Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Skotnikov

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166-20191108-JUD-01-07-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC SKOTNIKOV [Traduction] Je suis au regret de ne pouvoir me rallier à la décision de la Cour selon laquelle cette dernière a compétence pour connaître de la présente affaire. 1. Dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 19 avril 2017 sur les mesures conservatoires, la Cour est parvenue à la conclusion que les droits dont l’Ukraine sollicitait la protection en vertu de la CIRFT n’étaient pas plausibles. Les droits en soi, tels que prévus par un traité donné, étant toujours plausibles, elle avait pour tâche d’examiner, prima facie, les actes allégués par le demandeur à l’appui de ses griefs. Aux paragraphes 74 et 75 de cette ordonnance, la Cour a précisé ce qui suit : «74. [D]ans le contexte d’une demande en indication de mesures conservatoires, un Etat partie à la convention ne peut se fonder sur l’article 18 pour exiger d’un autre Etat partie qu’il coopère avec lui en vue de prévenir un certain type d’actes que s’il est plausible que les actes en cause puissent constituer des infractions au sens de l’article 2 de la CIRFT. 75. En l’espèce, les actes auxquels l’Ukraine se réfère … ont fait un grand nombre de morts et de blessés dans la population civile. Cela étant, afin de déterminer si les droits dont l’Ukraine recherche la protection sont au moins plausibles, il est nécessaire de rechercher s’il existe des raisons suffisantes pour considérer que les autres éléments figurant au paragraphe 1 de l’article 2, tels que les éléments de l’intention ou de la connaissance qui ont été mentionnés ci-dessus … et celui relatif au but auquel il est fait référence à l’alinéa b) dudit paragraphe, sont réunis. A ce stade de la procédure, l’Ukraine n’a pas soumis à la Cour de preuves offrant une base suffisante pour que la réunion de ces éléments puisse être jugée plausible.» (Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 131-132, par. 74-75 ; les italiques sont de moi.) En conséquence, sans traiter les questions de l’urgence ou du risque qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués, la Cour a décidé que «les conditions requises pour l’indication de mesures conservatoires relativement aux droits invoqués par l’Ukraine sur le fondement de la CIRFT n[’étaien]t pas remplies» (ibid., p. 132, par. 76). La conclusion selon laquelle ces droits ne sont pas plausibles est toujours valable. 2. Dans le présent arrêt, la Cour conclut que, «[à] ce stade de la procédure, point n’est généralement besoin pour [elle] de procéder à un examen des actes illicites allégués ou de la plausibilité des griefs» (arrêt, par. 58). Ce dictum laisse entendre que la plausibilité des faits n’est pas pertinente aux fins d’une exception d’incompétence et que la Cour pourrait connaître même de griefs peu plausibles. Au même paragraphe, la Cour précise que sa «tâche …, telle que reflétée à l’article 79 du Règlement …, est d’examiner les points de droit et de fait ayant trait à l’exception d’incompétence soulevée» (ibid.). L’on voit mal comment ces deux dicta, directement juxtaposés, peuvent être compatibles. En tout état de cause, la Cour ne s’est pas penchée sur les questions relatives aux éléments de preuve factuels, ni dans le cas de la CIRFT ni dans celui de la CIEDR. - 2 - 3. Ainsi que la Cour l’a relevé, «[l]’existence de [s]a compétence … dans un cas particulier n’est … pas une question de fait, mais une question de droit qui doit être tranchée à la lumière des faits pertinents. Etablir ces faits peut poser des problèmes de preuve» (Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 76, par. 16). S’agissant des exceptions préliminaires, le Règlement de la Cour mentionne à plusieurs reprises la nécessité que soient examinées tant les questions juridiques que les questions factuelles. Les faits allégués en une affaire donnée doivent bien évidemment être vérifiés dans la mesure appropriée au cas d’espèce. Lorsqu’il lui faut apprécier tous les faits relevant du fond pour décider si elle a compétence ratione materiae, la Cour dit que l’exception en cause n’a pas un caractère exclusivement préliminaire. 4. Dans les circonstances de la présente affaire, où la conclusion susvisée à laquelle la Cour est parvenue en 2017 demeure en vigueur, une prudence particulière s’imposait pour décider si les griefs, qui étaient précisément fondés sur ces mêmes faits allégués, «entr[ai]ent ou non dans les prévisions» (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 809, par. 16) de la CIRFT, prudence dont la Cour n’a malheureusement pas fait montre. Autrement, elle n’aurait pas conclu que l’argumentation de l’Ukraine satisfait au critère établi en l’affaire des Plates-formes pétrolières et qu’elle a compétence ratione materiae en l’espèce. 5. S’agissant des points de droit, la Cour a pour tâche, au stade des exceptions préliminaires, de trancher les questions relatives au champ d’application du traité en cause et de déterminer ainsi les limites de la compétence ratione materiae qui est la sienne. Cet impératif est bien établi dans sa jurisprudence, selon laquelle elle «doit … toujours s’assurer de sa compétence et … doit, s’il y a lieu, l’examiner d’office» (Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 118, par. 40). 