéficient d’un traitement préférentiel par rapport aux conseils locaux israéliens situés à l’ouest de la Ligne verte.
Les principaux avantages proposés sont les aides au logement. Celles-ci peuvent représenter des centaines de milliers de nouveaux shekels par foyer et permettre aux
280 Ibid., par. 6.
281 Union européenne, Bureau du représentant de l’Union européenne (Cisjordanie et bande de Gaza, UNRWA), « 2021 Report on Israeli settlements in the occupied West Bank, including East Jerusalem Reporting period janvier-December 2021 » [rapport 2021 sur les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est, période considérée janvier-décembre 2021], 20 juillet 2022, accessible à l’adresse suivante : https://www.eeas.europa.eu/sites/ default/files/documents/EU%20Settlement%20Report%202021.pdf.
282 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport intitulé « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », supra, note 279, par. 12.
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familles modestes d’acheter un logement. D’autres avantages, pouvant atteindre un million de nouveaux shekels par personne, sont accordés aux entrepreneurs et aux agriculteurs résidant dans les colonies et les avant-postes — qui peuvent avoir été créés sans autorisation officielle, mais presque toujours avec l’aide et le soutien de l’État. »
283
147. La consolidation du contrôle israélien sur Jérusalem-Est et sur de larges portions de la Cisjordanie est un objectif politique qu’Israël nourrit de longue date. Depuis les années qui ont immédiatement suivi le conflit armé de 1967, les commissions successivement créées par l’ONU pour enquêter sur les politiques et pratiques israéliennes dans les territoires occupés ont recueilli des renseignements permettant d’établir le modèle sous-tendant les activités israéliennes de colonisation, qui semblent viser à perpétuer le contrôle israélien sur les territoires occupés et, en particulier, sur Jérusalem-Est. En 1971, un comité spécial nommé par l’Assemblée générale pour enquêter sur les violations des droits de l’homme imputables à Israël du fait de ses politiques et pratiques dans les territoires occupés, a ainsi déclaré ce qui suit :
« Les éléments de preuve disponibles, notamment des témoignages concernant des annexions et l’établissement de colonies recueillis par le Comité spécial, appuient l’allégation selon laquelle le Gouvernement israélien poursuit dans les territoires occupés une politique d’annexion et d’établissement de colonies d’une manière calculée pour exclure toute possibilité de restitution aux propriétaires légitimes. Le Comité estime que l’annexion est plus solidement prouvée dans le cas de certaines régions, comme à Jérusalem par exemple, alors que, pour d’autres régions occupées à la suite des hostilités de juin 1967, les éléments de preuve permettent de conclure que, quel que soit l’objectif ultime de la politique d’Israël, le Gouvernement israélien se livre à des pratiques qui constituent des violations des droits de l’homme … toute tentative de la part du Gouvernement israélien d’appliquer une politique d’annexion et d’établissement de colonies équivaut à une négation des droits de l’homme fondamentaux des habitants locaux, notamment de leur droit à l’autodétermination et de leur droit de conserver la terre de leurs ancêtres, ainsi qu’à une répudiation, par le Gouvernement israélien, de normes reconnues de droit international. »284
148. De même, une commission créée en 1979 par le Conseil de sécurité pour examiner la situation relative aux colonies de peuplement israéliennes dans les territoires occupés a conclu ce qui suit :
« Bénéficiant du ferme soutien de différents groupements privés, la politique de colonisation est un programme gouvernemental officiel appliqué par un certain nombre d’organisations et de comités représentant aussi bien le gouvernement que le secteur privé à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël … [L]e Gouvernement israélien poursuit de
283 B’Tselem, « This is Ours – And This, Too » [C’est à nous – et cela aussi], mars 2021, p. 11, accessible à l’adresse suivante : https://www.btselem.org/sites/default/files/publications/202103_this_is_ours_and_this_too_eng.pdf
284 Nations Unies, Assemblée générale, rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme de la population des territoires occupés, doc. A/8389, 5 octobre 1971, par. 44 et 46 (pièce no 707 du dossier). L’année suivante, le même comité a réaffirmé sa conclusion sur les politiques et pratiques d’Israël en matière de colonies de peuplement dans les territoires palestiniens occupés : voir ibid, doc. A/8828, 9 octobre 1972), par. 83 (pièce no 708 du dossier), conclusion selon laquelle
« [d]es renseignements qu’il avait recueillis il ressortait que le Gouvernement israélien appliquait une politique tendant à modifier radicalement le caractère physique et la composition démographique de plusieurs secteurs du territoire occupé en éliminant progressivement et systématiquement tout vestige de la présence palestinienne ».
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propos délibéré, systématiquement et à grande échelle un processus d’implantation de colonies dans les territoires occupés, processus dont il porte l’entière responsabilité »
285
Ainsi qu’il a été exposé plus haut, à mesure que l’occupation se prolongeait, ces politiques et pratiques se sont poursuivies afin de créer une situation sur le terrain qui consolide l’annexion de jure et de facto par Israël de vastes zones des territoires palestiniens occupés.
149. Comme l’a expliqué le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, « [a]ucun pays ne crée d’implantations civiles dans un territoire occupé sans avoir de visées annexionnistes … Les activités israéliennes de peuplement ont toujours visé à établir sur le terrain une situation de souveraineté irréversible et à faire obstacle à l’autodétermination des Palestiniens »286. La Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël est parvenue à une conclusion similaire, constatant que
« l’expansion continue des colonies et des infrastructures connexes contribu[ait] activement à asseoir l’occupation et rend[ait] la “solution des deux États” de moins en moins viable. Cette stratégie a permis aux gouvernements israéliens successifs de maintenir un semblant d’accord avec la communauté internationale tout en laissant pratiquement inchangées ses politiques d’occupation permanente et d’annexion de facto »287.
150. Exprimant une fois de plus la préoccupation croissante de la communauté internationale face à l’expansion des colonies de peuplement israéliennes, le Conseil de sécurité a récemment publié une déclaration unanime de sa présidente, réaffirmant que « la poursuite des activités de peuplement israéliennes met[tait] gravement en péril la viabilité de la solution des deux États fondée sur les frontières de 1967 » et soulignant la nécessité pour toutes les parties de respecter leurs « obligations et engagements internationaux ; [le Conseil de sécurité] s’[est] opposé fermement à toutes les mesures unilatérales qui entravent la paix, notamment, entre autres, la construction et l’expansion de colonies de peuplement par Israël, la confiscation de terres palestiniennes et la “légalisation” des avant-postes de colonies, la destruction de maisons palestiniennes et le déplacement de civils palestiniens »288.
151. En dépit des condamnations internationales, de hauts responsables israéliens ont clairement exprimé, à plusieurs reprises, l’intention d’Israël de rendre irréversible la présence des colonies de peuplement et l’annexion de larges portions de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est qui en découle289. Par exemple, le 17 mai 2022, dans un discours prononcé devant les colons d’Elqana, le premier ministre de l’époque, M. Bennet, a souligné le caractère permanent des colonies : « Avec l’aide de Dieu, nous serons également présents aux célébrations des cinquantième, soixante-quinzième, centième, deux centième et deux millième anniversaires d’Elqana, au sein d’un
285 Nations Unies, Conseil de sécurité, rapport de la Commission créée en application de la résolution 446 (1979), doc. S/13450, 12 juillet 1979, par. 226 et 228 (pièce no 1263 du dossier).
286 Rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, supra, note 267, par. 49 (pièce no 1425 du dossier).
287 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, supra, note 268, par. 51 (pièce no 1408 du dossier).
288 Déclaration de la présidente du Conseil de sécurité, supra, note 86.
289 Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, supra, note 268, par. 52 (pièce no 1408 du dossier).
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État juif uni et souverain en Terre d’Israël »
290. En 2017, le premier ministre Benjamin Netanyahu a été encore plus explicite sur le caractère permanent de l’occupation israélienne de la Cisjordanie : « Nous sommes ici pour y rester éternellement. Il n’y aura plus de déracinement des colonies en Terre d’Israël … C’est notre terre »291.
152. L’Union africaine invite donc la Cour à conclure, comme celle-ci l’a fait dans son avis consultatif sur le mur, que « les colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est) l’ont été en méconnaissance du droit international »292. Cette conclusion était principalement fondée sur l’application du sixième alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève, qui interdit le transfert de la population de l’occupant dans les territoires qu’il occupe293. D’autres organes et organismes de l’ONU, dont le Conseil de sécurité294, l’Assemblée générale295 et le Conseil des droits de l’homme296, n’ont cessé de confirmer la conclusion rendue par la Cour en 2004.
290 Ibid., par. 53.
291 Noga Tarnopolsky, « Netanyahu says Israel won’t retreat on Jewish settlements: ‘We are here to stay forever », Los Angeles Times, 28 août 2017.
292 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 184, par. 120.
293 Le principe consacré au sixième alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève figure aussi dans d’autres instruments. Par exemple, l’alinéa a) du paragraphe 4 de l’article 85 du protocole additionnel I aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, auquel Israël n’est pas partie, dispose que « [l]e transfert par la Puissance occupante d’une partie de sa population civile dans le territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire, en violation de l’article 49 de la IVe Convention » sont considérés comme des infractions graves audit protocole. L’alinéa viii de la litt. b) du paragraphe 2 de l’article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale dispose également que « [l]e transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d’une partie de sa population civile, dans le territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire » constituent des crimes de guerre applicables aux conflits armés internationaux.
294 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 446 du 22 mars 1979, doc. S/RES/446, (pièce no 1262 du dossier), par. 1 et 3 :
« Considère que la politique et les pratiques israéliennes consistant à établir des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967 n’ont aucune validité en droit et font gravement obstacle à l’instauration d’une paix générale, juste et durable au Moyen-Orient. … Demande une fois de plus à Israël, en tant que Puissance occupante, de respecter scrupuleusement la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, de rapporter les mesures qui ont déjà été prises et de s’abstenir de toute mesure qui modifierait le statut juridique et le caractère géographique des territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, et influerait sensiblement sur leur composition démographique, et, en particulier, de ne pas transférer des éléments de sa propre population civile dans les territoires arabes occupés. »
Voir aussi, résolutions 452 (1979), 465 (1980) et 2334 (2016).
295 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 2253 (ES-V 1967), A/RES/2851 (XXVI), A/RES/3005 (XXVII), A/RES/3092 (XXVIII), A/RES/3240 (XXIX) et A/RES/3525 (XXX). Voir aussi : A/RES/31/106, A/RES/32/91, A/RES/33/113, A/RES/34/90, A/RES/35/122, A/RES/35/207, A/RES/36/147, A/RES/37/88, A/RES/37/222, A/RES/38/79, A/RES/38/166, A/RES/39/95, A/RES/40/201, A/RES/41/63, A/RES/42/160, A/RES/42/190, A/RES/43/58, A/RES/44/48, A/RES/45/74, A/RES/45/130, A/RES/46/47, A/RES/46/82, A/RES/46/162, A/RES/46/199, A/RES/47/70, A/RES/48/41, A/RES/49/36, A/RES/50/29, A/RES/51/135, A/RES/51/132, A/RES/51/133, A/RES/51/223, A/RES/52/67, A/RES/52/65, A/RES/53/56, A/RES/53/57, A/RES/55/61, A/RES/55/62, A/RES/ES-10/6, A/RES/ES-10/7, A/RES/ES-10/6, A/RES/ES-10/9, A/RES/ES-10/16, A/RES/57/127, A/RES/58/96, A/RES/59/123, A/RES/59/121, A/RES/60/108, A/RES/60/106, A/RES/62/84, A/RES/62/109, A/RES/63/98, A/RES/64/91, A/RES/64/94, A/RES/65/17, A/RES/66/18, A/RES/66/76, A/RES/66/225, A/RES/66/77, A/RES/66/78, A/RES/69/90, A/RES/69/91, A/RES/69/92, A/RES/70/88, A/RES/70/90, A/RES/71/95, A/RES/71/96, A/RES/71/97 et A/RES/71/98.
296 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolutions A/HRC/RES/2/4|A/HRC/2/9, A/HRC/RES/7/18, A/HRC/RES/10/18, A/HRC/RES/13/7, A/HRC/RES/19/17, A/HRC/RES/22/29, A/HRC/RES/25/29, A/HRC/RES/28/27, A/HRC/RES/31/34, A/HRC/RES/34/30, A/HRC/RES/34/31, A/HRC/RES/37/35, A/HRC/RES/40/23, A/HRC/RES/46/3, A/HRC/RES/46/26, A/HRC/RES/49/4 et A/HRC/RES/52/3.
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153. Outre qu’elle constitue un fait internationalement illicite au regard des règles applicables du droit international humanitaire, l’expansion continue des colonies israéliennes existantes et la création de nouvelles colonies et d’avant-postes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est emportent violation des accords conclus entre l’État d’Israël et l’OLP. En effet, ces activités mettent en péril les questions désignées par l’accord d’Oslo I comme devant faire l’objet de futures négociations, notamment les questions se rapportant aux frontières297. De même, ces activités constituent une violation du paragraphe 7 de l’article XXXI de l’accord intérimaire israélo-palestinien sur la Rive occidentale et la bande de Gaza (également connu sous le nom d’« accord d’Oslo II »), conclu en 1995, qui dispose qu’« [a]ucune des deux Parties n’entreprend ni ne prend de mesure à même de modifier le statut de la Cisjordanie et de la bande de Gaza avant que les négociations sur le statut permanent n’aboutissent ».
154. Selon Antonio Cassese, ces dispositions des accords d’Oslo constituent un pactum de negotiando exigeant des deux parties qu’elles négocient de bonne foi en vue de parvenir à un accord et s’abstiennent « 1) d’avancer des excuses pour ne pas entamer ou mener à bien des négociations ; 2) de commettre des actes qui priveraient de son objet et de son but le futur traité »298.
155. Dans ce contexte, l’Union africaine estime que l’expansion continue des colonies israéliennes existantes et la création de nouvelles colonies et d’avant-postes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est sont des actes qui « prive[]nt de son objet et de son but le futur traité »299 concernant les questions sur le statut permanent.
156. En effet, comme il a été exposé plus haut, les activités de colonisation israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est s’inscrivent dans une politique plus large d’annexion de jure et de facto de vastes zones des territoires palestiniens occupés, ce qui compromet toute future négociation avec l’État de Palestine. L’Union africaine considère en outre que la création, le maintien et l’expansion de colonies de peuplement et d’avant-postes, pris ensemble, constituent des faits internationalement illicites à caractère composite qui contribuent à perpétuer l’occupation par Israël de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, privant ainsi l’État de Palestine de sa capacité d’exercer sa pleine souveraineté sur son territoire, en plus de priver le peuple palestinien de sa capacité d’exercer son droit à l’autodétermination.
297 Supra, par. 113.
298 Antonio Cassese, « The Israel-PLO Agreement and Self-Determination », European Journal of International Law, vol. 4, p. 564 et 567 (1993).
