PARTIE VIII (D) : Observations générales, recommandations et déclarations des organes conventionnels des droits de l'homme

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GE.03-40230 (F) 050303 100303
E
Conseil économique
et social
Distr.
GÉNÉRALE
E/C.12/2002/11
20 janvier 2003
FRANÇAIS
Original: ANGLAIS
COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS
Vingt-neuvième session
Genève, 11-29 novembre 2002
Point 3 de l’ordre du jour
QUESTIONS DE FOND CONCERNANT LA MISE EN ŒUVRE DU PACTE
INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS
Observation générale no 15 (2002)
Le droit à l’eau (art. 11 et 12 du Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels)
I. INTRODUCTION
1. L’eau est une ressource naturelle limitée et un bien public; elle est essentielle à la vie et
à la santé. Le droit à l’eau est indispensable pour mener une vie digne. Il est une condition
préalable à la réalisation des autres droits de l’homme. Le Comité ne cesse de constater que
l’exercice du droit à l’eau est largement dénié tant dans les pays en développement que dans les
pays développés. Plus d’un milliard de personnes ne bénéficient pas d’un approvisionnement
élémentaire en eau, et plusieurs milliards de personnes n’ont pas accès à un assainissement
adéquat, ce qui est la première cause de pollution de l’eau et de transmission de maladies
d’origine hydrique1. La tendance persistante à la contamination de l’eau, à l’épuisement des
1 En 2000, l’Organisation mondiale de la santé a estimé que 1,1 milliard de personnes (dont 80 %
vivaient dans des zones rurales) n’avaient pas accès à un système d’approvisionnement amélioré
capable de fournir au moins 20 litres d’eau salubre par personne et par jour et que 2,4 milliards
de personnes n’avaient accès à aucun assainissement. (Voir OMS, Évaluation mondiale 2000 de
l’approvisionnement en eau et de l’assainissement, Genève, 2000, p. 1.) En outre, 2,3 milliards
de personnes contractent chaque année des maladies d’origine hydrique: voir Nations Unies,
Commission du développement durable, Inventaire exhaustif des ressources mondiales en eau
douce, rapport du Secrétaire général, New York, 1997, p. 46.
NATIONS
UNIES
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ressources en eau et à leur répartition inégale exacerbe la pauvreté. Les États parties doivent
adopter des mesures effectives pour garantir l’exercice du droit à l’eau sans discrimination,
conformément aux dispositions de la présente Observation générale.
Fondements juridiques du droit à l’eau
2. Le droit à l’eau consiste en un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à
un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et
domestiques de chacun. Une quantité adéquate d’eau salubre est nécessaire pour prévenir la
mortalité due à la déshydratation et pour réduire le risque de transmission de maladies d’origine
hydrique ainsi que pour la consommation, la cuisine et l’hygiène personnelle et domestique.
3. L’article 11, paragraphe 1, du Pacte énonce un certain nombre de droits qui découlent du
droit à un niveau de vie suffisant − «y compris une nourriture, un vêtement et un logement
suffisants» − et qui sont indispensables à sa réalisation. L’emploi de l’expression «y compris»
indique que ce catalogue de droits n’entendait pas être exhaustif. Le droit à l’eau fait clairement
partie des garanties fondamentales pour assurer un niveau de vie suffisant, d’autant que l’eau est
l’un des éléments les plus essentiels à la survie. En outre, le Comité a déjà reconnu que l’eau est
un droit fondamental visé par le paragraphe 1 de l’article 11 [voir l’Observation générale no 6
(1995)]2. Le droit à l’eau est aussi inextricablement lié au droit au meilleur état de santé
susceptible d’être atteint (art. 12, par. 1)3 et aux droits à une nourriture et à un logement
suffisants (art. 11, par. 1)4. Il devrait également être considéré conjointement avec les autres
droits consacrés dans la Charte internationale des droits de l’homme, et d’abord le droit à la vie
et à la dignité.
4. Le droit à l’eau a été reconnu dans de nombreux documents internationaux, y compris des
traités, déclarations et autres textes normatifs5. Par exemple, l’article 14, paragraphe 2, de la
2 Voir les paragraphes 5 et 32 de l’Observation générale no 6 (1995) sur les droits économiques,
sociaux et culturels des personnes âgées.
3 Voir l’Observation générale no 14 (2000) sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être
atteint (par. 11, 12 a), b) et d), 15, 34, 36, 40, 43 et 51).
4 Voir le paragraphe 8 b) de l’Observation générale no 4 (1991). Voir aussi le rapport présenté
par M. Miloon Khotari, Rapporteur spécial sur le droit à un logement convenable en tant
qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant (E/CN.4/2002/59), conformément à la
résolution 2001/28, en date du 20 avril 2001, de la Commission des droits de l’homme.
Concernant le droit à une nourriture suffisante, voir le rapport présenté par M. Jean Ziegler,
Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation (E/CN.4/2002/58), conformément à la
résolution 2001/25, en date du 20 avril 2001, de la Commission des droits de l’homme.
5 Voir l’article 14, paragraphe 2 h), de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes; l’article 24, paragraphe 2 c), de la Convention relative aux
droits de l’enfant; les articles 20, 26, 29 et 46 de la Convention de Genève relative au traitement
des prisonniers de guerre (1949); les articles 85, 89 et 127 de la Convention de Genève relative à
la protection des personnes civiles en temps de guerre; les articles 54 et 55 du Protocole
additionnel I aux Conventions de Genève (1977); les articles 5 et 14 du Protocole additionnel II
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Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
dispose que les États parties doivent assurer aux femmes le droit de «bénéficier de conditions de
vie convenables, notamment en ce qui concerne [...] l’approvisionnement [...] en eau».
L’article 24, paragraphe 2, de la Convention relative aux droits de l’enfant fait obligation aux
États parties de lutter contre la maladie et la malnutrition grâce «à la fourniture d’aliments
nutritifs et d’eau potable».
5. Le Comité aborde systématiquement la question du droit à l’eau lorsqu’il examine les
rapports des États parties au regard de ses directives générales révisées concernant la forme et le
contenu des rapports que les États parties doivent présenter conformément aux articles 16 et 17
du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que ses
observations générales.
6. L’eau est nécessaire à des fins diverses, outre les usages personnels et domestiques, pour
la réalisation de nombreux droits énoncés dans le Pacte, par exemple, pour la production
alimentaire (droit à une nourriture suffisante) et pour l’hygiène du milieu (droit à la santé).
Elle est essentielle pour obtenir des moyens de subsistance (droit de gagner sa vie par le travail)
et pour exercer certaines pratiques culturelles (droit de participer à la vie culturelle). Néanmoins,
les ressources en eau doivent être affectées en priorité aux usages personnels et domestiques.
La priorité devrait aussi être donnée à la prévention de la faim et des maladies, ainsi qu’au
respect des obligations fondamentales découlant de chacun des droits inscrits dans le Pacte6.
aux Conventions de Genève (1977); le préambule de la Déclaration de Mar Del Plata de la
Conférence des Nations Unies sur l’eau; le paragraphe 18.47 d’Action 21, Rapport de la
Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, Rio de Janeiro,
3-14 juin 1992 (A/CONF.151/26/Rev.1) (Vol. I et Vol. I/Corr.1, Vol. II, Vol. III et
Vol. III/Corr.1) (publication des Nations Unies, numéro de vente: F.93.I.8), Vol. I: Résolutions
adoptées par la Conférence, résolution 1, annexe II; le principe no 3 de la Déclaration de Dublin
sur l’eau dans la perspective d’un développement durable, Conférence internationale sur l’eau et
l’environnement (A/CONF.151/PC/112); le principe no 2 du Programme d’action, Rapport de la
Conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire, 5-13 septembre 1994
(publication des Nations Unies, numéro de vente: F.95.XIII.18), chap. I, résolution 1, annexe; les
paragraphes 5 et 19 de la Recommandation 14 (2001) du Comité des ministres aux États
membres de la Charte européenne des ressources en eau; la résolution 2002/6 de la
Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme de l’ONU sur la
réalisation du droit à l’eau potable. Voir aussi le rapport présenté par M. El Hadji Guissé,
Rapporteur spécial de la Sous-Commission sur la promotion de la réalisation du droit à l’eau
potable et à l’assainissement, concernant le rapport entre la jouissance des droits économiques,
sociaux et culturels et la promotion de la réalisation du droit à l’eau potable et à l’assainissement
(E/CN.4/Sub.2/2002/10).
6 Voir aussi le Sommet mondial pour le développement durable, Plan d’application 2002,
par. 25 c).
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L’eau et les droits énoncés dans le Pacte
7. Le Comité note qu’il importe d’assurer un accès durable aux ressources en eau pour
l’agriculture afin de réaliser le droit à une nourriture suffisante [voir l’Observation générale nº 12
(1999)]7. Il faut veiller à ce que les agriculteurs défavorisés et marginalisés, y compris les
femmes, aient accès, dans des conditions équitables, à l’eau et aux systèmes de gestion de l’eau,
notamment aux techniques durables de récupération des eaux de pluie et d’irrigation. Compte
tenu de l’obligation faite à l’article premier, paragraphe 2, du Pacte, qui dispose qu’en aucun cas,
un peuple ne pourra «être privé de ses propres moyens de subsistance», les États parties
devraient garantir un approvisionnement en eau adéquat pour l’agriculture de subsistance et pour
la sauvegarde des moyens de subsistance des peuples autochtones8.
8. L’hygiène du milieu, en tant qu’élément du droit à la santé consacré à l’alinéa b du
paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte, implique qu’il soit pris des mesures, sans discrimination,
afin de prévenir les risques pour la santé dus à une eau insalubre et toxique9. Par exemple, les
États parties devraient veiller à ce que les ressources naturelles en eau soient protégées d’une
contamination par des substances nocives et des microbes pathogènes. De même, les États
parties devraient surveiller les cas où des écosystèmes aquatiques infestés de vecteurs de
maladies constituent un risque pour l’habitat humain et prendre des mesures pour y remédier10.
9. Afin d’aider les États parties à mettre en œuvre le Pacte et à s’acquitter de leurs obligations
en matière d’établissement de rapports, la présente Observation générale porte sur le contenu
normatif du droit à l’eau en vertu des articles 11, paragraphe 1, et 12 (sect. II), sur les obligations
des États parties (sect. III), sur les manquements à ces obligations (sect. IV), sur la mise en
œuvre à l’échelon national (sect. V) et sur les obligations des acteurs autres que les États parties
(sect. VI).
7 Il s’agit à la fois de la disponibilité de nourriture et de l’accessibilité à une nourriture suffisante
(voir l’Observation générale nº 12 (1999), par. 12 et 13).
8 Voir aussi la Déclaration d’accord accompagnant la Convention des Nations Unies sur le droit
relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation
(A/51/869 du 11 avril 1997), où il est dit que pour apprécier les besoins humains essentiels en
cas de conflits concernant l’utilisation des cours d’eau, «il faut s’intéresser en particulier à la
fourniture d’eau en quantité suffisante pour la vie humaine, qu’il s’agisse de l’eau potable ou de
l’eau à réserver aux productions vivrières destinées à empêcher la famine».
9 Voir aussi le paragraphe 15 de l’Observation générale no 14.
10 Selon une définition de l’OMS, les maladies véhiculées par des vecteurs sont celles transmises
par des insectes (paludisme, filariose, dengue, encéphalite japonaise et fièvre jaune), par des
mollusques aquatiques qui servent d’hôtes intermédiaires (schistosomiase) et par des vertébrés
qui tiennent lieu de réservoirs (zoonoses).
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II. CONTENU NORMATIF DU DROIT
10. Le droit à l’eau consiste en des libertés et des droits. Parmi les premières figurent le droit
d’accès ininterrompu à l’approvisionnement en eau nécessaire pour exercer le droit à l’eau, et le
droit de ne pas subir d’entraves, notamment une interruption arbitraire de l’approvisionnement et
d’avoir accès à une eau non contaminée. Par contre, les seconds correspondent au droit d’avoir
accès à un système d’approvisionnement et de gestion qui donne à chacun la possibilité
d’exercer, dans des conditions d’égalité, le droit à l’eau.
11. Les éléments constitutifs du droit à l’eau doivent être adéquats au regard de la dignité
humaine, de la vie et de la santé, conformément aux articles 11, paragraphe 1, et 12 du Pacte.
La notion d’approvisionnement en eau adéquat doit être interprétée d’une manière compatible
avec la dignité humaine, et non au sens étroit, en faisant simplement référence à des critères de
volume et à des aspects techniques. L’eau devrait être considérée comme un bien social et
culturel et non essentiellement comme un bien économique. Le droit à l’eau doit aussi être
exercé dans des conditions de durabilité, afin que les générations actuelles et futures puissent en
bénéficier11.
12. Si la notion d’approvisionnement en eau adéquat varie en fonction des situations, les
facteurs ci-après sont pertinents quelles que soient les circonstances:
a) Disponibilité. L’eau disponible pour chaque personne doit être suffisante et
constante12 pour les usages personnels et domestiques, qui sont normalement la consommation,
l’assainissement individuel, le lavage du linge, la préparation des aliments ainsi que l’hygiène
personnelle et domestique13. La quantité d’eau disponible pour chacun devrait correspondre aux
directives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)14. Il existe des groupes ou des
particuliers qui ont besoin d’eau en quantité plus importante pour des raisons liées à la santé,
au climat ou au travail.
11 Pour une définition de la durabilité, voir le Rapport de la Conférence Nations Unies sur
l’environnement et le développement, Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992, Déclaration sur
l’environnement et le développement, principes 1, 8, 9, 10, 12 et 15; et Action 21, en particulier
les principes 5.3, 7.27, 7.28, 7.35, 7.39, 7.41, 18.3, 18.8, 18.35, 18.40, 18.48, 18.50, 18.59
et 18.68.
12 Le terme «constante» implique que l’approvisionnement en eau doit être suffisamment
régulier pour les usages personnels et domestiques.
13 Dans ce contexte, par «consommation», on entend la consommation d’eau contenue dans
les boissons et dans les denrées alimentaires. Par «assainissement individuel», on entend
l’évacuation des excreta humains, l’eau étant nécessaire dans certains systèmes. Par «préparation
des aliments», on entend l’hygiène alimentaire et la préparation des denrées alimentaires, que
l’eau soit incorporée dans les aliments ou entre en contact avec ceux-ci. Par «hygiène
personnelle et domestique», on entend la propreté corporelle et l’hygiène du foyer.
14 Voir J. Bartram et G. Howard, «Domestic water quantity, service level and health: what should
be the goal for water and health sectors», OMS, 2002. Voir aussi P.H. Gleik, (1996) «Basic
water requirements for human activities: meeting basic needs», Water International, 21, p. 83
à 92.
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b) Qualité. L’eau nécessaire pour chaque usage personnel et domestique doit être
salubre et donc exempte de microbes, de substances chimiques et de risques radiologiques qui
constituent une menace pour la santé15. En outre, l’eau doit avoir une couleur, une odeur et un
goût acceptables pour chaque usage personnel ou domestique.
c) Accessibilité. L’eau, les installations et les services doivent être accessibles, sans
discrimination, à toute personne relevant de la juridiction de l’État partie. L’accessibilité
comporte quatre dimensions qui se recoupent:
i) Accessibilité physique: l’eau ainsi que les installations et services adéquats
doivent être physiquement accessibles sans danger pour toutes les couches
de la population. Chacun doit avoir accès à une eau salubre, de qualité
acceptable et en quantité suffisante au foyer, dans les établissements
d’enseignement et sur le lieu de travail, ou à proximité immédiate16. Tous les
équipements et services doivent être de qualité suffisante, culturellement
adaptés et respectueux de la parité entre les sexes, du cycle de vie et de la vie
privée. La sécurité physique des personnes qui ont accès à ces installations et
services ne doit pas être menacée;
ii) Accessibilité économique: l’eau, les installations et les services doivent être
d’un coût abordable pour tous. Les coûts directs et indirects qu’implique
l’approvisionnement en eau doivent être raisonnables, et ils ne doivent pas
compromettre ou menacer la réalisation des autres droits consacrés dans le
Pacte;
iii) Non-discrimination: l’eau, les installations et les services doivent être
accessibles à tous, en particulier aux couches de la population les plus
vulnérables ou marginalisées, en droit et en fait, sans discrimination fondée sur
l’un quelconque des motifs proscrits;
iv) Accessibilité de l’information: l’accessibilité correspond au droit de rechercher,
de recevoir et de répandre des informations concernant les questions relatives à
l’eau17.
15 Le Comité renvoie les États parties au document de l’OMS intitulé Directives de qualité pour
l’eau de boisson, 2e éd., vol. 1 à 3 (OMS, Genève, 1993), directives «destinées à servir de
principes de base pour l’élaboration de normes nationales qui, si elles sont correctement
appliquées, assureront la salubrité de l’eau de boisson grâce à l’élimination des constituants
connus pour leur nocivité ou à la réduction de leur concentration jusqu’à une valeur minime».
16 Voir l’Observation générale no 4 (1991), par. 8 b), l’Observation générale no 13 (1999),
par. 6 a), et l’Observation générale no 14 (2000), par. 8 a) et b). On entend par foyer un logement
permanent ou semi-permanent, ou une halte temporaire.
17 Voir le paragraphe 48 de la présente Observation générale.
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Thèmes spéciaux de portée générale
Non-discrimination et égalité
13. L’obligation qui incombe aux États parties de garantir que le droit à l’eau est exercé sans
discrimination (art. 2, par. 2) et dans des conditions d’égalité entre les hommes et les femmes
(art. 3) est contenue dans toutes les obligations découlant du Pacte. Celui-ci interdit toute
discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’âge, la langue, la religion, l’opinion
politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance, un
handicap physique ou mental, l’état de santé (y compris l’infection par le VIH/sida), l’orientation
sexuelle et la situation civile, politique, sociale ou autre, dont l’intention ou l’effet est d’infirmer
le droit à l’eau ou d’en entraver l’exercice sur un pied d’égalité. Le Comité rappelle le
paragraphe 12 de l’Observation générale nº 3 (1990) disposant que même en temps de grave
pénurie de ressources, les éléments vulnérables de la société doivent être protégés grâce à la mise
en œuvre de programmes spécifiques relativement peu coûteux.
14. Les États parties devraient agir pour éliminer toute discrimination de fait fondée sur des
motifs interdits, qui prive des particuliers et des groupes des moyens ou des droits nécessaires
pour exercer leur droit à l’eau. Ils devraient veiller à ce que l’allocation des ressources en eau et
les investissements correspondants facilitent l’accès à l’eau de tous les membres de la société.
Une mauvaise affectation des ressources peut aboutir à une discrimination qui n’est pas toujours
manifeste. Par exemple, les investissements ne devraient pas privilégier de manière
disproportionnée des services et équipements d’approvisionnement coûteux, qui souvent ne sont
accessibles qu’à une frange fortunée de la population, plutôt que des services et des installations
susceptibles de bénéficier à une proportion bien plus forte de la population.
15. S’agissant du droit à l’eau, les États parties ont en particulier l’obligation de fournir l’eau
et les installations nécessaires à ceux qui ne disposent pas de moyens suffisants, et de prévenir
toute discrimination fondée sur des motifs interdits par les instruments internationaux concernant
la fourniture d’eau et des services correspondants.
16. Même si chacun a droit à l’eau, les États parties devraient prêter une attention spéciale
aux particuliers et aux groupes qui ont traditionnellement des difficultés à exercer ce droit,
notamment les femmes, les enfants, les groupes minoritaires, les peuples autochtones, les
réfugiés, les demandeurs d’asile, les personnes déplacées dans leur propre pays, les travailleurs
migrants ainsi que les prisonniers et les détenus. En particulier, les États parties devraient
prendre des mesures pour garantir ce qui suit:
a) Les femmes ne doivent pas être exclues des processus de prise de décisions
concernant les ressources en eau et les droits correspondants. Il faut alléger la charge excessive
que représente pour elles l’obligation d’aller chercher de l’eau;
b) Les enfants ne doivent pas être privés de l’exercice de leurs droits fondamentaux
à cause du manque d’eau potable en quantité suffisante à l’école et dans la famille ou de
l’obligation d’aller chercher de l’eau. L’approvisionnement en eau adéquat des écoles qui ne
disposent pas actuellement d’une eau potable en quantité suffisante devrait être assuré en
priorité;
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c) Les zones rurales et les zones urbaines déshéritées doivent disposer d’un système
d’approvisionnement en eau convenablement entretenu. L’accès aux sources d’eau
traditionnelles devrait être protégé des utilisations illégales et de la pollution. Les zones urbaines
déshéritées, y compris les établissements humains non structurés, et les personnes sans abri
devraient disposer d’un système d’approvisionnement en eau convenablement entretenu. Le droit
à l’eau ne doit être dénié à aucun ménage en raison de sa situation en matière de logement ou du
point de vue foncier;
d) L’accès des peuples autochtones aux ressources en eau sur leurs terres ancestrales
doit être protégé de la pollution et des utilisations illégales. Les États devraient fournir aux
peuples autochtones des ressources leur permettant de concevoir, d’assurer et de contrôler leur
accès à l’eau;
e) Les communautés nomades et les gens du voyage doivent disposer d’un
approvisionnement en eau adéquat dans leurs sites traditionnels ou à des haltes désignées;
f) Les réfugiés, les demandeurs d’asile, les personnes déplacées dans leur propre pays
et celles qui retournent dans leur foyer doivent disposer d’un approvisionnement en eau adéquat,
indépendamment du fait qu’ils vivent dans des camps ou dans des zones urbaines. Les réfugiés et
les demandeurs d’asile doivent avoir accès à l’eau au même titre et dans les mêmes conditions
que les nationaux;
g) Les prisonniers et les détenus doivent avoir accès à une eau salubre en quantité
suffisante pour leurs besoins personnels quotidiens, compte tenu des dispositions du droit
international humanitaire et de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le
traitement des détenus18;
h) Les groupes qui ont des difficultés à accéder physiquement à l’eau telles que les
personnes âgées, les personnes handicapées, les victimes de catastrophes naturelles et les
personnes qui vivent dans des zones sujettes à des catastrophes naturelles, dans des zones arides
et semi-arides ou sur de petites îles doivent disposer d’un approvisionnement en eau salubre en
quantité suffisante.
III. OBLIGATIONS DES ÉTATS PARTIES
Obligations juridiques générales
17. Certes, le Pacte prévoit la réalisation progressive des droits qui y sont énoncés et prend en
considération les contraintes dues à la limitation des ressources disponibles, mais il n’en impose
pas moins aux États parties diverses obligations avec effet immédiat. Les États parties ont des
obligations immédiates au regard du droit à l’eau: par exemple, celle de garantir son exercice
18 Voir les articles 20, 26, 29 46 de la troisième Convention de Genève du 12 août 1949; les
articles 85, 89 et 127 de la quatrième Convention de Genève du 12 août 1949; et les articles 15
et 20, par. 2, de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus,
dans Droits de l’homme: Recueil d’instruments internationaux (publication des Nations Unies,
numéro de vente: F.88.XIV.1).
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sans discrimination (art. 2, par. 2) et celle d’agir (art. 2, par. 1) en vue d’assurer l’application
pleine et entière des articles 11, paragraphe 1, et 12. Les mesures à prendre à cet effet doivent
avoir un caractère délibéré et concret et viser au plein exercice du droit à l’eau.
18. Les États parties ont l’obligation constante et permanente d’avancer aussi rapidement et
aussi efficacement que possible vers le plein exercice du droit à l’eau. L’exercice de ce droit,
comme de tous les autres droits énoncés dans le Pacte, doit être possible et réalisable, puisque
tous les États parties contrôlent un large éventail de ressources, y compris l’eau, la technologie,
les ressources financières et l’aide internationale.
19. Tout laisse supposer que le Pacte interdit toute mesure rétrograde s’agissant du droit à
l’eau19. S’il prend une mesure délibérément rétrograde, l’État partie doit apporter la preuve qu’il
l’a fait après avoir mûrement pesé toutes les autres solutions possibles et que cette mesure est
pleinement justifiée eu égard à l’ensemble des droits visés dans le Pacte, et ce en utilisant au
maximum les ressources disponibles.
Obligations juridiques spécifiques
20. Le droit à l’eau, comme tout droit fondamental, impose trois types d’obligations aux États
parties: les obligations de respecter, de protéger et de mettre en oeuvre.
a) Obligations de respecter
21. L’obligation de respecter requiert des États parties qu’ils s’abstiennent d’entraver
directement ou indirectement l’exercice du droit à l’eau. L’État partie est notamment tenu de
s’abstenir d’exercer une quelconque pratique ou activité qui consiste à refuser ou à restreindre
l’accès en toute égalité à un approvisionnement en eau adéquat; de s’immiscer arbitrairement
dans les arrangements coutumiers ou traditionnels de partage de l’eau; de limiter la quantité
d’eau ou de polluer l’eau de façon illicite, du fait par exemple des déchets émis par des
installations appartenant à des entreprises publiques ou de l’emploi et de l’essai d’armes; et de
restreindre l’accès aux services et infrastructures ou de les détruire, à titre punitif, par exemple
en temps de conflit armé en violation du droit international humanitaire.
22. Le Comité note que pendant les conflits armés, les situations d’urgence et les catastrophes
naturelles, le droit à l’eau englobe les obligations qui incombent aux États parties en vertu du
droit international humanitaire20, notamment concernant la protection des biens indispensables à
la survie de la population civile tels que les installations et réserves d’eau potable et les ouvrages
d’irrigation, la protection du milieu naturel contre des dommages étendus, durables et graves,
19 Voir l’Observation générale nº 3 (1990), par. 9.
20 Concernant le lien entre le droit des droits de l’homme et le droit humanitaire, le Comité prend
note des conclusions de la Cour internationale de Justice dans Licéité de la menace de l’emploi
d’armes nucléaires (avis consultatif demandé par l’Assemblée générale), Rapports de la CIJ
(1996), p. 226, par. 25.
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et la garantie que les civils, détenus et prisonniers disposent d’un approvisionnement en eau
adéquat21.
b) Obligations de protéger
23. L’obligation de protéger requiert des États parties qu’ils empêchent des tiers d’entraver de
quelque manière que ce soit l’exercice du droit à l’eau. Il peut s’agir de particuliers, d’entreprises
ou d’autres entités, ainsi que d’agents agissant sous leur autorité. Les États parties sont
notamment tenus de prendre les mesures législatives et autres nécessaires et effectives pour
empêcher, par exemple, des tiers de refuser l’accès en toute égalité à un approvisionnement en
eau adéquat, et de polluer ou de capter de manière injuste les ressources en eau, y compris les
sources naturelles, les puits et les systèmes de distribution d’eau.
24. Les États parties doivent veiller à ce que les tiers qui gèrent ou contrôlent les services
(réseaux d’adduction d’eau, navires-citernes, accès à des cours d’eau et à des puits, etc.) ne
compromettent pas l’accès physique, à un coût abordable et sans discrimination, à une eau
salubre et de qualité acceptable, en quantité suffisante. Pour prévenir ce type de violation, il faut
mettre en place un système réglementaire efficace qui soit conforme au Pacte et à la présente
Observation générale et qui assure un contrôle indépendant, une participation véritable de la
population et l’imposition de sanctions en cas d’infraction.
c) Obligations de mettre en oeuvre
25. L’obligation de mettre en oeuvre se décompose en obligations de faciliter, de promouvoir
et d’assurer. L’obligation de faciliter requiert de l’État qu’il prenne des mesures positives pour
aider les particuliers et les communautés à exercer le droit à l’eau. L’obligation de promouvoir
requiert de l’État partie qu’il mène des actions pour assurer la diffusion d’informations
appropriées sur l’utilisation hygiénique de l’eau, la protection des sources d’eau et les méthodes
propres à réduire le gaspillage. Les États parties sont également tenus de mettre en œuvre
(assurer la réalisation de) ce droit lorsque des particuliers ou des groupes sont incapables, pour
des raisons échappant à leur contrôle, de l’exercer eux-mêmes avec leurs propres moyens.
26. L’obligation de mettre en œuvre requiert des États parties qu’ils adoptent les mesures
nécessaires au plein exercice du droit à l’eau. Les États parties sont notamment tenus de faire une
place suffisante à ce droit dans le système politique et juridique national, de préférence par
l’adoption de mesures législatives; de se doter d’une stratégie et d’un plan d’action pour l’eau au
niveau national afin de donner effet à ce droit; de veiller à ce que l’eau soit accessible à chacun à
un coût abordable; et de faciliter un accès amélioré et durable à l’eau, en particulier dans les
zones rurales et les zones urbaines déshéritées.
27. Pour s’assurer que le coût de l’eau est abordable, les États parties doivent adopter les
mesures nécessaires, notamment: a) avoir recours à diverses techniques et technologies
appropriées d’un coût raisonnable; b) pratiquer des politiques de prix appropriées prévoyant par
21 Voir les articles 54 et 55 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève (1977),
l’article 14 du Protocole additionnel II (1977), les articles 20 et 46 de la troisième Convention de
Genève du 12 août 1949 et l’article 3 commun aux Conventions de Genève du 12 août 1949.
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exemple un approvisionnement en eau gratuit ou à moindre coût; et c) verser des compléments
de revenu. Le prix des services doit être établi sur la base du principe de l’équité, pour faire en
sorte que ces services, qu’ils soient fournis par des opérateurs publics ou privés, soient
abordables pour tous, y compris pour les groupes socialement défavorisés. L’équité exige que
l’eau ne représente pas une part excessive des dépenses des ménages les plus pauvres par rapport
aux ménages plus aisés.
28. Les États parties devraient adopter des stratégies et programmes complets et intégrés en
vue d’assurer aux générations actuelles et futures un approvisionnement suffisant en eau
salubre22. Ces stratégies et programmes peuvent notamment avoir pour objectifs de: a) lutter
contre l’appauvrissement des ressources en eau dû à des captages, à des détournements et à
l’établissement de barrages sans souci de durabilité; b) réduire et éliminer la contamination des
bassins hydrographiques et des écosystèmes aquatiques par des substances telles que des
éléments radioactifs, des produits chimiques nocifs et des excréta humains; c) surveiller les
réserves d’eau; d) veiller à ce que les aménagements envisagés n’entravent pas un
approvisionnement en eau adéquat; e) évaluer l’impact des actions qui sont susceptibles
d’affecter la disponibilité de l’eau et les bassins hydrographiques des écosystèmes naturels, tels
que les changements climatiques, la désertification et la salinité accrue du sol, la déforestation et
la perte de biodiversité23; f) développer l’utilisation rationnelle de l’eau par les consommateurs
finals; g) réduire le gaspillage durant la distribution de l’eau; h) prévoir des mécanismes pour
faire face aux situations d’urgence; et i) mettre en place des institutions compétentes et des
mécanismes institutionnels appropriés pour exécuter ces stratégies et programmes.
29. Garantir l’accès à un assainissement adéquat est non seulement fondamental pour le
respect de la dignité humaine et de la vie privée, mais constitue aussi un des principaux moyens
de protéger la qualité de l’approvisionnement et des ressources en eau potable24. Conformément
aux droits à la santé et à un logement suffisant (voir les Observations générales nos 4 (1991) et 14
(2000)), les États parties ont l’obligation de fournir progressivement des services
d’assainissement sûrs, en particulier dans les zones rurales et les zones urbaines déshéritées, en
tenant compte des besoins des femmes et des enfants.
22 Voir la note de bas de page 5 ci-dessus, Action 21, chap. 5, 7 et 18 ; Sommet mondial pour le
développement durable, Plan d’application (2002), par. 6 a), l) et m), 7, 36 et 38.
23 Voir la Convention sur la diversité biologique, la Convention sur la lutte contre la
désertification, la Convention-cadre sur les changements climatiques et les protocoles ultérieurs.
24 Voir l’article 14, par. 2, de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes, qui dispose que les États parties assurent aux femmes le
droit de «bénéficier de conditions de vie convenables, notamment en ce qui concerne [...]
l’assainissement». L’article 24, par. 2, de la Convention relative aux droits de l’enfant dispose
que les États parties doivent «faire en sorte que tous les groupes de la société [...] reçoivent une
information sur [...] les avantages de [...] l’hygiène et la salubrité de l’environnement».
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Obligations internationales
30. Conformément à l’article 2, paragraphe 1, à l’article 11, paragraphe 1, et à l’article 23
du Pacte, les États parties reconnaissent le rôle essentiel de l’assistance et de la coopération
internationales et s’engagent à agir, individuellement et collectivement, en vue d’assurer le plein
exercice du droit à l’eau.
31. Pour s’acquitter de leurs obligations internationales, les États parties doivent respecter
l’exercice du droit à l’eau dans les autres pays. La coopération internationale requiert des États
parties qu’ils s’abstiennent de mener des actions qui entravent, directement ou indirectement,
l’exercice du droit à l’eau dans d’autres pays. Les activités exercées dans la juridiction de l’État
partie ne devraient pas empêcher un autre pays d’assurer l’exercice de ce droit aux personnes
relevant de sa juridiction25.
32. Les États parties devraient s’abstenir dans tous les cas d’imposer, directement ou
indirectement, à un autre pays des embargos et autres mesures similaires empêchant
l’approvisionnement en eau et la fourniture de marchandises et de services qui sont essentiels
pour assurer le droit à l’eau26. L’eau ne devrait jamais être utilisée comme instrument de pression
politique ou économique. À ce propos, le Comité rappelle sa position, décrite dans l’Observation
générale no 8 (1997), sur la relation entre les sanctions économiques et le respect des droits
économiques, sociaux et culturels.
33. Les États parties devraient prendre des mesures pour empêcher leurs propres ressortissants
ou des compagnies qui relèvent de leur juridiction, de violer le droit à l’eau de particuliers et de
communautés dans d’autres pays. Les États parties doivent agir de manière compatible avec
la Charte des Nations Unies et le droit international applicable lorsqu’ils sont à même d’inciter
des tiers à respecter ce droit en usant de moyens juridiques ou politiques.
34. En fonction des ressources dont ils disposent, les États devraient faciliter l’exercice du
droit à l’eau dans les autres pays, par exemple en fournissant des ressources en eau et une aide
financière et technique, et apporter l’assistance nécessaire. En ce qui concerne l’aide en cas de
catastrophe et les secours d’urgence, la priorité devrait être donnée aux droits consacrés dans le
Pacte, notamment à un approvisionnement en eau adéquat. L’aide internationale devrait être
fournie d’une manière qui soit non seulement compatible avec le Pacte et les autres instruments
relatifs aux droits de l’homme, mais aussi viable et acceptable du point de vue culturel. Il est,
25 Le Comité note qu’aux termes de la Convention des Nations Unies sur le droit relatif aux
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, les besoins sociaux
et humains doivent être pris en considération lorsqu’il s’agit de déterminer l’utilisation équitable
des cours d’eau, les États parties doivent prendre des mesures pour ne pas causer de dommages
significatifs et, en cas de conflit, une attention spéciale doit être accordée à la satisfaction des
besoins humains essentiels: voir les articles 5, 7 et 10.
26 Le Comité rappelle l’Observation générale no 8, dans laquelle il a fait valoir que les sanctions
perturbaient la distribution d’articles d’hygiène et compromettaient l’approvisionnement en eau
potable, et que dans le cadre d’un régime de sanctions, il convenait de prévoir la réparation
des infrastructures indispensables pour fournir de l’eau propre.
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en particulier, de la responsabilité et de l’intérêt des États parties économiquement développés
d’aider à cet égard les États en développement plus démunis.
35. Les États parties devraient veiller à ce que le droit à l’eau reçoive l’attention voulue dans
les accords internationaux et, à cette fin, devraient envisager d’élaborer de nouveaux instruments
juridiques. En ce qui concerne la conclusion et la mise en œuvre d’autres accords internationaux
et régionaux, les États parties devraient s’assurer que ces instruments n’ont pas d’incidence
néfaste sur le droit à l’eau. Les accords de libéralisation du commerce ne devraient pas entraver
ou amoindrir la capacité d’un pays d’assurer le plein exercice de ce droit.
36. Les États parties sont tenus de veiller à ce que les mesures qu’ils prennent en tant que
membres d’organisations internationales tiennent dûment compte du droit à l’eau.
En conséquence, les États parties qui sont membres d’institutions financières internationales,
notamment le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les banques régionales de
développement, devraient porter une plus grande attention à la protection du droit à l’eau dans
les politiques de prêt, les accords de crédit et les autres initiatives internationales de
ces institutions.
Obligations fondamentales
37. Dans l’Observation générale no 3, le Comité confirme que les États parties ont l’obligation
fondamentale minimum d’assurer, au moins, la satisfaction de l’essentiel de chacun des droits
énoncés dans le Pacte. De l’avis du Comité, les obligations fondamentales se rapportant au droit
à l’eau et ayant un effet immédiat sont au minimum:
a) D’assurer l’accès à la quantité d’eau essentielle, suffisante et salubre pour les usages
personnels et domestiques, afin de prévenir les maladies;
b) De garantir le droit d’accès à l’eau, aux installations et aux services sans
discrimination, notamment pour les groupes vulnérables ou marginalisés;
c) D’assurer l’accès physique à des installations et services qui fournissent
régulièrement une eau salubre en quantité suffisante; qui comportent un nombre suffisant de
points d’eau pour éviter des attentes excessives; et qui soient à distance raisonnable du foyer;
d) De veiller à ce que la sécurité des personnes qui ont physiquement accès à l’eau ne
soit pas menacée;
e) D’assurer une répartition équitable de tous les équipements et services disponibles;
f) D’adopter et de mettre en œuvre, au niveau national, une stratégie et un plan d’action
visant l’ensemble de la population; cette stratégie et ce plan d’action devraient être élaborés et
périodiquement examinés dans le cadre d’un processus participatif et transparent; ils devraient
prévoir des méthodes, telles que des indicateurs et des critères sur le droit à l’eau, permettant de
surveiller de près les progrès accomplis; une attention particulière devrait être accordée à tous les
groupes vulnérables ou marginalisés lors de l’élaboration de la stratégie et du plan d’action, de
même que dans leur contenu;
g) De contrôler dans quelle mesure le droit à l’eau est réalisé ou ne l’est pas;
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h) D’adopter des programmes d’approvisionnement en eau relativement peu coûteux
visant à protéger les groupes vulnérables et marginalisés;
i) De prendre des mesures pour prévenir, traiter et combattre les maladies d’origine
hydrique, en particulier en assurant l’accès à un assainissement adéquat.
38. Pour qu’il n’y ait aucun doute à ce sujet, le Comité tient à souligner qu’il incombe tout
particulièrement aux États parties et aux autres intervenants en mesure d’apporter leur concours
de fournir l’assistance et la coopération internationales − notamment sur les plans économique
et technique − nécessaires pour permettre aux pays en développement d’honorer les obligations
fondamentales mentionnées au paragraphe 37 ci-dessus.
IV. MANQUEMENTS AUX OBLIGATIONS
39. Quand le contenu normatif du droit à l’eau (voir sect. II) est appliqué aux obligations des
États parties (sect. III), le processus dynamique qui s’engage permet de mettre plus facilement
en évidence les atteintes au droit à l’eau. On trouvera ci-après des exemples d’infractions.
40. Pour démontrer qu’ils s’acquittent de leurs obligations générales et spécifiques, les États
parties doivent établir qu’ils ont pris les mesures nécessaires et réalisables en vue d’assurer
l’exercice du droit à l’eau. Conformément au droit international, le défaut d’exécution de bonne
foi équivaut à une violation du droit. Il convient toutefois de souligner qu’un État partie ne peut
justifier l’inexécution des obligations fondamentales énoncées au paragraphe 37 ci-dessus,
auxquelles il est impossible de déroger.
41. Pour déterminer quelles actions ou omissions constituent une atteinte au droit à l’eau, il
importe d’établir une distinction entre l’incapacité et le manque de volonté de l’État partie de
s’acquitter de ses obligations. Ce constat découle des articles 11, paragraphe 1, et 12 du Pacte,
qui parlent du droit à un niveau de vie suffisant et du droit à la santé, ainsi que de l’article 2,
paragraphe 1, du Pacte, lequel fait obligation à chaque État partie de prendre les mesures
nécessaires au maximum de ses ressources disponibles. Un État dépourvu de la volonté d’utiliser
au maximum les ressources à sa disposition pour donner effet au droit à l’eau manque par
conséquent aux obligations lui incombant en vertu du Pacte. Si c’est la pénurie de ressources
qui met un État dans l’impossibilité de se conformer aux obligations découlant du Pacte, l’État a
alors la charge de démontrer qu’il n’a négligé aucun effort pour exploiter toutes les ressources
à sa disposition en vue de s’acquitter à titre prioritaire des obligations indiquées ci-dessus.
42. Les atteintes au droit à l’eau peuvent être le fait d’une action directe − commission
d’actes − soit de l’État soit de diverses entités insuffisamment contrôlées par l’État. Il peut
s’agir de l’adoption de mesures rétrogrades incompatibles avec les obligations fondamentales
(indiquées au paragraphe 37 ci-dessus), de l’abrogation ou de la suspension officielles de la
législation qui est nécessaire pour continuer d’exercer le droit à l’eau, ou de l’adoption de lois
ou de politiques manifestement incompatibles avec des obligations juridiques préexistantes de
caractère interne ou international ayant trait au droit à l’eau.
43. Parmi les atteintes par omission figurent le fait pour un État de ne pas prendre les mesures
voulues pour assurer le plein exercice du droit de chacun à l’eau, le fait de ne pas adopter de
politique nationale sur l’eau, et le fait de ne pas assurer l’application des lois pertinentes.
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44. Bien qu’il ne soit pas possible d’arrêter d’avance la liste complète des violations, les
travaux du Comité permettent de dégager certains exemples typiques concernant les différents
niveaux d’obligations:
a) Les manquements à l’obligation de respecter découlent des entraves de l’État partie
au droit à l’eau. Il s’agit notamment: i) de l’interruption ou du refus arbitraires ou injustifiés
d’accès aux services ou installations; ii) des hausses disproportionnées ou discriminatoires du
prix de l’eau; iii) de la pollution et de l’appauvrissement des ressources en eau qui affectent la
santé des personnes;
b) Les manquements à l’obligation de protéger découlent du fait que l’État n’a pas pris
toutes les mesures voulues pour protéger les personnes relevant de sa juridiction contre des
atteintes au droit à l’eau imputables à des tiers27. Il s’agit notamment des manquements aux
obligations: i) de promulguer ou d’appliquer des lois visant à prévenir la contamination et
le captage injuste de l’eau; ii) de réguler et de contrôler efficacement les fournisseurs de services;
iii) de protéger les systèmes de distribution d’eau (réseaux d’adduction, puits, etc.) des entraves,
dommages et déprédations;
c) Les manquements à l’obligation de mettre en œuvre découlent du fait que l’État
partie n’a pas pris toutes les mesures voulues pour garantir l’exercice du droit à l’eau. Il s’agit
notamment: i) du manquement à l’obligation d’adopter ou de mettre en œuvre une politique
nationale visant à garantir à chacun l’exercice de ce droit; ii) de l’engagement de dépenses
insuffisantes ou d’une mauvaise affectation des fonds publics empêchant des particuliers ou
des groupes, notamment les groupes vulnérables ou marginalisés, d’exercer leur droit à l’eau;
iii) du manquement à l’obligation de contrôler l’exercice de ce droit à l’échelle nationale, par
exemple en définissant des indicateurs et des critères; iv) du manquement à l’obligation de
prendre les mesures voulues pour remédier à la répartition injuste des équipements et des
services; v) du manquement à l’obligation d’adopter des mécanismes d’aide d’urgence; vi) du
manquement à l’obligation d’assurer à chacun l’exercice de l’essentiel de ce droit; vii) du
manquement à l’obligation de l’État de tenir compte de ses obligations juridiques internationales
concernant le droit à l’eau lors de la conclusion d’accords avec d’autres États ou avec des
organisations internationales.
V. MISE EN OEUVRE À L’ÉCHELON NATIONAL
45. L’article 2, paragraphe 1, du Pacte impose aux États parties l’obligation d’utiliser «tous
les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives» en vue de
s’acquitter de leurs obligations en vertu du Pacte. Chaque État jouit d’une marge d’appréciation
discrétionnaire quand il décide quelles mesures sont effectivement les mieux adaptées à sa
situation particulière. Mais le Pacte impose clairement à chaque État de prendre toutes les
dispositions nécessaires pour assurer à chacun l’exercice du droit à l’eau dès que possible.
Les mesures mises en œuvre à l’échelon national pour réaliser le droit à l’eau ne devraient pas
entraver l’exercice des autres droits fondamentaux.
27 Voir le paragraphe 23 pour une définition des «tiers».
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Législation, stratégies et politiques
46. La législation, les stratégies et les politiques existantes devraient être réexaminées pour
s’assurer qu’elles sont compatibles avec les obligations découlant du droit à l’eau, en vue de
les abroger, amender ou modifier en cas d’incompatibilité avec les prescriptions du Pacte.
47. L’obligation de prendre les mesures voulues impose aux États parties d’adopter une
stratégie ou un plan d’action au niveau national en vue d’assurer l’exercice du droit à l’eau.
Il faut que cette stratégie: a) soit fondée sur le droit et les principes des droits de l’homme;
b) couvre tous les éléments du droit à l’eau et les obligations correspondantes des États parties;
c) définisse des objectifs clairs; d) fixe les buts ou les résultats à atteindre et le calendrier
correspondant; e) formule des politiques adéquates ainsi que les critères et indicateurs
correspondants. Cette stratégie devrait aussi établir la responsabilité institutionnelle du
processus; indiquer les ressources disponibles pour atteindre les objectifs, buts et résultats;
allouer comme il convient les ressources en fonction de la responsabilité institutionnelle; et créer
des mécanismes de responsabilité pour s’assurer de la mise en œuvre de la stratégie. Lorsqu’ils
élaborent et appliquent leur stratégie, les États parties devraient mettre à profit l’assistance
technique et la coopération des institutions spécialisées des Nations Unies (voir la section VI
ci-après).
48. L’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie et d’un plan d’action à l’échelle nationale
devraient notamment respecter les principes de non-discrimination et de participation de la
population. Le droit des particuliers et des groupes de participer au processus de prise de
décisions qui peuvent influer sur l’exercice de leur droit à l’eau doit faire partie intégrante de
toute politique, de tout programme ou de toute stratégie concernant l’eau. Les particuliers et les
groupes devraient avoir pleinement accès, en toute égalité, aux informations dont les autorités
publiques ou les tiers disposent concernant l’eau, les services d’approvisionnement en eau et
l’environnement.
49. La stratégie et le plan d’action nationaux sur l’eau devraient en outre reposer sur les
principes de responsabilité, de transparence et d’indépendance de la magistrature, une bonne
gouvernance étant indispensable à la mise en œuvre effective de l’ensemble des droits de
l’homme, dont le droit à l’eau. Pour instaurer des conditions favorables à l’exercice de ce droit,
les États parties devraient adopter des mesures appropriées afin que le secteur des entreprises
privées tout comme la société civile prennent conscience et tiennent compte de l’importance à
accorder au droit à l’eau dans l’exercice de leurs activités.
50. Les États parties peuvent avoir intérêt à adopter une législation-cadre pour donner effet à
leur stratégie concernant le droit à l’eau. Cette législation devrait prévoir: a) les buts ou résultats
à atteindre et le calendrier correspondant; b) les moyens de parvenir à l’objectif fixé;
c) la collaboration envisagée avec la société civile, le secteur privé et les organisations
internationales; d) la responsabilité institutionnelle du processus; e) les mécanismes nationaux
de contrôle; f) les procédures de recours.
51. Des mesures devraient être prises pour garantir une coordination suffisante entre les
ministères nationaux, les autorités régionales et les autorités locales afin que les politiques
relatives à l’eau soient cohérentes. Lorsque la mise en œuvre du droit à l’eau a été déléguée à des
autorités régionales ou locales, l’État partie doit néanmoins s’acquitter des obligations qui lui
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incombent en vertu du Pacte et doit donc s’assurer que ces autorités disposent des ressources
suffisantes pour entretenir et fournir les services et équipements nécessaires. Les États parties
doivent aussi veiller à ce que les autorités en question ne refusent pas l’accès à ces services pour
des motifs discriminatoires.
52. Les États parties sont tenus de contrôler effectivement l’exercice du droit à l’eau.
Lorsqu’ils évaluent les progrès réalisés dans ce domaine, les États parties devraient cerner les
facteurs et les difficultés qui les empêchent de s’acquitter de leurs obligations.
Indicateurs et critères
53. Pour faciliter ce contrôle, il faudrait prévoir des indicateurs et des critères dans
les stratégies ou plans d’action nationaux sur l’eau. Ces indicateurs et critères devraient être
conçus pour permettre de suivre à l’échelle nationale comme à l’échelle internationale comment
l’État s’acquitte des obligations lui incombant au titre des articles 11, paragraphe 1, et 12 du
Pacte. Ils devraient porter sur les différents éléments du droit à un approvisionnement en eau
adéquat (quantité suffisante, salubrité, qualité acceptable, coût abordable et accessibilité
physique), être ventilés en fonction des motifs de discrimination qui sont proscrits et couvrir
toutes les personnes résidant sur le territoire de l’État partie ou placées sous son contrôle. Pour
établir les indicateurs appropriés, les États parties pourraient s’inspirer des travaux actuels de
l’OMS, de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), du
Centre des Nations Unies pour les établissements humains (Habitat), de l’Organisation
internationale du Travail (OIT), du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), du
Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), du Programme des Nations Unies
pour le développement (PNUD) et de la Commission des droits de l’homme de l’ONU.
54. Une fois qu’ils auront arrêté des indicateurs adaptés au droit à l’eau, les États parties sont
invités à définir à l’échelle nationale des critères pour chaque indicateur28. Pendant l’examen
du rapport périodique, le Comité procédera à une sorte d’étude de portée avec l’État partie.
C’est-à-dire que le Comité et l’État partie examineront ensemble les indicateurs et les critères
nationaux qui permettront de fixer les objectifs à atteindre au cours de la période couverte par le
rapport suivant. Et pendant les cinq années qui suivront, l’État partie se servira de ces critères
nationaux pour mieux contrôler l’exercice du droit à l’eau. Puis, lors de l’examen du rapport
ultérieur, l’État partie et le Comité examineront si ces critères ont été ou non respectés et pour
quelles raisons des difficultés ont peut-être surgi (voir l’Observation générale no 14, par. 58).
En outre, quand ils définissent leurs critères et établissent leurs rapports, les États parties
devraient exploiter le grand nombre d’informations et de services consultatifs fournis par les
institutions spécialisées aux fins de la collecte et de la ventilation des données.
28 Voir E. Riedel, «New bearings to the State reporting procedure: practical ways to
operationalize economic, social and cultural rights – The example of the right to health»,
in S. von Schorlemer (dir. publ.), Praxishandbuch UNO, 2002, p. 345 à 358. Le Comité note,
par exemple, l’engagement pris dans le Plan d’application du Sommet mondial pour le
développement durable (2002) de réduire, d’ici à 2015, la proportion de personnes qui n’ont pas
les moyens matériels ou financiers d’accéder à une eau de boisson salubre (conformément à la
Déclaration du Millénaire) et de personnes qui n’ont pas accès à un assainissement de base.
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Recours et responsabilité
55. Tout particulier ou tout groupe dont le droit à l’eau a été enfreint doit avoir accès à des
recours effectifs, judiciaires ou autres, à l’échelle nationale et internationale (voir l’Observation
générale no 9, par. 4, et le Principe 10 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le
développement29). Le Comité note que le droit à l’eau a été consacré dans la constitution d’un
certain nombre d’États et qu’il a fait l’objet de recours devant des tribunaux nationaux. Toutes
les personnes dont le droit à l’eau a été enfreint sont fondées à recevoir une réparation adéquate,
sous forme de restitution, indemnisation, satisfaction ou garantie de non-répétition. Sur le plan
national, ce sont les médiateurs, les commissions des droits de l’homme et autres mécanismes de
cette nature qui peuvent être saisis en cas d’atteintes au droit à l’eau.
56. Avant que l’État partie, ou tout autre tiers, prenne une mesure qui entrave le droit d’un
particulier à l’eau, les autorités compétentes doivent s’assurer qu’il agit d’une mesure conforme
à la loi, compatible avec le Pacte et prévoyant: a) une possibilité de consultation véritable des
intéressés; b) la communication en temps voulu d’informations complètes sur les mesures
envisagées; c) une notification raisonnable des mesures envisagées; d) des voies de recours
pour les intéressés; et e) une aide juridique pour pouvoir se prévaloir de recours en justice
[voir aussi les Observations générales no 4 (1991) et no 7 (1997)]. En cas de non-paiement de la
facture d’eau, la question de la capacité de paiement de l’intéressé doit être prise en compte. Nul
ne doit en aucune circonstance être privé de la quantité d’eau essentielle.
57. L’incorporation à l’ordre juridique interne d’instruments internationaux consacrant le droit
à l’eau peut élargir sensiblement le champ d’application des mesures de réparation et renforcer
leur efficacité, et doit donc être encouragée dans tous les cas. Elle donne aux tribunaux la
compétence voulue pour se prononcer sur les atteintes au droit à l’eau, ou tout au moins sur les
obligations fondamentales qui en découlent, en invoquant directement le Pacte.
58. Les États parties devraient encourager les juges, magistrats et autres professionnels de la
justice à s’intéresser davantage, dans l’exercice de leurs fonctions, aux atteintes au droit à l’eau.
59. Les États parties devraient respecter, protéger, faciliter et promouvoir l’action des
défenseurs des droits de l’homme et des autres membres de la société civile afin d’aider les
groupes vulnérables ou marginalisés à exercer leur droit à l’eau.
VI. OBLIGATIONS DES ACTEURS AUTRES QUE LES ÉTATS PARTIES
60. Les organismes des Nations Unies et les autres organisations internationales qui s’occupent
de l’eau, comme l’OMS, la FAO, l’UNICEF, le PNUE, ONU-Habitat, l’OIT, le PNUD et le
Fonds international de développement agricole (FIDA), ou du commerce telles que
l’Organisation mondiale du commerce (OMC), devraient coopérer efficacement avec les États
parties, en mettant à profit leurs compétences respectives, pour faciliter la mise en œuvre du droit
29 Le Principe 10 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de
la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement de 1992 dispose
qu’en ce qui concerne les questions d’environnement, «un accès effectif à des actions judiciaires
et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré».
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à l’eau à l’échelle nationale. Les institutions financières internationales, notamment le Fonds
monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, devraient prendre en compte le droit à
l’eau dans le cadre de leurs politiques de prêt, de leurs accords de crédit, de leurs programmes
d’ajustement structurel et de leurs autres projets de développement [voir l’Observation générale
no 2 (1990)], afin de promouvoir l’exercice du droit à l’eau. Quand il examinera le rapport des
États parties et vérifiera si ces pays sont en mesure de s’acquitter des obligations de mettre en
œuvre le droit à l’eau, le Comité recensera les effets de l’assistance apportée par tous les autres
acteurs. L’incorporation du droit et des principes des droits de l’homme dans les programmes et
les politiques des organisations internationales facilitera beaucoup la réalisation du droit à l’eau.
Le rôle de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge,
du Comité international de la Croix-Rouge, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les
réfugiés (HCR), de l’OMS et de l’UNICEF, ainsi que des organisations non gouvernementales
et d’autres associations, revêt une importance particulière quand il s’agit de fournir des secours
en cas de catastrophe et d’apporter une assistance humanitaire dans les situations d’urgence.
En matière d’aide, de distribution et de gestion de l’eau et des installations connexes, il convient
d’accorder la priorité aux groupes les plus vulnérables ou marginalisés de la population.
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GE.10-47254 (F) 130111 140111
Comité pour l’élimination de la discrimination
à l’égard des femmes
Recommandation générale no 27 sur les femmes âgées
et la protection de leurs droits d’êtres humains
Introduction
1. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (ci-après
dénommé «le Comité»), préoccupé par les multiples formes que prend la discrimination
subie par les femmes âgées et par le fait qu’il n’est pas systématiquement prêté attention à
leurs droits dans les rapports des États parties, a décidé, à sa quarante-deuxième session,
tenue du 20 octobre au 7 novembre 2008, en application de l’article 21 de la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après appelée
«la Convention»), d’adopter une recommandation générale sur les femmes âgées et la
protection de leurs droits.
2. Dans sa décision 26/III du 5 juillet 2002, le Comité reconnaît que la Convention est
un outil important pour aborder la question des droits des femmes âgées1. La
recommandation générale no 25 sur le premier paragraphe de l’article 4 de la Convention
(mesures temporaires spéciales) reconnaît aussi que l’âge est l’un des facteurs à l’origine
des multiples formes que peut prendre la discrimination à l’égard des femmes. Le Comité
reconnaît en particulier la nécessité de disposer de données statistiques ventilées par âge et
par sexe afin de mieux évaluer la situation des femmes âgées.
3. Le Comité soutient les précédents engagements pris en faveur des droits des femmes
âgées tels qu’ils figurent, notamment, dans le Plan d’action international de Vienne sur le
vieillissement2, dans la Déclaration et le Programme d’action de Beijing3, dans les Principes
des Nations Unies pour les personnes âgées (résolution 46/91, annexe, de l’Assemblée
générale), dans le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et
1 Voir Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante-septième session, Supplément no 38
(A/57/38, Part I, chap. I, décision 26/III, et chap. VII, par. 430 à 436).
2 Rapport de l’Assemblée mondiale sur le vieillissement, Vienne, 26 juillet-6 août 1982 (publication des
Nations Unies, no de vente E.I.16), chap. VI, sect. A.
3 Rapport de la quatrième Conférence mondiale sur le vieillissement, Beijing, 4-15 septembre 1995
(publication des Nations Unies, no de vente E.96. IV.13), chap. I, résolution 1, annexes I et II.
Nations Unies CEDAW/C/GC/27
Convention sur l’élimination
de toutes les formes
de discrimination à l’égard
des femmes
Distr. générale
16 décembre 2010
Français
Original: anglais
Merci de recycler@
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le développement4, dans le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement de
20025, dans les observations générales no 6 (1995) et no 19 (2008) du Comité des droits
économiques, sociaux et culturels concernant, respectivement, les droits économiques,
sociaux et culturels des personnes âgées et le droit à la sécurité sociale.
Généralités
4. D’après les chiffres actuels des Nations Unies, il y aura dans le monde, dans
trente-six ans, davantage de personnes âgées de plus de 60 ans que d’enfants de moins de
15 ans. Les estimations donnent pour 2050 un nombre de personnes âgées supérieur à
2 milliards, soit 22 % de la population mondiale, doublement sans précédent par rapport
aux actuels 11 % de la population âgés de plus de 60 ans.
5. Les différences dans le vieillissement selon les sexes montrent que les femmes
vivent généralement plus longtemps que les hommes et que parmi les personnes âgées
vivant seules, les femmes sont plus nombreuses que les hommes. Il y a 83 hommes pour
100 femmes parmi les personnes de plus de 60 ans; il n’y en a que 59 parmi celles de plus
de 80 ans. Par ailleurs, les statistiques du Département des affaires économiques et sociales
montrent que 80 % des hommes de plus de 60 ans sont mariés contre 48 % seulement des
femmes âgées6.
6. Ce vieillissement démographique sans précédent, dû à l’amélioration des niveaux de
vie et des systèmes de soins de santé de base ainsi qu’à une baisse de la fécondité et à un
accroissement de la longévité, peut être considéré comme un aboutissement des efforts de
développement et paraît devoir se poursuivre, ce qui fera du XXIe siècle le siècle du
vieillissement. Mais ces changements démographiques ont de profondes incidences sur les
droits humains et font qu’il est d’autant plus urgent de remédier à la discrimination subie
par les femmes âgées d’une manière plus complète et plus systématique en utilisant la
Convention.
7. Les pays développés comme les pays en développement connaissent le problème du
vieillissement. La proportion de personnes âgées dans les pays les moins avancés devrait
passer de 8 % en 2010 à 20 % d’ici à 20507 tandis que la proportion d’enfants tombera de
29 à 20 %8. Le nombre de femmes âgées vivant dans les régions moins développées
augmentera de 600 millions de 2010 à 20509. Cette redistribution démographique crée des
défis majeurs pour les pays en développement. Le vieillissement des sociétés est une
tendance bien établie et un phénomène important dans la plupart des pays développés.
8. Les femmes âgées ne constituent pas un groupe homogène. Elles sont très diverses
par l’expérience, le savoir et les compétences, mais leur situation économique et sociale
4 Rapport de la Conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire,
5-13 septembre 1994 (publication des Nations Unies, no de vente E.95.XIII.18), chap. I, résolution 1,
annexe.
5 Rapport de la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement, Madrid, 8-12 avril 2002
(publication des Nations Unies, no de vente E.02.IV.4), chap. I, résolution 1, annexe II.
6 Département des affaires économiques et sociales du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies,
Population Ageing and Development 2009 Chart, disponible sur
http://www.un.org/esa/population/publications/ageing/ageing2009.htm.
7 Ibid.
8 Division de la population, Département des affaires économiques et sociales du Secrétariat de
l’Organisation des Nations Unies, World Population Prospects: The 2008 Revision Population
Database, disponible sur http://esa.un.org/unpp/index.asp?panel=1.
9 Ibid.
CEDAW/C/GC/27
GE.10-47254 3
dépend d’une série de facteurs d’ordre démographique, politique, environnemental,
culturel, social, individuel et familial. La contribution des femmes âgées dans les sphères
publique et privée comme personnes influentes dans leur communauté, chefs d’entreprises,
dispensatrices de soins et de conseils et médiatrices, entre autres, n’a pas de prix.
Buts et objectifs de la recommandation
9. La présente recommandation générale sur les femmes âgées et la promotion de leurs
droits établit des liens entre les articles de la Convention et le vieillissement. Elle recense
les formes multiples de discrimination que les femmes subissent à mesure qu’elles
vieillissent, précise la teneur des obligations incombant aux États parties à la Convention en
ce qui concerne le vieillissement dans la dignité et les droits des femmes âgées et
recommande aux gouvernants d’intégrer leur réponse aux préoccupations des femmes âgées
dans des stratégies nationales, dans des initiatives de développement et dans des mesures
positives de manière à ce que ces femmes puissent participer pleinement à la vie de leur
pays sans discrimination et sur un pied d’égalité avec les hommes.
10. La recommandation générale donne aussi aux États parties des indications
concernant la prise en compte de la situation des femmes âgées dans l’établissement de
leurs rapports sur la mise en oeuvre de la Convention. L’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes âgées nécessite de respecter et protéger pleinement
leur dignité ainsi que leur droit à l’intégrité et à la libre disposition d’elles-mêmes.
Sujets particuliers de préoccupation
11. Les hommes comme les femmes subissent une discrimination fondée sur l’âge, mais
les femmes vivent le vieillissement différemment. L’impact des inégalités entre les sexes
qu’elles connaissent tout au long de leur vie et qui s’aggrave avec le grand âge repose
souvent sur des normes culturelles et sociales profondément ancrées. La discrimination
dont sont victimes les femmes âgées résulte fréquemment d’une allocation de ressources
inéquitable, de la maltraitance, de l’indifférence et d’un accès limité aux services de base.
12. Les formes concrètes de discrimination à l’égard des femmes âgées peuvent varier
considérablement selon les conditions socioéconomiques et les environnements
socioculturels, en fonction de l’égalité des chances et des choix relatifs à l’éducation, à
l’emploi, à la santé, à la famille et à la vie privée. Dans de nombreux pays, le fait de ne pas
maîtriser les télécommunications, le manque d’accès à l’Internet, à un logement convenable
ou à des services sociaux, la solitude et l’isolement mettent les femmes âgées en difficulté.
Celles qui vivent dans des zones rurales ou des taudis urbains sont souvent privées de
ressources de base pour subsister, de la sécurité du revenu, de l’accès aux soins de santé,
d’information sur leurs droits et de la jouissance de ces droits.
13. La discrimination que connaissent les femmes âgées est souvent
pluridimensionnelle, une discrimination fondée sur l’âge venant se greffer sur d’autres
formes de discrimination fondées sur le sexe, l’origine ethnique, le handicap, le niveau de
pauvreté, l’orientation ou l’identité sexuelle, le statut de migrante, la situation matrimoniale
ou familiale, le niveau d’instruction et d’autres considérations. Les femmes âgées
appartenant à des minorités ou à des groupes ethniques ou autochtones, déplacées à
l’intérieur de leur propre pays ou apatrides subissent souvent un degré disproportionné de
discrimination.
14. Beaucoup de femmes âgées sont délaissées car on considère qu’elles ne sont plus
utiles d’un point de vue économique ou génésique et parce qu’on voit en elles une charge
pour leur famille. Le veuvage et le divorce aggravent encore la discrimination, tandis que
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l’absence de services de soins de santé pour des maladies ou affections comme le diabète,
le cancer, l’hypertension, les maladies cardiaques, la cataracte, l’ostéoporose et la maladie
d’Alzheimer, ou la difficulté d’accéder à de tels services empêchent les femmes âgées de
jouir pleinement de leurs droits d’êtres humains.
15. Le plein développement et la promotion de la femme exigent une démarche qui
considère l’ensemble du cycle de la vie et qui prend en compte les différents stades de la
vie des femmes − enfance, adolescence, âge adulte et vieillesse − et les effets de chacun
d’entre eux sur la jouissance de leurs droits par les femmes âgées. Les droits inscrits dans la
Convention sont applicables à toutes les étapes de la vie d’une femme. Dans de nombreux
pays, toutefois, la discrimination fondée sur l’âge demeure tolérée et acceptée au niveau des
individus, des institutions et de l’État et peu de pays se sont dotés d’une législation
l’interdisant.
16. Les stéréotypes sexuels et les pratiques traditionnelles et coutumières peuvent avoir
des incidences négatives sur tous les aspects de la vie des femmes âgées, en particulier
celles qui ont un handicap, notamment sur leurs relations familiales, leur rôle dans la
communauté, l’image qu’en donnent les médias, et le comportement des employeurs, des
agents de santé et autres prestataires de services, et ils peuvent conduire à des actes de
violence physique et à des abus psychologiques, verbaux et financiers.
17. La discrimination à l’égard des femmes âgées se manifeste souvent par des
restrictions qui entravent leur participation à la vie politique et à la prise de décisions. Le
manque de documents d’identité ou de moyen de transport peut les empêcher de voter.
Dans certains pays, les femmes âgées ne peuvent pas former des associations ou d’autres
groupes non gouvernementaux ou y adhérer pour défendre leurs droits. En outre, l’âge de
départ obligatoire à la retraite est parfois inférieur pour les femmes, ce qui peut être source
de discrimination à leur égard, notamment si elles représentent leur gouvernement au
niveau international.
18. Les femmes âgées réfugiées, apatrides ou requérantes d’asile, et celles qui sont
déplacées dans leur propre pays ou qui sont des travailleuses migrantes, sont souvent
exposées à la discrimination, à des comportements abusifs et à l’abandon. Les femmes
âgées victimes d’un déplacement forcé ou apatrides peuvent souffrir du syndrome de stress
post-traumatique, qui peut ne pas être reconnu ou traité par les prestataires de soins de
santé. Il arrive que des femmes âgées réfugiées ou déplacées dans leur propre pays soient
privées d’accès aux soins de santé parce qu’elles n’ont pas de statut juridique ou de papiers,
et qu’on les réinstalle loin d’un établissement de santé. Elles peuvent aussi se heurter à des
barrières culturelles et linguistiques qui entravent leur accès aux services.
19. Les employeurs considèrent souvent les femmes âgées comme un investissement en
pure perte pour l’éducation et la formation professionnelle. Elles ne bénéficient pas non
plus de l’égalité des chances en matière d’apprentissage des techniques modernes
d’information et n’ont pas les moyens d’acquérir les équipements nécessaires. Beaucoup de
femmes âgées pauvres, surtout celles qui sont handicapées ou qui vivent en milieu rural,
sont privées du droit à l’éducation et ont peu ou pas d’instruction. Ne savoir ni lire, ni écrire
ni compter peut sérieusement entraver la pleine participation des femmes âgées à la vie
publique et politique et à l’économie ainsi que leur accès à un éventail de services, de droits
et d’activités récréatives.
20. Il y a moins de femmes que d’hommes dans le secteur formel de l’emploi. Les
femmes sont généralement moins bien payées que les hommes pour le même travail ou
pour un travail de valeur égale. De plus, la discrimination fondée sur le sexe dans le
domaine de l’emploi, qu’elles subissent tout au long de leur vie, a des effets cumulatifs
dans le temps, et les femmes âgées se retrouvent avec des revenus et des pensions d’un
montant anormalement bas par rapport à ceux des hommes, voire sans pension du tout.
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Dans son Observation générale no 19, le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels reconnaît que dans la plupart des États, des systèmes non contributifs seront
nécessaires car il est improbable qu’un système d’assurance parvienne à couvrir chacun de
façon adéquate (par. 4 b)), tandis que l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 28 de la
Convention relative aux droits des personnes handicapées préconise d’assurer une
protection sociale aux femmes âgées, en particulier celles qui sont handicapées. Vu que le
montant de la pension de vieillesse est généralement étroitement lié aux revenus perçus
pendant la vie active, leur pension est fréquemment inférieure à celle des hommes. Elles
sont en outre particulièrement affectées par la discrimination fondée sur l’âge et le sexe, et
leur âge de départ obligatoire à la retraite est différent de celui des hommes. Les femmes
devraient avoir la possibilité de choisir leur âge de retraite et pouvoir continuer à travailler
si elles le souhaitent pour accumuler des périodes de cotisation au même titre que les
hommes. On sait que beaucoup de femmes âgées s’occupent, voire sont les seules à
s’occuper, de jeunes enfants, d’époux/partenaires ou de parents très vieux à charge. Le coût
financier et affectif de ce travail de soins non rémunéré est rarement reconnu.
21. Le droit des femmes âgées à la libre disposition d’elles-mêmes et au consentement
en matière de soins de santé n’est pas toujours respecté. Les services sociaux pour femmes
âgées peuvent être réduits hors de toute proportion en cas de réduction des dépenses
publiques. Les problèmes de santé et les maladies physiques et mentales d’après la
ménopause et l’âge de la procréation sont généralement négligés dans les travaux de
recherche, les études d’universitaires, les politiques publiques et la fourniture de services.