6. Malheureusement, la Cour ne suit pas cette jurisprudence bien établie lorsqu’elle indique qu’«il n’est nul besoin de traiter de [la] question [relative à la portée du terme «fonds»] au stade actuel de la procédure» (arrêt, par. 62). A la phrase suivante, elle conclut que «[l]’interprétation de la définition de ce terme pourrait … être pertinente, le cas échéant, lors de l’examen au fond» (ibid.). Cette question préliminaire touchant au champ d’application de la CIRFT est ainsi transformée, sans la moindre justification, en une question de fond. 7. Au paragraphe 59 de l’arrêt, la Cour précise à raison que le financement par un Etat d’actes de terrorisme n’est pas traité par la CIRFT et déborde le cadre de cet instrument. Au paragraphe 61, elle conclut que la commission par l’agent d’un Etat d’une infraction visée à l’article 2 n’engage pas la responsabilité de l’Etat concerné au titre de la CIRFT. L’Etat étant une entité abstraite, qui agit par le truchement de ses représentants, les conclusions qui précèdent s’accordent mal avec celle que la Cour tire au même paragraphe, selon laquelle la convention s’applique aussi bien aux personnes qui agissent à titre privé qu’à celles qui sont des agents de l’Etat. Cette conclusion va également à l’encontre de la logique des Articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite adoptés par la Commission du droit international (rapport de la Commission du droit international, cinquante-troisième session, documents officiels de l’Assemblée générale, supplément no 10 (A/56/10)). 8. Dans son ordonnance du 19 avril 2017, la Cour a précisé qu’«un Etat partie à la convention ne peut se prévaloir des droits que lui confèrent les articles 2 et 5 que s’il est plausible que les actes qu’il allègue puissent constituer des actes de discrimination raciale au sens de la convention» (Application de la convention internationale pour la répression du financement du - 3 - terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 135, par. 82 ; les italiques sont de moi). Et la Cour de conclure ceci : «En l’espèce, sur la base des éléments que les Parties ont produits devant la Cour, il apparaît que certains des actes allégués par l’Ukraine remplissent cette condition de plausibilité. Tel est le cas de l’interdiction du Majlis et des restrictions invoquées par l’Ukraine s’agissant des droits des Ukrainiens de souche en matière d’éducation.» (Ibid., par. 83 ; les italiques sont de moi.) Il convient de noter que, outre ces deux questions, la Cour n’a pas considéré en 2017 que d’autres griefs de l’Ukraine étaient plausibles, ce qui a son importance pour déterminer comment elle devrait examiner les éléments de preuve factuels susceptibles d’être pertinents aux fins de la question de sa compétence. Autrement dit, un examen supplémentaire s’impose. Or, l’arrêt ne mentionne par exemple nullement que les actes allégués par l’Ukraine, selon les propres écritures de celle-ci, sont intervenus soit avant le référendum concernant la question du statut de la Crimée soit peu après, ni que les mesures alléguées par ce même Etat visaient des militants opposés au référendum. Cela soulève bien évidemment une question de compétence ratione temporis et sape, par ailleurs, le propre argument du demandeur selon lequel ces actions seraient couvertes par la CIEDR. Si elle avait examiné comme il se doit les éléments de preuve factuels pertinents, la Cour serait sans doute parvenue à des conclusions différentes. Elle a cependant décidé de ne pas le faire (voir arrêt, par. 94). Après s’être contentée de résumer les arguments des Parties relatifs aux questions de droit et de fait, la Cour tire la conclusion radicale selon laquelle, «compte [tenu] des droits et obligations formulés en termes généraux dans la convention, y compris les obligations énoncées au paragraphe 1 de l’article 2 et la liste non exhaustive de droits figurant à l’article 5, … les mesures dont l’Ukraine tire grief … entrent … dans les prévisions de cet instrument» (arrêt, par. 96). Fruit d’un raisonnement sommaire, cette conclusion n’est guère satisfaisante. 9. Plus haut dans l’arrêt, la Cour a rappelé que, pour appliquer le critère établi en l’affaire des Plates-formes pétrolières, «[il] p[ouvai]t … se révéler nécessaire d’interpréter les dispositions qui définiss[ai]ent le champ d’application du traité» (arrêt, par. 57). Il est regrettable qu’elle n’ait pas examiné certaines questions relatives à celui de la CIEDR. 10. Je conviens que la liste des droits recensés à l’article 5 de la CIEDR n’est pas exhaustive. Il n’en reste pas moins qu’il y a toujours lieu de démontrer qu’une violation alléguée répond à tous les critères énoncés au paragraphe 1 de l’article premier, qui est ainsi libellé : «Dans la présente Convention, l’expression «discrimination raciale» vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique.» (Les italiques sont de moi.) Il s’ensuit que la CIEDR ne pourrait entrer en jeu que si un traitement discriminatoire était réservé à un groupe de la population par rapport à un ou plusieurs autres groupes. J’estime dès lors que la question de savoir si la communauté tatare de Crimée a le droit de conserver les instances représentatives qui lui sont propres n’est pas couverte par le paragraphe 1 de l’article premier. La Cour aurait dû se prononcer sur cette question, qui se rapporte clairement au champ d’application de la convention. - 4 - 11. De même, la Cour aurait dû traiter en tant que question préliminaire le point de savoir si le droit à l’enseignement dans sa langue maternelle relevait de la CIEDR. A ce propos, je ferai observer que les Etats parties ont la faculté de créer des droits qui ne sont pas expressément énumérés dans cet instrument et de néanmoins les faire entrer dans le champ d’application de celui-ci. La responsabilité d’un Etat partie ne peut toutefois être engagée que s’il est porté atteinte au principe général de non-discrimination pour les motifs visés au paragraphe 1 de l’article premier. 