Déclaration de Mme. la juge Xue

Document Number
160-20161005-JUD-01-07-EN
Parent Document Number
160-20161005-JUD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

DÉCLARATION DE M ME LA JUGE X UE

[Traduction]

1. J’ai voté en faveur de l’arrêt car je souscris à la décision de la Cour consistant à se
déclarer incompétente en la présente espèce. Ce nonobstant, je tiens à formuler deux observations.

2. La première a trait à l’approche que la Cour a suivie. Dans son arrêt, celle-ci a conclu que
les éléments de preuve qui lui avaient été présentés ne permettaient pas de démontrer que, au
moment où les Iles Marshall avaient introduit l’instance devant elle, il existait entre les Parties un
différend relatif à l’objet de la requête ; en conséquence, il n’était pas satisfait à la condition pour
qu’elle ait compétence. La Cour est parvenue à cette conclusion essentiellement au motif que,
quelles que soient les circonstances, les Iles Marshall n’avaient jamais — par leurs déclarations ou
leur comportement — livré au Royaume-Uni quelque élément précis qui lui aurait permis d’avoir

connaissance de ce qu’elles nourrissaient à son encontre un grief d’ordre juridique pour
manquement à son obligation internationale de négocier au sujet du désarmement nucléaire.

3. Selon la jurisprudence de la Cour, un différend doit en principe exister à la date du dépôt
de la requête (Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 52 ;

Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I),
p. 85, par. 30 ; Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971
résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 25-26, par. 43-45 ; Questions
d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident

aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 130-131, par. 42-44). L’existence d’un différend
demande à être établie objectivement par la Cour, sur la base des positions et du comportement des
parties (Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 50 ; Questions
concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 442, par. 46 ; Application de la convention internationale sur

l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30 ; Essais nucléaires (Australie
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 271, par. 55 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 476, par. 58 ; Interprétation des traités de paix conclus
avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950,
p. 74). Lorsque le titre de compétence est constitué par les déclarations d’acceptation de la

juridiction obligatoire de la Cour que les parties ont faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36
du Statut, ni la notification préalable ni l’envoi d’une note diplomatique officielle énonçant la
réclamation d’une partie à l’encontre de l’autre ne sont considérés comme une condition
obligatoire. La détermination de l’existence d’un différend est une question de fond, et non de
forme (Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 50 ; Application de

la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84,
par. 30), la Cour devant s’employer à établir si les vues des parties divergeaient au sujet des
questions juridiques en cause. - 2 -

4. En la présente espèce, la Cour a dûment suivi cette jurisprudence. Etant donné qu’elle n’a

pas examiné les autres exceptions soulevées par le défendeur, mais a rejeté la requête en s’appuyant
uniquement sur sa conclusion quant à l’existence d’un différend, il n’est toutefois pas exclu que
l’opportunité de cette approche formelle et restrictive suscite certaines questions. Compte tenu de
la pratique antérieure de la Cour — qui a consisté à faire preuve de souplesse à l’égard des carences
procédurales (voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 438, par. 81 ;
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis

d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429, par. 83 ;
Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1963, p. 28 ; Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, compétence,
arrêt n° 6, 1925, C.P.J.I. série A n 6, p. 14 ; Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n° 2,
1924, C.P.J.I. série A n 2, p. 34) —, il est en effet permis de se demander si l’inexistence d’un
différend entre les Parties au moment du dépôt de la requête pouvait en soi constituer une base

solide pour écarter l’affaire ; le différend s’étant désormais bel et bien cristallisé, il serait aisé pour
les Iles Marshall de se présenter de nouveau devant la Cour en introduisant une nouvelle requête
ayant le même objet. Pour des raisons d’économie judiciaire, le réalisme et la souplesse pouvaient
donc sembler être de mise dans les présentes circonstances.

5. Si j’ai souscrit à la décision de la Cour, c’est pour trois raisons. Premièrement, je suis

d’avis que la démonstration, par le demandeur, de ce qu’un différend existait entre les parties avant
l’introduction de l’instance doit satisfaire à un critère de preuve minimum. Or, les éléments
présentés par les Iles Marshall à cet égard étaient nettement insuffisants. Hormis les deux
déclarations qu’il a faites lors de conférences internationales pour exhorter les puissances
nucléaires à engager immédiatement des négociations sur le désarmement nucléaire — que les
autres Etats seraient fondés à considérer comme des déclarations politiques —, le demandeur n’a

fourni aucun élément attestant que des contacts bilatéraux de quelque sorte que ce soit auraient eu
lieu entre les Parties avant la saisine de la Cour. Il s’est en revanche abondamment appuyé sur les
positions exprimées par ces dernières en cours d’instance pour montrer que la réclamation de l’une
se heurtait à l’opposition manifeste de l’autre. Or, ainsi que la Cour l’a souligné, si pareille
argumentation était jugée recevable, la condition de l’existence d’un différend se trouverait en
pratique privée de tout sens et de toute valeur. Chose selon moi plus fondamentale encore, cela
ébranlerait la confiance des Etats qui acceptent la juridiction obligatoire de la Cour.

