Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Berman

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174-20200714-JUD-01-03-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE AD HOC BERMAN
[Traduction]
Appel devant être rejeté mais Cour ayant manqué une occasion d’apporter les éclaircissements qui s’imposaient concernant l’article 84 de la convention de Chicago — Enoncé distinct selon lequel le Conseil de l’OACI a «compétence» n’étant pas demandé dans les conclusions des Parties et risquant, s’il n’est pas assorti de précisions ou d’explications, de faire naître méprise ou confusion à l’avenir — Nombreuses difficultés dans la compréhension et l’interprétation de l’article 84 en soi et à la lumière des pouvoirs que la convention de Chicago confère par ailleurs au Conseil — Cour et Parties n’ayant pas tenté de démêler pourquoi l’article 84 porte principalement sur les «désaccords» et non les différends — Différend présupposant un désaccord, mais désaccord ne constituant pas nécessairement un différend — Raisons multiples liées à la nature, à la composition et au mode opératoire du Conseil, ainsi qu’au Règlement qu’il a lui-même établi, démontrant qu’il ne s’agit pas d’un organe judiciaire dont les fonctions de règlement des différends auraient un caractère judiciaire justifiant le terme «compétence» — Fonctions du Conseil consistant plutôt à rendre des décisions faisant autorité, fondées sur son expertise dans un domaine spécialisé, dans le cadre ou non de différends particuliers entre Etats — Pareille interprétation étant conforme aux termes de la convention et aux réalités pratiques, et permettant de préciser et de faciliter le rôle de la Cour elle-même dans le cadre de sa fonction d’appel — Nécessité d’attendre une occasion future de trancher ces questions, celles-ci n’ayant regrettablement pas été soulevées par les Parties — Absence d’effet restrictif sur la compétence du Conseil du choix des demandeurs d’invoquer un moyen de défense étranger à la convention de Chicago impliquant que ledit choix ne puisse pas non plus étendre les responsabilités conférées au Conseil par l’article 84, et regret que la Cour n’ait pas été disposée à le dire — Regret que la Cour n’ait pas examiné de manière plus nuancée le traitement cavalier réservé aux considérations relatives à la régularité de la procédure dans l’arrêt de 1972 — Nécessité de ne pas donner la moindre impression qu’un vice grave de procédure n’est pas source de préoccupation pour la Cour ou pourrait, s’il se produisait, entraîner la nullité d’une décision du Conseil ou priver celle-ci d’effet juridique — Cour ayant à juste titre rappelé que l’article 84 lui-même impose au Conseil de respecter certaines obligations juridiques de fond, notamment celle de motiver ses décisions, pour donner effet aux fonctions d’appel de la Cour.
1. C’est sans grande difficulté que je m’associe à la décision de la Cour de rejeter le présent appel. Les Etats demandeurs n’ont établi aucun des trois moyens d’appel qu’ils avancent contre la décision du Conseil de l’OACI (désigné ci-après, pour plus de commodité, le «Conseil»), ce dont il découle inévitablement que l’appel, en tant que tel, doit être rejeté. La Cour a toutefois estimé utile d’ajouter, dans la seconde partie du dispositif de son arrêt, une conclusion formelle à l’effet de dire que le Conseil «a compétence pour connaître» de la requête dont il a été saisi par le Qatar. Cet énoncé de large portée n’est guère en rapport avec les conclusions réellement présentées à la Cour par l’une et l’autre des Parties. En outre, il risque fort, s’il n’est pas assorti de précisions ou d’explications, de faire naître méprise ou confusion dans l’application future de l’article 84 de la convention de Chicago. Or, la Cour n’ayant pas saisi cette occasion pour apporter dans son arrêt les explications, ou même les précisions, qui s’imposaient, je me suis trouvé contraint de voter contre le point 2) du paragraphe 127. Je souhaite ici expliquer les raisons de ce choix, dans l’espoir que cela pourra présenter une réelle utilité pour le Conseil lorsque, à l’avenir, celui-ci exécutera la tâche difficile et aux contours peu nets qui lui a été confiée par l’article 84. Quoique mes réflexions puissent se révéler plus utiles, en pratique, dans le cas d’une décision définitive que le Conseil rendrait au fond sur une question d’interprétation ou d’application de la convention de Chicago, elles ne sont pas pour autant dépourvues de pertinence dans une procédure d’appel portant sur ce que l’arrêt désigne comme une question de «compétence» présageant une décision ultérieure sur le fond.