12. Il est évident qu’aucun droit à l’enseignement dans sa langue maternelle n’est mentionné au point v) de l’alinéa e) de l’article 5 de la CIEDR, mais si un tel droit découle des dispositions constitutionnelles ou d’autres dispositions légales en vigueur dans un pays donné, ou sur une partie de son territoire (et l’ukrainien est l’une des trois langues officielles en Crimée), le fait d’en priver un groupe particulier et de l’accorder à un ou plusieurs autres groupes pourrait entrer dans le champ d’application de la CIEDR. Pour qu’il en aille ainsi, ce traitement doit cependant être manifeste et prendre, par exemple, la forme de mesures législatives ou administratives, ce qui n’est clairement pas le cas. Les fluctuations éventuelles du nombre d’élèves ou d’établissements scolaires (telles que celles invoquées par l’Ukraine en l’espèce) ne sont pas pertinentes, car elles pourraient résulter de facteurs autres qu’une discrimination pour les motifs spécifiés dans la CIEDR. La Cour doit se montrer particulièrement prudente, aucun droit à l’enseignement dans sa propre langue n’étant établi en tant que tel par cet instrument. 13. Enfin, je ne suis pas convaincu par le raisonnement que la Cour a suivi pour déterminer si les conditions préalables énoncées à l’article 22 de la CIEDR étaient cumulatives ou alternatives, puisqu’elle a fait l’amalgame entre les négociations et la conciliation, qui constituent des modes distincts de règlement des différends. Cela est reflété au paragraphe 133 de son arrêt en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie) (C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 125) où était interprété l’article 22. Au surplus, bien que le terme «rapidement» figure dans le préambule de la CIEDR, le contexte de l’article précité n’indique nullement que, selon les Etats Parties, c’était le règlement des différends sous les auspices du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, plutôt que l’exécution de l’obligation primaire d’éliminer le racisme, qui devait intervenir dans les meilleurs délais. Dans le présent arrêt, la Cour applique le terme «rapidement» à l’article 22, à rebours de sa conclusion en l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie, où elle a jugé que cette disposition imposait certaines conditions préalables (ibid., par. 141). En refusant de manière singulière d’examiner les travaux préparatoires de l’article 22, la Cour s’écarte de l’approche qu’elle avait adoptée au paragraphe 142 de son arrêt en l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie, où elle s’était penchée sur ces mêmes travaux du fait que les parties en avaient abondamment débattu (ibid., p. 128). La meilleure explication à cette incongruité est que, en l’espèce, le recours aux travaux préparatoires compromettrait la conclusion de la Cour plus qu’il ne la corroborerait. 14. Le présent arrêt laisse quasiment entendre qu’il suffit qu’un demandeur affirme qu’il existe un lien, aussi ténu ou artificiel soit-il, entre ses allégations factuelles et le traité qu’il invoque pour convaincre la Cour que l’instrument en cause lui donne compétence ratione materiae pour connaître de l’affaire. Selon moi, ce revirement de jurisprudence ne constitue pas une évolution positive. (Signé) Leonid SKOTNIKOV. ___________

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665 111 DISSENTING OPINION OF JUDGE AD HOC SKOTNIKOV Regrettably, I cannot support the Court’s decision that it has jurisdiction to adjudicate the present case. 1. The Court, in its Order of 19 April 2017 on provisional measures, came to the conclusion that the rights Ukraine sought to protect under the ICSFT were not plausible. Since rights, as such, as provided in a given treaty are always plausible, the Court’s task was to examine, on a prima facie basis, the acts alleged by Ukraine in support of its claims. In paragraphs 74 and 75 of that Order, the Court stated : “74. . . . [I]n the context of a request for the indication of provisional measures, a State party to the Convention may rely on Article 18 to require another State party to co-operate with it in the prevention of certain types of acts only if it is plausible that such acts constitute offences under Article 2 of the ICSFT. 75. In the present case, the acts to which Ukraine refers . . . have given rise to the death and injury of a large number of civilians. However, in order to determine whether the rights for which Ukraine seeks protection are at least plausible, it is necessary to ascertain whether there are sufficient reasons for considering that the other elements set out in Article 2, paragraph 1, such as the elements of intention or knowledge noted above . . . and the element of purpose specified in Article 2, paragraph 1 (b), are present. At this stage of the proceedings, Ukraine has not put before the Court evidence which affords a sufficient basis to find it plausible that these elements are present.” (Application of the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism and of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 19 April 2017, I.C.J. Reports 2017, pp. 131-132, paras. 