Opinion individuelle de Mme la juge Sebutinde

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169-20190225-ADV-01-08-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE MME LA JUGE SEBUTINDE
[Traduction]
L’avis consultatif omet, dans sa récapitulation des faits, un certain nombre d’éléments qui ont pourtant un lien direct avec la première question posée par l’Assemblée générale  La Cour aurait également pu profiter de l’occasion pour reconnaître le caractère impératif (jus cogens) du droit à l’autodétermination dans le contexte de la décolonisation et donc l’impossibilité d’y déroger  De ce droit découle directement une obligation erga omnes  En refusant de reconnaître le caractère impératif dudit droit, la Cour n’a pas pu examiner convenablement et pleinement, dans sa réponse à la question b), les conséquences de sa violation.
I. INTRODUCTION
1. Je souhaite d’abord préciser que j’estime également que la Cour doit exercer sa compétence consultative dans l’affaire que lui a présentée l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 71/292 en date du 22 juin 2017. Selon moi, il n’existe aucune raison définitive obligeant la Cour à refuser. Ensuite, la Cour a reconnu, à juste titre, qu’en 1960, l’obligation de respecter le droit à l’autodétermination des pays et des peuples non autonomes avait déjà acquis le statut de règle coutumière opposable à tous les Etats (erga omnes) et pouvait donc s’appliquer, de 1965 à 1968, pendant le processus de décolonisation de Maurice (voir paragraphe 180). La Cour a également fait remarquer avec raison qu’au cours du processus de décolonisation de Maurice, le Royaume-Uni, en tant que puissance administrante, avait l’obligation de respecter l’intégrité territoriale de l’ensemble de Maurice, y compris l’archipel des Chagos (paragraphe 173). En détachant illicitement l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 et en l’incorporant à une nouvelle colonie appelée Territoire britannique de l’océan Indien (BIOT) avant l’indépendance de Maurice en 1968, le Royaume-Uni a privé le peuple mauricien de son droit à l’autodétermination et a fait fi de l’intégrité territoriale de son ancienne colonie en tant qu’unité à part entière.
2. Je conviens également que le droit applicable pour déterminer les conséquences du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni (question b)) est le droit international actuel (paragraphe 175). La Cour fait justement remarquer que le maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni constitue «un acte illicite … à caractère continu» engageant la responsabilité internationale de cet Etat (paragraphe 177). En somme, je m’associe à toutes les conclusions auxquelles est parvenue la Cour et j’ai, par conséquent, voté en faveur de l’ensemble des points 1 à 5 du dispositif (paragraphe 183) de l’avis consultatif. Il est toutefois regrettable que, dans la récapitulation des événements chronologiques constituant cette affaire ainsi que dans son raisonnement, la Cour ait passé sous silence certains faits cruciaux qui, selon moi, méritaient qu’on s’y attarde davantage et qui auraient pu donner plus de poids à ses conclusions. Dans la présente opinion individuelle, je vais justement m’intéresser à ces zones d’ombre.
3. Pour pouvoir répondre correctement aux deux questions qui lui étaient posées dans la résolution 71/292 du 22 juin 2017, la Cour devait examiner les points suivants :
a) le droit à l’autodétermination faisait-il partie du droit international coutumier à l’époque du processus menant à l’indépendance de Maurice (c’est-à-dire de 1965, quand l’archipel des Chagos a été détaché du reste de Maurice, jusqu’en 1968, date à laquelle elle a obtenu son indépendance) ;
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b) en cas de réponse affirmative à la question a), les Mauriciens ont-ils pu exercer ce droit en ce qui concerne l’archipel des Chagos ;
c) la séparation de l’archipel des Chagos du reste de Maurice par le Royaume-Uni en 1965 s’est-elle effectuée conformément au droit de ses habitants à l’autodétermination ;
d) le processus de décolonisation de Maurice a-t-il été validement mené à bien en 1968, lorsque celle-ci a obtenu son indépendance sans l’archipel de Chagos ; et
e) quelles conséquences, s’il y a lieu, naissent en droit international du maintien de l’archipel des Chagos sous administration du Royaume-Uni.
4. Dans la section II de mon opinion individuelle, je commencerai par reconnaître le rôle crucial que l’Organisation des Nations Unies a joué dans le processus de décolonisation ainsi que dans le développement du droit à l’autodétermination en règle du droit international coutumier. Dans la section III, au lieu d’analyser le rôle de l’Organisation des Nations Unies en m’en tenant uniquement aux résolutions citées dans la résolution 71/292 du 22 juin 2017 et sans tenir compte des faits propres à la décolonisation de Maurice, tel que l’avis consultatif semble l’avoir fait (voir paragraphes 92-131 ; 144-162 ; 163-169 et 170-174), j’espère permettre au lecteur de mieux comprendre les étapes qui ont mené à la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice, en insistant tout particulièrement sur le rôle de l’Organisation des Nations Unies avant, pendant et après cette séparation. Dans la section IV, je cherche à savoir si le processus de décolonisation de Maurice a été validement mené à bien en 1968, lorsque celle-ci a obtenu son indépendance sans l’archipel de Chagos. Enfin, dans la section V, j’examine plus en détail les conséquences en droit international du maintien de l’archipel des Chagos sous administration du Royaume-Uni.
II. LE RÔLE DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES DANS LE PROCESSUS DE DÉCOLONISATION ET DANS LE DÉVELOPPEMENT DU DROIT DES PEUPLES À DISPOSER D’EUX-MÊMES
5. Dans leurs exposés écrits ou oraux, certains Etats ont suggéré que l’Assemblée générale des Nations Unies n’avait pas suffisamment montré d’intérêt pour le statut de l’archipel des Chagos après l’indépendance de Maurice ; du moins, pas suffisamment pour justifier que la Cour donne suite à la demande d’avis consultatif qui lui était faite. D’autres ont prétendu que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’existait pas encore pendant la période d’accession à l’indépendance de Maurice, suggérant ainsi que la demande n’était qu’une ruse ourdie par l’Union africaine pour soutenir Maurice dans son «différend bilatéral». Je ne peux être d’accord avec ces deux allégations.
6. Le droit international coutumier découle de la pratique générale et constante des Etats, acceptée comme étant le droit1. Dans sa jurisprudence, la Cour s’est toujours appuyée sur la lettre de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 38 de son Statut, ainsi que sur son interprétation, pour dégager deux éléments lui permettant de déterminer l’existence d’un droit international coutumier présumé : la pratique des Etats et l’opinio juris. En outre, la Cour a souvent conclu qu’une série de résolutions pouvait constituer une preuve suffisante de l’évolution de l’opinio juris en une règle de droit international coutumier. Par exemple, dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour déclare :
«les résolutions de l’Assemblée générale, même si elles n’ont pas force obligatoire, peuvent parfois avoir une valeur normative. Elles peuvent, dans certaines
1 Voir alinéaVoir alinéa b)b) du paragraphedu paragraphe 1 de l’article1 de l’article 38 du Statut de la Cour.38 du Statut de la Cour.
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circonstances, fournir des éléments de preuve importants pour établir l’existence d’une règle ou l’émergence d’une opinio juris. Pour savoir si cela est vrai d’une résolution donnée de l’Assemblée générale, il faut en examiner le contenu ainsi que les conditions d’adoption ; il faut en outre vérifier s’il existe une opinio juris quant à son caractère normatif. Par ailleurs, des résolutions successives peuvent illustrer l’évolution progressive de l’opinio juris nécessaire à l’établissement d’une règle nouvelle.»2
7. L’Organisation des Nations Unies a toujours soutenu, de façon unique, constante et indéniable, les pays et les peuples non autonomes dans leur lutte pour secouer l’impitoyable joug du colonialisme. Au moment de sa création, en 1945, 750 millions de personnes  presque un tiers de l’humanité  subissaient le joug colonial. Aujourd’hui, grâce à ses efforts, moins de 2 millions de personnes vivent encore dans des territoires non autonomes. Aux termes du paragraphe 2 de l’article premier de la Charte des Nations Unies (la «Charte»), l’un des buts des Nations Unies est de «développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et de prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde». L’article 55 de la Charte évoque, en outre, les «conditions de stabilité et de bien-être indispensables à l’instauration de relations pacifiques et amicales entre les nations sur la base du respect des principes de l’égalité de droits et de l’autodétermination des peuples». Le droit à l’autodétermination est également évoqué au chapitre XI (art. 73 et 74) de la Charte3. En vertu de ces dispositions, les puissances administrantes responsables de territoires non autonomes reconnaissent que les intérêts de leurs habitants sont primordiaux ; acceptent comme une mission sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité et, à cette fin, d’assurer leur promotion sociale, économique, politique et éducative ; et de soutenir la mise en place de formes appropriées de gouvernement autonome en tenant compte des aspirations politiques et du niveau de développement et de progrès de chaque territoire. Les puissances administrantes doivent également présenter des rapports périodiques à l’Organisation des Nations Unies sur la condition des territoires qu’elles contrôlent afin que cette dernière puisse suivre les progrès du processus de décolonisation.
