Déclaration de M. le juge Robinson

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DÉCLARATION DE M. LE JUGE ROBINSON
[Traduction]
Compétence de la Cour  Rapport entre l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires  Principe de l’incorporation systémique et alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités  Interprétation des accords ultérieurs visés au paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne sur les relations consulaires  Rapport entre le paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne sur les relations consulaires et l’accord sur «l’accès consulaire» conclu en 2008 par l’Inde et le Pakistan.
A. LES DROITS ET OBLIGATIONS PRÉVUS À L’ARTICLE 36 DE LA CONVENTION DE VIENNE SUR LES RELATIONS CONSULAIRES SONT DU MÊME ORDRE QUE CEUX ÉNONCÉS DANS LES INSTRUMENTS RELATIFS AUX DROITS DE L’HOMME
1. Dans le présent arrêt, il est par trois fois question du rapport entre la convention de Vienne sur les relations consulaires (ci-après «la convention de Vienne») et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après «le Pacte»). Tout d’abord, en réponse à la conclusion par laquelle l’Inde lui demandait de déclarer que le Pakistan avait agi au mépris des «droits de l’homme élémentaires» de M. Jadhav, protégés par l’article 14 du Pacte, la Cour a dit que sa compétence, fondée sur l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne concernant le règlement obligatoire des différends, «ne s’étend[ait] pas à la question de savoir si des obligations de droit international autres que celles découlant de la convention de Vienne [n’avaient] pas été respectées» (voir le paragraphe 36 de l’arrêt). Ensuite, au sujet de la conclusion par laquelle l’Inde lui demandait de déclarer que la condamnation [à mort] prononcée par des tribunaux militaires pakistanais était contraire au droit international, notamment à l’article 14 du Pacte, la Cour a souligné que les remèdes qu’il y avait lieu de prescrire devaient avoir pour but de réparer uniquement le préjudice causé par des manquements aux obligations prévues par la convention de Vienne, qui est le fondement de sa compétence en l’espèce (voir le paragraphe 135 de l’arrêt). Il est à noter que le remède sollicité par l’Inde était l’annulation du verdict et de la sentence prononcés contre M. Jadhav et sa libération. Enfin, la Cour a admis que, conformément à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, le Pacte pouvait néanmoins jouer un rôle dans l’interprétation de la convention de Vienne sur les relations consulaires (voir le paragraphe 135 de l’arrêt).
2. Au vu de ces conclusions, j’avance les propositions suivantes au sujet du rapport entre la convention de Vienne et le Pacte :
i) Il existe un rapport juridique étroit et significatif entre l’article 36 de la convention de Vienne et l’article 14 du Pacte, qui pouvait avoir une incidence sur la question de la compétence de la Cour.
ii) Le Pacte, comme son titre l’indique, est un traité relatif aux droits de l’homme. Après la seconde guerre mondiale, la manifestation la plus importante du développement du droit international a été la formation d’un corpus de règles juridiques qui ont trouvé leur expression dans des déclarations et des traités ayant pour but de protéger les droits inaliénables de l’individu. Cette évolution du droit international est une réponse aux atrocités commises pendant la guerre contre des individus. Le Pacte est le principal instrument conventionnel ayant pour objet la protection des droits individuels.
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iii) Les droits énoncés à l’article 14 du Pacte sont les droits de «toute personne» (voir en particulier les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article) ; en tant que tels, ils valent autant pour les personnes se trouvant à l’étranger que pour celles qui n’ont pas quitté leur pays ; ils doivent de plus être accordés «en pleine égalité», ce qui veut dire qu’une personne se trouvant dans un pays étranger doit y jouir, au titre des droits énoncés à l’article 14 du Pacte, de la même protection que les nationaux de ce pays. Le droit à l’égalité d’accès à la justice signifie que les Etats parties au Pacte sont tenus à l’obligation positive de droit international de veiller à ce qu’il existe chez eux des tribunaux indépendants et impartiaux devant lesquels puissent avoir lieu des procès équitables dans le cadre d’une procédure pénale respectant les droits minima des accusés énoncés aux paragraphes 2 à 7 de l’article 14 du Pacte.