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2. L’article 84 est une disposition complexe et problématique qui soulève de nombreuses questions quant à son interprétation, ainsi que des incertitudes sur l’intention qui sous-tendait sa rédaction. Il est peu surprenant de constater, dans les documents historiques, que cette disposition a régulièrement suscité, au sein même du Conseil, perplexité et inquiétude sur ce que celui-ci pouvait et devait faire ⎯ et selon quelles modalités ⎯ pour exécuter le mandat que lui confie l’article 84. C’est ce que traduisent en grande partie les controverses et incertitudes qui ont marqué les choix opérés par l’OACI dans son traitement de la plainte initiale du Qatar, et qui se sont à nouveau manifestées dans la présente procédure devant la Cour.
3. Si l’article 84 est relativement clair ⎯ ou, à tout le moins, suffisamment clair (voir toutefois, sur ce point, les paragraphes 12 et 18 ci-après) ⎯ quant à la compétence conférée à la Cour en matière d’appel, il l’est beaucoup moins en ce qui concerne le pouvoir qu’il vise à confier au Conseil de l’OACI en sus de ceux qui découlent des autres dispositions de la convention de Chicago, envisagée dans son ensemble. Ainsi, le Conseil a déjà pour fonctions «obligatoires»1, selon l’article 54, d’«examiner toute question relative à la Convention dont il est saisi par un Etat contractant», et de «signaler aux Etats contractants toute infraction à la présente Convention». Ce qu’apporte l’article 84 doit donc concerner la nature ou le statut juridique de la décision que rend le Conseil sur une requête dont il est saisi en vertu de cette disposition, et non sa compétence pour connaître de cette requête. En employant, dans le dispositif, le terme «compétence» ⎯ avec toutes les notions de pouvoir et de procédure judiciaires qui lui sont généralement associées ⎯ au sujet des fonctions que tient le Conseil de l’article 84, la Cour a regrettablement contribué à maintenir cette confusion au lieu de s’employer à la dissiper.
4. Selon son libellé, l’article 84 parle des «désaccords» entre Etats contractants «à propos de» l’interprétation ou l’application de la convention. Quoique le terme «différends» apparaisse dans l’intitulé de l’article et figure également, au singulier, à deux reprises dans son texte même, ce à quoi l’article ouvre la voie et ce sur quoi le Conseil doit donc «statue[r]», ce sont les «désaccord[s] entre deux ou plusieurs Etats contractants» qui, s’ils ne sont pas réglés entre ces derniers, peuvent être soumis au Conseil par tout Etat «impliqué dans» le désaccord en question. On ne peut que regretter que la Cour ne se soit aucunement intéressée à l’emploi que fait l’article 84 de ces deux termes distincts. C’est évidemment à juste titre qu’elle souligne (au paragraphe 29), en se référant à l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, que l’existence d’un «différend» présuppose celle d’un «désaccord» ; toutefois, cela n’implique nullement qu’un désaccord constitue nécessairement un différend. On pourrait sans aucune difficulté attribuer à chacun de ces deux termes, tels qu’ils sont employés dans le présent contexte, tout le sens qui lui est propre, afin d’éclairer le rôle et la fonction que confère l’article 84 au Conseil.
5. Si l’article 84, pris dans son ensemble, s’inscrit donc assurément, dans une certaine mesure, dans le régime du «règlement des différends» ⎯ au sens large et oecuménique de l’article 33 de la Charte des Nations Unies, et des moyens tels que la négociation, l’enquête, la médiation ou la conciliation qui y sont mentionnés ⎯, les termes employés ne sont toutefois pas ceux du règlement judiciaire. Or, c’est bien le règlement judiciaire qui emporte la notion de «compétence», ou «juridiction» (jus dicere), et, partant, celle de résultat juridiquement contraignant qui découle de son exercice.
