Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Skotnikov

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166-20170419-ORD-01-07-EN
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166-20170419-ORD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE AD HOC SKOTNIKOV
[Traduction]
1. Je m’associe à la conclusion de la Cour selon laquelle les conditions auxquelles son Statut subordonne l’indication de mesures conservatoires ne sont pas réunies dans le cas des droits invoqués par l’Ukraine sur le fondement de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (ci-après la «CIRFT»). En effet, l’Ukraine n’a pas établi que les droits qu’elle estime tenir de la CIRFT et dont elle sollicite la protection sont à tout le moins plausibles. Elle n’a démontré l’existence d’aucun des éléments essentiels qui sont requis par le paragraphe 1 de l’article 2, à savoir le but, l’intention ou la connaissance (voir les paragraphes 75 et 76 de la présente ordonnance). En conséquence, j’appuie la décision de la Cour de ne pas indiquer de mesures conservatoires au titre de la CIRFT.
2. Le droit que l’Ukraine cherche à sauvegarder à propos de l’interdiction du Majlis et qui, selon la Cour, remplit la condition de plausibilité (voir le paragraphe 83 de la présente ordonnance) n’entre pas dans le champ de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la «CIEDR»). Le paragraphe 96 de l’ordonnance mentionne les alinéas c), d) et e) de l’article 5 de la CIEDR, en précisant qu’ils consacrent des droits dont la nature est telle que, faute de mesures conservatoires, le préjudice qui leur serait porté pourrait se révéler irréparable. Force est toutefois de constater que l’alinéa c) de l’article 5 ne concerne que les «droits politiques, notamment [le] droit de participer aux élections — de voter et d’être candidat — selon le système du suffrage universel et égal, [le] droit de prendre part au gouvernement ainsi qu’à la direction des affaires publiques, à tous les échelons, et [le] droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques». Il est manifeste que cette disposition n’est pas applicable à une organisation qui prétend représenter un groupe ethnique donné et opère en tant qu’institution autonome dotée de fonctions quasi-exécutives. S’agissant du Majlis, aucun des droits expressément visés par l’alinéa c) de l’article 5 n’a donc pu être enfreint. Bien entendu, cela ne signifie pas pour autant que les Tatars de Crimée, ou tout autre groupe ethnique, ne sont pas en droit de disposer de leurs propres assemblées représentatives. Il n’en reste pas moins que ce droit ne relève pas en soi de la CIEDR, qui est un instrument ayant trait à la discrimination.
La seconde disposition que la Cour estime pertinente en l’espèce dans le cas du Majlis est l’alinéa d) de l’article 5. A supposer que la Cour s’intéresse plus particulièrement au point ix) dudit alinéa, qui porte sur le «droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques», je tiens à aborder trois éléments. Premièrement, il est loin d’être évident, compte tenu de l’objet de la CIEDR, que la mention faite à la liberté d’association vise à englober des organisations telles que le Majlis. Deuxièmement, en tout état de cause, puisqu’il existe actuellement une trentaine d’organisations tatares de Crimée et que celles-ci comptent au total plus de 20 000 membres, l’interdiction du Majlis ne saurait être considérée comme une mesure discriminatoire à l’encontre de ce groupe ethnique. Troisièmement, il convient de souligner l’importance du terme «pacifique» tel qu’employé au point ix) susmentionné. La Fédération de Russie a fait observer que le Majlis avait été mis hors la loi en raison de son implication dans des «activités extrémistes», et notamment de sa participation aux blocus visant à perturber l’approvisionnement en électricité et en eau de la Crimée ainsi que de ses déclarations incitant à la violence. Cette décision, prise pour des raisons de sécurité et d’ordre public et sans rapport aucun avec l’origine ethnique des membres du Majlis, a été confirmée tant par la Cour suprême de Crimée que par la Cour suprême de la Fédération de Russie. Curieusement, aucun paragraphe de la présente ordonnance ne contient ne fût-ce qu’une tentative d’examiner ces décisions. On a donc tenu pour acquis que l’Ukraine disait vrai sur ce point.
Enfin, la mesure figurant à l’alinéa a) du point 1 du dispositif peut être interprétée comme préjugeant le fond de l’affaire.
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Pour les raisons susmentionnées, et malgré le soin qui semble avoir été apporté à la rédaction de l’alinéa a) du point 1 du dispositif, j’ai voté contre celui-ci.
3. Aux termes de la deuxième mesure conservatoire, énoncée à l’alinéa b) du point 1 du dispositif, il est prescrit à la Fédération de Russie de faire en sorte de rendre disponible un enseignement en langue ukrainienne. Or, à proprement parler, le droit à l’éducation et à la formation professionnelle, mentionné au point v) de l’alinéa e) de l’article 5 de la CIEDR, n’englobe pas nécessairement le droit à l’enseignement dans sa langue maternelle. Cette disposition est toutefois pertinente en l’espèce, étant donné que la langue ukrainienne est l’une des trois langues officielles de la Crimée. Bien que je n’estime pas que les conditions liées au risque de préjudice irréparable et à l’urgence soient remplies en l’espèce, je me suis néanmoins senti tenu d’appuyer cette mesure de nature générale et ne prêtant pas à controverse.
(Signé) Leonid SKOTNIKOV.
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