Opinion individuelle de Mme. la juge Xue

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163-20161207-ORD-01-01-EN
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163-20161207-ORD-01-00-EN
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1173
29
OPINION INDIVIDUELLE DE Mme LA JUGE XUE
[Traduction]
1. A mon grand regret, j’estime devoir, à ce stade préliminaire, faire
état des réserves qui sont les miennes quant à l’interprétation que la Cour
fait de l’article 4 de la convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée (ci-après, la « convention »), même si cette interprétation
n’est pas définitive.
2. L’article 4 de cet instrument dispose que « [l]es Etats Parties exécutent
leurs obligations au titre de la présente Convention d’une manière
compatible avec les principes de l’égalité souveraine et de l’intégrité territoriale
des Etats et avec celui de la non- intervention dans les affaires intérieures
d’autres Etats ».
3. Les Parties donnent de cet article des interprétations divergentes.
Indépendamment de ces divergences, la Cour relève que, afin de fonder,
prima facie, sa compétence ratione materiae pour connaître de l’affaire en
vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de la convention, elle doit rechercher
si les actes dont la Guinée équatoriale fait grief à la France semblent
entrer dans les prévisions de cet instrument. S’agissant du sens de l’article
4, la Cour déclare au paragraphe 49 de l’ordonnance :
« 49. L’article 4 a pour objet de garantir que les Etats parties à la
convention exécuteront leurs obligations dans le respect des principes
de l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale des Etats et de la
non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats. Cette
disposition n’apparaît pas créer de nouvelles règles concernant les
immunités des personnes de rang élevé dans l’Etat ou incorporer des
règles de droit international coutumier concernant de telles immunités.
Tout différend qui pourrait surgir au sujet de « l’interprétation
ou [de] l’application » de l’article 4 de la convention ne pourrait dès
lors porter que sur la manière dont les Etats parties exécutent leurs
obligations au titre de la convention. Or, il appert à la Cour que le
différend allégué n’a pas trait à la manière dont la France a exécuté
ses obligations au titre des articles 6, 12, 14 et 18 de la convention
invoqués par la Guinée équatoriale ; il semble en réalité porter sur
une question distincte, celle de savoir si le vice- président équatoguinéen
bénéficie en droit international coutumier d’une immunité
ratione personae et, le cas échéant, si la France y a porté atteinte en
engageant des poursuites à son encontre. »
4. Cette interprétation soulève à mon sens un certain nombre de questions.
Premièrement, le fait que les Etats parties n’entendaient pas, ainsi
qu’il ressort des travaux préparatoires de l’article 4, intégrer dans la
convention des règles concernant les immunités nouvelles ou tirées du
immunités et procédures pénales (op. ind. xue) 1174
30
droit international coutumier ne saurait être interprété de telle manière
que les règles existantes en la matière seraient exclues dans l’application
de cet instrument. Au contraire, en tant que directive, l’article 4 constitue
un cadre juridique en référence auquel les autres dispositions doivent être
exécutées. Ce qui relève du principe de l’égalité souveraine des Etats en
droit international général devrait demeurer intact et applicable, lorsque
les circonstances d’une affaire l’exigent. Il en va ainsi des règles relatives à
l’immunité de juridiction d’un Etat et de ses biens, et des règles relatives à
l’immunité de juridiction pénale étrangère dont jouissent les personnes
occupant un rang élevé dans l’Etat, deux des régimes pertinents en l’espèce
qui découlent directement de ce principe.
5. Deuxièmement, la question de l’immunité de juridiction ratione personae
concerne « la manière » dont un Etat partie exécute ses obligations
au titre de la convention. Elle ne met pas moins en jeu le principe de
l’égalité souveraine qu’une opération menée en territoire étranger. Dans
le cas d’espèce, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue est un ressortissant
étranger occupant un rang élevé dans son pays. Bien que l’ensemble des
actes allégués par la Guinée équatoriale aient eu lieu sur le territoire français
et relèvent du droit interne français, le différend entre les Parties
porte essentiellement sur l’applicabilité de la convention.
6. Troisièmement, la question de savoir si le président ou le viceprésident
en exercice d’un Etat jouit de l’immunité de juridiction pénale
étrangère en vertu du droit international coutumier n’est pas une « question
distincte » n’entrant pas dans les prévisions de la convention. En exécutant
ses obligations au titre de l’article 6 (« Incrimination du blanchiment
du produit du crime »), de l’article 12 (« Confiscation et saisie »), de l’article
14 (« Disposition du produit du crime ou des biens confisqués ») et de
l’article 18 (« Entraide judiciaire »), un Etat partie pourrait devoir agir
différemment en cas d’applicabilité des règles relatives à l’immunité de
juridiction. Telle est du reste précisément la question qui semble ici en
cause.
