Déclaration de Mme la juge Donoghue

Document Number
166-20191108-JUD-01-04-EN
Parent Document Number
166-20191108-JUD-01-00-EN
Date of the Document
Document File
Bilingual Document File

DÉCLARATION DE MME LA JUGE DONOGHUE [Traduction] 1. Dans la présente déclaration, j’entends formuler des observations sur la décision de la Cour de rejeter les exceptions préliminaires que la partie défenderesse a soulevées à l’égard de sa compétence ratione materiae, tout en souscrivant à cette décision. 2. Dès lors que le demandeur s’appuie sur un traité pour fonder la compétence de la Cour, le défendeur qui soulève une exception préliminaire d’incompétence ratione materiae est censé fonder cette exception non seulement sur des dispositions juridictionnelles, mais aussi sur des dispositions de fond du traité en question, telles que les définitions et les dispositions définissant les droits et obligations des parties. Les dispositions de fond sont, bien entendu, également interprétées par la Cour lors de l’examen de l’affaire au fond. Dans le cadre des exceptions préliminaires, la distinction entre les questions relatives à la compétence et celles qui intéressent le fond a des conséquences importantes. Le dépôt de l’acte introductif de l’exception préliminaire vient suspendre la procédure sur le fond (article 79, paragraphe 5, du Règlement de la Cour du 14 avril 1978 tel que modifié le 1er février 2001). La Cour peut alors statuer sur une question de compétence, mais pas sur une question de fond. 3. Malgré l’intérêt que revêt la distinction entre les questions relatives à l’interprétation des traités qui déterminent l’étendue de la compétence ratione materiae de la Cour et celles qui relèvent plutôt du fond, je ne connais pas d’énoncé unique définissant clairement la limite entre les deux catégories. La distinction est établie au cas par cas par la Cour, inspirée par les positions des parties sur la question et fondée sur les circonstances particulières de l’espèce. 4. Si la Cour estime qu’une exception préliminaire intéresse une question relative à l’interprétation des traités qui relève du fond, elle doit rejeter cette exception et réserver sa décision au stade de l’examen au fond. 5. Si, en revanche, la Cour constate qu’une exception préliminaire soulève une question concernant sa compétence ratione materiae, trois options lui sont ouvertes : rejeter l’exception, l’accueillir ou renvoyer la question de sa compétence au stade de l’examen au fond au motif que l’exception ne présente pas, dans les circonstances de l’espèce, un caractère exclusivement préliminaire (article 79, paragraphe 9, du Règlement de la Cour du 14 avril 1978 tel que modifié le 1er février 2001). Les parties invoquent souvent cette troisième option comme solution intermédiaire de repli pour le cas où leurs positions principales sur l’exception préliminaire ne seraient pas retenues. Toutefois, pour les motifs exposés par deux de ses membres dans une opinion individuelle récente, la Cour devrait en principe accueillir ou rejeter les exceptions préliminaires et ne devrait choisir la troisième option que lorsqu’il existe des raisons manifestes de le faire. (Voir Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt du 13 février 2019, opinion individuelle commune de MM. les juges Tomka et Crawford.) La Cour a suivi cette approche aujourd’hui. 6. La Cour a déjà utilisé diverses formules pour énoncer le critère qu’elle applique pour décider d’accueillir ou de rejeter les exceptions concernant sa compétence ratione materiae. En 1996, lorsqu’elle a été saisie de la question de savoir si un traité bilatéral lui donnait compétence pour statuer sur les prétentions du demandeur, elle a déclaré qu’elle - 2 - «ne p[ouvai]t se borner à constater que l’une des Parties soutient qu’il existe un … différend et que l’autre le nie. Elle doit rechercher si les violations du traité … alléguées par [le demandeur] entrent ou non dans les prévisions de ce traité et si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour est compétente pour connaître ratione materiae» (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16 ; les italiques sont de moi). 7. La Cour a rappelé cette formule dans l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 308, par. 46), où elle a déclaré qu’elle «d[evai]t rechercher si les violations du traité … alléguées … entrent ou non dans les prévisions de ce traité et si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour est compétente pour connaître ratione materiae» (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16)». 8. Dans l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), la Cour a ensuite utilisé d’autres formules pour indiquer comment elle statuait sur sa compétence ratione materiae. Elle a dit, par exemple, qu’elle rechercherait si les deux «aspect[s] du différend» opposant les parties à cette affaire étaient «susceptible[s] d’entrer dans les prévisions» des deux traités invoqués par le demandeur (ibid., par. 69 et 70 ; les italiques sont de moi) et si «les actes accomplis par [le défendeur] dont [le demandeur] tir[ait] grief [étaient] susceptibles d’entrer dans les prévisions» du traité en question (ibid., par. 85 ; les italiques sont de moi). 9. La plus récente formule par laquelle la Cour a énoncé le critère qu’elle utilise pour statuer sur sa compétence ratione materiae figure dans l’affaire relative à Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (exceptions préliminaires, arrêt du 13 février 2019, par. 36), où la Cour a déclaré qu’elle «d[evai]t rechercher si les actes dont [le demandeur] tire grief entrent dans les prévisions du traité … et si, par suite, le différend est de ceux dont elle est compétente pour connaître ratione materiae… (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 809-810, par. 16)» (les italiques sont de moi). La Cour a de nouveau utilisé cette formule aujourd’hui (arrêt, par. 57). 10. Je ne considère pas que la diversité de ces formules dénote l’existence d’incohérences dans la définition des critères que la Cour applique pour statuer sur les exceptions d’incompétence ratione materiae. Selon l’approche énoncée pour la première fois dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, dès lors que la Cour constate l’existence d’un différend entre les parties, elle doit examiner les actes dont le demandeur tire grief (en d’autres termes, les faits qu’il allègue) à la lumière des droits et obligations prévus par le traité. La Cour n’a pas besoin de déterminer si les faits allégués par le demandeur sont établis ni même si ces faits sont plausibles pour trancher une question intéressant sa compétence ratione materiae. L’appréciation des éléments de preuve est renvoyée au stade de l’examen au fond. En revanche, la Cour doit se forger une opinion sur la mesure dans laquelle les prévisions du traité s’appliquent aux actes allégués par le demandeur avant d’accueillir ou de rejeter toute exception d’incompétence ratione materiae. La manière dont elle - 3 - exprime les conclusions qu’elle tire de l’interprétation du traité varie inéluctablement en fonction des circonstances particulières de l’espèce. 