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157-20170710-ORA-02-01-BI
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CR 2017/14
CR 2017/14
Lundi 10 juillet 2017 à 15 heures
Monday 10 July 2017 at 3 p.m.
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The PRESIDENT: Please be seated. L’audience est ouverte. La Cour se réunit cet après-midi pour entendre la fin du second tour de plaidoiries du Costa Rica. Je donne à présent la parole à M. Coalter Lathrop.
M. LATHROP :
LA DÉLIMITATION DANS LA MER DES CARAÏBES
A. Introduction
1. Merci, Monsieur le président. Comme je l’ai fait lors du premier tour de plaidoiries, je traiterai de la délimitation dans la mer des Caraïbes de la mer territoriale, de la ZEE et du plateau continental depuis son point de départ sur la rive droite du fleuve San Juan à son embouchure jusqu’à son point terminal à la limite des 200 milles marins du Costa Rica. Je procéderai, si je puis dire, en m’avançant de la terre ferme vers le large.
2. Tout d’abord, je relève quelques points d’accord entre les Parties :
a) elles conviennent que la construction d’une ligne d’équidistance provisoire est non seulement faisable, mais peut faire partie de la solution, et nous avons d’ailleurs entendu la semaine dernière un long exposé sur la manière dont le Nicaragua avait construit la sienne1 ;
b) elles conviennent que «l’amputation partielle de la projection d’une côte est inévitable, dans le cadre d’une délimitation entre deux Etats adjacents»2 ;
c) elles conviennent que l’amputation résultant de la concavité des côtes peut constituer une circonstance pertinente nécessitant un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire3 ; et
d) elles conviennent qu’il n’y a pas lieu d’invoquer l’argument de la disproportion4.
3. Après avoir brièvement exposé trois points préliminaires, j’aborderai les questions sur lesquelles les Parties ne s’accordent pas encore.
a) Mon premier point préliminaire est que le Nicaragua continue de confondre les espaces qui se situent dans la mer territoriale et au-delà de celle-ci. [Affichage du document figurant sous
1 CR 2017/11, p. 29-30, par. 30-31 (Reichler).
2 CR 2017/11, p. 39, par. 61 (Reichler).
3 CR 2017/11, p. 39, par. 60 (Reichler).
4 CR 2017/11, p. 12, par. 13 (Lowe).
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l’onglet n° 216] Voici la carte que M. Lowe vous a montrée lors de son exposé sur la délimitation de la mer territoriale pour expliquer pourquoi il fallait ajuster la ligne provisoire dans cette zone étroite, que l’on distingue à l’extrémité gauche de la carte5. Vous aurez pu constater cette confusion à plusieurs reprises lors du premier tour de plaidoiries du Nicaragua, et je ne doute pas qu’il en ira de même au second tour [fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet n° 216].
b) Mon deuxième point préliminaire est le suivant [affichage du document figurant sous l’onglet n° 217] : la carte qui apparaît à l’écran a été utilisée par le Costa Rica lors de son premier tour de plaidoiries dans les audiences consacrées à sa requête à fin d’intervention en l’affaire Nicaragua c. Colombie. Aux fins de cette intervention, le Costa Rica avait défini son intérêt d’ordre juridique, en termes géographiques, comme étant une zone minimum d’intérêt délimitée, au nord, par une ligne d’équidistance entièrement terrestre avec le Nicaragua, à l’est, par la limite située à 200 milles marins de sa côte, et, au sud, par sa frontière convenue avec le Panama. A présent, la ligne qui se prolonge vers l’est à partir de l’extrémité de la frontière entre le Costa Rica et le Panama correspond à la limite méridionale de la vaste aire de délimitation désignée par le Nicaragua dans cette affaire. La zone de délimitation désignée par le Costa Rica aux fins étroites de son intervention l’avait été sans préjudice de ses droits vis à vis d’Etats tiers6, et ne représentait certainement pas sa position sur la délimitation de sa frontière avec le Panama, comme l’a laissé entendre M. Reichler vendredi7 [fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet n° 217].
c) Mon troisième et dernier point préliminaire est que le Nicaragua, à deux reprises, a soulevé la question du plateau continental au-delà des 200 milles marins8. Le Costa Rica, pour sa part, ne demande pas qu’il soit procédé à une délimitation dans cette zone, car toutes les zones de plateau continental dans la mer des Caraïbes se situent à une distance inférieure ou égale à 200 milles marins de la côte d’un ou plusieurs Etats caribéens. Par conséquent, au vu de la
5 CR 2017/11, p. 17, par. 43 (Lowe).
6 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), requête du Costa Rica à fin d’intervention, par. 14.
7 CR 2017/11, p. 25-26, par. 17 (Reichler).
8 CR 2017/10, p. 25, par. 19 (Oude Elferink). Voir également Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua), CMN, par. 3.70.
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géographie confinée de la région, le Costa Rica estime qu’il n’y a pas place pour une telle revendication.
B. Délimitation de la mer territoriale dans la mer des Caraïbes
4. Monsieur le président, j’en viens à la délimitation de la mer territoriale, en commençant par son point de départ dans la mer des Caraïbes.
1. Le point de départ de la délimitation maritime
5. Ainsi que l’a relevé M. Brenes, le Costa Rica est d’avis qu’il convient de commencer la délimitation maritime au point stable le plus proche de la rive droite du fleuve San Juan à son embouchure, et que cela est faisable. Il a identifié ce point, et sa position principale demeure que la frontière maritime devrait partir de ce premier point fixe sur la terre ferme. [Affichage du document figurant sous l’onglet n° 218] En réponse à la question posée par la Cour, le Costa Rica a évoqué la possibilité qu’un premier point fixe situé en mer soit relié à l’embouchure du fleuve par un segment de ligne mobile. Si la nécessité en était établie, cela répondrait à la préoccupation de la Cour quant à l’instabilité de la côte au niveau de l’embouchure du San Juan. Qui plus est, le Nicaragua convient que la solution d’un segment de ligne mobile est «réalisable»9.