iv) L’énumération qui figure au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte n’est pas une liste exhaustive de ces droits ; elle comprend les garanties auxquelles «toute personne» a «au moins» droit «en pleine égalité». D’autres droits peuvent donc y être ajoutés, pourvu qu’ils présentent les mêmes caractéristiques essentielles que les sept déjà prévus, à savoir qu’ils doivent être conférés dans le but de permettre à tout accusé de jouir effectivement du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, comme le garantit le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
v) Un droit de l’homme est un droit conféré à tous, sans aucune distinction fondée sur des facteurs tels que la race, la couleur, l’origine nationale ou sociale et le sexe. Comme il est dit dans le préambule du Pacte, les droits de l’homme «découlent de la dignité inhérente à la personne humaine» et constituent «le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde» (les italiques sont de moi). Il est à noter que la justice est l’une des fins que sert la jouissance d’un droit de l’homme. Le droit à un procès équitable inscrit à l’article 14 du Pacte et le principe de l’égalité devant la loi signifient que le droit à l’égalité d’accès aux tribunaux est reconnu à tous, sans distinction fondée sur les facteurs énumérés au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, dont l’origine nationale ou sociale. Lorsqu’un ressortissant étranger qui ne parle même pas la langue de l’Etat de résidence n’est pas autorisé à communiquer avec le consulat de son pays pour que celui-ci pourvoie à sa représentation en justice, il y a lieu de douter qu’il ait eu accès à la justice en pleine égalité avec les ressortissants dudit Etat.
vi) Il résulte de la proposition qui précède que le droit à la communication avec les autorités consulaires et le droit à l’assistance consulaire prévus à l’article 36 de la convention de Vienne sont tout autant des droits de l’homme que les sept droits énumérés au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte. La raison en est qu’ils offrent à une personne visée par des poursuites pénales dans un pays étranger une protection qui serait peut-être considérée comme allant de soi, et pourrait en tout cas être beaucoup plus facile à obtenir, si des poursuites semblables étaient exercées dans son pays contre un ressortissant de l’Etat d’envoi ou de l’Etat de résidence. Lorsque les droits énoncés à l’article 36 de la convention de Vienne ne sont pas respectés, l’universalité de la protection garantie par l’article 14 du Pacte à «toute personne» et «en pleine égalité» risque de se révéler illusoire. La situation d’un étranger faisant l’objet de poursuites pénales mérite une attention particulière, parce que l’intéressé risque d’être moins à même d’affronter la complexité du système juridique local que s’il était poursuivi dans son propre pays ou était ressortissant de l’Etat de résidence. Le respect de la dignité inhérente au ressortissant étranger visé par des poursuites pénales requiert que celui-ci se voie accorder les mêmes conditions d’accès à la justice que s’il était poursuivi dans son pays ou était ressortissant de l’Etat de résidence ; il devrait en tout cas bénéficier au moins de la garantie d’un procès équitable, comme le veut la règle impérative énoncée au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.
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vii) L’article 36 de la convention de Vienne devrait donc être considéré comme prévoyant en quelque sorte la parité entre les droits d’un étranger accusé d’une infraction pénale et ceux d’un ressortissant de l’Etat de résidence poursuivi dans son pays pour une telle infraction. C’est pourquoi tant de traités récents stipulent que le droit à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi doit être respecté lorsque l’un de ceux-ci fait l’objet de poursuites pénales sur le territoire de l’Etat de résidence. Par exemple, le paragraphe 3 de l’article 6 de la convention des Nations Unies contre la torture prévoit que toute personne détenue pour des faits visés audit article «peut communiquer immédiatement avec le plus proche représentant qualifié de l’Etat dont elle a la nationalité»1. L’obligation de respecter ce droit est une obligation de fond tout autant que celles énoncées dans les autres paragraphes de l’article, y compris son paragraphe 1, aux termes duquel tout Etat partie sur le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée d’actes de torture doit la placer en état de détention. Si un étranger à qui le droit de communiquer avec les autorités consulaires de son pays a été refusé est ensuite condamné à l’issue d’un procès où il n’a pas été représenté par un avocat, ce procès, dans la plupart des systèmes juridiques, serait frappé de nullité. De même, l’obligation de permettre la communication entre un ressortissant de l’Etat d’envoi et les autorités consulaires de celui-ci prévue au paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, qui vaut notamment pour les détenus, a le caractère d’une obligation de fond parce qu’il est essentiel qu’elle soit observée pour qu’il puisse être donné effet aux droits énoncés dans ledit article.
viii) Le droit de communiquer avec les autorités consulaires et l’obligation correspondante d’en permettre l’exercice font désormais partie du droit international coutumier, qu’ils soient prévus à l’article 36 de la convention de Vienne ou dans l’un quelconque des traités susmentionnés.