L’information relative à la santé sexuelle et au VIH/sida est rarement donnée sous une
forme acceptable, accessible et appropriée eu égard aux besoins des femmes âgées.
Beaucoup d’entre elles n’ont pas d’assurance maladie privée ou ne bénéficient pas des
régimes publics d’assurance maladie parce qu’elles n’y ont pas adhéré pour avoir passé
toute une vie à travailler dans le secteur non structuré ou à s’occuper d’autres personnes
sans être rémunérées.
22. Il peut arriver qu’une femme âgée ne bénéficie pas des allocations familiales si elle
n’est pas mère ou tutrice des enfants dont elle s’occupe.
23. Les dispositifs de microcrédit et de financement fixent généralement des limites
d’âge ou d’autres critères qui empêchent les femmes âgées de pouvoir y accéder. Beaucoup
d’entre elles, en particulier celles qui sont obligées de rester à la maison, ne sont pas en
mesure de participer aux activités culturelles et récréatives de la communauté, ce qui les
confine dans leur isolement et nuit à leur bien-être. Souvent, il n’est pas prêté suffisamment
attention aux moyens nécessaires à l’autonomie, comme la possibilité de disposer d’une
aide personnelle et d’un logement convenable, y compris en aménageant le domicile, et les
aides à la mobilité.
24. Dans beaucoup de pays, les femmes âgées vivent en majorité dans les zones rurales,
où leur accès aux services est rendu plus difficile encore à cause de leur âge et de leur
niveau de pauvreté. Beaucoup de celles dont les enfants ont émigré pour travailler reçoivent
d’eux, au mieux, des envois de fonds irréguliers ou insuffisants. La privation de leur droit à
l’eau, à la nourriture et au logement fait partie du lot quotidien d’un grand nombre de
femmes âgées pauvres des zones rurales. Beaucoup de femmes âgées ne peuvent s’offrir
une alimentation correcte en raison d’une combinaison de facteurs tels que le prix élevé des
denrées et les maigres revenus dont elles disposent à cause de la discrimination en matière
d’emploi et des difficultés d’accès à la sécurité sociale et aux ressources. Le manque de
moyens de transport peut empêcher les femmes âgées de se rendre dans des centres de
services sociaux ou de participer aux activités communautaires et culturelles. Les causes de
ce problème peuvent être leurs faibles revenus et l’absence de politiques publiques
efficaces qui leur permettraient d’avoir accès à des transports publics appropriés à un coût
abordable.
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25. Le changement climatique a des incidences spécifiques sur les femmes, surtout les
femmes âgées qui, en raison de leurs particularités physiologiques, de leur condition
physique, de leur âge et de leur sexe, ainsi que des normes et rôles sociaux et des inégalités
dans la distribution de l’aide et des ressources tenant aux hiérarchies sociales, sont
particulièrement défavorisées lors de catastrophes naturelles. Leur accès limité aux
ressources et aux processus décisionnels accroît leur vulnérabilité face au changement
climatique.
26. Certaines lois et pratiques légales et coutumières privent les femmes du droit
d’hériter des biens matrimoniaux à la mort de leur époux et de les administrer. Certains
systèmes juridiques prévoient une compensation sous la forme d’une aide versée aux
veuves, prélevée sur le patrimoine de leur époux et censée leur garantir une sécurité
matérielle, mais dans la pratique de telles dispositions sont rarement appliquées et les
veuves se retrouvent souvent démunies. Certaines lois sont particulièrement
discriminatoires à l’égard des veuves âgées et il arrive que celles-ci soient dépossédées de
leurs biens.
27. Les femmes âgées sont particulièrement exposées à l’exploitation et aux abus,
notamment sur le plan financier, quand leur capacité pour agir est déléguée sans leur
consentement à des avocats ou à des membres de leur famille.
28. Dans sa Recommandation générale no 21 (1994), le Comité déclare que la polygamie
est contraire à l’égalité des sexes et peut avoir de si graves conséquences affectives et
financières pour la femme et les personnes à sa charge qu’il faudrait décourager et même
interdire cette forme de mariage (par. 14). Or, la polygamie demeure pratiquée dans de
nombreux États parties, et beaucoup de femmes vivent des unions de ce type. Dans les
mariages polygames, les femmes âgées sont souvent délaissées car elles ne sont plus
considérées comme utiles pour la procréation ou le travail.
Recommandations
Questions d’ordre général
29. Les États parties doivent reconnaître que les femmes âgées sont une ressource
importante pour la société et ils ont l’obligation de prendre toutes les mesures appropriées,
y compris législatives, pour éliminer la discrimination à leur encontre. Ils devraient adopter
des politiques et mesures tenant compte des besoins spécifiques des femmes et des
personnes âgées, notamment des mesures temporaires spéciales au sens du premier
paragraphe de l’article 4 de la Convention et des Recommandations générales no 23 (1997)
et no 25 (2004) du Comité, pour veiller à ce que les femmes âgées participent pleinement et
constructivement à la vie politique, sociale, économique, culturelle et civile, ainsi que dans
tout autre domaine de la vie de leur pays.
30. Les États parties sont tenus d’assurer le plein développement et le progrès des
femmes tout au long de leur vie, en temps de paix et de conflit et en cas de catastrophe
naturelle ou provoquée par l’homme. Ils doivent donc veiller à l’absence de tout élément
discriminatoire à l’égard des femmes âgées dans toutes les dispositions juridiques, les
politiques et les interventions visant à assurer le plein développement et le progrès des
femmes.
31. Les États parties devraient tenir compte, dans leurs obligations, de la nature
pluridimensionnelle de la discrimination à l’égard des femmes et devraient s’assurer que le
principe d’égalité entre les sexes s’applique tout au long du cycle de vie des femmes, dans
la loi comme dans la pratique. À cet égard, les États parties sont engagés à abroger ou
amender les lois, règles et coutumes discriminatoires à l’égard des femmes âgées et à veiller
à ce que la législation interdise la discrimination fondée sur l’âge ou le sexe.
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32. Pour soutenir la réforme du droit et la définition des orientations à suivre, les États
parties sont engagés à recueillir, analyser et diffuser des données ventilées par âge et par
sexe afin de disposer d’informations sur la situation des femmes âgées, y compris celles qui
vivent en milieu rural ou dans des zones de conflit, qui ont un handicap ou qui
appartiennent à des groupes minoritaires. Ces données devraient concerner en particulier la
pauvreté, l’analphabétisme, la violence, le travail non rémunéré, y compris les soins aux
personnes infectées ou touchées par le VIH/sida, les migrations et l’accès aux soins de
santé, au logement, aux avantages sociaux et économiques et à l’emploi.
33. Les États parties devraient fournir aux femmes âgées des informations concernant
leurs droits et la manière d’accéder aux services juridiques. Ils devraient former le
personnel de police, le personnel judiciaire ainsi que les services d’assistance judiciaire et
les services parajudiciaires quant aux droits des femmes âgées et sensibiliser et former les
autorités et les institutions publiques aux problèmes liés à l’âge et au sexe. L’information,
les services juridiques, les recours effectifs et la réparation doivent être tout aussi
disponibles et accessibles pour les femmes âgées handicapées.
34. Les États parties devraient donner aux femmes âgées les moyens de demander et
d’obtenir réparation pour toute atteinte à leurs droits, y compris celui d’administrer des
biens, et veiller à ce qu’elles ne soient pas privées de leur capacité juridique pour des motifs
arbitraires ou discriminatoires.
35. Les États parties devraient veiller à ce que les mesures prises pour faire face aux
changements climatiques et réduire les risques de catastrophe soient adaptées aux besoins et
à la vulnérabilité des femmes âgées. Ils devraient aussi faciliter la participation des femmes
âgées au processus décisionnel relatif à l’atténuation des changements climatiques et à
l’adaptation à ces phénomènes.
Stéréotypes
36. Les États parties ont l’obligation d’éliminer les stéréotypes négatifs et de modifier
les schémas sociaux et culturels qui sont préjudiciables aux femmes âgées de manière à
combattre les abus physiques, sexuels, psychologiques, verbaux et financiers que subissent
les femmes âgées, notamment celles qui sont handicapées, du fait de stéréotypes
dévalorisants et de pratiques culturelles qui leur sont dommageables.
Violence
37. Les États parties sont tenus d’élaborer une législation reconnaissant que les femmes
âgées, y compris celles qui sont handicapées, sont victimes de violence familiale, sexuelle
et institutionnelle et prohibant cette violence. Ils ont l’obligation d’enquêter sur tous les
actes de violence à l’égard des femmes âgées, y compris ceux qui résultent de pratiques et
croyances traditionnelles, et de juger et punir leurs auteurs.
38. Les États parties devraient prêter une attention particulière à la violence que
subissent les femmes âgées en période de conflit armé, aux effets des conflits armés sur leur
vie, et à la contribution qu’elles peuvent apporter au règlement pacifique des différends et
au processus de reconstruction. Ils devraient prendre dûment en considération la situation
des femmes âgées, lorsqu’ils prennent des mesures relatives à la violence sexuelle, aux
déplacements forcés et à la situation des réfugiés pendant un conflit armé. Lorsqu’ils
abordent de telles questions, ils devraient tenir compte des résolutions pertinentes des
Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, en particulier les résolutions 1325
(2000), 1820 (2008) et 1889 (2009) du Conseil de sécurité.
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Participation à la vie publique
39. Les États parties sont tenus de veiller à ce que les femmes âgées aient la possibilité
de prendre part à la vie publique et politique et d’exercer des fonctions publiques à tous les
niveaux et qu’elles aient les papiers nécessaires pour s’inscrire sur les listes électorales et
pour présenter leur candidature.
Éducation
40. Les États parties sont tenus d’assurer l’égalité des chances dans le domaine de
l’éducation aux femmes de tous âges, de veiller à ce que les femmes âgées aient accès à
l’éducation pour adultes, qu’elles puissent continuer à s’instruire tout au long de leur vie et
qu’elles reçoivent à cet égard l’information dont elles ont besoin pour leur bien-être et celui
de leur famille.
Emploi et prestations de retraite
41. Les États parties sont tenus d’aider les femmes âgées à exercer un travail rémunéré
sans subir de discrimination fondée sur leur âge ou leur sexe. Ils devraient veiller à ce
qu’une attention particulière soit accordée aux problèmes que peuvent rencontrer les
femmes âgées dans leur vie professionnelle et à ce qu’elles ne soient pas contraintes de
partir en préretraite ou d’adopter d’autres solutions de ce type. Les États parties devraient
également surveiller les incidences des écarts de salaire entre les sexes sur les femmes
âgées.
42. Les États parties sont tenus de veiller à ce que les âges de départ à la retraite dans les
secteurs public et privé ne soient pas discriminatoires à l’égard des femmes. Ils devraient
donc veiller à ce que les politiques en matière de retraite ne soient en aucune manière
discriminatoires, même pour les femmes qui choisissent de prendre leur retraite tôt, et à ce
que toutes les femmes âgées qui ont travaillé bénéficient d’une pension acceptable. Ils
devraient adopter toutes les mesures appropriées, y compris, si nécessaire, des mesures
temporaires spéciales, pour garantir de telles pensions.
43. Les États parties devraient s’assurer que les femmes âgées, notamment celles qui
doivent s’occuper d’enfants, bénéficient de prestations sociales et économiques suffisantes,
par exemple d’allocations familiales, et reçoivent tout le soutien nécessaire pour s’occuper
de parents ou d’autres proches très âgés.
44. Les États parties devraient assurer à toutes les femmes qui n’ont pas d’autre pension,
ou qui n’ont pas de sécurité de revenu suffisante, le bénéfice d’une pension contributive sur
un pied d’égalité avec les hommes, et prévoir des allocations pour les femmes âgées, en
particulier celles qui vivent dans des zones reculées ou des zones rurales.
Santé
45. Les États parties devraient adopter une politique globale de santé répondant aux
besoins des femmes âgées conformément à la Recommandation générale no 24 (1999) du
Comité. Cette politique devrait garantir à toutes les femmes âgées des soins de santé
accessibles à un coût abordable, en les dispensant du paiement d’honoraires si nécessaire, et
prévoir la formation des travailleurs de santé aux maladies gériatriques, la fourniture de
médicaments pour les maladies chroniques non transmissibles liées à l’âge, et la prestation
de soins de santé et de services sociaux de longue durée, notamment des soins qui
permettent de vivre seule et des soins palliatifs. Les mesures à long terme devraient inclure
des campagnes encourageant un changement de comportement et l’adoption d’une bonne
hygiène de vie (notamment une alimentation équilibrée et un mode de vie actif) pour
retarder l’apparition de problèmes de santé, et la fourniture de soins de santé à un coût
abordable, en vue, entre autres, du dépistage et du traitement des maladies les plus
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fréquentes parmi les femmes âgées. Les politiques de santé doivent également garantir que
tout soin prodigué à une femme âgée, y compris si elle est handicapée, repose sur son
consentement librement donné en connaissance de cause.
46. Les États parties devraient adopter des programmes spéciaux adaptés aux besoins
physiques, psychologiques et émotionnels des femmes âgées, ainsi qu’à leurs besoins en
matière de santé, en ciblant particulièrement les femmes issues de minorités ou handicapées
et celles qui s’occupent de leurs petits-enfants ou d’autres enfants de leur famille dont les
parents ont émigré ou de membres de leur famille affectés ou touchés par le VIH/sida.
Autonomisation économique
47. Les États parties sont tenus d’éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes âgées dans la vie économique et sociale. Ils devraient lever tous les obstacles
liés à l’âge et au sexe qui entravent l’accès au crédit agricole et aux prêts et assurer aux
femmes âgées qui cultivent la terre, y compris aux petites exploitantes, la possibilité
d’acquérir les techniques appropriées. Ils devraient créer des dispositifs de soutien spéciaux
et des systèmes de microcrédit sans garantie et encourager les femmes âgées à créer des
microentreprises. Il faudrait également permettre aux femmes âgées d’accéder à des
activités de loisirs et prévoir des services pour celles qui ne peuvent pas quitter leur
domicile. Les États parties devraient prévoir des moyens de transport appropriés à un coût
abordable pour permettre aux femmes âgées, notamment celles qui vivent dans les zones
rurales, de participer à la vie économique et sociale, y compris aux activités de la
communauté.
Prestations sociales
48. Les États parties devraient prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les
femmes âgées aient accès à un logement convenable adapté à leurs besoins spécifiques, et
que tous les obstacles, liés à l’aménagement ou autres, qui entravent leur mobilité et les
contraignent à l’isolement soient levés. Ils devraient prévoir des services sociaux pour leur
permettre de rester à la maison et de vivre de manière autonome le plus longtemps possible.
Les lois et pratiques qui ont des incidences négatives sur le droit des femmes âgées au
logement, à la terre et la propriété doivent être éliminées. Les États parties devraient
également protéger les femmes âgées contre les expulsions forcées et le risque de se
retrouver sans abri.
Femmes âgées des zones rurales et autres groupes de femmes âgées vulnérables
49. Les États parties devraient s’assurer que les femmes âgées sont prises en compte et
représentées dans la planification du développement rural et urbain. Ils devraient faire en
sorte que les femmes âgées aient accès, à un coût abordable, à l’eau, à l’électricité et aux
autres services collectifs. Les politiques visant à élargir l’accès à l’eau salubre et à un
assainissement adéquat devraient préconiser l’utilisation d’équipements techniques
accessibles n’exigeant pas une trop grande force physique.
50. Les États parties devraient adopter des lois et politiques tenant compte des besoins
des femmes et des personnes âgées en vue de protéger les femmes âgées réfugiées,
apatrides, déplacées dans leur pays ou migrantes.
Mariage et vie de famille
51. Les États parties sont tenus d’abroger tout texte de loi qui établit une discrimination
à l’égard des femmes âgées dans le mariage et en cas de dissolution de celui-ci, notamment
en ce qui concerne la propriété et l’héritage.
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52. Les États parties doivent abroger tout texte de loi discriminatoire pour les veuves
âgées en matière d’héritage et de propriété, et les protéger contre l’appropriation illicite de
leurs terres. Ils doivent adopter des lois relatives à la succession ab intestat conformes à
leurs obligations en vertu de la Convention. Ils devraient en outre prendre des mesures pour
mettre fin aux mariages forcés de femmes âgées et garantir que les femmes âgées ne soient
pas contraintes d’épouser un frère de leur mari décédé ni toute autre personne pour pouvoir
hériter.
53. Les États parties devraient décourager et interdire les unions polygames,
conformément à la Recommandation générale no 21 du Comité, et veiller à ce qu’au décès
d’un homme polygame, son patrimoine soit réparti équitablement entre ses épouses et leurs
enfants respectifs.
GE.13-42815 (F) 170613 180613
Comité des droits de l’enfant
Observation générale no 15 (2013) sur le droit
de l’enfant de jouir du meilleur état
de santé possible (art. 24)*
* Adoptée par le Comité à sa soixante-deuxième session (14 janvier-1er février 2013).
Nations Unies CRC/C/GC/15
Convention relative
aux droits de l’enfant
Distr. générale
17 avril 2013
Français
Original: anglais
Merci de recycler@
CRC/C/GC/15
2 GE.13-42815
Table des matières
Paragraphes Page
I. Introduction............................................................................................................. 1−6 3
II. Principes et hypothèses concernant la réalisation du droit de l’enfant à la santé .... 7−22 4
A. Indivisibilité et interdépendance des droits de l’enfant .................................. 7 4
B. Droit à la non-discrimination.......................................................................... 8−11 5
C. L’intérêt supérieur de l’enfant ........................................................................ 12−15 5
D. Droit à la vie, à la survie et au développement et déterminants
de la santé des enfants ................................................................................... 16−18 6
E. Droit de l’enfant d’être entendu...................................................................... 19 7
F. Développement des capacités et déroulement de la vie de l’enfant................ 20−22 7
III. Contenu normatif de l’article 24 ............................................................................. 23−70 8
A. Article 24, paragraphe 1 ................................................................................. 23−31 8
B. Article 24, paragraphe 2 ................................................................................. 21−70 10
IV. Obligations et responsabilités ................................................................................. 71−85 18
A. Obligations incombant aux États parties de respecter, de protéger
et de réaliser les droits de l’homme ................................................................ 71−74 18
B. Responsabilité des acteurs non étatiques ........................................................ 75−85 19
V. Coopération internationale...................................................................................... 86−89 21
VI. Cadre d’application et obligation de rendre des comptes........................................ 90−120 21
A. Faire connaître le droit de l’enfant à la santé (art. 42) .................................... 93 22
B. Mesures législatives........................................................................................ 94−95 22
C. Gouvernance et coordination.......................................................................... 96−103 23
D. Santé de l’enfant et investissements ............................................................... 104−107 24
E. Le cycle d’activités......................................................................................... 108−118 25
F. Recours en cas de violation du droit à la santé ............................................... 119−120 27
VII. Diffusion ................................................................................................................. 121 27
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I. Introduction
1. La présente Observation générale répond à la nécessité de traiter la santé des enfants
selon une perspective fondée sur les droits de l’enfant, en partant du principe que tous les
enfants ont le droit de survivre, de grandir et de se développer, dans le contexte d’un
bien-être physique, affectif et social, au maximum de leurs possibilités. Tout au long de la
présente Observation générale, le terme «enfant» désigne une personne de moins de 18 ans,
conformément à l’article premier de la Convention relative aux droits de l’enfant (ci-après
dénommée «la Convention»). En dépit des progrès remarquables accomplis ces dernières
années depuis l’adoption de la Convention, quant à l’exercice du droit de l’enfant à la santé,
des problèmes importants subsistent. Le Comité des droits de l’enfant (ci-après dénommé
«le Comité») estime que la plupart des cas de mortalité, de morbidité et de handicap parmi
les enfants pourraient être évités avec la volonté politique nécessaire et l’allocation de
ressources suffisantes pour appliquer les connaissances et techniques existantes en matière
de prévention, de soins et d’assistance. La présente Observation générale a été établie dans
le but de fournir des lignes directrices et un soutien aux États parties et autres responsables
pour les aider à respecter et à protéger le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé
possible (ci-après appelé «droit de l’enfant à la santé») et à en garantir l’exercice.
2. Le Comité interprète le droit de l’enfant à la santé, tel que défini à l’article 24,
comme un droit global, dans le champ duquel entrent non seulement les services appropriés
de prévention, de promotion de la santé et de réadaptation et les services curatifs et
palliatifs, assurés en temps voulu, mais aussi le droit pour l’enfant de grandir et de se
développer au maximum de son potentiel et de vivre dans des conditions qui lui permettent
de jouir du meilleur état de santé possible grâce à la mise en oeuvre de programmes qui
s’attaquent aux déterminants fondamentaux de la santé. Une approche globale de la santé
place la réalisation du droit de l’enfant à la santé dans le cadre plus large des obligations
internationales relatives aux droits de l’homme.
3. Le Comité destine la présente Observation générale à tout un ensemble d’acteurs qui
travaillent dans le domaine des droits de l’enfant et de la santé publique, notamment les
décideurs, les responsables de l’exécution des programmes et les militants, ainsi qu’aux
parents et aux enfants eux-mêmes. Elle est volontairement générale pour pouvoir être
pertinente pour les différents problèmes de santé des enfants, les divers systèmes de santé et
les contextes des différents pays et régions. Elle se concentre essentiellement sur les
paragraphes 1 et 2 de l’article 24 et porte également sur le paragraphe 4 de ce même
article1. L’application de l’article 24 doit tenir compte de tous les principes relatifs aux
droits de l’homme, en particulier les principes directeurs de la Convention, et doit s’inspirer
des normes de santé publique reposant sur des bases factuelles et des pratiques optimales.
4. Dans la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, les États sont convenus
de considérer la santé comme étant un état de complet bien-être physique, mental et social,
et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité2. C’est sur cette
conception positive de la santé que se fonde la présente Observation générale dans le
domaine de la santé publique. L’article 24 mentionne expressément les soins de santé
primaires. Cette approche, définie dans la Déclaration d’Alma-Ata3 et renforcée par
1 Le paragraphe 3 de l’article 24 n’est pas traité ici car une Observation générale sur les pratiques
préjudiciables étant en cours d’élaboration.
2 Préambule de la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), telle qu’adoptée par la
Conférence internationale de la Santé à New York le 22 juillet 1946.
3 Déclaration d’Alma-Ata, Conférence internationale sur les soins de santé primaires, Alma-Ata,
6-12 septembre 1978.
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l’Assemblée mondiale de la Santé4, met l’accent sur la nécessité d’éliminer l’exclusion et
de réduire les disparités sociales dans le domaine de la santé, d’organiser les services
sanitaires autour des besoins et des attentes de la population, d’intégrer la santé dans des
secteurs connexes, d’appliquer des modèles de dialogue et de collaboration et d’accroître la
participation des parties prenantes, y compris la demande et l’usage approprié de services.
5. La santé des enfants dépend de divers facteurs, dont beaucoup ont évolué au cours
des vingt dernières années et continueront sans doute d’évoluer. On citera notamment
l’attention accordée aux nouveaux problèmes sanitaires et l’évolution des priorités dans le
domaine de la santé, en lien avec le VIH/sida, les pandémies de grippe, les maladies non
transmissibles, l’importance des soins de santé mentale, les soins néonataux et la mortalité
des nouveau-nés et des adolescents, l’amélioration de la compréhension des facteurs de
décès de maladie et de handicap chez les enfants, y compris les déterminants structurels,
tels que la situation économique et financière mondiale, la pauvreté, le chômage, les
migrations et les déplacements de population, la guerre et les troubles civils, la
discrimination et la marginalisation. À ces facteurs viennent s’ajouter une meilleure
compréhension des effets des changements climatiques et de l’urbanisation rapide sur la
santé des enfants, le développement de nouvelles technologies, comme les vaccins et les
médicaments, une base de connaissances plus solide, permettant des interventions
biomédicales, comportementales et structurelles efficaces, ainsi que certaines pratiques
culturelles concernant l’éducation des enfants et dont l’effet positif a été vérifié.
6. Les progrès des technologies de l’information et des communications ont créé de
nouvelles possibilités et de nouveaux défis dans le domaine de la réalisation du droit de
l’enfant à la santé. En dépit des ressources supplémentaires et des technologies qui sont
disponibles aujourd’hui dans le secteur de la santé, de nombreux pays n’offrent toujours pas
un accès universel aux services de santé de base pour les enfants, qu’il s’agisse de
promotion, de prévention ou de traitement. La pleine réalisation du droit de l’enfant à la
santé suppose l’intervention de tout un ensemble de responsables différents; le rôle central
que jouent les parents et les autres personnes qui s’occupent de l’enfant devrait également
être mieux reconnu. Il faut mobiliser les parties prenantes concernées, tant au niveau
national que régional ou local, y compris les partenaires gouvernementaux et non
gouvernementaux, le secteur privé et les organisations de financement. Les États ont
l’obligation de veiller à ce que tous les détenteurs de devoirs soient suffisamment
sensibilisés et aient des connaissances et des capacités suffisantes pour s’acquitter de leurs
obligations et de leurs responsabilités et à ce que les enfants aient les moyens de faire valoir
leur droit à la santé.
II. Principes et hypothèses concernant la réalisation
du droit de l’enfant à la santé
A. Indivisibilité et interdépendance des droits de l’enfant
7. La Convention reconnaît l’interdépendance et l’égale importance de tous les droits
(civils, politiques, économiques, sociaux et culturels) qui permettent à tous les enfants de
développer leurs aptitudes mentales et physiques, leur personnalité et leur talent dans toute la
mesure possible. Non seulement le droit de l’enfant à la santé est important en soi mais la
réalisation du droit à la santé est également indispensable à la jouissance de tous les autres
droits garantis par la Convention. En outre, la réalisation du droit de l’enfant à la santé est
subordonnée à la réalisation de tous les autres droits consacrés par la Convention.
4 Assemblée mondiale de la Santé, Soins de santé primaires, renforcement des systèmes de santé
compris, document A62/8.
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B. Droit à la non-discrimination
8. Pour pleinement réaliser le droit à la santé pour tous les enfants, les États parties ont
l’obligation de veiller à ce que la santé des enfants ne soit pas compromise par la
discrimination, qui est un facteur important de vulnérabilité. L’article 2 de la Convention
énumère un certain nombre de motifs pour lesquels la discrimination est interdite, notamment
la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine
nationale, ethnique ou sociale, la situation de fortune, le handicap, la naissance ou toute autre
situation de l’enfant, de ses parents ou de ses représentants légaux. Ces motifs englobent aussi
l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’état de santé, notamment le statut à l’égard du
VIH/sida et la santé mentale5. Il convient de prêter également attention aux autres formes de
discrimination susceptibles d’avoir des incidences négatives sur la santé de l’enfant ainsi
qu’aux conséquences des formes multiples de discrimination.
9. La discrimination fondée sur le sexe, particulièrement répandue, a des conséquences
très diverses, allant de l’infanticide ou foeticide des filles aux pratiques discriminatoires en
matière d’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants, en passant par les stéréotypes
liés au sexe et l’accès aux services. Il faudrait prêter attention aux besoins différents des
filles et des garçons et aux conséquences des normes et valeurs sociales liées au sexe sur la
santé et le développement des garçons et des filles. Il faudrait aussi prêter attention aux
pratiques genrées préjudiciables et aux normes comportementales qui sont profondément
enracinées dans les traditions et les coutumes et portent atteinte au droit des filles et
des garçons à la santé.
10. Tous les programmes et politiques touchant à la santé des enfants devraient être fondés
sur une conception élargie de l’égalité des sexes qui garantisse la pleine participation des
jeunes femmes à la vie politique, leur autonomisation sur les plans social et économique, la
reconnaissance de l’égalité des droits en ce qui concerne la santé sexuelle et procréative et
l’égalité d’accès à l’information, à l’éducation, à la justice et à la sécurité, y compris
l’élimination de toutes les formes de violence sexuelle et sexiste.
11. Les efforts déployés pour garantir l’exercice du droit de l’enfant à la santé devraient
porter en particulier sur les enfants se trouvant dans des situations défavorisées et vivant
dans des régions mal desservies. Les États devraient identifier les facteurs qui, aux niveaux
national et régional, rendent les enfants vulnérables ou désavantagent certains groupes
d’enfants. Ces facteurs devraient être pris en compte dans l’élaboration des lois, règlements,
politiques, programmes et services relatifs à la santé de l’enfant et dans les activités visant
à garantir l’équité.
C. L’intérêt supérieur de l’enfant
12. Le paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant fait
obligation aux institutions publiques et privées de protection sociale, aux tribunaux, aux
autorités administratives et aux organes législatifs de veiller à ce que l’intérêt supérieur de
l’enfant soit une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les
enfants. Ce principe doit être observé dans toutes les décisions concernant la santé des
enfants en tant qu’individus ou en tant que groupe. L’intérêt supérieur de chaque enfant
devrait être défini compte tenu de ses besoins physiques, affectifs, sociaux et éducatifs, de
son âge, de son sexe, de ses relations avec ses parents et les personnes qui s’occupent de
lui, et de son milieu familial et social et après avoir pris ses opinions en considération,
conformément à l’article 12 de la Convention.
5 Observation générale no 4 (2003) sur la santé et le développement de l’adolescent dans le contexte
de la Convention relative aux droits de l’enfant, Documents officiels de l’Assemblée générale,
cinquante-neuvième session, Supplément no 41 (A/59/41), annexe X, par. 6.
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13. Le Comité invite instamment les États à veiller à ce que l’intérêt supérieur de
l’enfant soit une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent sa santé
et son développement, y compris celles ayant trait à l’allocation de ressources ainsi qu’à
l’élaboration et à la mise en oeuvre de politiques et de mesures qui ont une incidence sur les
déterminants fondamentaux de sa santé. Par exemple, le principe de l’intérêt supérieur de
l’enfant devrait:
a) Guider le choix des traitements, si possible avant les considérations d’ordre
économique;
b) Aider à résoudre les conflits d’intérêts entre les parents et le personnel de santé;
c) Orienter l’élaboration des politiques visant à réglementer les décisions ayant
des répercussions négatives sur l’environnement physique et social dans lequel les enfants
vivent, grandissent et se développent.
14. Le Comité souligne l’importance de l’intérêt supérieur de l’enfant en tant que
fondement de toute décision relative à l’administration, la suspension ou l’interruption d’un
traitement. Les États devraient mettre en place des procédures et des critères pour aider le
personnel de santé à évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant dans le domaine de la santé, qui
viendront compléter d’autres mécanismes officiels contraignants existants, qui visent à
déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans son Observation générale no 36, le Comité a
souligné que des mesures efficaces de lutte contre le VIH/sida ne pouvaient être adoptées
que si les droits des enfants et des adolescents étaient pleinement respectés. L’intérêt
supérieur de l’enfant devrait donc guider l’examen des différents stades de la lutte contre le
VIH/sida: prévention, traitements, soins et soutien.
15. Dans son Observation générale no 4, le Comité a souligné qu’il est de l’intérêt
supérieur de l’enfant qu’il ait accès à une information appropriée sur les questions
de santé7. Une attention particulière doit être accordée à certaines catégories d’enfants,
notamment les enfants et les adolescents atteints d’un handicap psychosocial. Lorsque
l’hospitalisation ou le placement dans une institution est envisagé, la décision doit être prise
conformément au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, compte tenu du fait qu’il est
dans l’intérêt supérieur de tous les enfants handicapés d’être soignés, dans la mesure du
possible, au sein de la communauté, dans un cadre familial et, de préférence, dans leur
propre famille, les aides nécessaires étant apportées à la famille et à l’enfant.
D. Droit à la vie, à la survie et au développement et déterminants
de la santé des enfants
16. L’article 6 met en lumière l’obligation qu’ont les États parties d’assurer la survie et
le développement de l’enfant, du point de vue physique, mental, moral, spirituel et social. Il
convient d’identifier systématiquement les nombreux risques et facteurs de protection qui
s’attachent à la vie, la survie, la croissance et le développement de l’enfant, pour concevoir
et exécuter des interventions reposant sur des données factuelles et motivées par un vaste
ensemble de déterminants tout au long de la vie.
6 Observation générale no 3 (2003) sur le VIH/sida et les droits de l’enfant, Documents officiels
de l’Assemblée générale, cinquante-neuvième session, Supplément no 41 (A/59/41), annexe IX.
7 Observation générale no 4 (2003) sur la santé et le développement de l’adolescent dans le contexte
de la Convention, Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante-neuvième session,
Supplément no 41 (A/59/41), annexe X, par. 10.
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17. Le Comité reconnaît qu’un certain nombre de déterminants doivent être pris en
compte pour garantir la réalisation du droit de l’enfant à la santé, notamment des facteurs
personnels tels que l’âge, le sexe, le niveau d’instruction, la situation socioéconomique et le
domicile, des déterminants liés à l’environnement immédiat, à savoir la famille, les pairs,
les enseignants et les fournisseurs de services, tels que la violence qui menace la vie et la
survie des enfants, et des déterminants d’ordre structurel, notamment les politiques, les
structures et systèmes administratifs, et les valeurs et normes sociales et culturelles8.
18. Font partie des principaux déterminants de la santé, de la nutrition et du
développement de l’enfant la réalisation du droit de la mère à la santé9 et le rôle des parents
et des autres personnes qui s’occupent de l’enfant. Un nombre important de décès de
nourrissons se produisent durant la période néonatale et sont en rapport avec la mauvaise
santé de la mère avant et pendant la grossesse ou pendant la période post-partum ainsi
qu’avec des pratiques d’allaitement au sein loin d’être optimales. La santé et les
comportements liés à la santé des parents et d’autres adultes importants dans l’entourage de
l’enfant ont des répercussions majeures sur la santé de celui-ci.
E. Droit de l’enfant d’être entendu
19. L’article 12 souligne l’importance de la participation de l’enfant en consacrant son
droit à exprimer son opinion et à ce que ses opinions soient dûment prises en compte eu
égard à son âge et à son degré de maturité10. Cela inclut ses opinions sur tous les aspects
relatifs à la fourniture des soins de santé, y compris, par exemple, le type de services
nécessaires, la manière et le lieu les plus adaptés à la fourniture de ces services, les
obstacles quant à l’accès ou à l’utilisation des services, la qualité des services et l’attitude
des professionnels de santé, la manière dont les capacités des enfants peuvent être
renforcées pour qu’ils prennent davantage de responsabilités concernant leur santé et leur
développement et la manière de les associer plus efficacement à la fourniture des services,
en tant qu’éducateurs-pairs. Les États sont encouragés à mener régulièrement des
consultations participatives, adaptées à l’âge et au niveau de maturité des enfants, ainsi que
des recherches avec eux, et de faire cela séparément avec les parents, afin d’apprendre
quels sont leurs problèmes de santé, leurs besoins et leurs attentes en matière de
développement, en vue de concevoir des actions et des programmes sanitaires efficaces.
F. Développement des capacités et déroulement de la vie de l’enfant
20. L’enfance est une période de croissance continue, de la naissance à la première
enfance, à la période préscolaire, et à l’adolescence. Chaque phase est importante car elle se
caractérise par des changements importants, en termes de développement physique,
psychologique, affectif et social, d’attentes et de normes. Les étapes de l’évolution de
l’enfant se cumulent et chacune a un impact sur les étapes suivantes et influe sur la santé, le
potentiel, les risques et les chances. Il est essentiel de comprendre la manière dont se
déroule la vie pour apprécier la manière dont les problèmes de santé dans l’enfance se
répercutent sur la santé publique en général.
8 Voir l’Observation générale no 13 (2011) sur le droit de l’enfant d’être protégé contre toutes
les formes de violence, Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-septième session,
Supplément no 41 (A/67/41), annexe V.
9 Voir la Recommandation générale no 24 (1999) du Comité pour l’élimination de la discrimination à
l’égard des femmes sur les femmes et la santé, Documents officiels de l’Assemblée générale,
cinquante-quatrième session, Supplément no 38 (A/54/38/Rev.1), chap. I, sect. A.
10 Voir l’Observation générale no 12 (2009) sur le droit de l’enfant d’être entendu, Documents officiels
de l’Assemblée générale, soixante-cinquième session, Supplément no 41 (A/65/41), annexe IV.
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21. Le Comité a conscience que le développement des capacités de l’enfant a une
incidence sur son aptitude à prendre de manière indépendante des décisions sur les
questions de santé le concernant. Il note également qu’il y a souvent des différences entre
les enfants en ce qui concerne l’aptitude à prendre une décision de manière autonome, les
enfants particulièrement exposés à la discrimination étant souvent moins capables d’exercer
cette autonomie. Il est donc essentiel que des politiques de soutien soient mises en place et
que les enfants, les parents et le personnel de santé puissent s’appuyer sur des principes
directeurs fondés sur les droits, qui portent sur le consentement, l’agrément et la
confidentialité.
22. Pour comprendre l’évolution des capacités de l’enfant et l’évolution des priorités
dans le domaine de la santé tout au long de la vie, et y répondre, il conviendrait de ventiler
en fonction de l’âge, du sexe, du handicap, de la situation socioéconomique, des aspects
socioculturels et du lieu géographique, les données et les informations recueillies et
analysées, conformément aux normes internationales. Cela permet de planifier, d’élaborer,
d’appliquer et de contrôler des politiques et des mesures qui prennent en considération
l’évolution dans le temps des capacités et des besoins des enfants et contribuent à fournir
des services sanitaires pertinents à tous les enfants.
III. Contenu normatif de l’article 24
A. Article 24, paragraphe 1
«Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir
du meilleur état de santé possible»
23. La notion de «meilleur état de santé possible» tient compte à la fois de la situation
biologique, sociale, culturelle et économique de l’enfant au départ et des ressources dont
dispose l’État, qui sont complétées par les ressources d’autres origines comme les
organisations non gouvernementales, la communauté internationale et le secteur privé.
24. Le droit de l’enfant à la santé comprend un ensemble de libertés et de droits. Les
libertés, qui gagnent en importance au fur et à mesure que l’enfant gagne en capacités et en
maturité, comprennent le droit d’exercer un contrôle sur sa santé et son corps, y compris la
liberté de faire des choix responsables dans le domaine de la santé sexuelle et procréative.
Les droits comprennent le droit d’accéder à divers installations, biens et services et de jouir
de conditions qui garantissent à chaque enfant, sur un pied d’égalité, la possibilité de jouir
du meilleur état de santé possible.
«et de bénéficier de services médicaux et de rééducation»
25. Les enfants ont droit à des services de santé de qualité, y compris en matière de
prévention, de promotion, de traitement, de rééducation et de soins palliatifs. Au niveau
primaire, ces services doivent être suffisants en quantité et en qualité, fonctionnels,
matériellement et financièrement à la portée de tous les secteurs de la population enfantine,
et acceptables par tous. Le système de soins de santé devrait non seulement fournir un
appui dans le domaine des soins de santé mais aussi porter à l’attention des autorités
concernées les cas de violation des droits et d’injustice. Des soins secondaires et tertiaires
devraient également être fournis, dans la mesure du possible, des systèmes d’orientation
fonctionnels reliant les communautés et les familles à tous les niveaux du système de santé.
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26. Des programmes complets de soins de santé primaires devraient être mis en place,
parallèlement à des initiatives locales qui ont fait leurs preuves, dans des domaines comme
les soins préventifs, le traitement de maladies particulières et des interventions en matière
de nutrition. Les interventions au niveau local devraient porter, entre autres, sur la
fourniture d’informations, de services et de biens ainsi que sur la prévention des maladies et
des traumatismes, par exemple au moyen d’investissements dans la sécurité des espaces
publics, de mesures de sécurité routière et d’une éducation à la prévention des
traumatismes, des accidents et de la violence.
27. Les États devraient assurer la présence d’un nombre suffisant de professionnels
dûment formés afin que tous les enfants puissent bénéficier de services de santé. Il est
nécessaire aussi de prévoir une réglementation, un encadrement, une rémunération et des
conditions d’emploi adéquats, y compris pour le personnel de santé local. Les activités de
renforcement des capacités devraient garantir que les fournisseurs de services tiennent
compte des besoins des enfants dans le cadre de leur travail et ne les privent pas de services
auxquels la loi leur donne droit. Des mécanismes de responsabilisation devraient être mis
en place pour garantir le respect des normes d’assurance qualité.
«[Les États parties] s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé
du droit d’avoir accès à ces services [de soins de santé]»
28. Le paragraphe 1 de l’article 24 impose aux États parties de veiller à ce que tous les
enfants aient accès à des services de santé et d’autres services appropriés, en accordant une
attention particulière aux régions et aux populations mal desservies. Cela suppose de mettre
en place un système complet de soins de santé primaires ainsi qu’un cadre juridique
adéquat et de prêter une attention soutenue aux déterminants de la santé des enfants.
29. Les obstacles, notamment financiers, institutionnels et culturels, qui entravent
l’accès des enfants aux services de santé devraient être identifiés et éliminés.
L’enregistrement des naissances universel et gratuit est indispensable et des mesures de
protection sociale, notamment des mécanismes de sécurité sociale comme les allocations
familiales, les transferts en espèces et les congés parentaux rémunérés, devraient être
appliquées et considérées comme des investissements complémentaires.
30. L’utilisation des services de santé est fonction de l’environnement, et notamment de
la disponibilité des services, des niveaux de connaissance en matière de santé, des
compétences pratiques et des valeurs. Les États devraient veiller à la mise en place d’un
environnement favorable qui encourage, chez les parents comme chez les enfants,
l’adoption d’un comportement approprié en matière d’utilisation des services de santé.
31. Selon le développement de leurs capacités, les enfants devraient avoir accès à des
services confidentiels d’orientation et de conseils sans avoir besoin du consentement de
leurs parents ou tuteurs, si les professionnels travaillant avec eux estiment que tel est leur
intérêt supérieur. Les États devraient définir clairement les procédures législatives
applicables à la désignation de dispensateurs de soins appropriés pour les enfants qui n’ont
ni parents ni tuteurs, qui peuvent consentir au nom de l’enfant ou l’aider à donner son
consentement, suivant l’âge et la maturité de l’enfant. Les États devraient envisager la
possibilité d’autoriser les enfants à consentir à certains traitements ou interventions
médicales sans l’autorisation d’un parent, d’un prestataire de soins ou d’un tuteur, comme
le test du VIH ou des services de santé sexuelle et procréative, notamment un enseignement
et des conseils concernant la santé sexuelle, la contraception et l’avortement médicalisé.
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B. Article 24, paragraphe 2
32. Conformément au paragraphe 2 de l’article 24, les États devraient mettre en place un
processus permettant de recenser et de traiter d’autres questions relatives aux droits de
l’enfant à la santé. Cela suppose, entre autres, de procéder à une analyse approfondie de la
situation, en définissant les problèmes et les interventions prioritaires dans le domaine de la
santé, et de définir et d’appliquer des mesures et des politiques fondées sur des données
factuelles qui répondent aux déterminants clefs et aux problèmes de santé, en consultation
avec les enfants en tant que de besoin.
Article 24, paragraphe 2 a). «Réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants»
33. Les États ont l’obligation de réduire la mortalité infantile. Le Comité demande
instamment qu’une attention particulière soit accordée à la mortalité néonatale, qui
constitue une proportion croissante de la mortalité des moins de 5 ans. En outre, les États
parties devraient aussi se pencher sur la question de la morbidité et de la mortalité des
adolescents, qui est généralement négligée.
34. Il conviendrait notamment de se pencher sur les naissances d’enfants mort-nés, les
complications liées à la prématurité, l’anoxie à la naissance, l’insuffisance pondérale à la
naissance, la transmission de la mère à l’enfant du VIH et d’autres infections sexuellement
transmissibles, les infections néonatales, la pneumonie, la diarrhée, la rougeole, la
malnutrition, le paludisme, les accidents, la violence, le suicide et la morbidité et mortalité
maternelles des adolescentes. Il est recommandé de renforcer les systèmes de santé pour
que tous les enfants bénéficient de ces mesures dans le contexte du continuum des soins de
santé procréative, maternelle, néonatale et infantile, y compris le dépistage des anomalies
congénitales, les services d’accouchement sans risques et les soins aux nouveau-nés.
Des contrôles de mortalité maternelle et périnatale devraient être effectués régulièrement
aux fins de prévention et de responsabilisation.
35. Les États devraient mettre tout particulièrement l’accent sur le développement des
mesures simples, sûres et peu onéreuses qui se sont révélées efficaces, telles que les
traitements à base communautaire contre la pneumonie, les maladies diarrhéiques et le
paludisme, et s’attacher en particulier à garantir la protection et la promotion pleine et
entière des pratiques d’allaitement au sein.
Article 24, paragraphe 2 b). «Assurer à tous les enfants l’assistance médicale
et les soins de santé nécessaires, l’accent étant mis sur le développement
des soins de santé primaires»
36. Les États devraient accorder la priorité à l’accès universel des enfants à des
services de soins de santé primaires dispensés aussi près que possible du lieu où
eux-mêmes et leurs familles vivent, en particulier dans des structures de proximité. La
configuration et le contenu exact des services varieront d’un pays à l’autre mais, dans
tous les cas, des systèmes de santé efficaces seront nécessaires, notamment un
mécanisme de financement solide, des personnels bien formés et suffisamment payés, des
informations fiables sur la base desquelles prendre des décisions et établir des politiques,
des installations bien entretenues et des systèmes logistiques permettant l’accès à des
médicaments et des technologies de qualité, ainsi qu’ un encadrement et une gouvernance
solides. La fourniture de services de santé à l’école représente une occasion importante
de promouvoir la santé et de dépister des maladies et accroît l’accessibilité des services
de santé aux enfants scolarisés.
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37. Les ensembles recommandés de services, comme les «Interventions essentielles,
produits et lignes directrices en santé reproductive, maternelle, néonatale et infantile»
devraient être utilisés11. Les États ont l’obligation de veiller à ce que tous les médicaments
essentiels figurant sur les listes modèles de l’Organisation mondiale de la Santé, y compris
la liste concernant les enfants (formules pédiatriques lorsque cela est possible), soient
disponibles, accessibles et d’un coût abordable.
38. Le Comité est préoccupé par l’augmentation des problèmes de santé mentale chez
les adolescents, notamment les troubles du développement et du comportement, la
dépression, les troubles alimentaires, l’anxiété, les traumatismes psychologiques dus à des
mauvais traitements, à la négligence, à la violence ou à l’exploitation, la consommation
d’alcool, de tabac et de drogues, les comportements obsessionnels, tels que l’utilisation
excessive de l’Internet et d’autres technologies et les addictions à ces technologies,
l’automutilation et le suicide. On s’accorde de plus en plus à reconnaître qu’il faudrait
prêter une plus grande attention aux problèmes de comportement et aux problèmes sociaux
qui nuisent à la santé mentale, au bien-être psychologique et au développement affectif des
enfants. Le Comité met en garde contre la surmédicalisation et le placement en institution et
invite instamment les États à adopter une approche fondée sur la santé publique et le
soutien psychosocial face aux problèmes de santé mentale des enfants et des adolescents et
à investir dans des systèmes de soins primaires facilitant la détection et le traitement
précoce des problèmes psychologiques, affectifs et mentaux des enfants.
39. Les États ont l’obligation de veiller à ce que les enfants atteints de troubles mentaux
et psychosociaux bénéficient d’un traitement et de services de réadaptation adaptés tout en
s’abstenant de les soumettre à une médication superflue. Dans sa résolution de 2012 sur la
charge mondiale des troubles mentaux et la nécessité d’une réponse globale coordonnée du
secteur de la santé et des secteurs sociaux au niveau des pays12, l’Assemblée mondiale de la
Santé a noté qu’il existait des données de plus en plus nombreuses sur l’efficacité et la
rentabilité des interventions pour promouvoir la santé mentale et prévenir les troubles
mentaux, notamment chez l’enfant. Le Comité encourage vivement les États à intensifier
les interventions et à les intégrer dans un ensemble de politiques et de programmes
sectoriels, notamment en matière de santé, d’éducation et de protection (justice pénale),
avec la participation des familles et des communautés. Le cas des enfants à risque en raison
de leur environnement social et familial devrait recevoir une attention particulière, le but
étant d’améliorer leur capacité de faire face aux situations difficiles et leurs aptitudes
personnelles et sociales et de favoriser l’instauration d’un cadre protecteur et favorable.
40. Il importe de prendre conscience des problèmes particuliers que les enfants touchés
par des crises humanitaires, notamment celles qui découlent de déplacements massifs
provoqués par des catastrophes naturelles ou d’origine humaine, rencontrent sur le plan de
la santé. Toutes les mesures possibles devraient être prises pour garantir que les enfants
aient accès en permanence à des services de santé, pour les réunir avec leur famille et les
protéger, non seulement sur le plan matériel, en leur procurant des aliments et de l’eau
potable, mais aussi en favorisant la fourniture de soins parentaux spéciaux ou d’une prise en
charge psychologique pour prévenir et traiter les peurs et les traumatismes.
11 Le Partenariat pour la santé de la mère, du nouveau-né et de l’enfant, Tour d’horizon mondial
des interventions essentielles en santé reproductive, maternelle, néonatale et infantile
(Genève, 2011).
12 Résolution WHA65.4, adoptée à la soixante-cinquième Assemblée mondiale de la Santé,
le 25 mai 2012.
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Article 24, paragraphe 2 c). «Lutter contre la maladie et la malnutrition, y compris
dans le cadre de soins de santé primaires, grâce notamment à l’utilisation de techniques
aisément disponibles et à la fourniture d’aliments nutritifs et d’eau potable,
compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel»
a) Utilisation de techniques aisément disponibles
41. À mesure que de nouvelles technologies − y compris les médicaments, les
équipements et les interventions − éprouvées dans le domaine de la santé infantile
deviennent disponibles, les États devraient les intégrer dans leurs politiques et services.
Les structures mobiles et les mesures prises au niveau communautaire (vaccination contre
les maladies infantiles courantes, suivi de la croissance et du développement, en particulier
dans la petite enfance, vaccination des filles contre le papillomavirus humain, injections
antitétaniques pour les femmes enceintes, accès à la thérapie de réhydratation orale et à
la supplémentation en zinc pour le traitement des maladies diarrhéiques, antibiotiques et
médicaments antiviraux essentiels, apports supplémentaires de micronutriments, tels que les
vitamines A et D, le sel iodé et le fer, ou encore accès aux préservatifs) peuvent réduire
sensiblement certains risques et devraient être accessibles à tous. Les personnels de santé
devraient informer les parents de la manière dont ils peuvent se procurer et administrer ces
moyens techniques simples en tant que de besoin.
42. Le secteur privé, notamment les entreprises commerciales et les organisations à but
non lucratif dont les activités ont des effets sur la santé, joue un rôle de plus en plus
important dans le développement et le perfectionnement des technologies, des
médicaments, du matériel, des interventions et des processus qui peuvent contribuer
à améliorer considérablement la santé des enfants. Les États devraient veiller à ce que tous
les enfants qui en ont besoin en bénéficient. Les États peuvent aussi encourager les
partenariats public-privé et les initiatives en matière de durabilité susceptibles d’améliorer
l’accès aux technologies relatives à la santé et d’en faire baisser le coût.
b) La fourniture d’aliments nutritifs
43. Les États devront adopter, compte tenu de leur contexte spécifique, des mesures
visant à satisfaire à l’obligation qu’ils ont de garantir l’accès à une alimentation adéquate
sur le plan nutritionnel, culturellement adaptée et sans danger13 et de lutter contre
la malnutrition. Dans le cas des femmes enceintes, l’efficacité des interventions directes
dans le domaine nutritionnel suppose de traiter l’anémie et les carences en acide folique et
en iode et d’assurer une supplémentation en calcium. Toutes les femmes en âge de procréer
devraient pouvoir avoir accès aux services de prévention et de traitement de la prééclampsie
et de l’éclampsie, ce qui serait bénéfique pour leur santé et garantirait le bon
développement des foetus et des nourrissons.
44. Il conviendrait de protéger et de favoriser l’allaitement exclusif au sein jusqu’aux
6 mois de l’enfant et l’allaitement au sein, complété par une nourriture appropriée, devrait
se poursuivre de préférence jusqu’à l’âge de 2 ans, si possible. Les obligations des États
dans ce domaine sont définies dans le cadre «promouvoir, protéger et soutenir», adopté à
l’unanimité par l’Assemblée mondiale de la Santé14. Les États sont tenus d’introduire dans
leur législation nationale, de mettre en oeuvre et de faire appliquer les normes adoptées sur
13 Voir l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
et l’Observation générale no 12 (1999) du Comité des droits économiques, sociaux et culturels
sur le droit à une nourriture suffisante, Documents officiels du Conseil économique et social, 2011,
Supplément no 2 (E/2000/22), annexe V.
14 Voir OMS et Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Stratégie mondiale pour
l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (Genève, 2003).
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le plan international qui concernent le droit de l’enfant à la santé, notamment le Code
international de commercialisation des substituts du lait maternel, les résolutions
pertinentes adoptées ultérieurement par l’Assemblée mondiale de la Santé ainsi que
la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Des mesures spéciales devraient être
prises pour que les femmes soient soutenues, dans leur communauté comme sur leur lieu de
travail, dans le cadre de la grossesse et de l’allaitement, pour mettre en place des services
de garde d’enfants pratiques et abordables et pour garantir le respect de la Convention
(no 183) (2000) concernant la révision de la Convention (révisée) sur la protection de
la maternité, 1952.
45. Pendant la petite enfance, il est particulièrement important que les enfants
bénéficient d’une alimentation adaptée et d’un suivi de la croissance rigoureux. Dans les
cas où cela est nécessaire, il faudrait étendre la gestion intégrée de la malnutrition aiguë
sévère au moyen de dispositifs et d’interventions communautaires ainsi que le traitement
de la malnutrition aiguë modérée, y compris au moyen de l’alimentation thérapeutique.
46. Il est souhaitable que des repas soient distribués à l’école pour garantir que tous
les élèves ont un repas complet par jour, ce qui peut améliorer leur concentration et
entraîner une hausse de la scolarisation. Le Comité recommande que s’ajoute à cela une
éducation en matière de nutrition et de santé, qui passe par la création de jardins scolaires
et la formation des enseignants, pour améliorer la nutrition des enfants et leur donner
de saines habitudes alimentaires.
47. Les États devraient aussi se pencher sur le problème de l’obésité des enfants, qui est
associée à l’hypertension, à l’augmentation du risque de maladies cardio-vasculaires,
à la résistance à l’insuline, et qui a des effets sur le plan psychologique et favorise le risque
d’obésité à l’âge adulte et de décès prématuré. Il faudrait limiter la consommation chez les
enfants de produits de la restauration rapide qui ont une forte teneur en graisse, en sucre ou
en sel, d’aliments énergétiques pauvres en micronutriments, de boissons à forte teneur
en caféine et d’autres substances potentiellement nocives. La promotion de ces substances,
en particulier lorsqu’elle cible les enfants, devrait être réglementée et leur présence dans
les écoles et ailleurs devrait être contrôlée.
c) La fourniture d’eau potable
48. L’eau potable et l’assainissement sont essentiels à la pleine jouissance de la vie et
à l’exercice de tous les droits de l’homme15. Les services gouvernementaux et les
autorités locales chargés des questions relatives à l’eau et à l’assainissement devraient
reconnaître qu’ils ont l’obligation de contribuer à la réalisation du droit de l’enfant à
la santé, prendre effectivement en considération les indicateurs de la malnutrition, des
maladies diarrhéiques ou autres maladies liées à l’eau chez les enfants ainsi que la taille
des ménages lorsqu’ils planifient et mènent à bien le développement des infrastructures
ou procèdent à l’entretien des services de distribution d’eau et lorsqu’ils prennent des
décisions relatives aux quantités de distribution minimum gratuite et aux suspensions
d’approvisionnement. Les États ne sont pas exemptés de leurs obligations même
lorsqu’ils ont privatisé l’approvisionnement en eau et l’assainissement.
15 Résolution 64/292 de l’Assemblée générale sur le droit de l’homme à l’eau et à l’assainissement.
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d) La pollution du milieu naturel
49. Les États devraient prendre des mesures au vu des dangers et des risques que la
pollution locale du milieu naturel entraîne pour la santé des enfants dans tous les contextes.
Un logement adéquat avec des dispositifs de cuisson ne présentant pas de danger, un
environnement sans fumée, une bonne ventilation, une gestion efficace des déchets et le
déversement des ordures à distance de l’espace de vie et de ses abords immédiats, l’absence
de moisissure et autres substances toxiques et une hygiène familiale sont les éléments de
base d’une croissance et d’un développement sains. Les États devraient réglementer et
contrôler les effets sur l’environnement des activités commerciales susceptibles de porter
atteinte au droit de l’enfant à la santé, à la sécurité alimentaire et à l’accès à l’eau potable et
à l’assainissement.
50. Le Comité appelle l’attention sur l’importance de l’environnement, en dehors de
toute considération liée à la pollution, pour la santé de l’enfant. Les interventions
environnementales devraient, entre autres, concerner les changements climatiques, qui
représentent l’une des plus grandes menaces pour la santé de l’enfant et exacerbent les
inégalités en matière de santé. Les États devraient donc placer les préoccupations relatives à
la santé des enfants au centre de leurs stratégies d’adaptation aux changements climatiques
et de gestion des risques.
Article 24, paragraphe 2 d). «Assurer aux mères des soins prénatals et postnatals
appropriés»
51. Le Comité note que la mortalité et la morbidité maternelles évitables constituent de
graves violations des droits fondamentaux des femmes et des filles et menacent gravement
leur droit à la santé et celui de leurs enfants. La grossesse et l’accouchement sont des
processus naturels, qui comportent des risques connus pouvant faire l’objet de mesures
préventives et thérapeutiques s’ils sont identifiés à temps. Des situations à risque peuvent se
présenter pendant la grossesse ou l’accouchement ainsi que durant les périodes anténatales
et postnatales et elles ont des effets à court et à long terme sur la santé et le bien-être de la
mère et de l’enfant.
52. Le Comité encourage les États à adopter des stratégies sanitaires qui tiennent compte
des besoins particuliers des enfants aux différentes étapes de l’enfance, comme
a) l’Initiative Hôpitaux amis des bébés16, qui protège, favorise et soutient le maintien du
nouveau-né dans la chambre de sa mère et l’allaitement au sein, b) des politiques de santé
tenant compte des besoins particuliers des enfants et mettant l’accent sur la formation du
personnel de santé afin que celui-ci offre des services de qualité de nature à réduire autant
que possible la peur, l’anxiété et la souffrance des enfants et de leur famille et c) des
services de santé adaptés aux adolescents, qui supposent que les praticiens de santé et les
structures soient accueillants et tiennent compte de la sensibilité des adolescents, respectent
la confidentialité et fournissent des services acceptables par les adolescents.
53. Les soins que les femmes reçoivent avant, pendant et après leur grossesse ont des
incidences profondes sur la santé et le développement de leurs enfants. Pour s’acquitter de
l’obligation qu’ils ont de garantir l’accès universel à un ensemble de mesures dans le
domaine de la santé sexuelle et procréative, les États doivent veiller au respect de la
continuité de la prise en charge avant la grossesse, pendant la grossesse, pendant
l’accouchement et durant la période faisant suite à l’accouchement. Le fait d’offrir des
soins de qualité, dispensés en temps opportun, durant ces périodes, contribue de manière
importante à prévenir la transmission intergénérationnelle d’un mauvais état de santé et a de
fortes incidences sur la santé de l’enfant tout au long de sa vie.
16 UNICEF/OMS, Initiative Hôpitaux amis des bébés (1991).
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54. Les interventions qui devraient être proposées dans le cadre de la continuité de la
prise en charge sont, notamment, les suivantes: mesures essentielles de prévention et
promotion dans le domaine de la santé et soins curatifs, y compris la prévention du tétanos
néonatal, du paludisme pendant la grossesse et de la syphilis congénitale; services de
nutrition; accès à une éducation, des informations et des services dans le domaine de la
santé sexuelle et procréative; éducation relative au comportement en matière de santé (par
rapport au tabac ou à la consommation de drogues, par exemple); préparation à la
naissance; détection précoce et gestion des complications; avortements médicalisés et soins
après avortement; soins essentiels à la naissance; prévention de la transmission du VIH de
la mère à l’enfant; prise en charge et traitement des femmes et des nourrissons séropositifs
au VIH. Les soins aux mères et aux nouveau-nés après l’accouchement ne devraient pas
occasionner de séparation inutile entre la mère et l’enfant.
55. Le Comité recommande que les mesures de protection sociale englobent
la couverture universelle ou l’accès financier aux soins, les congés parentaux rémunérés et
d’autres prestations de sécurité sociale, ainsi que l’adoption d’une législation limitant
la commercialisation et la promotion inappropriées des substituts du lait maternel.
56. Étant donné les taux élevés de grossesse précoce dans le monde et les risques
supplémentaires de morbidité et de mortalité qui y sont associés, les États devraient faire en
sorte que les systèmes et services de santé soient en mesure de répondre aux besoins
spécifiques des adolescentes en matière de santé sexuelle et procréative, notamment en ce
qui concerne la planification des naissances et l’avortement médicalisé. Les États devraient
faire en sorte que les filles puissent prendre, de manière autonome et en connaissance
de cause, des décisions concernant leur santé procréative. La discrimination à l’égard
des adolescentes enceintes, par exemple l’expulsion de l’école, devrait être interdite et
les jeunes filles devraient avoir la possibilité de poursuivre leur scolarité.
57. La planification et le bon déroulement des grossesses et des accouchements
dépendant en grande partie de la participation des garçons et des hommes, les États
devraient prévoir des mesures d’éducation, de sensibilisation et de dialogue destinées aux
garçons et aux hommes dans leurs politiques et leurs plans relatifs à la santé sexuelle,
procréative et infantile.
Article 24, paragraphe 2 e). «Faire en sorte que tous les groupes de la société,
en particulier les parents et les enfants, reçoivent une information sur la santé
et la nutrition de l’enfant, les avantages de l’allaitement au sein, l’hygiène
et la salubrité de l’environnement et la prévention des accidents, et bénéficient
d’une aide leur permettant de mettre à profit cette information»
58. Les obligations énoncées dans cette disposition se rapportent à la fourniture d’une
information sur la santé et à l’aide à fournir aux fins de l’utilisation de cette information.
L’information relative à la santé devrait être matériellement accessible, compréhensible et
adaptée à l’âge de l’enfant et à son niveau d’instruction.
59. Pour pouvoir faire des choix en connaissance de cause concernant leur mode de vie et
leur accès aux services de santé, les enfants devraient bénéficier d’informations et d’une
éducation sur tous les aspects de la santé. Elles devraient porter sur un vaste ensemble de
questions de santé, notamment: la promotion de bonnes habitudes alimentaires et la
promotion de l’activité physique, des sports et des loisirs; la prévention des accidents et des
traumatismes; l’hygiène, notamment le lavage des mains et d’autres pratiques d’hygiène
personnelle; les dangers de la consommation d’alcool, de tabac et de substances
psychoactives. Les informations et les activités éducatives devraient aussi porter sur le droit
de l’enfant à la santé, les obligations des gouvernements et les modalités d’accès aux
informations et aux services de santé, et faire partie intégrante du programme scolaire et, pour
les enfants qui ne sont pas scolarisés, être également dispensées dans le cadre des services de
santé et dans d’autres cadres. Des documents d’information sur la santé devraient être
élaborés en collaboration avec les enfants et diffusés dans toutes sortes de lieux publics.
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60. L’éducation dans le domaine de la santé sexuelle et procréative devrait porter, entre
autres, sur la conscience de soi et la connaissance du corps, y compris ses aspects
anatomiques, physiologiques et émotionnels, et être accessible à tous les enfants, filles et
garçons. Elle devrait mettre l’accent sur la santé et le bien-être sexuels, comme les
transformations du corps et la maturation par exemple, et être conçue de manière
à permettre aux enfants d’acquérir des connaissances sur la santé procréative et la
prévention de la violence sexiste et d’adopter un comportement sexuel responsable.
61. Des informations sur la santé des enfants devraient être fournies à tous les parents,
individuellement ou en groupe, à la famille élargie et aux autres personnes qui s’occupent
d’enfants, par des méthodes différentes, notamment par l’intermédiaire des dispensaires, dans
le cadre de cours sur la parentalité, au moyen de brochures d’information et par
l’intermédiaire des organes professionnels, des organisations communautaires ou des médias.
Article 24, paragraphe 2 f). «Développer les soins de santé préventifs, les conseils
aux parents et l’éducation et les services en matière de planification familiale»
a) Soins de santé préventifs
62. Les activités de prévention et de promotion de la santé devraient porter sur les
principaux problèmes de santé que rencontrent les enfants au sein de la communauté et
dans le pays dans son ensemble, et notamment les maladies et d’autres problèmes touchant
la santé, tels que les accidents, la violence, la consommation de substances et les problèmes
psychosociaux et les problèmes de santé mentale. La prévention devrait concerner les
maladies transmissibles et non transmissibles et se traduire par un ensemble de mesures
biomédicales, comportementales et structurelles. La prévention des maladies non
transmissibles devrait commencer à un âge précoce, sous la forme d’activités de promotion
et de soutien en faveur de l’adoption de modes de vie sains et non violents, destinées aux
femmes enceintes, à leurs conjoints ou compagnons et aux jeunes enfants.
63. Pour lutter contre les traumatismes dont sont victimes les enfants, il importe
d’adopter des stratégies et des mesures visant à réduire le nombre de noyades, de brûlures
et autres accidents. Ces stratégies et mesures devraient se traduire par l’adoption de lois et
de mesures d’application, par la modification des produits et de l’environnement, par
l’organisation de visites à domicile et la promotion des dispositifs de sécurité, par des
actions pédagogiques, le renforcement des compétences et des changements de
comportement, par le lancement de programmes communautaires, et par la mise en place de
soins préhospitaliers et de soins actifs ainsi que de services de réadaptation. Pour réduire le
nombre d’accidents de la circulation, il faudrait adopter des lois relatives au port de la
ceinture de sécurité et à l’utilisation d’autres dispositifs de sécurité, veiller à ce que les
moyens de transport empruntés par les enfants soient sûrs et prendre dûment en
considération les besoins des enfants dans le cadre des aménagements routiers et du
contrôle de la circulation. Le soutien de l’industrie concernée et des médias à cet égard
est essentiel.
64. Conscient que la violence est une cause importante de la mortalité et de la morbidité
chez les enfants, en particulier les adolescents, le Comité insiste sur la nécessité d’instaurer
un cadre qui protège les enfants de la violence et les encourage à contribuer aux
changements d’attitude et de comportement à la maison, à l’école et dans l’espace public,
d’aider les parents et les personnes qui s’occupent d’enfants à adopter de bonnes méthodes
d’éducation et de lutter contre les mentalités qui perpétuent la tolérance et l’indulgence
vis-à-vis de la violence sous toutes ses formes, notamment en réglementant la manière dont
la violence est dépeinte par les médias.
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65. Les États devraient protéger les enfants de la consommation de solvants, d’alcool, de
tabac et de substances illicites, recueillir davantage de données scientifiques pertinentes et
prendre des mesures appropriées pour réduire la consommation de ces substances par les
enfants. Il est recommandé de réglementer la publicité et la vente de substances préjudiciables
à la santé des enfants ainsi que la promotion de ces substances dans les lieux où ils se
rassemblent ainsi que dans les médias et publications auxquels les enfants ont accès.
66. Le Comité encourage les États parties qui ne l’ont pas encore fait à ratifier les
conventions internationales de lutte contre la drogue17 et la Convention-cadre de l’OMS
pour la lutte antitabac. Il souligne qu’il importe d’adopter une approche fondée sur les
droits en ce qui concerne la consommation de substances toxiques et recommande
l’adoption, en tant que de besoin, de stratégies de réduction des risques pour atténuer les
effets nocifs pour la santé de la consommation de substances toxiques.
b) Conseils aux parents
67. Les parents sont la source la plus importante de diagnostic précoce et de soins de
santé primaires en ce qui concerne les jeunes enfants et offrent aussi la meilleure protection
contre les comportements à haut risque des adolescents, tels que la consommation de
substances toxiques et les relations sexuelles à risque. Ils jouent également un rôle essentiel
dans la promotion du bon développement de l’enfant, la protection des enfants contre les
accidents, les traumatismes et la violence et dans la réduction des effets nocifs des
comportements à risque. La socialisation des enfants, fondamentale pour que ceux-ci
comprennent le monde dans lequel ils grandissent et s’y adaptent, est profondément
influencée par les parents, la famille élargie et les autres personnes qui s’occupent d’eux.
Les États devraient adopter des mesures reposant sur des observations factuelles pour
soutenir les bonnes pratiques parentales, notamment des mesures d’éducation à la
parentalité, la création de groupes de soutien et la mise en place de services de consultation
familiale, en particulier pour les familles dont les enfants ont des problèmes de santé ou
d’autres difficultés d’ordre social.
68. Eu égard aux effets des châtiments corporels sur la santé des enfants, qui peuvent
provoquer des blessures mortelles ou non mortelles et ont également des conséquences
psychologiques et émotionnelles, le Comité rappelle aux États l’obligation qu’ils ont de
prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées
pour éliminer les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de
châtiments dans tous les contextes, y compris à la maison18.
c) Planification familiale
69. Les services de planification familiale devraient être intégrés dans les services de
santé sexuelle et procréative en général et comprendre des cours d’éducation sexuelle, y
compris des conseils dans ce domaine. Ils peuvent être considérés comme faisant partie
du continuum de services décrits au paragraphe 2 d) de l’article 24 et devraient être
conçus de manière à permettre à tous les couples et à tous les individus de prendre
librement et de manière responsable des décisions relatives à la sexualité et à la
procréation, notamment concernant le nombre d’enfants qu’ils souhaitent avoir et le
moment et l’espacement des naissances, en leur donnant les informations et les moyens
17 Convention unique sur les stupéfiants de 1961; Convention de 1971 sur les substances psychotropes;
Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes
(1988).
18 Observation générale no 8 (2006) sur le droit de l’enfant à une protection contre les châtiments
corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments, Documents officiels de
l’Assemblée générale, soixante-troisième session, Supplément no 41 (A/63/41), annexe II.