11. L’arrêt rendu récemment en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) est un cas où la Cour a accueilli une des exceptions préliminaires du défendeur concernant sa compétence ratione materiae. Pour parvenir à cette décision qui portait sur des prétentions formulées au titre de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, la Cour a analysé les interprétations respectives données à cette convention par les parties (Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 323, par. 102, et p. 328, par. 117-118). C’est un des cas où l’on peut dire que les actes dont le demandeur tire grief ne sont pas susceptibles d’entrer dans les prévisions du traité, à supposer même que les faits allégués par l’intéressé soient établis. En pareil cas, la Cour donne une réponse définitive à la question litigieuse intéressant l’interprétation du traité, qui ne peut être rouverte dans l’affaire. 12. La situation est plus compliquée et plus délicate lorsque l’exception d’incompétence ratione materiae est rejetée, de sorte que les prétentions en cause doivent être examinées au fond. Tel est le cas aujourd’hui. La Cour a rejeté chacun des trois moyens que la partie défenderesse avait invoqués pour soulever ses exceptions d’incompétence ratione materiae. Je parlerai ci-dessous des deux moyens tirés de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (ci-après la «CIRFT»), à savoir l’existence des «éléments moraux» requis et la signification de l’expression «toute personne», avant d’aborder le moyen tiré de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la «CIEDR»). 13. Comme la Cour l’explique au paragraphe 63 de l’arrêt, elle a rejeté la branche de la première exception préliminaire fondée sur l’interprétation que la partie défenderesse donnait aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT qui traitent de l’intention, de la connaissance et du but (que la Cour qualifie d’«éléments moraux»). Elle a décidé que les interprétations divergentes données par les parties à ces éléments du paragraphe 1 de l’article 2 ne présentaient pas d’intérêt pour sa compétence ratione materiae, ces questions devant plutôt être tranchées au stade de l’examen au fond. Il en va de même de l’interprétation des éléments constitutifs de l’intention qui sont nécessaires pour conclure à l’existence d’un génocide au sens de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, que la Cour a traitée comme un élément de fond et non comme une question intéressant sa compétence ratione materiae (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 121, par. 186-187 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 62, par. 132). L’arrêt rendu aujourd’hui sur les exceptions préliminaires ne dit pas comment la Cour interprète les dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 relatives aux «éléments moraux». 14. La Cour a également rejeté la branche de la première exception préliminaire fondée sur l’interprétation que la partie défenderesse donnait à l’expression «toute personne» figurant au paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT. 15. Selon la partie défenderesse, l’expression «toute personne» doit être interprétée comme excluant les représentants de l’Etat. Sous l’empire de cette interprétation de la CIRFT, les violations de celle-ci que les représentants de l’Etat commettraient par des actes de financement du terrorisme échapperaient à la compétence ratione materiae de la Cour. - 4 - 16. La partie requérante soutient que l’interprétation de cette expression est une question de fond. Certes, l’exception soulevée par la partie défenderesse concerne la compétence de la Cour, mais la partie requérante fait valoir qu’elle ne présente pas un caractère exclusivement préliminaire et que, en tout état de cause, l’interprétation que la partie défenderesse donne à l’expression «toute personne» est erronée. Selon la partie requérante, cette expression s’applique à toutes les personnes, qu’il s’agisse de personnes privées ou de représentants de l’Etat. 17. C’est à juste titre que la Cour a traité l’interprétation de l’expression «toute personne» comme une question tendant à éclairer l’étendue de sa compétence ratione materiae et non comme une question à trancher au stade du fond. Sa décision sur cette branche de la première exception préliminaire soulevée par la partie défenderesse revêt une importance considérable pour les points de l’affaire qui seront examinés au fond. Une grande partie du comportement que la partie requérante qualifie d’actes de financement du terrorisme semble être l’oeuvre de personnes qui (selon la partie requérante) étaient des fonctionnaires de l’Etat défendeur. Si la Cour avait accueilli la première exception d’incompétence soulevée par la partie défenderesse sur la base de son interprétation de l’expression «toute personne», l’affaire à examiner sur le fond aurait été beaucoup plus limitée. L’interprétation de cette expression est purement une question de droit. Les Parties l’ont débattue de façon exhaustive dans leurs écritures. Rien ne permet de conclure que l’exception d’incompétence soulevée ne revêt pas un caractère exclusivement préliminaire. Il est donc opportun que la Cour décide aujourd’hui s’il y a lieu d’accueillir ou de rejeter ce volet des exceptions préliminaires de la partie défenderesse. 18. Je souscris à la décision rendue par la Cour aujourd’hui qui considère que l’expression «toute personne» employée au paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT n’exclut pas les représentants de l’Etat. 19. Comme le souligne la partie défenderesse, la CIRFT ne contient pas de dispositions interdisant le financement du terrorisme par les Etats. Toutefois, l’Etat ne peut agir que par l’intermédiaire d’individus. Si les fonctionnaires dont le comportement peut être imputé à un Etat entrent dans le champ d’application de l’expression «toute personne», tout Etat partie a l’obligation de punir ou de prévenir certains comportements dont feraient montre ses fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions. Il s’ensuit que, même si les Etats ayant participé aux négociations se sont abstenus d’inclure dans la convention des dispositions interdisant le financement du terrorisme par les Etats, ils ont néanmoins adopté un texte ayant au fond des conséquences analogues pour les Etats parties à la CIRFT. Comme l’a fait remarquer la partie défenderesse, il s’agit là d’un résultat étrange. 20. Quoi qu’il en soit, au sens ordinaire, l’expression «toute personne» ne souffre aucune limitation. La partie défenderesse demande à la Cour de présumer une exception qui ne figure pas dans le texte. Lorsque les termes mêmes d’une disposition conventionnelle sont sans équivoque, comme c’est le cas en l’espèce, l’existence d’une exception à cette disposition ne peut être présumée que si les règles d’interprétation des traités permettent de la mettre en évidence de façon convaincante. Ayant étudié les exposés détaillés faits par la partie défenderesse sur l’interprétation de l’expression «toute personne», je ne vois aucune raison de présumer l’existence d’une exception qui serait incompatible avec le sens ordinaire de cette expression. 