Opinion dissidente de M. le juge Robinson

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158-20161005-JUD-01-12-EN
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O PINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE ROBINSON

[Traduction]

Désaccord avec la conclusion de la majorité selon laquelle il n’existe pas de différend entre
les Parties  Rôle assigné à la Cour par la Charte des Nations Unies  Développement linéaire
de la jurisprudence de la Cour quant à l’existence d’un différend privilégiant l’objectivité, la

souplesse et la prise en considération du fond plutôt que du respect des formes  Détermination
par la Cour de l’existence d’un différend devant procéder d’une démarche empirique et
pragmatique dont le but est simplement d’établir si les éléments de preuve révèlent ou non chez les
parties des points de vue nettement opposés  Jurisprudence de la Cour ne cautionnant pas le
critère retenu par la majorité selon lequel il ne peut exister un différend que si le défendeur avait
connaissance, ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance, de ce que ses vues se heurtaient à

l’«opposition manifeste» du demandeur  Connaissance préalable de l’opposition des points de
vue pouvant confirmer, mais non déterminer, l’existence d’un différend  Précédents où la Cour
s’est fondée sur des éléments de preuve avancés après le dépôt de la requête pour établir
l’existence d’un différend  Application aux faits de l’espèce du critère retenu par la majorité
n’excluant pas l’existence d’un différend entre les Parties.

1. J’explique dans le présent exposé de mon opinion pourquoi je n’ai pas suivi la majorité
lorsqu’elle a décidé qu’il n’existait pas de différend entre les Iles Marshall et l’Inde.

I. NTRODUCTION

2. Au cours des vingt mois qui se sont écoulés depuis que j’ai pris mes fonctions de juge, j’ai
eu le privilège de pouvoir réfléchir aux conséquences qu’emportent nombre d’obligations de droit
international invoquées dans les affaires portées devant la Cour. Or, j’ose affirmer que s’il m’est
donné, d’ici la fin de mon mandat, de considérer mille autres obligations, il ne s’en trouvera pas
une seule, parmi elles, dont l’importance, du point de vue aussi bien de l’œuvre de la Cour que de
l’intérêt de la communauté internationale, puisse se comparer à celle, cruciale, de l’obligation de

poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire
dans tous ses aspects, effectué sous un contrôle international strict et efficace, car du respect de
cette obligation dépend la survie même de l’humanité, mise en péril par la possession d’armes
nucléaires.

3. La Charte des Nations Unies a assigné à la Cour un rôle spécial, qui lui permet d’apporter

une contribution particulièrement importante au maintien de la paix et de la sécurité internationales
en exerçant sa fonction judiciaire. Il est regrettable que la majorité n’ait pas saisi l’occasion que
cette affaire offrait à la Cour de montrer combien cette contribution lui tient à cœur, d’autant plus
regrettable que pour saisir cette occasion, il aurait suffi à la Cour de suivre tout simplement sa
propre jurisprudence. Celle-ci est constante quant à la démarche que la Cour a adoptée pour
déterminer l’existence d’un différend ; or, cette démarche n’est pas celle dont procède l’arrêt.

4. Il ressort de la jurisprudence que pour établir l’existence d’un différend, la Cour doit
suivre une méthode objective, souple et pragmatique. Et cette jurisprudence établit fermement
qu’il existe un différend lorsqu’une appréciation objective montre que «les points de vue
des … parties quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations» de l’Etat sont - 2 -

«nettement opposés» . Il ne se trouve pas, dans la jurisprudence, une seule affaire dont la majorité

ait pu s’autoriser pour conclure que l’existence d’un différend ne peut être établie que si le
défendeur avait connaissance avant le dépôt de la requête de l’opposition manifeste du demandeur
à ses vues ; cette conclusion signifie que la Cour ne peut pas établir l’existence d’un différend si
elle n’a pas la preuve de cette connaissance préalable.

5. L’obligation d’établir qu’il existe un «différend» a pour objet de faire en sorte que ce sur
quoi la Cour est invitée à se prononcer se prête à l’exercice de son autorité et de sa compétence ou,

pour reprendre ce qu’a dit le juge Fitzmaurice dans l’opinion individuelle jointe à l’arrêt en
l’affaire du Cameroun septentrional, que le différend «implique la fonction normale de l’institution
judiciaire qu’est un tribunal» . Il s’agit pour la Cour d’apprécier objectivement la nature et le

caractère de la demande qui lui est présentée. Il ne s’agit pas, en suivant une démarche empreinte
de formalisme, d’imposer à l’Etat demandeur de franchir divers obstacles avant de pouvoir se
présenter dans la grande salle de justice.

6. La Cour et, avant elle, la Cour permanente de Justice internationale (CPJI), ont constitué
un important corpus de jurisprudence sur l’interprétation de l’obligation faite à la Cour de ne

trancher que des «différends» ou des «différends d’ordre juridique», obligation dont je traiterai
dans la section suivante de l’exposé de mon opinion. Il importe cependant de noter d’emblée que
si, dans de nombreuses affaires, les Etats défendeurs ont soulevé une exception d’incompétence en
invoquant l’absence de différend, la Cour a le plus souvent rejeté cette exception . Cette pratique

procède d’une démarche souple dans la détermination de l’existence d’un différend  les critères
de l’existence d’un différend ne sont pas censés élever un obstacle bien haut.

Avant d’examiner la jurisprudence, je vais traiter brièvement du rôle que la Charte des
Nations Unies assigne à la Cour.

II. LE RÔLE DE LA C OUR SELON LA C HARTE DES N ATIONS U NIES

7. Tel qu’il est envisagé dans la Charte des Nations Unies, le rôle de la Cour implique qu’elle
suive une démarche objective, souple et pragmatique pour déterminer s’il existe un différend.

Comme je l’ai expliqué dans l’opinion individuelle dont j’ai joint l’exposé à l’arrêt rendu en
décembre 2015 en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région
frontalière (Costa Rica c. Nicaragua),

1
Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
2
Opinion individuelle du juge Fitzmaurice en l’affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 98.
3Voir, par exemple, les affaires que je cite plus loin. En l’affaire des Violations alléguées, la Cour a constaté que
«le Nicaragua formul[ait] deux demandes distinctes, faisant grief à la Colombie, d’une part, d’avoir violé ses droits
souverains et ses espaces maritimes et, d’autre part, d’avoir manqué à l’obligation lui incombant de s’abstenir de recourir
à la menace ou à l’emploi de la force». La Cour a établi l’existence d’un différend au sujet de la première demande, mais

non de la seconde. Violations alléguées de droit souverain et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 67, 74, Voir également C. Tomuschat,
commentaires ee l’article 36, Andreas Zimmermann et al. (ed.), The Statute of the International Court of Justice: A
Commentary (2 édition, 2012), p. 642, par. 9 :
«[é]tant donné cette limitation [l’obligation pour le demandeur de formuler une demande sur une question
de droit], la notion de compétence a toujours été interprétée dans un sens vraiment large. En fait, autant
qu’on puisse voir, la Cour ne s’est jamais dessaisie d’une affaire au motif qu’elle ne portait pas sur un

différend.» - 3 -

«[l]a Charte des Nations Unies souligne en outre le rôle essentiel dévolu à la Cour
dans le règlement pacifique des différends, des différends «dont la prolongation est
susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales» et
4
d’aller ainsi à l’encontre des buts qu’elle énonce . Son article 92 désigne la Cour
comme l’organe judiciaire principal de l’Organisation et précise que le Statut de
celle-ci, qui y est annexé, en fait partie intégrante. L’article 36 indique en son

paragraphe 3 que le Conseil de sécurité «doit aussi tenir compte du fait que, d’une
manière générale, les différends d’ordre juridique devraient être soumis par les parties
à la Cour internationale de Justice». Il est donc clair que, en exerçant sa fonction

judiciaire, la Cour a vocation à contribuer au maintien de la paix et de la sécurité
internationales. Cet exercice ne revêt dès lors pas un caractère secondaire, bien au
contraire : il constitue un élément essentiel du système établi à l’issue de la seconde
5
guerre mondiale en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales.»

8. La place faite à la Cour par la Charte des Nations Unies n’est pas la même que celle que

faisait à la CPJI le Pacte de la Société des Nations. Le Pacte prévoyait certes la création de la CPJI,
mais n’accordait pas prééminence à la saisine de celle-ci par rapport aux autres modes de règlement
des différends internationaux . 6 La Charte, en revanche, désigne la Cour comme «l’organe
7
judiciaire principal des Nations Unies» . Chaque Etat partie à la Charte est ipso facto partie au
Statut de la CIJ. La disposition de la Charte à cet effet est dans la logique du paragraphe 3 de son

article 36, qui  bien que les Etats aient la faculté de choisir entre plusieurs méthodes de
règlement des différends , prévoit que de manière générale, les différends d’ordre juridique
devraient être soumis à la CIJ ; elle est également dans la logique du second membre du

paragraphe 1 de l’article premier, qui dispose que l’un des buts des Nations Unies est de «réaliser,
par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international,
l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles
8
de mener à une rupture de la paix» . «Le recours à la CIJ, qui a pour fonction de trancher les
différends conformément au droit international … , constitue le moyen le plus évident d’atteindre
ce but.» 9 L’exercice par la Cour de sa fonction judiciaire ne peut donc pas être dissocié de

4
Charte des Nations Unies, art. 33.
5
Opinion individuelle du juge Robinson jointe à l’arrêt du 16 décembre 2015 en l’affaire relative à Certaines
activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), par. 30.
6 L’article 14 du Pacte de la Société des Nations se lit comme suit :

«[l]e Conseil est chargé de préparer un projet de Cour permanente de justice internationale et de le
soumettre aux membres de la Société. Cette Cour connaîtra de tous différends d'un caractère international
que les parties lui soumettront. Elle donnera aussi des avis consultatifs sur tout différend ou tout point,
dont la saisira le Conseil ou l’Assemblée.»

L’article 13 du Pacte renferme les dispositions suivantes :

«Parmi ceux qui sont généralement susceptibles d’une solution arbitrale ou judiciaire, on déclare
tels les différends relatifs à l'interprétation d'un traité, à tout point de droit international, à la réalité de tout
fait qui, s’il était établi, constituerait la rupture d'un engagement international, ou à l’étendue ou à la
nature de la réparation due pour une telle rupture.

La cause sera soumise à la Cour permanente de Justice internationale, [créée conformément à
l’article 14,] ou à toute juridiction ou cour désignée par les Parties ou prévue dans leurs conventions
antérieures.»
7
Charte des Nations Unies, art. 92.
8
Thomas Giegerich, Commentary to Article 36 (op. cit. à la note 3 ci-dessus) p. 154, par. 52.
9 Ibid. ; voir également Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, arrêt,
C.I.J. Recueil 1980, p. 22, par. 40 :

«C’est à la Cour, organe judiciaire principal des Nations Unies, qu'il appartient de résoudre toute
question juridique pouvant opposer des parties à un différend ; et la résolution de ces questions juridiques
par la Cour peut jouer un rôle important et parfois déterminant dans le règlement pacifique du différend.» - 4 -

l’architecture du système institué dans le but d’éviter que ne se reproduisent les atrocités de la

seconde guerre mondiale. L’intention des auteurs de la Charte était que la Cour contribue
activement au maintien de la paix et de la sécurité internationales. On voit mal comment la Cour
pourrait continuer de s’acquitter de cette mission en offrant un moyen de régler pacifiquement les
différends si elle en vient à établir des critères supplémentaires d’existence d’un différend que ne
cautionne pas sa jurisprudence et qui ajoutent aux difficultés d’accès que doivent surmonter les
Etats qui entendent se prévaloir de sa juridiction.

III. LA JURISPRUDENCE DE LA C OUR

9. Au paragraphe 38 de l’arrêt, la majorité affirme ce qui suit :

«Les éléments de preuve doivent montrer que les «points de vue des … parties
[sont] nettement opposés» en ce qui concerne la question portée devant la

Cour ... Ainsi que cela ressort de décisions antérieures de la Cour dans lesquelles la
question de l’existence d’un différend était à l’examen, un différend existe lorsqu’il
est démontré, sur la base des éléments de preuve, que le défendeur avait connaissance,
ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance, de ce que ses vues se heurtaient à
l’«opposition manifeste» du demandeur (Violations alléguées de droits souverains et
d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions
préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 73 ; Application de la convention

internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 99, par. 61, p. 109-110, par. 87, p. 117, par. 104).»

C’est en se fondant sur cette constatation que la majorité a retenu l’exception soulevée par le
défendeur en invoquant l’absence de différend. Comme le montre l’analyse ci-après de la
jurisprudence de la Cour en la matière, la difficulté que soulève cette opinion est qu’elle n’est pas

cautionnée par la doctrine et est erronée en droit comme en fait.

1. L’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine

10. M. Mavrommatis était un ressortissant grec titulaire de «concessions pour certains
travaux publics à exécuter en Palestine» en application de contrats et d’accords signés avec

l’Empire ottoman. La République hellénique soutenait la prétention de son ressortissant selon
laquelle le Gouvernement de Palestine, ainsi que le Gouvernement de Sa Majesté britannique (le
Gouvernement du Royaume-Uni) en tant que puissance mandataire, avaient refusé à tort de
reconnaître dans toute leur étendue les droits que M. Mavrommatis tenait de deux groupes de
concessions, et demandait à la CPJI d’ordonner le paiement d’une indemnité en réparation du
préjudice qui en était résulté. L’instance avait été introduite en vertu de l’article 9 du protocole XII

annexé au traité de paix de Lausanne de 1923 et des articles 11 et 26 du Mandat pour la Palestine
conféré à la Grande-Bretagne en 1922.