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voulus. Il faudrait s’attacher à garantir un accès confidentiel et universel aux biens et
services dans ce domaine aux adolescents, garçons et filles, qu’ils soient mariés ou non.
Les États devraient veiller à ce que les adolescents ne soient pas privés d’informations ou
de services en matière de santé sexuelle et procréative du fait de l’objection de
conscience opposée par certains prestataires de soins.
70. Les adolescents sexuellement actifs devraient avoir accès facilement et rapidement
à des méthodes contraceptives à court terme, tels que les préservatifs, les traitements
hormonaux et la contraception d’urgence. Ils devraient avoir accès également à
des méthodes contraceptives à long terme et permanentes. Le Comité recommande aux
États de garantir l’accès à des services d’avortement médicalisé et à des soins après
avortement, que l’avortement soit légal ou non.
IV. Obligations et responsabilités
A. Obligations incombant aux États parties de respecter, de protéger
et de réaliser les droits de l’homme
71. Les États ont trois types d’obligations en ce qui concerne les droits de l’homme,
y compris le droit de l’enfant à la santé: respecter les libertés et les droits, protéger les
libertés et les droits contre la menace de tiers ou les menaces sociales ou
environnementales et réaliser les droits en favorisant leur exercice ou en assurant
directement leur application. Conformément à l’article 4 de la Convention, les États
parties doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre le droit de
l’enfant à la santé dans toutes les limites des ressources dont ils disposent et, s’il y a lieu,
dans le cadre de la coopération internationale.
72. Tous les États, quel que soit leur niveau de développement, sont tenus de prendre
des mesures immédiates pour donner suite à ces obligations dans les meilleurs délais et
sans discrimination d’aucune sorte. Lorsqu’il peut être démontré que les ressources
disponibles sont insuffisantes, l’obligation demeure pour les États de prendre des mesures
ciblées pour oeuvrer aussi rapidement et aussi efficacement que possible à la pleine
réalisation du droit à la santé de l’enfant. Quelles que soient leurs ressources, les États
parties ont l’obligation de ne pas prendre de mesures régressives qui pourraient entraver
l’exercice du droit de l’enfant à la santé.
73. Les obligations fondamentales, en ce qui concerne le droit de l’enfant à la santé, sont
notamment les suivantes:
a) Revoir le cadre juridique et le cadre de politique générale au niveau national
et sous-national et, si nécessaire, modifier les lois et les politiques;
b) Garantir la couverture universelle des services de soins de santé primaires de
qualité, y compris en ce qui concerne la prévention, la promotion de la santé, les services de
soins et de traitement et les médicaments essentiels;
c) Prendre des mesures appropriées concernant les déterminants de la santé
des enfants;
d) Élaborer, appliquer, contrôler et évaluer les politiques et les plans d’action
prévus au budget qui constituent une approche fondée sur les droits pour réaliser le droit de
l’enfant à la santé.
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74. Les États devraient montrer leur volonté de parvenir à l’exécution progressive de
toutes les obligations énoncées à l’article 24, à laquelle il convient de procéder dans les
meilleurs délais même dans le contexte d’une crise politique ou économique ou d’une
situation d’urgence. Cela suppose que les politiques, les programmes et les services relatifs
à la santé des enfants et à des domaines connexes soient planifiés, conçus, financés et mis
en oeuvre d’une manière durable.
B. Responsabilité des acteurs non étatiques
75. L’État est responsable de la réalisation du droit de l’enfant à la santé, qu’il délègue
ou non la fourniture des services à des acteurs non étatiques. En plus de l’État, de très
nombreux acteurs non étatiques qui fournissent des informations et des services relatifs à
la santé de l’enfant et à ses déterminants ont des responsabilités spécifiques et une influence
dans ce domaine.
76. Les États ont, parmi leurs obligations, celle de faire connaître les responsabilités des
acteurs non étatiques et de veiller à ce que ceux-ci reconnaissent, respectent et assument
tous leurs responsabilités à l’égard de l’enfant, en appliquant des procédures de diligence
raisonnable lorsque cela est nécessaire.
77. Le Comité demande à tous les acteurs non étatiques engagés dans la promotion de la
santé et les services de santé, en particulier le secteur privé, notamment l’industrie
pharmaceutique et l’industrie des technologies de la santé ainsi que les médias et les
fournisseurs de services de santé, d’agir conformément aux dispositions de la Convention et
de veiller à ce que celles-ci soient respectées par tous les partenaires qui assurent des
services en leur nom. Ces partenaires sont notamment des organisations internationales, des
banques, des institutions financières régionales, des partenariats mondiaux, le secteur privé
(fondations et fonds privés), des donateurs et toute autre entité fournissant des services ou
un soutien financier dans le domaine de la santé des enfants, en particulier dans les
situations d’urgence humanitaire ou d’instabilité politique.
1. Responsabilité des parents et des autres personnes qui s’occupent des enfants
78. Plusieurs dispositions de la Convention font expressément référence aux
responsabilités des parents et des autres personnes qui s’occupent de l’enfant. Les parents
devraient s’acquitter de leurs responsabilités en agissant toujours dans l’intérêt supérieur
de l’enfant, si nécessaire avec l’aide de l’État. Les parents et les personnes qui s’occupent
de l’enfant devraient, en tenant compte de l’évolution de ses capacités, prendre soin de
l’enfant, le protéger et l’aider à grandir et à s’épanouir en bonne santé. Bien que cela ne
soit pas expressément mentionné au paragraphe 2 f) de l’article 24, le Comité comprend
toute référence aux parents comme englobant également les autres personnes qui
s’occupent de l’enfant.
2. Fournisseurs de services non étatiques et autres acteurs non étatiques
a) Fournisseurs de services non étatiques
79. Tous les fournisseurs de services de santé, y compris les acteurs non étatiques,
doivent tenir compte, pour concevoir, appliquer et évaluer leurs programmes et services, de
toutes les dispositions pertinentes de la Convention ainsi que des critères de disponibilité,
d’accessibilité, d’acceptabilité et de qualité, tels que décrits dans le chapitre VI, section E,
de la présente Observation générale.
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b) Secteur privé
80. Toutes les entreprises commerciales ont une obligation de diligence raisonnable en
ce qui concerne les droits de l’homme, dont font partie tous les droits consacrés par la
Convention. Les États devraient inviter les entreprises commerciales à exercer une
diligence raisonnable à l’égard des droits de l’enfant. Cela les amènera à recenser, prévenir
et réduire les incidences négatives de leurs relations commerciales ainsi que de toute
opération mondiale sur le droit de l’enfant à la santé. Les grandes entreprises devraient être
encouragées et, s’il y a lieu, obligées à rendre publiques les mesures qu’elles prennent pour
réduire les incidences de leurs activités sur les droits de l’enfant.
81. Entre autres responsabilités et dans tous les contextes, les entreprises privées
devraient: s’abstenir de faire participer des enfants à des travaux dangereux et respecter
l’âge minimum du travail des enfants; se conformer aux dispositions du Code international
de commercialisation des substituts du lait maternel et des résolutions ultérieures de
l’Assemblée mondiale de la santé portant sur cette question; limiter la publicité pour les
produits alimentaires énergétiques pauvres en micronutriments, les boissons à forte teneur
en caféine ou d’autres substances potentiellement nocives pour les enfants; s’abstenir de
toute publicité et activité de marketing ciblant des enfants et s’abstenir de vendre à des
enfants du tabac, de l’alcool et d’autres substances toxiques et d’utiliser l’image d’enfants.
82. Le Comité est conscient du profond impact du secteur pharmaceutique sur la santé
des enfants et invite les laboratoires pharmaceutiques à adopter des mesures qui améliorent
l’accès des enfants aux médicaments, en accordant une attention particulière aux Principes
directeurs à l’intention des laboratoires pharmaceutiques concernant les droits de l’homme
et l’accès aux médicaments19. Parallèlement, les États devraient veiller à ce que les
laboratoires pharmaceutiques contrôlent l’usage des médicaments par les enfants et
s’abstiennent d’en promouvoir la prescription et l’usage excessifs en ce qui les concerne.
Les droits de propriété intellectuelle ne devraient pas être appliqués de telle manière que les
médicaments ou produits nécessaires soient inabordables pour les démunis.
83. Les compagnies d’assurance maladie privées devraient faire en sorte que les femmes
enceintes, les enfants ou les mères ne soient pas l’objet d’une discrimination fondée sur des
motifs interdits et promouvoir l’égalité par le biais de partenariats avec les régimes
d’assurance maladie des États, en vertu du principe de solidarité et en veillant à ce que
l’incapacité de payer ne restreigne pas l’accès aux services.
c) Médias et réseaux sociaux
84. L’article 17 de la Convention définit les responsabilités des médias. Dans le contexte
de la santé, celles-ci peuvent être élargies pour englober la promotion de la santé et de
modes de vie sains auprès des enfants, l’offre d’espaces publicitaires gratuits pour
la promotion de la santé, la garantie du respect de la vie privée des enfants et des
adolescents et du caractère confidentiel des informations les concernant, la promotion
de l’accès à l’information, l’engagement de ne pas produire de programmes et de matériels
de communication préjudiciables pour la santé des enfants et la santé en général,
et l’engagement de ne pas perpétuer les stigmatisations liées à la santé.
19 Voir également la résolution 15/22 du Conseil des droits de l’homme sur le droit qu’a toute personne
de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible.
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d) Chercheurs
85. Le Comité souligne que les entités qui font de la recherche sur des questions
concernant les enfants, notamment les universitaires ou les sociétés privées, sont tenues de
respecter les principes et les dispositions de la Convention et des Lignes directrices
internationales d’éthique pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains20. Il
rappelle aux chercheurs que l’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours l’emporter sur
l’intérêt de la société en général ou du progrès scientifique.
V. Coopération internationale
86. Les États parties à la Convention ont l’obligation non seulement de mettre en oeuvre
le droit de l’enfant à la santé sur leur territoire, mais aussi de contribuer à sa mise en oeuvre
au niveau mondial, dans le cadre de la coopération internationale. En vertu du paragraphe 4
de l’article 24 de la Convention, les États et les organismes interétatiques sont tenus
d’accorder une attention particulière aux priorités des enfants en matière de santé,
notamment ceux qui appartiennent aux catégories les plus pauvres de la population ainsi
que dans les pays en développement.
87. La Convention devrait guider toutes les activités et tous les programmes
internationaux des États donateurs ou bénéficiaires qui concernent directement ou
indirectement la santé des enfants. Conformément à ses dispositions, les États partenaires
sont tenus de recenser les principaux problèmes de santé qui touchent les enfants, les
femmes enceintes et les mères dans les pays bénéficiaires et de s’attacher à les résoudre
en observant les priorités et principes énoncés à l’article 24. La coopération
internationale devrait soutenir les systèmes de santé mis en place par les États ainsi que
les plans de santé nationaux.
88. Les États sont tenus, à titre individuel et collectif, de coopérer, notamment par
l’intermédiaire des mécanismes de l’ONU, pour fournir des secours et une assistance
humanitaire dans les situations d’urgence. Dans de tels cas, les États devraient envisager
d’accorder un rang de priorité élevé aux efforts visant à réaliser le droit de l’enfant à la
santé, notamment en fournissant une aide médicale internationale appropriée, en distribuant
et en gérant les ressources (eau salubre et potable, vivres, fournitures médicales, etc.) et en
accordant une aide financière aux enfants les plus vulnérables ou marginalisés.
89. Le Comité rappelle aux États qu’ils doivent atteindre l’objectif fixé par l’ONU,
à savoir consacrer 0,7 % de leur produit intérieur brut à l’aide internationale au
développement, les ressources financières étant importantes pour l’exercice du droit de
l’enfant à la santé dans les États dont les ressources sont limitées. Pour garantir un effet
maximal, les États et les organismes interétatiques sont encouragés à appliquer les Principes
de Paris sur l’efficacité de l’aide et les principes du Programme d’action d’Accra.
VI. Cadre d’application et obligation de rendre des comptes
90. L’obligation de rendre des comptes est un élément essentiel de l’exercice du droit de
l’enfant à la santé. Le Comité rappelle aux États parties qu’ils ont l’obligation de veiller
à ce que les autorités gouvernementales concernées et les prestataires de services soient
tenus pour responsables de leurs actes s’agissant d’assurer aux enfants, jusqu’à leurs 18 ans,
le niveau de santé et la qualité des soins de santé les plus élevés possible.
20 Conseil des Organisations internationales des sciences médicales/OMS, Genève, 1993.
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91. Les États devraient mettre en place des conditions qui facilitent l’exercice par toutes
les personnes concernées de leurs fonctions et obligations en ce qui concerne le droit de
l’enfant à la santé, ainsi qu’un cadre réglementaire dans lequel s’inscriraient les activités de
tous les acteurs, qui pourraient ainsi être contrôlées, notamment en mobilisant un soutien
politique et financier pour les questions liées à la santé des enfants et en donnant aux
responsables les moyens de s’acquitter de leurs obligations et aux enfants les moyens de
revendiquer leur droit à la santé.
92. Reposant sur la participation active du gouvernement, du parlement, des
communautés, de la société civile et des enfants, les mécanismes nationaux de
responsabilisation doivent être efficaces et transparents et viser à tenir tous les acteurs
responsables de leurs actes. Ces mécanismes devraient, notamment, s’intéresser aux
facteurs structurels qui ont une incidence sur la santé des enfants, comme les lois, les
politiques et les budgets. Le suivi participatif des ressources financières et des effets sur la
santé des enfants est indispensable pour ces mécanismes.
A. Faire connaître le droit de l’enfant à la santé (art. 42)
93. Le Comité encourage les États à adopter et à appliquer une stratégie globale visant à
informer les enfants, les personnes qui s’occupent d’eux, les responsables politiques et les
professionnels travaillant auprès d’enfants sur le droit de l’enfant à la santé et sur la
contribution qu’ils peuvent apporter à la réalisation de ce droit.
B. Mesures législatives
94. La Convention dispose que les États parties doivent prendre toutes les mesures,
d’ordre législatif, administratif ou autre, qui sont appropriées pour mettre en oeuvre le droit
de l’enfant à la santé sans discrimination. Les lois nationales devraient faire obligation à
l’État de fournir les services, les programmes, les ressources humaines et les infrastructures
nécessaires à l’exercice du droit de l’enfant à la santé et conférer aux femmes enceintes et
aux enfants le droit de bénéficier de services de santé de base de qualité, adaptés aux
besoins des enfants, et de services connexes, quelle que soit leur situation financière.
Il conviendrait de revoir les lois pour évaluer tout effet discriminatoire potentiel et tout
obstacle à la réalisation du droit de l’enfant à la santé, et les abroger si nécessaire.
Des organisations internationales et des donateurs devraient, si nécessaire, fournir une aide
au développement et une assistance technique pour permettre de mener à bien ce type
de réformes juridiques.
95. La législation devrait également remplir un certain nombre de fonctions
supplémentaires dans le cadre de la réalisation du droit de l’enfant à la santé, en définissant
la portée de ce droit et en reconnaissant les enfants comme titulaires de droits,
en définissant les rôles et les responsabilités de l’ensemble des détenteurs de devoirs,
en précisant les services que les enfants, les femmes enceintes et les mères sont fondés
à demander et en réglementant les services et les médicaments de façon qu’ils soient de
bonne qualité et ne soient pas nocifs. Les États doivent veiller à ce que des lois et d’autres
garanties appropriées protègent et promeuvent le travail des défenseurs des droits
de l’homme qui oeuvrent pour le droit de l’enfant à la santé.
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C. Gouvernance et coordination
96. Les États sont invités à ratifier et à appliquer les instruments internationaux et
régionaux relatifs aux droits de l’homme qui concernent la santé de l’enfant et à faire rapport
sur tous les aspects de la santé de l’enfant conformément aux dispositions desdits instruments.
97. La pérennité des politiques et des pratiques relatives à la santé de l’enfant nécessite la
mise en place d’un plan national à long terme qui soit soutenu et reconnu comme une priorité
nationale. Le Comité recommande aux États d’élaborer et de mettre en oeuvre un cadre
national de coordination global et cohérent en matière de santé de l’enfant, fondé sur les
principes de la Convention, pour faciliter la collaboration entre les ministères et les différents
échelons de l’administration, ainsi que sur l’interaction avec les parties prenantes de la société
civile, y compris les enfants. Étant donné le nombre élevé d’organes gouvernementaux,
d’organes législatifs et de ministères qui travaillent sur les politiques et les services liés à la
santé de l’enfant à différents niveaux, le Comité recommande que les rôles et responsabilités
de chacun d’entre eux soient définis dans le cadre juridique et réglementaire.
98. Il convient tout particulièrement de recenser les groupes marginalisés et défavorisés
d’enfants et les enfants exposés à toute forme de violence et de discrimination, et de leur
accorder un rang de priorité élevé. Toutes les activités devraient être intégralement
chiffrées, financées et présentées dans le budget national.
99. Il faudrait élaborer une stratégie visant à ce que la santé de l’enfant soit prise en
considération dans toutes les politiques, qui mettrait en évidence les liens entre la santé de
l’enfant et ses déterminants. Aucun effort ne devrait être épargné pour éliminer ce qui, dans
la fourniture des services affectant la santé de l’enfant, fait obstacle à la transparence, à la
coordination, à l’établissement de partenariats et à la recherche des responsabilités.
100. Si la décentralisation est nécessaire pour répondre aux besoins particuliers des
localités et des secteurs, cela n’enlève rien à la responsabilité directe qui incombe aux
autorités centrales ou nationales de s’acquitter de leurs obligations envers tous les enfants
relevant de leur juridiction. Les décisions relatives aux allocations budgétaires aux divers
échelons des services et aux zones géographiques devraient tenir compte des éléments
fondamentaux de l’approche relative aux soins de santé primaires.
101. Les États devraient associer tous les secteurs de la société, y compris les enfants, à la
mise en oeuvre du droit de l’enfant à la santé. Le Comité recommande que cette
participation comprenne la création de conditions qui favorisent la croissance continue, le
développement et la pérennité des organisations de la société civile, y compris les groupes
locaux et communautaires, la facilitation active de la participation de ces organisations à
l’élaboration, la mise en oeuvre et l’évaluation de politiques et de services dans le domaine
de la santé de l’enfant et l’apport d’une aide financière appropriée ou d’un soutien pour
obtenir une aide financière.
1. Le rôle des parlements et l’obligation de rendre des comptes au niveau national
102. Concernant les questions relatives à la santé de l’enfant, les parlements ont la
responsabilité de légiférer, en assurant la transparence et la participation de tous,
et d’encourager un débat public permanent et l’instauration d’une culture de
la responsabilité. Ils devraient créer une tribune publique permettant de rendre compte du
travail accompli et d’en débattre et de promouvoir la participation de la population aux
mécanismes de contrôle indépendants. Ils devraient également demander à l’exécutif de
rendre compte des mesures prises pour donner suite aux recommandations formulées
à l’issue de contrôles indépendants et veiller à ce que les résultats des contrôles effectués
soient pris en considération dans les plans nationaux, les lois, les politiques, les budgets
et les nouvelles mesures de responsabilisation.
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2. Le rôle des institutions nationales de défense des droits de l’homme et l’obligation
de rendre des comptes au niveau national
103. Les institutions nationales de défense des droits de l’homme ont un rôle important à
jouer dans l’examen et la promotion de la responsabilité, la réparation en cas de violation
du droit de l’enfant à la santé et la sensibilisation à la nécessité d’un changement
systémique en faveur de la réalisation de ce droit. Le Comité appelle l’attention sur son
Observation générale no 2 et rappelle aux États que le mandat des commissaires ou
médiateurs pour les enfants devrait inclure le contrôle de l’exercice du droit de l’enfant à la
santé et que les titulaires de mandat devraient être dotés de ressources suffisantes et être
indépendants du gouvernement21.
D. Santé de l’enfant et investissements
104. Dans leurs décisions relatives aux allocations budgétaires et aux dépenses, les États
devraient garantir la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité des services
de santé essentiels pour tous les enfants, sans discrimination.
105. Les États devraient évaluer régulièrement les incidences des décisions de politique
macroéconomique sur le droit des enfants à la santé, en particulier pour les enfants
vulnérables, empêcher toute décision susceptible de porter atteinte aux droits de l’enfant et
appliquer le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant lors de la prise de décisions.
Ils devraient également tenir compte des obligations qui leur incombent en vertu de
l’article 24 dans tous les aspects des négociations avec les institutions financières
internationales et d’autres donateurs, pour garantir que le droit de l’enfant à la santé est
dûment pris en considération dans le cadre des activités de coopération internationale.
106. Le Comité recommande aux États parties:
a) De fixer par voie législative la proportion des dépenses publiques devant être
consacrée à la santé de l’enfant et de créer un mécanisme permettant une évaluation
systématique et indépendante de ces dépenses;
b) De respecter le minimum recommandé par l’Organisation mondiale de
la Santé pour les dépenses de santé par habitant et d’accorder un rang de priorité élevé à
la santé de l’enfant dans les allocations budgétaires;
c) De rendre visibles dans le budget de l’État les investissements consacrés aux
enfants en détaillant les ressources qui leur sont affectées et les dépenses effectuées;
d) De mettre en place un suivi et une analyse du budget fondés sur les droits et
de mener des études d’impact sur la manière dont les investissements, notamment dans le
secteur de la santé, peuvent servir l’intérêt supérieur de l’enfant.
107. Le Comité souligne l’importance des outils d’évaluation aux fins de l’utilisation des
ressources et considère qu’il est nécessaire de concevoir des indicateurs mesurables pour
aider les États parties à suivre et à évaluer les progrès accomplis dans la mise en oeuvre du
droit de l’enfant à la santé.
21 Voir l’Observation générale no 2 (2002) sur le rôle des institutions nationales indépendantes
de défense des droits de l’homme dans la protection et la promotion des droits de l’enfant,
Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante-neuvième session, Supplément no 41
(A/59/41), annexe VIII.
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E. Le cycle d’activités
108. Pour s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de l’article 24 de la
Convention, les États parties doivent engager un processus cyclique de planification, de
mise en oeuvre, de suivi et d’évaluation et en utiliser les résultats pour faire de nouveaux
plans, modifier la mise en oeuvre et renouveler les efforts de contrôle et d’évaluation.
Les États devraient faire en sorte que les enfants participent efficacement aux activités et
mettre en place des mécanismes de retour d’information pour faciliter les ajustements qui
se révéleraient nécessaires tout au long du cycle.
109. La disponibilité de données pertinentes et fiables est au coeur de l’élaboration, de la
mise en oeuvre et du suivi des politiques, programmes et services établis pour réaliser
le droit de l’enfant à la santé. Parmi ces données devraient figurer des données ventilées de
manière appropriée sur le parcours de vie de l’enfant, une attention particulière étant
apportée aux groupes vulnérables, des données sur les problèmes de santé prioritaires,
y compris sur les causes de mortalité et de morbidité nouvelles et négligées et des données
sur les déterminants de la santé des enfants. Pour disposer d’informations stratégiques,
il convient d’utiliser des données recueillies par le biais des systèmes habituels de collecte
d’informations sur la santé, d’enquêtes spéciales et de recherches, et d’utiliser des données
quantitatives et qualitatives. Ces données devraient être collectées, analysées, diffusées et
utilisées pour établir les politiques et les programmes nationaux et régionaux.
1. Planification
110. Le Comité note que, pour disposer des informations nécessaires à la mise en oeuvre, au
contrôle et à l’évaluation des activités, conformément aux obligations qui leur incombent en
vertu de l’article 24, les États doivent procéder à des analyses de situation des problèmes
existants et des infrastructures de fourniture des services. L’analyse devrait tendre à évaluer la
capacité institutionnelle et la disponibilité des ressources humaines, financières et techniques.
Une stratégie devrait être établie, avec la participation de toutes les parties prenantes,
d’acteurs étatiques et non étatiques et d’enfants, sur la base des résultats de l’analyse.
111. L’analyse de situation donnera une idée claire des priorités nationales et régionales
et des stratégies à mettre en oeuvre pour y répondre. Il faudrait établir des repères et des
objectifs, des plans d’action budgétisés et des stratégies opérationnelles et mettre en place
un cadre ayant pour objet de contrôler et d’évaluer les politiques, programmes et services et
de promouvoir la responsabilisation dans le domaine de la santé des enfants. Cela mettra en
lumière les mesures à prendre pour élaborer des structures et des systèmes conformes à la
Convention et renforcer ceux qui existent.
2. Critères de performance et de mise en oeuvre
112. Les États devraient faire en sorte que tous les services et programmes relatifs à
la santé des enfants satisfassent aux critères de disponibilité, d’accessibilité, d’acceptabilité
et de qualité.
a) Disponibilité
113. Les États devraient veiller à ce que suffisamment d’installations, de biens, de
services et de programmes opérationnels existent dans le domaine de la santé infantile. Ils
devraient veiller à ce qu’il y ait suffisamment d’hôpitaux, de dispensaires, de praticiens de
santé, d’équipes et d’installations mobiles, d’agents de santé communautaires,
d’équipements et de médicaments essentiels pour fournir des soins de santé à tous les
enfants, aux femmes enceintes et aux mères sur le territoire de l’État. Le nombre nécessaire
devrait être évalué à l’aune des besoins, une attention particulière étant accordée aux
populations mal desservies et difficiles à atteindre.
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b) Accessibilité
114. L’accessibilité comporte quatre aspects:
a) La non-discrimination: les services, équipements et fournitures dans le
domaine de la santé et dans des domaines connexes doivent être accessibles à tous les
enfants, aux femmes enceintes et aux mères, en droit et en pratique, sans discrimination
d’aucune sorte;
b) L’accessibilité physique: les établissements de santé doivent être situés dans
un périmètre accessible pour tous les enfants, les femmes enceintes et les mères. Il peut être
nécessaire à cet égard d’accorder une attention particulière aux besoins des enfants et des
femmes handicapés. Le Comité encourage les États à donner la priorité à l’établissement de
structures et de services dans les régions mal desservies et à investir dans des services
mobiles, dans des technologies novatrices et dans la mobilisation d’agents de santé bien
formés et soutenus, pour atteindre les groupes d’enfants particulièrement vulnérables;
c) L’accessibilité économique: le manque de moyens ne devrait pas empêcher
l’accès aux services, aux fournitures ou aux médicaments. Le Comité invite les États à
supprimer la facturation des frais aux usagers et à mettre en oeuvre des systèmes de
financement de la santé qui ne soient pas discriminatoires à l’égard des femmes et des
enfants qui sont dans l’incapacité de payer. Des mécanismes de partage des risques, tels que
les taxes et les assurances, devraient être appliqués sur la base de contributions équitables,
fondées sur les moyens;
d) Accessibilité de l’information: des informations sur la promotion de la santé,
sur l’état de santé et les possibilités de traitement devraient être fournies aux enfants et aux
personnes qui en ont la charge dans une langue et sous une forme qui leur soient accessibles
et facilement compréhensibles.
c) Acceptabilité
115. Pour ce qui est du droit de l’enfant à la santé, le Comité définit l’acceptabilité
comme étant l’obligation de garantir que toutes les structures et tous les biens et services en
matière de santé sont conçus et utilisés d’une manière qui tienne pleinement compte et soit
respectueuse de l’éthique médicale, ainsi que des besoins, des attentes, de la culture, des
opinions et de la langue de l’enfant, en accordant une attention particulière à certains
groupes, si nécessaire.
d) Qualité
116. Les structures, les biens et les services de santé devraient être appropriés du point de
vue scientifique et médical et être de bonne qualité. Satisfaire au critère de qualité suppose,
entre autres: a) que les traitements, les interventions et les médicaments soient définis sur la
base des meilleures informations disponibles; b) que le personnel médical soit compétent,
reçoive une formation adéquate dans le domaine de la santé maternelle et infantile et
concernant les principes et les dispositions de la Convention; c) que les équipements
hospitaliers soient approuvés par les instances scientifiques et adaptés aux besoins des
enfants; d) que les médicaments soient approuvés par les instances scientifiques, qu’ils ne
soient pas périmés, qu’ils soient adaptés spécifiquement aux enfants (si nécessaire) et que
d’éventuelles réactions négatives soient surveillées; e) que des évaluations de la qualité des
soins dispensés par les établissements de soins soient effectuées régulièrement.
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3. Suivi et évaluation
117. Un ensemble d’indicateurs bien structurés et ventilés devrait être constitué pour
assurer le suivi et l’évaluation, afin de répondre aux critères de performance décrits cidessus.
Les données devraient être utilisées pour réorienter et améliorer les politiques, les
programmes et les services visant à garantir l’exercice du droit de l’enfant à la santé. Les
systèmes d’information sur la santé devraient être conçus de manière que les données soient
fiables, transparentes et cohérentes et que le droit à la vie privée des personnes soit
néanmoins protégé. Les États devraient revoir régulièrement leurs systèmes d’information
sur la santé, et notamment les registres d’état civil et les mécanismes de surveillance des
maladies, en vue de les améliorer.
118. Les mécanismes nationaux de responsabilisation devraient exercer un rôle de suivi et
d’évaluation et prendre des mesures sur la base des données recueillies. Le suivi désigne le
fait de collecter des données sur l’état de santé des enfants et de faire le point régulièrement
sur la qualité des services de santé dont les enfants bénéficient, ainsi que sur les montants
dépensés et les secteurs concernés, les usages et les bénéficiaires. Il doit prendre la forme
de mesures de suivi régulières et d’évaluations approfondies effectuées périodiquement. On
entend par évaluation l’analyse des données et le fait de consulter les enfants, les familles,
les autres personnes qui s’occupent des enfants et la société civile afin de déterminer si la
santé des enfants s’est améliorée et si les gouvernements et d’autres acteurs ont rempli leurs
engagements. «Prendre des mesures» désigne le fait d’utiliser les éléments recueillis dans le
cadre des processus susdits pour perpétuer et développer ce qui fonctionne et remédier et
apporter des modifications à ce qui ne fonctionne pas.
F. Recours en cas de violation du droit à la santé
119. Le Comité encourage vivement les États à mettre en place des mécanismes de
plaintes fonctionnels et accessibles aux enfants qui reposent sur une base communautaire et
permettent aux enfants de demander et d’obtenir réparation lorsque leur droit à la santé a
été violé ou risque de l’être. Les États devraient en outre prévoir des droits étendus en
matière de capacité juridique et notamment de recours collectif.
120. Les États devraient garantir et faciliter l’accès des tribunaux aux enfants et aux
personnes qui s’occupent d’eux et prendre des mesures pour éliminer tout obstacle à l’accès
aux recours en cas de violation du droit de l’enfant à la santé. Les institutions nationales de
défense des droits de l’homme, les médiateurs, les associations de professionnels de la santé
et les associations de consommateurs peuvent jouer un rôle important à cet égard.
VII. Diffusion
121. Le Comité recommande aux États de diffuser largement la présente Observation
générale auprès des parlements et au sein des autorités de l’État, notamment auprès des
ministères, des départements et des organes municipaux et locaux qui s’occupent de
questions relatives à la santé des enfants.
Nations Unies CEDAW/C/GC/37
Convention sur l’élimination
de toutes les formes
de discrimination à l’égard
des femmes
Distr. générale
13 février 2018
Français
Original : anglais
18-03824X (F)
*1803824*
Comité pour l’élimination de la discrimination
à l’égard des femmes
Recommandation générale no 37 (2018) sur les aspects
de la réduction des risques de catastrophe
et des changements climatiques ayant trait
à la problématique femmes-hommes
Table des matières
Page
I. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
II. Objectif et champ d’application . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
III. Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
et autres cadres internationaux pertinents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
IV. Principes généraux de la Convention applicables à la réduction des risques de catastrophe
et à l’adaptation aux changements climatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
A. Égalité réelle et non-discrimination. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
B. Participation et autonomisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
C. Responsabilisation et accès à la justice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
V. Principes particuliers de la Convention relatifs à la réduction des risques de catastrophe
et à l’adaptation aux changements climatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
A. Évaluation et collecte de données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
B. Cohérence des politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
C. Obligations extraterritoriales, coopération internationale et affectation de ressources . . . 16
D. Acteurs non étatiques et obligations extraterritoriales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
E. Renforcement des capacités et accès aux technologies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
VI. Sujets particuliers de préoccupation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
A. Droit des femmes et des filles de vivre à l’abri des violences sexistes. . . . . . . . . . . . . . . . 20
B. Droits à l’éducation et à l’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
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C. Droits au travail et à la protection sociale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
D. Droit à la santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
E. Droit à un niveau de vie suffisant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
F. Droit à la liberté de circulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
VII. Diffusion de données et établissement de rapports . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
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I. Introduction
1. Les changements climatiques accentuent les risques de catastrophe et en
amplifient les effets à l’échelle de la planète, en ce qu’ils accroissent la fréquence et
la gravité des aléas météorologiques et climatiques et fragilisent plus encore les
communautés concernées 1 . D’après des études scientifiques, les changements
climatiques provoqués par l’homme sont responsables d’une grande partie des
phénomènes météorologiques extrêmes observé s dans le monde2. Ces catastrophes ne
sont pas sans conséquences sur le plan des droits fondamentaux : instabilité politique
et économique, inégalités croissantes, baisse de la sécurité alimentaire et hydrique,
ou encore menaces grandissantes pour la santé et les moyens de subsistance3. Si les
changements climatiques concernent tout un chacun, ce sont les pays et populations
qui y ont le moins contribué – notamment les personnes les plus démunies, les jeunes
et les générations futures – qui sont les plus vulnérables à leurs effets.
2. Les changements climatiques et les catastrophes frappent différemment les
femmes, les filles, les hommes et les garçons, la population féminine étant à maints
égards plus exposée que la population masculine aux risques, aux diffic ultés et aux
répercussions qu’ils entraînent 4 . Les situations de crise viennent exacerber les
inégalités préexistantes entre les sexes et aggravent les formes croisées de
discrimination que connaissent notamment les femmes en situation de pauvreté, les
femmes autochtones, les femmes appartenant à des minorités ethniques, raciales,
religieuses et sexuelles, les femmes handicapées, les réfugiées et demandeuses
d’asile, les femmes déplacées, apatrides et migrantes, les femmes vivant en milieu
rural, les femmes célibataires, ainsi que les femmes adolescentes et âgées, souvent
touchées de manière disproportionnée par rapport aux hommes ou aux autres
femmes5.
3. Dans bien des cas, les inégalités entre les sexes empêchent les femmes et les
filles d’avoir la pleine maîtrise des décisions les concernant et limitent leur accès à
des ressources telles que les denrées alimentaires, l ’eau, les intrants agricoles, les
terres, le crédit, l’énergie, les technologies, l’éducation, la santé, un logement décent,
la protection sociale et l’emploi6. Du fait de ces inégalités, les femmes et les filles
sont plus susceptibles que les hommes de devoir affronter les risques provoqués par
les catastrophes et de perdre ainsi leurs moyens de subsistance, et sont moins en
mesure de s’accommoder des évolutions climatiques. Si les programmes d ’adaptation
aux changements climatiques et d ’atténuation de leurs effets peuvent offrir de
__________________
1 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Changements climatiques 2014 :
rapport de synthèse – Contribution des Groupes de travail I, II et III au cinquième rapport
d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Genève, 2013).
Le Groupe d’experts note que les changements climatiques « font référence à une variation de
l’état du climat qu’il est possible de diagnostiquer (au moyen, par exemple, de tests statistiques)
par des modifications de la moyenne et/ou de l a variabilité de ses propriétés et qui persiste
pendant une période prolongée, généralement durant des décennies, voire plus ».
2 Susan J. Hassol et al., « Catastrophes (peu) naturelles : Expliquer les liens entre les événements
extrêmes et le changement climatique », Bulletin de l’OMM, vol. 65 (2) (Genève, Organisation
météorologique mondiale, 2016).
3 Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), « Climate change and disaster risk
reduction » (Changements climatiques et réduction des risques de catastrophe), 23 mars 2016.
4 Voir les résolutions 56/2 et 58/2 de la Commission de la condition de la femme relatives à l ’égalité
des sexes et l’autonomisation de la femme dans le contexte des catastrophes naturelles, adoptées
par consensus en mars 2012 et mars 2014.
5 Voir par exemple la recommandation générale no 27 (2010) sur les femmes âgées et la protection
de leurs droits fondamentaux.
6 Aux fins de la présente recommandation générale, le terme « femmes » recouvre les femmes et les
filles, sauf indication contraire.
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nouvelles possibilités d’emploi et de subsistance dans des secteurs tels que la
production agricole, le développeme nt urbain durable et les énergies propres,
l’impuissance à surmonter les obstacles structurels sur lesquels buttent les femmes
pour accéder à leurs droits accentuera les inégalités fondées sur le sexe et les formes
croisées de discrimination.
4. Dans les situations de catastrophe, les femmes et les filles présentent des
niveaux de mortalité et de morbidité plus élevés 7. Les inégalités économiques fondées
sur le sexe font que les femmes, et en particulier celles qui sont chefs de famille, sont
plus exposées à la pauvreté et se retrouvent plus souvent à vivre dans des logements
insalubres situés dans des zones urbaines ou rurales de moindre valeur, sensibles aux
incidences de phénomènes climatiques tels que des inondations, des tempêtes, des
avalanches, des séismes, des glissements de terrain et autres aléas8. En période de
conflit, les femmes et les filles sont particulièrement exposées aux risques liés aux
catastrophes et aux changements climatiques. Les taux plus élevés de mortalité et de
morbidité constatés chez les femmes pendant et après les catastrophes sont également
dus aux inégalités auxquelles elles se heurtent en termes d ’accès aux soins de santé,
à l’alimentation et à la nutrition, à l’eau et à l’assainissement, à l’éducation, aux
technologies et à l’information9. En outre, la non prise en compte de la problématique
femmes-hommes dans la planification et la mise en oeuvre de s mesures envisagées en
cas de catastrophe fait que les équipements et infrastructures de protection tels que
les dispositifs d’alerte rapide, les centres d’accueil et les programmes de secours
négligent souvent les besoins spécifiques en matière d ’accessibilité propres aux
divers groupes de femmes, notamment les femmes handicapées, âgées et
autochtones10.
5. Les femmes et les filles courent également un risque plus important de subir des
violences à caractère sexiste pendant et après les catastrophes. Lorsque les systèmes
de protection sociale font défaut et que règne l ’insécurité alimentaire, doublée d ’une
impunité pour les auteurs d’actes de violence fondée sur le sexe, il n’est pas rare que
les femmes et les filles fassent l’expérience de la violence et de l’exploitation
sexuelles lorsqu’elles cherchent à se procurer des produits alimentaires ou à subvenir
à d’autres besoins essentiels pour leur famille et elles-mêmes. Dans les camps et zones
d’installation temporaires, l’absence de sécurité physique, ainsi que le manque
d’infrastructures et de services accessibles et sans danger, notamment pour ce qui
concerne l’approvisionnement en eau potable et l’assainissement, sont également à
l’origine d’une augmentation des violences sexistes à l ’égard des femmes et des filles.
Le fait qu’elles soient porteuses d’un handicap les expose tout particulièrement aux
violences et à l’exploitation sexuelles pendant et après les catastrophes, en raison
__________________
7 Eric Neumayer et Thomas Plümper, « The gendered nature of natural disasters: the impact of
catastrophic events on the gender gap in life expectancy, 1981 -2002 » (Les catastrophes naturelles
et la problématique femmes-hommes : incidence des événements catastrophiques sur l ’écart
d’espérance de vie entre les hommes et les femmes, 1981 -2002), Annales de l’Association of
American Geographers, vol. 97, no 3 (2007).
8 Nations Unies, Réduction des risques de catastrophe : bilan mondial 2015 - Rendre le
développement durable: l’avenir de la réduction des risques de catastrophe (New York, 2015) ;
Disasters without Borders: Regional Resilience for Sustainable Development: Asia Pacific
Disaster Report 2015 (Catastrophes sans frontières : capacité d’adaptation régionale pour un
développement durable – Rapport sur les catastrophes dans la région Asie-Pacifique) (publication
des Nations Unies, numéro de vente : E.15.II.F.13).
9 C. Bern et al., « Risk factors for mortality in the Bangladesh cyclone of 1991 » (Facteurs de risque
de mortalité liés au passage du cyclone au Bangladesh en 1991), Bulletin de l ’Organisation
mondiale de la Santé, vol. 71, no 1 (1993).
10 Groupe clé tripartite, « Évaluation conjointe de la situation après Nargis », juillet 2008 ; Lorena
Aguilar et al., « Training Manual on Gender and Climate Change » (Manuel de formation sur les
changements climatiques et la problématique femmes -hommes) (San José, Union internationale
pour la conservation de la nature, PNUD et Alliance Genre et Eau, 2009) .
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d’une discrimination due aux contraintes matérielles et aux obstacles à la
communication qu’elles rencontrent, ainsi qu’au fait que des services et équipements
de base leur sont inaccessibles. La violence f amiliale, les mariages précoces et/ou
forcés, la traite d’êtres humains et la prostitution forcée sont par ailleurs autant de
phénomènes qui peuvent survenir plus fréquemment pendant et après des
catastrophes.
6. La vulnérabilité et l’exposition des femmes et des filles aux risques liés aux
catastrophes et aux changements climatiques relèvent du domaine économique, social
et culturel, et un effort peut être fait pour les atténuer. Cette vulnérabilité peut varier
selon le type de catastrophe et selon les contextes géographiques et socioculturels.
7. Le fait de ranger les femmes et les filles dans la catégorie « groupes
vulnérables » passifs devant bénéficier d’une protection qui les préserve des
conséquences des catastrophes est un stéréotype sexiste négatif qui o met de
reconnaître l’importante contribution que les femmes apportent en matière de
réduction des risques de catastrophe, de gestion post-catastrophe et de stratégies
d’atténuation des changements climatiques et d ’adaptation à leurs effets 11 . Des
initiatives bien pensées en matière de réduction des risques de catastrophe et
d’adaptation aux changements climatiques peuvent, lorsqu ’elles prévoient une
participation pleine et effective des femmes, favoriser une réelle égalité des sexes et
oeuvrer pour l’autonomisation des femmes, tout en veillant à atteindre les objectifs
fixés en matière de développement durable, de réduction des risques de catastrophe
et d’adaptation aux changements climatiques 12 . Il importe ici de souligner que
l’égalité des sexes est une condition préalable à la réalisation des objectifs de
développement durable.
8. Compte tenu des enjeux majeurs et des perspectives non négligeables que
présentent les changements climatiques et les risques de catastrophe pour la
réalisation des droits fondamentaux des femmes, le Comité pour l’élimination de la
discrimination à l’égard des femmes a donné aux États parties des orientations
précises quant à l’exécution des obligations touchant à la réduction des risques de
catastrophe et à l’adaptation aux changements climatiques au regard de la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l ’égard des femmes. Dans
ses observations finales sur les rapports des États parties ainsi que dans plusieurs
recommandations générales, le Comité a soulign é que les États parties et autres
acteurs concernés avaient l’obligation de prendre des mesures concrètes pour
combattre la discrimination dont les femmes sont l ’objet dans les domaines relatifs à
la réduction des risques de catastrophe et aux changements climatiques, et devraient
adopter des lois, politiques, stratégies d ’atténuation et d’adaptation, budgets et autres
mesures soigneusement conçues à cet effet13. Dans sa déclaration sur les femmes et
__________________
11 Nations Unies, Réduction des risques de catastrophe : bilan mondial 2015 ; PNUD, « Clean
development mechanism: exploring the gender dimensions of climate finance mechanisms »
(Mécanisme pour un développement propre : étude des mécanismes de financement de l’action
climatique sous l’angle de la problématique femmes-hommes), novembre 2010 ; PNUD,
« Ensuring gender equity in climate change financing » (Assurer l’égalité des sexes dans le
financement de l’action climatique) (New York, 2011).
12 Senay Habtezion, « Gender and disaster risk reduction » (La problématique femmes-hommes dans
le cadre de la réduction des risques de catastrophe), Gender and Climate Change Asia and the
Pacific Policy Brief, no 3 (New York, PNUD, 2013) ; Organisation mondiale de la Santé (OMS),
« Changement climatique, genre et santé » (Genève, 2010).
13 Pour les observations finales, voir CEDAW/C/SLB/CO/1-3, par. 40 et 41 ; CEDAW/C/PER/CO/7-
8, par. 37 et 38 ; CEDAW/C/GIN/CO/7-8, par. 53 ; CEDAW/C/GRD/CO/1-5, par. 35 et 36 ;
CEDAW/C/JAM/CO/6-7, par. 31 et 32 ; CEDAW/C/SYC/CO/1-5, par. 36 et 37 ;
CEDAW/C/TGO/CO/6-7, par. 17 ; CEDAW/C/DZA/CO/3-4, par. 42 et 43 ;
CEDAW/C/NLZ/CO/7, par. 9, 36 et 37 ; CEDAW/C/CHI/CO/5-6, par. 38 et 39 ;
CEDAW/C/BLR/CO/7, par. 37 et 38 ; CEDAW/C/LKA/CO/7, par. 38 et 39 ;
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les changements climatiques, le Comité a souligné que toutes les parties prenantes
devraient veiller à ce que les mesures d ’atténuation des changements climatiques et
de réduction des risques de catastrophe tiennent compte de la problématique femmeshommes
et des connaissances des peuples autochtones et respecte nt les droits de
l’homme. Le droit des femmes de participer à la prise de décisions à tous les niveaux
doit être garanti dans les politiques et programmes relatifs aux changements
climatiques (A/65/38, première partie, annexe II).
9. Le Comité note que d’autres mécanismes des droits de l’homme des Nations
Unies, notamment le Conseil des droits de l ’homme et les titulaires de mandat au titre
d’une procédure spéciale, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, le
Comité des droits des personnes ha ndicapées et le Comité des droits de l ’enfant, font
de plus en plus souvent état des conséquences néfastes des changements climatiques,
de la dégradation de l’environnement et des catastrophes. Ces mécanismes ont
également réaffirmé les obligations qu’ont les gouvernements et autres parties
prenantes de mettre en place des mesures immédiates et ciblées pour prévenir et
atténuer les incidences néfastes des changements climatiques et des catastrophes sur
les droits de l’homme, et d’apporter un appui technique et financier aux initiatives
axées sur la réduction des risques de catastrophe et l ’adaptation aux changements
climatiques.
II. Objectif et champ d’application
10. Conformément au paragraphe 1 de l’article 21 de la Convention, la présente
recommandation générale donne aux États parties des orientations quant à l ’exécution
de leurs obligations au titre de ladite Convention pour ce qui concerne la réduction
des risques de catastrophe et l’adaptation aux changements climatiques. Dans les
rapports qu’ils soumettent au Comité en application de l ’article 18, les États parties
sont tenus d’aborder les obligations générales visant à assurer une réelle égalité entre
les femmes et les hommes dans tous les domaines de la vie, et de traiter des garanties
spécifiques relatives aux droits de la Convention susceptibles d ’être plus
particulièrement touchés par les changements climatiques et les catastrophes, qui
recouvrent notamment des phénomènes météorologiques extrêmes comme les
inondations et les cyclones, ainsi que de s phénomènes à évolution lente, comme la
fonte des calottes polaires et des glaciers, les sécheresses et l ’élévation du niveau des
mers.
11. Les organisations de la société civile, les instances intergouvernementales
internationales et régionales, les éducate urs, la communauté scientifique, le personnel
médical, les employeurs et toute autre partie prenante impliquée dans des activités
liées à la réduction des risques de catastrophe et à l ’adaptation aux changements
climatiques peuvent également s’appuyer sur le texte de la présente recommandation
générale pour éclairer leurs travaux.
12. La présente recommandation générale a pour objectif de souligner l ’urgence
qu’il y a à atténuer les incidences néfastes des changements climatiques et d ’appeler
l’attention sur les mesures à prendre pour faire de l’égalité des sexes un facteur propre
à renforcer la capacité des individus et des communautés, au plan mondial, de faire
front aux changements climatiques et de se relever d’une catastrophe. Elle vise
également à contribuer à la cohérence, à la responsabilisation et au renforcement
mutuel des différents programmes internationaux consacrés à la réduction des risques
__________________
CEDAW/C/NPL/CO/4-5, par. 38 ; CEDAW/C/TUV/CO/2, par. 55 et 56. Voir également la
recommandation générale no 27 (2010) sur les femmes âgées et la protection de leurs droits d’êtres
humains, par. 25, et la recommandation générale no 28 (2010) concernant les obligations
fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention, par. 11.
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de catastrophe et à l’adaptation aux changements climatiques en mettant en avant les
effets qui en résultent sous l’angle des droits fondamentaux des femmes.
13. Dans la présente recommandation générale, le Comité ne couvre pas de manière
exhaustive les aspects de l’atténuation des changements climatiques et des mesures
d’adaptation ayant trait à la problématique femmes-hommes; il n’établit pas non plus
de distinction entre les catastrophes liées aux changements climatiques et les autres.
Il convient cependant de noter que les catastrophes survenues récemment peuvent en
grande partie être attribuées aux changements climatiques induits par l’homme et que
les recommandations formulées ci-après s’appliquent aussi aux aléas, risques et
catastrophes qui n’ont pas de lien direct avec les changements climatiques. Aux fins
de la présente recommandation générale, les catastrophes désignent tout événement à
petite ou à grande échelle, fréquent ou rare, soudain ou à évolution lente, causé par
des aléas naturels ou par l’homme, ou lié aux aléas et risques environnementaux,
technologiques et biologiques mentionnés dans le Cadre d e Sendai pour la réduction
des risques de catastrophe (2015 -2030), ainsi que tout autre aléa ou risque chimique,
nucléaire et biologique. Sont en outre inclus dans ces aléas et risques les essais et
l’utilisation de tous types d’armes par des acteurs étatiques et non étatiques.
14. Les obligations faites aux États parties d’atténuer effectivement les incidences
néfastes des changements climatiques et de s’y adapter afin de tempérer le risque
accru de catastrophes ont été prises en considération par les mécanis mes
internationaux des droits de l’homme. Modérer le recours aux combustibles fossiles
ainsi que les émissions de gaz à effet de serre, endiguer les effets néfastes qu ’ont sur
l’environnement les activités de l’industrie extractive telles que l’exploitation minière
et la fracturation hydraulique, et prévoir un financement de l ’action climatique,
constituent des démarches jugées essentielles pour limiter les effets négatifs des
changements climatiques et des catastrophes sur les droits de l ’homme. Dans le même
temps, toute mesure visant à atténuer les incidences des changements climatiques et
à s’y adapter doit être conçue et mise en oeuvre dans le respect des principes des droits
de l’homme que sont l’égalité réelle et la non-discrimination, la participation et
l’autonomisation, le principe de responsabilité, l’accès à la justice, la transparence et
la primauté du droit.
15. La présente recommandation générale porte principalement sur les obligations
incombant aux États parties et aux acteurs non étatiques de pre ndre des mesures
efficaces pour prévenir les catastrophes et les changements climatiques, en atténuer
les effets néfastes et y faire face, en s’attachant ici à ce que les droits fondamentaux
des femmes et des filles soient respectés, protégés et réalisés conformément au droit
international. Y sont recensés trois domaines, différents mais complémentaires, qui
requièrent une intervention de la part des parties prenantes et sont centrés sur les
principes généraux de la Convention applicables aux risques de cat astrophe et aux
changements climatiques ; des mesures visant spécifiquement à réduire les risques de
catastrophe et à lutter contre les changements climatiques ; des sujets particuliers de
préoccupation.
III. Convention sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination à l’égard des femmes
et autres cadres internationaux pertinents
16. La Convention promeut et protège les droits fondamentaux des femmes et ce, à
tous les stades de l’action liée aux changements climatiques et aux catastrophes :
prévention, atténuation des effets, intervention, relèvement et adaptation. Outre la
Convention, plusieurs cadres internationaux spécifiques régissent la question de la
réduction des risques de catastrophe, de l’adaptation aux changements climatiques et
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de l’atténuation de leurs effets, de l’aide humanitaire et du développement durable,
dont certains abordent aussi le problème de l ’égalité des sexes. Ces instruments
doivent être lus en conjonction avec les dispositions de la Convention.
17. La situation particulièrement vulnérable des petits États insulaires en
développement a été reconnue dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le
développement (1993) et rappelée dans le document final de la Conférence des
Nations Unies sur le développement durable, intitu lé « L’avenir que nous voulons »
(2012), et le principe de l’égalité des sexes ainsi que la nécessité d ’assurer la
participation effective des femmes et des peuples autochtones à toutes les initiatives
portant sur les changements climatiques réaffirmés.
18. Il est souligné dans le Cadre de Sendai qu’il est crucial que les femmes
participent à la gestion efficace des risques de catastrophe et prennent part à
l’élaboration et à la mise en oeuvre de politiques, de plans et de programmes de
réduction des risques de catastrophe soucieux de la problématique femmes -hommes,
ainsi qu’à l’allocation des ressources nécessaires et qu’il convient de prendre des
mesures adéquates de renforcement des capacités pour donner aux femmes les
moyens de se préparer et de trouver d ’autres moyens de subsistance au lendemain
d’une catastrophe. Il y est souligné également qu’il est essentiel de permettre aux
femmes de jouer publiquement un rôle de chef de file et de promouvoir des activités
d’intervention, de relèvement, de remise en éta t et de reconstruction soucieuses de
l’équité du traitement des hommes et des femmes et accessibles à tous 14.
19. Dans la Convention-cadre sur les changements climatiques, il est demandé aux
États parties de faire face aux changements climatiques sur la base d e l’équité et en
fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités
respectives. On y reconnaît que, si les changements climatiques concernent tout un
chacun, ce sont les pays qui ont le moins contribué aux émissions de gaz à effet de
serre (ainsi que les personnes les plus démunies, les enfants et les générations futures)
qui sont les plus touchés. En matière climatique, l ’équité exige que les efforts menés
au niveau mondial pour atténuer les effets néfastes de ces changements et s’y adapter
se concentrent en priorité sur les besoins des pays, groupes et individus, et notamment
des femmes et des filles, les plus vulnérables à leurs effets néfastes.
20. En 2014, la Conférence des Parties à la Convention -cadre sur les changements
climatiques a adopté la décision 18.CP/20, intitulée « Programme de travail de Lima
relatif au genre », dans laquelle elle a établi un plan en vue de promouvoir l ’équilibre
entre hommes et femmes et d’appliquer des politiques relatives au climat qui
favorisent l’égalité des sexes, programme conçu pour encadrer la participation
effective des femmes dans les organes créés en vertu de la Convention. En 2017, la
Conférence des Parties a adopté la décision 3/CP.23, intitulée « Plan d’action pour
l’égalité des sexes », par laquelle elle a décidé de faire en sorte que les femmes
participent pleinement, réellement et sur un pied d ’égalité à tous les aspects de
l’action climatique et de promouvoir des politiques climatiques favorisant l ’égalité
des sexes et l’intégration d’une démarche tenant compte de la problématique femmes -
hommes.
21. Dans l’Accord de Paris sur les changements climatiques, la Conférence des
Parties a noté que les Parties devraient, lorsqu’elles prennent des mesures pour faire
face à ces changements, respecter, promouvoir et prendre en considération leurs
obligations respectives concernant les droits de l ’homme, le droit à la santé, les droits
des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des
personnes handicapées et des personnes en situation vulnérable, et le droit au
développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité
__________________
14 Résolution 69/283 de l’Assemblée générale, annexe III, par. 36 a) i) et 32, respectivement.
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entre les générations. La Conférence a également reconnu que l’adaptation, en ce
compris le renforcement des capacités p our l’adoption de mesures d’atténuation et
d’adaptation, devrait suivre une démarche sensible à l ’égalité des sexes, participative
et totalement transparente, prenant en considération les groupes, les communautés et
les écosystèmes vulnérables.
22. Les objectifs de développement durable comportent des cibles importantes en
matière d’égalité des sexes, notamment dans le cadre des objectifs 3 à 6 et 10, et
traitent aussi de la question des changements climatiques et de la réduction des risques
de catastrophe dans les objectifs 11 et 13.
23. Les participants à la troisième Conférence internationale sur le financement du
développement, tenue à Addis-Abeba en 2015, ont adopté des documents qui mettent
en relation, d’une part, l’égalité des sexes et les droits des femme s et, d’autre part,
l’adaptation aux changements climatiques et la réduction des risques de catastrophe,
et invité les États à intégrer ces questions dans le financement du développement.
24. Les participants au Sommet mondial sur l’action humanitaire de 2016 ont appelé
à faire de l’égalité des sexes, de l’autonomisation des femmes et des droits des
femmes les piliers de l’action humanitaire, notamment dans le domaine de la
préparation aux catastrophes et des interventions y afférentes. Toujours en 2016, dans
le Nouveau Programme pour les villes , les participants à la Conférence des Nations
Unies sur le logement et le développement urbain durable (Habitat III) ont mis en
avant la nécessité de prendre des mesures qui tiennent compte de la problématique
femmes-hommes pour faire en sorte que le développement urbain soit durable, ait une
capacité de résilience et contribue à l ’atténuation des changements climatiques et à
l’adaptation à leurs effets.
IV. Principes généraux de la Convention applicables
à la réduction des risques de catastrophe
et à l’adaptation aux changements climatiques
25. Plusieurs principes et dispositions de portée générale de la Convention sont
d’une importance cruciale et devraient servir à orienter l’élaboration des lois,
politiques, plans d’action, programmes, budgets et autres mesures relatives à la
réduction des risques de catastrophe et à l ’adaptation aux changements climatiques.
26. Les États parties devraient veiller à ce que leurs politiques, lois, plans,
programmes, budgets et autres activités liées à la réduction des risques de
catastrophe et à l’adaptation aux changements climatiques prennent
systématiquement en compte la problématique femmes-hommes et soient fondés
sur les principes des droits de l’homme, notamment :
a) L’égalité et la non-discrimination, priorité devant être accordée aux
groupes de femmes et de filles les plus marginalisés, comme celles appartenant à
des minorités autochtones, raciales, ethniques et sexuelles, les femmes et filles
handicapées, adolescentes, âgées ou célibataires, celles qui sont chefs de famille,
les veuves, les femmes et filles en situation de pauvreté qui vivent en milieu rural
ou urbain, les prostituées, ainsi que les déplacées, les apatrides, les réfugiées, les
demandeuses d’asile et les migrantes ;
b) La participation et l’autonomisation, grâce à l’institution de
procédures efficaces et à l’affectation des ressources nécessaires pour que les
divers groupes de femmes aient la possibilité de participer à chaque stade de
l’élaboration, de la mise en oeuvre et du suivi des politiques, et ce, à tous les
niveaux de gouvernance - local, national, régional et international ;
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c) La responsabilisation et l’accès à la justice, qui exigent de pouvoir
disposer d’informations exactes et pertinentes ainsi que de mécanismes qui
fassent en sorte que toutes les femmes et les filles dont les droits ont été
directement ou indirectement affectés par des catastrophes et des changements
climatiques puissent bénéficier de voies de recours adéquates et rapides.
27. Ces trois grands principes généraux – égalité et non-discrimination,
participation et autonomisation, responsabilisation et accès à la justice – sont
essentiels si l’on veut s’assurer que toutes les interventions portant sur la réduction
des risques de catastrophe dans le contexte des changements climatiques s ’effectuent
dans le respect de la Convention.
A. Égalité réelle et non-discrimination
28. Les États parties sont tenus, en vertu de l ’article 2 de la Convention, de prendre
des mesures concrètes et ciblées pour garantir l ’égalité des sexes, laquelle passe
notamment par l’adoption de politiques, stratégies et programmes relatifs à la
réduction des risques de catastrophe et à l ’adaptation aux changements climatiques ,
qui soient participatifs et soucieux de la problématique femmes-hommes, et ce, dans
tous les secteurs. L’article 2 de la Convention définit les obligations fondamentales
spécifiques qu’ont les États parties d’assurer une égalité réelle entre les femmes et les
hommes dans tous les domaines couverts par la Convention et de prendre des mesures
législatives, politiques et autres à cet effet15. L’obligation de prendre « toutes mesures
appropriées », y compris des dispositions législatives, dans tous les domaines, pour
assurer le plein développement et le progrès des femmes sur la base de l ’égalité avec
les hommes, est développée plus avant dans les articles 3 et 24 de la Convention.
29. Les formes croisées de discrimination peuvent limiter l ’accès de certains
groupes de femmes aux informations, au pouvoir politique, aux ressources et aux
biens nécessaires qui les aideraient à atténuer les effets néfastes des catastrophes et
des changements climatiques. Dans sa recommandation générale no 28 (2010)
concernant les obligations fondamentales des États parties découlant de l ’article 2 de
la Convention, ainsi que dans la recommandation générale no 32 (2014) sur les
femmes et les situations de réfugiés, d ’asile, de nationalité et d’apatridie, la
recommandation générale no 33 (2015) sur l’accès des femmes à la justice, la
recommandation générale no 34 (2016) sur les droits des femmes rurales, la
recommandation générale no 35 (2017) sur la violence sexiste à l’égard des femmes
et la recommandation générale no 36 (2017) sur le droit des filles et des femmes à
l’éducation, le Comité a rappelé que la discrimination exercée à l’égard des femmes
était indissociable d’autres facteurs affectant leur existence.
30. La présente recommandation générale ne comporte pas une liste exhaustive de
tous les groupes de titulaires de droits dont le respect des droits doit être intégré dans
les lois, politiques, programmes et stratégies qui touchent à la réduction des risques
de catastrophe et à l’adaptation aux changements climatiques. Les principes de nondiscrimination
et de réelle égalité, qui constituent le fondement de la Convention,
exigent des États parties qu’ils prennent toutes les mesures requises pour veiller à ce
qu’il soit remédié à toute forme de discrimination, directe , indirecte ou croisée. Des
mesures spécifiques, telles que l’adoption de mesures temporaires spéciales, la
promulgation de lois interdisant les formes croisées de discrimination et l ’affectation
des ressources nécessaires, sont indispensables pour faire e n sorte que les femmes et
__________________
15 Voir la recommandation générale no 28 (2010) concernant les obligations fondamentales des États
parties découlant de l’article 2 de la Convention.
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les filles puissent participer à l’élaboration, à la mise en oeuvre et au suivi des
politiques et plans relatifs aux catastrophes et au x changements climatiques.
31. Comme il est souligné dans la recommandation générale no 28, les États
parties sont tenus de respecter et protéger le principe de non -discrimination
envers toutes les femmes, quelle que soit la forme de cette discrimination, et dans
tous les domaines, même ceux qui ne sont pas explicitement mentionnés dans la
Convention, et d’assurer le plein développement et le progrès des femmes à tous
égards. Pour garantir une réelle égalité entre les femmes et les hommes dans le
contexte de la réduction des risques de catastrophe et des changements
climatiques, les États parties devraient prendre des mesures concrètes, ciblées et
mesurables pour :
a) Recenser et éliminer toutes les formes, y compris croisées, de
discrimination dont les femmes font l’objet dans les politiques, lois, programmes,
plans et autres activités en rapport avec la réduction des risques de catastrophe
et les changements climatiques. Priorité devrait être accordée à la lutte contre la
discrimination exercée en matière de propriété, d’accès, d’utilisation, de cession,
de contrôle, de gestion et d’héritage de biens, terres et ressources naturelles, ainsi
qu’à l’élimination des obstacles qui empêchent les femmes de jouir de leur pleine
capacité juridique et de leur autonomie dans des domaines tels que la liberté de
circulation et l’égalité d’accès aux droits économiques, sociaux et culturels,
notamment pour ce qui concerne l’alimentation, la santé, le travail et la
protection sociale. Les femmes et les filles devraient également avoir les moyens,
grâce à des politiques, programmes et stratégies spécifiques, d ’exercer leur droit
de rechercher, recevoir et diffuser des informations relatives à l’adaptation aux
changements climatiques et à la réduction des risques de catastrophe ;
b) Mettre en place des mécanismes efficaces qui fassent des droits des
femmes et des filles un critère prépondérant lors de l’élaboration, aux plans
local, national, régional et international, des mesures de réduction des risques de
catastrophe et d’adaptation aux changements climatiques. Il convient de veiller
à ce que des infrastructures de très bonne qualité et des services essentiels soient
disponibles, accessibles et culturellement acceptables pour toutes les femmes et
les filles, sur un pied d’égalité avec les hommes.
B. Participation et autonomisation
32. La participation de divers groupes de femmes et de filles aux différents niveaux
de gouvernement et au sein des collectivités locales, ainsi que le renforcement de
leurs capacités de direction, constitue un facteur capital si l ’on veut que les mesures
de prévention et d’intervention face aux catastrophes et aux effets néfastes des
changements climatiques soient efficaces et intègrent les angles d ’approche de tous
les secteurs de la société. Il est indispensable de promouvoir la participation des filles
et des jeunes femmes à la création, à l’élaboration, à l’exécution et au suivi des
politiques et plans qui concernent les changements climatiques et la réduction des
risques de catastrophe, car ces groupes sont souvent négligés alors même qu ’ils
subiront les effets de ces phénomènes tout au long de leur vie.
33. Les femmes contribuent pour beaucoup au budget des ménages et aux
économies locales, nationales, régionales et internationales, ainsi qu ’à la gestion de
l’environnement, à la réduction des risques de catas trophe et à la résilience face aux
changements climatiques à différents niveaux. Le savoir traditionnel local que
possèdent les femmes des régions agricoles est particulièrement important à cet
égard : elles sont en effet bien placées pour observer l ’évolution de l’environnement
et y faire face en recourant à des pratiques adaptées pour tout ce qui touche au choix
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des cultures, à l’ensemencement, aux récoltes, aux techniques de préservation des
terres et à la gestion rigoureuse des ressources hydriques.
34. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a noté que
la plupart des communautés locales avaient pris des mesures d’adaptation qui
pourraient et devraient être recensées et suivies afin de concevoir des stratégies
d’intervention et d’adaptation efficaces pour réduire les risques de catastrophe et faire
face aux changements climatiques 16 . Dans l’Accord de Paris, la Conférence des
Parties a considéré que l’adaptation aux changements climatiques devrait s ’appuyer
sur les meilleures données scientifiques disponibles et, selon qu’il convient, sur les
connaissances traditionnelles, le savoir des peuples autochtones et les systèmes de
connaissances locaux. Cette approche s’inscrit dans le droit fil des nombreuses
dispositions de la Convention, notamment ses articles 7, 8 et 14, qui disposent que
les États parties doivent veiller à ce que toutes les femmes aient de réelles possibilités
de participer à la prise de décisions politiques et à la planification du développement.
35. Les articles 7 et 8 de la Convention disposent que les femmes doivent être
traitées sur un pied d’égalité avec les hommes dans la vie politique et publique aux
niveaux local, national et international, et l ’article 14 réaffirme que les femmes en
milieu rural ont le droit de part iciper aux activités qui touchent à la planification du
développement et aux réformes agricoles. Cette garantie d ’égalité politique suppose
que les femmes aient accès à des postes de responsabilité, soient représentées et
puissent prendre part aux décisions, conditions indispensables à l’élaboration et à la
mise en oeuvre de programmes et politiques efficaces de réduction des risques de
catastrophe et d’adaptation aux changements climatiques, qui tiennent compte des
besoins de la population, en particulier ceux des femmes.
36. Afin de s’assurer que les femmes et les filles bénéficient des mêmes chances
de participer à la prise de décisions en matière de réduction des risques de
catastrophe et d’adaptation aux changements climatiques, de diriger les actions
engagées en ce sens ou d’y collaborer, le Comité recommande aux États parties :
a) D’adopter des politiques ciblées telles que des mesures temporaires
spéciales, notamment des quotas, conformément à l’article 4 de la Convention et
à la recommandation générale no 25 (2004) sur les mesures temporaires
spéciales ; elles doivent constituer l’une des composantes d’une stratégie
coordonnée et faire l’objet d’un suivi régulier, l’objectif étant d’amener les
femmes à participer sur un pied d’égalité à tous les mécanismes de prise de
décision et de planification du développement liés à la réduction des risques de
catastrophe et à l’adaptation aux changements climatiques17 ;
b) De mettre en place des programmes visant à garantir la participation
et le rôle de premier plan des femmes dans la vie politique, y compris par le
truchement d’organisations de la société civile, notamment féminines, à divers
niveaux, en particulier dans le contexte des actions touchant à la planification
locale et communautaire, à l’adaptation aux changements climatiques, à la
préparation aux catastrophes, ainsi qu’aux opérations de secours et de
relèvement ;
c) De garantir l’égalité de représentation des femmes dans les forums et
mécanismes qui s’intéressent, aux plans communautaire, local, national, régional
et international, à la réduction des risques de catastrophe et à l ’adaptation aux
changements climatiques, afin qu’elles puissent participer à l’élaboration et à la
__________________
16 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Changements climatiques 2007:
rapport de synthèse – Contribution des Groupes de travail I, II et III au quatrième rapport
d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Genève, 2007).
17 Voir CEDAW/C/TUV/CO/2, par. 55 et 56.
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mise en oeuvre de politiques, lois et programmes en la matière, et les influen cer.
Les États parties devraient également prendre des mesures positives pour faire
en sorte que les filles, les jeunes femmes et les femmes appartenant à des groupes
autochtones ou autres groupes marginalisés aient la possibilité d ’être
représentées dans ces mécanismes ;
d) De renforcer les institutions nationales qui défendent les droits des
femmes et luttent pour l’égalité des sexes, les organisations de la société civile et
les organisations féminines, et de leur procurer les moyens, les compétences et
l’autorité nécessaires pour diriger, conseiller, superviser et mener à bien des
stratégies visant à prévenir les catastrophes et à y faire face, et à atténuer les
effets néfastes des changements climatiques ;
e) D’affecter un volant de ressources suffisant à l’amélioration des
capacités de direction, à l’intention des femmes, et de créer un climat propice au
renforcement d’une participation active des femmes dans les mécanismes
destinés à réduire les risques de catastrophe, et à y faire face, ainsi que dans
l’atténuation des effets des changements climatiques à tous les niveaux et dans
tous les secteurs concernés.
