Opinion individuelle de M. le juge Abraham

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172-20190614-ORD-01-03-EN
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172-20190614-ORD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE ABRAHAM
Accord avec le dispositif de l’ordonnance  Réserves quant au traitement par la Cour de la question de la «compétence prima facie»  Cour n’étant pas tenue de traiter cette question dès lors que les autres conditions nécessaires à l’indication de mesures conservatoires ne sont pas remplies  Distinction entre la compétence que tient la Cour de l’article 41 du Statut pour connaître d’une demande de mesures conservatoires et sa compétence pour connaître de l’instance principale  Cour n’ayant d’autre choix en l’espèce que de conclure à sa compétence prima facie  Réserves quant aux motifs du rejet des deux premières demandes  Définition trop restrictive de l’objet de la procédure des mesures conservatoires  Exclusion injustifiée de la protection provisoire des droits procéduraux d’une partie dans l’instance judiciaire elle-même  Droits procéduraux des Emirats arabes unis n’étant en l’espèce exposés à aucun risque de préjudice irréparable.
1. J’ai voté en faveur du rejet par la Cour des demandes de mesures conservatoires présentées par les Emirats arabes unis, et je n’ai pas le moindre doute sur le fait que ces demandes étaient vouées à l’échec.
Cependant, quant aux motifs par lesquels la présente ordonnance justifie le rejet desdites demandes, je souhaiterais exprimer ici quelques réserves et introduire quelques nuances.
2. Les observations qui suivent porteront sur deux points : la manière dont l’ordonnance traite la question de la «compétence prima facie» ; les raisons pour lesquelles l’ordonnance déclare les deux premières demandes dépourvues du fondement.
I. La «compétence prima facie»
3. La question de la «compétence prima facie» est traitée, brièvement, aux paragraphes 15 et 16 de l’ordonnance. Après avoir rappelé qu’elle ne peut indiquer des mesures conservatoires que s’il existe prima facie une base de compétence lui permettant de connaître du fond de l’affaire et précisé qu’il en allait ainsi que la demande de mesures conservatoires émane de la partie demanderesse au principal ou de la partie défenderesse (paragraphe 15), la Cour se réfère à son ordonnance du 23 juillet 2018 rendue, sur la demande du Qatar, en la même affaire, dans laquelle elle a conclu à l’existence d’une telle «compétence prima facie», et ajoute qu’elle «ne voit aucune raison de revenir sur cette conclusion dans le contexte de la présente demande» (paragraphe 16).
4. Je pense qu’en s’exprimant ainsi, la Cour en a dit soit trop, soit pas assez.
5. Elle aurait pu en dire moins. En effet, la Cour n’était pas tenue, à mon avis, de traiter la question de la «compétence prima facie» dans le contexte de la présente ordonnance, dès lors qu’elle constatait, ce qu’elle a fait dans les paragraphes suivants, que les autres conditions (ou certaines des autres conditions) nécessaires pour que soient ordonnées les mesures demandées n’étaient pas réunies. Lorsqu’il existe des conditions cumulatives pour qu’une demande soit accueillie, il suffit que l’une d’entre elles ne soit pas remplie pour rendre inutile l’examen des autres. Ici, puisque les Emirats arabes unis ne démontraient pas l’existence de droits plausibles qui eussent appelé une protection provisoire sous la forme des deux premières mesures demandées, et que les troisième et quatrième mesures devaient être rejetées par voie de conséquence, pour les raisons que précise l’ordonnance, il n’était nul besoin de se prononcer sur le point de savoir si les autres conditions auxquelles est subordonné le prononcé de mesures conservatoires, parmi
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lesquelles la «compétence prima facie», étaient ou non satisfaites (de ce que cette condition particulière est remplie en l’espèce, l’ordonnance ne tire aucune conséquence, puisqu’elle rejette les demandes dans son dispositif dans les mêmes termes qu’elle aurait employés dans tous les cas).
