Volume IV (Annexes 25 à 26)

Document Number
173-20181227-WRI-01-03-EN
Parent Document Number
173-20181227-WRI-01-00-EN
Document File

Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15887
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
APPEL CONCERNANT LA COMPÉTENCE DU CONSEIL DE L’OACI EN VERTU
DE L’ARTICLE 84 DE LA CONVENTION RELATIVE À L’AVIATION CIVILE
INTERNATIONALE (ARABIE SAOUDITE, BAHREÏN, ÉGYPTE
ET ÉMIRATS ARABES UNIS c. QATAR)
MÉMOIRE DU ROYAUME D’ARABIE SAOUDITE,
DU ROYAUME DE BAHREÏN, DE LA
RÉPUBLIQUE ARABE D’ÉGYPTE
ET DES ÉMIRATS ARABES UNIS
VOLUME III
(Annexes 22 à 24)
VOLUME IV
(Annexes 25 à 26)
27 décembre 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Annexe Page
VOLUME III
Pièces de procédure devant l’OACI
22 Request for the Intervention of the ICAO Council in the Matter of the
Actions of the Arab Republic of Egypt, the Kingdom of Saudi Arabia, the
United Arab Emirates and the Kingdom of Bahrain to close their Airspace
to aircraft registered in the State of Qatar, attaching Application (1) of the
State of Qatar, Complaint Arising under the International Air Services Transit
Agreement done in Chicago on December 7, 1944, and Application (2) of the
State of Qatar, Disagreement Arising under the Convention on International
Civil Aviation done in Chicago on December 7, 1944 (8 juin 2017) [annexe
non traduite]
23 Requête A et mémoire de l’Etat du Qatar, «Désaccord à propos de
l’interprétation et de l’application de la convention relative à l’aviation civile
internationale (Chicago, 1944) et de ses annexes», 30 octobre 2017 [extrait]
1
24 Exceptions préliminaires de la République arabe d’Egypte, du Royaume de
Bahreïn, du Royaume d’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis au sujet de
la requête A de l’Etat du Qatar relative au désaccord découlant de la
convention relative à l’aviation civile internationale, signée à Chicago le
7 décembre 1944 (19 mars 2018) [extrait]
13
VOLUME IV
25 Réponse de l’Etat du Qatar aux exceptions préliminaires des défendeurs au
sujet de la requête A de l’Etat du Qatar relative au désaccord à propos de
l’interprétation et de l’application de la convention relative à l’aviation civile
internationale (Chicago, 1944) et de ses annexes, 30 avril 2018 [extrait]
58
26 Duplique de la République arabe d’Egypte, du Royaume de Bahreïn, du
Royaume d’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis à la réponse de l’Etat
du Qatar aux exceptions préliminaires des défendeurs au sujet de la
requête (A) de l’Etat du Qatar relative au désaccord découlant de la
convention relative à l’aviation civile internationale, signée à Chicago le
7 décembre 1944 (12 juin 2018)
125
ANNEXE 23
REQUÊTE A ET MÉMOIRE DE L’ETAT DU QATAR, «DÉSACCORD À PROPOS
DE L’INTERPRÉTATION ET DE L’APPLICATION DE LA CONVENTION
RELATIVE À L’AVIATION CIVILE INTERNATIONALE
(CHICAGO, 1944) ET DE SES ANNEXES»,
30 OCTOBRE 2017 [EXTRAIT]
REQUÊTE A
DE
L’ÉTAT DU QATAR
Désaccord à propos de l’interprétation et de l’application
de la Convention relative à l’aviation civile internationale (Chicago, 1944)
et de ses Annexes
Présentée au nom de l’État du Qatar par son agent
Essa Abdulla Almalki
Autorité de l’aviation civile du Qatar
Représentant permanent auprès de l’OACI
- 2 -
REQUÊTE A DE L’ÉTAT DU QATAR
Par la présente, l’État du Qatar (« le demandeur ») introduit sa requête en vertu de l’article 84 de la
Convention relative à l’aviation civile internationale (Convention de Chicago), de ses Annexes et du
Règlement pour la solution des différends (Doc 7782/2). Un mémoire de l’État du Qatar y est joint.
Les défendeurs dans ce désaccord à propos de l’interprétation et de l’application de la Convention de
Chicago et de ses Annexes sont les Émirats arabes unis, la République arabe d’Égypte, le Royaume
d’Arabie saoudite et le Royaume de Bahreïn.
Le 5 juin 2017, les Gouvernements des défendeurs ont annoncé, avec effet immédiat et sans négociation
ou avertissement préalable, qu’il était interdit aux aéronefs immatriculés au Qatar d’atterrir aux aéroports
situés sur leurs territoires ou d’en décoller et d’utiliser non seulement leur espace aérien national
respectif, mais aussi leurs régions d’information de vol (FIR) qui s’étendent au-delà de leur espace aérien
national, même au-dessus de la haute mer.
Les mesures prises par les défendeurs constituent une agression économique gratuite, sans précédent en
temps de paix dans le monde civilisé. Il s’agit aussi d’un mépris éhonté du droit international et des
principes moraux.
De tels agissements injustifiés, jamais vus au cours des 70 années d’existence de l’Organisation de
l’aviation civile internationale (OACI), représentent une lourde menace pour les principes fondamentaux
qui constituent le fondement de l’OACI. Ils bafouent la lettre et l’esprit de la Convention de Chicago et des
normes et pratiques recommandées connexes (Annexes) ainsi que d’autres principes du droit international
général. Ils portent cyniquement atteinte au caractère sacré des traités internationaux qui doivent être
exécutés « de bonne foi ».
Les actes des défendeurs continuent d’avoir de graves incidences sur la sécurité, la sûreté, la régularité et
l’économie de l’aviation civile dans la région. Qatar Airways, la compagnie aérienne nationale du
demandeur, exploite quelque 800 vols par jour et transporte dans le monde entier des milliers de
passagers de nombreuses nationalités. Les plans de voyage et les réservations de milliers de
voyageurs de nationalités diverses ont été perturbés, des familles ont été contraintes de se séparer
et les réservations auprès de Qatar Airways et les billets émis par cette dernière n’ont pas été honorés
par les compagnies aériennes des défendeurs. Il a été interdit aux vols de Qatar Airways d’emprunter des
voies aériennes internationales établies, y compris celles au-dessus de la haute mer. Il a fallu des
semaines pour établir et mettre en oeuvre d’autres routes ou segments de route, qui demeurent
insuffisants, malgré les efforts continus et les propositions du Qatar. Le réacheminement des vols dans des
corridors restreints accroît les temps de vol et la consommation de carburant et entraîne d’importantes
pertes économiques.
- 3 -
L’État du Qatar demande au Conseil de l’OACI :
􀁿 d’établir que, par les mesures prises à l’encontre de l’État du Qatar, les défendeurs ont
contrevenu à leurs obligations au titre de la Convention de Chicago, de ses Annexes et
d’autres règles de droit international ;
􀁿 de déplorer le non-respect par les défendeurs des principes fondamentaux de la Convention
de Chicago et de ses Annexes ;
􀁿 de prier instamment les défendeurs de lever, sans délai, toutes les restrictions imposées aux
aéronefs immatriculés au Qatar et de se conformer à leurs obligations au titre de la
Convention de Chicago et de ses Annexes ;
􀁿 de prier instamment les défendeurs de négocier de bonne foi en vue d’une coopération future
harmonieuse dans la région afin de préserver la sécurité, la sûreté, la régularité et l’économie
de l’aviation civile internationale.
J’ai l’honneur de soumettre à votre considération la présente requête.
Essa Abdulla Almalki
Agent de l’État du Qatar
le 30 octobre 2017
- 4 -
MÉMOIRE
présenté par l’État du Qatar
joint à la requête A de l’État du Qatar
Désaccord à propos de l’interprétation et de l’application de
la Convention relative à l’aviation civile internationale
(Chicago, 1944) et de ses Annexes
Demandeur : État du Qatar
Défendeurs : Émirats arabes unis
République arabe d’Égypte
Royaume d’Arabie saoudite
Royaume de Bahreïn
- 5 -
a) Parties :
Demandeur : État du Qatar
Défendeurs : Émirats arabes unis
République arabe d’Égypte
Royaume d’Arabie saoudite
Royaume de Bahreïn
b) Agent autorisé du demandeur :
M. Essa Abdulla Almalki
Adresse à Montréal :
Mission permanente de l’État du Qatar auprès de l’OACI
777, boulevard Robert-Bourassa
Tour EVO, bureau 2408
Montréal (Québec) H3C 3Z7
Cell. : +1 514-667-0734
Courriel : [email protected]
c) Exposé des faits sur lesquels la requête est fondée
Le 5 juin 2017, les Gouvernements des quatre défendeurs ont rompu les relations diplomatiques avec l’État
du Qatar et publié des NOTAM interdisant aux aéronefs immatriculés au Qatar d’atterrir à leurs aéroports ou
d’en décoller et les privant du droit de survoler leurs espaces aériens. Ces restrictions s’appliquaient non
seulement à l’espace aérien souverain des défendeurs, mais aussi à leurs régions d’information de vol (FIR)
toutes entières qui s’étendent au-delà de leur territoire national et même au-dessus de la haute mer. Le
Royaume de Bahreïn a adressé une menace verbale indiquant que tout aéronef immatriculé au Qatar qui
survolerait la FIR Bahrain ferait l’objet d’une interception militaire immédiate.
Certaines restrictions s’appliquaient, selon les NOTAM des défendeurs, aux aéronefs étrangers à destination
ou au départ de l’État du Qatar via les FIR des défendeurs. Pour les aéronefs étrangers (non immatriculés au
Qatar), une approbation préalable des autorités de l’aviation civile des défendeurs était exigée.
Ces restrictions rigoureuses ont été imposées sans avertissement préalable et ni aucune tentative de
négociation avec le demandeur. Jamais, au cours des 70 années d’existence de l’Organisation, de telles
mesures impitoyables n’ont été prises à l’encontre d’un autre État membre de l’OACI ; ces mesures mettent
en péril les fondements mêmes de l’OACI et bafouent les attentes légitimes de la communauté de ses États
membres. Qatar Airways n’a jamais présenté de danger pour les défendeurs et il n’y a jamais eu de litige
entre le demandeur et les défendeurs relativement à des questions d’aviation internationale. L’aviation civile
- 6 -
du Qatar a été injustement ciblée et victimisée et a fait l’objet d’un traitement discriminatoire sans précédent
dans l’histoire de l’aviation.
Les restrictions imposées sans préavis par les défendeurs ont entraîné d’importantes perturbations pour Qatar
Airways – la compagnie aérienne nationale de l’État du Qatar – qui exploite quelque 800 vols par jours et
transporte des milliers de passagers de diverses nationalités partout dans le monde. Des milliers de
voyageurs bloqués ont vu leurs plans de voyage et leurs réservations annulés, des familles ont été
séparées et les compagnies aériennes des défendeurs ont refusé d’accepter des réservations confirmées
auprès de Qatar Airways et des billets émis par cette dernière. Il y aura des incidences immédiates sur plus
de 200 000 familles et expatriés égyptiens résidant au Qatar ; de nombreux autres expatriés de quelque
130 nationalités résidant au Qatar n’auront pas accès au réseau international de transport aérien.
Ne pouvant utiliser les FIR dont elle est exclue, Qatar Airways doit emprunter des voies aériennes
limitées, ce qui se traduit par un danger de congestion. La sécurité, la sûreté, la régularité et l’économie
de l’aviation civile ont été gravement compromises.
La situation n’a rien perdu de sa gravité, les défendeurs n’ayant pas coopéré à l’établissement ou à la mise en
oeuvre de nouveaux segments de route ou de routes d’exception, y compris ceux au-dessus de la haute mer.
Au 22 juin 2017, plus de deux semaines après la mise en place du blocus, une seule route d’exception avait
été établie et les défendeurs ne cessaient de rejeter toutes les propositions du demandeur. (Certains progrès
ont été réalisés dans l’établissement de segments de route ou de routes d’exception à l’issue d’une session
spéciale du Conseil, tenue le 31 juillet 2017, qui a examiné la demande de l’État du Qatar au titre de l’article
54 n) of the Convention ; toutefois, la sécurité des flux de trafic nécessite l’ouverture de routes
supplémentaires et, en définitive, le retrait de toutes les restrictions.)
Le Royaume d’Arabie saoudite a publié un NOTAM, soi-disant au nom de la République du Yémen, et ce,
11 minutes après son entrée en vigueur, lequel interdisait à tous les aéronefs immatriculés au Qatar
l’utilisation de l’espace aérien de la République du Yémen. À ce moment-là, un grand nombre d’aéronefs
immatriculés au Qatar volait dans cet espace aérien et se trouvaient en danger imminent d’une interception
militaire. Cet état de fait a été une source de stress exceptionnel pour les équipages de conduite.
d) Pièces à l’appui
L’Appendice 1 au présent mémoire contient la liste des NOTAM pertinents publiés par les défendeurs et qui ont
mis en place les interdictions applicables aux aéronefs immatriculés au Qatar.
Le demandeur se réserve le droit de présenter des preuves documentaires supplémentaires à l’appui de
l’exposé des faits.
- 7 -
e) Exposé de droit
La requête A porte sur l’application et l’interprétation de la Convention de Chicago et de ses Annexes, mais ces
instruments sont eux-mêmes subordonnés à des règles plus générales de droit international. Toutes les règles
de droit international sont établies par les États afin de régir leurs relations mutuelles et les États sont dans
l’obligation de se conformer de bonne foi à ces règles.
1. La Charte des Nations Unies est la source suprême du droit international et les obligations en vertu de de
celle-ci l’emportent sur toute autre obligation (Article 103 de la Charte). Le Préambule solennel de la Charte
stipule ce qui suit :
« (…) créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités
et autres sources du droit international (…) »
Il est généralement reconnu que le préambule d’un traité international est un élément clé pour en interpréter la
lettre et l’esprit.
Au nombre des buts des Nations Unies énoncés dans la Charte, le paragraphe 2 de l’Article 2 indique ce qui
suit :
« 2. Les Membres de l’Organisation, afin d’assurer à tous la jouissance des droits et avantages résultant de
leur qualité de Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu’ils ont assumées aux termes de la
présente Charte. »
Les mesures prises par les défendeurs à l’encontre du demandeur sont contraires à la lettre et à l’esprit de la
Charte de Nations Unies.
2. La Convention des Nations Unies sur le droit des traités (Vienne, 1969) codifie le droit international
coutumier général et confirme le caractère sacré immuable des traités internationaux (« pacta sunt
servanda »). Selon l’article 26 de la Convention :
« Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. »
Selon l’article 27 de la Convention de Vienne :
« Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un
traité. »
- 8 -
Par conséquent, aucune législation, ordonnance administrative ou autre décision gouvernementale de nature
juridique adoptée par les défendeurs ne peut justifier légalement leur violation des accords internationaux.
L’article 63 de la Convention de Vienne stipule que la rupture des relations diplomatiques ne frappe pas de
nullité les obligations en vertu du traité.
3. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Montego Bay, 1982) codifie elle aussi le droit
international coutumier général existant. L’article 87 inscrit parmi les libertés de la haute mer :
- la liberté de navigation ;et
- la liberté de survol.
L’article 58 de la Convention accorde aussi la liberté de survol de la zone économique exclusive.
En interdisant aux aéronefs immatriculés au Qatar de survoler les parties de leurs FIR respectives au-dessus
de la haute mer, les défendeurs bafouent manifestement la liberté fondamentale de la haute mer.
4. La Convention relative à l’aviation civile internationale (Chicago, 1944) codifie de manière
fondamentale le droit aérien international, porte création de l’OACI et définit son fonctionnement. L’acceptation
universelle de la Convention de Chicago par la communauté internationale unit les 191 États membres de
l’OACI et toute violation de cette Convention saperait les fondements mêmes de l’OACI et mettrait en péril ses
objectifs et ses principes. Les infractions à la Convention commises dans une région ont de graves
conséquences, constituent un danger pour toutes les régions du monde et ne peuvent donc pas être tolérées.
Les mesures prises par les défendeurs affichent le mépris le plus complet de nombreuses dispositions de la
Convention de Chicago et de ses Annexes. La liste de ces violations présentée ci-après respecte la structure
de la Convention :
Le Préambule de la Convention de Chicago, qui est un élément clé pour interpréter l’esprit de la Convention,
proclame :
« (…) qu’il est désirable d’éviter toute mésentente entre les nations et les peuples et de promouvoir entre eux
la coopération dont dépend la paix du monde ».
Les mesures prises par les défendeurs font obstacle à la coopération entre les nations et les peuples et
bafouent l’esprit qui donne son orientation à la Convention de Chicago.
L’article 2 de la Convention stipule que la souveraineté des États s’exerce sur les eaux territoriales. Toute
extension de ce pouvoir au-delà du territoire souverain et au-dessus de la haute mer serait illégale. Dans les
FIR qui se trouvent au-delà de leurs territoires, les défendeurs ont un devoir international de fournir des
- 9 -
services de la circulation aérienne (ATS) à tous les États, sans discrimination, ce qu’a confirmé le Conseil en
approuvant le plan régional de navigation aérienne. En fermant les FIR aux aéronefs immatriculés au Qatar,
les défendeurs s’affranchissent de leur devoir international ainsi que des responsabilités que leur confère le
plan régional de navigation aérienne.
Article 3 bis : dans cette disposition, les États contractants reconnaissent que tous les États doivent
s’abstenir de recourir à l’emploi d’armes contre les aéronefs civils en vol. Néanmoins, les autorités du
Royaume de Bahreïn ont menacé verbalement d’utiliser la force militaire contre les aéronefs immatriculés au
Qatar qui entreraient dans « leur » région d’information de vol. Le 9 août 2017, le réseau de télévision
saoudien Al Arabiya, situé aux Émirats arabes unis, a présenté une animation montrant l’interception d’un
appareil A350 de Qatar Airways par un avion de chasse qui lui lance un missile ; pendant l’animation, une voix
hors champ affirme « que le droit international permet aux États d’abattre tout aéronef qui viole son espace
aérien, le classant comme cible légitime, surtout au-dessus de zones militaires ». Cette terrifiante déclaration a
été largement diffusée (p. ex. dans le magazine NEWSWEEK du 16 août 2017) et a fait l’objet de nombreuses
remarques sur les réseaux sociaux, mais les autorités des Émirats arabes unis et du Royaume d’Arabie
saoudite ne se sont pas distanciées de cette assertion illégitime et provocatrice.
Au titre de l’article 4 :
« Chaque État contractant convient de ne pas employer l’aviation civile à des fins incompatibles avec les buts
de la présente Convention. »
Les mesures prises par les défendeurs visent expressément et de façon agressive l’aviation civile de l’État du
Qatar, faisant ainsi un usage indu de l’aviation civile à des fins incompatibles avec les buts de la Convention de
Chicago.
Article 5 : Les défendeurs ont refusé aux aéronefs immatriculés au Qatar le droit accordé aux aéronefs
n’assurant pas de service régulier de survoler leur territoire, ce qui constitue une violation flagrante de la
Convention.
Article 6 : au titre de cette disposition, l’État du Qatar a conclu avec chacun des défendeurs des accords
bilatéraux sur les services aériens. Ces accords sont fondés sur la Convention de Chicago et accordent aux
aéronefs immatriculés au Qatar assurant des services réguliers des droits précis leur permettant d’être
exploités au-dessus ou à l’intérieur des territoires des défendeurs. Ces derniers ont incontestablement
bafoué sans avertissement ces accords sur les services aériens. Les mesures prises par les défendeurs ont
constitué de graves menaces pour la sécurité, la sûreté, la régularité et l’efficacité de l’aviation civile et
entraîné des perturbations massives dans les voies aériennes internationales. Des milliers de passagers de
nationalités diverses sont restés bloqués sans vol de correspondance, des familles ont été séparées par ces
« murs » dressés par les défendeurs, des réservations confirmées auprès de Qatar Airways et des billets émis
- 10 -
par cette dernière n’ont pas été acceptés par les transporteurs des défendeurs. Ces agissements des
défendeurs sont sans précédent dans l’histoire de l’aviation.
Article 9 :cette disposition de la Convention de Chicago accorde aux États le droit, dans des circonstances
exceptionnelles, de restreindre ou d’interdire temporairement les vols au-dessus de tout ou partie de son
territoire. Toutefois, cette restriction ou interdiction doit s’appliquer, sans distinction de nationalité, aux aéronefs
de tous les autres États. La mise en oeuvre discriminatoire de la fermeture des espaces aériens des
défendeurs aux seuls aéronefs immatriculés au Qatar contrevient de manière flagrante à la Convention de
Chicago.
Aux termes d’une disposition d’application obligatoire de l’article 12 :
« Au-dessus de la haute mer, les règles en vigueur sont les règles établies en vertu de la présente
Convention. »
Les règles de l’air sont établies par le Conseil de l’OACI dans l’Annexe 2 ; au-dessus de la haute mer, l’Annexe
2 est d’application obligatoire et, en ce qui concerne cette Annexe, les États n’ont pas le droit de notifier de
différences au titre de l’article 38 de la Convention. Les défendeurs ont accepté, en vertu d’un accord régional
de navigation aérienne et selon une relation de confiance à l’échelle internationale, la responsabilité
d’assurer des services de la circulation aérienne à l’intérieur de leurs FIR et ils doivent s’acquitter de
cette fonction sans exercer de discrimination.
Il faut également se reporter à l’Annexe 15 à la Convention de Chicago – Services d’information aéronautique.
Les défendeurs ne se sont pas conformés aux prescriptions concernant la publication en temps opportun dans
le cas de leurs NOTAM (illégitimes) et il y a même eu un cas où un NOTAM a été publié après son entrée en
vigueur, ce qui a été à l’origine d’une situation très périlleuse pour les aéronefs en vol dans cette région et à ce
moment-là.
Dans ce contexte, il est pertinent de citer le paragraphe 17 du dispositif de l’Appendice G de la Résolution A38-
12 de l’Assemblée qui stipule que : « (…) la fourniture, par un État, des services de la circulation aérienne dans
l’espace aérien situé au-dessus de la haute mer (…) n’implique aucune reconnaissance de souveraineté de cet
État sur l’espace aérien considéré », ce qui est une simple confirmation de la règle du droit international
général de la mer.
De plus, la Résolution A39-15 de l’Assemblée prie instamment les États membres d’éviter d’adopter des
mesures unilatérales et extraterritoriales qui pourraient compromettre le développement ordonné, durable et
harmonieux du transport aérien international. En adoptant cette résolution à la session de l’Assemblée, les
défendeurs ont adhéré à ce consensus unanime ; en appliquant des mesures unilatérales et extraterritoriales
visant l’aviation civile du Qatar, ils vont à l’encontre de cette résolution.
- 11 -
Article 37 : au titre de cette disposition, les États membres de l’OACI acceptent de s’engager à collaborer à la
mise en oeuvre des normes de l’OACI ; les États qui sont dans l’incapacité de s’y conformer ont, aux termes de
l’article 38 de la Convention, l’obligation juridique de notifier à l’OACI les différences par rapport aux normes.
Les défendeurs ne respectent pas leurs obligations juridiques aux termes des articles 37 et 38 de la
Convention de Chicago.
Article 89 : En vertu de cet article, les États peuvent déroger aux dispositions de la Convention en cas de
guerre ou de crise nationale. Une telle « crise nationale » doit être notifiée au Conseil de l’OACI et ne peut
viser d’une manière discriminatoire un État donné. L’État du Qatar et son transporteur aérien national n’ont
jamais présenté de danger pour les défendeurs. Ces derniers n’ont informé le Conseil d’aucune « crise
nationale » et ne sont pas fondés à invoquer les dispositions de l’article 89.
f) Remède sollicité par décision du Conseil
Le demandeur prie respectueusement le Conseil :
- d’établir que, par les mesures prises à l’encontre de l’État du Qatar, les défendeurs ont contrevenu à
leurs obligations au titre de la Convention de Chicago, de ses Annexes et d’autres règles de droit
international ;
- de déplorer le non-respect par les défendeurs des principes fondamentaux de la Convention de
Chicago et de ses Annexes ;
- de prier instamment les défendeurs de lever, sans délai, toutes les restrictions imposées aux aéronefs
immatriculés au Qatar et de se conformer à leurs obligations au titre de la Convention de Chicago et
de ses Annexes ;
- de prier instamment les défendeurs de négocier de bonne foi en vue d’une coopération harmonieuse
future dans la région afin de préserver la sécurité, la sûreté, la régularité et l’économie de l’aviation
civile internationale.
g) Déclaration relative aux tentatives de négociation
Les défendeurs n’ont donné aucune occasion d’entreprendre des négociations relativement aux aspects
aéronautiques des mesures hostiles qu’ils ont prises à l’encontre de l’État du Qatar. À maintes reprises, ils ont
lancé un ultimatum à l’État du Qatar sur des questions sans lien aucun avec la navigation aérienne et le
transport aérien. Les dernières communications ont été échangées au cours de conférences téléphoniques
avec des fonctionnaires des défendeurs les 5 et 6 juin 2017 qui n’ont permis aucun rapprochement. En fait, la
crise s’est envenimée graduellement lorsque les défendeurs ont déclaré que tous les ressortissants et résidents
d’origine qatarienne sur leurs territoires étaient « indésirables » (persona non grata) et leur ont ordonné de
quitter les territoires des défendeurs dans un délai de 14 jours. La rupture des relations diplomatiques rend
futile tout effort de négociation.
- 12 -
ANNEXE 24
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DE LA RÉPUBLIQUE ARABE D’EGYPTE, DU ROYAUME
DE BAHREÏN, DU ROYAUME D’ARABIE SAOUDITE ET DES EMIRATS ARABES UNIS
AU SUJET DE LA REQUÊTE A DE L’ETAT DU QATAR RELATIVE AU DÉSACCORD
DÉCOULANT DE LA CONVENTION RELATIVE À L’AVIATION CIVILE
INTERNATIONALE, SIGNÉE À CHICAGO LE 7 DÉCEMBRE 1944
(19 MARS 2018) [EXTRAIT]
- 13 -
Devant le Conseil de l’Organisation de l’aviation
civile internationale (OACI) En vertu du Règlement
pour la solution des différends (Document 7782/2) de l’OACI
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
DE LA RÉPUBLIQUE ARABE D’ÉGYPTE,
DU ROYAUME DE BAHREÏN,
DU ROYAUME D’ARABIE SAOUDITE ET
DES ÉMIRATS ARABES UNIS
Au sujet de la requête A de l’État du Qatar relative au
désaccord découlant de la Convention relative à
l’aviation civile internationale, signée à Chicago le
7 décembre 1944
S.E. Sherif Fathi
Agent de la République arabe d’Égypte
S.E. Kamal Bin Ahmed Mohamed
Agent du Royaume de Bahreïn
S.E. Dr. Nabeel bin Mohamed Al-Amudi
Agent du Royaume d’Arabie Saoudite
S.E. Sultan Bin Saeed Al Mansoori
Agent des Émirats arabes unis
Le 19 mars 2018
- 14 -
ii
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ ANALYTIQUE ................................................................................................................. iii
I. INTRODUCTION .................................................................................................................... 1
II. CONTEXTE DE LA PROCÉDURE ......................................................................................... 4
III. PRINCIPES GÉNÉRAUX CONCERNANT LA JURIDICTION ............................................ 4
IV. PRINCIPES GÉNÉRAUX CONCERNANT LA RECEVABILITÉ ........................................ 10
V. LE CONSEIL N’A PAS COMPÉTENCE POUR SE PRONONCER SUR LA LÉGALITÉ
DES MESURES ADOPTÉES PAR LES DÉFENDEURS ....................................................... 12
A. Les contre-mesures sont autorisées par le droit international ........................................... 14
B. Les actions des défendeurs qui sont à l’origine de la plainte du Qatar sont
une réponse aux faits internationalement illicites antérieurs du Qatar ............................. 17
C Le Conseil n’a pas compétence pour résoudre les plaintes du Qatar
car cela supposerait que le Conseil statue sur la violation ou non par
le Qatar de ses obligations en vertu du droit international ...... ........................................ 27
D. Conclusion. ....................................................................................................................... 29
VI. .. LE QATAR N’A PAS SATISFAIT AUX EXIGENCES DE PROCÉDURE
EN VERTU DE LA CONVENTION DE CHICAGO ET DU RÈGLEMENT . 29
A. L’échec de négociations antérieures constitue une condition préalable de la
compétence du Conseil. .................................................................................................... 31
B. Le Qatar n’a pas rempli la condition préalable de négociations ....................................... 37
VII. . DEMANDES DE RÉPARATION ............................................................................................ 42
LISTE DES PIÈCES JUSTIFICATIVES ........................................................................................... A-1
TABLEAU DES AUTORITÉS .......................................................................................................... A-3
- 15 -
iii
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
En 2013, à la suite d’efforts diplomatiques déployés au cours de plusieurs années, plusieurs
États du Conseil de coopération du Golfe, y compris le Qatar, ont conclu un accord par lequel
ils se sont engagés à cesser de soutenir, de financer ou d’abriter des personnes ou des groupes
présentant un danger pour la sûreté nationale de chacun d’entre eux, en particulier des groupes
terroristes; deux accords complémentaires ont été conclus à la même fin en 2014 (les accords de
2013 et 2014 ci-après dénommés conjointement les « Accords de Riyad »). Lorsque, par la
suite, le Qatar n’a pas respecté les Accords de Riyad et ses autres obligations internationales
pertinentes, et après des appels répétés invitant le Qatar à honorer ses engagements, en vain, les
défendeurs ont pris des mesures le 5 juin 2017 pour inciter le Qatar à satisfaire à ses obligations
internationales.
Les initiatives prises par les défendeurs, notamment des fermetures de l’espace aérien, forment
un train de mesures adoptées en réaction aux manquements multiples, graves et persistants du
Qatar à ses obligations internationales liées à des aspects essentiels de la sûreté des défendeurs
et constituent des contre-mesures légitimes autorisées par le droit international général. En vertu
du droit international, les manquements aux obligations internationales autorisent les États à
adopter des contre-mesures, pour autant qu’elles soient proportionnées et réversibles.
La résolution des plaintes déposées en l’espèce par le Qatar requerrait nécessairement que le
Conseil établisse les points faisant partie du différend plus large entre les parties. En particulier,
le Conseil devrait déterminer, entre autres choses, si le Qatar avait manqué à ses obligations
pertinentes de lutte contre le terrorisme en vertu du droit international et à ses obligations
contraignantes de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures de ses voisins. Le différend
d’ampleur limitée soumis au Conseil par le Qatar, lié aux fermetures de l’espace aérien, ne peut
être séparé de ces questions plus larges, et la légalité des fermetures de l’espace aérien ne peut
être appréciée isolément.
En vertu de l’article 84 de la Convention de Chicago, la compétence du Conseil est limitée à
tout « désaccord entre deux ou plusieurs États contractants à propos de l'interprétation ou de
l'application » de la Convention de Chicago et de ses Annexes. En conséquence, le Conseil n’a
pas compétence pour statuer sur des questions liées au manquement ou non par le Qatar à ses
autres obligations internationales en vertu du droit international. La compétence limitée du
Conseil est conforme au rôle de l’OACI comme institution spécialisée des Nations Unies. Bien
- 16 -
iv
que le Conseil dispose d’une expertise considérable en ce qui concerne les aspects techniques
de l’aviation consacrée dans la Convention de Chicago, il n’est ni approprié ni qualifié pour
gérer des différends de nature plus large tels que ceux décrits ci-dessus, y compris des questions
liées au terrorisme et à d’autres aspects y afférents.
En résumé, comme l’a reconnu le Conseil lors de sa session extraordinaire le 31 juillet 2017, il
existe des questions plus larges et vastes à la base de ce désaccord, qui doivent être abordées
dans un cadre approprié et non technique. Étant donné que le Conseil n’a pas compétence pour
régler les questions juridiques plus vastes sur lesquelles il devrait nécessairement statuer pour
régler le désaccord lié à Convention de Chicago soulevé dans la requête et le mémoire, le
Conseil n’a pas compétence pour statuer sur les plaintes du Qatar.
Le Qatar a également omis en l’espèce de satisfaire à l’exigence de l’article 84 de la
Convention de Chicago, selon lequel seul un désaccord qui « ne peut être réglé par voie de
négociation, » peut être soumis au Conseil. Cette exigence est mise en évidence comme
exigence de procédure à l’article 2, alinéa g) du Règlement pour la solution des différends, et
les propres décisions prises par le Conseil antérieurement reconnaissent qu’une tentative
d’engager des négociations est une condition préalable à l’exercice de sa compétence.
La requête et le mémoire du Qatar reconnaissent explicitement qu’aucune tentative de
négociation n’a été entreprise en ce qui concerne le désaccord présenté dans la requête avant
d’être soumis au Conseil. À la suite de l’omission par le Qatar de répondre à cette condition
préalable et de son omission de satisfaire à l’exigence de procédure à l’article 2, alinéa g), le
Conseil n’a pas compétence pour connaître de la requête du Qatar. En revanche, le Conseil
devrait déclarer irrecevable la requête du Qatar.
- 17 -
1
I. INTRODUCTION
1. En vertu de l’article 5, § 3 du Règlement pour la solution des différends
(Document 7782/2) (ci-après le « Règlement »), les présentes exceptions préliminaires sont
déposées conjointement par la République arabe d’Égypte, le Royaume de Bahreïn, le Royaume
d’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (ci-après dénommés collectivement les
« défendeurs »), en réponse à la requête A et au mémoire qui l’accompagne datés du 30 octobre
2017, soumis par l’État du Qatar (ci-après le « Qatar ») au Conseil de l’Organisation de
l’aviation civile internationale (ci-après le « Conseil ») au sujet d’un désaccord découlant de la
Convention relative à l’aviation civile internationale signée à Chicago le 7 décembre 1944. (Ciaprès
la « Convention de Chicago »).
2. Les agents autorisés à agir pour chacun des défendeurs et leurs adresses respectives au
siège de l’Organisation sont les suivants :
S.E. Sherif Fathi
Agent de la République arabe d’Égypte
Ministère de l’aviation civile
Délégation de la République arabe d’Égypte auprès de l’OACI
999, boulevard Robert-Bourassa
Montréal (Québec) H3C 5J9
S.E. Kamal Bin Ahmed Mohamed
Agent du Royaume de Bahreïn
Ministère des transports et des télécommunications
Délégation du Royaume d’Arabie saoudite auprès de l’OACI
999, boulevard Robert-Bourassa, Suite 15.05
Montréal (Québec) H3C 5J9
S.E. Dr. Nabeel bin Mohamed Al-Amudi Agent
du Royaume d’Arabie Saoudite Ministère des
transports
Délégation du Royaume d’Arabie saoudite auprès de l’OACI
999, boulevard Robert-Bourassa, Suite 15.05
Montréal (Québec) H3C 5J9
S.E. Sultan Bin Saeed Al Mansoori Agent
des Émirats arabes unis Ministère de
l’économie
Président de l’Autorité de l’aviation civile générale
Délégation des Émirats arabes unis auprès de l’OACI
999, boulevard Robert-Bourassa, Suite 14.20
Montréal (Québec) H3C 5J9
- 18 -
2
3. Les défendeurs reconnaissent pleinement le rôle de premier plan de l’OACI dans le
développement du transport aérien à l’échelle mondiale, ainsi que l’établissement du cadre
commun nécessaire permettant ce développement. Ils réaffirment leur adhésion déterminée aux
règles et principes de la Convention de Chicago, aux objectifs stratégiques et aux principes de
l’OACI, telle qu’elle a été réaffirmée lors de la récente 39e session de l’Assemblée et, comme
membres de l’OACI, leur engagement à réaliser l’objectif mutuel de garantir la sécurité de
l’aviation civile internationale à tout moment.
4. Les défendeurs soutiennent également pleinement le mandat de l’OACI, comme
institution spécialisée des Nations Unies, de veiller à la sécurité, à la sûreté et à la durabilité
environnementale de l’aviation civile.
5. Les défendeurs soutiennent, conformément à ce qui précède, que le Conseil n’a pas
compétence pour répondre aux plaintes soulevées dans la requête A et le mémoire du Qatar. En
revanche, les défendeurs soutiennent que le Conseil devrait refuser d'entendre les plaintes du
Qatar et les déclarer irrecevables. En résumé, la position des défendeurs est la suivante :
a) la résolution du désaccord entre le Qatar et les défendeurs requerrait
nécessairement que le Conseil statue sur des questions qui ne relèvent pas de sa
compétence en vertu de l’article 84 de la Convention de Chicago ;
b) en tout état de cause, le Qatar n’a pas respecté :
i) la condition préalable à l’existence de la compétence du Conseil, énoncée à
l’article 84 de la Convention de Chicago, de tenter d’abord de résoudre le
désaccord avec les défendeurs par voie de négociations avant de soumettre ses
plaintes au Conseil ;
ii) l’exigence de procédure à l’article 2, alinéa g) du Règlement, en établissant
dans le mémoire que des négociations avaient été menées entre les parties en
vue de régler le désaccord mais qu’elles n’avaient pas abouti.
6. En ce qui concerne le paragraphe 5, alinéa a) ci-dessus, les défendeurs soutiennent que,
pour autant qu’elles requièrent une justification, les mesures qu’ils ont adoptées, qui forment
l’objet des plaintes du Qatar dans le mémoire (A), constituent des contre-mesures légitimes en
vertu du droit international coutumier, prises en réponse à l’omission du Qatar de respecter ses
obligations internationales, non liées à l’aviation civile, à l’égard des défendeurs. La question
- 19 -
3
de la légalité des contre-mesures ne peut être tranchée sans qu’il ait été statué sur la légalité des
actions du Qatar. La véritable question en l’espèce ne relève pas de l’aviation civile
internationale. La compétence du Conseil en vertu de l’article 84 de la Convention de Chicago
ne s’étend pas à de telles questions, qui se situent hors du champ d’application de la Convention
de Chicago.
7. En ce qui concerne le paragraphe 5, alinéa b) ci-dessus, les défendeurs soutiennent que,
conformément à l’exigence essentielle énoncée à l’article 84 de la Convention de Chicago et à
l’article 2, alinéa g) du Règlement, il incombe au demandeur, avant de soumettre une affaire au
Conseil, de montrer qu’il a tenté d’entamer des négociations, ce qui constitue une condition
préalable de la compétence du Conseil. Il n'a pas été satisfait à cette exigence pour des raisons
liées au fond du véritable problème entre les parties, exposé aux paragraphes 43-63 ci-dessous.
Si le Conseil devait établir que le Qatar a satisfait à la condition préalable de mener des
négociations, cela équivaudrait à reconnaître la stratégie du Qatar consistant à éviter d’aborder
ces questions d’une importance capitale.
8. Les présentes exceptions préliminaires sont naturellement soumises sans
préjudice de la position des défendeurs sur le fond des plaintes déposées par le Qatar, exposée
dans la requête A et le mémoire qui l’accompagne, en ce qui concerne le prétendu manquement
des défendeurs à leurs obligations internationales au titre de la Convention de Chicago. Les
défendeurs se réservent pleinement le droit, dans le cas où les présentes exceptions
préliminaires ne seraient pas retenues, en temps utile et conformément au règlement, de déposer
un contre-mémoire dans lequel ils répondront sur le fond aux plaintes du Qatar.
9. Pour éviter tout doute, rien dans les présentes exceptions préliminaires ne doit être
considéré comme constituant une reconnaissance de toute question relevant du fond des
plaintes du Qatar. En particulier, les défendeurs considèrent que, en l’espèce, les mesures
adoptées dont le Qatar se plaint sont conformes à leurs obligations au titre de la Convention de
Chicago.
- 20 -
4
II. CONTEXTE DE LA PROCÉDURE
10. Le 30 octobre 2017, le Qatar a soumis au Conseil deux requêtes et les mémoires qui
les accompagnent conformément au Règlement :
a) La première requête (ci-après la « requête A ») a été déposée en vertu de l’article
84 de la Convention de Chicago et prétend que les défendeurs ont violé plusieurs
dispositions de la Convention de Chicago. La requête (A) désigne la République
arabe d’Égypte, le Royaume d’Arabie saoudite, le Royaume de Bahreïn et les
Émirats arabes unis comme défendeurs.
b) La seconde requête (ci-après la « requête B ») a été déposée en vertu de l’article II,
section 2, de l’Accord relatif au transit des services aériens internationaux et
prétend que les défendeurs ont violé plusieurs dispositions de l’Accord relatif au
transit des services aériens internationaux. La requête B désigne la République
arabe d’Égypte, le Royaume d’Arabie saoudite, le Royaume de Bahreïn et les
Émirats arabes unis comme défendeurs.
11. Les présentes exceptions préliminaires ne concernent que la requête A. Des exceptions
préliminaires sont déposées séparément pour ce qui concerne la requête B.
12. Les requêtes et les mémoires ont été notifiés par la Secrétaire générale, en vertu de
l’article 3, alinéa 1, du Règlement, le 3 novembre 2017. Dans une lettre datée du 17 novembre
2017, reçue par les défendeurs le 20 novembre 2017, le Conseil, en vertu de l’article 3, alinéa 1,
clause c) du Règlement, a fixé un délai de douze semaines à compter de la date de réception de
la lettre, soit le 12 février 2018 au dépôt d’un contre-mémoire de la part du défendeur.
13. Le 16 janvier 2018, dans une lettre adressée au Président du Conseil, les quatre États
défendeurs ont demandé une prolongation du délai de six semaines. Dans une lettre du 9 février
2018, les défendeurs ont été informés qu’il leur était accordé un délai de six semaines, jusqu’au 26
mars 2018.
- 21 -
5
III. PRINCIPES GÉNÉRAUX CONCERNANT LA JURIDICTION
14. La compétence du Conseil de statuer sur les plaintes du Qatar dans la requête A est
régie par l’article 84 de la Convention de Chicago, qui dispose que :
« Si un désaccord entre deux ou plusieurs États contractants à
propos de l'interprétation ou de l'application de la présente
Convention et de ses Annexes ne peut être réglé par voie de
négociation, le Conseil statue à la requête de tout État impliqué
dans ce désaccord ».
15. Si le Conseil rend des décisions sur des désaccords soumis en vertu de l’article
84 de la Convention de Chicago, le Conseil exerce des fonctions judiciaires. Cela signifie que
l’approche du droit international général relative à la détermination de l’étendue de la
juridiction des tribunaux intervenant dans le règlement judiciaire des différends internationaux
s’applique à la détermination et à la délimitation de la compétence et de la juridiction du
Conseil pour statuer sur un différend ou un désaccord.
16. L’exercice des fonctions d’un organe judiciaire signifie que les décisions relatives à sa
propre juridiction sont essentiellement guidées par les règles et principes du droit international
régissant cette matière plutôt que par des considérations d’ordre politique ou d’opportunité du
résultat. En particulier, les principes établis par la Cour internationale de justice (ci-après la
« CIJ ») à ce sujet, ainsi que les propres décisions antérieures du Conseil, devraient être pris en
considération.
17. Le Conseil a lui-même reconnu que, lorsqu’il statue sur des requêtes déposées en vertu
de la Convention de Chicago, il exerce les fonctions d’un organe judiciaire.
a) Lors de la réunion du Conseil du 16 novembre 2000, convoquée aux fins
d’entendre les arguments des parties en ce qui concerne les exceptions
préliminaires soulevées par quinze États européens en réponse à la requête déposée
par les États-Unis, le Président du Conseil affirmait que : [voir le Procès-verbal
sommaire, pièce justificative 1]
« Le conseil siégeait comme organe judiciaire et seuls les membres
qui n’étaient pas parties au différend avaient le droit de délibérer »1.
1 Pièce justificative 1, Procès-verbal sommaire du Conseil, sixième réunion, 161e session, 16 novembre 2000, Doc. OACI
C- MIN 161/6 (publique), paragraphe 26.
- 22 -
6
b) De même, lors de la réunion du Conseil du 21 juin 2017, convoquée aux fins
d’entendre les arguments des parties en ce qui concerne les exceptions
préliminaires soulevées par le Brésil en réponse à la requête déposée par les États-
Unis, le Président du Conseil a rappelé dès le début de la réunion que : [voir le
Procès-verbal sommaire, pièce justificative 2]
« pour l’affaire qui lui avait été soumise, le Conseil siégeait comme
organe judiciaire en vertu de l’article 84 de la Convention de
Chicago, rendant ses décisions sur la base des documents écrits
déposés par les parties, ainsi que sur la base d’arguments oraux »2.
18. Les fonctions judiciaires du Conseil en vertu de l’article 84 de la Convention de
Chicago sont en outre confirmées par les considérations suivantes :
a) La formulation de l’article 84 de la Convention de Chicago, qui porte sur les
désaccords entre États « à propos de l’interprétation ou de l’application » de ladite
Convention, reproduit les termes des clauses juridictionnelles et compromissoires
courantes dans les traités qui attribuent une compétence aux cours et tribunaux
internationaux, tels que la CIJ.
b) L’article 84 de la Convention de Chicago confère à une partie le droit de former un
recours contre une décision du Conseil adoptée au sujet d’un désaccord soumis à
un tribunal arbitral ou à la CIJ.
c) Le Règlement, adopté par le Conseil afin de régir les différends au titre de l’article
84 de la Convention de Chicago et l’article II, section 2, de l’Accord relatif au
transit des services aériens internationaux établissent une procédure qui va de pair
avec celle des cours et tribunaux internationaux. En effet, le Règlement a été
« rédigé en étroite concordance avec le Règlement de la Cour internationale de
justice »3. À cet égard, le Règlement prévoit une procédure « judiciaire » distincte
qui comprend notamment : le dépôt d’une requête et d’un mémoire par le
demandeur4 ; le droit du défendeur de soumettre des exceptions préliminaires à la
compétence du Conseil ainsi qu’une procédure pour l’établissement de ces
2 Pièce justificative 2, Procès-verbal sommaire du Conseil, neuvième réunion, 211e session, 21 juin 2017, Doc. OACI CMIN
211/9 (huis-clos), paragraphe 8.
3 M. Milde, International Air Law and ICAO (3e éd.), (Eleven International Publishing, La Haye, 2016), p. 201.
4 Articles 2 et 4 du Règlement.
- 23 -
7
exceptions préliminaires5 ; la soumission d’un contre-mémoire par le défendeur6 ;
et le droit d’autres États contractants tiers concernés d’intervenir dans la
procédure7.
19. Le caractère essentiellement judiciaire du Conseil lorsqu’il statue sur des désaccords
qui lui sont soumis en vertu de l’article 84 de la Convention de Chicago a également été
largement reconnu par la CIJ8, et les commentateurs universitaires9.
20. Le fait qu’une cour ou un tribunal ne puisse connaître d’un différend entre États que
dans la mesure où les États ont consenti à l’exercice d’une telle juridiction constitue un principe
fondamental et bien établi du droit international,10.
21. La juridiction du Conseil concernant la requête A du Qatar découle uniquement de la
clause juridictionnelle ou compromissoire à l’article 84 de la Convention de Chicago11.
5 Article 5, alinéa a) du Règlement.
6 Article 4 du Règlement.
7 Article 19 du Règlement. Voir également M. Milde, International Air Law and ICAO (3e éd.), (Eleven international
Publishing, La Haye, 2016), pp.202-203. Dans ce contexte, Milde constate que le Règlement « prévoit une procédure
détaillée, formelle et d’ordre juridique, appropriée pour les tribunaux » (ibid., p. 202).
8 Voir Opinion dissidente du juge Nagendra Singh dans Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c.
Pakistan), Recueil de la CIJ 1972, p. 164, pp. 164-165, paragraphes 2-4 ; p. 169, paragraphe 10 ; pp. 171-172,
paragraphes 15-16 ; et p. 178, paragraphe 17. Voir en particulier p. 165, paragraphe 4, point c), "Le Conseil est un organe
fonctionnel, qui a le devoir de poursuivre les objectifs énoncés dans la Convention et de se charger de régler les
différends auxquels donne lieu son activité. Ce dernier aspect, celui du règlement des différends, est sans conteste une
fonction judiciaire. Dans l'exercice de cette fonction-là, le Conseil de 1'OACI doit agir comme un tribunal judiciaire; il
est donc nécessairement tenu de s'acquitter de ses obligations à la façon d'un juge. [...] ». Voir également la déclaration du
juge Lachs, Recueil de la CIJ, p. 72, pp. 74-75.
9 Par exemple, Bin Cheng, l’une des autorités les plus éminentes dans le droit aérien international, affirme que « le
Conseil doit se considérer lui-même comme un organe judiciaire international et agir conformément aux règles de droit
international régissant les procédures judiciaires. » Voir B. Cheng, The Law of International Air Transport, (Stevens,
Londres,1962), p. 101. De manière similaire, Ludwig Weber affirme que : « En vertu du chapitre XVIII de la Convention,
le Conseil est chargé de certaines fonctions judiciaires en ce qui concerne les différends entre États contractants ; ces
fonctions judiciaires sont également prévues dans certains accords bilatéraux et multilatéraux, en particulier l’Accord
relatif au transit des services aériens internationaux, qui charge le Conseil du règlement judiciaire des différends entre
États contractants ». L. Weber, International Civil Aviation Organization (ICAO), (3e éd.), (Kluwer Law International
BV, Pays-Bas, 2017), p. 52. Milde, qui est un peu plus sceptique quant au caractère pleinement judiciaire du Conseil
lorsqu’il agit en vertu de l’article 84 de la Convention de Chicago, considère néanmoins que « la Convention [de
Chicago] confère un pouvoir contraignant de statuer sur les différends au Conseil de l’OACI. [...] Le Conseil de l’OACI
est ainsi, à la différence des organes directeurs d’autres agences spécialisées, également un organe quasi judiciaire
[soulignement ajouté]. M. Milde, International Air Law and ICAO (3e éd.), (Eleven International Publishing, La Haye,
2016), p. 199, 203-204
10 Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), Compétence de la Cour et recevabilité de la requête, Recueil de la CIJ, 2006, p. 6, p. 32, paragraphe. 65 ; et
p. 39, paragraphe 88: « La juridiction [de la Cour] se fonde sur l’acceptation des parties et se limite à la mesure dans
laquelle elles l’ont acceptée [...] ». Voir aussi Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie),Exceptions préliminaires, Recueil de la CIJ 2011, p.
70, p. 125, paragraphe 131. Voir aussi l’accent mis par la Cour permanente de Justice internationale (CPJI) dans
Concessions Mavrommatis en Palestine, 1924, CPJI, Série A, nº. 2, p. 16 : « sa juridiction est limitée, [...] se fonde
toujours sur le consentement du défendeur et ne saurait subsister en dehors des limites dans lesquelles ce consentement a
été donné ». Voir aussi R. Jennings and R. Higgins, « General Introduction », dans A. Zimmerman et al. (éds.), The
Statute of the International Court of Justice (2e ed) (Oxford University Press, Oxford, 2012), p. 3, p. 7.
11 Voir Opinion dissidente du juge Nagendra Singh dans Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c.
- 24 -
8
22. Comme l’a souligné la CJI, lorsque le consentement des parties à un différend :
« est exprimé dans une clause compromissoire insérée dans un
accord international, les conditions auxquelles il est éventuellement
soumis doivent être considérées comme en constituant les
limites »12.
23. En outre, la Cour a souligné qu’une condition expresse de négociations préalables dans
une clause compromissoire :
« exerce une fonction importante en indiquant la limite du
consentement donné par les États »
13
. [soulignement ajouté]
24. Ainsi, que le Conseil puisse en fait connaître du différend est une question juridique
qui se fonde sans ambages sur le cadre juridique établi par la CJI. Quatre points revêtent une
importance particulière à cet égard :
a) Premièrement, comme l’article 84 mentionne explicitement les seuls différends « à
propos de l’interprétation et de l’application » de la Convention de Chicago, la
juridiction du Conseil se limite par conséquent aux différends qui relèvent de la
portée de ces mots. Comme l’a déclaré la CIJ, lorsque la juridiction découle d’une
clause compromissoire contenue dans un traité,
« [...] cette compétence n’existe qu’à l’égard des parties au traité qui
sont liées par ladite clause, dans les limites stipulées par celle-ci »14.
En revanche, les différends ou désaccords qui ne portent pas sur l’interprétation et l’application
de la Convention de Chicago et de ses Annexes et/ou dont la portée s’étend au-delà de ces
matières, sortent par conséquent du champ d'application de la juridiction du Conseil, et celui-ci
Pakistan), Recueil de la CIJ 1972, p. 164, pp. 164-165, paragraphes 3-4, en particulier p. 165, paragraphe 4, point c) : «
bien que le Conseil soit un organe administratif, l'article 84 lui assigne une fonction judiciaire et à tout organe quasi
judiciaire ou même administratif chargé, comme en l'espèce, d'assumer une tâche judiciaire, la nécessité s'impose non
seulement de savoir respecter les procédures judiciaires prescrites, mais encore de respecter autant que possible les
normes d'une bonne administration de la justice. ».
12 Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo c.
Rwanda), Compétence de la Cour et recevabilité de la requête, Recueil de la CIJ, 2006, p. 6, p. 39, paragraphe 88 ; voir
aussi ibid., p. 32, paragraphe 65 ; Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), Exceptions préliminaires, Recueil de la CIJ 2011, p. 70, p. 125,
paragraphe 131.
13 Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), Exceptions préliminaires, Recueil de la CIJ 2011, p. 70, p. 125, paragraphe 131.
14 Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo c.
Rwanda), Compétence de la Cour et recevabilité de la requête, Recueil de la CIJ, 2006, p. 6, p. 32, paragraphe. 65; voir
aussi p. 39, paragraphe 88.