8. Dans les années 1950, l’Assemblée générale a réaffirmé le droit à l’autodétermination dans de nombreuses résolutions. Dans la résolution 421 (V) du 4 décembre 1950, l’Assemblée a invité la Commission des droits de l’homme à «étudier les voies et moyens de garantir aux peuples et aux nations le droit de disposer d’eux-mêmes». Le 5 février 1952, elle a adopté la résolution 545 (VI) dans laquelle elle fait remarquer que «le droit des peuples et des nations à l’autodétermination» avait été reconnu comme «un droit fondamental de l’homme». Dans cette même résolution, l’Assemblée a également demandé à la Commission des droits de l’homme, qui examinait alors le projet de pactes relatifs aux droits de l’homme, d’y faire figurer un article affirmant que «[t]ous les peuples [avaient] le droit de disposer d’eux-mêmes». Le 16 décembre 1952, l’Assemblée a adopté la résolution 637 (VII) recommandant instamment aux Etats Membres de «reconnaître et favoriser la réalisation, en ce qui concerne les populations des territoires non autonomes et des Territoires sous tutelle placés sous leur administration, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes», décrit comme «une condition préalable de la jouissance de tous les droits
2 Licéité de la menace de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. RecueilLicéité de la menace de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 19961996 (I)(I), p., p. 254254--255, 255, par.par. 70.70.
3 La Charte a égalemeLa Charte a également créé le rént créé le régime international de tutelle (chap.gime international de tutelle (chap. XII, aXII, art.rt. 7575--78) et le 78) et le Conseil de tutelle de tutelle (chap.(chap. XIII, aXIII, art.rt. 8686--91) afin de surveiller les territoires sous tutelle placés officiellement sous mandat de la Société des 91) afin de surveiller les territoires sous tutelle placés officiellement sous mandat de la Société des Nations.Nations.
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fondamentaux de l’homme». L’Assemblée générale a adopté, lors de cette décennie, bien d’autres résolutions plaidant en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes4.
9. Le 20 décembre 1960, l’Assemblée générale a adopté à l’unanimité (97 voix pour et quatre abstentions) la résolution 1514 (XV) connue sous le nom de Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (la «Déclaration 1514»)5. Elle y affirmait notamment que «[t]ous les peuples [avaient] le droit de libre détermination» et, afin de cristalliser ce droit, proclamait qu’il fallait «mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme», Pour la première fois, l’Assemblée générale reconnaissait que les pays et les peuples non autonomes devaient exercer le droit des peuples à l’autodétermination sur l’ensemble de leur territoire considéré comme un tout indissociable. La résolution prévoyait que «tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire national» et ajoutait que «l’intégrité de leur territoire ser[ait] respectée» et que «[t]oute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays [était] incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies»6. La résolution 1514 est, on le voit, une déclaration fondamentale qui a inspiré de nombreuses résolutions ultérieures, notamment celles énumérées dans la demande. Toutes les résolutions de l’Assemblée générale adoptées après la résolution 1514 et s’intéressant à son application à Maurice font référence au «droit inaliénable» des habitants à l’autodétermination et prient instamment la puissance administrante de «ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale» (les italiques sont de moi).
10. Un an plus tard, l’Assemblée générale a créé le Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux7 (le «Comité spécial»), en vue de surveiller, au cas par cas et conformément aux résolutions en matière de décolonisation, l’application de la résolution 1514 et de faire des recommandations à ce propos. C’est grâce à ce Comité spécial que l’Assemblée générale des Nations Unies a pu, jusqu’à présent, prendre le pouls de la décolonisation. La résolution 1514 a été suivie de nombreuses autres résolutions destinées à surveiller son application et, parfois, à la promouvoir en fonction des conclusions régulières rendues par le Comité spécial8. Dans les quinze ans séparant l’adoption de la Charte, en 1954, et l’adoption de la résolution 1514, en 1960, neuf9 anciens territoires non autonomes ont obtenu l’indépendance, alors qu’entre 1960 et 1965, ce ne sont pas moins de 35 autres10 qui ont été décolonisés et ont pu exercer leur droit à l’autodétermination. Ces Etats nouvellement indépendants ont rejoint la famille des Nations Unies où ils n’ont cessé jusqu’à présent de promouvoir et de défendre l’exercice du droit des peuples à
4 Résolutions de l’Assemblée gde l’Assemblée généraleénérale 783783 (VIII) (VIII) du 28du 28 novembre novembre 19531953 ; 837; 837 (IX) du 14(IX) du 14 décembredécembre 19541954 ; ; 11881188 (XII) du 11(XII) du 11 décembredécembre1957, etc.1957, etc.
5 Appelée également Dégalement Déclaration sur la décolonisatéclaration sur la décolonisation.ion.
6 Résolution 1514, par.1514, par. 2 et 42 et 4 ; ; les italiques sont de moiles italiques sont de moi..
7 Appelé également le également le ««Comité spéComité spécial de la décolonisationcial de la décolonisation»» ou le ou le ««Comité des VingtComité des Vingt--QuatreQuatre»»..
8 Les résolutions adoptées par lLes résolutions adoptées par l’Assemblée générale des Nations’Assemblée générale des Nations Unies relativement à la décolonisation Unies relativement à la décolonisation comprennent les résolutions sucomprennent les résolutions suivantesivantes : 1654: 1654 ((XVI) du 27XVI) du 27 novembre 1961novembre 1961 ; 1810; 1810 (XVII) du 17(XVII) du 17 dédécembre 1962cembre 1962 ; ; 19561956 (XV(XVIII) du 11III) du 11 décembre 1963décembre 1963 ; 2066; 2066 (XX) du 16(XX) du 16 décembre 1965décembre 1965 ; 2131; 2131 (XX) du 21(XX) du 21 décembredécembre 19651965 ; ; 22002200 AA (XXI)(XXI) ; 2145; 2145 (XXI) du 27(XXI) du 27 octobre 1966octobre 1966 ; 2189; 2189 (XXI) du 13(XXI) du 13 décembredécembre 19661966 ; 2232; 2232 (XXI) du 20(XXI) du 20 décembredécembre 1966 et 1966 et 23572357 (XXII) du 19(XXII) du 19 décembredécembre 191967.67.
9 Cambodge, Colonie de la Côte, Colonie de la Côte--dede--l’Or et Territoire sous tutelle du Togoland (Ghana), Fédération de Malaisie l’Or et Territoire sous tutelle du Togoland (Ghana), Fédération de Malaisie (Malaisie), Guinée, Indonésie, Laos, Maroc, Tunisie et Viet(Malaisie), Guinée, Indonésie, Laos, Maroc, Tunisie et Viet NNam.am.
10 Algérie, Burundi, Cameroun, Chypre, Congo, Burundi, Cameroun, Chypre, Congo--Brazzaville (République du Congo)Brazzaville (République du Congo), Congo Léopoldville , Congo Léopoldville (République démocratique du Congo), (République démocratique du Congo), République de République de Côte d’Ivoire, Dahomey (Bénin), Gabon, Gambie, HauteCôte d’Ivoire, Dahomey (Bénin), Gabon, Gambie, Haute--Volta Volta (Burkina Faso), Jamaïque, Kenya, Koweït, Malawi, Maldives, Mali, Malte, Mauritanie, Niger, Nigéria, Ouganda, (Burkina Faso), Jamaïque, Kenya, Koweït, Malawi, Maldives, Mali, Malte, Mauritanie, Niger, Nigéria, Ouganda, République centraRépublique centrafricaine, République malfricaine, République malgache (Madagascar), Républiquegache (Madagascar), République--unie de Tanganyika et Zanzibar (Tanzanie), unie de Tanganyika et Zanzibar (Tanzanie), Rwanda, Samoa, Sénégal, Sierra Leone, Rwanda, Samoa, Sénégal, Sierra Leone, Singapour, Singapour, Somalie, Tchad, Togo, TrinitéSomalie, Tchad, Togo, Trinité--etet--Tobago et Zambie.Tobago et Zambie.
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disposer d’eux-mêmes. Ils ont systématiquement voté en faveur des diverses résolutions de l’Assemblée générale enjoignant les puissances administrantes qui s’accrochent encore à leurs territoires coloniaux à appliquer la résolution 1514. L’Assemblée générale a, par ailleurs, adopté des résolutions spécifiques exhortant à la décolonisation complète de Maurice, comme les résolutions 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967.
11. Parallèlement, les juristes en sont venus à considérer la résolution 1514 comme la quintessence des voeux et des convictions de l’ensemble des Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies. Ils ont fait remarquer que c’était la confirmation du statut de droit opposable en vertu du droit international du droit à l’autodétermination11. Certains membres de la Commission du droit international ont même commencé à parler, à propos de ce droit, de «règle établie de jus cogens»12. En 1966, les deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme ont été adoptés. Ils reconnaissaient tous deux, dans un article premier commun, que «[t]ous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes», par lequel «ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel», formulation reprise textuellement de la résolution 1514. L’article 3 était libellé comme suit :
«Les Etats parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies.»13
En 1990, l’Assemblée générale a baptisé les années 1990-2000 la «Décennie internationale de l’élimination du colonialisme» et a adopté un plan d’action à cette fin. Par la suite, les années 2001-2010 ont été déclarées deuxième Décennie internationale de l’élimination du colonialisme et les années 2011-2020, troisième. De plus, l’Organisation des Nations Unies a, grâce à ses divers organes, prêté assistance aux territoires non autonomes pour organiser les processus préalables à l’indépendance, tels que les référendums ou les plébiscites destinés à recueillir les souhaits librement exprimés des peuples concernés sur leur administration future. Depuis 1945, plus de 80 anciens territoires sous tutelle et colonies ont exercé leur droit à l’autodétermination en choisissant l’indépendance ou la libre association avec un Etat indépendant.