6. Le Nicaragua ne convient pas, en revanche, qu’un tel point fixe situé en mer soit compatible avec une délimitation fondée sur l’équidistance10 ; pourtant, cela ne soulève en fait absolument aucun problème, en particulier si le point fixe situé en mer est lui-même un point d’équidistance. Le point fixe en mer qu’a proposé le Costa Rica, désigné FP1, se trouvant sur la ligne d’équidistance, poursuivre le tracé de la frontière vers le large en suivant la ligne d’équidistance à partir de ce point ne présente aucune difficulté. [Fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet n° 218] [Affichage du document figurant sous l’onglet n° 219] Mais, à supposer même que le point fixe situé en mer ne soit pas un point d’équidistance  et il n’existe, en l’espèce, aucune raison pour qu’il ne le soit pas , la Cour et les autres juridictions internationales ont trouvé des solutions pour revenir à la ligne d’équidistance à partir d’un point qui n’est pas situé sur elle. On peut par exemple citer le cas des lignes de jonction en l’affaire
9 CR 2017/11, p. 19, par. 54 (Lowe).
10 CR 2017/11, p. 19, par. 56 (Lowe).
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Cameroun c. Nigéria  que vous pouvez apercevoir à gauche de l’écran  entre les points G et X11, et, en l’affaire Guyana c. Suriname, entre les points 2 et 3, toutes deux surlignées en bleu sur la carte12 [fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet n° 219].
7. Il n’y a donc rien de foncièrement mauvais dans la solution consistant à prévoir un premier point fixe en mer, pourvu que celui-ci ne crée pas une discontinuité dans la délimitation et que la frontière respecte le principe fondamental selon lequel la terre domine la mer, qui veut que la mer s’étendant au large du territoire d’un Etat lui appartienne. Le meilleur moyen d’obtenir ce résultat consiste à placer le point fixe sur la ligne d’équidistance tracée entre les côtes effectives des Parties. [Affichage du document figurant sous l’onglet n° 220] Le point fixe situé en mer que propose le Nicaragua contrevient à ce principe et, le relier au point terminal de la frontière terrestre sur la rive droite du fleuve San Juan à son embouchure aurait pour effet de priver le Costa Rica de la quasi-totalité de l’espace maritime s’étendant au large d’un segment de sa côte long de cinq kilomètres. Pareil résultat serait à la fois illogique et inéquitable. De surcroît, il ne semblerait pas «juste»13. En effet, la ligne apparaîtrait totalement incongrue, parce que dissociée du territoire côtier des Parties, qui est la source même de leurs droits sur les zones maritimes s’étendant au large de leurs côtes [fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet n° 220].
2. L’absence de circonstances spéciales pertinentes pour la délimitation de la mer territoriale
8. Monsieur le président, il n’existe pas en l’espèce de circonstances spéciales pertinentes pour la délimitation de la mer territoriale. S’agissant de l’argument des circonstances spéciales avancé par le Nicaragua à propos de la mer territoriale, il y a lieu de se demander, non seulement si les circonstances qu’il invoque sont suffisamment spéciales, mais également si elles ont la moindre pertinence pour la délimitation de la mer territoriale. A ces deux questions, le Costa Rica répond par la négative.
11 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 449, croquis n° 12.
12 Award in the Arbitration regarding the Delimitation of the Maritime Boundary between Guyana and Suriname [sentence arbitrale relative à la Délimitation de la frontière maritime entre le Guyana et le Suriname], 17 septembre 2007, Nations Unies, RSA, vol. XXX, 1re partie, carte n° 2, p. 105.
13 CR 2017/11, p. 20, par. 59 (Lowe).
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9. [Affichage du document figurant sous l’onglet n° 221] M. Lowe vous a parlé des points de base et de la côte pertinente aux fins de la délimitation de la mer territoriale, et voici la carte qu’il vous a présentée. Il vous a dit : «dans la mer des Caraïbes, pour les 12 premiers milles marins à partir de la côte, les points de base se trouvent tous sur la côte continentale, à moins de 13 kilomètres environ du point de départ»14. Le rectangle rouge englobe la portion de mer et de côte à laquelle il se référait et qui est pertinente aux fins de la délimitation dans la mer territoriale. [Fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet n° 221] [Affichage du document figurant sous l’onglet n° 222] Voici maintenant cette même zone et cette même côte sur une carte qui fournit une perspective plus appropriée sur la délimitation de la mer territoriale, puisqu’elle représente uniquement les espaces maritimes et les segments de côte pertinents aux fins de celle-ci. Les côtes situées au-delà de cette zone limitée, y compris 75 % de la concavité invoquée par le Nicaragua, n’ont pas d’effet sur la délimitation de la mer territoriale et ne sauraient donner naissance à des circonstances, spéciales ou autres, dont il conviendrait de tenir compte.
10. M. Lowe s’est demandé si
«le fait d’appliquer l’approche équidistance/circonstances spéciales d’abord à la mer territoriale, sans procéder au moindre examen des répercussions sur la zone située au-delà de la limite des 12 milles marins, puis à la ZEE, sans procéder au moindre examen des répercussions sur la zone située à l’intérieur de cette limite, ferait une quelconque différence»15.
Pour répondre à cette question, il faut examiner les différences entre une ligne d’équidistance tracée, en l’absence de circonstances spéciales, à partir des points les plus proches des côtes des Parties  et c’est la ligne revendiquée par le Costa Rica, représentée en noir  et la bissectrice de l’angle formé par la ligne de direction générale de la côte lorsqu’elle traverse la zone de concavité invoquée par le Nicaragua, dont 75 % ne sont pertinents que pour les espaces situés au-delà de la mer territoriale  et c’est la ligne revendiquée par le Nicaragua, figurée en pointillés rouges. Donc, pour répondre à la question de M. Lowe, oui, cela ferait une différence [fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet n° 222].
11. La concavité invoquée par le Nicaragua n’est pas une circonstance spéciale pertinente pour la délimitation de la mer territoriale. L’instabilité de la côte et les facteurs
14 CR 2017/11, p. 14, par. 27 (Lowe).
15 CR 2017/11, p. 13, par. 19 (Lowe).
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géomorphologiques, qui constituaient des circonstances spéciales dans l’affaire Nicaragua c. Honduras, n’en sont pas en l’espèce. Dans la présente affaire, il est tout à fait possible de construire une ligne d’équidistance et, bien entendu, les deux Parties ont procédé sur cette base pour arrêter leurs positions sur la délimitation dans la mer territoriale et au-delà. Les deux lignes d’équidistance provisoires qu’elles proposent ne sont pas identiques dans la mer territoriale, mais cette différence résulte d’un désaccord sur l’emplacement du point de départ, que la Cour ne manquera pas de résoudre par son arrêt. L’embouchure du San Juan n’est pas celle du fleuve Coco, et les circonstances qui y sont afférentes ne nécessitent pas l’emploi d’«autres méthodes» pour procéder à la délimitation de la mer territoriale16. Dans ces conditions, la ligne d’équidistance est la ligne de délimitation correcte dans la mer territoriale, et elle ne nécessite aucun ajustement.
C. Délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental dans la mer des Caraïbes
12. Il n’y a en l’espèce aucune circonstance spéciale pertinente pour la délimitation de la mer territoriale, mais il existe une circonstance pertinente qui appelle un ajustement de la ligne d’équidistance dans la ZEE et sur le plateau continental. Avant d’y venir, je traiterai toutefois la question des îles.
1. Les îles
13. Le Nicaragua a reproché au Costa Rica d’avoir construit sa ligne d’équidistance provisoire en faisant abstraction des îles du Maïs, et ce sans fournir aucune justification17. En réalité, dans son mémoire, le Costa Rica a cité l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire comme étant parmi celles sur lesquelles s’appuie sa démarche18 et, mardi dernier, j’ai énuméré une série d’affaires dans lesquelles certaines îles n’avaient pas été prises en considération lors de la première étape de la construction de la ligne d’équidistance provisoire19. C’est en suivant la jurisprudence pertinente de la Cour que le Costa Rica a déterminé que les îles du Maïs étaient
16 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 745, par. 283.
17 CR 2017/11, p. 34, par. 46 (Reichler).
18 Délimitation maritime, MCR, par. 4.23 et 4.24.
19 CR 2017/9, p. 45, par. 34 (Lathrop).
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similaires à l’île des Serpents, notamment de par leur emplacement par rapport à ses côtes continentales et à celles du Nicaragua. Il est parvenu à la conclusion que, pour transposer les termes employés par la Cour, «[c]onsidérer [les îles du Maïs] comme une partie pertinente du littoral reviendrait à greffer un élément étranger sur la côte [nicaraguayenne] ; c’est-à-dire à refaçonner ... la géographie»20.
14. En l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire, lorsqu’elle a décidé de faire abstraction de l’île des Serpents, la Cour cherchait à déterminer les formations dont les points de base «refl[étaient] la direction générale de la ligne de côtes»21. Elle a relevé que l’île des Serpents était une «formation isolée située à quelque 20 milles marins du continent»22, et qu’il n’y avait donc «lieu de retenir aucun point de base sur [cette île] aux fins d’établir une ligne d’équidistance provisoire»23. La Cour a examiné l’emplacement de l’île des Serpents par rapport à la côte continentale de l’Ukraine et à celle, adjacente, de la Roumanie, après quoi elle a déterminé qu’il ne fallait pas lui donner effet. S’agissant des îles du Maïs, le Costa Rica est parvenu à la même conclusion, pour les mêmes raisons.
15. Le Nicaragua a raison de dire que l’«emplacement est décisif» lorsqu’il s’agit d’évaluer l’effet produit par les îles24, mais ce n’est pas leur emplacement absolu qui importe. Ce qui compte, c’est leur emplacement par rapport à la côte continentale de la partie à laquelle elles appartiennent et aux formations et côtes de l’autre partie. C’est pourquoi le fait incontesté que les îles du Maïs, et je cite le Nicaragua, «ne se sont pas déplacées depuis l’arrêt rendu en l’affaire Nicaragua c. Colombie» ne permet pas de conclure que ces îles «ont droit à être traitées de la même façon dans la présente affaire que dans celle qui a opposé le Nicaragua à la Colombie»25.
16. Dans une note de bas de page détaillée de son mémoire, le Costa Rica a exposé pourquoi il en allait ainsi26. Si les îles du Maïs ne se sont pas déplacées depuis l’affaire Nicaragua
20 Voir Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 109-110, par. 149.
21 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 105, par. 127.
22 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 109-110, par. 149.
23 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 110, par. 149.
24 CR 2017/11, p. 37, par. 55 (Reichler).
25 CR 2017/11, p. 32, par. 39 (Reichler).
26 Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) ; MCR, par. 4.24, note de bas de page n° 141.
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c. Colombie, la zone à délimiter a en revanche changé et, avec elle, l’emplacement desdites îles relativement à la zone en question. Ce changement s’accompagne d’une modification de leur emplacement relatif par rapport à la côte continentale nicaraguayenne. Dans le cas de la délimitation avec la Colombie, dont la côte fait face à celle du Nicaragua, les îles du Maïs faisaient partie d’un chapelet de formations similaires bordant la côte continentale nicaraguayenne. Dans le cas de la délimitation avec le Costa Rica, dont la côte est adjacente à celle du Nicaragua, elles sont en revanche isolées au large. L’emplacement des îles par rapport à la côte de l’autre Partie a également changé, puisque nous sommes passés d’une relation frontale à une relation d’adjacence. Enfin, les formations sur lesquelles les îles du Maïs produiraient un effet ne sont plus de la même nature : il ne s’agit plus d’un archipel de formations insulaires, mais de la côte continentale costa-ricienne dans son intégralité.
17. La Cour connaît bien les effets différents que produisent les petites formations au large selon qu’elles sont adjacentes ou font face à une côte. Dans cette dernière situation, et je cite l’arrêt rendu en l’affaire Libye/Malte, «l’influence d’un seul accident est, dans des conditions normales, rapidement remplacée et compensée par l’influence d’un autre», alors que dans la première, «tout effet de déformation produit par une avancée de la côte peut fort bien se faire sentir et s’accroître sur toute la longueur de la ligne»27. Dans le cadre de la présente délimitation, le Costa Rica et le Nicaragua sont en relation d’adjacence, et les îles du Maïs, s’il leur était donné un quelconque effet, accentueraient le biais vers le sud de la ligne d’équidistance, en face de la côte costa-ricienne, renforçant l’effet d’amputation exerce par la concavité côtière. De plus, cette distorsion de la ligne persisterait du point B du Nicaragua jusqu’au point terminal de la frontière.
18. La Cour constatera que l’emplacement relatif des îles du Maïs est analogue à celui de l’île des Serpents : il s’agit de formations isolées entrant en jeu dans la délimitation des espaces maritimes de deux Etats adjacents, qui sont situées au large face à la côte continentale de celui auquel elle n’appartiennent pas, avec une orientation s’écartant de la direction générale de cette côte, et sont susceptibles, si elles étaient prises en considération, de biaiser la ligne d’équidistance provisoire. Le Costa Rica considère que les îles du Maïs ne devraient pas être prises en
27 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 51, par. 70.
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considération pour la construction de la ligne provisoire et que, quand bien même elles le seraient, il faudrait décider d’en faire abstraction au motif que leur présence ne constitue pas une circonstance pertinente et, en définitive, de ne leur reconnaître aucun effet sur la délimitation maritime entre le Costa Rica et le Nicaragua.