ix) Le droit que l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention confère à une personne arrêtée ou détenue sur le territoire d’un Etat étranger d’être informée par les autorités de celui-ci qu’elle peut leur demander d’en aviser le poste consulaire de son pays revêt une importance fondamentale en tant que moyen d’assurer l’universalité et l’égalité garanties par l’article 14 du Pacte. Cependant, le droit que l’alinéa c) du paragraphe 1 du même article donne aux fonctionnaires consulaires de se rendre auprès d’un ressortissant de l’Etat d’envoi qui est incarcéré ou en état de détention préventive ou de toute autre forme de détention de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice est plus important encore. Ce droit est prévu au bénéfice des ressortissants de l’Etat d’envoi se trouvant dans une telle situation qui, dans l’attente d’un procès, peuvent avoir besoin d’assurer leur représentation en justice. Le fait que cette disposition est prévue au bénéfice des ressortissants étrangers ressort clairement de la dernière phrase de l’alinéa c), qui stipule que les fonctionnaires consulaires doivent s’abstenir d’intervenir auprès d’un ressortissant de leur pays «lorsque l’intéressé s’y oppose expressément». Si les autorités consulaires ne peuvent pas pourvoir à la représentation en justice d’un ressortissant de l’Etat d’envoi en état de détention, il est très probable qu’aucun des sept droits énumérés à l’article 14 du Pacte ne sera effectivement
1 Voir également le paragraphe 3 de l’article 13 de la convention de 1963 relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs, le paragraphe 3 de l’article 6 de la convention de 1971 pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, le paragraphe 2 de l’article 6 de la convention de 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, le paragraphe 3 de l’article 6 de la convention de 1979 contre la prise d’otages, le paragraphe 2 de l’article 17 de la convention de 1994 sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel associé, le paragraphe 3 de l’article 9 de la convention de 1999 pour la répression du financement du terrorisme, et l’article 17 de la convention de 2006 sur les disparitions forcées. Toutes ces conventions prévoient que toute personne détenue pour des faits visés par leurs dispositions a droit à une assistance lui permettant de communiquer immédiatement avec un représentant de l’Etat dont elle est ressortissante. Les articles où figurent ces dispositions créent indubitablement des obligations juridiques de fond. Rien ne donne à penser qu’elles créent autre chose que de telles obligations, qui s’imposent au pays où la personne est détenue.
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exercé. Parmi ces droits, celui qui est le plus menacé lorsqu’une personne fait l’objet de poursuites pénales dans un pays étranger est le droit énoncé à l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte «[à] disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix» ; ce droit est aussi étroitement lié au droit du ressortissant étranger à ce que des fonctionnaires consulaires pourvoient à sa représentation en justice. Si aucune disposition n’est prise pour sa représentation, il est fort probable que le détenu étranger sera incapable de préparer convenablement sa défense en choisissant un avocat et en communiquant avec lui.
x) Au vu de ce qui précède, on peut difficilement admettre l’assertion selon laquelle, «à la différence de l’assistance juridique, l’assistance consulaire n’est pas considérée comme une condition à remplir dans une procédure pénale» (voir le paragraphe 129 de l’arrêt). Cette assertion a été avancée par le Pakistan en réponse à l’argument de l’Inde selon lequel la violation des dispositions de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention qui avait résulté du défaut de notification consulaire devait entraîner l’annulation du procès de M. Jadhav. Des atteintes au droit à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi peuvent avoir une incidence notable sur le déroulement d’un procès pénal, même s’il n’en résulte pas l’annulation de celui-ci. Je pense cependant qu’il y a des situations dans lesquelles le défaut de notification aux autorités consulaires de la détention d’un ressortissant de l’Etat d’envoi accusé d’infractions pénales peut et devrait entraîner l’annulation du procès. Je m’empresse d’ajouter que pareille décision appartient à une juridiction interne, et non à la Cour, qui devrait se contenter d’appeler l’attention sur la gravité de la violation et, si elle ordonne une procédure de réexamen, de demander que la juridiction interne qui en sera chargée accorde tout le poids qu’ils méritent aux effets de ladite violation. Par exemple, la gravité de la violation justifierait l’annulation du procès si, en conséquence du défaut de notification au consulat de la détention d’un ressortissant de l’Etat d’envoi, ce ressortissant n’avait pas été représenté lors de son procès, et s’il était établi que ce fait avait été un facteur important de sa condamnation. En tout état de cause, l’assistance prêtée par les autorités consulaires pour assurer la représentation en justice d’un ressortissant de l’Etat d’envoi visé par des poursuites pénales sur le territoire de l’Etat de résidence permet à l’intéressé de choisir un avocat qui le représentera au procès, et de le consulter pour préparer sa défense. Vu la situation difficile où se trouve le ressortissant étranger, on peut dire que cette assistance lui est quasiment indispensable, et constitue un élément essentiel de sa préparation au procès. On aurait tort de ne pas reconnaître qu’il existe un lien d’une importance fondamentale entre l’assistance consulaire prévue à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention et le déroulement du procès, d’autant que selon la convention de Vienne (alinéa i) de l’article 5), l’une des fonctions consulaires consiste à «assurer [la] représentation … [des ressortissants de l’Etat d’envoi] devant les tribunaux … de l’Etat de résidence».
