Opinion individuelle de Mme la juge Sebutinde

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163-20201211-JUD-01-04-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE MME LA JUGE SEBUTINDE
[Traduction]
Immeuble en litige ayant acquis le statut de «locaux de la mission» de la Guinée équatoriale au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques le 27 juillet 2012, date à laquelle la Guinée équatoriale y a effectivement transféré sa mission  Obligation incombant à la France, à compter de cette date, d’accorder à l’immeuble en litige la protection garantie à l’article 22 de la convention  Propriété d’un immeuble étant, selon la convention de Vienne, dépourvue de pertinence aux fins de déterminer si celui-ci est susceptible de faire partie des locaux d’une mission  France ayant refusé de reconnaître l’immeuble en litige en tant que locaux de la mission de la Guinée équatoriale après le 27 juillet 2012 pour des raisons liées à la propriété de l’immeuble et non à son utilisation par la demanderesse à des fins étrangères à sa mission  Eléments disponibles concernant l’existence d’une obligation d’obtenir le consentement préalable de l’Etat accréditaire avant qu’un immeuble puisse être reconnu comme locaux d’une mission faisant apparaître une pratique de «non objection» de la France voulant que l’Etat accréditaire s’abstienne d’objecter de manière déraisonnable, pour des motifs autres qu’un défaut d’utilisation aux fins de la mission visées à l’article 3 de la convention  Immeuble n’ayant acquis le statut de «locaux de la mission» que le 27 juillet 2012, de sorte que les mesures prises avant cette date à son encontre par les autorités françaises, y compris les perquisitions, les saisies et l’ordonnance de saisie pénale immobilière, ne peuvent être considérées comme emportant violation de l’article 22 de la convention de Vienne  Ordonnance de confiscation de l’immeuble en litige prise le 27 octobre 2017, et confirmée le 10 février 2020, n’emportant pas violation de l’article 22 de la convention puisque concernant le transfert de la propriété de l’immeuble, sans nécessairement influer sur son utilisation en tant que locaux de la mission de la Guinée équatoriale  Absence de circonstances exceptionnelles et impérieuses imposant de conclure à un abus de droit de la part de la Guinée équatoriale et regret que la Cour ne l’ait pas déclaré dans l’arrêt.
I. Délimitation du différend, de la compétence et de la recevabilité
1. J’ai voté contre le point 1 du paragraphe 126 de l’arrêt car je suis en désaccord avec la conclusion de la majorité selon laquelle l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris (ci-après «l’immeuble en litige») n’a jamais acquis le statut de «locaux de la mission» de la Guinée équatoriale au sens de l’alinéa i) de l’article premier la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 (ci-après la «convention de Vienne» ou la «convention»). Comme je vais l’expliquer dans le présent exposé de mon opinion, l’immeuble en litige a acquis ce statut le 27 juillet 2012. En outre, bien que j’aie voté pour le point 2 du paragraphe 126 avec la majorité, je l’ai fait pour des raisons différentes de celles indiquées par celle-ci dans l’arrêt. J’exposerai ces raisons un peu plus loin. Enfin, tandis que la France a fait grand cas de l’«abus de droit» allégué de la Guinée équatoriale dans la présente affaire, la Cour n’a pas dit grand-chose à ce propos dans son arrêt, faisant simplement allusion au paragraphe 66 au fait que le but des privilèges et immunités diplomatiques prévus par la convention de Vienne n’était pas d’avantager des individus, sans relier cette déclaration aux prétentions ou au comportement de la Guinée équatoriale. Je formulerai quelques réflexions sur cette question. Mais avant toute chose, je tiens à rappeler au lecteur comment la Cour avait, en 2018, décrit le différend qui opposait les Parties dans la présente affaire.
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2. Au paragraphe 70 de son arrêt du 6 juin 20181, la Cour avait présenté le différend entre les Parties,
a) tout d’abord, comme un désaccord sur le point de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris faisait partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale en France et pouvait donc bénéficier du traitement prévu à l’article 22 de la convention de Vienne ; et,
b) ensuite, comme un désaccord sur la question de savoir si les mesures prises par les autorités françaises à l’égard de l’immeuble emportaient violation par la France des obligations lui incombant au titre de l’article 222.
3. La Cour avait également déclaré qu’elle avait compétence, sur la base du protocole de signature facultative à la convention de Vienne concernant le règlement obligatoire des différends, pour se prononcer sur la requête de la Guinée équatoriale en ce qu’elle avait trait au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission, et que ce volet de la requête était recevable3.
4. Il ressort clairement des faits de l’affaire que, si la France se refuse ou rechigne à reconnaître l’immeuble en litige comme faisant partie de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, c’est en grande partie parce qu’elle estime que cet immeuble est un bien privé de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et fait l’objet d’une procédure pénale en cours sur le sol français, notamment d’ordonnances de saisie et de confiscation. Cela étant, la France reconnaît également que, aux fins de la mise en oeuvre du régime d’inviolabilité prévu par la convention de Vienne, la propriété d’un bâtiment doit être distinguée de son affectation et de son utilisation comme locaux d’une mission diplomatique.