11. Le Gouvernement britannique ayant soulevé une exception d’incompétence, la CPJI a
recherché si elle avait ou non compétence en vertu de l’article 26 du Mandat. Cet article lui
conférait juridiction à l’égard de tout différend «qui viendrait à s’élever entre [le mandataire] et un
autre membre de la Société des Nations, relatif à l’interprétation ou à l’application du Mandat» et

ne serait pas «susceptible d’être réglé par des négociations». Pour déterminer s’il existait un
différend relevant de sa compétence, la CPJI a suivi un raisonnement qui l’a conduite à énoncer son
célèbre dictum quant à la définition d’un différend : «[un] différend est un désaccord sur un point - 5 -

de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux
10
personnes» .

12. La CPJI a conclu que «tel [était] certainement le caractère du litige» . La République

hellénique soutenait que les autorités palestiniennes ou britanniques avaient traité l’un de ses
ressortissants d’une manière incompatible avec des obligations de droit international auxquelles
elles étaient tenues, et demandait une indemnité de ce chef . 12

13. L’arrêt rendu en cette affaire, largement considéré comme la référence première sur
laquelle s’appuie la Cour pour examiner les critères de l’existence d’un différend, et qui est cité au

paragraphe 34 de l’arrêt de ce jour, n’indique ni expressément ni implicitement que l’état d’esprit
du défendeur doive constituer un critère de l’existence d’un différend. La CPJI a concentré son
attention sur la simple question de savoir s’il y avait ou non désaccord ou contradiction entre les
parties. Le dictum énoncé en l’affaire des Concessions Mavrommatis signifie implicitement que,

pour établir l’existence d’un différend, la Cour doit procéder à une analyse des faits qui peut
révéler une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre les parties ; rien, dans le dictum, ne
donne à entendre que cette analyse doive en quoi que ce soit être influencée par la réponse à la

question de savoir si le défendeur avait ou non connaissance de la position du demandeur.

14. La Cour actuelle s’en est souvent remise à la définition que renferme l’arrêt rendu en

l’affaire des Concessions Mavrommatis, comme le montre le bref rappel de sa jurisprudence auquel
je procède plus loin. Bien qu’elle ait par la suite été développée et consolidée, cette définition a
essentiellement évolué dans un sens conforme à la position adoptée par la CPJI dans l’affaire
précitée. Faire de la connaissance préalable de la position du demandeur une condition nécessaire

de l’existence d’un différend, en revanche, revient non pas à s’écarter légèrement de cette position,
mais à bouleverser radicalement l’agencement des conditions dont la Cour exige qu’elles soient
remplies avant qu’elle puisse procéder à l’examen au fond d’une demande . Toute tentative de

déboulonner la définition Mavrommatis de son piédestal ne peut qu’ètre vouée à l’échec. L’arrêt
rendu en l’affaire des Concessions Mavrommatis continuera de peser de tout son poids dans
l’examen de ce qui constitue un «différend», non seulement parce qu’il est le premier à avoir

énoncé une définition, mais aussi, et surtout, parce qu’il précise quels sont les paramètres d’un
différend entre Etats.

2. L’affaire relative à l’interprétation des traités de paix

15. Par une résolution en date du 22 octobre 1949, l’Assemblée générale des Nations Unies
avait demandé à la Cour de rendre un avis consultatif sur l’interprétation des traités de paix conclus

avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie.

16. La première question sur laquelle la Cour était invitée à donner son avis était celle de

savoir si la correspondance diplomatique échangée par la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie et

10Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I., série A n 2, p. 11.

11Ibid.
12
Ibid., p. 12.
13Voir, par exemple, l’analyse de la jurisprudence de la Cour jusqu’à [2009] à laquelle a procédé Robert Kolb,
dans laquelle il relève que la définition figurant dans l’arrêt relatif aux Concessions Mavrommatis a été suivie «de
manière remarquablement fidèle et constante», même si «elle a parfois été retenue moyennant de légères et subtiles
modifications, mais aussi des ajouts dont le bien-fondé est discutable».Kolb, The International Court of Justice

(Hart, 2013), p. 302. - 6 -

«certaines des puissances alliées et associées, signataires des traités de paix» au sujet de

l’application de certaines dispositions de ceux-ci révélait l’existence d’un «différend» relevant des
clauses desdits traités relatives au règlement des différends. Ces échanges se rapportaient
notamment à des inquiétudes et des accusations concernant le respect des droits de l’homme et des
libertés fondamentales par les trois gouvernements. Avant de se prononcer sur cette question, la

Cour a sérié les points à régler et décidé d’examiner en premier lieu si les échanges de
correspondance diplomatique révélaient en eux-mêmes l’existence de différends.

17. La Cour s’est tout d’abord assigné une règle qui a par la suite été maintes fois réaffirmée,
à savoir que «[l’]existence d’un différend international demande à être établie objectivement» . A 14
mon sens, ce dictum est l’un des plus importants que la Cour ait énoncé au sujet du choix des

critères de l’existence d’un différend. La conséquence logique de cette démarche objective est que
«[l]e simple fait que l’existence d’un différend est contestée ne prouve pas que ce différend
n’existe pas» .15

18. En appliquant cette règle à l’examen des faits, la Cour a constaté que figuraient dans les
échanges de correspondance diplomatique des allégations selon lesquelles les gouvernements de la

Bulgarie, de la Roumanie et de la Hongrie avaient violé diverses dispositions des traités de paix,
violations auxquelles les trois gouvernements étaient invités à remédier. La Bulgarie, la Roumanie
et la Hongrie, pour leur part, rejetaient ces allégations. Les échanges de correspondance montraient
donc qu’«[i]l s’[était] … produit une situation dans laquelle les points de vue des ... parties quant à
16
l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations découlant des traités» étaient nettement 17
opposés. La Cour en a conclu que s’étaient effectivement élevés des différends internationaux .

19. Là encore, comme en l’affaire des Concessions Mavrommatis, la question de savoir si les
Etats mis en cause avaient ou non eu connaissance préalable de leur implication dans un différend
n’est pas entrée en ligne de compte. La Cour ne s’est pas arrêtée à la conscience que la Bulgarie, la

Hongrie et la Roumanie avaient pu avoir ou non d’être chacune engagée dans un différend. Le
dictum que je viens de citer, qui veut qu’il existe un différend lorsque, «quant à l’exécution ou à la
non-exécution de certaines obligations découlant des traités, [les positions des parties] sont

nettement opposées», est une illustration classique de ce que doit être une démarche objective. Ce
dictum ne demande rien d’autre à la Cour que d’examiner les positions respectives des parties et de
déterminer si elles montrent que celles-ci ont «manifesté des opinions opposées» ; absolument 18
rien n’indique que, pour ce faire, la Cour doive se poser une question quelconque sur la

connaissance que le défendeur peut avoir eue ou non de la position du demandeur.

3. Les affaires du Sud-Ouest africain

20. Le Libéria et l’Ethiopie ayant chacun introduit une instance contre l’Afrique du Sud, la
Cour avait décidé de joindre les deux affaires par ordonnance du 20 mai 1961. Les demandeurs

alléguaient que l’Afrique du Sud agissait en violation de diverses dispositions du Pacte de la
Société des Nations et du mandat pour le Sud-Ouest africain, y compris en pratiquant l’apartheid
dans l’administration du Territoire. A titre préliminaire, la Cour a examiné la question de savoir si

14
Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
15
Ibid.
16Ibid.
17
Ibid., p. 74-75.
18 os o o
Interprétation des arrêts n 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt n 11, 1927, C.P.J.I. série A n 13, p. 10-11. - 7 -

l’objet des requêtes déposées par le Libéria et l’Ethiopie était ou non un différend entre les
demandeurs et l’Afrique du Sud. La Cour a repris la définition d’un différend figurant dans l’arrêt

de la CPJI en l’affaire des Concessions Mavrommatis (que j’ai citée plus haut) et a noté qu’il ne
suffisait pas, pour prouver l’existence d’un différend, qu’une partie affirme ou nie cette existence,
position qui concordait avec son intention de procéder à un appréciation objective :

«La simple affirmation ne suffit pas pour prouver l’existence d’un différend,
tout comme le simple fait que l’existence d’un différend est contestée ne prouve pas
que ce différend n’existe pas. Il n’est pas suffisant non plus de démontrer que les
intérêts des deux parties à une telle affaire sont en conflit. Il faut démontrer que la
19
réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre.»

La Cour a constaté que l’application de ce critère aux faits de la cause dont elle était saisie montrait
que l’existence d’un différend entre les parties ne pouvait pas «faire de doute». Selon elle, le

différend «résultait clairement» des attitudes opposées des parties à propos de l’exécution par 20
l’Afrique du Sud des obligations internationales qui lui incombaient en tant que mandataire .

21. Dans l’exposé de son opinion dissidente joint à l’arrêt en ces affaires, le juge Morelli a
opéré une distinction entre un différend et un désaccord, ainsi qu’entre un différend et un conflit
d’intérêts. Il a relevé que les attitudes opposées des parties pouvaient consister en «une
manifestation de volonté» ou «une conduite par laquelle la partie qui adopte une telle conduite

réalise directement son propre intérêt» par un comportement «contraire» à la prétention de l’autre
partie. Toujours selon le juge Morelli, «c’est le cas aussi où il y a, en premier lieu, une conduite de
l’une des parties réalisant l’intérêt de celle-ci, conduite à laquelle l’autre partie oppose sa
protestation» . Aux paragraphes 37 et 52 de l’arrêt, la Cour reconnaît la valeur probante que peut

avoir la conduite d’une partie lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe un différend.

22. Dans l’arrêt qu’elle a rendu dans les affaires du Sud-Ouest africain, la Cour n’a pas non

plus fait explicitement ou implicitement référence à la connaissance préalable, de la part du
défendeur, de la position du demandeur en tant que critère de l’existence d’un différend. Elle a en
revanche insisté sur les «attitudes opposées [des parties] à propos de l’accomplissement des
obligations» . Lorsqu’il s’est agi pour elle de déterminer s’il y avait opposition manifeste, la Cour

a réaffirmé la validité du critère qu’elle avait énoncé dans son arrêt sur l’Interprétation des traités
de paix, à savoir qu’il existe un différend lorsque «les points de vue des deux parties, quant à
l’exécution ou à la non-exécution» d’obligations internationales sont «nettement opposés». Elle
n’a pas entrepris de définir un nouveau critère, ni de poser des conditions supplémentaires ; dire

que les parties doivent avoir des points de vue «nettement opposés» ou que «la réclamation de
l’une des parties [doit] se heurte[r] à l’opposition manifeste de l’autre» revient essentiellement au
même, l’une et l’autre formules tendant à la même appréciation objective, exempte de référence à
des facteurs cognitifs tels que le point de savoir si le défendeur avait eu ou non connaissance de la

position du demandeur.

19
Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
20Ibid.

21Opinion dissidente du juge Morelli, ibid., p. 567.
22
Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328. - 8 -

IV. L E PARAGRAPHE 38 DE L ’ARRÊT

23. La manière dont la Cour a traité la question de l’opposition des points de vue mérite
d’être examinée de près. Le paragraphe 38 de l’arrêt, que j’ai déjà eu l’occasion de citer, est libellé

comme suit :

«Les éléments de preuve doivent montrer que les «points de vue des … parties
[sont] nettement opposés» en ce qui concerne la question portée devant la Cour (voir
le paragraphe 34 ci-dessus). Ainsi que cela ressort de décisions antérieures de la Cour

dans lesquelles la question de l’existence d’un différend était à l’examen, un différend
existe lorsqu’il est démontré, sur la base des éléments de preuve, que le défendeur
avait connaissance, ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance, de ce que ses vues se
heurtaient à l’«opposition manifeste» du demandeur (Violations alléguées de droits
souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie),

exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 73 ; Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011
(I), p. 99, par. 61, p. 109-110, par. 87, p. 117, par. 104).»

24. Le premier point à relever à propos de ce paragraphe est que, sans nécessité aucune, il
nous force à nous aventurer dans le bourbier juridique que constitue l’appréciation de l’état d’esprit
dans lequel agit un Etat. Il semble que le poids accordé à la connaissance que peut avoir le

défendeur de la position de l’Etat demandeur introduit par la ba23e une condition de l’existence
d’un différend que la Cour avait précédemment rejetée , à savoir l’obligation qu’aurait le
demandeur d’informer l’autre Etat de sa prétention.

25. Affirmer que, pour qu’il existe un différend, il doit être démontré que le défendeur avait

connaissance de ce que ses vues se heurtaient à l’opposition manifeste du demandeur procède
d’une interprétation erronée de la méthode précédemment suivie par la Cour, telle qu’elle ressort de
sa jurisprudence. Pour établir que les vues des parties sont nettement opposées, il suffit en effet à
la Cour d’examiner les positions de ces dernières sur la question en cause telles qu’elles sont

révélées objectivement par les éléments de preuve qui ont été versés au dossier, sans chercher à
savoir si l’une avait connaissance de la position de l’autre. Il est certes tout à fait possible de
procéder à une appréciation objective d’un facteur subjectif ; cependant, en la présente affaire, se
pose la question de savoir si la prise en considération d’un tel élément subjectif est juridiquement
fondée.