12. Dans sa jurisprudence, la Cour a reconnu le principe et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes tels qu’ils sont formulés dans la résolution 1514. Dans l’avis consultatif sur la Namibie14, la Cour a renvoyé à la résolution 1514 en parlant d’«étape importante» du développement du droit international concernant les territoires non autonomes. Dans l’avis consultatif sur le Sahara occidental15, la Cour a qualifié cette résolution de «base du processus de décolonisation» et fait remarquer :
«Le principe d’autodétermination en tant que droit des peuples et son application en vue de mettre fin rapidement à toutes les situations coloniales sont
11 R.. Higgins, Higgins, Development of International Law through PolDevelopment of International Law through Political Organs of the United Nations,itical Organs of the United Nations, 1963, 1963, p.p. 177177--178178 ; J; J.. Crawford, Crawford, The Creation of States in The Creation of States in International LawInternational Law, 2, 2ee éd.éd., 2006, p., 2006, p. 604604 ; P.; P. Daillier et ADaillier et A.. Pellet, Pellet, Droit Droit international public, international public, 77ee éd.éd., 2002, p., 2002, p. 519519--520. 520.
12 Annuaire de la Commission du droit iAnnuaire de la Commission du droit internationalnternational,, 1963, vol.1963, vol. 1,1, comptes rendus analytiques de la quinzième rendus analytiques de la quinzième sessiosession (6n (6 maimai--1212 juillet 1963), doc.juillet 1963), doc. A/CN.4/SER.A/1963A/CN.4/SER.A/1963, p., p. 155, par.155, par. 56.56.
13 Pacte international relatif aux droits civils et politiques et Pacte international relatif aux droits économiPacte international relatif aux droits civils et politiques et Pacte international relatif aux droits économiques, ques, sociaux et culturels, adoptés le 19sociaux et culturels, adoptés le 19 décembre 1966.décembre 1966.
14 Conséquences juridiques pour les Conséquences juridiques pour les EtatEtats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Suds de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud--Ouest Ouest africain) nonobstant la résolutionafricain) nonobstant la résolution 276 (1970)276 (1970) du Conseil de sécdu Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.urité, avis consultatif, C.I.J.J. RecueilRecueil 19711971, p., p. 31, par.31, par. 52.52.
15 Sahara occidSahara occidental, avis consultatif, C.I.J.ental, avis consultatif, C.I.J. RecueilRecueil 19751975, p., p. 32, par., par. 57.57.
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énoncés dans la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale intitulée «Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux».»16
Dans l’avis consultatif relatif au Mur, la Cour a relevé que le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été consacré dans la Charte des Nations Unies et réaffirmé par la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, selon laquelle «[t]out Etat a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l’autodétermination … les peuples mentionnés [dans ladite résolution]»17.
13. Il ne fait aucun doute qu’en 1965, date à laquelle le Royaume-Uni en sa qualité de puissance administrante, a séparé l’archipel des Chagos de Maurice, le droit inaliénable des pays et des peuples non autonomes à l’autodétermination existait déjà en vertu du droit international coutumier. Il s’agissait d’un droit naturel dont pouvaient légitimement jouir les peuples mauriciens, y compris les Chagossiens, et qui pouvait s’exercer sur l’ensemble de Maurice, comprise comme unité territoriale non autonome indissociable. Il faut donc considérer que la préservation de l’intégrité territoriale de Maurice, avant l’obtention de son indépendance, faisait partie intégrante de son droit à l’autodétermination. Ce droit emportait l’obligation correspondante pour le Royaume-Uni, en tant que puissance administrante, de s’abstenir de toute mesure pouvant démembrer le territoire de Maurice ou empêcher ses peuples, y compris les Chagossiens, d’exprimer et de mettre en oeuvre, librement et authentiquement, leur volonté politique concernant l’avenir de la totalité de leur territoire. Si le droit inaliénable des peuples à disposer d’eux-mêmes constitue un jus cogens (norme impérative à laquelle il est impossible de déroger), l’obligation correspondante incombant à la puissance administrante est une obligation erga omnes (qui touche aux intérêts fondamentaux de la communauté internationale). Ceci m’amène à me demander si la séparation, en 1965, de l’archipel des Chagos de Maurice par le Royaume-Uni s’est effectuée conformément au droit des habitants à l’autodétermination.
III. LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DU RESTE DE MAURICE PAR LE ROYAUME-UNI EN 1965 S’EST-ELLE EFFECTUÉE CONFORMÉMENT AU DROIT À L’AUTODÉTERMINATION ?
14. Pour que la séparation de l’archipel des Chagos s’effectue conformément au droit à l’autodétermination, il aurait fallu qu’elle soit le fait de la volonté libre et authentique des peuples mauriciens, y compris les Chagossiens. Certains Etats qui ont participé à la présente procédure n’ont pas manqué de souligner que Maurice avait cédé volontairement l’archipel au Royaume-Uni (ou qu’elle avait, du moins, donné son assentiment à sa séparation). Toutefois, la majorité des Etats rejette cette allégation et maintient que la séparation n’a pas reçu le libre et authentique consentement des habitants de Maurice. Par conséquent, il revient à la Cour d’examiner avec précaution les faits qui ont mené à la séparation de l’archipel des Chagos afin de déterminer si le libre et authentique consentement des Mauriciens a été, ou non, obtenu avant la séparation. J’estime que la Cour a négligé certains faits qui, selon moi, sont cruciaux pour décider en la matière. Au paragraphe 172 de l’avis consultatif, la Cour observe que, «lorsque le Conseil des ministres a accepté en principe le détachement de l’archipel des Chagos du territoire de Maurice, celle-ci était, en tant que colonie, sous l’autorité du Royaume-Uni». Citant un rapport du Comité spécial des 24 qui fait remarquer que «la Constitution actuelle de l’île Maurice … ne permet pas aux représentants de la population d’exercer des pouvoirs législatifs ou exécutifs réels et [cette] autorité est presque entièrement concentrée entre les mains du Gouvernement du Royaume-Uni et de ses représentants», la Cour conclut qu’«il n’est pas possible de parler d’un accord international lorsque l’une des parties, à savoir Maurice, … était sous l’autorité de celui-ci». J’estime que la
16 Ibid.,Ibid., p.p. 31, par., par. 55.55.
17 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis cConséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatonsultatifif, , C.I.J.C.I.J. ReRecueicueill 20042004 (I)(I), p., p. 1172, par.72, par. 88.88.
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«volonté libre et authentique du peuple» n’a pas nécessairement été méprisée du seul fait qu’à l’époque où la séparation a été négociée, Maurice était une colonie sous l’autorité exécutive et législative du Royaume-Uni, sa puissance administrante. Si c’était le cas, de nombreuses anciennes colonies pourraient prétendre que, se trouvant dans des positions fiduciaires analogues, elles n’ont pas pu obtenir complètement leur indépendance. Il y a des circonstances supplémentaires qui n’ont pas été mentionnées dans l’avis consultatif, qui, considérées dans le contexte des relations entre la puissance administrante et la colonie, invalident toute expression de la volonté libre et authentique de Maurice à la séparation de l’archipel des Chagos. Puisque l’avis omet ces circonstances, je vais les présenter ici en détail.
a) Négociations entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique
15. Dès le mois d’avril 1963, le département d’Etat des Etats-Unis a proposé au Royaume-Uni d’entamer des discussions sur «l’utilisation stratégique d’un certain nombre de petites îles sous contrôle britannique dans l’océan Indien» (qui comprenaient Diego Garcia, administrée par Maurice, et l’île d’Aldabra, administrée par les Seychelles) dans le but d’y établir des installations de communications que les deux Etats inspecteraient ensemble. Les Etats-Unis auraient pu négocier l’acquisition et l’utilisation de ces îles directement avec Maurice et les Seychelles, mais ils ont préféré leur détachement et leur placement sous administration directe du Royaume-Uni afin de garantir la «sécurité des droits fonciers», d’échapper aux «pressions locales» et de mettre les îles à l’abri des «vicissitudes économiques et politiques», tracas que la première possibilité pouvait entraîner. De son côté, le Royaume-Uni, bien que conscient de disposer de la pleine autorité constitutionnelle lui permettant de céder l’utilisation de ces îles sans le consentement de Maurice, s’inquiétait des dommages que sa réputation pourrait subir au sein de la communauté internationale à une époque où le droit à l’autodétermination s’affirmait irrémédiablement sous l’impulsion de l’Organisation des Nations Unies. Pour cette raison, il souhaitait à tout prix obtenir le consentement préalable des ministres mauriciens ou, du moins, leur assentiment à la séparation. Cependant, comme il ne souhaitait pas que les habitants de Maurice et des Seychelles apprennent le rôle que jouaient les Etats-Unis dans cette séparation, le Royaume-Uni a considéré que la meilleure façon de procéder était de les mettre devant le fait accompli et de ne les «informer qu’en temps utile et en termes généraux de la proposition de détachement des îles». Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont procédé à une inspection conjointe des îles en juillet et en août 1964 afin de déterminer quelles seraient les conséquences sur la population civile de leur acquisition à des fins militaires. Les représentants du Royaume-Uni étaient d’avis qu’il n’existait «aucun obstacle insurmontable à l’expulsion, à la réinstallation et au réemploi de la population civile des îles destinées à une utilisation militaire». Le rapport Newton montre que le Royaume-Uni savait très bien que les ministres mauriciens étaient susceptibles de rejeter la proposition s’ils prenaient connaissance des véritables implications de la séparation, à savoir la perte de débouchés commerciaux et de possibilités d’emploi. Enfin, pour éviter d’attirer trop l’attention de la communauté internationale, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont convenu d’effectuer le détachement de toutes les îles en une seule fois, plutôt que de «tenter le diable une deuxième fois».