5. De mon point de vue, la Cour aurait dû distinguer la question de la propriété de l’immeuble en litige de celle de son affectation et de son utilisation comme locaux de la mission, et elle aurait dû se borner à statuer sur le volet de la requête ayant trait au statut de l’immeuble en tant que «locaux de la mission». La raison en est que, au regard de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne, la propriété ne constitue pas une condition préalable lorsqu’il s’agit de déterminer si un immeuble a droit à la protection prévue à l’article 22 de la convention pour les «locaux de la mission». Le seul préalable énoncé dans la convention est que le bâtiment ou des parties du bâtiment et du terrain attenant soient «utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission». A cet égard, je ne souscris pas à l’interprétation que la Cour donne de l’alinéa i) de l’article premier de la convention au paragraphe 62 de son arrêt. Selon moi, cette disposition est davantage qu’une simple définition. Lorsque cet alinéa est lu en son sens ordinaire, il indique que les «locaux de la mission» comprennent :
 les bâtiments, ou des parties de bâtiments et du terrain attenant,
 qui sont utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission ; et
 qu’il n’importe nullement de savoir qui possède effectivement le bâtiment ou le terrain où la mission est située.
1 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 292.
2 Ibid., p. 315, par. 70 et p. 328, par. 120.
3 Ibid., p. 337-338, par. 154, point 4.
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6. En revanche, la convention de Vienne n’apporte aucun éclaircissement sur le point de savoir si, avant d’utiliser un immeuble comme «locaux de [s]a mission», l’Etat accréditant doit s’assurer le consentement préalable (ou le défaut d’objection) de l’Etat accréditaire quant à un tel usage. J’y reviendrai dans la suite du présent exposé.
II. Statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris
a) Critères régissant la désignation d’un immeuble en tant que «locaux de la mission»
7. Pour déterminer si l’immeuble en litige pouvait être qualifié de «locaux de la mission» de la Guinée équatoriale au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne, la Cour devait rechercher, tout d’abord, si et quand cet Etat avait commencé à utiliser l’immeuble aux fins de sa mission et, ensuite, si le consentement de la France, en tant qu’Etat accréditaire, constituait un préalable à l’application à cet immeuble du régime d’inviolabilité prévu à l’article 22 de la convention.
8. Afin d’établir si et, dans l’affirmative, à partir de quel moment l’immeuble en litige pouvait être qualifié de «locaux de la mission», je me suis référée à trois dates possibles auxquelles, selon la Guinée équatoriale, le bâtiment aurait été affecté aux fins de sa mission, à savoir le 4 octobre 2011, le 17 octobre 2011 et le 27 juillet 2012.
i) Affectation de l’immeuble comme locaux de la mission le 4 octobre 2011
9. La Guinée équatoriale avance le 4 octobre 2011, soit le lendemain de la perquisition effectuée dans l’immeuble en litige et de la saisie, par les autorités françaises, de plusieurs véhicules de luxe appartenant à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue dans des parcs de stationnement des environs, comme étant la date de l’affectation initiale de l’immeuble à sa mission diplomatique. C’est à cette date que la Guinée équatoriale a, pour la première fois, officiellement informé le ministère français des affaires étrangères en ces termes :
«[L]a République de Guinée Equatoriale … dispose depuis plusieurs années d’un immeuble situé au 42 Avenue FOCH, Paris XVIème[,] qu’elle utilise pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique sans qu’elle ne l’ait formalisé expressément auprès d[e votre] servic[e du protocole] jusqu’à ce jour.
Dans la mesure où il s’agit des locaux de sa Mission Diplomatique, conformément à l’article 1er de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les immeubles diplomatiques, la République de Guinée Equatoriale souhaite vous informer officiellement afin que l’Etat français, conformément à l’article 22 de ladite Convention, assure la protection de ces locaux.»4
10. J’estime cependant que la Guinée équatoriale n’a pas produit d’éléments suffisant à démontrer que l’immeuble en litige était, avant le 4 octobre 2011 ou à compter de cette date, effectivement utilisé comme locaux de sa mission au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne. Il ne suffisait pas qu’elle «dispose depuis plusieurs années d[e l’]immeuble». A cet égard, j’ai tenu compte des facteurs suivants :
4 Mémoire de la Guinée équatoriale (ci-après «MGE»), par. 2.30 ; voir également la réponse écrite de la Guinée équatoriale aux questions posées par deux membres de la Cour, 26 octobre 2016, par. 21.