- 25 -
9
n’a pas compétence pour statuer en ce cas. En conséquence, comme il est examiné à la section
V ci-dessous, le Conseil n’a pas compétence pour statuer sur les plaintes du Qatar dans la
mesure où elles visent une déclaration selon laquelle les défendeurs ont violé leurs obligations
en vertu d’autres instruments, y compris la Charte des Nations Unies, la Convention des
Nations Unies sur le droit de la mer et des accords bilatéraux entre le Qatar et les États
défendeurs15.
b) Deuxièmement, l’article 84 de la Convention de Chicago confère compétence au
Conseil pour ce qui concerne les désaccords liés à l’interprétation ou à l’application
de l’accord pertinent uniquement dans la mesure où ces désaccords « ne peuvent
être réglés par voie de négociation ». En conséquence, comme il est examiné à la
section VI ci-dessous, une tentative appropriée de régler le différend par voie de
négociation constitue une condition préalable à l’existence de la juridiction du
Conseil. Par conséquent, selon les termes explicites de l’article 84, le Conseil peut
uniquement connaître de désaccords dans la mesure où il peut être démontré que
des négociations visant à régler le différend ont été tentées par le Qatar en tant que
partie initiatrice et que, en dépit d’efforts consentis de bonne foi, il s’est avéré
qu’elles n’ont pas pu déboucher sur le règlement du différend, avant le dépôt d’une
requête et d’un mémoire.
c) Troisièmement, dans la mesure où la juridiction du Conseil découle uniquement de
l’article 84 de la Convention de Chicago, c’est le Conseil lui-même qui doit, en
première instance, déterminer s’il a compétence pour statuer sur un désaccord
soumis par un État contractant (bien que, conformément à l’article 84, sa décision à
cet égard peut ensuite faire l’objet d’un recours). Ce pouvoir du Conseil est ressortit
essentiellement à sa fonction judiciaire conformément au principe selon lequel
toute cour ou tout tribunal international a compétence pour déterminer sa propre
juridiction (le principe de Kompetenz-Kompetenz/ compétence de la compétence)16.
15 Dans ses requêtes, et dans la déclaration de « remède sollicité » dans le mémoire, le Qatar demande au Conseil
d’établir que « les défendeurs, par leurs actions contre l’État du Qatar, ont violé leurs obligations en vertu de [la
Convention de Chicago/de l’Accord relatif au transit des services aériens internationaux] et d’autres règles de droit
international » [soulignement ajouté] : La requête A déposée par l’État du Qatar au sujet du désaccord sur l’interprétation
et l’application de la Convention relative à l’aviation civile internationale (Chicago, 1944) et de ses Annexes, datée du 30
octobre 2017, p. 2: mémoire présenté par l’État du Qatar à la requête A déposée par l’État du Qatar au sujet du désaccord
sur l’interprétation et l’application de la Convention relative à l’aviation civile internationale (Chicago, 1944) et de ses
Annexes, datée du 30 octobre 2017, p. 8.
16 Voir par ex. : Les affaires Walfish Bay Boundary (Allemagne/Grande-Bretagne), sentence du 23 mai 1911, RIAA,
- 26 -
10
d) Quatrièmement, l’article 84 doit être interprété à la lumière de son contexte
particulier, dans le cadre de la Convention de Chicago, le document instituant
l’OACI, une agence spécialisée des Nations Unies. En tant que tel, il doit être
interprété par rapport au « principe de spécialité », compte tenu par ailleurs de la
logique du système global envisagé par la Charte des Nations Unies, afin de veiller
à ce que l’OACI n’empiète pas sur les responsabilités d’autres organes au sein du
système des Nations Unies17. La fonction judiciaire du Conseil est nécessairement
limitée par la spécialisation particulière et technique de l’OACI : l’aviation civile.
25. Enfin, les défendeurs rappellent que, en principe, il doit être répondu aux questions
ayant une incidence sur la juridiction au moment de la requête. Il s’agit là, aussi, d’une règle
générale de droit procédural international18.
IV. PRINCIPES GÉNÉRAUX CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
26. À la lumière des fonctions judiciaires exercées par le Conseil, l’approche générale des
cours et tribunaux internationaux en ce qui concerne la recevabilité des plaintes s’applique
également lorsque le Conseil examine des requêtes au titre de l’article 84 de la Convention de
Chicago.
27. À cet égard, il est bien établi dans le droit international qu’une cour ou tout autre
organe judiciaire de droit international peut être tenu d’examiner la recevabilité d’une plainte,
et peut être tenu de renoncer à exercer sa juridiction, car il peut devoir statuer sur un différend
sur la base d’un motif juridique qui, « bien qu’il n’exclue pas son autorité en principe, affecte la
possibilité ou le bien-fondé de sa décision dans le cas particulier au moment particulier » 19.
Comme l’a expliqué la CIJ dans Plates-formes pétrolières :
vol. XI, p. 263, p. 307 ; Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), Exception préliminaire, Recueil de la CIJ 1953, p.
111, pp. 119-120 ; cité en partie dans Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal), Recueil de la
CIJ 1991, p.53, pp. 68-69, paragraphe 46 ; L’arbitrage Abyei (Soudan/Mouvement populaire de libération du
Soudan), sentence finale du 22 juillet 2009, RIAA, vol. XXX, p. 145, pp. 329-331, paragraphes 498-502.
17 Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, Avis consultatif, Recueil de la CIJ
1996,p. 66, pp. 78-79, paragraphes 25-26 ; voir aussi Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c.
Uruguay), Recueil de la CIJ2010, p. 14, p. 53, paragraphe 89.
18 Voir par ex. Concessions Mavrommatis en Palestine, 1924, CPJI, Série A, nº 2, p. 16: « la Cour constatera, avant de
statuer sur le fond, que le différend qui lui est soumis, tel qu'il se présente actuellement et sur la base des faits établis en
ce moment, tombe sous l'application [des dispositions du Mandat] » ; Application de la convention internationale sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), Exceptions préliminaires,
Recueil de la CIJ 2011, p. 70, p. 85, paragraphe 30 : « le différend doit en principe exister au moment où la requête est
soumise à la Cour ».
19 J. Crawford, Brownlie's Principles of Public International Law (8e éd.) (Oxford University Press, Oxford, 2012), p.
- 27 -
11
« Normalement, une exception à la recevabilité consiste à affirmer
que, quand bien même la Cour serait compétente et les faits exposés
par l'État demandeur seraient tenus pour exacts, il n'en existe pas
moins des raisons pour lesquelles il n'y a pas lieu pour la Cour de
statuer au fond »20.
28. De même, dans son arrêt sur les exceptions préliminaires dans l’affaire du
Génocide croate, la Cour a relevé que :
« Une telle objection consiste essentiellement en une allégation
qu’il existe un motif juridique, même s’il y a juridiction, pour lequel
la Cour devrait renoncer à statuer sur l’affaire [...] »21.
29. Le Conseil a lui-même traité précédemment, dans une procédure en vertu de l’article
84 de la Convention de Chicago, une exception à la recevabilité d’une plainte fondée au motif
que les recours n’avaient pas été épuisés comme exception préliminaire22. En l’espèce, le fait
que le véritable centre de gravité du différend est distinct et s’étend au-delà de l’aviation civile
internationale est l’une des causes principales de l’omission du Qatar de satisfaire aux
exigences de procédure de l’article 2, alinéa g) du Règlement. Il s’agit en soi d’une raison
juridique suffisante pour rejeter les plaintes du Qatar au motif qu’elles sont irrecevables.
V. LE CONSEIL N’A PAS COMPÉTENCE POUR SE PRONONCER SUR LA
LÉGALITÉ DES MESURES ADOPTÉES PAR LES DÉFENDEURS
30. Les défendeurs considèrent que leurs actions – notamment, mais pas exclusivement,
des fermetures de l’espace aérien – forment un train de mesures adoptées en réaction aux
manquements multiples, graves et persistants du Qatar à ses obligations internationales
essentielles à la sûreté des défendeurs. Elles doivent donc être considérées comme des contremesures
légitimes, autorisées par le droit international général. En tant que telle, l'illicéité du
non-respect par le défendeur de la Convention de Chicago serait exclue par définition. Les
693 ; voir aussi G. Fitzmaurice, "The Law and Procedure of the International Court of Justice: General Principles and
Substantive Law" (1950) 27 British Yearbook of International Law 1, p. 13; Y. Shany, « Chapter 36: Jurisdiction and
Admissibility », dans C. Romano et al (éds), The Oxford Handbook of International Adjudication (Oxford University
Press, Oxford, 2012) 779, p. 787 ; R. Jennings and R. Higgins, « General Introduction », dans A. Zimmerman et al (éds.),
The Statute of the International Court of Justice (2e éd.) (Oxford University Press, Oxford, 2012), p. 3, pp. 12-13.
20 Plates-formes pétrolières (République islamique d'Iran c. États-Unis d'Amérique), Fond, Recueil de la CJI 2003, p.
161, p. 177, paragraphe 29.
21 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), Exceptions
préliminaires, Recueil de la CIJ 2008, p. 412, p. 456, paragraphe 120.
22 Décision du Conseil de l’OACI sur les exceptions préliminaires dans l’instance « États-Unis et 15 États européens
(2000) », 16 novembre 2000.
- 28 -
12
défendeurs rejettent l’allégation selon laquelle ils n’ont pas satisfait à leurs obligations en vertu
de la Convention de Chicago. Mais l’élément essentiel dans le présent contexte est qu’il existe
un corps de règles en dehors de la Convention de Chicago – et par conséquent en dehors de la
juridiction du Conseil – qui donne aux défendeurs un dispositif de défense juridiquement
antérieur à la question de la conformité à la Convention de Chicago.
31. Comme il est indiqué précédemment, en vertu de l’article 84 de la Convention de
Chicago, la compétence du Conseil est limitée à tout « désaccord entre deux ou plusieurs États
contractants à propos de l'interprétation ou de l'application » de la Convention de Chicago et de
ses Annexes. Lorsqu’il est confronté à un différend qui dépasse ces limites, y compris un
différend dans lequel des contre-mesures sont invoquées comme circonstance excluant
l'illicéité, le Conseil a le devoir « de circonscrire le véritable problème en cause et de préciser
l'objet de la demande »23 ; il « doit s'assurer de l’objet véritable du différend, de l’objet et du
but de la demande »24. « Une relation accessoire entre le différend et une question réglementée
par la Convention est insuffisante pour porter le différend, dans son ensemble, dans le champ
de réglementation » du droit de juridiction25. Ainsi, la question appropriée que doit se poser le
Conseil est de savoir si le « véritable problème », qui doit être considéré comme le centre de
gravité du différend, tombe en dehors du champ de compétence du Conseil de l’OACI. Le
Conseil devrait uniquement connaître du différend s’il peut exercer sa compétence tout en
s’abstenant d’examiner des questions qui ne relèvent pas de la Convention de Chicago et, par
conséquent, de sa compétence26.
32. Il n’est pas contesté que le Conseil pourrait exercer sa juridiction pour ce qui concerne
une invocation réciproque de contre-mesures comprenant la suspension par un État partie de
l’exécution de ses obligations en vertu de la Convention de Chicago en réponse au manquement
présumé d’un autre État membre de ses propres obligations en vertu de ladite Convention. Les
défendeurs n’affirment pas que l’invocation de contre-mesures exclue elle-même la juridiction
23 Essais nucléaires (Australie c. France), Recueil de la CIJ 1974, p. 253, p. 262, paragraphe 29; (Nouvelle-Zélande c.
France), Recueil de la CIJ 1974, p. 457, p. 466, paragraphe 30.
24 Id., p. 263, paragraphe 30 et p. 467, paragraphe 31, citant Interhandel, C.I.J. Recueil 1959, p. 19 et Droit de passage
sur territoire indien, fond, C.I.J. Recueil 1960, p. 6, pp.. 33-34 ; Compétence en matière de pêcheries (Espagne c.
Canada), CIJ Recueil 1998, p. 432, p. 449, paragraphe 31.
25 Dans l’affaire de l’Aire marine protégée des Chagos, Sentence arbitrale du 8 mars 2015 dans le différend opposant
Maurice au Royaume-Uni, CPA, Affaire nº 2011-03, paragraphe 220.
26 Dans l’affaire d'arbitrage devant un tribunal arbitral constitué en vertu de l’Annexe VII de la Convention des
Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (République des Philippines c. République populaire de Chine), CPA,
Affaire nº 2013-19, Sentence sur la juridiction et la recevabilité du 29 octobre 2015, paragraphe 150.
- 29 -
13
du Conseil27. Il s’agit plutôt de déterminer dans chaque cas particulier si la portée de la clause
compromissoire, correctement interprétée dans son contexte institutionnel, est suffisamment
étendue pour permettre une évaluation du caractère justifié des contre-mesures. Dans le cas
d’espèce de l’article 84 de la Convention de Chicago, tel n’est pas le cas, comme il est
démontré ci-dessous.
33. La juridiction du Conseil est limitée aux différends et aux désaccords relatifs à
l’interprétation ou à l’application de la Convention de Chicago et de ses Annexes. Le Conseil
n’est dès lors pas compétent pour statuer sur le différend plus large entre les parties qui n’est
pas lié à l’aviation civile internationale, en particulier le non-respect par le Qatar des accords de
Riyad, d’autres instruments relatifs au contre-terrorisme et de ses obligations liées à la noningérence
dans les affaires intérieures d’autres États (voir paragraphes 44-52), qui constituent le
centre de gravité du « véritable problème » du différend. Il n’a pas non plus compétence pour
statuer sur la légalité des mesures prises par les défendeurs comme contre-mesures en réponse à
la violation par le Qatar de ses obligations. Conformément aux règles de droit international
relatives aux contre-mesures, l’établissement de la légalité des contre-mesures imposerait
nécessairement au Conseil de statuer sur les actions du Qatar, notamment de déterminer si le
Qatar a manqué à ses obligations internationales visées aux paragraphes 44-52 ci-dessous.
34. Étant donné que les contre-mesures agissent comme circonstance excluant l'illicéité, le
Conseil ne pourrait pas déterminer s’il y a eu manquement des défendeurs à la Convention de
Chicago sans nécessairement déterminer par ailleurs si l'illicéité de la conduite des défendeurs
(le cas échéant) était exclue par une invocation valide des contre-mesures. En conséquence, le
Conseil est dépourvu de juridiction pour statuer sur le désaccord entre les parties.
35. L’exception préliminaire des défendeurs fondée sur l’absence de juridiction du Conseil
pour statuer sur la question de savoir si les mesures peuvent être justifiées comme contremesures
est examinée de manière plus détaillée ci-dessous. Les observations qui suivent se
limitent aux aspects de la défense des contre-mesures des défendeurs sur lesquels se fonde son
objection selon laquelle le Conseil n’est pas compétent pour statuer sur les plaintes soumises
par le Qatar. Comme indiqué au paragraphe 9 ci-dessus, rien dans les présentes exceptions
27 Cf. Commission de droit international, Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite
(2001), Rapport de la Commission à l’Assemblée générale sur les travaux de sa cinquante-troisième session (2001),
document des Nations Unies, A/56/10, chapitre IV, reproduit dans Annuaire de la CDI 2001, vol. II(2), p. 31 et suivantes,
article 50(2)(a).
- 30 -
14
préliminaires ne doit être considéré comme constituant une reconnaissance de toute question
relevant du fond des plaintes du Qatar et, en particulier, les défendeurs rejettent les allégations
selon lesquelles les mesures qu’ils ont adoptées, dont se plaint le Qatar, sont, de quelque
manière que ce soit, incompatibles avec les obligations qui découlent de la Convention de
Chicago.
A. Les contre-mesures sont autorisées par le droit international
36. Le droit international contemporain permet à un État de répondre au manquement d’un
autre État à ses obligations en vertu du droit international via l’adoption de contre-mesures,
c’est-à-dire des mesures d’initiative personnelle n’appelant pas l’utilisation de la force et
consistant dans la suspension temporaire de l'exécution d’une ou plusieurs obligations, adoptées
en vue d’inciter l’État fautif à satisfaire à ses obligations internationales. Dans la mesure où ces
mesures adoptées en réponse au manquement d’un État membre à satisfaire à ses obligations
internationales respectent les conditions de procédure et de fond pertinentes, prévues par le droit
international coutumier, l'illicéité de ces mesures est exclue.
37. Le droit des États d’adopter des contre-mesures en réponse au manquement d’un autre
État en vertu du droit international a été affirmé constamment par la CIJ et d’autres tribunaux
internationaux.
a) L’arbitrage du tribunal arbitral dans l’Accord relatif aux services aériens a reconnu
la légalité des contre-mesures, expliquant que :
« En vertu des règles actuelles du droit international, et à moins que
le contraire ne résulte d’obligations spéciales découlant de traités
particuliers, notamment de mécanismes créés dans le cadre des
organisations internationales, chaque État établit pour lui-même sa
situation juridique vis-à-vis des autres États. Si une situation se
produit qui, selon le point de vue d’un État, entraîne la violation
d’une obligation internationale par un autre État, le premier État a le
droit, dans les limites établies par les règles générales du droit
international relevant de l’utilisation de la force armée, d’affirmer
ses droits par l’intermédiaire de contre-mesures »28.
b) Dans Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la CIJ
relevait que les actes illicites dont était accusé le Nicaragua – à supposer qu'ils
28 Accord relatif aux services aériens du 27 mars 1946 entre les États-Unis d'Amérique et la France, Sentence du 9
décembre 1978, RIAA, vol. XVIII, p. 417, p. 443, paragraphe 81.
- 31 -
15
aient été établis et qu'ils lui soient attribuables – auraient pu « justifier des contremesures
proportionnées de la part de l’État qui en aurait été victime [...] »29.
c) De manière similaire, dans Projet Gabčíkovo-Nagymaros, après avoir constaté que
la Tchécoslovaquie avait commis un acte illicite (manquement à ses obligations
internationales), la Cour a décidé qu’il lui fallait rechercher :
« si cette illicéité peut être excusée au motif que la mesure ainsi
adoptée l'aurait été en réaction au défaut préalable de la Hongrie de
s'acquitter de ses obligations en vertu du droit international 30.
À cet égard, la CIJ a jugé que « pour pouvoir être justifiée, une contre-mesure doit
satisfaire à certaines conditions [...] »31. Bien qu’elle ait en définitive conclu, au
regard des faits qui lui étaient exposés, que les conditions pertinentes n’avaient pas
été remplies, la Cour a reconnu que l'illicéité de la conduite, qui sans cela aurait
constitué un manquement de l’État à ses obligations internationales, serait en
principe exclue dans la mesure où elle répondait aux critères d’une contre-mesure
légitime.
38. Sur la base de ces précédents et d’autres, la Commission du droit international (CDI)
des Nations Unies, un organe établi par l’Assemblée générale pour promouvoir la codification
et le développement progressif du droit international, a également reconnu l’existence de
contre-mesures comme un concept juridique excluant l'illicéité dans ses Articles sur la
responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (ci-après les « Articles ») L’article
22 des Articles dispose que :
« L’illicéité du fait d’un État non conforme à l’une de ses
obligations internationales à l’égard d’un autre État est exclue si, et
dans la mesure où, ce fait constitue une contre-mesure prise à
l’encontre de cet autre État [...] »32.
39. Comme la CIJ l’a reconnu dans son commentaire aux Articles sur la responsabilité de
l’État pour fait internationalement illicite, en tant que question relevant du droit international
29 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d'Amérique), Fond,
Arrêt, Recueil de la CIJ 1986, p. 14, p. 127, paragraphe 249.
30 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), Arrêt, Recueil de la CIJ 1997, p. 7, p. 55, paragraphe 82.
31 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), Arrêt, Recueil de la CIJ 1997, p. 7, p. 55, paragraphe 83.
32 Commission de droit international, Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (2001),
Rapport de la Commission à l’Assemblée générale sur les travaux de sa cinquante-troisième session, document des
Nations Unies, A/56/10, chapitre IV, reproduit dans Annuaire de la CDI 2001, vol. II(2), p. 31, paragraphes 75-76,
Article 22.
- 32 -
16
coutumier, il n’existe aucune exigence selon laquelle les contre-mesures devraient comprendre
la suspension de la même obligation ou d’une obligation étroitement liée, ou d’une obligation
découlant du même traité que celui dont l’obligation a été violée (les « contre-mesures
réciproques »)33.
40. La Convention de Chicago n’interdit pas aux États contractants de recourir à des
contre-mesures comprenant la suspension de l’exécution de leurs obligations en réponse à un
manquement d’une autre partie contractante à ses obligations internationales. En tant que telles,
les parties à la Convention de Chicago conservent leurs droits souverains en vertu du droit
international coutumier d’adopter des mesures comprenant la suspension de l’exécution de leurs
obligations envers une autre partie au moyen de contre-mesures en réponse à un manquement
antérieur de cet État à ses obligations internationales.
41. Bien que la Convention de Chicago ne limite pas le droit des États contractants sur le
fond d’adopter des contre-mesures, le Conseil n’a pas compétence pour statuer sur la validité
d’initiatives prises sous la forme de contre-mesures lorsque les actes illicites auxquels
répondent ces contre-mesures ne sont pas liés à l’aviation civile internationale et ne relèvent
donc pas du champ d’application de la Convention34. C’est le cas en l’espèce, car les contremesures
ont été adoptées en réponse aux manquements du Qatar à ses obligations
internationales relatives au contre-terrorisme et à la non-ingérence dans les affaires intérieures
des défendeurs.
B. Les actions des défendeurs qui sont à l’origine de la plainte du Qatar sont une réponse
aux faits internationalement illicites antérieurs du Qatar
42. Dans ses requêtes et ses mémoires, le Qatar dirige ses plaintes contre certains
« NOTAM publiés interdisant aux aéronefs immatriculés au Qatar d’atterrir aux aéroports [des
défendeurs] ou d’en décoller et les privant du droit de survoler leurs espaces aériens »35.
33 Voir Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, commentaire introductif à la troisième
partie, Chapitre II, paragraphe 5 : le terme « contre-mesures réciproques » désigne « des contre-mesures qui supposent la
suspension d’obligations envers l’État responsable “si lesdites obligations correspondent ou sont directement liées à
l’obligation qui a été violée” ». (ibid. [Référence interne omise]).
34 Cf. Aire marine protégée des Chagos, Sentence arbitrale du 8 mars 2015 dans le différend opposant Maurice au
Royaume-Uni, CPA, Affaire nº 2011-03, paragraphe 220.
35 Mémoire déposé par l’État du Qatar à la requête A de l’État du Qatar au sujet du désaccord sur l’interprétation et
l’application de la Convention relative à l’aviation civile internationale (Chicago, 1944) et de ses Annexes, datée du 30
octobre 2017, paragraphe c.
- 33 -
17
Comme le reconnaît le Qatar, ces NOTAM ont été émis le 5 juin 2017, le jour même où les
défendeurs ont rompu les relations diplomatiques avec le Qatar36.
43. Le Qatar omet néanmoins le fait que ces relations diplomatiques ont été rompues et
que de nombreuses autres mesures ont été adoptées par les défendeurs en raison du fait que le
Qatar, en dépit d’appels répétés des défendeurs à cesser et à s'abstenir, a continué de manquer à
de multiples obligations multilatérales lui incombant (y compris à l’échelle régionale), de
prévenir, d’éliminer et de pénaliser le soutien et le financement de groupes terroristes et de
respecter le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État. Le Qatar y fait
allusion dans sa requête, reconnaissant que « [les défendeurs] ont lancé un ultimatum à l’État
du Qatar sur des questions sans lien aucun avec la navigation aérienne et le transport aérien »37.
44. Les défendeurs ont à de nombreuses reprises, au cours de plusieurs années avant 2013,
évoqué leurs très graves préoccupations quant au soutien apporté par le Qatar à l’extrémisme et
à des organisations terroristes ainsi qu’à son ingérence dans les affaires intérieures de ses
voisins, y compris les défendeurs. Cette situation a débouché sur la tenue de négociations
multilatérales dans le cadre du Conseil de coopération du Golfe, aboutissant à la signature et à
la ratification de l’Accord de Riyad de 2013 et à ses accords complémentaires de 2014, par
lesquels le Qatar s’engageait à mettre un terme aux activités illicites en cause. [Voir Accord de
Riyad de 2013, pièce justificative 3; Mécanisme de mise en oeuvre de l’Accord de Riyad,
pièce justificative 4; Accord complémentaire l’Accord de Riyad, pièce justificative 5]
Malgré ces engagements et affirmations réitérés à cesser et à s’abstenir de sa conduite illicite, le
Qatar a continué de soutenir le terrorisme et de semer le trouble à l’échelle régionale, y compris
dans les États défendeurs. Le Qatar a financé des groupes terroristes tels qu’Al-Qaida, le Front
Al-Nosra, l’EIIL/Daech, les Frères musulmans, le Hezbollah et le Hamas, et soutenu des
groupes extrémistes dans des pays ravagés par la guerre tels que la Libye, la Syrie, la Somalie
et le Yémen, attisant les troubles dans la région. En outre, le Qatar continue d’abriter des
terroristes connus et s’est abstenu d’arrêter, de poursuivre ou d’extrader des personnes
recherchées. Le Qatar a également omis de prendre des mesures d’exécution contre
d’importants bailleurs de fonds du terrorisme depuis l’intérieur de ses frontières. Ces actions et
36 Requête A de l’État du Qatar au sujet du désaccord sur l’interprétation et l’application de la Convention relative à
l’aviation civile internationale (Chicago, 1944) et de ses Annexes, datée du 30 octobre 2017, paragraphe c.
37 Requête A de l’État du Qatar au sujet du désaccord sur l’interprétation et l’application de la Convention relative
à l’aviation civile internationale (Chicago, 1944) et de ses Annexes, datée du 30 octobre 2017, paragraphe g.
- 34 -
18
omissions du Qatar sont des violations de ses obligations juridiques à l’égard des défendeurs et
constituent des actes internationaux illicites.
45. Les Accords de Riyad, adoptés dans le cadre du Conseil de coopération du Golfe38,
contiennent une série d’engagements importants pris par le Qatar, le Royaume de Bahreïn, le
Royaume d’Arabie saoudite, l’État du Koweït, le Sultanat d’Oman et les Émirats arabes unis
liés à la sûreté et à la stabilité régionale.
46. L’Accord de Riyad de 201339 contient des engagements comprenant notamment des
initiatives prises par chaque État en ce qui concerne la cessation du soutien à des groupes qui
menacent la sûreté et la stabilité des États du Conseil de coopération du Golfe, en refusant
d’abriter des groupes menaçant les États du Conseil de coopération du Golfe ou leurs
gouvernements et de leur donner refuge, ainsi que la non-ingérence dans les affaires des autres
États du Conseil de coopération du Golfe, que ce soit directement ou indirectement. [Voir
Accord de Riyad de 2013, pièce justificative 3] Il a été signé par le Royaume d’Arabie
saoudite, l’État du Koweït, le Qatar, le Sultanat d’Oman, les Émirats arabes unis et le Royaume
de Bahreïn.
47. L’Accord de Riyad de 2013 a été complété par un Mécanisme de mise en oeuvre au
printemps 2014 et par l’Accord complémentaire à l'Accord de Riyad, conclu en novembre 2014
par le Royaume d’Arabie saoudite, l’État du Koweït, le Royaume de Bahreïn, le Qatar et les
Émirats arabes unis. [Voir Mécanisme de mise en oeuvre de l’Accord de Riyad, pièce
justificative 4 ; Accord complémentaire l’Accord de Riyad, pièce justificative 5] Les
obligations en vertu de l’Accord de Riyad et du Mécanisme de mise en oeuvre de l’Accord40 ont
été intégrées à l’Accord complémentaire à l’Accord de Riyad en vertu de l’article premier de ce
dernier accord, qui dispose que « le non-respect de tout article de l’Accord de Riyad et des
mesures exécutoires constitue une violation de l’intégralité de l’Accord ».
48. L’Accord relatif au mécanisme de mise en oeuvre précise une série de mesures
spécifiques à adopter par les États parties à la mise en oeuvre des engagements contenus dans
les Accords de Riyad. Ces engagements, qui illustrent dans une large mesure les obligations
38 Pièce justificative 3, premier Accord de Riyad, Riyad, 23 novembre 2013 ; pièce justificative 4, Mécanisme de mise en
oeuvre de l’Accord de Riyad, Riyad, 2014 ; pièce justificative 5, Accord supplémentaire à l’Accord de Riyad, Riyad, 16
novembre 2014.
39 Pièce justificative 3, premier Accord de Riyad, Riyad, 23 novembre 2013.
40 Pièce justificative 4, Mécanisme de mise en oeuvre de l’Accord de Riyad, Riyad, 2014.
- 35 -
19
exposées dans l’Accord de Riyad originel de 2013, comprennent une obligation imposant à
chaque État de prendre toutes les précautions nécessaires pour garantir la non-ingérence dans
les affaires intérieures des autres États du Conseil de coopération du Golfe et de ne pas soutenir
des entités qui présentent un risque pour le Conseil de coopération du Golfe41. L’Accord
complémentaire à l’Accord de Riyad42 réitère également et intègre expressément les obligations
prises précédemment dans l’Accord de Riyad originel de 2013 et dans l’Accord relatif au
Mécanisme de mise en oeuvre. Ensemble, ces traités sont dénommés « les Accords de Riyad »
et imposent des obligations juridiquement contraignantes à tous les États parties dans le cadre
du droit international.
49. Le Qatar est également lié par d’autres obligations internationales multilatérales dans
le domaine du contre-terrorisme, y compris des obligations découlant du cadre des Nations
Unies.
50. Le Qatar est partie à la Convention internationale pour la répression du financement
du terrorisme (ci-après la « Convention contre le financement du terrorisme »)43, en vertu de
laquelle les États parties assument des obligations absolues d’élimination du financement de
groupes terroristes, y compris des obligations imposant l’adoption et l’application d’une
législation pénalisant la fourniture d’un soutien financier à ces groupes, ainsi que l’adoption de
mécanismes appropriés pour poursuivre, extrader, sanctionner les terroristes et saisir leurs
biens44.
51. En outre, le Qatar est également lié par les obligations découlant des résolutions du
Conseil de sécurité, y compris les résolutions adoptées au titre du Chapitre VII de la Charte des
Nations Unies, imposant des obligations spécifiques en matière de contre-terrorisme. En vertu
de l’article 25 de la Charte des Nations Unies, les obligations contenues dans ces résolutions
sont contraignantes pour tous les membres des Nations Unies. Parmi les résolutions pertinentes
adoptées par le Conseil de sécurité figurent la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité45
41 Pièce justificative 4, Mécanisme de mise en oeuvre de l’Accord de Riyad, Riyad, 2014
42 Pièce justificative 5, Accord complémentaire à l’Accord de Riyad, Riyad, dimanche 16 novembre 2014
43 Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, New York, 9 décembre 1999, 2178 RTNU
197 ; Statut de ratification de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, New York, 9
décembre 1999, disponible à l’adresse : https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XVIII-
11&chapter=18&lang=en. Les États défendeurs sont tous parties à la Convention contre le financement du terrorisme. Id.
44 Convention contre le financement du terrorisme, articles 4, 5, 6, 8 et 18.
45 Résolution 1373 (2001), 28 septembre 2001, UN doc. S/RES/1373 (2001).
- 36 -
20
et, plus récemment, la résolution 2309 (2016) – « Menaces posées à la paix et à la sûreté
internationales par les actes terroristes : sûreté de l’aviation »46.
52. La résolution 1373 (2001), adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité, a été la
première résolution importante en matière de contre-terrorisme, à la suite des attaques
terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Elle a été adoptée au titre du Chapitre VII de
la Charte des Nations-Unies et impose des obligations à tous les États membres de prévenir et
d’éliminer le financement d’actes terroristes, de s’abstenir d’apporter tout type de soutien (actif
ou passif) aux entités ou personnes impliquées dans des actes terroristes, de refuser d’abriter
les personnes qui financent, planifient, soutiennent ou commettent des actes terroristes, de
veiller à ce que toute personne participant au financement, à la planification ou à la
perpétration d’actes terroristes soit portée devant la justice, et de prévenir le mouvement de
terroristes ou de groupes terroristes par la mise en oeuvre de contrôles efficaces aux
frontières47.
53. Après la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar et l’adoption des autres
mesures (y compris les fermetures de l’espace aérien mises en cause par le Qatar), les
défendeurs ont clairement indiqué qu’ils prenaient ces mesures à la suite des manquements du
Qatar à ses obligations internationales, en particulier à ses obligations de cesser de soutenir et
de financer des organisations terroristes et de s’ingérer dans les affaires intérieures de ses
voisins, y compris les obligations liées à ces questions en application des Accords de Riyad.
Les défendeurs ont également indiqué clairement que les mesures en question avaient été
adoptées dans le but d’inciter le Qatar à mettre un terme à sa conduite illicite.
54. La République arabe d’Égypte [voir Déclaration de la République arabe d’Égypte,
pièce justificative 6] a déclaré :
« Le gouvernement égyptien a décidé de cesser toute relation
diplomatique avec l’État du Qatar. Cette décision a été prise en
raison de l'insistance du régime qatari à adopter une attitude hostile
à l’égard de l’Égypte et à l’échec de toutes les tentatives de prévenir
son soutien à des organisations terroristes, au sommet desquelles les
Frères musulmans. Le régime qatari a abrité ses responsables, qui
ont été condamnés pour des opérations terroristes visant la sûreté et
la sécurité de l’Égypte, outre leur promotion de la doctrine d’Al-
46 Résolution 2309 (2016), 22 septembre 2006, UN doc. S/RES/2309 (2016).
47 Résolution 1373 (2001), 28 septembre 2001, UN doc. S/RES/1373 (2001), paragraphes 1(a)-(d), 2(a)-(g).
- 37 -
21
Qaida et de l'EIIL/Daech ainsi que leur soutien à des opérations
terroristes au Sinaï. Le Qatar a continué de s’ingérer dans les
affaires intérieures de l’Égypte et des pays de la région, d’une façon
qui menace la sûreté nationale des pays arabes et renforce le
sentiment de schisme et de fission au sein des communautés arabes,
conformément à des mécanismes bien planifiés ciblant l'unité de la
nation arabe et ses intérêts »48.
55. La déclaration du Royaume de Bahreïn [voir Déclaration du Royaume de Bahreïn,
pièce justificative 7] explique :
« Étant donné l’insistance du Qatar à continuer de porter atteinte à
la sûreté et à la stabilité du Royaume de Bahreïn et de s’ingérer
dans ses affaires intérieures, le contexte d’escalade, l’incitation de
ses médias, son soutien à des actes terroristes et le financement de
groupes armés associés à l’Iran en vue de réaliser des attaques
subversives et de répandre le chaos dans le Royaume, en violation
flagrante de tous les accords, pactes et principes de droit
international, sans égard aux valeurs, aux lois, à la morale, aux
principes de bon voisinage, aux fondements des relations du Golfe,
et le refus de respecter ses engagements antérieurs, le Royaume de
Bahreïn annonce la rupture de ses relations diplomatiques avec
l’État du Qatar afin de protéger sa sûreté nationale. [...] Le Bahreïn
ferme également son espace aérien [...] au trafic aérien [...] en
provenance et à destination du Qatar dans les 24 heures suivant
l’annonce de cette déclaration »49.
56. Le Royaume d’Arabie saoudite [voir Déclaration du Royaume d’Arabie saoudite,
pièce justificative 8] a déclaré :
« Le Royaume d’Arabie Saoudite a pris cette décision en raison des
violations graves des autorités de Doha, en public et en secret, au
cours de l’année dernière, dans le but de rompre l’unité intérieure
de l’Arabie Saoudite, de susciter la contestation de l’autorité de
l’État, de violer sa souveraineté et à encourager plusieurs groupes
sectaires et terroristes qui visent à déstabiliser la région. Le Qatar
finance les Frères musulmans, l'EIIL/Daech et des groupes d’Al-
Qaida, fait la promotion de leurs écrits et modèles dans ses médias.
Il soutient également les groupes terroristes financés par l’Iran dans
le gouvernorat d’Al Qatif dans le Royaume d’Arabie Saoudite et
dans le Royaume de Bahreïn. Il finance, encourage et abrite les
terroristes qui visent à déstabiliser et à désunir le pays. Il utilise les
médias qui cherchent à susciter un schisme interne, car il a été porté
à la connaissance du Royaume d’Arabie saoudite que Doha soutient
48 Pièce justificative 6, Déclaration de la République arabe d’Égypte, disponible à l’adresse :
https://www.facebook.com/MFAEgypt/posts/1521555834583024.
49 Pièce justificative 7, Déclaration du Royaume de Bahreïn ; voir aussi « le Bahreïn rompt ses relations
diplomatiques avec le Qatar, 5 juin 2017, disponible à l’adresse : http://www.bna.bh/portal/en/news/788935.
- 38 -
22
le coup d’État de la milice Houthi, même après l’annonce de la
formation d’une coalition en faveur de la légitimité au Yémen »50.
57. Le Ministère des affaires étrangères des Émirats arabes unis a publié une déclaration
annonçant que des mesures, y compris la fermeture de l’espace aérien, sont prises « étant donné
l’insistance de l’État du Qatar à continuer de porter atteinte à la sûreté et à la stabilité de la
région et son omission d’honorer ses engagements et accords internationaux ». [Voir
Déclaration des Émirats arabes unis, pièce justificative 9]51 La déclaration précise :
« Les [Émirats arabes unis] prennent des mesures décisives à la
suite de l’omission par le Qatar de respecter l’Accord de Riyad et
ses Accords complémentaires de 2014 en renvoyant ses diplomates
du Conseil de coopération du Golfe à Doha, en raison de la
poursuite par le Qatar du soutien, du financement et de l’accueil de
groupes terroristes, essentiellement les Frères musulmans, et de ses
efforts continus pour promouvoir les idéologies de l’EIIL/Daech et
d’Al-Qaida par l’intermédiaire de ses médias, directement et
indirectement, outre la violation par le Qatar de la déclaration
publiée lors du Sommet Islamique-États-Unis tenu à Riyad le 21
mai 2017 sur la lutte contre le terrorisme dans la région et compte
tenu du rôle de l’Iran dans le financement du terrorisme. Les
mesures des Émirats arabes unis sont prises également en raison de
l’accueil par les autorités qataries d’éléments terroristes et de son
ingérence dans les affaires intérieures d’autres pays, ainsi que pour
son soutien des groupes et politiques terroristes qui sont
susceptibles de pousser la région dans une situation aux
conséquences imprévisibles52.
58. Les États défendeurs ont pris ces mesures à la suite d’un long processus de délibération
mené dans le cadre des Accords de Riyad. Ces mesures font suite à des demandes réitérées des
États défendeurs au Qatar entre 2014 et juin 2017, notamment par l’intermédiaire du comité établi
aux fins de la mise en oeuvre des Accords de Riyad, afin qu’il renonce à son soutien de longue date
à l’extrémisme et au terrorisme et à son ingérence continue dans les affaires intérieures de ses
voisins. Le Qatar a omis de répondre sérieusement à ces demandes et maintenu sa conduite en
violation des Accords de Riyad et de ses autres obligations internationales. Par exemple, il a été
largement affirmé en avril 2017 que le Qatar avait versé un milliard de dollars US comme
50 Pièce justificative 8, Déclaration du Royaume d’Arabie saoudite, disponible à l’adresse :
http://www.spa.gov.sa/1637273.
51 Pièce justificative 9, Déclaration du ministère des Affaires étrangères des Émirats arabes unis annonçant des mesures
contre le Qatar, 5 juin 2017, disponible à l’adresse : https://www.mofa.gov.ae/EN/MediaCenter/News/Pages/05-06-2017-
UAE-Qatar.aspx
52 Pièce justificative 9, Déclaration du ministère des Affaires étrangères des Émirats arabes unis annonçant des mesures
contre le Qatar, 5 juin 2017, disponible à l’adresse : https://www.mofa.gov.ae/EN/MediaCenter/News/Pages/05-06-2017-
UAE-Qatar.aspx
- 39 -
23
« rançon » à des entités affiliées à des organisations terroristes bien connues telles qu’Al-Qaida,
une affaire que la République arabe d’Égypte a portée à la connaissance du Conseil de sécurité53.
59. Indépendamment de la sensibilité des informations à la base de leur décision, le 9 juin
2017, les États défendeurs ont publié une liste conjointe de terroristes désignés et fait part de leurs
préoccupations quant à « la violation continue par les autorités de Doha de leurs engagements et
accords conclus qui comprennent un engagement à ne pas soutenir ou abriter des éléments ou
organisations qui menacent la sûreté des États54. Cette liste comprend 59 personnes et 12 entités qui
entretiennent des relations avec le Qatar55. Le 22 novembre 2017, les États défendeurs ont publié
une liste supplémentaire de terroristes désignés comprenant 11 personnes et deux entités 56. Les
défendeurs, confirmant « que les autorités qataries continuent de soutenir et de financer le
terrorisme, d’encourager l’extrémisme et de répandre un discours de haine », ont réitéré leur
« engagement à consolider les efforts visant à lutter contre le terrorisme et à renforcer les
fondements de la sûreté et de la stabilité dans la région »57.
60. Parmi les personnes sanctionnées à l’échelle internationale qui continuent de résider au
Qatar figurent des individus tels que M. Khalifa Muhammad Turki Al-Subaiy, considéré par le
Comité des sanctions contre Daech et Al-Qaida, créé par le Conseil de sécurité des Nations Unies,
comme un « bailleur de fonds et un facilitateur du terrorisme qui a soutenu financièrement les
dirigeants d’Al-Qaida et agi en leur nom ». Le Qatar l’a libéré de prison après six mois seulement,
53 Voir pièce justificative 10, Menaces posées à la paix et à la sûreté internationales par les actes terroristes, Conseil de
sécurité des Nations Unies, 7962e réunion, S/PV.7932, 8 juin2017, disponible à l’adresse :
http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/PV.7962. Voir aussi Erika Solomon, The $1bn hostage deal
with enraged Qatar's Gulf rivals, Financial Times, 5 juin 2017, https://www.ft.com/content/dd033082-49e9-lle7-a3f4-
c742b9791d43 ; Michelle Nichols, Egypt calls for U.N. inquiry into accusation of Qatar ransom payment, Reuters, 9 juin
2017, https://www.reuters.com/article/us-gulf-qatar-un/egypt-calls-for-u-n-in…-
idUSKBN18Z26W ; Alex Lockie, Qatar may have paid $1 billion in ransom for release of royal family
members captured while hunting with falcons, Business Insider, 5 juin 2017, http://www.businessinsider.com/qatarransom-
al-qaeda-iran-falconry-2017-6; Egypt calls for UN probe on Qatar giving terrorists $1 bln in Iraq, AL Arabiya
English, 8 juin 2017, https://english.alarabiya.net/en/News/middle-east/2017/06/08/Egypt-call…-
terrorist-groups-in-Iraq-1-billion.html.
54 Voir pièce justificative 11, Arab states release list of Qatar-supported terror financiers, Saudi Gazette, 9 juin 2017,
http:/Isaudigazette.com.sa/article/180172/Arab-states-release-list-of-Qatar-supported-terror-financiers; pièce justificative
12, 'Saudi Arabia, Egypt, UAE and Bahrain issue terror list', 9 juin 2017,
http://www.bna.bh/portal/en/news/789544.
55 Voir pièce justificative 13, Lettre du Royaume d’Arabie saoudite, de la République arabe d’Égypte, des Émirats arabes
unis et du Royaume de Bahreïn au Secrétaire général des Nations Unies, UN/SG/Qatar/257, 16 juin 2017.
56 Voir pièce justificative 14, Émirats arabes unis, ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale,
« Anti-terror quartet adds two entities, 11 individuals to terrorism lists », 23 novembre 2017,
https://www.mofa.gov.ae/EN/MediaCenter/News/Pages/23-11-2017-UAE-terror…- lists.aspx#sthash.WF7CBkRk.dpuf.
Voir aussi, Arab states blacklist Islamist groups, individuals in Qatar boycott, Reuters, 22 novembre 2017,
https://www.reuters.com/article/us-gulf-qatar-security/arab-states-blac….
57 Id.
- 40 -
24
à la suite de quoi il a immédiatement repris ses activités, y compris l’organisation du financement
d’Al-Qaida ; il figure aujourd’hui encore sur la liste des sanctions des Nations Unies contre les
terroristes58. De même, selon le Comité des sanctions contre Daech et Al-Qaida, Abd Al-Rahman
al-Nuaimi, un citoyen et résident qatari, « a facilité un soutien financier considérable à Al-Qaida en
Irak (AQI) (QDe.115), et a servi d’interlocuteur entre les dirigeants d’AQI et les bailleurs de fonds
situés au Qatar. »59. Un conseiller de premier plan du gouvernement du Qatar, Al-Nuaimi, a
conseillé la famille royale du Qatar au sujet d’un don de bienfaisance, alors qu’il était
publiquement dénoncé comme une personne ayant financé secrètement Al-Qaida60.
61 Les États défendeurs ne sont pas les seuls à reconnaître le risque que représente le Qatar
dans la région. Le précédent Secrétaire adjoint au Trésor chargé du financement du terrorisme et de
la criminalité financière (États-Unis), par exemple, a qualifié le Qatar de « juridiction permissive »
pour le financement du terrorisme61 [voir Département du Trésor des États-Unis, pièce
justificative 19], et un certain nombre d’individus figurant sur la liste conjointe des États
défendeurs de terroristes interdits sont ou ont été désignés comme terroristes par l’Australie62, le
Canada63, la Nouvelle-Zélande64, le Royaume-Uni65 et les États-Unis66. En outre, la majorité de ces
58 Pièce justificative 15, Compte rendu sommaire : QDi.253 Khalifa Muhammad Turki Al-Subaiy, Liste relative aux
sanctions publiée par le Comité du Conseil de sécurité faisant suite aux résolutions 1267 (1999), 1989 (2011) et 2253
(2015) concernant l’EIIL (Daech), Al-Qaida et les personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés,
dernière mise à jour le 3 février 2016, https://www.un.org/sc/suborg/en/sanctions/
1267/aq_sanctions_list/summaries/individual/khalifa-muhammad-turki-al-subaiy
59 Pièce justificative 16, Compte rendu sommaire : QDi.334 Abd al-Rahman bin 'Umayr al-Nu'aymi, Liste relative aux
sanctions publiée par le Comité du Conseil de sécurité faisant suite aux résolutions 1267 (1999), 1989 (2011) et 2253
(2015) concernant l’EIIL (Daech), Al-Qaida et les personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés,
dernière mise à jour le 13 mai 2016, https://www.un.org/sc/suborg/en/sanctions/1267/
aq_sanctions_list/summaries/individual/%27abd-al-rahman-bin-%27umayr-al-nu%27aymi.
60 Pièce justificative 17, Joby Wanick & Tik Root, Islamic Charity Officials Gave Millions to Al-Qaeda, U.S. Says,
Washington Post, 22 décembre 2013, https://www.washingtonpost.com/world/national-security/islamic-charity-…-
millions-to-al-qaeda-us-says/2013/12/22/e0c53ad6-69b8-11e3-a0b9-
249bbb34602c_story.html?utm_term=.4a5e64f49291. Selon le Secrétaire adjoint au Trésor chargé du financement du
terrorisme et de la criminalité financière (États-Unis), David Cohen, tant Al-Subaiy que Al-Nuaimi ont vécu librement au
Qatar jusqu’en 2014. Pièce justificative 18, Joyce Karam, Terror designation lists highlight Qatar's failure to tackle
extremist funding, The National, 13 juillet 2017, https://www.thenational.ae/world/the-americas/terror-designation-listsh…-
qatar-s-failure-to-tackle-extremist-funding-1.582320; Robert Mendick, Terror financiers are living freely in
Qatar, US discloses, The Telegraph, 16 novembre 2014,
https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/islamic-state/11233407/Terro….
html
61 Pièce justificative 19, remarques du Secrétaire adjoint au Trésor chargé du financement du terrorisme et de la
criminalité financière (États-Unis), David Cohen, au Center for a New American Security - « Confronting New
Threats in Terrorist Financing » [Faire face aux nouvelles menaces dans le financement du terrorisme, 3 avril 2014,
https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/jl2308.aspx.
62 Gouvernement australien, ministère des Affaires étrangères et du Commerce, http://dfat.gov.au/internationalrelations/
security/sanctions/pages/consolidated-list.aspx.
63 Canada, Bureau du surintendant des institutions financières, Financement de la lutte contre le terrorisme,
http://www.osfi-bsif.gc.ca/eng/fi-if/amlc-clrpc/atf-fat/Pages/default.a…
64 Police néo-zélandaise, Listes associées aux résolutions 1267/1989/2253 et 1988,
- 41 -
25
individus désignés par les États défendeurs, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le
Royaume-Uni et les États-Unis figurent également sur la liste du Comité des sanctions du Conseil
de sécurité des Nations-Unies contre Daech et Al-Qaida 67.
62. Les défendeurs ont systématiquement déclaré que les mesures prises contre le Qatar, y
compris la fermeture de leurs espaces aériens aux aéronefs immatriculés au Qatar, avaient été
prises à la suite de la violation par le Qatar de ses obligations internationales et afin de l’inciter à
mettre un terme à sa conduite illicite.
63. Lors de la réunion du Conseil du 31 juillet 2017 [voir Procès-verbal sommaire, pièce
justificative 22], les défendeurs ont clairement indiqué collectivement que la fermeture de leurs
espaces aériens respectifs aux aéronefs immatriculés au Qatar étaient des mesures légitimes,
autorisées par le droit international. Le représentant des Émirats arabes unis, parlant au nom de la
République arabe d’Égypte, le Royaume de Bahreïn et le Royaume d’Arabie saoudite, a déclaré :
« Nos quatre États maintiennent que ces fermetures de l’espace
aérien constituent une réponse légitime, justifiée et proportionnée
aux actions du Qatar et qu’elles sont autorisées par le droit
international »68.
C. Le Conseil n’a pas compétence pour résoudre les plaintes du Qatar car cela
supposerait que le Conseil statue sur la violation ou non par le Qatar de ses
obligations en vertu du droit international
64. Étant donné que les mesures des défendeurs dont le Qatar se plaint devraient être évaluées
comme des contre-mesures en vertu du droit international coutumier, s’agissant d’une
détermination qui s’étend au-delà des limites de « l’interprétation et de l’application de la
http://www.police.govt.nz/advice/personal-community/counterterrorism/de…-
1267-1989-2253-1988
65 Royaume-Uni, Bureau pour la mise en oeuvre des sanctions financières, cibles des sanctions financières : liste de toutes
les cibles de gel des avoirs, https://www.gov.uk/government/publications/financial-sanctions-consolid…
consolidated-list-of-targets.
66 Pièce justificative 20, Bureau de contrôle des avoirs étrangers du Département du Trésor, Liste des ressortissants
spécialement désignés et des personnes interdites, 20 février 2018,
https://www.treasury.gov/ofac/dowuloads/sdnlist.pdf.
67 Pièce justificative 21, Liste établie et maintenue en vertu de la résolution1267/1989/2253 du Conseil de sécurité, 22
février 2018. https://scsanctions.un.org/fop/fop?xml=htdocs/resources/xml/en/consolid…
resources/xsUen/al-qaida.xsl.
68 Voir pièce justificative 22, Procès-verbal sommaire de la session extraordinaire du Conseil, 31 juillet 2017 Doc OACI
C- WP/14640 (Restreint), paragraphe 32.
- 42 -
26
Convention [de Chicago] », au sens de l’article 84, le Conseil n’a pas compétence pour statuer sur
les plaintes soumises par le Qatar.
65. La résolution des plaintes déposées par le Qatar requerrait nécessairement que le Conseil
établisse les points faisant parties du différend plus large entre les parties. En particulier, la réponse
à la question de savoir si tout manquement des défendeurs à leurs obligations en vertu de la
Convention de Chicago résultant des mesures adoptées par les défendeurs était justifié comme des
contre-mesures légitimes, de sorte que l'illicéité était par définition exclue, exigerait du Conseil
qu’il détermine notamment si le Qatar avait manqué à ses obligations pertinentes en matière de
contre-terrorisme et à ses engagements de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures de ses
voisins.
66. Comme il a été noté précédemment, le Qatar admet qu’il existe des questions plus larges
au coeur du présent différend, indiquant dans sa requête que les défendeurs « ont lancé un
ultimatum à l’État du Qatar sur des questions sans lien aucun avec la navigation aérienne et le
transport aérien »69.
67. Étant donné sa juridiction limitée et spécialisée en vertu de la Convention de Chicago,
le Conseil n’a pas compétence pour statuer sur ces questions plus larges entre les parties.
68. L’extension du rôle du Conseil afin de lui permettre d’examiner la validité des contremesures
adoptées pour un tout autre différend, relatif à la subversion et au terrorisme,
impliquerait de passer outre à l’attribution soigneuse des responsabilités au sein du système des
Nations Unies, en ce qui concerne notamment ses agences spécialisées. Manifestement, le
différend entre les parties, dont le centre de gravité réside en dehors du contexte de l’aviation
civile, n’est pas une question qui puisse être tranchée par une agence spécialisée dans l’aviation
civile seulement, et le différend sort largement du champ d’application de l’article 84.
69. Comme indiqué ci-dessus, la compétence du Conseil est limitée, en vertu de l’article
84 de la Convention de Chicago, aux différends concernant « l’application ou l’interprétation »
de la Convention de Chicago et de ses Annexes. La raison en est simple. Le Conseil, constitué
de spécialistes de l’aviation, dispose d’une expertise considérable dans les aspects techniques
de l'aviation consacrés par la Convention de Chicago, mais n’est ni approprié ni qualifié pour
69 Requête A de l’État du Qatar au sujet du désaccord sur l’interprétation et l’application de la Convention relative à
l’aviation civile internationale (Chicago, 1944) et de ses Annexes, datée du 30 octobre 2017, paragraphe g.
- 43 -
27
traiter des différends concernant l’ingérence, la violation de la souveraineté, la subversion et le
terrorisme. Cela s’applique a fortiori en l’espèce, où le « véritable problème » dans le différend
entre les parties requiert un examen juridique d’une situation de vaste portée totalement
indépendante de l’aviation civile.
70. En outre, le rôle de l’OACI comme institution spécialisée confirme s’il en était
besoin que la procédure au titre de l’article 84 doit être limitée aux questions relatives à
l’aviation civile70. Si une institution spécialisée pouvait connaître d’un large différend dont les
principaux ressorts dépassent manifestement les limites de son mandat, elle ne rendrait pas
service aux parties en statuant sur le différend en dehors de ses propres critères. C’est là en
effet ce que la doctrine du « véritable problème » reconnaît, à savoir que la qualification
correcte doit faire l’objet d’une évaluation objective, afin de ne pas morceler artificiellement le
différend pour répondre aux intérêts tactiques de la partie plaignante.
71. En conséquence, le Conseil n’a pas compétence pour statuer sur des questions liées au
manquement ou non par le Qatar à ses autres obligations internationales en vertu du droit
international, en particulier à ses obligations en vertu de la Convention contre le financement
du terrorisme, des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité relatives au contre-terrorisme
et des Accords de Riyad.
72. Le Conseil n’est par conséquent pas en mesure de statuer sur la question centrale qui
sépare les parties sur le fond du différend. En conséquence, il ne peut connaître de la requête du
Qatar.