16. En mars 1965, le bruit de la séparation imminente de l’archipel des Chagos de Maurice s’était répandu dans la communauté internationale et commençait à recueillir de nombreuses «réactions défavorables de la part des Etats d’Afrique et d’Asie, de l’Organisation des Nations Unies et de la Conférence au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays non alignés, réunie cette année-là au Caire». Cela n’a pas entamé la détermination du Royaume-Uni et des Etats-Unis, qui ont mis à exécution la séparation des îles et la construction d’une base militaire sur l’une d’entre elles, sans se soucier des conséquences juridiques ou politiques. Un autre aspect qui exigeait le plus «grand secret» était la compensation financière offerte aux Mauriciens en échange de la perte de leur territoire. Ainsi, au moment même où le Royaume-Uni négociait avec les Mauriciens, cette puissance administrante avait déjà pris les dispositions juridiques et
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administratives, en consultation avec les Etats-Unis  mais sans en informer les principaux intéressés , pour détacher les îles de l’océan Indien à des fins militaires en créant une nouvelle colonie (le Territoire britannique de l’océan Indien). Le dépôt de l’indemnisation sur un fond avait également déjà été décidé, même si le montant de celle-ci n’avait encore fait l’objet d’aucun accord.
b) Négociations entre le Royaume-Uni et les Mauriciens
17. Les négociations entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni à propos de la séparation des îles avaient eu lieu environ deux ans auparavant, mais ce n’est qu’en juillet 1965 que la question a été présentée formellement, pour la première fois, au conseil des ministres de Maurice. Celui-ci s’est montré unanimement opposé au détachement de l’archipel et a proposé d’accorder, à la place, un bail de 99 ans au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis sur les îles. Les Mauriciens se sont également inquiétés de la protection de leurs droits de pêche ainsi que de leurs droits sur la culture du sol et sur l’exploitation du sous-sol. Ils pensaient que leur peuple continuerait à vivre sur les îles une fois la base militaire installée. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que le Royaume-Uni et les Etats-Unis avaient déjà rejeté la possibilité de la présence de Mauriciens sur les îles concernées, car elle était jugée incompatible avec les fins militaires envisagées. Les Mauriciens ont même proposé de mener des négociations tripartites avec les deux grandes puissances, qui n’ont pas voulu en entendre parler. Le Royaume-Uni a fait clairement savoir qu’il trouvait «extrêmement problématique» la proposition de bail et que l’acceptation par les Mauriciens du détachement «était le seul arrangement acceptable». Cette impasse a été à l’origine de la fameuse conférence constitutionnelle, qui s’est tenue à Londres du 7 au 24 septembre 1965. Le Gouvernement britannique a organisé cette conférence de telle façon qu’«indépendance» et «acceptation du détachement» ne puissent être séparées dans l’«accord global final». A ce stade, il semble opportun de rappeler que la résolution 1514 (XV), adoptée à peine quatre ans auparavant, avait expressément prévenu que «[t]oute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies». C’est pourquoi, même si le détachement a eu lieu trois ans avant l’indépendance de Maurice, les intéressés savaient pertinemment qu’ils étaient inextricablement liés et que la séparation proposée irait à l’encontre des dispositions de la Charte et de la résolution 1514.
c) La conférence constitutionnelle de 1965
18. Une semaine avant le début de la conférence constitutionnelle, le premier ministre britannique précisa à son secrétaire aux colonies qu’il était hors de question que la «position du Royaume-Uni concernant le détachement des îles soit remise en cause» pendant la conférence. Celle-ci, qui a réuni les délégués mauriciens et les autorités coloniales britanniques, s’est tenue avec en toile de fond a) l’incertitude sur ce que le Royaume-Uni était prêt à accorder à Maurice compte tenu du désaccord sur la séparation de l’archipel des Chagos ; b) une détermination irréversible de la part du Royaume-Uni à séparer, à tout prix, l’archipel des Chagos ; c) l’opposition des ministres mauriciens au détachement ; et d) l’insistance du secrétaire aux colonies pour obtenir le consentement ou l’assentiment des ministres mauriciens au détachement afin de protéger le Royaume-Uni des critiques aux niveaux national et international. Finalement, la délégation mauricienne a cru que le Royaume-Uni, en tant que puissance administrante, possédait l’autorité législative et exécutive pour accorder ou refuser son indépendance à Maurice. La ligne de conduite du Royaume-Uni était la suivante : «s’il s’avérait impossible d’obtenir l’assentiment de Maurice, on aurait recours … au détachement forcé et au versement d’une indemnisation dans un fonds».
19. Pour tenter de sortir de cette impasse, le Colonial Office organisa, parallèlement à la conférence constitutionnelle, une sorte de conférence parallèle consacrée exclusivement à la séparation de l’archipel. A cette réunion privée ont participé le gouverneur Rennie, le premier
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Ramgoolan, trois dirigeants de partis politiques mauriciens et un important ministre mauricien indépendant. Deux autres rencontres entre Greenwood, Rennie et Ramgoolan avaient déjà eu lieu, les 13 et 20 septembre 1965, sans qu’aucun accord ne soit trouvé. Les Britanniques ont rejeté l’offre d’un bail de 99 ans et insisté sur le détachement forcé des îles compensé par une indemnisation. Finalement, un jour avant la fin de la conférence constitutionnelle, le 23 septembre 1965, une rencontre privée entre sir Ramgoolam (sans ses ministres) et le premier ministre Harold Wilson a été organisée au 10 Downing Street. L’objectif de cette réunion était clair : «faire peur [à Ramgoolam] avec un espoir, l’indépendance, et lui faire comprendre que, s’il ne se montre pas raisonnable en ce qui concerne le détachement de l’archipel des Chagos, il ne l’obtiendra pas». Lors de cette réunion, le premier Ramgoolam a cédé et accordé le détachement, «en principe», en échange de l’indépendance de son pays. Des années après l’indépendance de Maurice sans l’archipel des Chagos, sir Ramgoolam a confessé qu’il avait «accepté» le détachement parce qu’il avait le sentiment d’«avoir un noeud autour du cou». Il ne pouvait pas «dire non …, sinon le noeud se serait resserré».
d) Les engagements de Lancaster House
20. La troisième et dernière rencontre privée entre les ministres mauriciens et le secrétaire aux colonies Greenwood concernant les questions de défense a eu lieu quelques heures à peine après la rencontre du premier Ramgoolam avec le premier ministre Wilson. Une fois encore, le secrétaire Greenwood n’a pas manqué de faire pression sur les Mauriciens en leur déclarant qu’il devait informer ses collègues à 16 heures du résultat de ses discussions avec eux à propos du détachement de l’archipel et que, pour cette raison, il souhaitait vivement qu’une décision soit prise lors de la présente réunion. Greenwood n’a pas caché que le détachement forcé par décret en conseil était sans doute la seule possibilité de repli. Lors de cette rencontre, le premier Ramgoolam, qui s’est peu exprimé, a essayé une dernière fois de rejeter le détachement et de proposer un bail à la place, mais il a été rapidement remis à sa place. Un ensemble complexe de conditions pour le détachement a ensuite été dicté. Un grand nombre de ces conditions étaient inutiles puisque les Mauriciens ne seraient jamais autorisés à se rendre sur les îles une fois la base militaire construite. Il était toutefois important pour le Royaume-Uni et les Etats-Unis que le détachement paraisse avoir été accepté par une majorité, voire la totalité, des ministres mauriciens, et c’est exactement le scénario qu’ils présenteraient ensuite dans les réunions internationales.
21. Compte tenu des événements que nous venons de décrire, selon lesquels les Mauriciens auraient donné leur consentement ou assentiment au détachement, et qui ont été rendus possibles par l’inégalité des rapports entre le Royaume-Uni et Maurice, on ne peut prétendre que le peuple mauricien a exprimé sa volonté libre et authentique lors de la cession de l’archipel des Chagos au Royaume-Uni, avant d’obtenir son indépendance. Par conséquent, la séparation, en 1965, de l’archipel des Chagos de Maurice par le Royaume-Uni s’est effectuée en violation du droit des Mauriciens à l’autodétermination dans la mesure où elle prévoyait que Maurice obtiendrait l’indépendance, mais amputée d’une partie de son territoire. Ce détachement contrevient aussi bien à la résolution 1514 (XV) qu’aux dispositions de la Charte. C’est précisément dans ce contexte que l’Assemblée générale a adopté un certain nombre de résolutions supplémentaires invitant à appliquer la résolution 1514.
IV. LE PROCESSUS DE DÉCOLONISATION A-T-IL ÉTÉ VALIDEMENT MENÉ À BIEN EN 1968, LORSQUE MAURICE A OBTENU SON INDÉPENDANCE SANS L’ARCHIPEL DES CHAGOS ?
22. Comme nous l’avons déjà montré, Maurice a obtenu son indépendance trois ans après le détachement de l’archipel des Chagos, mais le Royaume-Uni avait fait en sorte que les négociations sur le détachement ne puissent être dissociées de celles concernant l’indépendance.
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Inutile de préciser que le détachement de l’archipel des Chagos de Maurice et l’expulsion des Chagossiens de leurs îles ont causé un tollé international. Bien entendu, Maurice a, la première, exprimé son mécontentement à cet égard. Elle a été suivie par l’Organisation des Nations Unies et d’importantes organisations internationales telles que l’Organisation de l’unité africaine ; l’Union africaine ; le Mouvement des pays non alignés ; le Groupe des 77 et la Chine ; le Groupe des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, et le Sommet Amérique du Sud-Afrique. Lorsque Maurice a accédé à l’indépendance, sir Ramgoolam est devenu son premier ministre, mais son gouvernement a été vivement critiqué au sujet du détachement. En réponse, sir Ramgoolam a fait part de son inébranlable volonté de travailler à la restitution de l’archipel par le Royaume-Uni en usant de tous les moyens à la disposition d’une «patiente diplomatie aussi bien bilatérale qu’internationale».