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a) Premièrement, selon la Guinée équatoriale elle-même, l’immeuble en litige a appartenu à M. Teodoro Nguema Obiang Mangue à titre privé jusqu’au 15 septembre 2011 (soit jusqu’à un mois avant la notification officielle précitée), date à laquelle l’intéressé aurait cédé au Gouvernement équato-guinéen les parts qu’il détenait dans les cinq sociétés suisses propriétaires de l’immeuble. Dans ces conditions, il est peu probable que l’Etat de Guinée équatoriale ait «dispos[é] depuis plusieurs années d[e cet ]immeuble», qui était un bien privé, ou qu’il s’en soit servi «pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique» avant le 4 octobre 2011, comme il le prétend dans sa notification officielle.
b) Deuxièmement, la Guinée équatoriale n’a pas précisé quelles fonctions diplomatiques auraient été accomplies dans l’immeuble en litige avant le 4 octobre 2011 ou à cette date. Au paragraphe 22 de sa réponse à la question d’un membre de la Cour, elle a affirmé que, «avant le 4 octobre 2011, … l’immeuble [avait] accueill[i son] personnel diplomatique … ou d’autres personnalités en mission spéciale», mais sans apporter de preuves à l’appui de cette allégation ; elle n’a pas non plus jugé nécessaire de demander à l’Etat accréditaire d’accorder le statut diplomatique ou des exemptions fiscales à l’égard de l’immeuble au cours de cette période5.
c) Troisièmement, à l’occasion des perquisitions successives menées dans l’immeuble par les enquêteurs français avant le 4 octobre 2011, la demanderesse n’a même pas, ne fût-ce qu’une seule fois, protesté ou invoqué l’immunité diplomatique de l’immeuble. Dans la note verbale du 28 septembre 2011 remise personnellement à M. Alain Juppé, alors ministre d’Etat aux affaires étrangères, la Guinée équatoriale a âprement critiqué les enquêtes et accusations pénales visant M. Teodoro Nguema Obiang Mangue ainsi que l’ingérence de la France dans ses affaires intérieures. Mais elle n’a alors fait aucune mention du statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, dont elle était pourtant censée être devenue propriétaire à ce moment-là. C’est Mme Mariola Bindang Obiang (déléguée auprès de l’UNESCO) qui a tiré grief pour la première fois des perquisitions et saisies effectuées du 14 au 23 février 20126.
d) Quatrièmement, lorsque les autorités françaises ont inspecté l’immeuble en litige le 5 octobre 2011 et en février 2012, elles n’ont trouvé aucune preuve de son occupation par l’ambassade de Guinée équatoriale, ni de son utilisation comme résidence par Mme Bindang Obiang, déléguée auprès de l’UNESCO7. Elles n’ont trouvé qu’une affichette à l’entrée indiquant «République de Guinée équatoriale — locaux de l’ambassade». La Guinée équatoriale reconnaît elle-même que les biens saisis par les autorités françaises à ces occasions n’appartenaient pas à sa mission8.
11. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, je ne suis pas convaincue que l’immeuble en litige ait acquis le statut de «locaux de la mission», au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention, le 4 octobre 2011 ou aux alentours de cette date.
ii) Transfert dans l’immeuble de la résidence de la déléguée auprès de l’UNESCO le 17 octobre 2011
12. Le 17 octobre 2011, la Guinée équatoriale a officiellement informé le ministère français des affaires étrangères que la mission de Son Exc. M. Federico Edjo Ovono, son ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, était arrivée à son terme et que, en attendant le remplacement de l’intéressé, Mme Mariola Bindang Obiang, déléguée permanente auprès de l’UNESCO, assurerait la
5 Duplique de la France (ci-après «DF»), par. 1.7.
6 MGE, annexe 42.
7 Documents additionnels communiqués par la France, document no 33, Procès-verbal de transport et saisie de véhicules de M. Teodoro OBIANG NGUEMA sis au 42 avenue Foch 75016 Paris, 28 septembre 2011.
8 Réplique de la Guinée équatoriale (ci-après «RGE»), par. 4.12.
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direction de l’ambassade en qualité de chargée d’affaires par intérim. Dans sa note verbale, la demanderesse indiquait ensuite que «la résidence officielle de Mme la Déléguée Permanente auprès de l’UNESCO se trouv[ait] dans les locaux de la Mission Diplomatique située au 40-42 Avenue Foch, 75016, Paris, dont dispos[ait] la République de Guinée Equatoriale»
9. La France a répondu le 31 octobre 2011 en rejetant la désignation de Mme Bindang Obiang en qualité de chargée d’affaires par intérim, qu’elle déclarait contraire à l’article 19 de la convention de Vienne10 ; elle a également souligné qu’elle n’avait jamais reconnu l’immeuble en litige comme faisant partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale et indiqué que tout changement d’adresse de Mme Obiang, qui résidait jusque-là au 46 rue des Belles Feuilles (Paris 16e arrondissement), pour l’établir à l’adresse de l’immeuble en litige devait être notifié officiellement par le service du protocole de l’UNESCO, et non par l’ambassade de la demanderesse11.
13. C’est quatre mois plus tard, le 15 février 2012, que la délégation permanente de la Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO a transmis au ministère français des affaires étrangères une note verbale indiquant que «la résidence officielle de la Déléguée Permanente de la Guinée Equatoriale auprès de l’UNESCO [était] située au 42 … Avenue Foch 75016 Paris, propriété de la République de Guinée Equatoriale»12. Le 16 février 2012, la demanderesse a, conformément à l’article 4 de la convention de Vienne, sollicité l’agrément des autorités françaises au sujet de la nomination de Mme Bindang Obiang en qualité d’ambassadrice de la Guinée équatoriale auprès de la France, en indiquant que l’intéressée résidait dans l’immeuble en litige13.