xi) En l’affaire Avena, la Cour s’est gardée d’assimiler le droit à la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi à un droit de l’homme. Elle a considéré que ni le texte ni l’objet et le but de la convention, ni non plus aucune indication fournie par les travaux préparatoires, ne permettaient de parvenir à une telle conclusion2. Il est vrai que le préambule de la convention de Vienne stipule, sans autre précision, que l’un des buts de cet instrument est de favoriser les relations d’amitié entre les Etats, et qu’il n’y est pas fait expressément mention des droits de l’homme des ressortissants de l’Etat d’envoi, mais il n’en demeure pas moins que la convention doit être interprétée à la lumière du développement rapide du droit international qui a suivi la seconde guerre mondiale et du fait que ce développement a porté surtout sur les droits des individus dans leurs rapports avec les Etats. Une telle interprétation, qui considère la convention dans une
2 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 61, par. 124.
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optique globale, procède de ce que McLachlan appelle «le principe général d’interprétation des traités», à savoir «le principe de l’incorporation systémique au système juridique international»3, que reflète l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités ; cette interprétation s’appuie aussi sur l’avis consultatif donné par la Cour sur les Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité4, dans lequel elle a dit ceci : «De plus, tout instrument international doit être interprété et appliqué dans le cadre de l’ensemble du système juridique en vigueur au moment où l'interprétation a lieu.»5 Le libellé du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, en particulier de son alinéa c), révèle effectivement le souci de protéger les droits individuels au nom de la dignité et de la valeur inhérentes à la personne humaine, qui est exprimé dans les traités relatifs aux droits de l’homme tels que la convention des Nations Unies contre la torture. Etant donné qu’ils sont étroitement liés au droit que l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte confère à un accusé de «disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense», j’avance que les droits prévus à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne peuvent être considérés comme faisant partie des garanties d’un procès équitable, et pourraient donc être ajoutés à la liste de droits figurant au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.
xii) Il s’ensuit qu’un manquement aux obligations prévues au paragraphe 1 de l’article 36 de la convention, en particulier à son alinéa c), est une violation d’un droit de l’homme qui s’apparente étroitement à une violation des droits d’un accusé à un procès équitable qui sont énoncés au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, en particulier à son alinéa b). Si le droit prévu à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention est un élément du droit à un procès équitable, et mériterait par conséquent d’être ajouté à la liste figurant au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, il ne me semble pas interdit d’en conclure qu’une violation de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte ayant résulté de ce que l’Etat de résidence n’a pas permis à un fonctionnaire consulaire de pourvoir à la représentation en justice d’un détenu étranger est aussi une violation de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, et que cela aurait suffi à conférer à la Cour, sur le fondement de l’article premier du protocole de signature facultative, compétence pour connaître d’une violation du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.
B. L’ACCORD DE 2008
3. Le paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne est libellé comme suit : «Aucune disposition de la présente convention ne saurait empêcher les Etats de conclure des accords internationaux confirmant, complétant ou développant ses dispositions, ou étendant leur champ d’application.»
4. En 2008, l’Inde et le Pakistan ont conclu un accord sur la «communication consulaire» (ci-après «l’accord de 2008»). La Cour s’est penchée sur la question de la compatibilité de cet accord avec le paragraphe 2 de l’article 73 de la convention. S’il n’avait pas pour objet de confirmer, compléter ou développer les dispositions de la convention ou d’élargir leur champ d’application, sa conclusion n’aurait pas rempli les conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 73. Elle aurait été ultra vires au regard desdites conditions.