C. Responsabilisation et accès à la justice
37. Conformément à l’article 15 1) de la Convention, les femmes doivent bénéficier
de l’égalité devant la loi. Ce principe est de la plus haute importance dans les
situations de catastrophe et dans le contexte des changements climatiques en ce que
les femmes, souvent contraintes de surmonter des obstacles pour accéder à la justice,
peuvent avoir beaucoup de mal à réclamer une indemnisation et d’autres formes de
réparation pour compenser le préjudice subi et s ’adapter aux changements
climatiques. Il faut absolument que les pol itiques et stratégies relatives aux
catastrophes et aux changements climatiques reconnaissent à tous les groupes de
femmes, y compris les femmes handicapées et autochtones, une même capacité
juridique identique à celle de l’homme, et leur confèrent l’égalité d’accès à la
justice18.
38. Les États parties devraient veiller à ce que les cadres juridiques soient
exempts de toute discrimination et que toutes les femmes aient accès à la justice,
conformément à la recommandation générale no 33. Ils sont invités, pour ce
faire :
a) À procéder à une analyse des conséquences pour les personnes de
chaque sexe des lois en vigueur, y compris celles appliquées dans les systèmes
juridiques pluriels (systèmes coutumiers ou traditionnels et/ou normes et
pratiques religieuses), afin d’en évaluer les effets sur les femmes, notamment la
vulnérabilité de celles-ci face aux risques de catastrophe et aux changements
climatiques, et à adopter, abroger ou modifier les lois, normes et pratiques en
conséquence ;
b) À faire connaître aux femmes les possibilités de recours en justice qui
leur sont offertes et les mécanismes de règlement des différends, et à leur
permettre d’améliorer leurs connaissances juridiques élémentaires en les
informant de leurs droits et des politiques et programmes relatifs à la réduction
des risques de catastrophe et à l’adaptation aux changements climatiques, et en
leur donnant les moyens d’exercer leur droit à l’information dans ce contexte ;
__________________
18 Voir également la recommandation générale n o 33 (2015) sur l’accès des femmes à la justice.
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c) À garantir un accès d’un coût abordable ou, si nécessaire, gratuit, aux
services juridiques, y compris l’aide judiciaire, ainsi qu’aux documents officiels
tels que les certificats de naissance, décès et mariage et les documents et actes
d’enregistrement de biens fonciers. Des systèmes administratifs fiables et peu
onéreux devraient être mis en place pour rendre ces documents disponibles et
accessibles aux femmes lors de catastrophes, afin qu’elles puissent bénéficier des
aides pécuniaires, dispositifs d’indemnisation et autres services du même ordre ;
d) À supprimer les obstacles qui empêchent les femmes d’accéder à la
justice en veillant à ce que les mécanismes de justice formels et informels, y
compris les dispositifs alternatifs de règlement des différends, soient conformes
à la Convention, et que les femmes puissent y avoir accès afin de faire valoir leurs
droits. Il faudrait également mettre en place des mesures qui protègent les
femmes contre les représailles lorsqu’elles saisissent la justice pour faire valoir
leurs droits ;
e) À réduire au maximum les défaillances des systèmes juridiques et
judiciaires que peuvent entraîner les catastrophes et les changements climatiques
grâce à des plans d’intervention prévoyant le déploiement de mécanismes de
signalement, d’équipes d’enquête et de tribunaux spécialisés ou mobiles. Le
recours à des mécanismes juridiques et judiciaires souples et accessibles est
particulièrement important pour permettre aux femmes et filles qui le souhaitent
de signaler des incidents d’actes de violence à caractère sexiste.
V. Principes particuliers de la Convention relatifs
à la réduction des risques de catastrophe
et à l’adaptation aux changements climatiques
A. Évaluation et collecte de données
39. Les aspects de la réduction des risques de catastrophe et des incidences des
changements climatiques ayant trait à la problématique femmes -hommes ne sont pas
toujours bien compris. Les capacités techniques limitées disponibles aux échelons
national et local ne permettent pas de recueillir suffisamment de données ventilées
selon le sexe, l’âge, le handicap, l’appartenance ethnique et la situation géographique,
ce qui continue d’entraver l’élaboration de stratégies appropriées et ciblées en matière
de réduction des risques de catastrophe et d ’adaptation aux changements climatiques.
40. Les États parties devraient :
a) Établir, au niveau national et au plan local, des mécanismes
permettant de recueillir, d’analyser, de gérer et d’exploiter des données ventilées
selon le sexe, l’âge, le handicap, l’appartenance ethnique et la région, ou recenser
ceux qui existent déjà. Ces données devraient être rendues publiques et étayer
l’élaboration de textes de loi, politiques, programmes et budgets nationaux et
régionaux relatifs aux risques de catastrophe et à la résilience face aux
changements climatiques qui tiennent compte de la problématique femmes -
hommes ;
b) Mettre au point, sur la base des données ventilées, des indicateurs et
des mécanismes de suivi précis tenant compte de la problématique femmeshommes
afin de permettre aux États parties de fixer des niveaux de référence et
de mesurer les progrès accomplis dans des domaines tels que la participation des
femmes aux initiatives consacrées à la réduction des risques de catastrophe et
aux changements climatiques, ainsi que leur représentation au sein des
institutions politiques, économiques et sociales. Ces outils devraient être intégrés
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à d’autres instruments existants, comme la Convention-cadre sur les
changements climatiques, le Programme de développement durable à l ’horizon
2030 et le Cadre de Sendai, et opérer en coordination avec eux, de façon à
garantir une approche cohérente et efficace ;
c) Donner aux institutions nationales chargées de collecter, de consolider
et d’analyser des données ventilées plus de pouvoir, de capacités et de moyens,
grâce au soutien de donateurs si nécessaire, et ce, dans tous les secteurs
concernés, tels que la programmation économique, la gestion des risques de
catastrophe, la planification et le suivi des objectifs de développement durable,
y compris au niveau local ;
d) Intégrer les informations climatiques dans la planification en
prévision de catastrophes et le processus décisionnel infranational et national, en
veillant à consulter les divers groupes de femmes, considérés comme de
précieuses sources de savoir local sur les changements climatiques.
B. Cohérence des politiques
41. Ce n’est que récemment que des efforts concertés ont été menés en vue de
coordonner les politiques en matière d ’égalité des sexes, de réduction des risques de
catastrophe, d’adaptation aux changements climatiques et de développement durable.
Si certains documents d’orientation, tels que le Programme 2030 et les objectifs de
développement durable, intègrent ces multiples perspectives , il reste encore beaucoup
à faire aux plans national, régional et international pour harmoniser les politiques.
Les programmes d’action, budgets et stratégies devraient être coordonnés entre divers
secteurs – commerce, développement, énergie, environnement, eau, climatologie,
agriculture, éducation, santé et planification – et aux niveaux de gouvernement – local
et infranational, national, régional et international – de manière à inscrire la réduction
des risques de catastrophe et l’adaptation aux changements climatiques dans une
approche efficace et respectueuse des droits de l ’homme.
42. Les États parties devraient :
a) Procéder à un vaste audit des politiques et programmes mis en oeuvre
dans différents secteurs et domaines tels que le climat, le commerce et
l’investissement, l’environnement et la planification, l’eau, l’alimentation,
l’agriculture, les technologies, la protection sociale, l’éducation et l’emploi, afin
de déterminer le degré d’intégration d’une perspective soucieuse de l’égalité des
sexes et de déceler les incohérences qu’il pourrait y avoir, l’objectif étant
d’intensifier les efforts axés sur la réduction des risques de catastrophe,
l’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation de leurs effets ;
b) Améliorer la coordination entre les secteurs, notamment ceux
concernés par la gestion des risques de catastrophe, les changements climatiques,
l’égalité femmes-hommes, la santé, l’éducation, la protection sociale,
l’agriculture, la protection de l’environnement et la planification urbaine, grâce
notamment à l’adoption de stratégies et de plans nationaux intégrés de réduction
des risques de catastrophe et d’adaptation aux changements climatiques, qui
suivraient expressément une approche fondée sur le principe de l’égalité des
sexes ;
c) Réaliser des évaluations des incidences pour les personnes de chaque
sexe durant les phases de conception, d’exécution et de suivi des plans et
politiques de réduction des risques de catastrophe et d ’adaptation aux
changements climatiques ;
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d) Mettre au point, recenser et partager des outils concrets, des
informations et des méthodes faisant appel aux pratiques optimales permett ant
d’intégrer effectivement une approche soucieuse de l’égalité des sexes dans les
lois, politiques et programmes de tous les secteurs concernés par la réduction des
risques de catastrophe et l’adaptation aux changements climatiques ;
e) Mettre en avant et renforcer le rôle vital que jouent les autorités
infranationales dans la réduction des risques de catastrophe, la prestation de
services, les interventions d’urgence, l’aménagement du territoire et les
changements climatiques. Pour ce faire, des ressources suffisantes devraient être
allouées et des mécanismes élaborés pour surveiller l’application des textes de loi
et l’exécution des politiques au niveau infranational.
C. Obligations extraterritoriales, coopération internationale
et affectation de ressources
43. Les États parties sont tenus, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leurs frontières,
de veiller à la pleine mise en oeuvre de la Convention, notamment dans les domaines
de la réduction des risques de catastrophe, de l ’atténuation des effets des changements
climatiques et de l’adaptation auxdits changements. Des mesures telles que la
limitation du recours aux combustibles fossiles, la réduction de la pollution
transfrontière et des émissions de gaz à effet de serre, ou encore les efforts visant à
faciliter la transition vers les sources d’énergie renouvelables sont jugés essentiels
pour atténuer les changements climatiques et tempérer, au niveau mondial, les
incidences sur les droits de l’homme que peuvent avoir les conséquences néfastes des
changements climatiques et des catastrophes. Dans ses résolutions 26/27 et 29/15, le
Conseil des droits de l’homme a relevé que le caractère planétaire des changements
climatiques requérait de tous les pays qu’ils coopèrent le plus possible et participent
à une action internationale efficace et adaptée 19.
44. Les moyens actuellement engagés tant pour lutter contre les causes structurelles
des inégalités entre les sexes, responsables d ’une vulnérabilité accrue des femmes aux
risques de catastrophe et aux effets des changements climatiques, que pour concevoir
des programmes attentifs aux différences entre les hommes et les femmes, observées
dans ces domaines, sont insuffisants. Les pays à faible revenu qui sont exposés aux
aléas climatiques ont beaucoup de mal à élaborer, à mettre en oeuvre et à assurer le
suivi des politiques et programmes visant à réduire les risques de catastrophe et à
prévenir les changements climatiques et à en atténuer les effets et à s’y adapter, qui
tiennent compte de la problématique femmes-hommes et à promouvoir l’accès à des
technologies d’un coût abordable, en raison de la carence des fonds publics et de
l’aide au développement au niveau national.
45. Conformément aux dispositions de la Convention et d’autres instruments
internationaux relatifs aux droits de l’homme, des ressources financières et techniques
suffisantes et efficaces doivent être affectées à des mesures de prévention des
catastrophes et des changements climatiques, d ’atténuation de leurs conséquences et
d’adaptation à leurs effets qui tiennent compte de la problématique femmes -hommes,
et ce, dans le cadre aussi bien des budgets nationaux que de la coopération
internationale. Toutes les démarches engagées par les États parties, que ce soit sur
leur territoire ou à l’extérieur de leurs frontières, en vue de prévenir les changements
__________________
19 Dans son rapport 2016 (A/HRC/31/52, note 27), le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et
l’environnement a indiqué que « le manquement des États à s’attaquer efficacement aux
changements climatiques par la coopération internationale empêcherait les États de s ’acquitter
individuellement de leur obligation, au titre du droit des droits de l’homme, de protéger et de
réaliser ces droits sur leur territoire ».
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climatiques et les catastrophes, d ’en atténuer les effets et d’y faire face, doivent être
fermement ancrées dans les principes des droits de l’homme que sont la nondiscrimination
et la réelle égalité, la participation et l ’autonomisation, l’obligation de
responsabilité et l’accès à la justice, la transparence et la primauté du droit.
46. Les États parties devraient, à titre individuel et en coopé ration avec
d’autres :
a) Prendre des mesures efficaces pour gérer équitablement les ressources
naturelles partagées, en particulier l’eau, et limiter les émissions de carbone, le
recours aux combustibles fossiles, la déforestation, la détérioration du pergélisol
proche de la surface et la dégradation des sols, la pollution transfrontière, y
compris le déversement de déchets toxiques, ainsi que tous les autres aléas et
risques environnementaux, technologiques et biologiques qui contribuent aux
changements climatiques et aux catastrophes et tendent à avoir des effets
néfastes disproportionnés sur les femmes et les filles ;
b) Accroître, aux échelons international, régional, national et local, les
dotations budgétaires spécifiquement destinées à répondre aux besoins qui se
posent au niveau des infrastructures et des services en termes de prévention des
catastrophes et des changements climatiques, de préparation, d ’atténuation de
leurs effets, de relèvement et d’adaptation à ces phénomènes, en tenant compte
des aspects ayant trait à la problématique femmes-hommes ;
c) Miser sur la faculté d’adaptation en s’attachant à déterminer et à
valoriser les moyens de subsistance qui résistent aux catastrophes et aux
changements climatiques, offrent des perspectives à long terme et concourent à
l’autonomisation des femmes, ainsi que sur les services qui permettent aux
femmes d’accéder à ces moyens et d’en bénéficier ;
d) Faire en sorte que les femmes aient davantage la possibilité de tirer
parti des dispositifs qui contribuent à la réduction des risques tels que la
protection sociale, la diversification des moyens de subsistance ou encore les
régimes d’assurance ;
e) Introduire une approche soucieuse de l’égalité des sexes dans les
programmes et projets internationaux, régionaux, nationaux, sector iels et locaux
pertinents, y compris ceux financés par des fonds internationaux pour le climat
et le développement durable ;
f) Mettre en commun les ressources, connaissances et technologies afin
de renforcer les capacités d’adaptation des femmes et des filles aux risques de
catastrophe et aux changements climatiques, notamment en s ’assurant de
l’existence de flux financiers suffisants, efficaces et transparents, gérés par des
processus participatifs, responsables et non discriminatoires ;
g) Veiller à ce que les États, les organisations internationales et autres
entités qui mettent à disposition des moyens techniques et financiers pour
contribuer à la réduction des risques de catastrophe, au développement durable
et à l’adaptation aux changements climatiques intègrent la prise en compte de
l’égalité des sexes et des droits des femmes dans la conception, la mise en oeuvre
et le suivi de tous leurs programmes, et se dotent de mécanismes appropriés et
efficaces de responsabilisation en matière de droits fondamentaux.
D. Acteurs non étatiques et obligations extraterritoriales
47. Le secteur privé et les organisations de la société civile peuvent jouer un rôle
important dans la réduction des risques de catastrophe, la résilience climatique et la
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promotion de l’égalité des sexes, tant au niveau national qu ’à l’échelon transnational.
Plusieurs mécanismes, notamment le Programme 2030, favorisent la constitution de
partenariats public-privé qui peuvent fournir les ressources financières et techniques
nécessaires à la mise en place de nouvelles infrastructures tournées vers la réduction
des risques de catastrophe et les moyens de subsistance à l ’épreuve du climat.
48. Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits
de l’homme disposent que les entreprises se doivent de respecter et protéger les droits
fondamentaux, d’agir avec diligence pour prévenir les violations en la matière et
d’offrir des voies de recours efficaces en cas d ’atteintes à ces droits liées à leurs
opérations. Afin de s’assurer que les activités déployées par le secteur privé dans le
domaine de la réduction des risques de catastrophe et de l ’adaptation aux
changements climatiques respectent et protègent les droits fondamentaux des
femmes, il faut veiller à ce qu’elles soient responsables, participatives, sensibles à la
problématique femmes-hommes, et soumises à une évaluation et un suivi réguliers
sous l’angle des droits de l’homme.
49. Les États parties devraient réglementer les activités des acteurs non étatiques
relevant de leur juridiction, notamment lorsqu’ils exercent leurs activités hors des
frontières de l’État. La recommandation générale no 28 réaffirme l’obligation issue
de l’article 2 e) d’éliminer la discrimination pratiquée par tout acteur public ou privé,
qui s’étend aux actes des sociétés nationales qui exercent leurs activités hors des
frontières de l’État.
50. Les organisations de la société civile qui opèrent au plan local et au niveau
international, parfois en partenariat avec les pouvoirs publics et le secteur pr ivé, sont
également tenues de veiller à ce que leurs activités liées à l ’adaptation aux
changements climatiques, ainsi qu’à la réduction et à la gestion des risques de
catastrophe ne nuisent pas aux populations locales, et il leur est demandé de prendre
des mesures pour limiter les dommages qu’elles pourraient causer par inadvertance
simplement parce qu’elles sont présentes sur le terrain et qu’elles fournissent une
assistance20.
51. S’agissant des acteurs non étatiques, les États parties devraient :
a) Créer des conditions incitant à faire porter les efforts sur la prévention
des catastrophes et des changements climatiques, l’atténuation de leurs effets et
l’adaptation auxdits changements qui tiennent compte de la problématique
femmes-hommes, dans le cadre notamment de programmes de développement
urbain et rural durable, de la promotion des énergies renouvelables et des
régimes de sécurité sociale ;
b) Encourager l’esprit d’entreprise chez les femmes et les pousser à se
lancer dans des activités en lien avec le développement durable et les moyens de
subsistance résistants aux changements climatiques dans des domaines tels que
l’énergie propre et les systèmes de production alimentaire agroécologique. Les
entreprises travaillant dans ces secteurs sont également e ncouragées à employer
davantage de femmes, en particulier aux postes de direction ;
c) Analyser les incidences pour les personnes de chaque sexe de toute
proposition de partenariat public-privé dans le domaine de la réduction des
risques de catastrophe et de l’adaptation aux changements climatiques, et faire
en sorte que divers groupes de femmes participent à la conception, à la mise en
oeuvre et au suivi de ces partenariats. Il conviendrait plus particulièrement de
veiller à ce qu’aucun obstacle d’ordre physique ou économique ne vienne
__________________
20 Voir A/HRC/28/76, par. 40 g), 99 et 104.
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entraver l’accès de quelque groupe de femmes que ce soit à l’ensemble des
infrastructures et services fournis dans le cadre de partenariats public -privé ;
d) Mettre en place des mesures réglementaires pour protéger les femmes
contre les atteintes aux droits fondamentaux émanant d ’acteurs économiques
privés, et s’assurer que leurs propres activités, y compris celles menées en
partenariat avec le secteur privé et la société civile, respectent et protègent ces
droits et que des voies de recours efficaces leur soient offertes au cas où leur
violation serait liée aux activités d’acteurs non étatiques. Ces mesures devraient
s’appliquer tant aux activités menées sur le territoire de l’État partie concerné
qu’à l’extérieur de ses frontières.
E. Renforcement des capacités et accès aux technologies
52. Si les femmes ne participent pas activement aux programmes de réduction des
risques de catastrophe et d’adaptation aux changements climatiques, surtout au niveau
local, cela retarde la mise en oeuvre des engagements relatifs à l ’égalité des sexes et
l’élaboration de politiques et stratégies coordonnées et efficaces en matière de
réduction des risques de catastrophe et de rési lience climatique. Il faudrait renforcer
les capacités et aptitudes des femmes, des organisations de défense des droits des
femmes et des entités étatiques de prendre part à des évaluations des risques de
catastrophe et de changements climatiques à l ’échelon local, ainsi qu’au plan national,
régional et international, qui tiennent compte de la problématique femmes -hommes.
53. Dans sa déclaration sur les femmes et les changements climatiques, le Comité a
relevé que toute politique soutenant l’égalité des sexes en matière d’accès à la science
et à la technologie, à l’enseignement scolaire et extrascolaire et à la formation, à leur
utilisation et à leur maîtrise renforcera it les capacités des pays dans le domaine de la
prévention des catastrophes et de l’atténuation de leurs effets et de l’adaptation aux
changements climatiques (A/65/38, première partie, annexe II). Or, trop souvent, les
femmes ne peuvent pas avoir accès aux technologies, aux formations et aux
informations sur ces questions en raison d ’inégalités fondées sur le sexe.
54. Les États parties devraient :
a) Associer un plus grand nombre de femmes à l’élaboration de plans
relatifs à la réduction des risques de catastrophe et à l ’adaptation aux
changements climatiques, en les aidant à développer leurs capaci tés techniques
et en dégageant des ressources suffisantes à cet effet ;
b) Institutionnaliser le rôle de premier plan que peuvent jouer les femmes
aux différents stades de la gestion des catastrophes – prévention (y compris la
mise au point et la diffusion de systèmes d’alerte rapide), préparation,
intervention et relèvement – et de l’atténuation des effets des changements
climatiques et d’adaptation auxdits changements, et ce, à tous les niveaux ;
c) Veiller à ce que les informations d’alerte rapide soient fournies au
moyen de technologies modernes, culturellement adaptées, accessibles, ouvertes
à tous, et tenant compte des besoins des différents groupes de femmes. Il faudrait
plus particulièrement encourager, dans le cadre des programmes de réduction
des risques de catastrophe et d’adaptation aux changements climatiques,
l’extension de la couverture Internet et de la téléphonie mobile, ainsi que
l’utilisation d’autres outils de communication fiables et économiques, comme la
radio, et les rendre accessibles à toutes les femmes, y compris celles appartenant
à des groupes autochtones et minoritaires ou celles qui sont âgées ou
handicapées ;
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d) Faire en sorte que les femmes aient accès aux techniques permettant
de prévenir les catastrophes et les changements climatiques et d’en atténuer les
conséquences néfastes pour les récoltes, le bétail, l’habitat et les entreprises, et
qu’elles puissent utiliser les technologies relatives à l’adaptation aux
changements climatiques et à l’atténuation de leurs effets, y compris dans le
domaine des énergies renouvelables et de la production agricole durable, et en
tirer des avantages économiques ;
e) Promouvoir les connaissances et le savoir-faire traditionnels des
femmes en matière de réduction des risques de catastrophe, d ’intervention,
d’atténuation des effets des changements climatiques et d ’adaptation auxdits
changements, et en encourager l’application et l’utilisation ;
f) Favoriser et faciliter les contributions des femmes à la conception, à
l’élaboration et à l’utilisation de technologies liées à la réduction des risques de
catastrophe et à la climatologie.
VI. Sujets particuliers de préoccupation
A. Droit des femmes et des filles de vivre à l’abri des violences
sexistes
55. Dans sa recommandation générale no 35, le Comité a considéré que la violence
sexiste à l’égard des femmes était l’un des moyens sociaux, politiques et économiques
fondamentaux par lesquels étaient entretenus la subordination des femmes par rapport
aux hommes et leurs rôles stéréotypés. Il a souligné également que les situations de
catastrophe, ainsi que la dégradation et la destruction des ressources naturelles,
étaient autant de facteurs qui influaient et exacerbaient les violences sexistes qui
visaient les femmes et les filles.
56. Le Comité a également observé que la violence sexuelle était fréquente pendant
les crises humanitaires et pouvait s’aggraver après une catastrophe nationale. Pendant
les périodes de stress aigu, de criminalité généralisée et lorsque les logements
faisaient cruellement défaut, les femmes faisaient face à des menaces de violence
accrues (A/65/38, deuxième partie, par. 6)21.
57. Conformément à la Convention et à la recommandation générale no 35, les
États parties devraient :
a) Élaborer des politiques et programmes visant à lutter contre les
facteurs de risque, présents et à venir, de violences sexistes à l ’égard des femmes
– y compris les violences familiales, sexuelles et économiques, la traite d ’êtres
humains et les mariages forcés – dans le contexte de la réduction des risques de
catastrophe et de l’adaptation aux changements climatiques, et promouvoir la
participation et le rôle de premier plan des femmes dans leur élaboration ;
b) Veiller à ce que l’âge minimum légal du mariage soit fixé à 18 ans,
pour les femmes comme pour les hommes. Les États parties devraient inclure,
dans la formation de tous les personnels appelés à participer aux secours en cas
de catastrophe, un volet consacré à la prévalence des mariages d ’enfants et des
mariages forcés. Des mécanismes devraient être intégrés dans les plans locaux et
régionaux de gestion des catastrophes, en partenariat avec les associations
__________________
21 Voir aussi la recommandation générale no 19 (1992) sur la violence à l’égard des femmes, et la
recommandation générale no 35 (2017) sur la violence sexiste à l’égard des femmes, portant
actualisation de la recommandation générale no 19, par. 14.
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féminines et d’autres parties prenantes, afin de prévenir les mariages d’enfants
et les mariages forcés, surveiller le phénomène et le combattre ;
c) Proposer des mécanismes de soutien accessibles, confidentiels et
efficaces pour toutes les femmes qui souhaiteraient signaler des faits de violences
sexistes ;
d) Élaborer, en partenariat avec un large éventail de parties prenantes, y
compris les associations féminines, un système d’évaluation et de suivi réguliers
des interventions destinées à prévenir et à combattre les violences sexistes
dirigées contre des femmes, dans le cadre des programmes de réduction des
risques de catastrophe et d’adaptation aux changements climatiques ;
e) Organiser des actions de formation, d’information et de sensibilisation
à l’intention des autorités, des personnels des services d’urgence et d’autres
groupes concernant les diverses formes de violence fondée sur le sexe observées
dans les situations de catastrophe, ainsi que sur les moyens de les prévenir et de
les combattre. La formation devrait également aborder les droits et besoins des
femmes et des filles, notamment celles appartenant à des groupes autochtones et
minoritaires, les femmes et les filles handicapées, les femmes et filles lesbiennes,
bisexuelles ou transgenres et les personnes intersexuées, et expliquer de quelles
manières elles peuvent être exposées aux violences sexistes et comment celles-ci
peuvent les affecter différemment ;
f) Adopter des politiques et stratégies à long terme qui puissent
s’attaquer aux causes profondes des violences à caractère sexiste dirigées contre
les femmes dans les situations de catastrophe, et ce, par le truchement d’un
dialogue avec les hommes et les garçons, les médias, les chefs traditionnels et
religieux et les structures éducatives, afin de cerner et d’éliminer les stéréotypes
sociaux et culturels relatifs à la condition féminine.
B. Droits à l’éducation et à l’information
58. L’article 10 de la Convention porte sur l ’élimination de la discrimination dans
le domaine de l’éducation22. L’éducation accroît la capacité des femmes de participer
à la vie de leur foyer, de leur famille, de leur communauté ou de leur e ntreprise et de
déterminer ce qu’il y a lieu de faire pour réduire les risques de catastrophe, atténuer
les changements climatiques, élaborer des stratégies de relèvement plus efficaces et,
partant, de bâtir des communautés plus résistantes. L ’éducation facilite en outre
l’accès aux possibilités, ressources, technologies et informations qui contribuent à
réduire les risques de catastrophe et à élaborer des politiques efficaces relatives aux
changements climatiques. La prévention des catastrophes et des chan gements
climatiques et l’atténuation de leurs effets exigent des hommes et femmes dotés d ’une
solide formation dans certaines disciplines, notamment l’économie, l’agriculture, la
gestion des ressources hydriques, la climatologie, l ’ingénierie, le droit, les
télécommunications et les services d ’urgence.
59. Au lendemain d’une catastrophe, les filles et les femmes, dont l ’accès à
l’éducation est souvent déjà limité du fait d ’un certain nombre d’obstacles sociaux,
culturels et économiques, peuvent avoir plus de ma l encore à poursuivre leur
instruction en raison de la destruction des infrastructures, du manque d ’enseignants
et autres ressources, de difficultés économiques et de problèmes de sécurité.
__________________
22 Voir la recommandation générale no 36 (2017) sur le droit des filles et des femmes à l’éducation.
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60. Conformément à l’article 10 de la Convention et à la recommandation
générale no 36, les États parties devraient :
a) S’assurer, par des inspections régulières, que les infrastructures
éducatives sont suffisamment sûres et solides pour résister aux catastrophes et
que des ressources suffisantes sont consacrées à la pro tection des étudiants et des
éducateurs contre les conséquences des changements climatiques et des
catastrophes ;
b) Dégager des moyens et budgets suffisants pour que les écoles et autres
structures éducatives soient bâties pour résister aux aléas ou, qu ’après une
catastrophe, elles soient reconstruites sur la base d’une évaluation approfondie
des risques de catastrophe et dans le respect des normes de construction, de façon
à être opérationnelles le plus rapidement possible. Il faudrait réintégrer en
priorité les filles et autres catégories de la population dont l ’éducation n’a pas
toujours été jugée importante, grâce à des programmes de sensibilisation
spécifiques qui aient pour but d’éviter que les filles et les femmes soient exclues
de l’éducation suite à une catastrophe ;
c) Garantir l’égalité d’accès des femmes et des filles aux informations, y
compris les données scientifiques, et aux formations relatives aux catastrophes
et aux changements climatiques. Ces informations devraient faire partie des
programmes scolaires de base à tous les niveaux de l’enseignement ;
d) Privilégier des programmes éducatifs novateurs et souples sensibles à
la problématique femmes-hommes, y compris au niveau local, afin de permettre
aux femmes d’acquérir les compétences nécessaires pour s’adapter aux
changements climatiques et participer aux initiatives de développement durable.
Des programmes et bourses spécifiques devraient être mis en place afin d ’aider
les filles et les femmes à faire des études et à suivre des format ions dans tous les
domaines relatifs à la réduction et à la gestion des risques de catastrophe, ainsi
que dans le secteur des sciences de l’environnement et du climat.
C. Droits au travail et à la protection sociale
61. Les catastrophes et les changements climatiques affectent directement les
femmes, en particulier celles qui sont en situation de pauvreté, en ce qu ’ils ont une
incidence sur leurs moyens de subsistance. Les inégalités économiques entre les
femmes et les hommes perdurent et se trouvent aggra vées par des discriminations, au
nombre desquelles figurent les restrictions relatives à la propriété et au contrôle des
terres et des biens, les écarts de rémunération, la concentration des femmes dans des
emplois précaires, informels et instables, le har cèlement sexuel et autres formes de
violence au travail, la discrimination dans l ’emploi liée à la grossesse, la répartition
du travail au sein du foyer en fonction du sexe et la sous -évaluation de la contribution
des femmes aux tâches ménagères, communaut aires et familiales. À cela s’ajoutent la
discrimination au travail et d’autres sujets de préoccupation tels que l ’exploitation à
des fins économiques et sexuelles, l ’accaparement de terres ainsi que la destruction
de l’environnement due aux abus des industries extractives et au défaut de
réglementation de certaines activités industrielles et/ou agro -industrielles. Ces types
de discriminations fondées sur le sexe limitent la capacité des femmes de prévenir les
dommages qu’engendrent les catastrophes et les changements climatiques et de s’y
adapter.
62. Le poids des tâches ménagères et familiales qui pèse sur les femmes devient
souvent plus lourd encore à porter lorsque survient une catastrophe. La destruction
des stocks de vivres, des logements et d ’infrastructures telles que les systèmes
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d’approvisionnement en eau et en énergie, de même que l ’absence de systèmes de
protection sociale et de services de soins de santé, ont des conséquences qui touchent
plus particulièrement les femmes et les filles. Ces inégalités fondées sur le sexe se
traduisent par une vulnérabilité accrue et une mortalité plus importante des femmes
et des filles ; elles ont aussi pour effet, dans bien des cas, de leur laisser moins de
temps pour exercer une activité économique ou accéder aux re ssources, notamment
en termes d’informations et d’éducation, qui sont nécessaires au relèvement d ’une
catastrophe et à l’adaptation aux changements23.
63. Les inégalités sociales et juridiques limitent par ailleurs la capacité des femmes
de partir s’installer dans des régions plus sûres et moins exposées aux catastrophes ;
elles peuvent restreindre les droits des femmes à accéder aux services financiers, au
crédit et aux prestations de sécurité sociale, et leur poser des difficultés pour obtenir
des garanties foncières et se procurer d’autres ressources productives24.
64. Les États parties devraient :
a) Mettre en place des systèmes de protection sociale qui tiennent compte
des besoins propres à chaque sexe, ainsi que des services sociaux qui puissent
réduire les inégalités économiques entre les femmes et les hommes en donnant à
ces dernières la possibilité d’atténuer les risques de catastrophe et de s’adapter
aux effets néfastes des changements climatiques. Les critères d’admissibilité à
ces régimes doivent être soigneusement définis afin de faire en sorte qu’ils restent
accessibles à toutes les catégories de femmes, y compris celles qui sont chefs de
famille, célibataires, déplacées, migrantes et réfugiées ou handicapées ;
b) Veiller à ce que les lieux de travail et les infrastructures névralgiques,
notamment les réacteurs et les centrales nucléaires, puissent faire face aux
catastrophes, ce qui suppose l’organisation de visites d’inspection régulières et
l’adoption de normes de construction respectant les impératifs de sécurité ainsi
que d’autres mécanismes visant à garantir que ces infrastructures, en particulier
celles nécessaires aux activités génératrices de revenus et aux trava ux ménagers,
redeviennent opérationnelles le plus rapidement possible après une catastrophe ;
c) Garantir aux femmes les mêmes droits à des possibilités d’emploi
décent et durable, comme le prévoit l’article 11 de la Convention, et faire
respecter ces droits dans tout ce qui touche à la prévention des catastrophes, leur
gestion et le relèvement ultérieur des populations, ainsi que dans le cadre de
l’adaptation aux changements climatiques tant en milieu urbain que dans les
zones rurales ;
d) Assurer aux femmes l’égalité d’accès aux marchés, services financiers,
formules de crédit et régimes d’assurance, et réglementer le secteur non
structuré de l’économie de sorte que les femmes puissent faire valoir leurs droits
à pension et autres prestations de sécurité sociale liées à l’emploi ;
e) Reconnaître la charge disproportionnée que représentent les tâches
familiales et non rémunérées dont s’acquittent les femmes et s’attaquer à ce
problème, dans le cadre aussi des politiques relatives aux catastrophes e t au
climat. Il faudrait élaborer des politiques et programmes qui permettent
d’évaluer, de limiter et de mieux répartir les responsabilités familiales entre les
hommes et les femmes; ils pourraient consister, par exemple, à mener des actions
de sensibilisation sur le partage équitable des tâches ménagères et familiales non
__________________
23 Voir, par exemple, A/55/38, par. 339.
24 Voir la recommandation générale no 29 (2013) sur les conséquences économiques du mariage , et
des liens familiaux et de leur dissolution, et la recommandation générale n o 34 (2016) sur les
droits des femmes rurales.
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rémunérés, à introduire des mesures destinées à gagner du temps ou à mettre à
disposition des technologies, services et infrastructures appropriés ;
f) Défendre le droit des femmes à pouvoir suivre une formation dans des
secteurs d’activité non traditionnels, notamment dans le domaine de l ’économie
verte et des moyens de subsistance durables, ce qui leur donnerait la possibilité
de concevoir des initiatives axées sur la prévention des ca tastrophes et des
changements climatiques, la préparation des populations concernées,
l’adaptation à ces phénomènes et l’atténuation de leurs effets, d’y participer, de
les gérer et d’en assurer le contrôle en mettant de surcroît à leur disposition de
meilleurs outils pour en tirer parti.
D. Droit à la santé
65. L’article 12 de la Convention prévoit que les États parties garantissent l’égalité
réelle entre les femmes et les hommes dans le domaine des services de santé,
notamment en matière de sexualité et de procréation, ou encore de santé mentale et
psychologique. Les mesures que les États parties sont tenus de prendre au regard de
cette disposition en vue de respecter, protéger et mettre en oeuvre le droit à la santé
de toutes les femmes sont énoncées dans la recommandation générale no 24 (1999)
sur les femmes et la santé. Des services et systèmes de santé, notamment en matière
de sexualité et de procréation, doivent être disponibles, accessibles, acceptables et de
bonne qualité, même en situation de catast rophe25. À cette fin, les États devraient
s’employer à y intégrer pleinement des politiques, budgets et activités de suivi liés à
l’adaptation aux changements climatiques et à la résistance aux catastrophes qui
tiennent compte de la problématique femmes-hommes26.
66. Les changements climatiques et les catastrophes, en ce compris les pandémies,
influent sur la prévalence, la répartition et la gravité des maladies nouvelles et
résurgentes. Les inégalités auxquelles les femmes et les filles font face en termes
d’accès à l’alimentation, à la nutrition et aux soins de santé, de même que le fait que
la société attend de leur part qu’elles assument le rôle de premier intervenant pour
s’occuper des enfants, des personnes âgées et de ceux qui souffrent, les rend ent
d’autant plus vulnérables à la maladie.
67. Les États parties devraient veiller à définir des politiques très claires assorties
des crédits budgétaires nécessaires pour promouvoir, protéger et mettre en oeuvre le
droit des femmes à la santé, notamment en matière de se xualité et de procréation, à
une éducation sexuelle d’une portée exhaustive et adaptée à l’âge, ainsi qu’à des
services de santé mentale et psychologique, d ’hygiène et d’assainissement. Des
dispositions relatives aux soins prénatals et postnatals, tels que les soins obstétriques
d’urgence et les mesures en faveur de l ’allaitement maternel, devraient faire partie
des stratégies, plans et programmes relatifs aux changements climatiques et aux
catastrophes.
__________________
25 OMS, « Gender inequities in environmental health » (Inégalités entre les sexes en matière de
salubrité de l’environnement), EUR/5067874/151 (2008).
26 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Climate Change 2014: Impacts,
Adaptation, and Vulnerability–Part A: Global and Sectoral Aspects, Working Group II
Contribution to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change
(Changements climatiques 2014 : incidences, adaptation et vulnérabilité – partie A : aspects
globaux et sectoriels, Contribution du Groupe de travail II au cinquièm e rapport d’évaluation du
Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) (New York, Cambridge
University Press, 2014), p. 733.
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68. Les États parties devraient plus particulièrement :
a) S’assurer que divers groupes de femmes et de filles prennent part, y
compris à des postes à responsabilité, à la planification, à la mise en oeuvre et au
suivi de politiques et programmes de santé, ainsi qu’à la conception et à la gestion
de services de santé intégrés pour les femmes dans le contexte de la gestion des
risques de catastrophe et des changements climatiques ;
b) Se doter de systèmes et services de santé résistants aux changements
climatiques et aux catastrophes et consacrer le maximum des ressources dont ils
disposent aux facteurs fondamentaux déterminants de la santé que sont
notamment l’accès à une eau salubre, à une alimentation adéquate et à des
installations sanitaires ainsi que la gestion de l’hygiène menstruelle. Les efforts
déployés à cet effet devraient chercher à faire évoluer les systèmes de santé afin
qu’ils prennent en considération les besoins qui se font jour dans le domaine des
soins de santé du fait des changements climatiques et des catastrophes et soient
suffisamment solides pour répondre à ces nouvelles exigences ;
c) Veiller à éliminer tous les obstacles qui empêchent les femmes et les
filles d’accéder aux services, à l’éducation et aux informations sanitaires,
notamment en ce qui concerne la santé psychologique et mental e, les traitements
oncologiques et la santé en matière de sexualité et de procréation ; les États
parties devraient en particulier dégager des ressources pour les programmes
axés sur le dépistage du cancer, la santé mentale et les services d ’orientation,
ainsi que sur la prévention et le traitement des maladies sexuellement
transmissibles, notamment le VIH/sida, avant, pendant et après les
catastrophes ;
d) Faire de la mise à disposition d’informations et de services de
planification familiale et de santé en matière de sexualité et de procréation un
volet prioritaire des programmes de préparation et de réaction aux catastrophes,
notamment pour ce qui concerne l’accès à la contraception d’urgence, la
prophylaxie post-exposition au VIH, le traitement du sida et les avortements
médicalisés, et faire baisser les taux de mortalité maternelle en donnant la
possibilité de recourir à des services de maternité sans risques, d ’obtenir l’aide
de sages-femmes qualifiées et de bénéficier d’une assistance prénatale ;
e) Surveiller les services de santé proposés aux femmes par les pouvoirs
publics, les organisations non gouvernementales et les structures privées, afin de
garantir une égalité d’accès et une qualité de soins qui répondent aux besoins de
santé propres à différents groupes de femmes dans des contextes des catastrophes
et des changements climatiques ;
f) Exiger que tous les services sanitaires appelés à intervenir en situation
de catastrophe prennent en considération les droits des femmes, notamment le
droit à l’autonomie, au respect de la vie privée et à la confidentialité, le droit de
pouvoir donner un consentement éclairé, le droit à la non-discrimination et la
liberté de choix. Il faudrait expressément inclure dans les politiques et normes
relatives aux soins de santé prodigués en cas de catastrophes des mesures
spécifiques visant à promouvoir et à protéger les droits des femmes et des filles
handicapées, autochtones ou appartenant à des groupes minoritaires, des
femmes et des filles lesbiennes, bisexuelles ou transgenres, des personnes
intersexuées, des femmes âgées et de celles appartenant à d’autres groupes
marginalisés ;
g) Veiller à ce que la formation des soignants, y compris ceux affectés aux
services d’urgence, comprenne des cours obligatoires, détaillés et sensibles à la
problématique femmes-hommes, sur la santé et les droits fondamentaux des
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femmes, en particulier la question de la violence fondée sur le sexe. L’attention
des prestataires de soins devrait être attirée sur les liens qui existent entre
l’accroissement du risque de catastrophes et de changements climatiques et les
situations d’urgence sanitaire qui pourraient se multiplier en raison de
l’évolution des profils épidémiologiques. La formation devrait également
aborder les droits des femmes porteuses d’un handicap, des femmes autochtones
et de celles qui appartiennent à des groupes minoritaires ou autres groupes
marginalisés ;
h) Recueillir et partager des données sur les différences que présentent
les hommes et les femmes en termes de vulnérabilité aux maladies infectieuses et
non infectieuses dans les situations de catastrophe et du fait des changements
climatiques. Ces informations devraient servir à élaborer des plans d’action et
des stratégies relatifs aux changements climatiques et aux catastrophes, qui
intègrent les droits des catégories précitées.
E. Droit à un niveau de vie suffisant
Alimentation, terres, logements, eau et assainissement
69. Les effets des changements climatiques se font déjà sentir à maints égards et se
traduisent notamment par une baisse de la sécurité alimentaire, une dégradation des
terres et une raréfaction des ressources en eau et autres ressources naturelles. Il est
prouvé que l’insécurité alimentaire, foncière et hydrique a des conséquences
différentes sur les hommes et les femmes, ces dernières étant plus susceptibles de
souffrir de sous-alimentation et de malnutrition en période de pénurie alimentaire 27.
Il apparaît également que les femmes et les filles, auxquelles revient principalement,
dans de nombreuses sociétés, la tâche de cultiver, récolter et préparer les produits
alimentaires ainsi que celle d ’aller chercher de l’eau et le bois de feu, sont davantage
pénalisées par le manque de sources d ’approvisionnement en eau potable et en
combustibles suffisamment abordables, sûres et accessibles, dans la mesure où cette
pénurie de ressources liée au climat peut entraîner pour les femmes et les filles une
charge supplémentaire en termes de temps, de souffrance physique et d ’exposition
accrue à la violence et au stress28.
70. Les femmes, en particulier celles qui vivent en milieu rural et les femmes
autochtones, sont directement touchées par les catastrophes et les chan gements
climatiques en tant que productrices de denrées alimentaires et travailleuses
agricoles : à l’échelle planétaire, la majorité des petits exploitants et agriculteurs de
subsistance et une fraction importante de travailleurs agricoles sont en effet d es
femmes. Les lois et normes sociales discriminatoires font que les femmes n ’ont que
peu accès aux garanties foncières, et que les terres agricoles qu ’elles détiennent sont
généralement de moindre qualité et plus sujettes aux inondations, à l ’érosion ou autres
événements climatiques indésirables. De plus en plus souvent, en raison de
l’émigration masculine, c’est aux femmes qu’il revient d’assumer les tâches agricoles
dans les zones touchées par les changements climatiques. Or, faute d ’être
juridiquement et socialement reconnues comme propriétaires des terres, elles ne sont
pas en mesure de prendre les dispositions nécessaires pour s ’adapter correctement à
l’évolution des conditions climatiques. Les femmes sont en outre indirectement
touchées par les retombées des phénomènes météorologiques sur les prix des denrées
alimentaires.
__________________
27 Voir, par exemple, CEDAW/C/NPL/CO/4-5.
28 OMS, « Changement climatique, genre et santé ».
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71. Les articles 12 et 14 de la Convention comportent des garanties spécifiques
concernant la nutrition et la participation des femmes, à l ’égal des hommes, aux
processus décisionnels en matière de production et de consommation alimentaires. En
outre, les obligations fondamentales qui ont pour but d ’éliminer la discrimination
visée à l’article 2 de la Convention, imposent aux États parties de modifier les
modèles culturels de comportement fondés sur des stéréotypes discriminatoires (art.
5 a), de reconnaître l’égalité des hommes et des femmes devant la loi (art. 15) ainsi
que dans le mariage et les rapports familiaux (art. 16) sont d ’une importance
primordiale pour aborder la question des droits des femmes à la terre et aux ressources
productives, lesquels sont essentiels pour assurer le droit à l ’alimentation et à des
moyens de subsistance durables.
72. Les États parties devraient :
a) Défendre l’égalité des droits des femmes à l’alimentation, au logement,
à l’assainissement, à la terre et aux ressources naturelles, notamment l ’eau
potable et l’eau destinée à un usage domestique et à la production alimentaire,
et prendre des mesures positives pour garantir que ces droits soient disponibles
et accessibles, même en période de pénurie. Il convient ici de veiller plus
spécialement à ce que les femmes en situation de pauvreté, en particulier celles
qui vivent dans des implantations sauvages, que ce soit en milieu urbain ou dans
des zones rurales, aient accès à un logement décent, à l’eau potable, aux services
sanitaires et à l’alimentation, surtout dans le contexte des catastrophes et des
changements climatiques ;
b) Renforcer la résilience des femmes aux effets des changements
climatiques et des catastrophes en recensant et en soutenant les moyens de
subsistance durables qui contribuent à leur autonomisation, et mettre en place
des services tenant compte des besoins des femmes, notamment en matière de
vulgarisation agricole, afin d’aider les agricultrices à accéder à ces moyens de
subsistance et à en tirer avantage ;
c) Définir des plans et politiques de développement participatifs et
soucieux de l’égalité des sexes intégrant une approche fondée sur les droits de
l’homme, afin de garantir durablement l’accès à un logement décent, à
l’alimentation, à l’eau et à l’assainissement. Il faudrait s’attacher en priorité à
faire en sorte que toutes les femmes aient accès à ces services ;
d) Mettre en place des lois, programmes et politiques en vue d ’éliminer
le problème des sans-abri et de s’assurer que des logements décents et résistants
aux catastrophes soient disponibles et accessibles à toutes les femmes, y compris
les femmes handicapées, et dégager des crédits budgétaires à cet effet. Des
mesures devraient être prises pour protéger les femmes contre les expulsions
forcées et veiller à ce que les programmes de logements sociaux et d ’aide au
logement locatif donnent la priorité et répondent aux besoins propres à tel ou tel
groupe de femmes.
F. Droit à la liberté de circulation
73. L’augmentation de la fréquence et de l ’intensité des phénomènes climatiques
extrêmes, ainsi que la dégradation de l ’environnement qui résulte des changements
climatiques, sont susceptibles d ’entraîner d’importants déplacements de populations
à l’intérieur de leur propre pays mais aussi par-delà les frontières29.
__________________
29 Entité des Nations Unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, « Addressing
Gender Dimensions in Large-Scale Movements of Migrants and Refugees » (La problématique
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74. Le Comité et de nombreux autres organes internationaux qui s ’intéressent aux
droits de l’homme, notamment le Comité pour la protection des droits de tous les
travailleurs migrants et des membres de leur famille, ont constaté que les catastrophes
et les changements climatiques figuraient parmi les facteurs qui favorisent la
migration, en particulier celle des femmes30. Dans plusieurs régions, les changements
climatiques et les catastrophes contribuent à accroître la migration de femmes seules
qui vont travailler dans des secteurs d ’activité majoritairement féminins, afin de
subvenir aux besoins des membres de leur famille qui n ’ont plus les moyens, au
niveau local, d’assurer leur subsistance.
75. Les femmes migrantes sont exposées à un risque accru de violences sexistes, en
ce compris la traite d’êtres humains et d’autres formes de discrimination, dans les
pays de transit, dans les camps, aux frontières et dans les p ays de destination. Il arrive
également que leurs droits fondamentaux soient bafoués lors de la migration et dans
le pays de destination faute de services de santé capables de prendre correctement en
charge les problèmes de sexualité, de procréation et de santé mentale, et en raison de
la discrimination à laquelle elles se heurtent en termes d ’accès à l’emploi, à la sécurité
sociale, à l’éducation, au logement, aux documents juridiques (certificats de naissance
ou de mariage, par exemple), ou encore à la justice. Les femmes et les filles migrantes
sont souvent soumises à des formes de discrimination croisées. Elles peuvent en outre
être vulnérables aux effets des changements climatiques dans les zones de destination,
en particulier dans les centres urbains d e pays en développement.
76. Bien souvent néanmoins, les femmes ne sont pas en mesure de quitter les régions
fortement exposées aux risques de catastrophes ou d ’émigrer pour reconstruire leur
vie au lendemain d’événements climatiques extrêmes31. Les stéréotypes sexistes, les
responsabilités familiales, les lois discriminatoires, le manque de moyens matériels
et un accès limité au capital social limitent fréquemment la capacité des femmes
d’émigrer.
77. Dans le même temps, les femmes restées sur place après que les hommes et
garçons de la famille ont émigré sont parfois amenées à exercer des activités
économiques non traditionnellement dévolues aux femmes ou à prendre la direction
de leur communauté, tâches pour lesquelles elles n ’ont guère été préparées ni formées.
Il en va plus particulièrement ainsi lorsqu ’une catastrophe se produit et que les
femmes doivent coordonner les efforts destinés à atténuer les conséquences des
catastrophes, les activités de relèvement et les mesures d’adaptation aux changements
climatiques.
78. Conformément à la Convention et à la recommandation générale no 26
(2008) concernant les travailleuses migrantes et à la recommandation générale
no 32, les États parties devraient :
a) S’assurer que les politiques en matière de migration et de
développement tiennent compte de la problématique femmes-hommes, intègrent
judicieusement les risques de catastrophe et considèrent les catastrophes et les
__________________
femmes-hommes dans les déplacements en masse de réfugiés et de migrants), déclaration
conjointe du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres
de leur famille, du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, de l ’Entité
des Nations Unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes et du Haut-
Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme intitulée, 19 septembre 2016.
30 Ibid., voir également la recommandation générale n o 26 (2008) concernant les travailleus es
migrantes.
31 Banque asiatique de développement, « Gender Equality and Food Security: Women’s
Empowerment as a Tool against Hunger » (Égalité des sexes et sécurité alimentaire :
l’autonomisation des femmes, un outil contre la faim) (Mandaluyong City, Philippines, 2013),
p. 12.
CEDAW/C/GC/37
18-03824 29/30
changements climatiques comme d’importants facteurs de déplacement interne
et de migration. Ces informations devraient être coulées dans les plans nationaux
et locaux visant à veiller au respect des droits des femmes et des filles lors des
migrations et déplacements et à défendre ces droits ;
b) Faciliter la participation des femmes migrantes, y compris cell es qui
ont été déplacées du fait des catastrophes et des changements climatiques, à
l’élaboration, à l’exécution et au suivi des politiques soucieuses de protéger et
promouvoir leurs droits fondamentaux à tous les stades du processus migratoire.
Un effort particulier doit être fait pour associer les femmes migrantes à la mise
en place de services appropriés dans des domaines tels que la santé mentale et le
soutien psychosocial, la santé en matière de sexualité et de procréation,
l’éducation et la formation, l’emploi, le logement et l’accès à la justice ;
c) Garantir une représentation équilibrée des sexes au sein des
personnels de la police des frontières, des forces armées et des administrations
qui sont chargés d’accueillir les migrants et former ces groupes aux dangers que
peuvent rencontrer les femmes migrantes, notamment le risque accru de
violences ;
d) Intégrer des considérations relatives à la mobilité des personnes dans
les politiques de réduction des risques de catastrophe et d ’adaptation aux
changements climatiques et d’atténuation de leurs effets, en tenant compte des
droits et besoins propres aux femmes et aux filles, y compris celles qui sont
célibataires ou chefs de famille, avant, pendant et après les catastrophes.
VII. Diffusion de données et établissement de rapports
79. Afin de prévenir efficacement les catastrophes et changements climatiques et de
mieux en atténuer les conséquences, les États parties et autres parties prenantes
devraient engager des actions ciblées et mesurables pour recueillir, analyser et
diffuser des informations et données concernant l ’élaboration de stratégies, politiques
et programmes visant à lutter contre les inégalités entre les sexes, à réduire les risques
de catastrophe et à renforcer la résilience face aux effets néfastes des changements
climatiques.
80. Il faudrait tisser des réseaux de coopération entre les organisations de la société
civile oeuvrant en faveur de l’égalité des sexes et les structures qui s’occupent de
l’aide humanitaire, de la réduction des risques de catastrophe et de l’adaptation aux
changements climatiques ; ces réseaux devraient inclure les institutions nationales de
défense des droits de l’homme, les pouvoirs publics à tous les niveaux et les
organisations internationales.
81. Pour veiller à ce que des systèmes de surveillance et de signalement efficaces
soient mis en place, les États parties devraient :
a) Concevoir et institutionnaliser des mécanismes fiables de collecte,
d’analyse, de suivi et de diffusion des données dans tous les domaines relatifs à
la réduction des risques de catastrophe, aux changements climatiques et à
l’égalité des sexes ;
b) Faire en sorte que les femmes puissent participer à la collecte, à
l’analyse, au suivi et à la diffusion des résultats ainsi obtenus aux niveaux
infranational, national, régional et international ;
c) Inclure dans les rapports périodiques adressés au Comité des
informations sur les instruments juridiques, les stratégies, les budgets et les
programmes qu’ils ont mis en place pour s’assurer que les droits fondamentaux
CEDAW/C/GC/37
30/30 18-03824
des femmes soient défendus dans le cadre des politiques relatives aux
changements climatiques et à la réduction des risques de catastrophe ;
d) Faire traduire la présente recommandation générale dans les langues
nationales et locales, y compris les langues autochtones et minoritaires, et la
diffuser largement auprès de toutes les administrations publiques, de la société
civile, des médias, des milieux universitaires et des organisations féminines.
GE.18-18251 (F) 091118 271118

Comité des droits économiques, sociaux et culturels
Les changements climatiques et le Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels
Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels*
I. Introduction
1. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels se félicite de la publication,
le 8 octobre 2018, du Rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (GIEC) sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C
par rapport aux niveaux préindustriels. Ce rapport confirme que les changements
climatiques font peser une menace considérable sur l’exercice des droits économiques,
sociaux et culturels.
2. Lors de l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques en 1992, les États sont convenus de s’employer à stabiliser les concentrations
de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation
anthropique dangereuse du système climatique (art. 2). En décembre 2015, l’Accord de
Paris a rappelé l’objectif mondial consistant à contenir l’élévation des températures
nettement en dessous de 2 °C et ses parties se sont engagées à poursuivre l’action menée
pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C (art 2). Le GIEC montre dans son rapport
publié le 8 octobre qu’il est impératif de respecter cette limite.
3. Le Comité accueille avec satisfaction les engagements déjà pris. Toutefois,
indépendamment des engagements pris volontairement dans le cadre du régime applicable
aux changements climatiques, tous les États ont des obligations en matière de droits de
l’homme qui devraient servir de fil directeur à l’élaboration et à la mise en oeuvre de
mesures visant à remédier aux changements climatiques.
II. Effets des changements climatiques sur les droits de l’homme
4. Il a été amplement rendu compte des effets des changements climatiques sur les
droits consacrés par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels (A/HRC/32/23). Les changements climatiques ont déjà des effets sur le droit à la
santé, le droit à l’alimentation et le droit à l’eau et à l’assainissement, et les choses vont
encore s’accélérer. Du fait de l’augmentation prévue des températures saisonnières
moyennes et de la fréquence et de l’intensité des épisodes caniculaires, le nombre de décès
dus à la chaleur va s’accroître. Les changements climatiques pourraient entraîner près de
* La présente déclaration, qui a été adoptée par le Comité à sa soixante-quatrième session, tenue du
24 septembre au 12 octobre 2018, a été élaborée conformément à la pratique du Comité en matière
d’adoption de déclarations (voir Documents officiels du Conseil économique et social, 2011,
Supplément no 2 (E/2011/22), chap. II, section K).
Nations Unies E/C.12/2018/1
Conseil économique et social Distr. générale
31 octobre 2018
Français
Original : anglais
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E/C.12/2018/1
2 GE.18-18251
38 000 décès supplémentaires d’ici à 2030 et près de 100 000 décès supplémentaires d’ici à
2050, phénomène qui devrait toucher particulièrement l’Asie du Sud-Est. Les changements
climatiques ont aussi des incidences sur la nutrition parce qu’ils modifient le rendement des
cultures et entraînent la perte de moyens de subsistance, une aggravation de la pauvreté et
la réduction de l’accès à l’alimentation, à l’eau et à l’assainissement. La perturbation de
l’approvisionnement en eau et les températures élevées endommagent les cultures et
favorisent la prolifération d’algues dans les réservoirs, tandis que l’acidification de l’océan
a des répercussions sur la pêche. La Banque mondiale estime1 qu’une hausse de 2 °C de la
température moyenne du globe exposerait entre 100 millions et 400 millions de personnes
supplémentaires à un risque de famine et pourrait se traduire chaque année par plus de
3 millions de décès supplémentaires dus à la malnutrition. En 2014, l’Organisation
mondiale de la Santé a estimé que, d’ici à 2030, la dénutrition serait responsable d’environ
95 000 décès supplémentaires par an chez les enfants âgés de 5 ans ou moins. Le droit au
logement sera aussi touché. Tant l’élévation du niveau de la mer que les phénomènes
météorologiques extrêmes, tels que les ouragans et les inondations, auront des incidences
sur les établissements humains, notamment dans les zones urbaines et côtières où la densité
est plus importante, et en particulier sur ceux qui sont déjà vulnérables. Les communautés
et les peuples autochtones qui dépendent des ressources naturelles pour leur subsistance
sont particulièrement touchés, et le seront encore à l’avenir.
III. Obligations des États en matière de droits de l’homme
5. En vertu du Pacte, les États sont tenus de respecter, protéger et mettre en oeuvre tous
les droits de l’homme pour tous. Cette obligation concerne non seulement leur propre
population, mais a aussi un caractère extraterritorial, conformément aux articles 55 et 56 de
la Charte des Nations Unies2. Pour s’en acquitter, les États devraient agir en se fondant sur
les données scientifiques les plus fiables dont ils disposent et sur le Pacte.
6. Le Comité a déjà souligné qu’il serait contraire à cette obligation de ne pas prévenir
des atteintes prévisibles aux droits de l’homme provoquées par les changements
climatiques ou de ne pas mobiliser les ressources disponibles dans toute la mesure possible
afin de prévenir de telles atteintes3. Les contributions déterminées au niveau national qui
ont été annoncées jusqu’à présent sont insuffisantes par rapport à ce que les scientifiques
estiment nécessaire pour éviter les effets les plus graves des changements climatiques. Afin
d’agir conformément à leurs obligations en matière de droits de l’homme, les États
devraient revoir ces contributions afin qu’elles correspondent mieux au « niveau d’ambition
le plus élevé possible » mentionné dans l’Accord de Paris (art. 4, par. 3). Dans les futures
directives de mise en oeuvre de l’Accord, il faudrait exiger des États qu’ils tiennent compte
de leurs obligations en matière de droits de l’homme lors de l’élaboration des contributions
déterminées au niveau national, en gardant à l’esprit les questions de genre et les principes
de participation, de transparence et de responsabilité effective et en s’appuyant sur les
savoirs locaux et traditionnels.
7. Les États parties devraient en outre adopter des mesures pour s’adapter aux effets
néfastes des changements climatiques et les intégrer dans leurs politiques sociales,
environnementales et budgétaires au niveau national. Enfin, dans le cadre de leurs
obligations d’assistance et de coopération internationales aux fins de la réalisation des
droits de l’homme, les États à revenu élevé devraient aussi soutenir les efforts d’adaptation,
en particulier dans les pays en développement, en facilitant le transfert de technologies
vertes et en contribuant au Fonds vert pour le climat. Cela serait conforme à l’obligation qui
incombe aux États parties au Pacte de garantir le droit de chacun de bénéficier du progrès
scientifique et de ses applications et à la reconnaissance par le Pacte des bienfaits qui
doivent résulter de l’encouragement et du développement de la coopération et des contacts
internationaux dans le domaine de la science et de la culture (art. 15, par. 1 b) et 4).
1 Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde 2010 : Développement et changement
climatique, (Washington, D.C., 2010).
2 Observation générale no 24 (2017) sur les obligations des États en vertu du Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des activités des entreprises, par. 27.
3 Voir, par exemple, E/C.12/FIN/CO/6, par. 9, E/C.12/CAN/CO/6, par. 53, et E/C.12/RUS/CO/6,
par. 42.
E/C.12/2018/1
GE.18-18251 3
IV. Contribution des mécanismes de protection des droits
de l’homme
8. Dans certains pays, les tribunaux et les mécanismes de protection des droits de
l’homme, notamment les institutions nationales des droits de l’homme, ont activement
contribué à ce que les États s’acquittent de l’obligation qui leur est faite par les instruments
relatifs aux droits de l’homme de lutter contre les changements climatiques. Des tribunaux
ont en particulier accepté d’entendre les griefs d’organisations non gouvernementales ou de
victimes des changements climatiques, et ont ordonné aux États d’adopter des plans
d’action adaptés à l’urgence qu’il y a à atténuer les changements climatiques et, si
nécessaire, à s’adapter à leurs effets inévitables.
9. Le Comité se félicite de cette évolution. Les mécanismes des droits de l’homme ont
un rôle essentiel à jouer dans la protection des droits de l’homme en veillant à ce que les
États ne prennent pas de mesures pouvant accélérer les changements climatiques et à ce
qu’ils mobilisent autant de ressources disponibles que possible pour adopter des mesures
propres à atténuer ces changements, notamment accélérer la transition vers les énergies
renouvelables, telles que l’énergie éolienne ou solaire, ralentir la déforestation et opter pour
l’agroécologie afin que les sols puissent jouer le rôle de puits de carbone, améliorer
l’isolation des bâtiments et investir dans les transports publics. Il est urgent de remplacer,
au niveau mondial, les hydrocarbures par des sources d’énergie renouvelables afin d’éviter
une perturbation anthropique dangereuse du système climatique et les graves violations des
droits de l’homme qu’une telle perturbation entraînerait.
10. Tant les États que les acteurs non étatiques ont le devoir de se conformer aux
obligations relatives aux droits de l’homme qui leur incombent dans le contexte des
changements climatiques. À cette fin, ils doivent respecter les droits de l’homme, en
s’abstenant d’adopter des mesures qui pourraient aggraver les changements climatiques ;
les protéger, en réglementant efficacement les activités des acteurs privés pour qu’elles
n’aggravent pas les changements climatiques ; et les mettre en oeuvre en adoptant des
politiques propres à rendre les modes de production et de consommation plus durables d’un
point de vue écologique. Les entreprises doivent respecter les droits énoncés dans le Pacte,
qu’il existe ou non des lois internes ou que celles-ci soient, ou non, intégralement
appliquées en pratique (voir l’observation générale no 24 (2017) sur les obligations des
États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
dans le contexte des activités des entreprises, par. 5). Les tribunaux et les mécanismes des
droits de l’homme doivent veiller à ce que les activités des entreprises soient dûment
encadrées afin de soutenir les initiatives des États contre les changements climatiques,
plutôt que de les entraver.
V. Rôle du Comité
11. Dans le cadre de ses travaux futurs, le Comité continuera à suivre les effets des
changements climatiques sur les droits économiques, sociaux et culturels et à fournir aux
États des orientations concernant la manière dont ils peuvent s’acquitter de leurs obligations
au titre du Pacte dans le contexte de l’atténuation des changements climatiques et de
l’adaptation à leurs effets inévitables.
GE.19-15012 (F) 090120 100120

Comité des droits de l’homme
Observation générale no 36
Article 6 : droit à la vie*, **
I. Observations d’ordre général
1. La présente observation générale remplace l’observation générale no 6, adoptée par
le Comité à sa seizième session (1982), et l’observation générale no 14, adoptée par le
Comité à sa vingt-troisième session (1984).
2. L’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaît et
protège le droit de toutes les personnes humaines à la vie. Le droit à la vie est le droit
suprême auquel aucune dérogation n’est autorisée, même dans les situations de conflit armé
et autres situations de danger public exceptionnel menaçant l’existence de la nation1. Le
droit à la vie revêt une importance capitale, tant pour les personnes que pour la société dans
son ensemble. Il est extrêmement précieux en lui-même en tant que droit inhérent à toute
personne humaine, mais il constitue également un droit fondamental2, dont la protection
effective est la condition indispensable de la jouissance de tous les autres droits de l’homme
et dont le contenu peut être éclairé par d’autres droits de l’homme.
3. Le droit à la vie est un droit qui ne devrait pas être interprété de manière étroite. Il
recouvre le droit des personnes de ne pas subir d’actes ni d’omissions ayant pour but de
causer, ou dont on peut attendre qu’ils causent, leur décès non naturel ou prématuré, et de
vivre dans la dignité. L’article 6 du Pacte garantit ce droit à toutes les personnes humaines,
sans distinction d’aucune sorte, y compris à celles qui sont soupçonnées ou reconnues
coupables de crimes, même les plus graves.
4. Le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte dispose que nul ne peut être arbitrairement
privé de la vie et que le droit à la vie doit être protégé par la loi. Il pose le fondement de
l’obligation qu’ont les États parties de respecter et garantir le droit à la vie, de lui donner
effet par des mesures d’ordre législatif ou autre, et d’offrir un recours utile et une réparation
à toutes les victimes de violations du droit à la vie.
5. Les paragraphes 2, 4, 5 et 6 de l’article 6 du Pacte énoncent des garanties spécifiques
visant à faire en sorte que, dans les États parties qui n’ont pas encore aboli la peine de mort,
celle-ci ne soit appliquée que pour les crimes les plus graves, et seulement dans les cas les
plus exceptionnels et dans les limites les plus strictes (voir partie IV ci-dessous).
L’interdiction de la privation arbitraire de la vie énoncée au paragraphe 1 de l’article 6
impose des limites supplémentaires à la capacité des États parties d’appliquer la peine de
mort. Les dispositions du paragraphe 3 régissent spécifiquement la relation entre l’article 6
du Pacte et la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
* Adoptée par le Comité à sa 124e session (8 octobre-2 novembre 2018).
** Les notes sont reproduites dans la langue de l’original seulement.
Nations Unies CCPR/C/GC/36
Pacte international relatif
aux droits civils et politiques
Distr. générale
3 septembre 2019
Français
Original : anglais
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CCPR/C/GC/36
2 GE.19-15012
6. La privation de la vie suppose un préjudice (dommage ou lésion) intentionnel3 ou, à
tout le moins, prévisible et évitable, causé par un acte ou une omission, qui a pour résultat
de mettre fin à la vie. Elle va au-delà de l’atteinte ou de la menace d’atteinte à l’intégrité
physique ou mentale4.
7. Les États parties doivent respecter le droit à la vie. Cela implique l’obligation de
s’abstenir de tout comportement qui aboutirait à une privation arbitraire de la vie. Les États
parties doivent également garantir le droit à la vie et exercer la diligence voulue pour
protéger la vie humaine contre toute atteinte de la part de personnes ou d’entités dont le
comportement n’est pas imputable à l’État5. L’obligation qu’ont les États parties de
respecter et de garantir le droit à la vie vaut face aux menaces et situations mettant la vie en
danger raisonnablement prévisibles qui peuvent aboutir à la perte de la vie. Il peut y avoir
violation de l’article 6 par les États parties même si une telle menace ou situation n’aboutit
pas à la perte de la vie6.
8. Bien que les États parties puissent adopter des mesures destinées à réglementer
l’interruption volontaire de grossesse, ces mesures ne doivent pas aboutir à une violation du
droit à la vie de la femme ou de la fille enceinte ni de leurs autres droits consacrés par le
Pacte. Ainsi, les restrictions de l’accès des femmes ou des filles à l’avortement ne doivent
pas, notamment, mettre leur vie en danger ni les soumettre à une douleur ou une souffrance
physique ou mentale qui constituerait une violation de l’article 7 du Pacte ou constituer une
discrimination à leur égard ou une immixtion arbitraire dans leur vie privée. Les États
parties doivent assurer un accès à l’avortement effectif, légal et sûr lorsque la vie ou la
santé de la femme ou de la fille enceinte est en danger ou lorsque le fait de mener la
grossesse à terme causerait pour la femme ou la fille enceinte une douleur ou une
souffrance considérables, tout particulièrement lorsque la grossesse résulte d’un viol ou
d’un inceste ou n’est pas viable7. En outre, les États parties ne doivent pas, dans tous les
autres cas, réglementer la grossesse ou l’avortement d’une manière contraire à leur
obligation de veiller à ce que les femmes et les filles n’aient pas à recourir à un avortement
non sécurisé et devraient revoir en conséquence leur législation relative à l’avortement8. Par
exemple, ils ne devraient pas prendre de mesures telles que la criminalisation des
grossesses hors mariage ou l’imposition de sanctions pénales aux femmes et aux filles qui
ont recours à l’avortement9 ou aux prestataires de soins médicaux qui les aident, car de
telles mesures obligent les femmes et les filles à recourir à des avortements non sécurisés.
Les États parties devraient supprimer les obstacles actuels10 à l’accès effectif des femmes et
des filles à un avortement légal et sécurisé11, y compris les obstacles résultant de l’exercice
de l’objection de conscience par des prestataires de soins médicaux12, et ne devraient pas
introduire de nouveaux obstacles. Les États parties devaient également protéger
effectivement la vie des femmes et des filles contre les risques pour la santé mentale et
physique liés aux avortements non sécurisés. Ils devraient en particulier garantir l’accès des
femmes et des hommes, et tout particulièrement des filles et des garçons13, à des
informations et une éducation en matière de santé sexuelle et procréative de qualité et
fondées sur des données factuelles14 ainsi qu’à un large éventail de moyens de
contraception financièrement accessibles15, et prévenir la stigmatisation des femmes et des
filles qui souhaitent recourir à l’avortement16. Les États parties devraient garantir aux
femmes et aux filles la disponibilité de soins de santé prénatals et postavortement de qualité
et l’accès effectif à de tels soins17 dans toutes les circonstances et de manière
confidentielle18.