2. Les concavités côtières intéressant trois Etats créent une amputation inéquitable qui appelle l’ajustement de la ligne d’équidistance
19. Je passe maintenant des îles aux concavités côtières et à l’effet d’amputation qu’elles peuvent produire. Les deux Parties invoquent une amputation provoquée par une concavité, et cette situation mérite plus ample examen.
20. Au sujet de la concavité des côtes, Mme Parlett nous a ramenés aux bases de la délimitation maritime dans les affaires de la Mer du Nord. Ainsi qu’elle l’a souligné, en présence de concavités côtières intéressant trois Etats, le tracé des deux lignes d’équidistance provisoires donne lieu à une situation unique et peut créer un effet d’amputation suffisamment prononcé pour nécessiter un ajustement en faveur de l’Etat central.
21. Qu’en est-il de la concavité côtière invoquée par le Nicaragua, dont MM. Lowe et Reichler nous ont tous deux dit qu’elle créait un «effet d’amputation important»28 ?
22. [Affichage du document figurant sous l’onglet n° 223] Voici l’une des figures que Mme Parlett vous a montrées tout à l’heure. Elle représente un cas de concavité intéressant deux Etats où l’Etat B ne subit pas d’amputation inéquitable, puisqu’il n’y a pas de troisième Etat ni de seconde frontière pour en générer une. Les côtes de l’Etat B se projettent hors de la concavité, tout comme celles de l’Etat C. [Fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet n° 223] [Affichage du document figurant sous l’onglet n° 221] Voici maintenant la concavité invoquée par le Nicaragua. Comme dans la situation illustrée par le diagramme, il s’agit d’une concavité qui intéresse un seul Etat, ou tout au plus deux Etats. Un élément indispensable fait donc défaut, à savoir un troisième Etat avec lequel la délimitation impliquerait le tracé d’une seconde ligne d’équidistance qui produirait ce triangle d’amputation. En l’espèce, nous n’avons que deux Etats, entre lesquels la ligne d’équidistance crée une amputation inévitable sur les quelque 20 premiers
28 CR 2017/11, p. 14, par. 28 (Lowe) ; et CR 2017/11, p. 39, par. 59 (Reichler).
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milles marins. Cependant, au point 13 ou A — qui, soit dit en passant, porte ici le numéro 14 ; je vous prie de bien vouloir m’en excuser, c’est la carte du Nicaragua —, au point 13 ou A donc, sur la ligne rouge, au principal point d’infléchissement, l’amputation cesse d’être inévitable et équilibrée pour devenir inéquitable. C’est à partir de là qu’il y a lieu de remédier à l’effet d’amputation29.
23. Avant de passer à l’image suivante, je ferai une dernière observation. L’argument du Nicaragua ne se limite pas à prétendre que sa côte est «fortement concave» et invoque la «côte fortement convexe» qui se trouve du côté costa-ricien de la frontière terrestre30. Qu’il y ait ou non à cet endroit quelque segment fortement convexe  et il faut qu’il le soit pour satisfaire au critère cité par M. Reichler31 , la portion convexe du littoral est la répercussion de la concavité et a déjà été prise en considération lors de l’examen de cette dernière et de son effet sur la ligne. La convexité alléguée n’ajoute rien à l’effet d’amputation invoqué par le Nicaragua. En l’espèce, le problème auquel il se heurte n’est pas la convexité, mais l’absence d’un troisième Etat et de l’amputation inéquitable qu’une seconde ligne d’équidistance pourrait produire.
24. Bref, l’amputation subie par le Nicaragua est inévitable mais pas inéquitable [fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet n° 221].
25. Monsieur le président, la position géographique du Costa Rica est comparable à celle de l’Allemagne, située au fond d’une concavité de la côte de la mer du Nord ; avant de passer à la concavité intéressant trois Etats qui entraîne une amputation inéquitable en l’espèce, je traiterai donc de celle qui avait abouti à ce résultat en l’affaire de la Mer du Nord.
26. [Affichage du document figurant sous l’onglet n° 224] Voici la configuration générale de la partie pertinente de la mer du Nord, à laquelle nous avons ajouté les deux lignes d’équidistance latérales qui partent des côtes des parties, en pointillés rouges, et la ligne médiane convenue en 1966 entre le Danemark et les Pays-Bas, en trait plein rouge. Nous avons également ajouté le point T de convergence des lignes d’équidistance tracées entre ces trois Etats voisins.
29 CR 2017/9, p. 52, par. 49 (Lathrop).
30 CR 2017/11, p. 39, par. 59 (Reichler).
31 CR 2017/11, p. 39, par. 59 (Reichler) (citant Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 44, par. 56).
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27. Tel était le scénario de délimitation décrit par la Cour dans son arrêt. Vous pouvez voir sur la carte les deux lignes d’équidistance qui «se rencontrent ... à une distance relativement faible de la côte», de sorte que la «zone ... qu’elles encadrent prend ... la forme d’une sorte de triangle», ««amput[ant]» [ainsi] l’Etat riverain des zones du plateau continental situées en dehors du triangle»32. C’est cette configuration géographique qui, selon la Cour, «révèle combien inéquitable serait la simplification apparente d’une délimitation qui ne serait fondée que sur la méthode de l’équidistance en ignorant cette circonstance géographique»33. Enfin, c’est au vu de cette même configuration géographique que la Cour a considéré que, «s’il [était] vrai que les questions relatives à ces deux délimitations auraient pu se présenter et être réglées à des moments différents, cela ne modifi[ait] en rien la nature du problème qui se pos[ait] en fait à [elle]»34.
28. Comme nous le savons, la Cour a jugé que la méthode de l’équidistance ne s’imposait pas aux Parties, auxquelles elle a enjoint de délimiter leurs frontières «par voie d’accord conformément à des principes équitables et compte tenu de toutes les circonstances pertinentes»35. [Fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet n° 224] [Affichage du document figurant sous l’onglet n° 225] Les parties ont procédé de la sorte, si bien que, au début de l’année 1971, elles avaient fixé leurs frontières par voie d’accord, frontières qui s’affichent maintenant à l’écran sous forme de lignes noires continues. Les traités correspondants sont entrés en vigueur à la fin de l’année 1972, tandis que les Pays-Bas et le Danemark mettaient fin à leur accord de 196636, que l’Allemagne considérait, en tout état de cause, comme res inter alios acta depuis le départ37.
29. Les résultats de la délimitation dans la mer du Nord appellent plusieurs observations. Premièrement, les accords négociés n’ont pas suivi le principe de l’équidistance et ont ménagé des
32 Plateau continental de la mer du Nord (République Fédérale d’Allemagne/Danemark) (République Fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 17, par. 8.
33 Plateau continental de la mer du Nord (République Fédérale d’Allemagne/Danemark) (République Fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 49, par. 89 b).