6. Mais peut-être faut-il ici dissiper une confusion qu’il est assez facile de commettre.
7. Il est clair qu’un juge ne peut statuer sur une demande (pour l’accueillir ou la rejeter) que s’il possède un titre de compétence lui permettant d’en connaître. La Cour a souvent rappelé qu’il lui appartenait toujours de s’assurer de sa compétence, au besoin d’office, avant tout examen au fond d’une demande. Elle doit donc être compétente pour statuer sur une demande de mesures conservatoires, pour pouvoir décider si cette demande remplit ou non les conditions lui permettant d’être accueillie.
8. Mais on aurait tort de confondre cette question avec celle de la «compétence prima facie». Cette dernière notion est employée, dans la jurisprudence de la Cour, non pas aux fins d’établir si la Cour est compétente pour connaître de la demande de mesures conservatoires, mais aux fins de rechercher si elle est compétente pour connaître de l’instance principale : il faut et il suffit qu’elle ait compétence prima facie à cet effet, et à cet égard elle se référera à la base de compétence (ou aux bases de compétence) invoquée(s) au soutien de la demande principale.
9. La compétence de la Cour pour connaître d’une demande de mesures conservatoires, quant à elle, ne découle pas de la base de compétence invoquée dans l’instance au fond (ici l’article 22 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (la CIEDR)). Elle est fondée directement sur l’article 41 de son Statut qui lui donne le pouvoir, dès lors qu’elle a été saisie d’une affaire, d’indiquer aux parties quelles mesures conservatoires devraient être mises en oeuvre afin de préserver les droits de chacun.
Il s’agit là d’une base de compétence tout à fait autonome par rapport à celle qui est invoquée, par la partie demanderesse ou par les deux parties, dans le cadre de l’instance principale.
10. Quelle est alors la raison d’être de la notion de «compétence prima facie» ? Elle ne vise pas à fonder la compétence de la Cour pour statuer sur une demande de mesures conservatoires (compétence pour laquelle l’article 41 du Statut suffit). Elle constitue plutôt l’une des conditions cumulatives qui doivent être réunies pour qu’une mesure conservatoire soit indiquée (condition d’autant plus indispensable que, les mesures conservatoires indiquées par la Cour étant obligatoires pour les Etats auxquels elles s’adressent, il ne serait pas concevable que la Cour impose à ceux-ci des obligations si sa compétence pour connaître de l’instance principale ne présentait pas un certain degré de vraisemblance).
Comme le dit constamment la Cour dans ses ordonnances (et elle le redit au paragraphe 15 de la présente ordonnance), la compétence prima facie pour connaître du fond de l’affaire est une condition nécessaire pour que la Cour puisse indiquer des mesures conservatoires (et non pas : pour que la Cour puisse connaître d’une demande de mesures conservatoires).
11. Si l’on envisage ainsi la «compétence prima facie» comme l’une des conditions cumulatives nécessaires au prononcé d’une mesure conservatoire (et non comme la condition de la compétence de la Cour pour statuer sur une demande de mesures conservatoires), on en déduit logiquement ce qui suit : pour qu’une telle mesure soit ordonnée, la Cour doit établir que toutes les conditions  y compris, d’abord, celle relative à la «compétence prima facie»  sont satisfaites ; mais pour qu’une demande soit rejetée, il suffit que l’une des conditions (par exemple le risque
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d’atteinte irréversible à un droit plausible) ne soit pas remplie, et la Cour est dispensée de se prononcer sur les autres (y compris celle relative à la «compétence prima facie»). C’est ce que la Cour aurait pu faire en l’espèce.
12. Cela étant, il n’est jamais interdit à la Cour d’introduire dans ses décisions des motifs juridiquement superfétatoires. L’on peut comprendre les raisons de politique judiciaire pour lesquelles elle a pris l’habitude, dans ses ordonnances statuant sur des demandes de mesures conservatoires, de se prononcer d’abord, et dans tous les cas, sur la question de la «compétence prima facie», aussi bien lorsqu’elle décide d’indiquer de telles mesures (auquel cas elle est tenue d’établir une telle compétence prima facie) que lorsqu’elle décide de rejeter purement et simplement la demande sur un autre terrain (auquel cas elle pourrait se dispenser de se prononcer sur cette question).