9. Tout en reconnaissant l’importance capitale pour la dignité humaine de l’autonomie
personnelle, les États devraient prendre des mesures adéquates, sans enfreindre leurs autres
obligations au regard du Pacte, pour prévenir le suicide, notamment auprès des personnes
qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité particulière19, y compris les personnes
privées de liberté. Les États parties qui autorisent les professionnels de la médecine à
administrer un traitement médical ou à donner d’autres moyens médicaux permettant
d’accélérer la fin de vie d’adultes se trouvant dans un état grave, comme les personnes
atteintes d’une maladie en phase terminale, qui éprouvent une douleur ou une souffrance
physique ou psychologique aiguë et qui veulent mourir dans la dignité20, doivent veiller à
l’existence de solides garanties légales et institutionnelles permettant de vérifier que ces
professionnels de la médecine appliquent une décision explicite, non ambiguë, libre et
éclairée de leur patient, afin que tout patient soit protégé contre les pressions et les abus21.
CCPR/C/GC/36
GE.19-15012 3
II. Interdiction de la privation arbitraire de la vie
10. Bien qu’il soit inhérent à toute personne humaine22, le droit à la vie n’est pas absolu.
Si le Pacte n’énumère pas les motifs autorisés de privation de la vie, le paragraphe 1 de
l’article 6, en exigeant que la privation de la vie ne soit pas arbitraire, reconnaît
implicitement que certaines privations de la vie peuvent être non arbitraires. Par exemple,
l’utilisation de la force létale au titre de la légitime défense, dans les conditions précisées au
paragraphe 12 ci-dessous, ne constituerait pas une privation arbitraire de la vie. Même les
mesures exceptionnelles conduisant à des privations de la vie qui ne sont pas arbitraires en
elles-mêmes doivent être appliquées d’une manière qui ne soit pas arbitraire dans les faits.
De telles mesures exceptionnelles devraient être établies par la loi et assorties de garanties
institutionnelles efficaces visant à prévenir toute privation de la vie arbitraire. De surcroît,
les États qui n’ont pas aboli la peine de mort et qui ne sont pas parties au deuxième
Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, ou à d’autres
traités prévoyant l’abolition de la peine de mort ne peuvent appliquer la peine de mort que
de manière non arbitraire, pour les crimes les plus graves et sous réserve d’un certain
nombre de conditions strictes détaillées dans la partie IV ci-dessous.
11. La deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 6 exige que le droit à la vie soit
protégé par la loi et la troisième que nul ne soit arbitrairement privé de la vie. Ces deux
exigences se recouvrent partiellement en ce qu’une privation de la vie dénuée de fondement
juridique ou incompatible d’une quelconque autre manière avec les lois et procédures qui
protègent la vie est, en règle générale, de nature arbitraire. Par exemple, une condamnation
à mort prononcée à l’issue d’une procédure judiciaire conduite en violation des règles
nationales de procédure ou de preuve en matière pénale sera généralement à la fois illégale
et arbitraire.
12. En règle générale, la privation de la vie est arbitraire si elle est incompatible avec le
droit international ou avec le droit interne23. Toutefois, une privation de la vie peut être
autorisée par le droit interne et être néanmoins arbitraire. La notion d’« arbitraire » ne doit
pas être considérée comme équivalant exactement à celle de « contraire à la loi », mais doit
être interprétée de manière plus large, comme englobant des éléments relatifs au caractère
inapproprié, injuste et imprévisible de l’acte visé et au principe de légalité24 tout comme des
considérations de raisonnabilité, de nécessité et de proportionnalité. Pour ne pas être
qualifiée d’arbitraire au regard de l’article 6, l’utilisation d’une force potentiellement létale
par un particulier agissant en état de légitime défense, ou par une autre personne venant à sa
défense, doit être strictement nécessaire au vu de la menace que représente l’agresseur ; elle
doit constituer un moyen de dernier recours après que d’autres solutions ont été épuisées ou
jugées inadéquates25 ; le degré de force employé ne peut excéder celui qui est strictement
nécessaire pour répondre à la menace26 ; la force utilisée doit être soigneusement dirigée,
uniquement contre l’agresseur ; et la menace à laquelle il est répondu doit supposer une
mort ou une blessure grave imminente27. L’emploi d’une force potentiellement létale dans
le cadre du maintien de l’ordre est une mesure extrême28 à laquelle il ne devrait être recouru
que lorsque cela s’avère strictement nécessaire pour protéger la vie ou prévenir un préjudice
grave découlant d’une menace imminente29. Elle ne peut être utilisée, par exemple, pour
empêcher l’évasion d’un suspect ou d’un détenu ne constituant pas une menace sérieuse et
imminente pour la vie ou l’intégrité physique d’autrui30. La privation intentionnelle de la
vie par quelque moyen que ce soit n’est autorisée que si elle est strictement nécessaire pour
protéger la vie contre une menace imminente31.
13. Les États parties sont censés prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir
toute privation arbitraire de la vie par leurs agents de maintien de l’ordre, y compris les
soldats chargés de missions de maintien de l’ordre. Ces mesures comprennent
l’établissement d’une législation appropriée relative au contrôle de l’utilisation de la force
létale par les agents du maintien de l’ordre, la mise en place de procédures visant à garantir
que les opérations de maintien de l’ordre soient correctement planifiées compte tenu de la
nécessité de réduire au minimum le risque qu’elles représentent pour la vie humaine32, le
signalement obligatoire et l’analyse des incidents mortels et autres incidents mettant la vie
en danger et la conduite obligatoire d’enquêtes sur ces incidents ainsi que la mise à
disposition des forces responsables de la lutte antiémeute de moyens moins meurtriers
CCPR/C/GC/36
4 GE.19-15012
efficaces, complétés par des équipements de protection appropriés qui évitent le recours à la
force létale (voir aussi par. 14 ci-dessous)33. En particulier, toutes les opérations menées par
des agents du maintien de l’ordre devraient être conformes aux normes internationales
pertinentes, notamment au Code de conduite pour les responsables de l’application des lois
et aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les
responsables de l’application des lois34, et les agents du maintien de l’ordre devraient
recevoir une formation appropriée relative à ces normes35 afin de garantir, dans toutes les
circonstances, le plus grand respect du droit à la vie.
14. Même si elles sont préférables à des armes plus meurtrières, les États parties
devraient veiller à ce que les armes à létalité réduite soient soumises à des contrôles
indépendants stricts et évaluer et surveiller les incidences sur le droit à la vie d’armes
comme les dispositifs agissant par rupture électromusculaire (Tasers)36, les balles en
caoutchouc ou en mousse et autres projectiles à impact atténué37, qui sont conçues pour être
utilisées ou sont effectivement utilisées par des agents du maintien de l’ordre, y compris
des soldats chargés de missions de maintien de l’ordre38. L’utilisation de telles armes doit
être réservée aux membres des forces de l’ordre ayant suivi une formation appropriée, et
doit être strictement réglementée conformément aux protocoles internationaux pertinents,
notamment les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par
les responsables de l’application des lois39. En outre, les armes à létalité réduite ne doivent
être employées que dans le strict respect des exigences de nécessité et de proportionnalité,
dans les situations dans lesquelles d’autres mesures moins agressives se sont révélées être,
ou sont clairement, inefficaces face à la menace40. Les États parties ne devraient pas avoir
recours aux armes à létalité réduite dans les situations de lutte antiémeute auxquelles il est
possible de faire face en ayant recours à des moyens moins agressifs41, en particulier dans le
contexte de l’exercice du droit de réunion pacifique.
15. Lorsque des particuliers ou des entités privées sont habilités ou autorisés par un État
partie à utiliser une force pouvant avoir des conséquences létales, l’État partie a l’obligation
de veiller à ce qu’une telle utilisation de la force soit effectivement conforme aux
dispositions de l’article 6 et il demeure responsable de tout manquement dans l’application
de cet article42. Entre autres choses, un État partie doit limiter rigoureusement les pouvoirs
conférés aux acteurs privés et prévoir des mesures strictes et efficaces de supervision et de
contrôle, ainsi que des formations appropriées, afin de veiller, notamment, à ce que les
pouvoirs en question ne soient pas mal employés et ne conduisent pas à des privations
arbitraires de la vie. Par exemple, les États parties doivent prendre des mesures adéquates
pour s’assurer que les personnes qui ont été impliquées ou sont actuellement impliquées
dans de graves violations des droits de l’homme soient exclues des corps de sécurité privés
qui sont habilités ou autorisés à employer la force43. Ils doivent aussi faire en sorte que les
victimes de privation arbitraire de la vie par des individus ou des entités privées habilités ou
autorisés par l’État partie disposent d’un recours utile44.
16. Les paragraphes 2, 4 et 5 de l’article 6 reconnaissent implicitement que les pays qui
n’ont pas aboli la peine de mort et n’ont pas ratifié le deuxième Protocole facultatif se
rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, ne sont pas légalement empêchés par
le Pacte d’appliquer la peine de mort pour les crimes les plus graves, sous réserve d’un
certain nombre de conditions strictes. Les autres procédures régissant des activités pouvant
conduire à la privation de la vie, comme les protocoles relatifs à l’administration de
nouveaux médicaments, doivent être établies par la loi, assorties de garanties
institutionnelles efficaces visant à prévenir toute privation de la vie arbitraire et compatibles
avec les autres dispositions du Pacte.
17. La privation de la vie par des actes ou omissions constituant une violation d’autres
dispositions du Pacte que l’article 6 est, en règle générale, de nature arbitraire. Sont compris
notamment l’utilisation de la force ayant pour conséquence le décès de manifestants qui
exerçaient leur droit à la liberté de réunion45 et l’imposition de la peine de mort à l’issue
d’un procès qui n’était pas conforme aux exigences d’une procédure régulière énoncées à
l’article 14 du Pacte46.
CCPR/C/GC/36
GE.19-15012 5
III. Obligation de protéger la vie
18. La deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 6 dispose que le droit à la vie « doit
être protégé par la loi ». Cela signifie que les États parties doivent établir un cadre juridique
qui garantisse à toutes les personnes la pleine jouissance du droit à la vie, propre à donner
effet à ce droit. L’obligation de protéger le droit à la vie par la loi recouvre également
l’obligation pour les États parties d’adopter toutes lois et autres mesures appropriées pour
protéger le droit à la vie contre toutes les menaces raisonnablement prévisibles, y compris
celles émanant de particuliers ou d’entités privées.
19. L’obligation de protéger le droit à la vie par la loi exige que tout motif substantiel de
privation de la vie soit établi par la loi et défini avec suffisamment de précision pour éviter
toute interprétation ou application trop étendue ou arbitraire47. Puisque la privation de la vie
par les autorités de l’État est une question extrêmement grave, la loi doit strictement
contrôler et limiter les cas dans lesquels une personne peut être privée de la vie par ces
autorités48, et les États parties doivent assurer le plein respect de toutes les dispositions
légales pertinentes. L’obligation de protéger le droit à la vie par la loi exige également des
États parties qu’ils organisent tous les organes et structures de gouvernance de l’État par
lesquels est exercée l’autorité publique d’une manière compatible avec la nécessité de
respecter et garantir le droit à la vie49, y compris en établissant par la loi des institutions et
procédures adéquates en vue de prévenir toute privation de la vie, en faisant procéder à des
enquêtes et des poursuites sur les cas présumés de privation illégale de la vie, en
sanctionnant les responsables et en assurant une réparation intégrale.
20. Les États parties doivent adopter un cadre juridique de protection incluant
l’interdiction effective en vertu du droit pénal de toutes les manifestations de violence ou
incitations à la violence susceptibles d’aboutir à une privation de la vie, telles que
l’homicide intentionnel et l’homicide par négligence, l’usage injustifié ou disproportionné
des armes à feu50, l’infanticide51, les crimes d’« honneur » 52, le lynchage53, les crimes de
haine violents54, les dettes de sang55, les meurtres rituels56, les menaces de mort et les
attaques terroristes. Les sanctions pénales prévues pour ces crimes doivent être
proportionnées à leur gravité57, tout en demeurant compatibles avec toutes les dispositions
du Pacte.
21. L’obligation de prendre des mesures positives pour protéger le droit à la vie découle
de l’obligation générale de garantir les droits reconnus dans le Pacte, établie au
paragraphe 1 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 6, ainsi que de l’obligation
spécifique de protéger le droit à la vie par la loi, énoncée dans la deuxième phrase de
l’article 6. Les États parties ont donc l’obligation d’exercer la diligence voulue en prenant
des mesures positives raisonnables, qui ne leur imposent pas une charge disproportionnée58,
pour répondre aux menaces raisonnablement prévisibles pour la vie émanant de particuliers
ou d’entités privées dont le comportement n’est pas imputable à l’État59. Les États parties
sont ainsi tenus de prendre des mesures de prévention adéquates, face à des menaces
raisonnablement prévisibles, pour protéger les personnes contre les meurtres ou homicides
que pourraient commettre des délinquants, des membres du crime organisé ou des milices,
y compris des groupes armés ou terroristes (voir aussi par. 23 ci-dessous)60. Les États
parties devraient également démanteler les groupes armés illégaux tels que les armées ou
milices privées qui sont responsables de privations de la vie61 et freiner la prolifération
d’armes potentiellement létales aux mains d’individus qui ne sont pas autorisés à en
détenir62. Les États parties doivent en outre prendre des mesures adéquates de protection,
y compris de supervision constante63, afin de prévenir la privation arbitraire de la vie par
des entités privées telles que les compagnies de transport privées, les hôpitaux privés64 et
les sociétés de sécurité privées et d’enquêter sur les cas présumés, de sanctionner les
responsables et d’accorder réparation aux victimes.
22. Les États parties doivent prendre des mesures appropriées pour protéger les
personnes contre la privation de la vie par d’autres États, des organisations internationales
et des entreprises étrangères agissant sur leur territoire65 ou dans d’autres zones sous leur
juridiction. Ils doivent aussi prendre des mesures législatives et d’autres mesures pour
veiller à ce que toute activité ayant lieu sur tout ou partie de leur territoire ou dans d’autres
lieux sous leur juridiction mais ayant une incidence directe et raisonnablement prévisible
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6 GE.19-15012
sur le droit à la vie de personnes se trouvant en dehors de leur territoire, y compris si elle
est menée par une entreprise basée sur leur territoire ou sous leur juridiction66, soit
compatible avec l’article 6, compte dûment tenu des normes internationales connexes
relatives à la responsabilité des entreprises67 et au droit des victimes à un recours utile.
23. L’obligation de protéger le droit à la vie exige des États parties qu’ils prennent des
mesures de protection spéciales en faveur des personnes en situation de vulnérabilité dont la
vie est exposée à un risque particulier en raison de menaces spécifiques68 ou de schémas de
violence préexistants. Sont concernés notamment les défenseurs des droits de l’homme
(voir aussi par. 53 ci-dessous)69, les responsables de la lutte contre la corruption et la
criminalité organisée, les travailleurs humanitaires, les journalistes70, les personnalités
publiques, les témoins d’infractions71 et les victimes de la violence familiale, de la violence
fondée sur le genre et de la traite des êtres humains. Il peut s’agir également d’enfants72, en
particulier les enfants en situation de rue, les enfants migrants non accompagnés et les
enfants dans des situations de conflit armé, de membres de minorités ethniques et
religieuses73, de peuples autochtones74, de lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et
intersexes75, de personnes atteintes d’albinisme76, de personnes accusées de sorcellerie77, de
personnes déplacées, de requérants d’asile, de réfugiés78 et d’apatrides. Les États parties
doivent réagir promptement et efficacement pour protéger les personnes qui sont exposées à
une menace spécifique, en adoptant des mesures spéciales telles que la mise en place d’une
protection policière permanente, la délivrance d’ordres de protection et d’éloignement
contre des agresseurs potentiels et, dans les cas exceptionnels et uniquement avec le
consentement libre et éclairé de la personne menacée, la détention à des fins de protection.
24. Les personnes présentant un handicap, y compris psychosocial ou intellectuel, ont
droit elles aussi à des mesures spécifiques de protection propres à garantir leur jouissance
effective du droit à la vie sur un pied d’égalité avec les autres79. Ces mesures spéciales de
protection doivent comprendre la réalisation d’aménagements raisonnables lorsque de tels
aménagements sont nécessaires pour garantir le droit à la vie, comme le fait d’assurer
l’accès des personnes handicapées aux installations et services essentiels80, ainsi que des
mesures spécifiques visant à prévenir l’usage injustifié de la force contre des personnes
handicapées par les agents du maintien de l’ordre81.
25. Les États parties ont également un devoir accru de prendre toutes les mesures qui
s’imposent raisonnablement pour protéger la vie des personnes privées de liberté par
l’État82, étant donné que lorsqu’ils arrêtent, détiennent ou emprisonnent une personne ou la
privent de liberté d’une autre manière, les États parties ont la responsabilité de prendre soin
de sa vie83 et de veiller à son intégrité physique, et qu’ils ne sauraient invoquer le manque
de ressources financières ou d’autres problèmes logistiques pour atténuer cette
responsabilité84. Le même devoir de diligence accru vaut à l’égard des personnes placées
dans des lieux de détention privés fonctionnant avec l’autorisation de l’État. L’obligation
de protéger la vie de toutes les personnes détenues comprend celle de leur assurer les soins
médicaux nécessaires et de surveiller leur santé régulièrement et de façon appropriée85, en
les protégeant contre la violence d’autres détenus86, en prévenant les suicides et en
apportant les aménagements nécessaires aux personnes handicapées87. Un devoir accru de
protéger le droit à la vie s’applique aussi à l’égard des personnes placées dans des
établissements gérés par l’État dans lesquelles la liberté est restreinte, tels que les
établissements de santé mentale88, les camps militaires89, les camps de réfugiés et de
déplacés90, les institutions pour mineurs et les orphelinats.
26. L’obligation de protéger la vie signifie également que les États parties devraient
prendre des mesures appropriées destinées à améliorer certains contextes dans la société
susceptibles d’engendrer des menaces directes pour la vie ou d’empêcher des personnes de
jouir de leur droit à la vie dans la dignité. Il peut s’agir notamment d’un degré élevé de
violence liée à la délinquance ou à l’utilisation d’armes à feu91, de trafic généralisé,
d’accidents industriels92, de la dégradation de l’environnement (voir aussi par. 62
ci-dessous)93, de la privation des peuples autochtones de leurs terres, territoires et
ressources94, de la prévalence de maladies potentiellement mortelles comme le sida, la
tuberculose ou le paludisme95, d’une toxicomanie largement répandue, de la faim et de la
malnutrition à grande échelle, de l’extrême pauvreté ou du sans-abrisme96. Les mesures
requises pour créer des conditions adéquates permettant de protéger le droit à la vie peuvent
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notamment comprendre, si besoin, des mesures propres à garantir l’accès immédiat aux
biens et services essentiels tels que l’alimentation97, l’eau, un abri, les soins de santé98,
l’électricité et l’assainissement et d’autres mesures destinées à promouvoir et favoriser des
conditions générales adéquates telles que le renforcement de l’efficacité des services de
soins d’urgence et d’intervention en cas d’urgence (notamment pompiers, ambulances et
forces de police) et des programmes de logement social. Les États parties devraient en outre
élaborer des plans stratégiques visant à favoriser la jouissance du droit à la vie − pouvant
comprendre des mesures de lutte contre la stigmatisation associée à certains handicaps et à
certaines maladies, notamment les maladies sexuellement transmissibles, qui entrave
l’accès aux soins médicaux99 ; des plans détaillés visant à promouvoir l’éducation à la
non-violence ; et des campagnes de sensibilisation à la violence fondée sur le genre100 et
aux pratiques préjudiciables101 et des mesures destinées à améliorer l’accès aux examens et
traitements médicaux conçus pour réduire la mortalité maternelle et infantile102. Enfin, les
États parties devraient aussi mettre au point, si nécessaire, des plans d’urgence et des plans
de gestion des catastrophes conçus pour améliorer la préparation aux catastrophes naturelles
ou causées par l’homme qui peuvent compromettre la jouissance du droit à la vie comme
les ouragans, les tsunamis, les tremblements de terre, les accidents radioactifs et les
cyberattaques massives qui entraînent l’interruption des services essentiels.
27. Un élément important de la protection du droit à la vie assurée par le Pacte est
l’obligation qu’ont les États parties, lorsqu’ils ont connaissance ou auraient dû avoir
connaissance de privations de la vie résultant potentiellement d’actes illégaux, de faire
procéder à une enquête et, le cas échéant, d’engager des poursuites contre les auteurs
présumés de tels actes, ce qui vaut également pour les allégations d’usage excessif de la
force ayant eu des conséquences mortelles (voir aussi par. 64 ci-dessous)103. Il y a
également obligation d’enquêter dans les cas où l’usage d’une force potentiellement
meurtrière a entraîné un risque grave de privation de la vie, même si le risque ne s’est pas
matérialisé (voir aussi par. 7 ci-dessus). Cette obligation, qui fait implicitement partie de
l’obligation de protéger, est renforcée par l’obligation générale de garantir les droits
reconnus dans le Pacte, établie au paragraphe 1 de l’article 2 lu conjointement avec le
paragraphe 1 de l’article 6, et l’obligation d’offrir un recours utile aux victimes de
violations des droits de l’homme104 et à leurs proches105, énoncée au paragraphe 3 de
l’article 2 du Pacte lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6. Les enquêtes et
poursuites auxquelles donnent lieu les privations présumées illégales de la vie devraient
être menées conformément aux protocoles internationaux pertinents, notamment le
Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les homicides résultant potentiellement
d’actes illégaux, et doivent permettre de garantir que les responsables soient traduits en
justice106, de promouvoir l’établissement des responsabilités et de prévenir l’impunité107,
d’éviter le déni de justice108 et de tirer les enseignements voulus pour revoir les pratiques et
méthodes employées afin d’empêcher de nouvelles violations109. Les enquêtes devraient
notamment consister à évaluer la responsabilité juridique des supérieurs hiérarchiques à
raison des violations du droit à la vie commises par leurs subordonnés110. Compte tenu de
l’importance du droit à la vie, les États parties, face à des violations de l’article 6, ne
doivent pas, d’une manière générale, se contenter de mesures administratives ou
disciplinaires, mais doivent normalement faire procéder à une enquête pénale aboutissant, si
suffisamment de preuves à charge sont réunies, à des poursuites pénales111. Les immunités
et amnisties accordées aux auteurs d’homicides intentionnels et à leurs supérieurs, et les
mesures comparables qui engendrent une impunité de fait ou de droit, sont, en règle
générale, incompatibles avec l’obligation de respecter et de garantir le droit à la vie et
d’offrir aux victimes un recours utile112.
28. Les enquêtes sur les allégations de violation de l’article 6 doivent toujours être
indépendantes113, impartiales114, promptes115, approfondies116, efficaces117 crédibles118 et
transparentes (voir aussi par. 64 ci-dessous)119. Lorsqu’une violation est constatée, il
convient d’offrir une réparation intégrale comprenant, en fonction des circonstances
particulières de l’espèce, des mesures adéquates d’indemnisation, de réadaptation et de
satisfaction120. Les États parties sont également tenus de prendre des mesures pour
empêcher que des violations analogues ne se reproduisent121. S’il y a lieu, l’enquête devrait
comprendre une autopsie du corps de la victime122, chaque fois que cela est possible, en
présence d’un représentant des proches de la victime123. Les États parties doivent, entre
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autres, prendre des mesures appropriées pour établir la vérité sur les faits ayant abouti à la
privation de la vie, notamment les raisons pour lesquelles certains individus ont été visés, et
sur quelle base juridique, et les procédures appliquées par les forces de l’État avant,
pendant et après le moment où la privation de la vie a eu lieu124 et pour identifier le corps
des personnes qui ont perdu la vie125. Les États parties devraient également divulguer les
détails pertinents de l’enquête au plus proche parent de la victime126, permettre à celui-ci de
produire de nouveaux éléments de preuve, lui donner qualité pour agir dans l’enquête127, et
rendre publiques l’information sur les mesures d’enquête qui ont été prises et les
constatations, conclusions et recommandations issues de l’enquête128, sous réserve
d’expurgations rendues absolument indispensables par la nécessité impérative de protéger
l’intérêt public ou la vie privée et d’autres droits des personnes directement concernées. Les
États parties doivent aussi prendre les mesures nécessaires pour protéger les témoins, les
victimes et leurs proches ainsi que les personnes qui conduisent l’enquête contre les
menaces, les attaques et tout acte de représailles. En cas de violation du droit à la vie, une
enquête devrait si nécessaire être engagée d’office129. Les États devraient apporter leur
soutien aux mécanismes internationaux d’enquête et de poursuite qui examinent de
possibles violations de l’article 6 et coopérer de bonne foi avec eux130.
29. La perte de la vie en détention, lorsqu’elle survient dans des circonstances non
naturelles, crée une présomption de privation arbitraire de la vie par les autorités de l’État,
qui ne peut être réfutée que sur la base d’une enquête en bonne et due forme montrant que
l’État s’est acquitté de ses obligations en vertu de l’article 6131. Les États parties ont
également une obligation particulière d’enquêter sur les allégations de violation de
l’article 6 chaque fois que les autorités de l’État ont ou semblent avoir fait usage d’armes à
feu ou d’un autre type de force potentiellement meurtrière en dehors du contexte immédiat
d’un conflit armé, par exemple lorsque des tirs à balles réelles ont été dirigés sur des
manifestants132 ou lorsque des civils ont été retrouvés morts dans des circonstances
correspondant à un ensemble de violations présumées du droit à la vie par les autorités
de l’État133.
30. L’obligation de respecter et de garantir le droit à la vie exige des États parties qu’ils
s’abstiennent d’expulser, d’extrader ou de transférer par d’autres moyens des personnes
vers des pays où il existe des motifs sérieux de penser qu’elles seront exposées à un risque
réel de violation de leur droit à la vie protégé par l’article 6 du Pacte134. Un tel risque doit
être couru personnellement135 et ne saurait simplement être déduit de la situation générale
qui prévaut dans l’État de destination, sauf dans les cas les plus extrêmes136. Par exemple,
comme cela est expliqué au paragraphe 34 ci-dessous, il serait contraire à l’article 6
d’extrader une personne depuis un pays qui a aboli la peine de mort vers un pays où cette
peine pourrait lui être infligée137. De même, il serait incompatible avec l’article 6 d’expulser
une personne vers un pays dans lequel une fatwa a été prononcée contre elle par les
autorités religieuses locales sans avoir vérifié que la fatwa n’est guère susceptible d’être
appliquée138, ou d’expulser une personne vers un pays extrêmement violent dans lequel elle
n’a jamais vécu, où elle n’a pas de liens sociaux ou familiaux et dont elle ne parle pas la
langue139. En cas de risque présumé pour la vie de la personne renvoyée émanant des
autorités de l’État de destination, la situation de la personne renvoyée et les conditions dans
l’État de destination doivent être évaluées, entre autres, sur la base de l’intention exprimée
par les autorités de ce pays, de leur comportement habituel dans des cas similaires140 et de
la possibilité d’obtenir des assurances crédibles et effectives quant au but qu’elles
poursuivent. Lorsque le risque présumé pour la vie émane d’acteurs non étatiques ou
d’États étrangers agissant sur le territoire de l’État de destination, il est possible de solliciter
des assurances crédibles et effectives de protection auprès des autorités de l’État de
destination et d’étudier les possibilités de refuge à l’intérieur du pays. S’il s’appuie sur des
assurances données par l’État de destination concernant le traitement qui sera réservé à
l’intéressé après son renvoi, l’État expulsant devrait mettre en place des mécanismes
adéquats permettant de s’assurer que les garanties données seront respectées dès le moment
de ce renvoi141.
31. L’obligation de ne pas extrader, expulser ou transférer par d’autres moyens énoncée
à l’article 6 du Pacte peut avoir une portée plus vaste que le principe de non-refoulement
dans le droit international relatif aux réfugiés, car elle peut exiger également la protection
d’étrangers n’ayant pas droit au statut de réfugié. Les États parties doivent toutefois
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permettre à tous les requérants d’asile qui font valoir un risque réel de violation de leur
droit à la vie dans leur État d’origine d’avoir accès à des procédures de détermination du
statut de réfugié ou d’un autre statut individuel ou collectif pouvant leur offrir une
protection contre le refoulement142.
IV. Imposition de la peine de mort
32. Les paragraphes 2, 4, 5 et 6 de l’article 6 régissent l’imposition de la peine de mort
dans les pays qui ne l’ont pas encore abolie.
33. Le paragraphe 2 de l’article 6 limite strictement l’application de la peine de mort,
premièrement aux États parties qui ne l’ont pas abolie et deuxièmement aux crimes les plus
graves. Vu qu’il serait incongru de réglementer l’application de la peine de mort dans un
instrument qui consacre le droit à la vie, le contenu du paragraphe 2 doit faire l’objet d’une
interprétation étroite143.
34. Les États parties au Pacte qui ont aboli la peine de mort, en modifiant leurs lois
nationales, en devenant parties au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte,
visant à abolir la peine de mort, ou en adoptant un autre instrument international qui les
oblige à abolir la peine capitale, n’ont pas le droit de la réintroduire. Comme le Pacte, le
deuxième Protocole facultatif ne contient pas de dispositions relatives à son extinction et les
États parties ne peuvent pas le dénoncer. L’abolition de la peine de mort est donc
juridiquement irrévocable. De plus, les États parties ne peuvent pas transformer en une
infraction passible de la peine de mort une infraction qui, au moment de la ratification du
Pacte ou à quelque moment que ce soit après cette ratification, n’emportait pas cette peine.
Ils ne peuvent pas non plus supprimer les critères juridiques associés à une infraction
existante si cela a pour effet de rendre possible l’imposition de la peine de mort dans des cas
où elle ne l’était pas auparavant. Les États parties qui ont aboli la peine de mort ne peuvent
pas expulser, extrader ou transférer par d’autres moyens une personne vers un pays où elle
est accusée d’infractions pénales passibles de la peine de mort, à moins qu’ils n’aient obtenu
des assurances crédibles et effectives quant au fait que la peine de mort ne sera pas
imposée144. Dans le même ordre d’idées, en vertu de leur obligation de ne pas réintroduire la
peine de mort pour une infraction donnée, les États parties ne peuvent pas expulser, extrader
ni transférer par d’autres moyens une personne vers un pays où il est prévu qu’elle soit jugée
pour une infraction passible de la peine de mort si la même infraction n’emporte pas cette
peine dans l’État expulsant, à moins qu’ils n’aient obtenu des assurances crédibles et
effectives quant au fait que l’intéressé ne risquera pas la peine de mort.
35. L’expression « les crimes les plus graves » doit être comprise de manière
restrictive145 et s’entendre uniquement des crimes d’une extrême gravité146, impliquant un
homicide intentionnel147. Les crimes qui n’ont pas la mort pour résultat direct et
intentionnel148 tels que la tentative de meurtre149, la corruption et autres infractions
économiques et politiques150, le vol à main armée151, les actes de piraterie152, les
enlèvements153, les infractions liées à la drogue154 et les infractions sexuelles, bien qu’ils
soient de nature grave, ne peuvent jamais servir de fondement, au regard de l’article 6, pour
imposer la peine de mort. Dans le même ordre d’idées, un degré limité de participation ou
de complicité, même dans la perpétration de crimes parmi les plus graves, par exemple le
fait de fournir le moyen physique de commettre un meurtre, ne saurait justifier l’imposition
de la peine de mort. Les États parties ont l’obligation de revoir leurs lois pénales pour
veiller à ce que la peine de mort ne soit pas imposée pour les crimes qui ne font pas partie
des crimes les plus graves155. Ils devraient aussi annuler les condamnations à mort
prononcées pour des crimes ne faisant pas partie des crimes les plus graves et engager les
procédures judiciaires nécessaires pour prononcer de nouvelles peines à l’égard des
personnes reconnues coupables de tels crimes.
36. La peine de mort ne peut en aucune circonstance être appliquée à titre de sanction
d’un comportement dont la criminalisation elle-même constitue une violation du Pacte,
notamment l’adultère, l’homosexualité, l’apostasie156, la création de groupes d’opposition
politique157 ou le fait d’offenser un chef d’État158. Les États parties qui maintiennent la
peine de mort pour de telles infractions manquent à leurs obligations au regard de l’article 6
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du Pacte, pris isolément et lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 2, ainsi que
d’autres dispositions du Pacte.
37. Dans toutes les affaires où la peine de mort risque d’être appliquée, la situation
personnelle de l’auteur de l’infraction et les circonstances particulières ayant entouré la
commission de l’infraction, y compris les circonstances atténuantes spécifiques159, doivent
être examinées par la juridiction de jugement. Ainsi, les peines de mort obligatoires qui ne
laissent aux juridictions nationales aucune latitude s’agissant de qualifier l’infraction de
crime justifiant la peine de mort et de prononcer la peine capitale dans la situation
particulière de l’auteur de l’infraction, sont arbitraires par nature160. Le droit de solliciter
une grâce ou une commutation en faisant valoir des circonstances particulières propres à
l’affaire ou à l’accusé n’est pas un substitut adéquat à la discrétion judiciaire nécessaire
dans l’application de la peine de mort161.
38. Le paragraphe 2 de l’article 6 exige également des États parties qu’ils veillent à ce
que toute condamnation à mort soit prononcée « conformément à la législation en vigueur
au moment où le crime a été commis ». Cette application du principe de légalité complète et
réaffirme l’application du principe nulla poena sine lege énoncé au paragraphe 1 de
l’article 15 du Pacte. Il s’ensuit que la peine de mort ne peut jamais être imposée si
l’infraction n’en était pas passible en vertu de la loi au moment où elle a été commise.
L’imposition de la peine de mort ne peut non plus être fondée sur des dispositions pénales
dont la définition est vague162 et dont l’application à la personne reconnue coupable est
fonction de considérations subjectives ou discrétionnaires163 dont la prise en compte n’est
pas raisonnablement prévisible164. En revanche, l’abolition de la peine de mort devrait
s’appliquer de manière rétroactive aux personnes accusées ou reconnues coupables d’une
infraction passible de cette peine, conformément au principe de la loi la plus favorable
(lex mitior), partiellement énoncé dans la troisième phrase du paragraphe 1 de l’article 15,
où il est demandé aux États parties de faire bénéficier les délinquants des peines plus
légères éventuellement prévues par la loi après la commission de l’infraction. L’application
rétroactive de l’abolition de la peine de mort à toutes les personnes accusées ou reconnues
coupables d’une infraction passible de cette peine découle également de l’impossibilité de
justifier l’imposition de la peine de mort une fois que cette peine a été abolie.
39. Le paragraphe 3 de l’article 6 rappelle à tous les États parties qui sont également
parties à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide leurs
obligations de prévention et de répression du crime de génocide, qui comprennent
l’obligation de prévenir et de punir toute privation de la vie faisant partie d’un crime de
génocide. La peine de mort ne peut en aucune circonstance être imposée dans le cadre
d’une politique de génocide visant les membres d’un groupe national, ethnique, racial
ou religieux.
40. Les États parties qui n’ont pas aboli la peine de mort doivent respecter l’article 7 du
Pacte, qui interdit certaines méthodes d’exécution. Le non-respect de l’article 7 ne peut que
rendre l’exécution arbitraire et, partant, constituer en outre une violation de l’article 6. Le
Comité a déjà considéré que la lapidation165, l’injection de drogues létales n’ayant pas fait
l’objet de tests166, les chambres à gaz167, le fait de brûler ou d’enterrer le condamné vivant168
et les exécutions publiques169 étaient contraires à l’article 7. Pour des raisons similaires, les
autres méthodes d’exécution douloureuses et humiliantes sont également illicites au regard
du Pacte. Le fait de ne pas informer dès que possible un condamné à mort de la date de son
exécution constitue, en règle générale, une forme de mauvais traitement qui rend ensuite
l’exécution contraire à l’article 7 du Pacte170. Un retard extrême dans l’application d’une
condamnation à mort, qui dépasse le délai raisonnablement nécessaire pour épuiser toutes
les voies de recours171, peut également constituer une violation de l’article 7 du Pacte,
surtout si la longue période passée dans le couloir de la mort expose le condamné à une
situation éprouvante172 ou stressante, notamment à l’isolement cellulaire173, et lorsque le
condamné est particulièrement vulnérable en raison de facteurs tels que son âge, sa santé ou
son état mental174.
41. Une violation des garanties d’une procédure régulière énoncées à l’article 14 du
Pacte qui aboutirait à l’imposition de la peine de mort rendrait la condamnation arbitraire,
et contraire à l’article 6 du Pacte175. De telles violations peuvent consister en l’utilisation
d’aveux forcés176, l’impossibilité pour l’accusé d’interroger des témoins importants177,
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l’absence de représentation effective, ce qui englobe les entretiens confidentiels entre
l’avocat et son client à tous les stades de la procédure pénale178, y compris
l’interrogatoire179, l’audience préliminaire180, le procès181 et l’appel182, le non-respect de la
présomption d’innocence, qui peut conduire à placer l’accusé dans une cage ou à le
menotter pendant le procès183, l’absence d’un droit effectif d’appel184, l’absence du temps et
des facilités nécessaires à la préparation de la défense, y compris l’impossibilité d’avoir
accès à des documents juridiques essentiels pour assurer la défense ou faire appel, par
exemple les requêtes adressées au tribunal par le procureur185, le jugement prononcé par le
tribunal186 ou les minutes du procès, l’absence de services d’interprétation adéquats187, le
fait de ne pas mettre à la disposition des personnes handicapées des documents accessibles
et de ne pas prévoir pour elles des aménagements procéduraux, les retards excessifs et
injustifiés pendant le procès188 ou la procédure d’appel189 et le manque général d’équité de
la procédure pénale190 ou le manque d’indépendance ou d’impartialité de la juridiction de
jugement ou d’appel.
42. D’autres vices de procédure graves qui ne sont pas expressément visés à l’article 14
du Pacte peuvent néanmoins rendre l’imposition de la peine de mort contraire à l’article 6.
Par exemple, le fait de ne pas informer rapidement un détenu étranger de son droit à
notification consulaire en vertu de la Convention de Vienne sur les relations consulaires,
aboutissant à l’imposition de la peine de mort191, et le fait de ne pas donner à une personne
sur le point d’être expulsée vers un pays où l’existence d’un risque réel pour sa vie est
alléguée la possibilité de se prévaloir des procédures de recours disponibles192
constitueraient une violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.
43. L’exécution de condamnés dont la culpabilité n’a pas été établie au-delà de tout
doute raisonnable constitue également une privation arbitraire de la vie. Les États parties
doivent donc prendre toutes les mesures possibles pour éviter les condamnations
injustifiées dans les affaires où l’accusé est passible de la peine de mort193, reconsidérer les
obstacles procéduraux au réexamen des déclarations de culpabilité et réexaminer les
déclarations de culpabilité sur la base de nouveaux éléments de preuve, y compris de
nouveaux échantillons d’ADN. Les États parties devraient également, pour ce qui concerne
l’appréciation des éléments de preuve dans les affaires où l’accusé est passible de la peine
de mort, tenir compte de nouvelles études crédibles, y compris des études suggérant qu’il
existe un certain nombre de faux aveux et que les témoignages oculaires ne sont pas
toujours fiables.
44. La peine de mort ne doit pas être imposée de manière discriminatoire, ce qui serait
contraire aux exigences du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte. Les
données suggérant que les membres de minorités religieuses, raciales ou ethniques, les
personnes démunies ou les ressortissants étrangers courent un risque disproportionné d’être
condamnés à mort peuvent indiquer une inégalité en matière d’application de la peine de
mort, ce qui soulève des préoccupations au regard du paragraphe 1 de l’article 2 lu
conjointement avec l’article 6, ainsi qu’au regard de l’article 26194.
45. Selon la dernière phrase du paragraphe 2 de l’article 6, la peine de mort ne peut être
appliquée qu’en vertu d’un jugement rendu par un tribunal compétent. Ce tribunal doit être
établi par la loi au sein du système judiciaire, être indépendant des pouvoirs exécutif et
législatif et être impartial195. Il doit avoir été établi avant la commission de l’infraction. En
règle générale, les civils ne doivent pas être jugés par des tribunaux militaires pour des
infractions passibles de la peine de mort196, et les personnels militaires ne peuvent être jugés
pour de telles infractions que par des tribunaux offrant toutes les garanties d’une procédure
équitable. Par ailleurs, le Comité ne considère pas que les juridictions coutumières
constituent des institutions judiciaires offrant suffisamment de garanties d’une procédure
régulière pour être en mesure de juger les crimes emportant la peine capitale. L’imposition
d’une peine de mort sans aucun procès, par exemple sous la forme d’un édit religieux197 ou
d’un ordre militaire que l’État compte appliquer ou dont il autorise l’application, constitue
une violation de l’article 6 et de l’article 14 du Pacte.
46. Une peine de mort ne peut être appliquée qu’en vertu d’un jugement définitif, après
que la possibilité de recourir à toutes les procédures judiciaires d’appel a été offerte à la
personne condamnée, et après que tous les recours non judiciaires disponibles ont été
examinés, notamment le recours au titre de la procédure de contrôle présenté au ministère
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public ou aux tribunaux, et la demande de grâce officielle ou privée. En outre, une
condamnation à mort ne doit pas être appliquée tant que des mesures internationales
provisoires ayant un effet suspensif sont en vigueur. De telles mesures ont pour but de
permettre un réexamen de la condamnation par des juridictions internationales, des cours et
commissions des droits de l’homme et des organes internationaux de surveillance tels que
les organes conventionnels de l’ONU. La non-application de ces mesures provisoires est
incompatible avec l’obligation de respecter de bonne foi les procédures établies en vertu
des instruments spécifiques régissant les travaux des organes internationaux compétents198.
47. Le paragraphe 4 de l’article 6 exige des États parties qu’ils autorisent tout condamné
à mort à solliciter la grâce ou la commutation de la peine, qu’ils veillent à ce que l’amnistie,
la grâce ou la commutation lui soit accordée dans les circonstances appropriées et qu’ils
s’assurent que la peine ne soit pas exécutée avant que les demandes de grâce ou de
commutation n’aient été véritablement examinées et dûment tranchées conformément aux
procédures applicables199. Aucune catégorie de condamnés ne peut être a priori privée de
ces mesures de clémence et les conditions à remplir pour en bénéficier ne devraient pas les
rendre inopérantes ni être inutilement contraignantes, de nature discriminatoire ou imposées
de manière arbitraire200. Le paragraphe 4 de l’article 6 ne prévoit pas de procédure
particulière pour l’exercice du droit de solliciter la grâce ou la commutation de peine, et les
États parties conservent donc une certaine latitude en la matière201. Cependant, ces
procédures devraient être définies dans la législation nationale202 et ne devraient pas
conférer aux familles des victimes d’infractions criminelles un rôle prépondérant pour ce
qui est de déterminer si la peine de mort doit être appliquée203. De surcroît, les procédures
relatives à la grâce ou la commutation de peine doivent offrir certaines garanties
essentielles, notamment la transparence au sujet des modalités suivies et des critères de
fond retenus et le droit des personnes condamnées à mort d’engager une procédure de
demande de grâce ou de commutation et d’exposer leur situation personnelle ou d’autres
circonstances pertinentes, d’être informé à l’avance de la date à laquelle la demande sera
examinée et d’être informé sans délai de l’issue de la procédure204.
48. Le paragraphe 5 de l’article 6 interdit d’imposer la peine de mort à une personne qui
avait moins de 18 ans au moment de la commission de l’infraction205. Cela signifie
nécessairement que cette personne ne sera jamais condamnée à mort pour cette infraction,
quel que soit son âge au moment de la condamnation ou à la date prévue pour l’exécution
de sa peine206. En l’absence d’élément prouvant de manière fiable et concluante que
l’intéressé n’était pas âgé de moins de 18 ans au moment où l’infraction a été commise, il
ou elle a droit au bénéfice du doute et la peine de mort ne peut être imposée207. Le
paragraphe 5 de l’article 6 interdit également aux États parties d’appliquer la peine de mort
à une femme enceinte.
49. Les États parties doivent s’abstenir d’imposer la peine de mort à des personnes qui,
par rapport aux autres, ont des difficultés particulières pour se défendre elles-mêmes,
comme les personnes qui présentent un grave handicap psychosocial ou intellectuel qui les
empêche de se défendre effectivement208 et les personnes dont la responsabilité morale est
limitée. Ils devraient également s’abstenir d’exécuter des personnes qui ont une moindre
aptitude à comprendre les raisons de leur condamnation, et celles dont l’exécution serait
exceptionnellement cruelle ou aurait des conséquences exceptionnellement sévères pour
elles-mêmes et leur famille, comme les personnes d’un âge avancé209, les parents d’enfants
très jeunes ou dépendants et les personnes qui ont subi de graves violations des droits de
l’homme dans le passé210.
50. Le paragraphe 6 de l’article 6 réaffirme la position selon laquelle les États parties
qui ne sont pas encore totalement abolitionnistes devraient être engagés de manière
irréversible vers l’élimination complète de la peine de mort, de facto et de jure, dans un
futur prévisible. La peine de mort n’est pas conciliable avec le plein respect du droit à la
vie, et son abolition est à la fois souhaitable211 et nécessaire pour la promotion de la dignité
humaine et la réalisation progressive des droits de l’homme212. Il est contraire à l’objet et au
but de l’article 6 que les États parties prennent des dispositions pour augmenter de facto le
taux d’utilisation de la peine de mort ainsi que la mesure dans laquelle ils ont recours à
cette peine213 ou qu’ils réduisent le nombre de grâces et de commutations de peine qu’ils
accordent.
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51. Si l’allusion aux conditions de l’application de la peine de mort, au paragraphe 2 de
l’article 6, donne à penser qu’au moment de la rédaction du Pacte, les États parties ne
considéraient pas tous la peine de mort comme une peine cruelle, inhumaine ou dégradante
en soi214, les accords ultérieurs conclus par les États parties ou la pratique ultérieure
établissant de tels accords peuvent conduire à la conclusion que la peine de mort est
contraire à l’article 7 du Pacte en toutes circonstances215. Le nombre croissant d’États
parties au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de
mort, ou à d’autres instruments internationaux interdisant l’imposition ou l’application de la
peine de mort, et le nombre croissant d’États non abolitionnistes qui ont néanmoins adopté
un moratoire de facto sur les exécutions suggèrent que des progrès considérables peuvent
avoir été faits vers l’émergence, entre les États parties, d’un accord sur l’idée que la peine
de mort constitue une forme de peine cruelle, inhumaine ou dégradante216. Une telle
évolution juridique est conforme à l’esprit abolitionniste du Pacte, qui se dégage,
notamment, du texte du paragraphe 6 de l’article 6 et du deuxième Protocole facultatif.
V. Relation entre l’article 6 et d’autres articles du Pacte
ainsi que d’autres régimes juridiques
52. Les critères et garanties énoncés à l’article 6 se recouvrent et sont en outre en
relation avec d’autres dispositions du Pacte. Certains types de comportement constituent
une violation à la fois de l’article 6 et d’un autre article. Par exemple, l’application de la
peine de mort pour une infraction qui ne fait pas partie des crimes les plus graves
(voir aussi par. 35 ci-dessous) enfreindrait à la fois le paragraphe 2 de l’article 6 et, compte
tenu de la nature extrême de la peine, l’article 7217. Dans d’autres cas, la teneur du
paragraphe 1 de l’article 6 est éclairée par celle d’autres articles. Par exemple, l’application
de la peine de mort peut constituer une privation arbitraire de la vie au regard de l’article 6
du fait qu’elle représente une sanction de l’exercice du droit à la liberté d’expression, ce qui
est contraire à l’article 19.
53. L’article 6 renforce également l’obligation qu’ont les États parties en vertu du Pacte
et du Protocole facultatif de protéger contre toutes représailles les personnes qui oeuvrent à
la promotion, à la protection et à la réalisation des droits de l’homme, notamment en
coopérant ou en communiquant avec le Comité218. Les États parties doivent prendre les
mesures nécessaires pour réagir aux menaces de mort et fournir une protection adéquate
aux défenseurs des droits de l’homme219, et notamment créer et maintenir un environnement
sûr et propice à la défense des droits de l’homme.
54. Les actes de torture et autres mauvais traitements, qui peuvent gravement affecter la
santé physique et mentale des personnes qui en sont victimes, peuvent aussi créer un risque
de privation de la vie. En outre, toute déclaration de culpabilité pénale entraînant la peine
de mort qui repose sur des informations obtenues par la torture ou d’autres traitements
cruels, inhumains ou dégradants infligés à une personne lors de son interrogatoire constitue
une violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, ainsi que de
l’article 6 (voir aussi par. 41 ci-dessus)220.
55. Le renvoi d’une personne vers un pays où il existe des motifs sérieux de penser
qu’elle serait exposée à un risque réel pour sa vie constitue une violation des articles 6 et 7
du Pacte (voir aussi par. 31 ci-dessus)221. De plus, le fait de laisser une personne qui a été
condamnée à mort croire que la peine a été commuée pour l’informer ensuite qu’il n’en est
rien222, ou de placer une personne dans le couloir de la mort en application d’une
condamnation qui est nulle ab initio223, est contraire à la fois à l’article 6 et à l’article 7.
56. La privation arbitraire de la vie d’une personne peut causer à ses proches des
souffrances psychologiques, ce qui peut constituer une violation de leurs droits au titre de
l’article 7 du Pacte. De plus, même lorsque la privation de la vie n’est pas arbitraire, le fait
de ne pas donner aux proches d’une personne des informations sur les circonstances de sa
mort peut constituer une violation de leurs droits au titre de l’article 7224, de même que le
fait de ne pas les informer du lieu où se trouve le corps225 et, lorsque la peine de mort est
appliquée, de la date à laquelle l’État partie prévoit de l’exécuter226. Les proches d’une
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personne privée de sa vie par l’État doivent se voir restituer sa dépouille si telle est leur
volonté227.
57. Le droit à la vie garanti à l’article 6 du Pacte, y compris le droit à la protection de la
vie au titre du paragraphe 1 de l’article 6, peut recouper le droit à la sécurité de la personne
garanti au paragraphe 1 de l’article 9. Les formes extrêmes de détention arbitraire qui
constituent en elles-mêmes une menace pour la vie, en particulier les disparitions forcées,
constituent une violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne et sont
incompatibles avec le droit à la vie (voir aussi par. 58 ci-dessous)228. Le non-respect des
garanties de procédure énoncées aux paragraphes 3 et 4 de l’article 9 et destinées notamment
à prévenir les disparitions peut également constituer une violation de l’article 6229.
58. La disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes et d’omissions
représentant une grave menace pour la vie230. Le fait de priver une personne de liberté puis
de refuser de reconnaître cette privation de liberté ou de dissimuler le sort réservé à la
personne disparue revient à soustraire cette personne à la protection de la loi et fait peser
sur sa vie un risque constant et grave, dont l’État est responsable231. Il constitue donc une
violation du droit à la vie ainsi qu’une violation d’autres droits reconnus par le Pacte, en
particulier par l’article 7 (interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants), l’article 9 (liberté et sécurité de la personne) et l’article 16 (droit
à la reconnaissance de la personnalité juridique). Les États parties doivent prendre des
mesures adéquates pour prévenir la disparition forcée et faire procéder promptement à une
enquête efficace en vue de déterminer le sort réservé à toute personne pouvant avoir été
victime de disparition forcée ainsi que le lieu où elle se trouve. Les États parties doivent
également veiller à ce que toute disparition forcée donne lieu à des sanctions pénales
appropriées et mettre en place des procédures rapides et efficaces pour que les cas de
disparition fassent l’objet d’enquêtes approfondies menées par des organes indépendants et
impartiaux232 généralement intégrés au système de justice pénale ordinaire. Ils devraient
traduire en justice les auteurs de tels actes et omissions et veiller à ce que les victimes de
disparition forcée et leurs proches soient informés des résultats de l’enquête et reçoivent
une réparation intégrale233. Les familles des victimes de disparition forcée ne devraient en
aucune circonstance être contraintes de déclarer le décès de leur proche pour pouvoir
prétendre à une réparation234. Les États parties devraient également donner aux familles des
victimes de disparition forcée les moyens de clarifier leur situation juridique vis-à-vis de la
personne disparue après l’écoulement d’un délai approprié235.
59. Il existe un lien particulier entre l’article 6 et l’article 20, lequel interdit toute
propagande en faveur de la guerre et certaines formes d’apologie constituant une incitation
à la discrimination, l’hostilité ou la violence. Un manquement à ces obligations énoncées à
l’article 20 peut également être considéré comme un manquement à l’obligation de prendre
les mesures nécessaires pour protéger le droit à la vie énoncé à l’article 6236.
60. Le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte dispose que tout enfant a droit, de la part de
sa famille, de la société et de l’État, aux mesures de protection qu’exige sa condition de
mineur. Cet article exige l’adoption de mesures spéciales visant à protéger la vie de chaque
enfant, en sus des mesures générales requises par l’article 6 pour protéger la vie de toutes
les personnes237. Lorsqu’ils prennent des mesures spéciales de protection, les États parties
devraient être guidés par l’intérêt supérieur de l’enfant238 et la nécessité d’assurer la survie,
le développement239 et le bien-être240 de tous les enfants.
61. Le droit à la vie doit être respecté et garanti sans distinction aucune, notamment de
race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre
opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation,
y compris la caste241, l’appartenance ethnique, l’appartenance à un groupe autochtone,
l’orientation sexuelle ou l’identité de genre242, le handicap243, la situation
socioéconomique244, l’albinisme245 et l’âge246. Les protections légales du droit à la vie
doivent s’appliquer de manière égale à toutes les personnes et leur assurer des garanties
effectives contre toutes les formes de discrimination, y compris les formes de
discrimination multiples et croisées247. Toute privation de la vie fondée sur une
discrimination dans la loi ou dans la pratique est ipso facto de nature arbitraire. Le
féminicide, qui constitue une forme extrême de violence fondée sur le sexe visant les filles
et les femmes, est une forme particulièrement grave d’atteinte au droit à la vie248.
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62. La dégradation de l’environnement, les changements climatiques et le
développement non durable font partie des menaces les plus urgentes et les plus graves
pour la capacité des générations présentes et futures de jouir du droit à la vie249. Les
obligations des États parties au regard du droit international de l’environnement devraient
donc éclairer la teneur de l’article 6 du Pacte, et l’obligation qu’ont les États parties de
respecter et garantir le droit à la vie devrait également éclairer leurs obligations pertinentes
au regard du droit international de l’environnement250. La mise en oeuvre de l’obligation de
respecter et garantir le droit à la vie, et en particulier à la vie dans la dignité, dépend, entre
autres, des mesures prises par les États parties pour préserver l’environnement et le protéger
contre les dommages, la pollution et les changements climatiques résultant de l’activité des
acteurs publics et privés. Les États parties devraient par conséquent veiller à ce qu’il soit
fait un usage durable des ressources naturelles, élaborer des normes environnementales de
fond et les faire appliquer, réaliser des études d’impact sur l’environnement et consulter les
États concernés au sujet des activités susceptibles d’avoir des incidences écologiques
notables, notifier aux autres États concernés les catastrophes naturelles et situations
d’urgence et coopérer avec eux, assurer un accès approprié à l’information sur les risques
environnementaux et prendre dûment en considération le principe de précaution251.
63. Eu égard au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, un État partie a l’obligation de
respecter et de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire, et à toutes les
personnes relevant de sa compétence, c’est-à-dire à toutes les personnes dont la jouissance
du droit à la vie dépend de son pouvoir ou de son contrôle effectif, les droits reconnus à
l’article 6252. Cela inclut les personnes se trouvant à l’extérieur de tout territoire
effectivement contrôlé par l’État mais dont le droit à la vie est néanmoins affecté par ses
activités militaires ou autres de manière directe et raisonnablement prévisible (voir par. 22
ci-dessus)253. Les États ont également l’obligation, au regard du droit international, de ne
pas apporter leur aide ou leur assistance à des activités menées par d’autres États ou par des
acteurs non étatiques qui constituent une violation du droit à la vie254. Les États parties
doivent en outre respecter et protéger la vie des personnes se trouvant dans des lieux dans
lesquels ils exercent un contrôle effectif, comme des territoires occupés, ou dans des
territoires où ils ont contracté une obligation internationale d’application du Pacte. Les
États parties sont aussi tenus de respecter et de protéger la vie de toutes les personnes se
trouvant à bord de navires ou d’aéronefs enregistrés par eux ou battant leur pavillon, et
celle des personnes qui se trouvent dans une situation de détresse en mer, conformément à
leurs obligations internationales relatives aux secours en mer255. Étant donné que la
privation de liberté place l’intéressé sous le contrôle effectif de l’État, les États parties
doivent respecter et protéger le droit à la vie de toutes les personnes qu’ils arrêtent ou
mettent en détention, même en dehors de leur territoire256.
64. Comme le reste du Pacte, l’article 6 demeure également applicable dans les
situations de conflit armé régies par les règles du droit international humanitaire, y compris
à la conduite des hostilités257. Si les règles du droit international humanitaire peuvent être
pertinentes pour l’interprétation et l’application de l’article 6 lorsque la situation rend leur
application nécessaire, ces deux sphères du droit ne s’excluent pas mutuellement mais sont
complémentaires258. Une utilisation de la force létale conforme au droit international
humanitaire et aux autres normes de droit international applicables est, en règle générale,
non arbitraire. Par contre, les pratiques contraires au droit international humanitaire, qui
représentent un risque pour la vie de civils ou d’autres personnes protégées par le droit
international humanitaire, notamment le fait de prendre pour cible des civils, des biens
civils ou des biens indispensables à la survie de la population civile, les attaques aveugles,
le fait de ne pas appliquer les principes de précaution et de proportionnalité, et l’utilisation
de boucliers humains constitueraient également une violation de l’article 6 du Pacte259. Les
États parties devraient, en général, faire connaître les critères retenus pour l’utilisation de la
force létale contre des personnes ou des objets dont la prise pour cible aura pour résultat
prévisible la privation de la vie, y compris le fondement juridique de certaines attaques, la
procédure d’identification d’objectifs militaires et de combattants ou de personnes
participant activement aux hostilités, les circonstances dans lesquelles les moyens et
méthodes de guerre concernés ont été employés260 et le point de savoir si d’autres solutions
moins agressives ont été envisagées. Ils doivent également enquêter sur les allégations ou
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soupçons de violations de l’article 6 dans les situations de conflit armé conformément aux
normes internationales pertinentes (voir par. 27 et 28 ci-dessus)261.
65. Les États parties qui participent au déploiement, à l’utilisation, à la vente ou à
l’achat d’armes existantes et à l’étude, l’élaboration, l’acquisition ou l’adoption de
nouvelles armes et de nouveaux moyens ou méthodes de combat doivent toujours prendre
en considération les incidences de ces dispositifs sur le droit à la vie262. Par exemple, la
fabrication de systèmes d’armes autonomes dépourvus de la compassion et du discernement
propres aux humains soulève de difficiles questions juridiques et éthiques en lien avec le
droit à la vie, ayant trait notamment à la responsabilité juridique engagée par l’utilisation de
ces systèmes. C’est pourquoi le Comité est d’avis que de tels systèmes d’armement ne
devraient pas être fabriqués et mis en service, que ce soit en temps de guerre ou en temps de
paix, à moins qu’il ait été établi que leur utilisation est conforme à l’article 6 et aux autres
normes du droit international pertinentes263.
66. Le recours ou la menace de recours à des armes de destruction massive, en
particulier des armes nucléaires, qui frappent aveuglément et peuvent détruire la vie
humaine à une échelle catastrophique, est incompatible avec le respect du droit à la vie et
peut constituer un crime au regard du droit international. Les États parties doivent prendre
toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la prolifération d’armes de destruction
massive, y compris pour en empêcher l’acquisition par des acteurs non étatiques, s’abstenir
d’élaborer, de fabriquer, de tester, d’acquérir, de stocker, de vendre, de transférer et
d’utiliser de telles armes, détruire les stocks existants, et prendre des mesures adéquates de
protection contre leur usage accidentel, tout cela conformément à leurs obligations
internationales264. Ils doivent également s’acquitter de leurs obligations internationales de
poursuivre de bonne foi des négociations conduisant au désarmement nucléaire sous un
contrôle international strict et efficace265 et d’accorder une réparation adéquate aux victimes
dont le droit à la vie a subi ou subit les incidences négatives de l’essai ou de l’utilisation
d’armes de destruction massive, conformément aux principes de la responsabilité
internationale266.
67. L’article 6 figure dans la liste des droits non susceptibles de dérogation au
paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte. Ainsi, les garanties contre la privation arbitraire de la
vie énoncées à l’article 6 continuent de s’appliquer dans toutes les circonstances, y compris
les situations de conflit armé et autres situations de danger public exceptionnel267.
L’existence et la nature d’un danger public exceptionnel qui menace l’existence de la nation
peuvent toutefois constituer un facteur pertinent pour déterminer si un acte ou une omission
donné conduisant à la privation de la vie est arbitraire et pour déterminer la portée des
mesures positives que les États parties doivent prendre. Bien que certains droits consacrés
par le Pacte autres que le droit à la vie puissent faire l’objet d’une dérogation, les droits
susceptibles de dérogation qui favorisent l’application de l’article 6 ne doivent pas être
affaiblis par des mesures de dérogation268. Il s’agit notamment de garanties procédurales,
telles que le droit à un procès équitable dans les affaires où la peine de mort risque d’être
prononcée, et de mesures accessibles et efficaces pour faire valoir des droits, comme
l’obligation de prendre toutes les mesures appropriées pour enquêter sur les violations du
droit à la vie, poursuivre et sanctionner les responsables et assurer réparation aux victimes.
68. Les réserves ayant trait aux obligations impératives et non dérogeables énoncées à
l’article 6 sont incompatibles avec l’objet et le but du Pacte. En particulier, aucune réserve
n’est autorisée à l’égard de l’interdiction de la privation arbitraire de la vie ni aux limites
strictes fixées à l’article 6 en ce qui concerne l’application de la peine de mort269.
69. Les guerres et autres actes de violence massive demeurent pour l’humanité un fléau
qui ôte chaque année la vie à de nombreux milliers de personnes270. Les efforts accomplis
pour prévenir les risques de guerre et de toute autre forme de conflit armé et pour renforcer
la paix et la sécurité internationales font partie des garanties les plus importantes du droit à
la vie271.
70. Les États parties qui participent à des actes d’agression tels que définis en droit
international, ayant pour conséquence la privation de la vie, commettent ipso facto une
violation de l’article 6 du Pacte. Il est par ailleurs rappelé à tous les États qu’ils ont la
responsabilité, en tant que membres de la communauté internationale, de protéger les vies
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et de s’opposer aux atteintes généralisées ou systématiques au droit à la vie272, y compris
aux actes d’agression, au terrorisme international, au génocide, aux crimes contre
l’humanité et aux crimes de guerre, en respectant toutes les obligations qui leur incombent
en vertu du droit international. Les États parties qui omettent de prendre toutes les mesures
raisonnables pour régler leurs différends internationaux par des moyens pacifiques
pourraient ne pas s’acquitter pleinement de leur obligation positive de garantir le droit à
la vie.
Note
1 International Covenant on Civil and Political Rights, art. 4; Human Rights Committee, general
comment No. 6 (1982) on the right to life, para. 1; general comment No. 14 (1984) on the right to life,
para. 1; Camargo v. Colombia, communication No. 45/1979, para. 13.1; Baboeram-Adhin et al. v.
Suriname, communications Nos. 146/1983 and 148–154/1983, para. 14.3.
2 Universal Declaration of Human Rights, preamble.
3 Camargo v. Colombia, para. 13.2.
4 Human Rights Committee, general comment No. 35 (2014) on liberty and security of person, paras. 9
and 55.
5 Human Rights Committee, general comment No. 31 (2004) on the nature of the general legal
obligation imposed on States parties to the Covenant, para. 8. See also European Court of Human
Rights, Osman v. United Kingdom (case No. 87/1997/871/1083), judgment of 28 October 1998, para.
116.
6 Chongwe v. Zambia (CCPR/C/70/D/821/1998), para. 5.2. See also European Court of Human Rights,
İlhan v. Turkey (application No. 22277/93), judgment of 27 June 2000, paras. 75–76; Inter-American
Court of Human Rights, Rochela massacre v. Colombia, judgment of 11 May 2007, para. 127.
7 Mellet v. Ireland (CCPR/C/116/D/2324/2013), paras. 7.4–7.8; CCPR/C/IRL/CO/4, para. 9.
8 Human Rights Committee, general comment No. 28 (2000) on the equality of rights between men and
women, para. 10. See also, e.g., CCPR/C/ARG/CO/4, para. 13; CCPR/C/JAM/CO/3, para. 14;
CCPR/C/MDG/CO/3, para. 14.
9 CCPR/C/79/Add.97, para. 15.
10 See, e.g., CCPR/CO/79/GNQ, para. 9; CCPR/C/ZMB/CO/3, para. 18; CCPR/C/COL/CO/7, para. 21;
CCPR/C/MAR/CO/6, para. 22; CCPR/C/CMR/CO/5, para. 22.
11 See, e.g., CCPR/C/PAN/CO/3, para. 9; CCPR/C/MKD/CO/3, para. 11. See also World Health
Organization, Safe abortion: technical and policy guidance for health systems, 2nd ed. (Geneva,
2012), pp. 96–97.
12 CCPR/C/POL/CO/7, para. 24; CCPR/C/COL/CO/7, para. 21.
13 CCPR/C/CHL/CO/6, para. 15; CCPR/C/KAZ/CO/1, para. 11; CCPR/C/ROU/CO/5, para. 26.
14 CCPR/C/LKA/CO/5, para. 10; CCPR/C/MWI/CO/1/Add.1, para. 9; CCPR/C/ARG/CO/5, para. 12.
15 CCPR/C/POL/CO/6, para. 12; CCPR/C/COD/CO/4, para. 22.
16 CCPR/C/PAK/CO/1, para. 16; CCPR/C/BFA/CO/1, para. 20; CCPR/C/NAM/CO/2, para. 16.
17 CCPR/C/PAK/CO/1, para. 16.
18 Committee on the Rights of the Child, general comment No. 4 (2003) on adolescent health and
development in the context of the Convention, para. 11.
19 CCPR/C/79/Add.92, para. 11.
20
Committee on Economic, Social and Cultural Rights
,
general comment No. 14 (2000) on the right to
the highest attainable standard of health, para. 25.
21 CCPR/C/NLD/CO/4, para. 7.
22 Universal Declaration of Human Rights, preamble.
23 African Commission on Human and Peoples’ Rights, General Comment No. 3 on the African Charter
on Human and Peoples’ Rights: The Right to Life (Article 4) (2015), para. 12.
24 Gorji-Dinka v. Cameroon (CCPR/C/83/D/1134/2002), para. 5.1; Van Alphen v. Netherlands,
communication No. 305/1988, para. 5.8.
25 Camargo v. Colombia, para. 13.2.
26 Ibid., paras. 13.2–13.3.
27 A/HRC/17/28, para. 60.
28 Code of Conduct for Law Enforcement Officials, commentary to art. 3.
29 Basic Principles on the Use of Force and Firearms by Law Enforcement Officials, para. 9.
30 African Commission on Human and Peoples’ Rights, Kazingachire et al v. Zimbabwe
(communication No. 295/04), decision of 12 October 2013, paras. 118–120.
31 Basic Principles on the Use of Force and Firearms by Law Enforcement Officials, para. 9.
32 European Court of Human Rights, McCann and others v. United Kingdom (application No.
18984/91), judgment of 27 September 1995, para. 150.
33 A/HRC/31/66, para. 54.
CCPR/C/GC/36
18 GE.19-15012
34 CCPR/C/NPL/CO/2, para. 10; CCPR/CO/81/LIE, para. 10.
35 CCPR/C/KEN/CO/3, para. 11; CCPR/C/CAF/CO/2, para. 12.
36 CCPR/C/USA/CO/4, para. 11; CCPR/C/USA/CO/3/Rev.1, para. 30.
37 CCPR/C/GBR/CO/6, para. 11.
38 Code of Conduct for Law Enforcement Officials, commentary to art. 1.
39 A/HRC/31/66, para. 55.
40 Basic Principles on the Use of Force and Firearms by Law Enforcement Officials (1990), para. 14.
41 CCPR/CO/74/SWE, para. 10.
42 See, in the context of armed conflicts, the Montreux Document on pertinent international legal
obligations and good practices for States related to operations of private military and security
companies during armed conflict (A/63/467-S/2008/636, annex).
43 CCPR/C/GTM/CO/3, para. 16.
44 Ibid.; Human Rights Committee, general comment No. 31, para. 15.
45 A/HRC/26/36, para. 75.
46 See, e.g., Burdyko v. Belarus (CCPR/C/114/D/2017/2010), para. 8.6.
47 Human Rights Committee, general comment No. 35, para. 22.
48 Human Rights Committee, general comment No. 6, para. 3; Camargo v. Colombia, para. 13.1.
49 Inter-American Court of Human Rights, González et al. (“Cotton Field”) v. Mexico, judgment of 16
November 2009, para. 236.
50 CCPR/CO/81/LIE, para. 10.
51 CCPR/C/MDG/CO/3, para. 17.
52 CCPR/C/TUR/CO/1, para. 13.
53 CCPR/C/MOZ/CO/1, para. 12; CCPR/C/GTM/CO/3, para. 18.
54 CCPR/C/IDN/CO/1, para. 17; CCPR/C/RUS/CO/6 and Corr.1, para. 11.
55 CCPR/C/ALB/CO/2, para. 10.
56 A/HRC/24/57, para. 31.
57 CCPR/C/RUS/CO/6 and Corr.1, para. 14.
58 Inter-American Court of Human Rights, Sawhoyamaxa Indigenous Community v. Paraguay,
judgment of 29 March 2006, para. 155.