6. Deuxièmement, même si une notification préalable ou des échanges diplomatiques ne sont
pas requis en tant que condition de l’existence d’un différend, il convient de décourager les actions
en justice «par surprise». Tout moyen de règlement pacifique des différends, y compris la voie
judiciaire, vise au règlement du différend en cause. A cet égard, le fait d’exprimer clairement une
réclamation juridique contre la partie responsable, chaque fois que les circonstances le permettent,

faciliterait le processus de négociation et de règlement. En tant que victimes du développement des
armes nucléaires, les Iles Marshall ont certes toutes les raisons de reprocher aux Etats qui en sont
dotés de ne pas mener des efforts conjoints en poursuivant des négociations sur la cessation de la
course aux armements et le désarmement nucléaire. Cette légitimité ne saurait cependant prévaloir
sur les conditions juridiques régissant l’exercice de la compétence de la Cour.

7. Bien que la notion de différend n’ait jamais été formellement définie et que le critère
permettant de déterminer l’existence d’un différend soit généralement peu strict, l’Etat contre
lequel une instance est introduite devrait au moins avoir préalablement connaissance de ce qu’un
différend d’ordre juridique, qui pourrait être soumis à la juridiction obligatoire de la Cour en vue de
son règlement, l’oppose à un autre Etat. La Cour peut prendre en compte le comportement des
parties postérieur au dépôt de la requête en tant qu’élément de preuve supplémentaire pour - 3 -

s’assurer de sa compétence et de la recevabilité de la requête, mais la souplesse, en matière
judiciaire, doit être exercée dans des limites raisonnables.

8. Troisièmement, la compétence de la Cour repose sur le consentement mutuel et la
réciprocité. Selon moi, la présente affaire différait par nature de celles dans lesquelles la Cour avait
opté pour une approche plus souple à l’égard de certaines carences procédurales. Les déclarations
que les Iles Marshall ont faites dans le cadre de certaines conférences internationales ne suffisent
pas, en tant que telles, à démontrer que, dans les relations bilatérales de cet Etat, un différend
l’opposait à chacune des puissances nucléaires. De fait, le demandeur ne pouvait estimer qu’il

s’agissait là d’un problème bilatéral. Quoiqu’ayant été elles-mêmes victimes des armes nucléaires,
les Iles Marshall n’ont pas introduit la présente instance simplement pour protéger leurs propres
intérêts ; leur argumentation sert en effet davantage ceux de la communauté internationale. Or,
bien qu’elle ait, dans le cadre de l’affaire de la Barcelona Traction (Barcelona Traction, Light and
Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt,
C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33), reconnu l’existence d’obligations erga omnes, la Cour ne s’est
pas penchée sur la question de la qualité pour agir dans ce domaine, question qui reste à

approfondir en droit international.

9. Cela m’amène à la seconde observation que je tiens à formuler au sujet de l’arrêt. Je
déplore grandement que la Cour n’ait pas examiné certaines autres exceptions préliminaires
d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête soulevées par le Royaume-Uni.
Celui-ci soutenait notamment que

«les allégations spécifiques avancées contre lui par [l]es Iles Marshall mett[aient]
directement et immanquablement en cause les intérêts d’Etats qui n[‘étaient] pas
parties à l’instance. Par conséquent, en l’absence de ces parties essentielles, la requête
[était] irrecevable ou la Cour [était] incompétente pour connaître des demandes qui y
[étaient] contenues» (exceptions préliminaires du Royaume-Uni, par. 83).

Selon lui, les intérêts des autres Etats dotés d’armes nucléaires «constitu[aient] l’objet même» de la
demande des Iles Marshall, de sorte que le principe de l’Or monétaire devait s’appliquer en

l’espèce (ibid., par. 101).

10. Le défendeur ajoutait que les Iles Marshall reconnaissaient qu’un Etat ne pouvait à lui
seul mener et conclure des négociations, et que son comportement dans le cadre de ces
négociations ne pouvait donc être évalué correctement qu’à l’aune de l’attitude et des actions
d’autres Etats, en particulier ceux dotés d’armes nucléaires (CR 2016/3, p. 46, par. 9). Il faisait

valoir par ailleurs que tout arrêt que la Cour pourrait rendre sur les demandes des Iles Marshall
serait dénué de conséquences pratiques et, partant, incompatible avec la fonction judiciaire de
celle-ci (CR 2016/3, p. 31-32, par. 57).