74-75; emphasis added.) Consequently, without addressing the issues of urgency or irreparable harm to the rights claimed, the Court decided that “the conditions required for the indication of provisional measures in respect of the rights alleged by Ukraine on the basis of the ICSFT are not met” (ibid., p. 132, para. 76). The conclusion that these rights are not plausible still stands. 2. In the present Judgment, the Court concludes that “[a]t the present stage of the proceedings, an examination by the Court of the alleged 665 111 OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC SKOTNIKOV [Traduction] Je suis au regret de ne pouvoir me rallier à la décision de la Cour selon laquelle cette dernière a compétence pour connaître de la présente affaire. 1. Dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 19 avril 2017 sur les mesures conservatoires, la Cour est parvenue à la conclusion que les droits dont l’Ukraine sollicitait la protection en vertu de la CIRFT n’étaient pas plausibles. Les droits en soi, tels que prévus par un traité donné, étant toujours plausibles, elle avait pour tâche d’examiner, prima facie, les actes allégués par le demandeur à l’appui de ses griefs. Aux paragraphes 74 et 75 de cette ordonnance, la Cour a précisé ce qui suit : « 74. [D]ans le contexte d’une demande en indication de mesures conservatoires, un Etat partie à la convention ne peut se fonder sur l’article 18 pour exiger d’un autre Etat partie qu’il coopère avec lui en vue de prévenir un certain type d’actes que s’il est plausible que les actes en cause puissent constituer des infractions au sens de l’article 2 de la CIRFT. 75. En l’espèce, les actes auxquels l’Ukraine se réfère … ont fait un grand nombre de morts et de blessés dans la population civile. Cela étant, afin de déterminer si les droits dont l’Ukraine recherche la protection sont au moins plausibles, il est nécessaire de rechercher s’il existe des raisons suffisantes pour considérer que les autres éléments figurant au paragraphe 1 de l’article 2, tels que les éléments de l’intention ou de la connaissance qui ont été mentionnés ci- dessus … et celui relatif au but auquel il est fait référence à l’alinéa b) dudit paragraphe, sont réunis. A ce stade de la procédure, l’Ukraine n’a pas soumis à la Cour de preuves offrant une base suffisante pour que la réunion de ces éléments puisse être jugée plausible. » (Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 131-132, par. 74-75 ; les italiques sont de moi.) En conséquence, sans traiter les questions de l’urgence ou du risque qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués, la Cour a décidé que « les conditions requises pour l’indication de mesures conservatoires relativement aux droits invoqués par l’Ukraine sur le fondement de la CIRFT n[’étaien]t pas remplies » (ibid., p. 132, par. 76). La conclusion selon laquelle ces droits ne sont pas plausibles est toujours valable. 2. Dans le présent arrêt, la Cour conclut que, « [à] ce stade de la procédure, point n’est généralement besoin pour [elle] de procéder à un examen 666 application of the icsft and cerd (diss. op. skotnikov) 112 wrongful acts or the plausibility of the claims is not generally warranted” (Judgment, para. 58). This statement implies that plausibility of facts is not relevant to an objection to the Court’s jurisdiction and that even implausible claims could be entertained by it. In the same paragraph, the Court states that its “task, as reflected in Article 79 of the Rules of Court . . . is to consider the questions of law and fact that are relevant to the objection to its jurisdiction” (ibid.). It is difficult to see how these two statements, appearing directly next to each other, are compatible. In any event, the Court did not consider the questions of factual evidence, in the case of either the ICSFT or CERD. 3. As the Court has noted, “[t]he existence of jurisdiction of the Court in a given case is . . . not a question of fact, but a question of law to be resolved in the light of the relevant facts. The determination of the facts may raise questions of proof.” (Border and Transborder Armed Actions (Nicaragua v. Honduras), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1988, p. 76, para. 16.) The Rules of Court relating to preliminary objections repeatedly refer to the need to examine both questions of law and fact. Of course, the alleged facts need to be ascertained to the extent which is appropriate in a given case. Where the Court needs to assess all the facts pertaining to the merits in order to decide whether or not it has jurisdiction ratione materiae, it declares that the objection in question does not possess an exclusively preliminary character. 4. In the present circumstances, where the Court’s finding of 2017, referenced above, remains in force, a decision as to whether the claims, which are based on the very same alleged facts, “do or do not fall within the provisions” (Oil Platforms (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II), pp. 809-810, para. 16) of the ICSFT required particular caution, which unfortunately has not been exercised. Had the Court exercised such caution, it would not have come to the conclusion that Ukraine’s case meets the Oil Platforms test and that it has jurisdiction ratione materiae in the present case. 5. As to the questions of law, it is the Court’s task at the preliminary objections stage to resolve the issues relating to the scope of the treaty in question and thereby determine the limits of its jurisdiction ratione materiae. This imperative is well established in the jurisprudence of the Court, according to which “the Court ‘must . . . always be satisfied that it has jurisdiction, and must if necessary go into the matter proprio motu’” (Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy : Greece intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (I), p. 118, para. 40). 