21. Dans l’arrêt rendu aujourd’hui, la Cour rejette l’interprétation donnée par la partie défenderesse à l’expression «toute personne» et retient celle avancée par la partie requérante, tranchant ainsi la question de l’interprétation du traité dans le cadre de la présente affaire. - 5 - 22. La Cour rejette également l’exception d’incompétence ratione materiae soulevée par la partie défenderesse au titre de la CIEDR, mais pour des motifs différents de ceux qui l’ont amenée à rejeter l’exception tirée de l’expression «toute personne» dans le cadre de la CIRFT. Cette différence de motifs emporte des conséquences différentes pour la suite de la procédure en l’espèce. 23. La partie requérante a formulé un large éventail de prétentions, résumées dans l’arrêt (par. 88-90), qui découleraient de la CIEDR. Pour l’essentiel, elle ne tire pas grief de l’existence d’une discrimination de droit pratiquée à l’encontre de groupes protégés. Elle fait plutôt état d’une «discrimination qui se manifeste par le fait que des lois ou règlements neutres à première vue produisent des incidences ou des effets distincts» (mémoire de l’Ukraine, par. 566), affirmant que la partie défenderesse a appliqué des mesures «ayant pour but ou pour effet de créer la discrimination raciale» (ibid., par. 587). La Cour fait observer à juste titre que les droits et obligations prévus par la CIEDR que la partie requérante invoque sont formulés en termes généraux et que la liste des droits visés à l’article 5 n’est pas exhaustive. Pour rejeter l’exception d’incompétence ratione materiae soulevée par la partie défenderesse au titre de la CIEDR, elle se fonde sur la portée de ces prévisions de la convention ainsi que sur la nécessité d’évaluer les éléments de preuve tendant à établir l’objet et les effets des mesures dont la partie requérante tire grief (arrêt, par. 94-96). Elle en conclut que ces mesures sont «susceptibles de porter atteinte à la jouissance de certains droits protégés par la CIEDR» (arrêt, p. 96). 24. Je conviens avec la Cour que ces éléments de la thèse de la partie requérante concourent à expliquer pourquoi il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire d’incompétence ratione materiae soulevée au titre de la CIEDR. Un motif supplémentaire en est la manière dont la partie défenderesse a choisi de formuler cette exception. La partie défenderesse soutient d’une manière générale que la partie requérante invoque des droits et obligations qui n’entrent pas dans les prévisions de la CIEDR (exceptions préliminaires, chap. VIII, sect. II). Elle déclare qu’«un certain nombre de droits invoqués par l’Ukraine» ne sont pas protégés par cet instrument (exceptions préliminaires, par. 327). A titre d’exemple, elle évoque l’alinéa e) v) de l’article 5 de la CIEDR, qui vise le «droit à l’éducation et à la formation professionnelle». Elle fait valoir à cet égard que cette disposition «ne prévoit pas, contrairement à ce que prétend l’Ukraine, de droit absolu à un enseignement «dans la langue maternelle»». Selon elle, la disposition a plutôt pour objectif principal d’assurer à toute personne, quelle que soit son origine ethnique, un droit d’accès au système national d’enseignement sans discrimination (exceptions préliminaires, par. 329). Toutefois, elle n’examine pas les mesures relatives à l’éducation dont la partie requérante tire grief pour étayer sa thèse selon laquelle ces actes ne tombent pas sous le coup de l’alinéa e) v) de l’article 5 de la CIEDR tel qu’elle l’interprète. 25. Lorsque l’on examine les mesures relatives à l’éducation dont la partie requérante tire grief à la lumière des observations respectives faites par les Parties au sujet du champ d’application de l’alinéa e) v) de l’article 5, il est permis de dire que ces mesures sont «susceptibles» d’entrer dans les prévisions du traité (ou, selon les termes employés par la Cour aujourd’hui, «susceptibles de porter atteinte à la jouissance de certains droits protégés par la CIEDR») (arrêt, par. 96). Je parviens à une conclusion analogue s’agissant des autres mesures dont la partie requérante tire grief, compte tenu de l’interprétation donnée par chacune des Parties aux dispositions pertinentes de la CIEDR. J’en conclus donc que les actes dont la partie requérante tire grief entrent dans les prévisions de la CIEDR. 26. L’arrêt rendu aujourd’hui ne dit pas comment la Cour interprète les prévisions de la CIEDR invoquées par la partie requérante. Le rejet de l’exception préliminaire tirée de la convention ne signifie pas que la Cour a retenu les interprétations avancées par la partie requérante. - 6 - La réponse à la question de savoir si les actes dont la partie requérante tire grief constituent des violations de la CIEDR dépendra des interprétations que la Cour donnera aux prévisions de cette convention lors de l’examen de l’affaire au fond, ainsi que de ses conclusions concernant les éléments de preuve. 27. Ayant examiné l’exception d’incompétence ratione materiae tirée de la CIEDR par la partie défenderesse, la Cour l’a rejetée. Son arrêt vient trancher la question de sa compétence ratione materiae au titre de la CIEDR dans le cadre de la présente affaire. (Signé) Joan E. DONOGHUE. ___________

Bilingual Content

651 97 DECLARATION OF JUDGE DONOGHUE 1. In this declaration, I offer some observations with respect to the Court’s decision to reject the Respondent’s preliminary objections to the Court’s jurisdiction ratione materiae, with which I agree. 2. When an applicant seeks to base the jurisdiction of the Court on a treaty, a respondent that makes a preliminary objection to the Court’s jurisdiction ratione materiae can be expected to ground its objection not only on jurisdictional provisions, but also on substantive provisions of the treaty at issue, such as definitions and provisions setting out the rights and obligations of parties. Substantive provisions are, of course, also interpreted when the Court considers the merits. In the context of a preliminary objection, the distinction between a question of jurisdiction and a question of the merits has important consequences. Upon the filing of a preliminary objection, the proceedings on the merits are suspended (Article 79, paragraph 5, of the Rules of Court of 14 April 1978 as amended on 1 February 2001). The Court may decide a jurisdictional question but not a question on the merits. 3. Despite the importance of the distinction between questions of treaty interpretation that determine the scope of the Court’s jurisdiction ratione materiae and those that instead are part of the merits, I am aware of no single phrase that neatly describes the boundary between the two. The distinction is drawn by the Court, informed by the positions of the parties, based on the particulars of each case. 4. If the Court finds that a preliminary objection is premised on a question of treaty interpretation that is part of the merits, it must reject the objection, leaving the question to be decided on the merits. 