23. L’Assemblée générale des Nations Unies a réagi immédiatement en adoptant la résolution 2066 (XX) du 16 décembre 1965, qui traitait spécifiquement de Maurice et dans laquelle elle invitait le Royaume-Uni à prendre non seulement toutes les mesures qui s’imposaient pour appliquer la résolution 1514 (XV), mais l’exhortait également «à ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale»18. On peut soutenir que, jusqu’au jour de l’indépendance de Maurice, il était juridiquement possible pour le Royaume-Uni de rétrocéder l’archipel à Maurice, mais l’Organisation des Nations Unies se berçait d’illusions si elle espérait qu’il le ferait. D’autres résolutions ont ensuite été adoptées, le 20 décembre 196619 et le 19 décembre 196720, enjoignant le Royaume-Uni et d’autres puissances coloniales à appliquer la résolution 1514. Dans le cas de Maurice, ces exhortations n’ont pas été entendues. Non seulement Maurice a obtenu son indépendance sans l’archipel des Chagos, qui, à cette date, faisait déjà partie d’une nouvelle colonie britannique (le Territoire britannique de l’océan Indien ou «BIOT»), mais la totalité de la population des îles a, en outre, été expulsée et interdite de retour.
24. Pour répondre à la question IV, le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien en 1968, au moment de l’obtention de son indépendance, car une partie de son territoire (l’archipel des Chagos) restait sous domination étrangère et l’est encore aujourd’hui. Pour que la décolonisation soit menée à bien, le peuple de Maurice, y compris les Chagossiens, aurait dû pouvoir exercer leur droit à l’autodétermination sur l’ensemble de leur territoire. Ce qui m’amène à la question suivante où j’examine plus précisément les conséquences en droit international du maintien du BIOT sous l’administration du Royaume-Uni.
V. QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES EN DROIT INTERNATIONAL DU MAINTIEN DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS SOUS L’ADMINISTRATION DU ROYAUME-UNI ?
25. La Cour fait allusion au «droit à l’autodétermination [comme] étant une obligation erga omnes», mais seulement au paragraphe 180. Elle refuse toutefois de reconnaître que le droit à l’autodétermination s’est développé en norme impérative du droit international (jus cogens), à laquelle il est impossible de déroger et dont la violation a des conséquences tant pour la puissance administrante concernée que pour l’ensemble des Etats. La controverse juridique présentée à la Cour par l’Assemblée générale met directement en jeu la règle de l’intégrité territoriale dans le contexte de la décolonisation. Il incombe, par conséquent, à la Cour de déterminer correctement le contenu et la nature de cette règle si elle souhaite lui prêter au mieux assistance. En refusant de reconnaître le caractère impératif de la règle en question, la Cour ne s’est pas, selon moi,
18 Résolution 2066 (XX)Résolution 2066 (XX) de l’Assemblée généralede l’Assemblée générale, par., par. 33--4.4.
19 Résolution 2232 (XXI) de l’Assemblée générale.2232 (XXI) de l’Assemblée générale.
20 Résolution 2357 (XXII) de l’Assemblée générale.2357 (XXII) de l’Assemblée générale.
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suffisamment penchée sur les conséquences pour les Etats tiers du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni. Il s’agit d’un recul regrettable par rapport à des explications plus complètes et profondes du droit à l’autodétermination proposées par la Cour dans des avis précédents.
26. Je commencerai dans la section a) par rappeler la nature des normes impératives et les conséquences découlant de leur violation. Dans la section b), je montrerai que, dans le contexte de la décolonisation, le droit à l’autodétermination, y compris sa composante relative à l’intégrité territoriale, s’est développé en une norme impérative de droit international. Dans la section c), j’expliquerai pourquoi la violation de l’intégrité territoriale de Maurice par le Royaume-Uni pendant le processus de décolonisation équivaut à une violation grave d’une norme impérative. Finalement, dans la section d), j’examinerai les conséquences pour les Etats tiers de cette violation grave.
a) Normes impératives et conséquences découlant de la violation
27. Les normes impératives occupent une position élevée dans la hiérarchie du droit international coutumier. Aux termes de l’article 53 de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 (ci-après la «convention de Vienne»), une norme impérative «est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise». La Cour a expressément reconnu la suprématie des normes impératives dans l’ordre juridique international et a fait valoir que les interdictions portant sur le génocide et la torture constituent des normes de caractère impératif21.
28. Le caractère impératif d’une norme a des conséquences importantes, la principale étant l’impossibilité d’y déroger, comme nous l’avons vu à l’article 53 de la convention de Vienne. La même convention traite, dans ses articles 53 et 64, de la nullité des traités qui entrent en conflit avec une norme impérative, du fait, justement, de l’impossibilité de déroger à celle-ci. Aux termes de l’article 53, en effet, «[e]st nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général». L’article 64 prévoit, quant à lui, que, «[s]i une nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin.». Ces normes sont désormais intégrées au droit international coutumier. La pratique des Etats l’a maintes fois confirmé et nombre de traités ont été annulés pour cette raison22.
29. Ce n’est pas tout : la violation grave d’une norme impérative de droit international entraîne des conséquences importantes pour l’ensemble des Etats. Comme le définit l’article 41 des articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite de la Commission du droit international :
21 Voir, par exemple, par exemple, , Application de la convention pour la prévention eApplication de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide t la répression du crime de génocide ((CroatieCroatie c.c. Serbie), arrêt, C.I.J. Serbie), arrêt, C.I.J. RecueilRecueil 20152015 (I)(I), p., p. 47, par.47, par. 87 (reconnaissant le caractère impératif de l’interdiction du 87 (reconnaissant le caractère impératif de l’interdiction du génocide). génocide). Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requêteActivités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République: 2002) (République démocratique du Congo démocratique du Congo c.c. Rwanda), compétence et Rwanda), compétence et recevabilité,recevabilité, arrêtarrêt, C.I.J., C.I.J. RecueilRecueil 20062006, p., p. 3131--32, par.32, par. 64 (64 (idemidem)) ; ; Questions concernant Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique cc.. Sénégal), arrêt, C.I.Sénégal), arrêt, C.I.J.J. RecueilRecueil 20122012 (II)(II), p., p. 457, par.457, par. 99 99 (rec(reconnaissant le caractère impératif de l’interdiction de la torture). Voir onnaissant le caractère impératif de l’interdiction de la torture). Voir Conformité au droit international de la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kdéclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J.osovo, avis consultatif, C.I.J. RecueilRecueil 20102010 (II)(II), p., p. 437, par.437, par. 81 81 (suggérant que l’interdi(suggérant que l’interdiction de l’emploi de la force est une norme impérative).ction de l’emploi de la force est une norme impérative).
22 Troisième rapport sur les normes impératives du droit international général rapport sur les normes impératives du droit international général ((jus cogenjus cogenss)) présenté par présenté par DireDire Tladi, Tladi, rrapporteur spécial, Assemblée générale deapporteur spécial, Assemblée générale des Nationss Nations Unies, CUnies, Commission du droit interommission du droit internationalnational, , soixantesoixante--dixième session, doc. dixième session, doc. A/CN.4/714A/CN.4/714, p., p. 1212––14, par.14, par. 31.31.
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«a) Les Etats doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave au sens de l’article 40.
b) Aucun Etat ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave au sens de l’article 40, ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation.»
Ces normes ont également été largement intégrées dans la pratique des Etats et l’opinio juris, qui sont deux des piliers du droit international coutumier23.
b) Caractère impératif du droit à l’autodétermination
30. Le droit inaliénable à l’autodétermination trône sans conteste au faîte de l’édifice juridique international. Il apparaît au paragraphe 2 de l’article premier de la Charte comme l’un des buts et principes des Nations Unies. Ce droit est défini comme une norme impérative depuis si longtemps qu’il est impossible de l’ignorer. Des juristes éminents, dont des membres actuels et passés de la présente Cour, ont reconnu le caractère impératif du droit à l’autodétermination24. Il a également été reconnu comme tel par des cours et des tribunaux25, des rapporteurs spéciaux de l’Organisation des Nations Unies26, des membres de la CDI27 et par la CDI elle-même28. En 1964, quand la Sixième Commission de l’Assemblée générale a examiné le projet d’articles sur le droit des traités élaboré par la CDI, tous les Etats ont reconnu que le droit à l’autodétermination était une norme impérative, sauf un29. Ces instruments et cette reconnaissance prouvent, sans qu’aucun doute soit permis, que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est une règle qui revêt une importance particulière dans l’ordre juridique international.
31. Selon moi, la Cour aurait dû expressément reconnaître que, dans le contexte de la décolonisation, la règle exigeant le respect de l’intégrité territoriale d’une unité d’autodétermination est désormais une norme impérative. C’est un aspect essentiel de l’exercice du
23 Ibid.Ibid.,, p.p. 39, par.39, par. 99. Voir également99. Voir également La Cantuta La Cantuta c.c. PérouPérou, Cour interaméricaine des droits de l’ho, Cour interaméricaine des droits de l’homme, fond, mme, fond, réparations, frais, sréparations, frais, série C nérie C noo 162, jugement du 29162, jugement du 29 novembre 2006, par.novembre 2006, par. 16160.0.
