Opinion individuelle de M. le juge Abraham

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163-20180606-JUD-01-03-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE ABRAHAM
Accord avec le dispositif de l’arrêt  Désaccord avec le raisonnement suivi par la Cour
pour conclure que le différend n’entre pas dans le champ ratione materiae de l’article 4 de la
convention de Palerme  Accord avec la conclusion selon laquelle les règles du droit
international coutumier relatives aux immunités de l’Etat et de leurs agents ne sont pas
incorporées dans l’article 4 de la convention  Distinction injustifiée opérée par la Cour entre les
règles relatives aux immunités et les autres règles du droit international coutumier qui découlent
des principes de l’égalité souveraine, de la non-intervention et de l’intégrité territoriale énoncés à
l’article 4  Absence d’incorporation, par renvoi à ces principes, de quelque règle ou principe de
droit international coutumier dans la convention  Article 4 ayant pour fonction de préserver
l’application des obligations existant en vertu du droit international coutumier.
1. J’approuve, dans ses grandes lignes, le présent arrêt, et j’ai voté en faveur de tous les
points du dispositif. J’estime en effet que le différend soumis à la Cour par la Guinée équatoriale
n’entre pas dans les prévisions de l’article 35 de la convention des Nations Unies contre la
criminalité transnationale organisée (la «convention de Palerme»), parce qu’il ne concerne pas
«l’interprétation ou l’application de [ladite] Convention», et que, par suite, cette clause ne saurait
fonder la compétence de la Cour en la présente instance ; mais que, en revanche, le protocole de
signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques fournit une base de
compétence permettant à la Cour de connaître de la requête en ce qu’elle a trait au statut de
l’immeuble du 42 avenue Foch, dont il est prétendu par la Guinée équatoriale qu’il fait partie des
«locaux de [sa] mission» diplomatique à Paris et qu’il bénéficie à ce titre des protections accordées
à de tels locaux par l’article 22 de la convention en cause.
2. Il est cependant une partie du raisonnement suivi par l’arrêt que je considère comme
inutilement compliquée, non dénuée parfois d’obscurité et même, à certains égards, juridiquement
erronée. Il s’agit des raisons sur la base desquelles l’arrêt conclut que le différend à elle soumis
n’entre pas dans le champ ratione materiae de l’article 4 de la convention de Palerme et, par suite,
n’entre pas dans les prévisions de la clause compromissoire de l’article 35 de la même convention.
Je pense que la Cour aurait pu et dû suivre un raisonnement plus simple qui l’aurait conduite
à la même conclusion par une voie différente : je vais expliquer à présent laquelle.
3. Pour convaincre la Cour qu’elle était compétente sur la base de l’article 35 de la
convention de Palerme pour connaître de la partie de sa requête relative à la prétendue violation par
la France des immunités et protections dont bénéficieraient, selon elle, tant son vice-président de la
République que l’immeuble du 42 avenue Foch, la Guinée équatoriale n’a pas prétendu que la
France aurait méconnu l’une quelconque des obligations spécifiques mises à la charge des Etats
parties par la convention de Palerme, c’est-à-dire par les articles 5 à 31 de cet instrument, et qui
visent dans leur ensemble, comme le dit l’article premier, à «promouvoir la coopération afin de
prévenir et de combattre plus efficacement la criminalité transnationale organisée».
4. Elle a prétendu que la France a méconnu l’article 4 de la convention, qui est une
disposition générale figurant sous l’intitulé «Protection de la souveraineté», et dont le paragraphe 1,
celui qui a été invoqué par la demanderesse, dispose que «[l]es Etats Parties exécutent leurs
obligations au titre de la présente Convention d’une manière compatible avec les principes de
l’égalité souveraine et de l’intégrité territoriale des Etats et avec celui de la non-intervention dans
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les affaires intérieures d’autres Etats». Selon la Guinée équatoriale, en engageant des poursuites
pénales à l’encontre de son vice-président et en procédant à divers actes de perquisition et de saisie
à l’égard de l’immeuble du 42 avenue Foch et de certains objets qui s’y trouvaient, la France a
méconnu le principe de «l’égalité souveraine … des Etats», lequel englobe les règles du droit
international coutumier relatives aux immunités des Etats, de leurs biens et de leurs agents. En
conséquence, il existerait un différend relatif au respect par la défenderesse de l’article 4 de la
convention de Palerme, donc entrant dans les prévisions de la clause compromissoire de
l’article 35. La Guinée équatoriale admet, certes, que l’article 4 ne s’applique pas isolément, mais
qu’il doit être combiné à une autre disposition (ou à d’autres dispositions) de la convention,
puisqu’il vise le cas où un Etat «exécut[e] … [ses] obligations au titre de la présente Convention».
