Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Brower

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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE AD HOC BROWER
[Traduction]
Mains propres  Caractère incomplet des sources présentées à l’appui de l’argument du défendeur  Opinion individuelle du juge Hudson  Restriction n’ayant pas été respectée.
Article XX du traité d’amitié  Disposition ne constituant pas une limitation de compétence car n’étant pas une clause discrétionnaire  Rien ne s’étant opposé à ce que les Parties formulent l’article XX comme une clause de ce type  Autres traités relatifs à des questions commerciales contenant des clauses discrétionnaires.
Immunité souveraine  Traité d’amitié régissant les relations économiques et les droits consulaires  Traité d’amitié accordant expressément des immunités consulaires  Expressio unius est exclusio alterius  Interprétation fondée sur l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités revenant à récrire le traité d’amitié  Termes employés dans le traité d’amitié corroborant la conclusion selon laquelle celui-ci est de nature purement commerciale  Interprétation a contrario n’étant d’aucune utilité.
Troisième exception d’incompétence ayant un caractère exclusivement préliminaire  Fonction essentielle de la banque Markazi en tant que banque centrale de l’Iran déterminant s’il s’agit ou non d’une «société» au sens du traité d’amitié  Iran n’ayant présenté aucun élément de preuve attestant que la banque Markazi aurait effectivement mené des activités commerciales  Banque Markazi n’étant pas autorisée à exercer des activités commerciales au regard de la loi monétaire et bancaire iranienne de 1972 telle qu’amendée  Ecritures et plaidoiries de l’Iran ne contenant guère d’arguments pour démontrer que la banque Markazi se livrait à des activités commerciales  Tous organes étatiques et organisations internationales jouissant de l’immunité exerçant certaines activités commerciales auxiliaires requises pour leur fonctionnement et leur entretien  Iran ayant toujours affirmé devant les tribunaux américains que la banque Markazi se livrait à des activités strictement souveraines  Iran ne pouvant «souffler en même temps le chaud et le froid»  Cour ayant disposé de tous les faits nécessaires pour déterminer si la banque Markazi est une «société» au sens du traité d’amitié.
1. Je souscris aux conclusions de la Cour concernant les première et deuxième exceptions d’incompétence ainsi que les deux exceptions d’irrecevabilité. En revanche, je n’ai pas pu voter en faveur du point du dispositif relatif à la troisième exception d’incompétence. Je commencerai par souligner certains points d’accord avec la majorité, qui n’ont cependant pas été suffisamment développés dans l’arrêt, avant d’exposer les raisons de mon désaccord partiel.
I. Mains propres
2. A l’audience, les Etats-Unis se sont référés aux termes employés par M. John Dugard, juge ad hoc à la Cour à sept reprises, en sa qualité de rapporteur spécial de la Commission du droit international (ci-après la «CDI») sur la protection diplomatique. Celui-ci estimait qu’il était
«difficile de maintenir l’argument selon lequel la théorie des mains propres ne s’applique pas aux différends portant directement sur les relations interétatiques. Les Etats ont souvent invoqué la théorie des mains propres dans des réclamations
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interétatiques et la CIJ n’a jamais déclaré que la théorie des mains propres ne s’appliquait pas aux réclamations interétatiques.»1
Les Etats-Unis ont également cité un texte du juge Schwebel, ancien président de la Cour, qui, selon eux, devait être considéré comme confirmant qu’«un certain nombre d’Etats [avaient] préservé la vitalité et l’applicabilité du principe des mains propres dans les différends interétatiques et que la Cour n’a[vait] pas rejeté ce principe»2. L’Iran, quant à lui, s’est contenté d’indiquer qu’il y avait de sérieux doutes concernant l’existence et la pertinence de la doctrine des mains propres3.
3. La Cour n’a pas formulé d’observations au sujet des textes invoqués par les Etats-Unis, mais tant M. Dugard que le juge Schwebel ont été cités de manière incomplète. Dans sa contribution à la doctrine des mains propres, le second est en effet parvenu à la conclusion suivante : «[l]a question de savoir si le principe des mains propres est effectivement un principe de droit international contemporain est une question sur laquelle les avis sont partagés»4. Il s’est également référé aux travaux de M. Dugard en tant que rapporteur spécial de la CDI et, plus particulièrement, à l’observation de ce dernier selon laquelle les éléments qui plaident en faveur de la doctrine des mains propres ne sont «pas concluants»5. M. Dugard lui-même s’était montré prudent quant à l’existence et à la pertinence de ladite doctrine dans le domaine du règlement des différends interétatiques. Bien qu’il ait soutenu que celle-ci pouvait s’appliquer aux relations interétatiques6, il s’exprimait alors dans le cadre d’une étude sur la protection diplomatique, dont le présent différend n’est pas une illustration. De surcroît, M. Dugard a conclu son rapport par les mots ensuite repris par le juge Schwebel : «les arguments en faveur de l’existence d’une jurisprudence «mains propres» ne sont pas concluants»7. Il ressort donc d’une lecture exhaustive des textes cités par le défendeur à l’appui de son argument sur l’absence de mains propres que, de fait, lesdites sources n’étayent guère cet argument.