14. En mars 2012, la Guinée équatoriale a adressé au ministère français des affaires étrangères plusieurs notes verbales dans lesquelles elle réaffirmait l’immunité du bâtiment, non pas en tant que «locaux de la mission», mais en tant que «propriété de l’Etat»14.
15. De mon point de vue, la Guinée équatoriale n’a pas produit d’éléments de preuve convaincants et cohérents qui démontrent que, à compter du 17 octobre 2011, l’immeuble en litige ait effectivement été utilisé en tant que «locaux de la mission» au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention de Vienne, y compris en tant que «résidence du chef de la mission». A cet égard, j’ai tenu compte des facteurs suivants :
a) Premièrement, lorsqu’elle a prétendu désigner Mme Mariola Bindang Obiang, déléguée permanente auprès de l’UNESCO, en qualité de chargée d’affaires par intérim et de chef de la mission de la Guinée équatoriale le 17 octobre 2011, la demanderesse n’a pas obtenu l’agrément de l’Etat accréditaire qui est exigé par l’article 4 de la convention, puisque la France a ensuite refusé la nomination de l’intéressée au motif qu’elle était contraire à l’article 19 de la convention.
9 MGE, annexe 36.
10 Selon la note verbale de la France du 31 octobre 2011, seul un membre du personnel diplomatique, administratif ou technique de la mission peut, en vertu de l’article 19 de la convention de Vienne, être nommé chargé d’affaires par intérim par l’Etat accréditant.
11 MGE, annexe 40.
12 MGE, annexe 41.
13 L’article 4 de la convention de Vienne est ainsi libellé :
«1. L’Etat accréditant doit s’assurer que la personne qu’il envisage d’accréditer comme chef de la mission auprès de l’Etat accréditaire a reçu l’agrément de cet Etat.
2. L’Etat accréditaire n’est pas tenu de donner à l’Etat accréditant les raisons d’un refus d’agrément.»
14 MGE, annexes 43, 44 et 45.
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b) Deuxièmement, même si la résidence officielle de la déléguée permanente de la Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO avait été déplacée du 46 rue des Belles Feuilles à Paris (16e arrondissement) pour être établie dans l’immeuble en litige, l’article 20 de l’accord de siège entre la France et l’UNESCO prévoit que la notification aurait dû en être faite au ministère français des affaires étrangères par le service du protocole de l’UNESCO et non par l’ambassade de Guinée équatoriale. En tout état de cause, cette notification n’a eu lieu qu’au bout de quatre mois, le 15 février 201215.
c) Troisièmement, environ quatre mois après que Mme Mariola Bindang Obiang se fut prétendument installée dans l’immeuble en litige, les autorités françaises y ont procédé à plusieurs perquisitions entre le 14 et le 23 février 2012 et y ont saisi divers biens dont des effets personnels, du mobilier et des documents appartenant à M. Teodoro Obiang Mangue16. Sur la base de ces perquisitions et des témoignages d’employés de M. Teodoro Obiang Mangue, il a été constaté qu’il n’y avait ni documents diplomatiques ni biens ou objets appartenant à une femme dans l’immeuble. Ces opérations ont été menées malgré les protestations officielles de la Guinée équatoriale et de Mme Bindang Obiang17.
16. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, la Guinée équatoriale n’a pas prouvé que l’immeuble en litige ait acquis le statut de «locaux de la mission», au sens de l’alinéa i) de l’article premier de la convention, le 17 octobre 2011 ou aux alentours de cette date.
iii) Transfert dans l’immeuble des services de l’ambassade de Guinée équatoriale le 27 juillet 2012
17. Le 19 juillet 2012, le Tribunal de grande instance de Paris a pris une ordonnance de saisie pénale immobilière du bâtiment litigieux en vue de sa confiscation18. Le 27 juillet 2012, l’ambassade de Guinée équatoriale a informé le ministère français des affaires étrangères que «[s]es services … s[eraient], à partir du vendredi 27 juillet 2012, installés à l’adresse sise : 42 Avenue FOCH, Paris 16ème, immeuble qu’elle utilise[rait] désormais pour l’accomplissement des fonctions de sa Mission Diplomatique en France»19. Le 2 août 2012, la Guinée équatoriale a envoyé au ministère français des affaires étrangères une nouvelle notification à l’effet, «suite à ses précédentes notes verbales, [de] confirme[r] … que sa Chancellerie [était] bien située à l’adresse sise : 42 Avenue FOCH, Paris 16ème, immeuble qu’elle utilis[ait] comme bureaux officiels de sa Mission Diplomatique en France»20.
18. En réponse, le ministère français des affaires étrangères a écrit à la demanderesse le 6 août 2012 pour lui signifier son refus de reconnaître l’immeuble en litige en tant que nouveaux locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, lui rappeler que le bâtiment faisait l’objet d’une ordonnance de saisie pénale immobilière et déclarer que le siège de la chancellerie demeurait au
15 Accord entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture relatif au siège de l’UNESCO et à ses privilèges et immunités sur le territoire français.