Mais selon la demanderesse, en engageant une procédure pénale à l’encontre de son vice-président
et en procédant à la saisie d’une partie de ses biens, la France agissait pour la mise en oeuvre de ses
obligations résultant de la convention, et elle était dès lors tenue de respecter les principes
mentionnés à l’article 4, ce qu’elle n’a pas fait. Bien entendu, la demanderesse admet que la
question de savoir si la France a ou non méconnu à son détriment le principe de «l’égalité
souveraine» relève de l’examen du fond, mais elle soutient que l’existence à cet égard de
prétentions opposées de la part des Parties suffit à caractériser un différend «concernant
l’interprétation ou l’application» de la convention de Palerme, donc ressortissant à la compétence
de la Cour en vertu de l’article 35 de ladite convention.
5. A mon avis, ce raisonnement est erroné. Mais il ne l’est ni pour la raison invoquée par la
France au soutien de son exception préliminaire d’incompétence, ni pour celles retenues par la
Cour dans son arrêt.
6. La défenderesse a soutenu que l’article 4 de la convention de Palerme était une «clause
générale» comparable à celle qui était en cause dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, dans
laquelle la Cour avait estimé que l’article premier du traité d’amitié entre les Etats-Unis et l’Iran
devait être regardé comme «fixant un objectif à la lumière duquel les autres dispositions du traité
d[evai]ent être interprétées et appliquées» (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique,
exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 814, par. 28), mais qui était dépourvu par
lui-même de portée normative.
Mais  et sur ce point j’approuve l’arrêt, paragraphe 92  il n’y a pas grand-chose de
commun entre une disposition telle que celle en cause dans l’affaire des Plates-formes pétrolières,
par laquelle il était proclamé, en matière d’introduction au traité, qu’«[i]l y aura paix stable et
durable et amitié sincère entre les Etats-Unis … et l’Iran», et une clause telle que l’article 4 de la
convention de Palerme. Dans ce dernier cas, il ne s’agit pas d’affirmer un but (pour ne pas dire un
idéal) à la lumière duquel toutes les dispositions qui suivent doivent se comprendre parce qu’il en
indique en quelque sorte la direction générale ; il s’agit plutôt de fixer certaines limites aux
obligations qui résultent de la convention, et qui figurent aux articles suivants, limites qui tiennent
à cette idée simple que la convention n’autorise pas les Etats parties à s’affranchir des règles que
leur impose le droit international coutumier en matière d’égalité souveraine des Etats, de respect de
l’intégrité territoriale et de non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats. En ce sens
l’article 4 de la convention de Palerme me paraît avoir une portée normative et opérationnelle (ou,
pourrait-on dire, un «effet utile») très supérieure à l’article premier du traité d’amitié en cause dans
l’affaire précédente.
7. Pour autant je ne suis pas convaincu, je l’ai dit, par le raisonnement de la
Guinée équatoriale. J’aurais toutefois préféré que la Cour, pour le réfuter, ne se fondât pas sur les
arguments qui figurent aux paragraphes 92 à 102 de l’arrêt et qui me semblent faiblement
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convaincants. Ma conclusion est aussi que «les règles du droit international coutumier relatives aux
immunités des Etats et de leurs agents ne sont pas incorporées dans l’article 4» (par. 102), mais
pour des raisons différentes de celles que donne l’arrêt.
8. La question clef est celle de savoir si et dans quelle mesure l’article 4, en mentionnant
«les principes de l’égalité souveraine et de l’intégrité territoriale des Etats et … celui de la
non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats», a pour effet d’incorporer ces principes
(ainsi, nécessairement, que les règles du droit international coutumier qui en découlent et en sont
inséparables) dans la convention elle-même ; c’est-à-dire, en d’autres termes, de transformer des
obligations coutumières en obligations conventionnelles, par le renvoi qu’opère le traité vers la
coutume.
9. L’arrêt paraît répondre à cette question, en règle générale, par l’affirmative, bien qu’il ne
soit pas dépourvu sur ce point d’une certaine dose d’ambiguïté.
C’est en tout cas dans le sens d’une telle réponse affirmative qu’on pourrait comprendre le
paragraphe 92, qui affirme que l’article 4 «impose une obligation aux Etats parties», en ce que
«[s]on but est de garantir que les Etats … s’acquittent de leurs obligations conformément aux
principes» mentionnés (les italiques sont de moi).