26. Au paragraphe 38, la majorité, pour étayer sa position, invoque deux affaires : Violations
alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie) et Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes

de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie). Au paragraphe 73 de l’arrêt en

23Voir le paragraphe 35 de l’arrêt. En l’affaire des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces
maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 72,
la Cour a dit ce qui suit :

«S’agissant de l’argument de la Colombie selon lequel le Nicaragua ne s’est, par la voie
diplomatique, plaint auprès d’elle de violations que longtemps après avoir déposé sa requête, la Cour
estime que, si la protestation diplomatique officielle peut constituer un moyen important pour une partie
de porter à l’attention de l’autre une prétention, pareille protestation officielle n’est pas une condition
nécessaire. Comme elle l’a affirmé dans l’affaire relative à l’Application de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), la
Cour, lorsqu’elle détermine s’il existe ou non un différend, s’attache au «fond, et non [à la] forme»
(exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30).» - 9 -

l’affaire des Violations alléguées, que la majorité a cité, la Cour répondait à l’argument de la
Colombie selon lequel le Nicaragua «ne lui avait [pas] indiqué, sous quelque forme que ce fût,
qu’elle violait … » 24 ses obligations internationales envers lui, et n’avait jamais élevé de
protestation avant de lui adresser une note diplomatique postérieurement au dépôt de sa requête.
Dans ce paragraphe, la Cour a noté ce qui suit :

«même si ce n’est que le 13 septembre 2014, soit près de dix mois après le dépôt de la
requête, que le Nicaragua a envoyé à la Colombie une note diplomatique officielle
pour protester contre les violations de ses droit maritimes auxquelles celle-ci se serait
livrée en mer, les éléments de preuve indiquent clairement, dans les circonstances

propres à l’affaire, que, à la date de ce dépôt, la Colombie savait que la promulgation
du décret 1946 et son comportement dans les espaces maritimes que la Cour avait
reconnus au Nicaragua dans son arrêt de 2012 se heurtaient à l’opposition manifeste
du Nicaragua. Compte tenu des déclarations publiques faites par les plus hauts
représentants des Parties, telles que celles qui sont mentionnées au paragraphe 69, la

Colombie n’aurait pu se méprendre sur la position du Nicaragua quant à leurs
divergences.»

27. Ce que la Cour a dit là montre qu’elle a appliqué un critère objectif pour établir

l’existence d’un différend, sans s’arrêter à la question du respect des formes. Elle a examiné les
éléments de preuve avancés par les parties, dont des déclarations et des comportements, pour
conclure que leurs positions étaient manifestement opposées. Loin de faire de la connaissance
préalable, de la part du défendeur, de la position du demandeur un critère de l’existence d’un
différend, les références à ce que savait et comprenait la Colombie sont de simples constatations de

faits et, dans les circonstances propres à l’affaire, confortent la Cour dans sa conclusion. Rien ne
donne à penser que ces références puissent être l’expression de l’application d’un critère juridique.
Bien que la connaissance préalable de la position du demandeur puisse donner plus de relief à
l’opposition manifeste qu’il y a lieu d’établir, la Cour ne la présente pas comme une condition
nécessaire de la constatation de cette opposition. De plus, elle souligne, dans les paragraphes

précédents, que la détermi25tion de l’existence d’un différend repose sur des considérations de
fond plutôt que de forme .

28. Les arguments que la majorité tire de l’affaire relative à l’Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale sont tout aussi peu

satisfaisants que ceux qu’elle tire de l’affaire des Violations alléguées. En l’affaire relative à
l’Application de la convention, le but premier de l’examen par la Cour des documents et des
échanges présentés par le demandeur comme preuves de l’existence d’un différend était d’établir si,
au vu des points soulevés dans les exceptions préliminaires, les documents s’adressaient bien à la
Russie et, dans l’affirmative, s’ils portaient sur l’application ou l’interprétation de la convention

internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR). Dans bien
des cas, la Cour a constaté que les documents ne s’adressaient pas à la Russie et que, de toute
manière, ils ne révélaient pas un différend concernant l’application ou l’interprétation de la
convention au sens de son article 22.

29. Il me paraît utile de relever d’abord que des circonstances particulières se présentaient à
la Cour en l’affaire relative à l’Application de la CIEDR. La Cour a retenu la deuxième exception
préliminaire soulevée par la Russie parce qu’elle avait constaté que la Géorgie, avant d’introduire
une instance en invoquant l’article 22 de la convention, aurait dû remplir certaines conditions de

24
Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes, (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 55 et suiv.
25Ibid., par. 50 et 72. - 10 -

négociation et de procédure expressément stipulées dans la CIEDR. Au regard des circonstances
de la présente affaire, cette décision n’a guère valeur de précédent.

30. En tout état de cause, les passages auxquels la majorité a fait référence ne viennent pas

étayer sa conclusion selon laquelle la Cour, en l’affaire relative à l’Application de la CIEDR, aurait
fait de la connaissance préalable de la position du demandeur une condition nécessaire de la
constatation de l’existence d’un différend. Etant donné ce qu’avait dit la Cour quant à la prudence
avec laquelle il convenait de mesurer le poids de l’analyse exposée à la section II 4) de son arrêt, on
ne voit pas bien en quoi une référence aux constatations énoncées au paragraphe 61 de l’arrêt vient

conforter la position de la majorité. La section II 4) est en effet consacrée à des documents et des
déclarations antérieurs à l’entrée en vigueur de la CIEDR entre les parties le 2 juillet 1999. La
Cour a pris soin d’expliquer, au paragraphe 50, qu’elle n’examinait les documents et déclarations
datant de cette période que parce que la Géorgie prétendait que son différend avec la Fédération de
Russie «exist[ait] depuis longtemps, [était] fondé et n’[était] pas une invention récente». La Cour a

dit ensuite que ces documents et déclarations «[pouvaient] aider à replacer dans leur contexte les26
documents ou déclarations postérieurs à l’entrée en vigueur de la CIEDR entre les Parties» . On
voit mal comment quiconque pourrait s’appuyer sur un dictum énoncé dans cette section de l’arrêt
quant à la question de l’existence d’un différend, étant donné que, pendant la période considérée, il
n’avait pas pu exister de différend entre les parties au sens de la CIEDR, et que la Cour a expliqué

dans quelles limites et dans quel contexte très précis elle procédait à l’examen des documents et
déclarations remontant à ladite période.

31. Il est utile de noter qu’au paragraphe 61 de l’arrêt figure l’observation suivante : «Rien
n’atteste que les autorités de la Fédération de Russie aient eu connaissance de cette déclaration du

Parlement géorgien visant les «séparatistes» et contenant des allégations selon lesquelles des
accords qui ne pouvaient, à l’époque, inclure la CIEDR auraient été violés.» La Cour devait entre
autres se prononcer sur la validité de l’argumentation de la Russie, qui soutenait qu’il n’y avait pas
de différend entre elle et la Géorgie, qu’elle n’avait agi qu’en qualité de facilitateur et que le
véritable différend opposait la Géorgie à l’Abkhazie et à l’Ossétie du Sud . La référence au défaut

de connaissance, de la part de la Russie, de l’existence d’un différend devrait donc être également
considérée à la lumière du fait qu’une bonne partie des éléments de preuve avancés par la Géorgie
comme pertinents pour trancher la question de l’existence d’un différend étaient en réalité des
documents et déclarations s’adressant à d’autres parties. La référence au défaut de connaissance,

de la part de la Russie, de l’existence d’un différend n’était autre qu’une constatation factuelle
faisant ressortir que la déclaration du Parlement géorgien ne s’adressait pas à la Russie. Rien de ce
que dit expressément ou implicitement le paragraphe 61 ne peut donner à penser que la Cour ait
voulu faire de la connaissance ou de la conscience, de la part du défendeur, de l’opposition
manifeste de ses vues à celles du demandeur une condition nécessaire de la détermination de

l’existence d’un différend. La Cour a écarté la déclaration du Parlement géorgien au motif qu’elle
n’avait aucune valeur juridique aux fins de la détermination de l’existence d’un différend.

32. Au paragraphe 87 de son arrêt, la Cour a relevé que la Russie avait eu connaissance
d’une décision du Parlement géorgien concernant ses opérations de maintien de la paix.

Cependant, la Cour a énoncé cette constatation sans chercher à la développer ni donner à entendre
qu’il s’agissait là d’un élément essentiel de la détermination de l’existence d’un différend. De fait,
elle en est venue à rejeter les documents comme n’ayant aucune valeur juridique aux fins de
l’établissement de l’existence d’un différend. Une fois encore, l’analyse à laquelle a procédé la
Cour doit être considérée compte tenu de ce qu’il y avait désaccord entre les deux Etats sur le point

26
Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie),exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 94, par. 50.
27Ibid., p. 87, par. 38. - 11 -

de savoir qui étaient les véritables parties au différend et, en particulier, si les griefs de la Géorgie
s’adressaient bien à la Russie. La faiblesse du parti qu’a pris la majorité d’invoquer le

paragraphe 87 de l’arrêt en l’affaire relative à l’Application de la CIEDR pour étayer sa position
selon laquelle la connaissance préalable serait une condition de l’existence d’un différend tient à ce
que la Cour, dans ladite affaire, n’a rien dit explicitement de tel, et à ce que rien, dans le texte
considéré, ne permet au lecteur d’inférer pareille condition. En fait, la Cour s’est bornée à énoncer
une constatation de fait portant sur les circonstances dans lesquelles les documents en question
avaient été établis et utilisés, sans chercher à développer plus avant son analyse. De plus, la
majorité n’offre dans sa décision aucune explication montrant que le paragraphe 87 ferait autorité

pour valider la proposition selon laquelle la connaissance préalable serait une condition nécessaire
de l’existence d’un différend.

33. Le paragraphe 104 de l’arrêt, où il est question d’un communiqué de presse dont la Cour
a relevé qu’il n’était pas certain qu’il ait été porté à la connaissance de la Russie, est cité par la
majorité comme preuve qu’il y a des précédents dans lesquels la Cour a fait de la connaissance
préalable d’une divergence entre les parties une condition de la constatation de l’existence d’un

différend. Cependant, dans ce même paragraphe, la Cour a indiqué clairement quelle importance il
y avait lieu d’attacher à ce qu’elle disait de la connaissance du communiqué. Ce qu’elle en disait
était exprimé dans des termes qui montrent qu’il ne s’agissait que de la simple constatation d’un
fait, constatation qui, expressément ou implicitement, n’ajoutait rien aux éléments juridique de la
détermination de l’existence d’un différend. Là encore, ce qu’a dit la Cour doit être considéré dans
le contexte des faits de la cause, qui pouvaient porter à douter que la Russie fût véritablement partie
au différend allégué, ou à se demander si ce différend portait bien sur l’interprétation et

l’application de la CIEDR. De toute façon, la Cour a écarté le communiqué de presse parce qu’il
n’avait à son avis aucune valeur juridique aux fins de la détermination de l’existence du différend.

34. Les quatre citations de l’arrêt rendu en l’affaire relative à l’Application de la CIEDR et
de celui qui a été rendu en l’affaire des Violations alléguées que la majorité a fait figurer au
paragraphe 38 du présent arrêt donnent inéluctablement à penser que si la Cour avait vraiment
voulu faire de la connaissance préalable d’une divergence un critère de détermination de

l’existence d’un différend, elle n’aurait pas manqué de consacrer beaucoup plus de temps à exposer
les fondements et à expliquer la logique de sa démarche, notamment en explorant sa jurisprudence.
Elle ne se serait pas contentée, pour introduire un nouvel élément d’appréciation, de la formulation
oblique et opaque que j’ai évoquée.

35. Les paragraphes de l’exposé de son raisonnement sur lesquels la majorité s’est fondée
pour faire de la connaissance préalable un critère de l’existence d’un différend doivent être

comparés aux passages pertinents des autres arrêts dans lesquels elle a retenu un critère de
«conscience» ou de «connaissance», en tenant compte des précautions qu’elle a prises dans chaque
cas avant de le retenir. Ainsi, en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
par exemple, la Cour a dit ce qui suit :

«Mais quelle que soit la réponse que l’on donne à cette question, il n’est pas

douteux que le comportement d’un organe ou d’une personne qui fournit aide ou
assistance à l’auteur du crime de génocide ne peut être qualifié de complicité dans le
génocide que si, à tout le moins, cet organe ou cette personne agit en connaissance de - 12 -

cause, c’est-à-dire, notamment, connaît l’existence de l’intention spécifique (dolus
specialis) qui anime l’auteur principal.» 28

S’il est vrai que, pour être qualifié de complicité du crime de génocide, un acte doit nécessairement
avoir été accompli en connaissance de cause, il n’en importe pas moins de relever le soin
méticuleux et la volonté de clarté qui caractérisent la manière dont la Cour, dans son arrêt, a établi
un critère de qualification comportant un facteur de connaissance ou de conscience.