299 Comme l’a fait observer Geoffrey Watson, The Oslo Accords, p. 135-136 (2000),
« [c]ertes, cette disposition [le paragraphe 7 de l’article XXXI de l’accord d’Oslo II] interdit toute nouvelle construction importante de colonies en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, puisque l’expansion des logements juifs tend à changer le “statut” de cette région en la rendant davantage susceptible de rester aux mains des Israéliens. Les colonies ont en grande partie pour but d’augmenter la probabilité que la zone ainsi peuplée puisse avoir le “statut” de territoire israélien. Seule une lecture extrêmement formaliste du mot “statut” permettrait à Israël de construire de vastes nouvelles colonies au prétexte qu’elles ne modifient en rien le “statut” des territoires. … Il existe d’autres arguments, structurels, selon lesquels les accords d’Oslo limitent les activités de colonisation. Le processus de redéploiement, par exemple, implique qu’Israël cessera de construire de nouvelles colonies en Cisjordanie. L’objectif de ces dispositions est de réduire, et non d’étendre, la présence israélienne en Cisjordanie. De même, l’accord intérimaire fait référence aux colonies existantes ; ajouter de nouvelles colonies, ou étendre celles qui existent déjà, c’est modifier les fondements factuels de l’accord entre les parties. »
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2. Les routes de contournement israéliennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie
157. En sus de créer des colonies de peuplement et des avant-postes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, et d’étendre les colonies et les avant-postes qui existent déjà, Israël continue d’entretenir et d’étendre un réseau de routes dites de contournement. Comme leur nom l’indique, ces routes sont destinées à relier les colonies israéliennes entre elles et à Israël en contournant les agglomérations palestiniennes. Selon le HCDH,
« Israël a dépensé des milliards de dollars pour consolider les blocs de colonies avec des réseaux de routes dites de contournement, conçues pour contourner la présence palestinienne en Cisjordanie. Un document de planification israélien de 1997 explique que les routes séparées constituent un modèle de planification privilégié parce qu’elles apportent une meilleure solution à la question de la ségrégation. En effet, certaines routes sont réservées à l’usage des Israéliens et permettent de séparer les voyageurs juifs des voyageurs palestiniens. Même lorsque les Palestiniens sont autorisés à circuler sur certaines routes, celles-ci sont principalement conçues pour relier les colonies et les avant-postes entre eux, à Israël et à Jérusalem.
En outre, un vaste système de points de contrôle et de barrages routiers permet à Israël de contrôler l’accès aux routes de contournement et aux principales artères en Cisjordanie. En outre, certaines routes segmentent les provinces palestiniennes en enclaves isolées de groupes de villages, entravant la connectivité et limitant les déplacements des Palestiniens en Cisjordanie d’une manière qui porte gravement atteinte à leur liberté de circulation et à leur accès à des moyens de subsistance et à des services, ce qui a des conséquences préjudiciables. »300
158. En plus de relier les colonies israéliennes entre elles et à Israël, et de faciliter ainsi la poursuite de l’expansion des activités de colonisation israéliennes, nombre de ces routes de contournement ont encerclé les centres urbains palestiniens à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, isolant ainsi les villes palestiniennes et empêchant leur expansion naturelle. Comme l’a expliqué l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem,
« [c]ontrairement à l’objectif habituel des routes, qui sont un moyen de relier les gens aux lieux, les routes qu’Israël construit en Cisjordanie sont parfois destinées à atteindre le but opposé. Certaines nouvelles routes en Cisjordanie ont été conçues pour placer une barrière physique visant à étouffer le développement urbain palestinien. Ces routes empêchent la réunion naturelle des communautés et la création d’un cadre bâti palestinien contigu dans les zones où Israël veut maintenir le contrôle, soit pour des raisons militaires, soit à des fins de colonisation. »301
159. Les routes de contournement israéliennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie sont souvent bordées de part et d’autre par une zone tampon de 50 à 70 mètres302. Cela augmente le nombre des biens privés expropriés et détruits, ainsi que la portion du territoire palestinien expropriée par les autorités israéliennes afin de construire ces routes.
300 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport intitulé « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », supra, note 279, par. 9.
301 B’Tselem, Forbidden Roads: Israel’s Discriminatory Road Regime in the West Bank, août 2004, p. 6.
302 Nations Unies, Assemblée générale, rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, rapport intitulé « Question de la violation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, y compris la Palestine » (doc. A/56/440, 1er octobre 2001), par. 19 (pièce no 1409 du dossier).
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160. L’Union africaine considère que l’entretien et la poursuite de la construction par Israël d’un réseau de routes de contournement à Jérusalem-Est et en Cisjordanie constituent des faits internationalement illicites à caractère continu303. Ces activités emportent violation des articles 43304, 46305 et 52306 du règlement de La Haye de 1907, ainsi que des articles 49307, 52308 et 53309 de la quatrième convention de Genève. Plus précisément :
a) En entraînant des expropriations et en bloquant l’accès à la terre et aux ressources en eau, le réseau israélien de routes de contournement a conduit à une augmentation des taux de chômage parmi les habitants palestiniens des territoires occupés, ce qui constitue une violation de l’article 52.
b) L’expropriation de terres et la destruction de biens qui en résultent sont aussi inutiles aux opérations militaires, ce qui constitue une violation supplémentaire de l’article 53.
c) En outre, les routes de contournement se sont révélées indispensables à l’expansion des colonies de peuplement israéliennes dans les territoires occupés, contribuant ainsi à la violation de l’article 49 de la quatrième convention de Genève.
De l’avis de l’Union africaine, le réseau israélien de routes de contournement équivaut donc à une « destruction et [à une] appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle », au sens de l’article 147 de la quatrième convention de Genève relatif aux infractions graves.
161. En outre, ces routes de contournement, prises ensemble, constituent des faits internationalement illicites à caractère composite qui contribuent à la fragmentation accrue des territoires palestiniens en cantons disjoints. Outre qu’elle prive encore davantage l’État de Palestine de sa capacité d’exercer sa pleine souveraineté sur un territoire contigu, contribuant ainsi à priver le peuple palestinien de sa capacité d’exercer son droit à l’autodétermination, la construction de routes de contournement participe à l’annexion de facto et de jure des territoires palestiniens occupés.
303 Samira Shah, « On the Road to Apartheid: The Bypass Road Network in the West Bank », Columbia Human Rights Review, vol. 29, p. 221 (1997).
304 Aux termes de l’article 43 :
« L’autorité du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l’occupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays. »
305 Aux termes de l’article 46, « [l]a propriété privée ne peut pas être confisquée ».
306 Aux termes de l’article 52 :
« Des réquisitions en nature et des services ne pourront être réclamés des communes ou des habitants, que pour les besoins de l’armée d’occupation. Ils seront en rapport avec les ressources du pays et de telle nature qu’ils n’impliquent pas pour les populations l’obligation de prendre part aux opérations de la guerre contre leur patrie. »
307 Aux termes de l’article 49 (al. 6), « [l]a puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle ».
308 Aux termes de l’article 52, « [t]oute mesure tendant à provoquer le chômage ou à restreindre les possibilités de travail des travailleurs d’un pays occupé, en vue de les amener à travailler pour la Puissance occupante, est interdite ».
309 Aux termes de l’article 53 :
« Il est interdit à la Puissance occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers, appartenant individuellement ou collectivement à des personnes privées, à l’État ou à des collectivités publiques, à des organisations sociales ou coopératives, sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires. »
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162. En lien étroit avec l’entretien du réseau de routes de contournement et la poursuite de sa construction par Israël dans toute la Cisjordanie et à Jérusalem-Est, Israël a aussi mis en place des politiques et des pratiques qui imposent des restrictions draconiennes à la liberté de circulation des Palestiniens résidant dans ces zones. Ces politiques et pratiques comprennent des mesures administratives relatives à la délivrance de permis permettant aux Palestiniens de se déplacer en Cisjordanie, d’entrer à Jérusalem-Est et d’accéder à la « zone de jointure », zone située entre le mur de séparation et la Ligne verte.
163. La liberté de circulation des Palestiniens à l’intérieur des territoires occupés est encore restreinte par un système de postes de contrôle tenus par l’armée israélienne. Certains de ces postes sont fixes, tandis que d’autres sont mobiles et dispersés dans toute la Cisjordanie. Franchir ces postes de contrôle prend souvent beaucoup de temps et suppose de se plier à des contrôles de sécurité rigoureux et à la fouille minutieuse des véhicules, ce qui entraîne de longs retards. Israël exerce aussi un contrôle total sur les points d’entrée et de sortie à destination et en provenance de la Cisjordanie. Il a été indiqué que « [c]es restrictions de circulation port[ai]ent atteinte au droit de chacun à la santé, au travail, à l’éducation et à la vie de famille et cré[ai]ent une rupture des liens sociaux, économiques, culturels et familiaux. De telles violations portent également atteinte au droit des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes et à leur droit à un niveau de vie suffisant »310.
164. Il va sans dire que les restrictions israéliennes à la liberté de circulation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ne s’appliquent pas aux ressortissants israéliens, ni aux habitants des colonies israéliennes de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.
165. Ces politiques et pratiques constituent des actes internationalement illicites qui violent les obligations mises à la charge d’Israël par le droit international humanitaire et par le droit international des droits de l’homme. En particulier, ces politiques et pratiques — qui, compte tenu de leur ampleur, de leur permanence et de leur application discriminatoire, ne sauraient se justifier par des nécessités militaires ou des considérations de sécurité — emportent violation de l’article 27 de la quatrième convention de Genève311 et de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques312. En outre, elles sont incompatibles avec les obligations incombant à Israël aux termes de l’accord d’Oslo I, qui dispose que, « [s]ans déroger aux pouvoirs et responsabilités d’Israël en matière de sécurité conformément au présent accord, la circulation des personnes, des véhicules
310 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport intitulé « Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », doc. A/HRC/31/44, 20 janvier 2016, par. 11 (pièce no 1496 du dossier).
311 Aux termes de l’article 27, « [l]es personnes protégées ont droit, en toutes circonstances, au respect de leur personne, de leur honneur, de leurs droits familiaux, de leurs convictions et pratiques religieuses, de leurs habitudes et de leurs coutumes ». Comme il est expliqué dans les commentaires des conventions de Genève :
« En ce qui concerne le droit à la liberté personnelle et, notamment, le droit de libre circulation, il va de soi qu’il peut être soumis en temps de guerre à certaines limitations, commandées par les exigences de la situation. En ce qui concerne la population autochtone, il est certain que la liberté de mouvement des civils ennemis peut subir des restrictions, voire, si les circonstances l’exigent, être temporairement supprimée. C’est pourquoi ce droit ne figure pas parmi les droits absolus consacrés par la Convention. Cependant, cela ne signifie point qu’il soit, d’une façon générale, suspendu, tout au contraire, le statut d’occupation et celui des civils ennemis sur le territoire d’une Partie au conflit procède de l’idée que la liberté personnelle des personnes civiles doit rester, en principe, intacte. »
312 Aux termes de l’article 12, « [q]uiconque se trouve légalement sur le territoire d’un État a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence ».
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et des biens en Cisjordanie, entre les villes et villages et les camps de réfugiés, sera libre et normale, et ne devra pas nécessairement passer par des postes de contrôle ou des barrages routiers »
313.
3. Le mur de séparation israélien
166. Point n’est besoin de récapituler l’analyse juridique effectuée par la Cour dans son avis consultatif sur le mur sur la question de la licéité de la construction par Israël d’un mur de séparation à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Il suffit de dire qu’Israël a manqué à l’obligation qui lui était faite de cesser les travaux d’édification du mur de séparation et de démanteler celui-ci.
167. Selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires, le mur de séparation, qui est prévu pour s’étendre sur 713 kilomètres, a été érigé à ce jour à environ 65 %. Il incorporera effectivement à Israël plus de 85 % des habitants des colonies israéliennes de Jérusalem-Est et de Cisjordanie. Sur le plan territorial, une fois achevé, le mur de séparation isolera — et incorporera effectivement à Israël — plus de 9 % de la Cisjordanie314.
168. L’entretien de la barrière de séparation et la poursuite de sa construction ont aussi eu de graves répercussions sur tous les aspects de la vie des communautés palestiniennes. Comme l’a observé l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem,
« [l]orsqu’il a érigé la barrière, Israël a coupé les habitants de quelque 150 communautés palestiniennes de leurs terres — y compris des terres agricoles et des pâturages — ce qui signifie que ces communautés vivent désormais à l’est de la barrière alors que leurs terres se trouvent de l’autre côté, entre la barrière et la Ligne verte. Ce faisant, Israël a empêché des milliers de Palestiniens d’accéder librement à leurs terres et de les cultiver. Israël a installé 84 portes dans les sections achevées de la barrière pour permettre théoriquement aux propriétaires d’accéder à leurs terres. Dans la pratique, toutefois, les portes bloquent l’accès à celles-ci et servent essentiellement à sauver les apparences en donnant l’impression que la vie continue comme avant.
Ce ne sont pas seulement les terres que la barrière de séparation a coupées du reste de la Cisjordanie et de ses habitants. Quelque 11 000 Palestiniens vivent dans 32 communautés qui se trouvent aujourd’hui pris au piège entre la barrière de séparation et la Ligne verte. Ce chiffre n’inclut pas les Palestiniens vivant dans les zones annexées situées aux limites de la municipalité de Jérusalem. En conséquence, pour continuer à mener leur vie quotidienne  y compris aller au travail, rendre visite à des amis et à la famille, ou même faire leurs courses  les habitants doivent franchir des postes de contrôle tous les jours. Ces restrictions à la liberté de circulation limitent l’accès des populations rurales aux hôpitaux des villes voisines ; l’éducation en pâtit car de nombreux enseignants qui travaillent dans les écoles situées dans les enclaves vivent de l’autre côté de la barrière ; et l’impossibilité d’obtenir un permis de visite (à de très rares exceptions près) nuit grandement à aux liens amicaux ou familiaux. »315
313 Article IX, alinéa a) du paragraphe 2 de l’annexe I au protocole relatif au redéploiement et aux arrangements de sécurité [annexe en anglais seulement].
314 OCHA, « The Humanitarian Impact of 20 Years of the Barrier – December 2022 » [Les conséquences humanitaires de 20 années de barrière] (30 décembre 2022), accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/ content/humanitarian-impact-20-years-barrier-december-2022.
315 B’Tselem, The Separation Barrier, 11 novembre 2017, accessible à l’adresse suivante : https://www.btselem. org/separation_barrier
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169. L’entretien du mur de séparation et la poursuite de sa construction constituent un fait internationalement illicite à caractère continu qui emporte violation des règles du droit international citées par la Cour dans son avis consultatif sur le mur. En particulier, le mur de séparation viole plusieurs règles du droit international humanitaire, à savoir l’article 46 du règlement de La Haye de 1907 et les articles 47, 49, 52, 53 et 59 de la quatrième convention de Genève, ainsi que les règles applicables du droit international relatif aux droits de l’homme, y compris la liberté de circulation, et les droits fondamentaux au travail, à la santé, à l’éducation et à un niveau de vie suffisant.
170. En outre, l’entretien du mur de séparation et la poursuite de sa construction constituent, conjointement avec les autres politiques et pratiques israéliennes examinées dans la présente partie, un fait internationalement illicite à caractère composite qui prive le peuple palestinien de sa capacité d’exercer son droit à l’autodétermination, en plus de contribuer à l’annexion de facto et de jure de territoires palestiniens et de priver l’État de Palestine de sa capacité d’exercer pleinement sa souveraineté sur son territoire
4. L’expropriation de terres, les politiques de zonage restrictives et les mesures israéliennes visant à modifier la composition démographique et le caractère de la ville sainte de Jérusalem, ainsi que le contrôle par Israël des ressources en eau
171. Plusieurs autres politiques et pratiques d’Israël associées à son occupation des territoires palestiniens sont constitutives de violations du droit international. Bien qu’elles soient distinctes, ces violations restent liées et s’inscrivent en définitive dans une politique plus large visant à consolider l’occupation israélienne des territoires palestiniens, en particulier à Jérusalem-Est. Cela est d’autant plus pertinent que la première question de l’Assemblée générale porte sur les conséquences juridiques découlant des « mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ».
a) L’expropriation de terres, les politiques de zonage restrictives et les mesures israéliennes visant à modifier la composition démographique et le caractère de la ville sainte de Jérusalem
172. Il ressort d’un récent rapport établi par la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO) que les politiques et pratiques israéliennes dans les territoires palestiniens occupés s’inscrivent dans une « matrice de contrôle et de domination qui impose et enracine les “faits [démographiques et physiques] sur le terrain”, jetant les bases d’une éventuelle incorporation ou annexion à Israël de parties du territoire occupé et de ses ressources, tout en assurant l’assujettissement de la population palestinienne »316. Comme il est exposé dans la présente section, ces politiques et pratiques, qui sont appliquées de manière à soumettre systématiquement les Palestiniens et les communautés palestiniennes à une discrimination, comprennent l’exercice d’un contrôle sur les terres et les ressources naturelles, en particulier sur les ressources en eau, la mise en oeuvre de politiques de zonage et d’urbanisme discriminatoires, l’expropriation et la destruction de biens palestiniens et la restriction de la mobilité des Palestiniens par diverses mesures, dont un régime restrictif de permis d’accès.