16 Ordonnance de saisie pénale immobilière prise par le Tribunal de grande instance de Paris, MGE, annexe 25.
17 MGE, annexes 37 et 38.
18 MGE, annexe 25.
19 MGE, annexe 47 (les italiques sont de moi).
20 MGE, annexe 48.
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29 boulevard de Courcelles à Paris (8e arrondissement)
21. La France a réaffirmé sa position dans une communication ultérieure22.
19. Le 12 mai 2016, la Guinée équatoriale a répondu en réaffirmant que les services de son ambassade étaient situés dans l’immeuble en litige depuis que celui-ci leur avait été affecté le 11 octobre 2011, et en relevant le caractère contradictoire des messages respectivement envoyés par le Gouvernement français et son ministère des affaires étrangères. A ce propos, elle a noté
a) que le 42 avenue Foch à Paris (16e arrondissement) était l’adresse à laquelle les membres du Gouvernement français présentaient leur demande de visa d’entrée en Guinée équatoriale, comme l’avait fait la Secrétaire d’Etat chargée du développement et de la francophonie qui s’était rendue en Guinée équatoriale pour une visite officielle du 8 au 9 février 2015 ; et
b) qu’une unité des forces de l’ordre s’était rendue le 13 octobre 2015 à la même adresse pour y assurer la protection de la mission diplomatique lors d’une manifestation de membres de l’opposition équato-guinéenne en France.
20. La demanderesse faisait observer qu’elle ne devait pas être victime de cette contradiction23.
21. Il ressort clairement de la narration des événements ci-dessus que la Guinée équatoriale a effectivement transféré dans l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris les services de sa mission diplomatique en France le (ou vers le) 27 juillet 2012, huit jours après que l’ordonnance de saisie pénale immobilière eut été prise par le Tribunal de grande instance de Paris. Par la suite, la demanderesse a saisi toutes les occasions de réaffirmer sa position auprès des autorités françaises, malgré le refus constant du ministère français des affaires étrangères de reconnaître l’immeuble en litige comme étant la mission diplomatique ou la chancellerie équato-guinéenne. Si la France a refusé de reconnaître l’immeuble en tant que locaux de la mission de la Guinée équatoriale, c’était clairement parce qu’elle considérait que l’immeuble était une propriété privée et que des ordonnances de saisie pénale immobilière et de confiscation avaient été prises à son encontre. Chaque Partie s’est ainsi retranchée dans sa position, sauf en 2015 où, à quelques reprises, les autorités françaises ont obtenu dans cet immeuble leurs visas pour la Guinée équatoriale et ont accordé leur protection au personnel diplomatique du bâtiment.
22. A mon avis, il existe suffisamment d’éléments démontrant que l’immeuble en litige est effectivement utilisé depuis le 27 juillet 2012 comme locaux de la mission de la Guinée équatoriale. A mon sens, bien qu’elles puissent en dernier lieu avoir une incidence sur la propriété de l’immeuble, les ordonnances de saisie pénale immobilière et de confiscation ne devraient pas, à ce stade, empêcher la Guinée équatoriale d’utiliser effectivement cet immeuble comme locaux de sa mission. Comme il est indiqué plus haut, la France a elle-même reconnu que la propriété de l’immeuble était indifférente pour déterminer si ce bien était susceptible de faire partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale24.
21 MGE, annexe 49.
22 Voir note verbale du 27 avril 2016 (MGE, annexe 50).
23 MGE, annexe 51.
24 Contre-mémoire de la France (ci-après «CMF»), par. 2.1-2.21 ; DF, par. 0.11-0.15 et 2.1-2.4.
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b) Le consentement préalable de l’Etat accréditaire constitue-t-il nécessairement une condition préalable ?
23. La convention de Vienne est muette sur la question de savoir si le consentement de l’Etat accréditaire est nécessaire pour qu’un immeuble puisse être qualifié de «locaux de la mission». A l’inverse, par exemple, l’article 11 parle d’un accord entre les Etats accréditant et accréditaire quant à l’effectif de la mission, tandis que l’article 12 interdit à un Etat accréditant d’établir des bureaux faisant partie de sa mission «dans d’autres localités que celles où la mission elle-même est établie». Les travaux préparatoires de la convention n’apportent pas d’éclaircissement à cet égard. Il se peut que la réponse réside dans la pratique que la France, en tant qu’Etat accréditaire, a observée vis-à-vis de tous les Etats accréditants qui ont établi des relations diplomatiques avec elle.