34 Plateau continental de la mer du Nord (République Fédérale d’Allemagne/Danemark) (République Fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 19, par. 11.
35 Plateau continental de la mer du Nord (République Fédérale d’Allemagne/Danemark) (République Fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 53, par. 101.
36 «Denmark-Netherlands», rapport n° 9-18, in Charney et Alexander (sous la dir. de), International Maritime Boundaries, vol. III (1998), p. 2497.
37 Plateau continental de la mer du Nord (République Fédérale d’Allemagne/Danemark) (République Fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 18, par. 9.
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ajustements en faveur de l’Allemagne. Il convient notamment de relever que, du côté du Danemark, l’ajustement est parti du principal point d’infléchissement de la ligne d ’équidistance germano-danoise. Deuxièmement, les deux Etats aux côtes adjacentes à celle de l’Allemagne se sont partagé, encore qu’inégalement, les concessions nécessaires pour atténuer l’amputation subie par elle. Le Danemark a en effet cédé 30 % d’espace de plus que les Pays-Bas, par rapport à la superficie correspondant à la ligne médiane38. Enfin, troisièmement, et ce point a son importance lorsque l’on cherche à comparer directement le cas de la mer du Nord à celui de la mer des Caraïbes, il a été convenu que la limite extérieure du plateau continental de l’Allemagne serait portée au milieu de la mer du Nord, et que la ligne médiane entre elle et le Royaume-Uni serait à 175 milles marins seulement de sa côte. Porter la limite extérieure de son plateau continental au milieu de la mer du Nord a atténué l’effet d’amputation, qui aurait été total pour elle au point T, à quelque 100 milles marins de sa côte, si la délimitation avait été fondée sur l’équidistance. L’Allemagne partage aujourd’hui avec le Royaume-Uni une frontière transversale de 10 milles marins [fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet n° 225].
3. Dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes, la concavité formée par les côtes de trois Etats exerce un effet d’amputation inéquitable qui nécessite un ajustement en faveur du Costa Rica
30. [Affichage du document figurant sous l’onglet no 226] Je reviens maintenant à la question du sud-ouest de la mer des Caraïbes et de la concavité des côtes que le Costa Rica invoque en l’espèce. Le Nicaragua ne conteste pas que la concavité formée par les côtes de trois Etats adjacents peut exercer un effet d’amputation inéquitable qui nécessite un ajustement au profit de l’Etat du milieu39 ; il ne conteste pas non plus qu’en l’espèce, cette particularité géographique concerne trois Etats40. Les Parties sont en revanche en désaccord sur la question de savoir si, sans ajustement de la ligne provisoire d’équidistance tracée entre elles, cette configuration géographique entraîne un effet d’amputation au détriment du Costa Rica. Selon le Nicaragua, la réponse à cette question implique que soit pris en considération le rapport entre l’amputation invoquée par le Costa Rica et les droits que le Panama exerce sur des zones maritimes.
38 Délimitation maritime, MCR, croquis n° 4.11, p. 74.
39 CR 2017/11, p. 27, par. 21-24 (Reichler).
40 CR 2017/10, p. 15, par. 9 (Oude Elferink).
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31. Le Costa Rica considère pour sa part que, si ses frontières avec le Nicaragua et le Panama étaient établies sur la base de l’équidistance mesurée à partir des côtes continentales, son espace maritime serait fortement amputé, parce qu’au lieu de s’étendre jusqu’à la limite des 200 milles marins, il s’arrêterait à moins de 150 milles de sa côte. Au-delà, la ligne d’équidistance, construite par référence aux seules côtes continentales du Nicaragua et du Panama, se poursuivrait jusqu’au point où elle rencontrerait les intérêts d’un Etat tiers, la Colombie en l’occurrence, bien entendu. L’image qui s’affiche à l’écran illustre ce cas de figure. M. Reichler a déclaré que cette image «sembl[ait] emporter la conviction» et que «le Costa Rica y appara[issait] bel et bien amputé de son espace maritime»41. Je précise tout de même, pour que vous ne vous mépreniez pas sur ses propos, qu’il a ensuite dit que ce scénario était «une ruse, un artifice, un faux intégral»42.
32. Il convient donc d’examiner de près les arguments qu’avance le Nicaragua pour étayer des propos aussi durs. On peut les résumer ainsi :
a) premièrement, le Panama n’a aucun droit maritime au nord et à l’ouest de la frontière dont il est convenu avec la Colombie  représentée par la ligne en pointillés gris prolongeant la ligne noire qui figure la frontière entre le Panama et le Costa Rica ;
b) deuxièmement, il en résulte que le Costa Rica obtient la zone à laquelle «le Panama a renoncé»43 ;
c) troisièmement, le territoire du Costa Rica ne subit donc aucun effet d’amputation qui l’empêcherait d’étendre son espace maritime jusqu’à 200 milles marins, même si sa frontière avec le Nicaragua était délimitée sur la base d’une ligne d’équidistance donnant plein effet aux îles du Maïs.
33. Or, cette argumentation pose un problème fondamental, comme l’a signalé M. Kohen. En bref, il s’agit de l’accord de délimitation entre la Colombie et le Panama, lequel, pour les Parties à la présente affaire, est res inter alios acta. Bien entendu, on ne saurait considérer comme acquis que le Panama a renoncé aux espaces maritimes situés au nord et à l’ouest de la frontière dont il est
41 CR 2017/11, p. 23, par. 10 (Reichler).
42 CR 2017/11, p. 23, par. 11 (Reichler).
43 CR 2017/11, p. 26, par. 18 (Reichler).
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convenu avec la Colombie, comme le prétend le Nicaragua44. Il est également faux d’affirmer que le Panama «n’a pas le droit de revendiquer»45 une frontière maritime équidistante (ou toute autre frontière) dans cette zone à l’égard du Costa Rica. Du reste, — et le Nicaragua ne sera certainement pas ravi de l’entendre —, on ne saurait non plus considérer en l’espèce que le Panama «n’a pas le droit de revendiquer» une frontière maritime équidistante (ou toute autre frontière) dans cette zone à l’égard du Nicaragua.