4. Dans leurs exceptions préliminaires, les Etats-Unis se sont en outre référés à l’exposé de l’opinion individuelle du juge Hudson en l’affaire des Prises d’eau à la Meuse (Pays-Bas c. Belgique)8. Selon le défendeur, le juge Hudson considérait que la Cour pouvait appliquer les principes d’équité en tant que partie du droit international, l’un de ces principes étant «représentatif de la doctrine des mains propres»9. Dans ses observations, l’Iran a répondu que le juge Hudson «ne traitait pas du principe des mains propres mais, plus généralement, du principe de l’équité»10. A cet égard, il s’est fondé sur la sentence arbitrale rendue en 2007 en l’affaire Guyana c. Suriname, dans
1 CR 2018/28, p. 56, par. 82 (Bethlehem). Voir John Dugard, Sixième rapport sur la protection diplomatique, Nations Unies, doc. A/CN.4/546 (11 août 2004), p. 5, par. 6.
2 CR 2018/28, p. 56, par. 82 (Bethlehem). Voir Steven Schwebel, «Clean hands, Principle» in Rüdiger Wolfrum (dir.publ.), Max Planck Encyclopedia of Public International Law (Oxford University Press 2012), vol. II, p. 232-235.
3 CR 2018/31, p. 51-52, par. 35-37 (Pellet).
4 Schwebel, supra note 2, p. 233, par. 3.
5 Ibid., p. 234, par. 13.
6 Dugard, supra note 1, par. 6.
7 Ibid., par. 18. Le juge Crawford, alors rapporteur spécial de la CDI sur la responsabilité des Etats, a indiqué que «[l]a théorie dite des «mains propres» a[vait] été principalement invoquée … devant des cours et tribunaux internationaux, mais rarement appliquée». Voir Projet d’articles sur la responsabilité des Etats pour faits internationalement illicites et commentaires y relatifs, in Annuaire de la Commission du droit international (2001), vol. II, deuxième partie, p. 184, par. 9.
8 Prises d’eau à la Meuse (Pays-Bas c. Belgique), C.P.J.I. série A/B no 70, p. 77.
9 Exceptions préliminaires des Etats-Unis (EPEU), par. 6.37.
10 Observations écrites de la République islamique d’Iran sur les exceptions préliminaires des Etats-Unis (OEI), par. 8.8.
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laquelle était examinée la doctrine des mains propres à la lumière de l’opinion individuelle du juge Hudson, soutenant que «[l]e comportement du demandeur d[evait] concerner l’obligation réciproque même sur laquelle il fond[ait] sa demande»11 et, au sujet de l’argument des mains propres formulé par les Etats-Unis, que ceux-ci «n’[avaient] même pas soutenu que les accusations sur la base desquelles ils allégu[ai]ent que l’Iran aurait les mains sales constitu[ai]ent une violation continue des obligations de l’Iran au titre du traité d’amitié»12. A l’audience, les Etats-Unis n’ont pas fait mention de l’opinion individuelle du juge Hudson ; l’Iran, pour sa part, a ajouté que les vues de celui-ci se rapportaient au fond d’une affaire et non à la recevabilité d’une requête13.
5. Dans la partie pertinente de l’exposé de son opinion individuelle, le juge Hudson a écrit ce qui suit :
«Un important principe d’équité semblerait être que, quand deux parties ont assumé une obligation identique ou réciproque, une partie qui, de manière continue, n’exécute pas cette obligation, ne devrait pas être autorisée à tirer avantage d’une non-observation analogue de cette obligation par l’autre partie. Ce principe trouve son expression dans ce que l’on appelle les maximes d’équité, qui ont exercé une grande influence au cours de la période créatrice du développement du droit anglo-américain. Quelques-unes de ces maximes sont[] «L’égalité est l’équité» ; «Celui qui cherche à obtenir l’équité doit agir en équité». C’est conformément à ces maximes qu’«un tribunal d’équité refuse d’accorder remède au plaignant qui s’est mal conduit à l’égard de ce qui fait le fond du litige»…
Le principe général est de ceux qu’un tribunal international doit appliquer avec beaucoup de prudence. On ne saurait certainement estimer que, pour qu’un Etat pût se présenter devant un tribunal international afin d’obtenir l’interprétation d’un traité, il faudrait que cet Etat eût préalablement prouvé qu’il a rempli toutes les obligations assumées par lui en vertu de ce traité. Et cependant, dans un cas nettement pertinent, et en tenant compte scrupuleusement des restrictions nécessaires, un tribunal, lié par le droit international, ne devrait pas reculer devant l’application d’un principe si évidemment juste.»14
Le juge Hudson n’examinait donc pas spécifiquement la doctrine des mains propres mais, plus généralement, les principes d’équité applicables par les juridictions internationales. Il convient de relever qu’il estimait que «[l]e principe général [de l’équité] [était] de ceux qu’un tribunal international d[evait] appliquer avec beaucoup de prudence»15, tout en insistant sur le fait qu’«un tribunal, lié par le droit international, ne devrait pas reculer devant l’application d’un principe si évidemment juste»16, à condition que, ce faisant, il «t[ienne] compte scrupuleusement des restrictions nécessaires»17.
11 OEI, par. 8.19. L’Iran a cité la sentence arbitrale du 17 septembre 2007 relative à la Délimitation de la frontière maritime entre le Guyana et le Suriname (Guyana c. Suriname) ; Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXX, p. 117-118, par. 420-421.