24. Les Parties conviennent que la France n’a pas de lois ou directives écrites exigeant un consentement préalable. Toutefois, sa pratique semble indiquer l’existence d’une pratique de «non-objection». En d’autres termes, aux fins de l’établissement des locaux d’une mission diplomatique, il suffit que l’Etat accréditant notifie le lieu de ces locaux à l’Etat accréditaire, la France, et que celle-ci n’élève pas d’objection. On s’attend également à ce que l’Etat accréditaire ne soulève pas d’objection de manière déraisonnable, pour des motifs autres qu’une non-utilisation de l’immeuble aux fins de la mission. Cette approche a été adoptée par des commentateurs de la Convention :
«Dans les Etats où aucun cadre juridique interne spécifique ne régit l’acquisition ou la cession des locaux de la mission, la définition contenue à l’alinéa i) de l’article premier doit être appliquée par accord entre l’Etat accréditant et l’Etat accréditaire. D’une manière générale, un Etat accréditaire est susceptible de recevoir notification du lieu des locaux d’une mission afin de s’assurer qu’il s’acquitte de ses obligations de protéger ces locaux et de garantir leur inviolabilité au titre de l’article 22. Cette notification ne sera généralement contestée que s’il y a des raisons de soupçonner que les locaux ne sont pas utilisés aux fins de la mission. L’article 3, qui décrit les fonctions de la mission, peut être pertinent dans ce contexte.»25
25. En l’espèce, le refus persistant de la France de reconnaître l’immeuble en litige comme locaux de la mission de la Guinée équatoriale n’était pas fondé sur le fait que cet immeuble était utilisé pour d’autres fins ou fonctions que celles prévues à l’article 3 de la convention de Vienne ; il était invariablement fondé sur le fait que ledit immeuble relevait du «domaine privé» et était visé par des ordonnances de saisie pénale immobilière et de confiscation. Ironiquement, la France a toujours soutenu que la question de la propriété de l’immeuble était sans incidence sur son utilisation éventuelle en tant que locaux diplomatiques. En particulier, elle a fait valoir que l’ordonnance de saisie n’avait d’incidence que sur «la libre disposition du titre de propriété» de l’immeuble et non sur son utilisation26. A cet égard, je souscris à l’interprétation que fait la France de l’alinéa i) de l’article premier de la convention.
26. J’estime donc, tout bien considéré, qu’une fois qu’il était établi que la Guinée équatoriale avait effectivement transféré les services de sa mission dans l’immeuble en litige le 27 juillet 2012, cela suffisait pour que l’immeuble acquît le statut de «locaux de la mission de la Guinée équatoriale» et pour que la France, en sa qualité d’Etat accréditaire, lui accordât la protection prévue à l’article 22 de la convention de Vienne, indépendamment de l’identité du propriétaire de l’immeuble ou du fait
25 Voir E. Denza, Diplomatic Law: Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations (4e éd.), Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 17.
26 DF, par. 4.5-4.6.
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que celui-ci fît l’objet d’ordonnances de saisie et de confiscation. Cela m’amène à la question de savoir si la France a effectivement manqué à ses obligations au titre de la convention.
III. Question de savoir si la France a manqué à ses obligations au titre de la convention de Vienne
27. L’obligation imposée à l’Etat accréditaire et à ses agents par l’article 22 de la convention de Vienne est double. Premièrement, l’Etat accréditaire a le devoir de veiller à ce que ses autorités ne pénètrent pas dans les locaux de la mission d’un Etat accréditant sans le consentement du chef de la mission. Deuxièmement, il a le devoir de protéger cette mission contre toute invasion, tout dommage, tout trouble à la paix ou toute atteinte à la dignité, et contre toute mesure de contrainte, notamment de perquisition, de réquisition, de saisie ou d’exécution.
28. Compte tenu des conclusions formulées ci-dessus, à savoir que l’immeuble en litige n’a acquis le statut de «locaux de la mission de la Guinée équatoriale» que le 27 juillet 2012, ledit immeuble ne pouvait pas bénéficier de la protection diplomatique au titre de l’article 22 de la convention avant cette date. Il s’ensuit que les perquisitions et saisies effectuées par les autorités françaises en rapport avec l’immeuble avant cette date ne peuvent être considérées comme des violations de la convention. Il en va de même pour l’ordonnance de saisie pénale immobilière prise le 19 juillet 2012.
29. Se pose toutefois la question des conséquences à imputer à l’ordonnance de confiscation de l’immeuble prise par le Tribunal de grande instance de Paris le 27 octobre 2017, décision confirmée par la Cour d’appel de Paris le 10 février 2020. Etant donné qu’elles ont été rendues à l’égard de l’immeuble après qu’il fut devenu les locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale, ces deux décisions peuvent-elles être interprétées comme emportant violation de l’article 22 de la convention ?