6. La Cour a, là encore à juste titre, clairement indiqué que le Conseil ne saurait être considéré comme un organe judiciaire, quel que soit le sens ordinaire attribué à ce terme. Au paragraphe 60 de l’arrêt, elle l’explique par certaines raisons impérieuses, qui peuvent aisément être complétées d’autres éléments, notamment le fait, largement mentionné dans les argumentations respectives des
1 Le terme est tiré de l’intitulé de l’article 54.
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Parties, que les membres du Conseil sont réputés agir selon les instructions de leurs gouvernements, y compris dans l’exercice des fonctions que leur confère l’article 84. Il convient, de mon point de vue, d’y ajouter un autre facteur, peut-être plus important encore, soit le fait que le Conseil lui-même, lorsqu’il a établi son propre Règlement aux fins de la mise en oeuvre de l’article 842, a expressément fait fond sur la notion de «désaccord» ne pouvant être «réglé par voie de négociation» qui figure dans cet article. Il s’est ainsi imposé l’obligation (article 6 du Règlement) de rechercher dès le début s’il y a lieu d’inviter les Etats concernés à entrer en négociation directe, s’autorisant même expressément à, notamment, suspendre sa procédure à cet effet, prêter assistance aux parties, désigner des conciliateurs ou encore faire procéder à des enquêtes et des expertises (articles 8 et 14 du Règlement). Ces mesures sont naturellement et généralement associés aux prérogatives de l’organe exécutif suprême d’un organisme technique de premier plan, ou à celles d’un amiable compositeur, mais pas à celles d’une instance judiciaire, quelle qu’elle soit. Quoique la Cour aborde ce point au paragraphe 88 de l’arrêt, elle le fait bien trop brièvement, voire presque incidemment, et n’en tire donc pas les conclusions qu’elle aurait dû en tirer.
7. Tous les éléments qui précèdent sont si éloignés des concepts fondamentaux ⎯ ancrés dans une appréciation objective, indépendante et détachée des arguments de fait et de droit ⎯ qui sous-tendent le règlement judiciaire ou juridique des différends qu’ils doivent donner à réfléchir. Plus précisément, ils invitent à examiner si les Etats contractants de la convention de Chicago, ou par la suite le Conseil lui-même, lorsqu’il a entendu donner effet à leurs souhaits, ont vraiment pu envisager l’article 84 comme conférant au Conseil un quelconque pouvoir judiciaire pour statuer, avec effet juridique contraignant, sur un différend entre des Etats membres A et B. On peut noter à cet égard que, si, à l’article 86, la convention de Chicago va jusqu’à qualifier de «définitives et obligatoires» les décisions rendues par la Cour (ou un tribunal d’arbitrage) siégeant en appel, elle ne dit rien, quelques lignes plus haut, du statut en droit d’une décision rendue par le Conseil sur un «désaccord entre deux ou plusieurs Etats contractants à propos de l’interprétation ou de l’application de la … Convention».
8. En outre, le texte même de l’article 84 me semble révéler un autre indice important : il dit que le droit de faire appel d’une telle décision du Conseil est ouvert non pas à tout Etat «partie» à un «différend», pas même à tout Etat «impliqué dans un désaccord», mais à tout Etat contractant de la convention, sans autre précision. Si ce libellé dit bien ce qu’il veut dire, on est fort éloigné d’une quelconque procédure normale de règlement de différend, et plus encore d’une procédure comportant des éléments qui ne relèvent pas du régime de la convention de Chicago. Certes, les Parties n’ont guère abordé de questions textuelles de cette nature dans leurs argumentations respectives, et cela peut justifier, dans une certaine mesure, que la Cour ne les ait pas elle-même examinées en détail. Il me paraît toutefois évident que tout arrêt reposant sur une notion de «compétence» doit inclure un examen préalable et rationnel de la nature et de la qualité réelles des pouvoirs ou prérogatives conférées à l’organe supposé avoir cette «compétence». Or, cet examen passe lui-même nécessairement par une analyse approfondie de l’article 84 et des dispositions connexes, laquelle doit être effectuée conformément à la formule consacrée de la convention de Vienne sur le droit des traités, soit en discernant le sens ordinaire à attribuer à leurs termes dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but du traité pris dans son ensemble.