13. La Cour a choisi ici, selon sa pratique habituelle, de constater que la condition relative à la «compétence prima facie» est remplie, alors même que la suite de l’ordonnance fait apparaître que d’autres conditions indispensables ne le sont pas.
14. Je ne trouverais rien à y redire si les raisons qu’elle donne au paragraphe 16 de son ordonnance ne me paraissaient pas un peu courtes.
15. Se référant à l’ordonnance du 23 juillet 2018 rendue en la même affaire, la Cour rappelle qu’elle a conclu, à cette occasion, qu’elle avait prima facie compétence pour connaître de l’affaire (c’est-à-dire de l’instance introduite par le Qatar contre les Emirats arabes unis) sur la base de l’article 22 de la CIEDR et ajoute qu’elle ne «voit aucune raison de revenir sur cette conclusion dans le contexte de la présente demande» (voir le paragraphe 16 de la présente ordonnance).
16. Je pense pour ma part que non seulement la Cour n’avait aucune raison de revenir sur sa conclusion précédente, mais qu’elle avait une excellente raison de ne pas la remettre en cause.
17. Dans son ordonnance de 2018, la Cour a ordonné aux Emirats arabes unis de mettre en oeuvre certaines mesures conservatoires à la demande du Qatar (et en vue de protéger les droits de ce dernier). Pour parvenir à cette décision, elle a retenu sa compétence prima facie (comme elle était tenue de le faire) pour connaître de l’affaire au fond. On voit mal comment, saisie ensuite de demandes de mesures conservatoires par la Partie adverse, la Cour aurait pu réexaminer sa position antérieure, la renverser, et rejeter en conséquence la demande des Emirats. Non seulement une telle façon de faire aurait été peu conforme à la cohérence et à la continuité qu’on attend de la Cour dans l’exercice de sa fonction judiciaire (même si elle n’est pas juridiquement tenue de se conformer à ses précédents, et particulièrement à ses ordonnances en indication de mesures conservatoires, qui ne sont pas revêtues de la res judicata), mais surtout elle aurait gravement heurté les règles du procès équitable et le principe d’égalité entre les parties à la procédure. Une décision rejetant les demandes des Emirats arabes unis au motif que la Cour n’avait pas compétence prima facie pour connaître de l’instance principale, alors que les mesures ordonnées en 2018 au profit du Qatar, sur la base de la position inverse, seraient demeurées en vigueur, aurait été inacceptable sur le plan de l’équité judiciaire.
18. Bien entendu, la Cour n’a aucunement été tentée de procéder ainsi (et ce d’autant moins qu’aucune des Parties ne plaidait plus, à ce stade, l’absence de compétence prima facie). Mais je regrette que la motivation banale qu’elle a retenue au paragraphe 16 de l’ordonnance ne fasse pas
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suffisamment apparaître que, en l’espèce, elle n’avait, en réalité, aucune marge de choix : elle ne pouvait que se conformer à ce qu’elle avait jugé un an plus tôt ; eût-elle même aperçu une «raison de revenir sur cette conclusion» qu’elle n’aurait pas pu en tenir compte.
II. Les motifs du rejet des deux premières mesures conservatoires demandées par les Emirats arabes unis
19. La première mesure conservatoire demandée tendait à ce que la Cour ordonne au Qatar de retirer la communication qu’il a soumise au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (le Comité de la CIEDR) et qui porte sur les mêmes faits que ceux qui sont soumis à la Cour. Selon les Emirats arabes unis, l’existence de cette procédure parallèle (devant le Comité) les plaçait en position désavantageuse dans la procédure devant la Cour et portait atteinte à leur droit à l’équité procédurale et à leur droit à une bonne administration de la justice.
La deuxième mesure conservatoire tendait à ce que la Cour ordonne au Qatar de cesser d’entraver l’accès des citoyens qatariens au site Internet mis en service par les Emirats, en exécution de l’ordonnance de la Cour de 2018, pour permettre à certains de ces citoyens d’introduire une demande tendant à être autorisés à retourner dans les Emirats. Selon les Emirats, le Qatar, par son comportement, compromettrait leur capacité à mettre en oeuvre les mesures conservatoires ordonnées par la Cour il y a un an.