12 OEI, par. 8.20.
13 CR 2018/31, p. 52, par. 39 (Pellet).
14 Prises d’eau à la Meuse (Pays-Bas c. Belgique), supra note 8, p. 77.
15 Ibid.
16 Ibid.
17 Ibid.
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6. Les restrictions que le juge Hudson avait à l’esprit étaient que «deux parties [aient] assumé une obligation identique ou réciproque»18, qu’«une partie …, de manière continue, n’exécute pas cette obligation»19 et que, dans le même temps, il y ait une «non-observation analogue de cette obligation par l’autre partie»20. Or, les Etats-Unis ont reconnu que cette restriction ne correspondait «pas précisément aux circonstances de la présente affaire»21, faisant porter leur argument des mains propres sur un éventail plus large de violations alléguées de règles de droit international non contenues dans le traité d’amitié.
7. Dès lors, tout en laissant de côté la question de l’existence de la doctrine des mains propres et de son éventuelle teneur, force est de constater que les Etats-Unis, en se fondant sur l’exposé de l’opinion individuelle du juge Hudson, n’ont pas satisfait à la «restriction» essentielle énoncée par celui-ci. C’est pourquoi je n’ai pas pu retenir l’exception d’irrecevabilité fondée sur les «mains propres».
II. L’article XX du traité d’amitié
8. La Cour a rejeté l’argument selon lequel l’article XX du traité d’amitié limitait la portée de sa compétence ratione materiae sans y consacrer de longs développements, se fondant sur le fait qu’elle avait déjà examiné et rejeté ce même argument dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique)22. Elle a également observé que ce même argument avait été écarté en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique)23, qui portait sur un article contenu dans le traité d’amitié, de commerce et de navigation entre le Nicaragua et les Etats-Unis dont le libellé était analogue à celui de l’article XX.
9. Je suis cependant d’avis que la Cour aurait pu parvenir à la même conclusion sans se référer à sa jurisprudence. Selon moi, à moins que l’article XX du traité d’amitié ne soit d’application discrétionnaire, il ne peut en effet que soulever une question appelant un examen au fond. Les clauses discrétionnaires limitant la portée de traités de commerce sont plus anciennes que le traité d’amitié. L’exemple type en est le paragraphe b) de l’article XXI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1947 (ci-après le «GATT»)24, aux termes duquel «[a]ucune disposition du présent accord ne sera interprétée … comme empêchant une partie contractante de prendre toutes mesures qu’elle estimera nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité». Cette disposition autorise donc tout Etat partie au GATT à décider s’il «estime» qu’une mesure est nécessaire pour la protection des «intérêts essentiels de sa sécurité»25. Elle a été par la suite incluse dans l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XIVbis de l’accord général sur le
18 Prises d’eau à la Meuse (Pays-Bas c. Belgique), supra note 8, p. 77.
19 Ibid.
20 Ibid.
21 EPEU, par. 6.37, note 248.
22 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811-812, par. 20-21.
23 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 115-116, par. 221-222 et p. 135–136, par. 271.
24 Nations Unies, Recueil des traités (RTNU), vol. 55, p. 187.
25 Demande du Gouvernement de la Tchécoslovaquie pour une décision au titre de l’article XXIII (1949), GATT/CP.3/SR.22.
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commerce des services (ci-après le «GATS»)26. Or, le libellé de l’article XXI du GATT et de l’article XIVbis du GATS est clairement différent de celui de l’article XX du traité d’amitié.
10. En 1946, soit près de dix ans avant la conclusion du traité d’amitié, les Etats-Unis avaient accepté la juridiction obligatoire de la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. La réserve dont ils avaient alors assorti leur déclaration prévoyait que la Cour n’aurait pas compétence obligatoire à l’égard des «différends relatifs à des questions relevant essentiellement de la compétence nationale des Etats-Unis d’Amérique, telle qu’elle [était] fixée par les Etats-Unis d’Amérique»27. En 1955, les Etats-Unis avaient donc parfaitement conscience de l’existence des clauses discrétionnaires — qu’ils étaient tout à fait capables de rédiger —, ce qui porte clairement à croire que, si telle avait été leur intention, les deux Etats signataires du traité d’amitié auraient fait en sorte que l’article XX soit une clause de ce type. Or, au vu de l’histoire rédactionnelle dudit instrument qui a été soumise à la Cour en la présente instance, les Etats-Unis, même de manière unilatérale, n’en ont pas manifesté l’intention dans leurs négociations avec l’Iran.
11. Des clauses similaires à l’article XX du traité d’amitié ont été incluses dans certains traités bilatéraux relatifs aux investissements. Ainsi, le traité d’investissement conclu entre l’Inde et Maurice contient une disposition qui se lit comme suit :
«Les dispositions du présent accord ne limitent d’aucune manière le droit de chaque partie contractante d’appliquer toutes interdictions ou restrictions qu’elle pourrait juger nécessaires, ou de prendre toute autre mesure visant à préserver ses intérêts essentiels en matière de sécurité, à protéger la santé publique ou à lutter contre les ravageurs et les maladies animales ou végétales.»
Se référant à la jurisprudence de la Cour, un tribunal arbitral a récemment interprété cette disposition comme n’étant pas discrétionnaire28.
12. Je relèverai toutefois que, au paragraphe 123 de son arrêt, la Cour a jugé que les allégations formulées par les Etats-Unis à l’appui de leur argument relatif aux mains propres «pourraient servir, le cas échéant, de défense au fond».