34. Le Costa Rica a présenté à la Cour un scénario où son espace maritime serait amputé par les lignes d’équidistance convergentes établies avec ses voisins à partir des côtes continentales. Sa frontière avec le Nicaragua reste à délimiter, mais celle avec le Panama l’a déjà été partiellement. Permettez-moi donc de m’arrêter quelques instants sur cette seconde frontière. Comme je l’ai dit, il s’agit de la ligne noire partant du point terminal de la frontière terrestre située à l’embouchure du fleuve frontalier entre le Costa Rica et le Panama. Bien que, comme M. Oude Elferink l’a relevé46, le traité créant cette frontière prévoie une «ligne médiane dont tous les points sont équidistants des points les plus proches des lignes de base»47, il établit en fait une frontière rectiligne entre deux points spécifiés : le point terminal de la frontière terrestre et un point situé à 100 milles marins au large48. Il s’agit donc d’une ligne d’équidistance simplifiée qui ne tient pas compte de certaines formations, notamment l’île panaméenne de Colon, qui aurait eu pour effet de repousser la frontière plus à l’ouest vers le Costa Rica. Comme on peut le voir sur la carte, la frontière convenue, en noir, est plus avantageuse pour le Costa Rica que ne le serait la ligne d’équidistance fondée sur les seules côtes continentales, représentée en pointillés rouges.
35. La véritable question que soulève l’intervention de M. Reichler est la suivante : à quoi ressemblera la frontière entre le Costa Rica et le Panama au-delà du point en mer fixé par l’accord actuel ? M. Reichler a dit à la Cour qu’elle suivrait la frontière entre le Panama et la Colombie, comme si le Costa Rica bénéficiait automatiquement, on ne sait trop comment, d’un accord auquel
44 CR 2017/11, p. 26, par. 18 (Reichler).
45 CR 2017/11, p. 26, par. 19 (Reichler).
46 CR 2017/10, p. 15, par. 5 (Oude Elferink).
47 «Costa Rica-Panama», rapport 2-6, in Charney et Alexander (dir. publ.), International Maritime Boundaries, vol. I (2002), p. 537.
48 «Costa Rica-Panama», rapport 2-6, in Charney et Alexander (dir. publ.), International Maritime Boundaries, vol. I (2002), p. 537.
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il n’est pas partie. Cette façon qu’a le Nicaragua d’appliquer le droit des traités n’est toutefois pas partagée par le Costa Rica. La bonne réponse à cette question est que nous ne savons pas, parce que la frontière n’a pas encore été délimitée. En fait, les négociations entre le Costa Rica et le Panama n’ont même pas encore débuté, et le Panama n’est pas ici, devant la Cour, pour exposer sa position. Nous ne connaissons pas les revendications du Panama dans cette zone, ni ne savons à quoi ressemblera la frontière entre le Costa Rica et le Panama. En revanche, nous savons que le Panama est l’Etat côtier le plus proche dans cette zone et que rien ne l’empêche de revendiquer des espaces maritimes situés au nord et à l’ouest de la ligne dont il est convenu avec la Colombie. Peut-être pouvons-nous néanmoins partir du principe que les Etats cherchent à s’agrandir quand ils le peuvent et que le Panama n’agira pas autrement [fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet no 226].
36. [Affichage du document figurant sous l’onglet no 227] Lors de son intervention, le Costa Rica a postulé une extension de la frontière qui le sépare du Panama comme une issue possible de la présente affaire. Ainsi qu’il l’a expliqué dans son mémoire et lors des audiences, il a retenu cette extension hypothétique de la ligne convenue pour définir la zone pertinente en l’espèce49 [fin de l’affichage].
37. [Affichage du document figurant sous l’onglet no 228] Nous avons maintenant ajouté sur la carte, en pointillés noirs, cette «extension hypothétique» de la frontière entre le Costa Rica et le Panama. Comme vous pouvez le voir, le Costa Rica a utilisé une ligne différente pour montrer la zone d’intérêt du Panama en l’espèce. Il s’agit de la ligne médiane en pointillés rouges entre les côtes continentales du Nicaragua et du Panama qui se font face. S’il acceptait l’«extension hypothétique» de sa frontière avec le Costa Rica, le Panama contribuerait lui aussi à remédier à l’effet d’amputation auquel est exposé le Costa Rica. Cela dissiperait la crainte du Nicaragua d’être astreint à porter seul la charge de la compensation de l’amputation » subie par le Costa Rica50.
38. Du point de vue du Costa Rica, la ligne médiane tracée entre les côtes continentales du Nicaragua et du Panama constitue une frontière raisonnable entre ces deux Etats dans cette situation géographique. Il s’agit cependant d’une ligne médiane continentale qui, en tant que telle,
49 Délimitation maritime, MCR, par. 4.12.
50 CR 2017/11, p. 27, par. 23 (Reichler).
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ne donne pas effet aux îles nicaraguayennes, et l’on peut considérer qu’elle constitue la limite de la zone maximale que le Panama pourrait espérer obtenir dans le cadre d’une délimitation entre Etats dont les côtes se font face. Elle figure sur la carte pour indiquer à la Cour où celle-ci pourrait la tracer entre le Costa Rica et le Nicaragua sans porter atteinte aux intérêts d’Etats tiers. Il convient de relever que toutes les zones situées au sud-est de cette ligne sont plus proches de la côte continentale du Panama que de celle du Nicaragua et que toutes les zones se trouvant au nord-ouest sont plus proches de la côte continentale du Nicaragua que de celle du Panama. Bien sûr, nous ne connaissons pas la position du Panama, et il incombe donc à la Cour de décider comment protéger les intérêts de celui-ci tout en procédant à la délimitation complète qui lui est demandée.
39. Monsieur le président, le Costa Rica subirait en fait une amputation se manifestant à partir d’une distance de moins de 100 milles marins de sa côte si la délimitation suivait la règle de l’équidistance en fonction des seules côtes continentales dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes. La ligne d’équidistance provisoire avec le Nicaragua doit être ajustée en sa faveur pour tenir compte de la circonstance pertinente que constitue cette amputation. Le Costa Rica a proposé une délimitation qui aboutirait à une solution équitable, consistant à joindre le principal point d’infléchissement de la ligne provisoire au point 14. La ligne ainsi tracée apparaît à l’écran. Une frontière aboutissant au point 14 répondrait à deux objectifs : permettre au Costa Rica, d’étendre son espace maritime jusqu’à la limite des 200 milles marins, et protéger les intérêts du Panama. Selon le Costa Rica, aucun autre point terminal ne permettrait d’atteindre ces deux objectifs.
40. La ligne proposée par le Costa Rica constituerait une solution équitable de délimitation avec le Nicaragua dans la mer des Caraïbes. [Fin de l’affichage du document figurant sous l’onglet no 228] Le Costa Rica prie donc la Cour de l’adopter comme la solution équitable en l’espèce.