20. La Cour rejette les deux demandes par une motivation qui repose sur une formule similaire : «la première mesure demandée … ne concerne pas un droit plausible au regard de la CIEDR» (voir le paragraphe 25 de la présente ordonnance) ; «la deuxième mesure sollicitée … ne concerne pas des droits plausibles des Emirats arabes unis en vertu de la CIEDR qui nécessiteraient une protection dans l’attente de l’arrêt définitif» (voir le paragraphe 26 de la présente ordonnance).
Ces formules font écho à celle qu’emploie la Cour au paragraphe 18 de l’ordonnance, lorsqu’elle énonce, en termes généraux, les conditions qui devaient être remplies pour qu’il puisse être fait droit aux demandes des Emirats arabes unis : «la Cour … doit … décider si les droits revendiqués par cet Etat, et dont il sollicite la protection, sont des droits plausibles, compte tenu de la base de compétence prima facie de la Cour en la présente espèce … Partant, les droits allégués doivent présenter un lien suffisant avec l’objet de l’instance pendante devant la Cour sur le fond de l’affaire».
21. Ces formules, si on les prend à la lettre, paraissent exclure que la procédure tendant à l’obtention de mesures conservatoires puisse être mise en oeuvre par une partie afin d’obtenir la protection provisoire de ses droits procéduraux dans l’instance judiciaire elle-même. Elles paraissent limiter les mesures conservatoires que la Cour peut ordonner à celles qui viseraient à la protection provisoire des droits que les parties font valoir  ou peuvent faire valoir de manière plausible  dans l’instance au fond, c’est-à-dire les droits que les parties tiennent  ou peuvent prétendre tenir de manière plausible  de l’instrument juridique qui constitue la base de compétence de la Cour et définit le droit substantiel applicable sur le fond de l’affaire (s’il s’agit d’un traité, comme en l’espèce).
22. Il s’agirait là d’une définition singulièrement restrictive de l’objet de la procédure des mesures conservatoires, qui ne trouverait aucun fondement ni dans le Statut ni (mais, sur ce dernier point, j’admets qu’il existe une certaine ambiguïté) dans la jurisprudence de la Cour.
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23. Le Statut donne à la Cour «le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire» (art. 41, par. 1). Rien, dans la lettre pas plus que dans l’esprit du texte, n’indique que le «droit de chacun» dont il est question ici («the respective rights of either party» dans la version anglaise) devrait s’entendre exclusivement des droits qui sont en cause dans le fond de l’affaire (ceux qui constituent l’objet du différend), à l’exclusion des droits procéduraux que possède chacune des parties dans le déroulement de la procédure judiciaire devant la Cour.
24. Il est vrai qu’en pratique, lorsqu’une partie sollicite de la Cour le prononcé de mesures conservatoires, c’est le plus souvent pour protéger les droits que cette partie revendique dans l’instance principale, sur la base du droit matériel que la Cour va appliquer pour le règlement du différend. C’est la raison pour laquelle la Cour, ayant chaque fois à l’esprit le cas d’espèce, utilise généralement la formule qu’elle reprend ici (ou une formule proche) : il faut que les droits revendiqués, dont la protection provisoire est sollicitée, soient plausibles compte tenu de la base de compétence prima facie de la Cour, c’est-à-dire qu’ils présentent un lien suffisant avec l’objet de l’instance pendante devant la Cour sur le fond de l’affaire.