36. Qui plus est, si les trois passages de l’arrêt rendu en l’affaire relative à l’Application de la
CIEDR ont été cités par la majorité dans l’intention d’ajouter un élément aux critères de
détermination de l’existence d’un différend, on peut trouver étrange que ces mêmes passages ne
soient pas cités aussi au paragraphe 73 de l’arrêt en l’affaire des Violations alléguées. D’autant

plus étrange que dans la partie de ce même arrêt qui traite de la deuxième exception préliminaire
soulevée par la Colombie, la Cour a cité cinq fois lesdits passages, dont elle s’est autorisée pour
avancer diverses autres propositions concernant la détermination de l’existence d’un différend.

37. En particulier, il importe de relever qu’à la section II 6) de l’arrêt rendu en l’affaire
relative à l’Application de la CIEDR, où la Cour constate que les éléments de preuve établissent
l’existence d’un différend entre la Russie et la Géorgie, il n’est pas question une seule fois de la
connaissance que la Russie pouvait avoir ou non de l’opposition de ses vues à celles de la Géorgie.

La Cour s’est contentée de conclure que les échanges entre les deux Etats montraient qu’un
différend les opposait quant à l’exécution par la Russie de ses obligations au titre de la CIEDR. En
fait, il ressort de cette section de l’arrêt que la Cour continuait de s’intéresser avant tout à la
question de savoir quelles étaient véritablement les parties en litige et à celle de savoir si le
29
différend portait ou non sur l’interprétation et l’application de la CIEDR . Il y a lieu de noter
également que, dans les nombreux cas ou la Cour a écarté les documents et échanges avancés
comme éléments de preuve parce qu’elle les jugeait dénués de valeur juridique, elle l’a fait sans
jamais invoquer le défaut de connaissance de la Russie, y compris lorsqu’elle a écarté les
30
documents cités aux paragraphes 61, 87 et 104 de son arrêt . Il en ressort que, dans les
trois passages en question, les références à la connaissance ou la conscience que la Russie pouvait
avoir ou non d’une divergence de vues étaient simplement circonstancielles, tout comme l’est la
référence analogue figurant au paragraphe 73 de l’arrêt rendu en l’affaire des Violations alléguées.
L’analyse des quatre passages cités conduit inéluctablement à conclure que la majorité n’a pas su

distinguer le circonstanciel de l’essentiel.

38. De fait, il est frappant de constater que, parmi les nombreux arrêts qui, dans la
jurisprudence, traitent des critères de l’existence d’un différend, la majorité n’a pu en citer que

deux pour étayer sa position, dont l’un  celui relatif à l’Application de la CIEDR  n’a qu’une
valeur limitée en tant que précédent en raison des particularités de l’article 22 de la convention, et
l’autre  celui relatif aux Violations alléguées  a manifestement été mal interprété par la

majorité ; il convient de noter aussi que ces arrêts se rapportent à deux affaires qui ont été réglées
au cours des six dernières années. Le choix de ces citations  qui renvoient à des arrêts rendus
en 2011 et 2016  signifie implicitement que la majorité s’est rendu compte que la jurisprudence
de la Cour antérieure à avril 2011 ne venait pas étayer sa position. A l’appui de cette conclusion, il

y a lieu de rappeler que les passages cités par la majorité ne renvoient aucunement à la

28
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 218, par. 421.
29Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 120, par. 113.

30Ibid., par. 62, 89 et 104. - 13 -

jurisprudence plus ancienne de la Cour, parce qu’ils ne sont eux-mêmes rien d’autre que des

constations de faits.

39. En l’affaire relative à l’Application de la CIEDR, la Cour, il est important de le relever, a
confirmé que la détermination de l’existence d’un différend était une question de fond et non de
forme (voir le paragraphe 35 de l’arrêt). Cette confirmation va dans le sens de la démarche
pragmatique et souple dont j’ai déjà traité à propos de la jurisprudence antérieure à avril 2011. Il

s’ensuit que la Cour s’est gardée d’adopter une optique formaliste subordonnant la constatation de
l’existence d’un différend au respect de certaines formes, telles que la notification par l’Etat
demandeur de son intention d’introduire une instance, l’émission d’une protestation officielle par la
voie diplomatique ou l’engagement de négociations (sauf lorsqu’une déclaration faite en vertu de la
clause facultative prévoit des obligations à cet égard) (voir le paragraphe 35 de l’arrêt), ou encore
des actes attestant l’existence de tel ou tel élément subjectif.

40. De l’analyse de la jurisprudence à laquelle j’ai procédé plus haut, il ressort clairement ce
qui suit :

1. la jurisprudence de la Cour sur la question considérée s’est développée de façon linéaire en ce
sens que l’on y relève une insistance constante sur l’objectivité, la souplesse et la primauté du
fond sur la forme ; l’existence d’un différend doit être déterminée objectivement par la Cour sur

la foi des éléments de preuve dont elle est saisie ;

2. l’examen qui aboutit à cette détermination, auquel il doit être procédé empiriquement et
pragmatiquement, doit être centré sur le point de savoir si les Etats concernés ont ou non
manifesté qu’ils avaient des points de vue opposés ; autrement dit, il doit tendre à déterminer si
les éléments de preuve révèlent des divergences de vues au sujet de l’exécution ou de
l’inexécution d’une obligation internationale ;

3. l’opposition manifeste des points de vue que requiert la jurisprudence n’a pas à être
formellement exprimée, par exemple dans une note diplomatique. En outre, il n’est pas
nécessaire que la divergence fasse l’objet d’une notification suivie ou non d’une réponse.
L’opposition des points de vue peut être attestée par un comportement et des éléments de
preuve révélateurs de l’attitude des parties, et ce sont là les éléments sur lesquels doit porter
l’examen auquel procède la Cour. Peu importe la manière dont un Etat avance ses prétentions.

De plus, la jurisprudence établit que les conditions de la constatation de l’existence d’un
différend n’ont pas été posées dans l’intention d’élever une barrière plus élevée à l’exercice par
la Cour de sa compétence, conclusion qui cadre parfaitement avec le rôle de la Cour tel qu’il est
décrit plus haut à la section II ;

4. considérée dans la perspective qui convient, la connaissance d’une divergence de vues peut

donc venir confirmer qu’il existe une opposition manifeste des points de vue, mais pas, comme
le laisse entendre le paragraphe 38 du présent arrêt, constituer une condition ou un facteur
décisif de la détermination de l’existence d’un différend.

V. L A QUESTION DE LA DATE À LAQUELLE DOIT ÊTRE CONSTATÉE
L EXISTENCE D ’UN DIFFÉREND

41. L’arrêt soulève une autre question difficile, celle de la date à compter de laquelle il doit
être établi qu’il existe un différend. Il y est dit ce qui suit au paragraphe 39 : «[e]n principe, la date
à laquelle doit être appréciée l’existence d’un différend est celle du dépôt de la requête». On trouve
des formules semblables, comprenant l’expression «en principe», dans les arrêts relatifs aux
affaires auxquelles renvoie le paragraphe. Or, interprétée dans son sens ordinaire, une phrase qui - 14 -

commence par «en principe» admet la possibilité de retenir une date autre que celle du dépôt de la
requête, ce qui signifie que des éléments de preuve postérieurs à cette date peuvent déterminer
l’existence d’un différend au lieu de simplement la confirmer comme il est dit au paragraphe 42 de
l’arrêt. Il s’ensuit que, d’un bout à l’autre, l’analyse exposée aux paragraphes 39 et 40 néglige la

nuance et la latitude introduites par l’expression «en principe».

42. Admettre la possibilité que des éléments de preuve postérieurs au dépôt de la requête
déterminent l’existence d’un différend cadre tout à fait avec la démarche souple et pragmatique qui

ressort de la jurisprudence de la Cour en la matière.

43. Au paragraphe 39 sont citées, pour étayer l’affirmation selon laquelle, «[e]n principe», la
date à laquelle doit être appréciée l’existence d’un différend est celle du dépôt de la requête»

l’affaire relative aux Violations alléguées et celle relative à l’Application de la CIEDR. Les
paragraphes pertinents des arrêts rendus dans ces deux affaires renvoient quant à eux aux décisions
prises par la Cour dans les affaires relatives à des Questions d’interprétation et d’application de la
convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe
libyenne c. Royaume-Uni) et à des Questions d’interprétation et d’application de la convention de

Montréal de 1971 résultant d32l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne
c. Etats-Unis d’Amérique) . Dans les deux cas, les paragraphes cités commencent par la phrase
suivante : «[l]a Libye appelle en outre l’attention de la Cour sur le principe selon lequel «[l]a date
critique à retenir pour déterminer la recevabilité d’une requête est celle de son dépôt»» (les

italiques sont de moi), et indiquent que la Cour admet cette position de la Libye. La Cour conclut
ce qui suit : «[l]a date du 3 mars 1992 à laquelle la Libye a déposé sa33equête est en effet la seule
date pertinente aux fins d’apprécier la recevabilité de celle-ci» . Il se peut que la difficulté
soulevée par l’emploi de l’expression «en principe» remonte à la référence faite par la Libye au
«principe» selon lequel, à son sens, la date critique à retenir était celle du dépôt de la requête. Or,

est-il besoin de le préciser, invoquer un «principe» a un sens tout autre que nuancer une affirmation
en employant l’expression «en principe».

44. Au paragraphe 50 de l’arrêt, la majorité a rejeté l’assertion des Iles Marshall selon

laquelle, dans des affaires précédentes, la Cour avait retenu comme preuves de l’existence d’un
différend des déclarations faites par les parties en cours d’instance. Pour parvenir à cette
conclusion, elle a examiné les trois affaires citées par les Iles Marshall : Certains biens
(Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2005 ; Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), C.I.J. Recueil 1998 ;

Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II). Cependant, la majorité s’est montrée trop catégorique dans son analyse et
ne s’est pas prévalue de la latitude que la Cour s’était accordée précédemment pour répondre à des

assertions semblables. Il ressort des arrêts rendus dans les trois affaires citées que la Cour, pour
déterminer s’il existait ou non un différend, avait accordé un poids important aux déclarations
faites par les parties en cours d’instance, parfois au point d’écarter tout autre élément de preuve.

45. En l’affaire relative à Certains biens, l’analyse à laquelle a procédé la Cour indique

qu’elle s’est fondée principalement sur les prises de position des parties pour établir l’existence

31
Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien
de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 25-26, par. 43-45.
32Ibid., p. 130-131, par. 42-44.

33Ibid., par. 42-43. - 15 -

d’un différend. Au paragraphe 50 du présent arrêt, la majorité relève que, dans l’affaire relative à
Certains biens, «les échanges bilatéraux qui avaient eu lieu entre les parties avant la date du dépôt

de la requête attestaient clairement l’existence d’un différend». Or, il y a lieu de relever que, dans
cette affaire, l’Allemagne avait soulevé une exception d’incompétence fondée sur l’absence de
différend, que chacune des parties qualifiait différemment l’objet des griefs du demandeur, et que

la qualification que préférait l’Allemagne donnait à entendre qu’elle n’était pas partie au différend
allégué et qu’aucun différend ne l’opposait donc au Liechtenstein.

46. Après avoir exposé les positions des parties, la Cour a dit ce qui suit :

«[l]a Cour relève en conséquence que, dans la présente instance, les griefs formulés en
fait et en droit par le Liechtenstein contre l’Allemagne sont rejetés par cette dernière.

Conformément à sa jurisprudence bien établie ..., la Cour conclut que «[d]u fait de ce
rejet, il existe un différend d’ordre juridique entre le Liechtenstein et l’Allemagne
(Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 100, par. 22 ;
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
34
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 615, par. 29).»

La Cour a ajouté que les consultations et les échanges qui avaient eu lieu avant le dépôt de la
requête «confort[aient]» la constatation d’une opposition manifeste des points de vue des parties.

Elle a donc considéré que les allégations avancées par l’Allemagne au cours de la procédure étaient
le facteur déterminant de l’existence d’un différend, et n’a invoqué les consultations et échanges
antérieurs au dépôt de la requête qu’à titre de preuves complémentaires.

47. En l’affaire de la Frontière terrestre et maritime, le Nigeria soutenait qu’il n’existait pas
de différend l’opposant au Cameroun au sujet de la délimitation de la frontière en tant que telle sur

toute sa longueur et que la demande de ce dernier tendant à la délimitation définitive de cette
frontière était donc irrecevable (plus précisément, le Nigeria affirmait qu’il n’existait pas de
différend, sans préjudice de la question du titre sur Darak et les îles avoisinantes, ni de la question
du titre sur la presqu’île de Bakassi) . La Cour a conclu que les audiences avaient révélé qu’il
36
existait également un différend sur le tracé de la frontière à hauteur du village de Tipsan .

48. La Cour a relevé que le Nigeria n’avait pas indiqué s’il était ou non d’accord avec la

position du Cameroun sur le tracé de la frontière ou sur son fondement juridique. Pour parvenir à
cette conclusion, elle s’est appuyée en particulier sur la réponse du Nigeria à une question posée
par un membre de la Cour. Elle a décidé que, bien que le Nigeria n’ait pas à avancer des arguments
se rapportant au fond, «elle ne saurait se refuser à examiner les conclusions du Cameroun par le
37
motif qu’il n’existerait pas de différend» . Il est certes vrai que, comme il est relevé au
paragraphe 50 du présent arrêt, dans l’affaire Cameroun c. Nigeria, la Cour s’intéressait à la portée
du différend (c’est-à-dire la mesure dans laquelle les parties avaient des positions divergentes sur le
38
tracé de la frontière) , mais elle n’en a pas moins examiné les conclusions des parties et leurs

34
Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 19, par. 25.
35
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 313-314, 316.
36Ibid., par. 85.
37
Ibid., p. 317, par. 93.
38
L’examen par la Cour du dossier montrait qu’il existait un différend «à tout le moins en ce qui concern[ait] les
bases juridiques de la frontière». La Cour a estimé qu’elle n’était pas en mesure de déterminer «l’étendue exacte du
[différend]». (Ibid.) - 16 -

positions respectives, pour conclure que le Nigeria n’avait pas signifié son accord avec le
Cameroun, et qu’elle ne pouvait donc pas retenir l’exception qu’il avait soulevée.