316 Nations Unies, Conseil économique et social, Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, « Palestine Under Occupation III: Mapping Israel’s Policies and Practices and their Economic Repercussions in the Occupied Palestinian Territory » [Palestine sous occupation, IIIe partie : cartographie des politiques et pratiques israéliennes et de leurs répercussions économiques dans le territoire palestinien occupé] (doc. E/ESCWA/CL6.GCP/ 2021/3, 2022).
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173. Comme il a été exposé plus haut317, l’accord d’Oslo II a divisé la Cisjordanie, à l’exclusion de Jérusalem-Est, en trois zones. Les zones A et B représentent environ 40 % de la Cisjordanie, le reste relevant de la zone C. Dans la pratique, les politiques et pratiques de zonage israéliennes ont fermé la zone C au peuple palestinien et à l’Autorité palestinienne. Cela a été réalisé au moyen de divers mécanismes, notamment la classification en tant que « zones de tir », à des fins d’entraînement militaire, d’environ 18 % de la Cisjordanie, en particulier dans la vallée du Jourdain, et la désignation d’environ 10 % de la Cisjordanie comme réserves naturelles et sites archéologiques, la majeure partie de ce qui reste de la zone C étant désignée comme « terres d’État ». Les Palestiniens se voient refuser le droit d’accéder à ces territoires ou celui d’utiliser ces zones318. Le résultat global de ces politiques et pratiques israéliennes a été
« l’expropriation de plus de deux millions de dounoums de terres par Israël depuis 1967. Israël a exproprié des propriétaires de leurs terres dans toute la Cisjordanie à des fins diverses, notamment pour mettre en place des colonies, des zones industrielles, des terres agricoles et pastorales pour les colons, ainsi que des routes, en violation du droit international »319.
174. Israël a mis en oeuvre des politiques et des pratiques de zonage et d’utilisation des terres similaires dans Jérusalem-Est occupée. De fait, Jérusalem-Est est peut-être la zone des territoires palestiniens occupés où les principaux objectifs des politiques de zonage discriminatoires et des pratiques israéliennes d’expropriation et de destruction de biens sont les plus manifestes. Ces politiques et pratiques d’Israël témoignent d’une intention de modifier la composition démographique et le caractère de Jérusalem-Est occupée, afin de consolider davantage son contrôle sur la ville et d’asseoir son annexion de jure illicite. Comme on l’a vu plus haut, elles incluent l’expansion continue des activités de colonisation, qui visent non seulement à transférer plus de ressortissants israéliens juifs dans la région, mais aussi à encercler davantage Jérusalem-Est et à la déconnecter territorialement des territoires palestiniens environnants en Cisjordanie. Comme l’a récemment observé le HCDH,
« [l]e développement des colonies s’est poursuivi, le but étant de consolider une ceinture de colonies autour de Jérusalem-Est occupé[e] … La réalisation des projets de Giv’at Hamatos, de la zone E de Har Homa et de la zone E1 créerait une zone bâtie de colonies de peuplement israéliennes d’un seul tenant le long des partie sud et est de Jérusalem-Est, séparerait le nord et le sud de la Cisjordanie et isolerait Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie, ce qui compromettrait sérieusement la possibilité d’un État Palestinien viable et d’un seul tenant »320.
175. Ainsi que l’a observé le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, ces politiques et pratiques démontrent « les tentatives faites par Israël pour modifier de manière permanente le caractère palestinien de Jérusalem-Est et ouvrir la voie à une nouvelle expansion des colonies, cimentant ainsi davantage l’annexion
317 Supra, par. 85.
318 OCHA, « Restricting Space: The Planning Regime Applied by Israel in Area C of the West Bank », décembre 2009, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/restricting-space-planning-regime-applied-israel-area-c-west-bank.
319 Nations Unies, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, supra, note 268, par. 39 (pièce no 1408 du dossier). Un dounoum équivaut à un acre.
320 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport intitulé « Colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/HRC/49/85, 28 avril 2022, par. 6 (pièce no 1573 du dossier).
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israélienne »
321. De même, la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël a constaté que « [p]lus d’un tiers de la superficie de Jérusalem-Est a[vait] été expropriée pour la construction de colonies israéliennes, seulement 13 % de la zone annexée étant actuellement affectée à la construction de bâtiments palestiniens »322. La Commission a noté que l’emplacement de certaines nouvelles colonies de peuplement en cours de développement par Israël « rédui[sait] encore la probabilité de la fin de l’occupation et viol[ait] le droit des Palestiniens à l’autodétermination »323.
176. En outre, comme l’a relevé le HCDH dans un récent rapport,
« [l]a politique israélienne de zonage et d’aménagement à Jérusalem-Est est intrinsèquement discriminatoire … forçant des Palestiniens à fuir la communauté où ils sont implantés depuis des générations … Les autorités israéliennes n’ont alloué que 15 % de la zone annexée illégalement en 1967 à la construction de logements palestiniens, contre 38 % à la construction de colonies. D’après des données fournies par la municipalité de Jérusalem, les Palestiniens représentent 38 % de la population totale de la ville mais, entre 1991 et 2018, seuls 16,5 % des permis de construire octroyés l’ont été pour la construction d’habitations palestiniennes, essentiellement des projets individuels de faible envergure. À l’inverse, 37,8 % des permis délivrés l’ont été pour la construction de colonies à Jérusalem-Est. Cette stratégie d’aménagement discriminatoire, associée au coût et à la complexité des procédures, fait qu’il est quasiment impossible pour les habitants palestiniens d’obtenir des permis de construire. Par conséquent, à Jérusalem, au moins un tiers des habitations palestiniennes ont été construites sans un permis de construire délivré par les autorités israéliennes. »324
177. Dans un récent rapport, le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires a fourni un exemple illustrant les répercussions des politiques et pratiques de zonage discriminatoires pour les habitants palestiniens de Jérusalem-Est. Au premier trimestre de 2023, Israël a démoli ou forcé des personnes à démolir 79 structures à Jérusalem-Est. Toutes ces structures, sauf trois, ont été démolies au motif qu’Israël n’avait pas délivré de permis de construire. Il a été constaté que
« [l]e nombre de structures démolies a[vait] ainsi pratiquement doublé par rapport à la même période en 2022. En février, on a recensé le plus grand nombre de structures démolies à Jérusalem-Est en un seul mois depuis avril 2019 : 36 structures ont été détruites, contre 11 par mois en moyenne en 2022 … Environ 45 % des structures
321 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, intitulé « Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’accent étant mis sur le statut juridique des colonies de peuplement », doc. A/HRC/47/57, 29 juillet 2021, par. 18 (pièce no 1573 du dossier). Voir également, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, supra, note 268, par. 39 (pièce no 1408 du dossier).
322 Ibid., par. 14.
323 Ibid., par. 15.
324 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport intitulé « Colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/HRC/43/67, 30 janvier 2020, par. 41-42 (pièce no 1571 du dossier).
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démolies à Jérusalem-Est étaient des maisons, tandis que les structures agricoles ou liées à des moyens de subsistance en représentaient environ 55 % »
325.
178. L’expulsion des Palestiniens de Jérusalem-Est et la confiscation ou la destruction de leurs biens sont souvent entreprises au titre de deux lois israéliennes : la loi sur les biens des absents, et la loi sur les questions juridiques et administratives. Ces lois ont été appliquées de manière discriminatoire pour permettre l’expansion des colonies israéliennes dans la région et asseoir l’annexion illicite de Jérusalem-Est par Israël. Après avoir examiné ces textes, leur mode d’application et leurs conséquences sur les communautés palestiniennes de Jérusalem-Est, le Secrétaire général a conclu ce qui suit :
« Selon le droit international humanitaire, la propriété privée dans un territoire occupé doit être respectée et ne peut être confisquée par la Puissance occupante L’application de la loi sur les biens des absents et de la loi sur les questions juridiques et administratives à Jérusalem-Est semble incompatible avec cette obligation. Le droit international humanitaire exige également que la Puissance occupante respecte, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays. De plus, dans la pratique, les mesures prises par Israël facilitent le transfert par la Puissance occupante de sa population dans certaines parties du Territoire palestinien occupé. Le transfert d’une partie de la population civile d’une Puissance occupante dans le territoire qu’elle occupe est interdit par le droit international humanitaire et peut constituer un crime de guerre. En outre, les confiscations prévues par les lois sont fondées uniquement sur la nationalité ou l’origine du propriétaire, ce qui les rend intrinsèquement discriminatoires. »326
179. Les politiques de zonage et d’utilisation des terres dans la zone C sont tout aussi discriminatoires à l’égard des communautés palestiniennes et sont conçues pour soutenir l’expansion continue des colonies israéliennes en Cisjordanie. Dans cette zone, le zonage est régi par l’ordonnance militaire israélienne no 148, qui a largement exclu les communautés palestiniennes des processus décisionnels relatifs à l’aménagement urbain et au zonage. Il a été observé que
« [s]eul 1 % de la zone C [était] alloué au développement palestinien. La construction est fortement limitée dans 29 % de cette zone, l’utilisation et le développement palestiniens étant complètement interdits dans les 70 % restants. Les Palestiniens de la zone C doivent solliciter un permis de construire pour chaque structure, mais peu de demandes de permis aboutissent (1 %) en raison de la surface limitée allouée au développement (1 %). Entre 2010 et 2015, seulement 1,5 % des demandes de permis a été approuvé. Compte tenu de l’absence de plan d’urbanisme dans la plupart des zones palestiniennes et du taux élevé de refus de permis, les Palestiniens sont quasiment contraints de construire illégalement et courent donc le risque de voir leurs structures démolies. »327
325 OCHA, « West Bank Demolitions and Displacement (January – March 2023) » [Démolitions et déplacements en Cisjordanie (janvier-mars 2023)], accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/unispal/document/west-bank-demolitions-and-displacement-january-march-2023-ocha-quarterly-report/.
326 Nations Unies, Assemblée générale, rapport du Secrétaire général, intitulé « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, doc. A/75/376, 1er octobre 2020, par. 54 (pièce no 70 du dossier).
327 Marya Farah, « Planning in Area C: Discrimination in Law and Practice », Palestine-Israel Journal, vol. 21 (2016).
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180. L’Union africaine considère que les politiques de zonage discriminatoires adoptées par Israël sont des actes internationalement illicites qui emportent violation des dispositions pertinentes du règlement de La Haye de 1907, en particulier ses articles 43, 46, 47328, 52 et 53, ainsi que des dispositions pertinentes de la quatrième convention de Genève, en particulier ses articles 33329, 49, 52 et 53.
181. Les politiques et pratiques israéliennes de zonage et d’utilisation des terres à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, qui visent en fin de compte à asseoir et à perpétuer le contrôle d’Israël sur ces territoires palestiniens occupés, ont contribué à justifier les démolitions illégales de maisons et de biens palestiniens. Le HCDH a constaté que, entre 2012 et 2022,
« Israël a[vait] démoli 6 821 structures appartenant à des Palestiniens en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est (la zone C représentant 77 % des démolitions, Jérusalem-Est 21 %), entraînant l’expulsion forcée de 9 766 Palestiniens (5 036 enfants, 2 483 hommes et 2 247 femmes). Parmi les structures démolies, on compte 2 525 structures résidentielles, 1 502 structures financées par des donateurs au titre de l’aide humanitaire et 571 structures d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène. Vingt écoles ont été touchées par une démolition ou une confiscation, ce qui a perturbé la scolarité de 1 297 enfants. Toutes les démolitions, sauf 131, ont eu lieu dans la zone C ou à Jérusalem-Est, et toutes, sauf 146, ont été effectuées au motif qu’Israël n’avait pas délivré de permis de construire. »330
182. L’Union africaine considère que les démolitions de maisons palestiniennes et les confiscations de biens palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, qui ne sont pas justifiées par des nécessités militaires, sont des faits internationalement illicites qui emportent violation des dispositions pertinentes du règlement de La Haye de 1907, en particulier ses articles 43, 46, 47 et 52, et des dispositions pertinentes de la quatrième convention de Genève, en particulier ses articles 33, 49 et 53. Ces politiques et pratiques israéliennes équivalent aussi à « [une] destruction et [une] appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires », et donc à une grave violation de la quatrième convention de Genève. L’Union africaine est également d’avis que les politiques et pratiques israéliennes en matière de zonage, d’aménagement urbain et d’accès à la terre, ainsi que d’expropriation et de démolition de maisons et d’autres biens, constituent des actes internationalement illicites au regard des règles applicables du droit international des droits de l’homme331.
b) Le contrôle par Israël des ressources en eau
183. Les politiques et pratiques israéliennes relatives à la gestion et à l’utilisation des ressources en eau dans les territoires occupés sont également discriminatoires et ont eu des conséquences tout aussi négatives sur le peuple palestinien.
328 Aux termes de l’article 33, « [l]e pillage est interdit ».
329 Aux termes de l’article 47, « [l]e pillage est formellement interdit ».
330 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport intitulé « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », supra, note 279, par. 25 (pièce no 1574 du dossier).
331 Ces droits, consacrés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, supra, note 207, sont notamment la liberté de circulation, le droit au travail, le droit au logement et le droit à la propriété, le droit inhérent à la vie, le droit d’avoir une activité politique, le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, le droit à un niveau de vie suffisant et le droit de ne pas faire l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile.
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184. Israël a pris le contrôle des ressources en eau de la Cisjordanie par une série d’ordonnances militaires adoptées après la cessation des hostilités à la suite de la guerre des Six Jours332. Ces ordonnances, qui sont toujours en vigueur, régissent l’allocation des ressources hydriques à la population palestinienne en Cisjordanie, tandis que les colonies israéliennes et leur utilisation des ressources en eau sont régies par le droit israélien. Ces ordonnances militaires israéliennes ont fondamentalement modifié le régime juridique régissant l’utilisation des ressources en eau en Cisjordanie et à Jérusalem-Est : selon les lois antérieures à l’occupation appliquées par les autorités jordaniennes, l’eau était considérée soit comme la propriété privée des propriétaires fonciers, soit comme un bien sur lequel ces derniers avaient des droits acquis. Avec les ordonnances militaires israéliennes, toutes les ressources en eau de la Cisjordanie sont devenues des biens publics contrôlés et gérés par les autorités israéliennes. Depuis 1982, l’entreprise israélienne Mekorot, qui relève du ministère de l’énergie et du service des eaux israéliens, gère les systèmes d’approvisionnement en eau de la région333.
185. Le régime juridique et administratif de gestion des ressources hydriques cisjordaniennes instauré par Israël constitue le fondement des politiques et pratiques qui appuient et permettent l’expansion des activités de colonisation israéliennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Ce régime permet également à Israël de détourner les ressources hydriques cisjordaniennes pour qu’elles soient consommées sur le territoire israélien334.