11. A mon sens, la Cour aurait dû examiner ces exceptions dès la phase préliminaire, puisque
ses conclusions à cet égard auraient eu un effet direct sur sa compétence et sur la recevabilité de la
requête. Si elle avait procédé ainsi, elle aurait en effet été mieux à même de démontrer que, pour

ce qui concerne les questions de compétence et de recevabilité, la requête des Iles Marshall n’était
pas seulement défectueuse sur un point de procédure.

12. Dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires,
la Cour, après avoir examiné quel était alors le statut des armes nucléaires en droit international,
avait précisé que, pour atteindre l’objectif fixé de longue date du désarmement nucléaire complet, - 4 -

tous les Etats parties au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (le «TNP») avaient
l’obligation de négocier de bonne foi en ce sens. Elle avait également souligné que, «[d]e fait,

toute recherche réaliste d’un désarmement général et complet, en particulier nucléaire, nécessit[ait]
la coopération de tous les Etats» (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 264, par. 100 ; les italiques sont de moi).

13. La Cour s’était également référée à la résolution 984 (1995) en date du 11 avril 1995,
dans laquelle le Conseil de sécurité avait réaffirmé qu’il était «nécessaire que tous les Etats parties
au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires s’acquittent pleinement de toutes leurs

obligations» et exhorté

«tous les Etats à poursuivre de bonne foi, comme il [était] stipulé à l’article VI du
traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, des négociations sur des mesures
efficaces relatives au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général
et complet sous un contrôle international strict et efficace, qui demeur[ait] un objectif
universel» (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif,

C.I.J. Recueil 1996, p. 265, par. 103 ; les italiques sont de moi).

14. Dans son avis consultatif, la Cour avait notamment souligné que l’obligation découlant
de l’article VI du TNP était une double obligation, ajoutant ce qui suit :

«La portée juridique de l’obligation considérée dépasse celle d’une simple
obligation de comportement ; l’obligation en cause ici est celle de parvenir à un

résultat précis — le désarmement nucléaire dans tous ses aspects — par l’adoption
d’un comportement déterminé, à savoir la poursuite de bonne foi de négociations en la
matière.» (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1996, p. 264, par. 99.)

15. Vingt ans se sont écoulés depuis que la Cour a prononcé ce dictum solennel. Ainsi
qu’elle l’a précisé, tous les Etats doivent coopérer pour réaliser cet objectif. A l’évidence, l’on a

assisté en la matière à un manquement collectif, mais la question qui se posait en la présente espèce
était de savoir si celui-ci pouvait prendre la forme d’une série de différends bilatéraux, examinés
séparément.

16. Il n’est guère douteux que certains Etats dotés d’armes nucléaires, d’une part, et les Etats
qui en sont dépourvus, d’autre part, ont des vues divergentes au sujet de la cessation de la course
aux armes nucléaires et du processus de négociation sur le désarmement nucléaire. Pareil

désaccord peut-il pour autant être qualifié de différend au sens des articles 36 et 38 du Statut ?
Autrement dit, un tel différend, à supposer qu’il ait existé au moment du dépôt de la requête ou
qu’il se soit cristallisé par la suite, peut-il être tranché par la Cour dans le cadre d’une procédure
contentieuse ? La question qui se posait en la présente espèce n’était pas, semble-t-il, celle d’une
carence procédurale à laquelle il aurait pu être remédié en cours d’instance, comme cela avait été le
cas dans les affaires antérieures. Je crains que la Cour ait un peu trop mis l’accent sur la manière
dont un différend peut se matérialiser, sans tenir suffisamment compte de la nature de celui qui,

selon les Iles Marshall, les opposait au Royaume-Uni.

(Signé) X UE Hanqin.