D. Conclusion
73. Comme l’a reconnu le Conseil lors de sa session extraordinaire le 31 juillet 2017, il
existe des questions plus larges et vastes à la base de ce désaccord, qui doivent être abordées
dans un cadre approprié et non technique. En effet, le « véritable problème » entre les parties
implique nécessairement ces questions plus larges, qui constituent le fond même du différend
entre elles. Étant donné que le Conseil n’a pas compétence pour régler les questions juridiques
plus vastes sur lesquelles il devrait nécessairement statuer afin de régler le désaccord lié à la
Convention de Chicago soulevé dans la requête et le mémoire, le Conseil n’a pas compétence
70 Voir D. Akande, 'The Competence of International Organizations and the Advisory Jurisdiction of the ICJ' (1998) 9
European Journal of International Law p. 437, p. 451 : « La [Cour internationale de justice] semblait affirmer que les
actions spécialisées devraient limiter leur attention aux aspects techniques et fonctionnels ».
- 44 -
28
pour statuer sur les plaintes du Qatar. En revanche, il devrait renoncer à examiner les plaintes
du Qatar au motif qu’elles sont irrecevables.
VI. LE QATAR N’A PAS SATISFAIT AUX EXIGENCES DE PROCÉDURE EN
VERTU DE LA CONVENTION DE CHICAGO ET DU RÈGLEMENT
74. L’article 84 de la Convention de Chicago dispose que seul un désaccord qui « ne peut
être réglé par voie de négociation, » peut être soumis au Conseil. Il est par conséquent
indispensable que le demandeur montre qu’il a tenté de mener des négociations avant de
soumettre l’affaire au Conseil, ce qui constitue par conséquent une condition préalable de la
juridiction du Conseil.
75. Cette exigence est mise en évidence à l’article 2, alinéa g) du Règlement, qui dispose
qu’une requête et un mémoire doivent comprendre « [une] déclaration attestant que des
négociations ont eu lieu entre les parties pour régler le désaccord, mais qu'elles n'ont pas
abouti ». L’objet du règlement consiste à établir les exigences de procédure qui doivent être
satisfaites afin d’engager une procédure au titre de l’article 84 de la Convention de Chicago
devant le Conseil.
76. La requête A et le mémoire du Qatar ne répondent pas à ces exigences. La requête et le
mémoire reconnaissent explicitement qu’aucune tentative de négociation n’a été entreprise en
ce qui concerne les désaccords ou différends présentés dans la requête avant sa soumission au
Conseil71. À la suite de l’omission par le Qatar de répondre à cette condition préalable et de son
omission de satisfaire à l’exigence de procédure à l’article 2, alinéa g), le Conseil n’a pas
compétence pour connaître de la requête du Qatar.
77. En revanche, le Conseil devrait déclarer irrecevable la requête du Qatar. Comme il a
été examiné dans la section IV ci-dessus, le Conseil peut renoncer à exercer sa juridiction sur la
base de motifs qui affectent la possibilité ou le bien-fondé de sa décision sur les plaintes qui lui
sont soumises à un moment particulier.
78. L’allégation intéressée du Qatar quant à la prétendue « futilité » des négociations est
dénuée de toute substance. Comme partie établissant la compétence, il incombe au Qatar de
71 Voir paragraphes 104-105 ci-dessous.
- 45 -
29
montrer qu’il a satisfait aux conditions juridictionnelles préalables, notamment en démontrant
qu’il a (à tout le moins) sincèrement tenté d’engager des négociations. Comme l’a jugé le
tribunal arbitral dans son arrêt Murphy c. Équateur « pour déterminer si les négociations
aboutiraient ou non, les parties doivent d’abord les entamer » ; et, conformément à cet arrêt, il
n’appartient pas à une partie d’évoquer unilatéralement la futilité sans avoir d’abord cherché
à entamer des négociations72. Comme le Qatar le reconnaît lui-même, il a omis d’engager ces
négociations. Le Qatar n’a pas tenté d’engager des négociations afin d’éviter de devoir aborder
les véritables questions au coeur du différend avec les défendeurs. Il est évident que, le Qatar
n’ayant pris aucune initiative en ce sens à ce jour, la question de l’issue de ces négociations
reste complètement hypothétique.
79. Même si le Qatar proposait aujourd'hui des négociations, il serait trop tard pour
remédier aux défauts de sa requête, car la condition préalable des négociations doit être
satisfaite avant la soumission du désaccord au Conseil73.
A. L’échec de négociations antérieures constitue une condition préalable de la
compétence du Conseil
80. Comme il a été indiqué précédemment, l’article 84 de la Convention de
Chicago énonce à cet égard :
« Si un désaccord entre deux ou plusieurs États contractants à propos
de l'interprétation ou de l'application de la présente Convention et de
ses Annexes ne peut être réglé par voie de négociation, le Conseil statue
à la requête de tout État impliqué dans ce désaccord ». [soulignement
ajouté]
81. Selon les termes explicites de la disposition juridictionnelle, un désaccord entre
deux ou plusieurs États contractants à propos de l'interprétation ou de l'application de la
Convention de Chicago ne peut être soumis au Conseil que si le désaccord « ne peut être réglé
par voie de négociation ». Ainsi, l’existence de négociations avant la soumission par les parties
de l’objet du désaccord au conseil constitue une condition préalable essentielle de la juridiction,
qui doit être satisfaite avant que le Conseil n’ait compétence pour statuer sur l’affaire.
72 Murphy Exploration and Production Company International c. République d’Équateur, ICSID Affaire nº.ARB/08/4,
Sentence concernant la juridiction, du 15 décembre 2010, paragraphe 135.
73 Voir paragraphe 25 ci-dessus.
- 46 -
30
82. Les exigences similaires dans les clauses juridictionnelles ou compromissoires
énoncées dans les traités, imposant à un État partie de tenter de mener des négociations avant de
soumettre le règlement d’un différend à un organe judiciaire, sont très répandues dans la
pratique. Ces clauses reflètent des principes fondamentaux et des objectifs politiques
importants, notamment que (comme le reconnaît l’article 33 de la Charte des Nations Unies) la
négociation constitue la principale forme de règlement des différends entre États. Comme l’a
souligné la CIJ dans une affaire concernant une clause ayant un effet équivalent à l’article 84 de
la Convention de Chicago :
« Il n’est pas inhabituel dans les clauses compromissoires conférant
la juridiction à la Cour et à d’autres juridictions internationales
d’évoquer le recours aux négociations. Ce recours remplit trois
fonctions différentes.
Premièrement, il indique à l’État défendeur qu’un différend existe
et délimite la portée et l’objet du différend. [...]
Deuxièmement, il encourage les parties à tenter de régler leur
différend par accord mutuel, évitant ainsi le recours à la décision
contraignante d’un tiers.
Troisièmement, le recours préalable aux négociations ou à d’autres
méthodes de règlement pacifique des différends exerce une fonction
importante en indiquant la limite du consentement donné par les
États »74.
83. Comme il ressort clairement de la troisième considération soulignée par la Cour, et
déjà notée précédemment, l’exigence dans une clause relative au règlement des différends dans
un traité selon laquelle seul peut être soumis un différend qui « ne peut être réglé par voie de
négociation », ou une autre formulation similaire, constitue une limite au consentement des
États parties. En tant que telle, la satisfaction de cette condition constitue une condition
préalable à l’existence de la juridiction, plutôt que de concerner simplement la recevabilité
d’une plainte75.
84. À cet égard, la CIJ a systématiquement interprété les dispositions juridictionnelles ou
les clauses compromissoires selon lesquelles un différend « ne peut être réglé que par voie de
négociation » ou « n’est pas réglé par voie de négociation », comme établissant une limite au
74 Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c.
Fédération de Russie), Exceptions préliminaires, Recueil de la CIJ 2011, p. 70, pp. 124-125, paragraphe 131.
75 Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo c.
Rwanda), Compétence de la Cour et recevabilité de la requête 65
- 47 -
31
consentement des États parties, de sorte que la satisfaction à cette condition constitue une
condition préalable à l’existence de la juridiction.
85. Dans l’affaire Application de la convention internationale sur l'élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, la clause juridictionnelle en cause était celle de
l’article 22 de la Convention (CERD), qui dispose ce qui suit :
« Tout différend entre deux ou plusieurs États parties touchant
l'interprétation ou l'application de la présente Convention qui n'aura
pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures
expressément prévues par ladite Convention sera porté, à la requête
de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justice
pour qu'elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend
ne conviennent d'un autre mode de règlement ». [soulignement
ajouté]
86. Après examen de sa jurisprudence relative aux clauses juridictionnelles contenant une
formulation similaire, la Cour a conclu que :
« dans leur sens ordinaire, les termes de l’article 22 de la
Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale [...] établissent des conditions préalables qui
doivent être remplies avant la saisine de la Cour »76.
87. De manière similaire, dans Obligation d’extrader ou de poursuivre, la question
relative à la disposition juridictionnelle était contenue dans l’article 30, paragraphe 1, de la
Convention des Nations Unies contre la torture. Cette disposition, comme l’article 84 de la
Convention de Chicago, exige que, pour que la Cour puisse connaître d’un différend, celui-ci
doit être un différend qui « ne peut pas être réglé par voie de négociation ». L’article 30,
paragraphe 1, de la Convention contre la torture dispose que :
« Tout différend entre deux ou plus des États parties concernant
l'interprétation ou l'application de la présente Convention qui ne
peut pas être réglé par voie de négociation est soumis à l'arbitrage à
la demande de l'un d'entre eux. Si, dans les six mois qui suivent la
date de la demande d'arbitrage, les parties ne parviennent pas à se
mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage, l'une quelconque
d'entre elles peut soumettre le différend à la Cour internationale de
Justice en déposant une requête conformément au Statut de la
Cour ».
76 Application de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c.
Fédération de Russie), Exceptions préliminaires, Recueil de la CIJ 2011, p. 70, p. 128, paragraphe 141
- 48 -
32
88. Comme dans Application de la Convention internationale sur l'élimination de toutes
les formes de discrimination raciale, dans Obligation d’extrader ou de poursuivre, la Cour a
estimé que l’exigence de l’article 30, paragraphe 1, selon laquelle le différend « ne peut pas
être réglé par voie de négociation » constituait une condition préalable de sa juridiction. Après
avoir conclu qu’il existait un « différend » entre les parties, la Cour a décidé qu’il lui fallait
rechercher :
« les autres conditions qui doivent être réunies pour qu’elle ait
compétence au titre du paragraphe 1 de l’article 30 de la
Convention contre la torture [...]. Il s’agit de l’impossibilité de
régler le différend par voie de négociation et de l’impossibilité pour
les parties, après que l’une d’entre elles a formulé une demande
d’arbitrage, de se mettre d’accord sur l’organisation d’une telle
procédure dans les six mois qui suivent la date de ladite
demande. »77 [soulignement ajouté]
89. En conséquence, l’exigence de l’article 84 de la Convention de Chicago selon laquelle
le différend est tel qu’il « ne peut être réglé par voie de négociation » établit également une
condition préalable à l’exercice de la compétence du Conseil (et par ailleurs à la propre saisine
du Conseil par le demandeur).
90. En outre, tant en ce qui concerne le sens ordinaire des mots que la question de
l’autorité préalable, l’exigence selon laquelle un désaccord ou un différend « ne peut être réglé
par voie de négociation » implique nécessairement qu’il devait y avoir eu une « tentative
sincère » de régler le désaccord ou le différend par voie de négociation avant de le soumettre au
Conseil78.
91. Ainsi, dans son arrêt dans l’affaire Application de la convention internationale sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale sur les exceptions préliminaires
soulevées par la Fédération de Russie, la Cour a relevé que :
« Manifestement, dès lors qu’aucun élément ne démontre qu’une
véritable tentative de négocier a eu lieu, il ne saurait être satisfait à
la condition préalable de négociation. Néanmoins, lorsqu’il y a
tentative ou début de négociations, la jurisprudence de la présente
77 Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), recueil de la CIJ 20I2, p.422, p.
445, paragraphe 56.
78 Cf. Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), Mesures conservatoires, Ordonnance du 15 octobre 2008, Recueil de la CIJ 2008, p.
353, p. 388, paragraphe 114.
- 49 -
33
Cour et celle de la Cour permanente de Justice internationale
indiquent clairement qu’il n’est satisfait à la condition préalable de
tenir des négociations que lorsque celles-ci ont échoué, sont
devenues inutiles ou ont abouti à une impasse »79. [soulignement
ajouté]
92. L’exigence selon laquelle il devrait exister une « véritable tentative de négocier »
requiert également, nécessairement, que des tentatives de négociation aient en fait été réalisées.
Par exemple, dans Obligation d’extrader ou de poursuivre, après avoir cité des extraits de sa
décision de l’arrêt rendu dans l’affaire Application de la Convention internationale sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, reproduits aux paragraphes 91 cidessus
et 94 ci-dessous, la Cour notait que :
« L’exigence selon laquelle le différend “ne peut être réglé par voie
de négociation” ne pouvait pas être interprété comme faisant
référence à une impossibilité théorique d’aboutir à un règlement.
Cela implique plutôt que, comme la Cour le faisait observer pour
une disposition formulée de manière similaire, « qu’il n’existe pas
de probabilité raisonnable que d’autres négociations déboucheraient
sur un règlement », Affaires du Sud-ouest africain (Éthiopie c.
Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), Exceptions
préliminaires, Arrêt, Recueil 1962 de la CIJ, p. 345) »80
[soulignement ajouté].
93. En outre, l’article 84 de la Convention de Chicago exige que des négociations soient
tentées en vue de « régler » le désaccord. Ainsi, selon des termes clairs, l’article 84 impose à la
partie plaignante une obligation concrète de tenter de mener des négociations en vue de régler
le différend avant de le soumettre au Conseil.
94. Dans l’affaire Application de la Convention internationale sur l'élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, la CIJ a également fourni des orientations quant
aux caractéristiques des négociations aux fins de la « condition préalable de négociation »
prévue à l’article 22 de la CERD. Elle expliquait :
79 Application de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c.
Fédération de Russie), Exceptions préliminaires, Recueil de la CIJ 2011, p. 70, p. 133, paragraphe 159 ; voir aussi
Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), recueil de la CIJ 20I2, p.422, p.
445-446, paragraphe 57 ; Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), Mesures conservatoires, Ordonnance du 19 avril 2017,
paragraphe 43.
80 Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), recueil de la CIJ 20I2,
p.422, p. 446, paragraphe 57.
- 50 -
34
« En déterminant en quoi constituent les négociations, la Cour
relève que les négociations se distinguent des simples protestations
ou contestations. Les négociations impliquent davantage que la
simple opposition de points de vue juridiques ou d’intérêts entre
deux parties ou l’existence d’une série d’accusations et de
réfutations, voire l’échange de revendications et de contrerevendications.
En tant que tel, le concept de « négociations »
diffère du concept de « différend » et requiert, tout au moins, une
tentative sincère par l’une des parties au différend de participer à
des discussions avec l’autre partie au différend, en vue de résoudre
celui-ci »81. [soulignement ajouté]
95. Comme l’a également indiqué clairement la CIJ, afin de satisfaire à la « condition
préalable de négociation », les négociations doivent au moins avoir été tentées, doivent
concerner directement le désaccord entre les deux États soumis à l’arbitrage et doivent en
particulier avoir examiné (ou à tout le moins avoir tenté d’examiner) la question spécifique de
l’interprétation ou de l’application du traité qui suscite le différend entre les parties. Comme l’a
expliqué la CIJ dans l’affaire Application de la Convention internationale sur l'élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, en ce qui concerne l’article 22 de la CERD :
« […] pour que soit remplie la condition préalable de négociation
prévue par cette clause, ladite négociation doit porter sur l’objet de
l’instrument qui la renferme. En d’autres termes, elle doit concerner
l’objet du différend, qui doit lui-même se rapporter aux obligations
de fond prévues par l’instrument en question »82.
96. Dans cette affaire, des négociations préalables s’étaient tenues entre les parties, mais
pas sur la question visée par la CERD. La Cour a jugé que ces négociations ne suffisaient pas
pour constituer des négociations aux fins de la convention. A fortiori, une omission complète de
même tenter d’engager des négociations ne saurait satisfaire à la condition préalable prévue par
la Convention de Chicago.
97. Les propres décisions antérieures du Conseil reconnaissent qu’une tentative d’entamer
des négociations constitue une condition préalable à l’existence de sa juridiction et que toute
81 Application de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c.
Fédération de Russie), Exceptions préliminaires, Recueil de la CIJ 2011, p. 70, p. 132, paragraphe 57 ; voir aussi
Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), recueil de la CIJ 20I2, p.422, p.
446, paragraphe 57 ; Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), Mesures conservatoires, Ordonnance du 19 avril 2017, paragraphe 43
82 Application de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c.
Fédération de Russie), Exceptions préliminaires, Recueil de la CIJ 2011, p. 70, p. 133, paragraphe 161; Application de la
convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de
Russie), Mesures conservatoires, Ordonnance du 19 avril 2017, paragraphe 43.
- 51 -
35
omission de satisfaire à cette condition préalable est une question qui peut à juste titre être
soulevée au moyen d’une exception préliminaire et qui aura une incidence sur sa compétence.
Par exemple, dans États-Unis c. 15 États européens, le Conseil, en rejetant l’exception
préliminaire des États défendeurs au motif d’une inadéquation présumée des négociations, a
jugé que :
« les négociations entre les parties, qui se sont tenues sur une
période de trois ans à différents niveaux, ont été adéquates et
suffisantes pour satisfaire aux exigences de l’article 84 de la
Convention relative à l’aviation civile internationale »83.
98. En outre, les exigences de l’article 84 sont indiquées comme une exigence de
procédure à l’article 2, alinéa g) du Règlement. Conformément à l’article 2, alinéa g), une
requête et un mémoire doivent comprendre « une déclaration attestant que des négociations ont
eu lieu entre les parties pour régler le désaccord, mais qu'elles n'ont pas abouti ».
99. L’article 2, alinéa g) exige du demandeur qu’il affirme que des négociations ont eu
lieu. Une déclaration reconnaissant que des négociations n’ont simplement pas été tentées ne
peut satisfaire à l’exigence de procédure de l’article 2, alinéa g), car une telle reconnaissance ne
constitue tout simplement pas « [une] déclaration attestant que des négociations ont eu lieu
entre les parties pour régler le désaccord, mais qu'elles n'ont pas abouti ». Une telle déclaration
constitue plutôt une reconnaissance de la situation contraire, à savoir que des négociations en
vue de régler le désaccord n’ont pas eu lieu entre les parties.
B. Le Qatar n’a pas rempli la condition préalable de négociations
100. Comme il a été mentionné dans la section précédente, l'article 84 de la Convention de
Chicago impose au demandeur de tenter sincèrement de résoudre le désaccord par
l’intermédiaire de négociations comme condition préalable à l’existence de la juridiction du
Conseil.
101. Le Conseil lui-même a demandé la tenue de négociations entre les parties lors de sa
session extraordinaire du 31 juillet 2017. En dépit de la décision du Conseil, le demandeur n’a
pas engagé ces négociations.
83 Décision du Conseil de l’OACI sur l’exception préliminaire dans l’affaire « États-Unis et 15 États européens (2000) »,
16 novembre 2000.
- 52 -
36
102. Le Qatar n’a pas tenté d’entamer des négociations au sujet de la question visée par les
désaccords qu’il était censé soumettre au Conseil. En conséquence, il n’a pas satisfait à la
condition nécessaire de négociations préalables prévue à l’article 84 de la Convention de
Chicago, avec pour conséquence que le Conseil se trouve dépourvu de compétence. Pour des
raisons similaires, le Qatar n’a pas non plus satisfait à l’exigence de procédure de l’article 2,
alinéa g) du Règlement d’inclure, dans sa requête A et son mémoire, une déclaration selon
laquelle des négociations visant à régler le désaccord avaient eu lieu entre les parties mais
n’avaient pas abouti.
103. Étant donné que le Qatar n’a même pas tenté d’entamer des négociations, la
question de savoir si ces négociations auraient pu ou non régler le désaccord ne se pose pas en
l’espèce.
104. Dans son mémoire accompagnant la requête A, le Qatar affirme les éléments suivants
sous le titre « Une déclaration de tentative de négociations » :
« Les défendeurs n’ont donné aucune occasion d’entreprendre des
négociations relativement aux aspects aéronautiques des mesures
hostiles qu’ils ont prises à l’encontre de l’État du Qatar. À maintes
reprises, ils ont lancé un ultimatum à l’État du Qatar sur des
questions sans lien aucun avec la navigation aérienne et le transport
aérien. Les dernières communications ont été échangées au cours
de conférences téléphoniques avec des fonctionnaires des
défendeurs les 5 et 6 juin 2017 qui n’ont permis aucun
rapprochement. En fait, la crise s’est envenimée graduellement
lorsque les défendeurs ont déclaré que tous les ressortissants et
résidents d’origine qatarienne sur leurs territoires étaient
« indésirables » (persona non grata) et leur ont ordonné de quitter
les territoires des défendeurs dans un délai de 14 jours. La rupture
des relations diplomatiques rend futile tout effort de
négociation »84.
105. Par sa déclaration claire et sincère, le Qatar n’a pas satisfait à la condition
juridictionnelle de négociations préalables en vertu de l’article 84 de la Convention de
Chicago. Le Qatar ajoute en outre que des négociations auraient été futiles. Il s’agit là d’une
déclaration intéressée. Une telle allégation du Qatar ne peut être examinée sans qu’il ait à tout
le moins tenté d’entamer des négociations.
84 Mémoire déposé par l’État du Qatar à la requête A de l’État du Qatar au sujet du désaccord sur l’interprétation et
l’application de la Convention relative à l’aviation civile internationale (Chicago, 1944) et de ses Annexes, datée du 30
octobre 2017, p. 7.
- 53 -
37
106. Toutefois, le Qatar ne mentionne aucune tentative de sa part de demander la tenue de
négociations conformément à l’article 84 de la Convention de Chicago et n’a fourni aucune
preuve d’aucune sorte qu’il avait tenté d’engager de telles négociations.
107. La mention par le Qatar dans son mémoire selon laquelle « des communications ont
été échangées au cours de conférences téléphoniques avec des fonctionnaires des défendeurs
les 5 et 6 juin 2017 qui n’ont permis aucun rapprochement » ne satisfait pas à la condition
préalable de négociations pour les motifs suivants :
a) Comme indiqué au paragraphe 93 ci-dessus, l’article 84 de la Convention de
Chicago requiert que les négociations portent sur les questions juridiques de
l’interprétation et de l’application séparant les parties. Le Qatar évoque une
conférence téléphonique avec des fonctionnaires des défendeurs les 5 et 6 juin
2017, mais ne désigne pas les fonctionnaires concernés ou l’objet ou le contenu de
la prétendue conférence téléphonique. Il incombe au Qatar de montrer que la
conférence téléphonique a constitué des négociations et examiné les questions qui
fondent les plaintes du Qatar liées au désaccord entre les États contractants
soulevées par le Qatar dans sa requête et son mémoire. Le Qatar n’a pas satisfait à
cette charge. Les défendeurs n’ont pas connaissance de conférences téléphoniques
entre les défendeurs et le Qatar les 5 ou 6 juin 2017. Les défendeurs ont
connaissance d’un appel d’ordre technique réalisé le 13 juin 2017, dans lequel des
précisions ont été apportées par l’ATC des Émirats arabes unis à l’ATC du Qatar
sur l’étendue territoriale des NOTAM émis par les Émirats arabes unis. [Voir
Transcription des conversations téléphoniques, pièce justificative 23] L’appel
téléphonique d’ordre technique réalisé le 13 juin 2017 ne répond pas aux critères
d’une tentative de « négociation » et, par conséquent, ne satisfait pas à l’exigence
de l’article 84.
b) En outre, la « conférence téléphonique avec des fonctionnaires les 5 et 6 juin
2017 » que le Qatar évoque85 ne serait ni « adéquate » ni « suffisante » aux fins de
la condition de négociations préalables en vertu de la Convention de Chicago. Un
tel appel, à supposer qu’il ait même existé, contrasterait fortement avec les
discussions et négociations extrêmement longues, s’étendant sur une période de
85 Voir id.
- 54 -
38
trois ans, qui se sont tenues dans le cadre du différend entre les États-Unis et les
quinze États européens. Si, dans cette affaire, le Conseil a constaté que « les
négociations entre les parties, qui se sont tenues sur une période de trois ans à
différents niveaux, ont été adéquates et suffisantes pour satisfaire aux exigences de
l’article 84 de la Convention relative à l’aviation civile internationale »86, l’appel
décrit par le Qatar, même s’il a eu lieu, ne concernerait que deux jours, et le Qatar
n’affirme pas que cet appel portait sur des négociations.
108. Le Conseil devrait également rejeter la tentative du Qatar d’éviter l’exigence de
négociations préalables lorsqu’il affirme que ces négociations auraient été futiles. Cet
argument devrait être rejeté pour les motifs suivants :
a) Premièrement, la déclaration du Qatar selon laquelle « […] la rupture des relations
diplomatiques rend futile tout nouvel effort de négociation » [soulignement ajouté]
est trompeuse. Le Qatar n’a consenti aucun effort pour entamer des négociations.
b) Deuxièmement, la tentative du Qatar de justifier son omission d’engager des
négociations au motif de la rupture des relations diplomatiques n’est pas
convaincant. La rupture de négociations diplomatiques n’empêche pas d'engager
des négociations et ne constitue pas en elle-même une excuse valable pour justifier
l’omission d’engager des négociations. Au contraire, l’article 63 de la Convention
de Vienne sur le droit des traités dispose que « […] la rupture des relations
diplomatiques ou consulaires entre parties à un traité est sans effet sur les relations
juridiques établies entre elles par le traité ». En conséquence, le Qatar demeurait
lié par l’exigence de réaliser un effort sincère en vue de tenter de régler le
désaccord par voie de négociation avant de le soumettre au Conseil.
c) Troisièmement, l’objet de la condition de négociations préalables énoncée à
l’article 84 de la Convention de Chicago deviendrait inexécutable si un demandeur
était autorisé à déclarer unilatéralement que les négociations seraient futiles avant
même d’avoir tenté de les entamer. Au contraire, une affirmation selon laquelle
des négociations seraient futiles devrait, à tout le moins, se fonder sur des éléments
indiquant clairement qu’une « véritable tentative de négocier » a été réalisée pour
86 Décision du Conseil de l’OACI sur les exceptions préliminaires dans l’instance « États-Unis et 15 États
européens(2000) », 16 novembre 2000.
- 55 -
39
engager des négociations. S’il en était autrement, l’exigence d’entamer des
négociations serait aisément contournée.
d) Quatrièmement, l’affirmation du Qatar selon laquelle des négociations seraient
futiles ne peut se fonder sur tout rejet ou refus explicite ou implicite de négocier de
la part des défendeurs. Aucune tentative n’a été réalisée par le Qatar pour engager
des négociations; il ne peut dès lors être affirmé qu’elles auraient été futiles.
e) Cinquièmement, le recours du Qatar au présumé « ultimatum à l’État du Qatar sur
des questions sans lien aucun avec la navigation aérienne et le transport aérien »
n’appuie pas non plus son affirmation selon laquelle il aurait satisfait, ou n’aurait
pas à satisfaire, à l’exigence de négociations préalables prévue à l’article 84 de la
Convention de Chicago. Il est malaisé de déterminer si le terme « ultimatum » est
utilisé par rapport aux exigences légitimes formulées par les défendeurs, avant de
recourir aux contre-mesures, en vue que le Qatar réponde à ses obligations de
cesser de soutenir le terrorisme et de s’ingérer dans les affaires intérieures de ses
voisins, ou pour d’autres circonstances. Toutefois, le fait que les défendeurs se
soient efforcés d’obtenir du Qatar qu’il satisfasse à ses obligations internationales
n’exonère en rien le Qatar de l’exigence claire, au titre de la Convention de
Chicago, de tenter d’entamer des négociations avant de soumettre un différend au
Conseil. Tandis que le Qatar ne fait rien pour défendre sa position selon laquelle il
a satisfait à la condition préalable de négociations en vertu de l’article 84 de la
Convention de Chicago, il souligne simplement la position des défendeurs, comme
expliquée à la section V.C ci-dessus, que le véritable objet du différend entre les
parties ne relève pas de la compétence du Conseil.
f) Enfin, les allégations non fondées du Qatar au sujet des mesures prises en ce qui
concerne les citoyens qataris sont également vaines. Elles n’appuient en rien la
position du Qatar selon laquelle des négociations concernant le prétendu désaccord
relatif à la Convention de Chicago étaient impossibles ou auraient nécessairement
été futiles.
109. En bref, le Qatar reconnaît explicitement qu’il n’a pas tenté d’entamer de négociations
avec les défendeurs avant de soumettre sa requête au Conseil.
- 56 -
40
110. En résumé, le Qatar n’a pas réussi à établir qu’il avait tenté de négocier avec les
défendeurs avant de soumettre le désaccord au Conseil. En outre, en l’absence de toute
tentative de négociation, il ne peut être établi que des négociations n’auraient pas abouti au
règlement du différend.
111. En l’espèce, le Conseil doit conclure que le Qatar n’a pas satisfait à la condition
préalable de négociations prévue par l’article 84 de la Convention et n’a pas satisfait à l’article
2, alinéa g) du Règlement et doit décider qu’il n’a pas compétence pour statuer sur les plaintes
du Qatar. En revanche, dans le cas où le Conseil ne parviendrait pas à cette conclusion, il est
demandé au Conseil de conclure à l’irrecevabilité des plaintes du Qatar.
VII. DEMANDES DE RÉPARATION
112. Pour les motifs qui précèdent, les défendeurs prient le Conseil d’accepter leurs
exceptions préliminaires et décident par conséquent :
a) qu’il n’a pas compétence pour statuer sur les plaintes soulevées par
le Qatar dans sa requête A ; ou
b) que les plaintes du Qatar sont irrecevables.
113. Les défendeurs se réservent le droit de déposer un mémoire en réponse à toute
déclaration écrite du Qatar en réponse aux présentes exceptions préliminaires.
- 57 -
ANNEXE 25
RÉPONSE DE L’ETAT DU QATAR AUX EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DES DÉFENDEURS AU SUJET
DE LA REQUÊTE A DE L’ETAT DU QATAR RELATIVE AU DÉSACCORD À PROPOS
DE L’INTERPRÉTATION ET DE L’APPLICATION DE LA CONVENTION
RELATIVE À L’AVIATION CIVILE INTERNATIONALE
(CHICAGO, 1944) ET DE SES ANNEXES,
30 AVRIL 2018 [EXTRAIT]
- 58 -
ii
Devant le Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI)
En vertu du Règlement pour la solution des différends (Document 7782/2) de l’OACI
RÉPONSE DE L’ÉTAT DU QATAR
AUX EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
DES DÉFENDEURS
Au sujet de la requête (A) de l’État du Qatar relative au
désaccord à propos de l’interprétation et de l’application de
la Convention relative à l’aviation civile internationale (Chicago, 1944)
et de ses annexes
Montréal
30 avril 2018
Essa Abdulla Al-Malki
Agent de l’État du Qatar
- 59 -
iii
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ ANALYTIQUE ...............................................................................................................................
iiii
INTRODUCTION ...............................................................................................................................................1
OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LA SOUVERAINETÉ….....................................................................1
JURIDICTION ET AFFAIRES SIMILAIRES PORTÉES DEVANT LE CONSEIL.........................................1
LE CONSEIL EXERCE-T-IL UNE COMPÉTENCE JUDICIAIRE OU QUASI JUDICIAIRE ?....................3
COMPÉTENCE, RECEVABILITÉ ET FOND...................................................................................................4
LE CONSEIL NE DEVRAIT PAS STATUER SUR LA RECEVABILITÉ AU STADE DE
L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE .....................................................................................................................6
L’EXAMEN DES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES NE DEVRAIT PAS ABORDER LE FOND.................7
ALLÉGATION SELON LAQUELLE DES « QUESTIONS PLUS LARGES » SUPPRIMENT LA
COMPÉTENCE DU CONSEIL OU ENTRAÎNENT L’IRRECEVABILITÉ DE L’AFFAIRE.........................9
« PRINCIPE DE SPÉCIALITÉ »…...................................................................................................................15
APPEL RELATIF À LA JURIDICTION DU CONSEIL DE L’OACI (Inde c. Pakistan, 1972).....................21
CONTRE-MESURES........................................................................................................................................23
NÉGOCIATIONS …………………………………………………………………….…................................26
a) Article 2, alinéa g) du Règlement …………………………………………............................................26
b) Contenu de l’obligation de négocier...…………………………..............................................................28
c) Date à laquelle la condition de négociation doit être remplie...................................................................30
d) Durée des négociations.............................................................................................................................32
e) Autres aspects relatifs aux négociations...................................................................................................33
f) Examen et négociations dans le cadre de l’OACI....................................................................................34
g) Demande de consultations dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce..............................38
h) Autres négociations ou tentatives de négociation....................................................................................39
i) Résumé des négociations.........................................................................................................................57
Observations finales sur les négociations...........................................................................................................59
CONCLUSIONS DE L’ÉTAT DU QATAR.....................................................................................................59
- 60 -
iv
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
Dans l’exercice de leur souveraineté, les États sont devenus parties à la Convention de
Chicago et sont liés par ses dispositions. L’une de ces dispositions est l’article 5, par lequel chaque
État contractant convient que tous les aéronefs des autres États contractants qui n’assurent pas de
services aériens internationaux réguliers ont le droit de pénétrer sur son territoire, de le traverser en
transit sans escale et d’y faire des escales non commerciales. L’article 84 est une autre de ces
dispositions. En vertu de cet article, le Conseil peut se déclarer compétent pour statuer sur un
désaccord dès lors que celui-ci porte sur l’interprétation ou l’application de la Convention de
Chicago et de ses Annexes. Ce désaccord ne peut être réglé par voie de négociation􀯗; il n’existe pas
d’autres restrictions, contrairement à ce que soutiennent les défendeurs.
Il existe une distinction claire en droit entre la juridiction, la recevabilité et le fond d’une
affaire. Le Règlement pour la solution des différends de l’OACI ne confère pas au Conseil l’autorité
d’examiner des questions de recevabilité au stade des exceptions préliminaires. Tous les arguments
des défendeurs relatifs à la recevabilité devraient être rejetés à ce stade.
L’examen des exceptions préliminaires, en droit, ne doit pas porter sur le fond de l’affaire􀯗;
il s’agit là d’une règle qui s’impose au Conseil ainsi qu’aux défendeurs. Malheureusement, les
défendeurs n’ont pas tenu compte de cette obligation, ils soulèvent des questions et présentent des
annexes extrêmement préjudiciables qui portent sur le fond de l’affaire et ne devraient pas être
examinées au stade des exceptions préliminaires.
L’allégation selon laquelle le Conseil n’est pas compétent et la plainte du Qatar est
irrecevable parce qu’il existe des questions ou un différend de portée plus large est manifestement
erronée en droit. La Cour internationale de justice (CIJ) a systématiquement rejeté les allégations
similaires qui lui ont été présentées. Le différend porté devant le Conseil porte sur les violations de
la Convention de Chicago et de ses Annexes par les défendeurs.
Les arguments relatifs au « principe de spécialité » soulevés par les défendeurs ne relèvent
pas de la compétence du Conseil et ne devraient pas être examinés au stade des exceptions
préliminaires. Par ailleurs, le Conseil, en indiquant lors de sa session extraordinaire du 31 juillet
2017 qu’il existait des questions plus larges, ne déclarait ni ne pouvait déclarer qu’il ne serait pas
compétent au titre de l’article 84 au motif qu’il existe d’autres instances dans lesquelles d’autres
aspects pourraient être éventuellement examinés. Enfin, ce « principe » ne peut s’appliquer pour
empêcher le Conseil de connaître de la présente affaire. La CIJ ne s’est jamais abstenue d’examiner
une question lorsque les aspects juridiques s’inscrivent dans le cadre de différends politiques plus
larges entre États ni lorsque certaines questions font, ou pourraient faire l’objet d’un examen
simultané dans d’autres instances. La déclaration de la CIJ citée par les défendeurs à l’appui de leur
allégation a été faite de manière incidente, c’est-à-dire qu’elle ne présentait pas d’intérêt pour
répondre à la question soumise à la Cour et que son poids juridique en est par conséquent amoindri.
Elle a par ailleurs été critiquée de façon très convaincante par un juge dans l’affaire et par les
milieux universitaires et ne prend pas en considération les chevauchements des matières traitées par
les agences spécialisées dans leurs actes constitutifs et leur pratique. Il n’existe pas de « principe de
spécialité » qui empêcherait le Conseil de se déclarer compétent ou entraînerait l’irrecevabilité des
plaintes du Qatar au moment opportun pour cette décision. La conclusion logique découlant de
- 61 -
v
l’argument des défendeurs est qu’il serait impossible pour quelque instance que ce soit de connaître
des griefs du Qatar.
Tous les arguments avancés par les défendeurs ont déjà été rejetés dans une précédente
affaire (Inde c. Pakistan, 1972), abstraction faite de la question des négociations. La CIJ a déclaré
que le Conseil ne pouvait être privé de compétence « du seul fait que des données extérieures aux
Traités pourraient être invoquées, dès lors que, de toute façon, des questions relatives à
l’interprétation ou à l’application de ceux-ci entrent en jeu » et que « le fait qu’une défense au fond
se présente d’une certaine manière ne peut porter atteinte à la compétence du tribunal ou de tout
autre organe en cause􀯗; sinon les parties seraient en mesure de déterminer elles-mêmes cette
compétence, ce qui serait inadmissible ». La CIJ a ajouté que la « compétence [du Conseil] dépend
nécessairement du caractère du litige soumis au Conseil et des points soulevés, mais non pas des
moyens de défense au fond ou d’autres considérations qui ne deviendraient pertinentes qu’une fois
tranchés les problèmes juridictionnels ».
Les questions relatives aux contre-mesures et à leur validité ou autres relèvent du fond
d’une affaire. Les arguments soulevés et les annexes soumises par les défendeurs à cet égard
relèvent du fond et ne devraient pas être pris en considération par le Conseil à ce stade. Le Qatar ne
les aborde pas maintenant mais le fera au stade approprié. Il présentera une défense solide en droit
et en fait, qui démontrera que les actions des défendeurs ne sont pas légitimes à titre de contremesures
ni à tous autres égards en droit international.
En résumé, abstraction faite de la question des négociations, toute l’argumentation des
défendeurs repose sur un échafaudage qui n’existe ni en droit ni en fait.
Quant aux négociations, les plaidoiries n’étant pas closes, le Qatar présente la déclaration
formelle requise par l’article 2, alinéa g) du Règlement pour la solution des différends. Il soumet par
ailleurs un certain nombre d’annexes et d’arguments supplémentaires.
Lors des négociations ou tentatives de négociation entre les parties, qui ont eu lieu au sein
de l’OACI, le Qatar a expressément mentionné les violations de la Convention de Chicago et de ses
Annexes. Le Qatar a demandé la tenue de consultations au sein de l’OMC avec les trois défendeurs
en ce qui concerne notamment le fait que les aéronefs immatriculés au Qatar ne sont pas autorisés à
survoler leur espace aérien ou à atterrir sur leur territoire.
Outre ces tentatives, le Qatar a demandé à de nombreuses reprises la tenue de négociations
avec les défendeurs. L’Émir du Koweït a dès le départ tenté de jouer un rôle de médiateur, mais ses
initiatives n’ont pas permis de déboucher sur une solution􀯗; les États-Unis ont déployé des efforts
importants pour parvenir à une solution acceptable, mais sans succès. Les défendeurs ont dressé une
liste de 13 exigences non négociables, à laquelle ils ont ensuite ajouté six principes. Un appel
téléphonique entre l’Émir du Qatar et le Prince héritier d’Arabie saoudite a entraîné un différend
quant au contenu de la conversation, après quoi l’Arabie saoudite a déclaré que « tout dialogue ou
communication avec l’autorité du Qatar est suspendu ». Tous ces efforts ont échoué : les défendeurs
ont continué de violer la Convention de Chicago et ses Annexes pendant près de cinq mois avant
que le Qatar ne dépose sa requête auprès de l’OACI et pendant onze mois avant le dépôt de la
présente réponse.
- 62 -
vi
Les négociations sont manifestement futiles ou les parties se trouvent dans une impasse. Le
désaccord ne peut par conséquent pas être réglé par voie de négociation, et le Conseil est compétent
en vertu de l’article 84 de la Convention de Chicago.
- 63 -
1
INTRODUCTION
1. Dans une lettre datée du 21 octobre 2017 et reçue le 30 octobre 2017, l’État du Qatar a
présenté à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) la requête A et le mémoire
relatif à un désaccord à propos de l’interprétation et de l’application de la Convention relative à
l’aviation civile internationale (Chicago, 1944) et de ses Annexes. Les défendeurs sont : la
République arabe d’Égypte, le Royaume de Bahreïn, le Royaume d’Arabie saoudite et les Émirats
arabes unis.
2. Dans une lettre datée du 19 mars 2018, les défendeurs ont présenté à l’OACI des exceptions
préliminaires. Lesdites exceptions préliminaires ont été reçues par l’État du Qatar le 21 mars 2018.
L’État du Qatar a disposé de six semaines pour présenter ses observations.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LA SOUVERAINETÉ
3. L’une des caractéristiques essentielles de la souveraineté est que les États peuvent librement
convenir de limiter celle-ci􀯗; cela peut se faire, par exemple, sous la forme du consentement à être
lié par des traités bilatéraux ou multilatéraux. Les parties au présent désaccord ont, dans l’exercice
de leur souveraineté, accepté des droits et obligations au titre de la Convention de Chicago.
4. Ces droits et obligations comprennent un certain nombre de clauses, que les défendeurs ont
violées, comme indiqué dans la requête et le mémoire de l’État du Qatar. Bien que l’article premier
de la Convention reconnaisse le principe général de la souveraineté d’un État sur son espace aérien,
chaque État contractant a volontairement convenu, par exemple, en vertu de l’article 5, que les
aéronefs des autres États contractants ont le droit de pénétrer sur son territoire, de le traverser en
transit sans escale et d’y faire des escales non commerciales sans avoir à obtenir une autorisation
préalable.
JURIDICTION ET AFFAIRES SIMILAIRES PORTÉES DEVANT LE CONSEIL
5. L’une des dispositions que les États contractants ont acceptées est l’article 84, selon lequel
il appartient au Conseil de statuer en cas de désaccord entre deux ou plusieurs États contractants à
propos de l’interprétation ou de l’application de la Convention et de ses Annexes. C’est là tout ce
qui est requis pour que le Conseil se déclare compétent, qu’il existe un désaccord entre deux
ou plusieurs États contractants à propos de l’interprétation ou de l’application de la
Convention de Chicago et de ses Annexes qui ne peut être réglé par voie de négociation. Le
- 64 -
2

simple énoncé de cette clause compromissoire n’est limité par aucune autre considération,
contrairement à ce que prétendent les défendeurs. Ce que l’État du Qatar demande est que le
Conseil statue précisément sur ce que la Convention de Chicago lui impose, rien de plus et rien de
moins.
6. Il s’agit ici de la septième affaire portée devant le Conseil au titre de l’article 84 et la
quatrième à concerner un refus des droits de survol et/ou d’atterrissage contraire à la Convention de
Chicago.
7. Dans la première de ces affaires, Inde c. Pakistan (1972), l’Inde a allégué que le Pakistan
avait violé les articles 5 et 9 de la Convention de Chicago et l’Accord relatif au transit des services
aériens internationaux. Comme le fait observer le Dr M. Milde « Il doit avoir été clair pour le
Conseil qu’il n’était pas placé devant un simple problème aéronautique, mais devant une question
résultant de relations politiques tendues entre l’Inde et le Pakistan »1. À cette époque, le Conseil ne
disposait pas d’un règlement pour la solution des différends et, lorsque ce règlement a été établi, le
désaccord avait été réglé.
8. Dans l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI, le Pakistan a fait appel en
vertu de l’article 84 de la Convention de Chicago et de l’article II, section 2 de l’Accord relatif au
transit des services aériens internationaux après la suspension par l’Inde des survols de son territoire
par des aéronefs pakistanais le 4 février 1971. Le Pakistan a allégué une violation de l’article 5 de la
Convention de Chicago et de l’article premier, section 1 de l’Accord relatif au transit des services
aériens internationaux. L’Inde a contesté la juridiction du Conseil. Le Conseil s’étant déclaré
compétent, l’Inde a fait appel auprès de la Cour internationale de justice (CIJ), qui a confirmé la
juridiction du Conseil (Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI, arrêt, Recueil CIJ,
1972, point 46).
9. Cuba c. États-Unis (1996) est la troisième affaire portant sur un refus des droits de survol.
Cuba a allégué des violations, entre autres, de l’article 5 de la Convention de Chicago et de l’article
premier, section 1 de l’Accord relatif au transit des services aériens internationaux. Aucune
exception préliminaire n’a été déposée, et le Conseil s’est déclaré compétent.
10. Comme l’illustrent les éléments ci-dessus, dans chacune des affaires précédentes portant
sur des violations alléguées de la Convention de Chicago, le Conseil s’est déclaré compétent.
En fait, le Conseil n’a jamais refusé d’exercer sa compétence dans une affaire portée devant
lui.
1 M. Milde, International Air Law and ICAO (3e éd.), Eleven International Publishing (2016), p. 205.
- 65 -
3
LE CONSEIL EXERCE-T-IL UNE COMPÉTENCE JUDICIAIRE OU QUASI JUDICIAIRE􀯗?
11. Les défendeurs ont consacré une énergie considérable pour défendre la thèse selon laquelle
le Conseil, lorsqu’il agit en vertu de l’article 84, exerce les fonctions d’un organe judiciaire et
devrait s’inspirer des règles et principes du droit international, ajoutant qu’en « particulier, les
principes établis par la Cour internationale de justice à ce sujet, ainsi que les propres décisions
antérieures du Conseil, devraient être pris en considération. » (point 16 des exceptions
préliminaires). En effet, les défendeurs ont largement recours à la jurisprudence de la CIJ et des
tribunaux.
12. Des points de vue opposés existent également quant à la qualité en laquelle le Conseil agit.
13. Dans l’affaire États-Unis et 15 États européens (2000), les 15 États européens, dans leurs
exceptions préliminaires, ont qualifié le Conseil d’organe exerçant un rôle d’« arbitrage quasi
judiciaire »2. Le juge Lachs de la CIJ a également décrit le Conseil comme assumant « des
fonctions quasi judiciaires » (Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI, arrêt, Recueil
CIJ, 1972, point 46 à la page 74)3.
2 Annexe au mémoire SG/1670/00 du 17 août 2000, paragraphe 11.
3 M. Milde fait observer :
« Que le Règlement pour la solution des différends soit ou non le plus approprié pour le Conseil de l’OACI
est une question d’opinion. Ce règlement a été élaboré en étroite concordance avec le Règlement [de la CIJ],
ce qui peut poser un problème. Le Règlement de la CIJ est un ensemble de règles établies à l’intention d’un
organe véritablement judiciaire composé de juges indépendants et (dans un certain sens) impartiaux, liés par
leur serment professionnel et tenus de respecter le droit international et de suivre leur conscience. Telle n’est
pas la situation du Conseil [...] Les « membres 􀂪􀀃􀁇􀁘􀀃􀀦􀁒􀁑􀁖􀁈􀁌􀁏􀀃􀁖􀁒􀁑􀁗􀀃􀁇􀁈􀁖􀀃􀁥􀁗􀁄􀁗􀁖􀀃􀁖􀁒􀁘􀁙􀁈􀁕􀁄􀁌􀁑􀁖􀀃􀀾􀀑􀀑􀀑􀁀􀯗􀀞􀀃􀁏􀁈􀁘􀁕􀁖􀀃􀁕􀁈􀁓􀁕􀁰􀁖􀁈􀁑􀁗􀁄􀁑􀁗􀁖􀀃
ne sont pas des individus indépendants agissant à titre personnel, mais des agents diplomatiques de leurs États
respectifs qui sont tenus de suivre les instructions reçues de leurs États. Il n’y a pas de « détachement
judiciaire » [...] et le Conseil ne peut être comparé à la [CIJ].
[...]
Certains commentateurs ont affirmé que le Conseil de l’OACI dispose d’un pouvoir véritablement
judiciaire [...]
[Ce point de vue] ne peut être partagé car il néglige non seulement le libellé de la Convention, mais
aussi les réalités du fonctionnement des organisations internationales, y compris celles qui sont propres à
l’OACI [...]
[...] Étant donné que le Conseil est un organe décisionnel composé d’États, la procédure de règlement des
différends [...] n’est pas et ne peut être une juridiction internationale fondée sur le droit international, mais
constitue plutôt une sorte d’« arbitrage international qualifié » [...], d’« arbitrage diplomatique » mené par des
États souverains. Leur décision peut se fonder sur des considérations politiques ou d’équité, plutôt que sur des
règles juridiques strictes.
- 66 -
4
14. Néanmoins, l’État du Qatar ne pense pas qu’il soit nécessaire de déterminer si le Conseil,
lorsqu’il exerce des fonctions au titre de l’article 84, agit dans l’exercice de pouvoirs judiciaires ou
quasi judiciaires, ou d’examiner quelle différence cela impliquerait dans la pratique.
COMPÉTENCE, RECEVABILITÉ ET FOND
15. Les défendeurs soutiennent que le Conseil n’est pas compétent pour examiner l’affaire, ou
bien que les plaintes sont irrecevables. La juridiction et la recevabilité sont deux concepts
différents en droit. Les défendeurs amalgament ces deux aspects. Au stade de l’exception
préliminaire, ce qui incombe au Conseil, comme mentionné ci-dessus, est de déterminer s’il existe
un désaccord à propos de l’interprétation ou de l’application de la Convention de Chicago et de ses
Annexes qui ne peut être réglé par voie de négociation. Le Règlement pour la solution des
différends dispose à l’article 5, paragraphe 1, que le défendeur qui excipe de l’incompétence
du Conseil à connaître de l’affaire soumise doit soulever une exception préliminaire. Cette
disposition prévoit que les exceptions préliminaires ne portent que sur la compétence. Elle
n’autorise pas d’exceptions préliminaires quant à la recevabilité. À cet égard, le Règlement
pour la solution des différends diffère du Règlement de la Cour (CIJ), qui dispose à la section D,
sous-section 2 : Exceptions préliminaires, article 79 :
« 1. Toute exception à la compétence de la Cour ou à la recevabilité de la requête ou toute
autre exception sur laquelle le défendeur demande une décision avant que la procédure sur
le fond se poursuive doit être présentée par écrit dès que possible.
2. [...] Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, la Cour peut décider qu’il est statué
séparément sur toute question de compétence et de recevabilité.
[...]
9. La Cour, après avoir entendu les parties, statue dans un arrêt par lequel elle retient
l’exception, la rejette ou déclare que cette exception n’a pas dans les circonstances de
l’espèce un caractère exclusivement préliminaire. Si la Cour rejette l’exception ou déclare
qu’elle n’a pas un caractère exclusivement préliminaire, elle fixe les délais pour la suite de
la procédure ».
16. La compétence se ramène à la question de savoir si le Conseil a l’autorité juridique (en
l’espèce, en vertu de l’article 84) de statuer sur l’affaire􀯗; la recevabilité concernerait d’autres motifs
pour lesquels le Conseil ne devrait pas examiner la question sur le fond.
M. Milde cite ensuite le premier président du Conseil, E. Warner, qui a déclaré que « l’on ne peut guère
attendre du Conseil qu’il agisse judiciairement. » (M. Milde, International Air Law and ICAO (3e éd.), Eleven
International Publishing, 2016, pp. 201–202; 203–204).
- 67 -
5
17. La CIJ a déclaré dans l’Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide que :
« Une distinction entre ces deux types d’exceptions est bien reconnue dans la pratique de la
Cour. Dans un cas comme dans l’autre, une exception préliminaire à une plainte
particulière, si elle est retenue, a pour effet de mettre un terme à la procédure concernant
cette plainte, de sorte que la Cour ne procédera pas à l’examen du fond de l’affaire. Si
l’exception est juridictionnelle, étant donné que la juridiction de la Cour découle du
consentement des parties, cela signifiera généralement que l’État auteur de l’exception n’a
pas consenti au règlement par la Cour de ce différend particulier. Une exception
préliminaire à la recevabilité s’applique à un éventail de possibilités bien distinctes ». Dans
l’affaire concernant les Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-
Unis d’Amérique), la Cour a indiqué que :
« Normalement, une exception à la recevabilité consiste à affirmer que, quand bien
même la Cour serait compétente et les faits exposés par l’État demandeur seraient
tenus pour exacts, il n’en existe pas moins des raisons pour lesquelles il n’y a pas
lieu pour la Cour de statuer au fond » (Arrêt, Recueil CIJ, 2003, p. 177, point 29).
Cette exception consiste essentiellement dans l’affirmation qu’il existe un motif juridique,
même lorsqu’il y a compétence, pour lequel la Cour devrait refuser de connaître de l’affaire
ou, plus généralement, d’une réclamation spécifique y afférente. Ce motif est souvent de
telle nature que la question devrait être tranchée au début du procès, par exemple si, sans
examen au fond, il peut être établi que les règles relatives à la nationalité des réclamations
n’ont pas été respectées, que les voies de recours nationales n’ont pas été épuisées, en cas
d’accord des parties à recourir à une autre méthode de règlement à l’amiable ou lorsque la
plainte revêt un caractère théorique. Si la cour constate qu’une exception « n’a pas dans les
circonstances de l’espèce un caractère exclusivement préliminaire » (article 79, point 7 du
Règlement de la Cour adopté le 14 avril 1978), elle sera examinée au stade de l’examen du
fond. La compétence ou la recevabilité sont parfois remises en question parallèlement à des
arguments sur le fond et invoquées et déterminées à ce stade (cf. Timor oriental [Portugal
c. Australie], arrêt, Recueil CIJ, 1995, p. 92, point 4􀯗; Avena et autres ressortissants
mexicains [Mexique c. États-Unis d’Amérique] arrêt, Recueil CIJ, 2004 (I), pp.28-29, point
24)􀯗; (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
[Croatie c. Serbie], Exceptions préliminaires, Arrêt, Recueil CIJ, 2008, p. 412 au point
120).
18. Le fond, en revanche, est la substance du désaccord soumis par le demandeur en vue d’être
examiné. Il a ainsi été expliqué que :
« [...] le fond d’un différend comprend les points de fait et de droit qui donnent lieu à une
cause d’action et qu’un État demandeur doit établir pour avoir droit à la réparation
demandée » (Opinion dissidente du juge Read dans l’affaire Anglo-Iranian Oil Co.