49. L’affaire relative à Application de la convention pour la prévention et la répression du

crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) est peut-être celle qui étaye le
mieux la position adoptée par les Iles Marshall, parce que les seuls éléments de preuve sur lesquels
la Cour s’y est appuyée pour déterminer s’il existait un différend étaient les dénégations opposées
en cours d’instance par le défendeur aux allégations de la Bosnie-Herzégovine : «du fait du rejet
par la Yougoslavie [(Serbie-et-Monténégro)] des griefs formulés à son encontre par la

Bosnie-Herzégovine, «il existe un différend d’ordre juridique» e39re elles (Timor oriental
(Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995, p. 100, par. 22)» . Cependant, la tentative faite par la
majorité pour singulariser cette décision est loin d’être convaincante.

50. La manière dont la Cour a traité cette question est moins définitive et intransigeante que

la majorité ne voudrait le faire croire. La Cour s’est ménagé une certaine latitude afin de pouvoir
accorder un poids notable aux déclarations faites en cours d’instance, en particulier aux
dénégations par le défendeur des griefs du demandeur, et ce, non seulement pour confirmer, mais
pour établir l’existence d’un différend.

51. Je relève que la majorité a avancé la thèse suivante : «Si la Cour était compétente à
l’égard de différends résultant d’échanges qui ont eu lieu au cours de la procédure devant elle, le
défendeur se trouverait privé de la possibilité de réagir, avant l’introduction de l’instance, à la
réclamation visant son comportement.» 40 Cette thèse semble n’être rien d’autre qu’un signe de

l’attachement doctrinal de la majorité au critère de la connaissance préalable. Elle s’écarte de la
jurisprudence de la Cour selon laquelle la notification préalable d’un différend n’est pas une
condition nécessaire de la constatation de son existence. La possibilité offerte au défendeur de
réagir est une question touchant le respect de formes procédurales plutôt qu’un élément des critères
de détermination de l’existence du différend. Si un Etat défendeur se trouve dans l’embarras parce

qu’il n’a eu connaissance des griefs portés contre lui qu’à la suite de l’introduction de l’instance, il
appartient à la Cour de remédier à cette difficulté par les moyens que lui offrent les règles de
procédure.

VI. L E PRINCIPE DE LA BONNE ADMINISTRATION DE LA JUSTICE

52. J’ai une autre raison de ne pas être d’accord avec la décision de la majorité, à savoir
qu’elle va à l’encontre du principe de la bonne administration de la justice, sur l’importance duquel
la Cour a maintes fois insisté. Dans l’affaire des Concessions Mavrommatis, par exemple, la CPJI
a dit ce qui suit :

«Même si la base de l’introduction d’instance était défectueuse pour la raison
mentionnée, ce ne serait pas une raison suffisante pour débouter le demandeur de sa
requête. La Cour, exerçant une juridiction internationale, n’est pas tenue d’attacher à
des considérations de forme la même importance qu’elles pourraient avoir dans le

droit interne. Dans ces conditions, même si l’introduction avait été prématurée, parce

39
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 614-615, par. 29.
40Paragraphe 40 de l’arrêt. - 17 -

que le Traité de Lausanne n’était pas encore ratifié, ce fait aurait été couvert par le
41
dépôt ultérieur des ratifications requises.»

53. Ce dictum va dans le sens du rejet du formalisme dans la détermination des conditions
d’accès à la justice internationale, thème récurrent de la présente opinion. Il pose un principe qui
procède du souci d’économie de procédure, et donc du souci de la bonne administration de la

justice. En l’affaire relative à La Haute-Silésie, la CPJI, pour déterminer s’il y avait «une
divergence de vues» entre les parties au sens de l’article 23 de la convention de Genève (la
convention de 1922 entre l’Allemagne et la Pologne relative à la Haute-Silésie), a retenu ce qui

suit :

«Même si la nécessité d’une contestation formelle ressortait de l’article 23, cette
condition pourrait être à tout moment remplie par un acte unilatéral de la Partie

demanderesse. La Cour ne pourrait s’arrêter à un défaut de forme qu’il dépendrait de
la seule Partie intéressée de faire disparaître.» 42

54. Le principe a également été cité par la Cour actuelle en l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires, pour étayer son refus de rejeter la demande du Nicaragua alors que celui-ci pouvait

remédier unilatéralement à un défaut (consistant à ne pas avoir expresséme43 invoqué un traité au
cours de négociations) et ensuite engager une nouvelle procédure .

55. De plus, en l’affaire Croatie c. Serbie, la Cour, après avoir cité le passage de l’arrêt
rendu en l’affaire des Concessions Mavrommatis, a poursuivi en ces termes :

«En effet, ce qui importe, c’est que, au plus tard à la date à laquelle la Cour
statue sur sa compétence, le demandeur soit en droit, s’il le souhaite, d’introduire une
nouvelle instance, dans le cadre de laquelle la condition qui faisait initialement défaut

serait remplie. En pareil cas, cela ne servirait pas l’intérêt d’une bonne administration
de la justice d’obliger le demandeur à recommencer la procédure  ou à en
commencer une nouvelle  et il est préférable, sauf circonstances spéciales, de
44
constater que la condition est désormais remplie.»

La Cour s’est ainsi prononcée contre une démarche conduisant, pour reprendre ses termes, à «la
45
multiplication inutile des procédures» , ou à ce que le juge Crawford, dans l’expo46 de son opinion
dissidente joint au présent arrêt, appelle «la circularité de la procédure» . L’une des conséquences
perverses de l’arrêt voté par la majorité est que, vu le motif du rejet de leur demande, les

Iles Marshall pourraient fort bien, en théorie, déposé une nouvelle requête contre l’Inde. Toute
exception fondée sur le défaut de connaissance, de la part du défendeur, de l’«opposition» du
demandeur à son point de vue ne pourrait alors qu’être rejetée, la condition qui «faisait initialement

défaut» étant désormais remplie. Le formalisme que dénote la décision de la majorité va à
l’encontre des dicta précédemment énoncés en la matière, ainsi que de l’économie de procédure et
du principe de la bonne administration de la justice.

41 o o
Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n 2, p. 34.
42Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt n 6, 1925, C.P.J.I. série A n 6, p. 14.

43 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 427-429, par. 81-83.
44
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 441, par. 85.
45
Ibid., p. 443, par. 89.
46Voir l’exposé de l’opinion dissidente du juge Crawford joint à l’arrêt en la présente affaire, par. 8. - 18 -

VII. L ES FAITS

56. Les Iles Marshall soutenaient que l’Inde était liée par une obligation de droit

international coutumier de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant
au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, effectué sous un contrôle international strict et

efficace, et que par son comportement, en particulier en ce qu’il a 47nsisté à «renforc[er]
quantitativement et qualitativement son arsenal nucléaire» , elle avait manqué à cette obligation.
L’Inde réfutait quant à elle les allégations des Iles Marshall.

57. L’Inde soutenait qu’elle avait constamment suivi une politique favorable à un
48
désarmement nucléaire mondial, universel et non discriminatoire . Les Iles Marshall ne
semblaient pas contester que l’Inde ait publiquement soutenu le désarmement nucléaire et la
poursuite de négociations multilatérales en vue de celui-ci . Les éléments de preuve soumis à la

Cour ne montraient pas qu’il y avait opposition manifeste des points de vue des Parties sur la
conception des négociations.

58. Cependant, les Parties avaient des positions bien tranchées au sujet de l’accroissement de
l’arsenal nucléaire de l’Inde. Les Iles Marshall avançaient une série d’éléments de preuve qui,
50
selon elles, montraient que l’Inde s’employait «à accroître et à améliorer ses forces nucléaires» ,
ce qui constituait, toujours selon elles, un manquement du défendeur à son obligation de droit
international coutumier . A l’appui de leur argumentation, les Iles Marshall citaient plusieurs

facteurs, comme par exemple, les dépenses consacrées par l’Inde à son armement nucléaire et les

47 CR 2016/1, p. 14, par. 15 (deBrum).

48 Par exemple, l’Inde, depuis 1982, a déposé chaque année sur le bureau de l’Assemblée générale des
Nations Unies un projet de résolution prévoyant la conclusion d’une convention sur l’interdiction de l’utilisation des

armes nucléaires et a constamment voté pour la résolution de l’Assemblée relative à la suite donnée à l’avis consultatif de
la Cour sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires. Contre-mémoire de l’Inde (CMI), p. 5-6,
par. 11-12.
49 Voir, par exemple, ce que disent les Iles Marshall au sujet des résolutions de l’Assemblée générale au

paragraphe 8 de leur réponse à la question posée par le juge Cançado Trindade à l’issue de l’audience tenue le
16 mars 216 dans la matinée. Voir également, sur ce point, CMI, par. 93, alinéas i) et ii).
50
Mémoire des Iles Marshall (MIM), p. 7, par. 19.
51 Le 26 septembre 2013, lors de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le
désarmement nucléaire, le représentant des Iles Marshall a instamment prié «toutes les puissances nucléaires d’intensifier

leurs efforts pour faire face à leurs responsabilités à l’égard d’un désarmement effectif et sûr». Lors de la deuxième
conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, tenue à Nayarit,( Mexique) les 13 et 14 février 2014, à laquelle
l’Inde était représentée, la délégation des Iles Marshall a déclaré ce qui suit :

«[L]es Iles Marshall sont convaincues que des négociations multilatérales visant à créer et à
maintenir un monde dépourvu d’armes nucléaires auraient dû être engagées depuis longtemps. Nous
estimons en effet que les Etats possédant un arsenal nucléaire ne respectent pas leurs obligations à cet
égard. L’obligation d’œuvrer au désarmement nucléaire qui incombe à chaque Etat en vertu de
l’article VI du traité de non-prolifération nucléaire et du droit international coutumier impose l’ouverture
immédiate de telles négociations et leur aboutissement.» - 19 -

mesures qu’elle avait prises au sujet de ses réserves de plutonium utilisable à des fins militaires et
52
de son réacteur de production de plutonium .

59. L’Inde, quant à elle, soutenait que, contrairement à ce que prétendaient les Iles Marshall,

elle n’était pas liée par une obligation de droit international coutumier, et qu’en tout état de cause,
les mesures qu’elle avait prises au sujet de son arsenal nucléaire n’étaient contraires à aucune
obligation de droit international coutumier . 53

60. L’appréciation des allégations des Iles Marshall relève certes du fond. Cependant, ces
allégations, leur rejet par l’Inde et le comportement de cette dernière suffisent à montrer qu’un

différend opposait les deux Etats. L’élément essentiel de l’obligation en cause est qu’elle impose
aux Etats de poursuivre de bonne foi des négociations.

VIII. C ONCLUSION

61. La décision prise en l’espèce par la majorité est une aberration patente et s’écarte

fâcheusement de la position à laquelle la Cour s’est longtemps tenue pour établir l’existence d’un
différend. Comme toute autre branche du droit, le droit international n’est certes pas immuable, et
certains des grands changements du cours de l’histoire n’auraient pas été possibles si le droit était

statique. Cependant, lorsque l’application du droit existant peut servir les intérêts de la
communauté internationale tout entière, s’en écarter radicalement ne saurait se justifier que si des
raisons impérieuses le commandent, comme la Cour l’a d’ailleurs elle-même confirmé :

«Pour autant que les décisions en question contiennent des conclusions de droit,
la Cour en tiendra compte, comme elle le fait habituellement de sa jurisprudence;
autrement dit, quoique ces décisions ne s’imposent pas à la Cour, celle-ci ne s’écartera

pas de sa jurisprudence établie, sauf si elle estime avoir pour cela des raisons très
particulières.» 54

62. La majorité n’a nullement avancé de telles raisons. La position adoptée aujourd’hui par
la Cour crée sans nécessité une entrave supplémentaire à l’examen au fond des demandes portées
devant elle. La Cour a ainsi restreint le rôle qu’elle peut jouer en tant qu’organe permanent ayant

pour mission de régler pacifiquement des différends et, partant, d’apporter une importante

52 Requête des Iles Marshall, p. 10-11, par. 34. Plus spécialement, voir la section II C de la requête. Les
Iles Marshall ont également fait référence à la résolution 1172 du Conseil de sécurité où celui-ci demandait «à l’Inde et
au Pakistan de mettre immédiatement fin à leurs programmes de développement d’armes nucléaires, de s’abstenir de
fabriquer ou de déployer des armes nucléaires, de cesser de développer des missiles balistiques pouvant emporter des
armes nucléaires et de cesser toute nouvelle production de matières fissiles pour des armes nucléaires». Les Iles Marshall
ont également mis en cause la politique nucléaire de l’Inde, citant une déclaration de celle-ci selon laquelle «[l]es armes
nucléaires [étaient] partie intégrante de [sa] sécurité nationale et le rester[aie]nt tant que les armes nucléaires n’aur[aie]nt
pas été globalement éliminées sur une base universelle et non discriminatoire» (conférence du désarmement,
e
CD/PV 1139, compte rendu définitif de la 1139 séance plénière du 29 mai 2009, p. 8, cité dans la requête, p. 7, par. 24 ;
elles ont de plus cité (requête, p. 7-8, par. 25) une déclaration du Gouvernement indien selon laquelle les armes nucléaires
ne seraient employées qu’en représailles à une attaque nucléaire visant le territoire indien, mais que «ces représailles à
une première attaque ser[aie]nt massives et viser[aie]nt à infliger des dommages inacceptables» (The Cabinet Committee
on Security Reviews operationalization of India’s Nuclear Doctrine, New Delhi, 4 janvier 2003, cité dans la requête,
p. 7-8, par. 25) ; les Iles Marshall ont en outre relevé que selon la même déclaration, l’Inde, en cas d’attaque massive au
moyen d’armes biologiques, se réservait la possibilité d’une riposte nucléaire.
53
Voir, par exemple, CMI, p. 2, par. 6 : la thèse des Iles Marshall «est totalement dépourvue de fondement» ;
CR 2016/4, p. 23, par. 38-39 (Salve).
54 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 424, par. 53. - 20 -

contribution au maintien de la paix et de la sécurité internationales. L’objet de l’affaire dont la

Cour s’est aujourd’hui dessaisie ne peut que mettre en relief la justesse de cette constatation.