5. If, on the other hand, the Court finds that a preliminary objection presents a question of its jurisdiction ratione materiae, it has the options of rejecting the objection, upholding it, or deferring the question of jurisdiction to be considered during the merits phase, on the basis that the objection does not possess, in the circumstances of the case, an exclusively preliminary character (Article 79, paragraph 9, of the Rules of Court of 14 April 1978 as amended on 1 February 2001). Parties often invoke this third option as an intermediate fall back to their primary positions on a preliminary objection. However, for the reasons set out by two Members of the Court in a recent separate opinion, the Court should normally uphold or reject a preliminary objection and should only choose this third option when there are clear reasons to do so. (See Certain Ira- 651 97 DÉCLARATION DE Mme LA JUGE DONOGHUE [Traduction] 1. Dans la présente déclaration, j’entends formuler des observations sur la décision de la Cour de rejeter les exceptions préliminaires que la partie défenderesse a soulevées à l’égard de sa compétence ratione materiae, tout en souscrivant à cette décision. 2. Dès lors que le demandeur s’appuie sur un traité pour fonder la compétence de la Cour, le défendeur qui soulève une exception préliminaire d’incompétence ratione materiae est censé fonder cette exception non seulement sur des dispositions juridictionnelles, mais aussi sur des dispositions de fond du traité en question, telles que les définitions et les dispositions définissant les droits et obligations des parties. Les dispositions de fond sont, bien entendu, également interprétées par la Cour lors de l’examen de l’affaire au fond. Dans le cadre des exceptions préliminaires, la distinction entre les questions relatives à la compétence et celles qui intéressent le fond a des conséquences importantes. Le dépôt de l’acte introductif de l’exception préliminaire vient suspendre la procédure sur le fond (article 79, paragraphe 5, du Règlement de la Cour du 14 avril 1978 tel que modifié le 1er février 2001). La Cour peut alors statuer sur une question de compétence, mais pas sur une question de fond. 3. Malgré l’intérêt que revêt la distinction entre les questions relatives à l’interprétation des traités qui déterminent l’étendue de la compétence ratione materiae de la Cour et celles qui relèvent plutôt du fond, je ne connais pas d’énoncé unique définissant clairement la limite entre les deux catégories. La distinction est établie au cas par cas par la Cour, inspirée par les positions des parties sur la question et fondée sur les circonstances particulières de l’espèce. 4. Si la Cour estime qu’une exception préliminaire intéresse une question relative à l’interprétation des traités qui relève du fond, elle doit rejeter cette exception et réserver sa décision au stade de l’examen au fond. 5. Si, en revanche, la Cour constate qu’une exception préliminaire soulève une question concernant sa compétence ratione materiae, trois options lui sont ouvertes : rejeter l’exception, l’accueillir ou renvoyer la question de sa compétence au stade de l’examen au fond au motif que l’exception ne présente pas, dans les circonstances de l’espèce, un caractère exclusivement préliminaire (article 79, paragraphe 9, du Règlement de la Cour du 14 avril 1978 tel que modifié le 1er février 2001). Les parties invoquent souvent cette troisième option comme solution intermédiaire de repli pour le cas où leurs positions principales sur l’exception préliminaire ne seraient pas retenues. Toutefois, pour les motifs exposés par deux de ses membres dans une opinion individuelle récente, la Cour devrait en principe accueillir ou rejeter les exceptions préliminaires et ne devrait 652 application of the icsft and cerd (decl. donoghue) 98 nian Assets (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2019, joint separate opinion of Judges Tomka and Crawford.) The Court has followed this approach today. 6. The Court has used various formulations to frame the test that it follows in order to decide whether to uphold or reject an objection to its jurisdiction ratione materiae. In 1996, when presented with the question whether a bilateral treaty gave the Court jurisdiction to decide the applicant’s claims, the Court stated that it “cannot limit itself to noting that one of the Parties maintains that . . . a dispute exists, and the other denies it. It must ascertain whether the violations of the Treaty . . . pleaded by [the Applicant] do or do not fall within the provisions of the Treaty and whether, as a consequence, the dispute is one which the Court has jurisdiction ratione materiae to entertain” (Oil Platforms (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II), p. 810, para. 16; emphasis added). 7. The Court recalled this formulation in Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2018 (I), p. 308, para. 46, in which it stated that it “must ascertain whether the violations [alleged] . . . do or do not fall within the provisions of the Treaty and whether, as a consequence, the dispute is one which the Court has jurisdiction ratione materiae to entertain . . . (Oil Platforms (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II), p. 810, para. 16)”. 8. In Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France), the Court went on to use other formulations to frame its inquiry into its jurisdiction ratione materiae. It stated, for example, that it would decide whether the two “aspect[s] of the dispute” between the parties in that case were “capable of falling within the provisions” of the two treaties invoked by the applicant (I.C.J. Reports 2018 (II), p. 315, paras. 69 and 70 ; emphasis added) and whether the “actions by [the Respondent] of which [the Applicant] complain[ed] [were] capable of falling within the provisions of” the treaty at issue (ibid., p. 319, para. 85 ; emphasis added). 9. The Court’s most recent statement of the test that it uses to determine its jurisdiction ratione materiae appears in Certain Iranian Assets (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2019, p. 23, para. 36, where the Court stated that it “must ascertain whether the acts of which [the Applicant] complains fall within the provisions of the Treaty . . . and whether, as a conse- application de la cirft et de la ciedr (décl. donoghue) 652 98 choisir la troisième option que lorsqu’il existe des raisons manifestes de le faire. (Voir Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats- Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019, opinion individuelle commune de MM. les juges Tomka et Crawford.) La Cour a suivi cette approche aujourd’hui. 6. La Cour a déjà utilisé diverses formules pour énoncer le critère qu’elle applique pour décider d’accueillir ou de rejeter les exceptions concernant sa compétence ratione materiae. En 1996, lorsqu’elle a été saisie de la question de savoir si un traité bilatéral lui donnait compétence pour statuer sur les prétentions du demandeur, elle a déclaré qu’elle « ne p[ouvai]t se borner à constater que l’une des Parties soutient qu’il existe un … différend et que l’autre le nie. Elle doit rechercher si les violations du traité … alléguées par [le demandeur] entrent ou non dans les prévisions de ce traité et si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour est compétente pour connaître ratione materiae. » (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16 ; les italiques sont de moi.) 7. La Cour a rappelé cette formule dans l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 308, par. 46), où elle a déclaré qu’elle « d[evai]t rechercher si les violations du traité … alléguées … entrent ou non dans les prévisions de ce traité et si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour est compétente pour connaître ratione materiae » (Plates- formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16) ». 