59 Peiris et al. v. Sri Lanka (CCPR/C/103/D/1862/2009), para. 7.2.
60 CCPR/C/79/Add.93, para. 17.
61 CCPR/C/PHL/CO/4, para. 14.
62 CCPR/C/AGO/CO/1, para. 12; CCPR/C/USA/CO/4, para. 10.
63 Inter-American Court of Human Rights, Ximenes-Lopes v. Brazil, judgment of 4 July 2006, para. 96.
64 Da Silva Pimentel v. Brazil (CEDAW/C/49/D/17/2008), para. 7.5; European Court of Human Rights,
Nitecki v. Poland (application No. 65653/01), admissibility decision of 21 March 2002, and Calvelli
and Ciglio v. Italy (application No. 32967/96), judgment of 17 January 2002, para. 49.
65 CCPR/C/POL/CO/6, para. 15.
66 Yassin et al. v. Canada (CCPR/C/120/D/2285/2013), para. 6.5; CCPR/C/CAN/CO/6, para. 6;
CCPR/C/DEU/CO/6, para. 16; CCPR/C/KOR/CO/4, para. 10.
67 Guiding Principles on Business and Human Rights, principle 2.
68 Inter-American Court of Human Rights, Barrios Family v. Venezuela, judgment of 24 November
2011, para. 124.
69 CCPR/C/PRY/CO/3, para. 15.
70 CCPR/C/SRB/CO/2, para. 21; A/HRC/20/22 and Corr.1, para. 105.
71 CCPR/C/COL/CO/6, para. 14.
72 CCPR/C/HND/CO/1, para. 9.
73 CCPR/C/FRA/CO/4, para. 24.
74 Inter-American Court of Human Rights, Yakye Axa Indigenous Community v. Paraguay, judgment of
17 June 2005, para. 167.
75 CCPR/C/COL/CO/6, para. 12.
76 CCPR/C/TZA/CO/4, para. 15.
77 A/HRC/11/2, para. 68.
78 CCPR/C/KEN/CO/3, para. 12.
79 Convention on the Rights of Persons with Disabilities, art. 10.
80 Ibid., arts. 5 (3) and 9.
81 CCPR/C/AUS/CO/5, para. 21.
82 Leach v. Jamaica (CCPR/C/57/D/546/1993), para. 9.5.
83 Zhumbaeva v. Kyrgyzstan (CCPR/C/102/D/1756/2008), para. 8.6; Human Rights Committee, Dermit
Barbato v. Uruguay, communication No. 84/1981, para. 9.2.
84 Lantsova v. Russian Federation (CCPR/C/74/D/763/1997), para. 9.2.
85 Ibid.
CCPR/C/GC/36
GE.19-15012 19
86 European Court of Human Rights, Edwards v. United Kingdom (application No. 46477/99), judgment
of 14 June 2002, para. 60.
87 Convention on the Rights of Persons with Disabilities, art. 14.
88 European Court of Human Rights, Câmpeanu v. Romania (application No. 47848/08), judgment of 17
July 2014, para. 131.
89 CCPR/C/ARM/CO/2, para. 15.
90 CCPR/C/UNK/CO/1, para. 14.
91 CCPR/C/USA/CO/4, para. 10.
92 European Court of Human Rights, Öneryildiz v. Turkey (application No. 48939/00), judgment of 30
November 2004, para. 71.
93 African Commission on Human and Peoples’ Rights, Social and Economic Rights Centre (SERAC)
and Centre for Economic and Social Rights (CESR) v. Nigeria (communication No. 155/96), decision
of 27 October 2001, para. 67.
94 Inter-Agency Support Group on Indigenous Peoples’ Issues, “Lands, territories and resources”,
thematic paper towards the preparation of the 2014 World Conference on Indigenous Peoples, 22–23
September 2014, p. 4.
95 CCPR/C/KEN/CO/3, para. 9.
96 Human Rights Committee, general comment No. 6, para. 5; CCPR/C/79/Add.105, para. 12.
97 CCPR/CO/72/PRK, para. 12.
98 Toussaint v. Canada (CCPR/C/123/D/2348/2014), para. 11.3. See also CCPR/C/ISR/CO/4, para. 12.
99 CCPR/C/JAM/CO/3, para. 9.
100 CCPR/CO/71/UZB, para. 19.
101 Joint general recommendation No. 31 of the Committee on the Elimination of Discrimination against
Women/general comment No. 18 of the Committee on the Rights of the Child (2014) on harmful
practices, para. 56.
102 Human Rights Committee, general comment No. 6, para. 5; CCPR/C/COD/CO/3, para. 14.
103 CCPR/C/KGZ/CO/2, para. 13.
104 Human Rights Committee, general comment No. 31, paras. 15 and 19; Pestaño and Pestaño v.
Philippines (CCPR/C/98/D/1619/2007), para. 7.2; González v. Argentina
(CCPR/C/101/D/1458/2006), para. 9.4; CCPR/C/JAM/CO/3, para. 16. See also European Court of
Human Rights, Calvelli and Ciglio v. Italy, para. 51.
105 CCPR/C/ISR/CO/3, para. 12.
106 Sathasivam and Saraswathi v. Sri Lanka (CCPR/C/93/D/1436/2005), para. 6.4; Amirov v. Russian
Federation (CCPR/C/95/D/1447/2006), para. 11.2. See also Human Rights Committee, general
comment No. 31, paras. 16 and 18.
107 CCPR/C/AGO/CO/1, para. 14.
108 Marcellana and Gumanjoy v. Philippines (CCPR/C/94/D/1560/2007), para. 7.4.
109 E/CN.4/2006/53, para. 41.
110 A/HRC/26/36, para. 81.
111 Andreu v. Colombia (CCPR/C/55/D/563/1993), para. 8.2; Marcellana and Gumanjoy v. Philippines,
para. 7.2.
112 Human Rights Committee, general comment No. 31, para. 18; Inter-American Court of Human
Rights, Barrios Altos v. Peru, judgment of 14 March 2001, para. 43.
113 CCPR/C/CMR/CO/4, para. 15.
114 CCPR/C/BOL/CO/3, para. 15.
115 Novaković and Novaković v. Serbia (CCPR/C/100/D/1556/2007), para. 7.3; CCPR/C/RUS/CO/6 and
Corr.1, para. 14.
116 CCPR/C/MRT/CO/1, para. 13.
117 CCPR/C/GBR/CO/7, para. 8.
118 CCPR/C/ISR/CO/3, para. 9.
119 CCPR/C/GBR/CO/7, para. 8.
120 The Minnesota Protocol on the Investigation of Potentially Unlawful Death (2016) (United Nations
publication, Sales No. E.17.XIV.3), para. 10.
121 Camargo v. Colombia, para. 15.
122 The Minnesota Protocol on the Investigation of Potentially Unlawful Death (2016), para. 25; Inter-
American Court of Human Rights, Kawas-Fernández v. Honduras, judgment of 3 April 2009, para.
102.
123 The Minnesota Protocol on the Investigation of Potentially Unlawful Death (2016), para. 37.
124 A/HRC/14/24/Add.6, para. 93.
125 A/HRC/19/58/Rev.1, para. 59.
126 European Court of Human Rights, Oğur v. Turkey (application No. 21594/93), judgment of 20 May
1999, para. 92.
127 The Minnesota Protocol on the Investigation of Potentially Unlawful Death (2016), para. 35.
CCPR/C/GC/36
20 GE.19-15012
128 Ibid., para. 13; European Court of Human Rights, Ramsahai and others v. Netherlands (application
No. 52391/99), judgment of 15 May 2007, para. 353 (requiring sufficient public scrutiny of inquiry
proceedings).
129 European Court of Human Rights, Tanrikulu v. Turkey (application No. 23763/94), judgment of 8
July 1999, para. 103.
130 CCPR/C/KEN/CO/3, para. 13.
131 Eshonov v. Uzbekistan (CCPR/C/99/D/1225/2003), para. 9.2; Zhumbaeva v. Kyrgyzstan, para. 8.8;
Khadzhiyev v. Turkmenistan (CCPR/C/122/D/2252/2013), para. 7.3.
132 Umetaliev and Tashtanbekova v. Kyrgyzstan (CCPR/C/94/D/1275/2004), para. 9.4; Olmedo v.
Paraguay (CCPR/C/104/D/1828/2008), para. 7.5.
133 Amirov v. Russian Federation, para. 11.4.
134 Kindler v. Canada (CCPR/C/48/D/470/1991), paras. 13.1–13.2.
135 Dauphin v. Canada (CCPR/C/96/D/1792/2008), para. 7.4.
136 European Court of Human Rights, N.A. v. United Kingdom (application No. 25904/07), judgment of
17 July 2008, para. 115.
137 Yin Fong v. Australia (CCPR/C/97/D/1442/2005), para. 9.7.
138 Shakeel v. Canada (CCPR/C/108/D/1881/2009), para. 8.5.
139 Warsame v. Canada (CCPR/C/102/D/1959/2010), para. 8.3.
140 T. v. Australia (CCPR/C/61/D/706/1996), para. 8.4; A.R.J. v. Australia (CCPR/C/60/D/692/1996),
para. 6.12; Israil v. Kazakhstan (CCPR/C/103/D/2024/2011), para. 9.5.
141 CCPR/CO/74/SWE, para. 12; Alzery v. Sweden (CCPR/C/88/D/1416/2005), para. 11.5.
142 CCPR/C/TJK/CO/2, para. 11; CCPR/CO/77/EST, para. 13.
143 Judge v. Canada (CCPR/C/78/D/829/1998), para. 10.5.
144 Ibid., para. 10.6; Yin Fong v. Australia, para. 9.7.
145 Chisanga v. Zambia (CCPR/C/85/D/1132/2002), para. 7.4.
146 Safeguards guaranteeing protection of the rights of those facing the death penalty, para. 1.
147 Kindler v. Canada, para. 14.3; A/67/275, para. 35.
148 CCPR/C/79/Add.25, para. 8.
149 Chisanga v. Zambia, paras. 2.2 and 7.4.
150 CCPR/C/79/Add.101, para. 8; CCPR/C/79/Add.25, para. 8; CCPR/C/79/Add.85, para. 8.
151 Chisanga v. Zambia, para. 7.4; Lubuto v. Zambia (CCPR/C/55/D/390/1990/Rev.1), para. 7.2; Johnson
v. Ghana (CCPR/C/110/D/2177/2012), para. 7.3.
152 CCPR/CO/73/UK-CCPR/CO/73/UKOT, para. 37.
153 CCPR/CO/72/GTM, para. 17.
154 CCPR/CO/84/THA, para. 14.
155 Human Rights Committee, general comment No. 6, para. 6.
156 CCPR/C/MRT/CO/1, para. 21.
157 CCPR/C/LBY/CO/4, para. 24.
158 CCPR/C/79/Add.84, para. 16.
159 Lubuto v. Zambia, para. 7.2.
160 Chisanga v. Zambia, para. 7.4; Larrañaga v. Philippines (CCPR/C/87/D/1421/2005), para. 7.2;
Carpo et al. v. Philippines (CCPR/C/77/D/1077/2002), para. 8.3.
161 Thompson v. Saint Vincent and the Grenadines (CCPR/C/70/D/806/1998), para. 8.2; Kennedy v.
Trinidad and Tobago (CCPR/C/74/D/845/1998), para. 7.3.
162 CCPR/C/DZA/CO/3, para. 17; CCPR/C/79/Add.116, para. 14.
163 CCPR/CO/72/PRK, para. 13.
164 European Court of Human Rights, S.W. v. United Kingdom (application No. 20166/92), judgment of
22 November 1995, para. 36.
165 CCPR/C/IRN/CO/3, para. 12.
166 CCPR/C/USA/CO/4, para. 8.
167 Ng v. Canada (CCPR/C/49/D/469/1991), para. 16.4.
168 African Commission on Human and Peoples’ Rights, Malawi African Association and others v.
Mauritania, 11 May 2000, para. 120.
169 CCPR/CO/72/PRK, para. 13.
170 CCPR/C/JPN/CO/6, para. 13.
171 Johnson v. Jamaica (CCPR/C/56/D/588/1994), para. 8.5; Kindler v. Canada, para. 15.2; Martin v.
Jamaica (CCPR/C/47/D/317/1988), para. 12.2.
172 Brown v. Jamaica (CCPR/C/65/D/775/1997), para. 6.13.
173 CCPR/C/JPN/CO/6, para. 13.
174 Kindler v. Canada, para. 15.3.
175 Kurbanov v. Tajikistan (CCPR/C/79/D/1096/2002), para. 7.7.
CCPR/C/GC/36
GE.19-15012 21
176 Gunan v. Kyrgyzstan (CCPR/C/102/D/1545/2007), para. 6.2; Chikunova v. Uzbekistan
(CCPR/C/89/D/1043/2002), paras. 7.2 and 7.5; Yuzepchuk v. Belarus (CCPR/C/112/D/1906/2009),
paras. 8.2 and 8.6.
177 Yuzepchuk v. Belarus, paras. 8.4 and 8.6.
178 Chikunova v. Uzbekistan, paras. 7.4 and 7.5.
179 Gunan v. Kyrgyzstan, para. 6.3.
180 Levy v. Jamaica (CCPR/C/64/D/719/1996), paras. 7.2–7.3.
181 Brown v. Jamaica, para. 6.15.
182 Leach v. Jamaica, para. 9.4.
183 Kovaleva and Kozyar v. Belarus (CCPR/C/106/D/2120/2011), para. 11.4; Grishkovtsov v. Belarus
(CCPR/C/113/D/2013/2010), para. 8.4.
184 Judge v. Canada, paras. 10.8–10.9.
185 Gunan v. Kyrgyzstan, para. 6.3.
186 Champagnie et al. v. Jamaica (CCPR/C/51/D/445/1991), paras. 7.3–7.4.
187 Safeguards guaranteeing protection of the rights of those facing the death penalty, para. 4; Ambaryan
v. Kyrgyzstan (CCPR/C/120/D/2162/2012), para. 9.2.
188 Francis v. Jamaica (CCPR/C/54/D/606/1994), para. 9.3.
189 Kamoyo v. Zambia (CCPR/C/104/D/1859/2009), paras. 6.3–6.4.
190 Yuzepchuk v. Belarus, paras. 8.5–8.6.
191 Vienna Convention on Consular Relations, art. 36 (1) (b). See also Inter-American Court of Human
Rights, The Right to Information on Consular Assistance in the Framework of the Guarantees of the
Due Process of Law, Advisory Opinion OC-16/99, 1 October 1999, para. 137.
192 Judge v. Canada, para. 10.9.
193 CCPR/C/USA/CO/4, para. 8.
194 Ibid.
195 African Commission on Human and Peoples’ Rights, Egyptian Initiative for Personal Rights and
Interights v. Egypt (communication No. 334/06), decision of 1 March 2011, para. 204; International
Tribunal for the Prosecution of Persons Responsible for Serious Violations of International
Humanitarian Law Committed in the Territory of the Former Yugoslavia since 1991, Prosecutor v.
Furundžija (case No. IT-95-17/1-A), Appeals Chamber, judgment of 21 July 2000, para. 189.
196 Human Rights Committee, general comment No. 35, para. 45.
197 Human Rights Committee, general comment No. 32 (2007) on the right to equality before courts and
tribunals and to a fair trial, para. 22; CCPR/C/MDG/CO/3, para. 16; CCPR/C/79/Add.25, para. 9.
198 Human Rights Committee, general comment No. 33 (2008) on the obligations of States parties under
the Optional Protocol to the International Covenant on Civil and Political Rights, para. 19.
199 Chikunova v. Uzbekistan, para. 7.6.
200 Chisanga v. Zambia, para. 7.5.
201 Kennedy v. Trinidad and Tobago, para. 7.4.
202 CCPR/CO/72/GTM, para. 18.
203 CCPR/CO/84/YEM, para. 15.
204 A/HRC/8/3 and Corr.1, para. 67.
205 CCPR/C/YEM/CO/5, para. 14.
206 Committee on the Rights of the Child, general comment No. 10 (2007) on children’s rights in juvenile
justice, para. 75.
207 Ibid., paras. 35 and 39.
208 CCPR/C/JPN/CO/6, para. 13. See also R.S. v. Trinidad and Tobago (CCPR/C/74/D/684/1996), para.
7.2.
209 CCPR/C/JPN/CO/5, para. 16.
210 CCPR/C/35/D/210/1986, para. 15.
211 Human Rights Committee, general comment No. 6, para. 6.
212 Second Additional Protocol to the Covenant, aiming at the abolition of the death penalty, preamble.
213 CCPR/C/TCD/CO/1, para. 19.
214 Kindler v. Canada, para. 15.1.
215 Ng v. Canada, para. 16.2; European Court of Human Rights, Öcalan v. Turkey (application No.
46221/99), judgment of 12 May 2005, paras. 163–165.
216 Judge v. Canada, para. 10.3; A/HRC/36/27, para. 48; African Commission on Human and Peoples’
Rights, General Comment No. 3 on the African Charter on Human and Peoples’ Rights: The Right to
Life (Article 4), para. 22.
217 Human Rights Committee, general comment No. 20 (1992) on the prohibition of torture or other
cruel, inhuman or degrading treatment or punishment, para. 5; European Court of Human Rights, Gatt
v. Malta (application No. 28221/09), judgment of 27 July 2010, para. 29.
218 Human Rights Committee, general comment No. 33, para. 4; Birindwa and Tshisekedi v. Zaire,
communications Nos. 241 and 242/1987, para. 12.5; CCPR/C/MDV/CO/1, para. 26; Declaration on
CCPR/C/GC/36
22 GE.19-15012
the Right and Responsibility of Individuals, Groups and Organs of Society to Promote and Protect
Universally Recognized Human Rights and Fundamental Freedoms, art. 9 (4).
219 Declaration on the Right and Responsibility of Individuals, Groups and Organs of Society to Promote
and Protect Universally Recognized Human Rights and Fundamental Freedoms, art. 12 (2).
220 Aboufaied v. Libya (CCPR/C/104/D/1782/2008), paras. 7.4 and 7.6; El-Megreisi v. Libyan Arab
Jamahiriya (CCPR/C/50/D/440/1990), para. 5.4.
221 Human Rights Committee, general comment No. 31, para. 12.
222 Chisanga v. Zambia, para. 7.3.
223 Johnson v. Jamaica (CCPR/C/64/D/592/1994), para. 10.4.
224 Eshonov v. Uzbekistan, para. 9.10.
225 Kovaleva and Kozyar v. Belarus, para. 11.10.
226 CCPR/C/JPN/CO/6, para. 13.
227 CCPR/C/BWA/CO/1, para. 13.
228 Mojica v. Dominican Republic (CCPR/C/51/D/449/1991), para. 5.4; Guezout et al. v. Algeria
(CCPR/C/105/D/1753/2008), paras. 8.4 and 8.7.
229 Human Rights Committee, general comment No. 35, para. 58.
230 Bousroual v. Algeria (CCPR/C/86/D/992/2001), para. 9.2; Katwal v. Nepal
(CCPR/C/113/D/2000/2010), para. 11.3.
231 El Boathi v. Algeria (CCPR/C/119/D/2259/2013), para. 7.5.
232 Human Rights Committee, Herrera Rubio v. Colombia, communication No. 161/1983, para. 10.3;
general comment No. 6, para. 4.
233 International Convention for the Protection of All Persons from Enforced Disappearance, art. 24.
234 Prutina et al. v. Bosnia and Herzegovina (CCPR/C/107/D/1917/2009,1918/2009,1925/2009 and
1953/2010), para. 9.6.
235 International Convention for the Protection of All Persons from Enforced Disappearance, art. 24.
236 International Criminal Tribunal for Rwanda, Prosecutor v. Ruggiu (case No. ICTR-97-32-1), Trial
Chamber, judgment of 1 June 2000, para. 22.
237 See Human Rights Committee, general comments No. 17 (1989) on the rights of the child, para. 1,
and No. 32, paras. 42–44; Prutina et al. v. Bosnia and Herzegovina, para. 9.8.
238 Convention on the Rights of the Child, art. 3 (1).
239 Ibid., art. 6 (2).
240 Ibid., art. 3 (2).
241 CCPR/C/79/Add.81, para. 15.
242 CCPR/C/IRN/CO/3, para. 10.
243 CCPR/CO/72/NET, para. 6.
244 Whelan v. Ireland (CCPR/C/119/D/2425/2014), para. 7.12.
245 E/C.12/COD/CO/4, para. 19.
246 Inter-American Court of Human Rights, Yakye Axa Indigenous Community v. Paraguay, para. 175.
247 CCPR/C/USA/CO/4, para. 8.
248 A/HRC/20/16, para. 21.
249 Declaration of the United Nations Conference on the Human Environment, para. 1; Rio Declaration
on Environment and Development, principle 1; United Nations Framework Convention on Climate
Change, preamble.
250 Paris Agreement, preamble.
251 Rio Declaration on Environment and Development, principles 1–2, 11, 15 and 17–18; Convention on
Access to Information, Public Participation in Decision-Making and Access to Justice in
Environmental Matters.
252 Human Rights Committee, general comment No. 31, para. 10; CCPR/C/GBR/CO/6, para. 14.
253 CCPR/C/USA/CO/4, para. 9.
254 Responsibility of States for internationally wrongful acts, art. 16; International Court of Justice,
Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia
and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), judgment of 26 February 2007, para. 420.
255 CCPR/C/MLT/CO/2, para. 17; United Nations Convention on the Law of the Sea, art. 98;
International Convention for the Safety of Life at Sea, chap. V, regulation 10.
256 Human Rights Committee, general comment No. 31, para. 10; Saldías de López v. Uruguay,
communication No. R.12/52, paras. 12.1–13; Celiberti de Casariego v. Uruguay, communication No.
R.13/56, paras. 10.1–11; Domukovsky v. Georgia (CCPR/C/62/D/623/1995, 624/1995, 626/1995 and
627/1995), para. 18.2.
257 Human Rights Committee, general comments No. 31, para. 11, and No. 29 (2001) on derogations
from provisions of the Covenant during a state of emergency, para. 3.
258 Human Rights Committee, general comments No. 31, para. 11, and No. 29, paras. 3, 12 and 16.
259 CCPR/C/ISR/CO/3, paras. 9–10.
260 CCPR/C/USA/CO/4, para. 9.
CCPR/C/GC/36
GE.19-15012 23
261 The Minnesota Protocol on the Investigation of Potentially Unlawful Death (2016), paras. 20–22.
262 Protocol additional to the Geneva Conventions of 12 August 1949, and relating to the protection of
victims of international armed conflicts (Protocol I), art. 36.
263 A/HRC/23/47, paras. 113–114.
264 See Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons; Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty;
Treaty on the Prohibition of Nuclear Weapons (not yet in force); Convention on the Prohibition of the
Development, Production and Stockpiling of Bacteriological (Biological) and Toxin Weapons and on
Their Destruction; Convention on the Prohibition of the Development, Production, Stockpiling and
Use of Chemical Weapons and on Their Destruction.
265 Human Rights Committee, general comment No. 14, para. 7; Legality of the Threat or Use of Nuclear
Weapons, Advisory Opinion of 8 July 1996 of the International Court of Justice.
266 CCPR/C/FRA/CO/5, para. 21.
267 Human Rights Committee, general comment No. 29, para. 7.
268 Ibid., para. 16.
269 Human Rights Committee, general comment No. 24 (1994) on issues relating to reservations made
upon ratification or accession to the Covenant or the Optional Protocols thereto, or in relation to the
declarations under article 41 of the Covenant, para. 8.
270 Human Rights Committee, general comment No. 14, para. 2.
271 Human Rights Committee, general comment No. 6, para. 2.
272 General Assembly resolution 60/1, paras. 138–139.
GE.20-06716 (F) 220520 220520

Déclaration sur les droits de l’homme
et les changements climatiques
Déclaration conjointe du Comité pour l’élimination de la discrimination
à l’égard des femmes, du Comité des droits économiques, sociaux
et culturels, du Comité pour la protection des droits de tous les
travailleurs migrants et des membres de leur famille, du Comité des
droits de l’enfant et du Comité des droits des personnes handicapées
1. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, le Comité
des droits économiques, sociaux et culturels, le Comité pour la protection des droits de tous
les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le Comité des droits de l’enfant et
le Comité des droits des personnes handicapées saluent la tenue du Sommet sur l’action
pour le climat, organisé en septembre 2019 à l’initiative du Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, en vue de favoriser des plans et des mesures plus
ambitieux de réduction des émissions. Les Comités exhortent tous les États à prendre en
considération leurs obligations relatives aux droits de l’homme dans l’examen de leurs
engagements climatiques.
2. Les Comités saluent également les travaux menés par la communauté scientifique
internationale pour mieux comprendre les conséquences des changements climatiques et les
solutions qui pourraient contribuer à en éviter les effets les plus dangereux. Ils se félicitent
en particulier du rapport publié en 2018 par le Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat sur les conséquences d’un réchauffement planétaire supérieur à 1,5°C
par rapport aux niveaux préindustriels1.
3. Le rapport en question confirme que les changements climatiques risquent de
gravement compromettre l’exercice des droits de l’homme protégés par la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention
internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres
de leur famille, la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention relative aux
droits des personnes handicapées. Les effets néfastes recensés dans le rapport menacent,
entre autres, les droits à la vie, à une alimentation adéquate, à un logement convenable, à la
santé et à l’eau, ainsi que les droits culturels. Ces effets négatifs transparaissent aussi dans
les dommages subis par les écosystèmes, qui compromettent eux-mêmes l’exercice des
droits de l’homme2. Le risque de préjudice est particulièrement élevé pour les secteurs de la
population tels que les femmes, les enfants, les personnes handicapées, les peuples
autochtones et les habitants des zones rurales, qui sont déjà en situation de marginalisation
1 Voir www.ipcc.ch/sr15/.
2 Voir le rapport, établi par le Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de
l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, sur
les obligations liées aux droits de l’homme qui se rapportent à la conservation et à l’utilisation durable
de la diversité biologique (A/HRC/34/49).
Nations Unies HRI/2019/1
Instruments internationaux
relatifs aux droits de l’homme
Distr. générale
14 mai 2020
Français
Original : anglais
t- . . . oegoe
Merci de recycler@ &J ·
HRI/2019/1
2 GE.20-06716
ou de vulnérabilité ou qui, du fait de la discrimination et des inégalités préexistantes, n’ont
guère accès à la prise des décisions et aux ressources3. Les enfants courent un risque
particulièrement élevé pour leur santé en raison de leur immaturité physiologique4.
4. Comme l’indique le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des
femmes dans sa recommandation générale no 37 (2018) relative aux aspects liés au genre de
la réduction des risques de catastrophe dans le contexte des changements climatiques, les
changements climatiques et les catastrophes ne touchent pas les femmes et les hommes ou
les filles et les garçons de la même façon, de nombreuses femmes et filles étant exposées à
des risques et à des effets disproportionnés pour leur santé, leur sécurité et leurs moyens
d’existence. Les situations de crise accentuent les inégalités préexistantes entre les hommes
et les femmes et aggravent la discrimination croisée que subissent de manière
disproportionnée les groupes de femmes et de filles défavorisées, en particulier les femmes
et les filles handicapées. En outre, les changements climatiques et les catastrophes,
y compris les pandémies, influent sur la prévalence, la répartition et la gravité des maladies
nouvelles et résurgentes. La susceptibilité des femmes et des filles à la maladie est
augmentée du fait des inégalités qu’elles subissent dans l’accès à l’alimentation, à la
nutrition et aux soins de santé, et du rôle social attendu des femmes consistant à ce que ce
soit elles principalement qui s’occupent des enfants, des personnes âgées et des malades.
5. Ces conséquences négatives pour les droits de l’homme sont déjà une réalité
avec 1°C de réchauffement de la planète ; chaque élévation supplémentaire des
températures compromettra davantage la réalisation des droits. Dans son rapport, le Groupe
d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat spécifie que pour éviter le risque
d’effets systémiques irréversibles et à grande échelle, il faut d’urgence engager une action
résolue en faveur du climat.
6. Dans son rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
souligne également que la mise en oeuvre de mesures adaptées pour atténuer les
changements climatiques apporterait d’importants avantages sociaux, environnementaux et
économiques. Il met en garde contre le risque de dommages sociaux et environnementaux
que comporteraient des mesures climatiques mal conçues, soulignant ainsi qu’il importe
d’appliquer les normes relatives aux droits de l’homme à chaque étape du processus
décisionnel des politiques climatiques.
7. Comme l’a rappelé le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans sa
déclaration de 2018 concernant les changements climatiques et le Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels, les mécanismes des droits de l’homme ont un
rôle essentiel à jouer en veillant à ce que les États ne prennent pas de mesures pouvant
accélérer les changements climatiques et à ce qu’ils mobilisent autant que faire se peut les
ressources disponibles pour adopter des mesures propres à atténuer ces changements. Dans
sa déclaration, le Comité a aussi salué le fait qu’au niveau national, les systèmes judiciaires
et les institutions des droits de l’homme veillent de plus en plus à ce que les États
s’acquittent de l’obligation qui leur est faite par les instruments relatifs aux droits de
l’homme de lutter contre les changements climatiques.
Capacité d’action et action climatique
8. Les femmes, les enfants et d’autres personnes, comme les personnes handicapées, ne
devraient pas être perçus seulement comme des victimes ou sous l’angle de la vulnérabilité.
Ils doivent être reconnus comme des agents du changement et des partenaires essentiels
dans les initiatives locales, nationales et internationales face aux changements climatiques5.
Les Comités soulignent que les États doivent garantir le droit fondamental qu’ont ces
3 Voir l’étude analytique menée par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme
sur les liens entre les changements climatiques et le plein exercice effectif des droits de l’enfant
(A/HRC/35/13).
4 Voir Fiona Stanley et Brad Farrant, « Climate change and children’s health : a commentary »,
Children, vol. 2, no 4 (octobre 2015) ; Council on Environmental Health, « Global climate change
and children’s health », Pediatrics, vol. 136, no 5 (novembre 2015).
5 Recommandation générale no 37 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard
des femmes, par. 7 et 8.
HRI/2019/1
GE.20-06716 3
personnes de participer6 à l’élaboration des politiques climatiques et que, devant l’ampleur
et la complexité du défi climatique, les États doivent veiller à adopter une approche
multipartite inclusive qui mobilise les idées, l’énergie et l’ingéniosité de toutes les parties
prenantes.
9. Les Comités accueillent avec intérêt la coopération internationale engagée face aux
changements climatiques sous les auspices de la Convention-cadre des Nations Unies sur
les changements climatiques et de l’Accord de Paris, et le fait que tous les États se sont
engagés et contribuent, au niveau national, à atténuer ces changements. Ils se réjouissent
également de ce que la société civile, en particulier les femmes, les enfants et les jeunes, se
mobilise pour exhorter les gouvernements à une action climatique plus ambitieuse.
Cependant, les Comités notent avec une vive préoccupation que les engagements actuels
que les États ont souscrits en vertu de l’Accord de Paris sont insuffisants pour limiter le
réchauffement de la planète à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels7, et que nombre
d’États ne sont pas en bonne voie pour respecter leurs engagements. De ce fait, les États
exposent leurs populations et les générations futures aux graves menaces pour les droits de
l’homme qui sont associées à une élévation plus forte des températures.
Obligations des États en matière de droits de l’homme
10. Au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels, de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille, de la Convention relative aux droits de l’enfant et
de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, les États sont tenus,
y compris à l’échelle extraterritoriale, de respecter, de protéger et de mettre en oeuvre tous
les droits de l’homme pour tous8. Il serait contraire à cette obligation de ne pas prévenir des
atteintes prévisibles aux droits de l’homme provoquées par les changements climatiques ou
de ne pas réglementer les activités qui contribuent à de telles atteintes9.
11. Pour s’acquitter de leurs obligations relatives aux droits de l’homme et atteindre les
objectifs de l’Accord de Paris, les États doivent adopter et mettre en oeuvre des politiques
visant à réduire les émissions. Ces politiques doivent correspondre au niveau d’ambition le
plus élevé possible, promouvoir la résilience aux changements climatiques et faire en sorte
que les investissements publics et privés soient compatibles avec un profil d’évolution vers
un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements
climatiques10.
12. Dans le cadre des efforts qu’ils déploient pour réduire les émissions, les États parties
devraient contribuer efficacement à l’abandon progressif des combustibles fossiles, à la
promotion des énergies renouvelables et à la réduction des émissions du secteur foncier,
6 Ibid., par. 32 à 36 ; Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes, art. 7, 8 et 14 ; Convention relative aux droits de l’enfant, art. 12 ; Déclaration universelle
des droits de l’homme, art. 21 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 25 ;
Convention relative aux droits des personnes handicapées, art. 4, par. 3, art. 29 et art. 33, par. 3.
7 Voir www.ipcc.ch/sr15/.
8 Dans ce contexte, voir également la Charte des Nations Unies, art. 55 et 56 ; observation générale
no 24 (2017) du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur les obligations des États en
vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des
activités des entreprises, par. 26 à 28 ; E/C.12/AUS/CO/5, par. 11 et 12 ; E/C.12/ARG/CO/4, par. 13
et 14 ; CRC/C/NOR/CO/5-6, par. 27 ; CRC/C/JPN/CO/4-5, par. 37 ; recommandation générale no 37
du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, par. 43 à 46.
CEDAW/C/AUS/CO/8, par. 29 et 30 ; CEDAW/C/NOR/CO/9, par. 14 et 15.
9 CRC/C/ESP/CO/5-6, par. 36 ; CRC/C/GBR/CO/5 et Corr.1, par. 68 et 69 ; déclaration du Comité
des droits économiques, sociaux et culturels sur les changements climatiques et le Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; E/C.12/AUS/CO/5 ; recommandation générale
no 37 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, par. 14 ;
CEDAW/C/NOR/CO/9.
10 Accord de Paris, art. 2, par. 1.
HRI/2019/1
4 GE.20-06716
notamment en luttant contre la déforestation11. En outre, les États doivent réglementer les
acteurs privés, y compris en leur demandant des comptes pour les dommages qu’ils causent
à l’intérieur et à l’extérieur de leurs frontières12. Ils devraient également mettre fin aux
incitations financières ou aux investissements destinés aux activités et infrastructures qui ne
sont pas compatibles avec un profil d’évolution à faible émission de gaz à effet de serre,
qu’ils soient d’origine publique ou privée, à titre de mesure d’atténuation pour éviter des
dommages et des risques supplémentaires.
13. Les États doivent, dans le cadre de la réduction des émissions et de l’adaptation aux
effets des changements climatiques, s’efforcer de lutter contre toutes les formes de
discrimination et d’inégalité, notamment en favorisant une égalité réelle entre les hommes
et les femmes, en protégeant les droits des peuples autochtones et des personnes
handicapées, et en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.
14. De plus en plus de personnes sont contraintes de migrer parce que leur État d’origine
ne peut leur assurer des conditions de vie convenables, en raison de l’augmentation des
catastrophes hydrométéorologiques, des évacuations de zones à haut risque, de la
dégradation de l’environnement et des catastrophes à évolution lente, de la disparition de
petits États insulaires due à l’élévation du niveau de la mer, voire de l’apparition de conflits
liés à l’accès aux ressources. La migration est une stratégie d’adaptation normale face aux
effets des changements climatiques et des catastrophes naturelles, et constitue la seule
solution pour des populations entières. Les migrations liées aux changements climatiques
doivent être traitées par l’Organisation des Nations Unies et les États comme une nouvelle
forme de migration et de déplacement interne.
15. Les États doivent donc s’attaquer aux effets des changements climatiques, de la
dégradation de l’environnement et des catastrophes naturelles en tant que cause de
migration et faire en sorte qu’ils n’empêchent pas l’exercice, par les migrants et les
membres de leur famille, de leurs droits humains. En outre, les États devraient mettre en
place, à l’intention des travailleurs migrants déplacés d’un pays à l’autre dans le contexte
des changements climatiques ou de catastrophes et qui ne peuvent pas rentrer dans leur
pays, des mécanismes de protection complémentaires et des dispositifs de protection ou de
séjour temporaire.
16. Lorsqu’ils conçoivent et mettent en oeuvre leurs politiques climatiques, les États
doivent également respecter, protéger et réaliser les droits de tous, notamment en imposant
une diligence raisonnable pour ce qui est des droits de l’homme et en garantissant l’accès à
l’éducation, aux activités de sensibilisation et à l’information environnementale, ainsi que
la participation du public à la prise de décisions. En particulier, ils sont tenus de protéger et
de défendre efficacement les droits des défenseurs des droits de l’homme qui militent pour
l’environnement, y compris des femmes, des autochtones et des enfants défenseurs de
l’environnement.
Coopération internationale
17. Dans le cadre de l’assistance et de la coopération internationales déployées pour
réaliser les droits de l’homme, les États à revenu élevé devraient soutenir les efforts
d’adaptation et d’atténuation menés dans les pays en développement, en facilitant le
transfert de technologies vertes et en contribuant au financement des mesures d’atténuation
des changements climatiques et d’adaptation à ces changements. En outre, ils doivent
coopérer de bonne foi pour apporter une riposte mondiale aux pertes et préjudices subis par
les pays les plus vulnérables en raison des changements climatiques, en accordant une
attention particulière à la protection des droits des personnes particulièrement exposées aux
11 Recommandation générale no 37 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des
femmes ; CEDAW/C/AUS/CO/8 ; CRC/C/NER/CO/3-5 ; déclaration du Comité des droits
économiques, sociaux et culturels sur les changements climatiques et le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels ; E/C.12/ARG/CO/4.
12 Déclaration du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur les changements climatiques
et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; recommandation
générale no 37 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ;
CEDAW/C/FJI/CO/5 ; CRC/C/ESP/CO/5-6.
HRI/2019/1
GE.20-06716 5
dommages liés au climat, et en luttant contre les conséquences dévastatrices des
perturbations climatiques, y compris pour les femmes, les enfants, les personnes
handicapées et les peuples autochtones.
Rôle des Comités
18. Les Comités continueront d’examiner, dans le cadre de leurs travaux futurs, les
effets des changements et des catastrophes climatiques sur les titulaires de droits protégés
par leurs instruments respectifs. Ils continueront également de conseiller les États parties
sur les moyens de s’acquitter des obligations découlant de ces instruments en ce qui
concerne l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à ces changements.
Nations Unies CEDAW/C/GC/39
Convention sur l’élimination
de toutes les formes
de discrimination à l’égard
des femmes
Distr. générale
31 octobre 2022
Français
Original : anglais
22-24375 (F) 301122 121222
*2224375*
Comité pour l’élimination de la discrimination
à l’égard des femmes
Recommandation générale no 39 (2022) sur les droits
des femmes et des filles autochtones
Table des matières
Page
I. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
II. Objectifs et portée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
III. Cadre juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
IV. Obligations générales relatives aux droits des femmes et des filles autochtones incombant
aux États parties au titre des articles 1 et 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
A. Égalité et non-discrimination, une attention accrue étant accordée aux formes croisées
de discrimination dont sont victimes les femmes et les filles autochtones . . . . . . . . . . . . . 7
B. Accès à la justice et aux systèmes juridiques pluriels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
V. Obligations générales relatives aux aspects particuliers des droits des femmes et des filles
autochtones incombant aux États parties . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
A. Protection des femmes et des filles autochtones contre la violence fondée sur le genre
et prévention de ce phénomène (art. 3, 5, 6, 10 c), 11, 12, 14 et 16) . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
B. Droit à la participation effective à la vie politique et publique (art. 7, 8 et 14) . . . . . . . . . 19
C. Droit à l’éducation (art. 5 et 10) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
D. Droit au travail (art. 11 et 14) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
E. Droit à la santé (art. 10 et 12) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
F. Droit à la culture (art. 3, 5, 13 et 14). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
G. Droits relatifs aux terres, aux territoires et aux ressources naturelles (art. 13 et 14). . . . . 26
H. Droits relatifs à l’alimentation, à l’eau et aux semences ( art. 12 et 14) . . . . . . . . . . . . . . . 27
I. Droit à un environnement propre, sain et durable ( art. 12 et 14) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
Il Merci de recycler@[!]_ . •
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I. Introduction
1. La présente recommandation générale a vocation à orienter les États parties eu
égard aux mesures législatives, aux mesures politiques et autres mesures pertinentes
visant à garantir le respect des obligations leur incombant en matière de droits des
femmes et des filles autochtones au titre de la Convention sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des femmes. Selon les estimations, il y a 476,6
millions de personnes autochtones à travers le monde, dont plus de la moitié ( 238,4
millions) sont des femmes1. La discrimination et la violence sont des phénomènes
récurrents dans la vie de nombre de femmes et filles autochtones, qu’elles vivent dans
des zones rurales, reculées ou urbaines. La présente recommandation générale porte
sur les femmes et les filles autochtones, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des
territoires autochtones.
2. La présente recommandation générale donne voix au chapitre aux femmes et
aux filles autochtones, qui sont des forces motrices et des figures référentes au sein
de leurs communautés et ailleurs. Elle recense les différentes formes de
discrimination intersectionnelle auxquelles celles -ci se heurtent et propose des
solutions pour y remédier, et reconnaît le rôle clé qu’elles jouent en tant que figures
de proue, détentrices de connaissances et passeuses de culture auprès de leurs peuples,
de leurs communautés et de leurs familles, ainsi qu’auprès de la société dans son
ensemble. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes
s’intéresse systématiquement aux schémas de discrimination auxquels font face les
femmes et des filles autochtones dans l’exercice de leurs droits humains 2 , et aux
facteurs qui continuent d’exacerber la discrimination à leur encontre. Cette
discrimination est souvent intersectionnelle et fondée sur des facteurs tels que le sexe,
le genre, l’origine, le statut ou l’identité autochtone, la race, l’origine ethnique, le
handicap, l’âge, la langue, la situation socioéconomique et la séropositivité 3.
3. La discrimination intersectionnelle à l’encontre des femmes et des filles
autochtones doit être analysée à l’aune de la nature multidimensionnelle de leur
identité. Celles-ci sont victimes de discrimination et de violence fondée sur le genre,
souvent de la part de l’État et d’acteurs non étatiques. Ces formes de violence et de
discrimination sont répandues et restent souvent impunies. Les femmes et les filles
autochtones ont souvent un lien et une relation indéfectibles avec leur peuple, leur
terre, leur territoire, leurs ressources naturelles et leur culture. Afin de garantir le
respect des articles 1 et 2, et d’autres dispositions pertinentes de la Convention,
l’action étatique, la législation et les politiques doivent refléter et respecter l’identité
multiple des femmes et des filles autochtones. Les États parties doivent aussi tenir
compte de la discrimination intersectionnelle que ces dernières subissent en raison de
facteurs tels que le sexe, le genre, l’origine, le statut ou l’identité autochtone, la race,
l’origine ethnique, le handicap, l’âge, la langue, la situation socioéconomique et la
séropositivité.
__________________
1 Organisation internationale du Travail (OIT), Application de la Convention no 169 relative aux
peuples indigènes et tribaux : pour un avenir inclusif, durable et juste (Genève, 2019), p. 13 ;
Département des affaires économiques et sociales, State of the World’s Indigenous Peoples, vol. 5,
Rights to Lands, Territories and Resources (publication des Nations Unies, 2021), p. 119.
2 Voir, par exemple, recommandation générale n o 34 (2016) sur les droits des femmes rurales,
par. 14 et 15. Pour de plus amples détails sur les travaux du Comité sur les femmes autochtones,
voir Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU -
Femmes) et Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes,
« Recomendaciones Generales y Observaciones Finales del Comité para la Eliminación de la
Discriminación contra la Mujer sobre mujeres indígenas y/o afrodescendientes realizadas a
Estados de América Latina » (Clayton, Panama, 2017).
3 Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 2.
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4. L’action étatique visant à prévenir et combattre la discrimination à l’encontre
des femmes et des filles autochtones tout au long de leur vie doit intégrer une
démarche tenant compte des questions de genre, de l’intersectionnalité, du point de
vue des femmes et des filles autochtones, de l’interculturalité et de la
multidisciplinarité. Une démarche soucieuse des questions de genre tient compte des
normes discriminatoires, des pratiques sociales néfastes, des stéréotypes et de
l’inégalité de traitement dont sont depuis longtemps victimes les femmes et les filles
autochtones. Une approche intersectionnelle exige des États qu’ils tiennent compte
de la multitude de facteurs associés qui accroissent l’exposition des femmes et des
filles autochtones à un traitement inégalitaire et arbitraire, et en exacerbe les
conséquences, sur la base du sexe, du genre, de l’origine, du statut ou de l’identité
autochtone, de la race, de l’origi ne ethnique, du handicap, de l’âge, de la langue, de
la situation socioéconomique et de la séropositivité, entre autres facteurs. Ceux -ci
doivent prêter attention à l’interdépendance et à l’interconnexion de tous ces facteurs
au moment d’adopter des lois, des politiques, des budgets nationaux et des
interventions ayant trait aux femmes et aux filles autochtones. Ces dernières souffrent
d’une discrimination intersectionnelle à l’intérieur et à l’extérieur de leurs territoires,
qui est structurelle et intégrée dans les constitutions, les lois et les politiques, ainsi
que les programmes, actions et services gouvernementaux.
5. Tenir compte du point de vue des femmes et des filles autochtones suppose de
comprendre en quoi leurs expériences, leur réalité et leurs b esoins en matière de
protection des droits humains diffèrent de ceux des hommes autochtones, du fait de
différences tenant au sexe et au genre. Cela suppose également de ne pas négliger le
fait que les filles autochtones sont des femmes en devenir et qu’el les requièrent des
interventions adaptées à leur âge, à leur niveau de développement et à leur situation.
Adopter une perspective interculturelle signifie prendre en considération la diversité
des peuples autochtones, notamment de leurs cultures, langues, croyances et valeurs,
ainsi que le bénéfice et la valeur de cette diversité pour la société. Enfin, une
démarche multidisciplinaire exige de reconnaître l’identité multiple des femmes et
des filles autochtones, et la manière dont les lois, la santé, l’éduc ation, la culture, la
spiritualité, l’anthropologie, l’économie, la science et le travail, entre autres aspects,
ont façonné et continuent de façonner leur expérience sociale et de promouvoir la
discrimination à leur égard. Ces démarches et approches sont essentielles pour
prévenir et éliminer la discrimination à l’encontre des femmes et des filles
autochtones, et pour garantir la justice sociale en cas de violation de leurs droits
humains.
6. L’interdiction de la discrimination établie aux articles 1 et 2 de la Convention
doit être strictement appliquée afin de garantir que les femmes et des filles
autochtones, notamment celles qui vivent dans une situation d’isolement volontaire
ou de premier contact, jouissent de leur droit à l’autodétermination, de leur dro it
d’accès aux terres, aux territoires et aux ressources, à la culture et à l’environnement,
et de leur droit à l’intégrité de ces derniers. Elle doit également être appliquée afin de
garantir leur droit à une participation effective et sur un pied d’égali té aux prises de
décisions, et leur droit à la consultation, que ce soit au sein de leur propres institutions
représentatives ou par le truchement de ces dernières, l’objectif étant d’obtenir leur
consentement préalable, libre et éclairé avant l’adoption e t la mise en oeuvre de
mesures législatives ou administratives susceptibles de les concerner. Ces droits
posent les bases d’une compréhension globale des droits individuels et collectifs des
femmes autochtones. La violation de ces droits ou de droits connex es constitue un
acte de discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones.
7. Dans le cadre de la mise en oeuvre de la présente recommandation générale, le
Comité prie les États parties de tenir compte du contexte difficile dans lequel les
femmes et les filles autochtones exercent et défendent leurs droits humains. Celles -ci
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sont lourdement pénalisées par des menaces existentielles liées aux changements
climatiques, à la dégradation de l’environnement, à la perte de biodiversité et aux
obstacles qui entravent leur accès à la sécurité alimentaire et hydrique 4. Les activités
d’extraction menées par des entreprises commerciales et d’autres acteurs industriels,
financiers, publics et privés ont souvent des effets dévastateurs sur l’environnement,
l’air, les sols, les cours d’eau, les océans, les territoires et les ressources naturelles
des peuples autochtones, et sont susceptibles de contrevenir aux droits des femmes et
des filles autochtones. À l’échelle locale, nationale et internationale, ces dernièr es
sont en première ligne pour exiger un environnement propre, sûr, sain et durable et
une action en ce sens. Nombre de femmes autochtones qui sont également défenseuses
des droits humains liés à l’environnement sont victimes de meurtres, de harcèlement
et de criminalisation, et leurs efforts sont constamment discrédités. Les États parties
ont l’obligation de faire en sorte que les acteurs étatiques et les entreprises
commerciales prennent des mesures sans tarder pour garantir un environnement et un
système planétaire propres, sains et durables, notamment en prévenant les pertes et
dommages prévisibles, la violence socioéconomique et environnementale, et toutes
les formes de violence à l’égard des femmes autochtones qui défendent les droits
humains liés à l’environnement, ainsi qu’à l’égard de leurs communautés et
territoires. Ils ont également l’obligation de lutter contre les effets du colonialisme,
du racisme, des politiques d’assimilation, du sexisme, de la pauvreté, des conflits
armés, de la militarisation, des déplacements forcés et de la perte de territoires, de la
violence sexuelle en tant qu’arme de guerre et d’autres atteintes alarmantes aux droits
humains souvent perpétrées à l’encontre des femmes et des filles autochtones et de
leurs communautés.
II. Objectifs et portée
8. Le Comité estime que l’auto-identification, telle que définie dans les normes
internationales5 , est un principe fondamental du droit international, par lequel les
femmes et les filles autochtones peuvent définir leur statut en tant que titulaires de
droits6. Toutefois, il n’ignore pas que certaines d’entre elles préfèrent ne pas révéler
leur statut en raison du racisme et de la discrimination structurels et systémiques,
ainsi que de politiques coloniales et de colonisation. La présente recommandation
générale et les droits garantis par la Convention s’appliquent à toutes les femmes et
filles autochtones, qu’elles se trouvent à l’intérieur ou à l’extérieur de leur territoire,
qu’elles soient dans leur pays d’origine, un pays de transit ou un pays de destination,
et qu’elles soient migrantes, réfugiées en raison de déplacements forcés ou
involontaires, ou apatrides.
9. La violence fondée sur le genre, notamment la violence psychologique,
physique, sexuelle, économique, spirituelle, politique et environnementale, a une
incidence néfaste sur la vie de nombreuses femmes et filles autochtones. Les femmes
autochtones sont souvent victimes de violence à la maison, au travail et dans les
institutions publiques et éducatives ; lorsqu’elles font appel à des services de santé
ou ont affaire au système de prise en charge de l’enfance ; en tant que figures de la
vie politique et communautaire ; en tant que défenseuses des droits humains ;
lorsqu’elles sont privées de liberté ; lorsqu’elles sont placées en institution. Elles sont
__________________
4 Recommandation générale no 37 (2018) relative aux aspects liés au genre de la réduction des
risques de catastrophe dans le contexte des changements climatiques, par. 1 à 9.
5 Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 9 et 33.
6 Ibid., art. 33.1 ; voir également, OIT, Convention no 169 relative aux peuples indigènes et tribaux,
art.1 ; Instance permanente sur les questions autochtones, « Who are Indigenous Peoples? », fiche
d’information ; document de travail sur la notion de « peuple autochtone »,
(E/CN.4/Sub.2/AC.4/1996/2, par. 69 et 70.
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exposées de manière disproportionnée au viol et au harcèlement sexuel ; aux meurtres
fondés sur le genre et aux féminicides ; aux disparitions et aux enlèvements ; à la
traite des personnes 7 ; aux formes d’esclavage contemporaines ; à l’exploitation,
notamment l’exploitation de la prostitution 8 ; la servitude sexuelle ; au travail forcé ;
aux grossesses forcées ; aux mesures étatiques imposant de force la contraception et
les dispositifs intra-utérins ; le travail domestique indécent, dangereux ou
insuffisamment rémunéré9. Le Comité insiste, en particulier, sur la gravité des actes
de discrimination et de violence fondée sur le genre commis à l’encontre des femmes
et des filles autochtones handicapées placées en institution.
10. Le Comité appelle les États parties à rapidemen t déployer des efforts de collecte
de données afin de pleinement évaluer la situation des femmes et des filles
autochtones, et les formes de discrimination et de violence fondée sur le genre dont
elles sont victimes. Ceux-ci doivent s’efforcer de recueillir des données ventilées
selon plusieurs facteurs, notamment le sexe, l’âge, l’origine, le statut ou l’identité
autochtone, et le handicap, et collaborer avec les femmes autochtones et les
organisations qui les représentent, ainsi qu’avec des institutions u niversitaires et des
organisations à but non lucratif à cet égard. Le Comité souligne, par ailleurs, que les
peuples autochtones doivent avoir le contrôle sur les processus de collecte de données
menés à bien dans leurs communautés et sur la manière dont l es données sont
stockées, interprétées, utilisées et partagées.
11. L’une des causes profondes de la discrimination à l’égard des femmes et des
filles autochtones est le manque de mise en oeuvre effective de leur droit à
l’autodétermination et à l’autonomie, et de garanties connexes, comme en atteste,
entre autres, le fait que celles-ci continuent d’être dépossédées de leurs terres,
territoires et ressources naturelles. Le Comité est conscient du fait que le lien vital
que les femmes autochtones ont tissé avec l eurs terres constitue le fondement de leur
culture, de leur identité, de leur spiritualité, de leur savoir ancestral et de leur survie.
Les femmes autochtones se heurtent au manque de reconnaissance de leurs droits
relatifs aux terres et aux territoires, e t à de graves manquements dans l’application
des lois existantes visant à protéger leurs droits collectifs. Les autorités et des tierces
parties mènent fréquemment des activités liées aux investissements, aux
infrastructures, au développement, à la conserv ation, aux mesures d’adaptation aux
changements climatiques et d’atténuation de ces phénomènes, au tourisme, à
l’exploitation minière, à l’exploitation forestière et à l’extraction sans s’assurer de la
participation effective des peuples autochtones concer nés et sans recueillir le
consentement de ces derniers. Pour le Comité, le droit des femmes et des filles
autochtones à l’autodétermination doit s’entendre au sens large et comprend,
notamment, la capacité de prendre des décisions de manière autonome, libr e et
éclairée sur les questions relatives à leur projet de vie et à leur santé.
12. Le Comité n’ignore pas que les femmes et les filles autochtones ont subi et
continuent de subir des politiques d’assimilation forcée et d’autres violations des
droits humains de grande ampleur, qui, dans certains cas, peuvent constituer des
génocides10. Certaines de ces politiques d’assimilation – en particulier le placement
forcé dans des pensionnats et des institutions, et le déplacement de peuples
autochtones de leurs territoires au nom du développement – ont donné lieu à des
meurtres, des disparitions, et des violences sexuelles et psychologiques, et peuvent
__________________
7 Recommandation générale no 38 (2020) sur la traite des femmes et des filles dans le contexte des
migrations internationales, par. 18 à 35.
8 Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, art. 6.
9 CEDAW/C/OP.8/CAN/1, par. 95 à 99 et 111 à 127.
10 Voir Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 8 ; Convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide, art. II ; Statut de Rome de la Cour pénale
internationale, art. 6.
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être constitutives de génocide culturel 11 . Il est essentiel que les États parties se
penchent sur les conséquences des injustices historiques et fournissent une aide et des
réparations aux communautés touchées dans le cadre d’un processus visant à garantir
la justice, la réconciliation et l’édification de sociétés exemptes de discrimination et
de violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones. Le
Comité insiste, en particulier, sur la nécessité pour les États d’agir de manière
proactive afin de protéger les droits des femmes et des filles autochtones qui vivent
en zone urbaine, où elles font face au racisme, à la discrimination, aux politiques
d’assimilation et à la violence fondée sur le genre.
III. Cadre juridique
13. Les droits des femmes et des filles autochtones découlent des articles de la
Convention, conformément aux précisions apportées dans les recommandations
générales du Comité, et d’instruments internationaux particuliers relatifs à la
protection des droits des peuples autochtones, comme la Déclaration des Nations
Unies sur les droits des peuples autochtones et la Convention no 169 de l’OIT relative
aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants. Le Comité considère la
Déclaration comme le cadre faisant autorité pour interpréter les obligations
fondamentales incombant aux États parties au titre de la Convention s ur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Tous les droits établis
dans la Déclaration sont pertinents pour les femmes autochtones, à la fois en tant que
membres de leur peuple et de leur communauté, et en tant que person nes, mais aussi
pour ce qui est des garanties contre la discrimination énoncées dans la Convention en
elle-même. De plus, tous les principaux instruments internationaux relatifs aux droits
humains établissent des protections pertinentes pour les droits des femmes et des filles
autochtones12.
14. En ce qui concerne les droits des filles autochtones, le Comité renvoie à la
Convention relative aux droits de l’enfant et à l’ observation générale n o 11 (2009) du
Comité des droits de l’enfant sur les enfants autocht ones et leurs droits en vertu de la
Convention. Les États parties ont l’obligation de protéger les filles autochtones de
toutes les formes de discrimination. La création d’un climat sûr et propice à
l’engagement et à la participation effective des filles a utochtones est essentielle au
plein exercice de leurs droits relatifs aux territoires, à la culture et à un environnement
propre, sain et durable13. En outre, le Comité pour l’élimination de la discrimination
à l’égard des femmes reconnaît que les filles a utochtones sont des femmes en devenir,
constat qui exige une réponse étatique sur mesure, adaptée à leur intérêt supérieur et
à leurs besoins, et requiert d’adapter les procédures et services gouvernementaux à
leur âge, à leur stade de développement, à l’é volution de leurs capacités et à leur
situation.
15. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes doit être interprétée de façon à tenir compte du Programme de
développement durable à l’horizon 2030, dans le cadre duquel les États ont convenu
que l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes étaient indispensables au
développement durable et à l’élimination de la pauvreté 14 . La Déclaration et le
__________________
11 Voir Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 8.
12 Voir Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, recommandation générale
no 23 (1997) sur les droits des populations autochtones, par. 3 à 6.
13 Comité des droits de l’enfant, observation générale no 12 (2009) sur le droit de l’enfant d’être
entendu, par. 2.
14 Résolution 70/1 de l’Assemblée générale, par. 20. Voir également cibles 2.3 et 4.5 des objectifs de
développement durable et objectif 5.
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Programme d’action de Beijing sont également des documents de ré férence
importants dans le cadre de la présente recommandation générale. Le Comité fait
aussi référence aux résolutions adoptées par la Commission de la condition de la
femme en lien avec les femmes autochtones15.
IV. Obligations générales relatives aux droits des femmes
et des filles autochtones incombant aux États parties
au titre des articles 1 et 2 de la Convention
A. Égalité et non-discrimination, une attention accrue étant accordée
aux formes croisées de discrimination dont sont victimes
les femmes et les filles autochtones
16. L’interdiction de la discrimination établie aux articles 1 et 2 de la Convention
s’applique à tous les droits dont jouissent les femmes et les filles autochtones en vertu
de la Convention, notamment, par extension, ce ux énoncés dans la Déclaration,
document d’une importance fondamentale pour interpréter la Convention dans le
contexte actuel. L’interdiction de la discrimination est un pilier essentiel et un
principe fondateur du droit international des droits humains. L es femmes et les filles
autochtones ont le droit de vivre libres de toute forme de discrimination fondée sur le
sexe, le genre, l’origine, le statut ou l’identité autochtone, la race, l’origine ethnique,
le handicap, l’âge, la langue, la situation socioéco nomique et la séropositivité, entre
autres facteurs16.
17. La discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones et ses effets
doivent être considérés tant dans leur dimension individuelle que dans leur dimension
collective. Dans sa dimension individuelle, la discrimination à l’égard des femmes et
des filles autochtones revêt des formes croisées et est exercée aussi bien par l’État
que par des acteurs non étatiques, notamment du secteur privé, sur la base du sexe,
du genre, de l’origine, du statut o u de l’identité autochtone, de la race, de l’origine
ethnique, du handicap, de l’âge, de la langue, de la situation socioéconomique et de
la séropositivité, entre autres facteurs. Le racisme, les stéréotypes discriminatoires, la
marginalisation et la violence fondée sur le genre sont des violations interdépendantes
que subissent les femmes et les filles autochtones. La discrimination et la violence
fondée sur le genre menacent l’autonomie individuelle, la liberté personnelle, et la
sécurité, la vie privée et l’intégrité de toutes les femmes et filles autochtones, et
peuvent porter préjudice aux communautés et à leur bien -être. Comme indiqué dans
la recommandation générale no 29 (2013) sur les conséquences économiques du
mariage, et des liens familiaux et de leur dissolution, en tant qu’individus, les femmes
autochtones peuvent être victimes de discrimination au nom de l’idéologie, de la
tradition, de la culture, de la religion, et du droit et des pratiques coutumiers. De plus,
les femmes autochtones, notamment celles qui présentent un handicap, se voient
souvent retirer leurs enfants de façon arbitraire ou par enlèvement. Par ailleurs, elle s
se heurtent à des décisions discriminatoires et sexistes concernant la garde de leurs
enfants – qu’elles soient mariées ou non – ou le versement d’une pension alimentaire
à la suite d’un divorce. En tant qu’individus, les femmes et les filles autochtones ont
__________________
15 Voir Commission de la condition de la femme, résolutions 49/7 et 56/4. Voir également
conclusions concertées de la Commission à sa soixante-sixième session (E/2022/27, chap. I,
sect. A.).
16 Recommandation générale no 28 (2010) sur les obligations fondamentales des États parties
découlant de l’article 2 de la Convention, par. 9 ; Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones, par. 2.
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le droit de vivre sans discrimination et violations des droits humains à toutes les
étapes de leur vie, et de choisir leurs propres voie et projet de vie.
18. Dans leur dimension collective, la discrimination et la violence fondée sur le
genre à l’égard des femmes et des filles autochtones menacent et perturbent la vie
spirituelle, la connexion à la Terre nourricière, l’intégrité et la survie culturelles, et le
tissu social des peuples et communautés autochtones. Tant la discrimination que la
violence fondée sur le genre ont une incidence négative sur la transmission et la
préservation des connaissances, de la culture, de la vision du monde, de l’identité et
des traditions des peuples autochtones. L’incapacité de protéger le droit à
l’autodétermination, le droit à la sécurité collective des droits fonciers sur les terres
et les ressources ancestrales, et le dro it à la participation effective et au consentement
des femmes autochtones dans tous les domaines les concernant constitue un acte de
discrimination à leur égard et à celui de leurs communautés.
19. Comme établi dans le préambule de la Déclaration, les droits collectifs sont
indispensables à l’existence, au bien-être et au développement intégral des peuples
autochtones, notamment des femmes et des filles. Les droits individuels des femmes
et des filles autochtones ne devraient jamais être négligés ou bafoués au nom des
intérêts du collectif ou du groupe, le respect de ces deux dimensions de leurs droits
humains étant essentiel17.
20. La discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones est le résultat
de stéréotypes sexistes, mais aussi de formes de rac isme alimentées par le
colonialisme et la militarisation. Ces causes sous -jacentes de la discrimination sont
directement et indirectement reflétées dans les lois et les politiques qui entravent
l’accès des femmes et des filles autochtones à l’utilisation d es terres et aux droits
fonciers, l’exercice de leurs droits relatifs aux territoires et aux ressources naturelles
et économiques, et leur accès au crédit, aux services financiers et aux possibilités
génératrices de revenus. De plus, elles empêchent toute reconnaissance et protection
des formes collectives et coopératives de propriété et d’utilisation foncières, et tout
soutien à ces pratiques. La protection juridique des droits fonciers des femmes
autochtones reste faible et les expose fréquemment à la dép ossession, au déplacement,
au confinement, à l’expropriation et à l’exploitation 18. L’absence de reconnaissance
juridique des territoires des peuples autochtones accroît la vulnérabilité de ces
derniers aux incursions illicites et aux projets de développem ent mis en oeuvre sans
leur consentement préalable, libre et éclairé par des acteurs étatiques et non étatiques.
Les femmes et les filles autochtones, en particulier les veuves, les chefs de famille ou
les orphelines, se voient freinées de manière dispropor tionnée dans leur accès aux
terres, leur faisant perdre leurs moyens de subsistance et menaçant leur culture, leur
lien intrinsèque à l’environnement, leur sécurité alimentaire et hydrique, et leur santé.
21. Partout dans le monde, les femmes et les filles au tochtones ne jouissent pas de
l’égalité devant la loi au sens de l’article 15 de la Convention. Dans de nombreuses
régions, elles n’ont pas la capacité de conclure des contrats et de gérer leurs biens
sans le contrôle de leur mari ou d’un tuteur masculin. Elles peinent également à
posséder, détenir, contrôler et administrer des terres et à en hériter, en particulier
lorsqu’elles sont veuves ou doivent subvenir seules aux besoins de leur famille. Que
ce soit dans le système juridique étatique ou autochtone, le droit des successions est
souvent discriminatoire envers les femmes autochtones. Celles qui sont en situation
de handicap voient fréquemment leur capacité juridique niée, donnant lieu à d’autres
violations des droits humains, qui ont notamment trait à l ’accès à la justice, à la
violence institutionalisée et à la stérilisation forcée. Contrevenant à l’article 9 de la
__________________
17 Comité des droits de l’enfant, observation générale n o 11 (2009) sur les enfants autochtones et
leurs droits en vertu de la Convention, par. 30.
18 A/HRC/30/41, par. 15 à 17.
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Convention, nombre de lois restent discriminatoires à l’égard des femmes et des filles
autochtones pour ce qui est de la transmission de la nationalité et du statut autochtone
aux enfants en cas de mariage avec une personne non autochtone. Ces lois peuvent
déboucher sur une discrimination transgénérationnelle et une assimilation forcée,
deux pratiques qui relèvent de la discrimination à l’égar d des femmes telle que définie
dans l’article premier de la Convention 19. Par conséquent, les États doivent faire en
sorte que les femmes et les filles autochtones puissent obtenir leur nationalité et leur
statut autochtone, les modifier, les conserver ou y renoncer, et les transmettre à leurs
enfants et à leur conjoint, et aient accès à des informations sur ces droits dans le cadre
de leurs efforts pour garantir le droit à l’autodétermination et à l’auto -identification.
22. Dans sa recommandation générale no 34 (2016) sur les droits des femmes
rurales, le Comité a rappelé l’importance du droit des femmes autochtones à la
propriété individuelle et collective, aux ressources naturelles, à l’eau, aux semences,
aux forêts et à la pêche, conformément à l’article 14 de la Convention20. Ces droits
sont aussi garantis pour les femmes autochtones en tant que membres de leurs peuples
et de leurs communautés par la Déclaration et les normes juridiques internationales
connexes. Les principaux obstacles à ces droits sont l’ incompatibilité des lois
nationales et internationales, la mise en oeuvre ineffective des lois aux niveaux
national et local, les stéréotypes de genre et les pratiques discriminatoires, en
particulier dans les zones rurales, l’absence de volonté politique, et l’application
d’une logique commerciale, marchande et financière aux terres et aux ressources
naturelles. Le droit coutumier autochtone, la misogynie et les institutions existantes
représentent également des obstacles. Les femmes et les filles autochton es sont
souvent victimes de formes de discrimination croisée fondée sur le sexe, le genre, le
handicap, et l’origine, le statut ou l’identité autochtone, qui se traduisent par la
négation de leur pleine capacité juridique, laquelle accroît leur exposition à
l’exploitation, à la violence et aux mauvais traitements, et sape leurs droits relatifs
aux terres, aux territoires et aux ressources 21 . De plus, les femmes et les filles
autochtones lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes se heurtent
régulièrement à des formes de discrimination croisée. Le Comité est préoccupé par la
manifestation de cette dernière sous la forme des inégalités, de la discrimination et de
la violence fondée sur le genre, qui frappent les femmes et les filles autochtones dans
l’espace numérique, notamment sur Internet, les médias sociaux et toutes les
plateformes technologiques.
23. Le Comité recommande aux États parties :
a) d’élaborer des politiques globales visant à éliminer la discrimination
à l’égard des femmes et des filles autochtones, axées sur la participation effective
de celles vivant à l’intérieur et à l’extérieur des territoires autochtones, et
d’étendre sa collaboration avec les peuples autochtones. Ces politiques devraient
comprendre des mesures de lutte contre la discrimination intersectionnelle dont
sont victimes les femmes et les filles autochtones, notamment celles qui
présentent un handicap et celles qui sont atteintes d’albinisme ; les femmes
âgées ; les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et inte rsexes ; les femmes
et les filles en situation de pauvreté ; les femmes qui vivent en zones rurales et
urbaines ; les femmes déplacées de force, les réfugiées et les migrantes à
l’intérieur et à l’extérieur de leur pays ; les femmes et les filles veuves, chefs de
famille ou orphelines à la suite de conflits armés nationaux et internationaux.
Les États parties devraient collecter des données, ventilées par âge et handicap
__________________
19 Voir, par exemple, CEDAW/C/81/D/68/2014, par. 18.3.
20 Recommandation générale no 34 (2016) sur les droits des femmes rurales, par. 56 .
21 Département des affaires économiques et sociales, State of the World’s Indigenous Peoples, vol. 5,
p. 121.