III. IMMUNITÉ SOUVERAINE
13. Je souscris au raisonnement que la Cour a exposé aux paragraphes 48 à 80 de l’arrêt. Selon moi, il est toutefois un certain nombre de raisons supplémentaires pour lesquelles les demandes de l’Iran relatives aux violations de l’immunité souveraine qu’auraient commises les Etats-Unis ne sauraient entrer dans le champ de la compétence ratione materiae de la Cour.
14. Le traité d’amitié régit deux domaines substantiels distincts des relations entre les deux Etats : les relations économiques (art. II à XI) et les droits consulaires (art. XII à XIX). Les immunités consulaires sont expressément régies par de nombreuses dispositions du traité. Ainsi, le paragraphe 1 de l’article XIII dispose que «[l]es fonctionnaires et employés consulaires jouiront des privilèges et immunités qui sont accordés aux fonctionnaires et employés de même rang ou de même statut conformément à la pratique générale internationale», les articles XIV à XVI traitant quant à eux de questions d’imposition, ainsi que des exemptions en matière d’impôts et de
26 RTNU, vol. 1869, p. 185.
27 Ibid., vol. 1, p. 10.
28 CC Devas (Mauritius) Ltd. v. India, Award of Jurisdiction and Merits, 25 juillet 2016, par. 218–219.
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l’immunité fiscale dans l’Etat d’admission. A titre d’exemple, le paragraphe 2 de l’article XIV prévoit que
«[l]es bagages, les effets et tous autres articles importés exclusivement pour l’usage personnel des fonctionnaires consulaires et des employés diplomatiques ou consulaires et des membres de leurs familles qui résident avec eux, qui sont ressortissants de l’Etat d’origine et qui ne se livrent à aucune activité lucrative dans le territoire de l’Etat d’admission, seront exempts de tous droits de douane et de tous impôts ou taxes intérieurs perçus en raison ou à l’occasion de l’importation»29.
Le paragraphe 2 de l’article XV dispose que «[l]es terrains et bâtiments situés sur le territoire de l’une ou l’autre partie contractante … et utilisés exclusivement à des fins officielles seront exempts de tous impôts». Le paragraphe 1 de l’article XVI stipule que «les fonctionnaires consulaires et les employés de consulat qui … n’exercent pas une activité privée de caractère lucratif dans les territoires de l’Etat de l’admission, seront exonérés de tous impôts ou contributions similaires». L’article XVIII précise en outre que «[l]es fonctionnaires consulaires et employés de consulat ne sont pas soumis à la juridiction locale pour les actes qu’ils ont accomplis en qualité et dans la limite de leur compétence». Il est maintes fois indiqué expressément que les immunités consulaires ne s’attachent qu’aux activités consulaires officielles.
15. L’octroi exprès de ces immunités aux fins des relations consulaires et diplomatiques tranche nettement avec l’absence totale de toute immunité expresse à quelque autre fin, y compris en ce qui concerne les relations économiques. Cet octroi explicite et exhaustif d’immunités consulaires et diplomatiques montre clairement que, si telle avait été leur intention, les deux Etats auraient fait en sorte que le traité d’amitié conférât expressément des immunités aux entités étatiques. Cette conclusion découle de l’application du principe d’interprétation bien établi expressio unius est exclusio alterius.
16. Je souscris donc à l’argument des Etats-Unis selon lequel, «[s]i les Parties avaient choisi de codifier les protections liées à l’immunité souveraine dans ce traité de commerce, elles l’auraient fait purement et simplement»30. Les références vagues et indirectes qui sont faites au droit international dans les articles du traité consacrés aux relations économiques sont insuffisantes pour pallier l’absence totale de dispositions expresses conférant des immunités aux entités étatiques.
17. L’Iran a également soutenu, conformément à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités (ci-après la «convention de Vienne»)31, que «les dispositions du traité d’amitié de 1955 d[evaient] être interprétées en tenant compte des obligations conventionnelles pertinentes, des règles du droit international coutumier et des principes généraux de droit international»32. Dans le contexte de la présente affaire, qui se caractérise par l’absence totale, dans le traité d’amitié, de règles relatives aux immunités des entités étatiques, adopter l’approche défendue par l’Iran reviendrait cependant à récrire le texte du traité lui-même. Tel n’est pas le rôle de la Cour. Bien que celle-ci n’ait pas commenté explicitement l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne, ses conclusions relatives à la deuxième
29 Il est à noter que le paragraphe 3 de l’article XIV du traité d’amitié mentionne également les «employés diplomatiques», alors que le paragraphe 1 de l’article XIV se réfère à la «mission diplomatique». Le paragraphe 3 de l’article XVI, quant à lui, mentionne les «fonctionnaires et employés diplomatiques». Ces dispositions sont une confirmation supplémentaire de ce que le traité exclut toute immunité des entités étatiques.
30 EPEU, par. 8.7.
31 RTNU, vol. 1155, p. 331.
32 Mémoire de l’Iran (MI), par. 3.14.
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exception préliminaire d’incompétence correspondent à mes vues concernant l’argument de l’Iran fondé sur une interprétation systémique.