[compétence], arrêt du 22 juillet 1952, Recueil CIJ 1952, p.93 au point 148).
19. Dans de multiples affaires portées devant la CIJ, les parties établissent une distinction claire
dans leurs plaidoiries et leurs arguments oraux entre la compétence et la recevabilité. Par exemple,
dans l’affaire concernant les Activités armées sur le territoire du Congo, les concepts de
compétence et de recevabilité sont clairement différenciés et font l’objet de plaidoiries distinctes
- 68 -
6
des parties selon des critères différents (Activités armées sur le territoire du Congo [nouvelle
requête : 2002] République démocratique du Congo c. Rwanda, Compétence et recevabilité, arrêt,
Recueil CIJ, 2006, p. 6 aux points 12-13). La Cour a rappelé que :
« […] sa compétence repose sur le consentement des parties, dans la seule mesure reconnue
par celles-ci [...] et que, lorsque ce consentement est exprimé dans une clause
compromissoire insérée dans un accord international, les conditions auxquelles il est
éventuellement soumis doivent être considérées comme en constituant les limites. De l’avis
de la Cour, l’examen de telles conditions relève en conséquence de celui de sa
compétence et non de celui de la recevabilité de la requête » (soulignement ajouté) (ibid.
au point 88).
20. Si une exception préliminaire à la compétence au sens propre est retenue, la requête est
rejetée, et le Conseil ou la CIJ ne seront pas en mesure d’examiner d’autres arguments tels que la
recevabilité ou le fond de l’affaire.
21. Le juge Read, dans son opinion dissidente dans l’affaire Anglo-Iranian Oil, a déclaré :
« Je n’ai pu trouver aucune affaire dans laquelle l’une ou l’autre de ces juridictions [la Cour
permanente de Justice internationale (le prédécesseur de la CIJ) ou la CIJ] ait appliqué une
interprétation restrictive à une clause attributive de compétence pour fonder sa décision [...]
A vrai dire, les deux Cours ont [...] donné des interprétations libérales aux clauses de
juridiction, de manière à faire sortir tous leurs effets aux intentions des parties intéressées »
(affaire Anglo-Iranian Oil Co. [compétence], arrêt du 22 juillet 1952, Recueil CIJ, 1952, p.
93 au point 143).
LE CONSEIL NE DEVRAIT PAS STATUER SUR LA RECEVABILITÉ AU STADE DE
L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE
22. Comme indiqué ci-dessus, c’est l’État du Qatar qui affirme que le Règlement pour la
solution des différends de l’OACI ne confère pas au Conseil l’autorité d’examiner des
questions de recevabilité au stade des exceptions préliminaires. Les défendeurs ne sont, bien
entendu, pas empêchés de soumettre des observations concernant la recevabilité dans leurs
contre-mémoires à l’examen du Conseil avant l’examen au fond proprement dit.
23. À l’appui de leur proposition selon laquelle le Conseil « a traité une exception à la
recevabilité d’une plainte fondée au motif que les recours n’avaient pas été épuisés comme
exception préliminaire », les défendeurs font référence à la décision du Conseil du 16 novembre
2000 (C-DEC 161/6). Le Qatar fait respectueusement valoir que, sur la base de ce qui précède, il
s’agissait d’une erreur en droit. De la même manière que pour la CIJ, le Conseil n’est pas lié par ses
précédentes décisions et, à la lumière des arguments ci-dessus, le Conseil ne devrait pas suivre ce
précédent. De fait, dans sa dernière décision pertinente, il ne l’a pas fait. Dans l’affaire Brésil c.
- 69 -
7
États-Unis (2017), dans leur exception préliminaire, les États-Unis ont soutenu que les requêtes du
Brésil devaient être rejetées comme étant « prescrites en vertu du principe communément admis
dans le droit international de la prescription extinctive. » Aux pages 25 et 26 de leur exception
préliminaire, les États-Unis ont soutenu que les requêtes du Brésil étaient irrecevables. En outre, à
la note de bas de page 18, les États-Unis ont déclaré :
« [...] Si le Règlement pour la solution des différends de l’OACI ne mentionne pas
explicitement la recevabilité, le Conseil de l’OACI a considéré, et devrait le faire
actuellement, les questions de recevabilité comme des bases admissibles pour soulever une
exception préliminaire en vertu de l’article 5 du Règlement pour la solution des différends.
24. Le Conseil, revenant à la propre application de l’article 5 du Règlement pour la solution des
différends, n’a pas examiné le fond des arguments sur la base de la prescription extinctive, n’a pas
accepté l’exception préliminaire et a décidé que :
« Les déclarations et les arguments présentés par les deux parties en ce qui concerne
l’exception préliminaire ne possédant pas, dans les circonstances de l’affaire, un caractère
exclusivement préliminaire, peuvent être joints à la question de fond et inclus dans le
contre-mémoire et toute autre plaidoirie. » (C-MIN 211/10, Annexe).
L’EXAMEN DES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES NE DEVRAIT PAS ABORDER LE FOND
25. Dans l’affaire de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en 1972, la CIJ a
présenté différents arguments juridiques des parties et ajouté :
« II faut toutefois indiquer dès maintenant que la Cour n’a pas à s’occuper de ces différentes
questions, pas plus qu’elle n’a à s’occuper du fond du différend tel qu’il a été soumis au
Conseil, des faits qui s’y rattachent ou des thèses des Parties à ce sujet, si ce n’est dans la
mesure où ces éléments peuvent concerner la question purement juridictionnelle qui seule a
été portée devant la Cour, à savoir celle de la compétence du Conseil pour statuer sur
l’affaire dont le Pakistan l’a saisi. Sous cette réserve indispensable, la Cour doit non
seulement éviter d’exprimer une opinion quelconque sur ces points de fond mais encore se
garder de tout prononcé qui pourrait préjuger de la décision finale, quelle qu’elle soit, que le
Conseil rendra sur le fond même de l’affaire, à supposer qu’il soit décidé qu’il est
compétent pour en connaître (voir aussi l’affaire concernant l’interprétation de l’article 3,
paragraphe 2, du traité de Lausanne, avis consultatif, 1925, C.P.J.I. série B, nº 12, p. 18) »
(au point 11).
26. De manière similaire, le juge Read a déclaré que :
« [...] en arrivant à cette conclusion, je n’entends pas préjuger le fond de la question. Je ne
saurais examiner dans une procédure préliminaire si l’objet du différend rentre dans la
sphère d’application de ces dispositions, cette question [...] appartenant essentiellement au
fond du différend » (affaire Anglo-Iranian Oil Co. [compétence], arrêt du 22 juillet 1952,
Recueil CIJ, 1952 ; p. 93 au point 147).
- 70 -
8
27. Dans son arrêt Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci sur les
questions de compétence et de recevabilité, la Cour a indiqué qu’elle :
« [...] s’abstiendra non seulement d’exprimer une opinion sur des points de fond, mais aussi
de se prononcer d’une manière qui pourrait préjuger ou paraître préjuger toute décision
qu’elle pourrait rendre sur le fond » (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci [Nicaragua c. États-Unis d’Amérique], Compétence et recevabilité, arrêt,
Recueil CIJ, 1984, p. 392 au point 11).
28. Une déclaration similaire a été faite par la Cour dans l’affaire Essais nucléaires, qui a cité
avec approbation les affaires Compétence en matière de pêcheries (Recueil CIJ, 1973, pp. 7 et 54)
(Essais nucléaires [Australie c. France], arrêt, Recueil CIJ, 1974, p. 253 au point 16). En outre, la
Cour a souligné que l’obligation de s’abstenir d’aborder le fond n’incombe pas seulement à la
Cour, mais aussi aux parties (au point 22)􀯗; il est regrettable que les défendeurs n’aient prêté
aucune attention à ce principe fondamental dans la présentation de leurs prétendues exceptions
préliminaires, qui en fait approfondissent des questions qui auraient dû être présentées au stade de
l’examen sur le fond.
29. Lorsque le Conseil a examiné le désaccord entre les États-Unis et 15 États européens, la
distinction a été établie par le représentant d’Arabie saoudite, qui a déclaré que :
« Il semblait toutefois que le Conseil entrait dans les détails de la question avant d’aborder
les problèmes relatifs à la compétence du Conseil et la question de savoir s’il pouvait ou
non connaître de cette affaire. »
Le président a rappelé que « [...] il avait mentionné que le Conseil examinait des exceptions
préliminaires et non pas le fond de l’affaire ». « Le président avait cité l’article 5 [...],
paragraphe 4, du Règlement [...] qui disposait que “Si une exception préliminaire est
soulevée, le Conseil, après avoir entendu les parties, rend une décision sur cette question
préjudicielle avant toute autre mesure à prendre en vertu du présent Règlement.” Le Conseil
devrait continuer d’examiner cette question en vertu de l’article 5, paragraphe 4, et ne
devrait pas aborder le fond des requêtes » (C-MIN 161/5, point 31).
30. Cela reflète une position systématique de la CIJ lors de l’examen des arguments au stade de
l’exception préliminaire, et non seulement en ce qui concerne les appels des décisions de l’OACI,
c’est-à-dire que la Cour évite d’aborder le fond à ce stade.
31. L’État du Qatar demande respectueusement au Conseil de tenir compte également de cette
distinction et de cette mise en garde à la lumière de la nature préjudicielle de certains des arguments
des défendeurs et des annexes qu’ils ont présentés.
- 71 -
9
32. L’allégation des défendeurs selon laquelle le Conseil n’est pas compétent pour statuer
sur le cas d’espèce parce que l’État du Qatar a prétendument violé certaines obligations
internationales, violations qui ont autorisé les défendeurs à adopter des « contre-mesures »,
concerne précisément le fond de la présente affaire. Il ne s’agit pas là d’une question de compétence
ou de recevabilité, mais d’un examen au fond.
ALLÉGATION SELON LAQUELLE DES « QUESTIONS PLUS LARGES » SUPPRIMENT LA
COMPÉTENCE DU CONSEIL OU ENTRAÎNENT L’IRRECEVABILITÉ DE L’AFFAIRE
33. Certaines observations peuvent toutefois être formulées sur les questions soulevées par les
défendeurs, selon lesquelles il existe des questions plus larges ou globales en jeu qui empêcheraient
le Conseil de se déclarer compétent ou entraîneraient l’irrecevabilité de la requête.
34. Il est dans la nature des cours et des tribunaux de statuer sur des questions juridiques, même
si celles-ci interviennent dans le cadre de différends politiques plus larges entre les parties. Le fait
qu’un différend juridique s’inscrive dans un contexte sous-jacent plus large ne signifie pas que ce
différend ne relève pas de la compétence du Conseil ou soit irrecevable. Ce que l’État du Qatar
demande est le règlement d’un désaccord à propos de l’interprétation et de l’application de la
Convention de Chicago et de ses Annexes. Les rédacteurs de cette convention et les parties actuelles
ont confié cette fonction au Conseil. Il appartient au Conseil d’assumer ces fonctions. Le fait que
l’OACI soit une agence spécialisée ne signifie pas que le Conseil doive renoncer à ces fonctions
constitutives essentielles parce que des questions plus larges pourraient entrer en jeu ou parce que
d’autres organismes seraient susceptibles d’examiner la présente question.
35. De nombreuses affaires en vertu de l’article 84 ont été portées précédemment devant le
Conseil et, en tout cas, les trois affaires soulignées ci-dessus, relatives à des violations de la
Convention de Chicago, s’inscrivaient dans un contexte politique sous-jacent ou étaient liées à des
problèmes sans rapport avec l’aviation. En aucun cas le Conseil n’a refusé d’assumer sa
compétence.
36. La CIJ a eu de nombreuses occasions d’examiner des requêtes similaires.
37. Dans l’affaire concernant le Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à
Téhéran, l’Iran a soutenu que la Cour ne pouvait pas et ne devrait pas se déclarer compétente parce
que l’affaire soumise par les États-Unis était « limitée à la soi-disant question des “otages de
l’ambassade américaine à Téhéran” ». L’Iran a ajouté dans sa déclaration que :
- 72 -
10
« [...] Cette question ne représente qu’un élément marginal et secondaire d’un problème
d’ensemble dont elle ne saurait être étudiée séparément et qui englobe entre autres plus de
vingt-cinq ans d’ingérences continuelles par les États-Unis dans les affaires intérieures de
l’Iran [...]
Le problème en cause dans le conflit existant entre l’Iran et les États-Unis ne tient donc pas
de l’interprétation et de l’application des traités sur lesquels se base la requête américaine,
mais découle d’une situation d’ensemble comprenant des éléments beaucoup plus
fondamentaux et plus complexes. En conséquence, la Cour ne peut examiner la requête
américaine en dehors de son vrai contexte, à savoir l’ensemble du dossier politique des
relations entre l’Iran et les États-Unis au cours de ces vingt-cinq années ». (Personnel
diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, arrêt, Recueil CIJ, 1980, p. 3 au
point. 35).
La Cour a souligné qu’elle avait clairement indiqué dans une ordonnance du 15 décembre 1979
que :
« […] l’invasion de l’ambassade et des consulats des États-Unis et la prise en otages de
personnes internationalement protégées ne sauraient, en raison de l’importance des
principes juridiques en cause, être considérées comme ayant un caractère “secondaire” ou
“marginal” [...]. La Cour a souligné en outre qu’aucune disposition du Statut ou du
Règlement ne lui interdit de se saisir d’un aspect d’un différend pour la simple raison que ce
différend comporterait d’autres aspects, si importants soient-ils [...]. Si le Gouvernement de
l’Iran estimait que les activités alléguées des États-Unis en Iran sont en rapport juridique
étroit avec l’objet de la requête des États-Unis, il lui était loisible de développer à ce sujet sa
propre argumentation devant la Cour, soit comme moyen de défense dans un contremémoire
soit par la voie d’une demande reconventionnelle » (ibid. au point 36).
38. De même, il n’existe aucune disposition dans la Convention de Chicago ou dans le
Règlement pour la solution des différends qui prévoit que le Conseil doive s’abstenir de statuer
sur le désaccord à propos de l’interprétation ou de l’application de la Convention de Chicago
et de ses Annexes simplement parce que le différend porté devant le Conseil comporte
d’autres aspects, pas plus que la violation de la Convention de Chicago et de ses Annexes ne
constitue une question marginale ou accessoire, car elle est l’élément central de la requête soumise
au Conseil.
39. La Cour, dans l’affaire Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, a
ajouté :
« [...] les différends juridiques entre États souverains ont, par leur nature même, toutes
chances de surgir dans des contextes politiques et ne représentent souvent qu’un élément
d’un différend politique plus vaste et existant de longue date entre les États concernés. Nul
n’a cependant jamais prétendu que, parce qu’un différend juridique soumis à la Cour
ne constitue qu’un aspect d’un différend politique, la Cour doit se refuser à résoudre
dans l’intérêt des parties les questions juridiques qui les opposent. La Charte et le Statut
ne fournissent aucun fondement à cette conception des fonctions ou de juridiction de la
Cour􀯗; si la Cour, contrairement à sa jurisprudence constante, acceptait une telle
conception, il en résulterait une restriction considérable et injustifiée de son rôle en
- 73 -
11
matière de règlement pacifique des différends internationaux » (soulignement ajouté)
(Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, arrêt, Recueil CIJ, 1980,
p. 3 au point 37).
40. Dans l’affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la CIJ a
notamment examiné les aspects relatifs à la recevabilité de la requête du Nicaragua. Les États-Unis
ont soutenu que « chacune des allégations du Nicaragua ne fait que reformuler et réaffirmer une
seule et unique affirmation fondamentale, à savoir que les États-Unis font un usage illicite de la
force armée qui constitue une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression
contre le Nicaragua, ce qui relève de la compétence d’autres organes, et plus particulièrement du
Conseil de sécurité des Nations Unies, en vertu de la Charte et de la pratique » et que toute
« allégation de cette nature est du ressort des organes politiques de l’organisation pour examen et
décision [...] » (point 89). La Cour a rappelé que :
« Il y aura avantage à examiner ce motif d’irrecevabilité avec le troisième motif avancé par
les États-Unis, selon qui la Cour devrait décider que la requête du Nicaragua est irrecevable
en raison de son objet même et de la place que tient la Cour dans le système des Nations
Unies, eu égard notamment aux effets qu’aurait une instance devant la Cour sur l’exercice
actuel du “droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective” prévu à l’article 51
de la Charte. Pour cette raison, il est soutenu que la Cour ne devrait pas exercer sa
compétence ratione materiae pour connaître des demandes du Nicaragua. A ce propos, les
États-Unis réaffirment que la requête nicaraguayenne oblige en fait la Cour à établir
que les activités du défendeur constituent un emploi illicite de la force armée, une
violation de la paix ou un acte d’agression􀯗; ils s’attachent ensuite à démontrer que les
organes politiques des Nations Unies auxquels la Charte confie la responsabilité en
pareille matière ont déjà donné suite, et continuent à donner suite, aux requêtes
presque identiques dont les a saisis le Nicaragua (soulignement ajouté) (point 91).
[...]
Les États-Unis soutiennent ainsi que la question relève essentiellement du Conseil de
sécurité, parce qu’elle concerne une plainte du Nicaragua mettant en cause l’emploi de la
force. Eu égard cependant à l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des États-
Unis à Téhéran, la Cour est d’avis que le fait qu’une question est soumise au Conseil de
sécurité ne doit pas empêcher la Cour d’en connaître, et que les deux procédures
peuvent être menées parallèlement [...] (soulignement ajouté) (point 93).
[...]
Le Conseil [de sécurité] a des attributions politiques􀯗; la Cour exerce des fonctions
purement judiciaires. Les deux organes peuvent donc s’acquitter de leurs fonctions
distinctes mais complémentaires à propos des mêmes événements (point 95).
Il convient également de rappeler que, comme en témoigne l’affaire du Détroit de Corfou
(C.I.J. Recueil 1949, p. 4), la Cour ne s’est jamais dérobée devant l’examen d’une
- 74 -
12
affaire pour la simple raison qu’elle avait des implications politiques ou comportait de
sérieux éléments d’emploi de la force » (soulignement ajouté) (point 96).
41. Dans l’affaire Incident aérien de Lockerbie, qui concernait l’interprétation ou l’application
de la Convention de Montréal de 1971, les États-Unis ont souligné que dès que la Libye a invoqué
la convention de Montréal, « les États-Unis ont fait valoir que celle-ci n’était pas en jeu car la
question à résoudre avait trait à la réaction de la communauté internationale devant la
situation découlant de l’absence de réponse effective de la Libye aux accusations très graves
de participation étatique à des actes de terrorisme » (soulignement ajouté) (point 23). Les États-
Unis ont également soutenu « qu’il n’appartient pas à la Cour, sur la base du paragraphe 1 de
l’article 14 de la Convention de Montréal, de se prononcer sur la licéité des actions, au
demeurant conformes au droit international, engagées par le défendeur en vue d’obtenir la
livraison des deux auteurs présumés de l’infraction (soulignement ajouté) (point 34). La Cour a
rejeté ces arguments et d’autres et jugé qu’elle était compétente pour examiner l’affaire,
déclarant qu’il « lui appartient en effet de juger, sur la base du paragraphe 1 de l’article 14 de la
Convention de Montréal [la clause compromissoire], de la licéité des actions critiquées par la Libye,
dans la mesure où ces actions seraient contraires aux dispositions de la Convention de Montréal »
(point 35) (Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971
résultant de l’incident aérien de Lockerbie [Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d’Amérique],
Exceptions préliminaires, arrêt, Recueil CIJ, 1998, p. 115).
42. Dans l’affaire Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé,
la Cour a jugé dans un avis consultatif que :
« Que cette question revête par ailleurs des aspects politiques, comme c’est, par la
nature des choses, le cas de bon nombre de questions qui viennent à se poser dans la vie
internationale, ne suffit pas à la priver de son caractère de “question juridique” et à
“enlever à la Cour une compétence qui lui est expressément conférée par son Statut”
[...] Quels que soient les aspects politiques de la question posée, la Cour ne saurait refuser
un caractère juridique à une question qui l’invite à s’acquitter d’une tâche essentiellement
judiciaire, à savoir l’appréciation de la licéité de la conduite éventuelle d’États au regard
des obligations que le droit international leur impose [...]
La Cour considère en outre que la nature politique des mobiles qui auraient inspiré la
requête et les implications politiques que pourrait avoir l’avis donné sont sans
pertinence au regard de l’établissement de sa compétence pour donner un tel avis »
(soulignement ajouté) (Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un
conflit armé, avis consultatif, Recueil CIJ, 1996, p. 66 aux points 16 et 17).
43. Les défendeurs, au point 16 de leurs exceptions préliminaires, ont affirmé vigoureusement
que les principes développés par la CIJ devraient être pris en considération par le Conseil. Les
- 75 -
13
citations ci-dessus, extraites de différentes affaires de la CIJ, montrent que la Cour examine les
questions de compétence et de recevabilité séparément bien que, en vertu du Règlement de la Cour
(mais pas dans le cas du Règlement de l’OACI), les deux motifs puissent être examinés dans le
cadre des exceptions préliminaires􀯗; que la cour n’hésitera pas à se déclarer compétente ou à
déclarer une requête irrecevable parce que la question juridique essentielle sur laquelle il est
demandé de statuer s’inscrit dans le cadre d’un différend politique plus large, voire si les faits sont
examinés au sein d’autres organes des Nations Unies ou s’ils comprennent des actes d’agression ou
des revendications du droit à la légitime défense. Dans le cas d’espèce, la question centrale que le
Conseil doit examiner est le désaccord à propos de l’interprétation ou de l’application de la
Convention de Chicago et de ses Annexes, en particulier la violation par les défendeurs des
dispositions de la Convention et de ses Annexes.
44. La mention des affaires des Essais nucléaires par les défendeurs au point 31 et à la note
de bas de page 23 de l’exception préliminaire est sortie de son contexte et n’appuie pas leurs
arguments. La Cour a d’abord examiné s’il existait un différend entre les parties et quel type de
décision était demandé. C’est dans ce contexte qu’elle a examiné l’objet de la requête du demandeur
et pris en considération les différentes déclarations réalisées. La question a été présentée par la Cour
de la manière suivante :
« [...] il est essentiel d’examiner si le gouvernement australien sollicite de la Cour un
jugement qui ne ferait que préciser le lien juridique entre le demandeur et le défendeur par
rapport aux questions en litige, ou un jugement conçu de façon telle que son libellé
obligerait l’une des Parties ou les deux à prendre ou à s’abstenir de prendre certaines
mesures. C’est donc le devoir de la Cour de circonscrire le véritable problème en cause et
de préciser l’objet de la demande. Il n’a jamais été contesté que la Cour est en droit et
qu’elle a même le devoir d’interpréter les conclusions des parties. [...] Assurément, quand la
demande n’est pas formulée comme il convient parce que les conclusions des parties sont
inadéquates, la Cour n’a pas le pouvoir de “se substituer [aux Parties] pour en formuler de
nouvelles” [...]
Dans les circonstances de l’espèce, et bien que dans sa requête le demandeur ait employé la
formule traditionnelle consistant à prier la Cour de “dire et juger” [...], c’est à la Cour qu’il
appartient de s’assurer du but et de l’objet véritable de la demande [...]. (Essais nucléaires
[Australie c. France], arrêt, Recueil CIJ, 1974, p. 253 aux points 29 et 30).
La Cour s’assurait précisément de ce que l’Australie (ou la Nouvelle-Zélande dans l’affaire
parallèle) demandait, c’est-à-dire de l’objet de la demande ou de la réparation demandée à la Cour
par l’Australie. Dans cette affaire, la Cour n’a jamais examiné s’il existait une question plus large,
différente des conclusions du demandeur soumises à la Cour􀯗; la Cour s’assurait simplement de ce
que le demandeur attendait de la Cour ou, plus clairement, de ce qui répondrait à sa requête. Dans le
cas d’espèce soumis au Conseil, les questions sont claires : le demandeur requiert une décision au
- 76 -
14
sujet des violations de la Convention de Chicago et de ses Annexes et d’autres actions concrètes y
afférentes. Le demandeur n’a pas demandé, comme semblent indiquer les défendeurs, que le
Conseil examine l’ensemble des questions politiques ou la totalité de la relation entre les parties,
mais seulement la partie qui porte sur les violations de la Convention de Chicago et de ses Annexes
et le rétablissement des droits légitimes du demandeur. La « véritable » question soumise au Conseil
est la violation par les défendeurs de la Convention de Chicago et de ses Annexes􀯗; c’est là ce que le
demandeur a soumis au Conseil dans la requête et le mémoire􀯗; c’est simplement et clairement cela
que l’État du Qatar demande au Conseil.
45. De la même manière, au même point de l’exception préliminaire, la note de bas de page
faisant référence à l’arbitrage relatif à l’aire marine protégée des Chagos n’appuie pas non plus ce
que semblent soutenir les défendeurs, à savoir qu’il existe des questions profondes plus larges que
le Conseil ne peut examiner.
46. Dans cette affaire, Maurice a fait valoir que le Royaume-Uni n’était pas en droit de déclarer
la protection d’une aire marine ou de toute autre zone maritime autour de l’archipel des Chagos car
le Royaume-Uni n’est pas l’État côtier au sens de certains articles de la Convention sur le droit de la
mer (point 158). Le Royaume-Uni, en revanche, s’est opposé à la compétence du Tribunal au motif
que la souveraineté est au coeur de la requête de Maurice et qu’un différend concernant la
souveraineté sur un territoire terrestre ne constitue pas un différend à propos de l’interprétation ou
de l’application de la Convention (point 170). Le Royaume-Uni a allégué que Maurice avait invité
le Tribunal à appliquer le droit d’auto-détermination aux événements en 1965 et à déclarer que
Maurice avait conservé la souveraineté sur l’archipel des Chagos (point 172). Le point de vue
adopté par le Tribunal est que le différend entre les parties en ce qui concerne cette requête
spécifique de Maurice était proprement caractérisé comme lié à la souveraineté terrestre sur
l’archipel des Chagos (point 212) et que la Convention sur le droit de la mer ne conférait pas de
compétence pour des questions de souveraineté terrestre.
47. Le Tribunal conclut ensuite :
« Si la question véritable en l’espèce et l’objet de la demande ne portent pas sur
l’interprétation ou l’application de la Convention [sur le droit de la mer], toutefois, une
relation accessoire entre le différend et certaines questions régies par la Convention est
insuffisante pour inscrire le différend, dans son ensemble, dans le champ d’application de
l’article 288, paragraphe 1 [de la Convention sur le droit de la mer].
Le Tribunal n’exclut pas catégoriquement que, dans certains cas, une question mineure de
souveraineté territoriale puisse en effet s’ajouter à un différend à propos de l’interprétation
ou de l’application de la Convention. Toutefois, cela n’est pas le cas en l’espèce, et il n’est
par conséquent pas nécessaire que le Tribunal statue sur la question. Le différend entre les
- 77 -
15
parties au sujet de la souveraineté de l’archipel des Chagos ne concerne pas l’interprétation
ou l’application de la Convention [...] » (Arbitrage dans l’affaire de l’aire marine protégée
des Chagos [Maurice c. Royaume-Uni], Cour permanente d’arbitrage, 18 mars 2015,
points 220-221).
Le Tribunal s’est néanmoins déclaré compétent pour examiner certaines autres demandes de
Maurice.
48. Le « différend » soumis au Conseil par le demandeur dans le cas d’espèce porte sur les
violations de la Convention de Chicago et de ses Annexes. Il ne s’agit pas d’une question plus
large. Si des questions plus larges existent, elles sont ou seraient soumises au Conseil par les
défendeurs. Il n’existe pas seulement une relation « accessoire » entre le différend et « certaines
questions régies par la Convention »􀯗; l’élément central du différend soumis au Conseil porte sur
les violations de la Convention de Chicago et de ses Annexes, c’est-à-dire des questions régies
par la Convention. Le demandeur n’a pas demandé au Conseil de statuer sur quelque autre question.
« PRINCIPE DE SPÉCIALITÉ »
49. Les défendeurs allèguent qu’il existe un principe, vraisemblablement de droit, qui
empêcherait le Conseil d’examiner la requête du Qatar car cela empiéterait sur les responsabilités
d’autres organes du système des Nations Unies, et que le Conseil, sur la base de l’article 54 n) de la
Convention de Chicago appliqué à la requête du Qatar, a reconnu, lors de sa session extraordinaire
du 31 juillet 2017, l’existence de questions globales plus larges à la base du différend, qui doivent
être examinées dans d’autres instances non techniques appropriées.
50. Premièrement, il ne s’agit pas là d’un argument qui relève de la compétence du Conseil
comme énoncé dans l’article 84 et l’article 5, alinéa 1) du Règlement pour la solution des
différends. Cet argument pourrait s’appliquer à la recevabilité ou au fond, mais pas à la compétence.
En vertu de l’article 5, alinéa 1), le Conseil ne devrait pas examiner cette question au stade de
l’exception préliminaire.
51. Deuxièmement, lorsque le Conseil a examiné la question au titre de l’article 54 n) de la
Convention de Chicago, le président du Conseil a, à juste titre, « insisté aussi sur le besoin de faire
une distinction claire entre, d’une part, toute mesure qu’il pourrait envisager de prendre en sa
qualité d’organe directeur, au titre de l’article 54 n) et, d’autre part, toute mesure qu’il pourrait
envisager de prendre au titre de l’article 84 » (C-MIN Session extraordinaire [huis clos], 31 juillet
2017, au point 2). Bien que tous les aspects du différend liés à l’aviation aient été soumis au Conseil
- 78 -
16
au titre de l’article 54 n), le Conseil ne déclarait ni ne pouvait déclarer qu’il ne serait pas compétent
au titre de l’article 84 au motif qu’il existe d’autres instances dans lesquelles d’autres aspects
pourraient être éventuellement examinés.
52. Troisièmement, comme déclaré précédemment par le demandeur, le Qatar ne soumet pas
cette question à une instance non technique. Si les défendeurs considèrent réellement que la
décision au titre de l’article 54 n) lie le Conseil à sa prise en considération de l’article 84, il
appartiendrait aux défendeurs, et non pas à l’État du Qatar, de surmonter cet obstacle. Ce sont les
défendeurs qui semblent indiquer que, éventuellement, certains aspects de la question pourraient un
jour être examinés dans une instance non technique. Le Qatar se contente de laisser le Conseil
statuer, sur la base des éléments de preuve présentés dans son mémoire et la présente réponse, sur la
violation de la Convention de Chicago et de ses Annexes par les défendeurs. Le Qatar demande
simplement au Conseil d’exercer ses fonctions constitutives fondamentales.
53. Quatrièmement, le soi-disant principe de spécialité adopté par les défendeurs ne peut
s’appliquer pour empêcher le Conseil de se déclarer compétent ou pour entraîner
l’irrecevabilité de l’affaire, comme illustré ci-dessous.
54. Il a été indiqué ci-dessus (points 37 à 42) que la CIJ ne s’est pas abstenue d’examiner une
question lorsque les aspects juridiques s’inscrivent dans le cadre de différends politiques plus larges
entre les parties.
55. La CIJ ne s’est pas non plus abstenue de statuer sur une question même lorsque certaines
questions font, ou pourraient faire, l’objet d’un examen simultané dans d’autres instances telles que
le Conseil de sécurité (voir l’affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci, aux points 91, 93 et 95).
56. Dans l’affaire Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, la Cour a
jugé que le Conseil de sécurité était pleinement saisi de la question lorsque, le 15 décembre 1979, la
Cour a décidé à l’unanimité qu’elle était compétente pour connaître d’une demande en indication de
mesures conservatoires présentée par les États-Unis. La Cour a jugé que :
« […] le Conseil de sécurité tenait expressément compte de l’ordonnance de la Cour en
indication de mesures conservatoires du 15 décembre 1979 [...]; il ne semble être venu à
l’esprit d’aucun membre du Conseil qu’il y eût ou put y avoir rien d’irrégulier dans
l’exercice simultané par la Cour et par le Conseil de sécurité de leurs fonctions respectives.
Le fait n’est d’ailleurs pas surprenant. [...]. C’est à la Cour, organe judiciaire principal des
Nations Unies, qu’il appartient de résoudre toute question juridique pouvant opposer des
parties à un différend » (point 40).
- 79 -
17
La Cour a également cité la Charte des Nations Unies, qui dispose à l’article 36 que, d’une manière
générale, les différends d’ordre juridique devraient être soumis à la CIJ.
57. L’avis consultatif de la CIJ de 1996 cité par les défendeurs (Licéité de l’utilisation des
armes nucléaires par un État dans un conflit armé, avis consultatif, Recueil CIJ, 1996, p. 66) peut
être aisément distingué de l’affaire soumise au Conseil. Dans l’affaire de la Licéité de l’utilisation
des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, l’Organisation mondiale de la santé a
demandé à la CIJ de rendre un avis consultatif sur la question :
« […] l’utilisation d’armes nucléaires par un État au cours d’une guerre ou d’un autre
conflit armé constituerait-elle une violation de ses obligations au regard du droit
international, y compris la Constitution de l’OMS􀯗? » (point 1).
L’article 96, paragraphe 2, de la Charte des Nations Unies dispose que les agences spécialisées
peuvent demander des avis consultatifs à la Cour sur des questions juridiques dans le cadre de leurs
activités. La Cour a jugé que l’OMS était autorisée à demander des avis consultatifs. La Cour devait
néanmoins déterminer si les avis demandés portaient sur une question qui se posait dans le cadre
des activités de l’OMS. La Cour a rappelé que :
« À l’effet de circonscrire le domaine d’activité ou le champ de compétence d’une
organisation internationale, il convient de se reporter aux règles pertinentes de
l’organisation et, en premier lieu, à son acte constitutif [...] Les actes constitutifs
d’organisations internationales sont des traités multilatéraux, auxquels s’appliquent les
règles bien établies d’interprétation des traités » (point 19).
[...]
Interprétées suivant leur sens ordinaire, dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du
but de la Constitution de l’OMS, ainsi que de la pratique suivie par l’organisation, les
dispositions de l’article 2 peuvent être lues comme habilitant l’organisation à traiter des
effets sur la santé de l’utilisation d’armes nucléaires [...].
La question posée à la Cour porte, toutefois, non sur les effets de l’utilisation d’armes
nucléaires sur la santé, mais sur la licéité de l’utilisation de telles armes compte tenu de
leurs effets sur la santé et l’environnement. En conséquence, il n’apparaît pas à la Cour que
les dispositions de l’article 2 de la Constitution de l’OMS, interprétées suivant les critères
sus-indiqués, puissent être comprises comme conférant compétence à l’Organisation pour
traiter de la licéité de l’utilisation des armes nucléaires [...]. » (point 21).
Après avoir examiné certaines fonctions de l’OMS en vertu de l’article 2 de sa Constitution, la Cour
a ajouté :
« [...] [A]ucune desdites fonctions n’entretient, avec la question qui lui a été soumise, de
rapport de connexité suffisant pour que cette question puisse être considérée comme se
posant “dans le cadre de [l’]activité” de l’OMS [...]. Que des armes nucléaires soient
utilisées licitement ou illicitement, leurs effets sur la santé seraient identiques » (point 22).
- 80 -
18
Cet arrêt de la Cour a tranché la nécessité de donner un avis consultatif à l’OMS. Il a été
déterminant quant à la question posée et a constitué le ratio decidendi. Tous les autres
commentaires formulés par la Cour constituent des remarques incidentes qui n’étaient pas
nécessaires pour répondre à la question soulevée et sont par conséquent de moindre valeur
juridique. La Cour a ajouté que :
« Les organisations internationales sont régies par le “principe de spécialité”, c’est-à-dire
dotées par les États qui les créent de compétences. [...] La Cour permanente de Justice
internationale s’est référée à ce principe de base [dans une autre affaire] dans les termes
suivants :
“Comme la Commission européenne n’est pas un État mais une institution
internationale pourvue d’un objet spécial, elle n’a que les attributions que lui
confère le Statut définitif, pour lui permettre de remplir cet objet􀯗; mais elle a
compétence pour exercer ces fonctions dans leur plénitude, pour autant que le
Statut ne lui impose pas de restrictions” » (soulignement ajouté) (point 25).
58. Il s’agit là précisément du fond du problème. Il a été imposé au Conseil l’obligation
constitutive expresse de statuer sur des désaccords qui lui sont soumis au titre de l’article 84, et il
est compétent pour exercer ces fonctions dans toute leur plénitude.
59. Outre les compétences expresses, toutefois, les organisations disposent également de
compétences implicites, ou de compétences subsidiaires, qui ne sont pas expressément prévues dans
leurs actes constitutifs et qui sont nécessaires à la réalisation de leurs objectifs.
60. De manière similaire, dans l’affaire Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
([Argentine c. Uruguay], Recueil CIJ, 2010, p. 14), citée par les défendeurs à la note de bas de page
17 des exceptions préliminaires, la CIJ a jugé que :
« [...] comme toute organisation internationale dotée de la personnalité juridique, la CARU
est habilitée à exercer les compétences qui lui sont reconnues par le statut de 1975 et qui
sont nécessaires à la réalisation de l’objet et du but de celui-ci [...] (point 89).
61. Il convient de citer longuement des extraits de l’opinion dissidente du juge Weeramantry
dans l’affaire Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé :
« La Cour s’est beaucoup appuyée sur le principe de spécialité pour déterminer si la requête
à l’examen relève bien de la sphère d’activité de l’OMS. Elle est naturellement soucieuse
d’éviter que ne s’introduisent des confusions ou des chevauchements inutiles dans la
définition des fonctions des différents organes et institutions des Nations Unies.
Mais le principe de spécialité n’interdit pas les chevauchements éventuels. Il est normal que
les sphères de compétence légitime des entités constitutives d’une organisation diversifiée
comme les Nations Unies, dont les fonctions sont multiples et complexes, mordent tant soit
peu les unes sur les autres. Tel est le cas, on l’a déjà souligné, au niveau le plus élevé de
l’Organisation des Nations Unies puisque, entre la Cour elle-même et le Conseil de sécurité,
- 81 -
19
,
existe un certain chevauchement. Sans doute le Conseil a-t-il la responsabilité principale
des questions de paix et de sécurité, mais ces questions peuvent aussi soulever des
problèmes juridiques relevant de l’activité judiciaire, qui est le domaine propre de la Cour.
Les liens inextricables entre les aspects juridiques d’une question et ses implications
politiques n’ont jamais été considérés comme ayant pour effet d’éteindre le droit et
l’obligation de la Cour d’agir dans sa sphère juridique propre.
Comme l’a justement souligné la Cour dans l’avis qu’elle a rendu dans la présente affaire
[…], qu’une question juridique présente des aspects politiques ne suffit pas à la priver de
son caractère de question juridique. La même logique devrait s’appliquer dans le cas des
questions médicales. Dans l’affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci, la Cour a indiqué :
“Le Conseil de sécurité a des attributions politiques􀯗; la Cour exerce des fonctions
purement judiciaires. Les deux organes peuvent donc s’acquitter de leurs fonctions
distinctes mais complémentaires à propos des mêmes événements.”
Une question médicale peut, de la même manière, avoir des prolongements qui justifient
qu’une autre institution spécialisée s’en saisisse. Par exemple, les normes de ventilation à
bord des aéronefs peuvent relever aussi bien de l’Organisation mondiale de la santé que de
l’organisation de l’aviation civile internationale􀯗; les règlements de sécurité concernant le
transport des déchets toxiques peuvent intéresser au même titre l’OMS et l’organisation
maritime internationale [...]. Le système des Nations Unies n’a pas été conçu comme un
damier composé de cases bien emboîtées et précisément délimitées [...]. Leur domaine est
naturellement circonscrit dans ses grandes lignes, mais les différents aspects de la même
question peuvent fort bien être du ressort de deux ou plusieurs organisations. Sans doute les
diverses organisations internationales sont elles spécialisées, mais il ne leur est pas pour
autant interdit de se partager certains secteurs dès lors qu’ils relèvent dûment de leurs
sphères de préoccupation respectives [...] » (aux points 149-151).
62. Le demandeur est reconnaissant à l’égard des défendeurs pour avoir attiré son attention sur
l’article de D. Akande (note de bas de page 70 des exceptions préliminaires)4 dans lequel l’auteur
analyse les avis consultatifs dans l’affaire des Essais nucléaires en 1996. Il indique que dans ces
avis, « la question de la compétence des organisations internationales n’est apparue que
tangentiellement, car les questions posées à la Cour concernaient une question de droit substantiel
qui n’était apparemment pas lié à un exercice particulier de compétence par les organisations
concernées : la légalité de la menace du recours aux armes nucléaires » (soulignement ajouté) (p.
438). Il considère qu’il :
« […] ne peut être correct d’indiquer qu’il ne peut exister de chevauchement de fonctions
entre les agences spécialisées ou entre les Nations Unies et les agences spécialisées. Ce
chevauchement légitime existe naturellement comme il ressort clairement des actes
constitutifs des agences spécialisées ainsi que de leur pratique » (pp. 449-450).
Il examine ensuite les constitutions de l’OIT et de l’OMS et constate un chevauchement dans
certaines matières. Il indique :
4 D. Akande, « The Competence of International Organizations and the Advisory Jurisdiction of the
International Court of Justice," European Journal of International law 9 (1998) p. 437.
- 82 -
20
« Il ne peut être affirmé que l’une de ces organisations pourrait être dépourvue de
compétence sur cette question au seul motif qu’elle relève de la compétence d’une autre
organisation. Il est par conséquent nécessaire de prendre des précautions lors de
l’interprétation des compétences d’une organisation sur la base des compétences d’une
autre. Agir ainsi constituerait une inversion du principe selon lequel une organisation peut
exercer ses fonctions dans toute leur plénitude pour autant que son statut n’impose pas de
restrictions à cet égard [...]. » (p. 450).
En effet, indiquer qu’une agence spécialisée ne peut empiéter sur les responsabilités
d’autres pourrait même décourager la coopération entre agences (p. 450).
[...] la Cour semblait dire que les agences spécialisées devraient limiter leur attention aux
matières techniques et fonctionnelles. Comme indiqué ci-dessus, il s’agit là d’un écart par
rapport aux affaires précédentes dans lesquelles la notion de donner plein effet aux objets et
aux fins de l’organisation était primordial [...]. » (p. 451).
En fait, comme illustré ci-dessus, dans l’affaire Usines de pâte à papier, jugée en 2010, la Cour a
ensuite de nouveau souligné qu’une organisation dispose des compétences nécessaires à la
réalisation de son objet et des fins de sa constitution.
63. L’OACI ne devrait-elle pas être compétente dans le domaine de la médecine aéronautique
parce que cela relève sans doute de la compétence de l’OMS􀯗? Ou l’OMS ne devrait-elle pas être
compétente parce que l’OACI pourrait l’être également􀯗? Qui serait alors compétent􀯗? Il en va de
même des marchandises dangereuses car certains aspects pourraient être traités par l’AIEA􀯗? Il
existe plusieurs autres exemples de chevauchements entre les compétences de différentes
organisations.
64. Porter les arguments des défendeurs à leur conclusion logique signifierait qu’aucune
agence spécialisée ou une autre organisation ne serait compétente pour examiner une question
dès lors qu’il existe une relation, accessoire ou autre, avec les fonctions d’une autre
organisation. Les défendeurs s’adressent à l’OACI et soutiennent que les questions juridiques
posées par le demandeur en ce qui concerne des questions d’aviation ne peuvent être tranchées par
le Conseil en dépit de l’article 84 de la Convention, au motif qu’il existe un différend plus profond
dont les ramifications relèvent éventuellement de la compétence d’une autre instance. Ils peuvent,
selon la même logique, s’adresser à l’Union postale universelle, l’Organisation maritime
internationale, l’Organisation mondiale du commerce, voire les Nations Unies elles-mêmes, en
soutenant que des aspects relatifs à l’aviation dans le différend dépassaient le cadre du mandat de
ces organisations, mais relevaient de la compétence de l’OACI et du principe de spécialité ou de
tout autre concept original et que, par conséquent, chaque organisation était dépourvue de
compétence pour examiner le différend, même dans les domaines qui relèvent précisément des
attributions qui leur sont conférées par leurs actes constitutifs. Le résultat net consisterait en un
- 83 -
21
refus de toute instance de connaître des griefs de l’État du Qatar. Cela entraînerait également
la nullité du mandat constitutif conféré par la Convention de Chicago de régler les différends
à propos de l’interprétation et de l’application de la Convention et de ses Annexes.
65. La CIJ a balayé du revers de la main l’idée qu’il ne peut être statué sur un différend
juridique ou que celui-ci ne peut être réglé par un organisme parce que d’autres aspects relèvent
également de la compétence d’un autre (voir points 40 et 56 ci-dessus).
APPEL RELATIF À LA JURIDICTION DU CONSEIL DE L’OACI (Inde c. Pakistan, 1972)
66. Cette affaire rejette toute exception préliminaire ou tout argument soulevé par les
défendeurs, à l’exception de la question des négociations préalables, et il convient de l’examiner
de manière approfondie.
67. Le 4 février 1971, l’Inde a suspendu tous les survols de son territoire par des aéronefs
pakistanais. Il existait des différends politiques sous-jacents entre les deux États. Le 30 janvier
1971, deux personnes ont détourné un aéronef indien vers le Pakistan. Deux jours plus tard, ils ont
fait exploser l’aéronef.
68. Le 3 mars 1971, moins d’un mois après la suspension des survols, le Pakistan a soumis
l’affaire au Conseil au titre de l’article 84 de la Convention de Chicago et de l’article II, section
2, de l’Accord relatif au transit des services aériens internationaux. L’Inde a déposé des exceptions
préliminaires qui contestaient la compétence du Conseil d’examiner le désaccord. Le 29 juillet
1971, le Conseil s’est déclaré compétent, décision dont a fait appel l’Inde auprès de la CIJ.
69. Le Pakistan a affirmé que l’Inde avait violé l’article 5 de la Convention de Chicago et
l’article premier, section 1, de l’Accord relatif au transit des services aériens internationaux, en
vertu desquels ses aéronefs civils, de transport régulier et non régulier, avaient le droit de pénétrer
sur le territoire indien, de le traverser en transit sans escale et d’y faire des escales non
commerciales.
70. Devant la CIJ, l’Inde a déclaré que le Conseil n’était pas compétent pour examiner la
requête, car la Convention de Chicago et l’Accord relatif au transit des services aériens
internationaux avaient été résiliés ou suspendus entre les deux États et que la question du survol du
Pakistan par des aéronefs indiens et du survol de l’Inde par des aéronefs pakistanais était régie par
un régime spécial de 1996 et non pas par la Convention de Chicago ou l’Accord relatif au transit
des services aériens internationaux.
- 84 -
22
71. Sur la question du bien-fondé de la décision du Conseil de se déclarer compétent, la Cour a
fait une déclaration qui tranche l’ensemble des arguments des défendeurs dans le cas d’espèce
(abstraction faite de la question des négociations pour le moment), à savoir :
« II s’agit d’établir si le Conseil a compétence pour examiner et trancher définitivement le
fond du différend dont il a été saisi par le Pakistan et à l’égard duquel il s’est, sous réserve
du présent appel, déclaré compétent. Pour répondre à cette question, il faut évidemment
savoir si la thèse du Pakistan, envisagée compte tenu des objections formulées par
l’Inde à son sujet, fait apparaître l’existence d’un “désaccord [...] à propos de
l’interprétation ou de l’application” de la Convention de Chicago ou de l’Accord de
transit. S’il en est ainsi, le Conseil est à première vue compétent. On ne saurait
considérer le Conseil comme privé de compétence du seul fait que des données
extérieures aux Traités pourraient être invoquées, dès lors que, de toute façon, des
questions relatives à l’interprétation ou à l’application de ceux-ci entrent en jeu. Le
fait qu’une défense au fond se présente d’une certaine manière ne peut porter atteinte
à la compétence du tribunal ou de tout autre organe en cause􀯗; sinon les parties
seraient en mesure de déterminer elles-mêmes cette compétence, ce qui serait
inadmissible. Comme on l’a déjà vu pour la compétence de la Cour, la compétence du
Conseil dépend nécessairement du caractère du litige soumis au Conseil et des points
soulevés, mais non pas des moyens de défense au fond ou d’autres considérations qui
ne deviendraient pertinentes qu’une fois tranchés les problèmes juridictionnels. Si la
Cour a estimé souhaitable de souligner ce qui précède, c’est à cause de la manière,
d’ailleurs parfaitement légitime, dont l’appel a été présenté à la Cour » (soulignement
ajouté) (point 27).
72. Il convient de répéter ou de réaffirmer ce que la Cour a dit : s’il existe un désaccord qui
constitue un différend à propos de l’interprétation ou de l’application de la Convention de Chicago,
le Conseil est à première vue compétent. En outre, le Conseil ne peut être privé de compétence du
seul fait que des données extérieures à la Convention de Chicago sont invoquées, dès lors que, de
toute façon, des questions relatives à l’interprétation ou à l’application de ce traité entrent en jeu.
Le fait que les défendeurs choisissent une forme particulière de défense au fond (contre-mesures
alléguées, etc.) ne peut porter atteinte à la compétence du Conseil ni l’empêcher de procéder à
l’examen du fond. Tout point de vue opposé permettrait aux défendeurs de déterminer eux-mêmes
cette compétence, ce que la Cour a déclaré inadmissible. La compétence du Conseil doit dépendre
de la nature du différend qui lui est soumis et non pas des moyens de défense que les défendeurs
pourraient (ou non) soumettre au stade approprié de l’examen au fond.
73. Les moyens de défense tels que les contre-mesures doivent être examinés lors de l’examen
au fond et non pas au stade des exceptions préliminaires. Dans les quelques affaires soumises à un
tribunal ou à la CIJ, le fait de soulever des questions liées aux contre-mesures s’est toujours inscrit
dans le cadre des arguments sur le fond (la sentence arbitrale concernant l’Accord relatif aux
services aériens et le 􀀳􀁕􀁒􀁍􀁈􀁗􀀃 􀀪􀁄􀁅􀃾􀁴􀁎􀁒􀁙􀁒-Nagymaros, cités par les défendeurs aux notes de bas de
page 28 et 30 respectivement des exceptions préliminaires). En fait, au point 30 de l’exception
- 85 -
23
préliminaire, les défendeurs évoquent des contre-mesures et « un corps de règles en dehors de
la Convention de Chicago » qui donne aux défendeurs un « dispositif de défense »
(soulignement ajouté). Cependant, ce moyen de défense ne peut être envisagé que si l’affaire est
abordée au fond. Le Conseil ne se trouve pas encore au stade de l’examen au fond.
74. La Cour, dans l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan,
1972), a ensuite établi un seuil relativement bas pour l’exercice de la compétence du Conseil :
« La question juridique que la Cour doit trancher est donc en fait de savoir si ce
différend, sous la forme où les Parties l’ont soumis au Conseil [...], peut être résolu
sans aucune interprétation ou application des Traités en cause. Si cela n’est pas
possible, le Conseil a nécessairement compétence » (soulignement ajouté) (point 29).
Étant donné cette norme, il est clair que le Conseil a compétence pour connaître des requêtes
du demandeur.
CONTRE-MESURES
75. L’État du Qatar a systématiquement soutenu que la question des contre-mesures et leur
licéité ou autre doit être examinée sur le fond de l’affaire. Les défendeurs n’ont pas allégué que
la licéité de leurs actions contre l’État du Qatar et sa population devrait être évaluée au stade des
exceptions préliminaires. Ce qu’ils semblent dire est que les actions qu’ils ont prises sont des
contre-mesures, dont la licéité n’est pas soumise à l’examen du Conseil. Cependant, de manière
extrêmement préjudiciable, ils soumettent des aspects substantiels au Conseil, ignorant l’obligation
légale de ne pas le faire (voir point 28 ci-dessus). L’État du Qatar affirme que les arguments
soulevés par les défendeurs et toutes les annexes présentées à cet égard relèvent de l’examen
au fond et non pas du stade des exceptions préliminaires. Ces arguments et annexes relèvent
de la défense sur le fond et non pas de l’exception préliminaire.
76. L’État du Qatar a déjà souligné que le Conseil ne peut examiner le fond à ce stade et que, en
tout état de cause, le Conseil peut examiner toute question plus ample lors de l’examen au fond.
77. Par conséquent, le Qatar ne répond pas à ce stade aux allégations selon lesquelles il
soutiendrait ou financerait le terrorisme, etc. Au stade ultérieur approprié de la procédure
(fond), l’État du Qatar opposera aux allégations des défendeurs une défense solide en droit et
en fait, qui démontrera que leurs actions ne sont pas légitimes à titre de contre-mesures ni à
tous autres égards en droit international.
- 86 -
24
78. Le Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et les
commentaires y relatifs, établi par la Commission du droit international (CDI), que les défendeurs
mentionnent aux points 38 et 39 de leurs exceptions préliminaires et qui reflètent les principes du
droit international coutumier, ont à deux reprises été portés à l’attention des États par l’Assemblée
générale des Nations Unies (Résolution 56/83 [2002] et Résolution 71/133 [2016]).
79. Dans son commentaire, la CDI déclare que les contre-mesures sont justifiées dans certaines
circonstances, mais que :
« […] les contre-mesures sont susceptibles d’abus, et cette éventualité est renforcée par les
inégalités de fait entre États. Le chapitre II vise à instituer un système opérationnel tenant
compte du caractère exceptionnel des contre-mesures prises en réaction à un comportement
internationalement illicite tout en s’efforçant, en assortissant les contre-mesures de
conditions et restrictions appropriées, de les contenir dans des limites généralement
acceptables (Annuaire de la Commission du droit international, 2001, volume II, deuxième
partie, p. 128).
La CDI ajoute que les contre-mesures ne sont pas envisagées comme une forme de répression,
qu’elles doivent être proportionnées et ne doivent pas porter atteinte à certaines obligations
fondamentales, en particulier celles résultant de normes impératives du droit international général.
Les contre-mesures ne peuvent porter atteinte à une procédure de règlement des différends en
vigueur entre les deux États et applicable au différend. Elles doivent être précédées d’une demande
adressée par l’État lésé à l’État responsable pour l’inviter à s’acquitter des obligations qui lui
incombent, elles doivent être assorties d’une offre de négocier et doivent être suspendues si le fait
internationalement illicite a cessé et si le différend est soumis de bonne foi à une cour ou un tribunal
(ibid. p. 129). La CDI met en garde :
« [...] Un État qui prend des contre-mesures le fait à ses propres risques si sa perception de
la question de l’illicéité se révèle mal fondée. Un État qui recourt à des contre-mesures en
fonction d’une appréciation unilatérale de la situation le fait à ses propres risques et peut
encourir une responsabilité à raison de son propre comportement illicite dans l’hypothèse
d’une appréciation inexacte.