6. Unfortunately, the Court does not follow this well- established jurisprudence when it states that the issue relating to the scope of the term “funds” “need not be addressed at the present stage of the proceedings” (Judgment, para. 62). In the next sentence, the Court concludes that “the interpretation of the definition of ‘funds’ could be relevant, as appropri- application de la cirft et de la ciedr (op. diss. skotnikov) 666 112 des actes illicites allégués ou de la plausibilité des griefs » (arrêt, par. 58). Ce dictum laisse entendre que la plausibilité des faits n’est pas pertinente aux fins d’une exception d’incompétence et que la Cour pourrait connaître même de griefs peu plausibles. Au même paragraphe, la Cour précise que sa « tâche …, telle que reflétée à l’article 79 du Règlement …, est d’examiner les points de droit et de fait ayant trait à l’exception d’incompétence soulevée » (ibid.). L’on voit mal comment ces deux dicta, directement juxtaposés, peuvent être compatibles. En tout état de cause, la Cour ne s’est pas penchée sur les questions relatives aux éléments de preuve factuels, ni dans le cas de la CIRFT ni dans celui de la CIEDR. 3. Ainsi que la Cour l’a relevé, « [l]’existence de [s]a compétence … dans un cas particulier n’est … pas une question de fait, mais une question de droit qui doit être tranchée à la lumière des faits pertinents. Etablir ces faits peut poser des problèmes de preuve » (Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 76, par. 16). S’agissant des exceptions préliminaires, le Règlement de la Cour mentionne à plusieurs reprises la nécessité que soient examinées tant les questions juridiques que les questions factuelles. Les faits allégués en une affaire donnée doivent bien évidemment être vérifiés dans la mesure appropriée au cas d’espèce. Lorsqu’il lui faut apprécier tous les faits relevant du fond pour décider si elle a compétence ratione materiae, la Cour dit que l’exception en cause n’a pas un caractère exclusivement préliminaire. 4. Dans les circonstances de la présente affaire, où la conclusion susvisée à laquelle la Cour est parvenue en 2017 demeure en vigueur, une prudence particulière s’imposait pour décider si les griefs, qui étaient précisément fondés sur ces mêmes faits allégués, « entr[ai]ent ou non dans les prévisions » (Plates- formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 809-810, par. 16) de la CIRFT, prudence dont la Cour n’a malheureusement pas fait montre. Autrement, elle n’aurait pas conclu que l’argumentation de l’Ukraine satisfait au critère établi en l’affaire des Plates- formes pétrolières et qu’elle a compétence ratione materiae en l’espèce. 5. S’agissant des points de droit, la Cour a pour tâche, au stade des exceptions préliminaires, de trancher les questions relatives au champ d’application du traité en cause et de déterminer ainsi les limites de la compétence ratione materiae qui est la sienne. Cet impératif est bien établi dans sa jurisprudence, selon laquelle elle « doit … toujours s’assurer de sa compétence et … doit, s’il y a lieu, l’examiner d’office » (Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 118, par. 40). 6. Malheureusement, la Cour ne suit pas cette jurisprudence bien établie lorsqu’elle indique qu’« il n’est nul besoin de traiter de [la] question [relative à la portée du terme « fonds »] au stade actuel de la procédure » (arrêt, par. 62). A la phrase suivante, elle conclut que « [l]’interprétation de la définition de ce terme pourrait … être pertinente, le cas échéant, lors 667 application of the icsft and cerd (diss. op. skotnikov) 113 ate, at the stage of an examination of the merits” (Judgment, para. 62). Thus, this preliminary issue relating to the scope of the ICSFT is being transformed, without any justification, into an issue for the merits. 7. In paragraph 59 of the Judgment, the Court correctly states that the financing by a State of acts of terrorism is not addressed by the ICSFT and lies outside the scope of that Convention. In paragraph 61, the Court concludes that the commission by a State official of an offence under Article 2 does not engage the responsibility of the State concerned under the ICSFT. Since a State is an abstract entity, which acts through its officials, the above conclusions do not sit well with the Court’s finding in the same paragraph that the Convention applies both to persons who are acting in a private capacity and those who are State agents. This finding also runs counter to the logic of the Articles on Responsibility of States for Internationally Wrongful Acts adopted by the International Law Commission (Report of the International Law Commission, Thirty-Third Session : United Nations, Official Records of the General Assembly, Supplement No. 10, doc. A/56/10). 