186. En application des accords d’Oslo, qui, comme il a été exposé plus haut335, devaient s’appliquer à titre intérimaire jusqu’au résultat des négociations sur le statut permanent, Israël a conservé le contrôle des ressources hydriques cisjordaniennes. Cet accord a alloué 80 % des ressources en eau extraites de l’aquifère de Cisjordanie à l’usage d’Israël et 20 % à l’usage des Palestiniens. En conséquence, bien que les accords d’Oslo aient conféré à l’Autorité palestinienne des pouvoirs administratifs accrus dans les zones A et B des territoires palestiniens, la population palestinienne reste entièrement dépendante d’Israël pour son approvisionnement en eau.
187. Il a été constaté que les mécanismes administratifs de gestion des ressources en eau mis en place conformément aux accords d’Oslo étaient inéquitables et qu’ils étaient appliqués de manière discriminatoire à la population palestinienne en favorisant systématiquement Israël et les colons israéliens336. Ainsi qu’il ressort d’un récent rapport que le HCDH a soumis au Conseil des droits de l’homme,
332 Il s’agit notamment des ordonnances militaires nos 92 (1967), 158 (1967) et 291 (1968).
333 Jeffrey Dillman, « Water Rights in the Occupied Territories », Journal of Palestine Studies, vol. 19, p. 52-58 (1989).
334 « Permanent Sovereignty over National Resources in the Occupied Palestinian and Other Arab Territories, Report prepared pursuant to UN General Assembly resolution A/RES/38/144 », Journal of Palestine Studies, vol. 14, p. 173 (1985). Voir également Jamil Al-Hindi, « The West Bank Aquifer and Conventions Regarding Laws of Belligerent Occupation », Michigan Journal of International Law, vol. 11, p. 1400 (1990).
335 Supra, par. 113.
336 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, doc. A/HRC/22/63, 7 février 2013, par. 80-88 (pièce no 1563 du dossier). Amnesty International est parvenue à une conclusion similaire dans un rapport (« L’occupation de l’eau », 29 novembre 2017, accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2017/11/the-occupation-of-water/), observant
« une inégalité sidérante en termes d’accès à l’eau entre Israéliens et Palestiniens. La consommation d’eau des premiers est au moins quatre fois supérieure à celle des Palestiniens vivant dans les TPO, qui utilisent en moyenne 73 litres par personne et par jour, soit une quantité bien inférieure aux 100 litres minimum par personne recommandés par l’Organisation mondiale de la Santé ».
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« 27. [l]es dispositions des Accords d’Oslo relatives à l’approvisionnement en eau se sont révélées inéquitables. Cela tient non seulement au fait que la population palestinienne a doublé depuis la signature de ces accords, mais également au fait que l’application pratique des dispositions des Accords d’Oslo relatives à l’approvisionnement en eau a posé des problèmes de coordination et de collaboration entre les deux parties. Parmi les principaux problèmes signalés, on citera la réticence d’Israël à accepter les projets proposés par les Palestiniens, les difficultés techniques auxquelles se heurtent les Palestiniens qui cherchent à exploiter des ressources supplémentaires provenant de l’aquifère de l’est, les restrictions en matière de circulation et d’accès imposées par Israël et le fait que l’Autorité palestinienne n’a pas pris part aux travaux de la Commission mixte de l’eau pendant près de dix ans. Ces problèmes ont donné lieu à une répartition extrêmement inéquitable de l’eau puisque, selon des estimations de 2014, 87 % des eaux de l’aquifère de montagne étaient utilisées par les Israéliens et seulement 13 % par les Palestiniens.
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31. En outre, les autorités israéliennes soumettent les quelque 450 000 colons israéliens et les 2,7 millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie (à l’exclusion de Jérusalem-Est) à deux régimes juridiques distincts, ce qui donne lieu à des inégalités de traitement dans divers domaines, notamment l’accès à l’eau. L’implantation de colonies de peuplement israéliennes a eu une incidence importante sur l’accès des Palestiniens à leurs ressources naturelles, notamment en raison du détournement des ressources hydriques, y compris de la saisie de puits par des colons israéliens. Les colonies de peuplement israéliennes se sont accaparées de ressources naturelles en eau, en ont détruit ou ont empêché les Palestiniens d’y accéder. Elles se sont également appropriées des dizaines de sources d’eau palestiniennes avec l’aide de l’armée israélienne. Bien souvent, les Palestiniens qui ont perdu l’accès à ces sources dont ils étaient fortement ou complètement dépendants pour l’approvisionnement en eau potable et l’agriculture n’ont pas de raccordement à un réseau d’eau.
32. Mekorot donne la priorité aux colonies de peuplement israéliennes pour veiller à ce qu’elles soient constamment alimentées en eau, en particulier pendant les sécheresses estivales. Les communautés palestiniennes raccordées au réseau de Mekorot souffrent fréquemment de longues pénuries d’eau, tandis que les colonies avoisinantes ne font généralement face à aucune restriction importante. »337
188. Ces politiques et pratiques d’Israël relatives à l’utilisation et à la gestion des ressources en eau dans les territoires palestiniens occupés visent en fin de compte à renforcer la politique d’enracinement et de perpétuation de l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Les communautés palestiniennes se sont vu refuser l’accès aux ressources hydriques cisjordaniennes, telles que le Jourdain, ou ont été soumises à un régime de gestion administré de manière discriminatoire qui favorise les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et qui a permis à Israël de détourner l’eau cisjordanienne au profit des ressortissants israéliens sur son territoire338.
Selon Amnesty International, cette situation est due à l’application d’ordonnances militaires, de lois et de pratiques administratives israéliennes discriminatoires.
337 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport intitulé « Répartition des ressources en eau dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est », doc. A/HRC/48/43, 15 octobre 2021, par. 27, 31-32 (pièce no 1512 du dossier).
338 Jan Selby, « Cooperation, Domination and Colonization: The Israeli-Palestinian Joint Water Committee », Water Alternatives, vol. 6, p. 1 (2013).
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189. En tant que telles, l’utilisation et la gestion par Israël des ressources en eau dans les territoires palestiniens occupés constituent des faits internationalement illicites en violation des règles applicables du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme. Plus précisément, ces politiques et pratiques israéliennes sont incompatibles avec l’article 55 du règlement de La Haye de 1907, qui impose à la puissance occupante d’agir en qualité d’administrateur et d’usufruitier des biens publics immobiliers339, et avec les dispositions pertinentes des instruments applicables en matière de droits de l’homme340.
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190. Bien qu’elles constituent des faits internationalement illicites distincts et séparés au regard des règles pertinentes du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, les politiques et pratiques israéliennes examinées plus haut font aussi partie intégrante d’un mode de comportement global qui sert des objectifs politiques plus larges. Pendant plus de 50 ans d’occupation, l’État d’Israël n’a cessé de mener une politique visant à asseoir et à perpétuer son contrôle sur les territoires palestiniens occupés. La clé de voûte de cette politique est « l’entreprise de peuplement »341 israélienne, qui vise à faire du contrôle israélien sur les territoires palestiniens une réalité permanente et irréversible en tirant profit de ces politiques et pratiques. En effet, les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est sont l’incarnation de l’occupation illégale par Israël et une manifestation de la volonté de celui-ci d’annexer de facto et de jure les territoires palestiniens.
191. Les conséquences de ces politiques et pratiques sur le peuple palestinien et sur l’État de Palestine sont désastreuses. Comme l’a observé le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, « [a]ucune autre société dans le monde ne fait face à une telle accumulation de difficultés; elle connaît en effet une occupation de guerre, un morcellement de son territoire, des différends politiques et administratifs et un isolement à la fois géographique et économique »342.
339 Comme l’explique Iain Scobbie, chapitre « Natural Resources and Belligerent Occupation », dans International Law and the Israeli-Palestinian Conflict, p. 235 (Susan Akram, Michael Dumper, Michael Lynk & Iain Scobbie, dir. publ.), 2011, « en ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables dans le territoire occupé, le règlement de La Haye indique que, bien que l’occupant puisse poursuivre son exploitation aux mêmes niveaux que ceux d’avant l’occupation, celle-ci ne devrait être que dans l’intérêt de l’armée d’occupation », et non dans l’intérêt de la population de la puissance occupante ou dans l’intérêt de sa population transférée illicitement dans le territoire occupé.
340 Il s’agit notamment de l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; de l’article 14 (par. 2, al. h) de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ; et de l’article 28, (par. 2, al. a) de la convention relative aux droits des personnes handicapées. L’État d’Israël et l’État de Palestine sont tous deux parties à ces instruments.
341 Cette expression a été utilisée à plusieurs reprises dans les rapports soumis à l’Assemblée générale et au Conseil des droits de l’homme. Voir, par exemple, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, supra, note 268, par. 24-25 (pièce no 1408 du dossier).
342 Nations Unies, Assemblée générale, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, doc. A/71/554, 19 octobre 2016 (pièce no 1423 du dossier).
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192. Cette réalité continue d’être perpétuée par des politiques et des pratiques qui, au fil des décennies, ont dépossédé les Palestiniens de leurs terres, fragmenté leurs territoires, interdit leur accès aux ressources naturelles et soumis ce peuple à des mesures législatives et administratives discriminatoires ainsi qu’à des pratiques oppressives. En outre, comme il a été exposé plus haut dans la section A, ces politiques et pratiques continuent de priver le peuple palestinien de la possibilité d’exercer son droit à l’autodétermination et l’État de Palestine de sa capacité d’exercer pleinement sa souveraineté sur son territoire.
193. Le résultat global est que l’occupation israélienne prolongée  qui a depuis longtemps perdu toute prétention à être temporaire  s’est transformée en un régime complet d’annexion territoriale et de dépossession qui soumet le peuple palestinien dans les territoires occupés à une domination étrangère, à une discrimination systématique et à la privation de ses droits de l’homme fondamentaux343.
C. Conséquences juridiques pour l’État d’Israël découlant des faits internationalement illicites liés à son occupation des territoires palestiniens
194. Plusieurs conséquences juridiques découlent des faits internationalement illicites attribuables à l’État d’Israël en conséquence de son occupation des territoires palestiniens. La responsabilité juridique internationale de l’État d’Israël est en particulier engagée à raison des faits internationalement illicites examinés plus haut. L’Union africaine soutient donc que l’État d’Israël a l’obligation : 1) de mettre fin aux actes internationalement illicites qui lui sont attribuables ; 2) de réparer intégralement les préjudices causés par ces faits internationalement illicites, s’il y a lieu, par la restitution, l’indemnisation et la satisfaction ; et 3) d’offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées.
1. L’obligation faite à l’État d’Israël de mettre fin aux faits internationalement illicites liés à son occupation des territoires palestiniens
195. Aux termes de l’alinéa a) de l’article 30 de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État, « [l]’État responsable du fait internationalement illicite a l’obligation : a) d’y mettre fin si ce fait continue… ». Ce principe est fermement ancré dans le droit international. En l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’État, par exemple, la Cour a affirmé ce qui suit :
« En vertu du droit international général en matière de responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, qu’exprime sur ce point l’article 30 a) des articles de la Commission du droit international relatifs à ce sujet, l’État responsable d’un tel fait a l’obligation d’y mettre fin si ce fait présente un caractère continu. »344
196. Pour invoquer l’obligation de cessation d’un fait internationalement illicite, il doit être satisfait à deux conditions . Premièrement, l’obligation principale qui a été violée par le fait internationalement illicite en question doit toujours être en vigueur entre les parties concernées, et,
343 Voir rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires occupés palestiniens depuis 1967, Michael Lynk, supra, note 116, par. 51 (pièce no 1539 du dossier) ; Michael Sfard, The Wall & The Gate: Israel, Palestine, and the Legal Battle for Human Rights, p. 126-127 (2018).
344 Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 153, par. 137. De même, dans son avis consultatif sur le mur, p. 197, par. 150, la Cour a souligné que « [l]’obligation d’un État responsable d’un fait internationalement illicite de mettre fin à celui-ci est bien fondée en droit international général ».
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deuxièmement, la violation doit présenter un caractère continu
345. Ces deux conditions sont remplies en l’espèce.
197. Dans la section A, l’Union africaine a démontré que l’occupation israélienne des territoires palestiniens constituait un fait internationalement illicite à caractère continu pour trois raisons distinctes, à savoir : i) l’occupation israélienne des territoires palestiniens viole le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ; ii) l’occupation des territoires palestiniens par Israël prive l’État de Palestine de sa pleine souveraineté, privant également le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination ; et ii) l’occupation prolongée par Israël, ainsi que les politiques et pratiques qui y sont associées, constituent une annexion de facto et de jure des territoires palestiniens, ce qui constitue une violation de l’interdiction d’acquérir des territoires par la force.
198. Il a également été démontré dans la section B que les politiques et pratiques d’Israël associées à son occupation des territoires palestiniens constituaient des faits internationalement illicites à caractère continu. Ces faits incluent la construction, le maintien et l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, l’entretien, l’expansion et la construction de routes de contournement et du mur de séparation, l’expropriation de terres et d’autres ressources naturelles, ainsi que les politiques de zonage discriminatoires. Ces politiques et pratiques emportent violation de toute une série d’obligations prévues par le droit international humanitaire et par le droit international relatif aux droits de l’homme.
199. L’Union africaine considère donc que, en raison de ces faits internationalement illicites imputables à Israël, celui-ci est dans l’obligation :
a) de mettre fin à l’occupation des territoires palestiniens, en se retirant complètement de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza. Cette obligation est conforme aux résolutions précédemment adoptées par l’ONU appelant Israël à se retirer — complètement, immédiatement et sans condition — des territoires palestiniens occupés. Par exemple, dans la résolution 36/226, l’Assemblée générale
« [d]éclare une fois de plus que la paix au Moyen-Orient est indivisible et doit être fondée sur une solution globale juste et durable du problème du Moyen-Orient, élaborée sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies, qui assure le retrait total et inconditionnel d’Israël de tous les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem »346 ;
345 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, Supplément no 10 (doc. A/56/10) (« Commentaires de la CDI relatifs aux articles sur la responsabilité de l’État »), art. 30, par. 3.
346 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 36/226 A du 17 décembre 1981, intitulée « La situation au Moyen-Orient », doc. A/RES/36/226 A (pièce no 572 du dossier). Voir également résolution 36/147 E du 16 décembre 1981, intitulée « Rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme de la population des territoires occupés », doc. A/RES/36/147 E (pièce no 665 du dossier) : « Rappelant ses résolutions antérieures … dans lesquelles elle a notamment demandé à Israël de mettre fin à son occupation illégale des territoires arabes et d’évacuer tous ces territoires … Réaffirmant que l’acquisition de territoires par la force est inadmissible aux termes de la Charte des Nations Unies et que tous les territoires ainsi occupés par Israël doivent être restitués » (le soulignement est de nous) ; résolution 37/123 F du 16 décembre 1982, intitulée « La situation au Moyen-Orient », doc. A/RES/37/123 F (pièce no 572 du dossier) : « Condamne la poursuite de l’occupation par Israël de territoires palestiniens et autres territoires arabes, y compris Jérusalem, en violation de la Charte des Nations Unies, des principes du droit international et des résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies, et exige le retrait immédiat, inconditionnel et total d’Israël de tous ces territoires occupés » (le soulignement est de nous). De la même manière, Assemblée générale, résolutions A/RES/38/180 D, A/RES/39/146 A, A/RES/40/168 A, A/RES/41/162 A, A/RES/42/209 B, A/RES/43/54 A, A/RES/44/40 A, A/RES/45/83 A et A/RES/46/82 A.