[...]
[...] Le critère est toujours celui de la proportionnalité, et un État qui a commis un fait
internationalement illicite ne s’expose pas du même coup à toute forme ou conjugaison
possible de contre-mesures, quelles qu’en soient la gravité ou les conséquences » (ibid. p.
130).
80. De manière similaire, le Tribunal arbitral dans l’affaire concernant l’Accord relatif aux
services aériens déclare :
- 87 -
25
« Il va sans dire qu’il y a dans le recours à des contre-mesures le grand danger qu’à leur
tour elles n’engendrent une réplique, provoquant ainsi une escalade génératrice d’une
aggravation du conflit. Les contre-mesures devraient donc être un pari sur la sagesse et non
sur la faiblesse de l’autre Partie. Elles devraient être maniées dans un esprit de grande
modération et accompagnées d’un réel effort pour résoudre le conflit » (Affaire concernant
l’accord relatif aux services aériens du 27 mars 1946 entre les États-Unis d’Amérique et la
France, Sentence arbitrale du 9 décembre 1978, Recueil des sentences arbitrales, vol.
XVIII, pp. 417-493 au point 91).
81. À la suite des commentaires susmentionnés, la CDI énonce un certain nombre d’articles,
que les défendeurs connaissent, car ils ont cité les rapports de la CDI. En vertu de l’article 50 :
« 1. Les contre-mesures ne peuvent porter aucune atteinte :
[...]
b) aux obligations concernant la protection des droits fondamentaux de l’homme􀯗;
d) aux autres obligations découlant de normes impératives du droit international
général ».
En vertu de l’article 51 :
« Les contre-mesures doivent être proportionnelles au préjudice subi, compte tenu de la
gravité du fait internationalement illicite et des droits en cause. »
L’article 52 dispose :
« 1. Avant de prendre des contre-mesures, l’État lésé doit :
a) demander à l’État responsable [...] de s’acquitter des obligations qui lui
incombent [...]􀯗;
b) notifier à l’État responsable toute décision de prendre des contre-mesures et
offrir de négocier avec cet État » (p. 135).
82. L’État du Qatar montrera, au stade de l’examen au fond, en droit et en fait, que les
conditions de l’imposition et du maintien des contre-mesures alléguées par les défendeurs
n’ont pas été remplies. En imposant ces contre-mesures alléguées, les défendeurs ont violé le
droit international. Le droit international ne reconnaît pas les actions des défendeurs comme
des contre-mesures valides. Le droit international n’est pas à ce point éloigné du concept de
justice pour tolérer les actions des défendeurs.
83. Que les défendeurs en viennent à évoquer une défense des contre-mesures, comme telle est
leur intention déclarée, revient à admettre que leurs actions ne respectent pas leurs obligations au
titre de la Convention de Chicago.
- 88 -
26
84. Dans l’histoire des litiges internationaux, les défendeurs ne peuvent relever qu’une seule
affaire dans laquelle certaines contre-mesures limitées ont été jugées licites (l’arbitrage
concernant les services aériens) et que les contre-mesures concernées dans le même domaine
ont constitué une violation de l’obligation internationale donnant lieu aux contre-mesures, à
savoir les droits de trafic aérien.
NÉGOCIATIONS
85. Les défendeurs soutiennent que l’État du Qatar n’a pas respecté l’article 2 g) du Règlement
pour la solution des différends de l’OACI et que le Conseil est ainsi privé de la compétence de
connaître de l’affaire. L’article 2 g) est une règle de forme qui requiert une déclaration du
demandeur attestant que « des négociations ont eu lieu entre les parties pour régler le désaccord,
mais qu’elles n’ont pas abouti ».
86. L’absence de la déclaration au titre de l’article 2 g) en application de l’article 84 de la
Convention de Chicago n’empêche pas le Conseil de se déclarer compétent. L’État du Qatar est
libre, en vertu de la jurisprudence internationale, de modifier ses plaidoiries ou ses conclusions
avant que le Conseil ne statue sur l’affaire.
87. Il a également le droit de présenter au Conseil de nouveaux éléments de preuve pour
montrer que des tentatives de négociation ou des négociations ont été menées à différents niveaux et
dans différentes instances et qu’elles n’ont pas abouti. À cet égard, l’État du Qatar montrera cidessous
que, aux termes de l’article 84 de la Convention de Chicago, le désaccord ne peut être réglé
par voie de négociation.
a) Article 2, alinéa g) du Règlement
88. Les plaidoiries dans cette affaire ne sont pas closes. Dans sa réponse aux exceptions
préliminaires, l’État du Qatar peut se prévaloir de la possibilité de soumettre de nouveaux faits et
documents au Conseil. Après la clôture des plaidoiries « aucun autre document ne peut être soumis
par l’une des parties, si ce n’est avec l’assentiment de l’autre partie ou en vertu d’une permission du
Conseil accordée après audition des parties » (article 7, paragraphe 4, du Règlement pour la solution
des différends). Avant cela toutefois, comme tel est le cas en l’espèce, aucune autorisation spéciale
n’est requise.
- 89 -
27
89. Cette règle est semblable à celle prévue par l’Instruction de procédure IX de la CIJ,
paragraphe 1, qui dispose que :
« Les parties à une affaire devant la Cour devraient s’abstenir de présenter de nouveaux
documents après la clôture de la procédure écrite. »
90. Dans l’affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (1984),
les États-Unis ont soutenu que, à la suite du dépôt de la requête, le Nicaragua n’était pas autorisé à
faire valoir dans des plaidoiries ultérieures des motifs juridictionnels qu’il connaissait
vraisemblablement au moment du dépôt de sa requête. La Cour a ainsi abordé cette question :
« Un autre motif de compétence peut néanmoins être porté ultérieurement à l’attention de la
Cour, et celle-ci peut en tenir compte à condition que le demandeur ait clairement manifesté
l’intention de procéder sur cette base [...], à condition aussi que le différend porté devant la
Cour par requête ne se trouve pas transformé en un autre différend dont le caractère ne
serait pas le même » (point 80).
La Cour a également noté que :
« Le Nicaragua n’a pas répondu directement à l’argumentation des États-Unis relative à
l’estoppel, qui n’a été pleinement exposée que durant la procédure orale » (soulignement
ajouté) (point 50).
91. Les défendeurs n’ont pas vraiment indiqué la conséquence de l’omission de l’article 2 g), à
savoir : cette omission purement formelle suffit-elle pour vicier la juridiction du Conseil, ou
l’omission indique-t-elle qu’il n’a pas été satisfait à une obligation substantielle􀯗? Dans le premier
cas, le Conseil est invité à examiner l’affaire concernant les Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci, dans laquelle la CIJ a jugé que :
« Il n’y aurait aucun sens à obliger maintenant le Nicaragua à entamer une nouvelle
procédure sur la base du traité, ce qu’il aurait pleinement le droit de faire. Pour citer la Cour
permanente : “La Cour ne pourrait s’arrêter à un défaut de forme qu’il dépendrait de la
seule Partie intéressée de faire disparaître” (Certains intérêts allemands en Haute-Silésie
polonaise, compétence, arrêt no 6, 1925, C.P.J.Z. série A no 6, p. 14.) (point 83).
De manière similaire, dans l’affaire des Activités armées, la Cour a déclaré :
« [...] la Cour ne doit pas sanctionner un défaut de procédure auquel la partie requérante
pourrait aisément porter remède [...]. [L]a RDC aurait pu, de sa propre initiative, remédier
au défaut procédural affectant sa requête initiale en déposant une nouvelle requête.
L’argument susmentionné du Rwanda doit par suite être écarté. » (Activités armées sur le
territoire du Congo [nouvelle requête : 2002] [République démocratique du Congo c.
Rwanda], Compétence et recevabilité, arrêt, Recueil CIJ, 2006, p. 6 au point 53).
Par conséquent, la Cour ne pénalisera pas un demandeur en raison de défauts de procédure auxquels
il peut aisément remédier, car il pourrait, si tel n’était pas le cas, simplement déposer une nouvelle
- 90 -
28
requête. Le Conseil devrait appliquer la même règle de droit en l’espèce. L’État du Qatar modifie
par la présente ses plaidoiries pour inclure la déclaration suivante :
« Des négociations ont eu lieu entre les parties pour régler le désaccord, mais elles n’ont pas
abouti. »
b) Contenu de l’obligation de négocier
92. Les négociations peuvent être bilatérales, elles peuvent être menées au sein d’instances
multilatérales, ou recourir aux bons offices d’un tiers. Lorsque des relations diplomatiques
n’existent pas, les efforts bilatéraux peuvent être difficiles, et d’autres approches sont privilégiées.
93. Une obligation de négocier ou de tenter de négocier n’implique pas une obligation de
parvenir à un accord, car si tel était le cas, l’affaire ne serait pas portée devant le Conseil. Comme le
déclare la CIJ :
« Définissant dans son avis consultatif sur le Trafic ferroviaire entre la Lituanie et la
Pologne la teneur de l’obligation de négocier, la Cour permanente a dit que cette obligation
“n’est pas seulement d’entamer des négociations”, mais encore de les poursuivre autant que
possible, en vue d’arriver à des accords”, même si l’engagement de négocier n’impliquait
pas celui de s’entendre (C.Y.J.I. série A/B nº 42, 1931, p. 116). » (Plateau continental de la
mer du Nord, Recueil CIJ, 1969, p. 3 au point 87).
94. Les critères pour répondre à l’exigence de négociations préalables dans certaines clauses
compromissoires (ex. : « ne peut être réglé par voie de négociation ») ont été développés dans la
jurisprudence au fil des ans.
95. Dans l’une des premières et des plus convaincantes déclarations sur cette question, la Cour
permanente de Justice internationale indiquait :
« [...] l’appréciation de l’importance et des chances de réussite d’une négociation
diplomatique est essentiellement relative. Une négociation ne suppose pas toujours et
nécessairement une série plus ou moins longue de notes et de dépêches􀯗; ce peut être
assez qu’une conversation ait été entamée􀯗; cette conversation a pu être très courte :
tel est le cas si elle a rencontré un point mort, si elle s’est heurtée finalement à un non
possumus ou à un non nolumus péremptoire de l’une des Parties et qu’ainsi il est
apparu avec évidence que le différend n’est pas susceptible d’être réglé par une
négociation diplomatique.
[...]
La Cour se rend bien compte de toute l’importance de la règle suivant laquelle ne doivent
être portées devant elle que des affaires qui ne sont pas susceptibles d’être réglées par
négociations [...]. Cependant, pour l’application de cette règle, la Cour ne peut pas se
dispenser de tenir compte, entre autres circonstances, de l’appréciation des États
- 91 -
29
intéressés eux-mêmes, qui sont le mieux placés pour juger des motifs d’ordre politique
pouvant rendre impossible la solution diplomatique d’une contestation déterminée »
(soulignement ajouté) (Concessions Mavrommatis en Palestine [Grèce c. Royaume-Uni],
Publications de la Cour permanente de Justice internationale, série A- nº 2 [1924], pp. 13-
15).
96. Les Affaires du Sud-Ouest africain (1962) apportent quelques éléments supplémentaires. Ici
les défendeurs ont déclaré qu’il n’y avait pas eu de négociations, en particulier pas de négociations
directes entre les parties. Les demandeurs n’ont pas réfuté le fait qu’il n’y avait pas eu de
négociations directes, mais ont déclaré que des négociations avaient été menées entre eux et
d’autres membres des Nations Unies qui partageaient leurs points de vue d’une part et d’autre part
avec le défendeur, au sein de l’Assemblée et d’autres organes des Nations Unies, et que les
négociations aboutissaient chaque fois à une impasse en raison des conditions et restrictions que le
défendeur leur imposait. La Cour a conclu qu’il n’existait en fait aucune probabilité que d’autres
négociations aboutissent à un règlement (Affaires du Sud-Ouest africain [Éthiopie c. Afrique du
Sud􀣟; Liberia c. Afrique du Sud], Exceptions préliminaires, arrêt du 21 décembre 1962, Recueil CIJ,
1962, p. 319 aux pp. 344-345).
97. La Cour a ensuite déclaré :
« Cependant, le défendeur affirme en outre que des négociations collectives au sein des
Nations Unies sont une chose, que des négociations directes entre les demandeurs et
lui-même en sont une autre et qu’aucune négociation directe n’a jamais été engagée
entre eux. Mais ce qui importe en la matière ce n’est pas tant la forme des négociations
que l’attitude et les thèses des Parties sur les aspects fondamentaux de la question en
litige. Tant que l’on demeure inébranlable de part et d’autre — et c’est ce qui ressort
clairement des plaidoiries présentées à la Cour — il n’y a aucune raison qui permette
de penser que le différend soit susceptible d’être réglé par de nouvelles négociations
[...].
D’autre part, la diplomatie pratiquée au sein des conférences ou diplomatie
parlementaire s’est fait reconnaître …comme l’un des moyens établis de conduire des
négociations internationales » (soulignement ajouté) (ibid. p. 346).
98. Dans l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, la Cour a confirmé qu’« elle a finalement admis que des échanges moins
formels puissent constituer des négociations et a reconnu “la diplomatie pratiquée au sein des
conférences ou démocratie parlementaire” » (Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale [Géorgie c. Fédération de Russie],
Exceptions préliminaires, arrêt, Recueil CIJ, 2011, p. 70 au point 160).
c) Date à laquelle la condition de négociation doit être remplie
- 92 -
30
99. La date à laquelle il doit être satisfait à la condition de négociation n’est pas définie en droit
comme l’affirment les défendeurs.
100. Dans l’affaire concernant l’Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, la Cour a rappelé que :
« [...] la Cour, comme sa devancière, a aussi fait preuve de réalisme et de souplesse dans
certaines hypothèses où les conditions de la compétence de la Cour n’étaient pas toutes
remplies à la date de l’introduction de l’instance mais l’avaient été postérieurement, et avant
que la Cour décide sur sa compétence » (Application de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide [Croatie c. Serbie], Exceptions préliminaires, arrêt,
Recueil CIJ, 2008, p. 412 au point 81).
La Cour a ensuite cité une longue liste d’affaires à l’appui de son point de vue et ajouté :
« En effet, ce qui importe, c’est que, au plus tard à la date à laquelle la Cour statue sur sa
compétence, le demandeur soit en droit, s’il le souhaite, d’introduire une nouvelle instance
dans le cadre de laquelle la condition qui faisait initialement défaut serait remplie. En pareil
cas, cela ne servirait pas l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’obliger le
demandeur à recommencer la procédure — ou à en commencer une nouvelle — et il est
préférable, sauf circonstances spéciales, de constater que la condition est désormais
remplie » (ibid. au point 85).
[...]
[...] on n’aperçoit pas pourquoi les arguments tirés d’une bonne administration de la justice,
qui sont à la base de la jurisprudence Mavrommatis, ne seraient pas pertinents aussi dans un
cas tel que celui qui nous occupe. Il ne servirait pas l’intérêt de la justice de mettre le
demandeur dans l’obligation, s’il souhaite persévérer dans ses prétentions, d’entamer une
nouvelle procédure. À cet égard, peu importe la condition qui, à la date d’introduction de
l’instance, faisait défaut, empêchant ainsi la Cour, à ce moment-là, d’exercer sa
compétence, dès lors qu’elle a été remplie par la suite » (ibid. au point 87).
101. Dans l’affaire de l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale, cinq juges ont exprimé une opinion dissidente très forte, y
compris le président de la Cour, qui a déclaré :
« Il est vrai qu’en principe la Cour se place à la date de sa saisine pour apprécier la
réalisation des conditions qui commandent sa compétence ou la recevabilité de la requête.
Mais la Cour a progressivement assoupli la rigueur de ce principe [...] pour tenir compte de
l’hypothèse dans laquelle une condition qui n’aurait pas été remplie à la date de
l’introduction de l’instance aurait été satisfaite postérieurement à celle-ci mais
antérieurement à la date à laquelle la Cour se prononce sur sa compétence (ou sur la
recevabilité de la requête). En pareil cas, ce serait faire preuve d’un formalisme inutile que
de refuser de tenir compte de la réalisation, postérieure à l’introduction de la requête, de la
condition qui faisait initialement défaut » (soulignement ajouté) (point 35).
Faisant référence aux exceptions préliminaires dans l’affaire Croatie c. Serbie, les cinq juges ont
déclaré :
- 93 -
31
« Dans l’affaire en cause, la condition qui s’était trouvée remplie postérieurement à
l’introduction de la requête n’était pas celle relative à l’exigence d’une recherche de
règlement négocié, mais la Cour s’est exprimée dans des termes qui ne laissent place à
aucun doute sur le fait que son raisonnement est valable pour toute condition de compétence
ou de recevabilité qui, n’étant pas initialement remplie, l’a été entre l’introduction de
l’instance et la date à laquelle la Cour statue sur sa compétence » (soulignement ajouté)
(point 37).
Les juges ont considéré que :
« Il faut, selon nous, s’en tenir à une approche résolument réaliste et non formaliste de
la question des négociations, approche qui avait toujours été celle de la Cour jusqu’à
présent.
Il n’existe — et il ne peut exister — aucun critère général permettant de déterminer à
partir de quel seuil un État sera regardé comme ayant satisfait à l’obligation de tenter
de négocier sur les griefs qu’il formule à l’encontre d’un autre État, et de poursuivre sa
tentative aussi loin que possible, en vue de parvenir à un accord.
Tout est affaire d’espèce. Le niveau d’exigence de la Cour ne peut que varier, à l’évidence,
selon la nature des questions qui font l’objet du différend et le comportement de l’État mis
en cause. Il est clair que certaines questions, par leur nature, se prêtent mieux que
d’autres à la négociation, au rapprochement des points de vue, à la recherche d’une
solution de compromis. Il est clair aussi que l’État mis en cause peut répondre à la
réclamation qui lui est adressée par toute une gamme d’attitudes possibles, allant de la
plus grande ouverture à la plus ferme, voire brutale, fin de non-recevoir.
C’est donc toujours une appréciation au cas par cas à laquelle la Cour doit se livrer.
Mais, dans tous les cas, la Cour devrait aborder la question non pas sous un angle formel ou
procédural, mais comme une question de fond. Si la Cour constate qu’il n’existait plus, à
la date de l’introduction de l’instance, ou subsidiairement qu’il n’existe plus à la date
à laquelle elle vérifie sa compétence, une perspective raisonnable pour que le
différend, tel qu’il se présente à elle, soit résolu par la voie de négociations entre les
parties, elle doit admettre sa compétence, sans entrer dans la discussion byzantine de
chacun des actes accomplis par le demandeur, et de ceux qu’il aurait pu accomplir.
On retrouve ici la finalité essentielle des conditions posées par une clause du type de
celle que la Cour doit appliquer en la présente affaire : non pas dresser des obstacles
procéduraux tatillons et inutiles de nature à retarder ou à entraver l’accès du
demandeur à la justice internationale, mais permettre à la Cour de s’assurer, avant de
connaître au fond du différend qui lui est soumis, qu’un effort suffisant a été accompli pour
le régler par d’autres voies que la voie judiciaire.
C’est dans cet esprit que la Cour a toujours appliqué, jusqu’à présent, les clauses
compromissoires comportant une condition de tentative de règlement négocié du différend
[...].
Dans les affaires dites de l’Incident aérien de Lockerbie, la clause applicable (l’article 14,
paragraphe 1, de la Convention de Montréal de 1971 pour la répression d’actes illicites
dirigés contre la sécurité de l’aviation civile) se référait à “tout différend […] qui ne peut
pas être réglé par voie de négociation”. Les défendeurs avaient soutenu [...] que [...] un tel
- 94 -
32
différend, à supposer qu’il existât, n’avait donné lieu à aucune tentative de règlement
négocié.
La Cour, pour écarter l’objection, a retenu, entre autres motifs déterminants, le suivant :
“[...] le défendeur a toujours soutenu que la destruction de l’appareil de la Pan Am audessus
de Lockerbie n’avait suscité entre les Parties aucun différend concernant
l’interprétation ou l’application de la Convention de Montréal et que, de ce fait, il n’y avait,
de l’avis du défendeur, aucune question à régler par voie de négociation conformément à la
Convention [...].
En conséquence, de l’avis de la Cour, le différend qui existerait entre les Parties ne pouvait
[pas] être réglé par voie de négociation [...].”
La présente affaire est la première dans laquelle la Cour conclut à son incompétence
sur la seule base du défaut de réalisation d’une condition de négociation préalable »
(soulignement ajouté) (points 55 à 63 de l’opinion dissidente).
d) Durée des négociations
102. Aux points 97 et 107 b) de leurs exceptions préliminaires, les défendeurs citent l’affaire
États-Unis et 15 États européens, dans laquelle des négociations ont apparemment été menées sur
une période de trois ans, afin de donner à entendre qu’il s’agit là de la norme ou d’une norme pour
satisfaire à la condition de négociations.
103. Mais le Conseil n’a jamais suggéré une telle chose. Il a simplement noté dans les
paragraphes du préambule à la décision que « les négociations entre les parties, qui se sont tenues
sur une période de trois ans à différents niveaux, ont été adéquates et suffisantes pour répondre aux
exigences de l’article 84 [...] » (C-DEC 161/6). Le Conseil n’a jamais dit qu’une période plus courte
ne suffirait pas également. Et il ne pourrait pas le dire. Les circonstances et les faits sont différents
dans tous les cas. Il conviendrait aux défendeurs que le Conseil prévoie une norme de trois ans dans
le cas d’espèce où, en violation de différentes dispositions de la Convention de Chicago et de ses
Annexes, ils ont imposé et continuent d’imposer des restrictions qui ont de graves conséquences
pour l’État du Qatar et sa population. Ils ont toutes les raisons de retarder ou de prévenir
l’administration de la justice et une décision en réponse aux demandes du Qatar, et affirment ainsi
ou à tout le moins suggèrent qu’une période de négociations de trois ans constitue une norme
satisfaisante pour juger de ce qui est adéquat.
104. Dans les faits, la durée, en elle-même, est sans conséquence.
105. Dans l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), l’Inde a
suspendu le survol de son territoire par les aéronefs pakistanais le 4 février 1971􀯗; la question a été
- 95 -
33
portée devant le Conseil par le Pakistan le 3 mars 1971, un peu moins d’un mois plus tard. Le
Conseil s’est déclaré compétent le 29 juillet 1971. Il n’a même pas été suggéré que cette période
d’un mois pour des négociations était inadéquate, ni devant le Conseil ou par le Conseil ou la CIJ.
106. Dans l’affaire concernant le Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à
Téhéran, les actions et omissions dont se sont plaints les États-Unis ont eu lieu le 4 novembre
1979􀯗; les États-Unis ont déposé leur requête auprès de la CIJ le 29 novembre 1979, moins d’un
mois plus tard􀯗; la durée a été sans conséquence pour la CIJ lorsqu’elle s’est déclarée compétente.
107. Enfin, dans l’affaire de l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, la Cour a considéré que la durée à prendre en
considération était de trois jours, depuis le moment où la Cour a établi l’existence d’un différend
entre les parties jusqu’au moment où la Géorgie a déposé sa requête (12 août 2008). Sur les faits, la
Cour a conclu qu’il n’y avait pas eu de tentative de négociation de la part de la Géorgie. La Cour
n’a pas suggéré que cette tentative s’était produite, une période de trois jours serait insuffisante. Il
s’agit là de la seule affaire où la Cour ne s’est pas déclarée compétente en raison de la condition de
négociation. Les juges ayant exprimé une opinion dissidente, mentionnée ci-dessus, ont considéré
que la Cour, conformément à sa jurisprudence constante, aurait dû également examiner la période
postérieure au dépôt de la requête, jusqu’à la date à laquelle la Cour s’est déclarée compétente􀯗; et
en tout état de cause, à la date d’introduction de la requête, il était clairement établi qu’il n’existait
aucune possibilité raisonnable de règlement négocié du différend, et la condition de négociation
était remplie (point 84 de l’opinion dissidente).
108. En fait, en aucun cas le Conseil ou la CIJ n’ont considéré la durée des négociations
comme un facteur ou un facteur important pour se déclarer compétents (« ne peut être réglé
par voie de négociations »)􀯗; l’objet de l’examen est la question factuelle de savoir s’il y a eu
une tentative de négociation ou de véritables négociations, quelle qu’en soit la forme.
e) Autres aspects relatifs aux négociations
109. Au point 95 des exceptions préliminaires, les défendeurs déclarent que les négociations,
« qui doivent à tout le moins avoir fait l’objet d’une tentative », doivent concerner directement le
désaccord entre les deux États et doivent « en particulier avoir examiné (ou à tout le moins avoir
tenté d’examiner) la question spécifique de l’interprétation ou de l’application du traité qui suscite
le différend entre les parties » (soulignement ajouté).
- 96 -
34
110. Dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires, la Cour a jugé que « parce qu’un
État ne s’est pas expressément référé, dans des négociations avec un autre État, à un traité
particulier qui aurait été violé par la conduite de celui-ci, il n’en découle pas nécessairement que le
premier ne serait pas admis à invoquer la clause compromissoire dudit traité » (point 83). Dans
l’affaire de l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, la Cour a néanmoins jugé que les négociations doivent porter sur l’objet du
traité (au point 161). Par Conséquent, l’État du Qatar n’avait pas à faire référence à la Convention
de Chicago et à ses Annexes dans ses négociations ou tentatives de négociation avec les
défendeurs􀯗; il suffit que le refus des droits de survol et d’atterrissage ait été invoqué, ou plus
généralement les mesures instituées contre le Qatar, car les aspects prépondérants sont liés à
l’aviation. Comme cela sera montré ci-dessous, le Qatar a attiré l’attention des défendeurs sur le
texte du traité en question et sur son objet.
111. Au paragraphe 101 des exceptions préliminaires, les défendeurs soutiennent que le Conseil
a demandé la tenue de négociations lors de sa session extraordinaire le 31 juillet 2017, mais qu’« en
dépit de la décision du Conseil, le demandeur n’a pas engagé ces négociations. » Il est difficile à
l’État du Qatar d’interpréter la décision du Conseil de la même manière que les défendeurs. Au
point d) de la décision, le Conseil encourage les cinq parties à maintenir leur collaboration et salue
l’engagement affirmé par leurs représentants quant à la poursuite des consultations pour veiller à la
promotion de la mise en oeuvre de solutions techniques optimales􀯗; et encourage les cinq parties à
collaborer pour délibérer sur les questions plus larges dans d’autres cadres. Le Conseil n’a pas
entamé un examen des aspects juridiques des violations par les défendeurs de leurs obligations au
titre de la Convention de Chicago et, en tout état de cause, a chargé les cinq parties, sur un pied
d’égalité, à poursuivre la collaboration, et non pas seulement l’État du Qatar. Et en fait, l’État du
Qatar a poursuivi sa collaboration et ses consultations dans le cadre de l’OACI en ce qui concerne
les solutions techniques, comme demandé par le Conseil et illustré par les réunions de coordination
technique tenues afin de mettre en place des routes ou des mesures d’exception.
f) Examen et négociations dans le cadre de l’OACI
112. En juin 2017, le Président du Conseil a transmis à l’ensemble des délégations auprès du
Conseil, y compris trois des quatre défendeurs, une série de courriers de l’État du Qatar,
accompagnés de la demande du Qatar d’ajouter un point en vertu de l’article 54 n) de la Convention
- 97 -
35
de Chicago au programme de travail de la 211e session du Conseil. La correspondance jointe au
mémoire du Président est la suivante :
1) Lettre du Qatar au Président du Conseil du 17 juin 2017, réf. 2017/16032, qui constituait
une communication distincte et spécifique au sujet de la demande du Qatar en vertu de
l’article 54 n) à diffuser au Conseil, en vue de « rétablir le flux sûr, sécurisé et efficace de
trafic aérien et de supprimer immédiatement le blocus exercé illicitement contre les
aéronefs immatriculés au Qatar et l’État du Qatar au-dessus de la haute mer » (Pièce
justificative 1).
2) Lettre du Qatar du 5 juin 2017, réf. QCAA/ANS.02/502/17, à la Secrétaire générale, qui
fait référence aux mesures unilatérales prises par le Bahreïn, l’Égypte, l’Arabie saoudite et
les Émirats arabes unis de fermer les FIR qui leur sont allouées pour le trafic vers/depuis le
Qatar, y compris les vols Qatar Airways atterrissant dans les FIR ou les survolant. Cette
lettre demandait une décision urgente de l’OACI sur la prestation de services du Qatar dans
l’espace aérien au-dessus de la haute mer et indiquait que le Qatar collaborait avec le
Bureau régional pour élaborer des « plans d’exception via l’espace aérien international pour
le trafic vers/depuis le Qatar. » La lettre invitait la Secrétaire générale à envisager de porter
la question à l’attention du Conseil (Pièce justificative 2).
3) Dans une lettre de l’autorité de l’aviation civile du Qatar au Président du Conseil du 8
juin 2017, réf. 2017/15984, le Qatar déclarait que les défendeurs avaient mis en oeuvre une
série de mesures coordonnées qui, si leur maintien était autorisé, « imposeraient
effectivement un blocus aérien » du Qatar. Cette lettre indiquait que de nombreuses
dispositions de la Convention de Chicago et de l’Accord relatif au transit des services
aériens internationaux avaient été violées et demandait au Conseil de procéder à un examen
urgent en vertu de l’article 54 n), ainsi que la mise en place de mesures d’exception. Pour la
Convention de Chicago, la lettre indiquait des violations des articles 9, 12, 28, 37, 44 et 69
ainsi que de son Annexe 2 (Pièce justificative 3).
4) Lettre du ministre des Transports et des Communications du Qatar du 13 juin 2017 à la
Secrétaire générale, réf. 2017/15993, indiquant que les actions des défendeurs visant à
fermer leur FIR aux aéronefs immatriculés au Qatar imposaient effectivement un blocus
aérien et que ces actions étaient incompatibles avec les conventions en vigueur. En vertu de
l’article 54 n), le Qatar avait demandé à l’OACI de déclarer que les actions des défendeurs
- 98 -
36
constituaient des violations de la Convention de Chicago et d’ordonner aux défendeurs de
supprimer toutes les sanctions de manière urgente et inconditionnelle (Pièce justificative 4).
5) Lettre à la Secrétaire générale du Président de l’AAC du Qatar du 13 juin 2017, réf.
2017/15994, ainsi qu’une pièce jointe reproduisant une série de NOTAM des défendeurs
(Pièce justificative 5).
6) Lettre du 15 juin 2017 du Président de l’Autorité de l’aviation civile du Qatar à la
Secrétaire générale, réf. 2017/15995, par laquelle le Qatar invoquait officiellement l’article
54 n), demandant au Conseil de « prendre les mesures nécessaires pour rectifier les
violations de la Convention de Chicago et de l’Accord relatif au transit des services aériens
internationaux. » La déclaration officielle du Qatar en vertu de l’article 54 n) était jointe à la
lettre. Des violations spécifiques de la Convention de Chicago (articles 5, 28, 37, 44 et 69)
ont été constatées, et le Conseil a notamment été invité à prier instamment les défendeurs de
cesser d’utiliser ces mesures injustifiées et d’établir des plans d’exception (Pièce
justificative 6).
113. Le Conseil s’est réuni en session extraordinaire le 31 juillet 2017 et a examiné un certain
nombre de documents de travail.
114. La Note de travail (C-WP/14641) du Qatar réaffirmait que les défendeurs avaient fermé leur
espace aérien aux aéronefs immatriculés au Qatar et imposé des restrictions sévères quant à
l’utilisation par ces aéronefs de l’espace aérien international au-dessus de la haute mer qui est
adjacent à l’espace aérien recouvrant leur territoire. Il a été constaté que plusieurs articles de la
Convention de Chicago avaient été violés. Le Conseil a été invité à prier instamment les défendeurs
de lever les restrictions au-dessus de la haute mer ou de prévoir d’autres routes/segments de route
pour transiter au-dessus de la haute mer (Pièce justificative 7).
115. Dans leur note (C-WP/14640), les défendeurs demandent notamment au Conseil :
a) de prendre note des mesures d’exception adoptées entre les parties􀯗;
b) de reconnaître que les parties coopèrent pour mettre en oeuvre les mesures d’exception􀯗;
c) d’encourager les parties à poursuivre leur collaboration.
Les défendeurs ont confirmé qu’ils avaient « suspendu l’accès des aéronefs immatriculés au Qatar à
l’espace aérien de ces États (y compris l’espace aérien au-dessus des eaux territoriales) avec effet le
- 99 -
37
6 juin 2017 » (point 2.1). Au point 4, les défendeurs ont présenté de longues informations sur les
arrangements et routes d’exception (Pièce justificative 8).
116. La Secrétaire générale, dans sa note (C-WP/14639), indique avoir reçu des lettres de
l’Arabie saoudite et de l’Égypte dans lesquelles les deux États confirmaient les restrictions
imposées aux aéronefs immatriculés au Qatar entrant dans leur espace aérien et atterrissant dans
leurs aéroports (point 1.3). La Secrétaire générale a rendu compte des réunions de coordination
associant les différentes parties en vue de renforcer les arrangements d’exception (Pièce justificative
9). D’autres réunions de coordination se sont tenues depuis lors.
117. Dans sa présentation de la note C-WP/14641, le ministre des Transports et des
Communications du Qatar évoquait la fermeture par les défendeurs de leurs espaces aériens
respectifs aux aéronefs immatriculés au Qatar et l’imposition de restrictions sévères à ces aéronefs
en ce qui concerne l’accès à l’espace aérien international au-dessus de la haute mer (C-MIN Session
extraordinaire, 31 juillet 2017, Pièce justificative 10, au point 7). Le ministre a indiqué que les
actions des défendeurs constituaient une violation flagrante de tous les instruments et normes
applicables de l’OACI (point 11). Le Qatar demandait au Conseil de lever le blocus (point 14)􀯗; en
outre, les défendeurs avaient violé les droits consacrés par la Convention de Chicago (point 15).
118. Le ministre de l’Économie des Émirats arabes unis, au nom des quatre États, a évoqué la mise
en place avec succès des routes d’exception avec la coopération de l’OACI (point 33). M. Al
Belushi, Suppléant des Émirats arabes unis, a indiqué :
« […] que le Bureau régional de l’OACI au Moyen-Orient avait coordonné de multiples
réunions afin de revoir les routes d’exception en place actuellement et d’examiner d’autres
propositions [...] » (point 45).
119. Au cours de la discussion qui a suivi, de nombreux représentants ont évoqué la nécessité de
continuer à coopérer, ou de négocier, de dialoguer ou de discuter. Les cinq États ont tous exprimé
leur volonté de collaborer sur les questions techniques. Dans sa décision, le Conseil a encouragé les
cinq parties à poursuivre leur collaboration.
120. L’objet de cette longue récapitulation est de montrer que des négociations ont eu lieu entre les
parties dans le cadre de l’OACI. Cependant, bien que l’État du Qatar ait soulevé, dans sa
correspondance, ses déclarations et ses discussions au sein de l’OACI, les violations spécifiques de
la Convention de Chicago et de ses Annexes, l’OACI et les défendeurs n’ont jusqu’à présent pas
abordé cette question, sauf de façon très limitée en établissant quelques routes d’exception. Le refus
fondamental de permettre aux aéronefs immatriculés au Qatar de survoler le territoire des
défendeurs et/ou d’y atterrir demeure.
- 100 -
38
g) Demande de consultations dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce
121. Dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’État du Qatar a demandé
la tenue de consultations avec l’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Émirats arabes unis, y compris
spécifiquement sur les restrictions sur l’aviation imposées par ces pays au Qatar.
122. Le 4 août 2017, l’OMC a diffusé des communications du Qatar du 31 juillet 2017 auprès
des délégations des trois États susmentionnés leur demandant d’« entamer des consultations
concernant les mesures adoptées dans le contexte des tentatives coercitives d’isolement » imposées
par ces États. Ces communications évoquaient notamment :
1) l’interdiction de l’accès des aéronefs immatriculés au Qatar à l’espace aérien de ces
États􀯗;
2) l’interdiction, depuis et vers ces trois États, des vols exploités par des aéronefs
immatriculés au Qatar, y compris l’interdiction d’atterrissage de ces aéronefs dans les
aéroports de leurs territoires respectifs.
Les communications se concluent par la mention du Qatar qui « espère » recevoir une réponse dans
les dix jours, tel que le prévoient les règles applicables de l’OMC et « fixer une date mutuellement
acceptable pour les consultations [...] » (Pièces justificatives 11.12 et 13).
123. Par une lettre commune du 10 août 2017 adressée au Président de l’Organe de règlement
des différends de l’OMC (Pièce justificative 14), les trois défendeurs ont exprimé qu’ils :
« […] regrettent que des consultations aient été demandées dans cette affaire et saisissent
cette occasion pour réaffirmer leur position partagée et déterminée selon laquelle les
mesures mentionnées dans la demande mettent en oeuvre des décisions diplomatiques et de
sécurité nationale pour lesquelles tous les membres de l’OMC conservent leur pleine
souveraineté. Étant donné que les questions à la base de cette affaire ne sont pas des
questions commerciales, un groupe de travail de l’OMC ne devrait pas être demandé.
[...] Rien dans les accords de l’OMC ou les exceptions concernant la sécurité ne peut être
interprété comme exigeant d’un membre qu’il fournisse des informations qu’il juge
contraires à ses intérêts essentiels de sécurité, comme tel est le cas dans la présente affaire.
Sur la base de ce qui précède, [...] les gouvernements soussignés refusent d’entamer des
consultations sur ce sujet. »
124. Indépendamment des questions de procédure dans le cadre de l’OMC, à savoir si les
défendeurs ont ou non raison, et de l’étape suivante, qui pourrait le cas échéant se présenter, cette
série de communications et de courriers montre que, dans un autre cadre multilatéral, l’État du
- 101 -
39
Qatar a cherché, sans succès, à établir la communication avec les défendeurs sur l’objet du différend
soumis au Conseil.
h) Autres négociations ou tentatives de négociation
125. Une autre chronologie des négociations ou des tentatives de négociation du Qatar avec les
défendeurs est présentée ci-dessous.
126. 5 juin 2017, Doha - Bureau d’information :
« Le ministère des Affaires étrangères de l’État du Qatar regrette profondément la décision
de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Royaume de Bahreïn de fermer leurs
frontières et leur espace aérien et de rompre les relations diplomatiques » (soulignement
ajouté) (Pièce justificative 15).
127. 6 juin 2017, Doha - Bureau d’information :
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a souligné que le choix stratégique du Qatar est de
résoudre toute crise par le dialogue. Il a indiqué que « s’il existait de réels motifs, la question aurait
été soulevée pour être examinée lors des réunions du CCG [Conseil de coopération du Golfe], mais
rien n’a été évoqué. Cette question n’a pas non plus été évoquée lors du Sommet arabo-islamoaméricain
qui s'est tenu à Riyad ». « Une allocution de S.E l’Émir [...] à la population qatarienne
était prévue », mais le discours a été reporté à la demande de S.E. l’Émir du Koweït afin de lui
laisser « la latitude nécessaire pour se déplacer et établir le contact avec les parties en conflit et
tenter de maîtriser la question comme il l’a toujours fait. » Le Qatar a considéré que le différend
entre pays frères devrait être résolu à la table des discussions et que « le choix stratégique du Qatar
est de résoudre tout différend par le dialogue. » Le ministre des Affaires étrangères a indiqué que
des « déclarations inexactes » avaient été faites en ce qui concerne la fermeture de l’espace aérien et
du blocus terrestre et maritime [...] » (soulignement ajouté). Il a ajouté que « quels que soient les
différends entre nos pays, nous devons en parler au sein du CCG [...] » (Pièce justificative 16).
128. 6 juin 2017, Doha - Bureau d’information :
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a déclaré être ouvert à la médiation pour résoudre la
crise. Il a ajouté : « Nous souhaitons nous asseoir et parler » (Pièce justificative 17).
129. 7 juin 2017, Doha - Bureau d’information :
À la suite d’une réunion avec le président des États-Unis, le ministre des Affaires étrangères du
Qatar a indiqué, en ce qui concerne le financement du terrorisme : « nous lui avons dit très
- 102 -
40
clairement qu’en cas d’allégation, nous pouvions nous réunir et régler cette question » (Pièce
justificative 18).
130. 7 juin 2017, Doha - Bureau d’information :
L’Émir de l’État du Qatar s’est réuni avec l’Émir du Koweït􀯗; celui-ci a informé l’Émir de l’État du
Qatar de ses efforts pour tenter de résoudre la crise (Pièce justificative 19).
131. 9 juin 2017, Allemagne - Bureau d’information :
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar s’est réuni avec le ministre allemand des Affaires
étrangères􀯗; ils ont évoqué le blocus aérien, maritime et terrestre, ainsi que la fermeture des
frontières terrestres et de l’espace aérien. Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a
réaffirmé que le choix du Qatar est le dialogue. Il a déclaré : « De nombreux pays amis apportent
leur soutien et déploient des efforts pour maîtriser cette crise et lever ce blocus injuste de l’État du
Qatar et pour ensuite engager des négociations » (Pièce justificative 20).
132. 10 juin 2010, Moscou - Bureau d’information :
Lors d’une réunion avec son homologue à Moscou, le ministre des Affaires étrangères du Qatar « a
réaffirmé son attachement au dialogue pour résoudre les différends avec certains pays voisins et
indiqué que le Conseil de coopération du Golfe (CCG) constitue le cadre le plus approprié pour
régler les différends dans la région » (Pièce justificative 21).
133. 10 juin 2017, Moscou - Bureau d’information :
Dans un entretien télévisé, le ministre des Affaires étrangères du Qatar a indiqué que le Qatar ne
perdrait pas espoir dans la médiation de l’Émir du Koweït et que cette médiation était toujours en
cours (Pièce justificative 22).
134. 12 juin 2017, Londres - Bureau d’information :
Dans une déclaration à Al-Jazeera, le ministre des Affaires étrangères du Qatar a indiqué être en
contact avec l’Émir du Koweït au sujet de ses efforts de médiation et que les États-Unis étaient
également en contact avec le Koweït à propos des efforts de médiation. Le ministre des Affaires
étrangères a souligné que le dialogue diplomatique constitue la solution à la crise « qui requiert des
bases qui n’ont pas encore été dégagées, ajoutant que le Qatar est disposé à examiner toute
demande, pour autant qu’elle soit claire » (Pièce justificative 23).
135. 12 juin 2017, Paris - Bureau d’information :
- 103 -
41
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a souligné que le Qatar ignorait encore ce qui avait
incité les autres parties à boycotter le pays. Il a réaffirmé que le Qatar était ouvert au dialogue sur la
base de principes qui respectent le droit international. Il a également indiqué que « les efforts de
médiation du Koweït bénéficiaient du soutien européen et américain » (Pièce justificative 24).
136. 15 juin 2017, Doha - Bureau d’information :
Rendant compte des efforts diplomatiques du Qatar, le ministre des Affaires étrangères du Qatar a
indiqué, notamment, que le Royaume-Uni et le Qatar s’étaient accordés sur la nécessité de soutenir
l’Émir du Koweït dans ses efforts de médiation􀯗; le ministre allemand des Affaires étrangères a
souligné la nécessité de lever le blocus terrestre, maritime et aérien (Pièce justificative 25).
137. 17 juin 2017, Doha - Bureau d’information :
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a mentionné les importants efforts de l’Émir du
Koweït et indiqué que « les frères koweïtiens se rendaient régulièrement dans les pays qui ont
adopté ces mesures injustes. » Aucune exigence n’a toutefois été présentée (Pièce justificative 26).
138. Le New York Times a indiqué le 20 juin 2017 (Pièce justificative 27) que le Département
d’État des États-Unis a « vivement critiqué l’Arabie saoudite et d’autres pays du golfe Persique
pour avoir imposé un embargo de deux semaines contre le Qatar sans donner à ce petit pays des
moyens spécifiques de résoudre la crise ». L’article cite la porte-parole du Département d’État
comme suit :
« Voilà plus de deux semaines que l’embargo a été lancé, et nous sommes surpris que les
États du Golfe n’aient pas apporté au public ou aux Qatariens des précisions quant à leurs
plaintes à l’égard du Qatar.
Plus le temps passe, plus le doute s’installe au sujet des mesures prises par l’Arabie saoudite
et les Émirats arabes unis [...]
À ce stade, nous nous posons une question simple : ces mesures sont-elles vraiment liées à
leurs préoccupations concernant le prétendu financement du terrorisme, ou s’agit-il de
griefs liés à des tensions latentes de longue date ».
La porte-parole a déclaré que le président des États-Unis avait proposé le (précédent) secrétaire
d’État comme intermédiaire, mais elle a indiqué que les interactions de M. Tillerson avec les
dirigeants de la région avaient conduit celui-ci à conclure que son rôle de médiation n’était pas
nécessaire et qu’« ils seraient en mesure de régler cette question par eux-mêmes ».
139. Cet article révèle que la porte-parole a déclaré que « Depuis l’annonce de l’embargo
contre le Qatar le 5 juin, M. Tillerson avait eu plus de 20 appels et réunions téléphoniques
- 104 -
42
avec les dirigeants du Golfe et d’ailleurs [...] ainsi que deux réunions en tête-à-tête avec M. al-
Jubeir » (le ministre des Affaires étrangères saoudien) (soulignement ajouté).
140. L’article s’achève en indiquant que le ministre des Affaires étrangères du Qatar avait dit
que le pays ne pouvait espérer résoudre la crise jusqu’à ce que l’Arabie saoudite et ses partenaires
ne fournissent des raisons spécifiques de leur embargo. « Nous ignorons ces raisons », semble-t-il
avoir déclaré.
141. Une liste des « exigences » des défendeurs a alors été présentée par le Koweït au Qatar le
22 juin 2017 (Pièce justificative 28). Cette liste d’exigences constitue la Pièce justificative 29􀯗; le
Conseil est invité à examiner la nature de ces exigences dans le cadre d’une négociation.
142. Le 25 juin 2017, la BBC a indiqué que le secrétaire d’État de l’époque avait dit qu’il serait
difficile de satisfaire à certaines de ces exigences, mais que les propositions constituaient une base
de dialogue. Elle a également indiqué que le ministre des Affaires étrangères du Qatar a par la suite
rejeté cette liste. Le ministre des Affaires étrangères du Qatar aurait dit que « ces exigences
démontraient que les sanctions n’avaient “rien à voir avec la lutte contre le terrorisme [...] [mais]
visaient à limiter la souveraineté du Qatar et à externaliser notre politique étrangère” » (Pièce
justificative 30).
143. Dix jours ont été accordés au Qatar pour répondre aux « exigences », soit jusqu’au 3 juillet
2017. La BBC a indiqué le 27 juin 2017 que le porte-parole du gouvernement des Émirats arabes
unis avait déclaré que le Qatar « ne répond pas positivement à ce que nous avons envoyé » et que
« nous romprons toutes nos relations avec le Qatar, économiques, politiques voire sociales, à la
suite des interdictions de vol » (soulignement ajouté). L’article indique que : « Pour l’instant, le
Koweït, qui est neutre, tente de jouer le rôle de médiateur, sans succès jusqu’à présent » (Pièce
justificative 31).
144. 27 juin 2017, Washington - Bureau d’information :
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a affirmé que les « exigences » sont de simples
allégations, qu’elles devraient être étayées par des preuves et qu’elles devraient être réalistes et
possibles. Évoquant une réunion avec l’ancien secrétaire d’État américain, le ministre des Affaires
étrangères a indiqué : « Nous estimons que l’État du Qatar participera à un dialogue constructif avec
les parties concernées si elles souhaitent aboutir à une solution et surmonter cette crise ». Le
ministre a indiqué qu’il avait été entendu que les exigences n’étaient pas négociables (Pièce
justificative 32).
- 105 -
43
145. 27 juin 2017, Washington - Bureau d’information :
Le 27 juin 2017, le ministre des Affaires étrangères du Qatar s’est réuni avec le secrétaire d’État
américain de l’époque. Le secrétaire d’État a souligné l’importance d’aboutir à une solution
satisfaisante dès que possible et fait part de sa disposition à apporter son soutien pour y parvenir
(Pièce justificative 33).
146. Le 28 juin 2017, la BBC a indiqué que le ministre des Affaires étrangères du Qatar « a
condamné ses voisins du Golfe pour avoir refusé de négocier les exigences du Qatar de
rétablissement des relations aériennes, maritimes et terrestres » (soulignement ajouté). Cet article
indique ensuite que « après la tenue de discussions avec M. Tillerson à Washington mardi, des
journalistes ont demandé au ministre des Affaires étrangères saoudien Abel al-Jubeir si les
exigences étaient non négociables. Il a répondu “oui” ». L’article précise également que le ministre
des Affaires étrangères du Qatar, qui a rencontré M. Tillerson [...] plus tard le mardi, a qualifié la
position saoudienne d’“inacceptable” ». En outre, l’article cite le rapporteur spécial des Nations
Unies sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression, David Kay, selon lequel « la fermeture d’Al
Jazeera porterait un coup dur au pluralisme médiatique dans une région souffrant déjà de
restrictions graves sur l’information et les médias de tous types » (Pièce justificative 34).
147. 30 juin 2017, Washington - Bureau d’information :
Lors d’une réunion organisée par le Centre arabe de Washington, le ministre des Affaires étrangères
du Qatar a déclaré que les parties devraient « entamer un dialogue, formuler des exigences,
examiner et vérifier ces exigences, et ensuite viendra le moment où nous surmonterons ces
difficultés [...] mais fixer des exigences avec une échéance est un précédent inhabituel. » Il a déclaré
que toute liste de demandes ou d’exigences devrait être négociée, mais que présenter des exigences
non négociables montre un manque de respect à l’égard du droit international (Pièce justificative
35).
148. 1er juillet 2017, New York - Bureau d’information :
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a rencontré les représentants des cinq membres
permanents du Conseil de sécurité et des représentants de membres non permanents􀯗; le ministre des
Affaires étrangères a souligné l’importance du dialogue pour le Qatar et du soutien à la médiation
de l’État du Koweït (Pièce justificative 36).
149. 1er juillet 2017, Rome - Bureau d’information :
- 106 -
44
Lors d’une réunion avec le ministre des Affaires étrangères italien, le ministre des Affaires
étrangères du Qatar a réaffirmé que le Qatar était disposé à participer à un dialogue constructif et à
des négociations avec les défendeurs, pour autant que ce dialogue s’appuie sur des bases solides
(Pièce justificative 37).
150. Et cette situation s’est poursuivie, les réunions et les forums publics se sont suivis.
L’État du Qatar a saisi chaque occasion pour proposer de négocier avec les défendeurs, en
vain, ou pratiquement en vain.
151. 1er juillet 2017, Rome - Bureau d’information :
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a déclaré que les défendeurs établissaient des
exigences qui visaient à être rejetées􀯗; ces exigences violaient le droit international et n’avaient pas
pour but de combattre le terrorisme mais visaient au contraire à affaiblir et à porter atteinte à la
souveraineté du Qatar. Le Qatar, en revanche, souhaitait un dialogue assorti de conditions
appropriées (Pièce justificative 38).
152. 4 juillet 2017, Doha - Bureau d’information :
Lors d’une conférence de presse conjointe, les ministres des Affaires étrangères qatarien et
allemand ont salué les efforts de médiation de l’Émir du Koweït. Pour le ministre des Affaires
étrangères du Qatar, il était manifeste qu’aucune solution n’existait en dehors de négociations
(Pièce justificative 39).
153. 5 juillet 2017, Londres - Bureau d’information :
Dans une allocution au Royal Institute of International Affairs à Chatham House, le ministre des
Affaires étrangères du Qatar a déclaré que depuis plus de trois semaines, après le 5 juin 2017, le
Qatar avait demandé que lui soient présentées des exigences spécifiques, et que « ce n’est qu’à la
suite de pressions internationales et en particulier américaines qu’ils nous ont présenté le 23 juin
une liste de 13 “exigences” dont ils nous ont dit que nous devions y répondre d’ici le 3 juillet ».
« [...] elles ne constituaient pas des griefs “raisonnables et juridiquement réparables” contre
le Qatar, comme l’avait espéré le secrétaire d’État américain, et elles n’étaient ni
“mesurées” ni réalistes, comme l’avait voulu le ministre britannique des Affaires
étrangères.
[...]
La réponse à nos désaccords ne réside pas dans des blocus et des ultimatums. Mais dans le
dialogue et la raison. Au Qatar, nous sommes toujours ouverts aux deux, et nous accueillons
positivement tous les efforts sérieux de règlement de nos différends avec nos voisins [...]. Et
nous accueillons toujours le dialogue et les négociations.
- 107 -
45
[...]
[...] Alors que la prolongation du délai de 48 heures touche à sa fin, le Qatar continue
d’appeler au dialogue […].
[...] Le Qatar se tient prêt à participer à un processus de négociation avec un cadre clair et
un ensemble de principes qui garantissent qu’il n’est pas porté atteinte à notre souveraineté
[...]. » (Pièce justificative 40).
154. 6 juillet 2017, Londres - Bureau d’information :
Dans un entretien à CNN, le ministre des Affaires étrangères du Qatar a déclaré que le Qatar ne
satisferait à aucune exigence qui constitue à ses yeux une violation du droit international et que
toute exigence portant atteinte à la souveraineté du Qatar ne serait pas examinée (Pièce justificative
41).
155. 7 juillet 2017, Doha - Bureau d’information :
Une source de haut rang du ministère des Affaires étrangères du Qatar a évoqué le fait que la
réponse du Qatar aux exigences avait été remise à l’Émir du Koweït en sa qualité de médiateur.
Cette source a réaffirmé la disposition du Qatar à coopérer et à examiner toutes les demandes qui ne
s’opposent pas à la souveraineté de l’État du Qatar.
156. 10 juillet 2017, Doha - Bureau d’information :
Le directeur du Bureau des communications du gouvernement qatarien a indiqué que certaines des
allégations et exigences des défendeurs étaient dépourvues de fondement, tandis que d’autres
constituaient une attaque contre la souveraineté du Qatar􀯗; par conséquent, le Qatar avait rejeté ces
exigences (Pièce justificative 43).
157. 10 juillet 2017, Abidjan - Bureau d’information :
Le secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Qatar a affirmé que le Qatar était disposé « à
dialoguer, à négocier et à trouver des solutions aux problèmes existants dans le respect des droits de
tout État sans imposition ni menace » (Pièce justificative 44).