18. Le caractère exclusivement commercial du traité d’amitié, qui est exposé aux paragraphes 53 à 80 de l’arrêt, est en outre étayé par le fait que, dans la version anglaise de cet instrument, il est fait référence aux droits des «entreprises» («enterprises») à 13 reprises (art. II, par. 1 ; IV, par. 1 ; IV, par. 4 ; XI, par. 1 ; XI, par. 3 ; XI, par. 4 ; et XX, par. 4) ; au «commerce» («trade»), au sens de commerce de biens et de services, à six reprises (art. II, par. 1, V, par. 1 ; VIII, par. 3 b) ; VIII, par. 5 ; VIII, par. 6 ; et X, par. 3) ; aux «produits» («products») à neuf reprises (art. VIII, par. 1 ; VIII, par. 6 ; IX, par. 3; et X, par. 4) ; aux «biens et services» («goods and services») (art. VII, par. 1) ; et au fait d’«investir des capitaux importants» («investing a substantial amount of capital») ou aux «investissements» («investment of capital»), à trois reprises (art. II, par. 1 ; VII, par. 3 ; et XX, par. 4). En outre, le paragraphe 1 de l’article X mentionne la «liberté de commerce et de navigation» ; le paragraphe 3 de l’article X emploie le mot «cargaison», ainsi que l’expression «mouillages et eaux … qui sont ouverts au commerce international» ; enfin, au paragraphe 4 de l’article X, il est fait référence aux «droits» et aux «formalités douanières».
19. Un autre élément permettant à la Cour de déterminer que le traité d’amitié est de nature essentiellement commerciale réside dans l’article XXII, qui dispose que cet instrument «remplace» deux accords antérieurs conclus entre l’Iran et les Etats-Unis, à savoir «a) l’accord provisoire relatif aux relations commerciales et autres conclu à Téhéran, le 14 mai 1928» et «b) l’accord provisoire relatif au statut personnel et au droit de la famille, conclu à Téhéran, le 11 juillet 1928». L’examen du premier de ces deux instruments33 révèle qu’il avait établi un «régime devant être appliqué au commerce [des Etats qui y étaient parties]», lequel conférait le statut de la nation la plus favorisée aux «marchandises», «importations», «exportations», «droits et charges pesant sur le commerce», à l’«entreposage en transit», aux «facilités accordées aux échantillons des voyageurs de commerce», «aux matières premières» et «aux tarifs»34. Tout comme le traité d’amitié qui l’a «remplac[é]»35 , l’accord commercial provisoire de 1928 avait clairement pour objet la liberté des échanges commerciaux, et n’indiquait nullement qu’il s’étendait à la protection de l’immunité souveraine des entités étatiques.
20. L’Iran s’est également fondé sur une interprétation a contrario du paragraphe 4 de l’article XI du traité d’amitié. Il a ainsi soutenu que l’exclusion expresse de toute exemption pour les entreprises «qui [sont] propriété publique ou sous contrôle public» et «exerce[nt] une activité commerciale ou industrielle de quelque nature que ce soit, y compris le transport de marchandises»36, énoncée dans ledit paragraphe, «impliqu[ait] clairement l’existence d’une obligation de respecter [l’]immunité»37 des entités étatiques exerçant des activités de puissance publique. Pour étayer son argument a contrario, l’Iran a invoqué l’arrêt rendu par la Cour en 2016 en l’affaire relative à la Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie)38. Dans cet arrêt, la Cour s’était référée à deux décisions antérieures, que l’Iran a omis de
33 Treaties and Other International Agreements of the United States of America 1776–1949, vol. 8 (Allemagne-Iran), Washington, DC, département d’Etat 1968, p. 1263–1271.
34 Ibid., p. 1264, par. 3 et p. 1266-1267, par. 3.
35 Paragraphe 1 de l’article XXII du traité d’amitié.
36 Paragraphe 4 de l’article XI du traité d’amitié.
37 OEI, par. 5.13.
38 MI, par. 5.8, note de bas de page 246 ; CR 2018/31, p. 24, par. 43 (Wordsworth). Voir Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 116, par. 35.
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mentionner39 ; l’argument a contrario de ce dernier n’est toutefois corroboré par aucune de ces trois affaires.
21. L’affaire du Vapeur Wimbledon était née du refus de l’Allemagne, le 21 mars 1921, d’autoriser le passage par le canal de Kiel du navire susmentionné, chargé de munitions et de matériel d’artillerie à destination de la base maritime polonaise à Danzig, le motif invoqué étant la neutralité de l’Allemagne dans la guerre russo-polonaise de 1920-1921. La Cour permanente de Justice internationale (ci-après la «CPJI») avait jugé que ce refus constituait une violation de l’article 380 du traité de Versailles, qui disposait que «[l]e Canal de Kiel et ses accès ser[aie]nt toujours libres et ouverts sur un pied de parfaite égalité aux navires de guerre et de commerce de toutes les nations en paix avec l’Allemagne». L’article 380, le premier de la section VI de la partie XII dudit traité, section qui n’en contenait que sept (les articles 380 à 386), était intitulé «Clauses relatives au Canal de Kiel», la CPJI ayant qualifié les articles 381 à 386 de «clauses destinées à faciliter et à réglementer l’usage de [la] liberté» de passage. Les demandeurs soutenaient que l’article 380 était tout à fait clair, ajoutant toutefois à cette assertion un second argument, à savoir que la portée qui, selon eux, était celle de ladite disposition, était renforcée par «analogie» avec les articles 381 à 386. La CPJI n’a pas hésité à conclure dès le début de son analyse que «l’article 380 [était] formel et ne prêt[ait] à aucune équivoque»40. Bien plus avant dans son arrêt, après avoir établi la distinction entre les articles 380 à 385 et d’autres sections de la partie XII du traité de Versailles traitant strictement des «voies navigables intérieures», elle a cependant déclaré ce qui suit pour étayer sa décision, rejetant ainsi l’argument supplémentaire «d’analogie» des demandeurs :
«Ce n’est pas dans un argument d’analogie avec ces dispositions qu’il convient de chercher la pensée qui a inspiré l’article 380 et les articles suivants [les articles 381-386] du Traité [de Versailles], mais bien plutôt dans un argument a contrario [par contraste implicite avec les termes employés dans d’autres sections de la partie XII de ce même instrument au sujet des «voies navigables intérieures»] qui les exclut.»41
La CPJI a donc signifié clairement qu’une interprétation a contrario cédait le pas au libellé d’un traité. Par comparaison avec l’arrêt rendu en l’affaire du Vapeur Wimbledon, dans lequel cette technique d’interprétation a été appliquée pour opposer les dispositions expresses du traité de Versailles concernant le canal de Kiel aux dispositions expresses en sens contraire qui, dans ce même instrument, régissaient les autres voies navigables, l’argument a contrario formulé par l’Iran en la présente espèce, par lequel celui-ci soutenait qu’un droit non exprimé devait être déduit d’une disposition expresse opposée, apparaît peu convaincant.
22. Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur la demande à fin d’intervention du Honduras en l’affaire relative au Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), la Cour a indiqué ce qui suit :
«S’il est autorisé par la Cour à être partie au procès, l’Etat intervenant peut lui demander de reconnaître ses droits propres dans sa décision future, laquelle sera obligatoire à son égard en ce qui concerne les aspects pour lesquels l’intervention a été admise, en application de l’article 59 du Statut. A contrario, … l’Etat autorisé à intervenir à l’instance en tant que non-partie «n’acquiert pas les droits et n’est pas
39 Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923, C.P.J.I. série A no 1, p. 23-24 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Honduras à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 432, par. 29.
40 Vapeur Wimbledon, supra note 39, p. 22.
41 Ibid., p. 23-24.
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soumis aux obligations qui s’attachent à la qualité de partie en vertu du Statut et du Règlement de la Cour ou des principes juridiques généraux de procédure».»42
Dans cet arrêt de 2011, la Cour ne s’est pas livrée à une interprétation a contrario d’une disposition conventionnelle, comme l’Iran lui demandait de le faire en la présente espèce ; elle a développé sa propre jurisprudence relative à l’article 62 du Statut43, la distinction entre Etat intervenant partie à l’instance et Etat intervenant non partie n’étant pas établie dans le Statut lui-même mais résultant de l’interprétation dudit article faite par la Cour en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras)44
23. En outre, dans l’affaire Nicaragua c. Colombie, la Cour a rejeté l’argument a contrario de la Colombie, estimant que pareille interprétation «ne pouv[ait] … être retenue que si elle se justifi[ait] à la lumière du libellé de l’ensemble des dispositions pertinentes, de leur contexte ainsi que de l’objet et du but du traité»45. Or, au paragraphe 65 du présent arrêt, la Cour a reconnu que, «conformément à l’objet et au but du traité [d’amitié], [le paragraphe 4 de l’article XI] ne s’intéress[ait] qu’aux activités économiques, et cherch[ait] à préserver une concurrence équitable entre des agents économiques qui interviennent sur le même marché», précisant en outre que le contexte de différentes dispositions du traité d’amitié46, dont le paragraphe 4 de l’article XI47, démontrait leur caractère éminemment commercial. En conséquence, retenir l’argument a contrario de l’Iran aurait été contradictoire avec le contexte du paragraphe 4 de l’article XI ainsi qu’avec l’objet et le but du traité d’amitié.
IV. La banque Markazi en tant que «société»
24. La Cour a hélas conclu que la troisième exception d’incompétence, à savoir l’argument selon lequel la banque Markazi ne peut être considérée comme une «société» au sens du paragraphe 1 de l’article III du traité d’amitié, n’avait pas un caractère exclusivement préliminaire et, partant, a reporté à la phase de l’examen au fond sa décision sur ce point. A cet égard, je souscris pleinement à l’opinion individuelle commune de MM. les juges Tomka et Crawford ; effectivement, la Cour «disposait des informations nécessaires sur la banque Markazi pour se prononcer à ce stade de l’instance»48.
25. Ainsi que cela est précisé dans l’exposé de ladite opinion, «chacune des Parties a[vait] eu l’occasion d’exposer ses arguments sur le point de savoir si [la banque Markazi] [était] une «société» au sens du traité d’amitié»49. C’est à l’Iran qu’il incombait, à ce stade préliminaire de l’instance, de produire des éléments de preuve étayant sa thèse selon laquelle la banque jouissait de l’immunité qu’il revendiquait. Or, ainsi que la Cour n’a pas manqué de le noter au paragraphe 94 de l’arrêt, «le demandeur ne s’est guère employé à démontrer que la banque Markazi exerç[ait], à côté des fonctions souveraines qu’il admet, des activités de nature commerciale». A la vérité,
42 Différend territorial et maritime, supra note 39, p. 432, par. 29.
43 Aux termes de l’article 62 du Statut, «un Etat [qui] estime qu[’] … un intérêt d’ordre juridique est pour lui en cause … peut adresser à la Cour une requête, à fin d’intervention».
44 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras), requête du Nicaragua à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 92.