10. Ensuite, le raisonnement de la Cour paraît amorcer un changement d’orientation,
lorsqu’elle relève que l’article 4 «se contente de renvoyer à des principes généraux» plutôt qu’à des
règles spécifiques de droit international coutumier, pour en déduire que «[l]u dans son sens
ordinaire, le paragraphe 1 de l’article 4 n’impose pas aux Etats parties, par sa référence à l’égalité
souveraine, l’obligation de se comporter d’une manière compatible avec les nombreuses règles de
droit international qui protègent la souveraineté en général» (par. 93).
11. Dès lors, le raisonnement se concentre sur les règles du droit international coutumier
relatives aux immunités des Etats et de leurs agents.
Tout en admettant que «les règles relatives à l’immunité de l’Etat procèdent du principe de
l’égalité souveraine des Etats», comme la Cour l’a déjà dit dans une affaire antérieure, l’arrêt
conduit un raisonnement au terme duquel il est conclu que les règles en matière d’immunités ne
sont pas couvertes par la disposition de l’article 4, paragraphe 1.
Deux raisons sont données au soutien d’une telle conclusion : principalement, une
interprétation de l’article 4 qui incorporerait les immunités en tant qu’obligations conventionnelles
ne cadrerait pas avec l’objet et le but de la convention dans son ensemble, qui est de promouvoir la
coopération afin de prévenir et de combattre plus efficacement la criminalité transnationale
organisée ; subsidiairement, l’examen des travaux préparatoires de la convention de Palerme fait
apparaître que l’intention des rédacteurs de l’article 4 n’a pas été de protéger les immunités des
Etats ni d’incorporer par référence les règles relatives à de telles immunités à cette convention.
D’où la conclusion énoncée au paragraphe 102 : «les règles du droit international coutumier
relatives aux immunités des Etats et de leurs agents ne sont pas incorporées dans l’article 4».
12. L’impression que l’on peut retirer de la lecture des paragraphes 92 à 102 de l’arrêt est
que, de l’avis de la Cour, il se pourrait bien que certaines règles de droit international coutumier
soient «incorporées par référence» à la convention, par l’effet de la mention, figurant à l’article 4,
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paragraphe 1, des principes de l’égalité souveraine, de la non-intervention et de l’intégrité
territoriale (sans qu’on sache très bien lesquelles), mais qu’en tout état de cause ce n’est pas le cas
des règles relatives aux immunités des Etats. En conséquence, un différend relatif au respect par un
Etat partie des immunités dues (prétendument) à un autre Etat partie en vertu du droit international
coutumier échappe ratione materiae au champ de l’article 35 et la Cour n’est pas compétente pour
en connaître (lors même que l’Etat défendeur aurait agi dans le cadre de l’exécution de ses
obligations résultant des articles 5 et suivants).
13. Je suis d’avis que la Cour aurait pu et dû parvenir à la même conclusion en l’espèce sans
faire aucune distinction entre les règles relatives aux immunités et les autres règles du droit
international coutumier qui découlent des trois principes mentionnés à l’article 4, paragraphe 1.
14. En effet, l’article 4 est, dans son ensemble, une clause de sauvegarde. Il ne vise pas à
créer des obligations (de nature conventionnelle) à la charge des Etats parties, ni à incorporer par
référence des règles préexistantes de droit coutumier à la convention. Il vise à rendre claire, en la
formulant expressément, une idée qui, autrement, pourrait être sujette à contestation, à savoir
qu’aucune disposition de la convention ne peut être interprétée comme autorisant (et a fortiori
comme obligeant) un Etat partie, lorsqu’il applique ladite convention, à s’affranchir des règles que
le droit international coutumier impose à l’ensemble des Etats (qu’ils soient ou non parties à cette
convention) en matière d’égalité souveraine, de respect de l’intégrité territoriale et de
non-ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats.
15. Ainsi entendu, l’article 4 a un effet utile indiscutable; mais ce n’est pas celui que lui prête
la Guinée équatoriale. L’article 4, à mes yeux, n’incorpore à la convention aucune règle ni aucun
principe de droit international coutumier, pas plus les règles relatives aux immunités que les autres.
Il indique seulement  mais cela peut être d’une grande importance dans certaines situations 
que rien dans la convention ne déroge aux règles du droit international coutumier qui se rapportent
à certains principes fondamentaux qu’il énonce, ou encore, en d’autres termes, que la convention
n’affecte pas l’application de ces règles, n’y porte pas atteinte (même dans les relations juridiques
entre Etats parties).