___________

Bilingual Content

1029
200
DECLARATION OF JUDGE XUE
1. I have voted in favour of the Judgment because I agree with the
decision of the Court to dismiss the case for lack of jurisdiction. Notwithstanding
my vote, I wish to make two points on the Judgment.
2. My first point relates to the approach taken by the Court. In the
Judgment, the Court finds that the evidence submitted to it fails to demonstrate
that there existed between the Parties a dispute concerning the
subject of the Application at the time the Marshall Islands instituted proceedings
in the Court. Consequently, the condition for the Court’s jurisdiction
is not met. The Court reaches this conclusion primarily on the
ground that, in all the circumstances, the Marshall Islands never offered
any particulars to the United Kingdom, either in words or by conduct,
which could have made the United Kingdom aware that the Marshall
Islands held a legal claim against it for breach of its international obligation
to negotiate on nuclear disarmament.
3. According to the jurisprudence of the Court, a dispute must in principle
exist on the date at which the application is filed in the Court
(Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime Spaces in the Caribbean
Sea (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2016 (I), p. 27, para. 52; Application of the International
Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2011 (I), p. 85, para. 30; Questions of Interpretation and
Application of the 1971 Montreal Convention arising from the Aerial Incident
at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United Kingdom), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, pp. 25‑26, paras. 43-45;
Questions of Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention
arising from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya
v. United States of America), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 1998, pp. 130‑131, paras. 42‑44). It is for the Court to
determine the matter objectively on the basis of the positions and conduct
of the parties (Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime Spaces
in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), pp. 26‑27, para. 50; Questions relating
to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), Judgment,
I.C.J. Reports 2012 (II), p. 442, para. 46; Application of the International
Convention on the Elimination of All Forms of Racial
Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 84, para. 30; Nuclear Tests (Australia
v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 271, para. 55; Nuclear
1029
200
DÉCLARATION DE Mme LA JUGE XUE
[Traduction]
1. J’ai voté en faveur de l’arrêt car je souscris à la décision de la Cour
consistant à se déclarer incompétente en la présente espèce. Ce nonobstant,
je tiens à formuler deux observations.
2. La première a trait à l’approche que la Cour a suivie. Dans son arrêt,
celle‑ci a conclu que les éléments de preuve qui lui avaient été présentés ne
permettaient pas de démontrer que, au moment où les Iles Marshall
avaient introduit l’instance devant elle, il existait entre les Parties un différend
relatif à l’objet de la requête ; en conséquence, il n’était pas satisfait à
la condition pour qu’elle ait compétence. La Cour est parvenue à cette
conclusion essentiellement au motif que, quelles que soient les circonstances,
les Iles Marshall n’avaient jamais — par leurs déclarations ou leur
comportement — livré au Royaume‑Uni quelque élément précis qui lui
aurait permis d’avoir connaissance de ce qu’elles nourrissaient à son
encontre un grief d’ordre juridique pour manquement à son obligation
internationale de négocier au sujet du désarmement nucléaire.
3. Selon la jurisprudence de la Cour, un différend doit en principe exister
à la date du dépôt de la requête (Violations alléguées de droits souverains
et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I),
p. 27, par. 52 ; Application de la convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de
Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85,
par. 30 ; Questions d’interprétation et d’application de la convention de
Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya
arabe libyenne c. Royaume‑Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 25‑26, par. 43‑45 ; Questions d’interprétation et
d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats‑Unis d’Amérique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 130‑131, par. 42‑44).
L’existence d’un différend demande à être établie objectivement par la
Cour, sur la base des positions et du comportement des parties (Violations
alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2016 (I), p. 26‑27, par. 50 ; Questions concernant l’obligation de
poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil
2012 (II), p. 442, par. 46 ; Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération
de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I),
p. 84, par. 30 ; Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 1974, p. 271, par. 55 ; Essais nucléaires (Nouvelle‑Zélande
1030 nuclear arms and disarmament (decl. xue)
201
Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 476,
para. 58; Interpretation of Peace Treaties with Bulgaria, Hungary and
Romania, First Phase, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1950, p. 74). When
the title of jurisdiction is the parties’ declarations accepting compulsory
jurisdiction of the Court under Article 36, paragraph 2, of the Statute,
prior notice or a formal diplomatic Note setting out one party’s complaint
against the other is not taken as a requisite condition. The determination
of the existence of a dispute is a matter of substance, not of form
(Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime Spaces in the Caribbean
Sea (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2016 (I), pp. 26‑27, para. 50; Application of the International
Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2011 (I), p. 84, para. 30). What the Court shall look at and
determine is whether there was an opposition of views between the parties
with regard to the legal issues in question.
4. In the present case, the Court duly follows that jurisprudence. As
the Court does not deal with the other objections raised by the Respondent,
but solely relies on this finding to dismiss the case, it is not unpredicted
that questions arise as to the propriety of this formal and restrictive
approach. Given its past practice of judicial flexibility in handling procedural
defects (see Application of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide (Croatia v. Serbia), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2008, p. 438, para. 81; Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United
States of America), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports
1984, pp. 428‑429, para. 83; Northern Cameroons (Cameroon v. United
Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963, p. 28;
Certain German Interests in Polish Upper Silesia, Jurisdiction, Judgment
No. 6, 1925, P.C.I.J., Series A, No. 6, p. 14; Mavrommatis Palestine Concessions,
Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 34), it may be
arguable that the non-existence
of a dispute between the Parties at the
time of the filing of the Application could by itself constitute a solid
ground for the Court to reject the case; the Marshall Islands might readily
come back and file a new case to the same effect, as by now the dispute
is indeed crystallized. For judicial economy, realism and flexibility seem
called for under the present circumstances.
5. The reason for my support of the Court’s decision is threefold. First
of all, in my opinion, there must be a minimum requirement for the
Applicant to demonstrate to the Court that there existed a dispute
between the Parties before the case is instituted. The evidence submitted
by the Marshall Islands regarding the existence of a dispute between the
Parties is noticeably insufficient. Apart from its two statements made at
armes nucléaires et désarmement (décl. xue) 1030
201
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 476, par. 58 ; Interprétation des
traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première
phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74). Lorsque le titre de
compétence est constitué par les déclarations d’acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour que les parties ont faites en vertu du paragraphe
2 de l’article 36 du Statut, ni la notification préalable ni l’envoi
d’une note diplomatique officielle énonçant la réclamation d’une partie à
l’encontre de l’autre ne sont considérés comme une condition obligatoire.
La détermination de l’existence d’un différend est une question de fond, et
non de forme (Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes
dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26‑27, par. 50 ; Application de
la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30), la Cour devant
s’employer à établir si les vues des parties divergeaient au sujet des questions
juridiques en cause.
4. En la présente espèce, la Cour a dûment suivi cette jurisprudence.
Etant donné qu’elle n’a pas examiné les autres exceptions soulevées par le
défendeur, mais a rejeté la requête en s’appuyant uniquement sur sa
conclusion quant à l’existence d’un différend, il n’est toutefois pas exclu
que l’opportunité de cette approche formelle et restrictive suscite certaines
questions. Compte tenu de la pratique antérieure de la Cour — qui a
consisté à faire preuve de souplesse à l’égard des carences procédurales
(voir Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 438, par. 81 ; Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui‑ci (Nicaragua c. Etats‑Unis d’Amérique), compétence
et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 428‑429, par. 83 ; Cameroun
septentrional (Cameroun c. Royaume‑Uni), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 28 ; Certains intérêts allemands en Haute‑Silésie
polonaise, compétence, arrêt no 6, 1925, C.P.J.I. série A no 6, p. 14 ;
Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A
no 2, p. 34) —, il est en effet permis de se demander si l’inexistence d’un
différend entre les Parties au moment du dépôt de la requête pouvait en
soi constituer une base solide pour écarter l’affaire ; le différend s’étant
désormais bel et bien cristallisé, il serait aisé pour les Iles Marshall de se
présenter de nouveau devant la Cour en introduisant une nouvelle requête
ayant le même objet. Pour des raisons d’économie judiciaire, le réalisme
et la souplesse pouvaient donc sembler être de mise dans les présentes
circonstances.
5. Si j’ai souscrit à la décision de la Cour, c’est pour trois raisons. Premièrement,
je suis d’avis que la démonstration, par le demandeur, de ce
qu’un différend existait entre les Parties avant l’introduction de l’instance
doit satisfaire à un critère de preuve minimal. Or, les éléments présentés par
les Iles Marshall à cet égard étaient nettement insuffisants. Hormis les deux
déclarations qu’il a faites lors de conférences internationales pour exhorter
1031 nuclear arms and disarmament (decl. xue)
202
international conferences, calling on the nuclear‑weapon States to commence
immediately negotiations on nuclear disarmament, which would
normally be taken as political statements by other States, the Marshall
Islands presents no evidence indicating bilateral contacts of any kind on
the matter between the Parties before the Court is seised. The Marshall
Islands heavily relies on the positions expressed by the Parties during the
current proceedings to demonstrate that one Party’s claim was positively
opposed by the other. As is pointed out by the Court, should that argument