45 Question de la délimitation du plateau continental, supra note 38, p. 116, par. 35.
46 Arrêt, paragraphes 59 (s’agissant de l’article IV), 71 et 93 (s’agissant de l’article III).
47 Ibid., par. 66.
48 Opinion individuelle commune de MM. les juges Tomka et Crawford, par. 2.
49 Ibid., par. 10.
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l’expression «ne s’est guère employé» est par trop indulgente, l’Iran n’ayant strictement rien fait, que ce soit d’une manière générale ou en ce qui concerne la présence de la banque Markazi aux Etats-Unis à la période critique, pour fournir le moindre élément donnant à penser que celle-ci ait exercé, où que ce soit, des activités commerciales.
26. Le texte constitutif de la banque Markazi, la loi monétaire et bancaire de 1972 telle qu’amendée (ci-après la «loi de 1972»), que l’Iran a présenté à la Cour, n’autorise nullement pareilles activités. Il y est indiqué que la banque Markazi agit exclusivement en tant que banque centrale de l’Iran, et qu’elle est à tout moment soumise au contrôle du Gouvernement iranien50. L’article 10 de la loi de 1972 dispose que la banque Markazi «aura pour tâche de formuler et d’appliquer des politiques en matière monétaire et de crédit sur la base de la politique économique générale de l’Etat» (par. a), et que ses «objectifs … sont de préserver la valeur de la devise et l’équilibre de la balance des paiements, de faciliter les transactions commerciales et de contribuer à la croissance économique du pays» (par. b). Les articles 11 à 14 de la loi de 1972 définissent les fonctions de la banque Markazi, parmi lesquelles : «[l]’émission de monnaie fiduciaire» (art. 11 a)), «[l]a surveillance des banques et des institutions de crédit» (art. 11 b)) , «[l]e contrôle des transactions sur l’or» (art. 11 d)), «[l]a comptabilité des ministères, du gouvernement et des instituts affiliés au gouvernement, sociétés gouvernementales et municipalités» (art. 12 a)), et la fixation des taux d’intérêt (art. 14 4)). Conformément à l’article 17 a) de la loi de 1972, l’assemblée générale de la banque Markazi est composée de ministres, le gouverneur de la banque étant désigné par le président de l’Iran. Aucune disposition de la loi de 1972 ne confère à la banque Markazi le pouvoir d’exercer quelque «activité commerciale».
27. De plus, au-delà du libellé de la loi de 1972 lui-même, les milliers de pages que comprennent les écritures et plaidoiries de l’Iran ne contiennent, pour persuader la Cour que la banque Markazi a exercé des activités commerciales, que les embryons d’arguments (et non d’éléments de preuve) suivants :
 dans son mémoire, l’Iran a indiqué que la banque Markazi, outre qu’elle «paye des impôts»51 sur ses «bénéfices nets»52, «p[ouvait] conclure des contrats d’achat ou de vente, être propriétaire de biens immobiliers ou les louer, et ester en justice en tant que demandeur ou défendeur»53;
 dans ses observations, l’Iran a indiqué que «l’achat et la vente de valeurs mobilières dans le cadre d’opérations d’«open market» [étaient] des activités économiques par nature, conduites par des sociétés privées aussi bien que par des banques centrales, et constitu[ai]ent des «activités professionnelles»»54, et que «[c]ertaines des activités de la banque Markazi [étaient] également conduites par des sociétés privées (par exemple, la conclusion de contrats, la possession de biens, l’achat de valeurs immobilières) et rel[evaient] du commerce»55 ;
 à l’audience, l’un des conseils de l’Iran a déclaré que la banque Markazi avait «été dotée de capitaux pour mener ses opérations, opérations qui peuvent générer des bénéfices sur lesquels il lui faut payer des impôts à l’Etat iranien», et qu’elle «p[ouvait] bien évidemment conclure
50 MI, annexe 73.
51 MI, par. 4.7.
52 Ibid.
53 Ibid.
54 OEI, par. 4.24.
55 Ibid. par. 4.34.
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tous types de contrats, acheter et vendre des biens et services, posséder des actifs et autres biens mobiliers et immobiliers, et ester en justice en tant que demandeur ou défendeur»56.
28. Sans même parler de la réalisation de bénéfices et du fait que ceux-ci soient taxés, ni l’un ni l’autre n’étant en soi contradictoire avec le statut souverain d’une banque centrale, la conclusion de contrats, l’achat et la vente de titres, le fait d’ester en justice en tant que personne morale et d’acquérir des biens immobiliers sont tous des actes couramment effectués par les banques centrales. Hormis peut-être l’achat et la vente de titres, ils le sont également par l’Organisation des Nations Unies, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (et les institutions appartenant au même groupe) et par toutes les autres organisations internationales protégées par l’immunité, y compris la présente Cour. Ces actes sont essentiels au fonctionnement et à l’entretien de toute institution. Ce ne sont donc pas des éléments indiquant qu’une banque centrale exercerait quelque «activité commerciale» que ce soit, selon l’acception de cette expression en droit des immunités souveraines, ni, a fortiori, que pareilles activités auraient été exercées «sur le territoire des Etats-Unis lorsqu’ont été prises les mesures dont l’Iran allègue qu’elles ont violé les droits dont, selon lui, la banque Markazi bénéficierait en vertu des articles III, IV et V du traité»57.