41. Monsieur le président, voilà qui clôt mon exposé sur la délimitation dans la mer des Caraïbes. Je remercie encore les membres de la Cour de leur aimable attention, et vous prie de bien vouloir appeler à la barre M. Ugalde, qui va exposer les dernières observations et les conclusions finales du Costa Rica.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Je donne la parole à S. Exc. M. Ugalde, agent du Costa Rica.
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M. UGALDE ÁLVAREZ :
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Costa Rica arrive à présent au terme du second tour de ses plaidoiries et en vient donc à ses conclusions sur les deux affaires jointes qu’il vous a soumises.
2. Je tiens à témoigner à nouveau de la confiance de mon pays à l’égard des décisions de la Cour. Le Costa Rica est en effet certain que vous serez à même d’apprécier l’importance qu’il attache à une délimitation des frontières maritimes qui tienne compte des véritables circonstances géographiques, dans l’océan Pacifique comme dans la mer des Caraïbes, et qui soit conforme au droit international.
3. Monsieur le président, dans le cadre de ces conclusions, il me faut dire quelques mots sur une question de principe. Vendredi, l’un des conseils du Nicaragua a consacré un temps relativement considérable à la thèse que nous fondons sur la concavité de la côte dans la mer des Caraïbes. Il a accusé le Costa Rica d’une kyrielle de méfaits51. Il est inutile que je reprenne ses propos ici, mais l’idée générale dont ce monsieur semblait vouloir vous convaincre était que, s’agissant de ses relations avec ses voisins, le Costa Rica avait tenté de doubler le Panama et de revendiquer dans son dos des espaces maritimes dont celui-ci pourrait encore, au regard du droit international, lui disputer l’appartenance.
4. Je ferais observer que, quelle que soit la situation actuelle entre le Panama et la Colombie, il s’agit d’une question qui ne concerne que ces deux pays. Mais le fait que le Costa Rica respecte les droits potentiels du Panama dans la présente procédure semble avoir plongé le Nicaragua dans la plus grande perplexité. Le Costa Rica, lorsqu’il défend ses intérêts, le fait directement, dans un face à face, et non en cachette comme le laisse entendre le Nicaragua. En outre, quelles que soient les conséquences juridiques des arrêts de la Cour à l’égard de tierces parties, ce sont là des questions qui doivent être examinées et débattues directement par les parties intéressées et non plaidées intégralement en leur absence, dans le cadre d’une procédure à laquelle elles ne participent pas52. En définitive, telle est précisément la situation que l’article 59 du Statut de la Cour vise à réglementer.
51 CR 2017/11, p. 23, par. 11 (Reichler).
52 CR 2017/11, p. 26, par. 20 (Reichler).
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5. Par conséquent, peu défendable est la thèse du Nicaragua53, qui affirme, au prétexte douteux que vous lui auriez attribué intégralement les espaces maritimes en cause dans votre arrêt de 2012, que tout Etat tiers qui conclurait un accord avec la Colombie dans la mer des Caraïbes se verrait privé de ces espaces vis-à-vis du Nicaragua.
6. Il s’ensuit également que, quels que soient les effets de cet arrêt entre le Nicaragua et la Colombie, ils ne sont produits qu’à l’égard de ces deux pays, et n’ont aucune incidence sur les droits du Costa Rica vis-à-vis du Nicaragua.
7. Pour ce qui est de l’expression «faux intégral»54, utilisée par l’un des conseils du Nicaragua pour qualifier la thèse du Costa Rica sur la concavité, il me suffira de dire que la Cour est parfaitement capable d’identifier un faux lorsqu’elle en voit un.
8. Je tiens également à dire que mon pays déplore que le Nicaragua, lorsqu’il a analysé les divers différends dont vous avez actuellement à connaître, ait fait référence à de nouveaux litiges qui n’entrent pas dans l’objet de la présente procédure. Je me sens tenu, dans cette dernière plaidoirie, de démentir deux des affirmations qu’il a faites. La première est sa prétention aussi fâcheuse qu’infondée à détenir un intérêt souverain sur l’île costa-ricienne de Bolaños55. Le Costa Rica rejette catégoriquement cette prétention, ainsi qu’il l’a déjà fait savoir au Nicaragua par la voie diplomatique.
9. S’agissant de la seconde affirmation, le Nicaragua a de nouveau prétendu que le Costa Rica ne partageait pas les droits sur la baie de San Juan del Norte56, contrairement à ce qui est écrit en toutes lettres à l’article IV du traité de limites de 1858. Cette prétention est elle aussi totalement infondée et il est contrariant que le Nicaragua persiste dans cette voie. Le Costa Rica réserve ses droits à cet égard et note encore une fois que le Nicaragua rejette le régime frontalier convenu, lequel est contraignant au regard du droit international.
53 Voir CMN, p. 73, par. 3.32 : «Dès lors que la Cour, par la délimitation maritime qu’elle a opérée entre le Nicaragua et la Colombie, a exclu de la juridiction colombienne les espaces situés au nord et à l’est de la frontière établie par le traité de 1977, ces mêmes espaces relèvent nécessairement de ce qui doit désormais être considéré, conformément à ses conclusions, comme les droits souverains du Nicaragua.»
54 CR 2017/11, p. 23, par. 11 (Reichler).
55 CR 2017/10, p. 16, par. 22 (Argüello).
56 CR 2017/10, p. 19, par. 33 (Argüello).
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10. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Costa Rica est certain que vous trancherez intégralement, dans votre arrêt, toutes les questions qui vous ont été soumises, conformément au droit international. Au nom de mon gouvernement, je peux vous dire que le Costa Rica s’engage à respecter pleinement votre décision. Nous espérons que le Nicaragua fera de même.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais à présent donner lecture des conclusions du Costa Rica dans les présentes affaires.