7. Compte tenu de ce qui précède, je continue de penser que la Cour a
compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de la
convention.
(Signé) Xue Hanqin.

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1173
29
SEPARATE OPINION OF JUDGE XUE
1. Much to my regret, I wish at this preliminary stage to place on
record my reservation to the Court’s interpretation, albeit not yet definitive,
of Article 4 of the United Nations Convention against Transnational
Organized Crime (hereinafter “the Convention”).
2. Article 4 of the Convention provides that “States Parties shall carry
out their obligations under this Convention in a manner consistent with
the principles of sovereign equality and territorial integrity of States and
that of non‑interference in the domestic affairs of other States”.
3. The Parties give differing interpretations to this Article. Notwithstanding
such difference, the Court notes that in order to found its jurisdiction
ratione materiae, prima facie, to entertain the case pursuant to
Article 35, paragraph 2, of the Convention, it must ascertain whether the
acts alleged by Equatorial Guinea against France appear to fall within
the provisions of that instrument. Regarding the meaning of Article 4, the
Court in paragraph 49 of the Order states the following :
“49. The purpose of Article 4 of the Convention is to ensure that
the States parties to the Convention perform their obligations in
accordance with the principles of sovereign equality, territorial integrity
of States and non‑intervention in the domestic affairs of other
States. The provision does not appear to create new rules concerning
the immunities of holders of high‑ranking office in the State or incorporate
rules of customary international law concerning those immunities.
Accordingly, any dispute which might arise with regard to ‘the
interpretation or application’ of Article 4 of the Convention could
relate only to the manner in which the States parties perform their
obligations under that Convention. It appears to the Court, however,
that the alleged dispute does not relate to the manner in which France
performed its obligations under Articles 6, 12, 14 and 18 of the Convention,
invoked by Equatorial Guinea. The alleged dispute, rather,
appears to concern a distinct issue, namely whether the Vice‑President
of Equatorial Guinea enjoys immunity ratione personae under customary
international law and, if so, whether France has violated that
immunity by instituting proceedings against him.”
4. This interpretation, in my view, begs a number of questions. First,
the intention of the States parties, as reflected in the travaux préparatoires
of Article 4, not to create new rules of immunities of customary international
law in the Convention cannot be interpreted to mean that the exist-
1173
29
OPINION INDIVIDUELLE DE Mme LA JUGE XUE
[Traduction]
1. A mon grand regret, j’estime devoir, à ce stade préliminaire, faire
état des réserves qui sont les miennes quant à l’interprétation que la Cour
fait de l’article 4 de la convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée (ci‑après, la « convention »), même si cette interprétation
n’est pas définitive.
2. L’article 4 de cet instrument dispose que « [l]es Etats Parties exécutent
leurs obligations au titre de la présente Convention d’une manière
compatible avec les principes de l’égalité souveraine et de l’intégrité territoriale
des Etats et avec celui de la non-intervention
dans les affaires intérieures
d’autres Etats ».
3. Les Parties donnent de cet article des interprétations divergentes.
Indépendamment de ces divergences, la Cour relève que, afin de fonder,
prima facie, sa compétence ratione materiae pour connaître de l’affaire en
vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de la convention, elle doit rechercher
si les actes dont la Guinée équatoriale fait grief à la France semblent
entrer dans les prévisions de cet instrument. S’agissant du sens de l’article
4, la Cour déclare au paragraphe 49 de l’ordonnance :
« 49. L’article 4 a pour objet de garantir que les Etats parties à la
convention exécuteront leurs obligations dans le respect des principes
de l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale des Etats et de la
non‑intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats. Cette
disposition n’apparaît pas créer de nouvelles règles concernant les
immunités des personnes de rang élevé dans l’Etat ou incorporer des
règles de droit international coutumier concernant de telles immunités.