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b) de mettre fin à toute activité de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ;
c) de cesser la construction de toutes les routes de contournement en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ;
d) de cesser la construction du mur de séparation ;
e) d’abroger immédiatement et de priver immédiatement d’effet tous les actes législatifs, administratifs et réglementaires qui constituent une annexion de facto ou de jure des territoires palestiniens occupés ou contribuent à celle-ci ;
f) d’abroger immédiatement et de priver immédiatement d’effet tous les actes législatifs, administratifs et réglementaires qui constituent une expropriation de terres en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ou y contribuent ;
g) d’abroger immédiatement et de priver immédiatement d’effet tous les actes législatifs, administratifs ou réglementaires qui constituent des pratiques de zonage discriminatoires en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ;
h) d’abroger immédiatement et de priver immédiatement d’effet tous les actes législatifs, administratifs ou réglementaires qui constituent un contrôle israélien des ressources en eau en Cisjordanie ou y contribuent.
200. Notre avis est conforme à la conclusion formulée par la Cour dans son avis consultatif sur le mur, selon laquelle
« Israël a en conséquence l’obligation de cesser immédiatement les travaux d’édification du mur qu’il est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est … L’ensemble des actes législatifs et réglementaires adoptés en vue de son édification et de la mise en place du régime qui lui est associé doivent immédiatement être abrogés ou privés d’effet »347.
2. L’obligation faite à l’État d’Israël de réparer intégralement les préjudices causés par ces faits internationalement illicites y compris, s’il y a lieu, par la restitution, l’indemnisation et la satisfaction
201. Dans l’affaire de l’Usine de Chorzów, la CPIJ a déclaré que c’était « un principe de droit international que la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate ». La Cour a aussi expliqué que la réparation devait, « autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis »348.
202. La réparation intégrale des préjudices causés par un fait internationalement illicite peut prendre plusieurs formes. Comme l’énonce l’article 34 des articles sur la responsabilité de l’État, la
347 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 197-198, par. 151.
348 Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 47. Voir également Usine de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 103, par. 273 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 691, par. 161 ; Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 31-32, par. 75-76 ; Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 44, par. 95.
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réparation intégrale peut prendre la forme d’une restitution, d’une indemnisation ou d’une satisfaction, séparément ou conjointement.
203. La restitution est une forme de réparation des préjudices causés par un fait internationalement illicite consistant dans le rétablissement du statu quo ante. Dans bien des cas, la cessation d’un fait internationalement illicite suppose la restitution, notamment d’un territoire ou d’un bien acquis ou contrôlé illicitement par un État349. Tel est le cas d’un grand nombre de politiques et de pratiques associées à l’occupation des territoires palestiniens par Israël. En plus de mettre fin aux faits internationalement illicites liés à son occupation des territoires palestiniens, Israël a l’obligation de procéder à la restitution en s’engageant à prendre les mesures suivantes :
a) Mettre fin à l’occupation des territoires palestiniens qui se poursuit depuis 1967, en se retirant complètement de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza. Cette mesure concorde avec les résolutions précédemment adoptées par l’ONU qui appelaient Israël à se retirer — complètement, immédiatement et sans condition — des territoires palestiniens occupés350.
b) Démanteler l’ensemble des colonies et avant-postes établis en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
c) Démanteler toutes les routes de contournement construites en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
d) Démanteler les parties du mur de séparation qui ont été érigées.
e) Restituer l’intégralité des terres et des biens à toute personne physique ou morale qui a été expropriée en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
f) Abroger immédiatement et priver immédiatement d’effets tous les actes législatifs, administratifs et réglementaires qui constituent une annexion de facto ou de jure des territoires palestiniens occupés ou y contribuent.
g) Abroger immédiatement et priver immédiatement d’effets tous les actes législatifs, administratifs et réglementaires qui constituent une expropriation de terres en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ou y contribuent.
h) Abroger immédiatement et priver immédiatement d’effets tous les actes législatifs, administratifs et réglementaires qui constituent des pratiques de zonage discriminatoires en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ou y contribuent.
i) Abroger immédiatement et priver immédiatement d’effets tous les actes législatifs, administratifs et réglementaires qui constituent un contrôle israélien des ressources hydriques en Cisjordanie ou y contribuent.
204. Là encore, ces conclusions sont conformes à l’analyse faite par la Cour dans son avis consultatif sur le mur, selon laquelle
« Israël est en conséquence tenu de restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute personne physique ou morale en vue de l’édification du mur dans le territoire palestinien occupé. Au cas où une telle restitution s’avérerait matériellement impossible, Israël serait tenu de procéder à l’indemnisation
349 James Crawford, State Responsibility: The General Part, p. 465-468 et 511 (2013), observant que « [l]e résultat de la cessation est parfois impossible à distinguer de la restitution », et précisant que « [l]a restitution matérielle peut inclure la restitution ou la restauration d’un territoire, de personnes ou de biens ».
350 Supra, note 346, citant des résolutions de l’ONU qui exigent le retrait complet, immédiat et inconditionnel des territoires palestiniens occupés.
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des personnes en question pour le préjudice subi par elles. De l’avis de la Cour, Israël est également tenu d’indemniser, conformément aux règles du droit international applicables en la matière, toutes les personnes physiques ou morales qui auraient subi un préjudice matériel quelconque du fait de la construction de ce mur. »
351
205. S’il se révèle que la restitution est « matériellement impossible » ou « impose [] une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui dériverait de la restitution », l’État responsable peut alors accorder une réparation sous la forme d’une indemnisation du préjudice causé par les faits internationalement illicites qui lui sont attribuables352.
206. La CDI a souligné que la restitution ne pouvait être considérée comme matériellement impossible « uniquement du fait de difficultés juridiques ou pratiques, même si l’État responsable [pouvait] avoir à faire des efforts particuliers »353. De fait, l’histoire fournit plusieurs exemples d’une puissance occupante ou colonisatrice ayant retiré sa population d’un territoire occupé ou anciennement colonisé. Par exemple, ainsi que cela a été souligné par certains auteurs,
« [l]e rapatriement par la France de plus d’un million de pieds noirs, dont beaucoup vivaient en Algérie depuis plusieurs générations, montre ce qu’il est possible de faire lorsqu’il existe une volonté politique. Israël lui-même a rapatrié quelque 9 000 colons de la bande de Gaza en 2005 et environ 3 000 du Sinaï en 1982 »354.
3. L’obligation de l’État d’Israël d’offrir des assurances et des garanties de non-répétition de ces faits internationalement illicites
207. L’alinéa b) de l’article 30 des articles sur la responsabilité de l’État dispose que « [l]’État responsable du fait internationalement illicite a l’obligation : … b) [d]’offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées si les circonstances l’exigent ».
208. Comme l’a précisé la CDI, « [l]orsqu’un État lésé cherche à obtenir des assurances et garanties de non-répétition, c’est essentiellement pour renforcer une relation juridique continue et l’accent est mis sur le respect futur d’une obligation et non pas sur sa violation passée »355. En effet, les assurances et les garanties de non-répétition sont intrinsèquement « tournées vers l’avenir » en ce qu’elles visent à empêcher « d’autres violations potentielles » qui pourraient se produire, et non à fournir des remèdes en cas de violations continues d’obligations spécifiques356.
209. À cet égard, l’Union africaine est d’avis que les assurances et les garanties de non-répétition peuvent jouer un rôle précieux dans le cadre du conflit israélo-palestinien et contribuer à jeter les bases d’une paix durable au Moyen-Orient. En donnant de telles assurances et garanties
351 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 198, par. 153.
352 Articles sur la responsabilité de l’État, art. 35.
353 Commentaires de la CDI relatifs aux articles sur la responsabilité de l’État, supra, note 345, art. 35, par. 8.
354 Omar Dajani et Hiba Husseini, The Emerging Reality in Palestine: Entrenched Occupation and ‘Fragnation’, Norwegian Peacebuilding Resource Centre, octobre 2014, accessible à l’adresse suivante : https://www.files.ethz.ch/isn/ 185391/61bf3bfd436ac63f27ae3c12a2a6371c.pdf.
355 Commentaires de la CDI relatifs aux articles sur la responsabilité de l’État, supra, note 345, art. 30, par. 11.
356 Voir Rosalyn Higgins, chapitre « Overview of Part Two of the Articles on State Responsibility », dans The Law of International Responsibility, p. 534 et 543 (James Crawford, Alain Pellet, Simon Olleson, Kate Parlett, dir. publ.), 2010.
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— qui peuvent prendre de nombreuses formes, telles que l’expression d’un engagement juridique ou politique en faveur de la solution à deux États, ou la reconnaissance de l’État de Palestine, ou encore la renonciation à toute revendication de titre juridique ou historique sur les territoires palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est — Israël rassurerait le peuple palestinien, ses voisins dans la région et la communauté internationale sur son intention de respecter les obligations mises à sa charge par le droit international. Cela garantirait le caractère définitif, durable et viable de tout accord de paix susceptible d’être conclu à l’avenir, ce qui offrirait des possibilités illimitées de paix et de prospérité à tous les peuples de la région.
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210. À titre de conclusion sur la question des conséquences pour l’État d’Israël des faits internationalement illicites liés à son occupation des territoires palestiniens, l’Union africaine réitère la position qui est la sienne de longue date, à savoir que l’élément essentiel pour parvenir à une paix juste et durable au Moyen-Orient est de mettre fin à l’occupation israélienne par le retrait complet, inconditionnel et immédiat d’Israël des territoires palestiniens, y compris Jérusalem-Est. Il s’agit d’une obligation que le droit international met à la charge d’Israël. Les modalités d’exécution de cette obligation doivent être déterminées par l’ONU, conformément aux règles du droit international.
IV. LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT POUR TOUS LES ÉTATS ET L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES DE L’OCCUPATION ILLICITE AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL
211. La deuxième question posée à la Cour dans la résolution 77/247 est la suivante : « Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées [dans la première question] ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
212. En mettant résolument l’accent sur les conséquences juridiques pour « tous les États et l’Organisation des Nations Unies », l’Assemblée générale a délibérément opté pour une question de portée plus vaste que celle qui était à l’examen dans l’avis consultatif sur le mur357. Cela n’avait pas empêché la Cour, à l’époque, de statuer sur les obligations des États tiers, mais sa conclusion à cet égard avait été par trop succincte. Dans son opinion individuelle, le juge Kooijmans avait insisté sur le fait que la Cour, dans son avis, n’aurait pas dû se contenter de se référer vaguement à des normes générales, mais aurait dû indiquer « ce que les États [étaient] censés faire ou ne pas faire dans la pratique »358.
357 L’opinion individuelle du juge Kooijmans dans cette procédure était notamment fondée sur le fait que, selon lui, la Cour était allée au-delà de ses attributions en donnant un avis sur les responsabilités des États tiers et de l’ONU, alors que la question sous-jacente posée par l’Assemblée générale n’avait pas une telle portée : voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle du juge Kooijmans, p. 219, par. 1 ; et p. 231, par. 39.
358 Ibid., par. 1. Voir aussi ibid., opinion individuelle du juge Koroma, p. 206, par. 10 :
« Il incombe à présent à l’Assemblée générale, dans l’exercice des responsabilités qui lui ont été confiées par la Charte, de traiter le présent avis consultatif avec le respect et le sérieux qu’il commande, non pour se livrer à des récriminations, mais dans l’intention de mettre ces conclusions au service d’un règlement juste et pacifique du conflit israélo-palestinien. »
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213. Ainsi que cela a été exposé au chapitre III, les politiques et pratiques d’Israël visées dans la première question de l’Assemblée générale rendent l’occupation de la Palestine illicite au regard du droit international, ce qui répond à la première partie de la deuxième question de l’Assemblée.
214. Comme la Cour elle-même l’a noté, « en qualifiant une situation d’illégale on n’y met pas fin ipso facto [; c]e ne peut être que la première mesure qui s’impose si l’on veut faire cesser la situation illégale »359.
215. En conséquence, la deuxième partie de la question de l’Assemblée générale invite la Cour à se pencher sur les conséquences concrètes de cette situation illicite360. Outre le fait de préciser ce que prévoit le droit pour tous les États et l’ONU, les lignes directrices de la Cour à cet égard ne peuvent qu’aider le processus de paix en incitant à l’action toutes les parties prenantes internationales, lesquelles disposeront ainsi d’une feuille de route plus claire en ce qui concerne leurs devoirs et obligations.
216. C’est pourquoi, dans les sections qui suivent, l’Union africaine s’attachera non seulement à décrire les obligations qui incombent à tous les États et à l’ONU (A) et les principes communs à ces obligations (B), mais également à recenser un certain nombre de mesures concrètes — inspirées desdites obligations — que devraient prendre tous les États et l’ONU (C).
A. Les obligations qui incombent à tous les États et à l’ONU
1. Tous les États et l’ONU ont un devoir de non-reconnaissance de la situation d’occupation illicite
217. Avant tout, l’ensemble des États et l’ONU ont le devoir de ne pas reconnaître, ni approuver de quelque autre manière, l’occupation illicite par Israël du territoire palestinien, ou les conséquences du comportement de cet État vis-à-vis de Jérusalem-Est361. Cette obligation de non-reconnaissance trouve son origine dans plusieurs sources, qui ne s’excluent pas mutuellement :
a) Selon le droit international coutumier, tel qu’il trouve son expression au paragraphe 2 de l’article 41 du projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’État, les États ont le devoir de ne pas « reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave [d’une norme impérative], ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation ». L’interdiction de l’acquisition de territoire par la force et le droit à l’autodétermination, ainsi d’ailleurs que l’interdiction de l’apartheid, sont considérées comme des normes impératives362.
b) Selon la jurisprudence de la Cour, telle qu’elle ressort plus particulièrement des avis au sujet de la Namibie et sur le mur, la non-reconnaissance est une conséquence juridique essentielle d’une
359 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 52, par. 111.
360 Voir Yaël Ronen, supra, note 200, p. 244 : « Il ne fait pas de doute que l’illicéité d’une occupation peut avoir des conséquences juridiques concrètes. »
361 Voir notamment Nations Unies, Assemblée générale, résolution 42/22 du 18 novembre 1987, intitulée « Déclaration sur le renforcement de l’efficacité du principe de l’abstention du recours à la menace ou à l’emploi de la force dans les relations internationales », doc. A/RES/42/22, par. 10 : « Ne seront reconnues comme légales ni l’acquisition de territoire résultant du recours à la menace ou à l’emploi de la force, ni l’occupation de territoire résultant du recours à la menace ou à l’emploi de la force en violation du droit international. »
362 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, supra, note 345, art. 40, par. 4.
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situation sous-jacente d’occupation illicite
363. Dans ce contexte, « la nature et l’importance des droits et obligations en cause » influent fortement sur l’obligation de non-reconnaissance : comme expliqué plus haut, la situation en Palestine concerne le droit à l’autodétermination, droit que « tous les États ont un intérêt juridique à … protég[er] »364, ainsi que l’interdiction fondamentale de l’acquisition de territoire par la force.
c) Tous les États Membres de l’ONU sont dans l’obligation, aux termes de la Charte des Nations Unies, d’« accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité »365. Lorsqu’un comportement a été — de manière continue — jugé illicite par le Conseil de sécurité366, tous les États ont le devoir de ne pas reconnaître sa validité. Ainsi que l’a indiqué la Cour dans son avis consultatif au sujet de la Namibie, « [q]uand un organe compétent des Nations Unies constate d’une manière obligatoire qu’une situation est illégale, cette constatation ne peut rester sans conséquence »367. À cet égard, même s’« [i]l faut soigneusement analyser le libellé d’une résolution du Conseil de sécurité avant de pouvoir conclure à son effet obligatoire »368, les résolutions se rapportant à la situation en Palestine ont été maintes fois formulées en des termes impératifs. Dès lors, les États sont liés aux nombreuses résolutions ayant affirmé l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite369, en particulier s’agissant de Jérusalem-Est370, et doivent s’y conformer.
d) Selon le principe général de droit ex injuria jus non oritur  « aucun fait contraire au droit international ne saurait légitimement conférer des droits à son auteur »371. Tout bénéfice qu’Israël retirerait de la situation illicite devrait donc ne pas être reconnu372.
e) Ainsi que cela ressort clairement des arguments qui précèdent, l’obligation de non-reconnaissance s’impose d’autant plus lorsqu’il s’agit de violations ayant un caractère erga omnes, comme c’est le cas de l’obligation de ne pas acquérir de territoire par la force373, ou du
363 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 54, par. 119 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200, par. 159.