8. In its Order of 19 April 2017, the Court stated that “a State party to CERD may avail itself of the rights under Articles 2 and 5 only if it is plausible that the acts complained of constitute acts of racial discrimination under the Convention” (Application of the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism and of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 19 April 2017, I.C.J. Reports 2017, p. 135, para. 82 ; emphasis added). The Court concluded that “[i]n the present case, on the basis of the evidence presented before the Court by the Parties, it appears that some of the acts complained of by Ukraine fulfil this condition of plausibility. This is the case with respect to the banning of the Mejlis and the alleged restrictions on the educational rights of ethnic Ukrainians.” (Ibid., para. 83; emphasis added.) It is worth noting that, apart from these two issues, the Court in 2017 did not consider the rest of Ukraine’s claims to be plausible. This is pertinent as to how the Court should examine the factual evidence which may be relevant to the issue of its jurisdiction. That is to say, some additional scrutiny is required. However, the Judgment, for example, does not even mention the fact that acts alleged by Ukraine, according to its own writings, occurred before the referendum on the question of the status of Crimea or shortly thereafter, and that the measures Ukraine alleges concerned activists who were opposed to the referendum. This, of course, raises an issue of jurisdiction ratione temporis. Further, it undermines Ukraine’s own argument that those actions are covered by CERD. Had the Court engaged in a proper examination of relevant factual evidence, it probably would have reached different conclusions. However, the Court application de la cirft et de la ciedr (op. diss. skotnikov) 667 113 de l’examen au fond » (arrêt, par. 62). Cette question préliminaire touchant au champ d’application de la CIRFT est ainsi transformée, sans la moindre justification, en une question de fond. 7. Au paragraphe 59 de l’arrêt, la Cour précise à raison que le financement par un Etat d’actes de terrorisme n’est pas traité par la CIRFT et déborde le cadre de cet instrument. Au paragraphe 61, elle conclut que la commission par l’agent d’un Etat d’une infraction visée à l’article 2 n’engage pas la responsabilité de l’Etat concerné au titre de la CIRFT. L’Etat étant une entité abstraite, qui agit par le truchement de ses représentants, les conclusions qui précèdent s’accordent mal avec celle que la Cour tire au même paragraphe, selon laquelle la convention s’applique aussi bien aux personnes qui agissent à titre privé qu’à celles qui sont des agents de l’Etat. Cette conclusion va également à l’encontre de la logique des Articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite adoptés par la Commission du droit international (rapport de la Commission du droit international, cinquante- troisième session, Documents officiels de l’Assemblée générale, supplément no 10 (A/56/10)). 8. Dans son ordonnance du 19 avril 2017, la Cour a précisé qu’« un Etat partie à la convention ne peut se prévaloir des droits que lui confèrent les articles 2 et 5 que s’il est plausible que les actes qu’il allègue puissent constituer des actes de discrimination raciale au sens de la convention » (Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 135, par. 82 ; les italiques sont de moi). Et la Cour de conclure ceci : « En l’espèce, sur la base des éléments que les Parties ont produits devant la Cour, il apparaît que certains des actes allégués par l’Ukraine remplissent cette condition de plausibilité. Tel est le cas de l’interdiction du Majlis et des restrictions invoquées par l’Ukraine s’agissant des droits des Ukrainiens de souche en matière d’éducation. » (Ibid., par. 83 ; les italiques sont de moi.) Il convient de noter que, outre ces deux questions, la Cour n’a pas considéré en 2017 que d’autres griefs de l’Ukraine étaient plausibles, ce qui a son importance pour déterminer comment elle devrait examiner les éléments de preuve factuels susceptibles d’être pertinents aux fins de la question de sa compétence. Autrement dit, un examen supplémentaire s’impose. Or, l’arrêt ne mentionne par exemple nullement que les actes allégués par l’Ukraine, selon les propres écritures de celle-ci, sont intervenus soit avant le référendum concernant la question du statut de la Crimée soit peu après, ni que les mesures alléguées par ce même Etat visaient des militants opposés au référendum. Cela soulève bien évidemment une question de compétence ratione temporis et sape, par ailleurs, le propre argument du demandeur selon lequel ces actions seraient couvertes par la CIEDR. Si elle avait examiné comme il se doit les éléments de preuve 668 application of the icsft and cerd (diss. op. skotnikov) 114 decided not to do so (see Judgment, para. 94). After simply summarizing the arguments of the Parties on the questions of law and fact, the Court comes to a sweeping conclusion that, “taking into account the broadly formulated rights and obligations contained in the Convention, including the obligations under Article 2, paragraph 1, and the non-exhaustive list of rights in Article 5, . . . the measures of which Ukraine complains . . . fall within the provisions of the Convention” (ibid., para. 96). This conclusion, summarily reached, is hardly satisfying. 