Tout différend qui pourrait surgir au sujet de « l’interprétation
ou [de] l’application » de l’article 4 de la convention ne pourrait dès
lors porter que sur la manière dont les Etats parties exécutent leurs
obligations au titre de la convention. Or, il appert à la Cour que le
différend allégué n’a pas trait à la manière dont la France a exécuté
ses obligations au titre des articles 6, 12, 14 et 18 de la convention
invoqués par la Guinée équatoriale ; il semble en réalité porter sur
une question distincte, celle de savoir si le vice-président
équato‑guinéen
bénéficie en droit international coutumier d’une immunité
ratione personae et, le cas échéant, si la France y a porté atteinte en
engageant des poursuites à son encontre. »
4. Cette interprétation soulève à mon sens un certain nombre de questions.
Premièrement, le fait que les Etats parties n’entendaient pas, ainsi
qu’il ressort des travaux préparatoires de l’article 4, intégrer dans la
convention des règles concernant les immunités nouvelles ou tirées du
1174 immunities and criminal proceedings (sep. op. xue)
30
ing rules on the same subject‑matter are precluded in the application of
the Convention. On the contrary, as a guideline, Article 4 provides a legal
framework within which the other provisions are to be implemented.
What is governed under the principle of sovereign equality of States
under general international law should remain intact and applicable,
when circumstances of a case so require. Rules of jurisdictional immunity
of State and its property and jurisdictional immunity of high‑ranking
officials
in foreign courts are, among others, two relevant régimes
that directly derive from that principle.
5. Secondly, the question of jurisdictional immunity ratione personae
bears on “the manner” in which a State party performs its obligations
under the Convention. It is no less relevant to the principle of sovereign
equality than an operation being conducted in a foreign territory. In the
present case, Mr. Teodoro Nguema Obiang Mangue is a foreign national
holding high‑ranking office in his country. Although all the acts alleged
by Equatorial Guinea were carried out in the French territory and under
the French internal law, the essence of the dispute between the Parties is
the applicability of the Convention.
6. Thirdly, whether an incumbent President or a Vice‑President of a
State enjoys jurisdictional immunity in foreign courts under customary
international law is not a “distinct issue” that does not fall within the
provisions of the Convention. In implementing its obligations under Article
6 (criminalization of laundering of the proceeds of crime), Article 12
(measures to enable confiscation and seizure), Article 14 (disposal of confiscated
proceeds of crime or property), and Article 18 (mutual legal assistance),
a State party may have to act differently if rules of jurisdictional
immunities apply. The dispute in the present case appears to concern that
very question.
7. Given the above considerations, I maintain the view that the Court
has, prima facie, jurisdiction under Article 35, paragraph 2, of the Convention.
(Signed) Xue Hanqin.
immunités et procédures pénales (op. ind. xue) 1174
30
droit international coutumier ne saurait être interprété de telle manière
que les règles existantes en la matière seraient exclues dans l’application
de cet instrument. Au contraire, en tant que directive, l’article 4 constitue
un cadre juridique en référence auquel les autres dispositions doivent être
exécutées. Ce qui relève du principe de l’égalité souveraine des Etats en
droit international général devrait demeurer intact et applicable, lorsque
les circonstances d’une affaire l’exigent. Il en va ainsi des règles relatives à
l’immunité de juridiction d’un Etat et de ses biens, et des règles relatives à
l’immunité de juridiction pénale étrangère dont jouissent les personnes
occupant un rang élevé dans l’Etat, deux des régimes pertinents en l’espèce
qui découlent directement de ce principe.
5. Deuxièmement, la question de l’immunité de juridiction ratione personae
concerne « la manière » dont un Etat partie exécute ses obligations
au titre de la convention. Elle ne met pas moins en jeu le principe de
l’égalité souveraine qu’une opération menée en territoire étranger. Dans
le cas d’espèce, M. Teodoro Nguema Obiang Mangue est un ressortissant
étranger occupant un rang élevé dans son pays. Bien que l’ensemble des
actes allégués par la Guinée équatoriale aient eu lieu sur le territoire français
et relèvent du droit interne français, le différend entre les Parties
porte essentiellement sur l’applicabilité de la convention.
6. Troisièmement, la question de savoir si le président ou le vice-président
en exercice d’un Etat jouit de l’immunité de juridiction pénale
étrangère en vertu du droit international coutumier n’est pas une « question
distincte » n’entrant pas dans les prévisions de la convention. En exécutant
ses obligations au titre de l’article 6 (« Incrimination du blanchiment
du produit du crime »), de l’article 12 (« Confiscation et saisie »), de l’article
14 (« Disposition du produit du crime ou des biens confisqués ») et de
l’article 18 (« Entraide judiciaire »), un Etat partie pourrait devoir agir
différemment en cas d’applicabilité des règles relatives à l’immunité de
juridiction. Telle est du reste précisément la question qui semble ici en
cause.
7. Compte tenu de ce qui précède, je continue de penser que la Cour a
compétence prima facie en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 de la
convention.
(Signé) Xue Hanqin.

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