364 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 139, par. 180. Voir également Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 199, par. 155 ; Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2625 (XXV), supra, note 52.
365 Charte des Nations Unies, art. 25.
366 Voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle de la juge Higgins, p. 217, par. 38 : « la position de la Cour en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies laisse à penser que la conséquence juridique d’une décision établissant qu’un acte ou une situation est illégale est la même [: l]’obligation de non-reconnaissance et de non-assistance faite aux Membres des Nations Unies ».
367 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 54, par. 117. Voir aussi ibid., p. 52, par. 112 : « En présence d’une situation internationalement illicite de cette nature, on doit pouvoir compter sur les Membres des Nations Unies pour tirer les conséquences de la déclaration faite en leur nom. »
368 Ibid., p. 53, par. 114.
369 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 2334, supra, note 2, par. 3 (pièce no 1372 du dossier).
370 Ibid., résolution 478, supra, note 39, par. 5 (pièce no 1274 du dossier).
371 Tribunal d’arbitrage pour le différend concernant la ligne de démarcation interentités dans la zone de Brcko, Republika Srpska c. Fédération de Bosnie-Herzégovine, sentence, 14 février 1997, 36 ILM 422, par. 77.
372 D’après Yaël Ronen, supra, note 200, p. 233 : « L’objectif du refus de reconnaître comme licite une situation créée par la violation d’une norme impérative … est d’inciter l’État responsable à revenir à une situation licite. Toute autre politique reviendrait à légitimer les actes de l’État fautif. »
373 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2625 (XXV), supra, note 52, par. 1.
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devoir de respecter le droit à l’autodétermination
374. Également pertinente à cet égard est la « mission sacrée » dont est investie la communauté internationale vis-à-vis « du peuple palestinien … dont le territoire … avait autrefois été placé sous mandat »375, mission qui demeure inscrite dans la Charte des Nations Unies376. L’Union africaine estime que les États indépendants et, en particulier, les peuples ayant par le passé été soumis à l’oppression, ont le devoir de s’abstenir de reconnaître les situations dans lesquelles le droit à l’autodétermination est entravé.
218. S’il subsistait quelque doute quant à l’applicabilité de ces normes coutumières, le commentaire de l’article 41 du projet d’articles de la CDI mentionne spécifiquement les situations telles que « la tentative d’acquisition de la souveraineté sur un territoire par le biais du déni du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »377, ce qui est précisément le cas en la présente procédure. La pratique récente des États montre à quel point cette obligation est primordiale.
219. La Cour a naturellement reconnu l’importance de cette obligation de non-reconnaissance en indiquant, dans son avis consultatif sur le mur, que « tous les États [étaient] dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est »378. Il n’y a aucune raison que cette conclusion ne soit pas également formulée en la présente procédure, dans laquelle la situation illicite est identique au comportement en cause dans la procédure sur le mur.
220. L’obligation de non-reconnaissance s’applique de la même façon à l’ONU, qui ne devrait ni tolérer ni reconnaître de quelque autre manière l’occupation illicite de la Palestine. Elle peut être exécutée concrètement au moyen des efforts continus de l’ONU en vue de parvenir à un règlement juste et durable de la situation en Palestine, et du soutien apporté au peuple palestinien dans sa quête de justice.
2. Tous les États et l’ONU ont l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance à l’occupation illicite
221. Ainsi que cela est énoncé au paragraphe 2 de l’article 41 du projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’État, l’obligation de non-reconnaissance a pour corollaire celle de ne pas « prêter aide ou assistance au maintien de cette situation » de violation du droit international. Dans son commentaire, la CDI précise que cette obligation couvre toute assistance ou tout soutien qui « aide[] l’État responsable à maintenir une situation » d’illicéité au regard du droit international379.
374 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
375 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle du juge Koroma, p. 205, par. 7.
376 Charte des Nations Unies, art. 73. Si cet article concerne les États « qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes », la fin du mandat pour la Palestine implique toutefois que cette mission sacrée est revenue à la communauté internationale. Voir avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 31, par. 52 : « Manifestement la mission sacrée continuait à s’appliquer aux territoires placés sous le mandat de la Société des Nations auxquels un statut international avait été conféré antérieurement. »
377 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, supra, note 345, art. 41, par. 5.
378 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200, par. 159.
379 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, supra, note 345, art. 41, par. 11.
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222. Dans l’avis consultatif au sujet de la Namibie, la Cour a fait expressément mention de cette obligation, rappelant que tous les États étaient tenus de « n’accorder à l’Afrique du Sud, pour son occupation de la Namibie, aucune aide ou aucune assistance quelle qu’en soit la forme »380. Les conclusions de la Cour à cet égard faisaient écho à plusieurs résolutions du Conseil de sécurité ayant trait à des violations du droit à l’autodétermination381 ou à la lutte contre les systèmes d’apartheid382.
223. Le Conseil de sécurité a repris ces termes au sujet de la situation palestinienne, en enjoignant, par exemple, « à tous les États de ne fournir à Israël aucune assistance qui serait utilisée spécifiquement pour les colonies de peuplement des territoires occupés »383. De même, l’Assemblée générale a demandé « à tous les États de ne pas reconnaître les changements opérés et les mesures prises par Israël dans les territoires arabes occupés et les [a] invit[és] à éviter des actions, y compris sur le plan de l’aide, susceptibles de constituer une reconnaissance de cette occupation »384.
224. En conséquence, tous les États devraient s’abstenir d’actes et de comportements susceptibles de contribuer, directement ou indirectement, à la situation illicite en Palestine. De tels actes ou comportements pourraient prendre la forme d’un soutien direct à Israël ou aux colons qui participent à la fragmentation de la Cisjordanie, notamment au travers de liens économiques et d’accords commerciaux, ou encore d’actes et de comportements favorisant la normalisation d’une situation qui demeure totalement illicite, par exemple en participant d’une quelconque manière aux activités militaires d’Israël385.
225. Élément crucial, cette obligation doit s’étendre aux entités et aux personnes relevant de la juridiction de tous les États, lesquels doivent
« prendre les mesures qui s’imposent pour faire en sorte que les entreprises commerciales domiciliées sur leur territoire et/ou relevant de leurs compétences, y compris celles qui sont la propriété de l’État ou contrôlées par l’État, qui ont des activités dans les colonies de peuplement ou des activités en relation avec les colonies respectent les droits de l’homme dans toutes leurs activités »386.
380 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 54, par. 119.
381 Voir Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 218 du 23 novembre 1965, doc. S/RES/218 (1965), par. 6 :
« Prie tous les États de s’abstenir immédiatement d’offrir au Gouvernement portugais une assistance quelconque qui le mette en mesure de poursuivre la répression qu’il exerce sur les populations des territoires qu’il administre, ainsi que de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher la vente et la fourniture au Gouvernement portugais d’armes et d’équipement militaire qui pourraient servir à cette fin, y compris la vente et la livraison d’équipement et de matériaux destinés à la fabrication et à l’entretien d’armes et de munitions devant être utilisés dans les territoires administrés par le Portugal. »
382 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 569 du 26 juillet 1985, intitulée « Situation en Afrique du Sud », doc. S/RES/569.
383 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 465, supra, note 43, par. 7 (pièce no 1267 du dossier).
384 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2949 (XVIII) du 8 décembre 1972, intitulée « La situation au Moyen-Orient », doc. A/RES/2949 (XXVIII), par. 8 (pièce no 562 du dossier).
385 Nations Unies, Assemblée générale, résolution ES-9/1 du 5 février 1982, intitulée « La situation dans les territoires arabes occupés », doc. A/RES/ES-9/1, par. 12 a) et b) (pièce no 1213 du dossier).
386 Nations Unies, « Rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », supra, note 336, par. 117 (pièce no 1563 du dossier).
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L’Union africaine observe que cela cadre avec d’autres sources de droit international, notamment les principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme387. De fait, l’Assemblée générale, dans certaines résolutions, a souligné de longue date que le cadre de référence qui sous-tend ces principes « constitu[ait] une norme de conduite générale en matière de respect des droits de l’homme dans le cadre des activités économiques liées aux colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est »388.
226. En ce qui concerne l’ONU, cette obligation implique qu’elle poursuive ses efforts pour ne pas aider Israël à normaliser la situation. À cet égard, l’Union africaine note la contribution des organes de l’ONU pour coordonner les actions des États tiers, notamment en établissant une base de données des entreprises commerciales exerçant des activités, ou participant de toute autre manière à diverses actions, qui seraient susceptibles de renforcer l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est389. L’ONU devrait également poursuivre sur le terrain ses efforts consistant à
« oeuvrer à la protection des Palestiniens dans les domaines de la diplomatie, de l’appui à l’édification de l’État et des institutions de Palestine, de la fourniture et de la coordination de l’aide humanitaire, du suivi, de l’établissement de rapports et du plaidoyer, et dans d’autres types d’aide à la programmation »390.
3. Tous les États sont tenus de coopérer pour mettre fin à l’occupation illicite
227. Le paragraphe 1 de l’article 41 du projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’État dispose que « [l]es États doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave [d’une norme impérative] ».
228. La coopération est une composante essentielle des relations internationales. La Cour a maintes fois souligné l’importance du devoir qu’ont les États de coopérer dans différents contextes. Dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, les États parties réaffirment « l’engagement … de coordonner et d’intensifier leur coopération et leurs efforts pour … favoriser la coopération internationale en tenant dûment compte de la Charte des Nations Unies »391. Ce devoir est d’une importance primordiale dans un monde régi par le droit et la courtoisie entre nations souveraines. Ainsi que l’a précisé la Cour interaméricaine des droits de l’homme,
« la nécessité d’éliminer l’impunité apparaît à la communauté internationale comme un devoir de coopération entre États à cette fin. L’accès à la justice constitue une norme impérative de droit international et, à ce titre, engendre l’obligation erga omnes des
387 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport intitulé « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme », doc. A/HRC/17/31, 21 mars 2011.
388 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 69/92 du 5 décembre 2014, intitulée « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/RES/69/92, par. 9 (pièce no 28 du dossier).
389 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport intitulé « Base de données de toutes les entreprises impliquées dans les activités décrites au paragraphe 96 du rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », doc. A/HRC/43/71, 28 février 2020 (pièce no 1509 du dossier) (ci-après « Base de données des entreprises établie par l’ONU »).
390 « Protection de la population civile palestinienne », supra, note 9, par. 12 (pièce no 1240 du dossier).
391 Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, préambule.
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États d’adopter toutes les mesures nécessaires pour empêcher de telles violations de rester impunies »
392.
229. Cette obligation a aussi été récemment confirmée par la Cour dans son avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, qui se terminait comme suit : « tous les États Membres sont tenus de coopérer avec l’Organisation des Nations Unies aux fins du parachèvement de la décolonisation de Maurice »393.
230. Étant donné que les mêmes principes juridiques s’appliquent au peuple palestinien, qui a lui aussi été privé de son droit à l’autodétermination, il s’ensuit que tous les États ont le devoir de coopérer pour mettre fin à l’occupation illicite. L’ONU, pour sa part, devrait coordonner cette coopération et contribuer à ses objectifs ultimes, à savoir la fin de l’occupation, qui conduira à une paix juste et durable en Palestine.
4. Tous les États doivent coopérer afin de contribuer au droit à l’autodétermination du peuple palestinien
231. De la même façon, tous les États et l’ONU doivent coopérer pour faire en sorte que le peuple palestinien puisse exercer son droit à l’autodétermination.
232. Aux termes de l’article 56 de la Charte des Nations Unies, tous les États doivent, « en vue d’atteindre les buts énoncés à l’Article 55, … agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l’Organisation », l’article 55 se référant au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes394. Les États et les organes de l’ONU sont donc dans l’obligation de prendre des mesures en vue de promouvoir l’autodétermination du peuple palestinien.
233. Ce devoir a également été fort bien énoncé dans la résolution 2625 (XXV) :
« Tout État a le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres États ou séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte, et d’aider l’Organisation des Nations Unies à s’acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui concerne l’application de ce principe. »395
392 La Cantuta v. Peru, Merits, Reparations and Costs, Series C No. 162, Inter-American Court of Human Rights, 29 novembre 2006, par. 160.
393 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 139-140, par. 182.
394 L’article 55 de la Charte des Nations Unies se lit comme suit :
« En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront : a. le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social ; b. la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l’éducation ; c. le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. »
395 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2625 (XXV), supra, note 52.
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234. Cette obligation repose également sur le droit international des droits de l’homme. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples prévoit ainsi que « [t]ous les peuples ont droit à l’assistance des États parties à la présente Charte, dans leur lutte de libération contre la domination étrangère »396. Dans le même ordre d’idées, lorsqu’il a interprété l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme a souligné ce qui suit :
« De l’avis du Comité, le paragraphe 3 revêt une importance particulière en ce sens qu’il impose des obligations précises aux États parties, non seulement à l’égard de leurs peuples, mais aussi à l’égard de tous les peuples qui n’ont pas pu exercer leur droit à l’autodétermination, ou qui ont été privés de cette possibilité … Ces obligations sont les mêmes, que le peuple ayant droit à disposer de lui-même dépende ou non d’un État partie au Pacte. Il s’ensuit que tous les États parties doivent prendre des mesures positives pour faciliter la réalisation et le respect du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes. »397
235. Dans le droit fil de ces principes, la Cour a estimé à juste titre, dans son avis sur le mur, qu’« [i]l appart[enait] par ailleurs à tous les États de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination »398.
236. C’est la même solution qui devrait prévaloir dans la présente procédure : compte tenu de l’illicéité de l’occupation et des actes d’Israël dans le territoire occupé et concernant Jérusalem-Est, tous les États ont l’obligation de veiller à ce que toute entrave à l’autodétermination du peuple palestinien soit levée. L’Assemblée générale a expressément énoncé cette obligation dans la résolution par laquelle elle a introduit la demande d’avis consultatif faisant l’objet de la présente espèce399.
5. Tous les États parties aux conventions de Genève doivent veiller au respect de la convention
237. Ainsi que l’a confirmé la Cour dans son avis sur le mur, certaines des obligations violées par Israël dans le domaine du droit international humanitaire ont un caractère erga omnes400. Celui-ci découle de l’objet même des règles humanitaires, qui s’intéressent au « respect de la personne humaine et [aux] “considérations élémentaires d’humanité” »401.
396 Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, art. 20 3).
397 Comité des droits de l’homme, « Observation générale no 12 : Article premier (Droit à l’autodétermination) », doc. HRC/GC/12, 13 mars 1984, par. 6.
398 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200, par. 159.
399 Résolution 77/247, par. 16 :
« Exhorte tous les États et les institutions spécialisées et organismes des Nations Unies à continuer de soutenir le peuple palestinien et de l’aider à exercer au plus tôt ses droits inaliénables, notamment son droit à l’autodétermination, avec toute la célérité voulue, alors que l’occupation israélienne est une réalité depuis plus de 55 ans et que le peuple palestinien n’exerce toujours pas ses droits humains, qui continuent d’être bafoués ».