CEDAW/C/GC/39
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éventuel, sur les formes de discrimination et de violence fondées sur le genre dont
sont victimes les femmes et les filles autochtones, et déployer ces efforts de façon
à respecter la langue et la culture des peuples autochtones ;
b) de fournir, dans leurs rapports périodiques au Comité, des
informations sur les mesures législatives, judiciaires, administratives et
budgétaires, et les mesures de suivi et d’évaluation, ainsi que d’autres mesures,
qui ciblent en particulier les femmes et les filles autochtones ;
c) d’abroger et de modifier tous les instruments législatifs et politiques,
tels que les lois, les politiques, les réglementations, les programmes, les
procédures administratives, les structures institutionnelles, les allocations
budgétaires et les pratiques, qui exercent une discrimination directe ou indirecte
à l’égard des femmes et des filles autochtones ;
d) de garantir que les femmes autochtones jouissent de l’égalité devant
la loi et ont la capacité de conclure des contrats, d’administrer leurs biens et d’en
hériter sur un pied d’égalité, de garantir également la reconnaissance de la
capacité juridique des femmes autochtones handicapées, et d’appuyer les
mécanismes pour l’exercice de la capacité juridique ;
e) d’adopter une législation afin de garantir pleinement le s droit des
femmes et des filles autochtones relatifs aux terres, à l’eau et à d’autres
ressources naturelles, notamment leur droit à un environnement propre, sain et
durable, et la reconnaissance et le respect de leur égalité devant la loi, et de veiller
à ce que les femmes autochtones des zones rurales et urbaines jouissent de
l’égalité d’accès à la propriété, aux titres, à la possession et au contrôle de la
terre, de l’eau, des forêts, de la pêche, de l’aquaculture et d’autres ressources
qu’elles possèdent, occupent ou utilisent traditionnellemen t ou qu’elles ont
acquises, y compris en les protégeant contre la discrimination et la
dépossession22 ;
f) de s’assurer que les femmes et les filles autochtones jouissent d’un
accès adéquat à des informations sur les lois existantes et les voies de recou rs
leur permettant de faire valoir leurs droits en vertu de la Convention. Ces
informations devraient être accessibles dans leur langue et dans des formes de
communication adaptées à leur culture, comme les radios communautaires. Elles
devraient également être disponibles pour les femmes et les filles handicapées en
braille, en format facile à lire et à comprendre, en langue des signes et dans
d’autres modes de communication ;
g) de garantir que les femmes et les filles autochtones sont protégées de
la discrimination perpétrée par les acteurs étatiques et non étatiques, notamment
les entreprises et les sociétés, à l’intérieur et à l’extérieur de leur territoire, en
particulier dans les domaines ayant trait à la participation politique, à la
représentation, à l’éducation, à l’emploi, à la santé, à la protection sociale, au
travail décent, à la justice et à la sécurité ;
h) d’adopter des mesures efficaces pour reconnaître et protéger
juridiquement les terres, les territoires, les ressources naturelles, la propriété
intellectuelle, les connaissances scientifiques, techniques et autochtones, les
informations génétiques et l’héritage culturel des peuples autochtones, et de
prendre des mesures pour garantir le plein respect du droit au consentement
préalable, libre et éclairé, à l’autodétermination d’un projet de vie et à la
participation effective, en particulier des groupes de femmes et de filles
__________________
22 Recommandation générale no 34, par. 59.
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autochtones marginalisés, comme les personnes handicapées, aux processus de
prise de décisions sur les questions les concernant ;
i) de prendre des mesures efficaces pour éliminer et prévenir toutes les
politiques d’assimilation forcée et autres dispositifs de négation des droits
culturels et autres droits garantis aux peuples autochtones, notamment le droit
à une enquête rapide, à la reddition de comptes, à la justice et à des réparations
pour les politiques et pratiques d’assimilation passées et présentes qui mettent
grandement en péril l’identité culturelle autochtone, et d’établir et de garantir
des organes pour la vérité, la justice et la réconciliation dotés de ressources
adéquates et suffisantes.
B. Accès à la justice et aux systèmes juridiques pluriels
24. L’accès à la justice des femmes autochtones requiert une approche
multidisciplinaire et globale reposant sur l’idée que celui-ci est lié à d’autres
problématiques relatives aux droits humains que rencontrent les femmes autochtones,
notamment le racisme, la discrimination raciale et les effets du colonialisme ; la
discrimination fondée sur le sexe et le genre ; la discrimination fondée sur la situation
socioéconomique ; la discrimination fondée sur le handicap ; les obstacles entravant
l’accès aux terres, aux territoires et aux ressources naturelles ; l’absence de services
de santé et d’éducation adaptés et pertinents sur le plan culturel ; les perturbations de
la vie spirituelle et les menaces pesant sur cette dernière 23. Comme établi par d’autre s
mécanismes mondiaux des droits humains, les peuples autochtones doivent jouir d’un
accès à la justice garanti à la fois par l’État et les systèmes coutumiers et juridiques
autochtones24.
25. Le Comité rappelle que le droit des peuples autochtones de maintenir leurs
propres structures et systèmes judiciaires est une composante fondamentale de leur
droit à l’autonomie et à l’autodétermination 25 . Toutefois, les systèmes judiciaires
autochtones et leurs pratiques devraient être conformes aux normes internationales
relatives aux droits humains, comme établi dans la Déclaration 26. Le Comité considère
la Convention comme un document de référence important dans les affaires de
discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones, tant pour les systèmes
judiciaires non autochtones qu’autochtones.
26. Dans sa recommandation générale no 33 (2015) sur l’accès des femmes à la
justice, le Comité a défini six composantes essentielles de l’accès à la justice 27. Ces
composantes interdépendantes – justiciabilité, disponibilité, accessibilité, bonne
qualité, offre de voies de recours pour les victimes et obligation de rendre compte des
systèmes de justice – sont également applicables aux femmes et filles autochtones,
qui devraient bénéficier d’un accès à la justice et de voies de recours intégrant une
démarche tenant compte des questions de genre, de l’intersectionnalité, du point de
vue des femmes et des filles autochtones, de l’interculturalité et de la
__________________
23 Voir A/HRC/EMRIP/2014/3/Rev.1, par. 35 à 42 ; Commission interaméricaine des droits de
l’homme, Indigenous Women and their Human Rights in the America s (OEA/Ser.L/V/II. Doc.
44/17, par. 138).
24 A/HRC/24/50, par. 5.
25 Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 34 ; recommandation
générale no 33 (2015) sur l’accès des femmes à la justice, par. 5.
26 L’article 34 de la Déclaration dispose que les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de
développer et de conserver leurs structures institutionnelles et leurs coutumes, spiritualité,
traditions, procédures ou pratiques particulières et, lorsqu’ils existent, leurs systèmes ou coutumes
juridiques, en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme.
27 Recommandation générale no 33 (2015), par. 14.
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multidisciplinarité, telle que définie aux paragraphes 4 et 5 de la présente
recommandation générale.
27. Conformément à ces six composantes essentielles, les États doivent garantir que
tous les systèmes de justice, autochtones et non autochtones, agissent de manière
opportune pour offrir des recours adaptés et utiles a ux femmes et aux filles
autochtones qui sont victimes et rescapées de la discrimination et de la violence
fondée sur le genre. Y parvenir suppose de disposer d’interprètes, de traducteurs,
d’anthropologues, de psychologues, de professionnels de santé, de j uristes, de
médiateurs culturels expérimentés et de représentants des autorités spirituelles et
médicinales autochtones, ainsi que de former le personnel à la réalité, à la culture et
au point de vue des femmes et des filles autochtones, en tenant compte d es questions
de genre. Les systèmes de justice devraient être dotés de méthodes de collecte des
preuves appropriées et compatibles avec la culture et le point de vue des femmes et
des filles autochtones. Les représentants de la justice devraient régulièrem ent être
formés aux droits des femmes et des filles autochtones, et aux dimensions
individuelles et collectives de leur identité, le but étant qu’ils détiennent un degré de
compétence suffisant sur la culture autochtone. À cet égard, il est essentiel de
respecter la conception différente qu’ont les systèmes non autochtones et autochtones
de la justice et des processus, et d’activement écouter et associer les peuples
autochtones. La justice peut être un processus de réconciliation et de guérison pour
ces derniers, l’objectif étant de rétablir l’harmonie dans leurs territoires et
communautés28. Les États devraient se montrer proactifs en recrutant et en nommant
des juges autochtones de sexe féminin.
28. Les États parties devraient veiller à l’établissement, au fo nctionnement et au
financement de tribunaux, d’organes judiciaires et d’autres organes dans tous les
territoires des zones urbaines, rurales et reculées. De plus, les systèmes de justice
autochtones devraient être facilement accessibles, adaptés et efficac es. Des
informations sur l’accès aux voies de recours judiciaires dans les systèmes non
autochtones et autochtones devraient être rendues accessibles aux femmes et aux
filles autochtones, et diffusées auprès d’elles. Des services judicaires de base et une
aide juridictionnelle gratuite devraient être disponibles à proximité des femmes et des
communautés autochtones. Les États doivent adopter des mesures pour faire en sorte
que les femmes autochtones sachent où demander justice et que les systèmes
judiciaires soient accessibles, justes et peu onéreux.
29. Les femmes autochtones sont entravées dans leur accès aux systèmes de justice
non autochtones et autochtones, problème qui peut être particulièrement prononcé
pour les femmes et les filles autochtones qui présen tent un handicap. Leur droit à un
recours judiciaire est régulièrement nié. Par conséquent, de nombreux actes de
discrimination et de violence fondée sur le genre commis à l’égard des femmes et des
filles autochtones restent impunis. Les obstacles qu’elles rencontrent dans leur accès
à la justice et aux réparations sont notamment le manque d’informations en langues
autochtones sur les recours judicaires offerts par les systèmes de justice non
autochtones et autochtones ; les frais d’avocat et l’absence d’aide juridictionnelle
gratuite ; le manque de respect des garanties d’un procès équitable ; l’absence
d’interprètes, notamment en langue des signes ; les frais de justice ; l’éloignement
des tribunaux ; les représailles contre ceux et celles qui dénoncent de s crimes ; le
manque de cartes d’identité ou d’autres formes d’identification ; le déficit de
formation du personnel judiciaire aux droits et besoins particuliers des femmes et des
filles autochtones. Celles qui sont en situation de handicap se heurtent fr équemment
à des obstacles ayant trait à l’accessibilité physique des bâtiments qui abritent les
__________________
28 A/HRC/42/37, par. 25.
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services de la police et de la justice, et à l’accessibilité des informations essentielles,
des transports, des communications, des procédures et des services d ’aide.
30. Dans les systèmes de justice non autochtones, les femmes et les filles
autochtones sont fréquemment victimes de racisme, de discrimination raciale
structurelle et systémique, et de formes de marginalisation, et doivent souvent
participer à des procédures qui ne sont pas adaptées sur le plan culturel, et ne tiennent
pas compte des traditions et des pratiques autochtones. Les structures judiciaires
reflètent souvent un colonialisme latent. Parmi les obstacles entravant l’accès à la
justice, on peut citer l’éloignement des territoires autochtones, qui force les femmes
et les filles autochtones à parcourir de longues distances pour déposer plainte ;
l’analphabétisme ; le manque de connaissance des lois et recours judiciaires existants.
Souvent, les femmes autochtones n’ont pas accès aux services d’interprétation qui
leur permettraient de prendre pleinement part aux procédures judiciaires et les
méthodes de collecte des preuves ne sont pas suffisamment adaptées à leur culture.
Dans les rangs du personnel judiciaire, il y a un manque criant de formation aux droits
individuels et collectifs des femmes et des filles autochtones. De plus, ces dernières
ont un accès limité à une prise en charge médicale spécialisée en cas de viol ou de
violence sexuelle.
31. Souvent, les systèmes de justice autochtones sont principalement constitués
d’hommes et exercent une discrimination à l’égard de femmes et des filles, ne leur
accordant qu’un espace limité pour participer, exprimer leurs inquiétudes et occuper
des fonctions décisionnelles29. Par le passé, le Comité s’est déjà dit préoccupé par
l’influence des stéréotypes de genre sur les activités des systèmes juridiques
autochtones30. En général, il a recommandé aux systèmes de justice autochtones et
non autochtones d’adopter des mesures afin de se conformer aux normes
internationales relatives aux droits humains 31.
32. Les femmes autochtones tendent à être surreprésentées dans les prisons, en
raison de la détention provisoire, et sont victimes de discrimination, de violence
fondée sur le genre, de traitements inhumains et de formes de torture lorsqu’elles ont
enfreint la loi. Ces problèmes sont aggravés par les déficiences de l’appui juridique
fourni par les conseils au titre de l’aide judiciaire. Le Comité rappelle le droit de
chaque fille autochtone ayant enfreint la loi à un procès équitable, à l’égalité devant
la loi et à l’égale protection de la loi 32.
33. Le Comité recommande aux États parties :
a) de veiller à ce que les femmes et les filles autochtones jouissent d’un
accès effectif aux systèmes de justice non autochtones et autochtones, sans être
victimes de discrimination raciale et/ou fondée sur le genre, de biais, de
stéréotypes et de représailles ;
b) d’adopter des mesures pour garantir l’accès physique des femmes et
des filles autochtones présentant un handicap aux bâtiments de la police et de la
justice, à l’information, aux transports, aux services d’aide et aux procédures
indispensables à leur accès à la justice33 ;
c) de proposer des formations continues aux juges et à l’ensemble des
responsables de l’application des lois des systèmes de justice non autochtones et
__________________
29 A/HRC/30/41, par. 42.
30 CEDAW/C/MEX/CO/7-8, par. 34.
31 Recommandation générale no 33, par. 62.
32 Comité des droits de l’enfant, observation générale no 24 (2019) sur les droits de l’enfant dans le
système de justice pour enfants, par. 40, 49 et 103.
33 Comité des droits des personnes handicapées, observation générale n o 2 (2014) sur l’accessibilité,
par. 37.
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autochtones sur les droits des femmes et des filles autochtones, et la nécessité de
rendre justice selon une démarche tenant compte des questions de ge nre, de
l’intersectionnalité, du point de vue des femmes et des filles autochtones, de
l’interculturalité et de la multidisciplinarité, comme établi aux paragraphes 4 et
5. La formation à la justice autochtone devrait faire partie de la formation de
tous les professionnels de la justice ;
d) de recruter, de former et de nommer des femmes aux postes de juges
et à d’autres postes au sein des tribunaux des systèmes de justice non autochtones
et autochtones ;
e) de garantir l’égalité d’accès à la justice de toutes les femmes et filles
autochtones, notamment en proposant à celles qui en ont besoin en raison de leur
âge, d’un handicap ou d’une maladie des aménagements et des ajustements
procéduraux, notamment des services d’interprétation en langue des signes et
d’autres aides à la communication, ainsi que des délais plus longs pour la
soumission de documents ;
f) de s’assurer que les systèmes de justice comptent en leur sein des
interprètes, des traducteurs, des anthropologues, des psychologues et des
professionnels de santé spécialisés dans les besoins des femmes et des filles
autochtones et formés à ces derniers, en accordant la priorité aux femmes
autochtones qualifiées34, et de fournir des informations sur les recours judiciaires
proposés dans les langues autochtones et dans des formats accessibles dans les
systèmes non autochtones et autochtones. Des campagnes de sensibilisation
devraient être organisées afin de faire connaître ces recours et procédures
judiciaires, ainsi que les outils de signalement des c as de violence structurelle et
systémique. Les mécanismes de suivi sont essentiels dans les affaires de violence
fondée sur le genre et de discrimination à l’égard des femmes et des filles
autochtones ;
g) de faire en sorte que les femmes et les filles autochtones qui ne
disposent pas de moyens suffisants et qui se sont vues retirer leur capacité
juridique aient accès à une aide juridictionnelle gratuite et de qualité,
notamment dans les affaires de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre.
Les États parties devraient soutenir les organisations non gouvernementales qui
fournissent une aide juridictionnelle gratuite et spécialisée aux femmes et aux
filles autochtones ;
h) de garantir que les institutions, les recours et les services juridiques
sont disponibles dans les zones urbaines et à proximité des territoires
autochtones ;
i) d’adopter des mesures et des politiques pénales, civiles et
administratives tenant compte de la pauvreté, du racisme et de la violence fondée
sur le genre historiques dont les femmes et les filles autochtones ont été et
continuent d’être victimes ;
j) de prendre des mesures pour garantir que toutes les femmes et les filles
autochtones ont accès à des informations et des connaissances sur les lois
existantes, l’ordonnancement juridique et les voies d’accès aux systèmes de
justice non autochtones et autochtones. Ces mesures peuvent prendre la forme
de campagnes de sensibilisation, de formations communautaires et de cliniques
juridiques mobiles proposant ces informations ;
__________________
34 Commission interaméricaine des droits de l’homme, Indigenous Women and their Rights in the
Americas, par. 156.
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k) de veiller à ce que les femmes et les filles autochtones jouissent
effectivement de leur droit à un procès équitable, à l’égalité devant la loi et à
l’égale protection de la loi ;
l) de faire en sorte que les réparations intégrales des violations des droits
humains, notamment la prise en compte du préjudice spirituel et collectif, soient
une composante clé de l’administration de la justice des systèmes non
autochtones et autochtones.
V. Obligations générales relatives aux aspects particuliers
des droits des femmes et des filles autochtones incombant
aux États parties
A. Protection des femmes et des filles autochtones contre la violence
fondée sur le genre et prévention de ce phénomène (art. 3, 5, 6,
10 c), 11, 12, 14 et 16)
34. La violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones
constitue une forme de discrimination au sens de l’article premier de la Convention
et, de ce fait, concerne l’ensemble de ses obligations. Conformément à l’article 2, les
États parties doivent prendre des mesures sans tarder pour prévenir et éliminer toutes
les formes de discrimination fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles
autochtones35. De même, l’article 22 de la Déclaration exige des États qu’ils accordent
une attention particulière à la pleine protection des droits des femmes autochtones et
qu’ils garantissent le droit de ces dernières de vivre une vie exempte de violence et
de discrimination. L’interdiction de la violence à l’égard des femmes fondée sur le
genre est un principe du droit international coutumier et s’applique aux femmes et
aux filles autochtones36.
35. La violence fondée sur le genre touche de manière disproportionnée les femmes
et les filles autochtones. Les statistiques disponibles montrent que celles -ci ont
davantage de risques d’être victimes de viol que les femmes non autochtones 37. On
estime qu’une femme autochtone sur trois est victime de ce phénomène au cours de
sa vie38. Certes, il existe de plus en plus de données sur l’ampleur, la nature et les
conséquences de la violence fondée sur le genre à l’échelle mondiale mais les
connaissances sur son incidence sur les femmes autochtones sont limitées et tendent
à varier grandement selon l’angle adopté et la région39. Le Comité rappelle que les
États doivent faire des efforts pour collecter des données, en collaboration avec les
organisations et les communautés autochtones, afin de comprendre l’étendue du
problème que représente la violence fond ée sur le genre à l’égard des femmes et des
filles autochtones. Il rappelle également qu’ils doivent lutter contre la discrimination,
les stéréotypes et la légitimation sociale de la violence fondée sur le genre à leur
encontre.
__________________
35 Recommandation générale no 35 (2017) sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre,
portant actualisation de la recommandation générale n o 19, par. 21.
36 Ibid., par. 2.
37 A/HRC/30/41, par. 47.
38 Ibid.
39 ONU-Femmes et al., Breaking the Silence on Violence against Indigenous Girls, Adolescents and
Young Women (New York, 2013), p. 4. Voir également Groupe d’appui interorganisations sur les
questions concernant les peuples autochtones, « Elimination and responses to violence,
exploitation and abuse of indigenous girls, adolescents and young women », document thématique
en vue des préparatifs de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones, p. 1 et 2, et 4 à 10.
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36. Le Comité est préoccupé par les nombreuses formes de violence fondée sur le
genre perpétrées à l’encontre des femmes et des filles autochtones 40 , actes qui se
produisent dans tous les espaces et sphères d’interaction humaine, notamment la
famille41 , la communauté, l’espace public, le lieu de travail, le milieu éducatif et
l’espace numérique 42 . Cette violence peut être psychologique, physique, sexuelle,
économique ou politique, ou prendre la forme d’actes de torture. Les femmes et les
filles autochtones sont souvent victimes de violence spirituelle, laquelle porte
préjudice à l’identité de leurs communautés et à leur rapport à leur vie spirituelle, leur
culture, leurs territoires, leur environnement et leurs ressources naturelles. La
violence à l’égard des femmes et des filles autochtones handicapées et des femmes
autochtones âgées est fréquente dans les institutions, en particulier celles qui
empêchent tout lien avec l’extérieur et appliquent une ségrégation. Les femmes et les
filles autochtones sont souvent victimes de viols, de harcèlement, de disparitions, de
meurtres et de féminicides.
37. Les déplacements forcés constituent une forme majeure de violence à l’égard
des femmes et les filles autochtones, rompant leur lien avec leurs terres, leurs
territoires et leurs ressources n aturelles, et chamboulant de manière permanente leurs
projets de vie et leurs communautés. Celles-ci subissent aussi les répercussions
négatives de la violence environnementale, qui peut prendre la forme de dégâts
environnementaux, de dégradation et de pol lution de l’environnement ou de
l’incapacité de l’État de prévenir des dommages prévisibles liés aux changements
climatiques. Parmi les autres formes de violence à leur égard, on peut citer
l’exploitation de la prostitution ; les formes contemporaines d’esclavage, comme la
servitude domestique ; la gestation pour autrui forcée ; le fait d’accuser les femmes
âgées non mariées d’être des sorcières ou d’être en relation avec les mauvais esprits ;
la stigmatisation des femmes mariées qui ne peuvent pas avoir d’ enfants ; les
mutilations génitales féminines. Le Comité souligne, en particulier, le problème de la
traite des femmes et des filles autochtones, qui résulte de la militarisation de
territoires autochtones par l’armée, du crime organisé, de l’exploitation minière et
forestière, et des activités des cartels de la drogue, ainsi que de l’expansion des bases
militaires sur les terres et territoires autochtones.
38. La violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones
ne fait l’objet que de très peu de signalements et les responsables jouissent souvent
de l’impunité car l’accès de celles-ci à la justice est extrêmement limité, et les
systèmes de justice pénale sont biaisés et partiaux 43. Le racisme, la marginalisation,
la pauvreté, et la consommation d’alcool et de substances accroît le risque de violence
fondée sur le genre à leur égard44. Les femmes et les filles autochtones subissent des
actes de violence fondée sur le genre perpétrés ou tolérés tant par les acteurs étatiques
que non étatiques. Les acteurs étatiques sont, entre autres, les autorités, les forces
armées, les forces de l’ordre et les institutions publiques, notamment dans les secteurs
de la santé et de l’éducation et dans les prisons 45. Les acteurs non étatiques sont, par
exemple, les particuliers, les entreprises, les sociétés privées, les groupes
paramilitaires et rebelles, les acteurs illégaux et les institutions religieuses 46.
39. Les États parties ont l’obligation d’exercer leur devoir de précaution en
prévenant les actes de violence à l’égard des femmes et des filles autochtones, en
__________________
40 A/HRC/50/26, par. 7 à 10 et 24 à 34.
41 A/HRC/30/41, par. 113 à 117.
42 Recommandation générale no 35, par. 20.
43 CEDAW/C/OP.8/CAN/1, par. 132 à 172.
44 Commission interaméricaine des droits de l’homme, Indigenous Women and their Rights in the
Americas, par. 85 et 86.
45 ONU-Femmes et al., Breaking the Silence, p. 13 à 16, 19 et 20.
46 Ibid.
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enquêtant sur les faits, en punissant les responsables et en indemnisant les victimes.
Cette obligation vaut pour les systèmes de justice non autochtones et autochtones 47.
Le devoir de précaution devrait être exercé en intégrant une démarche tenant compte
des questions de genre, de l’intersectionnalité, du point de vue des femmes et des
filles autochtones, de l’interculturalité et de la multidisciplinarité, comme établi aux
paragraphes 4 et 5, et en gardant à l’esprit les causes et les conséquences genrées de
la violence subie par les femmes autochtones.
40. La violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones
nuit au tissu spirituel, culturel et social collectif des peuples au tochtones et de leurs
communautés, et a des répercussions négatives sur la collectivité et, parfois, sur
plusieurs générations. La violence sexuelle à l’égard des femmes et des filles
autochtones a été utilisée par différents acteurs dans des conflits armé s et en période
de troubles comme arme de guerre et stratégie pour contrôler les communautés
autochtones et leur nuire.
41. Les États devraient se doter d’un cadre juridique efficace et de services d’appui
adaptés afin de lutter contre la violence sexuelle fo ndée sur le genre. Ces cadres
doivent reposer sur des mesures visant à prévenir de tels actes, enquêter sur les faits
et punir les responsables, et à aider et indemniser les femmes et les filles autochtones
victimes de ce phénomène, ainsi que sur des servi ces pour combattre et atténuer les
effets néfastes de la violence fondée sur le genre. Cette obligation générale s’étend à
tous les domaines d’intervention de l’État, notamment aux branches législative,
exécutive et judiciaire, aux niveaux régional, nation al et local, ainsi qu’aux services
privatisés. Elle nécessite de formuler des règles de droit, notamment au niveau
constitutionnel, et de concevoir des politiques publiques, des programmes, des cadres
institutionnels et des mécanismes de suivi destinés à é liminer toutes les formes de
violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones, qu’elles
soient commises par des acteurs étatiques ou non étatiques 48.
42. Le Comité recommande aux États parties :
a) d’adopter et de mettre effectivement en oeuvre une législation visant à
prévenir, interdire et combattre la violence fondée sur le genre à l’égard des
femmes et des filles autochtones, en intégrant une démarche tenant compte des
questions de genre, de l’intersectionnalité, du poi nt de vue des femmes et des
filles autochtones, de l’interculturalité et de la multidisciplinarité, comme établi
aux paragraphes 4 et 5. Cette législation et sa mise en oeuvre devraient également
tenir compte de manière adéquate du cycle de vie de toutes le s femmes et filles
autochtones, notamment de celles qui présentent un handicap ;
b) de reconnaître, de prévenir, de combattre, de punir et d’éliminer
toutes les formes de violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles
autochtones, notamment la violence environnementale, spirituelle, politique,
structurelle, institutionnelle et culturelle, ainsi que la violence attribuable aux
industries extractives ;
c) de garantir que les femmes et les filles autochtones jouissent d’un
accès rapide et effectif aux systèmes de justice non autochtones et autochtones,
notamment aux ordonnances de protection et aux mécanismes de prévention,
lorsque nécessaire, et que des enquêtes efficaces sont menées sur les affaires de
disparition et de meurtre de femmes et de filles autochtones, sans aucune forme
de discrimination et de biais ;
__________________
47 Commission interaméricaine des droits de l’homme, Indigenous Women, par. 230. Voir également
recommandation générale no 33, par. 64.
48 Recommandation générale no 35, par. 24 b).
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d) d’abroger toutes les lois qui empêchent ou dissuadent les femmes et les
filles autochtones de signaler des faits de violence fondée sur le genre, comme les
lois relatives à la curatelle qui privent les femmes de leur capacité juridique ou
restreignent la capacité des femmes handicapées de témoigner devant les
tribunaux ; la pratique dite du « refuge protégé » ; les lois restrictives en matière
d’immigration qui découragent les femmes, notamment les travailleuses
domestiques migrantes et non migrantes, de dénoncer de tels actes de violence ;
les lois qui autorisent la double arrestation dans les affaires de violence
domestique ou permettent de poursuivre les femmes lorsque les res ponsables
sont acquittés49 ;
e) de veiller à ce que des services d’aide, notamment de prise en charge
médicale, d’appui psychosocial et de formation professionnelle, et des services
de réintégration et des structures d’accueil soient disponibles, accessib les et
adaptés à la culture des femmes et des filles autochtones victimes de violence
fondée sur le genre. Tous ces services devraient être conçus selon une approche
interculturelle et multidisciplinaire, comme établi au paragraphe 5, et être dotés
de ressources financières suffisantes ;
f) de fournir aux femmes et aux filles autochtones rescapées de la
violence fondée sur le genre les moyens d’accéder au système juridique pour
signaler ces actes de violence. Ces moyens comprennent, par exemple, les
transports, l’aide juridictionnelle et la représentation juridique, et l’accès aux
informations dans les langues autochtones ;
g) d’exercer leur devoir de précaution en prévenant toutes les formes de
violence, de traitement inhumain et de torture à l’encontre des femmes et des
filles autochtones privées de liberté. Les États doivent s’assurer que lorsque de
tels actes se produisent, ils font l’objet d’une enquête et de sanctions adaptées.
De plus, ils devraient adopter des mesures pour garantir que les femmes et les
filles autochtones privées de liberté savent où et comment signaler ces actes. Ils
devraient accorder la priorité à des politiques et programmes visant à
promouvoir la réintégration sociale des femmes et des filles autochtones qui ont
été privées de liberté, dans le respect de leur culture, de leurs opinions et de leur
langue ;
h) de s’acquitter des obligations leur incombant au titre du droit
international des droits humains et du droit international humanitaire en
situation de conflit armé, notamment l’interdiction de toutes les formes de
discrimination et de violence fondée sur le genre à l’égard des civils et des
combattants ennemis, ainsi que de tout préjudice aux terres, aux ressources
naturelles et à l’environnement ;
i) de systématiquement collecter des données ventilées et de réaliser des
études, en collaboration avec les communautés et les organisations autochtones,
afin d’évaluer la magnitude, la gravité et les causes profondes de la violence
fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones, en particulier
de la violence et de l’exploitation sexuelles, l’objectif étant d’orienter les mesures
visant à prévenir et combattre de tels actes.
__________________
49 Ibid., par. 29 c) iii).
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B. Droit à la participation effective à la vie politique et publique
(art. 7, 8 et 14)
43. Les femmes et les filles autochtones sont généralement exclues des processus
de prise de décisions locaux, nationaux et internationaux, ainsi qu’au sein de leurs
propres communautés et systèmes autochtones 50 . En vertu de l’article 7 de la
Convention, elles ont le droit de participer de manière effective à tous les niveaux de
la vie politique, publique et communautaire. Ce droit inclut la participation aux
processus de prise de décisions menés au sein de leur communauté, ainsi qu’avec les
autorités ancestrales et d’autres autorités ; la participation aux processus d’obtention
du consentement et de consultation portant sur des activités économiques menées par
l’État et des acteurs privés sur les territoires autochtones ; l’accès aux postes de la
fonction publique et aux postes décisionnels aux niveaux local, national, régional et
international ; leur action en tant que défenseuses des droits humains 51.
44. Les femmes et les filles autochtones se heurtent à des obstacles multiples et
croisés qui entravent leur participation pleine, effective et réelle. Ces obstacles sont
notamment la violence politique ; le manque ou l’inégalité d’accès à l’éducation ;
l’analphabétisme ; le racisme ; le sexisme ; la discrimination fondée sur la classe
sociale ou la situation économique ; les contraintes linguistiques ; la nécessité de
parcourir de longues distances pour avoir accès à n’importe quelle forme de
participation ; le refus d’accès aux services de santé, notamment aux services et aux
droits en matière de santé sexu elle et reproductive ; le manque d’accès aux processus
juridiques, politiques, institutionnels, communautaires ou civils permettant de voter,
de se porter candidate à une fonction élective, d’organiser des campagnes et d’obtenir
un financement, ainsi que le manque d’appui économique et d’informations à ces fins.
Les obstacles à la participation peuvent être particulièrement hauts dans le contexte
des conflits armés, notamment des processus de justice transitionnelle, dans le cadre
desquels les femmes et les filles autochtones et les organisations qui les représentent
sont souvent exclues des négociations de paix ou attaquées et menacées lorsqu’elles
tentent de participer. Les États parties devraient agir sans tarder pour faire en sorte
que toutes les femmes et les filles autochtones aient accès à des ordinateurs, à Internet
et à d’autres formes de technologie afin de faciliter leur pleine inclusion dans le
monde numérique.
45. Le Comité n’ignore pas les menaces qui pèsent sur les défenseuses autochtones
des droits humains, dont l’action est protégée par le droit à la participation à la vie
politique et publique. Un risque particulier pèse sur les femmes et les filles
autochtones défenseuses des droits humains liés à l’environnement qui promeuvent
leurs droits relatifs aux terres et aux territoires, et celles qui s’opposent à la mise en
oeuvre de projets de développement n’ayant pas obtenu le consentement préalable,
libre et éclairé des peuples autochtones concernés. Dans nombre de cas, les femmes
et les filles autochtones qui défendent les droits humains sont victimes de meurtres,
de menaces et de harcèlement, de détentions arbitraires et de formes de torture, et
voient leur action criminalisée, stigmatisée et discréditée. De nombreuses
organisations de défense des femmes et des filles autochtones peinent à être reconnues
comme entités juridiques au niveau national, statut sans lequel il leur est difficile
d’accéder au financement et de travailler de manière libre et indépendante. Le Comité
estime que les États parties devraient adopter immédiatement des mesures tenant
compte des questions de genre afin de reconnaître, soutenir et protéger publiquement
la vie, la liberté, la sécurité et l’autodétermination des femmes et des filles
__________________
50 A/HRC/30/41, par. 38 et 39.
51 Voir Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, directives à l’intention des
États sur la mise en oeuvre effective du droit de participer aux affai res publiques, p. 10 à 19.
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autochtones défenseuses des droits humains, et de garantir des conditions sûres et un
environnement propice afin qu’elles puissent mener leur action, sans discrimination,
racisme, meurtres, harcèlement et violence.
46. Le Comité recommande aux États parties :
a) de promouvoir, conformément aux recommandations générales
no 23 (1997) sur la participation des femmes à la vie politique et publique et
no 25 (2004) sur les mesures temporaires spéciales, et aux articles 18, 19, 32.1 et
44 de la Déclaration, la participation effective, réelle et éclairée des femmes et
des filles autochtones à tous les niveaux de la vie politique et publique,
notamment aux postes de prise de décisions, par exemple par l’adoption de
mesures temporaires spéciales, comme des quotas, des cibles, des incitatio ns et
des efforts visant à garantir une représentation paritaire52 ;
b) d’établir des mécanismes de redditions de comptes afin d’empêcher
les partis politiques et les syndicats d’exercer une discrimination à l’égard des
femmes et des filles autochtones, et de garantir que ces dernières ont accès à des
voies de recours judiciaire efficaces tenant compte des questions de genre afin de
signaler ces violations lorsqu’elles se produisent. Il est essentiel de former les
fonctionnaires au droit des femmes et des filles autochtones à la participation
effective à la vie publique ;
c) de diffuser des informations accessibles auprès des femmes et des filles
autochtones, ainsi que de la société en général, sur les possibilités qui s’offrent à
elles d’exercer leur droit de vote, de participer à la vie publique et de se porter
candidates, et de promouvoir le recrutement des femmes autochtones dans la
fonction publique, notamment au niveau décisionnel. Les mesures visant à
faciliter l’accessibilité des femmes et des filles handicapées peuvent notamment
porter sur l’utilisation de la langue des signes, des formats faciles à lire et à
comprendre et du braille ;
d) d’exercer leur devoir de précaution afin de prévenir toutes les formes
de violence politique à l’égard des femmes autochtones politiques, candidates,
défenseuses des droits humains et militantes aux niveaux national, local et
communautaire, d’enquêter sur ces actes et d’en poursuivre les auteurs, et de
reconnaître et respecter les formes ancestrales d’organisation et d’élection des
représentants ;
e) de faciliter, promouvoir et garantir l’accès des femmes autochtones
aux fonctions politiques en finançant leurs campagnes, en dispensant des
formations, en créant des incitations, en menant des activités de sensibilis ation à
l’intention des partis politiques afin de les inciter à nommer des femmes
autochtones candidates et en fournissant des services de santé et de garde
d’enfant adaptés, ainsi que des services d’aide à la prise en charge des personnes
âgées, d’adopter les mesures et les réformes législatives nécessaires pour garantir
le droit à la participation politique des femmes et des filles, et d’établir des
mécanismes d’incitation et de suivi, ainsi que des pénalités pour les partis
politiques qui ne mettraient pas en place de mesures temporaires spéciales pour
accroître la participation politique des femmes et des filles autochtones ;
f) de veiller à ce que les activités économiques, notamment celles liées à
l’exploitation forestière, au développement, aux investissements, au tourisme, à
l’extraction, à l’exploitation minière, aux programmes d’atténuation des
changements climatiques et d’adaptation à ces phénomènes, et aux projets de
conservation, soient uniquement menées sur les territoires autochtones et les
__________________
52 Recommandation générale no 34, par. 54.
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zones protégées avec la participation effective des femmes autochtones,
notamment le plein respect de leur droit au consentement préalable, libre et
éclairé, et dans le cadre de processus de consultation adéquats. Il est
indispensable que ces activités n’aient pas d’incidence néfaste sur les droits
humains, notamment ceux des femmes et des filles autochtones 53 ;
g) de garantir et de créer, conformément à la recommandation générale
no 30 (2013) sur les femmes dans la prévention des conflits, les conflits et les
situations d’après conflit, et à la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité et
ses résolutions ultérieures, des espaces permettant aux femmes et aux filles
autochtones de participer en tant que décideuses et actrices aux efforts de
consolidation de la paix et aux processus de justice transitionnelle ;
h) de prendre des mesures proactives et efficaces pour reconnaître,
soutenir et protéger la vie, l’intégrité et le travail des défenseuses autochtones
des droits humains, et de faire en sorte que celles-ci mènent leur action dans des
environnements sûrs, favorables et inclusifs. Les États devraient notamment
veiller à la création de mécanismes gouvernementaux spécialisés visant à
protéger les défenseuses des droits humains, en collaboration avec les peuples
autochtones et avec la participation pleine et effective de ces derniers.
C. Droit à l’éducation (art. 5 et 10)
47. Les femmes et les filles autochtones font face à de nombreux obstacles les
empêchant de s’inscrire dans des établissements, d’y rester et de terminer leurs études
à tous les niveaux d’éducation et dans des domaines non traditionnels 54 . Les
principaux obstacles sont notamment l’absence d’établissements éducatifs conçus,
créés ou contrôlés par les peuples autochtones ; la pauvreté ; les stéréotypes sexistes
discriminatoires et la margin alisation 55 ; la pertinence culturelle limitée des
programmes scolaires ; le fait que l’enseignement est dispensé uniquement dans la
langue dominante ; la rareté de l’éducation sexuelle. Les femmes et les filles
autochtones doivent souvent parcourir de longues distances pour se rendre dans les
établissements scolaires et sont exposées à la violence fondée sur le genre sur leur
chemin et à leur arrivée. Dans les établissements, elles peuvent être victimes de
violence sexuelle, de châtiments corporels et de harcèlement. La violence et la
discrimination fondées sur le genre dans le domaine de l’éducation sont
particulièrement aiguës lorsque des politiques d’ assimilation forcée sont appliquées
dans les établissements. Les femmes autochtones qui présentent un handicap se
heurtent à des difficultés particulières pour ce qui est de l’accès et de la rétention,
notamment le manque d’accessibilité physique ; le refus des responsables
d’établissement de les accueillir ; le fait que l’éducation des enfants handicapés
reposent sur des établissements distincts. Les mariages forcés et/ou d’enfants, la
violence sexuelle et les grossesses chez les adolescentes, la charge di sproportionnée
des responsabilités familiales, le travail des enfants, les catastrophes naturelles et les
conflits armés sont autant de facteurs qui peuvent freiner l’accès des filles
autochtones à l’école.
48. Le Comité recommande aux États parties :
a) de veiller à ce que les femmes et les filles jouissent pleinement de leur
droit à l’éducation :
__________________
53 Ibid.
54 Recommandation générale no 36 (2017) sur le droit des filles et des femmes à l’éducation, par. 41 ;
recommandation générale no 34, par. 42.
55 Ibid.
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i) en garantissant leur égalité d’accès à un enseignement de qualité à
tous les niveaux d’éducation, notamment en aidant les peuples autochtones
à concrétiser les droits garantis par les articles 14 et 15 de la Déclaration ;
ii) en luttant contre les stéréotypes discriminatoires liés à l’origine,
l’histoire et la culture autochtones, et aux expériences des femmes et des
filles autochtones ;
iii) en créant des programmes de bourses et d’aide financière afin de
promouvoir l’inscription des femmes et des filles autochtones dans des
établissements scolaires, notamment dans des domaines non traditionnels
tels que les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mat hématiques, et
les technologies de l’information et des communications (TIC), et de
reconnaître et de protéger le savoir autochtone et les contributions des
peuples autochtones, notamment des femmes, aux sciences et aux
technologies ;
iv) en établissant des systèmes de soutien interdisciplinaire pour les
femmes et les filles autochtones afin de réduire leur part inégale de travail
domestique non rémunéré, et de combattre les mariages d’enfants et
d’aider les victimes à signaler les actes de violence fondé e sur le genre et
l’exploitation par le travail. Les réseaux de soutien social devraient être
opérationnels, efficaces et accessibles, et tenir compte des aspects culturels ;
b) de garantir un enseignement de qualité inclusif, accessible et
abordable à toutes les femmes et les filles autochtones, y compris à celles en
situation de handicap. Les États devraient lever les obstacles, et fournir des
ressources et des structures adéquates afin de s’assurer que les femmes et les
filles autochtones handicapées ont accès à l’éducation. Ils devraient garantir la
disponibilité d’une éducation sexuelle adaptée à l’âge en s’appuyant sur les
travaux de recherche scientifique56 ;
c) de promouvoir l’adoption de programmes scolaires tenant compte de
l’éducation, des langues, de la culture, de l’histoire, des systèmes de
connaissances et de l’épistémologie des peuples autochtones 57 . Ces efforts
devraient être déployés dans tous les établissements, y compris les établissements
d’enseignement général. Ces programmes scolaires devraient être adoptés avec
la participation des femmes et des filles autochtones.
D. Droit au travail (art. 11 et 14)
49. Les femmes autochtones ont un accès limité à l’emploi décent, sûr et rémunéré
de manière adéquate, ce qui détermine leur niveau d’autonomie économique. Elles
contribuent de façon significative au secteur agricole mais sont surreprésentées dans
l’agriculture de subsistance ; les emplois peu qualifiés, à mi-temps, saisonniers, mal
rémunérés ou non rémunérés ; les activités exercées à domicile. Un nombre important
de femmes et de filles autochtones occupent également des emplois domestiques
faiblement rémunérés et dans des conditions de travail dangereuses. Leur
surreprésentation dans l’emploi informel est synonyme de revenus, d e prestations et
d’une protection sociale faibles. De plus, elles sont confrontées à des stéréotypes de
genre discriminatoires et des préjugés raciaux sur le lieu de travail, notamment
l’interdiction fréquente de porter leurs habits traditionnels ou de par ler leur langue.
Les femmes autochtones font souvent face à des formes de violence fondée sur le
__________________
56 Recommandation générale no 34, par. 43.
57 Ibid.
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genre et de harcèlement au travail, et la manière dont elles sont traitées peut être
constitutive de travail forcé et de formes d’esclavage. Les États devraien t garantir
l’égalité des chances des femmes et des filles autochtones afin que celles -ci puissent
accéder à l’éducation et à la formation dont elles ont besoin pour améliorer leurs
perspectives professionnelles et pour faciliter leur transition de l’économ ie informelle
vers l’économie formelle. De plus, ils devraient faire en sorte que les peuples et les
femmes autochtones continuent d’exercer leurs activités et d’en tirer profit, sans
discrimination.
50. Le Comité recommande aux États parties :
a) de garantir des conditions de travail égales, sûres, justes et favorables,
et la sécurité de revenu aux femmes et aux filles autochtones, notamment :
i) en élargissant et promouvant les possibilités de formation technique
et professionnelle qui s’offrent à elles ;
ii) en améliorant les possibilités pour les femmes autochtones de gérer
une affaire et de devenir entrepreneuses. Les États devraient soutenir les
entreprises dirigées par des femmes autochtones et aider les communautés
autochtones à générer de la richesse en facilitant l’accès aux capitaux et aux
débouchés commerciaux ;
iii) en favorisant leur transition de l’économie informelle à l’économie
formelle si elles le souhaitent ;
iv) en préservant la santé et la sécurité au travail des femmes autochtones
dans toutes les formes d’emploi ;
v) en étendant la couverture de la protection sociale et en offrant des
services de garde d’enfant adaptés aux femmes autochtones, en particulier
celles qui travaillent à leur compte58 ;
vi) en s’assurant que les peuples et les femmes autochtones continuent
d’exercer leurs activités et d’en tirer profit, sans discrimination, et en
garantissant les droits collectifs relatifs aux terres sur lesquelles ces
activités sont menées ;
vii) en intégrant pleinement le droit à des conditions de travail justes et
favorables et le principe d’un salaire égal pour un travail de valeur égale
dans les cadres juridiques et politiques, en accordant une attention
particulière aux femmes et aux filles autochtones qui travaillent
légalement59. Les États parties devraient promouvoir l’entrepreneuriat en
veillant à ce que les femmes autochtones bénéficient de l’égalité d’accès aux
prêts et à d’autres formes de crédit financier, sans garanties, afin de leur
permettre de créer leur propre entreprise et d’atteindre l’autonomie
économique ;
b) de prendre des mesures pour prévenir la discrimination, le racisme,
les stéréotypes, la violence fondée sur le genre et le harcèlement sexuel à l’égard
des femmes autochtones sur le lieu de travail, et d’établir et d’appliquer des
mécanismes de signalement et de responsabilité efficaces, notamment au moyen
d’inspections du travail régulières ;
c) de faire en sorte que les femmes et les filles autochtones aient accès à
la formation technique et professionnelle, notamment dans les sciences, les
__________________
58 Ibid., par. 40 et 41.
59 Ibid., par. 50.
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technologies, l’ingénierie et les mathématiques, ainsi que dans les TIC et dans
d’autres domaines dont les peuples autochtones sont traditionnellement exclus.
E. Droit à la santé (art. 10 et 12)
51. Les femmes et les filles autochtones jouissent d’un accès limité aux services de
santé, notamment aux services et aux informations en matière de santé sexuelle et
reproductive, et se heurtent à la discrimination raciale et fondée sur le genre au sein
des systèmes de santé. Leur consentement préalable, libre et éclairé n’est souvent pas
respecté dans le secteur médical. Les professionnels de santé ont souvent des préjugés
raciaux et sexistes, sont peu soucieux de la réalité, de la culture et des opinions des
femmes autochtones, ne parlent pas les langues autochtones, et ne proposent que
rarement des services respectant la dignité, l’intimité, le consentement éclairé et
l’autonomie reproductive des femmes autochtones. Ces dernières peinent
fréquemment à accéder à des informations et une éducation en matière de santé
sexuelle et reproductive, notamment sur les méthodes de planification familiale, la
contraception, et l’accès à l’avortement sécurisé et légal. Elles sont souvent victimes
de violence fondée sur le genre au sein du système de santé, notamment de violence
obstétricale ; de pratiques coercitives, comme la stérilisation non consentie ou la
contraception forcée ; d’entraves à leur capacité de décider du nombre de naissances
et de leur espacement. Les sages-femmes et les accoucheuses autochtones sont
souvent criminalisées, et leurs connaissances techniques sont sous -évaluées par les
systèmes de santé non autochtones. Les pandémies ont une incidence
disproportionnée sur les femmes et les filles autochtones, et les États parties doivent
garantir leur accès à des services de santé, de dépistage et de vaccination adaptés à
leur culture durant ces situation s d’urgence.
52. Le Comité recommande aux États parties :
a) de s’assurer que les services et les infrastructures de santé de qualité
sont disponibles, accessibles, abordables, adaptés sur le plan culturel et
acceptables pour les femmes et les filles autochtones, notamme nt celles qui
présentent un handicap, les femmes âgées, et les femmes et les filles lesbiennes,
bisexuelles, transgenres et intersexes, et de veiller à ce que le consentement
préalable, libre et éclairé, la confidentialité et la vie privée soient respectés dans
le cadre de la prestation de services ;
b) de garantir que les femmes et les filles autochtones reçoivent
rapidement des informations complètes et exactes, dans des formats accessibles,
sur les services de santé sexuelle et reproductive, et l’accès abordable à ces
services, notamment l’avortement sécurisé et les formes modernes de
contraception ;
c) de faire en sorte que des informations relatives à la santé soient
largement diffusées dans les langues autochtones, notamment dans les médias
conventionnels et sur les médias sociaux ;
d) de garantir la reconnaissance des systèmes de santé, du savoir
ancestral, des pratiques, des sciences et des technologies autochtones, et de
prévenir et punir la criminalisation de ces derniers ;
e) de dispenser aux professionnels de santé, notamment aux agents de
santé communautaire et aux accoucheuses, qui traitent les femmes et les filles
autochtones, des formations tenant compte des questions de genre et de la
culture, ainsi que d’une démarche soucieuse du genre e t de l’interculturalité,
comme établi aux paragraphes 4 et 5, et d’encourager les femmes autochtones à
choisir un métier dans le secteur médical ;
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f) d’adopter des mesures pour prévenir toutes les formes de violence
fondée sur le genre, les pratiques coercitives, la discrimination, les stéréotypes
sexistes et les préjugés raciaux dans le cadre de la fourniture de services de santé.
F. Droit à la culture (art. 3, 5, 13 et 14)
53. La culture est une composante essentielle de la vie des femmes et des filles
autochtones. Elle est intrinsèquement liée à leurs terres, à leurs territoires, à leur
histoire et à leurs dynamiques communautaires. Il existe de nombreuses sources de
culture pour les femmes et les filles autochtones, notamment la langue, les vêtements,
la cuisine, les pratiques médicinales, le respect des lieux sacrés, la religion et les
traditions, qui transmettent l’histoire et l’héritage des communautés et des peuples.
Les femmes autochtones ont le droit non seulement de vivre leur culture mais aussi
d’en contester les aspects qu’elles jugent discriminatoires, comme les lois, politiques
et pratiques d’un autre âge contraires au droit international des droits humains et à
l’égalité des sexes. Conformément à l’article 12 de la Convention relative aux droits
de l’enfant, les filles autochtones ont le droit d’exprimer leur opinion et de participer
aux débats sur toute question culturelle les intéressant, soit directement, soit par le
truchement d’un représentant, en tenant compte de leur âge et de leur degré de
maturité60. Les États devraient veiller à ce que les femmes et les filles autochtones
puissent pleinement prendre part aux activités sportives et de loisir, libres de toute
forme de discrimination.
54. La dépossession, l’absence de reconnaissance juridique et l’utilisation non
autorisée des territoires, des terres et des ressources naturelles autochtones, ainsi que
la dégradation de l’environnement, notamment la perte de biodivers ité, la pollution
et les changements climatiques, menacent directement l’autodétermination, l’intégrité
culturelle et la survie des femmes et des filles autochtones, tout comme l’utilisation
et l’appropriation non autorisée de leurs connaissances technique s, de leurs pratiques
spirituelles et de leur héritage culturel par des acteurs étatiques et des tiers. Les États
devraient protéger et préserver les langues, la culture et le savoir autochtones,
notamment en recourant à des outils numériques ; en punissant l’appropriation et
l’utilisation non autorisées de ces langues, de cette culture et de ce savoir ; en
respectant et en protégeant les terres, les territoires et les lieux sacrés des peuples
autochtones.
55. Le Comité recommande aux États parties :
a) de garantir le droit individuel et collectif des femmes et des filles
autochtones de conserver leur culture, leur identité et leurs traditions, et de
choisir leur voie et leur projet de vie ;
b) de respecter, de protéger et d’étendre les droits des peuples
autochtones relatifs aux terres, aux territoires, aux ressources et à un
environnement sûr, propre et durable en tant que prérequis de la préservation
de la culture des femmes et des filles autochtones ;
c) d’exercer leur devoir de précaution afin de prévenir l’utilisation ou
l’appropriation non autorisées du savoir et de l’héritage culturels des femmes et
des filles autochtones sans leur consentement préalable, libre et éclairé et sans
partage équitable des bénéfices, d’enquêter sur ces faits, d’en punir les auteurs
et d’indemniser les victimes ;
__________________
60 Comité des droits de l’enfant, observation générale n o 11, par. 38.
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d) de collaborer avec les peuples autochtones, notamment les femmes,
afin d’élaborer des cursus et des programmes scolaires adaptés à leur culture ;
e) d’étudier la relation entre technologie et culture car les outils
numériques peuvent jouer un rôle important dans la transmission et la
protection des langues et de la culture autochtones. Si des outils numériques sont
utilisés pour favoriser la transmission et la protection de la culture autochtone,
ceux-ci devraient être accessibles et adaptés aux femmes et aux filles
autochtones ;
f) de reconnaître et de protéger la propriété intellectuelle des femmes
autochtones ; leur héritage culturel ; leurs connaissances scientifiques et
médicales ; leurs formes d’expression par la littérature, l’art, la musique et la
danse ; leurs ressources naturelles. Lorsqu’ils adoptent des mesures, les États
parties doivent tenir compte des préférences des femmes et des filles autochtones.
Ces mesures peuvent notamment porter sur la reconnaissance, l’enregistrement
et la protection des droits d’auteur individuels et collectifs des femmes et des
filles autochtones en vertu des régimes nationaux de droits de propriété
intellectuelle, et doivent empêcher l’utilisation non autorisée de leur propriété
intellectuelle, de leur héritage culturel, de leurs connaissances scientifiques et
médicales, et de leurs formes d’expressions par la littérature, l’art, la musique et
la danse, ainsi que de leurs ressources naturelles par des tierces parties. Les États
devraient également respecter le principe de consentement préalable, libre et
éclairé des autrices et des artistes autochtones, et les formes orales et autres
formes coutumières de transmission de leurs connaissances traditionnelles, de
leur héritage culturel, et de leurs productions scientifiques, littéraires ou
artistiques61 ;
g) de prendre les précautions qui s’imposent pour respecter et protéger
les lieux sacrés des peuples autochtones et leurs territoires, et tenir les
contrevenants responsables.
G. Droits relatifs aux terres, aux territoires et aux ressources
naturelles (art. 13 et 14)
56. Les terres et les territoires font partie intégrante de l’identité, de la vision du
monde, des moyens de subsistance, de la culture et de l’esprit des femmes et des filles
autochtones. Leur vie, leur bien -être, leur culture et leur survie sont intrinsèquement
liés à l’utilisation et à la jouissance de leurs terres, de leurs territoires et de leurs
ressources naturelles. La reconnaissa nce limitée de leurs droits de propriété des
territoires ancestraux ; l’absence de titres de propriété des terres et de protection
juridique des traditions et du patrimoine ; le manque de reconnaissance des terres des
peuples autochtones et droits de propriété natifs dans les traités et aux niveaux
constitutionnel et législatif dans de nombreux pays 62 , affaiblissent les droits des
peuples autochtones, notamment les droits collectifs de propriété, de possession,
d’utilisation et de jouissance des terres et d es ressources, et encouragent l’État et les
acteurs privés à les outrepasser. La non -reconnaissance des droits fonciers des peuples
autochtones peut conduire à la pauvreté, et à l’insécurité alimentaire et hydrique,
freiner l’accès à des ressources nécessa ires à la survie, et créer des conditions
dangereuses, donnant lieu à des actes de violence fondée sur le genre à l’égard des
__________________
61 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale n o 17 (2005) sur le droit
de chacun de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute
production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur, par. 32.
62 A/HRC/45/38, par. 5 à 9.
CEDAW/C/GC/39
22-24375 27/29
femmes et des filles autochtones. Les États sont tenus, par le droit international, de
délimiter et démarquer les territoires de p euples autochtones, d’établir les titres de
propriété correspondants et d’en assurer la sécurité afin de prévenir la discrimination
à l’égard des femmes et des filles autochtones.
57. Le Comité recommande aux États parties :
a) de reconnaître le droit individuel et collectif des peuples et des femmes
autochtones de posséder et de contrôler les terres relevant de leurs régimes
fonciers coutumiers, et d’élaborer des politiques et des lois qui reflètent cette
reconnaissance dans l’économie locale et nationale ;
b) de reconnaître juridiquement le droit à l’autodétermination et
l’existence des droits des peuples autochtones relatifs aux terres, aux territoires
et aux ressources naturelles dans les traités, les constitutions et les lois à l’échelle
nationale ;
c) d’exiger le consentement préalable, libre et éclairé des femmes et des
filles autochtones avant d’autoriser que des projets relatifs à l’économie, au
développement, à l’extraction, et à l’atténuation des changements climatiques et
à l’adaptation à ces phénomènes soient menés sur leurs terres et leurs territoires,
et en lien avec leurs ressources naturelles. Il est recommandé d’établir des
protocoles d’obtention du consentement préalable, libre et éclairé afin de guider
ces processus ;
d) de prévenir et de réglementer les activités des entreprises, des sociétés
et d’autres acteurs privés susceptibles de nuire aux droits des femmes et des filles
autochtones à leurs terres, leurs territoires et leur environnement, notamment
des mesures visant à punir et prévenir la répétition de ces violations des droits
humains, à garantir la disponibilité de recours et à octroyer des réparations ;
e) d’adopter une stratégie globale pour lutter contre les stéréotypes, les
attitudes et les pratiques discriminatoires qui sapent le droit des femmes
autochtones à leurs terres, leurs territoires et leurs ressources naturelles63.
H. Droits relatifs à l’alimentation, à l’eau et aux semences ( art. 12
et 14)
58. Les femmes et les filles autochtones jouent un rôle clé dans leur communauté
en garantissant l’alimentation, l’eau, les moyens de subsistance et la survie. Le fait
de les déposséder de leurs territoires et de les déplacer de force, et le manque de
reconnaissance des droits fonciers autochtones limiten t leurs chances d’atteindre la
sécurité alimentaire et hydrique, et de gérer ces ressources naturelles indispensables.
La mise en oeuvre d’activités extractives et autres, et de projets de développement
peut entraîner une pollution, une perturbation et une dégradation de l’alimentation et
de l’eau, et faire obstacles aux pratiques agricoles ancestrales. Les changements
climatiques et d’autres formes de dégradation de l’environnement, eux aussi,
menacent la sécurité alimentaire, et polluent et perturbent l’ap provisionnement en
eau. Les États devraient adopter d’urgence des mesures pour garantir que les femmes
et les filles autochtones jouissent d’un accès adapté à l’alimentation, à la nutrition et
à l’eau en quantité suffisante. La marchandisation croissante d es semences, qui sont
un élément essentiel du savoir ancestral et de l’héritage culturel des peuples
autochtones, est une source particulière d’inquiétude. En effet, elle est souvent
pratiquée sans qu’aucun de ses bénéfices ne soit partagé avec les femmes autochtones.
La prolifération des cultures transgéniques ou génétiquement modifiées préoccupe les
__________________
63 Recommandation générale no 34, par. 57.
CEDAW/C/GC/39
28/29 22-24375
peuples autochtones et se produit souvent sans que les femmes et les filles
autochtones ne soient consultées.
59. Le Comité recommande aux États parties :
a) de garantir un accès adapté à l’alimentation, à l’eau et aux semences
en quantité suffisante aux femmes et des filles autochtones, et de reconnaître leur
contribution à la production alimentaire, à la souveraineté et au développement
durable ;
b) de protéger les formes d’agriculture et les moyens de subsistance
ancestraux des femmes autochtones, et de garantir la participation réelle des
femmes et des filles autochtones à la conception, l’adoption et la mise en oeuvre
des programmes de réforme agraire, et à la gestion et au contrôle des ressources
naturelles ;
c) d’exercer leur devoir de précaution en prévenant la violence fondée
sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones lorsque celles -ci
accomplissent des travaux agricoles, et vont chercher de la nourriture et de l’eau
pour leur famille et leur communauté, d’enquêter sur les actes perpétrés à leur
encontre et d’en punir les auteurs, et de veiller à ce qu’elles aient accès aux
avantages apportés par les progrès scientifiques et les innovations technologiques
afin d’atteindre la sécurité alimentaire et hydrique, et à ce qu’elles soient
indemnisées pour leurs contributions et leurs connaissances techniques. De plus,
leurs contributions technologiques devraient être reconnues par les États
parties.
I. Droit à un environnement propre, sain et durable (art. 12 et 14)
60. Le droit à un environnement propre, sain et durable comprend le droit à un
climat sûr et stable ; à une alimentation et une eau sûres et en quantité suffisante ; à
des écosystèmes en bonne santé et à la biodiversité ; à un environnement non toxique ;
à la participation ; à l’accès à l’information ; d’accéder à la justice dans les affaires
environnementales 64 . Les femmes et les filles autochtones parlent de « Terre
nourricière », concept qui reflète le lien vital que celles -ci entretiennent avec un
environnement sain, et avec leurs terres, leurs territoires et leurs ressources naturelles.
La pollution, la contamination, la déforestation, la combustion des énergies fossiles
et la perte de biodiversité imputables à l’activité humaine menacent cette relation.
L’incapacité des États de prendre des mesures adéquates pour prévenir ces graves
dommages environnementaux, s’y adapter et y remédier constitue une forme de
discrimination et de violence à l’égard des femmes et des filles autochtones contre
laquelle il faut rapidement lutter. De plus, les États devraient prendre des dispositions
pour reconnaître la contributio n des femmes autochtones au travers de leur savoir
technique, et de leurs efforts de préservation et restauration de la biodiversité en les
associant aux prises de décisions, aux négociations et aux discussions relatives à
l’action climatique et aux mesure s d’atténuation et d’adaptation. Les États devraient
agir sans tarder afin de soutenir le travail des femmes et des filles autochtones
défenseuses des droits humains liés à l’environnement, et de garantir leur protection
et leur sécurité.
61. Le Comité recommande aux États parties :
a) de s’assurer que les lois et les politiques relatives à l’environnement,
aux changements climatiques et à la réduction des risques de catastrophes
tiennent compte des effets particuliers des changements climatiques et d’ autres
__________________
64 Voir résolution 48/13 du Conseil des droits de l’homme.
CEDAW/C/GC/39
22-24375 29/29
formes de dégradation et de dommages environnementaux, notamment la triple
crise planétaire65 ;
b) de garantir que les femmes et les filles autochtones jouissent de
l’égalité des chances afin qu’elles puissent réellement et effectivement participe r
à la prise de décisions sur les questions relatives à l’environnement, à la
réduction des risques de catastrophe et aux changements climatiques 66 ;
c) de veiller à ce que des recours effectifs et des mécanismes de
responsabilité soient mis en place pour tenir les auteurs de dommages
environnementaux responsables, et de garantir l’accès des femmes et des filles à
la justice dans les affaires environnementales ;
d) de faire en sorte d’obtenir le consentement préalable, libre et
éclairé des femmes et des filles autochtones pour toutes les questions touchant à
leur environnement, à leurs terres, à leur héritage culturel et à leurs ressources
naturelles, notamment toute proposition visant à faire de leurs terres une zone
protégée à des fins de protection de l’environnement, d’atténuation des
changements climatiques ou de stockage et d’échange du carbone, ou à y mettre
en oeuvre un projet d’énergie verte, ou toute autre question ayant une forte
incidence sur leurs droits humains.
__________________
65 Recommandation générale no 37, par. 26.
66 Ibid., par. 36.
GE.23-00043 (F) 170523 190523
Comité des droits économiques, sociaux et culturels
Observation générale no 26 (2022) sur la terre et les droits
économiques, sociaux et culturels*
I. Introduction
1. La terre joue un rôle de premier plan dans la réalisation d’un ensemble de droits
énoncés dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Garantir que les particuliers et les communautés aient accès à la terre et puissent l’utiliser et
la contrôler, le tout dans des conditions sûres et équitables, peut être essentiel à l’élimination
de la faim et de la pauvreté et à la concrétisation du droit à un niveau de vie suffisant.
L’utilisation durable des terres est fondamentale pour garantir le droit à un environnement
propre, sain et durable et promouvoir le droit au développement, entre autres droits. Dans de
nombreuses régions du monde, la terre n’est pas uniquement une ressource qui permet de
produire des aliments, de générer des revenus et de construire des logements, elle sert aussi
de base à diverses pratiques sociales, culturelles et religieuses et à l’exercice du droit de
participer à la vie culturelle. Parallèlement, les régimes fonciers sûrs, en ce qu’ils permettent
de garantir les moyens de subsistance et de prévenir et de régler les litiges, sont importants
pour protéger l’accès des populations à la terre.
2. Cependant, les modalités actuelles d’utilisation et d’administration des terres ne sont
pas propices à la réalisation des droits consacrés par le Pacte. Les principaux facteurs
d’explication sont les suivants :
a) La concurrence pour l’accès à la terre et le contrôle de celle-ci s’est accrue, et
la forte demande foncière et l’urbanisation rapide, qui sont des tendances à long terme dans
la plupart des régions du monde, ont eu de sérieuses conséquences sur les droits de
nombreuses personnes, en particulier des paysans, des populations rurales, des éleveurs, des
pêcheurs et des peuples autochtones, ainsi que des personnes pauvres vivant en zone urbaine ;
b) Dans les villes, la financiarisation du marché du logement a introduit une
concurrence entre différents groupes pour l’accès à la terre et le contrôle de celle-ci et a
alimenté la spéculation et l’inflation, portant ainsi atteinte aux droits des personnes laissées
pour compte à un niveau de vie suffisant et à un logement convenable ;
c) Dans les zones rurales, la concurrence pour les terres arables, qui résulte de la
croissance démographique, de l’urbanisation, des grands projets de développement et du
tourisme, a des répercussions considérables sur les moyens de subsistance et les droits des
populations rurales ;
d) Conséquence de la surexploitation, de la mauvaise gestion et des pratiques
agricoles non durables, la dégradation des terres engendre une insécurité alimentaire et
provoque la dégradation de l’eau, en plus d’être directement liée aux changements
climatiques et à la dégradation de l’environnement, venant ainsi accroître le risque de
* Adoptée par le Comité à sa soixante-douzième session (26 septembre-14 octobre 2022).
Nations Unies E/C.12/GC/26
Conseil économique et social Distr. générale
24 janvier 2023
Français
Original : anglais
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Merci de recycler@ oe~
1
• •
E/C.12/GC/26
2 GE.23-00043
modifications généralisées, abruptes et irréversibles de l’environnement, notamment une
désertification massive1 ;
e) Les mesures d’atténuation des changements climatiques, telles que les projets
de production d’énergie renouvelable à grande échelle ou les mesures de reboisement,
pourraient venir aggraver les facteurs susmentionnés si elles ne sont pas correctement gérées ;
f) Les tendances mondiales, notamment les changements climatiques et
l’augmentation des migrations internes et transfrontalières qui en découle, sont susceptibles
d’accroître les tensions liées à l’accès à la terre et à l’utilisation et à l’occupation de celle-ci,
ce qui aura des conséquences néfastes sur les droits de l’homme ;
g) Ces problèmes sont exacerbés lorsque les cadres juridiques et institutionnels
de gouvernance des régimes fonciers sont faibles, mal gérés, corrompus ou inexistants, ce
qui entraîne des litiges et des conflits fonciers et une recrudescence des inégalités sociales,
de la faim et de la pauvreté.
3. Les préoccupations relatives à l’accès à la terre et à l’utilisation et au contrôle de
celle-ci ont conduit, ces dernières années, à l’adoption de plusieurs instruments
internationaux qui ont été largement approuvés par les États et ont profondément influencé
la législation et les politiques publiques nationales. En 2004, le Conseil de l’Organisation des
Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a adopté les Directives volontaires à l’appui
de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la
sécurité alimentaire nationale2, qui contiennent plusieurs dispositions relatives à l’accès aux
ressources naturelles, y compris à la terre et à l’eau. En 2012, le Comité de la sécurité
alimentaire mondiale a approuvé les Directives volontaires pour une gouvernance
responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le
contexte de la sécurité alimentaire nationale3 ; ces directives ont acquis une grande légitimité,
notamment du fait de la nature inclusive du Comité. En 2014, ce même Comité a approuvé
les Principes pour un investissement responsable dans l’agriculture et les systèmes
alimentaires4, qui traitent notamment des conséquences des investissements agricoles sur les
droits de l’homme. En 2007, par sa résolution 61/295, l’Assemblée générale a adopté la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et en 2018, par sa
résolution 73/165, elle a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans
et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, dans lesquelles elle a reconnu le
droit à la terre des populations concernées. L’importance que revêt la terre pour la réalisation
de nombreux droits de l’homme a conduit des universitaires et rapporteurs spéciaux et des
organisations de la société civile à considérer le droit à la terre comme un droit de l’homme,
en référence à tous les droits et à toutes les obligations des États qui ont trait à la terre. À titre
d’exemple, on peut citer les Principes de base et directives concernant les expulsions et les
déplacements liés au développement, qui ont été élaborés par le Rapporteur spécial sur le
logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant5.
4. Le Comité a élaboré la présente observation générale en se fondant sur l’expérience
qu’il a acquise à l’occasion de l’examen des rapports des États parties6 et à la lumière de ses
autres observations générales et de ses constatations et décisions concernant des
communications. Elle vise à expliciter les obligations des États s’agissant de l’incidence de
l’accès à la terre et de l’utilisation et du contrôle de celle-ci sur la jouissance des droits
consacrés par le Pacte, en particulier pour les individus et les groupes les plus défavorisés et
marginalisés. Elle a donc pour objet de préciser les obligations énoncées dans le Pacte qui
1 Voir Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, Perspectives territoriales
mondiales, 2e éd. (Bonn, 2022). Selon ce rapport, entre 20 % et 40 % des terres dans le monde sont
déjà dégradées.
2 Voir https://www.fao.org/3/y7937f/y7937f00.htm.
3 Voir https://www.fao.org/documents/card/en/c/f83e0b47-0f00-5f0c-8780-9fd21712d40d.
4 Voir https://www.fao.org/3/au866f/au866f.pdf.
5 A/HRC/4/18, annexe I.
6 Depuis 2001, le Comité a fait référence à des questions liées à la terre dans une cinquantaine
d’observations finales. Voir, par exemple, E/C.12/IND/CO/5, E/C.12/KHM/CO/1,
E/C.12/MDG/CO/2 et E/C.12/TZA/CO/1.
E/C.12/GC/26
GE.23-00043 3
concernent particulièrement la terre, en particulier les droits visés par les articles 1er, 2, 3, 11,
12 et 15.
II. Dispositions du Pacte qui ont trait à la terre
5. L’accès à la terre et l’utilisation et le contrôle de celle-ci, le tout dans des conditions
sûres et équitables, peuvent avoir des répercussions directes et indirectes sur la jouissance
d’un ensemble de droits consacrés par le Pacte.
6. Premièrement, la terre est essentielle pour garantir l’exercice du droit à une
alimentation adéquate, car elle est utilisée dans les zones rurales à des fins de production
alimentaire. Par conséquent, si les exploitants sont privés des terres qu’ils utilisent à des fins
productives, leur droit à une alimentation adéquate pourrait être menacé. L’article 11 (par. 2)
du Pacte dispose que les États parties, conscients du lien entre le droit d’être à l’abri de la
faim et l’utilisation des ressources naturelles, y compris des terres, devraient développer ou
réformer leurs régimes agraires de manière à assurer au mieux la mise en valeur et
l’utilisation des ressources naturelles. L’observation générale no 12 (1999) du Comité sur le
droit à une nourriture suffisante et les Directives volontaires à l’appui de la concrétisation
progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire
nationale insistent sur l’importance de l’accès aux ressources productives en tant qu’élément
indispensable à la réalisation du droit à une alimentation adéquate, en particulier dans les
zones rurales, où vivent la plupart des paysans et des éleveurs et où la faim sévit le plus.
