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CR 2017/5

CR 2017/5

Lundi 15 mai 2017 à 10 heures

Monday 15 May 2017 at 10 a.m. - 2 -

8 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. La Cour se réunit aujourd’hui pour

entendre, conformément au paragraphe 3 de l’article 74 de son Règlement, les observations des

Parties concernant la demande en indication de mesures conservatoires présentée par la République

de l’Inde en l’affaire Jadhav (Inde c. Pakistan).

Pour des raisons qu’ils m’ont dûment fait connaître, M. le vice-président et MM. les juges

Tomka, Bennouna et Greenwood sont empêchés de siéger aujourd’hui.

La requête de l’Inde, datée du 8 mai 2017, introduit contre la République islamique du

Pakistan une instance relative à des violations alléguées de la convention de Vienne sur les

relations consulaires en rapport avec «la détention et le procès d’un ressortissant indien» condamné

à mort au Pakistan, M. Kulbhushan Jadhav. Pour fonder la compétence de la Cour, l’Inde invoque

le paragraphe 1 de l’article 36 de son Statut, ainsi que l’article premier du protocole de signature

facultative concernant le règlement obligatoire des différends qui accompagne la convention de

Vienne sur les relations consulaires.

Je vais à présent prier le greffier de donner lecture de la décision demandée à la Cour, telle

que formulée par l’Inde dans sa requête.

Le GREFFIER :

«Dans ces circonstances, l’Inde demande :

1) que la condamnation à mort prononcée à l’encontre de l’accusé soit
immédiatement suspendue ;

2) que lui soit accordée restitutio in integrum, sous la forme d’une déclaration
constatant que la condamnation à laquelle est parvenu le tribunal militaire au
mépris total des droits énoncés à l’article 36 de la convention de Vienne,

notamment en son paragraphe 1 b), et des droits humains élémentaires de tout
accusé, auxquels il convient également de donner effet ainsi qu’exigé à l’article 14
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, est contraire au
droit international et aux dispositions de la convention de Vienne ;

3) qu’il soit prescrit au Pakistan de ne pas donner effet à la condamnation prononcée
par le tribunal militaire et de prendre les mesures qui pourraient être prévues par le
droit pakistanais pour annuler la décision de ce tribunal ;

4) que cette décision, dans le cas où le Pakistan ne serait pas en mesure de l’annuler,
soit déclarée illicite en tant que contraire au droit international et aux droits
conventionnels, et qu’injonction soit faite au Pakistan de s’abstenir de violer la
convention de Vienne sur les relations consulaires et le droit international en - 3 -

donnant d’une quelconque façon effet à la condamnation, ainsi que de libérer sans
délai le ressortissant indien qui en fait l’objet.»

Le PRESIDENT : Le jour du dépôt de la requête, l’Inde, se référant à l’article 41 du Statut
9
de la Cour et aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement, a également présenté une demande en

indication de mesures conservatoires. Dans cette demande, l’Inde déclare que la violation alléguée

de la convention de Vienne par le Pakistan l’a empêchée d’exercer les droits qu’elle tient de cet

instrument et a privé M. Jadhav de la protection que celui-ci lui reconnaît. Le demandeur soutient

en outre que M. Jadhav «sera exécuté, à moins que la Cour, par des mesures conservatoires, ne

prescrive au Gouvernement du Pakistan de prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’il soit

sursis à cette exécution tant qu’elle ne se sera pas prononcée sur le fond» de l’affaire. L’Inde

souligne que l’exécution de M. Jadhav porterait un préjudice irréparable aux droits qu’elle

revendique. Elle précise en outre que la protection de ses droits revêt un caractère d’urgence

puisque, «[s]i la Cour n’indique pas les mesures conservatoires demandées, le Pakistan procèdera à

l’exécution de M. Kulbhushan Sudhir Jadhav avant qu’elle ait pu examiner les demandes de l’Inde

au fond, et celle-ci sera privée à jamais de toute possibilité de faire valoir ses droits».

Je vais à présent demander au greffier de donner lecture du passage de la demande précisant

les mesures conservatoires que le Gouvernement de l’Inde prie la Cour d’indiquer.

Le GREFFIER :

«l’Inde … prie … respectueusement la Cour de prescrire, en attendant l’arrêt définitif
en la présente affaire, que

a) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan prenne toutes les
mesures nécessaires pour que M. Kulbhushan Sudhir Jadhav ne soit pas exécuté ;

b) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan porte à la connaissance
de la Cour les mesures qu’il aura prises en application de l’alinéa a) ; et que

c) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan fasse en sorte qu’il ne
soit pris aucune mesure qui puisse porter atteinte aux droits de la République de
l’Inde ou de M. Kulbhushan Sudhir Jadhav en ce qui concerne toute décision que
la Cour pourrait prendre sur le fond de l’affaire».

Le PRESIDENT : Le 8 mai 2017, immédiatement après le dépôt de la requête et de la

demande en indication de mesures conservatoires, le greffier, conformément au paragraphe 2 de

l’article 40 du Statut ainsi qu’au paragraphe 4 de l’article 38 et au paragraphe 2 de l’article 73 du - 4 -

10 Règlement de la Cour, en a transmis des copies certifiées conformes au Gouvernement de la

République islamique du Pakistan. Il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation

des Nations Unies du dépôt de ces documents par l’Inde.

Par lettre datée du 9 mai 2017, faisant référence au paragraphe 4 de l’article 74 du

Règlement, j’ai invité, en ma qualité de président de la Cour, la République islamique du Pakistan à

«agir de manière que toute ordonnance de la Cour sur [la] demande [en indication de mesures

conservatoires] puisse avoir les effets voulus.»

Aux termes de l’article 74 du Règlement de la Cour, la demande en indication de mesures

conservatoires a priorité sur toutes autres affaires. Invoquant «l’extrême gravité et … l’imminence

de la menace», l’Inde a prié la Cour de rendre une ordonnance en indication de mesures

conservatoires sans tenir d’audiences. La Cour a toutefois décidé d’organiser une procédure orale

afin de permettre aux Parties de présenter leurs arguments. Néanmoins, au vu de la situation, la

Cour a décidé que la procédure orale prévue au paragraphe 3 de l’article 74 du Règlement de la

Cour serait brève et qu’elle aurait lieu rapidement, le 15 mai 2017.

Je constate la présence devant la Cour des agents et conseils des deux Parties. La Cour entendra

l’Inde, qui a présenté la demande en indication de mesures conservatoires, jusqu’à 11 h 30 ce

matin. Elle entendra le Pakistan cet après-midi de 15 heures à 16 h 30. Les audiences sur ladite

demande s’achèveront au terme de cette séance.

Aux fins de la présente procédure orale, chacune des Parties disposera d’une séance de

90 minutes. L’Inde pourra, si nécessaire, déborder quelque peu au-delà de 11 h 30, compte tenu du

temps consacré à l’ouverture de la présente audience. Les Parties ne sont bien sûr pas tenues de

faire usage de l’intégralité du temps de parole qui leur est alloué.

Avant de donner la parole à l’agent de la République de l’Inde [M. Deepak Mittal], je

souhaite appeler l’attention sur l’instruction de procédure XI, qui prévoit notamment que,

«[d]ans leurs exposés oraux sur les demandes en indication de mesures conservatoires,
les parties devraient se limiter aux questions touchant aux conditions à remplir aux
fins de l’indication de mesures conservatoires, telles qu’elles ressortent du Statut, du
Règlement et de la jurisprudence de la Cour. Les parties ne devraient pas aborder le
fond de l’affaire au-delà de ce qui est strictement nécessaire aux fins de la demande.» - 5 -

J’appelle à présent à la barre [M. Deepak Mittal, agent de la République de l’Inde].

*

* *

11 M. MITTAL :

Introduction et bref rappel des faits de l’affaire

Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est réellement un grand

honneur pour moi que de paraître aujourd’hui devant cette auguste Cour en qualité d’agent de

l’Inde, à l’occasion des audiences relatives à la demande en indication de mesures conservatoires

présentée par mon gouvernement en l’instance qu’il a introduite contre la République islamique du

Pakistan le 8 mai 2017. La présente affaire concerne un ressortissant indien, M. Kulbhushan

Sudhir Jadhav (ci-après «M. Jadhav»), qui a été condamné à mort par un tribunal militaire

pakistanais en violation flagrante des droits garantis en matière de communication consulaire par le

paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963

(ci-après la «convention de Vienne»).

2. Je tiens d’emblée à remercier la Cour, et en particulier son président pour la célérité avec

laquelle il a décidé d’exercer les pouvoirs que lui confère le paragraphe 4 de l’article 74 du

Règlement et, ce faisant, d’adresser dès le 9 mai 2017 une communication urgente au premier

ministre de la République islamique du Pakistan pour inviter le Gouvernement pakistanais à agir de

manière que toute ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires

présentée par l’Inde puisse avoir les effets voulus.

3. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le fait que les audiences aient

lieu aujourd’hui, 7 jours après l’introduction de l’instance, montre bien que la Cour est consciente

de l’urgence de la situation de M. Jadhav, ressortissant indien innocent qui est incarcéré au

Pakistan depuis plus d’un an sur le fondement d’accusations fabriquées de toutes pièces, privé de

ses droits et de la protection accordée par la convention de Vienne, détenu au secret sans aucun - 6 -

contact avec sa famille ou les autorités de son Etat d’origine, et désormais en attente d’une

exécution imminente. Les droits de l’homme, dont le respect est aujourd’hui mondialement

reconnu comme une règle de conduite élémentaire de toute nation civilisée, ont été purement et

simplement foulés aux pieds.

4. En agissant avec une telle célérité, le président et la Cour n’ont pas seulement porté

secours à l’Inde, à son ressortissant en détresse et aux proches de celui-ci ; ils ont fait naître

12 l’espoir, chez 1,25 milliard d’Indiens et notamment chez les parents âgés de M. Jadhav, que leur

fils innocent puisse obtenir justice de la part de la plus haute juridiction qui soit, et qu’une vie

précieuse soit épargnée.

5. Au nom de la République de l’Inde, mes confrères et moi-même nous présentons

aujourd’hui devant la Cour dans l’espoir qu’elle indiquera des mesures conservatoires afin qu’il

soit sursis à l’exécution de la condamnation à mort qui a été prononcée à l’encontre de M. Jadhav à

l’issue d’un simulacre de procès devant un tribunal militaire pakistanais, en violation des droits

garantis à l’intéressé et à l’Inde par le paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne, et

qu’elle ne soit pas exécutée tant que la Cour n’aura pas rendu sa décision finale sur la requête de

l’Inde.

6. Je saisis cette occasion pour vous présenter les autres membres de notre délégation, à

savoir :

i) M. V. D. Sharma, coagent de la République de l’Inde ;

ii) M. Harish Salve, conseil ;

iii) Mme Kajal Bhat, conseiller ;

iv) Mme Chetna N. Rai, conseil auxiliaire.

Bref rappel des faits

7. Je vais à présent exposer brièvement les faits de l’affaire, sur lesquels mes confrères

reviendront plus longuement dans la suite de la matinée.

8. L’Inde a appris le 25 mars 2016 que l’un de ses ressortissants avait, selon certaines

informations, été arrêté le 3 du même mois. Elle a immédiatement demandé à pouvoir se rendre,

par l’entremise de ses autorités consulaires, auprès de son ressortissant. Sa demande est restée - 7 -

lettre morte. Le 30 mars 2016, l’Inde a envoyé un rappel en demandant de nouveau à ce que ses

autorités consulaires puissent se rendre au plus tôt auprès de l’intéressé. En dépit des multiples

1
rappels qu’elle lui a adressés en ce sens , le Pakistan n’a jamais répondu et s’est obstiné à faire la

sourde oreille.