3 McLachlan, Campbell, «The Principle of Systemic Integration and Article 31 (3) (c) of the Vienna Convention» International and Comparative Law Quarterly, vol. 54, no 2, avril 2005, p. 280.
4 Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 16.
5 Ibid., p. 31, par. 53.
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5. Les positions des Parties sur l’interprétation de l’accord de 2008 étaient très différentes. Selon le Pakistan, comme la Cour l’a relevé au paragraphe 97 de son arrêt, l’accord se substituait à l’article 36 de la convention dans ses relations avec l’Inde. Le point vi) de l’accord de 2008 dispose ce qui suit : «en cas d’arrestation, de détention ou de condamnation pour des raisons politiques ou relatives à la sécurité, chaque partie peut examiner l’affaire au fond». Le Pakistan a soutenu qu’en cas d’espionnage, cette disposition se substituait à l’article 36 de la convention et suspendait donc les droits conférés par elle. L’Inde a affirmé quant à elle que le point vi) de l’accord devait être lu parallèlement à son point v), qui est ainsi libellé : «Les deux gouvernements conviennent de libérer et de rapatrier les intéressés dans un délai d’un mois au plus tard après expiration de leur peine et confirmation de leur nationalité.» Elle considérait donc qu’il était convenu entre elle et le Pakistan que les parties se réservaient le droit d’examiner au fond chaque cas où des personnes seraient arrêtées, détenues et condamnées pour des raisons politiques ou relatives à la sécurité, afin de déterminer s’il y avait lieu de les libérer et de les rapatrier dans un délai d’un mois au plus tard après expiration de leur peine et confirmation de leur nationalité.
6. Pour interpréter le membre de phrase «chaque partie peut examiner l’affaire au fond», il faut prêter une attention particulière au mot «peut». Les parties à l’accord sont convenues de s’accorder réciproquement le pouvoir discrétionnaire d’examiner les cas d’arrestation pour des raisons politiques ou relatives à la sécurité. Ces cas devraient comprendre les arrestations pour espionnage. Telle qu’elle est libellée, la disposition signifie que l’une ou l’autre partie, après avoir examiné au fond un cas d’arrestation pour espionnage, peut décider s’il y a lieu de permettre la communication entre les autorités consulaires et la personne arrêtée. L’accord de 2008, en raison en particulier de la teneur de son point vi), ne peut donc pas être considéré comme confirmant, complétant ou développant les dispositions de la convention de Vienne relatives à l’obligation de permettre la communication avec les autorités consulaires dans les circonstances indiquées à son article 36, et ne peut pas non plus être considéré comme étendant le champ d’application desdites dispositions. Pour cette raison, l’accord ne saurait être considéré comme satisfaisant aux conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne. Il est ultra vires au regard du paragraphe 2 de l’article 73 et est sans effet sur l’applicabilité des dispositions de la convention de Vienne. Les parties à cet accord restent donc liées par l’article 36 de celle-ci.
7. La Cour a examiné l’accord de 2008 dans une optique toute différente de celle de l’analyse ci-dessus. Elle dit au paragraphe 97 de son arrêt que les Parties ont négocié l’accord en pleine connaissance du paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de Vienne. Cette affirmation n’est pas la simple constatation d’une situation factuelle ; si tel était le cas, elle ne soulèverait aucun problème. Or, il ressort clairement de la suite du paragraphe 97 que la Cour s’appuie essentiellement sur le fait que les Parties ont conclu l’accord en pleine connaissance du paragraphe 2 de l’article 73 pour conclure «que le point vi) dudit accord ne se substitue pas, contrairement à ce que prétend le Pakistan, aux obligations découlant de l’article 36 de la convention». Cette conclusion est importante de par ce qu’elle implique plutôt qu’en elle-même. Elle implique que dès lors que les Parties ont négocié l’accord en pleine connaissance du paragraphe 2 de l’article 73, il y a lieu de présumer qu’en le signant, elles ont agi conformément aux dispositions de ce paragraphe. Pareille présomption est forcément sujette à caution et, de fait, elle est infirmée par l’analyse exposée ci-dessus, dont il ressort que le pouvoir discrétionnaire de permettre ou non la communication avec les autorités consulaires en cas d’arrestation d’un étranger pour des raisons politiques ou relatives à la sécurité (y compris l’espionnage) conféré aux deux Etats par le point vi) est en conflit direct avec l’obligation contraignante énoncée à l’article 36 de permettre la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi arrêtés sur le territoire de l’Etat de résidence, quelles qu’en soient les raisons, espionnage compris.