8. Dans l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), la Cour a ensuite utilisé d’autres formules pour indiquer comment elle statuait sur sa compétence ratione materiae. Elle a dit, par exemple, qu’elle rechercherait si les deux « aspect[s] du différend » opposant les parties à cette affaire étaient « susceptible[s] d’entrer dans les prévisions » des deux traités invoqués par le demandeur (C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 315, par. 69 et 70 ; les italiques sont de moi) et si « les actes accomplis par [le défendeur] dont [le demandeur] tir[ait] grief [étaient] susceptibles d’entrer dans les prévisions » du traité en question (ibid., p. 319, par. 85 ; les italiques sont de moi). 9. La plus récente formule par laquelle la Cour a énoncé le critère qu’elle utilise pour statuer sur sa compétence ratione materiae figure dans l’affaire relative à Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019, p. 23, par. 36), où la Cour a déclaré qu’elle « d[evai]t rechercher si les actes dont [le demandeur] tire grief entrent dans les prévisions du traité … et si, par suite, le différend est de ceux 653 application of the icsft and cerd (decl. donoghue) 99 quence, the dispute is one which the Court has jurisdiction ratione materiae to entertain . . . (Oil Platforms (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II), pp. 809-810, para. 16)” (emphasis added). The Court has used this formulation again today (Judgment, para. 57). 10. I do not understand each of these various formulations to suggest inconsistencies in the criteria that the Court applies to decide on an objection to its jurisdiction ratione materiae. Under the approach first articulated in Oil Platforms, once the Court finds that there is a dispute between the parties, it must examine the acts of which the applicant complains (in other words, the facts that it alleges) in relation to the rights and obligations contained in the treaty. The Court does not need to determine whether there is proof of the facts alleged by the applicant, or even whether the alleged facts are plausible, in order to decide a question of its jurisdiction ratione materiae. The weighing of evidence is left for the merits. On the other hand, the Court must form a view as to the scope of treaty provisions in relation to the acts alleged by the applicant in order to uphold or reject an objection to its jurisdiction ratione materiae. The way that it expresses its conclusions about the interpretation of the treaty will inevitably vary depending on the particulars of the case. 11. The recent Judgment in Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France) illustrates a situation in which the Court upheld one of the respondent’s preliminary objections to its jurisdiction ratione materiae. The Court reached this decision in relation to claims said to arise under the United Nations Convention against Transnational Organized Crime after analysing the parties’ respective interpretations of that convention (Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2018 (I), p. 323, para. 102 and p. 328, paras. 117-118). In such a situation, it can be said that the acts of which the applicant complains are not capable of falling within the provisions of the treaty, even assuming that the facts alleged by the applicant could be proven. The Court gives a definitive answer to a disputed question of treaty interpretation, which cannot be reopened in the case. 12. The situation is more complicated and more delicate when an objection to jurisdiction ratione materiae is rejected, such that the claims at issue proceed to the merits. This is the case today. The Court has rejected each of three grounds on which the Respondent objected to jurisdiction ratione materiae. I offer observations below on the two grounds of objection related to the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism (hereinafter “the ICSFT”) — the required “mental elements” and the meaning of the phrase “any person”. I then address the objection to jurisdiction ratione materiae under the Interna- application de la cirft et de la ciedr (décl. donoghue) 653 99 dont elle est compétente pour connaître ratione materiae… (Platesformes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 809-810, par. 16). » (Les italiques sont de moi.) La Cour a de nouveau utilisé cette formule aujourd’hui (arrêt, par. 57). 10. Je ne considère pas que la diversité de ces formules dénote l’existence d’incohérences dans la définition des critères que la Cour applique pour statuer sur les exceptions d’incompétence ratione materiae. Selon l’approche énoncée pour la première fois dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, dès lors que la Cour constate l’existence d’un différend entre les parties, elle doit examiner les actes dont le demandeur tire grief (en d’autres termes, les faits qu’il allègue) à la lumière des droits et obligations prévus par le traité. La Cour n’a pas besoin de déterminer si les faits allégués par le demandeur sont établis ni même si ces faits sont plausibles pour trancher une question intéressant sa compétence ratione materiae. L’appréciation des éléments de preuve est renvoyée au stade de l’examen au fond. En revanche, la Cour doit se forger une opinion sur la mesure dans laquelle les prévisions du traité s’appliquent aux actes allégués par le demandeur avant d’accueillir ou de rejeter toute exception d’incompétence ratione materiae. La manière dont elle exprime les conclusions qu’elle tire de l’interprétation du traité varie inéluctablement en fonction des circonstances particulières de l’espèce. 11. L’arrêt rendu récemment en l’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) est un cas où la Cour a accueilli une des exceptions préliminaires du défendeur concernant sa compétence ratione materiae. Pour parvenir à cette décision qui portait sur des prétentions formulées au titre de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, la Cour a analysé les interprétations respectives données à cette convention par les parties (Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 323, par. 102, et p. 328, par. 117-118). C’est un des cas où l’on peut dire que les actes dont le demandeur tire grief ne sont pas susceptibles d’entrer dans les prévisions du traité, à supposer même que les faits allégués par l’intéressé soient établis. En pareil cas, la Cour donne une réponse définitive à la question litigieuse intéressant l’interprétation du traité, qui ne peut être rouverte dans l’affaire. 