9. Dans l’intervalle, le 23 janvier 2017, l’Inde a reçu du Pakistan une demande d’assistance 2

aux fins de l’enquête. Par la suite, le 21 mars 2017, soit près d’un an après que l’Inde eut demandé

pour la première fois à pouvoir se rendre auprès de M. Jadhav, le Pakistan lui a officiellement fait

3
savoir que sa demande «sera[it] étudiée à la lumière de la suite qu’elle donnerait à [s]a [propre]

4
13 demande d’assistance aux fins d’enquête». L’Inde a répondu que la possibilité de communiquer

avec M. Jadhav par l’entremise de ses autorités consulaires était une condition préalable essentielle

pour établir les faits et comprendre les circonstances de la présence de l’intéressé au Pakistan.

5
10. Le 10 avril 2017, l’Inde a appris par la presse que M. Jadhav avait été jugé par un

tribunal militaire du Pakistan et condamné à mort sous le prétexte de prétendus aveux,

condamnation confirmée par le chef d’état-major de l’armée du Pakistan. Fait non dépourvu

d’ironie, dans la suite de la journée (du 10 avril 2017), après que la condamnation à mort eut été

6
prononcée et confirmée, l’Inde a reçu une note verbale du Pakistan dans laquelle celui-ci répétait

qu’il ne donnerait suite à la demande indienne de communication consulaire qu’en retour d’une

assistance dans son enquête. L’Inde a répondu le même jour en soulignant que cette offre sous

condition, alors que M. Jadhav avait déjà vu sa condamnation à mort prononcée et confirmée,

attestait le caractère parodique de la procédure et du prétendu procès dont il avait fait l’objet devant

un tribunal militaire pakistanais.

11. En dépit d’une demande de l’Inde, le Pakistan n’a communiqué aucune information ni

aucun document, comme l’acte d’accusation, les procès-verbaux relatifs à l’enquête, le résumé des

1Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1 (notes verbales de l’Inde).

2Requête de l’Inde, annexe 2, et dossier de plaidoiries, onglet n 2.

3Requête de l’Inde, annexe 3, et dossier de plaidoiries, onglet n 3.

4Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1 (note verbale datée du 31 mars 2017).
5 o
Requête de l’Inde, annexe 4, et dossier de plaidoiries, onglet n 4.
6 o
Requête de l’Inde, annexe 5, et dossier de plaidoiries, onglet n 5.
7 o
Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1 (note verbale datée du 10 avril 2017).
8 o
Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1 (note verbale datée du 19 avril 2017). - 8 -

éléments de preuve ou le texte du jugement. Il n’a pas davantage répondu à la demande visant à la

commission d’un avocat pour défendre M. Jadhav.

12. La mère de M. Jadhav, même sans disposer du moindre document, a saisi la cour d’appel

et formé un recours auprès du Gouvernement fédéral pakistanais. Elle a interjeté cet appel sans

être en mesure de s’exprimer sur aucun des faits potentiellement retenus contre son fils dans le

verdict et la condamnation prononcée à son encontre. Il s’agissait d’une tentative de la dernière

chance de la part de parents désespérés.

13. Les parents de M. Jadhav ont fait une demande de visa le 25 avril 2017 afin de pouvoir

se rendre au Pakistan. Leur demande est restée sans réponse.

9
14. La ministre des affaires étrangères de l’Inde a écrit au conseiller chargé des affaires

étrangères auprès du premier ministre du Pakistan le 27 avril 2017 pour solliciter son intervention

personnelle à cet égard, mais cette lettre est restée sans réponse.

15. Les seules informations dont nous disposons sont celles provenant des médias
14

pakistanais. Les autorités pakistanaises auraient déclaré sans ambages que M. Jadhav ne pourrait

pas communiquer avec ses autorités consulaires.

16. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’Inde estime que le simulacre

de procédure et le procès injuste tenu par un tribunal militaire pakistanais, en violation flagrante

des droits garantis par la convention de Vienne en matière de communication consulaire, ont donné

lieu à une grave erreur judiciaire. M. Jadhav a de toute évidence été privé du droit d’être défendu

par un avocat de son choix. Il n’a pas été informé de son droit de pouvoir communiquer avec ses

autorités consulaires. Sa déclaration de culpabilité et sa condamnation à mort semblent fondées sur

des «aveux» recueillis alors qu’il se trouvait en captivité, sans bénéficier de la représentation

juridique requise ni de la communication avec ses autorités consulaires pourtant demandée par

l’Inde.

17. Si l’on suit de près les informations diffusées par les médias pakistanais, il semble qu’un

nombre croissant de condamnations à mort prononcées par les tribunaux militaires du Pakistan ont

été exécutées après le 10 avril 2017 –– date à laquelle la peine de mort prononcée contre M. Jadhav

9 Requête de l’Inde, annexe 8, et dossier de plaidoiries, onglet n 8. - 9 -

a été confirmée. En fait, au cours du mois écoulé, 18 exécutions ont été annoncées dans des

10
communiqués de presse publiés par le service des relations publiques de l’armée pakistanaise. En

de telles circonstances, et vu notamment le silence auquel se sont heurtées toutes les demandes

formulées par la voie diplomatique, il existe en l’espèce une menace immédiate puisque M. Jadhav

risque d’être exécuté avant même que l’Inde ait eu la possibilité de plaider sa cause et la Cour, celle

d’examiner le fond de l’affaire ; un préjudice irréparable risque donc d’être porté aux droits de

l’Inde et à ceux de M. Jadhav.

Demande

18. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, la République de l’Inde estime que la

Cour est compétente et lui demande d’indiquer des mesures conservatoires.

19. Mes confrères vous en diront davantage à ce sujet.

20. Je prie à présent la Cour de bien vouloir appeler à la barre M. Sharma, coagent de la

République de l’Inde, afin qu’il fasse sa présentation.

Je vous remercie.

The PRESIDENT: Thank you. Before I give the floor to the Republic of India’s Co-Agent,
15

Mr. Sharma, I would ask all those taking the floor not to speak too quickly, so that the interpreters

are able to translate into the Court’s other official language. I thank the speakers in advance. Mr.

Sharma, Co-Agent of the Republic of India, you have the floor.

M. SHARMA :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur pour

moi que de me présenter devant vous en tant que coagent du Gouvernement de la République de

l’Inde en l’affaire relative à la violation, par la République islamique du Pakistan, de la convention

de Vienne sur les relations consulaires de 1963.

2. Je me limiterai à faire quelques observations sur les questions essentielles qui seront

traitées de façon détaillée par mon collègue, M. Harish Salve, à savoir la violation par le Pakistan

10Dossier de plaidoiries, onglet n 13. - 10 -

des règles du droit international, qui a conduit au différend qui nous occupe, les raisons qui

justifient la prescription de mesures conservatoires urgentes, et la compétence de la Cour.

3. Permettez-moi à présent d’appeler votre attention sur le paragraphe 4 de mon exposé qui

vous a été distribué.

4. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la convention de Vienne

établit, entre autres, des normes de conduite régissant les relations consulaires, afin de favoriser les

relations d’amitié entre Etats. Les dispositions de l’article 36 de cette convention confèrent plus

précisément à l’Etat d’envoi et à ses ressortissants qui seraient arrêtés, détenus ou incarcérés dans

l’Etat de résidence le droit de communiquer entre eux par l’entremise de leurs autorités consulaires.

5. La Cour a interprété ces dispositions en l’affaire La Grand (Allemagne c. Etats-Unis

d’Amérique) (mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I)) et a

ensuite réaffirmé son interprétation en l’affaire Avena. Elle a décrit le paragraphe 1 de l’article 36

comme définissant «un régime dont les divers éléments sont interdépendants et qui est conçu pour

faciliter la mise en œuvre du système de protection consulaire».

6. L’article 36, dont il est reconnu qu’il confère des droits à la fois aux ressortissants d’un

Etat et à l’Etat lui-même, est une garantie essentielle qui assure un minimum d’équité dans

l’administration de la justice lorsque celle-ci est appliquée par le système judiciaire d’un Etat aux

ressortissants d’un autre Etat. Les dispositions de cet article sont sacrosaintes et leur violation
16

entraîne de graves conséquences.

7. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Pakistan a manqué à toutes

les obligations qui lui incombent au titre de l’article 36. Il a privé l’Inde du droit de communiquer

avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires. Pourtant, depuis qu’elle a été

informée, en mars 2016, de la détention de M. Kulbhushan Sudhir Jadhav par le Pakistan, l’Inde

n’a cessé de demander qu’une telle communication consulaire soit permise.

Compétence de la Cour

8. S’agissant de la compétence en la présente affaire, il convient de rappeler que le

paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour confère à celle-ci compétence pour connaître de

«tous les cas spécialement prévus … dans les traités et conventions en vigueur». L’Inde entend - 11 -

donc fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut. Elle considère

que les déclarations faites par le Pakistan et elle-même au titre du paragraphe 2 du même article ne

sont pas pertinentes en l’espèce.

9. L’Inde et le Pakistan sont membres de l’Organisation des Nations Unies et dès lors ipso

facto parties au Statut de la Cour. Tous deux sont également parties à la convention de Vienne et à

son protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends.

10. L’article premier du protocole de signature facultative dispose que «[l]es différends

relatifs à l’interprétation ou à l’application de la Convention relèvent de la compétence obligatoire

de la Cour internationale de Justice, qui, à ce titre, pourra être saisie par une requête de toute partie

au différend qui sera elle-même Partie au présent Protocole».

11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’appelle à présent votre

attention sur le paragraphe 12 de mon exposé.

12. L’Inde et le Pakistan étant tous deux parties à la convention de Vienne et à son protocole,

le présent différend relève dès lors de la compétence de la Cour, qui en a donc été saisie à la

demande de l’Inde.

L’accord bilatéral de 2008 sur la communication des autorités consulaires avec les

ressortissants de l’Etat d’envoi
13. J’en viens à présent au paragraphe 14 de mon exposé.

17 14. L’Inde et le Pakistan ont conclu un accord bilatéral qui tend à compléter par certains

aspects l’article 36 de la convention de Vienne. L’Inde ne cherche pas à invoquer cet accord

bilatéral.

15. En tout état de cause, cet accord bilatéral n’est pas pertinent pour la présente instance,

puisqu’il ne peut que compléter la convention de Vienne. Il ne saurait la modifier, et il ne ressort

pas non plus de son esprit ou de sa lettre qu’il vise à affaiblir l’article 36. Je n’évoque l’accord

bilatéral de 2008 que parce que le Pakistan y a fait allusion dans l’un de ses communiqués de

presse.

16. De surcroît, Monsieur le président, cet accord n’est pas enregistré auprès de

l’Organisation des Nations Unies comme le prévoit l’article 102 de la Charte, si bien que, en

application du paragraphe 2 de cette même disposition, il ne saurait être invoqué devant un organe - 12 -

de l’Organisation. Dès lors, le Pakistan ne peut, à l’évidence, l’invoquer devant la Cour, celle-ci

étant l’organe judicaire principal de l’Organisation.