24 Voir, par, par exempleexemple, , Conséquences juridiques Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (SudNamibie (Sud--Ouest africain) nonobstant la résolutionOuest africain) nonobstant la résolution 276276 (1970) du Conseil de sécurité, (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatifavis consultatif, , C.I.J.C.I.J. RecueilRecueil 19711971, , opinion individuelopinion individuelle de M.le de M. le juge Ammoun, le juge Ammoun, p.p. 8989--90, par.90, par. 1212 ; James; James Crawford, Crawford, The Creation of The Creation of States in International Law,States in International Law, 2007, p.2007, p. 101101 ; M.; M. Bedjaoui, dans J.Bedjaoui, dans J.--P.P. Cot et ACot et A.. Pellet (Pellet (dirdir.. publ.publ.), ), La Charte des Nations La Charte des Nations UniesUnies, 2, 2ee éd., 1991, éd., 1991, p.p. 10821082--10831083 ; John; John Dugard, Dugard, InternatiInternational Lawonal Law : A South African: A South African Perspective,Perspective, 1994, p.1994, p. 76.76.
25 Voir, par exemple, par exemple, , La Cantuta La Cantuta c.c. PérouPérou, , Cour interaméricaine des droits de l’hommeCour interaméricaine des droits de l’homme, fond, réparations, frais, , fond, réparations, frais, ssérie C nérie C noo 162, jugement du 29162, jugement du 29 novembre 2006, par.novembre 2006, par. 160160 ; voir affaire de la ; voir affaire de la Délimitation deDélimitation de la frontière maritime entre la la frontière maritime entre la GuinéeGuinée--Bissau et le Sénégal, Bissau et le Sénégal, NationsNations Unies, Unies, Recueil des sentences arbitralesRecueil des sentences arbitrales (1989), vol.(1989), vol. XX, pXX, partieartie II, p.II, p. 135135--136, 136, par.par. 4040--4343 ; n; note note noo 78/2016 de la 78/2016 de la mmission permanente de la République fédérale d’Allemagne en réponse au rission permanente de la République fédérale d’Allemagne en réponse au rapport de la apport de la CDI à sa soixanteCDI à sa soixante--septième session (2015) (septième session (2015) (A/70/10A/70/10), p.), p. 2.2.
26 NationsNations Unies, Unies, The Right to SelfThe Right to Self--DeterminationDetermination, étude préparée par Héctor Gros Espiell, , étude préparée par Héctor Gros Espiell, rapporteur spécial de spécial de la la ssousous--ccommission contre les mesures discriminatoires et de la protectiommission contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, doc. on des minorités, doc. E/CN.4/Sub.2/405/Rev.1E/CN.4/Sub.2/405/Rev.1 (1980), p.(1980), p. 11, par.11, par. 7171--87.87.
27 Rapport de la CRapport de la Commission du droit international ommission du droit international sur les trasur les travaux de sa quinzième session, 6vaux de sa quinzième session, 6 maimai--1212 juilletjuillet 1963, 1963, NationsNations Unies, Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, dixDocuments officiels de l’Assemblée générale, dix--huitihuitième session, supplément nème session, supplément noo 99, doc. , doc. A/5509A/5509 ((A/CN.4/163A/CN.4/163), p.), p. 198198--199, par.199, par. 33 ; Rapport de la ; Rapport de la Commission du droit internationalCommission du droit international sur les travausur les travaux de sa dixx de sa dix--huitième huitième session, 4session, 4 maimai--1919 juillet 1966, Nationsjuillet 1966, Nations Unies, Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, vingDocuments officiels de l’Assemblée générale, vingt et unième session, t et unième session, supplément nsupplément noo 99, , doc.doc. A/6309/Rev.1A/6309/Rev.1 ((A/CN.4/191A/CN.4/191), p), p.. 248, par.248, par. 3.3.
28 Rapport de la CRapport de la Commission du droit internationalommission du droit international sur les travaux de sa cinquantesur les travaux de sa cinquante--troisième session, session, 2323 avrilavril--11erer juin et juin et 22 juilletjuillet--1010 août 2001, Nationsaoût 2001, Nations Unies, Unies, DocumentsDocuments officiels de l’Assemblée générale, cinquanteofficiels de l’Assemblée générale, cinquante--sixième sixième session, supplément nsession, supplément noo 1010, doc. , doc. A/56/10A/56/10, p., p. 85, par.85, par. 5.5.
29 NationsNations Unies, Unies, The Right to SelfThe Right to Self--DeterminationDetermination, étude préparée , étude préparée par Héctor Gros EspiellHéctor Gros Espiell, r, rapporteur spécial de apporteur spécial de la la ssousous--ccommission contre les mesuommission contre les mesures discriminatoires et de la prres discriminatoires et de la protection des minorités, doc.otection des minorités, doc. E/CN.4/Sub.2/405/Rev.1E/CN.4/Sub.2/405/Rev.1 (1980), p.(1980), p. 11, par.11, par. 7171--72.72.
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droit à l’autodétermination. Toute dérogation à cette règle au cours d’un processus de décolonisation permettrait à la puissance coloniale concernée de prolonger indéfiniment sa domination, ce qui rendrait vain le principe du droit à l’autodétermination.
32. La pratique des Etats prouve que, dans le contexte de la décolonisation, c’est la totalité du territoire colonial qui constitue l’unité d’autodétermination. Cela a été, depuis l’adoption de la résolution 1514, la position systématique de l’Assemblée générale. En quelques rares occasions, la communauté internationale a fait exception à cette pratique en reconnaissant que le peuple concerné aux fins de l’autodétermination ne correspondait pas au tracé des frontières coloniales. Cependant, ces exceptions découlaient directement de la volonté libre et authentique des peuples concernés et ne constituaient en aucun cas une dérogation à leur droit inaliénable à l’autodétermination. Ainsi, dans le Cameroun sous administration britannique et au Ruanda-Urundi, les puissances coloniales ont, lors de leurs processus de décolonisation respectifs, accordé dans chaque cas aux deux unités d’autodétermination comprises dans les frontières coloniales le droit d’exprimer séparément leur volonté quant à leur futur statut politique.
33. En ce qui concerne le Ruanda-Urundi, la Commission des Nations Unies chargée de veiller à la «réconciliation des différentes factions politiques dans le territoire»30 a été «forcée de reconnaître la regrettable division du territoire» en fonction des pratiques religieuses31. La Quatrième Commission a reconnu l’existence de deux peuples distincts souhaitant accéder à l’indépendance dans deux Etats distincts32. Dans sa résolution 1746 (XVI), l’Assemblée générale a accepté la légitimité d’une décolonisation dans ces conditions et déclaré que le Ruanda-Urundi deviendrait, le 1er juillet 1962, deux Etats indépendants et souverains, le Rwanda et le Burundi. La communauté internationale a alors reconnu la légitimité du processus de décolonisation, et les deux nouveaux Etats ont été admis comme Membres des Nations Unies peu de temps après.
34. Dans le cas du Cameroun sous administration britannique, le Royaume-Uni administrait le nord du territoire comme une région du Nigéria et le sud en tant qu’unité distincte. En 1958, la mission de visite des Nations Unies dans le Cameroun sous administration britannique a fait remarquer que la partie septentrionale montrait de fortes affinités avec le peuple du Nigéria du Nord alors que la partie méridionale se sentait plus proche du peuple du Cameroun sous administration française33. Elle a, par conséquent, formulé la recommandation suivante : «les voeux des populations septentrionales et méridionales du territoire sous tutelle doivent être déterminés séparément»34. Conformément à la recommandation de la mission de visite, l’Assemblée générale, dans la résolution 1350 (XIII), a recommandé «des plébiscites séparés dans la partie septentrionale et dans la partie méridionale du Cameroun sous administration du Royaume-Uni»35. Lors du plébiscite organisé en 1959 dans la région septentrionale, qui donnait le choix entre rejoindre le Nigéria ou reporter la décision, une majorité des personnes concernées ont voté en faveur du report36. Lors du plébiscite organisé en 1961 dans la région méridionale, qui donnait le choix entre
30 Résolution 1743 de Résolution 1743 de l’Assemblée générale, par.générale, par. 3 3 a)a)..
31 Nations Unies, RNations Unies, Rapport de la Commission apport de la Commission des NationsNations Unies pour le RuandaUnies pour le Ruanda--Urundi, Urundi, doc.doc. A/5A/5126126, p., p. 91, 91, par.par. 319.319.
32 Assemblée générale, seizième session, Quatrième Commission, 1305Assemblée générale, seizième session, Quatrième Commission, 1305ee réunion, p.réunion, p. 904, par.904, par. 14.14.
33 Mission de visite des Mission de visite des Nations Unies dans les territoires sous tutelle de l’Afrique occidentale (1958). Rapport Unies dans les territoires sous tutelle de l’Afrique occidentale (1958). Rapport sur le territoire sous tutesur le territoire sous tutelle du Cameroun sous admille du Cameroun sous administration britannique, doc.nistration britannique, doc. T/1426T/1426 (1959), p.(1959), p. 16, par.16, par. 16.16.
34 Ibid.,Ibid., p.p. 79, 79, par.. 170.170.
35 Résolution 1350 (XIII) de Résolution 1350 (XIII) de l’Assemblée générale, par.générale, par. 1.1.
36 Ibid.,Ibid., par.. 2.2.
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rejoindre le Nigéria ou rejoindre le Cameroun, la majorité a choisi de faire partie du Cameroun37. Dans le second plébiscite organisé la même année dans la région septentrionale, qui donnait le même choix, la majorité a alors choisi de faire partie du Nigéria38. A nouveau, l’Assemblée générale a entériné le résultat des plébiscites comme l’expression légitime de la volonté libre et authentique des peuples concernés39.