12. La situation est plus compliquée et plus délicate lorsque l’exception d’incompétence ratione materiae est rejetée, de sorte que les prétentions en cause doivent être examinées au fond. Tel est le cas aujourd’hui. La Cour a rejeté chacun des trois moyens que la partie défenderesse avait invoqués pour soulever ses exceptions d’incompétence ratione materiae. Je parlerai ci- dessous des deux moyens tirés de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (ci-après la « CIRFT »), à savoir l’existence des « éléments moraux » requis et la signification de l’expression « toute personne », avant d’aborder le moyen tiré 654 application of the icsft and cerd (decl. donoghue) 100 tional Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (hereinafter “CERD”). 13. As the Court explains in paragraph 63 of the Judgment, it has rejected the aspect of the first preliminary objection based on the Respondent’s proposed interpretation of the provisions of Article 2, paragraph 1, of the ICSFT that address intention, knowledge and purpose (which the Court describes as “mental elements”). It has decided that the Parties’ differing interpretations of these aspects of Article 2, paragraph 1, are not relevant to the Court’s jurisdiction ratione materiae but are matters to be addressed as part of the merits of the case. Such issues have a character similar to the interpretation of the elements of intent that are necessary to a finding of genocide under the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, which the Court addressed as an aspect of the merits, not as a question of jurisdiction ratione materiae (Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (I), p. 121, paras. 186-187 ; Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Croatia v. Serbia), Judgment, I.C.J. Reports 2015 (I), p. 62, para. 132). Today’s Judgment on preliminary objections does not set out the Court’s interpretation of the “mental elements” provisions of Article 2, paragraph 1. 14. The Court has also rejected the aspect of the first preliminary objection that is based on the Respondent’s interpretation of the phrase “any person” in Article 2, paragraph 1, of the ICSFT. 15. In the Respondent’s view, the phrase “any person” must be interpreted to exclude State officials. On this reading of the ICSFT, alleged violations of the ICSFT predicated on the alleged financing by State officials would be excluded from the Court’s jurisdiction ratione materiae. 16. The Applicant maintains that the interpretation of this phrase is a matter for the merits. Even if the Respondent’s objection concerns jurisdiction, the Applicant argues that the objection lacks an exclusively preliminary character and, in any event, that the Respondent’s interpretation of “any person” is incorrect. According to the Applicant, the phrase “any person” encompasses anyone, whether private individuals or State officials. 17. The Court has properly treated the interpretation of the phrase “any person” as a question that informs the scope of its jurisdiction ratione materiae, not as a question to be decided on the merits. Its decision as to this aspect of the Respondent’s first preliminary objection has enormous significance for the scope of the case that proceeds to the merits. Much of the conduct that the Applicant characterizes as the financing of terrorism appears to have been undertaken by individuals who (according application de la cirft et de la ciedr (décl. donoghue) 654 100 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la « CIEDR »). 13. Comme la Cour l’explique au paragraphe 63 de l’arrêt, elle a rejeté la branche de la première exception préliminaire fondée sur l’interprétation que la partie défenderesse donnait aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT qui traitent de l’intention, de la connaissance et du but (que la Cour qualifie d’« éléments moraux »). Elle a décidé que les interprétations divergentes données par les Parties à ces éléments du paragraphe 1 de l’article 2 ne présentaient pas d’intérêt pour sa compétence ratione materiae, ces questions devant plutôt être tranchées au stade de l’examen au fond. Il en va de même de l’interprétation des éléments constitutifs de l’intention qui sont nécessaires pour conclure à l’existence d’un génocide au sens de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, que la Cour a traitée comme un élément de fond et non comme une question intéressant sa compétence ratione materiae (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 121, par. 186-187 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 62, par. 132). L’arrêt rendu aujourd’hui sur les exceptions préliminaires ne dit pas comment la Cour interprète les dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 relatives aux « éléments moraux ». 14. La Cour a également rejeté la branche de la première exception préliminaire fondée sur l’interprétation que la partie défenderesse donnait à l’expression « toute personne » figurant au paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT. 15. Selon la partie défenderesse, l’expression « toute personne » doit être interprétée comme excluant les représentants de l’Etat. Sous l’empire de cette interprétation de la CIRFT, les violations de celle-ci que les représentants de l’Etat commettraient par des actes de financement du terrorisme échapperaient à la compétence ratione materiae de la Cour. 16. La partie requérante soutient que l’interprétation de cette expression est une question de fond. Certes, l’exception soulevée par la partie défenderesse concerne la compétence de la Cour, mais la partie requérante fait valoir qu’elle ne présente pas un caractère exclusivement préliminaire et que, en tout état de cause, l’interprétation que la partie défenderesse donne à l’expression « toute personne » est erronée. Selon la partie requérante, cette expression s’applique à toutes les personnes, qu’il s’agisse de personnes privées ou de représentants de l’Etat. 17. C’est à juste titre que la Cour a traité l’interprétation de l’expression « toute personne » comme une question tendant à éclairer l’étendue de sa compétence ratione materiae et non comme une question à trancher au stade du fond. Sa décision sur cette branche de la première exception préliminaire soulevée par la partie défenderesse revêt une importance considérable pour les points de l’affaire qui seront examinés au fond. Une grande partie du comportement que la partie requérante qualifie d’actes 655 application of the icsft and cerd (decl. donoghue) 101 to the Applicant) were officials of the respondent State. Had the Court upheld the Respondent’s first objection to jurisdiction on the basis of the Respondent’s interpretation of the phrase “any person”, a much more limited case would have advanced to the merits. The interpretation of the phrase “any person” is purely a question of law. It has been fully briefed by the Parties. There is no basis to conclude that the jurisdictional objection lacks an exclusively preliminary character. It is therefore appropriate for the Court to decide today whether to uphold or reject this element of the Respondent’s preliminary objections. 