17. Monsieur le président, je vous remercie de votre attention et vous prie d’inviter à la barre

M. Harish Salve, qui vous présentera plus en détail les observations de l’Inde.

The PRESIDENT: Thank you, I give the floor to Mr. Harish Salve, counsel for the Republic

of India.

M. SALVE :

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi que

de plaider à nouveau devant vous en représentation de mon pays. Au nom de celui-ci, je vous

remercie d’avoir bien voulu tenir les présentes audiences dans un délai aussi bref. Je tiens à vous

assurer que la situation qui nous occupe est grave, et urgente ; c’est pourquoi, appelant à votre

bienveillance, nous vous avons priés d’entendre sans tarder notre demande en indication de

mesures conservatoires.

2. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je commencerai par rappeler

brièvement les faits, puis j’examinerai les quatre questions suivantes :

i) la jurisprudence de la Cour s’agissant des principes qui régissent l’indication de mesures

conservatoires ;

ii) l’établissement prima facie de la compétence de la Cour à l’égard de la requête de l’Inde ;

18 iii) l’existence prima facie d’une violation de la convention de Vienne sur les relations

consulaires de 1963 ; et, enfin,

iv) la nature des mesures conservatoires demandées par l’Inde.

Rappel des faits

3. La République de l’Inde (ci-après, l’«Inde») a introduit la présente instance contre la

République islamique du Pakistan (ci-après, le «Pakistan») au titre de l’article 40 du Statut de la

Cour, afin de demander à celle-ci qu’il soit porté remède à certaines violations flagrantes de la

convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 (ci-après, la «convention de Vienne»). - 13 -

4. Un ressortissant indien, M. Kulbhushan Sudhir Jadhav (ci-après, «M. Jadhav») aurait été

«arrêté» le 3 mars 2016 et placé en détention. Jugé par un tribunal militaire au Pakistan, il a été

déclaré coupable et condamné à mort. Cette condamnation a été confirmée le 10 avril 2017.

5. Il n’est pas contesté que l’Inde, depuis le mois de mars 2016, a demandé à d’innombrables

reprises à pouvoir communiquer avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires.

Le Pakistan, à l’évidence, n’a pas permis cette communication consulaire. L’Inde fait valoir que,

tout au long de la procédure depuis la supposée «arrestation» de M. Jadhav, les droits que celui-ci

et elle-même tiennent de l’article 36 de la convention de Vienne ont été bafoués.

6. Lorsque la supposée arrestation a eu lieu, le Pakistan ne l’a pas signalée aux autorités

consulaires de l’Inde, qui n’en a été informée que le 25 mars 2016. Le Pakistan n’a pas permis à

l’Inde, malgré les demandes de celle-ci, d’envoyer ses agents consulaires auprès de M. Jadhav. Il a

également refusé d’indiquer de quels chefs d’accusation M. Jadhav devait répondre et quelles

preuves ou autres éléments étaient retenus contre lui dans le cadre de son prétendu procès, ce qui

aurait permis aux agents consulaires de l’Inde d’assurer la représentation en justice de leur

compatriote détenu. N’ayant pas été autorisés à se rendre auprès de M. Jadhav, les agents

consulaires de l’Inde n’ont pu fournir à celui-ci l’assistance d’un conseil, ni vérifier si, en

détention, il se trouvait en sécurité et en bonne santé.

7. Le 17 avril 2017, le directeur général du bureau des relations publiques de l’armée

pakistanaise aurait déclaré à la presse que M. Jadhav ne remplissait pas les conditions requises pour

pouvoir communiquer avec ses autorités consulaires. L’article dont copie a été jointe à la requête
19
12
sous l’annexe 7 fait référence à cet entretien mais sans mentionner cette déclaration précise.

Celle-ci apparaît cependant dans un article publié par le quotidien en langue vernaculaire Jehan

13
Pakistan [le 18 avril 2017], dont nous disposons à présent.

8. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’Inde a saisi la Cour de céans

afin d’obtenir réparation du préjudice découlant de ces violations de la convention de Vienne, et à

titre de remède elle demande des mesures constituant une restitutio in integrum appropriée.

11L’Inde est d’avis qu’il a été enlevé en Iran.

12Requête de l’Inde, annexe 7, et dossier de plaidoiries, onglet n 7.
13 o
Dossier de plaidoiries, onglet n 14. - 14 -

9. L’Inde demande également que des mesures conservatoires soient indiquées afin que son

ressortissant ne soit pas exécuté tant que la Cour ne se sera pas prononcée sur la requête. S’il

n’était pas fait droit à cette demande de mesures conservatoires, la requête deviendrait inutile et la

situation qui s’ensuivrait rendrait impossible, pour la Cour, d’accorder effectivement à l’Inde les

remèdes sollicités.

Les principes régissant l’indication de mesures conservatoires

10. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je parlerai à présent des

principes régissant l’indication de mesures conservatoires. Le paragraphe 1 de l’article 41 du

Statut de la Cour confère à celle-ci le «pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances

l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire»

en attendant l’arrêt définitif en une affaire donnée. Dans l’affaire dite LaGrand, la Cour a précisé

que les ordonnances par lesquelles elle prescrivait des mesures conservatoires au titre de

14
l’article 41 créaient des obligations contraignantes .

11. Dans l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région

frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), la Cour a établi un seuil pour la prescription de mesures

conservatoires, à savoir qu’il doit être satisfait au critère de plausibilité. La Cour a ainsi jugé

qu’elle pouvait indiquer des mesures conservatoires «si les droits allégués par une partie

apparaissent au moins plausibles» . Ayant constaté que les droits invoqués par le Costa Rica

étaient plausibles, elle a précisé

«qu’à ce stade de la procédure, [elle] ne [pouvait] départager les prétentions des

Parties à la souveraineté sur le territoire litigieux et n’a[vait] pas à établir de façon
définitive l’existence des droits dont le Costa Rica revendiqu[ait] le respect, ni celle
20 des droits que le Nicaragua estim[ait] siens ; que, pour les besoins de l’examen de la
demande en indication de mesures conservatoires, [elle] [devait] seulement décider si

les droits revendiqués16ar le demandeur sur le fond, et dont il sollicit[ait] la protection,
[étaient] plausibles» .

14
LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 506, par. 109.
15Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011, p. 6, par. 53.
16
Ibid., par. 57. - 15 -

12. La Cour a réaffirmé le critère de plausibilité dans l’affaire relative à des Questions

concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), dans laquelle elle a

également dit

«qu’à ce stade de la procédure [elle] n’a[vait] pas à établir de façon définitive
l’existence des droits revendiqués par la Belgique ni à examiner la qualité de la

Belgique à les faire valoir devant la Cour; et que ces droits, en tant que fondés sur une
interprétation possible de17a convention contre la torture, apparaiss[aient] en
conséquence plausibles» .

13. La Cour a été appelée à trois reprises à se pencher sur des manquements présumés à la

convention de Vienne.

14. Dans la première de ces trois affaires, celle relative à la Convention de Vienne sur les

relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), la Cour a prescrit le 9 avril 1998 les

mesures conservatoires demandées par le Paraguay. Celui-ci avait introduit le 3 avril 1998 une
18
instance contre les Etats-Unis d’Amérique au sujet de violations présumées de la convention de

Vienne, et, à titre de mesures conservatoires, il avait prié la Cour de rendre une ordonnance à l’effet

d’enjoindre au Gouvernement américain de prendre les dispositions voulues pour que le

ressortissant paraguayen en cause ne soit pas exécuté.

15. La Cour a énoncé les critères au regard desquels pareille demande en indication de

mesures conservatoires devait être examinée. Elle a ainsi relevé

«qu’en présence d’une demande en indication de mesures conservatoires [elle] n’a pas

besoin, avant de décider d’indiquer ou non de telles mesures, de s’assurer d’une
manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire, mais qu’elle ne
peut cependant indiquer ces mesures que si les dispositions invoquées par le
demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle [s]a
compétence … pourrait être fondée» . 19

Et de préciser ensuite que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires

«a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des parties en attendant qu’elle rende

sa décision, et présuppose qu’un préjudice irréparable ne doit pas être causé aux droits
en litige dans une procédure judiciaire ; … il s’ensuit que la Cour doit se préoccuper
de sauvegarder par de telles mesures les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à

17
Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires,
ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 152, par. 60.
18 Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), mesures
conservatoires, ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 251, par. 6.

19Ibid., par. 23. - 16 -

rendre pourrait éventuellement reconnaître, soit au demandeur, soit au défendeur ;
21 20
et … que de telles mesures ne sont justifiées que s’il y a urgence» .

La Cour a conclu que les circonstances dans cette instance exigeaient qu’elle indique d’urgence des

mesures conservatoires, conformément à l’article 41 de son Statut.

16. La deuxième affaire concernant le non-respect de la convention de Vienne est celle que

l’on appelle communément LaGrand, introduite par l’Allemagne contre les Etats-Unis d’Amérique.

Dans l’ordonnance en indication de mesures conservatoires qu’elle a rendue le 3 mars 1999 à la

demande de l’Allemagne, la Cour a réaffirmé le principe selon lequel, d’une manière générale, des

mesures conservatoires ne sont pas indiquées en l’absence de «préjudice irréparable … aux droits

en litige» , estimant qu’en l’espèce l’exécution du ressortissant allemand en cause,

M. Walter LaGrand, «porterait un préjudice irréparable aux droits revendiqués par l’Allemagne au

cas particulier» . La Cour a fait observer en outre que «des mesures indiquées par [elle] aux fins

d’obtenir un sursis à l’exécution prévue seraient nécessairement de nature conservatoire et ne
23
préjugeraient en rien les conclusions auxquelles [elle] pourrait aboutir sur le fond» . Elle a

prescrit au Gouvernement américain de prendre toutes les dispositions voulues pour que

M. Walter LaGrand ne soit pas exécuté tant que la décision définitive en l’instance n’aurait pas été

rendue.

17. La troisième affaire portant sur des violations de la convention de Vienne est celle qui a

opposé le Mexique aux Etats-Unis d’Amérique (connue sous le nom d’Avena). Le Mexique

demandait qu’il soit remédié à la situation de 54 ressortissants mexicains qui se trouvaient dans le

couloir de la mort aux Etats-Unis et qui, selon lui, avaient été arrêtés, placés en détention, jugés,

reconnus coupables et condamnés à la peine capitale par les autorités américaines compétentes à

l’issue de procédures au cours desquelles les dispositions de l’article 36 de la convention de Vienne

n’avaient pas été respectées. Il demandait réparation sous forme d’une restitutio in integrum.

20 Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique), mesures
conservatoires, ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 251, par. 35.

21 LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 15, par. 23.
22
Ibid., par. 24.
23
Ibid., par. 27. - 17 -

18. Le Mexique avait déposé sa requête introductive d’instance le 9 janvier 2003,

accompagnée d’une demande en indication de mesures conservatoires au motif que trois de ses

22 ressortissants risquaient d’être exécutés dans les six mois suivants tandis que plusieurs autres

risquaient de l’être avant la fin de l’année, l’exécution de l’un d’eux pouvant même avoir lieu dès

24
le 14 février 2003 .