16. Il en résulte que, si un Etat, en mettant en oeuvre telle ou telle obligation résultant de la
convention, méconnaissait, par exemple, une règle de droit coutumier découlant du principe de la
non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats, il ne pourrait pas justifier légalement
cette méconnaissance en arguant du fait qu’il exécute une obligation que lui impose la convention :
l’article 4, paragraphe 1, ferait obstacle à une telle justification. Dans l’hypothèse imaginée, l’Etat
serait en infraction avec ses obligations juridiques internationales. Mais ce serait parce qu’il aurait
violé le droit international général, non parce qu’il aurait violé la convention — c’est-à-dire son
article 4. L’article 4 par lui-même n’est pas la source d’une obligation; il vise à préserver des
obligations qui existent par ailleurs, et qui ne sont pas de nature conventionnelle.
17. Ce qui conduit vers une telle interprétation, c’est d’abord l’argument que l’arrêt luimême
donne au paragraphe 95, mais dont il limite curieusement la portée aux seules règles
relatives aux immunités des Etats et de leurs agents. L’interprétation de l’article 4 défendue par la
Guinée équatoriale, selon laquelle les règles coutumières découlant des principes mentionnés au
paragraphe 1 de cet article sont incorporées dans cet instrument en tant qu’obligations
conventionnelles «est sans rapport avec l’objet et le but déclarés de l’instrument en question». Ce
qui est vrai, selon l’arrêt, des règles relatives aux immunités, est vrai aussi de toutes les règles
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coutumières qui visent à protéger l’égalité souveraine, l’intégrité territoriale ou la
non-intervention : ni plus, ni moins. L’objet et le but de la convention sont clairement énoncés à
l’article premier. Il s’agit, en substance, de mieux combattre certaines formes de criminalité
transnationale particulièrement préoccupantes en rendant plus étroite la coopération entre Etats. On
comprend qu’en négociant cet instrument, les Etats aient tenu à préciser, par précaution, que les
obligations renforcées qu’ils instituaient n’allaient pas jusqu’à permettre d’écarter certains
principes fondamentaux que consacre le droit international général ; on comprendrait moins qu’ils
aient entendu incorporer ces principes en en faisant des obligations conventionnelles dans le cadre
d’un instrument dont ce n’est aucunement la raison d’être.
18. La lecture de l’article 4 dans sa totalité va, à mon avis, dans le même sens. Alors que le
paragraphe 1 est rédigé avec une tournure positive («[l]es Etats Parties exécutent leurs
obligations … d’une manière compatible avec les principes»), le paragraphe 2 est très nettement
rédigé sous la forme classique d’une clause de sauvegarde, c’est-à-dire avec une tournure négative :
«[a]ucune disposition de la … Convention n’habilite un Etat Partie à exercer sur le territoire d’un
autre Etat une compétence et des fonctions qui sont exclusivement réservées aux autorités de cet
autre Etat par son droit interne».
19. Il est clair que le paragraphe 2, tel qu’il est rédigé, n’incorpore pas à la convention la
règle prohibitive qu’il énonce. On pourrait soutenir que, par contraste, le paragraphe 1 a une portée
différente, en ce sens qu’il produit un effet d’«incorporation», puisqu’il est formulé positivement.
Mais en réalité c’est, à mon avis, l’inverse qui est vrai, à savoir que le paragraphe 1 doit être lu non
par contraste avec le paragraphe 2, mais à la lumière de celui-ci. L’idée énoncée au paragraphe 2
n’est en effet rien d’autre qu’un aspect particulier, dont l’importance a justifié qu’il soit souligné,
de l’idée plus générale énoncée au paragraphe 1. Le fait pour un Etat d’exercer sur le territoire d’un
autre Etat une compétence ou des fonctions réservées à ce dernier par son droit interne serait
contraire aux principes de l’égalité souveraine et de la non-intervention dans les affaires intérieures
d’un autre Etat. En conséquence, il serait incohérent d’attribuer au paragraphe 1 un effet
quelconque d’incorporation, tandis que le paragraphe 2 serait appliqué  comme il doit
certainement l’être  en tant que clause de sauvegarde. La totalité de l’article 4 répond à une seule
et même inspiration.