9. La Cour a toujours accordé une attention particulière et minutieuse à ce type de disposition3. Elle était d’autant plus tenue de procéder à l’examen approfondi de l’interprétation qu’il convient de faire de l’article 84 qu’elle était encline à attribuer audit article ce caractère de clause «attributive de
2 Lequel est d’ailleurs intitulé «Règlement pour la solution des différends» (les italiques sont de moi).
3 Voir, tout récemment, Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt du 8 novembre 2019, par. 57.
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compétence». Plus encore, peut-être, que toute autre disposition ⎯ puisque, outre le consentement général à être lié par le traité dans son ensemble, elle consacre le consentement spécifique de chaque Etat contractant à l’exercice de la compétence et aux conséquences de cet exercice ⎯, une clause réellement «attributive de compétence» doit être interprétée telle qu’elle est formulée, avec toutes ses difficultés et ses ambiguïtés, et non de la manière dont des commentateurs, l’interprétant ultérieurement, l’auraient rédigée si la tâche leur en avait été confiée.
10. Pour toutes les raisons qui précèdent et d’autres encore, une lecture différente peut, à mon avis, être faite de l’article 84, tel qu’il s’inscrit dans la convention de Chicago dans son ensemble, et en particulier dans le contexte des autres pouvoirs et fonctions conférés au Conseil. Cette lecture consiste à considérer que celui-ci n’est pas investi d’une quelconque «compétence» pour régler des différends entre Etats membres particuliers, mais d’une haute fonction administrative, fondée sur les connaissances et l’expertise particulières qui sont les siennes dans le domaine de l’aviation civile, en vertu de laquelle il rend des décisions faisant autorité sur le sens à donner aux dispositions de la convention et les obligations qui en découlent, que ces questions s’inscrivent ou non dans le cadre de différends particuliers entre des Etats membres concernant leurs droits et obligations mutuels. Dès lors que l’on envisage les choses de ce point de vue, les questions en litige entre les Parties dans la présente espèce prennent, pour une large part, un tout autre visage et leur résolution s’en trouve facilitée. Tel est le cas, de fait, de nombre des questions d’interprétation textuelles soulevées ci-dessus.
11. Une telle lecture de l’article 84 présenterait en outre un avantage inestimable, ou plutôt deux.
12. Tout d’abord, loin d’être, comme ce serait le cas si le Conseil avait un rôle de règlement des différends, soumises à la règle commune consacrée par l’article 59 du propre Statut de la Cour, selon laquelle elles n’auraient force obligatoire qu’entre les Etats concernés et à l’égard d’une situation particulière, les décisions du Conseil seraient considérées comme des déclarations faisant autorité et s’appliquant de manière générale et avec la même force à l’égard de tous les Etats contractants de la convention de Chicago, pour le plus grand bénéfice du régime essentiel de l’aviation civile internationale, dont le monde moderne est, à tant d’égards, tributaire. Et cette interprétation permettrait aussi de préciser et de faciliter le rôle de la Cour elle-même au titre de sa fonction d’appel, lequel serait délimité par les dispositions de la convention correctement interprétées et dûment appliquées, évitant en outre à la Cour d’avoir à trancher des questions de politique en matière d’aviation à l’égard desquelles elle se trouverait aussi démunie que le Conseil à l’égard de questions de droit international.
13. En d’autres termes, de nombreux éléments militent en faveur d’une telle lecture, qui est conforme aux termes mêmes de l’article 84 et des dispositions qui lui sont associées et, de surcroît, logique d’un point de vue pratique. Il me faut toutefois faire preuve de prudence dans mes réflexions sur ce sujet, puisque les considérations qui les sous-tendent n’ont, à mon grand regret, pas été examinées par les Parties dans leurs argumentations respectives. La question demeure donc ouverte et devra être tranchée par la Cour à un stade ultérieur, lorsque l’occasion se présentera et le besoin s’en fera sentir.
14. Je souhaiterais à présent soulever deux autres points plus particuliers, qui concernent des aspects précis de l’arrêt.