7. Deuxièmement, comme la terre fournit des espaces pour le logement, l’exercice du
droit à un logement convenable est largement tributaire de la sécurité d’accès à la terre, sans
laquelle les personnes peuvent être soumises à des déplacements et à des expulsions
susceptibles de porter atteinte à leur droit à un logement convenable. Dans les zones rurales,
la sécurité d’accès à la terre concourt à la réalisation du droit à une alimentation adéquate et
du droit à un logement convenable, étant donné que les habitations sont souvent construites
sur des terres utilisées pour produire des denrées alimentaires.
8. Troisièmement, la terre est directement liée à l’exercice du droit à l’eau. Par exemple,
la fermeture des terrains communaux empêche les habitants d’avoir accès aux sources d’eau
nécessaires à la satisfaction de leurs besoins personnels et domestiques.
9. Quatrièmement, l’utilisation des terres peut avoir des répercussions sur la jouissance
du droit au meilleur état de santé physique et mental susceptible d’être atteint. Par exemple,
les utilisations des terres qui reposent sur les pesticides, les engrais et les régulateurs de
croissance ou qui entraînent la production de déchets animaux et d’autres micro-organismes
contribuent à l’apparition de diverses maladies respiratoires.
10. Cinquièmement, la terre est étroitement et souvent intrinsèquement liée à l’exercice
du droit de participer à la vie culturelle en raison de son caractère spirituel ou religieux
particulier pour de nombreuses communautés, par exemple lorsqu’elle sert de base à des
pratiques sociales, culturelles et religieuses ou à l’expression de l’identité culturelle7. Ce qui
précède est particulièrement vrai pour les peuples autochtones, les paysans et les autres
communautés qui ont des modes de vie traditionnels.
11. Sixièmement, la terre est également étroitement liée au droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes, qui est consacré par l’article premier du Pacte et dont l’importance a été
soulignée dans la Déclaration sur le droit au développement (1986). La réalisation de ce droit
est une condition essentielle de la garantie et du respect effectif des droits individuels de
7 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Centre for Minority Rights Development
(Kenya) and Minority Rights Group (on behalf of Endorois Welfare Council) v. Kenya,
communication no 276/03, Décision, quarante-sixième session ordinaire, 11-25 novembre 2005,
par. 241 ; Cour interaméricaine des droits de l’homme, Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community v.
Nicaragua, arrêt, 31 août 2001, par. 148, 149 et 151, et Yakye Axa Indigenous Community v.
Paraguay, arrêt, 17 juin 2005, par. 131 et 132 ; et Chambre des droits de l’homme de la
Bosnie-Herzégovine, The Islamic Community in Bosnia and Herzegovina v. The Republika Srpska,
affaire no CH/96/29, décision, 11 juin 1999, par. 182 et 187.
E/C.12/GC/26
4 GE.23-00043
l’homme ainsi que de la promotion et du renforcement de ces droits8. Les peuples autochtones
ne peuvent assurer librement leur développement politique, économique, social et culturel,
et disposer librement de leurs richesses et ressources naturelles pour atteindre leurs fins que
s’ils ont des terres ou territoires sur lesquels ils peuvent exercer leur droit à disposer
d’eux-mêmes9. La présente observation générale ne traite que de la dimension interne du
droit des peuples autochtones à l’autodétermination, qui doit être exercé conformément au
droit international et dans le respect de l’intégrité territoriale des États10. Dans ce contexte, la
propriété collective des terres, territoires et ressources des peuples autochtones doit être
respectée, ce qui suppose que ces terres et territoires soient délimités et protégés par les États
parties.
III. Obligations des États parties au titre du Pacte
A. Non-discrimination, égalité et groupes ou personnes nécessitant
une attention particulière
12. En application des articles 2 (par. 2) et 3 du Pacte, les États parties sont tenus
d’éliminer toutes les formes de discrimination et d’assurer une égalité réelle11. Par
conséquent, ils doivent réexaminer régulièrement leurs lois et politiques nationales afin de
garantir qu’elles n’entraînent pas une discrimination fondée sur des motifs interdits. Ils
devraient également adopter des mesures particulières, y compris des dispositions légales, en
vue d’éliminer la discrimination dont les entités publiques comme privées peuvent faire
l’objet dans le contexte des droits liés à la terre énoncés dans le Pacte. Les femmes, les
peuples autochtones, les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales
méritent une attention particulière, soit parce qu’ils ont traditionnellement été victimes de
discrimination s’agissant d’accéder à la terre, de l’utiliser et de la contrôler, soit parce qu’ils
entretiennent une relation particulière avec elle.
1. Les femmes
13. Les femmes font partie des personnes qui sont touchées de manière disproportionnée
par le manque d’accès à la terre, les difficultés associées à l’utilisation et au contrôle de
celle-ci et la mauvaise gouvernance des terres, qui compromettent l’exercice des droits
qu’elles tiennent du Pacte et peuvent être source de discrimination, y compris de
discriminations croisées. Dans plusieurs de ses observations finales, le Comité a appelé
l’attention des États sur la discrimination dont les femmes font l’objet en ce qui concerne la
sécurité de l’occupation des terres, l’accès à la terre et l’utilisation et le contrôle celle-ci, les
régimes matrimoniaux, la succession et l’exclusion des processus décisionnels, y compris
dans le contexte des régimes fonciers communaux12. Dans son observation générale no 16
(2005), il a fait observer que les femmes avaient le droit de posséder, d’utiliser ou de gérer
un logement, des terres et des biens dans des conditions d’égalité avec les hommes, et d’avoir
accès aux ressources nécessaires à ces fins (par. 28)13. Dans son observation générale no 12
(1999), il a souligné l’importance d’un accès sans restriction et en pleine égalité aux
8 Comité des droits de l’homme, observation générale no 12 (1984), par. 1.
9 Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, préambule et art. 10 et 26.
10 Käkkäläjärvi et consorts c. Finlande (CCPR/C/124/D/2950/2017).
11 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 20 (2009), par. 7 et 8.
12 En ce qui concerne la discrimination en matière d’accès à la terre, en particulier d’accès et de
propriété, voir, par exemple, E/C.12/GIN/CO/1, E/C.12/CMR/CO/4, E/C.12/MLI/CO/1,
E/C.12/NER/CO/1, E/C.12/ZAF/CO/1 et E/C.12/CAF/CO/1. En ce qui concerne le très petit nombre
de femmes propriétaires de terrains, voir, par exemple, E/C.12/ZAF/CO/1. En ce qui concerne les lois
et pratiques traditionnelles et coutumières qui privent les femmes de leurs droits en matière de
succession et de propriété, voir, par exemple, E/C.12/BEN/CO/3, E/C.12/CMR/CO/4,
E/C.12/ZAF/CO/1, E/C.12/NER/CO/1 et E/C.12/CAF/CO/1. En ce qui concerne les attitudes
patriarcales et fondées sur des stéréotypes, voir, par exemple, E/C.12/NER/CO/1.
13 Voir aussi le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de
la femme en Afrique, art. 15, 16, 18 et 19 c).
E/C.12/GC/26
GE.23-00043 5
ressources économiques, en particulier pour les femmes, y compris le droit de posséder des
terres et d’en hériter (par. 26)14.
14. Pour les femmes, la terre est une ressource indispensable pour répondre à leurs besoins
vitaux et pouvoir accéder à d’autres biens et services, notamment au crédit. La terre est
également importante en ce qu’elle permet de renforcer la participation des femmes à la prise
de décisions dans leur ménage, ainsi que leur représentation au sein des institutions rurales
susceptibles d’accroître leur pouvoir décisionnel et leur influence sur les ressources et droits
collectifs. En outre, la propriété féminine contribue à améliorer le bien-être des enfants et
l’accès aux services de soins de santé sexuelle et procréative. Elle réduit aussi l’exposition
des femmes à la violence, en partie parce que celles qui bénéficient de la sécurité
d’occupation peuvent plus facilement fuir la violence domestique et demander une
protection, mais aussi parce que les femmes propriétaires ont un foyer plus sûr, ont davantage
confiance en elles et en leurs capacités, sont associées plus étroitement à la prise des décisions
et sont davantage soutenues par leur cercle social et familial et par la communauté15. C’est
pourquoi toute réforme agraire ou toute activité de redistribution des terres devrait être menée
dans le strict respect du droit des femmes d’obtenir, à égalité avec les hommes et
indépendamment de leur statut matrimonial, une partie des terres ainsi redistribuées. Les
États devraient aussi contrôler et réglementer l’application du droit coutumier − qui est très
suivi dans de nombreux pays pour les questions d’administration des terres − afin de protéger
les droits des femmes et des filles qui sont soumises à la règle traditionnelle de la
primogéniture masculine en matière de succession.
15. Cependant, certaines lois et coutumes sociales, dont celles qui prévoient qu’à la mort
d’un homme, les terres qui lui appartenaient sont transmises à ses fils et non à sa femme ou
à ses filles, continuent de s’appliquer alors qu’elles constituent une violation flagrante des
droits que les femmes tiennent du Pacte16. Pour que les femmes puissent exercer les droits
consacrés par le Pacte dans des conditions d’égalité avec les hommes, il faut supprimer les
réglementations et les structures foncières traditionnelles qui sont discriminatoires à leur
égard, notamment en associant aux régimes de gouvernance foncière traditionnels des
régimes plus modernes17.
2. Les peuples autochtones
16. Le droit des peuples autochtones aux terres et territoires qu’ils occupent
traditionnellement est reconnu par le droit international. La Convention de 1989 relative aux
peuples indigènes et tribaux (no 169) de l’Organisation internationale du Travail et la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (art. 25 à 28)18
reconnaissent toutes deux le droit des peuples autochtones à la terre et aux territoires19. Ces
sources du droit international des droits de l’homme consacrent le respect et la protection des
liens qui unissent les peuples autochtones à leurs terres, territoires et ressources, et disposent
que les États sont tenus de délimiter ces terres, de prévenir tout empiétement et de respecter
le droit de ces peuples de gérer leurs terres selon leurs propres modes d’organisation. Le lien
spirituel que les peuples autochtones entretiennent avec la terre recouvre non seulement les
14 Voir également la recommandation générale no 34 (2016) du Comité pour l’élimination de la
discrimination à l’égard des femmes, dans laquelle celui-ci a affirmé que les droits des femmes des
zones rurales à la terre, aux ressources naturelles, y compris l’eau, les semences, les forêts et la pêche
étaient des droits humains fondamentaux et a souligné que les États parties devraient prendre toutes
les mesures nécessaires pour parvenir à l’égalité réelle des femmes des zones rurales en ce qui
concerne la terre et les ressources naturelles (par. 56 et 57).
15 International Center for Research on Women, Property Ownership & Inheritance Rights of Women
for Social Protection – The South Asia Experience (Washington, 2006), p. 12 et 100. Voir aussi
Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, recommandation générale no 34
(2016), par. 55 à 78.
16 Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, recommandation générale no 34
(2016), par. 55 à 78.
17 Union africaine, Banque africaine de développement et Commission économique pour l’Afrique,
Framework and guidelines on land policy in Africa (Addis-Abeba, 2010), par. 3.1.3.
18 Voir aussi les Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une
alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, directive 9.
19 Voir aussi A/HRC/45/38.
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6 GE.23-00043
cérémonies spirituelles, mais aussi toutes les activités menées sur la terre, notamment la
chasse, la pêche, l’élevage et la cueillette à des fins médicinales et alimentaires. Les États
parties devraient donc garantir le droit des peuples autochtones de conserver et de renforcer
leur lien spirituel avec leurs terres, territoires et ressources, y compris les eaux et les mers
qu’ils possèdent ou qu’ils ne possèdent plus mais qu’ils ont acquises et utilisées par le passé.
Les peuples autochtones ont le droit de faire délimiter leurs terres, et la réinstallation ne
devrait être autorisée que dans certaines circonstances très restreintes et sous réserve du
consentement préalable des groupes concernés, donné librement et en connaissance de
cause20. Les lois et politiques publiques devraient protéger les peuples autochtones contre le
risque d’empiétement de l’État sur leurs terres, notamment dans le cadre de projets industriels
ou de grands investissements dans la production agricole21. Les tribunaux régionaux
compétents en matière de droits de l’homme ont contribué à asseoir le droit des peuples
autochtones à leurs terres et territoires22. Aussi bien la Cour interaméricaine des droits de
l’homme que la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ont estimé que
les peuples autochtones qui, sans leur consentement libre et préalable, avaient été dépossédés
de leurs terres lorsque celles-ci avaient été légalement cédées à des tiers avaient le droit de
récupérer ces terres ou d’en obtenir d’autres d’une superficie et d’une qualité égales23.
17. Récemment, des tribunaux régionaux compétents en matière de droits de l’homme ont
étendu certains des droits liés à la terre dont jouissent les peuples autochtones à certaines
communautés traditionnelles qui entretiennent un rapport analogue à leurs terres ancestrales,
à savoir un rapport centré davantage sur le groupe que sur l’individu24.
3. Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales
18. L’accès à la terre revêt une importance particulière pour la réalisation des droits des
paysans et des autres personnes qui travaillent dans les zones rurales partout dans le monde25.
Pour les paysans, l’accès à la terre et aux autres ressources productives est d’une importance
telle pour la réalisation de la plupart des droits énoncés dans le Pacte qu’il implique pour eux
un droit à la terre. Les articles 5 et 17 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des
paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales reconnaissent le droit à la
terre de toutes ces personnes, y compris des travailleurs agricoles, des éleveurs et des
pêcheurs. Susceptible d’être exercé individuellement et collectivement, le droit à la terre
inclut pour les groupes concernés le droit d’avoir accès à la terre et de l’utiliser et de la gérer
de manière durable afin de jouir d’un niveau de vie suffisant, d’avoir un endroit où vivre en
sécurité, dans la paix et la dignité et de développer leurs cultures26. Les États devraient
prendre des mesures pour aider les paysans à utiliser la terre d’une manière durable, à
20 Les articles 10, 11, 19, 28, 29 et 32 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones font référence à la nécessité d’obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des
peuples autochtones sur les mesures qui les concernent. Il s’agit d’une garantie pour les droits
collectifs des peuples autochtones. Voir A/HRC/39/62.
21 Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 28 et 32.
22 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community v. Nicaragua,
par. 151 et 164. Pour une analyse de la jurisprudence des instances interaméricaines dans ce domaine,
voir Fergus MacKay, « From ‘sacred commitment’ to justiciable norms: indigenous peoples’ rights in
the Inter-American system », dans Casting the Net Wider: Human Rights, Development and New
Duty-Bearers, Margot E. Salomon, Arne Tostensen et Wouter Vandenhole, dir. publ. (Anvers,
Intersentia, 2007). Voir aussi Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples c. République du Kenya, requête no 006/2012, arrêt,
26 mai 2017.
23 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Sawhoyamaxa Indigenous Community v. Paraguay,
arrêt, 29 mars 2006, par. 128 ; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Centre for
Minority Rights Development (Kenya) and Minority Rights Group (on behalf of Endorois Welfare
Council) v. Kenya, par. 209. Dans sa recommandation générale no 23 (1997), le Comité pour
l’élimination de la discrimination raciale a souligné que l’indemnisation « devrait, dans la mesure du
possible, se faire sous forme de terres et de territoires » (par. 5).
24 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Moiwana Community v. Suriname, arrêt, 15 juin 2005,
par. 132 et 133, et Saramaka People v. Suriname, arrêt, 28 novembre 2007, par. 86.
25 Pour un exemple de l’importance que revêt la terre pour les droits civils et politiques des paysans,
voir Portillo Cáceres et consorts c. Paraguay (CCPR/C/126/D/2751/2016).
26 Résolution 39/12 du Conseil des droits de l’homme, annexe, art. 17 (par. 1).
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GE.23-00043 7
préserver la fertilité du sol et ses ressources productives et à faire en sorte que leurs méthodes
de culture ne compromettent pas la jouissance de l’environnement pour autrui, notamment
pour ce qui est de l’accès à l’eau potable et de la protection de la biodiversité.
19. Les États doivent mettre en place des mécanismes permettant le règlement des litiges
fonciers susceptibles d’opposer des peuples autochtones ou des paysans et faire tout leur
possible pour garantir le droit à la terre de ces groupes27, qui sont tous deux largement
tributaires de l’accès aux terres communales ou à la propriété collective. Respecter le droit
des peuples autochtones à disposer d’eux-mêmes et leur régime foncier coutumier suppose
de reconnaître leur propriété collective sur les terres, territoires et ressources28. Il y a
également d’autres groupes, notamment les paysans, les éleveurs et les pêcheurs, pour
lesquels l’accès aux terres communales ou au patrimoine naturel est essentiel, notamment
pour collecter du bois de chauffage, de l’eau ou des plantes médicinales ou encore pour
chasser ou pêcher. Les modalités coutumières de propriété peuvent offrir une sécurité aux
personnes qui sont tributaires du patrimoine naturel ou pour lesquelles l’obtention de droits
de propriété en bonne et due forme n’est généralement pas la bonne solution. Néanmoins,
toute tentative malavisée de formaliser les droits fonciers coutumiers en procédant à
l’attribution de titres de propriété et en clôturant les terres communales pourrait empêcher
ces personnes d’accéder aux ressources dont elles dépendent, ce qui porterait atteinte à leur
droit à l’alimentation et à l’eau et à d’autres droits consacrés par le Pacte. Par conséquent, les
États ont l’obligation de garantir la sécurité de l’accès à la terre à tous les utilisateurs légitimes
sans discrimination, y compris à ceux qui dépendent des terres collectives ou communales.
B. Participation, consultation et transparence
20. La participation, la consultation et la transparence sont des principes fondamentaux
de l’exécution des obligations découlant du Pacte, y compris celles qui concernent la terre.
Les particuliers et les communautés doivent être correctement informés des processus de
prise de décisions susceptibles d’influer sur leur jouissance des droits liés à la terre énoncés
dans le Pacte et être autorisés à y participer véritablement, sans subir de représailles29. Pour
que la participation aux processus décisionnels soit fondée sur les droits de l’homme, il est
indispensable que toutes les parties concernées aient accès dans des conditions d’égalité à
des informations suffisantes et transparentes. Les États parties devraient élaborer les lois,
stratégies et procédures qui s’imposent pour garantir le respect des principes de transparence,
de participation et de consultation dans les processus décisionnels touchant à la terre,
notamment à l’enregistrement, à l’administration et au transfert des terres, ainsi qu’avant
toute mesure d’expulsion. Les processus de prise de décisions doivent être transparents,
organisés dans les langues des personnes concernées, ne pas présenter d’obstacles et offrir
les aménagements raisonnables nécessaires à toutes les personnes impliquées.
21. Les processus décisionnels devraient être largement portés à la connaissance du public
et permettre l’accès à tous les documents pertinents. Les personnes concernées doivent être
contactées avant que toute décision susceptible d’avoir une incidence sur les droits qu’elles
tiennent du Pacte soit prise. Pour les peuples autochtones, la norme juridique internationale
applicable est celle du consentement préalable, donné librement et en connaissance de
cause30, qui doit être obtenu dans le cadre d’un dialogue et de négociations à cette fin. Les
27 Sur la nécessité d’harmoniser le droit à la terre des paysans et des peuples autochtones, voir
Indigenous Communities of the Lhaka Honhat (Our Land) Association v. Argentina, arrêt, 6 février
2020.
28 A/HRC/45/38. Voir aussi Käkkäläjärvi et consorts c. Finlande (CCPR/C/124/D/2950/2017).
29 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 16 (2005), par. 37, et
observation générale no 21 (2009), par. 16 c). Voir également Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples, « Lignes directrices et principes de l’établissement des rapports d’État en
vertu des articles 21 et 24 de la Charte africaine relatifs aux industries extractives, aux droits de
l’homme et à l’environnement » (Niamey, 2017), p. 26 et 27 ; Directives volontaires pour une
gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le
contexte de la sécurité alimentaire nationale, par. 3B (al. 6)).
30 Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres,
aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, par. 9.9.
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8 GE.23-00043
peuples autochtones ne doivent pas seulement être associés aux processus décisionnels, ils
doivent également être en mesure d’influencer directement leurs résultats. Ainsi que le
dispose l’article 10 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones, aucune réinstallation ne peut avoir lieu sans consentement. Il n’y a de droit de
participation véritable que si celui ou celle qui l’exerce ne risque aucune forme de
représailles.
C. Obligations particulières des États parties
1. Obligation de respecter
22. L’obligation de respect impose aux États parties de ne pas porter atteinte, directement
ou indirectement, aux droits énoncés dans le Pacte qui sont liés à la terre, notamment l’accès
à la terre et l’utilisation et le contrôle de celle-ci. Cette obligation signifie que les États
doivent s’abstenir : a) de porter atteinte aux droits d’occupation des détenteurs légitimes31,
en particulier en expulsant leurs occupants des terres dont ils dépendent pour vivre ; b) de
recourir à des expulsions forcées et à la démolition de logements à titre punitif ; c) de se livrer
à une quelconque discrimination dans le cadre de l’enregistrement et de l’administration des
terres, y compris en lien avec la situation matrimoniale, la capacité juridique ou l’accès à des
ressources économiques ; ou d) de commettre tout acte de corruption en ce qui concerne
l’administration foncière et le transfert des droits d’occupation. L’obligation de respect
implique également de respecter tout accès existant à la terre de tout détenteur légitime de
droits d’occupation et de respecter les décisions des communautés concernées de gérer leurs
terres selon leurs propres modes d’organisation.
23. Les États devraient assurer à toute personne un niveau acceptable de sécurité
d’occupation garantissant une protection légale contre les expulsions forcées. Plus
généralement, le Pacte impose aux États l’obligation de s’abstenir de porter atteinte aux droits
d’occupation légitimes des utilisateurs des terres, en particulier en expulsant leurs occupants
des terres dont ils dépendent pour vivre. Les décisions d’expulsion forcée sont à première
vue incompatibles avec les dispositions du Pacte32. Les autorités compétentes doivent veiller
à ce que les expulsions soient exécutées conformément à une législation compatible avec le
Pacte et aux principes généraux qui veulent que toutes mesures prises soient raisonnables et
proportionnées au regard de l’objectif légitime de l’expulsion et des conséquences de
l’expulsion pour les personnes expulsées33. Cette obligation découle de l’interprétation des
obligations de l’État partie au regard de l’article 2 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec
l’article 11, et compte tenu des critères définis à l’article 4, qui précise les conditions dans
lesquelles l’exercice des droits consacrés par le Pacte peut être limité. Premièrement, la
limitation doit être établie par la loi. Deuxièmement, elle doit servir l’intérêt général ou
répondre à un motif « d’utilité publique » dans une société démocratique. Troisièmement,
elle doit être proportionnée au but légitime invoqué. Quatrièmement, elle doit être nécessaire,
en ce sens qu’il doit s’agir de la mesure la moins restrictive pour atteindre l’objectif légitime.
Enfin, les avantages obtenus en opérant la limitation dans le but de servir l’intérêt général ne
doivent pas avoir d’effet néfaste sur l’exercice du droit soumis à la limitation34. Les États
parties doivent définir précisément la notion d’utilité publique dans le droit, de façon à
permettre un contrôle judiciaire. Ils doivent adopter et appliquer des lois nationales qui
interdisent expressément les expulsions forcées et établissent un cadre pour que les
31 L’expression « détenteur légitime de droits d’occupation » a été établie à l’occasion de la négociation,
en 2012, des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers
applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale
pour préciser le fait que les détenteurs légitimes de droits d’occupation ne sont pas seulement les
détenteurs de titres fonciers officiels, mais aussi les détenteurs de droits d’occupation coutumiers,
collectifs ou traditionnels que la loi pourrait ne pas reconnaître.
32 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 7 (1997), par. 1.
33 Ben Djazia et al. c. Espagne (E/C.12/61/D/5/2015), par. 13.4.
34 Gómez-Limón Pardo c. Espagne (E/C.12/67/D/52/2018), par. 9.4.
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GE.23-00043 9
procédures d’expulsion et de réinstallation soient menées dans le respect des normes et du
droit international des droits de l’homme35.
24. Lorsque des personnes ont été réinstallées, le logement de remplacement qui leur a
été attribué doit être sûr et offrir une sécurité d’occupation, garantissant l’accès aux services
publics, notamment d’éducation et de santé, la participation à la vie locale et la possibilité de
gagner sa vie36. Tout doit être fait pour ne pas séparer les membres d’une communauté, la
collectivité contribuant pour beaucoup à soutenir les réseaux de voisinage et à assurer des
moyens de subsistance. Avant de procéder à quelque expulsion que ce soit, ou quelque
changement que ce soit dans l’utilisation des terres qui risquerait de priver des personnes de
l’accès à leurs ressources productives, les États parties devraient veiller à ce que toutes les
autres solutions possibles soient étudiées en consultation avec les personnes concernées, dans
le souci d’éviter autant que possible le recours à une mesure d’expulsion37. Dans tous les cas,
des procédures ou des recours légaux efficaces doivent être offerts aux personnes visées par
des décisions d’expulsion.
25. Lorsque l’État détient la propriété ou le contrôle des terres, il devrait veiller à ce que
les droits d’occupation légitimes des individus et des communautés sur ces terres, même en
vertu d’un régime foncier coutumier, soient reconnus, respectés et protégés. Les systèmes
collectifs d’utilisation et de gestion des terres, qu’il s’agisse de systèmes traditionnels, de
coopératives ou d’autres formes de gestion commune, devraient être recensés, reconnus et
enregistrés. Les politiques visant à accorder des droits d’occupation de terres publiques à des
paysans sans terre devraient répondre à des objectifs sociaux et environnementaux plus
vastes, dans le respect des obligations relatives aux droits de l’homme. La priorité devrait
être donnée aux communautés locales qui utilisent traditionnellement les terres au moment
de la réattribution des droits d’occupation.
2. Obligation de protéger
26. L’obligation de protection impose aux États parties d’adopter des mesures pour
empêcher toute personne ou entité de porter atteinte aux droits énoncés dans le Pacte qui sont
liés à la terre, notamment l’accès à la terre et l’utilisation et le contrôle de celle-ci. Les États
parties doivent protéger l’accès à la terre en veillant à ce que nul ne soit expulsé
arbitrairement et à ce que ses droits d’accès à la terre ne soient pas bafoués par l’action de
tiers. Les États parties devraient aussi veiller à ce que les droits d’occupation légitimes soient
protégés dans tous les processus relatifs au transfert de droits d’occupation existants,
y compris les transactions volontaires ou involontaires qui résultent d’investissements, de
politiques de remembrement ou d’autres mesures de réajustement et de redistribution liées
au foncier.
27. Indépendamment du type de régime foncier en place, les États parties doivent prendre
des mesures pour veiller à ce que toutes les personnes disposent d’un niveau de sécurité
acceptable dans le domaine foncier et pour protéger les détenteurs légitimes de droits fonciers
contre l’expulsion, la spoliation illégale, l’accaparement, le harcèlement et d’autres menaces.
Les États parties devraient en outre prendre immédiatement des mesures en vue d’assurer la
sécurité légale de l’occupation aux individus et aux familles qui ne bénéficient pas encore de
cette protection, en procédant à de véritables consultations avec les personnes et les groupes
concernés38. Les États parties devraient reconnaître et protéger la dimension collective de
l’occupation des terres, particulièrement dans le cas des peuples autochtones, des paysans et
d’autres communautés traditionnelles qui entretiennent avec leurs terres traditionnelles des
liens matériels et spirituels qui sont indispensables à leur existence, leur bien-être et leur plein
épanouissement. Cette dimension implique un droit collectif d’accès aux terres, territoires et
35 Pour plus d’informations, voir les Principes de base et directives concernant les expulsions et les
déplacements liés au développement.
36 Voir Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 4 (1991).
37 A/HRC/13/33/Add.2, annexe, principe 2 ; et Commission africaine des droits de l’homme et des
peuples, Principes et lignes directrices concernant la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux
et culturels dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (2012), par. 51 à 55 et 77 à
79.
38 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 4 (1991), par. 8 (al. a)).
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10 GE.23-00043
ressources qu’ils possèdent ou occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis,
ainsi que d’utilisation et de contrôle de ceux-ci39. Les cadres juridiques devraient donc
empêcher que les régimes d’occupation des terres ne favorisent une concentration accrue de
la propriété et des privilèges fonciers, y compris lorsque la modification du cadre juridique
est motivée par des accords internationaux40.
28. Les États parties devraient élaborer des lois et des politiques propres à garantir des
pratiques d’investissement responsables dans le domaine foncier, ce qui passe par une
participation précoce de toutes les parties concernées et une réglementation équitable des
processus de transfert. Dans tous ces processus, les personnes ou les groupes concernés
doivent avoir accès à des mécanismes de recours qui leur permettent de contester les
décisions émanant des autorités locales, des conseils d’administration d’investisseurs ou
d’autres parties avant que la mise en oeuvre ne débute et jusqu’à ce qu’une indemnisation
équitable soit versée. Des études d’impact sur les droits de l’homme doivent être effectuées
pour déterminer le préjudice possible et des options pour y remédier. Des principes de
responsabilité des investisseurs et des investissements doivent être définis par la loi et leur
application doit pouvoir être contrôlée. Les pratiques d’investissement responsables doivent
respecter les droits d’occupation légitimes et ne pas porter atteinte aux droits de l’homme et
à des objectifs de politique générale comme la sécurité alimentaire et l’utilisation durable des
ressources naturelles. Les États parties devraient prévoir des règles transparentes sur
l’échelle, l’ampleur et le type de transactions autorisées pour les droits d’occupation, et
définir à partir de quelle échelle une transaction est considérée comme importante dans le
contexte national41.
29. Les États parties devraient mettre en place des garanties et des politiques visant à
protéger les droits d’occupation légitimes contre les risques qui peuvent survenir en cas de
transactions de grande ampleur liée à des droits d’occupation. Les investissements fonciers
de grande ampleur peuvent porter atteinte aux droits consacrés par le Pacte car ils ont
habituellement des conséquences pour un grand nombre de petits exploitants, dont les titres
informels d’utilisation des terres sont souvent mal reconnus42. Les garanties en question
pourraient consister à plafonner les transactions foncières autorisées et à faire
obligatoirement approuver les transferts par le gouvernement ou par le parlement national
au-delà d’une certaine limite. Les États devraient étudier la possibilité de promouvoir une
série de modèles de production et d’investissement qui n’entraînent pas le déplacement
massif d’occupants fonciers, y compris des modèles favorisant des partenariats avec les
détenteurs locaux de droits d’occupation.
30. L’obligation de protéger recouvre une obligation positive de prendre des mesures
législatives et autres pour établir des normes précises à l’intention d’acteurs non étatiques
comme les entreprises et les investisseurs privés, en particulier dans le contexte des
acquisitions et baux fonciers d’échelle importante dans le pays et à l’étranger43. Les États
parties doivent adopter un cadre juridique obligeant les entreprises à faire diligence
39 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 21 (2009), par. 36. Voir
également Cour interaméricaine des droits de l’homme, Communité autochtone Xákmok Kásek c.
Paraguay, arrêt, 24 août 2010, par. 86, et Communité autochtone Sawhoyamaxa c. Paraguay,
par. 118 ; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Centre for Minority Rights
Development (Kenya) and Minority Rights Group (on behalf of Endorois Welfare Council) v. Kenya,
par. 252 à 268 ; et Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Commission africaine des
droits de l’homme et des peuples c. République du Kenya, par. 195 à 201.
40 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, « Lignes directrices et principes de
l’établissement des rapports d’États en vertu des articles 21 et 24 de la Charte africaine relatifs aux
industries extractives, aux droits de l’homme et à l’environnement », p. 25, par. 18.
41 Union africaine, Banque africaine de développement et Commission économique pour l’Afrique,
« Guiding principles on large scale land-based investments in Africa » (Addis-Abeba, 2014).
42 Ibid., chap. 2.
43 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Social and Economic Rights Action
Centre et Center for Economic and Social Rights c. Nigeria, décision, trentième session ordinaire,
13-27 octobre 2001.
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raisonnable en matière de droits de l’homme de façon à recenser, prévenir et atténuer les
effets préjudiciables de leurs décisions et activités sur les droits consacrés par le Pacte44.
31. D’aucuns préconisent depuis quelques années la délivrance de titres afin de protéger
les utilisateurs de terres contre des mesures d’expulsion de l’État et l’empiètement par des
acteurs privés, particulièrement de grands propriétaires fonciers, ou par des investisseurs. Ce
processus, que l’on appelle parfois « formalisation », consiste à délimiter les terres
effectivement occupées et utilisées par chaque utilisateur (et reconnues généralement par le
droit coutumier), de plus en plus à l’aide de techniques numériques, et à attribuer à
l’utilisateur un acte le protégeant de l’expropriation, tout en lui permettant de vendre ses
terres. Le bilan des politiques de délivrance de titres est contrasté. La clarification des droits
de propriété devait assurer la sécurité d’occupation, pour permettre aux habitants
d’établissements informels d’être reconnus comme propriétaires ou protéger les petits
exploitants contre des mesures d’expulsion. Elle a aussi été justifiée par la nécessité d’établir
un marché des droits fonciers, qui permette de transférer plus facilement les droits de
propriété et de diminuer les coûts de transaction dans les pays considérés. Ces deux objectifs
peuvent être contradictoires dans la mesure où la marchandisation des droits de propriété peut
être une source d’exclusion et accroître l’insécurité d’occupation. Dès lors, les États devraient
adopter des lois et des politiques pour faire en sorte que les programmes de délivrance de
titres ne visent pas seulement à faciliter la vente de terres et la marchandisation de
l’occupation des terres. En l’absence de lois ou de règlements, la délivrance de titres de
propriété pour des formes préexistantes d’occupation coutumière risque d’aggraver les
différends au lieu de clarifier les choses et de diminuer la sécurité au lieu d’améliorer celle-ci,
ce qui pourrait avoir des effets néfastes sur les droits énoncés dans le Pacte, en particulier le
droit à un niveau de vie suffisant. Les États doivent veiller à ce que toute procédure
d’attribution de titres de propriété impliquant l’examen de revendications foncières
concurrentes protège les droits des personnes les plus exposées à la marginalisation et à la
discrimination, tout en réparant les injustices historiques.
3. Obligation de réaliser
32. L’obligation de réalisation impose aux États d’adopter des mesures législatives,
administratives, budgétaires et autres et d’établir des recours efficaces visant à assurer le
plein exercice des droits fonciers prévus par le Pacte, notamment l’accès à la terre,
l’utilisation de la terre et le contrôle sur celle-ci. Les États parties doivent ménager aux
personnes qui en dépendent pour exercer leurs droits économiques, sociaux et culturels un
accès à la terre et une utilisation et un contrôle de celle-ci qui soient sûrs, équitables et
durables. Cela est particulièrement important pour les personnes sans terre ou vivant dans la
pauvreté, notamment les femmes et les personnes marginalisées45.
33. Au moment de l’enregistrement des terres et dans le cadre de l’administration des
terres, il ne doit être pratiqué aucune discrimination, notamment liée au changement de
situation matrimoniale, à l’absence de capacité juridique et à un accès insuffisant à des
ressources économiques. La reconnaissance juridique et l’attribution des droits d’occupation
aux individus, quel que soit leur genre, aux familles et aux communautés concernés, doit faire
l’objet d’un processus systématique, qui offre pleinement la possibilité aux personnes vivant
dans la pauvreté et aux autres groupes défavorisés et marginalisés d’obtenir la reconnaissance
juridique de leurs droits d’accès existants. Les États parties devraient répertorier l’ensemble
des droits d’occupation et des détenteurs de droits existants, sans se limiter à ce qui figure
dans les registres écrits. Ils doivent, au moyen de règles publiques, fixer la définition des
droits d’utilisation qui sont légitimes, conformément à toutes les dispositions pertinentes du
Pacte et aux définitions figurant dans les Directives volontaires pour une gouvernance
responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le
contexte de la sécurité alimentaire nationale.
44 Union africaine, Banque africaine de développement et Commission économique pour l’Afrique,
« Guiding principles on large scale land-based investments in Africa » (Addis-Abeba, 2014).
45 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, « Lignes directrices et principes de
l’établissement des rapports d’États en vertu des articles 21 et 24 de la Charte africaine relatifs aux
industries extractives, aux droits de l’homme et à l’environnement », p. 12 et 13, sect. III g) et h).
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34. L’administration foncière doit reposer sur des services accessibles et non
discriminatoires dont l’exécution est assurée par des organismes qui rendent des comptes et
dont les décisions sont contrôlées par les organes judiciaires. Ces services devraient être
accessibles et leur exécution devrait être rapide et efficace. Les individus et les groupes
défavorisés et marginalisés doivent bénéficier d’une aide pour pouvoir utiliser ces services
et l’accès à la justice doit leur être garanti. Cette assistance devrait s’étendre à l’aide devant
la justice, y compris une aide judiciaire abordable et d’autres mesures d’assistance, en
particulier pour les personnes qui vivent dans des zones très isolées. Les États parties
devraient prévenir la corruption en ce qui concerne l’administration foncière et le transfert
des droits d’occupation en adoptant et en appliquant des mesures de lutte contre la corruption
visant notamment les conflits d’intérêts.
35. Les États parties doivent aussi reconnaître la valeur sociale, culturelle, spirituelle,
économique, environnementale et politique des terres pour les communautés appliquant un
régime foncier coutumier, et respecter les formes existantes de gouvernance autonome des
terres. Les institutions traditionnelles des régimes fonciers collectifs doivent garantir à tous
les membres de la collectivité, y compris aux femmes et aux jeunes, une participation
véritable aux décisions qui intéressent la répartition des droits d’utilisation. Garantir l’accès
aux ressources naturelles ne peut se limiter à accorder certaines protections pour les terres et
les territoires des peuples autochtones. D’autres groupes dépendent du patrimoine commun,
c’est-à-dire des biens publics mondiaux. Les pêcheurs doivent avoir accès aux zones de
pêche, mais le renforcement des droits de propriété individuelle peut nécessiter la
délimitation des terres qui leur donnent accès à la mer ou aux cours d’eau. Les éleveurs
constituent aussi un groupe particulièrement important en Afrique subsaharienne, où vivent
près de la moitié des 120 millions d’éleveurs ou agriculteurs-éleveurs que compte la planète.
En outre, dans les régions en développement, nombre de paysans et de ménages ruraux restent
tributaires de la collecte du bois pour cuisiner et se chauffer, et accèdent à l’eau par des puits
ou des sources d’eau publics. La régularisation des droits de propriété et la création de
registres fonciers ne devraient pas aggraver la situation de tous ces groupes, car en les coupant
des ressources dont ils dépendent, on menacerait leurs moyens d’existence.
36. La réforme agraire est une mesure importante pour la réalisation des droits liés la terre
énoncés dans le Pacte46. Une distribution plus équitable des terres à la faveur d’une réforme
agraire peut aider grandement à faire reculer la pauvreté47 et contribuer à l’inclusion sociale
et à l’autonomisation économique48. Elle améliore la sécurité alimentaire, car elle rend
l’alimentation plus accessible et abordable, ce qui constitue un amortisseur contre les chocs
extérieurs49. Les programmes de répartition des terres devraient aussi soutenir les petites
exploitations familiales, qui peuvent souvent utiliser les terres de manière plus durable et
contribuer au développement rural en raison de leur intensité de main-d’oeuvre. Toutefois,
dans le cadre de ces programmes, les États devraient veiller à ce que les bénéficiaires
reçoivent un soutien suffisant pour être mieux à même d’utiliser les terres de manière
productive et d’adopter des pratiques agricoles durables afin de maintenir la productivité des
terres. L’éducation sur l’accès au crédit, l’aide à l’utilisation des débouchés commerciaux et
la mise en commun du matériel devraient figurer parmi les politiques possibles pour appuyer
46 Sur l’importance de la réforme agraire, voir la Déclaration finale adoptée à la Conférence
internationale sur la réforme agraire et le développement rural de la FAO, qui s’est tenue à Porto
Alegre, au Brésil, en 2006 (ICARRD 2006/3), dans laquelle les États membres de la FAO se sont
accordés sur le principe de « [l]a réalisation de réformes agraires appropriées, surtout dans les zones
soumises à de fortes disparités sociales, à la pauvreté et à l’insécurité alimentaire, comme moyen
d’élargir de façon durable l’accès à la terre et aux autres ressources, ainsi que le contrôle de
celles-ci ».
47 M. R. El-Ghonemy, « Land reform development challenges of 1963-2003 continue into the twentyfirst
century », Land Reform, Land Settlement and Cooperatives, vol. 2 (2003) ; et
Veronika Penciakova, « Market-led agrarian reform: a beneficiary perspective of Cédula da Terra »,
Working Paper Series No. 10-100 (Londres, London School of Economics and Political Science,
2010).
48 Julian Quan, « Land access in the 21st century: issues, trends, linkages and policy options »,
Livelihood Support Programme Working Paper No. 24 (Rome, FAO, 2006).
49 M. R. Carter, « Designing land and property rights reform for poverty alleviation and food security »,
Land Reform, Land Settlement and Cooperatives, vol. 2 (2003).
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la réussite économique des exploitants familiaux. Les politiques devraient être formulées
d’une manière qui permette aux bénéficiaires de tirer parti des terres qu’ils acquièrent et ne
les incite pas à les vendre pour subvenir à leurs besoins minimums. Dans le cadre de la
redistribution des terres et des réformes agraires, il faudrait accorder une attention particulière
à l’accès à la terre des jeunes, des femmes, des communautés victimes de discrimination
fondée sur la race et l’ascendance et des autres personnes appartenant à des groupes
marginalisés, et respecter et protéger les régimes collectifs et coutumiers d’occupation des
terres.
37. Les États doivent agir au maximum des ressources dont ils disposent pour réaliser
progressivement les droits prévus par le Pacte en ce qui concerne l’accès aux ressources
productives, en particulier pour aider les individus et les groupes à accéder à un niveau de
vie suffisant. L’article 11 (par. 2 a)) du Pacte impose aux États parties l’obligation
d’améliorer les méthodes de production, de conservation et de distribution des denrées
alimentaires par l’établissement de régimes agraires ou la réforme des régimes existants, de
manière à assurer au mieux la mise en valeur et l’utilisation des ressources naturelles. Il
s’ensuit que les États doivent appuyer des programmes de réforme agraire qui garantissent
un accès suffisant à la terre, en particulier aux petits agriculteurs qui dépendent de l’accès à
la terre pour vivre50. Les politiques et les lois devraient être accompagnées de mesures
d’appui appropriées tenant compte des questions de genre, conçues à l’aide de processus
participatifs, et devraient viser à pérenniser les réformes agraires. Ces politiques et lois
devraient prévoir des garanties appropriées contre toute reconcentration des terres après la
réforme, notamment des dispositions instaurant un plafonnement et des garanties légales
visant à protéger le régime d’occupation collective et coutumière des terres.
38. Les États parties devraient mener une planification régionale à long terme afin de
préserver la fonction environnementale des terres. Ils devraient privilégier et favoriser une
utilisation de la terre reposant sur une approche fondée sur les droits de l’homme de la
conservation, de la biodiversité et de l’utilisation durable des terres et des autres ressources
naturelles51. Ils devraient aussi, notamment, favoriser l’utilisation durable des ressources
naturelles en reconnaissant, protégeant et promouvant les utilisations traditionnelles de la
terre, et en adoptant des politiques et mesures visant à renforcer les moyens d’existence
fondés sur les ressources naturelles et la conservation à long terme des terres. Ce faisant, ils
devraient prévoir des mesures pour aider les communautés et les populations à prévenir les
effets du réchauffement de la planète, ainsi qu’à les atténuer et à s’y adapter. Les États
devraient créer les conditions nécessaires à la régénération des capacités et des cycles
biologiques et autres capacités naturelles et devraient coopérer avec les communautés
locales, les investisseurs et d’autres acteurs pour faire en sorte que l’utilisation des terres à
des fins agricoles et autres respecte l’environnement et n’accélère pas l’appauvrissement des
sols et l’épuisement des réserves d’eau52.
39. Les États parties doivent élaborer des lois et des politiques qui permettent de
reconnaître les régimes informels, grâce à des processus participatifs qui tiennent compte de
la question du genre, en accordant une attention particulière aux locataires, aux paysans et
aux autres petits producteurs alimentaires.
D. Obligations extraterritoriales
40. Les obligations extraterritoriales revêtent une importance particulière pour
l’exécution des obligations que prévoit le Pacte en matière d’accès à la terre et d’utilisation
et de contrôle de celle-ci. Les transferts de terres sont bien souvent financés ou suscités par
des acteurs internationaux, qu’il s’agisse d’investisseurs publics tels que les banques de
50 Les études montrent qu’il existe une relation inverse entre la taille des unités de production et la
productivité par hectare. Voir, par exemple, Robert Eastwood, Michael Lipton et Andrew Newell,
« Farm size », dans Handbook of Agricultural Economics, vol. 4, Prabhu L. Pingali et Robert E.
Evenson, éd. (Amsterdam, Elsevier, 2010).
51 Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate
dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, directive 8B.
52 A/HRC/13/33/Add.2, annexe, principe 6.
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développement qui financent des projets de développement nécessitant des terres comme les
barrages ou les parcs d’énergie renouvelable, ou d’investisseurs privés. En examinant les
rapports soumis par les États parties, le Comité a constaté qu’il était de plus en plus souvent
fait mention des effets sur l’accès des individus, des groupes, des paysans et des peuples
autochtones aux ressources productives que peuvent avoir les négociations, les accords et les
pratiques d’investissement international qui prennent parfois la forme de partenariats
public-privé entre des organismes publics et des investisseurs privés étrangers.
1. Obligation extraterritoriale de respecter
41. L’obligation extraterritoriale de respecter impose aux États parties de s’abstenir de
tout acte qui porte atteinte, directement ou indirectement, à l’exercice des droits énoncés dans
le Pacte qui sont liés à la terre en dehors de leur territoire. Elle leur impose aussi de prendre
des mesures concrètes pour empêcher que leurs politiques et mesures intérieures et
internationales, notamment leurs politiques relatives au commerce, à l’investissement, à
l’énergie, à l’agriculture, au développement et à l’atténuation des changements climatiques,
n’entravent, directement ou indirectement, la jouissance des droits de l’homme53. Cela vaut
pour toutes les formes de projets exécutés par des organismes de développement ou financés
par des banques de développement. Les politiques de garanties établies par la Banque
mondiale et d’autres banques internationales de développement, notamment en ce qui
concerne les investissements dans le domaine foncier, découlent d’une certaine façon de cette
obligation54. À la suite de la crise alimentaire mondiale de 2007-2008, le nombre
d’investissements fonciers de grande ampleur a augmenté partout dans le monde,
occasionnant divers problèmes pour les habitants ou les utilisateurs de terres concernés,
notamment des expulsions forcées ou non consenties sans indemnisation appropriée. Les
Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation
adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale ont été établies dans le but
d’atténuer ou d’empêcher ce type de situations. Les normes de performance de la Société
financière internationale et les politiques de garanties de la Banque mondiale ont été
actualisées. En outre, les États parties qui sont membres d’institutions financières
internationales, notamment de la Banque mondiale, du Fonds international de développement
agricole et de banques régionales de développement, devraient prendre des dispositions pour
veiller à ce que leurs politiques et autres pratiques de prêt ne compromettent pas l’exercice
des droits énoncés dans le Pacte qui concernent la terre.
2. Obligation extraterritoriale de protéger
42. L’obligation extraterritoriale de protéger veut que les États parties instituent les
mécanismes réglementaires nécessaires pour veiller à ce que les entreprises, y compris les
sociétés transnationales, et les autres acteurs non étatiques qu’ils sont en mesure d’encadrer,
n’entravent pas l’exercice des droits énoncés dans le Pacte qui sont liés à la terre à l’étranger.
Ainsi, les États parties doivent prendre les mesures nécessaires pour prévenir les violations
des droits de l’homme liés à la terre commises à l’étranger par des acteurs non étatiques sur
lesquels ils peuvent exercer une influence, sans porter atteinte à la souveraineté ni diminuer
les obligations des États d’accueil55.
43. Dans le contexte de l’acquisitions de terres et d’autres activités économiques qui ont
des effets sur la jouissance de l’accès aux ressources productives, y compris la terre, les États
parties doivent veiller à ce que les investisseurs domiciliés à l’étranger et qui investissent
dans des terres agricoles à l’étranger ne privent pas les individus ou les communautés de
l’accès à la terre ou aux ressources connexes dont ils dépendent pour vivre. Une obligation
de diligence raisonnable peut ainsi devoir être imposée aux investisseurs pour veiller à ce que
53 Voir E/C.12/BEL/CO/4, E/C.12/AUT/CO/4 et E/C.12/NOR/CO/5 ; et recommandation générale no 34
(2016) du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, par. 13 ; A/56/10 et
A/56/10/Corr.1, p. 155 à 168 (sur les articles 16 à 18) ; et principes directeurs applicables aux études
de l’impact des accords de commerce et d’investissement sur les droits de l’homme.
54 Michael Windfuhr, Safeguarding Human Rights in Land Related Investments: Comparison of the
Voluntary Guidelines Land with the IFC Performance Standards and the World Bank Environmental
and Social Safeguard Framework (Berlin, German Institute for Human Rights, 2017).
55 E/C.12/2011/1, par. 5 et 6.
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des terres ne soient pas acquises ou prises à bail en violation des normes et principes
internationaux applicables56.
44. Les États parties qui soutiennent ou opèrent des investissements fonciers à l’étranger,
notamment par l’intermédiaire d’entreprises publiques ou semi-publiques ou dont l’État
détient le contrôle, y compris des fonds souverains et des fonds de pension publics, ainsi que
des partenariats public-privé, doivent faire en sorte de ne pas diminuer la capacité d’autres
États de s’acquitter des obligations que leur fait le Pacte57. Les États parties doivent mener
des études d’impact sur les droits de l’homme préalablement à tout investissement de cette
nature et les réévaluer et les réviser à intervalles réguliers. Ces évaluations doivent être
menées en y associant véritablement le public et les résultats doivent en être publiés et
éclairer toute mesure visant à empêcher toute violation des droits de l’homme ou atteinte à
ces droits, à faire cesser les violations ou atteintes et à y remédier58.
45. Les États parties doivent faire en sorte que l’élaboration, la conclusion, l’interprétation
et l’application des accords internationaux relatifs à des domaines comme le commerce,
l’investissement, le financement, la coopération pour le développement et les changements
climatiques, notamment, soient conformes aux obligations que leur fait le Pacte et ne soient
pas préjudiciables à l’accès aux ressources productives dans d’autres pays59.
3. Obligation extraterritoriale de réaliser
46. Conformément à l’article 2 (par. 1) du Pacte, les États devraient agir par l’assistance
et la coopération internationales en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits
énoncés dans le Pacte qui concernent la terre, ce qui peut aussi avoir des retombées positives
pour des personnes et des communautés vivant à l’extérieur de leur territoire. Il faudrait
prévoir une coopération technique, un appui financier et un renforcement des capacités
institutionnelles en ce qui concerne des questions comme l’administration des terres, le
partage de connaissances et la mise au point de politiques nationales dans le domaine foncier,
ainsi que le transfert des technologies utiles.
47. L’assistance et la coopération internationales devraient viser à soutenir des politiques
nationales propres à garantir la sécurité d’occupation à ceux dont les droits d’utilisation
légitimes n’ont pas été reconnus. Il faudrait éviter que ces politiques n’aboutissent à la
concentration ou à la marchandisation des terres, mais faire en sorte qu’elles visent à
améliorer l’accès et la sécurité d’occupation des individus et groupes défavorisés et
marginalisés. Il faut prévoir des garanties appropriées et les personnes et les groupes
concernés par les mesures d’assistance et de coopération internationales doivent avoir accès
à des mécanismes de recours indépendants. L’assistance et la coopération internationales
peuvent soutenir les efforts menés pour parvenir au niveau des États à des politiques foncières
durables, qui fassent ou deviennent partie intégrante des plans officiels d’utilisation des terres
ou de la politique d’aménagement du territoire en général.
56 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 24 (2017), par. 33.
57 Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres,
aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, par. 12.15.
58 Voir E/C.12/NOR/CO/5 ; A/HRC/13/33/Add.2 ; observation générale no 34 (2011) du Comité des
droits de l’homme, par. 18 et 19 ; et Cour européenne des droits de l’homme, Társáság a
Szabadságjogokért c. Hongrie, requête no 37374/05, arrêt, 14 avril 2009, par. 26 et 35.
59 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observations générales no 3 (1990), par. 2 ; no 15
(2002), par. 35 ; no 22 (2016), par. 31 ; et no 24 (2017), par. 12 et 13 ; E/C.12/CAN/CO/6 ; Comité
pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, recommandation générale no 34 (2016) ;
Cour européenne des droits de l’homme, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c.
Irlande, requête no 45036/98, arrêt, 30 juin 2005, par. 154 ; et Cour interaméricaine des droits de
l’homme, Sawhoyamaxa Indigenous Community v. Paraguay, par. 140.
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IV. Thèmes particuliers intéressant l’application des droits
énoncés dans le Pacte qui sont liés à la terre
A. Conflits armés internes et situations d’après conflit
48. Il existe des liens entre les conflits armés internes, la terre et la jouissance des droits
reconnus dans le Pacte. Parfois, les litiges fonciers, en particulier s’ils sont liés à une
répartition structurellement inéquitable des droits d’occupation des terres qui provient, par
exemple, d’un système colonial ou d’apartheid, peuvent faire partie des causes profondes
d’un conflit ou en constituer un élément déclencheur. Dans d’autres cas, les conflits peuvent
provoquer des déplacements forcés et l’accaparement ou la spoliation de terres, en particulier
lorsqu’il s’agit de populations vulnérables comme les paysans, les peuples autochtones, les
minorités ethniques ou les femmes. Il convient de noter que le règlement des différends et
des litiges fonciers peut être une des clefs pour bâtir une société résiliente et préserver la
paix60. Ainsi, les États devraient tout mettre en oeuvre pour empêcher la spoliation de terres
pendant les conflits armés. Si des spoliations se produisent cependant, les États doivent
établir des programmes de restitution pour garantir à tous les réfugiés et personnes déplacées
le droit à la restitution de toute terre qui leur aurait été retirée arbitrairement ou illégalement61.
Les États devraient aussi remédier à tous les litiges fonciers susceptibles de raviver un conflit
armé.
49. Aux fins de l’adoption de mesures visant à prévenir la spoliation de terres en période
de conflit armé, il importe de prendre en considération au moins ce qui suit : a) des
mécanismes de protection des droits d’occupation des populations vulnérables doivent être
mis en place ; b) l’aide humanitaire et l’application du droit humanitaire international doivent
être accompagnés de mesures visant à empêcher la spoliation de terres ; c) des systèmes
d’information doivent répertorier tout le patrimoine exposé à un risque de spoliation, non
seulement pour prévenir les spoliations, mais aussi pour faciliter la restitution future des
terres ; et d) la possibilité de bloquer le marché foncier là où les risques de déplacement de
populations et de spoliation de terres sont élevés doit être examinée. Toutes ces mesures
préventives devraient protéger non seulement la propriété, mais aussi toutes les formes
d’occupation des terres, y compris le régime coutumier, car ceux qui risquent le plus d’être
spoliés de leurs terres n’en sont pas nécessairement les propriétaires formels.
50. Les programmes de restitution des terres doivent prévoir des mesures pour garantir le
droit des réfugiés et des personnes déplacées au retour volontaire sur leurs anciennes terres
ou à l’endroit où ils avaient leur résidence habituelle, dans des conditions de sécurité et dans
le respect de leur dignité. Si la restitution n’est pas possible, les États devraient mettre en
place des mécanismes d’indemnisation appropriés62. Ils doivent établir et soutenir des
procédures, des institutions et des mécanismes équitables, rapides, indépendants, transparents
et non discriminatoires pour évaluer toutes les demandes de restitution de terres et faire droit
à ces demandes. Devraient être couverts non seulement les droits de propriété, mais aussi
toutes les formes d’occupation des terres, surtout si elles sont liées à la jouissance des droits
énoncés dans le Pacte. Une attention particulière devrait être accordée au traitement approprié
de la question des « occupants secondaires », qui sont pour la plupart des acheteurs de bonne
foi, et des personnes en situation vulnérable qui occupent des terres quand les occupants
légitimes ont fui à la suite d’un conflit armé. Une procédure régulière doit être garantie aux
occupants secondaires ; si leur expulsion s’impose, elle doit faire intervenir une consultation
véritable et les États doivent, si nécessaire, fournir à ces personnes un logement de
remplacement et l’accès à des services sociaux afin qu’elles puissent avoir un niveau de vie
suffisant.
60 Voir la note d’orientation du Secrétaire général intitulée « The United Nations and Land and
Conflict », publiée en mars 2019.
61 Voir les Principes concernant la restitution des logements et des biens dans le cas des réfugiés et des
personnes déplacées, approuvés par la Sous-Commission de la protection et de la promotion des
droits de l’homme (E/CN.4/Sub.2/2005/17).
62 Ibid.
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51. Dans bien des situations d’après conflit, les programmes de restitution des terres,
même s’ils sont couronnés de succès, risquent d’être insuffisants pour prévenir de nouveaux
litiges et garantir aux réfugiés et personnes déplacées les droits consacrés par le Pacte, car
ces personnes étaient déjà souvent pauvres et étaient exclues des droits fonciers avant le
conflit. En pareilles circonstances, la restitution ou l’indemnisation des terres ne suffisent pas
à elles seules, car ces mesures ne permettraient pas d’extraire de la pauvreté les réfugiés et
personnes déplacées, ni ne diminueraient les inégalités sociales et celles liées au genre dans
le domaine foncier. Dans de tels contextes, les réparations en faveur des victimes de
déplacement dans leur propre pays ou de violence devraient aller au-delà de la restitution.
Elles devraient avoir une finalité transformatrice, en ce sens qu’elles devraient prévoir des
politiques et des mesures visant à réduire les inégalités et à améliorer le niveau de vie des
personnes concernées63. Des mesures concrètes devraient être prises pour améliorer l’égalité
entre les sexes en ce qui concerne l’occupation des terres, notamment en accordant la
préférence aux femmes dans l’attribution de droits fonciers. En outre, les États devraient faire
en sorte que les programmes de restitution de terres prévoient des politiques de réforme rurale
sous la forme d’une aide technique, financière et éducative aux bénéficiaires.
B. Corruption
52. L’administration foncière est l’un des domaines où la corruption est très répandue.
Cette corruption, qui a des effets néfastes, peut survenir dans les cas suivants : au moment de
la délimitation des terres et dans le cadre des programmes de délivrance de titres ; au stade
de la conception des programmes d’utilisation des terres et de la désignation de terres comme
« sous-utilisées » ou « vacantes » ; pour justifier l’expropriation de terres au moyen de
dispositions relatives à l’« utilité publique » ou au « domaine éminent » ; et au moment de la
vente ou de la location à bail de terres à des investisseurs par les pouvoirs publics.
53. Les États doivent intégrer dans toutes les politiques foncières nécessaires les
mécanismes de responsabilité voulus pour empêcher la corruption et devraient s’efforcer
d’empêcher la corruption sous toutes ses formes, à tous les niveaux et en toutes
circonstances64. Ils devraient réexaminer et contrôler les politiques et les cadres juridiques et
institutionnels à intervalles réguliers pour s’assurer de leur efficacité. Les organismes
d’exécution et les autorités judiciaires devraient dialoguer avec la société civile, les
représentants des utilisateurs et le public pour améliorer les services et s’attacher à empêcher
la corruption par des procédures et des décisions transparentes65. Ce faisant, les États
devraient en particulier recourir à la consultation et à la participation et respecter la primauté
du droit et les principes de transparence et de responsabilité66.
C. Défenseurs et défenseuses des droits de l’homme
54. La situation des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme est particulièrement
difficile dans les situations de litige liées à la terre67. Le Comité a été régulièrement informé
63 Rodrigo Uprimny Yepes, « Transformative reparations of massive gross human rights violations:
between corrective and distributive justice », Netherlands Quarterly of Human Rights, vol. 27, no 4
(2009).
64 Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres,
aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, par. 3.1 (5).
65 Ibid., par. 5.8.
66 Les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux
terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire comprennent des
recommandations concrètes concernant toutes les composantes de la gouvernance foncière, telles que
l’enregistrement des droits fonciers, l’évaluation des terres et l’adoption de plans d’aménagement du
territoire. De même, selon les Principes pour un investissement responsable dans l’agriculture et les
systèmes alimentaires, il est nécessaire de respecter l’état de droit et l’application de la loi, sans
corruption (principe 9) et la Convention des Nations Unies contre la corruption est pertinente pour
l’application des principes.
67 Voir la résolution 31/32 du Conseil des droits de l’homme sur la protection des défenseurs des droits
économiques, sociaux et culturels, qu’il s’agisse d’individus, de groupes ou d’organes de la société ;
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de menaces et d’agressions dont auraient fait l’objet des personnes qui cherchaient à protéger
les droits que le Pacte leur reconnaît ou reconnaît à d’autres. Certaines d’entre elles auraient
ainsi fait l’objet d’actes de harcèlement, de poursuites judiciaires et d’actes de diffamation et
d’autres auraient été tuées, en particulier dans le cadre de projets d’extraction et de
développement68. Nombre de défenseurs et défenseuses des droits de l’homme défendent
également la fonction environnementale de la terre et la durabilité de l’utilisation des terres
qui constitue une condition préalable au respect des droits de l’homme à l’avenir.
Conformément à la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et
organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés
fondamentales universellement reconnus, les États doivent prendre toutes les mesures
nécessaires pour respecter les défenseurs et défenseuses des droits de l’homme et leur action,
y compris s’agissant des questions foncières, et s’abstenir de leur infliger des sanctions
pénales ou de prévoir de nouvelles infractions pénales dans le but d’entraver leur action.
55. Les États devraient adopter des mesures concrètes pour protéger le travail des
défenseurs et défenseuses des droits de l’homme mais le faire selon le contexte propre à
chaque pays. Toutefois, les mesures ci-après sont essentielles : a) la reconnaissance publique,
par les plus hautes autorités de l’État, de l’importance et de la légitimité de l’action des
défenseurs et défenseuses des droits de l’homme et l’engagement de ne tolérer aucun acte de
violence ni aucune menace à l’encontre de ces personnes ; b) le retrait de toute législation
nationale ou la suppression de toute mesure qui pénalise ou entrave l’action des défenseurs
et défenseuses des droits de l’homme ; c) le renforcement des institutions publiques chargées
de protéger le travail des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme ; d) la réalisation
d’enquêtes sur tout acte de violence et toute menace visant des défenseurs et défenseuses des
droits de l’homme, et l’adoption de sanctions si nécessaire ; et e) en consultation avec les
bénéficiaires potentiels, l’élaboration et l’exécution de programmes qui soient dotés des
ressources suffisantes et de mécanismes de coordination internes pour s’assurer que les
défenseurs et défenseuses des droits de l’homme en danger bénéficient de mesures de
protection adaptées dès que besoin69.
D. Changements climatiques
56. Dans de nombreux pays, les changements climatiques entravent grandement l’accès à
la terre, ce qui a des répercussions sur les droits des utilisateurs. Dans les zones côtières,
l’élévation du niveau de la mer a des effets sur le logement, l’agriculture et l’accès aux zones
de pêche. Les changements climatiques entraînent également la dégradation des sols et la
désertification. La hausse des températures, la modification du régime des précipitations et
l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes comme les sécheresses et les
inondations influent de plus en plus sur l’accès à la terre70. Les États doivent coopérer à
l’échelon international et s’acquitter de leur obligation d’atténuer les émissions et de tenir les
engagements qu’ils ont pris au titre de l’Accord de Paris. Ces obligations leur sont aussi faites
par le droit des droits de l’homme, comme le Comité a déjà eu l’occasion de le souligner71.
En outre, les États doivent éviter d’adopter des politiques visant à atténuer les changements
climatiques, telles que le piégeage du carbone par un reboisement massif ou la protection des
forêts existantes, qui conduisent à différentes formes d’accaparement des terres, en particulier
lorsqu’elles touchent les terres et territoires de populations en situation de vulnérabilité,
comme les paysans ou les peuples autochtones. Les politiques d’atténuation devraient
conduire à des réductions absolues des émissions grâce à l’abandon progressif de la
production et de l’utilisation des combustibles fossiles.
et la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de
promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus.
68 Par exemple, E/C.12/VNM/CO/2-4, par. 11, E/C.12/1/Add.44, par. 19, E/C.12/IND/CO/5, par. 12 et
50, E/C.12/PHIL/CO/4, par. 15, E/C.12/COD/CO/4, par. 12, E/C.12/LKA/CO/2-4, par. 10, et
E/C.12/IDN/CO/1, par. 28.
69 E/C.12/2016/2, par. 8.
70 Voir Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), « Changement
climatique et terres émergées », résumé à l’intention des décideurs (2019).
71 Voir HRI/2019/1.
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57. Les États ont l’obligation de concevoir à l’échelon national des politiques d’adaptation
aux changements climatiques qui prennent en considération toutes les formes de changement
d’affectation des terres induites par les changements climatiques, d’enregistrer toutes les
personnes touchées et d’agir au maximum des ressources dont ils disposent pour remédier
aux effets des changements climatiques, particulièrement à leurs effets sur les groupes
défavorisés.
58. Les changements climatiques touchent tous les pays, y compris ceux qui y ont le
moins contribué. Ainsi, les pays qui ont historiquement contribué le plus à ces changements
et ceux qui en sont les principaux contributeurs à l’heure actuelle doivent aider ceux qui en
souffrent le plus, mais qui sont le moins en mesure d’y faire face, notamment en soutenant et
en finançant des mesures d’adaptation relatives aux terres. Les mécanismes de coopération
pour les mesures d’atténuation des changements climatiques et d’adaptation à ces
changements doivent prévoir un ensemble solide de garanties environnementales et sociales
pour faire en sorte qu’aucun projet ne porte préjudice aux droits de l’homme et à
l’environnement et pour garantir l’accès à l’information et l’organisation de consultations
véritables avec les personnes concernées par les projets. Ils doivent également respecter le
consentement préalable − donné librement et en connaissance de cause − des peuples
autochtones72.
V. Application et recours
59. Les États devraient veiller à ce que les individus et les groupes soient en mesure de
recevoir et de diffuser l’information relative à la jouissance des droits liés à la terre consacrés
par le Pacte. Ils doivent contrôler régulièrement l’application des régimes d’occupation des
terres et de toutes les politiques, lois et mesures qui ont des effets sur la réalisation des droits
énoncés dans le Pacte qui sont liés à la terre. Ces processus devraient passer par des données
qualitatives et des données quantitatives ventilées recueillies par les communautés locales,
entre autres acteurs, être inclusifs et participatifs, et accorder une attention particulière aux
individus et groupes marginalisés et défavorisés. Dans les pays où il existe des régimes
collectifs et coutumiers d’occupation des terres en milieu rural, le contrôle devrait passer par
des mécanismes participatifs permettant de surveiller les effets de certaines politiques sur
l’accès à la terre pour les habitants des zones concernées.
60. Les États parties devraient veiller à disposer de systèmes administratifs et judiciaires
efficaces pour appliquer les politiques et les cadres juridiques relatifs à la terre, et faire en
sorte que leurs autorités administratives et judiciaires agissent conformément aux obligations
que le Pacte impose à l’État. Des mesures devraient ainsi être prises pour fournir des services
non discriminatoires, rapides et accessibles à tous les titulaires de droits de façon à protéger
les droits d’occupation et à promouvoir et à faciliter l’exercice de ces droits, y compris dans
les zones rurales isolées73. Il est essentiel de disposer d’un accès à la justice : les États parties
doivent faire en sorte que, même dans les zones isolées, la justice soit accessible et abordable,
particulièrement aux groupes défavorisés et marginalisés. Les recours judiciaires doivent être
adaptés aux conditions des zones rurales et aux besoins des victimes de violations, celles-ci
devant avoir accès à tous les renseignements utiles et à des mesures suffisantes de réparation
et d’indemnisation, y compris, s’il y a lieu, à la restitution des terres et au retour dans le cas
des réfugiés et des personnes déplacées. Comme il est indiqué dans l’article 28 de la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la restitution des terres
est souvent la première voie de recours qui s’offre aux peuples autochtones74. L’accès à la
justice doit comprendre l’accès à des procédures permettant de remédier aux effets des
72 Dans un souci de cohérence, les garanties devraient être conformes à la pratique du Fonds vert pour le
climat et à celles incluses dans la politique environnementale et sociale du Fonds pour l’adaptation
créé en application du Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques.
73 Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres,
aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, par. 6.2 et 6.4.
74 Cour interaméricaine des droits de l’homme, Communauté autochtone yakye axa c. Paraguay,
par. 146 à 148.
E/C.12/GC/26
20 GE.23-00043
activités des entreprises, aussi bien dans les pays où ces entreprises ont leur siège, que partout
où des violations ont été commises75.
61. Les États parties doivent renforcer les moyens dont disposent leurs autorités
administratives et judiciaires pour garantir l’accès à des moyens rapides, abordables et
efficaces de règlement des différends portant sur les droits d’occupation, grâce à des organes
judiciaires et administratifs impartiaux et compétents, en particulier dans les zones rurales
isolées76. Les États parties devraient reconnaître les mécanismes coutumiers et autres formes
de règlement des différends qui existent et coopérer avec ceux-ci, en veillant à ce qu’ils
offrent des moyens équitables, fiables, accessibles et non discriminatoires de régler
rapidement les différends portant sur les droits d’occupation, dans le respect des droits de
l’homme77. Lorsque les terres, les zones de pêche et les forêts sont utilisées par plusieurs
communautés, il convient de renforcer et de développer les moyens de régler les litiges entre
elles78. Il est primordial de fournir un accès sûr et équitable à la terre ainsi que de respecter
et de protéger l’utilisation et le contrôle de celle-ci si l’on veut garantir la jouissance d’un
grand nombre des droits consacrés par le Pacte. Des recours efficaces sont essentiels.
75 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 24 (2017), par. 49 à 57.
76 Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres,
aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, par. 21.1.
77 Ibid., par. 21.3.
78 Ibid., par. 9.11.

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PARTIE VIII (D) : Observations générales, recommandations et déclarations des organes conventionnels des droits de l'homme

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