be accepted, it would virtually render the condition of the existence
of a dispute without any meaning and value. More fundamentally, in my
opinion, it would undermine the confidence of States in accepting the
compulsory jurisdiction of the Court.
6. Secondly, even though prior notice and diplomatic exchanges are
not required as a condition for the existence of a dispute, “surprise” litigation
should nevertheless be discouraged. Any peaceful means of settlement,
including judicial recourse, is aimed at the resolution of the dispute.
Whenever the circumstances permit, a clear demonstration of a legal
claim to the responsible party would facilitate the process of negotiation
and settlement. The Marshall Islands, being a victim of nuclear weapons
development, has every reason to criticize the nuclear‑weapon States for
failing to make joint efforts in pursuing negotiations on the cessation of
nuclear arms race and nuclear disarmament. That legitimacy, nevertheless,
does not override the legal conditions for the exercise of the Court’s
jurisdiction.
7. Although the meaning of a dispute has never formally been defined
and the test for the determination of its existence is usually low, the State
against whom proceedings are instituted should at least be aware beforehand
that it had had a legal dispute with another State who may submit
the dispute to the compulsory jurisdiction of the Court for settlement.
The Court may take into account the post‑application conduct of the parties
as supplementary evidence to satisfy itself for the purpose of jurisdiction
and admissibility, but judicial flexibility has to be exercised within a
reasonable limit.
8. Thirdly, the Court’s jurisdiction is built on mutuality and reciprocity.
The present case, in my opinion, is different in character from the
previous cases where the Court took a flexible approach in dealing with
some procedural defects. The Marshall Islands’ statements at international
conferences are of themselves insufficient to demonstrate that there
existed a legal dispute in its bilateral relations with each nuclear‑weapon
State; indeed, the Marshall Islands could not have meant that this was a
bilateral issue. The Marshall Islands did not institute the proceedings
merely for the protection of its own interest, albeit a victim of nuclear
weapons. Rather the case serves more the interest of the international
community. Although the Court recognized obligations erga omnes in
international law in the Barcelona Traction case (Barcelona Traction,
armes nucléaires et désarmement (décl. xue) 1031
202
les puissances nucléaires à engager immédiatement des négociations sur le
désarmement nucléaire — que les autres Etats seraient fondés à considérer
comme des déclarations politiques —, le demandeur n’a fourni aucun élément
attestant que des contacts bilatéraux de quelque sorte que ce soit
auraient eu lieu entre les Parties avant la saisine de la Cour. Il s’est en
revanche abondamment appuyé sur les positions exprimées par ces dernières
en cours d’instance pour montrer que la réclamation de l’une se heurtait
à l’opposition manifeste de l’autre. Or, ainsi que la Cour l’a souligné, si
pareille argumentation était jugée recevable, la condition de l’existence d’un
différend se trouverait en pratique privée de tout sens et de toute valeur.
Chose selon moi plus fondamentale encore, cela ébranlerait la confiance
des Etats qui acceptent la juridiction obligatoire de la Cour.
6. Deuxièmement, même si une notification préalable ou des échanges
diplomatiques ne sont pas requis en tant que condition de l’existence d’un
différend, il convient de décourager les actions en justice « par surprise ».
Tout moyen de règlement pacifique des différends, y compris la voie judiciaire,
vise au règlement du différend en cause. A cet égard, le fait d’exprimer
clairement une réclamation juridique contre la partie responsable,
chaque fois que les circonstances le permettent, faciliterait le processus de
négociation et de règlement. En tant que victimes du développement des
armes nucléaires, les Iles Marshall ont certes toutes les raisons de reprocher
aux Etats qui en sont dotés de ne pas mener des efforts conjoints en poursuivant
des négociations sur la cessation de la course aux armements et le
désarmement nucléaire. Cette légitimité ne saurait cependant prévaloir sur
les conditions juridiques régissant l’exercice de la compétence de la Cour.
7. Bien que la notion de différend n’ait jamais été formellement définie
et que le critère permettant de déterminer l’existence d’un différend soit
généralement peu strict, l’Etat contre lequel une instance est introduite
devrait au moins avoir préalablement connaissance de ce qu’un différend
d’ordre juridique, qui pourrait être soumis à la juridiction obligatoire de
la Cour en vue de son règlement, l’oppose à un autre Etat. La Cour peut
prendre en compte le comportement des parties postérieur au dépôt de la
requête en tant qu’élément de preuve supplémentaire pour s’assurer de sa
compétence et de la recevabilité de la requête, mais la souplesse, en
matière judiciaire, doit être exercée dans des limites raisonnables.
8. Troisièmement, la compétence de la Cour repose sur le consentement
mutuel et la réciprocité. Selon moi, la présente affaire différait par
nature de celles dans lesquelles la Cour avait opté pour une approche plus
souple à l’égard de certaines carences procédurales. Les déclarations que
les Iles Marshall ont faites dans le cadre de certaines conférences internationales
ne suffisent pas, en tant que telles, à démontrer que, dans les
relations bilatérales de cet Etat, un différend l’opposait à chacune des
puissances nucléaires. De fait, le demandeur ne pouvait estimer qu’il
s’agissait là d’un problème bilatéral. Quoique ayant été elles‑mêmes victimes
des armes nucléaires, les Iles Marshall n’ont pas introduit la présente
instance simplement pour protéger leurs propres intérêts ; leur