35. Les processus de décolonisation au Ruanda-Urundi et dans le Cameroun sous administration britannique ne dérogent pas à la règle prévue pour protéger l’intégrité territoriale d’une unité d’autodétermination, ils dérogent au principe de l’uti possidetis. Dans Différend frontalier, la Cour a précisé le principe de l’uti possidetis de la façon suivante :
«[S]ous son aspect essentiel, ce principe vise, avant tout, à assurer le respect des limites territoriales au moment de l’accession à l’indépendance. Ces limites territoriales pouvaient n’être que des délimitations entre divisions administratives ou colonies, relevant toutes de la même souveraineté. Dans cette hypothèse, l’application du principe de l’uti possidetis emportait la transformation de limites administratives en frontières internationales proprement dites… En tant que principe érigeant en frontières internationales d’anciennes délimitations administratives établies pendant l’époque coloniale, l’uti possidetis est donc un principe d’ordre général nécessairement lié à la décolonisation où qu’elle se produise.»40
36. C’est pourquoi l’uti possidetis est, à juste titre, compris comme un moyen d’identifier l’unité d’autodétermination en contexte de décolonisation. C’est une doctrine qui entretient des rapports avec la composante relative à l’intégrité territoriale du droit à l’autodétermination, mais qui s’en distingue nettement. Cette composante garantit l’intégrité territoriale d’un pays ou d’une unité d’autodétermination, mais pas nécessairement l’intégrité des frontières coloniales en tant que telles. Néanmoins, la Cour n’a jamais suggéré que l’uti possidetis, à la différence du droit à l’autodétermination, pouvait constituer une norme impérative de droit international.
37. A l’inverse, la Cour a souvent fait allusion au caractère impératif de la règle protégeant l’intégrité territoriale d’une unité d’autodétermination dans les affaires où cet aspect du droit à l’autodétermination était pertinent. L’avis consultatif sur la Namibie traitait de la violation de l’intégrité territoriale de la Namibie par l’Afrique du Sud, en infraction à la résolution 2145 (XXI) de l’Assemblée générale mettant fin au mandat pour le Sud-Ouest africain. La Cour a suggéré dans cet avis que le droit à l’autodétermination possédait un caractère impératif dans ce contexte et a précisé que tous les Etats étaient tenus par l’obligation de non-reconnaissance découlant non seulement de la résolution 276 du Conseil de sécurité, mais aussi du droit international général41.
38. Dans Timor oriental, une affaire traitant également de l’intégrité territoriale et de l’autodétermination dans le contexte de la décolonisation, la Cour a contribué de façon décisive à la compréhension du droit international en faisant remarquer que le «droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’est développé à partir de la Charte et de la pratique de l’Organisation des
37 Résolution 1352 (XIV) de Résolution 1352 (XIV) de l’Assemblée générale, par.générale, par. 2.2.
38 Résolution Résolution 1473 (XIV) de 1473 (XIV) de l’Assemblée générale, par.générale, par. 3.3.
39 Résolution 1608 (XV) de Résolution 1608 (XV) de l’Assemblée générale, par.générale, par. 2.2.
40 DifférDifférend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J.end frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986Recueil 1986, p., p. 566, par., par. 23.23.
41 Conséquences juridiques pour les Conséquences juridiques pour les EtatEtats de la présens de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sudce continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud--Ouest Ouest africain) nonobstant la résolution africain) nonobstant la résolution 276 (1970)276 (1970) du Conseil de sécurité, avis condu Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J.sultatif, C.I.J. Recueil 1971Recueil 1971, p., p. 5454--55, 55, par.par. 119119--121.121.
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Nations Unies, est un droit opposable erga omnes»42. Elle a également évoqué le caractère impératif de la règle protégeant l’intégrité territoriale d’une unité d’autodétermination en décrivant l’autodétermination dans ce contexte comme «un des principes essentiels du droit international contemporain»43.
39. Dans Edification d’un mur, la Cour a reconnu que l’édification d’un mur par Israël et les colonies de peuplement israéliennes dans le territoire palestinien occupé pouvaient porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’unité d’autodétermination palestinienne en «cré[a]nt sur le terrain un «fait accompli» qui pourrait … devenir permanent»44. La Cour n’y a certes pas expressément soutenu que le droit à l’autodétermination est une norme impérative, mais elle a sous-entendu que ce droit occupait une position élevée dans la hiérarchie des normes juridiques internationales en soulignant sa «nature et [son] importance»45. Par conséquent, la Cour a conclu que la violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination entraînait les mêmes conséquences que la violation d’une norme impérative et a formulé cette conclusion en des termes remarquablement similaires à l’article 41 des articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite :
«Vu la nature et l’importance des droits et obligations en cause, la Cour est d’avis que tous les Etats sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. Ils sont également dans l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction. Il appartient par ailleurs à tous les Etats de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination.»46
40. Il faut voir dans ces affaires la confirmation que la majorité des Etats reconnaît l’impossibilité de déroger à la règle du respect de l’intégrité territoriale d’une unité d’autodétermination dans le contexte de la décolonisation. Ce principe est sous-entendu dans le troisième principe de la Charte de l’Atlantique en 1941, il est reconnu dans le communiqué final de la conférence de Bandung de 1955, déclaré partie intégrante du droit international coutumier au paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, confirmé dans les résolutions 2625 (XV) de 1960 et 1654 (XVI) de 1961, et réaffirmé dans la Charte de l’Organisation de l’Union africaine en 1963. Comme l’avis consultatif d’aujourd’hui le confirme, il est inscrit au paragraphe 2 de l’article premier ainsi qu’aux articles 55 et 73 de la Charte des Nations Unies. Actuellement, il n’existe aucun Etat à travers le monde qui n’a pas signé un instrument juridique international protégeant l’intégrité territoriale d’une unité d’autodétermination pendant le processus de décolonisation.
41. La constante opposition de la communauté internationale à tout acte portant atteinte à l’intégrité territoriale pendant le processus de décolonisation s’est manifestée très tôt dans la pratique de l’Organisation des Nations Unies. Lors de sa toute première session, l’Assemblée générale a adopté la résolution 65 (I) rejetant la proposition de l’Afrique du Sud d’annexer le
42 Timor oriental (Portugal Timor oriental (Portugal c.c. Australie), arrêt, C.I.J.Australie), arrêt, C.I.J. RecueilRecueil 19951995,, p.p. 102, par.102, par. 29.29.
43 Ibid..
44 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.C.I.J. Recueil 2004Recueil 2004 ((I)I), p., p. 184, par.184, par. 121.121.
45 Ibid.,Ibid., p. 200, par. 159.p. 200, par. 159.
46 Ibid..
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Sud-Ouest africain. En 1966, la résolution 2145 (XXI) a mis fin au mandat de l’Afrique du Sud sur le Sud-Ouest africain en déclarant qu’elle avait manqué à ses obligations dans ce cadre. La résolution 2325 (XXII) de 1966, que l’Assemblée générale a adopté en réaction au maintien de la présence sud-africaine dans le Sud-Ouest africain, nous intéresse tout particulièrement. Elle enjoignait à tous les Etats Membres de coopérer pour mettre fin à la violation flagrante de l’intégrité territoriale du Sud-Ouest africain par l’Afrique du Sud47. L’Assemblée générale a renouvelé cet appel dans la résolution 2372 (XXII) de 1968 et invoqué, en outre, l’obligation de non-reconnaissance en demandant «à tous les Etats de s’abstenir de toutes relations … qui auraient pour effet de perpétuer l’occupation illégale de la Namibie par l’Afrique du Sud». Ces obligations ont été honorées par la quasi-totalité des Etats et, finalement, le Sud-Ouest africain est devenu l’Etat indépendant de la République de Namibie.
42. De la même façon, la communauté internationale s’est fermement opposée à la tentative de la part d’un régime minoritaire et raciste d’établir, en 1965, l’Etat de la Rhodésie du Sud en infraction du droit du peuple zimbabwéen à l’autodétermination. L’Assemblée générale a adopté la résolution 2022 (XX) demandant aux Etats de ne pas reconnaître le gouvernement minoritaire48 et de coopérer afin de mettre un terme à cette situation illicite, notamment en proposant une aide morale et matérielle au peuple zimbabwéen dans sa lutte pour l’indépendance49. Ces obligations ont été honorées par la quasi-totalité des Etats et le peuple de la Rhodésie du Sud a finalement obtenu son indépendance en 1980 pour devenir la République du Zimbabwe. On voit donc que, dans les deux cas du Sud-Ouest africain et de la Rhodésie du Sud, l’Assemblée générale en a appelé aux obligations de coopération universelle et de non-reconnaissance associes à la violation d’une norme impérative en raison de l’atteinte portée à l’intégrité territoriale d’une unité d’autodétermination.
43. L’Assemblée générale s’est également souvent prévalue du caractère particulier de la règle de l’intégrité territoriale. Dans sa résolution 35/118, elle a rejeté «catégoriquement tout accord, arrangement ou mesure unilatérale adoptée par les puissances coloniales et racistes qui méconnaît, viole, dénie ou contredit le droit inaliénable à l’autodétermination et à l’indépendance des peuples sous domination coloniale». Sa qualification répétée de l’autodétermination comme un «droit inaliénable» dans une longue série de résolutions concernant l’intégrité territoriale d’une unité d’autodétermination semble indiquer que ce droit possède un caractère impératif dans ce contexte50. Si la règle protégeant l’intégrité territoriale d’une unité d’autodétermination est inaliénable, on voit mal dans quelles circonstances il serait possible d’y déroger. De surcroît, l’Organisation des Nations Unies a systématiquement défini toute tentative de la part d’une administration coloniale d’annexer un territoire pendant le processus de décolonisation comme un acte d’agression au sens donné à ce terme dans sa Charte51. La règle interdisant toute agression, ou le recours illicite à la force, a été largement reconnue comme norme impérative52. On peut donc dire que, quand l’Assemblée générale identifie l’autodétermination à la non-agression, elle sous-entend que l’autodétermination possède également un caractère impératif.