63. A la lumière des considérations exposées aux sections I et II de la présente opinion, on ne
peut s’empêcher de penser qu’en rendant le présent arrêt, la Cour vient d’écrire l’avant-propos d’un
ouvrage annonçant qu’elle n’est plus à la hauteur du rôle qui lui a été assigné dans le règlement
pacifique des différends lorsque sont en jeu des questions cruciales et difficiles telles que le

désarmement nucléaire.

(Signé) Patrick R OBINSON .

___________

Bilingual Content

488
237
DISSENTING OPINION OF JUDGE ROBINSON
I disagree with the majority’s conclusion that there is no dispute in this case —
Role of the Court as envisaged by the United Nations Charter — Linear
development of the Court’s case law stressing objectivity, flexibility and substance
over form in the determination of dispute — The Court’s enquiry is empirical and
pragmatic, focused simply on whether or not the evidence reveals clearly opposite
views — Court’s case law does not support criterion applied by the majority that
the Respondent was aware or could not have been unaware that its views were
“positively opposed” by the Applicant — Awareness may be confirmatory, but is
not a prerequisite for determining the existence of a dispute — The Court has
previously relied upon post‑Application evidence as determinative of the existence
of a dispute — Even if the test set out by the majority is applied to the facts of the
case, there is a dispute between the Parties.
1. In this opinion, I explain why I have dissented from the majority
decision that there was no dispute between the Marshall Islands and
India.
I. Introduction
2. In the period of twenty months that I have served on this Court, I
have been privileged to consider the impact of many international law
obligations in cases before the Court. But I dare say that, were I to consider
the impact of another thousand obligations in the rest of my term,
none would be, by virtue of the existential threat to mankind posed by
nuclear weapons, as critically important for the work of the Court and
the interests of the international community as the question of the obligation
to pursue in good faith and bring to a conclusion negotiations leading
to nuclear disarmament in all its aspects under strict and effective
international control.
3. The United Nations Charter has assigned the Court a special role,
giving it a particular relevance in the maintenance of international peace
and security through the exercise of its judicial functions. It is regrettable
that the majority did not seize the opportunity presented by this case
to demonstrate the Court’s sensitivity to that role. It is even more regret-
488
237
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE ROBINSON
[Traduction]
Désaccord avec la conclusion de la majorité selon laquelle il n’existe pas de
différend entre les Parties — Rôle assigné à la Cour par la Charte des
Nations Unies — Développement linéaire de la jurisprudence de la Cour quant à
l’existence d’un différend privilégiant l’objectivité, la souplesse et la prise en
considération du fond plutôt que du respect des formes — Détermination par la
Cour de l’existence d’un différend devant procéder d’une démarche empirique et
pragmatique dont le but est simplement d’établir si les éléments de preuve révèlent
ou non chez les parties des points de vue nettement opposés — Jurisprudence de la
Cour ne cautionnant pas le critère retenu par la majorité selon lequel il ne peut
exister un différend que si le défendeur avait connaissance, ou ne pouvait pas ne pas
avoir connaissance, de ce que ses vues se heurtaient à l’« opposition manifeste » du
demandeur — Connaissance préalable de l’opposition des points de vue pouvant
confirmer, mais non déterminer, l’existence d’un différend — Précédents où la Cour
s’est fondée sur des éléments de preuve avancés après le dépôt de la requête pour
établir l’existence d’un différend — Application aux faits de l’espèce du critère
retenu par la majorité n’excluant pas l’existence d’un différend entre les Parties.
1. J’explique dans le présent exposé de mon opinion pourquoi je n’ai
pas suivi la majorité lorsqu’elle a décidé qu’il n’existait pas de différend
entre les Iles Marshall et l’Inde.
I. Introduction
2. Au cours des vingt mois qui se sont écoulés depuis que j’ai pris mes
fonctions de juge, j’ai eu le privilège de pouvoir réfléchir aux conséquences
qu’emportent nombre d’obligations de droit international invoquées dans
les affaires portées devant la Cour. Or, j’ose affirmer que s’il m’est donné,
d’ici la fin de mon mandat, de considérer mille autres obligations, il ne
s’en trouvera pas une seule, parmi elles, dont l’importance, du point de
vue aussi bien de l’oeuvre de la Cour que de l’intérêt de la communauté
internationale, puisse se comparer à celle, cruciale, de l’obligation de
poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant
au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, effectué sous un contrôle
international strict et efficace, car du respect de cette obligation dépend la
survie même de l’humanité, mise en péril par la possession d’armes
nucléaires.
3. La Charte des Nations Unies a assigné à la Cour un rôle spécial, qui
lui permet d’apporter une contribution particulièrement importante au
maintien de la paix et de la sécurité internationales en exerçant sa fonction
judiciaire. Il est regrettable que la majorité n’ait pas saisi l’occasion
que cette affaire offrait à la Cour de montrer combien cette contribution
489 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
238
table that this failure could have been avoided had the Court simply followed
its own case law. The Court’s case law has been consistent in the
approach to be adopted in determining the existence of a dispute ; an
approach that is not reflected in the Judgment.
4. The jurisprudence of the Court calls for an objective, flexible and
pragmatic approach in determining the existence of a dispute. It is firmly
established in the Court’s jurisprudence that a dispute arises where, examined
objectively, there are “clearly opposite views concerning the question
of the performance or non‑performance” 1 of a State’s obligations. There
is not a single case in the Court’s case law that authorizes the majority’s
proposition that the determination of the existence of a dispute requires a
finding of the respondent’s awareness of the applicant’s positive opposition
to its views ; that is, that the absence of evidence of the respondent’s
awareness of the other party’s opposing view is fatal to a finding that a
dispute exists.
5. The requirement that there be a “dispute” is designed to ensure that
what the Court is being asked to decide is susceptible to its authority and
competence, or, as Judge Fitzmaurice in his separate opinion in Northern
Cameroons said, the dispute must be “capable of engaging the judicial
function of the Court” 2. It is a question of the nature and character,
determined objectively, of the claim presented to the Court. It is not
about mandating that an applicant State jump through various hoops
suggesting a formal approach before it can appear in the Great Hall of
Justice.
6. The Court and its predecessor, the Permanent Court of International
Justice (PCIJ), have developed a significant body of jurisprudence
interpreting the requirement that the Court can only decide a “dispute”
or “legal dispute”, as discussed in the next section of this opinion. However,
it is important to note, that while many respondents have raised the
objection that the Court does not have jurisdiction because there is no
dispute, the Court has more often than not rejected this objection 3. This
is in keeping with a flexible approach to finding a dispute — the criteria
1 Interpretation of Peace Treaties with Bulgaria, Hungary and Romania, First Phase,
Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1950, p. 74.
2 Judge Fitzmaurice, separate opinion to case concerning the Northern Cameroons
(Cameroon v. United Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963, p. 98.
3 See, for example, the cases cited later in this opinion. In Alleged Violations,
the Court determined that “Nicaragua makes two distinct claims — one that
Colombia has violated Nicaragua’s sovereign rights and maritime zones, and the other
that Colombia has breached its obligation not to use or threaten to use force”. The Court
found that there was a dispute in respect of the first claim and no dispute in respect of
the second. Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime Spaces in the Caribbean
Sea (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I),
pp. 31, 33, paras. 67, 74, 78. See also Christian Tomuschat, Commentary to Article 36,
Andreas Zimmermann et al. (eds.), The Statute of the International Court of Justice:
A Commentary (2nd ed., 2012), p. 642, para. 9: “[w]ith this limitation [that the applicant
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 489
238
lui tient à coeur, d’autant plus regrettable que, pour saisir cette occasion,
il aurait suffi à la Cour de suivre tout simplement sa propre jurisprudence.
Celle‑ci est constante quant à la démarche que la Cour a adoptée pour
déterminer l’existence d’un différend ; or, cette démarche n’est pas celle
dont procède l’arrêt.
4. Il ressort de la jurisprudence que, pour établir l’existence d’un différend,
la Cour doit suivre une méthode objective, souple et pragmatique. Et
cette jurisprudence établit fermement qu’il existe un différend lorsqu’une
appréciation objective montre que « les points de vue des … parties, quant
à l’exécution ou à la non‑exécution de certaines obligations » de l’Etat, sont
« nettement opposés » 1. Il ne se trouve pas, dans la jurisprudence, une seule
affaire dont la majorité ait pu s’autoriser pour conclure que l’existence d’un
différend ne peut être établie que si le défendeur avait connaissance avant le
dépôt de la requête de l’opposition manifeste du demandeur à ses vues ;
cette conclusion signifie que la Cour ne peut pas établir l’existence d’un
différend si elle n’a pas la preuve de cette connaissance préalable.
5. L’obligation d’établir qu’il existe un « différend » a pour objet de
faire en sorte que ce sur quoi la Cour est invitée à se prononcer se prête à
l’exercice de son autorité et de sa compétence ou, pour reprendre ce qu’a
dit le juge Fitzmaurice dans l’opinion individuelle jointe à l’arrêt en l’affaire
du Cameroun septentrional, que le différend « implique la fonction
normale de l’institution judiciaire qu’est un tribunal » 2. Il s’agit pour la
Cour d’apprécier objectivement la nature et le caractère de la demande
qui lui est présentée. Il ne s’agit pas, en suivant une démarche empreinte
de formalisme, d’imposer à l’Etat demandeur de franchir divers obstacles
avant de pouvoir se présenter dans la grande salle de justice.
6. La Cour et, avant elle, la Cour permanente de Justice internationale
(CPJI), ont constitué un important corpus de jurisprudence sur l’interprétation
de l’obligation faite à la Cour de ne trancher que des « différends »
ou des « différends d’ordre juridique », obligation dont je traiterai dans la
section suivante de l’exposé de mon opinion. Il importe cependant de
noter d’emblée que si, dans de nombreuses affaires, les Etats défendeurs
ont soulevé une exception d’incompétence en invoquant l’absence de différend,
la Cour a le plus souvent rejeté cette exception 3. Cette pratique
1 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie,
première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
2 Opinion individuelle du juge Fitzmaurice en l’affaire du Cameroun septentrional
(Cameroun c. Royaume‑Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 99.
3 Voir, par exemple, les affaires que je cite plus loin. En l’affaire des Violations alléguées,
la Cour a constaté que « le Nicaragua formul[ait] deux demandes distinctes, faisant grief
à la Colombie, d’une part, d’avoir violé ses droits souverains et ses espaces maritimes et,
d’autre part, d’avoir manqué à l’obligation lui incombant de s’abstenir de recourir à la
menace ou à l’emploi de la force ». La Cour a établi l’existence d’un différend au sujet de
la première demande, mais non de la seconde (Violations alléguées de droits souverains et
d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 31, 33, par. 67, 74, 78). Voir également Christian
Tomuschat, Commentary to Article 36, Andreas Zimmermann et al. (dir. publ.), The
Statute of the International Court of Justice : A Commentary (2e éd., 2012), p. 642, par. 9 :
490 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
239
for determining the existence of a dispute are not intended to create a
high bar.
Before examining the Court’s case law, I look briefly at the Court’s role
under the United Nations Charter.
II. The Role of the Court as Envisaged by
the United Nations Charter
7. An objective, flexible and pragmatic approach to finding a dispute is
called for by the role envisaged for the Court by the United Nations Charter.
As I explained in my separate opinion in the case concerning Certain
Activities/Construction of a Road issued in December 2015 :
“The United Nations Charter also highlights the important role the
Court has in the peaceful settlement of disputes, ‘the continuance of
which is likely to endanger the maintenance of international peace
and security’ and thus undermine the purposes of the United Nations
Charter 4. Article 92 of the United Nations Charter identifies the
Court as the principal judicial organ of the United Nations and provides
that its Statute — annexed to the United Nations Charter — is
an integral part of the United Nations Charter. Article 36 (3) of the
United Nations Charter provides that the Security Council ‘should
also take into consideration that legal disputes, as a general rule, be
referred by the parties to the International Court of Justice’. It is thus
clear that the Court is expected, through its judicial function, to contribute
to the maintenance of international peace and security. Therefore,
the discharge by the Court of its judicial functions is not
peripheral to, but is an integral part of the post‑World War II system
for the maintenance of international peace and security.” 5
8. The Court has a different relationship with the United Nations Charter
from that between the PCIJ and the Covenant of the League of
Nations. Although the latter provided for the establishment of the PCIJ,
it gave that Court no pre‑eminence in relation to other methods of intermust
advance a legal claim], the concept of jurisdiction has always been interpreted in a
truly broad sense. As far as can be seen, no case has been rejected as not encapsulating a
dispute.”
4 Article 33 of the UN Charter.
5 Judge Robinson, separate opinion in the case concerning Certain Activities Carried
Out in Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua) and Construction of a Road
in Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica), Judgment, I.C.J. Reports
2015 (II), p. 815, para. 30.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 490