158. 11 juillet 2017, Doha - Bureau d’information :
À l’occasion de la signature par le Qatar et les États-Unis d’un protocole d’accord sur la lutte contre
le financement du terrorisme, une réunion tripartite s’est tenue avec le Koweït, au cours de laquelle
l’évolution de la crise du Golfe a été examinée. Le secrétaire d’État américain « a qualifié cette
discussion avec les autorités qatariennes de profonde et de constructive, indiquant qu’il se rendrait
en Arabie saoudite afin d’examiner leurs préoccupations et les possibilités de régler la crise ». Le
- 108 -
46
secrétaire d’État a confirmé que le but de cette visite était de soutenir les efforts de médiation du
Koweït, d’aider les deux parties à comprendre la source des préoccupations et de trouver une
solution possible à leurs différends (Pièce justificative 45).
159. 11 juillet 2017, Doha - Bureau d’information :
Une réunion conjointe s’est tenue entre le Qatar, le Koweït et les États-Unis afin d’examiner
l’évolution de la crise et les efforts de médiation du Koweït (Pièce justificative 46).
160. Selon un article du New York Times du 11 juillet 2017, le secrétaire d’État américain
présenterait le 12 juillet 2017 le protocole d’accord contre le financement du terrorisme signé par le
Qatar aux :
« […] dirigeants d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Bahreïn afin de voir si
cela suffirait pour mettre fin à une confrontation qui a conduit quatre États arabes à bloquer
le Qatar pendant plus d’un mois [...]
Le Département d’État s’est ouvertement demandé si la véritable intention du groupe mené
par l’Arabie saoudite n’était pas de régler d’anciens comptes avec le Qatar et, mardi,
M. Tillerson a indiqué clairement que sur la question du financement du terrorisme, le Qatar
avait désormais devancé ses rivaux.
[...]
M.Tillerson espérait éviter ce voyage. Lors des premiers jours de crise, il a passé des heures
au téléphone en demandant instamment aux deux parties d’aboutir à un compromis. Lors de
sa première allocution publique importante au sujet du différend, il a cité des raisons
humanitaires pour que les quatre pays mettent inconditionnellement fin à leur embargo.
“Le but de ce voyage était d’étudier les possibilités de trouver une solution”, a indiqué R.C:
Hammond, un porte-parole de M. Tillerson.
Mais étant donné les fortes probabilités d’échec, M. Hammond a indiqué que M. Tillerson
gardait ses distances et ne souhaitait pas intervenir en tant que médiateur » (soulignement
ajouté) (Pièce justificative 47).
161. 13 juillet 2017, Doha - Bureau d’information :
Une autre réunion entre les États-Unis, le Qatar et le Koweït s’est tenue pour examiner les résultats
de la visite du secrétaire d’État américain à Djedda. Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a
saisi cette occasion pour rappeler de nouveau que le Qatar :
« […] est toujours ouvert à un dialogue constructif pour résoudre tout différend entre États.
Cette crise ne peut être résolue que par un dialogue fondé sur les principes du respect
mutuel et de la souveraineté des États [...] et l’État du Qatar est disposé à examiner toutes
les exigences présentées par les quatre pays et leurs preuves sur ces bases » (Pièce
justificative 48)
162. 14 juillet 2017, Ankara - Bureau d’information :
- 109 -
47
Lors d’une réunion avec le ministre des Affaires étrangères turc, le ministre des Affaires étrangères
du Qatar a souligné que le Qatar était convaincu de l’importance du dialogue pour résoudre la crise
(Pièce justificative 49).
163. 15 juillet 2017, Doha - Bureau d’information :
Lors d’une réunion avec le ministre français des Affaires étrangères, le ministre des Affaires
étrangères du Qatar a souligné que :
« Le Qatar était disposé à tenir un dialogue constructif avec les pays du siège, pour autant
que cela ne porte pas atteinte à la souveraineté de l’État du Qatar et que ce dialogue soit
mené conformément au droit international » (Pièce justificative 50).
164. 17 juillet 2017, Athènes - Bureau d’information :
L’ambassadeur du Qatar en Grèce a déclaré que le Qatar « attend toujours le retour de ses frères
arabes à la table du dialogue »􀯗; il a également exprimé des regrets au sujet du siège terrestre,
maritime et aérien du Qatar (Pièce justificative 51).
165. 21 juillet 2017, The Independent, Royaume-Uni :
Le journal The Independent a rendu compte d’une allocution de l’Émir du Qatar dans laquelle il
faisait appel au dialogue pour résoudre la crise. L’article indiquait que le secrétaire d’État américain
était satisfait des efforts déployés par le Qatar pour mettre en oeuvre un accord visant à combattre le
financement du terrorisme et avait invité les quatre États à lever leur blocus terrestre. L’allocution
aurait été faite quelques jours avant que le président turc ne se rende au Qatar, en Arabie saoudite et
au Koweït pour tenter de résoudre le différend. » L’article faisait également référence à une série de
missions diplomatiques au début du mois par le secrétaire d’État américain (Pièce justificative 52).
166. 25 juillet 2017, Washington - Bureau d’information :
Dans un entretien au Washington Post, le ministre des Affaires étrangères du Qatar a fait part de la
volonté de dialogue pour résoudre la crise, « ajoutant qu’il est une “victime de l’intimidation
géopolitique” de voisins plus grands qui ne cherchent « rien d’autre que l’abandon de la
souveraineté du Qatar », indiquait le journal » (Pièce justificative 53).
167. 25 juillet 2017, Washington - Bureau d’information :
Dans un entretien à Al-Jazeera, le ministre des Affaires étrangères du Qatar a salué « les efforts
importants accomplis par le secrétaire d’État américain Rex Tillerson au cours de sa dernière visite
dans les pays du Golfe, qui a présenté des propositions auxquelles nous allons répondre. » Il a
- 110 -
48
souligné que : « Le Qatar ne négociera pas sa souveraineté nationale et est disposé à discuter des
demandes des pays du siège quant à la menace posée par le Qatar à leur sécurité nationale, pour
autant que ces allégations soient fondées » (Pièce justificative 54).
168. 25 juillet 2017, Vienne - Bureau d’information :
L’ambassadeur du Qatar en Autriche a déclaré dans un entretien que « le dialogue est nécessaire
[...]. Nous continuerons de souscrire à ce principe. Nous appelons l’autre partie à adopter la même
approche » (Pièce justificative 55).
169. 27 juillet 2017, Washington - Bureau d’information :
Dans des déclarations à Al-Jazeera, le ministre des Affaires étrangères du Qatar a déclaré qu’il
examinait avec le secrétaire d’État américain des propositions pour résoudre la crise que celui-ci
« avait présentées lors de sa dernière visite dans les pays du Golfe ». Il a souligné que le Qatar
accueille positivement ces propositions (Pièce justificative 56).
170. 27 juillet 2017, New York - Bureau d’information :
Au cours d’une réunion avec le Secrétaire général des Nations Unies, le ministre des Affaires
étrangères du Qatar a souligné la volonté du Qatar de poursuivre le dialogue pour résoudre la crise
« et sa volonté de s’asseoir à la table du dialogue avec les pays du siège sur la base des principes du
respect du droit international et de la souveraineté de l’État du Qatar » (Pièce justificative 57).
171. L’agence de presse saoudienne officielle a indiqué le 30 juillet 2017 que le ministre des
Affaires étrangères d’Arabie saoudite « a dit qu’il n’y avait pas de négociation sur les 13
exigences ou les six principes présentés dans la déclaration du Caire » (soulignement ajouté)
(Pièce justificative 58).
172. 18 août 2017, Oslo - Bureau d’information :
Lors d’une réunion avec le ministre norvégien des Affaires étrangères, le ministre des Affaires
étrangères du Qatar a « réaffirmé la position du Qatar en faveur de la médiation du Koweït, du
dialogue et d’une solution diplomatique durable fondée sur le respect du droit international et de la
souveraineté. Le ministre a également informé son homologue norvégien de la situation de la
médiation du Koweït, soulignant l’interaction positive du Qatar à cet égard » (Pièce justificative
59).
173. 30 août 2017, Doha - Bureau d’information :
- 111 -
49
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a rencontré son homologue russe et « réaffirmé la
disposition du Qatar au dialogue [...], déclarant que l’État du Qatar avait présenté une demande
officielle à l’État du Koweït indiquant sa disposition au dialogue, mais que les pays du siège n’y
avaient pas répondu » (Pièce justificative 60).
174. 30 août 2017, Doha - Bureau d’information :
Lors d’une conférence de presse conjointe avec le ministre russe des Affaires étrangères, le ministre
des Affaires étrangères du Qatar a évoqué :
« [...] les lettres envoyées par S.E. l’Émir du Koweït à toutes les parties, appelant au
dialogue, directement et inconditionnellement. Il a fait observer que l’État du Qatar
était le seul pays à avoir répondu à la lettre du Koweït après quelques jours􀯗; en
revanche, aucun des pays du siège n’y a répondu, dans le prolongement de leur
approche consistant à ne pas répondre et à ignorer les efforts de médiation, de la part
du Koweït ou de tout autre pays ami, évoquant à cet égard les visites des envoyés du
secrétaire d’État américain qui ont présenté certaines propositions qui ont également
été ignorées par les pays du siège » (soulignement ajouté).
[...]
Le ministre des Affaires étrangères a rappelé plusieurs tentatives de mener un dialogue
inconditionnel de la part des médiateurs et, plus récemment, de l’Émir du Koweït. Les pays
du siège n’ont pas répondu à ces appels au dialogue et ont fixé des conditions chaque fois
qu’ils ont été invités à des pourparlers. L’État du Qatar a fait part de son désir de résoudre
la crise par le dialogue à plus de douze reprises [...] »
Le ministre des Affaires étrangères a déclaré que « les organisations internationales font leur travail
et que les initiatives ont débouché sur des résultats en ce qui concerne les questions maritimes,
aériennes et humanitaires et d’autres mesures illégales » (soulignement ajouté) (Pièce justificative
61).
175. 1er septembre 2017, Bruxelles - Bureau d’information :
Lors d’une réunion avec un certain nombre de députés européens, le ministre des Affaires
étrangères du Qatar a souligné « le respect du Qatar à l’égard des efforts de médiation du Koweït et
réaffirmé la disposition du Qatar à tenir un dialogue avec les pays du siège dans le respect du droit
international et de la souveraineté » (Pièce justificative 62).
176. Le 8 septembre 2017, la conversation téléphonique de l’Émir du Qatar avec le Président des
États-Unis a été largement rapportée par les médias. Le président des États-Unis a informé l’Émir
des résultats de son entretien avec le Prince héritier d’Arabie saoudite, ainsi que des discussions
tenues avec l’Émir du Koweït. Un des quelques contacts directs entre les parties a été suivi d’un
- 112 -
50
appel téléphonique entre l’Émir du Qatar et le Prince héritier d’Arabie saoudite, au cours
duquel il semble que tous deux aient souligné la nécessité de résoudre la crise par le dialogue.
177. Les choses ont toutefois dégénéré à partir de ce moment.
178. Les journaux qatariens ont déclaré que l’Émir du Qatar accueillait positivement la
proposition du Prince héritier d’Arabie saoudite de désigner deux envoyés « pour résoudre les
questions controversées d’une manière qui ne porte pas atteinte à la souveraineté des États » (Pièce
justificative 63)
179. L’agence de presse saoudienne officielle a rapporté le 9 septembre 2017 qu’un
fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères saoudien avait déclaré que ce qui avait été publié
était une distorsion des faits. Le communiqué de presse ajoutait :
« Le contact a été établi à la demande du Qatar en ce qui concerne sa demande de
dialogue avec les quatre pays au sujet des exigences et, dans la mesure où cela prouve
que l’autorité du Qatar n’est pas sérieuse dans le dialogue et poursuit ses politiques
précédentes, le Royaume d’Arabie saoudite déclare que tout dialogue ou
communication avec l’autorité du Qatar est suspendu [...] » (soulignement ajouté)
(Pièce justificative 64).
Ce qui précède montre clairement que ce contact a été établi à la demande du Qatar, que les
parties ont été en contact direct, mais que cela s’est avéré futile et que les parties se trouvent
dans l’impasse.
180. 11 septembre 2017, agence de presse des Émirats :
L’agence de presse des Émirats a cité un éditorial de Gulf News, un journal des Émirats arabes unis,
qui indique :
« Des tentatives ont été menées par des intermédiaires tiers pour intercéder et négocier une
fin à cette impasse, et l’Émir du Koweït [...] a agi comme intermédiaire au cours de cette
période de communications indirectes. Les États-Unis, l’Allemagne et la France ont tous
joué un rôle. Chacune des 13 exigences du quartet est non négociable, non divisible et
constitue le strict minimum requis pour revenir à la normalité entre voisins. Et le
quartet est disposé à écouter » (soulignement ajouté) (Pièce justificative 65).
181. 11 septembre 2017, Genève - Bureau d’information :
Lors d’une conférence de presse, le ministre des Affaires étrangères du Qatar a déclaré que
le Qatar avait répondu aux 13 exigences « dans un langage juridique et rationnel et transmis la
réponse aux quatre pays, qui ont par la suite établi les six principes, que le Qatar s’est dit disposé à
examiner, pour autant qu’il existe des obligations collectives de la part de tous les pays, mais nous
avons été étonnés du retrait des quatre pays et insistons de nouveau sur les 13 exigences, dont une
- 113 -
51
serait annulée après dix jours. » Évoquant l’appel téléphonique entre le Qatar et l’Arabie saoudite,
le ministre des Affaires étrangères a déclaré que : « Une demi-heure plus tard, l’Arabie saoudite a
publié une déclaration indiquant que ce que nous avions affirmé au sujet de la communication était
un mensonge, alors que tous les points mentionnés dans notre déclaration s’appuyaient sur des
faits ». Toutefois, la position du Qatar n’avait pas changé􀯗; le Qatar était disposé à s’adresser aux
autres États et à participer à tout effort visant à résoudre la crise (Pièce jointe 66).
182. 15 septembre 2017, Paris - Bureau d’information :
Au cours d’une réunion en France l’Émir du Qatar et le président français ont examiné les efforts
visant à résoudre la crise « par le dialogue et des moyens diplomatiques via les bons offices de
l’État du Koweït, qui est soutenu par les deux pays » (Pièce justificative 67).
183. 19 septembre 2017, New York - Bureau d’information :
À la séance d’ouverture de la 72e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, l’Émir du
Qatar a déclaré :
« Le Qatar gère successivement son existence, son économie, ses plans de développement
et sa communication avec le reste du monde au moyen des routes aériennes et maritimes
[...]
Le blocus a été imposé brutalement et sans avertissement [...]
[...] Parallèlement, nous avons adopté une attitude ouverte en faveur du dialogue, sans
imposition, et avons exprimé notre disposition à résoudre les différends au moyen de
compromis sur la base d’une compréhension commune. D’ici, je renouvelle mon appel en
faveur d’un dialogue fondé sur le respect mutuel de la souveraineté et j’estime grandement
la médiation sincère et appréciée que l’État du Qatar a soutenue dès le début [...] » (Pièce
justificative 68).
184. 19 septembre 2017, New York - Bureau d’information :
L’Émir du Qatar a rencontré le président des États-Unis et examiné la crise du Golfe et les efforts
visant à la résoudre par le dialogue et des moyens diplomatiques. Le président des États-Unis a
indiqué que des efforts étaient en cours pour résoudre le problème. Pour sa part, l’Émir a déclaré
que les efforts du président des États-Unis contribueraient dans une large mesure à trouver une
solution, soulignant la disposition et l’ouverture du Qatar au dialogue (Pièce justificative 69).
185. 26 septembre 2017, New York - Bureau d’information :
Dans une déclaration lors d’une réunion ministérielle du Mouvement des pays non alignés, le
secrétaire d’État aux Affaires étrangères a affirmé que le Qatar était disposé à un mener un dialogue
constructif et direct au sujet des allégations soulevées contre lui et à résoudre les différences de
- 114 -
52
points de vue. Il a attiré l’attention sur le siège terrestre, maritime et aérien imposé au Qatar (Pièce
justificative 70).
186. 19 octobre 2017, Bloomberg a rapporté que :
« Le secrétaire d’État Rex Tillerson a peu d’espoir que la confrontation entre le bloc
mené par l’Arabie saoudite et le Qatar s’achève d’ici peu, mettant en cause les quatre
pays rassemblés contre l’émirat pour le manque de progrès et jetant le doute sur les
efforts de médiation des États-Unis dans la crise.
“Il semble qu’il existe un réel manque de volonté de la part de certaines parties de
nouer le contact”, a indiqué M. Tillerson dans un entretien jeudi à Washington. “Il
appartient aux dirigeants du quartet de décider d’établir le contact avec le Qatar, car
celui-ci a été très clair quant à sa volonté d’établir ce contact.”
M. Tillerson a formulé ce commentaire quelques jours avant de se rendre dans la région, y
compris des escales en Arabie saoudite et au Qatar, dans un nouvel effort de résolution du
différend » (soulignement ajouté) (Pièce justificative 71).
187. 22 octobre 2017, Doha - Bureau d’information :
Lors d’une réunion avec le secrétaire d’État américain lors de sa visite à Doha, le ministre des
Affaires étrangères du Qatar a informé son homologue des évolutions les plus récentes de la crise
du Golfe et des efforts de médiation du Koweït et affirmé l’attachement continu du Qatar à
participer à un dialogue constructif pour résoudre la crise du Golfe. Il a également déclaré que la
convocation d’un sommet du CCG constituerait une bonne occasion de mener un dialogue
diplomatique et civilisé (Pièce justificative 72).
188. Le Bureau des affaires publiques du département d’État des États-Unis a publié une
transcription des observations du secrétaire d’État américain lors de sa visite à Doha le 22 octobre
2017. Il a notamment indiqué :
« Nous appelons de nouveau les parties concernées à poursuivre leurs efforts en faveur de la
discussion et du dialogue et à trouver un moyen de résoudre les différends [...].
Les États-Unis poursuivent leurs efforts. Nous continuerons de soutenir l’Émir du
Koweït dans ses efforts visant une solution diplomatique et nous continuerons de
susciter la participation de toutes les parties afin de les aider à mieux comprendre les
préoccupations et à éventuellement trouver une solution.
[...]
[...] Nous restons en contact étroit avec toutes les parties. Le président Trump luimême
s’adresse aux dirigeants des pays concernés et a indiqué à chacun d’eux qu’il
considérait que le temps était venu de trouver une solution à ce différend. Les États-Unis
sont disposés à faciliter le règlement de ce différend, du mieux qu’ils le peuvent, que ce soit
en facilitant la discussion directement ou en proposant d’éventuelles feuilles de route pour
une solution.
- 115 -
53
[...]
En ce qui concerne les conversations en cours, oui, j’ai demandé au Prince héritier
Mohammad bin Salman d’établir le dialogue. Rien n’indique clairement que les parties
soient actuellement disposées à engager des discussions [...]. Mais nous continuerons
d’oeuvrer en faveur de l’établissement de ce dialogue [...]
[...]
En ce qui concerne l’avantage pour l’Iran, je crois que l’avantage le plus immédiat et
évident est que l’Iran représente le seul espace aérien disponible pour le Qatar [...] »
(soulignement ajouté) (Pièce justificative 73).
189. 22 octobre 2017, Doha - Bureau d’information :
Lors d’une conférence de presse commune avec le secrétaire d’État américain, le ministre des
Affaires étrangères du Qatar a déclaré que le Qatar considérait que la convocation d’une réunion du
CCG constituerait une occasion en or pour au moins engager le dialogue, indiquant que le Qatar
n’avait reçu aucun message officiel concernant un report du sommet et espérant que le sommet se
tiendrait comme prévu. Il a indiqué que le report de cette réunion importante serait imputable à
« l’intransigeance des pays du siège et à leur refus du dialogue. » Il a souhaité que ces pays
« assument leur responsabilité d’engager un dialogue positif et sérieux afin de mettre fin à cette
crise qui jusqu’à présent est dénuée de raison claire pour l’État du Qatar ou pour chacun de ses
alliés » (Pièce justificative 74).
190. 4 novembre 2017, Marrakech - Bureau d’information :
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a réaffirmé que le Qatar a appelé au dialogue comme
solution aux crises et exprimé son espoir que les pays reprendraient le dialogue. Il a déclaré :
« [...] Nous attendons davantage d’alliés et d’amis qui déclarent leur rejet de la violation du
droit international, et les États-Unis ont été à la tête de ces pays􀯗; ils tentent d’appeler au
dialogue, mais dans tout conflit ou crise, il existe toujours deux parties. Si une partie ne
souhaite pas dialoguer, il ne peut être mis fin à la crise, même si l’une des parties est
contrainte de s’asseoir à la table du dialogue, elle ne manifestera aucune intention sincère
de résoudre le problème.
Le Qatar a maintenu sa position en faveur de la résolution de cette crise, il s’assiéra à la
table dans l’attente de ses amis et alliés [...] » (Pièce justificative 75)
191. 14 novembre 2017, Doha - Bureau d’information :
L’émir de l’État du Qatar a présenté une allocution lors de l’ouverture du Conseil consultatif du
Qatar le 14 novembre 2017, faisant référence au blocus injuste et déclarant :
« [...] nous pensons ce que nous disons lorsque nous faisons part de notre disposition aux
règlements des différends dans le cadre d’un dialogue fondé sur le respect mutuel de la
- 116 -
54
souveraineté et des engagements conjoints. En revanche, nous savons que les indications
que nous recevons révèlent que les pays du siège ne sont pas disposés à parvenir à une
solution.
[...]
[...] Je remercie sincèrement [l’] [...] Émir de l’État frère du Koweït de tous ses efforts
attentifs de médiation parmi nos États du Golfe [...]
[...]
Nous avons bien entendu pris toutes les mesures nécessaires pour relever les nouveaux défis
dans les domaines du transport aérien et maritime » (Pièce justificative 76)
192. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a mené une
mission technique au Qatar du 17 au 24 novembre 2017. Le Royaume d’Arabie saoudite, les
Émirats arabes unis et le Bahreïn ont été informés de l’invitation à mener cette mission, et le HCDH
s’est montré disposé à mener des missions similaires dans leurs États respectifs, ce qu’ils n’ont pas
accepté.
Le HCDH a déclaré :
« Bien que l’Émir du Koweït se soit efforcé d’établir le contact avec tous les États
concernés afin de soulager les tensions et d’éviter toute escalade, le dialogue semble s’être
enlisé ».
[...]
Au cours d’une réunion avec l’équipe de direction de Qatar Airways, l’équipe [du HCDH] a
été informée de la fermeture de l’espace aérien de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes
unis et du Bahreïn, seul un étroit corridor étant ouvert au nord, imposant aux vols de Qatar
Airways d’être dirigés vers l’Iran et de contourner l’Arabie saoudite pour accéder aux
destinations vers l’ouest et le sud. Cette situation, combinée à la fin des vols vers et depuis
l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Bahreïn, a considérablement réduit
l’accessibilité du Qatar par air et accru les temps et les coûts des voyages.
[...]
La crise s’est caractérisée par l’absence de dialogue entre les États concernés, les efforts de
médiation entrepris à l’initiative du Koweït s’étant enlisés » (soulignement ajouté)
(Pièce justificative 77 aux points 10, 30 et 65).
193. 18 novembre 2017, Doha - Bureau d’information :
Dans un entretien au réseau de télévision américain MSNBC, le Vice-Premier ministre et ministre
des Affaires étrangères du Qatar a souligné que le Qatar restait attaché à résoudre la crise du CCG.
Il a déclaré que le Qatar bénéficiait du soutien des États-Unis « à tous les niveaux pour mettre fin au
siège ». Le Qatar était attaché à trouver une solution (Pièce justificative 78).
194. 3 décembre 2017, Doha - Bureau d’information :
- 117 -
55
Le ministre des Affaires étrangères et Vice-Premier ministre a déclaré lors d’une conférence qu’il
espérait que la crise du CCG se résoudrait dans le cadre du CCG et grâce à la médiation du Koweït.
Il a fait référence aux réunions qui seraient accueillies le lendemain par l’Émir du Koweït à
l’échelle ministérielle. Il a souligné que le sommet « doit déboucher sur un mécanisme clair qui
mette fin à la crise qui dure depuis six mois. » Il a indiqué que :
« […] ils comptent désormais sur la sagesse de S.E. Sheikh Sabah [Émir du Koweït] et les
autres pays pour que la raison se fasse entendre et que les parties s’asseyent à la table et
examinent leurs différends, à la condition que tout accord soit contraignant pour toutes les
parties concernées. Dans ce cas, le Qatar sera le premier à accueillir avec satisfaction un tel
accord. »
Le Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères :
« […] a mis en évidence les nombreuses tentatives des États-Unis de résoudre la situation, y
compris une feuille de route présentée par le secrétaire d’État américain au début de la crise
et une invitation du président des États-Unis à tenir un dialogue à Camp David. Ces deux
invitations ont été rejetées [...] » (Pièce justificative 79).
195. 10 janvier 2018, Doha - Bureau d’information :
Dans un entretien à la télévision qatarienne, le Vice-Premier ministre et ministre des Affaires
étrangères du Qatar :
« […] a indiqué que les exigences ont fait l’objet de fuites dans les médias après avoir été
transmises au Qatar, ajoutant que Doha a soumis dans les formes sa réponse à ces
exigences à S.E. l’Émir du Koweït [...], et que les six principes ont ensuite été établis au
Caire et accueillis positivement par l’État du Qatar comme principes directeurs.
Cependant [...] les pays du siège ont placé de nouveau les 13 exigences au premier rang
des priorités, et il n’a pas été compris à ce stade s’ils présentaient les 13 exigences ou
les six principes. »
[...]
« Quant aux efforts du secrétaire d’État américain Rex Tillerson et à savoir pourquoi ces
efforts n’ont pas été couronnés de succès, S.E Sheikh Mohammed bin Abdulrahman Al-
Thani a déclaré que l’État du Qatar était en contact avec le secrétaire d’État américain de
manière transparente, ouverte, positive et constructive.
Il a indiqué que le secrétaire d’État américain s’était rendu au Qatar et ensuite en Arabie
saoudite où il avait rencontré les dirigeants des pays du siège, qu’il était ensuite retourné à
Doha avec une proposition de principes et une feuille de route et avait demandé une réponse
à cette proposition dans un délai de cinq jours. Le secrétaire d’État avait également
mentionné que le Prince héritier d’Arabie saoudite lui avait dit qu’il n’était pas opposé au
dialogue, mais que l’État du Qatar devrait publier une déclaration dans un format spécifique
indiquant sa disposition à négocier.
“Nous nous sommes mis d’accord et il m’a transmis le libellé de la proposition, qui
constituait un format acceptable. Nous avons publié une déclaration après le départ du
secrétaire d’État américain. L’Arabie saoudite était censée publier une déclaration similaire
- 118 -
56
favorable. La déclaration du Qatar a été publiée mais n’a été suivie d’aucune déclaration
positive, mais plutôt négative, en réponse à la déclaration du Qatar.
Nous n’avons par la suite pas tenu compte de cette étape et nous avons répondu à la
feuille de route et à la liste de principes après les cinq jours mentionnés par le
secrétaire d’État américain, dont près de 90% d’entre eux étaient acceptables, qu’il
s’agisse de la feuille de route ou des principes, car ils étaient rationnels, ne portaient
atteinte à la souveraineté d’aucun État et étaient contraignants pour tous, de même que la
feuille de route. Ensuite, nous nous sommes renseignés sur les mesures qui devraient
suivre. La réponse américaine a indiqué que les pays du siège n’avaient pas répondu􀯗;
par conséquent, l’affaire s’est enlisée à ce moment, a déclaré le Vice-Premier ministre et
ministre des Affaires étrangères.
Quant à la réunion ministérielle précédant le récent sommet du CCG au Koweït, le Vice-
Premier ministre et ministre des Affaires étrangères a déclaré que le Qatar était informé par
le Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères que l’État du Koweït avait reçu
l’accord de l’Arabie saoudite de tenir le sommet en leur présence, ajoutant que la présence
de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Bahreïn était confirmée. “Nous avons
également accueilli avec satisfaction cette participation et le fait que l’Émir se réjouisse de
participer au sommet, pour autant qu’il se tienne, et avons considéré que cela constituerait
une occasion d’examiner la question” et la première discussion directe à la table de dialogue
de manière civilisée.
Il a ajouté qu’il s’est rendu à la réunion ministérielle et que S.E. Sheikh Sabah Khaled Al-
Hamad Al-Sabah lui avait demandé de ne pas soulever la question de la crise du Golfe au
cours de la réunion car elle serait examinée par les dirigeants le lendemain. “Nous avons
respecté la demande du Koweït mais demandé que la déclaration finale évoque les efforts
de médiation à titre de simple référence à la crise et indiqué que ce qui suivrait dépendrait
de l’issue des discussions entre les dirigeants au sommet”
S.E. Sheikh Mohammed bin Abdulrahman Al-Thani a ajouté que le lendemain matin avant
le départ de Doha de l’Émir, « nous avons appris que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes
unis et le Bahreïn réduiraient leur représentation et ne participeraient pas à la réunion à
l’échelle des dirigeants » (soulignement ajouté) (Pièce justificative 80).
196. 30 janvier 2018, Département d’État des États-Unis, note aux médias, déclaration
conjointe du dialogue stratégique inaugural entre les États-Unis et le Qatar.
Les gouvernements du Qatar et des États-Unis ont tenu un dialogue stratégique inaugural à
Washington DC Le 30 janvier 2018.
« Le Qatar et les États-Unis ont examiné la crise du Golfe et exprimé la nécessité d’une
résolution immédiate qui respecte la souveraineté du Qatar [...]. Le Qatar a fait part de son
appréciation pour le rôle joué par les États-Unis dans la médiation du différend en soutien à
l’Émir du Koweït [...]
[...]
Le Qatar et les États-Unis ont souligné l’importance de maintenir la liberté de navigation,
de survol et du commerce licite sans entraves conformément au droit international »
(soulignement ajouté) (Pièce justificative 81).
197. 4 février 2018, Washington - Bureau d’information :
- 119 -
57
Dans un entretien à Al-Jazeera, le Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du
Qatar a expliqué que le Qatar avait demandé aux pays du siège de s’asseoir à la table et d’examiner
une solution sur la base de principes et de fondements clairs. Il a ajouté :
« Aujourd’hui, l’État du Qatar se trouve toujours dans la même situation, et d’autres pays
refusent encore le dialogue [...] » (Pièce justificative 82).
198. 19 février 2018, Doha - Bureau d’information :
Le Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar a déclaré devant le Conseil
consultatif du Qatar que :
« Le Qatar, pendant plus de huit mois, a recherché le dialogue, mais les pays du siège lui
ont fermé la porte, indiquant qu’aucun effort n’était entrepris de la part du Qatar pour le
moment, mais celui-ci accueille positivement toutes les initiatives constructives. »
Il a ajouté qu’il n’y avait pas de nouveaux efforts, à l’exception des États-Unis, notamment ceux
liés au sommet de Camp David􀯗; si le Qatar était invité, il y participerait. Il a réaffirmé que « les
pays du siège n’ont donné aucune indication positive » (Pièce justificative 83).
199. 3 mars 2018, Genève - Bureau d’information :
La porte-parole officielle du ministère des Affaires étrangères du Qatar a déclaré que l’affirmation
des États du siège selon laquelle la seule sortie de crise résidait dans la médiation du Koweït
représentait une évolution positive. Elle a ajouté que le siège imposé au Qatar par la fermeture des
routes terrestres, maritimes et aériennes était illégal (soulignement ajouté) (Pièce justificative 84).
200. 14 avril 2018, Arab News :
Dans un article mis à jour le 14 avril 2018, le journal Arab news, situé en Arabie saoudite, a
rapporté que les ministres des Affaires étrangères d’Arabie saoudite, d’Égypte, des Émirats arabes
unis et du Bahreïn s’étaient réunis, avaient examiné « l’évolution de la crise qatarienne et souligné
la position ferme du quartet quant à la nécessité que Doha réponde aux 13 exigences présentées et
adopte les six principes de la réunion du Caire et la déclaration de Manama comme condition
nécessaire de la normalisation des relations entre eux » (Pièce justificative 85).
i) Résumé des négociations
201. Les négociations entre les parties ont eu lieu dans le cadre de l’OACI, où des références
spécifiques aux violations de la Convention de Chicago et de ses Annexes ont été constatées. Au
sein de l’OMC, le Qatar a demandé la tenue de consultations avec trois des défendeurs, y compris
- 120 -
58
au sujet de l’impossibilité pour les aéronefs qatariens d’accéder à leur espace aérien et de
l’interdiction d’atterrissage de ces aéronefs dans ces États. Les négociations dans le cadre
d’organisations internationales sont l’une des modalités reconnues dans le droit international.
202. Outre ces tentatives, le Qatar a demandé à de nombreuses reprises la tenue de négociations
avec ces États. Dès le tout début, l’Émir du Koweït a tenté de « jouer le rôle de médiateur », en
recourant essentiellement à ses bons offices. À la suite de ses efforts, les défendeurs ont établi une
liste d’« exigences » qui a été transmise au Qatar, à laquelle celui-ci a répondu. Plus tard, les
défendeurs ont ajouté des « principes ». Pour les défendeurs, ces exigences ne sont pas négociables
(voir Pièces justificatives 34, 58 et 65). Au 14 avril 2018, les défendeurs insistent toujours sur le
respect des « exigences » et des « principes » (Pièce justificative 85) mais ne souhaitent pas
s’asseoir avec le Qatar ou discuter.
203. Les États-Unis ont également joué un rôle important, mais sans succès, pour réunir les
parties afin de dégager une solution. De hauts responsables gouvernementaux ont réalisé de
nombreux appels téléphoniques et plusieurs visites aux parties. Le secrétaire d’État américain à
l’époque a demandé au Prince héritier d’Arabie saoudite « de bien vouloir participer au dialogue »
(voir Pièce justificative 73), mais rien n’indiquait clairement que les parties souhaitaient discuter
(voir Pièce justificative 71). Le secrétaire d’État à l’époque a rencontré les dirigeants du Qatar et,
ensuite, les défendeurs et est revenu avec une proposition de principes et une feuille de route􀯗; le
Qatar a répondu, à la différence des défendeurs (voir Pièce justificative 80).
204. Certains États européens ont également déployé des efforts pour trouver une solution.
205. Le 8 septembre 2017, le président des États-Unis et l’Émir du Qatar se sont entretenus par
téléphone, à la suite de quoi l’Émir du Qatar et le Prince héritier d’Arabie saoudite ont tenu une
discussion téléphonique, un contact direct rare (voir Pièce justificative 63). Cependant, peu après, le
contenu de cette conversation téléphonique a en partie été remis en question, et l’Arabie saoudite a
déclaré que « tout dialogue ou communication avec l’autorité du Qatar est suspendu » (voir Pièce
justificative 64).
206. Les fermetures de l’espace aérien et les interdictions d’atterrissage constituent l’une des
mesures les plus sévères, voire la plus sévère, imposées par les défendeurs. Les échanges
contiennent de nombreuses références aux mesures en général et aux aspects liés à l’aviation en
particulier.
207. Tous ces efforts n’ont abouti à rien. Pendant près de cinq mois avant le dépôt par le Qatar
de sa requête auprès de l’OACI (30 octobre 2017) et onze mois depuis le dépôt de la présente
- 121 -
59
réponse, les défendeurs violent encore les dispositions de la Convention de Chicago et de ses
Annexes et empêchent les avions qatariens de survoler leur territoire ou d’y atterrir.
208. Ce qui précède montre que des négociations ont eu lieu, ou que des tentatives de
négociation ont été réalisées par le Qatar, dans des instances multilatérales ou via les bons offices
de plusieurs tiers, et par un appel téléphonique avec l’un des défendeurs.
209. Cependant, il ne peut être démontré par des éléments factuels plus clairs que tout cela n’a
entraîné aucun progrès pour résoudre cette affaire, que les négociations sont futiles, que les parties
se trouvent dans une impasse et que le désaccord ne peut être réglé par voie de négociation, que l’on
se fonde sur la date du dépôt de la requête du Qatar ou sur la date actuelle. Comme déclaré dans
l’affaire du Sud-Ouest africain, tant que les deux parties demeurent intransigeantes, il n’y a aucune
raison de penser que le différend puisse être réglé par voie de négociation (point 97 ci-dessus). Ou
selon les termes de la CPJI, « tel est le cas si elle [la conversation] a rencontré un point mort, si elle
s’est heurtée finalement à un non possumus ou à un non nolumus péremptoire de l’une des Parties
et qu’ainsi il est apparu avec évidence que le différend n’est pas susceptible d’être réglé par une
négociation diplomatique » (Concessions Mavrommatis en Palestine, cité au point 95 ci-dessus).
210. Dans chaque affaire soumise au Conseil, celui-ci a jugé que la condition de négociation
était remplie􀯗; dans chacun des cas, à l’exception d’un seul (Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale), où la question a été
soulevée devant la CIJ, celle-ci a jugé que la condition de négociation avait été remplie.
Observations finales sur les négociations
211. Un juriste réputé a dit dans l’un de ses livres sur l’OACI faisant le plus autorité :
« En principe, le Conseil de l’OACI est dépourvu de compétence pour statuer sur une
affaire qui lui est soumise par un État qui n’a accompli aucun effort, au-delà de l’exécution
de certaines formalités diplomatiques, pour entamer des négociations de bonne foi avec
l’État défendeur. Dans la pratique toutefois, un moyen fondé sur ce motif n’aboutira que
rarement, voire jamais, car une telle allégation est extrêmement difficile à prouver. En
outre, le Conseil ne peut et ne devrait probablement pas substituer son jugement par celui de
l’État demandeur pour déterminer si le différend aurait pu être réglé par voie de
négociation, car en dernière analyse, cette décision est, par nature, politique »5
(soulignement ajouté).
5 T. Buergenthal, Law-Making in the International Civil Aviation Organization (1re éd.) (Syracuse University
Press, 1969), pp. 130–131.
- 122 -
60
212. Il convient également de rappeler les mots du Directeur des affaires juridiques lorsque le
Conseil a examiné le règlement des différends entre les États-Unis et les 15 États européens
(2000) :
« […] le terme « négociation » dans l’article en question [...] n’était bien entendu pas
destiné à être restrictif. Que ces négociations aient lieu sous une forme ou une autre, en ce
qui concerne la forme, pourrait ne pas importer autant que s’il y avait échange entre les
parties sur leurs points de vue respectifs et leurs positions respectives » (C-MIN 161/5,
point 39).
213. Sur la base de ces seuils et de ceux énoncés ailleurs dans la présente réponse, l’État du
Qatar fait respectueusement valoir qu’il a prouvé, au sens de l’article 84, que le désaccord ne peut
être réglé par voie de négociation.
CONCLUSIONS DE L’ÉTAT DU QATAR
214. Pour les motifs ci-dessus, et se réservant le droit de compléter, amender ou modifier les
présentes conclusions au cours de la procédure si nécessaire, l’État du Qatar invite le Conseil à :
a) se déclarer compétent pour connaître du désaccord􀯗;
b) déclarer qu’il n’est pas compétent au présent stade des exceptions préliminaires
pour examiner les demandes, arguments et conclusions des défendeurs sur la
recevabilité􀯗;
c) rejeter les exceptions préliminaires des défendeurs dans leur intégralité􀯗;
d) ordonner, conformément à l’article 5, paragraphe 3, du Règlement pour la solution
des différends de l’OACI, que le délai accordé aux défendeurs pour la présentation
de leur contre-mémoire, qui a été interrompu par la présentation des exceptions
préliminaires, recommence à courir immédiatement après le rejet par le Conseil des
exceptions préliminaires.
J’ai l’honneur de soumettre à votre considération la présente requête.
- 123 -
61
Essa Abdulla Al-Malki
Agent de l’État du Qatar
- 124 -
ANNEXE 26
DUPLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE ARABE D’EGYPTE, DU ROYAUME DE BAHREÏN, DU ROYAUME
D’ARABIE SAOUDITE ET DES EMIRATS ARABES UNIS À LA RÉPONSE DE L’ETAT DU QATAR
AUX EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DES DÉFENDEURS AU SUJET DE LA REQUÊTE (A)
DE L’ETAT DU QATAR RELATIVE AU DÉSACCORD DÉCOULANT DE LA
CONVENTION RELATIVE À L’AVIATION CIVILE INTERNATIONALE,
SIGNÉE À CHICAGO LE 7 DÉCEMBRE 1944 (12 JUIN 2018)
- 125 -
ANNEXE 26
DUPLIQUE DE LA RÉPUBLIQUE ARABE D’EGYPTE, DU ROYAUME DE BAHREÏN, DU ROYAUME
D’ARABIE SAOUDITE ET DES EMIRATS ARABES UNIS À LA RÉPONSE DE L’ETAT DU QATAR
AUX EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DES DÉFENDEURS AU SUJET DE LA REQUÊTE A
DE L’ETAT DU QATAR RELATIVE AU DÉSACCORD DÉCOULANT DE LA
CONVENTION RELATIVE À L’AVIATION CIVILE INTERNATIONALE,
SIGNÉE À CHICAGO LE 7 DÉCEMBRE 1944 (12 JUIN 2018)
Devant le Conseil de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), en vertu
du Règlement pour la solution des différends de l’OACI (document 7782/2)
L’agent de la République arabe d’Egypte,
S. Exc. Sherif FATHI.
L’agent du Royaume de Bahreïn,
S. Exc. Kamal bin AhmedMOHAMED.
L’agent du Royaume d’Arabie Saoudite,
S. Exc. Nabeel bin MohamedAL-AMUDI.
L’agent des Emirats arabes Unis,
S. Exc. Sultan Bin Saeed AL MANSOORI.
Le 12 juin 2018
[Traduction fournie par l’OACI et ajustée par le Greffe]
- 126 -
TABLE DES MATIÈRES
Page
RÉSUMÉ ANALYTIQUE ..........................................................................................................................i
I. INTRODUCTION .............................................................................................................................. 3
II. LE CONSEIL PEUT ET DOIT STATUER À TITRE PRÉLIMINAIRE SUR
LES EXCEPTIONS SOULEVÉES PAR LES DÉFENDEURS ..................................................................... 5
III. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LE CONSEIL N’A PAS COMPÉTENCE
POUR STATUER SUR LE «VÉRITABLE PROBLÈME» EN CAUSE ....................................................... 10
A. Introduction ............................................................................................................................. 10
B. La première exception préliminaire est fondée sur le «véritable problème» en cause
et non sur la nature politique du différend .............................................................................. 11
C. Le Qatar ne répond pas à la règle du «véritable problème» .................................................... 12
D. Analysé objectivement, le «véritable problème» en l’espèce ne concerne pas
l’aviation civile ....................................................................................................................... 14
E. La première exception préliminaire est accréditée par le principe de spécialité ..................... 17
F. La première exception préliminaire ne devrait pas être jointe au fond .................................... 18
G. Conclusion : Le Conseil n’a pas compétence pour connaître des demandes du Qatar ........... 20
IV. DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LE QATAR N’A PAS SATISFAIT À LA CONDITION
PRÉALABLE DE NÉGOCIATION DÉFINIE PAR L’ARTICLE 84 DE LA CONVENTION
DE CHICAGO NI À L’OBLIGATION PROCÉDURALE CORRESPONDANTE PRÉVUE
PAR L’ALINÉA G) DE L’ARTICLE 2 DU RÈGLEMENT ..................................................................... 20
A. Introduction ............................................................................................................................. 20
B. Aux termes de l’article 84 de la convention de Chicago, la condition de mener au
préalable des négociations doit être remplie avant le dépôt de toute requête devant le
Conseil .................................................................................................................................... 23
C. Le Qatar n’a pas établi qu’il avait tenté de négocier ............................................................... 29
V. CONCLUSIONS RELATIVES À LA RÉPARATION .............................................................................. 37
- 127 -
RÉSUMÉ ANALYTIQUE
La présente duplique de la République arabe d’Egypte, du Royaume de Bahreïn, du Royaume
d’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis (les «défendeurs») fait suite à la réponse de l’Etat du
Qatar (le «Qatar»), en date du 30 avril 2018, aux exceptions préliminaires soulevées par les
défendeurs le 19 mars 2018.
La première exception préliminaire des défendeurs tient en ce que le Conseil de l’OACI (le
«Conseil») n’a pas compétence pour statuer sur le «véritable problème» en cause, lequel concerne les
manquements multiples, graves et persistants du Qatar à des obligations internationales essentielles à
la sécurité des défendeurs, qui se sont ainsi trouvés contraints d’adopter un train de contre-mesures
licites, au nombre desquelles figurent celles dont le Qatar tire grief en l’espèce. Le «véritable
problème» en cause ici a donc notamment trait au principe de non-intervention et à la lutte contre la
subversion et le terrorisme. Toutes ces questions échappent manifestement à la compétence du
Conseil.
Le Qatar a admis dans sa réponse que pour statuer sur ses prétentions au fond, le Conseil devra
déterminer «en droit et en fait» si les conditions d’imposition et de maintien des contre-mesures sont
réunies. Pour ce faire, le Conseil devrait mener une enquête factuelle détaillée sur les activités du
Qatar en rapport avec certaines organisations terroristes et ses actes d’ingérence dans les affaires
intérieures de ses voisins et évaluer la licéité de ces activités à l’aune des obligations mises à la charge
du Qatar par, entre autres, les accords de Riyad, la convention internationale pour la répression du
financement du terrorisme, la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité et le droit international
coutumier.
Le Qatar dénature la première exception préliminaire des défendeurs en faisant valoir que
ceux-ci y allèguent que sa prétention soulève une question politique. Les défendeurs ne prétendent
nullement que la présence d’éléments politiques dans un différend est en soi suffisante pour exclure la
compétence d’un tribunal ou d’une cour. L’argument du Qatar est un épouvantail rhétorique visant à
fragiliser la première exception préliminaire soulevée par les défendeurs.
Le Conseil n’est pas l’instance appropriée pour trancher un différend portant sur la question de
savoir si le Qatar a manqué à de multiples obligations étrangères à la convention de Chicago. Il n’est
pas bien placé ni bien équipé pour connaître des différends de cette nature ; il n’est pas non plus
compétent pour le faire. Selon les défendeurs, il doit décliner sa compétence ou, à titre subsidiaire,
conclure à l’irrecevabilité de la requête du Qatar.
En ce qui concerne la deuxième exception préliminaire, le Qatar prétend dans sa réponse avoir
vraiment tenté de négocier. Le point de vue évolutif, contradictoire et non fondé qu’il exprime sur la
question de savoir s’il a respecté l’article 84 de la convention de Chicago manque de crédibilité.
Il ressort clairement de la jurisprudence de la CIJ que le respect de l’obligation de tenir des
négociations préalables, telle que celle qui figure à l’article 84 de la convention de Chicago, est une
des conditions d’existence de la compétence. Or les éléments de preuve produits par le Qatar montrent
qu’il n’a pas véritablement tenté d’engager des négociations avec les défendeurs au sujet de
l’interprétation ou de l’application de la convention de Chicago, que ce soit avant ou après la saisine
du Conseil.
Si le Conseil acceptait d’exercer sa compétence dans les cas où le requérant s’efforce par la
suite d’obtenir des négociations et dépose à nouveau sa requête, il priverait d’effet l’obligation de
négociation préalable énoncée à l’article 84, car rien n’inciterait les requérants à tenter d’engager des
négociations avant de porter leurs différends devant le Conseil, leur inaction étant sans conséquences.
- 128 -
Les positions du Qatar sur les deux exceptions préliminaires des défendeurs sont entachées de
contradictions internes et mettent en évidence la faiblesse de sa thèse. Dans sa réponse à la première
exception, le Qatar conteste que le «véritable problème» en l’espèce s’inscrive dans des questions plus
larges qui ne relèvent pas de la compétence du Conseil, déclarant que l’objet du différend concerne
uniquement la convention de Chicago. Paradoxalement, il affirme dans le cadre de la seconde
exception avoir proposé des négociations sur l’ensemble du différend qui est plus large.
Le Qatar ne peut jouer sur les deux tableaux. Si le présent différend doit être interprété comme
concernant uniquement des violations de la convention de Chicago et de ses annexes, comme
l’allègue le Qatar, la tentative de négociation requise doit alors porter sur ces violations. Or aucune
des déclarations que le Qatar a versées au dossier à l’effet de prouver qu’il y avait eu des négociations
ou des tentatives de négociation ne fait état de la convention de Chicago et de ses annexes, ces pièces
étant plutôt des déclarations à caractère général concernant sa volonté alléguée de s’«asseoir et parler»
ou l’«importance du dialogue». Si le Qatar soutient que le différend ne porte pas sur les questions plus
larges opposant les parties, il doit nécessairement concéder qu’il n’a pas respecté l’obligation de
négociation préalable prévue par l’article 84. A l’inverse, s’il affirme que l’évocation de l’existence
d’un dialogue politique élargi satisfait à cette obligation, il doit reconnaître que le différend porte sur
des questions plus larges qui échappent à la compétence du Conseil. Dans l’un ou l’autre cas, le
Conseil doit conclure à son incompétence.
Enfin, le Qatar fait valoir à tort que dans la mesure où les exceptions soulevées par les
défendeurs peuvent dûment être qualifiées d’exceptions d’irrecevabilité, le Conseil n’est pas habilité à
les trancher à titre préliminaire. Dans leurs deux exceptions préliminaires, les défendeurs invoquent
principalement l’incompétence du Conseil. Toutefois, et à titre subsidiaire, dans la mesure où les deux
exceptions traitent également de la recevabilité, le Conseil peut les trancher à titre préliminaire, car
elles revêtent le caractère exclusivement préliminaire requis.
Cela étant, les défendeurs prient à nouveau le Conseil de décider à titre préliminaire d’accueillir
leurs exceptions et de dire et juger en conséquence qu’il n’a pas compétence pour trancher les
prétentions soulevées par le Qatar dans sa requête A ou, à titre subsidiaire, que ces prétentions sont
irrecevables.
- 129 -
I. INTRODUCTION
1. En exécution de la décision rendue par le Conseil le 28 mai 2018 et conformément à
l’article 28 du Règlement pour la solution des différends (le «Règlement»), la présente duplique de
la République arabe d’Egypte, du Royaume de Bahreïn, du Royaume d’Arabie saoudite et des
Emirats arabes unis fait suite à la réponse du Qatar, en date du 30 avril 2018, aux exceptions
préliminaires soulevées par les défendeurs le 19 mars 2018.
2. Dans leurs exceptions préliminaires datées du 19 mars 2018, les défendeurs ont fait valoir
que le Conseil n’avait pas compétence pour connaître des prétentions soulevées dans la requête A
et le mémoire du Qatar et à titre subsidiaire qu’il devait refuser d’entendre ces prétentions et les
déclarer irrecevables.
3. Les deux exceptions préliminaires des défendeurs sont formulées comme suit :
a) Le différend ne relève pas de l’article 84 de la convention de Chicago : pour résoudre le
désaccord opposant le Qatar et les défendeurs, le Conseil doit nécessairement statuer sur les
contre-mesures invoquées par les défendeurs et déterminer si le Qatar se conforme aux
obligations fondamentales considérées mises à sa charge par le droit international qui ne sont en
rien liées à la convention de Chicago. En effet, c’est le non-respect de ces différentes
obligations par le Qatar et les mesures prises en réaction par les défendeurs qui constituent le
véritable problème en cause en l’espèce.
b) Quoi qu’il en soit, le Qatar :
i) n’a pas rempli la condition nécessaire d’existence de la compétence du Conseil prévue par
l’article 84 de la convention de Chicago qui consiste à tenter d’abord de résoudre le
désaccord avec les défendeurs par voie de négociation avant de porter ses prétentions
devant le Conseil ;
ii) ne s’est pas acquitté de l’obligation procédurale énoncée à l’alinéa g) de l’article 2 du
Règlement qui consiste à établir et à affirmer expressément dans son mémoire que des
négociations visant à régler le désaccord ont eu lieu entre les parties, mais n’ont pas
abouti.
4. La présente duplique tend à répondre aux arguments du Qatar, qui sont nouveaux dans une
large mesure. Avant d’entrer dans le vif du sujet, les défendeurs dressent ci-après une liste des
points sur lesquels les parties semblent s’entendre :
a) Dans l’exercice des fonctions qui lui sont assignées par l’article 84 de la convention de
Chicago, le Conseil agit comme organe juridictionnel ou quasi juridictionnel et toute distinction
faite entre les deux qualités n’a aucune importance pratique1.
b) Le Conseil est investi du pouvoir de statuer sur sa propre compétence dans les limites de
l’article 84 de la convention de Chicago2, bien que le Qatar conteste l’étendue de ce pouvoir en
1 Réponse de l’Etat du Qatar aux exceptions préliminaires des défendeurs au sujet de la requête A de l’Etat du
Qatar relative au désaccord à propos de l’interprétation et de l’application de la convention relative à l’aviation civile
internationale (Chicago, 1944) et de ses annexes, Montréal, 30 avril 2018 (ci-après «réponse du Qatar»), par. 14
(«Néanmoins, l’Etat du Qatar ne pense pas qu’il soit nécessaire de déterminer si le Conseil, lorsqu’il exerce des fonctions
au titre de l’article 84, agit dans l’exercice de pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires, ou d’examiner quelle différence
cela impliquerait dans la pratique»).
- 130 -
soutenant que le Conseil ne peut pas trancher à titre préliminaire les questions relatives à
recevabilité des requêtes dans l’exercice de sa compétence de la compétence.
c) La jurisprudence de la Cour internationale de Justice (la «CIJ» ou la «Cour») est très utile pour
trancher les questions de droit ou de procédure dans le cadre du Conseil3.
d) L’article 22 des articles de la Commission du droit international (la «CDI») sur la responsabilité
de l’Etat pour fait internationalement illicite («articles de la CDI») exprime le principe du droit
international coutumier selon lequel «[l]’illicéité du fait d’un Etat non conforme à l’une de ses
obligations internationales à l’égard d’un autre Etat est exclue si, et dans la mesure où, ce fait
constitue une contre-mesure prise à l’encontre de cet autre Etat»4.
e) Si le Conseil devait se déclarer compétent et procéder à l’examen de la requête au fond, il se
trouverait nécessairement dans l’obligation d’examiner (selon les termes du Qatar) des
«question[s] plus ample[s]» concernant l’appui et le financement que le Qatar apporte au
terrorisme5. En effet, le Qatar a déclaré qu’il entendait démontrer «au stade de l’examen au
fond, en droit et en fait, que les conditions de l’imposition et du maintien des contre-mesures
alléguées par les défendeurs n’ont pas été remplies»6.