18. I agree with the Court’s decision today that the term “any person”, as used in Article 2, paragraph 1, of the ICSFT, does not exclude State officials. 19. As the Respondent stresses, the ICSFT contains no prohibition on State financing of terrorism. However, a State can only act through individuals. If officials whose conduct is attributable to a State fall within the scope of the phrase “any person”, a State party has an obligation to punish and to prevent certain conduct in which its own officials engage in the course of their duties. It follows that, even though negotiating States refrained from including a prohibition on State financing of terrorism in the Convention, they nonetheless adopted a text that has substantively similar consequences for States parties to the ICSFT. As the Respondent points out, this is an odd result. 20. Nonetheless, the phrase “any person”, in its ordinary meaning, admits of no limitation. The Respondent asks the Court to imply an exception that cannot be found in the text. When the plain language of a treaty provision is unambiguous, as is the case here, an exception to that provision could only be implied if the rules of treaty interpretation pointed convincingly to such an exception. Having studied the detailed presentations made by the Respondent on the interpretation of “any person”, I see no basis to imply an exception that is at odds with the ordinary meaning of the phrase. 21. In today’s Judgment, the Court rejects the Respondent’s interpretation of the phrase “any person” and accepts the interpretation advanced by the Applicant. It has decided for purposes of the present case this question of treaty interpretation. 22. The Court has also rejected the Respondent’s objection to the Court’s jurisdiction ratione materiae under CERD. However, the basis for the Court’s decision as to CERD differs from the basis on which the Court rejected the Respondent’s “any person” objection in relation to the ICSFT. This difference in reasoning leads to different implications for future proceedings in this case. application de la cirft et de la ciedr (décl. donoghue) 655 101 de financement du terrorisme semble être l’oeuvre de personnes qui (selon la partie requérante) étaient des fonctionnaires de l’Etat défendeur. Si la Cour avait accueilli la première exception d’incompétence soulevée par la partie défenderesse sur la base de son interprétation de l’expression « toute personne », l’affaire à examiner sur le fond aurait été beaucoup plus limitée. L’interprétation de cette expression est purement une question de droit. Les Parties l’ont débattue de façon exhaustive dans leurs écritures. Rien ne permet de conclure que l’exception d’incompétence soulevée ne revêt pas un caractère exclusivement préliminaire. Il est donc opportun que la Cour décide aujourd’hui s’il y a lieu d’accueillir ou de rejeter ce volet des exceptions préliminaires de la partie défenderesse. 18. Je souscris à la décision rendue par la Cour aujourd’hui qui considère que l’expression « toute personne » employée au paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT n’exclut pas les représentants de l’Etat. 19. Comme le souligne la partie défenderesse, la CIRFT ne contient pas de dispositions interdisant le financement du terrorisme par les Etats. Toutefois, l’Etat ne peut agir que par l’intermédiaire d’individus. Si les fonctionnaires dont le comportement peut être imputé à un Etat entrent dans le champ d’application de l’expression « toute personne », tout Etat partie a l’obligation de punir ou de prévenir certains comportements dont feraient montre ses fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions. Il s’ensuit que, même si les Etats ayant participé aux négociations se sont abstenus d’inclure dans la convention des dispositions interdisant le financement du terrorisme par les Etats, ils ont néanmoins adopté un texte ayant au fond des conséquences analogues pour les Etats parties à la CIRFT. Comme l’a fait remarquer la partie défenderesse, il s’agit là d’un résultat étrange. 20. Quoi qu’il en soit, au sens ordinaire, l’expression « toute personne » ne souffre aucune limitation. La partie défenderesse demande à la Cour de présumer une exception qui ne figure pas dans le texte. Lorsque les termes mêmes d’une disposition conventionnelle sont sans équivoque, comme c’est le cas en l’espèce, l’existence d’une exception à cette disposition ne peut être présumée que si les règles d’interprétation des traités permettent de la mettre en évidence de façon convaincante. Ayant étudié les exposés détaillés faits par la partie défenderesse sur l’interprétation de l’expression « toute personne », je ne vois aucune raison de présumer l’existence d’une exception qui serait incompatible avec le sens ordinaire de cette expression. 21. Dans l’arrêt rendu aujourd’hui, la Cour rejette l’interprétation donnée par la partie défenderesse à l’expression « toute personne » et retient celle avancée par la partie requérante, tranchant ainsi la question de l’interprétation du traité dans le cadre de la présente affaire. 22. La Cour rejette également l’exception d’incompétence ratione materiae soulevée par la partie défenderesse au titre de la CIEDR, mais pour des motifs différents de ceux qui l’ont amenée à rejeter l’exception tirée de l’expression « toute personne » dans le cadre de la CIRFT. Cette différence de motifs emporte des conséquences différentes pour la suite de la procédure en l’espèce. 656 application of the icsft and cerd (decl. donoghue) 102 23. The Application presents wide-ranging claims that are said to arise under CERD, as summarized in the Judgment (paras. 88-90). In the main, the Applicant does not complain of de jure discrimination against protected groups. It instead alleges “discrimination manifested through the disparate impact or effect of facially neutral laws or regulations” ( Me morial of Ukraine, para. 566), contending that the Respondent has implemented measures “the purpose or effect of which is to generate racial discrimination” (ibid., para. 587). The Court has correctly observed that the rights and obligations under CERD that are invoked by the Applicant are broadly formulated and that the list of rights in Article 5 is not exhaustive. The Court cites the breadth of these CERD provisions, together with the need to assess evidence regarding the purpose and effect of the measures about which the Applicant complains, as reasons to reject the Respondent’s objection to jurisdiction ratione materiae under CERD (Judgment, paras. 94-96). It concludes that the measures of which the Applicant complains are “capable of having an adverse effect on the enjoyment of certain rights protected under CERD” (ibid., para. 96). 