20. S’il en était besoin, l’examen des travaux préparatoires confirmerait cette interprétation.
Non pas directement les travaux préparatoires de la convention de Palerme, mais, puisque
l’article 4 de cette convention est une transposition de l’article 2, paragraphes 2 et 3, de la
convention des Nations Unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants, les travaux
préparatoires de cette dernière convention.
21. La proposition initiale, émanant notamment du Canada et du Mexique, de ce qui devait
devenir l’article 2 de la convention, comportait un paragraphe 2 aux termes duquel «rien dans la
présente Convention ne porte atteinte aux principes de l’égalité souveraine et de l’intégrité
territoriale des Etats ou de la non-intervention dans les affaires intérieures des Etats» («Nothing in
this Convention derogates from the principles of the sovereign equality and territorial integrity of
States or that of non-intervention in the domestic affairs of States»).
22. C’est le délégué des Etats-Unis à la conférence diplomatique qui a proposé, lors de la
séance du 13 décembre 1988, de modifier ce texte, regrettant sa tonalité trop négative selon lui, et
suggérant en conséquence de le réécrire en employant une tournure plus positive («[the US
delegation] had accordingly redrafted the text with the aim of giving it a more positive mode of
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expression»). C’est ainsi qu’a été présenté le paragraphe 2 dans sa formulation finalement adoptée,
qui est identique à l’article 4, paragraphe 1, de la convention de Palerme. Les délégations du
Canada et du Mexique, ainsi que d’un groupe de pays qui avaient été ensemble à l’origine du texte
initial, ont accepté la proposition américaine lors de la séance de l’après-midi du même jour, au
motif essentiel qu’ils ne voyaient pas de différence substantielle entre leur texte et la proposition
des Etats-Unis, et qu’il était préférable d’éviter une longue discussion inutile qui aurait pu mettre
en péril l’issue de la conférence (United Nations Conference for the Adoption of a Convention
against Illicit Traffic in Narcotic Drugs and Psychotropic Substances, Vienna, 25 November-
20 December 1988, Official Records Vol. I, p. 97-98, par. 2-3 ; Vol. II, p. 171, par. 5 ; p. 176,
par. 4).
23. En somme, ni la délégation américaine qui l’a proposée, ni les autres délégations qui
l’ont acceptée, n’ont vu dans la tournure «plus positive» du texte qui est devenu l’article 2,
paragraphe 2, de la convention contre le trafic illicite de stupéfiants, et ensuite l’article 4,
paragraphe 1, de la convention de Palerme, quoi que ce soit de substantiellement différent d’une
clause de sauvegarde classique, dont l’objet est d’indiquer que la convention ne déroge pas aux (ou
qu’elle est sans préjudice des) règles de droit international coutumier.
24. Si la Cour avait adopté cette interprétation de l’article 4, elle n’aurait pas eu besoin de
consacrer de longs développements (par. 104 à 117) à un autre chef de demande de la
Guinée équatoriale, selon lequel la France aurait également violé cet article, parce qu’elle aurait
méconnu tant le principe de l’égalité souveraine des Etats que celui de la non-intervention en
attribuant à ses juridictions pénales une compétence excessive, par la manière dont elle a incriminé
dans son droit interne l’infraction de blanchiment, comme l’y obligeait l’article 6, et dont elle a
défini la compétence de ses juridictions pour connaître d’une telle infraction, en exécution de
l’article 15.
25. Plutôt que de répondre que l’article 4 n’incorpore dans la convention aucun des principes
auxquels il se réfère, comme je crois qu’elle aurait dû le faire, et ne pouvant pas se fonder sur le
raisonnement qu’elle avait très spécifiquement consacré aux règles coutumières relatives aux
immunités  pour les exclure du champ de l’article 4 , la Cour s’engage ici dans une direction
différente. Elle justifie son refus d’admettre sa compétence pour connaître de ce volet de l’affaire
par le motif tiré de ce que, en incriminant le blanchiment et en délimitant la compétence de ses
juridictions pour en connaître (d’une manière trop large selon la Guinée équatoriale) la France n’a
pas agi pour l’exécution de ses obligations résultant de la convention de Palerme. A cet égard, je
me bornerai à dire respectueusement que la démonstration est laborieuse.
26. Les réserves qui précèdent ne m’empêchent évidemment pas, comme je l’ai dit en
commençant, d’adhérer pleinement à toutes les conclusions auxquelles parvient l’arrêt, tant sur
l’exception d’incompétence relative à la convention de Palerme, que la Cour retient, que sur celle
relative au protocole à la convention de Vienne, qu’elle rejette à bon droit selon moi.
(Signé) Ronny ABRAHAM.
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