239
procède d’une démarche souple dans la détermination de l’existence d’un
différend — les critères de l’existence d’un différend ne sont pas censés
élever un obstacle bien haut.
Avant d’examiner la jurisprudence, je vais traiter brièvement du rôle
que la Charte des Nations Unies assigne à la Cour.
II. Le rôle de la Cour selon la Charte
des Nations Unies
7. Tel qu’il est envisagé dans la Charte des Nations Unies, le rôle de la
Cour implique qu’elle suive une démarche objective, souple et pragmatique
pour déterminer s’il existe un différend. Comme je l’ai expliqué dans l’opinion
individuelle dont j’ai joint l’exposé à l’arrêt rendu en décembre 2015
en l’affaire relative à Certaines activités/Construction d’une route,
« [l]a Charte des Nations Unies souligne en outre le rôle essentiel
dévolu à la Cour dans le règlement pacifique des différends, des différends
« dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien
de la paix et de la sécurité internationales » et d’aller ainsi à l’encontre
des buts qu’elle énonce 4. Son article 92 désigne la Cour
comme l’organe judiciaire principal de l’Organisation et précise que
le Statut de celle‑ci, qui y est annexé, en fait partie intégrante.
L’article
36 indique en son paragraphe 3 que le Conseil de sécurité
« doit aussi tenir compte du fait que, d’une manière générale, les
différends
d’ordre juridique devraient être soumis par les parties
à la Cour internationale de Justice ». Il est donc clair que, en exerçant
sa fonction judiciaire, la Cour a vocation à contribuer au maintien
de la paix et de la sécurité internationales. Cet exercice ne
revêt dès lors pas un caractère secondaire, bien au contraire :
il constitue
un élément
essentiel du système établi à l’issue de
la seconde guerre mondiale en vue du maintien de la paix et de la
sécurité internationales. » 5
8. La place faite à la Cour par la Charte des Nations Unies n’est pas la
même que celle que faisait à la CPJI le Pacte de la Société des Nations. Le
Pacte prévoyait certes la création de la CPJI, mais n’accordait pas prééminence
à la saisine de celle‑ci par rapport aux autres modes de règle-
« [é]tant donné cette limitation [l’obligation pour le demandeur de formuler une demande
sur une question de droit], la notion de compétence a toujours été interprétée dans un sens
vraiment large. En fait, autant que l’on puisse voir, la Cour ne s’est jamais dessaisie d’une
affaire au motif qu’elle ne portait pas sur un différend. »
4 Charte des Nations Unies, art. 33.
5 Opinion individuelle du juge Robinson jointe à l’arrêt du 16 décembre 2015 en l’affaire
relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa
Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan
(Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 815, par. 30.
491 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
240
national dispute resolution 6. The United Nations Charter, on the other
hand, identifies the Court as the “principal judicial organ of the
United Nations” 7. Each party to the United Nations Charter is ipso facto
party to the ICJ Statute. This is logically linked to (i) Article 36 (3) —
that while States may choose between a variety of dispute resolution
methods, Article 36 (3) envisages that legal disputes should — as a general
rule — be referred to the ICJ ; and (ii) Article 1 (1), identifying the
purposes of the United Nations as including “to bring about by peaceful
means, and in conformity with the principles of justice and international
law, adjustment or settlement of international disputes or situations
which might lead to a breach of the peace” 8. “Having recourse to the ICJ,
whose function is to decide disputes in accordance with international
law . . . is the most obvious way to realize that purpose.” 9 Therefore the
Court’s exercise of its judicial functions cannot be divorced from the
architecture of the system established to respond to the atrocities of
World War II. The Court was intended to play a positive role in the
maintenance of international peace and security. It is difficult to see how
the Court can discharge its responsibility to contribute to the maintenance
of international peace and security through the peaceful settlement
of disputes, if it establishes additional criteria that have no basis in its
case law, thus making it more difficult for parties to avail themselves of its
jurisdiction.
6 Article 14 of the Covenant of the League of Nations reads:
“[t]he Council shall formulate and submit to the Members of the League for adoption
plans for the establishment of a Permanent Court of International Justice. The Court
shall be competent to hear and determine any dispute of an international character
which the parties thereto submit to it. The Court may also give an advisory opinion
upon any dispute or question referred to it by the Council or by the Assembly.”
Article 13 states:
“Disputes as to the interpretation of a treaty, as to any question of international
law, as to the existence of any fact which if established would constitute a breach of
any international obligation, or as to the extent and nature of the reparation to be
made for any such breach, are declared to be among those which are generally suitable
for submission to arbitration or judicial settlement.
For the consideration of any such dispute, the court to which the case is referred
shall be the Permanent Court of International Justice, established in accordance with
Article 14, or any tribunal agreed on by the parties to the dispute or stipulated in any
convention existing between them.”
7 Article 92 of the UN Charter.
8 Thomas Giegerich, Commentary to Article 36 (op. cit. supra note 3), p. 154, para. 52.
9 Ibid. See also United States Diplomatic and Consular Staff in Tehran (United States of
America v. Iran), Judgment, I.C.J. Reports 1980, p. 22, para. 40.
“It is for the Court, the principal judicial organ of the United Nations, to resolve
any legal questions that may be in issue between parties to a dispute; and the resolution
of such legal questions by the Court may be an important, and sometimes decisive,
factor in promoting the peaceful settlement of the dispute.”
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 491
240
ment des différends internationaux 6. La Charte, en revanche, désigne la
Cour comme « l’organe judiciaire principal des Nations Unies » 7. Chaque
Etat partie à la Charte est ipso facto partie au Statut de la CIJ. La disposition
de la Charte à cet effet est dans la logique du paragraphe 3 de son
article 36, qui — bien que les Etats aient la faculté de choisir entre plusieurs
méthodes de règlement des différends — prévoit que, de manière
générale, les différends d’ordre juridique devraient être soumis à la CIJ ;
elle est également dans la logique du second membre du paragraphe 1 de
l’article premier, qui dispose que l’un des buts des Nations Unies est de
« réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la
justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends
ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une
rupture de la paix » 8. « Le recours à la CIJ, qui a pour fonction de trancher
les différends conformément au droit international …, constitue le
moyen le plus évident d’atteindre ce but. » 9 L’exercice par la Cour de sa
fonction judiciaire ne peut donc pas être dissocié de l’architecture du système
institué pour éviter que ne se reproduisent les atrocités de la seconde
guerre mondiale. La mission de la Cour est de contribuer au maintien de
la paix et de la sécurité internationales. On voit mal comment la Cour
pourrait continuer de s’acquitter de cette mission si elle en vient à établir
des critères supplémentaires d’existence d’un différend que ne cautionne
pas sa jurisprudence et qui ajoutent aux difficultés d’accès que doivent
surmonter les Etats qui entendent se prévaloir de sa juridiction.
6 L’article 14 du Pacte de la Société des Nations se lit comme suit :
«Le Conseil est chargé de préparer un projet de Cour permanente de Justice internationale
et de le soumettre aux Membres de la Société. Cette Cour connaîtra de tous
différends d’un caractère international que les Parties lui soumettront. Elle donnera
aussi des avis consultatifs sur tout différend ou tout point dont la saisira le Conseil
ou l’Assemblée. »
L’article 13 du Pacte renferme les dispositions suivantes :
« Parmi ceux qui sont généralement susceptibles de solution arbitrale, on déclare
tels les différends relatifs à l’interprétation d’un Traité, à tout point de droit international,
à la réalité de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la rupture d’un
engagement international, ou à l’étendue ou à la nature de la réparation due pour
une telle rupture.
[L]a cause [sera] soumise [à la Cour permanente de Justice internationale,] [créée
conformément à l’article 14,] [ou à toute juridiction ou cour] désignée par les Parties
ou prévue dans leurs conventions antérieures. »
7 Charte des Nations Unies, art. 92.
8 Thomas Giegerich, Commentary to Article 36 (op. cit. supra note 3) p. 154, par. 52.
9 Ibid. ; voir également Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran
(Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 22, par. 40 :
« [C]’est à la Cour, organe judiciaire principal des Nations Unies, qu’il appartient
de résoudre toute question juridique pouvant opposer des parties à un différend ; et
la résolution de ces questions juridiques par la Cour peut jouer un rôle important et
parfois déterminant dans le règlement pacifique du différend. »
492 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
241
III. The Court’s Jurisprudence
9. In paragraph 38 of the Judgment, the majority states :
“The evidence must show that the parties ‘hold clearly opposite
views’ with respect to the issue brought before the Court . . . As
reflected in previous decisions of the Court in which the existence of
a dispute was under consideration, a dispute exists when it is demonstrated,
on the basis of the evidence, that the respondent was aware,
or could not have been unaware, that its views were ‘positively
opposed’ by the applicant (Alleged Violations of Sovereign Rights and
Maritime Spaces in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Colombia),
Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 32,
para. 73 ; Application of the International Convention on the Elimination
of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I),
p. 99, para. 61, pp. 109‑110, para. 87, p. 117, para. 104).”
It is on the basis of this finding that the majority upholds the Respondent’s
objection that there is no dispute in this case. The burden of this
opinion is that this holding is, as is shown by the analysis of the Court’s
case law below, incorrect, as a matter of doctrine, of law, and of fact.
1. The Mavrommatis Palestine Concessions
10. Mavrommatis was a Greek national who owned “concessions for
certain public works to be constructed in Palestine” under contracts and
agreements signed with the Ottoman Empire. The Government of the
Greek Republic, espousing the claim of its national, claimed that the
Government of Palestine and the Government of His Britannic Majesty
(Great Britain), by virtue of its power as a Mandate, failed to recognize
the extent of Mavrommatis’s rights under two groups of concessions, and
requested that the PCIJ order the payment of compensation as a result.
The claim was brought under Article 9 of Protocol XII annexed to the
Peace Treaty of Lausanne 1923, and Articles 11 and 26 of the Mandate
for Palestine conferred on Britain 1922.
11. The British Government objected to the PCIJ’s jurisdiction, and
the PCIJ proceeded to examine whether or not it had jurisdiction under
Article 26 of the Mandate. Article 26 gave the PCIJ jurisdiction over disputes
“between the Mandatory and another Member of the League of
Nations relating to the interpretation or the application of the provisions
of the Mandate”, that could not “be settled by negotiation”. In determining
that there was a dispute susceptible to its jurisdiction, the PCIJ proceeded
to set out its famous dictum on the definition of a dispute:
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 492
241
III. La jurisprudence de la Cour
9. Au paragraphe 38 de l’arrêt, la majorité affirme ce qui suit :
« Les éléments de preuve doivent montrer que les « points de vue
des … parties [sont] nettement opposés » en ce qui concerne la question
portée devant la Cour… Ainsi que cela ressort de décisions antérieures
de la Cour dans lesquelles la question de l’existence d’un
différend était à l’examen, un différend existe lorsqu’il est démontré,
sur la base des éléments de preuve, que le défendeur avait connaissance,
ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance, de ce que ses
vues se heurtaient à l’« opposition manifeste » du demandeur (Violations
alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer
des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 32, par. 73 ; Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 99, par. 61, p. 109‑110, par. 87,
p. 117, par. 104). »
C’est en se fondant sur cette constatation que la majorité a retenu l’exception
soulevée par le défendeur en invoquant l’absence de différend.
Comme le montre l’analyse ci‑après de la jurisprudence de la Cour en la
matière, la difficulté que soulève cette opinion est qu’elle n’est pas cautionnée
par la doctrine et est erronée en droit comme en fait.
1. L’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine
10. M. Mavrommatis était un ressortissant grec titulaire de « concessions
pour certains travaux publics à exécuter en Palestine » en application de
contrats et d’accords signés avec l’Empire ottoman. La République hellénique
soutenait la prétention de son ressortissant selon laquelle le Gouvernement
de Palestine ainsi que le Gouvernement de Sa Majesté britannique
(le Gouvernement du Royaume‑Uni), en tant que puissance mandataire,
avaient refusé à tort de reconnaître dans toute leur étendue les droits que
M. Mavrommatis tenait de deux groupes de concessions, et demandait à la
CPJI d’ordonner le paiement d’une indemnité en réparation du préjudice
qui en était résulté. L’instance avait été introduite en vertu de l’article 9 du
protocole XII annexé au traité de paix de Lausanne de 1923 et des articles 11
et 26 du mandat pour la Palestine conféré à la Grande‑Bretagne en 1922.
11. Le Gouvernement britannique ayant soulevé une exception d’incompétence,
la CPJI a recherché si elle avait ou non compétence en vertu
de l’article 26 du mandat. Cet article lui conférait juridiction à l’égard de
tout différend « qui viendrait à s’élever entre [le mandataire] et un autre
Membre de la Société des Nations, relatif à l’interprétation ou à l’application
du Mandat » et ne serait pas « susceptible d’être réglé par des négociations
». Pour déterminer s’il existait un différend relevant de sa
compétence, la CPJI a suivi un raisonnement qui l’a conduite à énoncer
493 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
242