15. Le premier a trait au paragraphe 49 de l’arrêt.
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16. Je déplore en particulier le refus inexplicable de la Cour de tirer le corollaire de la conclusion principale énoncée dans ce paragraphe, qui est essentielle au règlement de la présente affaire dans son ensemble. La Cour dit (à juste titre, selon moi) que le Conseil de l’OACI ne saurait se voir priver de la compétence qu’il tient de l’article 84 par le simple fait que l’une des parties à un désaccord invoque, pour justifier ses actes, un moyen de défense ne relevant pas de la convention de Chicago. Or, il s’ensuit nécessairement que l’invocation d’une défense juridique plus large ne saurait non plus avoir pour effet d’élargir ou d’étendre cette même compétence. Si cela ressort implicitement de l’énoncé qu’elle formule, la Cour, en ne l’ayant pas dit expressément, a toutefois manqué une occasion précieuse de préciser au Conseil ce qu’il est autorisé à faire dans les limites du cadre posé par l’article 84, ce qui lui aurait assurément été utile à l’avenir.
17. Le second point concerne les questions liées à la régularité de la procédure qui ont été soulevées comme premier moyen d’appel et qui sont évacuées un peu abruptement aux paragraphes 123 et 124 de l’arrêt. Dans ces deux courts paragraphes, la Cour ne fait guère plus que rappeler, sous forme résumée et sans autre analyse, la démarche qu’elle avait adoptée dans l’unique précédent, il y a une quarantaine d’années.
18. Le traitement cavalier que la Cour avait réservé à cette question en 1972, et qu’elle s’abstient (regrettablement) de soumettre aujourd’hui à l’examen plus nuancé qu’imposeraient les conditions actuelles, fait abstraction de l’éventualité où, pour une raison particulière ou un ensemble de raisons, une irrégularité de procédure fondamentale viendrait entacher une décision du Conseil au point que la Cour se trouverait dans l’obligation de déclarer cette décision nulle et non avenue. Il serait aussi parfaitement concevable que, du fait d’une grave irrégularité de procédure, la réponse apportée à une question de droit ne puisse tout simplement être considérée comme juridiquement «correcte». En pareil cas, la Cour devrait répondre à la question de savoir ce qui doit s’entendre comme implicite dans la notion d’«appel», telle que celle-ci est envisagée dans l’article 84, s’agissant de ses fonctions en tant qu’instance d’appel et de l’étendue des remèdes auxquels elle peut recourir à ce titre. Il est évidemment à espérer qu’une telle situation ne se produira jamais au sein d’un organisme spécialisé de haut niveau tel que l’OACI, mais improbable n’est pas impossible et il serait malheureux qu’une formulation trop large donne la moindre impression que la question des irrégularités de procédure laisse la Cour indifférente. On ne peut donc que se féliciter que celle-ci ait au moins rappelé, au paragraphe 126 de l’arrêt, que le cadre même posé par l’article 84 impose certaines conditions obligatoires auxquelles le Conseil est lui aussi tenu de satisfaire pour traduire effectivement dans la pratique le droit d’appel énoncé dans cet article. On voit mal, par exemple, comment la Cour pourra, à l’avenir, notamment si la contestation porte sur une décision de fond, exercer correctement ses fonctions d’instance d’appel à l’égard de cette décision si celle-ci n’a pas été motivée et son raisonnement sous-jacent, expliqué par le Conseil. Il est donc décevant de constater que, au mépris des règles directement applicables qu’il avait lui-même établies, le Conseil a adopté les décisions contestées sans fournir le moindre élément quant au raisonnement suivi, se réfugiant, semble-t-il, derrière la possibilité (prévue par d’autres règles de procédure) de recourir au scrutin secret. Il a, ce faisant, placé un outil procédural au-dessus non seulement des règles de fond applicables, mais également de la convention internationale même dont celles-ci découlent. Cela est juridiquement inacceptable. En outre, ce point peut, en soi, être envisagé comme une question concernant «l’interprétation ou l’application de la convention de Chicago», et il eût été souhaitable que la Cour fût disposée à le dire, afin d’aider le Conseil dans ses décisions futures.
(Signé) Franklin BERMAN.
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