19. La Cour a estimé qu’elle devait «se préoccuper de sauvegarder ... les droits que l’arrêt

qu’elle aura[it] ultérieurement à rendre pourrait éventuellement reconnaître, soit au demandeur, soit

au défendeur … sans qu’il y [eût] lieu à ce stade de la procédure de prendre parti sur ces droits» . 25

20. La Cour a rappelé que son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires avait «pour

objet de sauvegarder le droit de chacune des parties en attendant qu’elle rende sa décision, et

présuppos[ait] qu’un préjudice irréparable ne [soit] pas causé aux droits en litige dans une

26
procédure judiciaire» ; citant l’ordonnance rendue ultérieurement en l’affaire du Passage par le

Grand-Belt (Finlande c. Danemark), elle a ajouté que les mesures conservatoires étaient indiquées

«en attendant l’arrêt définitif» qu’elle rend au fond, et n’étaient «par conséquent justifiées que s’il y

a urgence, c’est-à-dire s’il est probable qu’une action préjudiciable aux droits de l’une ou de l’autre

Partie sera commise avant qu’un tel arrêt définitif ne soit rendu» . 27

21. La Cour a réaffirmé qu’en présence d’une demande en indication de mesures

conservatoires, point n’est besoin pour elle, avant de décider d’indiquer ou non de telles mesures,

de s’assurer qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire. Le critère appliqué à cet égard est

l’existence prima facie d’une base sur laquelle cette compétence pourrait être fondée. Après avoir

pris note de la position de chacune des parties, la Cour a fait observer ce qui suit :

«il existe par suite un différend entre les Parties sur les droits du Mexique et de ses

ressortissants quant aux remèdes qui doivent être apportés en cas de méconnaissance
par les Etats-Unis de leurs obligations en vertu du paragraphe 1 de l’article 36 de la
convention de Vienne ; … ce différend relève du fond et ne saurait être tranché à ce
stade de la procédure ; … par voie de conséquence il y a lieu pour la Cour de

24
Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires,
ordonnance du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 81, par. 11.
25Ibid., p. 89, par. 48.

26Ibid., par. 49.
27
Ibid., p. 90, par. 50, citant Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires,
ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 17, par. 23. - 18 -

rechercher s’il convient de sauvegarder par des mesures conservatoires les droits que
28
l’arrêt au fond pourrait éventuellement reconnaître au demandeur…» .

22. Et la Cour de rappeler :

«à l’occasion de l’examen d’une demande en indication de mesures conservatoires, la
Cour «doit se préoccuper de sauvegarder ... les droits que l’arrêt qu’elle aura

ultérieurement à rendre pourrait éventuellement reconnaître, soit au demandeur, soit
au défendeur» (Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
23 (Cameroun c. Nigéria), mesures conservatoires, ordonnance du 15 mars 1996,
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 22, par. 35), sans qu’il y ait lieu à ce stade de la procédure
29
de prendre parti sur ces droits» .

23. Rejetant l’argument des Etats-Unis, qui contestaient le caractère urgent de la situation au

prétexte qu’aucune date n’avait été fixée pour les exécutions, et considérant que, compte tenu des

règles et délais gouvernant l’exercice du droit de grâce et la fixation de la date des exécutions

capitales, «la circonstance que de telles dates n’aient été fixées dans aucun des cas

soumis … n’[était] pas en soi de nature à [lui] interdire d’indiquer des mesures conservatoires» , la 30

Cour a conclu que trois des ressortissants mexicains risquaient

«d’être exécutés dans les prochains mois, voire dans les prochaines semaines; que leur

exécution porterait un préjudice irréparable aux droits que l’arrêt de la Cour pourrait
éventuellement reconnaître au Mexique ; et … que les circonstances exige[aient]
qu’elle indique des mesures conservatoires, pour sauvegarder ces droits…» . 31

S’agissant des autres condamnés, également en attente d’exécution mais dont la situation différait

de celle des trois visés au paragraphe 55 cité ci-dessus, la Cour a déclaré qu’il lui appartenait

«d’indiquer, le cas échéant, des mesures conservatoires, conformément à l’article 41 du Statut, à

l’égard de ces personnes avant que soit rendu l’arrêt définitif» , ajoutant qu’elle veillerait à rendre

celui-ci dans les meilleurs délais.

24. Au paragraphe 55 de l’arrêt Avena, la Cour emploie les termes «prochains mois», ce qui

me donne à penser qu’à son sens, une exécution attendue dans un délai de six mois  le délai

28
Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires,
ordonnance du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 90, par. 50, citant Passage par le Grand-Belt (Finlande
c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 17, par. 46.
29 Ibid., par. 48.

30 Ibid., par. 54.
31
Ibid., par. 55.
32 Ibid., par. 56. - 19 -

33
indiqué par le Mexique  constituait une situation suffisamment urgente pour justifier la

prescription de mesures conservatoires.

Urgence

25. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant au

caractère urgent de la situation en la présente affaire. Il est incontestable qu’au vu des

circonstances entourant l’arrestation et le procès de M. Jadhav et de la communication en date du

34
12 mai 2017 adressée à la Cour par le Pakistan , des mesures conservatoires s’imposent afin

24 d’empêcher que l’Inde et que M. Jadhav ne subissent un préjudice irréparable.

26. La communication du 12 mai dernier vise à faire valoir qu’il existe de multiples voies de

recours ouvertes à M. Jadhav, ce qui permet de supposer que la peine prononcée à son encontre ne

sera pas exécutée au cours de cette période. Dans le cas d’une condamnation à mort, il est évident

que la situation exige implicitement de ne pas exécuter la peine aussi longtemps que la Cour est

saisie d’une requête en vue d’obtenir réparation à raison de diverses violations de la convention de

Vienne. Dans sa communication, le Pakistan, tout en évoquant l’existence de «voies de recours»,

ne garantit pas clairement que la peine ne sera pas exécutée tant que la Cour sera saisie de la

présente requête. Cette ambivalence milite à elle seule en faveur de l’indication de mesures

conservatoires.

27. La communication fait par ailleurs mention de la procédure d’appel au pénal. Or, aucune

précision n’est donnée quant à la question de savoir si M. Jadhav a effectivement interjeté appel.

La mère de M. Jadhav a pour sa part formé un appel qui a été transmis au Pakistan par les voies

diplomatiques le 26 avril 2017 . Cet appel a été interjeté en désespoir de cause, sans connaître la

nature des accusations portées contre l’intéressé ni les éléments du dossier à charge ayant conduit à

sa condamnation, et sans même pouvoir consulter le jugement ni la décision par laquelle M. Jadhav

a été reconnu coupable et condamné. Les demandes de visas déposées par ses parents le

25 avril 2017 restent pendantes. Selon les informations rendues publiques par le Pakistan, il

33 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires,
ordonnance du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 90, par. 50, citant Passage par le Grand-Belt (Finlande
c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 17, par. 46.

34Dossier de plaidoiries, onglet n 12.
35 o
Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1. - 20 -

semble que la juridiction d’appel ait déjà été constituée. L’appel formé par la mère de M. Jadhav,

quelle qu’en soit la valeur, sera bientôt tranché. La communication du 12 mai 2017 n’indique

toutefois aucun délai à cet égard.

28. La communication expose ensuite les dispositions au titre desquelles M. Jadhav est en

droit de demander la grâce, étant précisé qu’il peut s’adresser, en premier lieu, au chef d’état-major

de l’armée et, en second lieu, au président de la République islamique du Pakistan. Nul ne sait si

l’intéressé entreprendra une telle démarche. Quand bien même le ferait-il, l’on peut

raisonnablement s’attendre à ce que l’issue soit courue d’avance. Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est avec le plus grand sérieux que j’affirme ici que le

Pakistan fait montre d’un esprit facétieux lorsqu’il déclare publiquement, y compris par le

25 truchement du conseiller de son premier ministre, que M. Jadhav a été reconnu coupable

d’infractions graves contre l’Etat, tout en faisant valoir dans sa communication à la Cour que

M. Jadhav peut former un recours en grâce.

29. Dans sa communication du 12 mai 2017, le Pakistan ne laisse aucunement entendre que

l’annexe 6, déposée par l’Inde, contiendrait des inexactitudes. Le conseiller du premier ministre
36
évoque le droit qu’a M. Jadhav de former «un recours en grâce» mais formule, dans la foulée, des

observations qui méritent d’être reproduites intégralement ci-après :

«Permettez-moi de réitérer deux points : tout d’abord, de part et d’autre de
l’échiquier politique, tous concourent à dire que la décision, prise au terme d’une
procédure équitable et eu égard à des preuves accablantes, de condamner à la peine
capitale un espion étranger qui ne se contentait pas de se livrer à des activités

subversives sur le sol pakistanais, mais promouvait de fait le terrorisme, [était]
justifiée. Par ailleurs, la nation dans son ensemble est résolument unie face à toute
menace contre la sécurité du Pakistan.» 37

30. L’Inde a également joint en annexe un article de presse en date du 18 avril 2017 faisant

état d’un entretien accordé par le directeur général du bureau des relations publiques de l’armée

pakistanaise, dans lequel ce dernier indiquait qu’une procédure d’appel était en cours et que la

juridiction saisie serait présidée par un général deux étoiles. Et d’ajouter qu’

36Expression utilisée dans le communiqué figurant à l’annexe 6 de la requête de l’Inde et à l’onglet n 6 du
dossier de plaidoiries.

37Requête de l’Inde, annexe 6, et dossier de plaidoiries, onglet n 6. - 21 -

«[i]l ne [voyait] toutefois aucune chance de voir le verdict annulé. «[M. Jadhav] a été
condamné sur la base d’éléments de preuve incontestables et l’armée [pakistanaise]
entend défendre pleinement cette décision», a-t-il déclaré lors de la conférence des

commandants de corps d’armée, rappelant38ue les actes contre l’Etat ne sauraient faire
l’objet d’un quelconque compromis.»

31. L’Inde a par ailleurs joint à sa requête, sous l’annexe 9, le compte-rendu de la conférence

de presse donnée par le porte-parole du ministère des affaires étrangères du Pakistan, le

20 avril 2017. En réponse à une question qui lui était posée, ce dernier a formulé des allégations

dénuées de fondement, fabriquées de toutes pièces et motivées par la volonté de mener une

campagne de propagande à l’encontre de M. Jadhav et de l’Inde. Selon lui :

«[l]e commandant Jadhav, qui a été reconnu coupable d’actes d’espionnage, de
sabotage et de terrorisme sur le territoire pakistanais a été jugé conformément aux lois

[du Pakistan], en toute transparence et dans le respect de ses droits, comme le prévoit
la constitution du Pakistan. La peine prononcée à son encontre se fonde sur des
éléments de preuve crédibles et précis qui attestent sa participation à des actes
d’espionnage et à des activités terroristes sur le territoire pakistanais, lesquels se sont
soldés par la perte de nombreuses vies précieuses au sein de la population
39
pakistanaise.»

32. L’Inde réfute ces allégations et demeure convaincue que M. Jadhav a été enlevé en Iran

et qu’il a été piégé par des aveux qui lui ont été soutirés lors de sa détention dans une prison
26

militaire. Les allégations du Pakistan ne sont pas crédibles, et elles le sont d’autant moins que

l’Inde a été privée de la possibilité d’entrer en communication avec M. Jadhav par l’entremise de

ses autorités consulaires et donc de comprendre les circonstances de la présence de l’intéressé sur

le territoire pakistanais, d’obtenir des informations de première main le concernant alors qu’il était

détenu dans une prison militaire et, enfin, d’obtenir des informations sur les accusations portées

contre lui, les éléments de preuve à charge et la décision par laquelle il a été reconnu coupable et

condamné. Si elle en avait eu la possibilité, l’Inde aurait également pu prendre les dispositions

nécessaires pour que M. Jadhav bénéficie d’une représentation en justice appropriée.