9. Earlier in the Judgment, the Court recalled that the application of the Oil Platforms test “may require the interpretation of the provisions that define the scope of the treaty” (ibid., para. 57). It is regrettable that the Court failed to consider questions relating to the scope of CERD. 10. I agree that the list of rights enumerated in Article 5 of the CERD is not exhaustive. However, at all times it must be shown that an alleged violation answers all the criteria in Article 1, paragraph 1, which reads as follows : “In this Convention, the term ‘racial discrimination’ shall mean any distinction, exclusion, restriction or preference based on race, colour, descent, or national or ethnic origin which has the purpose or effect of nullifying or impairing the recognition, enjoyment or exercise, on an equal footing, of human rights and fundamental freedoms in the political, economic, social, cultural or any other field of public life.” (Emphasis added.) This means that CERD could come into play only in the case of a discriminatory treatment of one group of the population in relation to another group or groups. Accordingly, I think that the issue of whether the Crimean Tatar community has a right to maintain its distinct representative institutions is not covered by Article 1, paragraph 1. The Court should have pronounced on this issue, which clearly relates to the scope of the Convention. 11. Similarly, the Court should have addressed as a preliminary issue the question as to whether the right to education in one’s native language is covered by CERD. In this connection, I would observe that the States parties can create rights which are not expressly listed in CERD and yet bring those rights within the scope of its application. However, a State party’s responsibility can be engaged only if the overarching principle of non-discrimination on the grounds mentioned in Article 1, paragraph 1, is breached. 12. It is obvious that no right to receive education in one’s native language is mentioned in Article 5, paragraph (e) (v), of CERD. However, if such a right derives from the constitutional or other legal arrangements application de la cirft et de la ciedr (op. diss. skotnikov) 668 114 factuels pertinents, la Cour serait sans doute parvenue à des conclusions différentes. Elle a cependant décidé de ne pas le faire (voir arrêt, par. 94). Après s’être contentée de résumer les arguments des Parties relatifs aux questions de droit et de fait, la Cour tire la conclusion radicale selon laquelle, « compte [tenu] des droits et obligations formulés en termes généraux dans la convention, y compris les obligations énoncées au paragraphe 1 de l’article 2 et la liste non exhaustive de droits figurant à l’article 5, … les mesures dont l’Ukraine tire grief … entrent … dans les prévisions de cet instrument » (ibid., par. 96). Fruit d’un raisonnement sommaire, cette conclusion n’est guère satisfaisante. 9. Plus haut dans l’arrêt, la Cour a rappelé que, pour appliquer le critère établi en l’affaire des Plates- formes pétrolières, « [il] p[ouvai]t … se révéler nécessaire d’interpréter les dispositions qui définiss[ai]ent le champ d’application du traité » (ibid., par. 57). Il est regrettable qu’elle n’ait pas examiné certaines questions relatives à celui de la CIEDR. 10. Je conviens que la liste des droits recensés à l’article 5 de la CIEDR n’est pas exhaustive. Il n’en reste pas moins qu’il y a toujours lieu de démontrer qu’une violation alléguée répond à tous les critères énoncés au paragraphe 1 de l’article premier, qui est ainsi libellé : « Dans la présente Convention, l’expression « discrimination raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. » (Les italiques sont de moi.) Il s’ensuit que la CIEDR ne pourrait entrer en jeu que si un traitement discriminatoire était réservé à un groupe de la population par rapport à un ou plusieurs autres groupes. J’estime dès lors que la question de savoir si la communauté tatare de Crimée a le droit de conserver les instances représentatives qui lui sont propres n’est pas couverte par le paragraphe 1 de l’article premier. La Cour aurait dû se prononcer sur cette question, qui se rapporte clairement au champ d’application de la convention. 11. De même, la Cour aurait dû traiter en tant que question préliminaire le point de savoir si le droit à l’enseignement dans sa langue maternelle relevait de la CIEDR. A ce propos, je ferai observer que les Etats parties ont la faculté de créer des droits qui ne sont pas expressément énumérés dans cet instrument et de néanmoins les faire entrer dans le champ d’application de celui-ci. La responsabilité d’un Etat partie ne peut toutefois être engagée que s’il est porté atteinte au principe général de non-discrimination pour les motifs visés au paragraphe 1 de l’article premier. 12. Il est évident qu’aucun droit à l’enseignement dans sa langue maternelle n’est mentionné au point v) de l’alinéa e) de l’article 5 de la CIEDR, mais si un tel droit découle des dispositions constitutionnelles ou 669 application of the icsft and cerd (diss. op. skotnikov) 115 existing in a given country, or a part of its territory (and the Ukrainian language is one of the three State languages in Crimea), a denial of this right to a particular group in relation to another group or groups could fall within the scope of CERD. However, this treatment, in order to fall under CERD, must be manifest, for example, taking the form of legislative or administrative action, which is clearly not the case. Possible fluctuations in student or school numbers (such as those invoked by Ukraine in the present case) are not