5. Les principaux points de désaccord entre les parties en l’espèce sont relativement peu
nombreux :
a) Au cas où le Conseil considérerait que l’une ou l’autre des exceptions soulevées par les
défendeurs porte sur la recevabilité, peut-il trancher des différends du point de vue de la
recevabilité au stade des exceptions préliminaires ?
b) Les exceptions préliminaires soulevées par les défendeurs peuvent-elles en toute légalité être
jointes au fond de l’affaire au motif qu’elles ne revêtent pas un caractère exclusivement ou
principalement préliminaire et doivent-elles en fait y être jointes dans une procédure régulière ?
c) Si le «véritable problème» en cause dans le différend porté devant le Conseil est dûment
qualifié, concerne-t-il non seulement les prétendues «violations de la convention de Chicago et
de ses Annexes»7 reprochées aux défendeurs, mais aussi et fondamentalement la question du
respect par le Qatar de ses obligations internationales, notamment celles découlant des accords
de Riyad et d’autres obligations relatives à l’appui et au financement qu’il apporte au
2 Exceptions préliminaires de la République arabe d’Egypte, du Royaume de Bahreïn, du Royaume d’Arabie
saoudite et des Emirats arabes unis au sujet de la requête A de l’Etat du Qatar relative au désaccord découlant de la
convention relative à l’aviation civile internationale, signée à Chicago le 7 décembre 1944, 19 mars 2018 (ci-après
«exceptions préliminaires»), par. 24 c) ; réponse du Qatar, par. 15.
3 Exceptions préliminaires, par. 16. Au paragraphe 11 de sa réponse, le Qatar relève que «les défendeurs ont
largement recours à la jurisprudence de la CIJ et des tribunaux», sans essayer de remettre en question la pertinence de
cette jurisprudence. Par la suite, il s’appuie aussi lourdement sur la jurisprudence de la CIJ (voir, par exemple, la réponse
du Qatar, par. 17 à 21, 25 à 31 et 37 à 43), ce qui autorise à conclure qu’il ne conteste pas non plus la pertinence des
précédents invoqués.
4 Réponse du Qatar, par. 78 ; exceptions préliminaires, par. 36 à 40. Citant Commission du droit international,
Articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite (2001), énoncés dans le Rapport de la
Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-troisième session, 2001, Nations Unies, doc. A/56/10,
chap. IV, reproduit dans Annuaire de la Commission du droit international 2001, deuxième partie, vol. II, p. 31 et suiv.
(ci-après «articles de la CDI»).
5 Réponse du Qatar, par. 76 et 77.
6 Ibid., par. 82.
7 Ibid., par. 48.
- 131 -
terrorisme ?8 Dans l’affirmative, la conséquence en est que le Conseil n’a pas compétence pour
statuer au sens de l’article 84 de la convention de Chicago.
d) Le Qatar n’a-t-il pas rempli la condition de procédure et de fond qui consistait à engager des
négociations avant de déposer sa requête devant le Conseil et quelle est la portée juridique de
cette condition ? S’il ne l’a pas remplie, la conséquence en est que le Conseil n’a pas
compétence pour statuer au sens de l’article 84 de la convention de Chicago.
II. LE CONSEIL PEUT ET DOIT STATUER À TITRE PRÉLIMINAIRE
SUR LES EXCEPTIONS SOULEVÉES PAR LES DÉFENDEURS
6. Dans leurs exceptions préliminaires, les défendeurs ont fait valoir, conformément à
l’article 5 du Règlement pour la solution des différends, que :
a) le Conseil n’a pas compétence pour trancher les prétentions soulevées par le Qatar ;
b) à titre subsidiaire, les prétentions du Qatar sont irrecevables.
7. Aux termes de l’article 5 du Règlement, tout Etat défendeur qui excipe de l’incompétence
du Conseil à connaître de l’affaire soumise par l’Etat demandeur «doit soulever une exception
préliminaire» motivée9 et si une telle exception est soulevée, le Conseil «rend une décision sur cette
question préjudicielle avant toute autre mesure à prendre»10.
8. Les dispositions susmentionnées expriment un principe fondamental et bien établi du droit
international selon lequel une cour ou un tribunal international ne peut statuer sur un différend
opposant des Etats que dans la mesure où ceux-ci ont consenti à l’exercice de cette compétence.
9. Les limites du consentement des parties à l’exercice de la compétence du Conseil sont
définies à l’article 84 de la convention de Chicago. Comme les défendeurs l’ont expliqué dans leurs
exceptions préliminaires, l’article 84 ne vise que les désaccords concernant «l’interprétation et
l’application» de la convention de Chicago. Il limite ainsi la compétence du Conseil sur le plan
matériel. Par contre, les différends ou les désaccords qui ne concernent pas ou pas seulement
l’interprétation et l’application de la convention de Chicago ne relèvent pas de la compétence du
Conseil.
10. Il est également bien établi en droit international que même si un tribunal international
ou tout autre organe juridictionnel décide qu’il a compétence pour connaître d’un différend,
c’est-à-dire que ses instruments constitutifs lui confèrent le pouvoir de trancher ce différend, il est
également tenu de rechercher si les circonstances sont telles qu’il doit refuser d’exercer cette
compétence, par exemple s’il existe des motifs pour lesquels il est impossible ou inopportun de
statuer sur le différend à ce stade de la procédure. Ce dernier type de considérations, appelées
considérations de «recevabilité», est inhérent à l’exercice de la fonction judiciaire. Le Qatar a
manifestement tort d’affirmer le contraire. Il a également tort de chercher à dissocier la compétence
de la recevabilité : les deux sont liées à la capacité du juge à trancher les différends et, en principe,
doivent faire l’objet d’un examen et d’une décision d’entrée de jeu avant l’exposé et l’examen du
fond du différend.
8 Exceptions préliminaires, par. 30, 33 et 65.
9 Règlement, article 5, par. 1.
10 Règlement, article 5, par. 4.
- 132 -
11. En application de ces principes bien établis du droit international, les cours et tribunaux
internationaux tranchent à titre préliminaire les exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité
lorsque ces exceptions possèdent un «caractère exclusivement préliminaire», c’est-à-dire lorsqu’il
est possible de les examiner sans entrer dans les débats sur les éléments de preuve qui sont
nécessaires pour statuer sur le bien-fondé intrinsèque des prétentions du requérant11. La CIJ
reconnaît que toute partie qui soulève des exceptions préliminaires a droit à ce qu’elles soient
tranchées au stade préliminaire de la procédure12.
12. Le Qatar ne conteste pas que les défendeurs ont le droit de soulever des exceptions sur la
compétence du Conseil ou la recevabilité de ses prétentions. Il ne conteste pas non plus que le
Conseil est habilité à trancher à titre préliminaire les exceptions des défendeurs concernant sa
compétence. Néanmoins, il s’appuie sur le paragraphe 1 de l’article 5 du Règlement pour soutenir
que, dans la mesure où les exceptions soulevées par les défendeurs sont dûment qualifiées
d’exceptions d’irrecevabilité, le Conseil n’a pas le pouvoir de les trancher à titre préliminaire.
Selon lui, il n’est d’ailleurs permis aux défendeurs de les soulever qu’au stade de l’examen au
fond13.
13. Le Qatar tente d’interpréter le paragraphe 1 de l’article 5 de façon restrictive en le
comparant au paragraphe 1 de l’article 79 de la version actuelle du Règlement de la CIJ, qui
autorise expressément l’Etat défendeur à soulever des exceptions d’incompétence de la Cour ou
d’irrecevabilité de la requête. A son avis, le fait que le paragraphe 1 de l’article 5 du Règlement
n’évoque explicitement que la compétence du Conseil revient à dire que celui-ci n’est pas habilité à
statuer à titre préliminaire sur les exceptions d’irrecevabilité.
14. L’argument du Qatar est erroné à plusieurs niveaux. Le Qatar ne conteste pas que le
paragraphe 1 de l’article 5 du Règlement confère au défendeur le droit de soulever des exceptions
d’irrecevabilité, bien que cette disposition ne vise expressément que les exceptions
d’incompétence. Dans cette mesure, il admet que le principe du droit international bien établi
mentionné ci-dessus s’applique au Conseil. Il ne dit cependant pas pourquoi il est alors interdit au
Conseil d’examiner les questions relatives à la recevabilité séparément du fond de l’affaire comme
dans le cas des exceptions d’incompétence. Rien n’explique de façon satisfaisante l’incohérence de
sa position. Etant donné que les considérations de recevabilité empêchent de statuer sur le fond des
affaires14, les questions relatives à la recevabilité doivent être tranchées à titre préliminaire, à moins
que des motifs précis liés à l’équité, à l’opportunité ou à la rationalité procédurale n’imposent de
les joindre à l’examen au fond. Aucun motif de cette nature n’existe en l’occurrence.
11 Selon la jurisprudence de la CIJ, l’exception ne possède pas de caractère exclusivement préliminaire lorsque la
question qui y est soulevée est si étroitement liée au fond du différend que le dossier de l’affaire ne permet pas de la
trancher entièrement. Voir, par exemple, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984 (ci-après «Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci»), p. 425, par. 76, et Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et
le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 324, par. 116. Les tribunaux d’arbitrage en matière d’investissement ont adopté la même approche. Voir, par exemple,
Glamis Gold, Ltd c. Etats-Unis d’Amérique, CNUDCI, Procedural Order No. 2 (revised), 31 mai 2005, par. 12 c), et
Philip Morris Asia Ltd c. Australie, CNUDCI, Cour permanente d’arbitrage, affaire no 2012-12, Procedural Order No. 8
Regarding Bifurcation of the Procedure, 14 avril 2014, par. 108-109.
12 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 832 (ci-après «Différend territorial et maritime»), p. 852, par. 51 ; Appel concernant la
compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 56, par. 18 a)-c).
13 Réponse du Qatar, par. 22-24.
14 Cf. Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008 (ci-après «Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide»), p. 456, par. 120.
- 133 -
15. Dans sa comparaison superficielle, le Qatar méconnaît également le fait que le
paragraphe 6 de l’article 36 du Statut de la CIJ (l’acte constitutif de la Cour) ne vise que la capacité
de cette dernière à statuer sur sa compétence lorsqu’elle est saisie d’un différend. Le Statut ne fait
nullement état des exceptions d’irrecevabilité. D’ailleurs, la distinction entre la compétence et la
recevabilité n’a été introduite dans le Règlement de la Cour qu’en 197215. Malgré cela, la Cour
considérait depuis sa création qu’elle était habilitée à statuer sur les exceptions d’irrecevabilité
avant que la procédure sur le fond se poursuive16. Dans l’affaire du Cameroun septentrional, par
exemple, la Cour n’a pas jugé «nécessaire d’examiner chacune des exceptions ni de déterminer si
elles portent toutes sur la compétence ou la recevabilité ou si elles sont fondées sur d’autres
motifs»17. Chaque fois que le problème s’est posé, la Cour n’a pas hésité à requalifier l’exception et
à en examiner le bien-fondé, sans s’appesantir sur l’erreur de qualification que l’Etat qui l’a
soulevée aurait commise18. La raison en est que, comme il a été relevé plus haut, les exceptions
d’irrecevabilité ont un effet équivalent à celui des exceptions d’incompétence : elles font obstacle à
l’examen du fond du différend.
16. Quoi qu’il en soit, ce débat suscité par le Qatar est en fait inutile. Comme les défendeurs
l’ont expliqué dans leurs exceptions préliminaires19, le Conseil a créé sa propre pratique sur la base
du paragraphe 1 de l’article 5 du Règlement et a confirmé qu’il était habilité à statuer sur les
questions relatives à la recevabilité à titre préliminaire. Le Qatar veut méconnaître cette pratique du
Conseil.
17. En 2000, le Conseil a tranché un certain nombre d’exceptions d’irrecevabilité dans
l’affaire Etats-Unis c. 15 Etats européens dont il avait été saisi en vertu de l’article 84 de la
convention de Chicago20. Il a considéré comme des questions préliminaires les trois exceptions que
les défendeurs avaient qualifiées d’exceptions d’irrecevabilité. Il en a rejeté deux et a joint au fond
de l’affaire la troisième  concernant l’étendue de la réparation qu’il était habilité à accorder  au
15 La version du Règlement de la Cour adoptée en 1946 disposait que «[t]oute exception préliminaire doit être
présentée au plus tard avant l’expiration du délai fixé pour la première pièce de la procédure écrite à déposer par la partie
soulevant l’exception». La version de 1972 et celle de 1978 (actuellement en vigueur) visent toute exception «à la
compétence de la Cour ou à la recevabilité de la requête ou toute autre exception sur laquelle le défendeur demande une
décision avant que la procédure sur le fond se poursuive».
16 Ce faisant, la CIJ suivait la pratique de son prédécesseur, la Cour permanente de Justice internationale (CPJI) :
voir par exemple, affaire du Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, 1939, CPJI, série A/B, no 2, p. 4, affaire jugée selon le
Règlement de la CPJI de 1936 (qui était dans une large mesure analogue au Règlement de la CIJ de 1946) dans laquelle
la Cour a fait observer que la disposition concernée «couvre plus que les exceptions d’incompétence. Les termes et le
fond de cet article démontrent qu’il s’applique à toute exception dont l’effet, si elle était retenue par la Cour, serait de
mettre fin à la procédure dans l’affaire en cause, et dont il conviendrait, par conséquent, pour la Cour de s’occuper avant
d’aborder le fond» (p. 16).
17 Affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), Exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1963, p. 27. Voir aussi affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I.,
série A, no 2, p. 10 ; affaire Pajzs, Csáky, Esterházy, , arrêt, 1936, C.P.J.I. série A/B no 68, p. 51 ; Demande en révision
et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne)
(Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 216, par. 43 ; Délimitation maritime et questions
territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 23-24,
par. 43.
18 Voir, en particulier, affaire de l’Interhandel (Suisse c. Etats-Unis d’Amérique, exceptions préliminaires), arrêt,
C.I.J. Recueil 1959, p. 26 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2003, p. 177, par. 29 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 456, par. 120 ; Question de la
délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 123, par. 48.
19 Exceptions préliminaires, par. 29.
20 Decision of the ICAO Council on the Preliminary Objections in the Matter «United States v. 15 European
States (2000)», 16 novembre 2000.
- 134 -
motif que cette exception ne revêtait pas un caractère préliminaire. Cette décision confirme que
selon le Conseil, le paragraphe 1 de l’article 5 l’habilite à examiner à titre préliminaire les
questions relatives à la recevabilité. Elle confirme également que ce n’est qu’à titre exceptionnel
que les exceptions d’irrecevabilité doivent être jointes au fond de l’affaire, la jonction n’ayant été
opérée que parce que dans les circonstances de l’espèce, l’exception ne pouvait être considérée
comme revêtant un caractère exclusivement préliminaire.
18. Le Qatar ne conteste pas que le Conseil a déjà considéré des questions relatives à la
recevabilité comme des exceptions préliminaires dans des instances relevant de l’article 84. Il se
borne à rejeter cette décision comme étant erronée, mais n’explique pas  parce qu’il ne peut pas
l’expliquer  en quoi elle serait erronée ni pourquoi le Conseil devrait déroger à sa pratique
antérieure21.
19. En outre, dans une instance relevant de l’article 84 qui les opposait au Brésil en 2017, les
Etats-Unis ont soulevé une exception d’irrecevabilité du différend pour cause de forclusion
(prescription extinctive). Le Qatar allègue que le Conseil a correctement appliqué le paragraphe 1
de l’article 5 en s’abstenant de statuer sur cette exception à titre préliminaire22, mais il passe à côté
du sujet, car le Conseil a en fait réaffirmé sa pratique antérieure et l’a suivie.
20. Comme le Qatar lui-même le souligne, dans l’affaire Brésil c. Etats-Unis, les Etats-Unis
ont invoqué l’argument suivant :
«Si le Règlement pour la solution des différends de l’OACI ne mentionne pas
explicitement la recevabilité, le Conseil de l’OACI a considéré, et devrait le faire
actuellement, les questions de recevabilité comme des bases admissibles pour soulever
une exception préliminaire en vertu de l’article 5 du Règlement pour la solution des
différends.»23
21. Lors de l’audience du 21 juin 2017, le Brésil a admis que l’exception soulevée par les
Etats-Unis portait sur la recevabilité de sa demande, mais n’a pas contesté que le Conseil pouvait la
trancher à titre préliminaire24. La Direction des affaires juridiques et des relations extérieures de
l’OACI a également confirmé que le Conseil pouvait décider de joindre au fond de l’affaire des
exceptions n’ayant pas un caractère exclusivement préliminaire, invoquant la décision rendue par le
Conseil dans l’affaire Etats-Unis c. 15 Etats européens25.
22. Le Conseil a accepté cette position. Il a conclu que l’exception préliminaire des
Etats-Unis ne revêtait pas «un caractère exclusivement préliminaire» dans les circonstances de
l’espèce et a décidé d’en différer l’examen jusqu’au moment où il aurait été informé des faits
pertinents, lesquels faisaient partie du fond. Le Conseil a ainsi confirmé à nouveau qu’il était en
mesure de trancher les exceptions d’irrecevabilité à titre préliminaire. Le fait même qu’il ait joint
l’exception au fond de l’affaire sur cette base confirme l’idée qu’il l’aurait tranchée au stade
21 Réponse du Qatar, par. 23.
22 Ibid., par. 23 et 24.
23 Brésil c. Etats-Unis, exceptions préliminaires des Etats-Unis d’Amérique, note 18 (citée dans la réponse du
Qatar, par. 23).
24 Conseil, deux cent onzième session, Summary Minutes of the Ninth Meeting (procès-verbal sommaire de la
9e réunion), 21 juin 2017, C-MIN 211/9, par. 51.
25 Ibid., par. 93.
- 135 -
préliminaire de la procédure si les faits invoqués à l’appui de l’exception avaient révélé qu’elle
revêtait le «caractère exclusivement préliminaire» requis.
*
23. Bien que le Qatar ait, à la lumière de ce qui précède, commis une erreur de droit, le point
saillant en l’occurrence est que les deux exceptions préliminaires des défendeurs peuvent dûment
être qualifiées d’exceptions d’incompétence.
24. En ce qui concerne la première exception préliminaire, le Qatar affirme que «[l]es
moyens de défense tels que les contre-mesures doivent être examinés lors de l’examen au fond et
non pas au stade des exceptions préliminaires»26. Par cette affirmation, il veut vraisemblablement
inviter le Conseil à joindre l’exception préliminaire des défendeurs au fond de l’affaire.
25. Or la question de savoir s’il est tant soit peu permis au Conseil de statuer sur le fond du
véritable différend opposant les parties doit être tranchée d’entrée de jeu. C’est là la question qui
doit être tranchée pour statuer sur les exceptions préliminaires des défendeurs.
26. Le paragraphe 4 de l’article 5 du Règlement ne donne pas au Conseil la faculté de joindre
les exceptions préliminaires au fond, qu’il s’agisse d’exceptions d’incompétence ou d’exceptions
d’irrecevabilité. Il dispose expressément que «[s]i une exception préliminaire est soulevée, le
Conseil, après avoir entendu les parties, rend une décision sur cette question préjudicielle avant
toute autre mesure à prendre en vertu du présent Règlement» (les italiques sont de nous).
27. Il est à noter que le Conseil n’a jamais joint une exception d’incompétence au fond.
28. Cela n’est pas surprenant si l’on tient compte du paragraphe 4 de l’article 5 du
Règlement ; à cet égard, les défendeurs font valoir que la pratique antérieure du Conseil devrait être
suivie dans le présent différend. La thèse principale des défendeurs est que leurs deux exceptions
portent sur la compétence du Conseil et non pas sur la recevabilité de la prétention du Qatar,
celle-ci étant étrangère aux différends qui relèvent de la compétence du Conseil au sens de
l’article 84 de la convention de Chicago. En conséquence, le paragraphe 4 de l’article 5 du
Règlement exige que le Conseil tranche les deux exceptions avant de prendre toute autre mesure.
29. Toutefois, à titre subsidiaire, les défendeurs font valoir aussi que le Conseil peut
considérer les deux exceptions comme des exceptions d’irrecevabilité et que, dans ce cas, il est
habilité à les trancher à titre préliminaire, car elles revêtent le caractère exclusivement préliminaire
requis. Comme indiqué à la section III.F ci-dessous, le Conseil peut et doit statuer sur la première
exception préliminaire que les défendeurs soulèvent en se prévalant de leurs contre-mesures sans
déterminer à l’avance si les moyens de défense qu’ils en tirent pourraient effectivement prospérer
au fond. Le Qatar semble convenir que le Conseil peut statuer sur la seconde exception au stade
26 Réponse du Qatar, par. 73 ; voir aussi par. 32 («L’allégation des défendeurs selon laquelle le Conseil n’est pas
compétent pour statuer sur le cas d’espèce parce que l’Etat du Qatar a prétendument violé certaines obligations
internationales, violations qui ont autorisé les défendeurs à adopter des «contre-mesures», concerne précisément le fond
de la présente affaire»).
- 136 -
préliminaire de la procédure dans la mesure où elle est dûment qualifiée d’exception
d’incompétence. Quoi qu’il en soit, cette exception n’exige pas non plus que le Conseil préjuge du
bien-fondé des moyens de défense tirés par les défendeurs de leurs contre-mesures.
III. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LE CONSEIL N’A PAS COMPÉTENCE
POUR STATUER SUR LE «VÉRITABLE PROBLÈME» EN CAUSE
A. Introduction
30. Le Qatar cherche à dénaturer la première exception préliminaire des défendeurs en
faisant valoir que ceux-ci y allèguent que sa prétention soulève une question politique et non pas un
différend susceptible d’être tranché par application des règles de droit27. Son argument est erroné.
En effet, la première exception repose plutôt sur le principe selon lequel le Conseil n’a pas
compétence pour statuer si, objectivement, le «véritable problème» en cause dans l’affaire dont il
est saisi ne relève pas du champ d’application de l’article 84 de la convention de Chicago. Tel est le
cas en l’occurrence. Le recours du Qatar porte sur des mesures constitutives de contre-mesures
licites qui ont été adoptées dans le cadre d’une réaction plus large à ses manquements persistants à
des obligations internationales fondamentales n’ayant absolument rien à voir avec l’aviation civile.
C’est là le «véritable problème» en cause.
31. Ainsi, l’objet du différend que le Qatar prétend porter devant le Conseil échappe de loin
à la compétence de ce dernier. S’il procède à l’examen de l’affaire au fond, le Conseil sera
nécessairement tenu de statuer sur la question des contre-mesures en tant que circonstance excluant
l’illicéité des mesures prises par les défendeurs, y compris celles dont le Qatar tire grief. Comme
l’admet celui-ci, si le Conseil exerçait sa compétence, il devrait donc déterminer si le Qatar
respecte des obligations de droit international ne relevant pas de l’OACI, notamment des
obligations découlant des accords de Riyad, des obligations relatives à la lutte contre le terrorisme
et des obligations relatives à la non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres Etats. Comme le
Qatar l’a déjà reconnu, le «véritable problème» en cause concerne des «questions sans lien aucun
avec la navigation aérienne et le transport aérien»28. Lorsque le Qatar a manqué aux obligations
susmentionnées, les défendeurs ont adopté un train complet de mesures qui comprend non
seulement celles dont le Qatar tire actuellement grief, mais aussi la rupture des relations
diplomatiques et économiques avec le Qatar. Ces mesures visaient à inciter ce dernier à respecter
ses obligations internationales consistant, entre autres, à prévenir, réprimer et criminaliser le
soutien aux terroristes et aux organisations terroristes et leur financement, ainsi que le principe de
non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. Dans la mesure où elles seraient à première
vue jugées contraires aux obligations mises à la charge des défendeurs par la convention de
Chicago, elles sont justifiées comme constituant des contre-mesures licites.
32. Le Conseil ne saurait dissocier le recours du Qatar de la nature des mesures prises par les
défendeurs à titre de contre-mesures. Il n’y a rien à dissocier : toutes les mesures des défendeurs
ont été expressément adoptées à titre de contre-mesures en réaction aux manquements multiples et
27 Ibid., par. 33 et 34 («Certaines observations peuvent toutefois être formulées sur les questions soulevées par
les défendeurs, selon lesquelles il existe des questions plus larges ou globales en jeu qui empêcheraient le Conseil de se
déclarer compétent ou entraîneraient l’irrecevabilité de la requête. Il est dans la nature des cours et des tribunaux de
statuer sur des questions juridiques, même si celles-ci interviennent dans le cadre de différends politiques plus larges
entre les parties. Le fait qu’un différend juridique s’inscrive dans un contexte sous-jacent plus large ne signifie pas que ce
différend ne relève pas de la compétence du Conseil ou soit irrecevable.»).
28 Requête A de l’Etat du Qatar : Désaccord à propos de l’interprétation et de l’application de la convention
relative à l’aviation civile internationale (Chicago, 1944) et de ses annexes, datée du 30 octobre 2017 (ci-après
«requête A du Qatar»), section g).
- 137 -
graves du Qatar à ses obligations internationales. Tous les Etats défendeurs l’ont clairement déclaré
dès le départ, comme indiqué aux paragraphes 54 à 63 des exceptions préliminaires. Il s’ensuit que
le Conseil ne peut apprécier le recours du Qatar sur le fond en différant l’examen des moyens de
défense tirés par les défendeurs de leurs contre-mesures. De fait, cela reviendrait à méconnaître la
véritable nature des mesures prises par les défendeurs et à compromettre leur situation juridique.
33. Par souci d’exhaustivité, les défendeurs relèvent que le Qatar a tort de soutenir qu’en
invoquant en défense leurs contre-mesures, ils admettent en quelque sorte que leurs actions sont
contraires aux dispositions de la convention de Chicago29. Pour dissiper tout doute, les défendeurs
réaffirment que leurs exceptions préliminaires ne préjugent pas du tout de la question de savoir si
leurs actions étaient de toute autre manière contraires aux obligations mises à leur charge par la
convention de Chicago30. Le fait est simplement que, conformément au droit constant applicable, le
caractère licite des mesures considérées exclut toute possibilité qu’elles puissent par ailleurs être
contraires aux dispositions plus restreintes de la convention de Chicago31.
B. La première exception préliminaire est fondée sur le «véritable problème»
en cause et non sur la nature politique du différend
34. Le Qatar cherche à semer la confusion en présentant un argument sur un point que les
défendeurs n’ont pas soulevé, à savoir que le Conseil n’a pas compétence en l’espèce parce que le
différend comporte des aspects politiques. Son argument est libellé comme suit :
«Il est dans la nature des cours et des tribunaux de statuer sur des questions
juridiques, même si celles-ci interviennent dans le cadre de différends politiques plus
larges entre les parties. Le fait qu’un différend juridique s’inscrive dans un contexte
sous-jacent plus large ne signifie pas que ce différend ne relève pas de la compétence
du Conseil ou soit irrecevable.»32
35. Telle n’est pas l’exception des défendeurs. Ceux-ci excipent plutôt de ce que les mesures
dénoncées par le Qatar appellent inexorablement l’examen d’un différend qui ne relève pas de la
compétence du Conseil.
36. Les défendeurs conviennent que la présence d’éléments politiques dans un différend
n’est pas suffisante en soi pour exclure la compétence d’un tribunal ou d’une cour à connaître de ce
différend sur la base des normes juridiques applicables. Cela est cependant sans objet en
l’occurrence car, ainsi que les défendeurs viennent de le souligner, le fait que le différend comporte
des éléments politiques n’est pas le motif pour lequel la prétention du Qatar ne relève pas de la
compétence du Conseil. Le Qatar a également tort de dire que la CIJ a rejeté le principe selon
lequel elle doit s’assurer qu’elle a compétence  c’est-à-dire qu’elle a le consentement nécessaire
des parties  pour statuer sur le «véritable problème» en cause lorsque sa compétence matérielle
est limitée. Aucun des précédents qu’il a cités n’accrédite cette allégation.
29 Réponse du Qatar, par. 83.
30 Exceptions préliminaires, par. 8 («Les présentes exceptions préliminaires sont naturellement soumises sans
préjudice de la position des défendeurs sur le fond des plaintes déposées par le Qatar, exposée dans la requête A et le
mémoire qui l’accompagne, en ce qui concerne le prétendu manquement des défendeurs à leurs obligations
internationales au titre de la convention de Chicago.»).
31 Articles de la CDI, article 22.
32 Réponse du Qatar, par. 34.
- 138 -
37. Le Qatar s’appuie sur des obiter dicta (opinions incidentes) énoncés par la Cour en
l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, dans laquelle
la Cour s’est déclarée compétente pour connaître d’une prétention en vertu des conventions de
Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires malgré le fait que l’Iran invoquait les griefs
politiques généraux qu’il nourrissait contre les Etats-Unis33 :
«[L]es différends juridiques entre Etats souverains ont, par leur nature même,
toutes chances de surgir dans des contextes politiques et ne représentent souvent qu’un
élément d’un différend politique plus vaste et existant de longue date entre les Etats
concernés. Nul n’a cependant jamais prétendu que, parce qu’un différend juridique
soumis à la Cour ne constitue qu’un aspect d’un différend politique, la Cour doit se
refuser à résoudre dans l’intérêt des parties les questions juridiques qui les opposent.
La Charte et le Statut ne fournissent aucun fondement à cette conception des fonctions
ou de la juridiction de la Cour ; si la Cour, contrairement à sa jurisprudence constante,
acceptait une telle conception, il en résulterait une restriction considérable et
injustifiée de son rôle en matière de règlement pacifique des différends
internationaux.»
38. En l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la
Cour affirme qu’elle ne refuserait pas de connaître d’une affaire «pour la simple raison qu’elle [a]
des implications politiques»34 ; de même, dans son avis consultatif sur la Licéité de l’utilisation des
armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, elle dit que le fait que «cette question revête par
ailleurs des aspects politiques … ne suffit pas à la priver de son caractère de «question juridique»»
en matière d’avis consultatif35.
39. L’invocation de ces précédents par le Qatar ne répond cependant pas à l’exception
soulevée par les défendeurs. Le fait que les mesures prises par ces derniers aient été adoptées  et
ce expressément36  à titre de contre-mesures licites et soient invoquées comme telles implique
qu’elles doivent être analysées de ce point de vue. Les défendeurs ne contestent pas que le résultat
final de cette évaluation soit une question avec laquelle le Qatar puisse être en désaccord, mais il ne
s’agit pas d’un désaccord que le Conseil peut résoudre. Si le Conseil décidait de le faire, il serait
nécessairement  et le Qatar en convient  obligé de trancher un différend qui déborde largement
le champ de sa compétence matérielle limitée37. Le Conseil doit donc refuser d’exercer sa
compétence, non pas parce que ce différend comporte des éléments politiques, mais parce que le
«véritable problème» en cause diffère de l’objet de sa compétence défini par l’article 84 de la
convention de Chicago.
C. Le Qatar ne répond pas à la règle du «véritable problème»
40. La stratégie du Qatar, qui consiste à dénaturer les exceptions des défendeurs et à mettre
l’accent sur des questions politiques, sert à masquer son incapacité à répondre à la thèse des
défendeurs. On notera que le Qatar ne conteste pas que la règle du «véritable problème» est un
33 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt,
C.I.J. Recueil 1980, p. 20, par. 37.
34 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, p. 435, par. 96 (les italiques sont de
nous).
35 Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 73, par. 16.
36 Exceptions préliminaires, par. 53-57.
37Réponse du Qatar, par. 73, 76-77 ; cf. aussi par. 48.
- 139 -
obstacle à l’exercice de la compétence. Il cherche plutôt à minimiser ou à méconnaître son
importance.
41. Comme les défendeurs l’ont expliqué dans leurs exceptions préliminaires  et le Qatar
ne le conteste pas , un des volets nécessaires de la fonction du Conseil siégeant en vertu de
l’article 84 est «de circonscrire le véritable problème en cause et de préciser l’objet de la
demande». Le Conseil «doit s’assurer de l’objet véritable du différend, de l’objet et du but de la
demande»38.
42. Comme l’a récemment confirmé un tribunal arbitral constitué en vertu de la partie XV de
la convention des Nations Unies sur le droit de la mer dans l’arbitrage relatif à l’archipel des
Chagos, l’existence d’un «lien accessoire entre le différend et une question régie par la convention
est insuffisante pour faire entrer l’ensemble du différend dans le champ d’application» du titre de
compétence39. Dans cette affaire, le tribunal a refusé d’exercer sa compétence pour avoir conclu
que le «véritable problème» en cause  ou, comme le dit le Qatar, le «coeur de la requête» 
concernait un différend relatif à la souveraineté sur des terres. Il ne s’agissait pas d’un différend
intéressant l’interprétation ou l’application de la convention des Nations Unies sur le droit de la
mer40. Maurice contestait l’aire marine protégée créée par le Royaume-Uni en vertu de cette
convention au motif que le Royaume-Uni n’était pas l’«Etat côtier» compétent en ce qu’il (selon
Maurice) n’était pas détenteur de la souveraineté sur les îles en question. Le tribunal a estimé que le
désaccord opposant les parties n’était qu’un «volet d’un différend plus large» portant sur la
question de la détermination de l’Etat détenteur de la souveraineté sur l’archipel des Chagos41. Il a
tiré la conclusion suivante42 :
«Lorsqu’un différend concerne l’interprétation ou l’application de la
convention, le champ de la compétence conférée à la cour ou au tribunal par le
paragraphe 1 de l’article 288 s’étend à l’établissement des conclusions de fait ou des
conclusions de droit incidentes nécessaires pour résoudre le différend qui lui est
soumis (voir l’affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie
polonaise, exceptions préliminaires, arrêt du 25 août 1925, C.P.J.I., série A, no 6,
p. 18). Toutefois, lorsque le «véritable problème en cause» et l’«objet de la demande»
(Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 466,
par. 30) ne concernent pas l’interprétation ou l’application de la convention,
l’existence d’un lien accessoire entre le différend et une question régie par la
convention est insuffisante pour faire entrer l’ensemble du différend dans le champ
d’application du paragraphe 1 de l’article 288.
Le différend qui oppose les Parties au sujet de la détention de la souveraineté
sur l’archipel des Chagos ne concerne pas l’interprétation ou l’application de la
convention.»
38 Exceptions préliminaires, par. 31, citant Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974,
p. 262, par. 29 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 466, par. 30 ; voir aussi In
the matter of the Chagos Marine Protected Area Arbitration (Republic of Mauritius v. United Kingdom of Great Britain
and Northern Ireland), Cour permanente d’arbitrage, affaire no 2011-03, sentence, 18 mars 2015 (ci-après «Arbitrage
relatif à l’archipel des Chagos»), par. 220.
39 Arbitrage relatif à l’archipel des Chagos, par. 220. Aux termes de l’article 288 de la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer, le champ de la compétence d’une cour ou d’un tribunal constitué en vertu de la
partie XIV se limite à «tout différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention qui lui est soumis
conformément à la [partie XV]».
40 Réponse du Qatar, par. 46.
41 Arbitrage relatif à l’archipel des Chagos, par. 212.
42 Ibid., par. 220-221.
- 140 -
Pour ce motif, le tribunal a estimé qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur la question.
43. De même, dans l’affaire Larsen c. Hawaï, un tribunal arbitral a refusé d’exercer sa
compétence sur une demande formée par un ressortissant hawaïen contre le défendeur désigné, le
«Royaume d’Hawaï», à titre de prétexte pour amener le tribunal à déterminer qui détenait la
souveraineté sur Hawaï43. Le tribunal a estimé que l’«essentiel du différend» qui lui était soumis
opposait en réalité chacune des parties et un tiers, à savoir les Etats-Unis, et qu’il n’y avait aucun
véritable différend à trancher entre les deux parties44. Il a dit en outre qu’il ne pouvait trancher le
différend sans évaluer la position d’un tiers nécessaire (à savoir les Etats-Unis)45.
44. La règle du «véritable problème» a pour objet de faire en sorte que tribunal n’exerce sa
compétence que sur le sujet auquel les Etats ont souscrit aux termes de leur accord attributif de
compétence. La raison en est évidente lorsque l’on considère la situation des organes
juridictionnels à compétence matérielle limitée comme le Conseil. Non seulement ces organes ne
sont pas habilités à empiéter sur la compétence dont d’autres organes (à compétence générale ou
spéciale) disposeraient à l’égard du «véritable différend», mais ils ne sauraient prétendre rendre des
décisions contraignantes et définitives susceptibles d’être invoquées devant d’autres instances de
règlement des différends. Tout organe juridictionnel qui ne respecterait pas ces limites
fondamentales à son rôle compromettrait d’une manière inadmissible la situation juridique des
parties en litige.
45. L’application des règles pertinentes en l’occurrence ne peut aboutir qu’à une seule
conclusion. Le Conseil n’est pas l’instance appropriée et compétente pour trancher un différend
portant sur la question de savoir si le Qatar a manqué à de multiples obligations qui ne relèvent pas
de la convention de Chicago. Ce n’est pas une question périphérique ou accessoire en l’espèce.
C’est, comme nous le voyons maintenant, le seul différend.
D. Analysé objectivement, le «véritable problème» en l’espèce
ne concerne pas l’aviation civile
46. Si le Qatar a voulu (à tort) qualifier le «véritable problème» en l’espèce de question
concernant une prétendue «violation par les défendeurs de la convention de Chicago et de ses
annexes»46, il concède cependant que le différend est beaucoup plus large que ses prétentions. Il
déclare que «le Conseil peut examiner toute question plus ample lors de l’examen au fond», y
compris les «allégations selon lesquelles il soutiendrait ou financerait le terrorisme, etc.»47. De
même, dans sa requête, il déclare que le «véritable problème» en cause concerne ce qu’il appelle un
ultimatum que les défendeurs lui ont donné «sur des questions sans lien aucun avec la navigation
aérienne et le transport aérien»48. En outre, il est frappant de constater que dans sa réponse à la
deuxième exception préliminaire des défendeurs concernant son manquement à l’obligation
d’engager des négociations, tous les exemples qu’il cite pour prouver qu’il a tenté de négocier
portent sur le différend relevant des accords de Riyad et les obligations internationales qui en
43 Larsen c. Royaume d’Hawaï, Cour permanente d’arbitrage, affaire no 1999-01, sentence du 5 février 2001.
44 Ibid., par. 12.8.
45 Ibid., par. 12.15, citant l ’ affaire de l’Or monétaire pris à Rome en 1943 (question préliminaire), arrêt,
C.I.J. Recueil 1954, p. 19.
46 Réponse du Qatar, par. 44.
47 Ibid., par. 76-77.
48 Requête A du Qatar, point g).
- 141 -
découlent49. Le Qatar est malvenu maintenant à faire valoir que le «véritable problème» entre les
parties est différent, pour les seuls besoins de ses objectifs tactiques dans l’affaire.
47. En admettant que le différend opposant les parties est beaucoup plus large que sa
prétention, le Qatar accepte en quelque sorte la réalité de la situation : le différend n’est pas
seulement plus large ; il est en fait différent de ceux qui concernent les obligations découlant de la
convention de Chicago. Le différend porte sur le fait que le Qatar ait manqué  voire se soit
soustrait  à des obligations fondamentales d’une nature complètement différente, à savoir des
obligations relatives à la lutte contre le terrorisme et à la non-ingérence dans les affaires intérieures
des défendeurs, en violation des accords de Riyad et d’autres instruments internationaux50.
48. Par ailleurs, et alors qu’il reconnaît que le différend est en fait beaucoup plus large, le
Qatar donne à entendre que le «véritable problème» en cause est une question subjective qu’il doit
déterminer. Il affirme en outre que la qualification qu’il retient lie Conseil, qui doit simplement
examiner sa requête et son mémoire. Le Qatar dit à cet égard ce qui suit :
«La «véritable» question soumise au Conseil est la violation par les défendeurs
de la convention de Chicago et de ses annexes ; c’est là ce que le demandeur a soumis
au Conseil dans la requête et le mémoire ; c’est simplement et clairement cela que
l’Etat du Qatar demande au Conseil.»51
49. Or, comme le Qatar l’admet dans l’examen de l’arrêt de la CIJ relatif aux Essais
nucléaires, il est du «devoir de la Cour de circonscrire le véritable problème en cause et de préciser
l’objet de la demande»52 ou, selon les termes du Qatar, il appartient à la Cour de déterminer
objectivement «l’objet de la demande ou … la réparation demandée à la Cour par [le requérant]»53.
50. Le Qatar doit donc admettre que la question de la détermination du «véritable problème»
en cause est une question objective, qu’il appartient au Conseil de trancher54. Le Conseil ne saurait
se borner à prendre pour argent comptant la qualification du différend telle que le Qatar l’a
présentée. Il doit plutôt procéder à sa propre analyse pour déterminer l’objet et la portée réels de ce
différend ; comme la CIJ l’a récemment souligné, «[i]l s’agit là d’une question de fond, et non de
forme»55. Si la portée du différend que le Conseil aurait à trancher dépasse le champ de sa
49 Voir ci-dessous, par. 107 à 109.
50 Exceptions préliminaires, par. 42 à 63.
51 Réponse du Qatar, par. 43 et 44.
52 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 262, par. 29 ; Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 466, par. 29 et 30.
53 Réponse du Qatar, par. 44.
54 Voir Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II) (ci-après «Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique»), p. 602, par. 26 («C’est
cependant à la Cour qu’il appartient de définir, sur une base objective, l’objet du différend qui oppose les parties,
c’est-à-dire de «circonscrire le véritable problème en cause et de préciser l’objet de la demande»»). Voir aussi Violations
alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions
préliminaires, arrêt, , C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26-27, par. 50 («La Cour rappelle que «[l]’existence d’un différend
international demande à être établie objectivement» par elle [et que] «[l]a Cour, pour se prononcer, doit s’attacher aux
faits»» (jurisprudence citée omise), et Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), Exceptions
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I) (ci-après «Immunités et procédures pénales»), par. 48 («Il appartient … à la
Cour d’établir objectivement ce sur quoi porte le différend entre les Parties en circonscrivant le véritable problème en
cause et en précisant l’objet de la demande»).
55 Immunités et procédures pénales, par. 48.
- 142 -
compétence défini par l’article 84 de la convention de Chicago, le Conseil doit refuser d’exercer sa
compétence56.
51. Enfin, le Qatar fait valoir que les moyens de défense invoqués ne font pas partie
intégrante du différend lorsqu’il s’agit de statuer sur la compétence, prétendant s’appuyer sur un
arrêt rendu par la CIJ dans l’affaire de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI
(Inde c. Pakistan)57. Dans cette affaire, la Cour a relevé ce qui suit58 :
«On ne saurait considérer le Conseil comme privé de compétence du seul fait
que des données extérieures aux Traités [de l’OACI] pourraient être invoquées, dès
lors que, de toute façon, des questions relatives à l’interprétation ou à l’application de
ceux-ci entrent en jeu. Le fait qu’une défense au fond se présente d’une certaine
manière ne peut porter atteinte à la compétence du tribunal ou de tout autre organe en
cause ; sinon les parties seraient en mesure de déterminer elles-mêmes cette
compétence … [L]a compétence du Conseil [de l’OACI] dépend nécessairement du
caractère du litige soumis au Conseil et des points soulevés, mais non pas des moyens
de défense au fond ou d’autres considérations qui ne deviendraient pertinentes qu’une
fois tranchés les problèmes juridictionnels.»
52. Rien n’autorise le Qatar à invoquer ce précédent. Celui-ci doit être replacé dans le
contexte des exceptions préliminaires de l’Inde tendant à contester la compétence du Conseil, dans
lesquelles l’Inde a fait valoir que la convention de Chicago et l’accord relatif au transit des services
aériens internationaux avaient été éteints ou suspendus entre les deux Etats et que les différends nés
sur ce point ne concernaient pas «l’interprétation ou l’application» des traités pertinents de l’OACI
au sens de leurs dispositions relatives à la compétence, de sorte que le différend en question
échappait complètement à la compétence du Conseil59. L’Inde a également fait valoir que le
Conseil n’avait même pas compétence pour statuer sur sa propre compétence60 et la Cour a rejeté
ce point61. Il importe cependant de relever qu’à la différence de la thèse avancée par les défendeurs
en l’espèce, l’Inde ne soutenait pas que le véritable différend échappait à la compétence du Conseil.
53. De fait, il ressort de l’arrêt statuant sur l’Appel concernant la compétence du Conseil de
l’OACI que la Cour (et donc aussi le Conseil) était tenue de déterminer elle-même le «véritable
problème» en cause. Pour ce faire, la Cour a commencé par déterminer la nature du différend dont
elle était saisie, puis elle a recherché si le différend mettait en évidence l’existence d’un «désaccord
survenu à propos de l’interprétation ou de l’application» de la convention de Chicago. Elle a estimé
qu’il convenait de considérer que le différend portait sur la question de savoir si les traités en
question avaient ou non été suspendus ou éteints et a jugé qu’il s’agissait d’une question relevant
56 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique, p. 610, par. 53.
57 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 61,
par. 27 ; réponse du Qatar, par. 71.
58 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 61,
par. 27 ; réponse du Qatar, par. 71.
59 Voir Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972,
p. 62, par. 29 ; voir aussi le mémoire de l’Inde, mémoires, plaidoiries et documents, 30 août 1971, p. 26, par. 5.
60 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 64,
par. 31 («Les Parties sont en désaccord sur les points de savoir si les Traités ont jamais été valablement suspendus ou
remplacés, si les Traités sont en vigueur entre elles et si les mesures prises par l’Inde à l’égard des survols par des
appareils pakistanais, au lieu de mettre en jeu les Traités, se justifiaient par d’autres motifs extérieurs.»).
61 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 53,
par. 15.
- 143 -
de la compétence du Conseil62. La partie contestante qui entendait lier le Conseil par sa définition
unilatérale du contenu du différend était l’Inde dans cette affaire. En l’espèce, il s’agit du Qatar.
54. L’exception soulevée par les défendeurs en l’espèce est très différente de celle de l’Inde.
Les défendeurs demandent au Conseil de reconnaître que s’il est dûment qualifié, le «véritable
problème» dans le différend opposant les parties concerne le respect par le Qatar d’obligations de
droit international totalement distinctes et différentes de celles prévues par la convention de
Chicago. Aucune exception de cette nature n’a été examinée par le Conseil ou la Cour dans
l’affaire Inde c. Pakistan.
*
55. Pour terminer, le motif pour lequel le Conseil ne peut exercer sa compétence en l’espèce
n’a rien à voir avec les questions politiques, contrairement à ce que le Qatar voudrait faire croire au
Conseil. Il s’agit plutôt de déterminer comment l’objet du différend opposant les parties doit être
qualifié, une question qu’il appartient au Conseil (sous réserve du contrôle de la Cour) de trancher
objectivement sur la base de sa propre appréciation des thèses avancées par les parties. Comme les
défendeurs l’ont montré dans leurs exceptions préliminaires, le présent différend porte en réalité sur
le manquement du Qatar à des obligations fondamentales qui n’ont aucun rapport avec l’aviation
civile, et est donc nécessairement étranger au mandat du Conseil défini à l’article 84 de la
convention de Chicago.
E. La première exception préliminaire est accréditée par le principe de spécialité
56. Rien n’autorise non plus le Qatar à faire valoir que le principe de spécialité ne peut être
le fondement d’une exception préliminaire, les défendeurs n’ayant nullement affirmé que tel était le
cas63. En outre, son argument selon lequel ce principe intéresse au mieux la recevabilité et ne peut
donc être examiné par le Conseil au stade préliminaire de la procédure est erroné en droit, pour les
motifs déjà exposés ci-dessus64.
57. Le Qatar fait valoir que la CIJ a rejeté la possibilité de s’appuyer sur le principe de
spécialité pour refuser d’exercer sa compétence. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas à titre d’exception
préliminaire autonome que les défendeurs demandent au Conseil de s’appuyer sur ce principe pour
statuer. En fait, le principe de spécialité fournit un motif supplémentaire pour lequel le Conseil doit
refuser de trancher un différend portant sur des questions différentes de celles prévues par les
traités de l’OACI, le Conseil n’étant pas compétent pour trancher les questions relatives au respect
d’autres obligations de droit international par les Etats. En d’autres termes, le caractère limité de la
compétence du Conseil s’explique par le principe de spécialité et les deux se renforcent
mutuellement.
58. Comme indiqué ci-dessus, le Qatar admet que pour statuer sur ses demandes au fond, le
Conseil devra déterminer «en droit et en fait» si les conditions d’imposition et de maintien des
62 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 64,
par. 32.
63 Réponse du Qatar, par. 49.
64 Voir ci-dessus, section II ; réponse du Qatar, par. 50.
- 144 -
contre-mesures ont été remplies. Pour ce faire, le Conseil devra réaliser une enquête factuelle
détaillée sur les activités menées par le Qatar à l’égard de certaines organisations terroristes et des
affaires intérieures de ses voisins et évaluer la licéité de ces activités à l’aune des obligations mises
à la charge du Qatar par, entre autres, les accords de Riyad, la convention internationale pour la
répression du financement du terrorisme, la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité et le
droit international coutumier. Une telle évaluation factuelle et juridique exige des connaissances
spécialisées considérables sur les plans technique et juridique. Le Conseil dispose de connaissances
spécialisées considérables sur les aspects techniques de l’aviation consacrés par la convention de
Chicago, mais il n’est pas bien qualifié ni équipé pour connaître des différends concernant la
violation de la souveraineté, la violation du principe de non-intervention, la subversion et le
terrorisme65.
F. La première exception préliminaire ne devrait pas être jointe au fond
59. Selon le Qatar, «[l]es moyens de défense tels que les contre-mesures doivent être
examinés lors de l’examen au fond et non pas au stade des exceptions préliminaires»66. Par cette
déclaration, il entend sans doute inviter le Conseil à joindre au fond l’exception soulevée par les
défendeurs.
60. Comme il a été expliqué plus haut, le paragraphe 4 de l’article 5 du Règlement interdit au
Conseil de joindre les exceptions d’incompétence au fond67. Les défendeurs ont également
démontré que leur première exception préliminaire, en particulier, concernait l’étendue de la
compétence conférée au Conseil par l’article 84 de la convention de Chicago et constituait dès lors
une exception d’incompétence par excellence. Par conséquent, le Conseil ne doit examiner la
possibilité de joindre les exceptions soulevées par les défendeurs au fond que s’il considère qu’elles
n’intéressent valablement que la recevabilité. Dans ce cas, la jurisprudence de la CIJ est utile pour
déterminer si une question doit être jointe au fond.
61. Pour reprendre les termes de la Cour, «[e]n principe, une partie qui soulève des
exceptions préliminaires a droit à ce qu’il y soit répondu au stade préliminaire de la
procédure…»68. Néanmoins, une exception peut à l’occasion être considérée comme n’ayant pas un
caractère exclusivement préliminaire. Dans ce cas, elle peut être jointe au fond si des motifs
impérieux le justifient.
62. Pour déterminer si une exception a un caractère exclusivement préliminaire, le Conseil
doit au premier chef rechercher s’il «dispose de tous les éléments requis pour statuer» sur cette
exception et s’il peut résoudre celle-ci «sans trancher le différend, ou certains de ses éléments, au
65 Exceptions préliminaires, par. 70.
66 Réponse du Qatar, par. 73-75.
67 Voir ci-dessus, section II.
68 Différend territorial et maritime, p. 852, par. 51. Voir ci-dessus, par. 12.
- 145 -
fond»69. Le simple fait qu’une décision statuant sur la recevabilité touche à certains points du fond
ne signifie pas en soi qu’elle doit être jointe au fond.
63. Le Qatar invoque également deux affaires dans lesquelles un tribunal ou une cour a
examiné des contre-mesures au stade de l’examen au fond, apparemment pour tenter de faire valoir
qu’il en découle d’une manière ou d’une autre que l’exception des défendeurs doit être jointe au
fond70. Or dans aucune de ces deux affaires l’Etat défendeur n’a soulevé d’exceptions préliminaires
et il était manifeste que la cour ou le tribunal étaient en fait compétents :
a) Dans la sentence arbitrale concernant l’accord relatif aux services aériens, la compétence du
tribunal était fondée sur un accord particulier conclu entre la France et les Etats-Unis, lesquels
avaient expressément saisi le tribunal de la question de la violation de l’accord franco-américain
relatif aux services aériens par la France et de celle de savoir si les Etats-Unis avaient le droit
d’imposer les contre-mesures qu’ils avaient adoptées en réaction71. En outre, l’invocation de
celles-ci par les Etats-Unis ne modifiait pas le «véritable problème» en cause, puisque les
contre-mesures en question se limitaient à la suspension de l’exécution des obligations
découlant de l’accord relatif aux services aériens. D’ailleurs, le tribunal a reconnu que les
contre-mesures faisaient partie des «circonstances essentielles» de l’affaire72.
b) De même, aucune exception préliminaire n’a été soulevée dans l’affaire relative au Projet
Gabčíkovo-Nagymaros73. Cela n’est pas surprenant, car la compétence de la CIJ dans cette
affaire était également fondée sur un accord particulier conclu entre les parties, qui définissait
en termes généraux le différend que la Cour devait trancher74. Là encore, les prétendues
contre-mesures examinées par la Cour se limitaient à l’inexécution des obligations découlant du
même accord international que la demande principale, de sorte qu’aucune question relative au
«véritable problème» en cause ne se posait.
64. Ces précédents ne jettent donc pas la lumière sur la question de savoir si l’exception
soulevée par les défendeurs au sujet du «véritable problème» en cause doit être jointe au fond. Le
Qatar allègue que du moment que cette exception a trait aux contre-mesures, elle n’est pas «une
question de compétence ou de recevabilité», car elle «concerne précisément le fond de la présente
affaire»75. Nous affirmons respectueusement qu’il a tort.
69 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique, p. 610, par. 53 («En la présente affaire, [la Cour]
considère cependant qu’elle dispose de tous les éléments requis pour statuer sur l’exception du Chili et qu’elle est en
mesure d’établir si les questions en litige sont des questions «réglées» ou «régies» par le traité de paix de 1904 sans
trancher le différend, ou certains de ses éléments, au fond (Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 852, par. 51). La Cour en conclut qu’elle n’est pas empêchée
de se prononcer sur l’exception du Chili au présent stade de la procédure.»).