33. En tout état de cause, dans le cas de violations flagrantes de la convention de Vienne, la

possibilité de former un recours en grâce ne suffit pas à constituer un moyen approprié de

réexamen et de revision.

38Requête de l’Inde, annexe 7, et dossier de plaidoiries, onglet n 7.

39Requête de l’Inde, annexe 9, et dossier de plaidoiries, onglet n 9. - 22 -

34. Il n’en reste pas moins qu’au vu des allégations formulées par le Pakistan, l’on ne saurait

accorder le moindre crédit à l’argument avancé dans la communication du 12 mai 2017 au sujet de

la possibilité d’envisager la grâce en tant que voie de recours puisqu’une telle démarche serait une

chimère.

35. Enfin, nul ne saurait présumer que M. Jadhav attendra 60 jours pour former un recours en

grâce auprès du chef d’état-major de l’armée, puis qu’il attendra 90 jours pour s’adresser au

président de la République islamique du Pakistan après que la décision aura été rendue au sujet de

la demande précédente. Personne ne sait d’ailleurs si M. Jadhav formera un recours en grâce dans

les circonstances actuelles. Qui plus est, s’il entend demander la grâce, nul ne saurait présumer

qu’il attendra le dernier jour pour ce faire. Partant, même si M. Jadhav a l’intention de s’engager

sur cette voie, le délai pourrait être bien plus court que celui mentionné dans la communication du

Pakistan, à savoir 60 jours assortis de 90 jours supplémentaires.

36. Il convient de souligner que le Pakistan, dans sa communication du 12 mai 2017, ne

laisse nullement entendre que M. Jadhav disposera d’un quelconque recours juridique après qu’il

sera statué sur l’appel. L’Inde fait valoir, notamment dans sa requête  comme je l’expliquerai

plus tard  que M. Jadhav, pendant toute la durée de sa détention au Pakistan et tout au long de

son procès, a été privé de la possibilité d’entrer en communication avec ses autorités consulaires.

L’Inde demande, à titre de restitution, que la condamnation prononcée soit annulée, en sus d’autres

mesures. Une fois l’appel tranché, M. Jadhav ne disposera d’aucun recours juridique lui permettant

de contester les constatations et les conclusions du tribunal militaire. Dans de telles circonstances,

lorsque la Cour étudie la possibilité d’indiquer des mesures conservatoires, il est opportun, aux fins

d’apprécier l’urgence de la situation, de déterminer le temps qui pourrait inévitablement s’écouler

avant l’épuisement des voies prévues par la procédure pénale. Il importe peu que l’intéressé soit en

droit de former un recours en grâce, a fortiori eu égard aux faits et aux circonstances de la présente

affaire, où un tel droit est illusoire.

37. Aussi est-il absolument impératif, pour empêcher qu’un préjudice irréparable soit
27

commis, que la Cour indique des mesures conservatoires ayant effet jusqu’à ce qu’elle soit en

mesure d’examiner et de trancher la requête de l’Inde. - 23 -

Etablissement prima facie de la compétence de la Cour

38. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je souhaiterais à présent

aborder brièvement la question de la compétence prima facie de la Cour. Le critère énoncé par

celle-ci pour que soit établie la compétence prima facie, dans le cas d’une demande en indication

de mesures conservatoires, est le suivant :

«la Cour n’a pas besoin, avant de décider d’indiquer ou non de telles mesures, de

s’assurer d’une manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire,
mais … elle ne peut cependant indiquer ces mesures que si les dispositions invoquées
par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle la compétence
de la Cour pourrait être fondée» . 40

39. Les principes applicables en la matière sont résumés brièvement dans le commentaire

faisant autorité du Statut de la Cour internationale de Justice, édité par Zimmermann et al . Il y est

dit que :

«Depuis les affaires relatives à la compétence de l’Islande en matière de

pêcheries, il est de jurisprudence constante à la Cour que tout instrument attributif de
compétence émanant des Parties «se présente comme constituant prima facie une base
sur laquelle la compétence de la Cour pourrait être fondée.»» 42 [Traduction du

Greffe.]

43
40. La requête de l’Inde s’appuie sur l’article 36 de la convention de Vienne . L’Inde fonde

la compétence de la Cour sur l’article premier du protocole de signature facultative concernant le

règlement obligatoire des différends de 1963, qui accompagne la convention de Vienne (ci-après le

«protocole de signature facultative»).

41. L’article premier du protocole de signature facultative se lit comme suit :

«Les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la Convention

relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice, qui, à ce
28 titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au différend qui sera elle-même
Partie au présent Protocole.»

40 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires,
ordonnance du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 87, par. 38 ; LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d'Amérique),
mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 13, par. 13 ; affaire relative à la
Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d'Amérique), mesures conservatoires,

ordonnance du 9 april 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 255, par. 23.
41 The Statute Of The International Court of Justice – A Commentary, Second Edition, edited by Zimmermann,
Tomuschat, Oellers – Frahm and Tams.
42
The Statute Of The International Court of Justice – A Commentary, Second Edition, edited by Zimmermann,
Tomuschat, Oellers – Frahm and Tams, p. 1039.
43
La question de l’établissement prima facie de la violation de l’article 36 de la convention de Vienne est
abordée dans la section suivante. - 24 -

42. Le libellé de cet article ne présente aucune ambiguïté. Les deux conditions nécessaires à

l’établissement de la compétence sont les suivantes :

a) il existe un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la Convention, et

b) la partie qui saisit la Cour d’une requête doit être partie au protocole de signature facultative.

43. Il est incontestable que le 8 mai 2017, lorsque l’Inde a présenté sa requête, l’Inde et le

Pakistan étaient parties à la convention de Vienne sur les relations consulaires et au protocole de

signature facultative, et qu’elles le sont encore à ce jour. Dans sa communication du 12 mai 2017,

le Pakistan ne prétend d’ailleurs pas le contraire.

44. Dans sa requête, l’Inde fait grief au Pakistan d’avoir privé M. Jadhav de la possibilité de

communiquer avec ses autorités consulaires, et ce, tout au long de la période allant de sa prétendue

arrestation à ce jour et en dépit des demandes répétées de l’Inde en ce sens. Le Pakistan n’a fourni

aucune explication à ce sujet dans ses échanges avec l’Inde. Quelles que puissent être les raisons

susceptibles d’être avancées par le Pakistan pour justifier ses actes et omissions, des différends

opposent aujourd’hui l’Inde et le Pakistan : l’Inde invoque des violations de la convention de

Vienne ; le Pakistan, lui, nie avoir commis pareilles violations. Ces différends ont trait, si ce n’est

entièrement, du moins largement, à l’interprétation de la convention de Vienne et de son

application aux faits de l’espèce.

45. L’Inde affirme que la convention de Vienne ne prévoit aucune exception. N’ayant pas

reçu copie des accusations ni de la décision rendue, elle n’est pas en mesure de commenter les

allégations formulées à l’encontre de M. Jadhav. Au vu des informations publiquement

accessibles, telles que les déclarations publiques citées dans les annexes 6 et 7 de la requête de

l’Inde, il apparaît que les accusations dont fait l’objet M. Jadhav sont graves et qu’il est suggéré

que ce dernier a pu commettre des actes de terrorisme. L’Inde réfute ces accusations. Mais

rappelons-nous que le fond de l’affaire n’est guère pertinent en la présente espèce. Ce qui est

pertinent, en tant que principe de droit, c’est qu’il est d’autant plus nécessaire de respecter à la

lettre les garanties d’ordre procédural lorsque les accusations sont graves et que la peine encourue

en cas de condamnation est la peine capitale.

44Dossier de plaidoiries, onglets n 6 et 7. - 25 -

29 46. Comme il a été jugé par la Cour en l’affaire Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique,

«les questions portées devant la Cour en l’espèce ne concernent pas le droit des Etats
fédérés qui composent les Etats-Unis de recourir à la peine de mort pour les crimes les
plus odieux ; … la fonction de la Cour est de régler des différends juridiques
internationaux entre Etats, notamment lorsqu’ils découlent de l’interprétation ou de

l’application de conventi45s internationales, et non pas d’agir en tant que cour d’appel
en matière criminelle» .

Ce principe a été réaffirmé en les affaires Avena et LaGrand . 46

47. Il est permis de répéter que, lorsque le ressortissant d’un autre Etat est accusé d’actes de

terrorisme qui, s’ils sont établis, sont sanctionnés par la peine capitale, et que le procès se déroule

devant un tribunal militaire, il est d’autant plus important de garantir la communication consulaire

et la représentation en justice appropriée de l’intéressé tout au long de son procès, comme le

prévoit la convention de Vienne. Dans l’affaire qui nous occupe, un ressortissant indien a été placé

en détention dans une prison militaire, poussé aux aveux, puis jugé pour diverses infractions et

condamné à mort. Le préjudice causé par la violation flagrante des garanties visées à l’article 36 de

la convention de Vienne est en l’occurrence manifeste et il n’y a pas lieu de s’attarder davantage

sur ce point.

48. L’Inde soutient que la violation de la convention de Vienne en cause dans la présente

affaire invalide le procès de M. Jadhav. Dans sa communication du 12 mai 2017, le Pakistan «nie

[que la demande en indication de mesures conservatoires et la requête introductive d’instance]

contiennent quelque élément que ce soit fondant la compétence de la Cour [aux fins, notamment de

47
l’indication de mesures conservatoires]» .

49. L’Inde fonde sa requête sur la compétence que tire la Cour du paragraphe 1 de

l’article 36 de son Statut et de l’article premier du protocole de signature facultative concernant le

règlement obligatoire des différends de 1963.

50. Les deux conditions requises par le protocole de signature facultative sont ici réunies.

Cela étant, la Cour a en tout état de cause compétence pour connaître de la présente affaire en vertu

45Affaire relative à la Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis d’Amérique),
mesures conservatoires, ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 248, par. 38.

46 Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures conservatoires,
ordonnance du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 77, par. 48 ; LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique),
mesures conservatoires, ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 9, par. 25.
47 o
Dossier de plaidoiries, onglet n 12. - 26 -

du paragraphe 1 de l’article 36 de son Statut. L’Inde a donc établi à suffisance les éléments

permettant à la Cour de conclure à sa compétence prima facie.

30 Compétence au titre du paragraphe 1 de l’article 36

51. J’en viens à présent, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, à la

question de la compétence de la Cour en vertu du paragraphe 1 de l’article 36. La compétence

obligatoire de la Cour telle que prévue audit paragraphe comporte trois volets. La Cour est

compétente :

a) à l’égard de toutes les affaires que les parties lui soumettent ;

b) à l’égard de tous les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies ;

c) à l’égard de tous les cas spécialement prévus dans les traités et conventions en vigueur.

52. Le protocole de signature facultative prévoit expressément le règlement des différends

ayant trait à la convention de Vienne — sa formulation est impérative. Il précise que l’ensemble

des différends relatifs à l’interprétation ou l’application de la convention «relèvent de la

compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice».

53. Le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour porte sur les déclarations par

lesquelles les Etats parties reconnaissent sa juridiction «comme obligatoire de plein droit et sans

convention spéciale, à l’égard de tout autre Etat acceptant la même obligation». L’Inde ne cherche

pas à fonder la compétence de la Cour, relativement à sa requête, sur le paragraphe 2 de

l’article 36. Toute réserve qui serait formulée dans la déclaration faite en vertu de cette disposition

est dénuée de pertinence en l’espèce.