24. I agree with the Court that these aspects of the Applicant’s pleaded case contribute to the reasons why the preliminary objection as to jurisdiction ratione materiae under CERD should be rejected. An additional consideration is the manner in which the Respondent chose to frame its objection in relation to CERD. The Respondent maintains as a general matter that the Applicant invokes rights and obligations that are not rights and obligations under CERD (Preliminary Objections submitted by the Russian Federation, Chap. VIII, Sect. II). It states that “a number of rights invoked by Ukraine” are not protected by CERD (ibid., para. 327). For example, the Respondent addresses Article 5, paragraph (e) (v), of CERD, which refers to the “right to education and training”. The Respondent states that this provision “does not include, as Ukraine alleges, an absolute right to education ‘in native language’”. According to the Respondent, the main goal of this provision is instead to ensure the right regardless of ethnic origin to have access to a national educational system without discrimination (ibid., para. 329). However, the Respondent does not review the particular education- related measures of which the Applicant complains in order to support the proposition that those acts do not fall within the scope of the provision, as interpreted by the Respondent. 25. When the education- related measures of which the Applicant complains are examined in light of the Parties’ respective observations about the scope of Article 5, paragraph (e) (v), it can be said that those measures are “capable” of falling within the provisions of the treaty (or, in the words of the Court today, to be “capable of having an adverse effect on the enjoyment of certain rights protected under CERD”) (Judgment, para. 96). I reach a similar conclusion in respect of the other measures about which the Applicant complains, taking into account the way that each Party interprets the relevant CERD provisions. Accordingly, I con- application de la cirft et de la ciedr (décl. donoghue) 656 102 23. La partie requérante a formulé un large éventail de prétentions, résumées dans l’arrêt (par. 88-90), qui découleraient de la CIEDR. Pour l’essentiel, elle ne tire pas grief de l’existence d’une discrimination de droit pratiquée à l’encontre de groupes protégés. Elle fait plutôt état d’une « discrimination qui se manifeste par le fait que des lois ou règlements neutres à première vue produisent des incidences ou des effets distincts » (mémoire de l’Ukraine, par. 566), affirmant que la partie défenderesse a appliqué des mesures « ayant pour but ou pour effet de créer la discrimination raciale » (ibid., par. 587). La Cour fait observer à juste titre que les droits et obligations prévus par la CIEDR que la partie requérante invoque sont formulés en termes généraux et que la liste des droits visés à l’article 5 n’est pas exhaustive. Pour rejeter l’exception d’incompétence ratione materiae soulevée par la partie défenderesse au titre de la CIEDR, elle se fonde sur la portée de ces prévisions de la convention ainsi que sur la nécessité d’évaluer les éléments de preuve tendant à établir l’objet et les effets des mesures dont la partie requérante tire grief (arrêt, par. 94-96). Elle en conclut que ces mesures sont « susceptibles de porter atteinte à la jouissance de certains droits protégés par la CIEDR » (ibid., par. 96). 24. Je conviens avec la Cour que ces éléments de la thèse de la partie requérante concourent à expliquer pourquoi il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire d’incompétence ratione materiae soulevée au titre de la CIEDR. Un motif supplémentaire en est la manière dont la partie défenderesse a choisi de formuler cette exception. La partie défenderesse soutient d’une manière générale que la partie requérante invoque des droits et obligations qui n’entrent pas dans les prévisions de la CIEDR (exceptions préliminaires, chap. VIII, sect. II). Elle déclare qu’« un certain nombre de droits invoqués par l’Ukraine » ne sont pas protégés par cet instrument (ibid., par. 327). A titre d’exemple, elle évoque l’alinéa e) v) de l’article 5 de la CIEDR, qui vise le « droit à l’éducation et à la formation professionnelle ». Elle fait valoir à cet égard que cette disposition « ne prévoit pas, contrairement à ce que prétend l’Ukraine, de droit absolu à un enseignement « dans la langue maternelle » ». Selon elle, la disposition a plutôt pour objectif principal d’assurer à toute personne, quelle que soit son origine ethnique, un droit d’accès au système national d’enseignement sans discrimination (ibid., par. 329). Toutefois, elle n’examine pas les mesures relatives à l’éducation dont la partie requérante tire grief pour étayer sa thèse selon laquelle ces actes ne tombent pas sous le coup de l’alinéa e) v) de l’article 5 de la CIEDR tel qu’elle l’interprète. 25. Lorsque l’on examine les mesures relatives à l’éducation dont la partie requérante tire grief à la lumière des observations respectives faites par les Parties au sujet du champ d’application de l’alinéa e) v) de l’article 5, il est permis de dire que ces mesures sont « susceptibles » d’entrer dans les prévisions du traité (ou, selon les termes employés par la Cour aujourd’hui, « susceptibles de porter atteinte à la jouissance de certains droits protégés par la CIEDR ») (arrêt, par. 96). Je parviens à une conclusion analogue s’agissant des autres mesures dont la partie requérante tire grief, compte tenu de l’interprétation donnée par chacune des Parties aux 657 application of the icsft and cerd (decl. donoghue) 103 clude that the acts of which the Applicant complains fall within the provisions of CERD. 26. Today’s Judgment does not set out the Court’s interpretation of the provisions of CERD on which the Applicant relies. The rejection of the preliminary objection in relation to CERD does not mean that the Court has accepted the interpretations of that treaty advanced by the Applicant. The question whether the acts of which the Applicant complains give rise to violations of CERD will depend on interpretations of CERD to be made when the Court addresses the merits, as well as the Court’s conclusions on the evidence. 27. Having considered the Respondent’s objection to jurisdiction ratione materiae in relation to CERD, the Court has rejected it. This Judgment settles for purposes of this case the question of the Court’s jurisdiction ratione materiae under CERD. (Signed) Joan E. Donoghue. application de la cirft et de la ciedr (décl. donoghue) 657 103 dispositions pertinentes de la CIEDR. J’en conclus donc que les actes dont la partie requérante tire grief entrent dans les prévisions de la CIEDR. 26. L’arrêt rendu aujourd’hui ne dit pas comment la Cour interprète les prévisions de la CIEDR invoquées par la partie requérante. Le rejet de l’exception préliminaire tirée de la convention ne signifie pas que la Cour a retenu les interprétations avancées par la partie requérante. La réponse à la question de savoir si les actes dont la partie requérante tire grief constituent des violations de la CIEDR dépendra des interprétations que la Cour donnera aux prévisions de cette convention lors de l’examen de l’affaire au fond, ainsi que de ses conclusions concernant les éléments de preuve. 27. Ayant examiné l’exception d’incompétence ratione materiae tirée de la CIEDR par la partie défenderesse, la Cour l’a rejetée. Son arrêt vient trancher la question de sa compétence ratione materiae au titre de la CIEDR dans le cadre de la présente affaire. (Signé) Joan E. Donoghue.

Document file FR
Document Long Title

Déclaration de Mme la juge Donoghue

Order
4
Links