Conclusions de la République du Costa Rica
En l’affaire relative à la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua), pour les motifs exposés dans ses pièces de procédure et lors des plaidoiries, le Costa Rica prie respectueusement la Cour de rejeter toutes les conclusions formulées par le Nicaragua et de :
1. déterminer dans son intégralité, sur la base du droit international, le tracé de chacune des frontières maritimes uniques délimitant, dans l’océan Pacifique et dans la mer des Caraïbes, l’ensemble des espaces maritimes relevant du Costa Rica et du Nicaragua ;
2. déterminer les coordonnées géographiques exactes des frontières maritimes uniques ainsi tracées dans l’océan Pacifique et dans la mer des Caraïbes :
a) en délimitant les espaces maritimes relevant du Costa Rica et du Nicaragua dans l’océan Pacifique au moyen d’une frontière reliant, par des lignes géodésiques, les points dont les coordonnées sont les suivantes :
Point no
Latitude Nord (DMS) (WGS-84)
Longitude Ouest (DMS) (WGS-84)
SP-P (point de départ - océan Pacifique)
11° 04' 00,0"
85° 44' 28,0"
1
11° 03' 57,6"
85° 45' 30,3"
2
11° 03' 57,7"
85° 45' 35,9"
3
11° 03' 47,2"
85° 46' 31,7"
4
11° 03' 53,8"
85° 47' 13,4"
5
11° 03' 24,2"
85° 49' 43,5"
6
11° 03' 17,9"
85° 50' 05,1"
7
11° 02' 45,0"
85° 51' 25,2"
26
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Point no
Latitude Nord (DMS) (WGS-84)
Longitude Ouest (DMS) (WGS-84)
8
11° 03' 11,6"
85° 52' 42,8"
9
11° 04' 26,8"
85° 55' 28,3"
10
11° 05' 13,7"
85° 57' 21,2"
11
11° 05' 51,6"
86° 00' 48,1"
12
11° 05' 54,2"
86° 04' 31,5"
13
11° 06' 22,0"
86° 07' 00,4"
14
11° 05' 45,4"
86° 13' 10,2"
15
11° 05' 43,7"
86° 13' 28,7"
16
11° 05' 30,9"
86° 15' 09,8"
17
11° 04' 22,2"
86° 21' 43,8"
18
11° 03' 32,6"
86° 25' 21,2"
19
10° 56' 56,3"
86° 44' 27,0"
20
10° 54' 22,7"
86° 49' 39,5"
21
10° 36' 50,6"
87° 22' 47,6"
22
10° 21' 23,2"
87° 47' 15,3"
23 (intersection avec la limite des 200 milles marins)
09° 43' 05,7"
89° 11' 23,5"
b) en délimitant les espaces maritimes relevant du Costa Rica et du Nicaragua dans la mer des Caraïbes au moyen d’une frontière reliant, par des lignes géodésiques, les points dont les coordonnées sont les suivantes :
Point no
Latitude Nord (DMS) (WGS-84)
Longitude Ouest (DMS) (WGS-84)
SP-P (point de départ - mer des Caraïbes)
10° 56' 22,1"
83° 41' 51,4"
1
10° 56' 54,0"
83° 42' 03,7"
2
10° 57' 16,6"
83° 41' 58,4"
3
11° 02' 12,6"
83° 40' 27,1"
4
11° 02' 54,7"
83° 40' 01,0"
5
11° 03' 04,8"
83° 39' 54,1"
6
11° 03' 46,1"
83° 39' 29,6"
7
11° 03' 47,4"
83° 39' 28,7"
8
11° 05' 35,2"
83° 38' 14,0"
9
11° 07' 47,2"
83° 36' 33,2"
10
11° 10' 16,0"
83° 34' 13,2"
11
11° 10' 39,2"
83° 33' 47,3"
12
11° 13' 42,6"
83° 30' 33,9"
13
11° 15' 02,0"
83° 28' 53,6"
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14 (intersection avec la limite des 200 milles marins du Costa Rica)
12° 19' 15,9"
80° 33' 59,2"
c) subsidiairement à la conclusion énoncée au paragraphe b) ci-dessus, en délimitant les espaces maritimes relevant du Costa Rica et du Nicaragua dans la mer des Caraïbes au moyen d’une frontière :
i) reliant, par une ligne géodésique, le point se trouvant à 3 milles marins des côtes respectives des Parties (point FP1, situé par 10° 59' 22,7" de latitude Nord et par 83° 41' 19,0" de longitude Ouest) au point 3 indiqué au paragraphe b) ci-dessus ;
ii) puis, reliant, par des lignes géodésiques, les points 3 à 14 indiqués dans le paragraphe b) ci-dessus ;
iii) dans le premier segment, reliant, par une ligne géodésique, le point FP1 et le point correspondant à la laisse de basse mer sur la rive droite du fleuve San Juan à son embouchure, tel qu’il peut exister de temps à autre.
En l’affaire relative à la Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua), pour les motifs exposés dans ses pièces de procédure et lors des plaidoiries, le Costa Rica prie respectueusement la Cour :
1. a) de dire et juger que la conclusion du Nicaragua selon laquelle le segment de la côte caraïbe qui s’étend entre la lagune de Harbor Head et l’embouchure du fleuve San Juan est territoire nicaraguayen est irrecevable, au motif que la question a été tranchée par la Cour dans son arrêt du 16 décembre 2015 en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ;
b) de rejeter toutes les autres conclusions formulées par le Nicaragua ;
2. a) de déterminer l’emplacement précis de la frontière terrestre séparant Isla Portillos des deux extrémités du cordon littoral de la lagune de Los Portillos/Harbor Head et, ce faisant, de déclarer que le seul territoire nicaraguayen existant à ce jour dans la zone d’Isla Portillos se limite à l’enclave comprenant la lagune de Los Portillos/Harbor Head et le cordon littoral qui sépare la lagune de la mer des Caraïbes, pour autant que ce cordon littoral soit émergé en permanence et que cette enclave puisse de ce fait constituer un territoire appartenant à un Etat, et donc de déclarer que la frontière terrestre court à l’heure actuelle de l’extrémité
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nord-est de la lagune à la mer des Caraïbes par la ligne la plus courte, et de l’extrémité nord-ouest de la lagune à la mer des Caraïbes par la ligne la plus courte ;
b) de dire et juger que l’établissement et le maintien, par le Nicaragua, d’un nouveau campement militaire sur la plage d’Isla Portillos emportent violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Costa Rica, et contreviennent à l’arrêt rendu par la Cour le 16 décembre 2015 en l’affaire à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua). En conséquence, le Costa Rica prie également la Cour de déclarer que le Nicaragua doit retirer son campement militaire situé en territoire costa-ricien et se conformer pleinement à l’arrêt de 2015.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achèvent les conclusions du Costa Rica.
Monsieur le président, avant de terminer, je tiens à remercier le Greffe et son personnel pour l’aide précieuse qu’ils ont apportée sans relâche aux Parties dans le cadre de cette procédure. Je tiens également à remercier les interprètes pour leur travail inestimable. Enfin, et surtout, je tiens à vous remercier, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, de votre aimable attention. Voilà qui conclut les plaidoiries du Costa Rica.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur l’ambassadeur. La Cour prend note des conclusions finales dont vous venez de donner lecture au nom du Costa Rica. Elle se réunira de nouveau le jeudi 13 juillet 2017, de 10 heures à 13 heures, pour entendre le Nicaragua en son second tour de plaidoiries. Je vous remercie. L’audience est levée.
L’audience est levée à 15 h 50.
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