relevant, as such fluctuations may result from factors other than discrimination on the grounds specified in CERD. Particular caution is required on the part of the Court, since no right to education in one’s own language is established as such by CERD. 13. Finally, I am not convinced by the Court’s reasoning as regards whether the preconditions contained in Article 22 of CERD are cumulative or alternative, since the Court conflates negotiation and conciliation, which are distinct modes of dispute settlement. This is reflected in paragraph 133 of its Judgment on preliminary objections in Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation) (I.C.J. Reports 2011 (I), p. 125) interpreting Article 22. Additionally, despite the appearance of the word “speedily” in the preamble of CERD, there is no indication from the context of Article 22 that the States parties intended dispute resolution under CERD, rather than the performance of the primary obligation to eliminate racism, to be as quick as possible. The Court’s application in the present Judgment of the word “speedily” to Article 22 is at odds with its conclusion in Georgia v. Russian Federation that Article 22 imposes preconditions at all (ibid., p. 141). The Court’s surprising refusal to consider the travaux préparatoires of Article 22 departs from the approach taken in paragraph 142 of the Judgment in Georgia v. Russian Federation, where the Court examined the travaux of the same provision in view of the parties’ extensive discussion of them (ibid., p. 128). This incongruity is best explained by the fact that recourse to the travaux would, in this instance, serve to undermine rather than to confirm the Court’s conclusion. 14. The present Judgment comes very close to implying that it is enough for an applicant to argue the existence of a connection, no matter how remote or artificial, between its factual allegations and the treaty it invokes, in order for the Court to be satisfied that it has jurisdiction ratione materiae under that treaty to entertain the case. This departure from the Court’s case law is not, in my view, a welcome development. (Signed) Leonid Skotnikov. application de la cirft et de la ciedr (op. diss. skotnikov) 669 115 d’autres dispositions légales en vigueur dans un pays donné, ou sur une partie de son territoire (et l’ukrainien est l’une des trois langues officielles en Crimée), le fait d’en priver un groupe particulier et de l’accorder à un ou plusieurs autres groupes pourrait entrer dans le champ d’application de la CIEDR. Pour qu’il en aille ainsi, ce traitement doit cependant être manifeste et prendre, par exemple, la forme de mesures législatives ou administratives, ce qui n’est clairement pas le cas. Les fluctuations éventuelles du nombre d’élèves ou d’établissements scolaires (telles que celles invoquées par l’Ukraine en l’espèce) ne sont pas pertinentes, car elles pourraient résulter de facteurs autres qu’une discrimination pour les motifs spécifiés dans la CIEDR. La Cour doit se montrer particulièrement prudente, aucun droit à l’enseignement dans sa propre langue n’étant établi en tant que tel par cet instrument. 13. Enfin, je ne suis pas convaincu par le raisonnement que la Cour a suivi pour déterminer si les conditions préalables énoncées à l’article 22 de la CIEDR étaient cumulatives ou alternatives, puisqu’elle a fait l’amalgame entre les négociations et la conciliation, qui constituent des modes distincts de règlement des différends. Cela est reflété au paragraphe 133 de son arrêt en l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie) (C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 125) où était interprété l’article 22. Au surplus, bien que le terme « rapidement » figure dans le préambule de la CIEDR, le contexte de l’article précité n’indique nullement que, selon les Etats parties, c’était le règlement des différends sous les auspices du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, plutôt que l’exécution de l’obligation primaire d’éliminer le racisme, qui devait intervenir dans les meilleurs délais. Dans le présent arrêt, la Cour applique le terme « rapidement » à l’article 22, à rebours de sa conclusion en l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie, où elle a jugé que cette disposition imposait certaines conditions préalables (ibid., par. 141). En refusant de manière singulière d’examiner les travaux préparatoires de l’article 22, la Cour s’écarte de l’approche qu’elle avait adoptée au paragraphe 142 de son arrêt en l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie, où elle s’était penchée sur ces mêmes travaux du fait que les parties en avaient abondamment débattu (ibid., p. 128). La meilleure explication à cette incongruité est que, en l’espèce, le recours aux travaux préparatoires compromettrait la conclusion de la Cour plus qu’il ne la corroborerait. 14. Le présent arrêt laisse quasiment entendre qu’il suffit qu’un demandeur affirme qu’il existe un lien, aussi ténu ou artificiel soit-il, entre ses allégations factuelles et le traité qu’il invoque pour convaincre la Cour que l’instrument en cause lui donne compétence ratione materiae pour connaître de l’affaire. Selon moi, ce revirement de jurisprudence ne constitue pas une évolution positive. (Signé) Leonid Skotnikov.

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Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Skotnikov

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