54. L’article 36 ne saurait donner lieu à une nouvelle interprétation. Le fait que la Cour

puisse disposer de plusieurs bases de compétence est désormais bien établi et, lorsqu’il existe de

multiples accords, cela atteste «chez les contractants la volonté d’ouvrir de nouvelles voies d’accès

48
à la Cour plutôt que de fermer les anciennes ou de les laisser se neutraliser mutuellement» .

55. Lorsque la Cour est compétente à la fois au titre des déclarations faites en vertu de la

clause facultative et des clauses de juridiction obligatoire, le principe général est que chaque titre

de compétence est indépendant et qu’aucun ne prévaut sur les autres. A cet égard, le commentaire

48Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, 1939, C.P.J.I. série A/B n° 77, p. 76, cité dans The Law and
Procedure of the International Court of Justice, Fifty Years of Jurisprudence, vol. II, Hugh Thirlway, p. 1684. - 27 -

qui figure dans le livre de Robert Kolb est éclairant : «En cas de concurrence de plusieurs titres de

compétence, ceux-ci ne se limitent et ne se contrecarrent pas mutuellement ; plutôt, ils se

complètent et s’additionnent» . Il y est dit que les réserves formulées à l’égard d’un titre de

compétence ne sauraient être transposées à l’égard d’un autre. Il faut récuser l’argument selon

lequel «le titre de compétence issu des déclarations facultatives aurait une valeur hiérarchiquement

50
31 supérieure aux titres conventionnels» . Ce commentaire indique que les titres de compétence

demeurent valables jusqu’à ce qu’ils soient modifiés ou qu’il y soit mis fin, et que l’on ne saurait

soutenir qu’

«une déclaration facultative postérieure et plus restrictive témoigne de la volonté de

l’Etat de ne se soumettre que de manière plus limitée à la compétence de la Cour, si
bien qu’une clause compromissoire antérieure et plus large devrait être considérée
comme ayant subi une dérogation (ou vice versa)» . 51

52
C’est aux «parties de choisir les titres de compétence sur lesquels [elles] entendent se fonder» .

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’Inde se fonde sur la convention de

Vienne, sur le protocole de signature facultative et sur le paragraphe 1 de l’article 36.

56. La jurisprudence de la Cour traite également de cette question. Dans l’affaire de la

Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, le gouvernement belge avait invoqué les

déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour faites par la Belgique et la

Bulgarie, ainsi que le traité de conciliation, d’arbitrage et de règlement judiciaire conclu entre les

deux Etats le 23 juin 1931. Le Gouvernement bulgare avait contesté la compétence de la Cour.

C’est dans cette affaire que la CPJI avait conclu que «la multiplicité d’engagements conclus en

faveur de la juridiction obligatoire atteste chez les contractants la volonté d’ouvrir de nouvelles

voies d’accès à la Cour plutôt que de fermer les anciennes ou de les laisser se neutraliser

mutuellement pour aboutir finalement à l’incompétence» . 53

57. Dans l’affaire Nicaragua c. Honduras, le Nicaragua a introduit une instance en raison

d’un différend relatif aux activités présumées de groupes armés, censés opérer depuis le Honduras.

49
La Cour internationale de Justice, Robert Kolb, 2013, p. 601.
50Ibid., p. 602.

51Ibid., p. 604.
52
Ibid., p. 606.
53Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, 1939, C.P.J.I. série A/B n° 77, p. 76. - 28 -

Il fondait la compétence de la Cour sur le traité américain de règlement pacifique (connu sous le

nom de «pacte de Bogotá»), ainsi que sur les déclarations des deux parties. Le Honduras a contesté

la compétence de la Cour au motif que le différend en était exclu par les termes de la déclaration

qu’il avait faite le 22 mai 1986 et affirmé que celle-ci s’appliquerait au pacte de Bogotá.

58. Le Honduras avait invoqué le libellé de l’article XXXI du pacte qui commence ainsi :
54
«Conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice…» .

32 Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, vous pourrez constater que le protocole

de signature facultative ne contient aucune formule de cet acabit. Dans cette affaire, le Honduras

avait soutenu, sur la base de ce libellé, que la déclaration qu’il avait faite en vertu du paragraphe 2

de l’article 36 du Statut circonscrivait la portée de la juridiction de la Cour, même au titre de

l’article XXXI du pacte. Cet argument a été rejeté par la Cour, qui a considéré qu’il ressortait

clairement du libellé dudit article que celui-ci ne dépendait pas de quelque nouvelle déclaration qui

pourrait être faite en vertu des paragraphes 2 et 4 de l’article 36 du Statut. La Cour a relevé (au

paragraphe 33), s’agissant de l’interprétation proposée par le Honduras, que

«dès l’abord … deux lectures de l’article XXXI au regard du Statut ont été proposées
par les Parties. Cet article a en effet été regardé soit comme une disposition
conventionnelle donnant compétence à la Cour conformément au paragraphe 1 de
l’article 36 du Statut, soit comme une déclaration collective d’acceptation de la
55
juridiction obligatoire effectuée par application du paragraphe 2 du même article.»

59. Dans cette affaire, l’argument du Honduras reposait sur l’article XXXI du pacte qui fait

explicitement référence au paragraphe 2 de l’article 36. Il est significatif que la Cour ait reconnu

qu’il pouvait exister une disposition conventionnelle, auquel cas celle-ci lui confère également

compétence en vertu du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut. Toutefois, lorsqu’elle s’est penchée

sur l’article XXXII, la Cour a relevé que cet article faisait référence à sa compétence au titre du

paragraphe 1 de l’article 36 du Statut.

60. Cette question s’est à nouveau posée dans l’affaire Nicaragua c. Colombie. La Cour a

retenu une exception ayant trait à sa compétence au titre du pacte de Bogotá, au sujet des différends

dont le règlement était prévu dans cet instrument. Le Nicaragua s’est efforcé de fonder sa

54
Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 69, par. 20.
55Ibid., par. 33. - 29 -

réclamation relevant précisément de cette catégorie sur le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut,

mais la Cour a rejeté cet argument et retenu l’exception d’incompétence au motif que, dans la

mesure où les territoires avaient été délimités dans le cadre du pacte, il n’existait pas de différend

juridique entre les parties.

61. Le juge Abraham (qui n’était pas encore président) a considéré dans une opinion

individuelle que l’argument de l’exclusivité du pacte était convaincant. Il indiquait que les

observations formulées en l’affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie citées

dans cet arrêt étaient sans conteste exactes en règle générale, mais estimait que cette règle, pour

reprendre les termes qu’il a employés, «ne t[enait] compte d’aucune des spécificités du pacte de

Bogotá». 56

33 62. En conséquence, s’il peut y avoir des pactes distincts, chacun étant régi par ses propres

termes, qui reconnaissent à la Cour le rôle de mécanisme de règlement des différends, celle-ci est

compétente pour connaître de requêtes ayant trait aux différends relevant de ces pactes. Et cette

compétence repose, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, sur le paragraphe 1

de l’article 36 du Statut.

63. Dans l’affaire du Conseil de l’OACI, l’Inde avait présenté une requête en invoquant

l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale et l’article II de l’accord

relatif au transit des services aériens internationaux. Les clauses juridictionnelles de ces traités

permettaient de faire appel d’une décision du conseil devant la Cour. Le Pakistan a notamment fait

valoir que l’une des réserves formulées par l’Inde dans sa déclaration d’acceptation de la juridiction

obligatoire de la Cour faite en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut avait pour effet de

faire obstacle à la compétence de celle-ci pour connaître de cet appel. La Cour a rejeté cette

exception en concluant que

«les objections à [s]a juridiction … ne sauraient être retenues, qu’elles se fondent sur
la prétendue inapplicabilité des Traités en tant que tels ou sur celle de leurs clauses
juridictionnelles. La Cour ayant donc compétence en vertu de ces clauses et par suite
(voir paragraphes 14-16) en vertu de l’article 36, paragraphe 1, et de l’article 37 de

56Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007
(II), p. 832, opinion individuelle du juge Abraham, par. 54. - 30 -

son Statut, il est sans pertine57e d’examiner les objections visant d’autres fondements
possibles de sa compétence.»

64. Les trois affaires susmentionnées, qui avaient trait à des violations de la convention de

Vienne, soulevaient également des questions de compétence, laquelle était fondée sur le

paragraphe 1 de l’article 36 du Statut. Dans l’affaire LaGrand, la Cour est partie du principe que la

République fédérale d’Allemagne, dans la requête qu’elle avait présentée pour violation de la

convention de Vienne, fondait la compétence sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut, lu

conjointement avec l’article premier du protocole de signature facultative. Cette position n’a

d’ailleurs pas été contestée par les Etats-Unis.

65. Dans l’affaire Avena, la Cour a relevé que le Mexique fondait sa compétence sur le

paragraphe 1 de l’article 36 du Statut et sur l’article premier du protocole de signature facultative.

34 66. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’accord sur la
58
communication des autorités consulaires avec les ressortissants de l’Etat d’envoi conclu entre

l’Inde et le Pakistan n’est pas pertinent aux fins de la présente instance, et ce, pour quatre raisons :

a) L’Inde n’invoque pas l’accord bilatéral sur la communication des autorités consulaires avec les

ressortissants de l’Etat d’envoi [qu’elle a conclu avec le Pakistan le 21 mai 2008]. Cet accord

visait, conformément à l’article 73 de la convention de Vienne — je cite l’accord proprement

dit — à «renforcer l’objectif consistant à garantir un traitement humain aux ressortissants de

chacun des deux Etats en cas d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement sur le territoire

de l’autre». Certaines des dispositions de cet accord renforcent les obligations contenues dans

la convention de Vienne. Il s’agit des obligations de signaler sans délai au haut-commissariat

concerné «l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement de tout ressortissant de l’autre Etat»,

et d’«informer l’autre Gouvernement dans les meilleurs délais des condamnations prononcées à

l’encontre des ressortissants de l’autre Etat…». L’Inde ne se fonde pas — elle n’a d’ailleurs

pas besoin de le faire — sur cet accord. Elle invoque exclusivement, à l’appui de sa

revendication, la convention de Vienne. La revendication que formule l’Inde dans sa requête ne

relève donc pas de cet accord bilatéral.

57
Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 46,
par. 25.
58Requête de l’Inde, annexe 10, et dossier de plaidoiries, onglet n° 10. - 31 -

b) Le paragraphe 2 de l’article 102 de la Charte des Nations Unies de 1945 proscrit l’invocation de

59
tout accord qui n’a pas été enregistré. Or l’on sait que l’accord susmentionné ne l’a pas été .

c) Il est précisé, à l’article 73 de la convention de Vienne, que celle-ci ne porte pas atteinte aux

autres accords internationaux en vigueur. Toutefois, cette convention précise expressément

qu’elle ne vise pas à «empêcher les Etats de conclure des accords internationaux confirmant,

complétant ou développant ses dispositions, ou étendant leur champ d’application».

d) L’article 41 de la convention de Vienne sur le droit des traités consacre et explique le principe

établi de droit international selon lequel deux ou plusieurs parties à un traité multilatéral

peuvent conclure un accord ayant pour objet de modifier le traité dans leurs relations mutuelles,

si la possibilité d’une telle modification est prévue par le traité, ou si la modification en

question n’est pas interdite par le traité, à condition qu’elle ne porte pas sur une disposition à

laquelle il ne peut être dérogé sans qu’il y ait incompatibilité avec la réalisation effective de

l’objet et du but du traité pris dans son ensemble. Monsieur le président, Mesdames et

Messieurs de la Cour, j’estime que, si l’article 73 de la convention de Vienne laisse aux parties
35
la possibilité de compléter et développer les dispositions de cet instrument, il n’encourage

certainement pas l’édulcoration des principes qui y sont consacrés. Mais encore une fois, nous

ne nous fondons pas sur cet accord bilatéral.