30. Comme la Guinée équatoriale l’a elle-même relevé au cours des audiences sur les exceptions préliminaires soulevées par la France, «la confiscation est, en droit pénal français, une peine qui emporte en elle-même transfert de la propriété du bien qui en est l’objet au profit de l’Etat français»27. En tant que telle, une ordonnance de confiscation n’implique pas en soi une violation des locaux de la mission, en ce sens qu’elle empêche pour l’essentiel la libre disposition du titre de propriété sans nécessairement avoir une incidence sur l’utilisation en tant que locaux de la mission. La Guinée équatoriale s’est inquiétée de ce qu’une telle mesure comportait pour sa mission «un risque permanent d’expulsion» de l’immeuble28. Il me semble cependant qu’adhérer à ce point de vue reviendrait à se livrer à des conjectures, la confiscation ne conduisant pas automatiquement à l’expulsion. Etant donné que la Cour ne devait pas s’occuper des questions relatives à la propriété de l’immeuble en litige, il ne lui appartenait pas de spéculer sur les mesures que les autorités françaises pourraient prendre à la suite de la confiscation de cet immeuble, en particulier si elle avait constaté que celui-ci bénéficiait effectivement du statut diplomatique depuis le 27 juillet 2012 et ne pouvait donc faire l’objet d’une mesure d’exécution. En d’autres termes, l’immeuble en litige pouvait changer de propriétaire d’une manière ou d’une autre et la Guinée équatoriale choisir d’y maintenir sa mission, sous réserve de négociations avec les nouveaux propriétaires. Tant que la mission de la Guinée équatoriale demeurait établie à cet endroit, l’Etat accréditaire était tenu d’appliquer à la mission le régime d’inviolabilité garanti à l’article 22 de la convention, indépendamment de l’identité des nouveaux propriétaires.
27 CR 2018/3, p. 21, par. 43 (Tchikaya).
28 RGE, par. 2.54.
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31. Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, je suis d’avis que la France n’a pas commis de violation de l’article 22 de la convention de Vienne, car l’immeuble ne bénéficiait pas du régime d’inviolabilité au moment où les perquisitions et saisies ont été effectuées et l’ordonnance de saisie pénale immobilière, prise. Il n’y a pas eu non plus violation de l’article 22 du fait de l’ordonnance de confiscation puisque celle-ci ne conduit pas automatiquement à l’expulsion. Cela m’amène à la dernière question de l’affaire, qui est celle de savoir si, en portant ses griefs devant la Cour, la demanderesse a commis un abus de droit, comme l’affirme la défenderesse.
IV. Question de savoir si la Guinée équatoriale a commis un abus de droit
32. Dans le cadre de la troisième exception préliminaire d’incompétence qu’elle avait soulevée dans la présente affaire, la France reprochait à la Guinée équatoriale d’avoir, de manière «soudaine et inattendue», transformé une résidence privée en locaux de sa mission et nommé M. Teodoro Nguema Obiang Mangue à des fonctions de plus en plus éminentes. Elle soutenait également que, en portant l’affaire devant la Cour, la Guinée équatoriale tentait de soustraire M. Teodoro Nguema Obiang Mangue et l’immeuble en question aux poursuites pénales engagées en France. Elle concluait que la requête de la Guinée équatoriale constituait un abus de procédure en ce qu’elle avait été formée en l’absence manifeste de toute voie de droit et en vue de couvrir des abus de droit commis par ailleurs.
33. Dans son arrêt de 2018 sur les exceptions préliminaires, la Cour a qualifié la troisième exception préliminaire de la France d’exception d’irrecevabilité29. Elle a en outre rejeté cette exception en ce qu’elle avait trait à un abus de procédure allégué30. A propos de l’abus de droit allégué, elle a déclaré ce qui suit :
«En ce qui concerne l’abus de droit invoqué par la France, il reviendra à chacune des Parties d’établir les faits ainsi que les moyens de droit qu’elle entend faire prévaloir au stade du fond de l’affaire. La Cour est d’avis que l’abus de droit ne peut être invoqué comme cause d’irrecevabilité alors que l’établissement du droit en question relève du fond de l’affaire. Tout argument relatif à un abus de droit sera examiné au stade du fond de la présente affaire.»31
34. L’abus de droit est une notion controversée, et ne peut être allégué que dans des circonstances exceptionnelles et impérieuses. Le juge Hersch Lauterpacht a fait observer que l’on parlait d’abus de droit lorsqu’«un Etat fai[sai]t usage de son droit de manière arbitraire de façon à infliger à un autre Etat un préjudice qui ne p[ouvait] être justifié par une considération légitime de son propre avantage»32. La Cour a, dans sa jurisprudence33, reconnu que l’abus de droit était un corollaire inévitable du principe de bonne foi34. Cela étant, comme la France l’a relevé à juste titre,
29 Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 335, par. 145.
30 Ibid., p. 336, par. 150.
31 Ibid., p. 337, par. 151.
32 L. Oppenheim, International Law: A Treatise, vol. 1 : Peace, 8e éd., H. Lauterpacht (dir. publ.), London, New York, Toronto : Longmans, Green and Co., p. 354.
33 Voir Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 473, par. 49 ; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 37-38 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 622, par. 46.
34 Selon d’autres auteurs :
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pareil abus ne saurait être constaté à la légère, une cour ou un tribunal ne pouvant évidemment en présumer ou en constater l’existence que dans des circonstances très exceptionnelles
35. Dans la présente affaire, la Cour était appelée à déterminer si, en réclamant une protection diplomatique au titre de l’article 22 de la convention de Vienne pour l’immeuble en litige en tant que «locaux de sa mission», la Guinée équatoriale avait abusé des droits que lui conférait la convention au détriment des droits de la France, l’Etat accréditaire.