400 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 199, par. 155.
401 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 257, par. 79.
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238. Si les règles du droit humanitaire constituent « des principes intransgressibles du droit international coutumier »402, elles sont également incorporées dans les conventions de Genève403 — auxquelles sont parties 196 États, dont tous les États membres de l’Union africaine404.
239. Ces instruments ont en commun leur article 1, par lequel les États parties « s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances ». Ainsi que la Cour l’a indiqué dans son avis consultatif sur le mur, cette disposition dit bien ce qu’elle veut dire : chaque État partie auxdits instruments, qu’il soit impliqué ou non dans un conflit donné, a un intérêt à ce qu’ils soient respectés405. La Cour a spécifiquement mentionné la quatrième convention de Genève, estimant que tous les États avaient l’obligation « de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette convention »406.
240. Si la portée de cette obligation a été remise en question407, la doctrine et la jurisprudence confirment toutefois amplement que l’article 1 a pour objet d’imposer des obligations à tous les États, y compris ceux qui ne sont pas partie à un conflit donné. Comme l’ont exprimé fort justement certains auteurs il y a plus de 20 ans,
« l’interprétation faite antérieurement d’un instrument international ne peut jamais se révéler décisive pour déterminer le statut actuel d’une norme juridique. Il est bien plus pertinent, à cet égard, de se fonder sur le sens conféré par l’évolution de la pratique internationale depuis l’adoption de l’instrument en question. De fait, au cours des 50 dernières années, la pratique des États et des organisations internationales, étayée par la jurisprudence et les opinions exprimées dans la doctrine, va clairement dans le sens d’une interprétation de l’article premier commun comme d’une règle obligeant tous les États, qu’ils soient ou non parties à un conflit, non seulement à oeuvrer activement à ce que les règles du droit international humanitaire soient respectées par l’ensemble des parties concernées, mais également à réagir contre les violations de ces règles »408.
241. Des commentaires publiés plus récemment ont fait un inventaire exhaustif de la pratique des États et des évolutions juridiques depuis l’adoption des conventions de Genève en 1949, concluant que l’« aspect externe » de l’article 1 commun, qui « se rapporte à l’obligation de faire respecter les Conventions par d’autres, en particulier d’autres parties à un conflit, et ce, que l’État lui-même soit ou non partie au conflit … a[vait] pris une importance accrue »409. Cette position est confortée par l’arrêt rendu en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), dans lequel la Cour a rappelé que les États-Unis devaient respecter l’article 1 commun des conventions de Genève en soulignant que cette
402 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 257, par. 79.
403 Voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 114, par. 220, selon lequel les conventions de Genève trouvent leur origine dans « [l]es principes généraux du droit humanitaire dont les conventions ne sont que l’expression concrète ».
404 Tous les États africains ont signé et ratifié les quatre conventions de Genève, mais seulement une majorité est partie aux deux premiers protocoles.
405 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200, par. 159.
406 Ibid.
407 Ibid., opinion individuelle du juge Kooijmans, p. 233, par. 47.
408 Laurence Boisson de Chazournes et Luigi Condorelli, « Common Article 1 of the Geneva Conventions revisited: Protecting collective interests », International Review of the Red Cross, vol. 82, no 837 (2000).
409 Voir Lindsey Cameron et al., « Le Commentaire mis à jour de la Première Convention de Genève – un nouvel outil pour générer le respect du droit international humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge, no 900 (2016).
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obligation s’appliquait « en toute circonstance »
410 — et donc également dans le contexte du conflit nicaraguayen, qui n’avait pas un caractère international. Dans le droit fil de cette interprétation, le Conseil de sécurité a demandé « aux Hautes Parties contractantes à ladite Convention de veiller à ce qu’Israël, puissance occupante, s’acquitte des obligations qu’il a[vait] contractées aux termes de l’article 1 de la Convention »411.
242. En conséquence, tous les États sont censés faire respecter les conventions. Dans une déclaration412, la conférence des Hautes Parties contractantes à la quatrième convention de Genève a présenté une mesure concrète qui devrait être prise à cet égard, à savoir que les États devraient « permettre le libre passage de secours humanitaires et garantir leur protection » et « entreprendre tous les efforts possibles pour permettre et faciliter le passage rapide et sans encombre des secours humanitaires destinés à la population du territoire occupé »413.
6. Tous les États parties à la convention de Genève ont l’obligation de prévenir et de punir les crimes internationaux et les violations du droit international humanitaire
243. En application des conventions de Genève, tous les États parties ont le devoir de poursuivre en justice les auteurs de violations graves de la convention et de prévenir la commission d’actes contraires aux conventions. L’article 146 de la quatrième convention de Genève prévoit par exemple ce qui suit :
« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l’ordre de commettre, l’une ou l’autre des infractions graves à la présente Convention définies à l’article suivant.
Chaque Partie contractante aura l’obligation de rechercher les personnes prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de commettre, l’une ou l’autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéressée à la poursuite, pour autant que cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes.
Chaque Partie contractante prendra les mesures nécessaires pour faire cesser les actes contraires aux dispositions de la présente Convention, autres que les infractions graves définies à l’article suivant. »
244. Ainsi qu’il a été expliqué plus haut, de nombreuses politiques et pratiques d’Israël constituent des violations de la quatrième convention de Genève, y compris des violations graves414. La Cour a déjà établi en 2004, dans son avis consultatif sur le mur, que, en facilitant et en poursuivant la colonisation du Territoire palestinien occupé, Israël avait enfreint le paragraphe 6 de l’article 49
410 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, supra, note 403, p. 114, par. 220.
411 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 681 du 20 décembre 1990, doc. S/RES/681 (pièce no 1293 du dossier).
412 Conférence de hautes parties contractantes à la quatrième convention de Genève, déclaration, 17 décembre 2014, par. 8.
413 Ibid., par. 5.
414 Supra, par. 160 et 182.
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de cette convention
415. Le protocole additionnel I aux conventions de Genève a par ailleurs précisé que « le transfert par la Puissance occupante d’une partie de sa population civile dans le territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire, en violation de l’article 49 de la IVe Convention » constituait une « infraction grave » aux fins de la convention.
245. Le statut de ces dispositions en tant que normes de droit international coutumier est discutable416. Quoi qu’il en soit, la plupart des États sont parties aux conventions de Genève, ce qui a pour conséquence qu’ils doivent prévenir les violations des conventions de Genève, et poursuivre ou extrader (aut dedere aut judicare) les personnes ayant participé à de graves violations de ces instruments. Ainsi que l’a précisé la Commission Turkel,
« les violations du droit doivent être empêchées mais, si elles se produisent néanmoins, les États ont l’obligation de traduire les responsables en justice. L’article 146 de la quatrième convention de Genève (ainsi que les trois autres conventions de Genève et le Protocole additionnel I) impose une obligation générale d’empêcher toutes les violations du droit international humanitaire (“faire cesser”). “Faire cesser” des violations exige que les États fassent respecter le droit international humanitaire dans son intégralité et empêchent que des violations soient commises ou répétées à l’avenir. »417
246. Ces obligations sont également pertinentes au regard de l’enquête actuellement en cours devant la Cour pénale internationale (CPI) concernant la situation en Palestine. Conformément au Statut de Rome, la CPI s’intéresse à la responsabilité pénale individuelle, et non aux obligations des États. Ce nonobstant, si elle conclut à une responsabilité individuelle, tous les États parties au Statut de Rome auront l’obligation d’extrader ou de poursuivre l’ensemble des personnes ayant participé à ces crimes. Certains rapports de l’ONU donnent à penser que les colonies israéliennes peuvent être constitutives d’un crime de guerre au titre du Statut de Rome418.
B. Les principes communs à ces obligations
247. Ces obligations ne s’excluent pas mutuellement, et présentent des caractéristiques communes qu’il convient d’énumérer et d’expliquer plus avant.
415 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 183-184, par. 120 ; et p. 191-192, par. 134.
416 Voir Jean-Marie Henckaerts & Louise Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles (2006), p. 801, règle 157, où il est indiqué que, selon le droit international coutumier, « [l]es États ont le droit de conférer à leurs tribunaux nationaux une compétence universelle en matière de crimes de guerre », et où sont citées ces dispositions des conventions de Genève comme solution de remplacement à cette règle. Voir aussi La Cantita v. Peru, supra, note 392, par. 160 :
« L’accès à la justice constitue une norme impérative de droit international qui donne lieu, en soi, à l’obligation erga omnes des États d’adopter toutes les mesures nécessaires pour empêcher de telles violations de rester impunies, soit en exerçant leur pouvoir judiciaire pour appliquer leur droit interne et le droit international afin de juger et, le cas échéant, de punir les responsables, soit en collaborant avec d’autres États en ce sens. La Cour souligne que, dans le cadre du mécanisme de garantie collective prévu par la convention américaine, et des obligations internationales régionales et universelles à cet égard, les États parties à la convention doivent collaborer les uns avec les autres à cette fin. »
417 Commission Turkel, deuxième rapport, accessible à l’adresse suivante : https://www.gov.il/en/departments/ general/turkel_committee, p. 74.
418 Nation Unies, Assemblée générale, note du Secrétaire général du 22 octobre 2020, intitulée « Situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 », doc. A/75/532, par. 43, 53 et 62.
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1. Il est attendu des États qu’ils exercent la diligence requise
248. La question de l’Assemblée générale concerne les obligations qui incombent à tous les États. À n’en pas douter, compte tenu de l’importance de la situation palestinienne et de son caractère hélas permanent, tous les États ont effectivement à coeur de la voir réglée et de parvenir à une paix durable et juste. Si, comme cela a été indiqué plus haut, l’Union africaine attache le plus grand intérêt à la résolution de ce conflit et à l’autodétermination du peuple palestinien419, cela peut cependant ne pas être le cas de tous les États, en raison, notamment, des nombreux défis mondiaux auxquels la communauté internationale se trouve simultanément confrontée. Dans ce contexte, l’Union africaine s’attend à ce que la Cour puisse souligner les obligations essentielles qui incombent à tous les États, tout en reconnaissant que les manifestations concrètes de ces obligations peuvent varier.
249. Cela n’est pas surprenant, puisque l’Union africaine avance en outre que les obligations énumérées ci-dessus sont surtout des obligations de moyen — et non de résultat — et ont donc trait à la diligence requise des États. Conformément à la jurisprudence de la Cour, la portée de ces obligations pour chaque État devrait donc être fondée sur une analyse in concreto de la capacité de celui-ci à influencer l’État commettant la violation et à contribuer à mettre fin à la situation illicite420.
250. Dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie Herzégovine c. Serbie et Monténégro), la Cour a cependant clairement établi qu’aucun État ne pouvait faire valoir que ses actions à elles seules n’auraient pu suffire à l’objectif souhaité. Examinant un argument allant dans ce sens, elle avait répondu comme suit :
« Une telle circonstance, d’ailleurs généralement difficile à prouver, est sans pertinence au regard de la violation de l’obligation de comportement dont il s’agit. Il en va d’autant plus ainsi qu’on ne saurait exclure que les efforts conjugués de plusieurs États, dont chacun se serait conformé à son obligation de prévention, auraient pu atteindre le résultat — empêcher la commission d’un génocide — que les efforts d’un seul d’entre eux n’auraient pas suffi à obtenir. »421
251. En conséquence, tous les États devraient contribuer aux obligations mises en lumière ci-dessus, dans la mesure du possible et conformément à leur devoir d’exercer la diligence requise. Concrètement, cela signifie que plus une mesure donnée est facile à appliquer, plus elle est impérative pour un État donné. Par exemple, l’obligation de non-reconnaissance, étant peu contraignante pour les États, est généralement applicable ; il ne semble y avoir aucune excuse concevable pour ne pas s’en acquitter.
252. Pour ce qui concerne le choix de mesures à prendre, les États disposent d’un large éventail de solutions422, pour autant (comme il est expliqué ci-après) que leur action reste dans les limites de la licéité. Bien que la Cour ait jugé, dans l’avis consultatif au sujet de la Namibie, que,
419 Supra, par. 9.
420 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430.
421 Ibid.
422 Voir Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, opinion individuelle de M. Petrén, p. 135 : « la notion de non-reconnaissance laisse aux États, comme je l’ai dit, une large mesure d’appréciation discrétionnaire ».
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« [q]uant à savoir exactement quels actes sont permis ou autorisés, quelles mesures sont possibles ou applicables, quelles sont celles qui devraient être retenues, quelle portée il faudrait leur donner et par qui elles devraient être appliquées, [c’étaient] là des questions qui rel[evaient] des organes politiques compétents des Nations Unies, agissant dans le cadre des pouvoirs conférés par la Charte »423,
cela ne saurait être interprété comme empêchant les autres États d’agir de façon indépendante. La Cour elle-même, dans le même avis consultatif, a reconnu que, s’agissant de certaines catégories de comportement — dans leurs relations avec l’Afrique du Sud, en l’occurrence —, il appartenait aux États de coordonner leurs actions424. De plus, la situation en la présente procédure est différente : dans la procédure au sujet de la Namibie, il n’y avait pas un tel frein à l’adoption de mesures coordonnées par la communauté des États à l’ONU, et en particulier au sein du Conseil de sécurité.
253. En conséquence, si tous les États doivent veiller à agir et à prendre des mesures conformes aux orientations de l’ONU en ce qui concerne la situation en Palestine, ils doivent toutefois aussi être libres d’agir de façon indépendante, tant que leur comportement ne contrevient pas à ces orientations. Dans l’exercice de leurs obligations au regard du droit international, les États ne doivent pas empiéter sur les droits ou pouvoirs exclusifs des organes de l’ONU — il leur faudra simplement contribuer à garantir que le droit international soit respecté.
2. Tous les États doivent faire la distinction entre les différents territoires
254. Certaines des obligations précitées impliquent que les États fassent la distinction entre le territoire israélien et le territoire palestinien illicitement occupé.
255. L’importance de cette distinction n’est pas nouvelle, et le Conseil de sécurité a demandé à « tous les États … de faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 »425. Dans sa dernière résolution en date, il a confirmé qu’il « ne reconnaîtr[ait] aucune modification aux frontières du 4 juin 1967, y compris en ce qui concerne Jérusalem, autres que celles convenues par les parties par la voie de négociations »426.
256. Ainsi que cela a été précisé plus haut427, ces frontières sont d’autant plus pertinentes qu’elles servent de point de référence pour l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination.
423 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 55, par. 120. Voir également Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 36, par. 71.
424 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 55-56, par. 121-125.
425 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 2334, supra, note 2, par. 5 (pièce no 1372 du dossier).
426 Ibid., par. 3.
427 Supra, par. 99-100.
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3. Les États doivent employer des moyens licites
257. Il est bien établi en droit que les obligations énoncées ci-dessus, et les mesures que les États adoptent en conséquence de celles-ci, ne peuvent être exécutées que par des moyens licites, « dont le choix dépend des circonstances de l’espèce »428. La Cour elle-même a insisté sur ce point429.
258. De même, en ce qui concerne l’obligation de garantir le droit à l’autodétermination des autres peuples, le Comité des droits de l’homme a souligné ce qui suit :
« Il s’ensuit que tous les États parties doivent prendre des mesures positives pour faciliter la réalisation et le respect du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes. Ces mesures positives doivent être conformes aux obligations qui incombent aux États en vertu de la Charte des Nations Unies et du droit international »430.
4. La préoccupation primordiale doit être le peuple palestinien
259. Enfin, il est évident que les obligations de tous les États et de l’ONU à cet égard, qui découlent de leur devoir envers le peuple palestinien, ne sauraient entraîner des situations qui aggraveraient le sort de celui-ci.