argumentation sert en effet davantage ceux de la communauté internatio-
1032 nuclear arms and disarmament (decl. xue)
203
Light and Power Company, Limited (New Application: 1962) (Belgium v.
Spain), Second Phase, Judgment, I.C.J. Reports 1970, p. 32, para. 33), it
did not address the question of standing, locus standi, an issue that is yet
to be developed in international law.
9. That brings me to the second point I wish to make on the Judgment.
I regret very much that the Court does not proceed further to deal with
some other objections raised by the Respondent. In its Preliminary Objections,
the United Kingdom raises objections to the jurisdiction of the
Court and the admissibility of the Application. It argues, inter alia, that
“the specific allegations advanced against the United Kingdom by the
Marshall Islands are such that they directly and unavoidably engage
the interests of States which are not before the Court. In consequence,
the Marshall Islands’ Application is inadmissible and/or the Court
lacks jurisdiction to address the claim in the absence of these essential
parties.” (Preliminary Objections of the United Kingdom, para. 83.)
In its view, the interests of other nuclear‑weapon States do “form the very
subject‑matter” of the Marshall Islands’ claim and, consequently, the
Monetary Gold principle should apply in this case (ibid., para. 101).
10. It further contends that the Marshall Islands acknowledges that a
State cannot conduct and conclude negotiations by itself; the United Kingdom’s
conduct in such negotiations can thus only be properly assessed in
the context of the attitude and actions of other States, particularly the
nuclear‑weapon States (CR 2016/3, p. 46, para. 9). Moreover, according to
the United Kingdom, any judgment on the Marshall Islands’ claims would
have no practical consequence and would therefore not be within the
proper judicial function of the Court (ibid., pp. 31‑32, para. 57).
11. These objections, in my opinion, deserve an immediate consideration
of the Court at the preliminary stage, as the answer to them would
have a direct effect on the jurisdiction of the Court and the admissibility
of the Application. Had it done so, the Court would be in a better position
to demonstrate that, so far as the questions of jurisdiction and admissibility
are concerned, the Marshall Islands’ Application is not merely
defective in one procedural form.
12. In its Advisory Opinion on the Legality of the Threat or Use of
Nuclear Weapons, having examined the current state of affairs with
nuclear weapons in international law, the Court states that to achieve the
long‑promised goal of complete nuclear disarmament, all States parties to
the Treaty on the Non‑Proliferation of Nuclear Weapons (the “NPT”)
bear an obligation to negotiate in good faith a nuclear disarmament. It
underscores that, “[i]ndeed, any realistic search for general and complete
disarmament, especially nuclear disarmament, necessitates the co‑operation
of all States” (Legality of the Threat or Use of Nuclear Weapons,
Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1996 (I), p. 264, para. 100; emphasis
added).
armes nucléaires et désarmement (décl. xue) 1032
203
nale. Or, bien qu’elle ait, dans le cadre de l’affaire de la Barcelona Traction
(Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle
requête : 1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J.
Recueil 1970, p. 32, par. 33), reconnu l’existence d’obligations erga omnes,
la Cour ne s’est pas penchée sur la question de la qualité pour agir
dans ce domaine, question qui reste à approfondir en droit international.
9. Cela m’amène à la seconde observation que je tiens à formuler au
sujet de l’arrêt. Je déplore grandement que la Cour n’ait pas examiné certaines
autres exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité
de la requête soulevées par le Royaume‑Uni. Celui‑ci soutenait
notamment que
« les allégations spécifiques avancées contre lui par [l]es Iles Marshall
mett[aient] directement et immanquablement en cause les intérêts
d’Etats qui n[’étaient] pas parties à l’instance. Par conséquent, en
l’absence de ces parties essentielles, la requête [était] irrecevable ou la
Cour [était] incompétente pour connaître des demandes qui y [étaient]
contenues. » (Exceptions préliminaires du Royaume‑Uni, par. 83.)
Selon lui, les intérêts des autres Etats dotés d’armes nucléaires « constitu[
aient] l’objet même » de la demande des Iles Marshall, de sorte que le
principe de l’Or monétaire devait s’appliquer en l’espèce (ibid., par. 101).
10. Le défendeur ajoutait que les Iles Marshall reconnaissaient qu’un
Etat ne pouvait à lui seul mener et conclure des négociations, et que son
comportement dans le cadre de ces négociations ne pouvait donc être évalué
correctement qu’à l’aune de l’attitude et des actions d’autres Etats, en particulier
ceux dotés d’armes nucléaires (CR 2016/3, p. 46, par. 9). Il faisait
valoir en outre que tout arrêt que la Cour pourrait rendre sur les demandes
des Iles Marshall serait dénué de conséquences pratiques et, partant, incompatible
avec la fonction judiciaire de celle‑ci (ibid., p. 31‑32, par. 57).
11. A mon sens, la Cour aurait dû examiner ces exceptions dès la phase
préliminaire, puisque ses conclusions à cet égard auraient eu un effet
direct sur sa compétence et sur la recevabilité de la requête. Si elle avait
procédé ainsi, elle aurait en effet été mieux à même de démontrer que,
pour ce qui concerne les questions de compétence et de recevabilité, la
requête des Iles Marshall n’était pas seulement défectueuse sur un point
de procédure.
12. Dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi
d’armes nucléaires, la Cour, après avoir examiné quel était alors le statut
des armes nucléaires en droit international, avait précisé que, pour
atteindre l’objectif fixé de longue date du désarmement nucléaire complet,