La violation de la convention de Vienne est établie prima facie

67. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’aborderai à présent la

section suivante de ma plaidoirie qui porte sur l’établissement prima facie de la violation de la

convention de Vienne. Les faits exposés dans la requête, étayés par les échanges entre l’Inde et le

Pakistan, démontrent davantage que le simple établissement prima facie de la violation de la

convention de Vienne.

68. L’Inde a été avisée que M. Jadhav aurait été arrêté le 3 mars 2016, lorsque le secrétaire

d’Etat aux affaires étrangères du Pakistan en a fait état auprès du haut-commissaire indien à

Islamabad le 25 mars 2016. Le jour même, l’Inde a tenté d’entrer en communication avec

59Aux termes de l’article 92 de la Charte, la Cour est l’organe judiciaire principal des Nations Unies. - 32 -

60
M. Jadhav par l’entremise de ses autorités consulaires . N’ayant reçu aucune réponse du Pakistan,

l’Inde a réitéré sa demande le 30 mars 2016 . Entre mars 2016 et avril 2017 , elle a formulé en ce

sens d’innombrables demandes par le biais de notes verbales officielles et de démarches faites

verbalement auprès du Pakistan. Ces demandes n’ont toutefois obtenu aucune réponse du Pakistan.

69. Le 23 janvier 2017, soit près d’un an après la première demande de l’Inde tendant à ce

que ses autorités consulaires puissent entrer en communication avec son ressortissant, le Pakistan a

adressé à celle-ci une demande d’assistance dans le cadre d’une enquête engagée sous la référence

o 63
«FIR n 6 de 2016» . Au sens du code de procédure pénale pakistanais, le «FIR», pour First

Information Report, désigne le procès-verbal établi lors du dépôt initial d’une plainte à la police.

Le document en question a été établi, apparemment le 8 avril 2016, contre le ressortissant indien. Il

est important de relever que la lettre du Pakistan précisait que ledit document avait été déposé

contre «un ressortissant indien». La nationalité de l’intéressé n’a par conséquent jamais fait l’objet

d’un doute.

70. Le Pakistan a donc, de toute évidence, manqué à l’obligation internationale que lui

impose l’article 36 de la convention de Vienne de permettre à l’Inde de communiquer avec son

ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires. A n’en pas douter, il a également

méconnu le droit de M. Jadhav de solliciter et d’obtenir de communiquer avec ces mêmes autorités.

36 71. Le 3 février 2017, l’Inde a officiellement protesté contre le déni persistant de son droit de

communiquer avec M. Jadhav. La demande d’assistance du Pakistan faisait par ailleurs référence à

de prétendus aveux de l’intéressé, qui constituaient le fondement des accusations portées à son

encontre  ou, à tout le moins, un élément important des charges retenues contre lui. L’Inde a

donc exprimé ses préoccupations quant à la sécurité de son ressortissant, précisant que,

«compte tenu, notamment, du caractère forcé des prétendus aveux de l’intéressé, le
traitement dont celui-ci fai[sait] l’objet dans le cadre de sa détention au Pakistan

soul[evait] des inquiétudes grandissantes, les circonstances de sa présence au Pakistan
demeurant par ailleurs inexpliquées» . 64

60Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1.
61 o
Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1.
62 o
Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1.
63Requête de l’Inde, annexe 2, et dossier de plaidoiries, onglet n 2.

64Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1. - 33 -

72. Le 3 mars 2017 , l’Inde a rappelé au Pakistan les démarches successives qu’elle avait

effectuées.

73. Dans une note verbale datée du 21 mars 2017, le Pakistan lui a indiqué que «la possibilité

de communiquer par l’entremise de ses autorités consulaires avec le ressortissant indien … ser[ait]

étudiée à la lumière de la suite qu’elle donner[ait] à la demande d’assistance aux fins d’enquête et

66
de célérité de la justice formulée par le Pakistan» .

74. Les faits relatifs à la présente affaire exposés ci-dessus, et notamment la note verbale du

21 mars 2017, démontrent que le Pakistan a manqué de manière flagrante aux obligations que lui

impose la convention de Vienne, qui ne prévoit aucune exception au droit d’un Etat de

communiquer avec ses ressortissants par l’entremise de ses autorités consulaires énoncé à

l’article 36. Le seul fait de subordonner ce droit à l’octroi de l’assistance aux fins d’enquête

sollicitée par le Pakistan constitue une violation grave de la convention de Vienne.

75. L’Inde a répondu à cette note verbale le 31 mars 2017, soulignant que «le fait d’être

autorisée à communiquer avec M. Jadhav par l’entremise de ses autorités consulaires [était] une

condition préalable essentielle pour établir les faits et comprendre les circonstances de la présence

de l’intéressé au Pakistan» . L’Inde disposait d’informations selon lesquelles M. Jadhav aurait été

enlevé en Iran, où il se livrait à des activités commerciales après avoir pris sa retraite de la marine

indienne ; le Pakistan a affirmé qu’il avait été arrêté au Baloutchistan. Ces éléments demandaient à

être vérifiés, ce qui supposait avant tout que l’Inde puisse communiquer avec l’intéressé.

76. Dans un communiqué de presse du 10 avril 2017, le bureau des relations publiques de

l’armée pakistanaise a déclaré ce qui suit au sujet de M. Jadhav :

«L’espion a été jugé par une cour martiale générale en application de la loi sur

37 l’armée pakistanaise, et condamné à mort. Le général Qamar Javed Bajwa, chef
d’état-major de l’armée, a confirmé ce jour cette condamnation à mort prononcée par
la cour martiale générale.» 68

65Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1.

66Requête de l’Inde, annexe 3, et dossier de plaidoiries, onglet n 3.
67 o
Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1.
68Requête de l’Inde, annexe 4, et dossier de plaidoiries, onglet n 4. - 34 -

77. Le 10 avril 2017 , l’Inde a reçu une nouvelle note verbale du ministère des affaires

étrangères du Pakistan, indiquant que la possibilité, pour ses autorités consulaires, d’entrer en

communication avec l’intéressé serait étudiée à la lumière de la suite qu’elle donnerait à la

demande d’assistance aux fins d’enquête du Pakistan.

78. L’Inde a répondu à cette note verbale le même jour, précisant que cette proposition, déjà

formulée, intervenait alors que la condamnation à mort de son ressortissant avait été confirmée et

que cette confirmation avait été communiquée lors d’un point de presse. L’Inde a fait part de son

inquiétude en déclarant que cette offre «soulign[ait] que la procédure et le prétendu procès devant

une cour martiale pakistanaise n’étaient qu’un simulacre» . L’Inde a rappelé au Pakistan que, en

dépit de ses demandes répétées, ses autorités consulaires n’avaient pas été autorisées à entrer en

communication avec l’intéressé.

79. Un conseiller pour les affaires étrangères auprès du premier ministre du Pakistan a fait

une déclaration à la presse . Les éléments suivants ressortent de cette déclaration :

a) Après la prétendue arrestation de M. Jadhav, un «enregistrement vidéo des aveux» de

l’intéressé a été réalisé le 25 mars 2016. Le document FIR n’a cependant été établi que le

8 avril 2016.

b) L’accusé a été interrogé en mai 2016, ses aveux ayant été recueillis en présence d’un magistrat

au mois de juillet 2016.

c) La cour martiale a consigné le résumé des éléments de preuve le 24 septembre 2016, et a jugé

l’accusé lors de quatre audiences, dont la dernière s’est tenue le 12 février 2017.

d) L’accusé «a eu la possibilité de poser des questions aux témoins» qui ont été entendus, et «un

officier supérieur, juriste qualifié, a été commis pour assurer sa défense pendant toute la durée

du procès».

80. Au vu de cette déclaration, la dernière audience en l’affaire a eu lieu le 12 février 2017.

Le droit conditionnel de communiquer avec l’accusé par l’entremise des autorités consulaires

69Requête de l’Inde, annexe 5, et dossier de plaidoiries, onglet n 5.
70 o
Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1.
71Requête de l’Inde, annexe 6, et dossier de plaidoiries, onglet n 6. - 35 -

indiennes, proposé par le Pakistan le 21 mars 2017, était devenu vain, puisque le procès était

peut-être déjà terminé.

81. Ces éléments établissent sans l’ombre d’un doute que le procès a été conduit sans
38

informer l’accusé des droits que lui confère la convention de Vienne ni donner aux autorités

consulaires indiennes la possibilité de communiquer avec lui, et en déniant à l’accusé et à l’Inde la

possibilité d’organiser une représentation en justice. Le Pakistan a donc adopté un comportement

qui constitue une grave violation de ladite convention.

82. Au cours d’un entretien avec des journalistes, le 17 avril 2017, le porte-parole de l’armée

pakistanaise a déclaré, au nom du Gouvernement, que le ressortissant indien ne remplissait pas les

72
conditions requises pour pouvoir communiquer avec ses autorités consulaires .

The PRESIDENT: Excuse me, can you slow down for the interpreters? Thank you.

M. SALVE : Les dispositions de la convention de Vienne ont donc été violées et le

comportement persistant du Pakistan demeure contraire à ces dispositions.

73
83. Le 19 avril 2017 , l’Inde, par l’entremise de son haut-commissariat à New Delhi, a de

nouveau adressé une note verbale au Pakistan dans laquelle elle demandait à obtenir copie de l’acte

d’accusation, des procès-verbaux relatifs à l’enquête, du résumé des éléments de preuves et de la

décision. Pour avoir un sens, le droit de cet Etat et de l’accusé à ce que le poste consulaire apporte

son assistance à la représentation en justice doit comprendre le droit d’obtenir ces informations.

84. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’Inde n’invite pas la Cour à

statuer en recours sur le comportement des juridictions pakistanaises, mais si elle fait de telles

remarques c’est pour souligner les conséquences engendrées par la violation de la convention de

Vienne.

85. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les droits conférés par

l’article 36 de la convention de Vienne sont sacro-saints et opposables.

86. Les droits relatifs à la communication entre un ressortissant et ses autorités consulaires

constituent une étape importante dans l’évolution et la reconnaissance des droits de l’homme en

72Voir le paragraphe 7 ci-dessus.

73Requête de l’Inde, annexe 1, et dossier de plaidoiries, onglet n 1. - 36 -

droit international. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que les

«principes énoncés dans la Charte des Nations Unies, la reconnaissance de la dignité inhérente à

tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le

fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde». L’article 6 du Pacte énonce que

nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. Son article 9 établit le droit à la liberté et à la

39 sécurité des personnes et interdit les arrestations et les détentions arbitraires. L’article 14 prévoit

que «[t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un

tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera … du bien-fondé de

toute accusation en matière pénale dirigée contre elle». Au paragraphe 3 de l’article 14, ce droit

comprend, pour la personne accusée, celui d’«être présente au procès et à se défendre elle-même ou

à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de

son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office

un défenseur».