47 Résolution 2325 (XXII2325 (XXII) de l’Assemblée gén) de l’Assemblée générale, par.érale, par. 4 et 6.4 et 6.
48 Résolution 2022 (XX2022 (XX) de l’Assemblée générale, par.) de l’Assemblée générale, par. 9.9.
49 Ibid.,Ibid., par.par. 10. 10. Voir aussi aussi ibidibid.., , par.par. 6 et 96 et 9 ; résolution ; résolution 216 (1965)216 (1965) du Conseil de sécuritédu Conseil de sécurité ; résolution ; résolution 217217 (1965)(1965) du Conseil de sécurité.du Conseil de sécurité.
50 Voir, par exemple, Voir, par exemple, les les résolutions de l’Assemblée générale de l’Assemblée générale suivantessuivantes : 2073 (XX), par.: 2073 (XX), par. 33 ; 2074 (XX), par.; 2074 (XX), par. 33 ; ; 2232 (XXI), par.2232 (XXI), par. 22 ; 1817 (XVII), par.; 1817 (XVII), par. 11 ; 2145 (XXI), par.; 2145 (XXI), par. 11 ; 2325 (XXII); 2325 (XXII), préambule, préambule ; 2357 (XXII), par.; 2357 (XXII), par. 22 ; 2403 ; 2403 (XXIII), par.(XXIII), par. 11 ; 3485 (XXX), par.; 3485 (XXX), par. 11 ; ; 33/3933/39 ; ; 33/3133/31, par., par. 22 ; ; 337/287/28, par., par. 1.1.
51 Voir, par exempleVoir, par exemple, les résolutions de l’Assem, les résolutions de l’Assemblée générale 1817 (XXII), par.blée générale 1817 (XXII), par. 6 et 2074 (XX), par.6 et 2074 (XX), par. 6, et la 6, et la résolutionrésolution 2269 du Conseil de sécurité, par.69 du Conseil de sécurité, par. 3.3.
52 Voir, parVoir, par exempleexemple, , Conformité au droit international de la déclaration unilatérale dConformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au ’indépendance relative au KKosovo, avis consultatif, C.I.J.osovo, avis consultatif, C.I.J. RecueilRecueil 20102010 (II)(II), p., p. 437, par.437, par. 81.81.
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c) La violation de la règle de l’intégrité territoriale par le Royaume-Uni est grave
44. La gravité de la violation par le Royaume-Uni de la norme impérative demandant de respecter l’intégrité territoriale de Maurice pendant le processus de décolonisation ne fait aucun doute. Le Royaume-Uni a abusé de sa position de puissance administrante pour agrandir son territoire aux dépens du peuple mauricien. Ses actions équivalent à une annexion de facto, qui a privé les Mauriciens de leur droit à l’autodétermination en les empêchant d’exprimer leur volonté concernant le destin de l’archipel des Chagos. Cette conduite prend l’exact contre-pied du droit à l’intégrité territoriale. Elle foule aux pieds l’idéal de la «mission sacrée» prévue par l’article 73 de la Charte, qui consiste, en particulier, à «développer leur capacité de s’administrer elles-mêmes, [et à] tenir compte des aspirations politiques des populations»53.
d) Conséquences
45. En refusant de reconnaître le caractère impératif de la règle de l’intégrité territoriale dans le contexte de la décolonisation, la Cour n’a pas pu déterminer correctement les conséquences de la conduite internationalement illicite du Royaume-Uni. Pourtant, tout traité entrant en conflit avec le droit du peuple mauricien à l’autodétermination concernant l’archipel des Chagos est nul, avec les implications que l’on devine pour l’accord entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis. La gravité de la conduite internationalement illicite du Royaume-Uni entraîne également d’autres conséquences. Tous les Etats ont l’obligation de coopérer pour mettre un terme à l’administration illicite de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni. Plus encore, il leur est fait obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation créée par le maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni, et de ne pas lui prêter aide ou assistance pour perpétuer la situation ainsi créée.
46. Les conséquences prévues pour les violations graves de normes impératives témoignent de l’intérêt spécial que la communauté internationale accorde à leur respect. Sans le droit des peuples à l’autodétermination, c’est l’ordre juridique international tout entier qui est vidé de son sens. C’est un principe fondamental d’où procèdent de nombreux autres droits chers à la communauté internationale. Il est regrettable que, près de 60 ans après l’adoption de la résolution 1514 (XV) par l’Assemblée générale, l’odieuse domination coloniale existe encore et que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne soit pas encore universellement reconnu. La déclaration de la Cour dans l’avis consultatif sur la Namibie (1971) peut encore s’appliquer aujourd’hui au cas mauricien : «tous les Etats doivent se souvenir [que la présence illégale de l’Afrique du Sud en Namibie] porte préjudice à un peuple qui doit compter sur l’assistance de la communauté internationale»54 dans sa lutte pour l’autodétermination.
CONCLUSION
47. Pour répondre aux deux questions posées par l’Assemblée générale des Nations Unies dans la résolution 71/292, mon opinion est la suivante. Le droit des pays et des peuples non autonomes à l’autodétermination existait déjà en vertu du droit international coutumier comme norme impérative (jus cogens) en 1965 quand le Royaume-Uni, en tant que puissance administrante, a procédé au détachement de l’archipel des Chagos de Maurice. Il s’agissait d’un droit naturel dont pouvaient légitimement jouir les peuples mauriciens, y compris les Chagossiens, et qui pouvait s’exercer sur l’ensemble de Maurice, comprise comme unité territoriale non autonome indissociable. La préservation de l’intégrité territoriale de Maurice, avant l’obtention de
53 Charte des Nationsdes Nations Unies, aUnies, art.rt. 73 73 b)b)..
54 Conséquences juridiques pour les Conséquences juridiques pour les EtatEtats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Suds de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud--Ouest Ouest africain) nonoafricain) nonobstant la résolution bstant la résolution 276 (1970)276 (1970) du Conseil de sécdu Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J.urité, avis consultatif, C.I.J. RRecueilecueil 19711971, p., p. 56, par.56, par. 127.127.
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son indépendance, faisait partie intégrante de son droit à l’autodétermination. Ce droit emportait l’obligation correspondante pour le Royaume-Uni en tant que puissance administrante de s’abstenir de toute mesure pouvant démembrer le territoire de Maurice ou empêcher ses peuples, y compris les Chagossiens, d’exprimer et de mettre en oeuvre, librement et authentiquement, leur volonté politique concernant l’avenir de la totalité de leur territoire.
48. En détachant l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 et en l’intégrant à une nouvelle colonie appelée BIOT, avant de consulter la volonté libre et authentique du peuple mauricien à cet égard, le Royaume-Uni a failli à ses obligations erga omnes, non seulement envers Maurice, mais aussi envers la communauté internationale dans son entier. Il a ainsi manqué à son obligation de s’abstenir de toute mesure qui empêcherait le peuple mauricien d’exercer librement son droit à l’autodétermination sur la totalité de l’unité territoriale à laquelle il s’appliquait. En conséquence, le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien au moment de l’accession, en 1968, de ce pays à l’indépendance.
49. De ce fait, le peuple mauricien peut encore exercer son droit à l’autodétermination sur l’ensemble de son territoire (y compris l’archipel des Chagos) et le maintien sous administration britannique de l’archipel des Chagos (dans le BIOT) constitue un fait illicite en droit international, qui engage la responsabilité internationale de cet Etat. Il incombe donc au Royaume-Uni, premièrement, de s’abstenir de toute mesure qui pourrait empêcher le peuple mauricien d’exercer librement son droit à l’autodétermination sur l’ensemble de son territoire ; deuxièmement, de mettre immédiatement fin à son administration de l’archipel des Chagos et de le restituer à Maurice ; et troisièmement, d’«effacer toutes les conséquences de l’acte illicite» (notamment le déplacement forcé des Chagossiens) et de «rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte [illicite] n’avait pas été commis»55.
50. Etant donné le caractère erga omnes de l’obligation qu’emporte le droit à l’autodétermination, y compris le respect de l’intégrité territoriale d’un territoire non autonome en tant qu’unité indissociable, tous les Etats doivent coopérer pour mettre un terme à l’administration illicite de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni. Plus encore, il leur est fait obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation créée par le maintien de l’archipel des Chagos sous administration britannique, et de ne pas lui prêter aide ou assistance pour perpétuer cette situation illicite.
51. L’Organisation des Nations Unies, fidèle en cela au rôle qu’elle a toujours joué dans le processus de décolonisation, doit continuer de prêter assistance à Maurice jusqu’à ce que celle-ci obtienne la pleine réalisation de son droit à l’autodétermination pour l’ensemble de ses peuples, y compris les Chagossiens. A propos de la réinstallation des Chagossiens, je souhaite d’ailleurs dire que, maintenant que Maurice est un Etat indépendant, il est possible que certains Chagossiens désirent retourner vivre dans l’archipel, alors que d’autres peuvent préférer prendre la nationalité d’un Etat tiers comme les Seychelles, voire le Royaume-Uni. Conformément au droit à l’autodétermination, ce choix leur appartient entièrement, et ils doivent pouvoir l’exercer de façon libre et authentique.
(Signé) Julia SEBUTINDE.
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55 Usine de Chorzów, fond, arrêt nUsine de Chorzów, fond, arrêt noo 13, 1928, C.P.J.I. série13, 1928, C.P.J.I. série A, nºA, nº 1717, p., p. 47..

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