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8. Dans la suite du paragraphe 97 de son arrêt, la Cour énonce la conclusion suivante :
«Ayant examiné cet accord, et à la lumière des conditions énoncées par cette disposition, la Cour est d’avis que l’accord de 2008 est un accord ultérieur qui a pour objet de «confirmer, compléter ou développer les dispositions de la convention, ou d’étendre leur champ d’application». En conséquence, elle considère que le point vi) dudit accord ne se substitue pas, contrairement à ce que prétend le Pakistan, aux obligations découlant de l’article 36 de la convention.»
Or, même si cette conclusion est correcte, on ne saurait déduire de la seule intention des parties contractantes qu’elles n’ont pas manqué à l’obligation énoncée au paragraphe 2 de l’article 73 de la convention de ne conclure que des accords ultérieurs confirmant, complétant ou développant les dispositions de celle-ci, ou étendant leur champ d’application. Autrement dit, s’il est juridiquement établi que l’accord de 2008 ne confirme pas les dispositions de la convention de Vienne, l’assertion selon laquelle il les confirme néanmoins parce qu’il est présumé avoir été conclu dans cette intention est dénuée de fondement. Une présomption ne peut en effet jouer un rôle utile dans l’interprétation d’un traité que s’il est raisonnable de la considérer comme fondée.
9. Pour répondre à la question de savoir si l’accord de 2008 est compatible avec le paragraphe 2 de l’article 73 de la convention, il ne suffit pas de présumer que les Parties l’ont conclu dans l’intention qu’il le soit du simple fait qu’elles l’ont signé en pleine connaissance des dispositions dudit paragraphe. Rien n’indique qu’il soit raisonnable de considérer cette présomption comme fondée. Il n’est en effet pas rare que les parties à un traité y dérogent en pleine connaissance de ses dispositions. Le raisonnement de la Cour est explicité plus avant au paragraphe 94 de l’arrêt où, après avoir rappelé que, selon son préambule, l’accord de 2008 a notamment pour but «la réalisation de l’objectif consistant à garantir un traitement humain aux ressortissants des deux Etats», elle dit que le point vi) de cet instrument ne saurait être lu comme autorisant l’Etat de résidence à refuser la communication entre les autorités consulaires et les ressortissants de l’Etat d’envoi en cas d’arrestation pour des raisons politiques ou relatives à la sécurité. La Cour conclut qu’étant donné l’importance des droits en question pour la garantie d’un traitement humain, il y a tout lieu de penser que si l’intention des Parties avait été de restreindre de quelque façon les droits garantis par l’article 36, «cette intention ressortirait sans équivoque des dispositions de l’accord». Selon moi, ce n’est pas là une conclusion raisonnable, compte tenu en particulier de la clarté du libellé du point vi).
10. Il est certes admis que, comme le prévoit l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités, les Etats parties à un traité doivent l’exécuter de bonne foi. Ainsi que la Cour l’a dit en l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros, le principe de bonne foi «oblige les parties [à un traité] à l’appliquer de façon raisonnable et de telle sorte que son but puisse être atteint» (Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142). Cependant, rien ne permet de présumer, sur la foi de l’existence de cet impératif, que les parties à un traité se conforment ou se sont conformées constamment aux obligations qu’il leur impose. Pour déterminer si tel est le cas, il faut examiner de près toutes les circonstances pertinentes, y compris le libellé du traité et le comportement des Etats qui y sont parties.
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11. Le danger que je vois dans le paragraphe 97 de l’arrêt, en particulier sa deuxième phrase, est qu’il risque d’être interprété comme signifiant que, lorsqu’un traité prévoit expressément que le comportement des Etats parties doit satisfaire à certains critères, comme c’est le cas de la convention de Vienne, qui dispose que ne peuvent être conclus que des accords ultérieurs «confirmant, complétant ou développant les dispositions de la convention, ou étendant leur champ d’application», la Cour peut présumer que les parties au traité l’ont conclu dans l’intention de respecter constamment ces critères, et comme signifiant aussi que cette présomption apparaît d’autant plus plausible que le traité vise de nobles objectifs tels que la garantie d’un traitement humain.
(Signé) Patrick L. ROBINSON.
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