87. Pour faire de ces principes salutaires une réalité vivante, lorsqu’un ressortissant d’un Etat

est jugé dans un autre Etat, il est essentiel d’adhérer à la lettre et à l’esprit de la convention de

Vienne. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je dirai, avec toute l’insistance

possible, que plus les accusations sont graves plus il est nécessaire d’appliquer scrupuleusement la

convention. Même si celle-ci est antérieure au Pacte international relatif aux droits civils et

politiques, le droit international et sa jurisprudence, en particulier en matière de droits de l’homme,

ont évolué au fil du temps, et l’interprétation de la convention de Vienne et les conséquences des

droits qu’elle garantit doivent être considérées à la lumière des normes actuelles relatives au

comportement attendu de la part des Etats souverains.

88. La convention de Vienne énonce un code de conduite fondamental qui vise à faire en

sorte que le droit à un procès équitable reconnu au ressortissant d’un Etat arrêté sur le territoire

d’un autre Etat devienne réalité et ait un sens concret. Le contenu de l’article 36 de la convention

de Vienne doit de nos jours être interprété à la lumière de la jurisprudence internationale, et

notamment des principes salutaires consacrés dans le Pacte international relatif aux droits civils et

politiques. - 37 -

89. Ainsi que la Cour l’a déclaré en l’affaire Avena, «toute violation des droits que l’individu

tient de l’article 36 risque d’entraîner une violation des droits de l’Etat d’envoi et…toute violation

des droits de ce dernier risque de conduire à une violation des droits de l’individu» . La violation

des droits d’une personne ne peut rester sans conséquences. La convention de Vienne reconnaît le

droit de l’Etat de demander réparation à la Cour au nom de son ressortissant lorsque les droits de

celui-ci et, de manière concomitante, ses propres droits en vertu de la convention de Vienne sont

violés par un autre Etat.

90. Les faits exposés dans notre requête, dont je n’ai fait qu’un bref récit, attestent une

violation flagrante de la convention de Vienne. Les événements qui se sont fait jour depuis

40 mars 2016 attestent que le procès de M. Jadhav n’était qu’un simulacre et n’autorisent aucun doute

sur le fait que, en l’espèce, la violation du droit de communication consulaire garanti par la

convention de Vienne a privé le verdict du tribunal militaire pakistanais de toute crédibilité et de

toute respectabilité sur le plan du droit international.

91. L’Inde appelle l’attention de la Cour sur les agissements du Pakistan qui vont à

l’encontre des dispositions de la convention de Vienne –– je ne m’arrêterai ici que sur un ou deux

exemples.

a) Dans sa lettre du 21 mars 2017, le Pakistan a répondu à la demande de l’Inde en déclarant que

«la possibilité de communiquer par l’entremise de ses autorités consulaires avec

M. [Jadhav] … ser[ait] étudiée à la lumière de la suite qu’elle donner[ait] à la demande

d’assistance aux fins d’enquête et de célérité de la justice formulée par le Pakistan» . 75

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, une telle position me semble

totalement indéfendable. Il s’agit là d’une position totalement indéfendable et d’une violation

évidente de la convention de Vienne. Le droit visé à l’article 36 est conféré aussi bien au

ressortissant qu’à l’Etat. Premièrement, le droit du ressortissant de communiquer avec ses

autorités consulaires ne saurait être marchandé en échange d’une assistance dans une enquête et

se trouver ainsi tributaire de la réponse de l’Etat d’origine. Deuxièmement, la convention de

74Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 36, par. 40.

75Requête de l’Inde, annexe 3, et dossier de plaidoiries, onglet n 3. - 38 -

Vienne n’admet pas d’exceptions de cet ordre. Troisièmement, je le répète, plus les accusations

sont graves, plus le respect des garanties procédurales prévues est nécessaire pour assurer un

procès équitable à l’accusé. Dans une affaire comme celle-ci, où l’accusé avait, au mois de

mars 2017, passé une année entière dans une prison militaire, totalement coupé de sa famille et

des autorités de son Etat d’origine, il est de toute évidence aberrant de soutenir qu’un procès

équitable lui a été assuré alors qu’il ne lui a pas été permis de communiquer avec son consulat.

Le procès est vicié au regard du droit international, à raison de violations flagrantes de la

convention de Vienne.

b) Le communiqué de presse du 10 avril 2017 , dans lequel étaient annoncées la condamnation à

mort et sa confirmation par le chef d’état-major de l’armée, indique que M. Jadhav a fait des

aveux devant un magistrat –– il aurait ainsi avoué avoir été chargé d’organiser et de

coordonner des activités d’espionnage et de sabotage, notamment. En l’absence de la moindre

information quant à d’autres éléments de preuve retenus contre lui, il peut légitimement être

supposé que ses aveux ont joué un rôle prépondérant dans sa condamnation. Or ces aveux lui

ont été soutirés alors qu’il était détenu dans une prison militaire, au secret, et était

systématiquement privé de la possibilité de communiquer avec ses autorités consulaires.

D’aucuns ont beau répéter que M. Jadhav a bénéficié d’un procès équitable –– alors que les
41

droits fondamentaux qui lui étaient garantis par la convention de Vienne ont été foulés aux

pieds –– , leurs assertions sonnent creux.

92. L’Inde demande à la Cour d’intervenir afin qu’il soit remédié au préjudice causé par la

violation de la convention de Vienne et, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour,

il me semble que l’existence éventuelle de voies de recours, si tant est que pareilles voies existent

dans le droit interne pakistanais, ne fait pas obstacle à la compétence de la Cour.

93. Les assertions formulées par le Pakistan dans sa communication du 12 mai 2017, à savoir

que certaines voies de recours seraient ouvertes à M. Jadhav, doivent être considérées à la lumière

du contexte de l’affaire, dont quelques éléments sont particulièrement importants :

76Requête de l’Inde, annexe 4, et dossier de plaidoiries, onglet n 4. - 39 -

a) en appel, le Pakistan refuse invariablement toute communication entre les autorités consulaires

et leur ressortissant –– non pas qu’une telle communication à ce stade remédierait au vice fatal

entachant la procédure qui a conduit à la condamnation de M. Jadhav, mais ce refus atteste

simplement la perpétuation de la situation illicite causée par la violation de la convention de

Vienne.

b) Selon les informations publiquement accessibles, l’appel sera examiné par une cour présidée

par un général deux étoiles. Je rappelle que la condamnation à mort a été entérinée par le chef

d’état-major de l’armée pakistanaise –– un général quatre étoiles. Il est très difficile de croire

que la cour d’appel aura le degré d’impartialité et d’indépendance requis, et statuera sans se

laisser influencer par ces considérations.

c) L’appel sera examiné alors que M. Jadhav sera toujours détenu au secret et privé de la

possibilité de communiquer avec ses autorités consulaires. Le porte-parole de l’armée a

ouvertement reconnu, lors de sa conférence de presse, qu’il ne voyait aucune chance que le

verdict soit annulé .

d) Selon les informations publiquement accessibles, M. Jadhav ne pourra pas se faire représenter
78
par le défenseur de son choix. Il a été rapporté (et n’a pas été démenti) que le barreau de la

High Court de Lahore avait menacé de radiation tout avocat qui interjetterait appel pour

l’intéressé. Partant, même au stade de l’appel, M. Jadhav ne pourra ni communiquer avec son

consulat, ni espérer être dûment représenté par un défenseur de son choix.

e) En tout état de cause, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il n’existe à

mon humble avis sur le plan juridique aucune voie de recours qui permette de remédier au

42 préjudice causé par la violation de la convention de Vienne. Des porte-parole du Pakistan ont

déjà fait clairement savoir que M. Jadhav ne bénéficierait pas de la communication consulaire

prévue par la convention, une position dans la ligne de celles exprimées dans les

communications adressées à l’Inde par le Pakistan.

94. Le Pakistan s’obstine à prétendre que M. Jadhav était un commandant dans la marine

indienne et un espion de l’Inde. L’Inde rejette ces allégations qui sont dépourvues de tout

77Requête de l’Inde, annexe 7, et dossier de plaidoiries, onglet n 7.

78Requête de l’Inde, annexe 11, et dossier de plaidoiries, onglet n 11. - 40 -

fondement et s’inscrivent dans le cadre de la guerre de propagande continuellement menée par le

Pakistan. M. Jadhav a pris sa retraite de l’armée indienne et faisait des affaires en Iran, où il a été

enlevé. Cela étant, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, peu importe de

savoir qui, de l’Inde ou du Pakistan, dit vrai aux fins de l’affaire portée devant vous. La gravité des

allégations met simplement en évidence combien il importe que soient scrupuleusement respectés

les droits et garanties d’ordre procédural qui sont ménagés à tout accusé non seulement par le droit

interne mais aussi, dans le cas de M. Jadhav, par la convention de Vienne.

95. L’Inde estime en conséquence qu’elle a avancé de solides arguments prima facie quant à

la compétence de la Cour et au fond de l’affaire et que, ce faisant, elle a suffisamment démontré le

bien-fondé de sa demande en indication de mesures conservatoires. Entre autres formes de

réparation, l’Inde sollicite la restitutio in integrum –– laquelle nécessiterait en définitive, à tout le

moins, l’annulation du verdict prononcé contre M. Jadhav.

96. En l’espèce, l’Inde a avancé de solides arguments en faveur de l’indication de mesures

conservatoires à l’effet, notamment, de prescrire au Pakistan de surseoir à l’exécution de M. Jadhav

jusqu’à ce que la Cour ait statué sur la requête indienne.

Mesures conservatoires

97. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, au nom de la République de

l’Inde, je prie donc respectueusement la Cour de prescrire, en attendant l’arrêt définitif en la

présente affaire, que

a) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan prenne toutes les mesures nécessaires

pour que M. Kulbhushan Sudhir Jadhav ne soit pas exécuté ;

b) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan porte à la connaissance de la Cour les

mesures qu’il aura prises en application de l’alinéa a) ; et que

43 c) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan fasse en sorte qu’il ne soit pris aucune

mesure qui puisse porter atteinte aux droits de la République de l’Inde ou de M. Kulbhushan

Sudhir Jadhav en ce qui concerne toute décision que la Cour pourrait prendre sur le fond de

l’affaire.

Je vous remercie, Monsieur le président et Mesdames et Messieurs de la Cour. - 41 -

Le PRESIDENT : Je donne à présent la parole à M. Deepak Mittal, agent de la République

de l’Inde.

M. MITTAL: Je vous remercie, Monsieur le président et Mesdames et Messieurs de la Cour.

Je remercie les membres de la Cour pour leur patience. Le conseil de la République de l’Inde ayant

déjà donné lecture de la demande, je rappellerai formellement de nouveau, au nom de la

République de l’Inde, que nous prions respectueusement la Cour de prescrire, en attendant l’arrêt

définitif en la présente affaire, que :

a) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan prenne toutes les mesures nécessaires

pour que M. Kulbhushan Sudhir Jadhav ne soit pas exécuté ;

b) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan porte à la connaissance de la Cour les

mesures qu’il aura prises en application de l’alinéa a) ; et que

c) le Gouvernement de la République islamique du Pakistan fasse en sorte qu’il ne soit pris aucune

mesure qui puisse porter atteinte aux droits de la République de l’Inde ou de M. Kulbhushan

Sudhir Jadhav en ce qui concerne toute décision que la Cour pourrait rendre sur le fond de

l’affaire.

Merci.

Le PRESIDENT: Je vous remercie. Ainsi s’achèvent les plaidoiries de la République de

l’Inde. La Cour siégera de nouveau cet après-midi à 15 heures pour entendre les exposés oraux de

la République islamique du Pakistan. L’audience est levée.

L’audience est levée à 11 h 40.

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