29. Le fait que la Cour ait jugé qu’il convenait de reporter sa décision sur le statut de la banque Markazi au regard du traité, et ait fixé comme critère à cet égard la question des «activités que cette dernière exerçait sur le territoire des Etats-Unis lorsqu’ont été prises les mesures dont l’Iran allègue qu’elles ont violé les droits dont, selon lui, la banque Markazi bénéficierait en vertu des articles III, IV et V du traité»58 semble avoir été la conséquence d’une certaine confusion dans les écritures et plaidoiries du demandeur. Celui-ci a ainsi soutenu que la banque Markazi exerçait des activités «clairement «professionnelles»»59, ainsi que des activités également «conduites par des sociétés privées»60 et qui «relèvent du commerce»61. Cependant, il n’a jamais expressément contesté que la banque Markazi ait exercé exclusivement des «activités souveraines». Cela donne à penser que l’Iran a dissocié l’expression «activités commerciales» du sens juridique qu’elle revêt en droit de l’immunité des Etats, et qui distingue ces activités des «activités souveraines»62, tout en employant ladite expression de manière descriptive pour affirmer que la banque exerçait exclusivement des «activités souveraines», dont certaines sont de nature «commerciale».
30. L’approche de la Cour est également déroutante en ce que, dès le premier paragraphe de son mémoire, l’Iran précise que les Etats-Unis d’Amérique «viole[nt] … l’immunité spécifique de la banque centrale d’Iran … en relation avec ses activités de banque souveraine aux Etats-Unis»63. Le demandeur a également toujours soutenu devant les tribunaux américains que, si la banque Markazi avait droit à l’immunité souveraine au titre des activités en cause en la présente espèce, c’était précisément parce que celles-ci étaient de nature souveraine64. Dans le cadre de l’affaire Peterson, la banque Markazi a clairement affirmé que ses actifs affectés devaient bénéficier de
56 CR 2018/30, p. 57-58, par. 10 (Thouvenin)
57 Arrêt, paragraphe 93.
58 Ibid.
59 OEI, par. 4.34.
60 Ibid.
61 Ibid. Voir aussi CR 2018/30, p. 70, par. 60 (Thouvenin).
62 Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 125, par. 60.
63 MI, par. 1.1.
64 EPEU, annexes 233 et 235.
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l’immunité puisqu’ils étaient «employés pour réaliser le but classique d’une banque centrale, à savoir investir ses réserves de devises»65. Toutes les demandes de l’Iran relatives à la banque Markazi ont trait à des procédures d’exécution en cours devant les tribunaux des Etats-Unis. Le demandeur fait valoir que celles-ci constituent toutes une violation de l’immunité souveraine de la banque Markazi parce qu’elles portent sur des actifs que cette dernière a utilisés ou entendait utiliser pour exercer des activités souveraines «sur le territoire des Etats-Unis lorsqu’ont été prises les mesures»66 dont il tire grief. Selon l’Iran lui-même, la banque Markazi a donc agi en tant qu’entité souveraine à toutes les époques pertinentes. Or, la Cour a interprété les arguments du demandeur comme autant d’allégations selon lesquelles la banque Markazi exercerait des activités non souveraines, alors même que les demandes de l’Iran relatives à celle-ci étaient expressément fondées sur la proposition inverse. A cet égard, elle aurait dû tenir compte de la vieille maxime judiciaire qui commande d’éconduire une partie qui «souffle en même temps le chaud et le froid»67.
31. Au paragraphe 96 de l’arrêt, la Cour renvoie à l’observation qu’elle a faite dans l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) au sujet des motifs permettant de conclure qu’une exception n’a pas un caractère exclusivement préliminaire68. En la présente espèce, le fait de trancher la question de savoir si la banque Markazi est une «société» au sens du traité d’amitié n’aurait pas, en tant que tel, porté préjudice à la requête de l’Iran au fond. Celui-ci a demandé à la Cour de juger que les Etats-Unis avaient engagé leur responsabilité internationale en violant certaines dispositions du traité d’amitié69. A ce stade, la question était de savoir si la Cour disposait ou non de tous les faits nécessaires pour se prononcer sur l’exception soulevée en ce qui concerne la nature de la banque Markazi.
32. Je suis d’avis que la Cour disposait de tous les faits nécessaires pour se prononcer sur la question, et que c’est donc à tort qu’elle a conclu que l’exception soulevée n’avait pas un caractère exclusivement préliminaire. De surcroît, je ne vois pas comment la Cour, si elle avait souhaité se prononcer sur ce point, aurait pu, au vu des éléments qui lui avaient été présentés par les Parties à ce stade préliminaire de l’instance, ne pas juger que la banque Markazi n’est pas une «société» au sens du traité. C’est pourquoi je n’ai pas été en mesure de voter en faveur du troisième point du dispositif.
(Signé) Charles N. BROWER.
___________
65 EPEU, annexe 233, p. 35-36.
66 Arrêt, paragraphe 93.
67 L’emploi de cette expression dans un contexte judiciaire semble remonter à l’arrêt de J. Buller dans l’affaire J’Anson v. Stuart, (1787), Term Reports, vol. 748, p. 1. Voir également Smith v. Baker, (1872-73) L.R. 8 C.P. 357 (J. Honyman). A la Cour, cette expression a été employée en l’affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 78, par. 98 (opinion individuelle de M. le juge Ajibola).
68 Voir Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 852, par. 51.
69 Requête de l’Iran, par. 33.

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Opinion individuelle de M. le juge <i>ad hoc</i> Brower

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