35. Il ne fait guère de doute que, en cherchant à se défaire de la propriété de l’immeuble en litige et en cédant à l’Etat équato-guinéen les parts qu’il détenait dans les cinq sociétés suisses à la mi-septembre 2011, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue a agi sous la pression de la procédure pénale qui était déjà en cours contre lui en France. Son père, le président de la Guinée équatoriale, l’a écrit à son homologue français le président Sarkozy en février 2012 dans une communication officielle36.
36. J’ai déjà dit que, selon moi, la demanderesse avait effectivement transféré les services de sa mission diplomatique le 27 juillet 2012 dans l’immeuble en litige et que, à compter de cette date, celui-ci avait droit à la protection garantie par l’article 22 de la convention de Vienne. Peut-il pour autant être considéré que, lorsqu’elle s’est prévalue de son droit de porter l’affaire devant la Cour, la Guinée équatoriale l’a fait «de manière arbitraire de façon à infliger à [la France] un préjudice qui ne peut être justifié par une considération légitime de son propre avantage» ? Force est de répondre par la négative. En transférant les services de sa mission dans l’immeuble en litige, la demanderesse croyait sincèrement (à tort ou à raison) qu’elle les installait dans un bâtiment qui était alors propriété de l’Etat équato-guinéen. Le fait que le président équato-guinéen n’ait pas caché aux autorités françaises la raison du «transfert» de l’immeuble ainsi que les diverses tentatives de la demanderesse en vue de régler par la voie diplomatique le différend au sujet du statut de l’édifice sont, à mon avis, révélateurs de la volonté de la Guinée équatoriale de maintenir une relation transparente et fraternelle avec la défenderesse et non pas une indication de mauvaise foi.
37. Du propre aveu de la France, son refus de reconnaître l’immeuble en litige comme locaux de la mission de la demanderesse était fondé non pas sur l’utilisation abusive par celle-ci de l’immeuble à d’autres fins qu’à celles de sa mission diplomatique, mais bien sur le fait que cet immeuble relevait du «domaine privé» et faisait l’objet d’ordonnances de saisie pénale immobilière et de confiscation. Selon moi, le dépôt par la Guinée équatoriale d’une requête devant la Cour n’a pas porté atteinte au droit de la France de poursuivre la procédure pénale visant M. Teodoro Obiang Mangue ou l’immeuble en litige étant donné que lesdites ordonnances concernent la propriété de l’immeuble et non son utilisation en tant que locaux de la mission de la demanderesse.
38. En outre, lorsqu’elle a statué sur des allégations de violation de dispositions de la convention de Vienne dans l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis
«La bonne foi dans l’exercice de droits … signifie qu’un Etat doit exercer ses droits d’une manière compatible avec les diverses obligations que lui font soit les traités, soit le droit général. Il découle de l’interdépendance des droits et des obligations que l’exercice des droits doit être raisonnable. L’exercice raisonnable et de bonne foi d’un droit suppose que celui-ci soit exercé sincèrement en vue d’obtenir les intérêts que ce droit est destiné à protéger et qu’il ne soit pas destiné à porter atteinte de manière inéquitable aux intérêts légitimes d’un autre Etat». (Voir B. Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribunals, Cambridge, 1953, réimprimé en 1987, p. 131-132.)
35 CMF, par. 4.9.
36 MGE, annexe 39.
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à Téhéran
37, la Cour a estimé que la convention, en tant que régime autonome, fournissait aux Etats parties les moyens de répondre à ce qu’ils pouvaient considérer comme des abus des droits et privilèges conférés par ses prescriptions. L’obiter dictum de la Cour se lit comme suit :
«84. Les conventions de Vienne de 1961 et de 1963 renferment des dispositions expresses pour le cas où des membres d’une mission diplomatique, sous le couvert des privilèges et immunités diplomatiques, se livrent à des abus de fonctions tels que l’espionnage ou l’immixtion dans les affaires intérieures de l’Etat accréditaire. C’est précisément parce que de tels abus sont possibles que l’article 41, paragraphe 1, de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, dont s’inspire l’article 55, paragraphe 1, de la convention de Vienne sur les relations consulaires, dispose : «Sans préjudice de leurs privilèges et immunités, toutes les personnes qui bénéficient de ces privilèges et immunités ont le devoir de respecter les lois et règlements de l’Etat accréditaire. Elles ont également le devoir de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures de cet Etat».»
39. En définitive, la constatation par la Cour d’un abus de droit de la demanderesse n’aurait sans doute pas été d’une grande utilité et n’aurait fait que détériorer encore les relations déjà tendues entre les deux Etats. Conformément à l’objet et au but de la convention de Vienne, qui sont de «favoriser les relations d’amitié entre les pays», la Cour aurait dû déclarer expressément que la France n’avait pas établi l’existence du prétendu abus de droit de la demanderesse.
(Signé) Julia SEBUTINDE.
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37 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 39, par. 84.

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Opinion individuelle de Mme la juge Sebutinde

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