Déclaration de M. le juge Gaja

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164-20190213-JUD-01-02-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
DÉCLARATION DE M. LE JUGE GAJA
[Traduction]
Compétence de la Cour — Demandes se rapportant aux droits allégués de la banque Markazi en vertu des articles III, IV et V du traité d’amitié — Applicabilité de ces dispositions aux fins de se prononcer sur une exception préliminaire — Activités souveraines et activités d’affaires de la banque Markazi.
1. Dans leur troisième exception préliminaire d’incompétence, les Etats-Unis d’Amérique priaient la Cour de «rejete[r] comme échappant à [l]a compétence [de la Cour] toute demande se rapportant à des violations supposées des articles III, IV et V du traité [d’amitié, de commerce et de droits consulaires] reposant sur le traitement accordé à l’Etat iranien ou à la banque Markazi». A ce stade de l’instance, la tâche de la Cour n’était pas de déterminer si les dispositions susmentionnées conféraient certains droits à la banque Markazi et s’il avait été porté atteinte à ces droits. Pour se prononcer sur une exception préliminaire de ce type, la Cour devait rechercher si «les violations du traité de 1955 alléguées par l’Iran entr[ai]ent ou non dans les prévisions de ce traité» Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16). Il lui fallait établir s’il était plausible que la banque Markazi jouisse de certains droits énoncés aux articles III, IV ou V du traité et qu’il ait pu être porté atteinte à ces droits. Selon moi, il avait été satisfait à ce critère en la présente espèce, et la troisième exception d’incompétence, dans la mesure où elle concerne la banque Markazi, aurait dû être rejetée.
2. Aux termes du paragraphe 1 de l’article III du traité, «[l]e statut juridique des sociétés constituées sous le régime de lois et règlements de l’une des Hautes Parties contractantes applicables en la matière sera reconnu dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante». Il n’est pas contesté que la banque Markazi a été constituée sous le régime d’une loi iranienne, à savoir la loi monétaire et bancaire de 1972 (mémoire de l’Iran, annexe 73). L’alinéa c) de l’article 10 de ce texte dispose que «[l]a banque centrale de la République islamique d’Iran possède une personnalité morale et sera régie par les lois et règlements sur les sociétés par actions pour les aspects dont ne traite pas la présente loi». Il n’est pas non plus contesté que la personnalité juridique propre de la banque Markazi n’a pas été reconnue lorsque les actifs de cette dernière ont été saisis. Ce que les Etats-Unis d’Amérique mettaient en cause, c’est l’applicabilité des articles III, IV et V du traité à une entité (la banque Markazi) exerçant des fonctions souveraines.
3. L’exercice de fonctions souveraines par la banque Markazi n’est pas régi par le traité, sauf en ce qui concerne les restrictions de change énoncées à l’article VII. Le fait que cette banque exerce des fonctions souveraines n’exclut cependant pas qu’elle agisse également en tant que banque commerciale lorsqu’elle effectue des transactions sur un marché financier étranger. La décision d’investir dans des valeurs mobilières peut s’inscrire dans le cadre des prérogatives souveraines d’une banque centrale, mais cela ne signifie pas que la réalisation d’un investissement est effectuée en exerçant un pouvoir souverain. L’achat ou la vente de valeurs mobilières par une banque centrale ne diffère pas de ces mêmes opérations exécutées par toute banque commerciale et devrait bénéficier de la même protection au titre du traité. Il est vrai que, aux termes des alinéas c) des articles 19 et 21 de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, «[l]es biens de la banque centrale ou d’une autre autorité monétaire de l’Etat» jouissent de l’immunité à l’égard des «mesures de contrainte postérieures au jugement». Cette immunité générale ne s’explique cependant pas nécessairement par la nature des activités des banques centrales ; elle est aussi l’expression d’une politique consistant à encourager les banques centrales étrangères à investir sur le marché financier de l’Etat d’accueil.
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4. Le paragraphe 4 de l’article XI du traité dispose qu’une société, administration ou agence publique, «si elle exerce … une activité commerciale ou industrielle de quelque nature que ce soit» ne peut «bénéficier ni prétendre bénéficier …, pour elle-même ou pour ses biens, d’une exemption en matière d’impôts, de poursuites judiciaires, d’exécution des jugements ou d’obligations d’un autre ordre applicables aux entreprises qui sont propriété privée ou sous contrôle privé». Cette disposition ne saurait signifier que, lorsqu’une entité publique se livre à des activités d’affaires, elle se trouve privée de toutes les immunités auxquelles elle peut avoir droit en vertu du droit international ; elle signifie que pareille entité ne jouit d’aucune immunité en ce qui concerne ses activités d’affaires. En tout état de cause, cette disposition confirme que les sociétés, administrations et agences publiques sont couvertes par le traité d’une manière générale, et pas seulement lorsqu’elles exercent des activités d’affaires.
(Signé) Giorgio GAJA.
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