25. Ce n’est toutefois pas une raison convaincante pour exclure, par principe, des mesures conservatoires visant à protéger un autre type de droits : le droit à l’équité de la procédure, le droit à l’égalité des armes, le droit à une bonne administration de la justice, qui peuvent aussi  quoique exceptionnellement  être mis en cause par le comportement d’une partie à l’égard d’une autre partie. Il est vrai que, dans certains cas, des situations dans lesquelles de tels droits risqueraient d’être atteints de façon irréparable au détriment d’une partie pourraient être traités par la Cour de façon adéquate, au besoin proprio motu, sur la base de son pouvoir général de direction du procès. Ce n’est cependant pas suffisant pour écarter la voie des mesures conservatoires ouverte pour la protection des «droits de chacun» par l’article 41 du Statut. Il en va d’autant plus ainsi que, si l’on conçoit bien que la Cour a les pouvoirs nécessaires pour faire au besoin échec, sans recourir aux mesures conservatoires, au comportement d’une partie qui dans le déroulement de la procédure judiciaire porterait atteinte aux droits procéduraux de l’autre partie, il n’en va pas de même lorsqu’une telle atteinte résulte du comportement extrajudiciaire d’une partie, c’est-à-dire d’un acte extérieur à la procédure judiciaire elle-même. En pareil cas, le recours à la procédure des mesures conservatoires est le seul moyen efficace ouvert à l’autre partie afin de préserver ses droits. Un tel cas serait-il en pratique tellement rare qu’il se rapprocherait de l’hypothèse d’école ? Il n’en faudrait pas moins le réserver.
26. Dans sa déclaration jointe à l’ordonnance du 23 janvier 2007 rendue, sur une demande de mesures conservatoires présentée par la partie défenderesse, en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2007, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 21, par. 3), mon estimé collègue le juge Buergenthal avait déjà démontré avec clarté qu’il existait deux types de mesures conservatoires : celles qui procèdent «d’une nécessité urgente liée au risque de préjudice ou de dommage irréparable pesant sur les droits objets d’un différend relevant, prima facie, de sa compétence» ; celles qui visent à «empêcher une partie à un différend dont elle est saisie d’influencer ou d’entraver la procédure judiciaire par des méthodes coercitives extrajudiciaires, sans rapport avec les droits spécifiques en litige et tendant, ou sciemment destinées, à saper la bonne administration de la justice dans une affaire en cours» (ibid., p. 22-23, par. 6).
Je ne peux que renvoyer le lecteur à la démonstration de mon prédécesseur.
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27. Pour en revenir à la présente espèce, j’estime que si les deux premières demandes des Emirats devaient être rejetées, ce n’est pas parce que les droits que les mesures sollicitées visaient à protéger n’étaient pas plausibles «au regard de la CIEDR» (ou «en vertu de la CIEDR»). Il est vrai que ces droits allégués  le droit à une procédure équitable et le droit à ne pas subir d’entrave dans la mise en oeuvre d’une mesure conservatoire ordonnée par la Cour  ne découlent pas, pour les Emirats arabes unis, de la CIEDR elle-même (en tout cas de ses dispositions substantielles) : ce sont des droits  le premier certain, le second en revanche douteux  que l’Etat tirerait de sa qualité de partie à la procédure judiciaire sur la base du Statut, non des dispositions du traité dont le respect constitue l’objet du différend. Mais ce n’est pas selon moi la bonne raison qui justifie le rejet des demandes.
28. Ces demandes devaient être rejetées  et j’approuve pleinement la Cour de l’avoir fait  pour la raison que les droits procéduraux des Emirats dans l’instance judiciaire pendante devant la Cour ne sont manifestement exposés à aucun risque de préjudice irréparable du fait des comportements du Qatar qui sont incriminés.
D’une part, on ne voit pas en quoi l’existence d’une procédure parallèle se déroulant devant le Comité de la CIEDR comporterait le risque d’une rupture de l’équité de la procédure et de l’égalité des armes entre les Parties devant la Cour.
D’autre part, à supposer que le Qatar empêche les Emirats arabes unis de mettre en oeuvre une mesure conservatoire ordonnée par la Cour dans l’intérêt du Qatar et de ses citoyens, il appartiendrait à la partie défenderesse d’en faire la démonstration à un stade ultérieur de la procédure, si la Cour était saisie d’une demande du Qatar tendant à ce qu’elle constate l’absence de mise en oeuvre effective et complète de la mesure en cause. D’ici là, les droits procéduraux des Emirats arabes unis sont intégralement préservés.
(Signé) Ronny ABRAHAM.
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