70 Réponse du Qatar, par. 73.
71 Affaire concernant l’accord relatif aux services aériens du 27 mars 1946 entre les Etats-Unis d’Amérique et la
France, sentence arbitrale du 9 décembre 1978, Recueil des sentences arbitrales, vol. XVIII, p. 454 et 455 ; disponible à
l’adresse suivante : http://legal.un.org/riaa/cases/vol_XVIII/417-493.pdf. (Au paragraphe B) de leur compromis
d’arbitrage, les parties ont soumis au tribunal arbitral la question suivante : «Dans les circonstances de l’espèce, le
Gouvernement des Etats-Unis avait-il le droit d’entreprendre l’action qu’il a entreprise en application de la Section 213
des règlements économiques du Civil Aeronautics Board ?»)
72 Ibid., p. 482, par. 80 (une des «circonstances essentielles de l’affaire» concernait «le principe même de la
légitimité des «contre-mesures»»).
73 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 7.
74 Ibid., p. 11, par. 2.
75 Réponse du Qatar, par. 32. Voir aussi la réponse du Qatar, par. 75.
- 146 -
65. Les défendeurs ne demandent pas au Conseil de préjuger de la licéité de leurs
contre-mesures et il n’est pas non plus nécessaire que le Conseil examine cette question au fond
pour trancher leur exception à titre préliminaire. Néanmoins, les défendeurs ont donné un aperçu de
leur position sur la question pour mettre en évidence la seule qualification de bonne foi possible qui
peut être attribuée au différend opposant les parties.
G. Conclusion : Le Conseil n’a pas compétence pour connaître des demandes du Qatar
66. La solution du Qatar serait que le Conseil tranche «toute question plus ample lors de
l’examen au fond»76. Il s’agit des questions que le Qatar a jusqu’à présent évité d’aborder en ce qui
concerne les financements et le soutien qu’il apporte au terrorisme et ses ingérences dans les
affaires intérieures des défendeurs77. Aucune de ces questions ne relève de la compétence du
Conseil au sens de l’article 84 de la convention de Chicago.
67. Les défendeurs expliquent depuis le début que les mesures dont le Qatar tire grief font
partie d’un train de contre-mesures licites adoptées en réaction à ses manquements multiples,
graves et persistants à ses obligations internationales essentielles à la sécurité des défendeurs. C’est
là le «véritable problème» en cause et il ne constitue manifestement pas un «désaccord entre deux
ou plusieurs Etats contractants à propos de l’interprétation ou de l’application» de la convention de
Chicago et de ses annexes. Le Conseil n’a pas compétence pour statuer sur des questions qui sont
étrangères à son mandat défini par l’article 84 de la convention de Chicago et débordent
manifestement les limites de ce mandat.
IV. DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LE QATAR N’A PAS SATISFAIT À LA CONDITION
PRÉALABLE DE NÉGOCIATION DÉFINIE PAR L’ARTICLE 84 DE LA CONVENTION
DE CHICAGO NI À L’OBLIGATION PROCÉDURALE CORRESPONDANTE
PRÉVUE PAR L’ALINÉA G) DE L’ARTICLE 2 DU RÈGLEMENT
A. Introduction
68. La deuxième exception préliminaire des défendeurs concernant l’absence de négociations
préalables est fondée sur l’article 84 de la convention de Chicago et le manquement du Qatar à
l’obligation énoncée à l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement.
69. Néanmoins, en analysant cette exception, le Qatar procède comme si les exceptions des
défendeurs n’avaient été soulevées que sur le fondement de l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement.
Dans sa réponse, il ne traite pas directement du fait que l’obligation de négociation découle en
réalité de l’article 84 de la convention de Chicago. Au lieu de cela, il accorde dès le début de son
analyse une grande attention à des questions qui concernent uniquement le fait que les défendeurs
se soient appuyés sur l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement (qui a été invoqué en sus de l’article 84
de la convention de Chicago et subsidiairement à celui-ci), ainsi qu’à des questions relatives aux
écritures ou à la procédure. En particulier, il fait valoir, entre autres, que :
a) L’obligation de faire une déclaration attestant que des négociations ont eu lieu qui est prévue
par l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement n’est qu’une obligation de forme et le Qatar est
76 Ibid., par. 76.
77 Ibid., par. 76-77.
- 147 -
«libre» de modifier son argumentation ou ses conclusions à tout moment avant que le Conseil
ne statue sur l’affaire78.
b) Le Qatar a en fait tenté de négocier avant de porter l’affaire devant le Conseil et il est en droit
de soumettre ces faits nouveaux au Conseil à ce stade de la procédure79.
70. En outre, le Qatar ne conteste pas la thèse des défendeurs selon laquelle il n’a pas indiqué
dans sa requête ni dans son mémoire qu’il avait tenté d’engager des négociations avant de
soumettre l’affaire au Conseil et n’a pas non plus produit d’éléments de preuve établissant qu’il
l’avait fait80.
71. Comme il a été expliqué dans les exceptions préliminaires, l’article 84 de la convention
de Chicago est le seul fondement possible de la compétence du Conseil à l’égard des désaccords
que le Qatar lui a soumis dans sa requête A ; cet article exige expressément que tout désaccord
soumis au Conseil soit celui qui «ne peut être réglé par voie de négociation» (les italiques sont de
nous).
72. L’approche retenue par le Qatar dans sa réponse ne peut masquer le fait qu’il ne dispose
pas de véritables éléments permettant de réfuter la thèse des défendeurs sur le sens et l’effet de
l’article 84 de la convention de Chicago. En particulier, le Qatar n’évoque pas ni ne tente en aucune
façon de contester la position adoptée par les défendeurs dans leurs exceptions préliminaires, selon
laquelle :
a) L’article 84 de la convention de Chicago contient une condition préalable à remplir qui consiste
à tenter de mener des négociations ; elle constitue une limite au consentement des Etats
contractants et le Conseil ne peut avoir compétence pour statuer sur un désaccord qui lui est
soumis que si elle est remplie81 ;
b) Selon le sens ordinaire des termes de l’article 84 de la convention de Chicago et la
jurisprudence de la CIJ relative aux clauses formulées en des termes similaires, la condition
préalable de négociation «implique, à tout le moins, que l’une des parties tente vraiment
d’ouvrir le débat avec l’autre partie en vue de régler le différend»82.
78 Ibid., par. 86.
79 Ibid., par. 98.
80 Exceptions préliminaires, par. 100 à 106.
81 Ibid., par. 80-89.
82 Ibid., par. 90 à 94. Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I)
(ci-après «Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale»),
p. 132, par. 157 ; voir aussi Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (ci-après «Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader»), p. 446, par. 57 ;
Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures
conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 104 (ci-après «Application de la convention
internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale»), par. 43. Voir en outre affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, ,
arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 13 (citée dans la réponse du Qatar, par. 95) où, pour examiner la question du
moment où la condition préalable de négociation pourrait être considérée comme remplie, la Cour permanente est partie
du principe qu’à tout le moins, il faut «qu’une conversation ait été entamée».
- 148 -
73. Or l’argument principal du Qatar semble être que la date à laquelle la condition de tenter
de négocier doit être remplie «n’est pas définie en droit comme l’affirment les défendeurs»83. Bien
que la thèse du Qatar ne soit pas clairement énoncée, il découle de toute apparence des paragraphes
qui suivent et des décisions invoquées par le Qatar84 qu’il n’est pas nécessaire de tenter de négocier
avant la saisine du Conseil et qu’il suffit de procéder à la tentative de négociation après le dépôt
d’une requête devant le Conseil.
74. La nouvelle position du Qatar adoptée dans sa réponse est non seulement dénuée de
fondement comme on le verra plus loin, mais aussi manifestement incompatible avec la thèse qu’il
avait avancée dans sa requête. Dans celle-ci, le Qatar avait reconnu n’avoir pas tenté de négocier et
avait plutôt fait valoir qu’il était dispensé de l’obligation de le faire, au motif que toute tentative de
négociation aurait été vaine85. Il prétend maintenant avoir effectivement tenté de négocier (bien
qu’il soit manifeste qu’aucune des multiples déclarations à la presse et aucun des autres documents
invoqués ne constitue une telle tentative et qu’il ne puisse produire aucune preuve de l’existence
effective de la tentative en question). Sa thèse changeante, contradictoire et non fondée manque de
crédibilité.
75. Le Qatar évoque également, en termes généraux, d’autres questions relatives au contenu
de l’obligation de négociation. Cependant, aucune de ces questions ne lui est utile :
a) Les observations du Qatar concernant la durée des négociations86 reposent sur une dénaturation
de l’argumentation des défendeurs et tendent à attaquer une thèse qu’ils n’ont pas émise.
Contrairement à ce que le Qatar tente de faire croire, les défendeurs n’ont pas soutenu qu’il
existait une durée minimale pour les négociations. Les arguments invoqués par le Qatar à cet
égard constituent une attaque dirigée contre un épouvantail rhétorique et ne sont absolument pas
pertinents.
b) Les observations du Qatar sur le contenu des discussions nécessaire pour que celles-ci soient
qualifiées de négociations87 ne sont pas plus pertinents. Il en ressort que le Qatar «n’avait pas à
faire référence à la convention de Chicago et à ses Annexes dans ses négociations ou tentatives
de négociation avec les défendeurs»88, mais le Qatar est obligé, à la lumière des décisions
pertinentes de la CIJ, de souscrire à la thèse des défendeurs selon laquelle pour satisfaire à la
condition préalable de négociation, toute tentative de négociation doit porter sur l’objet du
différend et concerner les obligations de fond énoncées dans le traité en question89. Comme on
le verra plus loin, contrairement à ce que le Qatar affirme, aucune des déclarations sur
lesquelles il s’appuie ne montre que tel a été le cas.
83 Réponse du Qatar, par. 99.
84 Ibid., par. 100-101.
85 Requête A du Qatar, point g).
86 Réponse du Qatar, par. 103-108.
87 Ibid., par. 109-110.
88 Ibid., par. 110.
89 Voir les exceptions préliminaires, par. 95 et 96. Voir aussi, par exemple, Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, p. 133, par. 161.
- 149 -
B. Aux termes de l’article 84 de la convention de Chicago, la condition de mener
au préalable des négociations doit être remplie avant le dépôt
de toute requête devant le Conseil
76. Aux termes exprès de l’article 84 de la convention de Chicago, il n’est permis de
soumettre au Conseil un désaccord né entre deux ou plusieurs Etats contractants à propos de
l’interprétation ou de l’application de ladite convention que s’il «ne peut être réglé par voie de
négociation». En outre, et c’est un point important, en ce qui concerne son contexte dans
l’ensemble de l’article 84, cette condition précède les termes «à la requête de tout Etat impliqué
dans ce désaccord».
77. Il s’ensuit que selon son sens ordinaire, l’article 84 prévoit clairement une suite précise
de mesures à prendre. Premièrement, il faut tenter de régler le désaccord par voie de négociation.
Deuxièmement, lorsque les négociations ne peuvent aboutir au règlement du différend, un
quelconque des Etats concernés peut alors soumettre par voie de requête le désaccord au Conseil
pour qu’il le tranche. Ces étapes sont consécutives et le Conseil n’a compétence pour examiner un
désaccord et le trancher que si elles ont été respectées.
78. Le texte de l’article 84 de la convention de Chicago n’accrédite pas la thèse implicite du
Qatar90 selon laquelle il suffit que les négociations soient tentées après le dépôt de la requête et il
est à noter que le Qatar ne présente aucun autre élément à l’appui de cette thèse. En fait, l’approche
suggérée par le Qatar est directement contraire aux dispositions de l’article 84, qui veut qu’une
tentative de négociation précède le dépôt de la requête devant le Conseil.
79. Dans ce contexte, en émettant l’idée «que les négociations sont futiles, que les parties se
trouvent dans une impasse et que le désaccord ne peut être réglé par voie de négociation»91, le
Qatar tente de méconnaître la décision rendue par la CIJ en l’affaire relative à l’Application de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et
confirmée dans des décisions ultérieures, selon laquelle l’obligation de négociation prévue dans des
dispositions telles que l’article 84 «implique, à tout le moins, que l’une des parties tente vraiment
d’ouvrir le débat avec l’autre partie en vue de régler le différend»92. Compte tenu de ce qui précède,
il est inadmissible que le Qatar ne fasse aucune tentative de négociation et se contente ensuite
d’affirmer que toute négociation aurait été vaine si elle avait été tentée : une tentative aurait dû à
tout le moins être faite.
80. Le fait que le Qatar invoque à cet égard les décisions rendues dans l’affaire du Sud-Ouest
africain et l’affaire Mavrommatis93 ne lui est d’aucune utilité, car ces deux décisions concernaient
des affaires dans lesquelles la Cour avait jugé que des négociations avaient eu lieu entre les
90 Réponse du Qatar, par. 99.
91 Réponse du Qatar, par. [209].
92 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
p. 132, par. 157 ; voir aussi Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, p. 446, par. 57 ; Application
de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, par. 43.
93 Réponse du Qatar, par. 209 ; cf. ibid., par. 95-97.
- 150 -
parties94 et les observations faites dans les passages invoqués par le Qatar doivent être interprétées
à la lumière de ce contexte. Par exemple, dans l’affaire du Sud-Ouest africain, la Cour a fait
observer dans le passage précédant immédiatement celui cité par le Qatar ce qui suit :
«[D]ans les présentes affaires, il est évident qu’on a abouti à une impasse sur les
questions en litige, que cela n’a pas changé et que les thèses respectives ne se sont
aucunement modifiées depuis les discussions et négociations aux Nations Unies»95.
81. En outre, dans la mesure où les passages de l’arrêt Mavrommatis invoqués par le Qatar
peuvent être interprétés comme constituant des déclarations de principe applicables de façon
générale indépendamment des faits particuliers de l’affaire, ils cadrent pleinement avec la thèse des
défendeurs ; en particulier, dans le passage cité par le Qatar, la Cour permanente fait observer que
«ce peut être assez qu’une conversation ait été entamée ; cette conversation a pu être très courte :
tel est le cas si elle a rencontré un point mort, si elle s’est heurtée finalement à un non possumus ou
à un non volumus péremptoire de l’une des Parties»96. La Cour permanente partait dès lors
clairement du principe que des efforts doivent à tout le moins être faits pour tenter d’engager des
négociations avant d’aboutir à une impasse ; elle ne disait pas qu’en l’absence de toute tentative de
négociation, il était permis de conclure que les négociations auraient forcément été vaines97.
82. Comme indiqué plus haut, le Qatar soutient que la date à laquelle la condition de tenter
au préalable de négocier doit être remplie «n’est pas définie en droit comme l’affirment les
défendeurs»98. A l’appui de cet argument, il invoque la décision rendue par la CIJ en l’affaire
relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Croatie c. Serbie) et l’opinion dissidente formulée par cinq juges de la CIJ en l’affaire relative à
l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale99.
83. Or, comme les défendeurs l’ont expliqué dans leurs exceptions préliminaires, il est bien
établi en droit international que l’existence de questions ayant une incidence sur la compétence
doit, en principe, être constatée à la date où l’action est intentée100. A cet égard, il convient de
relever qu’en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, la Cour a conclu que les conditions définies dans la
clause juridictionnelle de l’article 22 de cette convention (y compris la condition préalable de
94 Affaire du Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 345-346 (où la Cour a fait observer que des négociations collectives avaient
eu lieu dans le cadre des Nations Unies) ; affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I.,
série A, no 2, p. 14.
95 Affaire du Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 346 (les italiques sont de nous).
96 Affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 13 (les italiques
sont de nous) ; passage cité dans la réponse du Qatar, par. 95.
97 Voir aussi, par exemple, affaire du Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 345 (passage cité dans la réponse du Qatar, par. 97, où la Cour a
défini le critère permettant de conclure à l’existence d’une impasse comme étant le fait «qu’il n’est pas raisonnablement
permis d’espérer que de nouvelles négociations puissent aboutir à un règlement» (les italiques sont de nous).
98 Réponse du Qatar, par. 99.
99 Ibid., par. 100-101.
100 Exceptions préliminaires, par. 25.
- 151 -
négociation) constituaient des «conditions préalables auxquelles il doit être satisfait avant toute
saisine de la Cour»101 et que cet article imposait «des conditions préalables à sa saisine»102.
84. De même, en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), la Cour a réaffirmé ce qu’elle considérait
comme être la règle générale, à savoir «la compétence de la Cour doit normalement s’apprécier à la
date du dépôt de l’acte introductif d’instance». C’est normalement à la date du dépôt de l’acte
introductif d’instance que l’on doit se placer pour vérifier si lesdites conditions sont réalisées103.
85. La décision accueillant l’exception préliminaire de la Russie fondée sur le non-respect
d’une obligation de négociation préalable en l’affaire relative à l’Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale est la plus récente
décision de la CIJ qui traite de la question et constitue sa déclaration la plus autorisée de ces
derniers temps à cet égard.
86. Il convient de faire observer que le Qatar, tout en invoquant l’opinion dissidente
formulée en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale et en la citant très longuement, omet de mentionner la
décision de la Cour elle-même. Il n’est pas surprenant que le Qatar tente de méconnaître l’opinion
de la Cour, puisqu’elle est directement contraire à sa thèse. En particulier, la Cour :
a) a examiné les affaires antérieures relatives aux clauses compromissoires contenant des
obligations de négociation préalable comparables ;
b) a relevé que dans chacune de ces affaires, elle avait interprété les négociations visées comme
une condition préalable à sa saisine ;
c) a déclaré sans équivoque que la condition préalable de négociation devait être remplie avant sa
saisine104.
87. Comme indiqué dans les exceptions préliminaires des défendeurs, le libellé de
l’article 84 de la convention de Chicago est semblable à celui de l’article 22 de la convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale105. Les deux dispositions étant
formulées en des termes très similaires, il n’y a pas de motif (et le Qatar n’en a proposé aucun) de
conclure que l’article 84 de la convention de Chicago établit une règle dont l’effet diffère de celui
de l’article 22 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en
ce qui concerne la date à laquelle la condition préalable de négociation doit être remplie.
88. De plus, les motifs de politique générale que la Cour a recensés en l’affaire relative à
l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale et considérés comme des fondements de la condition préalable de
101 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
p. 128, par. 141 (les italiques sont de nous).
102 Ibid., p. 130, par. 148 (les italiques sont de nous).
103 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 437, par. 79.
104 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
p. 128, par. 141.
105 Voir les exceptions préliminaires, par. 85.
- 152 -
négociation106 sont également pertinents dans le cadre de l’article 84 de la convention de Chicago
en l’espèce. Premièrement, en exigeant que le requérant fasse une tentative de négociation avant de
soumettre sa requête au Conseil, l’article 84 de la convention de Chicago garantit au défendeur la
possibilité d’être informé du différend et de son étendue. Deuxièmement, l’existence de cette
condition préalable oblige les parties à rechercher des solutions mutuellement acceptables pour
résoudre le différend, évitant ainsi qu’il soit tranché par le Conseil. Enfin, l’obligation de
négociation préalable constitue une limite expresse à la compétence du Conseil définie d’un
commun accord par les parties à la convention de Chicago ; c’est une limite à laquelle le Conseil
est tenu de donner effet.
89. Indépendamment du fait que l’opinion dissidente formulée en l’affaire relative à
l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale est manifestement incompatible avec la décision de la Cour à cet égard, le
Qatar surestime largement les points de vue des juges dissidents et leur pertinence dans la présente
affaire.
90. Premièrement, les juges dissidents ont expressément reconnu que :
«la Cour a constamment interprété les clauses compromissoires permettant de
soumettre à la Cour les différends qui «ne peuvent pas être réglés»  ou qui «ne sont
pas susceptibles d’être réglés»  par la négociation en ce sens que la Cour ne pouvait
exercer sa compétence que si une négociation a été recherchée et qu’elle a abouti à
une impasse, c’est-à-dire qu’il n’est pas  ou qu’il n’est plus  raisonnablement
possible d’espérer un règlement du différend par la voie diplomatique. Cette
jurisprudence remonte à l’arrêt rendu en l’affaire des Concessions Mavrommatis en
Palestine.»107
91. Deuxièmement, ils ont clairement indiqué que la question de savoir si le différend ne
pouvait être réglé par voie de négociation dépendait des faits de l’espèce. Dans l’affaire considérée,
la Cour a souligné qu’«à la date de l’introduction de l’instance, toute possibilité raisonnable de
règlement du différend par la négociation avait été épuisée, de telle sorte que les conditions de
l’exercice par la Cour de sa compétence étaient, en tout état de cause, remplies»108. En l’espèce, par
contre, le Qatar n’a pas démontré sans équivoque que toute possibilité de règlement du différend
par la négociation avait été épuisée à la date de l’introduction de l’instance.
92. Troisièmement, le Qatar tire à tort parti de la déclaration des juges dissidents selon
laquelle la décision considérée «est la première dans laquelle la Cour conclut à son incompétence
sur la seule base du défaut de réalisation d’une condition de négociation préalable»109. Il fait valoir
ensuite que l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale est «la seule affaire où la Cour ne s’est pas déclarée
compétente en raison de la condition de négociation»110 et que «dans chacun des cas, à l’exception
106 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
p. 124-125, par. 131 ; voir les exceptions préliminaires, par. 82.
107 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
p. 83, par. 28.
108 Ibid., p. 83, par. 28.
109 Ibid., p. 100, par. 63, cité dans la réponse du Qatar, par. 101.
110 Réponse du Qatar, par. 107.
- 153 -
d’un seul … où la question a été soulevée devant la CIJ, celle-ci a jugé que la condition de
négociation avait été remplie»111.
93. En fait, le Qatar comprend mal les propos des juges dissidents et a donc tort d’affirmer
que, avant l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, la Cour n’avait jamais décliné sa compétence pour
cause d’inexécution d’une obligation expresse de négociation préalable.
94. Par exemple, dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle
requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), la République démocratique du
Congo s’était appuyée sur des bases de compétence multiples et disparates prévues par divers
traités pour tenter d’établir que la Cour avait compétence à l’égard de ses demandes. Une de ces
bases de compétence était la clause compromissoire énoncée à l’article 29 de la convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui exige que tout
différend «qui n’est pas réglé par voie de négociation» soit soumis à l’arbitrage et confère
compétence à la CIJ pour en connaître si l’arbitrage ne peut être organisé dans les six mois suivant
la date de la demande d’arbitrage.
95. La Cour a rejeté la tentative faite par la République démocratique du Congo pour fonder
sa compétence sur l’article 29 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes, au double motif que «[l]es éléments de preuve présentés à la
Cour n’ont pas permis d’établir à sa satisfaction que la RDC ait en fait cherché à entamer des
négociations relatives à l’interprétation ou l’application de la convention»112 et que la République
démocratique du Congo n’avait fait aucune tentative pour engager une procédure d’arbitrage113.
96. Dans la même affaire, la République démocratique du Congo avait également tenté de
fonder la compétence de la Cour sur la clause compromissoire énoncée à l’article 75 de la
Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, qui donne compétence à la CIJ sur «[t]oute
question ou différend concernant l’interprétation ou l’application de cette constitution, qui n’aura
pas été réglé par voie de négociation ou par l’Assemblée de la Santé». Là encore, la Cour a conclu
qu’elle n’avait pas compétence, notamment au motif que la République démocratique du Congo
«n’a en tout état de cause pas apporté la preuve que les autres conditions préalables à
la saisine de la Cour, fixées par cette disposition, aient été remplies, à savoir qu’elle ait
tenté de régler ladite question ou ledit différend par voie de négociation avec le
Rwanda»114.
97. Il s’ensuit que la tentative faite par le Qatar pour s’appuyer sur l’opinion dissidente
formulée en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale et méconnaître la décision de la Cour sur ce point est
manifestement entachée d’erreur.
111 Ibid., par. 210.
112 Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 40-41, par. 91.
113 Ibid., p. 40-41, par. 92.
114 Ibid., p. 43, par. 100.
- 154 -
98. L’autre fondement avancé par le Qatar pour affirmer que la date à laquelle les conditions
de compétence de la Cour doivent être remplies n’est pas «définie en droit» est la décision rendue
par la Cour en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Croatie c. Serbie) ; dans cette affaire, la Cour n’a pas considéré que le fait
qu’une condition préalable à sa compétence n’ait été remplie qu’après le dépôt de la requête
introductive d’instance la privait de sa compétence sur la prétention avancée. Toutefois, cette
décision n’accrédite pas la thèse du Qatar.
99. Premièrement, la condition qui n’avait pas été remplie à la date du dépôt de la requête
dans l’affaire Croatie c. Serbie concernait la compétence ratione personae conférée à la Cour par
son Statut ; la décision rendue dans cette affaire n’est dès lors pas pertinente, la présente affaire
concernant le non-respect d’une condition préalable expresse définie dans la clause
compromissoire qui constitue le fondement de la compétence du Conseil.
100. Deuxièmement, et à l’inverse, dans la décision rendue par la suite en l’affaire relative à
l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, la Cour, au-delà de l’opinion dissidente de cinq juges sur laquelle le Qatar
s’appuie fortement, a conclu à son incompétence et a refusé d’appliquer cette approche à une
obligation expresse de négociation préalable prévue dans une clause compromissoire. La décision
rendue par la Cour à cet égard est directement pertinente en l’occurrence et autorise clairement à
affirmer que toute condition de compétence expresse consistant à mener au préalable des
négociations qui est définie dans une clause compromissoire doit être remplie avant la soumission
du différend dans le cadre du mécanisme de règlement des différends pertinent.
101. Il existe de solides motifs de politique générale sous-tendant la décision rendue par la
Cour en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale pour lesquels le Conseil doit donner effet à l’obligation de
négociation prévue par l’article 84 de la convention de Chicago. Comme la CIJ l’a déclaré au sujet
de l’obligation équivalente énoncée à l’article 22 de ladite convention, ces conditions constituent
des limites expresses au consentement des Etats contractants et doivent donc être remplies avant le
dépôt de toute requête115. En conséquence, le Conseil n’a pas le pouvoir de les outrepasser ou de les
contourner ; si la condition préalable n’est pas remplie, la seule conclusion possible à en tirer est
que le Conseil n’a pas compétence pour statuer.
102. En outre, si le Conseil acceptait d’exercer sa compétence dans les cas où le requérant
s’efforce par la suite d’obtenir des négociations et dépose à nouveau sa requête, cela aurait pour
effet de vider de sa substance l’obligation de négociation préalable énoncée à l’article 84, car rien
n’inciterait les requérants à tenter d’engager des négociations avant de porter leurs différends
devant le Conseil, leur inaction étant sans conséquences. En cas d’adoption de cette approche,
aucun requérant ne se donnerait jamais la peine de tenter de négocier et les objectifs pour lesquels
l’obligation de négociation préalable a été créée seraient fondamentalement compromis.
103. Troisièmement, quoi qu’il en soit, le Qatar cite également de manière sélective la
décision rendue par la Cour en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), notamment en omettant de présenter les
déclarations de la Cour qui contredisent directement la position qu’il a adoptée en l’espèce. En
particulier, immédiatement avant le premier passage cité par le Qatar au paragraphe 100 de sa
115 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
p. 128, par. 141.
- 155 -
réponse, la Cour a confirmé qu’en principe, les conditions de compétence doivent être remplies à la
date du dépôt de la requête ; la CIJ a fait observer ce qui suit :
«[I]l importe de souligner qu’un Etat qui décide de saisir la Cour doit vérifier
avec attention que toutes les conditions nécessaires à la compétence de celle-ci sont
remplies à la date à laquelle l’instance est introduite. S’il ne le fait pas, et que lesdites
conditions viennent ou non à être remplies par la suite, la Cour doit en principe se
prononcer sur sa compétence au regard des conditions qui existaient à la date de
l’introduction de l’instance.»116
104. En l’espèce, le Qatar, de son propre aveu, n’a pas vérifié «avec attention que toutes les
conditions nécessaires à la compétence» du Conseil étaient remplies à la date où il a introduit
l’instance117. En conséquence, il n’a pas respecté une condition expresse préalable à la compétence
du Conseil et l’exception préliminaire d’incompétence soulevée par les défendeurs doit être
accueillie.
C. Le Qatar n’a pas établi qu’il avait tenté de négocier
105. Quoi qu’il en soit, le Qatar n’a pas démontré qu’il avait effectivement tenté d’engager
des négociations comme l’exige l’article 84 de la convention de Chicago.
106. Comme indiqué plus haut, la position du Qatar sur la question de savoir s’il a tenté de
négocier avant de former sa requête a changé et est incohérente. Alors qu’il a reconnu dans sa
requête et son mémoire qu’il n’avait pas tenté de négocier (et a tenté de justifier son manquement
aux obligations expresses énoncées à l’article 84 par le fait que toute tentative aurait été vaine), il
change, comme par hasard, de position dans sa réponse et y affirme qu’il a effectivement tenté de
négocier. Sa position changeante et incohérente manque de crédibilité. Quoi qu’il en soit, les faits
qu’il avance n’accréditent pas sa nouvelle position, car aucun des cas allégués de «négociation»
mentionnés dans sa réponse ne satisfait aux exigences de l’article 84 de la convention de Chicago.
107. En outre, dans sa réponse, le Qatar conteste vivement le point de vue des défendeurs
selon lequel le «véritable problème en cause» en l’espèce concerne des questions plus larges qui
échappent à la compétence du Conseil. Il fait valoir plutôt que la «question centrale» en l’espèce
«est le désaccord à propos de l’interprétation ou de l’application de la convention de Chicago et de
ses annexes»118.
108. Si le présent différend doit être interprété comme concernant uniquement des violations
de la convention de Chicago et de ses annexes, comme l’allègue le Qatar, la tentative de
négociation requise doit alors porter spécialement sur ces violations. Or aucune des déclarations
que le Qatar a versées au dossier à l’effet de prouver qu’il y avait eu des négociations ou des
tentatives de négociation ne fait état de la convention de Chicago et de ses annexes, ces pièces étant
116 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 438, par. 80.
117 Ibid., p. 438, par. 80.
118 Réponse du Qatar, par. 43-44 ; voir aussi ci-dessus, par. 48.
- 156 -
entièrement des déclarations à caractère général concernant sa volonté alléguée de s’«asseoir et
parler»119 ou l’«importance du dialogue»120.
109. Le Qatar ne peut jouer sur les deux tableaux. Il ne peut prétendre que le différend ne
porte pas sur des questions plus larges dans ses réponses à l’argument tiré par les défendeurs de
leurs contre-mesures tout en faisant valoir que l’évocation en termes vagues de l’existence d’un
dialogue politique élargi ou d’une médiation satisfait à l’obligation de négociation préalable. Si le
Qatar soutient que le différend ne porte pas sur les questions plus larges opposant les parties, il doit
nécessairement concéder qu’il n’a pas respecté l’obligation de négociation préalable prévue par
l’article 84. A l’inverse, s’il affirme que l’évocation de l’existence d’un dialogue politique élargi
satisfait à cette obligation, il doit nécessairement reconnaître que le différend porte sur des
questions plus larges qui échappent à la compétence du Conseil.
110. Quoi qu’il en soit, comme on le verra, le Qatar n’a pas tenté de négocier avec les
défendeurs, quelle que soit l’interprétation qu’il faut donner à l’objet du différend.
111. Il convient de traiter d’abord des faits des affaires portées devant l’OACI et
l’Organisation mondiale du commerce (l’«OMC») sur lesquels le Qatar s’appuie à titre d’éléments
constitutifs de la tentative de négociation requise avant de s’intéresser aux divers autres éléments
qu’il invoque à cet égard.
1. Il n’y a pas eu de négociations ni de tentatives de négociation dans le cadre de l’OACI
112. Le Qatar allègue que «des négociations ont eu lieu entre les parties dans le cadre de
l’OACI»121. Il s’agit d’une dénaturation flagrante des faits qui se sont déroulés devant l’OACI,
notamment dans le cadre de la procédure prévue à l’alinéa n) de l’article 54 de la convention de
Chicago. Non seulement aucune négociation ne s’est tenue dans cette procédure, mais le Qatar n’a
tenté d’engager aucune négociation devant l’OACI.
113. A l’appui de son allégation, le Qatar invoque i) six lettres adressées par les autorités
qatariennes au président du Conseil ou à la secrétaire générale de l’OACI et ii) le compte rendu de
la session extraordinaire du Conseil tenue le 31 juillet 2017122. Aucun de ces documents ne
constitue la preuve de l’existence de négociations préalables.
114. En ce qui concerne les six lettres invoquées par le Qatar123, elles ont été adressées soit
au président du Conseil, soit à la secrétaire générale de l’OACI. On n’y trouve aucune invitation à
négocier adressée aux défendeurs et le Qatar n’essaie pas non plus d’expliquer en quoi des lettres
n’étant pas destinées aux défendeurs pourraient constituer une telle invitation. En conséquence, ces
lettres ne peuvent être considérées comme une «véritable tentative de négociation».
119 Ibid., par. 128.
120 Ibid., par. 162.
121 Ibid., par. 120.
122 Voir ibid., par. 113-120.
123 Ibid., par. 112.
- 157 -
115. En ce qui concerne les débats qui ont eu lieu à la session extraordinaire du Conseil du
31 juillet 2017 tenue à la demande du Qatar en vertu de l’alinéa n) de l’article 54 de la convention
de Chicago, le Qatar n’a indiqué à aucun moment qu’il menait des négociations au sens de
l’article 84 de ladite convention et des négociations de cette nature n’ont eu lieu à aucun moment.
En outre, les demandes du Qatar étaient adressées au Conseil et non aux défendeurs. Cela ressort
clairement de la mesure sollicitée dans le document de travail du Qatar (C-WP/14[6]41) qui se
lisait comme suit :
«Suite à donner par le Conseil
3.1 Le Conseil est invité :
 a) à prier instamment les Etats imposant le blocus de lever toutes les restrictions
dans l’espace au-dessus de la haute mer afin de faciliter le flux de trafic aérien à
destination et en provenance du Qatar dans leur FIR respective. Ou sinon ;
 b) à offrir des routes ou des segments de route d’exception autorisant le passage
dans l’espace aérien au-dessus de la haute mer ;
 c) à prier instamment les Etats imposant le blocus, qui sont parties à l’accord
relatif au transit des services aériens internationaux de 1944 (ATSAI), de respecter
de bonne foi leurs obligations concernant les libertés de survol énoncées dans ce
traité multilatéral afin de permettre aux aéronefs immatriculés au Qatar de
reprendre les vols normaux dans l’espace aérien des Emirats arabes unis, de la
République arabe d’Egypte et du Royaume de Bahreïn.»
116. Aucune de ces mesures proposées par le Qatar ne constitue une tentative de négociation
avec les défendeurs. Au contraire, la demande vise à obtenir l’imposition d’un résultat correctif par
l’intermédiaire du Conseil.
117. Le Qatar dénature également le cours des événements dans la mesure où il tente de
s’appuyer sur le fait que les défendeurs ont participé à la session extraordinaire du Conseil et
répondu à ses allégations124. Comme il a été expliqué dans les exceptions préliminaires des
défendeurs, la CIJ distingue les négociations de l’affirmation par les Etats de leurs positions ou
opinions respectives :
«En déterminant ce qui constitue des négociations, la Cour observe que celles-ci
se distinguent de simples protestations ou contestations. Les négociations ne se
ramènent pas à une simple opposition entre les opinions ou intérêts juridiques des
deux parties, ou à l’existence d’une série d’accusations et de réfutations, ni même à un
échange de griefs et de contre-griefs diamétralement opposés. En cela, la notion de
«négociations» se distingue de celle de «différend» et implique, à tout le moins, que
l’une des parties tente vraiment d’ouvrir le débat avec l’autre partie en vue de régler le
différend.»125
124 Ibid., par. 113 à 120.
125 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
p. 132, par. 157 ; voir aussi Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, p. 446, par. 57 ; Application
de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, par. 43.
- 158 -
118. Ainsi, le fait que les défendeurs puissent avoir répondu aux allégations du Qatar et
contesté celles-ci dans le cadre de la procédure prévue à l’alinéa n) de l’article 54 de la convention
n’établit ni qu’il y a eu des négociations ni que le Qatar a tenté de négocier.
119. Il convient de relever que le Qatar a abandonné et n’invoque plus les prétendues
«conférences téléphoniques avec des fonctionnaires des défendeurs» qui auraient eu lieu les 5 et
6 juin 2017 et ont été invoquées dans son mémoire126. Néanmoins, il tente à présent de faire croire
que les réunions tenues sous la coordination du Bureau régional de l’OACI pour le Moyen-Orient
en vue d’examiner les routes aériennes d’exception ont satisfait en quelque sorte à l’obligation de
négociation préalable prévue par l’article 84. Il s’agissait cependant de débats d’ordre technique qui
n’ont pas abordé le désaccord opposant les parties à propos de l’interprétation ou de l’application
de la convention de Chicago ou de ses annexes ni les questions plus larges faisant partie du
différend. On ne peut non plus dire que ces débats aient été l’occasion pour le Qatar de tenter de
négocier une solution au désaccord avant de soumettre le différend au Conseil.
120. Quoi qu’il en soit, comme il ressort de la synthèse des travaux de la session, le Conseil :
a) a souligné à maintes reprises le caractère «technique» des débats127 ;
b) a pris soin de souligner qu’il était «nécessaire de distinguer clairement entre les mesures qu’il
pourrait envisager de prendre en tant qu’organe directeur dans le cadre de l’alinéa n) de
l’article 54 de la convention relative à l’aviation civile internationale … et celles qu’il pourrait
envisager de prendre dans le cadre de l’article 84 de la convention, lequel prévoyait une
procédure de règlement de tout désaccord opposant des Etats contractants à propos de
l’interprétation ou de l’application de la convention et ses annexes qui ne peut être réglé par
voie de négociation»128.
121. En conclusion, le Qatar n’a pas établi que des négociations ou des tentatives de
négociation avaient eu lieu au sens de l’article 84 de la convention de Chicago dans le cadre de
l’OACI.
2. La procédure engagée devant l’OMC contre Bahreïn, l’Arabie saoudite et les Emirats
arabes unis ne constitue pas des négociations au sens de l’article 84 de la convention de
Chicago
122. Le Qatar invoque également des demandes de consultations adressées à Bahreïn, à
l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis dans le cadre de l’OMC. Pour commencer, le Qatar
n’a pas sollicité de consultations au sein de l’OMC avec la République arabe d’Egypte. Rien ne
l’autorise dès lors à alléguer que les demandes de consultations en question constituent une
tentative de négociation avec la République arabe d’Egypte129. En ce qui concerne les trois autres
défendeurs, les demandes de consultations au sein de l’OMC ne satisfont pas à l’obligation de
négociation prévue par l’article 84 de la convention de Chicago.
126 Voir la requête A et le mémoire de l’Etat du Qatar, point g).
127 C-DEC Extraordinary Session (2017), par. 1, 3, 6, 8-9.
128 Ibid., par. 2 (les italiques sont de nous).
129 Cf. réponse du Qatar, par. 126, où le Qatar reconnaît implicitement que tel est le cas.
- 159 -
123. Comme il a été indiqué plus haut et dans les exceptions préliminaires des défendeurs,
l’article 84 de la convention de Chicago fait obligation à la partie plaignante de tenter d’obtenir des
négociations préalables sur tout désaccord «à propos de l’interprétation ou de l’application de
[cette] convention et de ses annexes».
124. Les demandes de consultations faites par le Qatar à l’OMC portent sur un différend
distinct de celui soumis au Conseil qui, au dire du Qatar, ne concerne que l’interprétation ou
l’application de la convention de Chicago ou de ses annexes ; à ce titre, elles ne peuvent satisfaire à
l’obligation de négociation préalable prévue par l’article 84. En particulier, dans ses demandes de
consultations, le Qatar ne s’est déclaré préoccupé que par le fait que les diverses mesures prises par
les défendeurs (notamment la fermeture de l’espace aérien) étaient incompatibles avec les
«obligations mises à leur charge par les accords relevant de l’OMC»130, puis il a prétendu soulever
des griefs en vertu de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, de l’accord
général sur le commerce des services et de l’accord sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce.
125. Certes, les demandes de consultations évoquent, entre autres, l’interdiction faite aux
aéronefs qatariens d’accéder à l’espace aérien des défendeurs et les restrictions imposées aux vols à
destination ou en provenance de leurs territoires respectifs exploités par des aéronefs immatriculés
au Qatar, mais elles ne font nullement état des violations alléguées de la convention de Chicago
qui, selon le Qatar, constituent l’objet du «désaccord» en l’espèce131.
126. Comme il a été relevé plus haut, cependant, la jurisprudence de la CIJ dit clairement
que la négociation «doit concerner l’objet du différend, qui doit lui-même se rapporter aux
obligations de fond prévues par l’instrument en question»132. Il s’ensuit que si le Qatar est fondé à
affirmer qu’en l’espèce l’objet du différend concerne l’interprétation ou l’application de la
convention de Chicago ou des irrégularités qui auraient été commises par les défendeurs concernés,
cet objet est manifestement différent de celui des demandes de consultations faites dans le cadre de
l’OMC, la conséquence en étant que lesdites demandes ne peuvent satisfaire et ne satisfont pas à
l’obligation de négociation préalable prévue par l’article 84 de la convention de Chicago.
D’ailleurs, même en ce qui concerne la thèse des défendeurs selon laquelle le «véritable problème»
en cause concerne le respect des obligations internationales du Qatar, les débats tenus dans le cadre
de l’OMC ne satisfont pas à la condition préalable de négociation, car ils ne concernaient pas non
plus le «véritable problème», à savoir les violations du droit international commises par le Qatar.
3. Le Qatar n’a pas démontré de toute autre manière qu’il avait tenté de négocier avec les
défendeurs
127. En plus des faits survenus dans le cadre de l’OACI et de l’OMC qu’il invoque, le Qatar
dresse dans sa réponse une longue liste de déclarations à la presse, d’entretiens et d’autres
déclarations qu’il aurait faites à des responsables d’Etats tiers dans le but de démontrer qu’il a tenté
de négocier avec les défendeurs. A supposer que les déclarations en question aient été
effectivement faites et que leurs comptes rendus présentés par le Qatar soient véridiques et exacts,
ces déclarations destinées à servir ses intérêts ne l’aident en rien à s’acquitter de la charge qui lui
130 Voir WT/DS526/1, par. 9 ; WT/DS527/1, par. 9 ; WT/DS528/1, par. 9.
131 Réponse du Qatar, par. 43.
132 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
p. 133, par. 161 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, par. 43.
- 160 -
incombe de démontrer qu’il a «véritablement tenté» de régler le désaccord ou le différend par voie
négociation avant de le soumettre au Conseil. En outre, il est frappant de constater que toutes ces
prétendues tentatives de négociation semblent se rapporter à la crise dans son ensemble, ce qui
contredit l’affirmation du Qatar selon laquelle le différend se limite à la convention de Chicago et à
ses annexes.
128. Le Qatar lui-même admet qu’il y a eu peu de «contacts directs entre les parties»133 et
cela est confirmé par les pièces jointes au dossier. En particulier, la grande majorité des
déclarations invoquées ont été apparemment faites à des tiers (et rapportées par la suite par les
médias) ou constituent des communiqués de presse diffusés par le Qatar au monde entier.
129. Quoi qu’il en soit, une partie importante des déclarations considérées (en particulier
celles qui figurent aux paragraphes 190 à 200 et dans les pièces jointes 75 à 85) ont été faites après
la date de dépôt de la requête du Qatar (30 octobre 2017). Comme il a été expliqué plus haut, de
telles déclarations ne peuvent satisfaire à l’obligation qui incombait au Qatar de tenter de négocier
avant de soumettre le désaccord au Conseil. Elles sont dès lors entièrement sans intérêt pour ce
motif également.
130. En outre, aucune des déclarations invoquées par le Qatar ne porte sur les questions
relatives à l’interprétation et à l’application de la convention de Chicago qui, selon lui, constituent
l’objet du désaccord opposant les parties ni même, plus généralement, sur des questions
aéronautiques. Les déclarations invoquées ne satisfont donc pas au critère énoncé par la CIJ en
l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale et confirmé dans des affaires ultérieures, à savoir que la
négociation «doit concerner l’objet du différend, qui doit lui-même se rapporter aux obligations de
fond prévues par l’instrument en question»134.
131. L’examen de la réponse du Qatar et des pièces qui y sont jointes confirme simplement
l’absence manifeste de toute «véritable tentative» faite par le Qatar pour régler le désaccord par
voie de négociation avec les défendeurs. En fait, il est évident que la tactique adoptée par le Qatar
était d’affirmer publiquement son ouverture au dialogue et sa volonté de négocier, puis de
s’abstenir de prendre des mesures concrètes pour tenter réellement d’entamer des négociations.
132. Le seul cas de contact direct qu’il y aurait eu avec un des défendeurs, qui a été invoqué
par le Qatar et serait survenu avant le dépôt de sa requête le 30 octobre 2017, est une prétendue
conversation téléphonique entre le Qatar et le Royaume d’Arabie saoudite, le 8 septembre 2017.
133. Aucune source officielle qatarienne n’est citée par le Qatar à cet égard et celui-ci ne
s’appuie que sur des articles de presse pour présenter le prétendu contenu de la conversation. Au
minimum, on se serait attendu à ce que les allégations portées par le Qatar au sujet de son contenu
soient étayées par une transcription ou une note contemporaine, ou par une déclaration officielle du
Qatar. A l’inverse, un communiqué de presse officiel saoudien contemporain a immédiatement
contesté les informations publiées par le Qatar sur le contenu de la conversation. Les allégations
133 Réponse du Qatar, par. 176.
134 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
p. 133, par. 161 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, par. 43.
- 161 -
non étayées du Qatar faisant état du contenu de cette conversation ne constituent pas une base
suffisante pour que le Conseil tire des conclusions de fait à cet égard.
134. Quoi qu’il en soit, il convient de noter que le Qatar lui-même ne dit pas avoir offert de
négocier au cours de cette conversation téléphonique ni n’offre un compte rendu direct de son
contenu. En outre, bien qu’il soit contesté, il est frappant de constater à quel point le Qatar est
hésitant sur le contenu de la conversation entre l’émir du Qatar et le prince héritier du Royaume
d’Arabie saoudite, se limitant à déclarer qu’«il semble que tous deux aient souligné la nécessité de
résoudre la crise par le dialogue»135.
135. Il convient de noter également que le Qatar n’affirme pas  et aucune des parties n’a
prétendu (ou n’aurait prétendu)  qu’il y a eu un débat spécifique sur la question du respect des
obligations internationales pertinentes dans le domaine de l’aviation civile, notamment les
obligations découlant de la convention de Chicago et de l’accord relatif au transit des services
aériens internationaux.
136. A supposer même que le contenu de la discussion ait été celui que le Qatar présente
dans sa réponse (lequel n’est pas admis), une telle discussion sur la nécessité d’un dialogue, relatée
dans les termes les plus généraux et dans le cadre d’un différend beaucoup plus large entre les
parties, ne constitue évidemment ni une négociation sur l’interprétation ou l’application de la
convention de Chicago ni une tentative faite pour entamer des négociations à cet égard. Par
conséquent, à supposer même que le Qatar ait raison de dire que l’objet de ce différend ne concerne
que la convention de Chicago, il admet n’avoir pas satisfait à la condition préalable de négociation
à cet égard.
137. Quoi qu’il en soit, dans la meilleure même des hypothèses, la prétendue conversation
téléphonique du 8 septembre 2017 n’a eu lieu qu’avec l’Arabie saoudite et le Qatar n’a nullement
dit ou établi qu’il avait tenté de prendre contact avec l’un quelconque des autres Etats défendeurs
pour chercher à négocier. Il n’a pas non plus véritablement tenté de le faire par d’autres voies, par
exemple par l’intermédiaire du Koweït.
4. Le Qatar a publiquement annoncé ne pas vouloir négocier avec les défendeurs
138. Le Qatar allègue dans sa réponse qu’il a «demandé à de nombreuses reprises la tenue de
négociations» avec les défendeurs136. Comme il a été indiqué ci-dessus, le dossier de l’affaire
n’accrédite pas cette allégation. En réalité, le Qatar a fait des déclarations contradictoires sur sa
volonté d’engager des négociations.
139. Par exemple, le ministre des affaires étrangères du Qatar aurait déclaré, au début de juin
2017, ce qui suit :
«En ce qui concerne les décisions intéressant la souveraineté du Qatar et sa
politique étrangère au-delà de la sécurité collective du CCG, nous n’acceptons pas de
135 Réponse du Qatar, par. 176 (les italiques sont de nous).
136 Ibid., par. 202.
- 162 -
diktat et nous ne négocierons pas à leur sujet» ni même n’en discuterons, a-t-il dit en
réponse à une question relative au sort d’Al-Jazeera».137
140. Il aurait également déclaré que le Qatar ne négocierait pas avec ses voisins pour
résoudre le différend du Golfe, sauf si les intéressés levaient le boycott du commerce et des
voyages qu’ils avaient imposé138.
141. A cet égard, il a clairement indiqué que le Qatar n’était pas disposé à négocier tant que
ses conditions préalables ne seraient pas remplies :
««Le Qatar est soumis à un blocus, il n’y a pas de négociations. Ils doivent lever
le blocus pour entamer les négociations», a déclaré le cheikh Mohammed bin
Abdulrahman Al Thani à la presse lundi, excluant toute discussion sur les affaires
intérieures du Qatar, y compris le sort du réseau médiatique d’Al-Jazeera dont le siège
est à Doha.
«Jusqu’à présent, nous n’avons constaté aucun progrès sur la levée du blocus,
qui est la condition préalable à toute avancée», a-t-il ajouté.»»139
142. En outre, dans sa réponse, le Qatar lui-même évoque une interview accordée en juillet
2017 dans laquelle son ministre des affaires étrangères a déclaré que «toute demande qui porterait
atteinte à la souveraineté de l’Etat du Qatar ne serait pas examinée»140.
143. Comme le montrent les déclarations citées ci-dessus, les allégations du Qatar faisant
état de sa volonté de négocier sont contredites par les déclarations publiques faites par son propre
ministre des affaires étrangères.
144. A cet égard, la «requête» et la «plainte» initiales du Qatar datées du 8 juin 2017 ainsi
que les mémoires qui les accompagnaient sont également importants. Curieusement, le Qatar omet
de citer ces documents lorsqu’il dénombre les diverses communications qu’il a adressées à l’OACI
à partir de juin 2017, malgré le fait qu’ils soient mentionnés dans ses lettres du 13 juin 2017141. Ces
requêtes n’ont pas abouti, le secrétariat de l’OACI les ayant rejetées au motif qu’elles ne
répondaient pas aux conditions de forme définies par le Règlement ; par conséquent, la procédure
n’a pas été officiellement engagée.
137 Pièce jointe 24, Qatari FM: We will not negotiate al-Jazeera or our foreign policy with Gulf countries,
The New Arab (10 juin 2017), https://www.alaraby.co.uk/english/news/2017/6/10/qatar-says-al-jazeera-…-
are-sovereign-non-negotiable-matters.
138 Pièce jointe 25, T. Finn & J. Irish, Qatar says it will not negotiate unless neighbors lift «blockade», Reuters
(19 juin 2017), https://www.reuters.com/article/us-gulf-qatar/qatar-says-it-will-not-ne…-
idUSKBN19A1G6.
139 Pièce jointe 26, Qatar FM: We won’t negotiate until blockade is lifted, Al-Jazeera (19 juin 2017),
https://www.aljazeera.com/news/2017/06/qatar-fm-won-negotiate-blockade-….
140 Réponse du Qatar, par. 154 ; pièce jointe 41 du Qatar.
141 Réponse du Qatar : pièce jointe 4 du Qatar, «Letter from Qatar to Secretary General of ICAO», 13 juin
2017 (réf. 2017/15993) ; pièce jointe 5 du Qatar, «Letter from Qatar to Secretary General of ICAO», 13 juin 2017
(réf. 2017/15994) ; voir aussi la pièce jointe 6 du Qatar, «Letter from Qatar to Secretary General of ICAO», 15 juin
2017 (réf. 2017/15995).
- 163 -
145. Néanmoins, il convient de noter que les parties de ces documents visant apparemment à
satisfaire aux exigences de l’alinéa g) de l’article 2 du Règlement et à prouver le respect de
l’obligation de négociation préalable prévue par l’article 84 de la convention de Chicago
confirment que le Qatar avait déjà, à ce stade, très peu après l’adoption de la fermeture de l’espace
aérien, conçu l’idée que compte tenu de la rupture des relations diplomatiques, «les négociations
n’étaient plus possibles»142. La position du Qatar ressort également de sa demande en date du
15 juin 2017 fondée sur l’alinéa n) de l’article 54 de la convention de Chicago, qui contient une
déclaration analogue143.
5. Conclusion
146. De toute évidence, le Qatar a pris la résolution de ne pas tenter d’engager des
négociations avec les défendeurs ; les éléments de preuve qu’il a lui-même produits montrent que
par la suite, dans le droit fil de cette résolution, il n’a en fait pas véritablement tenté d’engager des
négociations avant le dépôt de sa requête (comme cela était exigé) ni même ultérieurement.
147. A supposer même que le Qatar puisse invoquer une tentative de négociation survenue
après le dépôt de la requête (ce qui n’est pas admis pour les motifs exposés ci-dessus), la seule
conclusion possible dans ces circonstances est qu’il n’a pas rempli une condition préalable
nécessaire à la compétence du Conseil. En conséquence, le Conseil doit se déclarer incompétent
pour statuer sur les prétentions du Qatar et rejeter sa requête sur cette base.
V. CONCLUSIONS RELATIVES À LA RÉPARATION
148. Les conclusions présentées par le Qatar au sujet de la réparation doivent être rejetées
dans leur intégralité.
149. Les défendeurs prient à nouveau respectueusement le Conseil, statuant à titre
préliminaire, d’accueillir leurs exceptions préliminaires et de dire et juger en conséquence :
a) qu’il n’a pas compétence pour trancher les prétentions soulevées par le Qatar dans sa requête A
ou,
b) à titre subsidiaire, que ces prétentions sont irrecevables.
[Pièces jointes non reproduites]
___________
142 Mémoire A de l’Etat du Qatar, p. 9 ; mémoire B de l’Etat du Qatar, p. 5-6.
143 Réponse du Qatar : pièce jointe 6, «Letter from Qatar to Secretary General of ICAO», 15 juin 2017
(réf. 2017/15995), et annexe, Request of the State of Qatar for Consideration by the ICAO Council under
Article 54(n) of the Chicago convention, 15 juin 2017, p. 10.
- 164 -

Document file FR
Document Long Title

Volume IV (Annexes 25 à 26)

Links