260. Ainsi que la Cour l’a indiqué dans l’avis consultatif au sujet de la Namibie, la nullité des mesures prises par l’Afrique du Sud à l’époque ne pouvait « s’étendre à des actes, comme l’inscription des naissances, mariages ou décès à l’état civil, dont on ne pourrait méconnaître les effets qu’au détriment des habitants du territoire »431. De la même manière, la Cour a jugé que les États ne devaient pas observer les instruments internationaux qui profitaient à l’Afrique du Sud dans la mesure où ils concernaient la Namibie — à l’exception de « certaines conventions générales, comme les conventions de caractère humanitaire, dont l’inexécution pourrait porter préjudice au peuple namibien »432. Ce sont des considérations d’humanité et de faisabilité qui sous-tendent ces préoccupations433.
261. Dans le même ordre d’idées, en s’acquittant des obligations mises en lumière plus haut, notamment en appliquant les mesures concrètes énumérées ci-après, les États doivent, à tout moment, se souvenir qu’il est « port[é] préjudice à un peuple qui doit compter sur l’assistance de la communauté internationale pour atteindre les objectifs auxquels correspond la mission sacrée de civilisation »434.
428 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, supra, note 345, commentaire de l’article 41, par. 3).
429 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), point 3 D) du dispositif (p. 202, par. 163), précisant que les obligations des États parties à la convention de Genève devraient s’exercer « dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international ».
430 Comité des droits de l’homme, « Observation générale no 12 : Article premier (Droit à l’autodétermination) », supra, note 397, par. 6.
431 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 56, par. 125.
432 Ibid., p. 55, par. 122.
433 Ibid., opinion individuelle du juge Petrén, p. 134 : « des impératifs d’ordre pratique ou humanitaire p[euvent] justifier certains contacts ou certaines formes de coopération ».
434 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 56, par. 127.
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C. Les mesures concrètes que doivent prendre tous les États et l’ONU
262. Il est primordial que le devoir de non-reconnaissance ne se réduise pas à « une obligation sans fondement réel »435. Dans le contexte des obligations des États tiers concernant les violations d’une norme impérative, le projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’État mentionne « un effort concerté et coordonné de tous les États … pour … contrecarrer les effets [de ces violations] »436. Le terme « contrecarrer » est particulièrement significatif, puisqu’il indique que la coopération et les actions qui sont attendues des États tiers ne sauraient se cantonner à des critiques ou autres protestations contre les actes de l’État qui commet la violation.
263. Au lieu de cela, des mesures concrètes doivent être prises pour faire en sorte que les conséquences de la violation soient réduites au minimum et, en particulier, que l’État commettant la violation n’en retire aucun bénéfice. Ces mesures peuvent être les suivantes :
a) La non-reconnaissance de l’annexion du Territoire palestinien occupé et du comportement qui tend à priver le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination. Les États devraient donc s’abstenir de tout comportement qui résulterait, explicitement ou même implicitement437, en une reconnaissance du « fait accompli » créé par Israël.
b) S’abstenir de prêter toute aide ou assistance « qu’Israël pourrait mettre à profit pour poursuivre sa politique d’annexion et de colonisation ou toute autre politique ou pratique » qui renforcerait ce fait accompli438. Cela inclut notamment toute assistance militaire ou toute participation aux activités de l’armée ou de l’industrie de l’armement israéliennes439.
c) Un moratoire sur tout accord juridique international avec l’État commettant la violation qui s’appliquerait ou dont les avantages s’étendraient au territoire illicitement occupé440. À ce titre, il conviendrait de ne pas observer tout instrument international existant entre un État et Israël dont l’application s’étend aux territoires occupés (si la définition de « territoire » dans cet instrument est suffisamment large).
d) Une interdiction des activités diplomatiques ou consulaires impliquant le territoire illicitement occupé, et le retrait de tout personnel diplomatique ou consulaire qui y est affecté441. Cela inclut toute activité diplomatique ou consulaire qui aurait pour effet de consolider les efforts déployés par Israël pour étendre son autorité à Jérusalem-Est. En particulier, les États ne devraient pas
435 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle du juge Kooijmans, p. 232, par. 44.
436 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, supra, note 345, commentaire de l’article 41, par. 3).
437 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 662 du 9 août 1990, doc. S/RES/662, par. 2 : « Demande à tous les États, organisations internationales et institutions spécialisées de ne pas reconnaître cette annexion et de s’abstenir de toute mesure et de tout contact qui pourraient être interprétés comme une reconnaissance implicite de l’annexion ».
438 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 47/70 du 14 décembre 1992, intitulée « Rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés », doc. A/RES/47/70, par. 15.
439 Sur le modèle, par exemple, de la résolution 47/20 de l’Assemblée générale du 22 mars 1993, intitulée « La situation de la démocratie et des droits de l’homme en Haïti », doc. A/RES/47/20, par. 8, dans laquelle l’Assemblée générale demandait aux États Membres de « s’abstenir, jusqu’à ce que la crise actuelle ait été résolue, de fournir des équipements à l’usage des forces militaires ou de police d’Haïti, notamment des armes, des munitions et du pétrole ». Voir également, à ce sujet, Nations Unies, Assemblée générale, résolution ES-9/1, intitulée « La situation dans les territoires arabes occupés », supra, note 385, par. 12 a) et b) (pièce no 1213 du dossier).
440 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 55, par. 122.
441 Ibid., p. 55, par. 123.
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reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël
442, ni y transférer leurs ambassades, ce d’autant moins qu’une affaire portant sur la question est pendante devant la Cour443.
e) Le refus de coopérer avec les institutions israéliennes qui sont situées dans le territoire occupé ou en retirent des bénéfices, conformément à la prescription adressée par le Conseil de sécurité à tous les États de « faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 »444. Par exemple, aucun État et aucune de ses institutions ne devrait reconnaître l’Université Ariel ni coopérer avec elle, puisqu’il s’agit d’un établissement d’enseignement supérieur public israélien dont les locaux sont situés en Cisjordanie occupée.
f) Le refus de se livrer à des activités commerciales, quelles qu’elles soient, avec des entreprises ou des personnes se trouvant en Cisjordanie ou bénéficiant de quelque autre manière de l’occupation illicite de celle-ci445. Cela inclut non seulement le commerce des biens et des services446 ou les investissements447, mais également, par exemple, la promotion du tourisme448. Les États devraient accorder une attention particulière aux données recueillies par l’ONU, qui a dressé une liste des entreprises commerciales ayant des activités liées aux colonies israéliennes illicites en Cisjordanie449.
g) Poursuivre en justice toute personne ou société qui exerce des activités économiques dans le territoire illicitement occupé, surtout lorsque ces activités contribuent à la violation des droits de l’homme du peuple palestinien450. En particulier, les États devraient veiller à mettre en oeuvre les principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme qui, comme l’a souligné l’Assemblée générale451, sont particulièrement pertinents pour la situation palestinienne.
442 Supra, par. 10.
443 Affaire relative au Transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem (Palestine c. États-Unis d’Amérique).
444 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 2334, supra, note 2, par. 5 (pièce no 1372 du dossier).
445 Comme l’a indiqué le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk (« Situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 », supra, note 418, par. 56) : « Les entreprises et les activités commerciales contribuent de manière significative à la viabilité économique du projet de colonisation israélienne. »
446 Et notamment les produits agricoles, qui peuvent résulter du déni, par Israël, de la souveraineté de la Palestine sur ses ressources naturelles. Voir James Crawford, « Third Party Obligations with respect to Israeli Settlements in the Occupied Palestinian Territories », accessible à l’adresse suivante : https://www.tuc.org.uk/sites/default/files/tucfiles/Legal OpinionIsraeliSettlements.pdf, par. 88 :
«Étant donné que les pratiques agricoles dans les colonies israéliennes dépendent largement d’un système d’irrigation établi en violation de l’article 43 [du règlement de La Haye de 1907], il est permis de faire valoir que l’achat de produits agricoles provenant des colonies par des États tiers revient à prêter aide et assistance à la commission continue d’un acte internationalement illicite, à savoir la violation de l’article 43.»
447 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 569 du 26 juillet 1985, doc. S/RES/569, par. 6 a) : « Demande instamment aux États Membres de l’Organisation de prendre des mesures à l’encontre de l’Afrique du Sud, telles que les mesures suivantes : a) Suspension de tout nouvel investissement en Afrique du Sud ».
448 Voir « Situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 », supra, note 418, par. 69 e). Pour un modèle, voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 283 du 29 juillet 1970, doc. S/RES/283, par. 11 : « [le Conseil de sécurité] [l]ance un appel à tous les États pour les dissuader d’encourager le tourisme et l’émigration en Namibie ».
449 Base de données des entreprises établie par l’ONU, supra, note 389 (pièce no 1509 du dossier).
450 « Situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 », supra, note 56, par. 78 d) (pièce no 1429 du dossier).
451 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 71/97 du 6 décembre 2016, intitulée « Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé », doc. A/RES/71/97, par. 12 (pièce no 30 du dossier).
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h) Contribuer à la protection du peuple palestinien sous occupation, par exemple en apportant un appui au déploiement des personnels de l’ONU affectés à la surveillance de la situation452, ou à l’établissement d’« une force internationale de protection dans le Territoire palestinien occupé pour y limiter les actes de violence, qui sont monnaie courante, et défendre la population palestinienne »453.
i) Porter secours à la population palestinienne et financer les institutions dont c’est la mission454. Tous les États devraient ainsi aider l’UNRWA et contribuer à son financement455. À la fin de l’année 2022, l’Assemblée générale a prolongé le mandat de l’UNRWA jusqu’en 2026, par 157 voix pour et 1 voix contre (Israël)456 ; on ne saurait imaginer plus grande marque d’approbation des travaux de cet organisme et de son utilité. Les États devraient également coopérer pour faciliter les travaux et les actions du Conseil des droits de l’homme en la matière457. L’ONU, par l’intermédiaire du Bureau de la coordination des affaires humanitaires, devrait aussi continuer à soutenir l’UNRWA.
264. Comme en témoigne l’abondance de notes de bas de page afférentes aux développements qui précèdent, la plupart de ces obligations ont déjà été énoncées, à maintes reprises, par divers acteurs internationaux. Si ce constat renforce l’importance et l’urgence de ces mesures concrètes, il montre toutefois aussi à quel point la situation n’a guère évolué au cours de ces dernières décennies, et ce, au détriment du peuple palestinien. Il ne fait pourtant aucun doute que, en mettant en oeuvre ces mesures, les États peuvent contribuer à instaurer une paix durable et juste en Palestine et à aider la population de celle-ci.
V. CONCLUSION
265. Instaurer une paix durable et juste en Palestine et venir en aide à la population de celle-ci. Nombreux sont ceux qui, au cours de ces dernières décennies, ont été animés et motivés par cet objectif. Par son avis consultatif en la présente procédure, la Cour a l’occasion — une fois encore — d’y apporter sa contribution. Elle ne doit pas laisser passer cette occasion.
452 « Protection de la population civile palestinienne », supra, note 9, par. 43-44 (pièce no 1240 du dossier).
453 Comme l’a suggéré la rapporteuse spéciale dans le rapport intitulé, « Situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 », supra, note 56, par. 78 b) (pièce no 1429 du dossier). Conformément aux observations du Secrétaire général sur la « Protection de la population civile palestinienne », supra, note 9, par. 52) (pièce no 1240 du dossier), un tel déploiement, toutefois, « devrait s’appuyer sur un mandat des Nations Unies et ne serait faisable qu’avec le consentement et la coopération des parties concernées sur le terrain ». Voir également Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 904 du 18 mars 1994, doc. S/RES/904, par. 3 (pièce no 1303 du dossier), notant qu’« une présence internationale ou étrangère temporaire … était prévue par la Déclaration de principes (S/26560), et ce, dans le cadre du processus de paix en cours ».
454 Voir « Protection de la population civile palestinienne », supra, note 9, par. 41 (pièce no 1240 du dossier), déplorant que « les opérations d’assistance et de protection des Nations Unies destinées aux Palestiniens vivant dans le Territoire palestinien occupé souffrent déjà d’une grave pénurie de fonds », et par. 53, demandant instamment à « tous les États Membres d’augmenter leurs contributions financières et leur appui politique dans ce sens ».
455 Voir, par exemple, déclaration du 17 décembre 2014 adoptée par la conférence des Hautes Parties contractantes à la quatrième convention de Genève, par. 5 ; voir également Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, Commission des questions politiques spéciales et de la décolonisation (Quatrième Commission), 10 novembre 2022, déclaration du Niger, p. 3 : « À cet égard, tout en rappelant l’importance des principes humanitaires, ma Délégation exhorte la communauté internationale à davantage de solidarité vis-à-vis du peuple palestinien, notamment par le soutien à l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens au Moyen-Orient. »
456 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/123 du 15 décembre 2022, intitulée « Aide aux réfugiés de Palestine », doc. A/RES/77/123.
457 Voir Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution du 27 mai 2021, intitulée « Veiller au respect du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël », doc. A/HRC/RES/S-30/1, par. 3-4.
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266. Pour les raisons énoncées dans le présent exposé écrit, l’Union africaine prie respectueusement la Cour de répondre comme suit aux questions qui lui sont posées par l’Assemblée générale :
a) La Cour a compétence pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale dans sa résolution 77/247 du 30 décembre 2022 ;
b) Israël est la puissante occupante dans les territoires palestiniens, à savoir la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza ;
c) L’occupation israélienne des territoires palestiniens est contraire au droit international pour les motifs suivants :
i) L’occupation israélienne constitue une violation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien ;
ii) L’occupation israélienne des territoires palestiniens constitue une violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’État de Palestine ;
iii) L’occupation israélienne équivaut à l’annexion de facto et de jure des territoires palestiniens, en violation de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force.
d) Israël est dans l’obligation de mettre fin aux violations du droit international dont il est l’auteur, y compris en se retirant — complètement, immédiatement et sans condition — des territoires palestiniens occupés, et en cessant toutes les politiques et pratiques associées à l’occupation, en particulier les colonies établies dans le Territoire palestinien occupé ;
e) Israël a l’obligation de réparer tous les dommages causés par ses violations du droit international ; et
f) Tous les États et l’ONU ont les obligations suivantes :
i) Tous les États et l’ONU ont un devoir de non-reconnaissance en ce qui concerne la situation d’occupation illicite ;
ii) Tous les États et l’ONU sont dans l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance à cette situation illicite ;
iii) Tous les États et l’ONU sont tenus de coopérer pour mettre fin à l’occupation illicite ;
iv) Tous les États et l’ONU sont tenus de coopérer pour contribuer au droit à l’autodétermination du peuple palestinien ;
v) Tous les États parties à la convention de Genève doivent veiller au respect de cet instrument ; et
vi) Tous les États parties à la convention de Genève doivent prévenir et punir les crimes internationaux et les violations du droit international humanitaire.
267. Enfin, l’Union africaine invite respectueusement la Cour à recommander à l’Assemblée générale de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la mise en oeuvre, par toutes les parties, de son avis consultatif.
- 89 -
L’Union africaine se réserve le droit, en tant que de besoin, de réviser, compléter ou modifier la formulation du présent exposé écrit ainsi que les motifs ci-dessus, à la lumière des pièces qui seront produites ultérieurement.
Respectueusement,
Addis-Abeba, Éthiopie.
Le 25 juillet 2023
Le conseiller juridique et directeur des affaires juridiques du bureau du conseiller juridique de la Commission de l’Union africaine,
(Signé) Guy-Fleury NTWARI.
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Exposé écrit de l'Union africaine

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