tous les Etats parties au traité sur la non‑prolifération des armes nucléaires
(le « TNP ») avaient l’obligation de négocier de bonne foi en ce sens. Elle
avait également souligné que, « [d]e fait, toute recherche réaliste d’un
désarmement général et complet, en particulier nucléaire, nécessit[ait] la
coopération de tous les Etats » (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 264, par. 100 ; les
italiques sont de moi).
1033 nuclear arms and disarmament (decl. xue)
204
13. It further refers to the Security Council’s resolution 984 (1995)
dated 11 April 1995, where the Council reaffirmed “the need for all States
parties to the Treaty on the Non‑Proliferation of Nuclear Weapons to
comply fully with all their obligations” and urged
“all States, as provided for in Article VI of the Treaty on the Non‑Proliferation
of Nuclear Weapons, to pursue negotiations in good faith
on effective measures relating to nuclear disarmament and on a treaty
on general and complete disarmament under strict and effective international
control which remains a universal goal” (I.C.J. Reports
1996 (I), p. 265, para. 103; emphasis added).
14. In its Opinion, the Court particularly highlights that the obligation
under Article VI of the NPT is a twofold obligation. It states:
“The legal import of that obligation goes beyond that of a mere
obligation of conduct; the obligation involved here is an obligation
to achieve a precise result — nuclear disarmament in all its aspects —
by adopting a particular course of conduct, namely, the pursuit of
negotiations on the matter in good faith.” (Ibid., p. 264, para. 99.)
15. It has been 20 years since the Court pronounced this solemn statement.
To achieve that ambition, as the Court said, it is necessary to have
the co‑operation of all States. Clearly, there has been a collective failure
to deliver, but the issue for the present case is whether such a failure can
be turned into a series of bilateral disputes, and addressed separately.
16. There could be little doubt some nuclear‑weapon States, on the one
hand, and non‑nuclear‑weapon States, on the other, take opposite views
on the cessation of nuclear arms race and the negotiation process on
nuclear disarmament. However, can such disagreement be characterized
as a dispute that falls within the meaning of Articles 36 and 38 of the
Statute? In other words, is a dispute as such, assuming existent at the time
of the filing of the Application or crystallized subsequently, justiciable for
the Court to settle through contentious proceedings? Apparently, the
question before the Court is not a procedural defect that may be amended
subsequently in the course of the proceedings, as was the situation in the
previous cases. I am afraid that the Court emphasizes a bit too much the
way in which a dispute may be materialized, but does not give sufficient
consideration to the nature of the dispute that the Marshall Islands alleges
to have existed between the United Kingdom and itself.
(Signed) Xue Hanqin.
armes nucléaires et désarmement (décl. xue) 1033
204
13. La Cour s’était également référée à la résolution 984 (1995) en date
du 11 avril 1995, dans laquelle le Conseil de sécurité avait réaffirmé
qu’il était « nécessaire que tous les Etats parties au traité sur la non‑prolifération
des armes nucléaires s’acquittent pleinement de toutes leurs
obligations » et exhorté
« tous les Etats à poursuivre de bonne foi, comme il [était] stipulé à
l’article VI du traité sur la non‑prolifération des armes nucléaires, des
négociations sur des mesures efficaces relatives au désarmement
nucléaire et sur un traité de désarmement général et complet sous un
contrôle international strict et efficace, qui demeur[ait] un objectif
universel » (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 265, par. 103 ; les italiques sont
de moi).
14. Dans son avis consultatif, la Cour avait notamment souligné que
l’obligation découlant de l’article VI du TNP était une double obligation,
ajoutant ce qui suit :
« La portée juridique de l’obligation considérée dépasse celle d’une
simple obligation de comportement ; l’obligation en cause ici est celle
de parvenir à un résultat précis — le désarmement nucléaire dans
tous ses aspects — par l’adoption d’un comportement déterminé, à
savoir la poursuite de bonne foi de négociations en la matière. »
(Ibid., p. 264, par. 99.)
15. Vingt ans se sont écoulés depuis que la Cour a prononcé ce dictum
solennel. Ainsi qu’elle l’a précisé, tous les Etats doivent coopérer pour
réaliser cet objectif. A l’évidence, l’on a assisté en la matière à un manquement
collectif, mais la question qui se posait en la présente espèce était de
savoir si celui‑ci pouvait prendre la forme d’une série de différends bilatéraux,
examinés séparément.
16. Il n’est guère douteux que certains Etats dotés d’armes nucléaires,
d’une part, et les Etats qui en sont dépourvus, d’autre part, ont des vues
divergentes au sujet de la cessation de la course aux armes nucléaires et du
processus de négociation sur le désarmement nucléaire. Pareil désaccord
peut‑il pour autant être qualifié de différend au sens des articles 36 et 38 du
Statut ? Autrement dit, un tel différend, à supposer qu’il ait existé au
moment du dépôt de la requête ou qu’il se soit cristallisé par la suite, peut‑il
être tranché par la Cour dans le cadre d’une procédure contentieuse ? La
question qui se posait en la présente espèce n’était pas, semble‑t‑il, celle
d’une carence procédurale à laquelle il aurait pu être remédié en cours d’instance,
comme cela avait été le cas dans les affaires antérieures. Je crains que
la Cour ait un peu trop mis l’accent sur la manière dont un différend peut
se matérialiser, sans tenir suffisamment compte de la nature de celui qui,
selon les Iles Marshall, les opposait au Royaume‑Uni.
(Signé) Xue Hanqin.

Document file FR
Document Long Title

Déclaration de Mme. la juge Xue

Links