“[a] dispute is a disagreement on a point of law or fact, a conflict of legal
views or of interests between two persons” 10.
12. The PCIJ found that the dispute “certainly possess[ed] these
characteristics” 11. The Greek Republic was asserting that the Palestinian
or British authorities had treated one of its citizens in a manner incompatible
with international law obligations by which they were bound, and
had requested an “indemnity” on this basis 12.
13. In this case, which is very much the Alpha in the Court’s examination
of the criteria for the existence of a dispute, and which is cited in the
Judgment at paragraph 34, there is no reference, express or implied, to
the mental state of the respondent State, as a criterion for the existence of
a dispute. The focus of the case is simply on a disagreement or conflict
between the Parties. Implicit in the dictum from Mavrommatis is that, in
determining the existence of a dispute, the Court carries out an analysis
of the facts that may show a conflict of legal views or interests ; there is no
suggestion that this analysis is in any way influenced by the Respondent’s
awareness of the Applicant’s position.
14. The Mavrommatis definition has been frequently relied upon by the
Court, as the brief survey of jurisprudence below reveals. Although the
definition of a dispute has been developed and consolidated over time,
these developments have, for the most part, followed a path that is in line
with the position taken in Mavrommatis. The addition of awareness as a
prerequisite for a finding of a dispute, on the other hand, is not a minor
deviation, but represents a seismic change in what the Court requires
before it will proceed to examine the merits of a claim 13. Attempts to
debunk Mavrommatis from its pedestal will fail. Mavrommatis will always
retain its significance when considering what constitutes a “dispute” for
the purposes of Article 36 of the Statute, not merely because it was the
first case to set out a definition, but more importantly because it identifies
the parameters of a dispute between States.
10 Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2,
p. 11.
11 Ibid.
12 Ibid., p. 12.
13 See, for example, Robert Kolb’s examination of the Court’s jurisprudence up until
[2009], where he notes that the Mavrommatis definition has been followed “in a remarkably
consistent and continuous way”, although it “has now and then been subjected to
subtle minor variations, and also to some rather questionable additions”. Robert Kolb,
The International Court of Justice (Hart Publishing, 2013), p. 302.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 493
242
son célèbre dictum quant à la définition d’un différend : « [un] différend est
un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une
opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes » 10.
12. La CPJI a conclu que « tel [était] certainement le caractère du
litige » 11. La République hellénique soutenait que les autorités palestiniennes
ou britanniques avaient traité l’un de ses ressortissants d’une
manière incompatible avec des obligations de droit international auxquelles
elles étaient tenues, et demandait une indemnité de ce chef 12.
13. L’arrêt rendu en cette affaire, largement considéré comme la référence
première sur laquelle s’appuie la Cour pour examiner les critères de
l’existence d’un différend, et qui est cité au paragraphe 34 de l’arrêt de ce
jour, n’indique ni expressément ni implicitement que l’état d’esprit du
défendeur doive constituer un critère de l’existence d’un différend. La CPJI
a concentré son attention sur la simple question de savoir s’il y avait ou
non désaccord ou contradiction entre les parties. Le dictum énoncé en l’affaire
des Concessions Mavrommatis signifie implicitement que, pour établir
l’existence d’un différend, la Cour doit procéder à une analyse des faits qui
peut révéler une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre les parties
; rien, dans le dictum, ne donne à entendre que cette analyse doive en
quoi que ce soit être influencée par la réponse à la question de savoir si le
défendeur avait ou non connaissance de la position du demandeur.
14. La Cour actuelle s’en est souvent remise à la définition que renferme
l’arrêt rendu en l’affaire des Concessions Mavrommatis, comme le montre le
bref rappel de sa jurisprudence auquel je procède plus loin. Bien qu’elle ait
par la suite été développée et consolidée, cette définition a essentiellement
évolué dans un sens conforme à la position adoptée par la CPJI dans l’affaire
précitée. Faire de la connaissance préalable de la position du demandeur
une condition nécessaire de l’existence d’un différend, en revanche,
revient non pas à s’écarter légèrement de cette position, mais à bouleverser
radicalement l’agencement des conditions dont la Cour exige qu’elles soient
remplies avant qu’elle ne puisse procéder à l’examen au fond d’une
demande 13. Toute tentative de déboulonner la définition Mavrommatis de
son piédestal ne peut qu’être vouée à l’échec. L’arrêt rendu en l’affaire des
Concessions Mavrommatis continuera de peser de tout son poids dans l’examen
de ce qui constitue un « différend », non seulement parce qu’il est le
premier à avoir énoncé une définition, mais aussi, et surtout, parce qu’il
précise quels sont les paramètres d’un différend entre Etats.
10 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I., série A no 2, p. 11.
11 Ibid.
12 Ibid., p. 12.
13 Voir, par exemple, l’analyse de la jurisprudence de la Cour jusqu’à [2009] à laquelle a
procédé Robert Kolb, dans laquelle il relève que la définition figurant dans l’arrêt relatif aux
Concessions Mavrommatis a été suivie « de manière remarquablement fidèle et constante »,
même si « elle a parfois été retenue moyennant de légères et subtiles modifications, mais
aussi des ajouts dont le bien-fondé est discutable ». Robert Kolb, The International Court
of Justice (Hart Publishing, 2013), p. 302.
494 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
243
2. Interpretation of Peace Treaties
15. By means of a resolution dated 22 October 1949, the General
Assembly decided to request an advisory opinion on two questions
relating
to the Treaties of Peace signed with Bulgaria, Hungary and
Romania.
16. The first question put before the Court was whether or not diplomatic
exchanges between Bulgaria, Hungary and Romania and “certain
Allied and Associated Powers signatories to the Treaties of Peace” regarding
the implementation of certain provisions in those treaties disclosed
“disputes” subject to the dispute settlement provisions of those treaties.
The diplomatic exchanges included concerns and accusations regarding
the observance of human rights and fundamental freedoms by the three
Governments. In order to determine this question, the Court divided the
issues, and examined, first, whether or not the diplomatic exchanges disclosed
any disputes per se.
17. The Court started by setting out its now oft‑repeated mantra:
“[w]hether there exists an international dispute is a matter for objective
determination” 14. In my view, this is one of the Court’s most important
dicta in determining the criteria for a dispute. The logical result of objective
determination is that: “[t]he mere denial of the existence of a dispute
does not prove its non‑existence” 15.
18. In its application to the facts, the Court noted that the diplomatic
exchanges included allegations that the Governments of Bulgaria, Romania
and Hungary had violated various provisions of the Peace Treaties
and requested that they take remedial measures. Bulgaria, Romania and
Hungary, on the other hand, denied the charges. The exchanges thus
showed that “[t]here has . . . arisen a situation in which the two sides hold
clearly opposite views concerning the question of the performance or
non‑performance of certain treaty obligations” 16. On this basis, the Court
concluded that international disputes had arisen 17.
19. Here again, as in Mavrommatis, the question of the awareness of
the Respondent, was not a factor. The focus was not on Bulgaria, Hungary
and Romania’s awareness of the dispute. The Court’s formulation,
that a dispute was present where “the two sides hold clearly opposite
views concerning the question of the performance or non‑performance of
certain treaty obligations”, is a classic illustration of the application of an
objective approach. It requires no more than that the Court simply look
14 Interpretation of Peace Treaties with Bulgaria, Hungary and Romania, First Phase,
Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1950, p. 74.
15 Ibid.
16 Ibid.
17 Ibid., pp. 74‑75.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 494
243
2. L’affaire relative à l’Interprétation des traités de paix
15. Par une résolution en date du 22 octobre 1949, l’Assemblée générale
des Nations Unies avait demandé à la Cour de rendre un avis consultatif
sur deux questions relatives à l’interprétation des traités de paix
conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie.
16. La première question sur laquelle la Cour était invitée à donner son
avis était celle de savoir si la correspondance diplomatique échangée par la
Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie et « certaines Puissances alliées et associées,
signataires des traités de paix » au sujet de l’application de certaines
dispositions de ceux‑ci révélait l’existence d’un « différend » relevant des
clauses desdits traités relatives au règlement des différends. Ces échanges se
rapportaient notamment à des inquiétudes et des accusations concernant le
respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales par les trois gouvernements.
Avant de se prononcer sur cette question, la Cour a sérié les
points à régler et décidé d’examiner en premier lieu si les échanges de correspondance
diplomatique révélaient en eux‑mêmes l’existence de différends.
17. La Cour s’est tout d’abord assigné une règle qui a par la suite été
maintes fois réaffirmée, à savoir que « [l’]existence d’un différend international
demande à être établie objectivement » 14. A mon sens, ce dictum est
l’un des plus importants que la Cour ait énoncé au sujet du choix des
critères de l’existence d’un différend. La conséquence logique de cette
démarche objective est que « [l]e simple fait que l’existence d’un différend
est contestée ne prouve pas que ce différend n’existe pas » 15.
18. En appliquant cette règle à l’examen des faits, la Cour a constaté
que figuraient dans les échanges de correspondance diplomatique des allégations
selon lesquelles les Gouvernements de la Bulgarie, de la Roumanie
et de la Hongrie avaient violé diverses dispositions des traités de paix,
violations auxquelles les trois gouvernements étaient invités à remédier.
La Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, pour leur part, rejetaient ces
allégations. Les échanges de correspondance montraient donc qu’« [i]l
s’[était] … produit une situation dans laquelle les points de vue des …
parties, quant à l’exécution ou à la non‑exécution de certaines obligations
découlant des traités » 16, étaient nettement opposés. La Cour en a conclu
que s’étaient effectivement élevés des différends internationaux 17.
19. Là encore, comme en l’affaire des Concessions Mavrommatis, la
question de savoir si les Etats mis en cause avaient ou non eu connaissance
préalable de leur implication dans un différend n’est pas entrée en
ligne de compte. La Cour ne s’est pas arrêtée à la conscience que la Bulgarie,
la Hongrie et la Roumanie avaient pu avoir ou non d’être chacune
engagée dans un différend. Le dictum que je viens de citer, qui veut qu’il
existe un différend lorsque, « quant à l’exécution ou à la non‑exécution de
14 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie,
première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
15 Ibid.
16 Ibid.
17 Ibid., p. 74‑75.
495 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
244
at the parties’ positions, and determine whether they “have shown themselves
as holding opposite views” 18; in doing so there is not the slightest
suggestion of the need to resort to any question of the respondent’s
awareness of the applicant’s position.
3. South West Africa Cases
20. Liberia and Ethiopia both brought cases against South Africa,
which were joined by order of the Court on 20 May 1961. The Applicants
alleged that South Africa was acting in violation of various provisions of
the Covenant of the League of Nations and the Mandate for
South West Africa, including by practising apartheid in its administration
of South West Africa. As a preliminary matter, the Court examined
whether or not the subject‑matter of the Applications filed by Liberia and
Ethiopia constituted a dispute between the Applicants and South Africa.
The Court repeated its definition of a dispute from the case of Mavrommatis
Palestine Concessions (as set out above), and noted that it is not
sufficient for one party to assert or deny that a dispute exists, a position
consistent with the objective task that the Court has set itself :
“A mere assertion is not sufficient to prove the existence of a dispute
any more than a mere denial of the existence of the dispute proves its
non‑existence. Nor is it adequate to show that the interests of the two
parties to such a case are in conflict. It must be shown that the claim
of one party is positively opposed by the other.” 19
Applying this test to the facts of the case before it, the Court noted that
there could “be no doubt” about the existence of a dispute between the
parties in the South West Africa cases. A dispute was “clearly constituted”
by the opposing attitudes of the parties to South Africa’s performance of
its international obligations as Mandatory 20.
21. Judge Morelli, in his dissenting opinion, drew a distinction between
a dispute and a disagreement ; and between a dispute and a conflict of
interests. He noted that the opposing attitudes of the parties may consist
18 Interpretation of Judgments Nos. 7 and 8 (Factory at Chorzów), Judgment No. 11,
1927, P.C.I.J., Series A, No. 13, pp. 10‑11.
19 South West Africa (Ethiopia v. South Africa; Liberia v. South Africa), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1962, p. 328.
20 Ibid.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 495
244
certaines obligations découlant des traités, [les positions des parties] sont
nettement opposé[e]s », est une illustration classique de ce que doit être
une démarche objective. Ce dictum ne demande rien d’autre à la Cour que
d’examiner les positions respectives des parties et de déterminer si elles
montrent que celles‑ci ont « manifesté des opinions opposées » 18 ; absolument
rien n’indique que, pour ce faire, la Cour doive se poser une question
quelconque sur la connaissance que le défendeur peut avoir eue ou
non de la position du demandeur.
3. Les affaires du Sud‑Ouest africain
20. Le Libéria et l’Ethiopie ayant chacun introduit une instance
contre l’Afrique du Sud, la Cour avait décidé de joindre les deux affaires
par ordonnance du 20 mai 1961. Les demandeurs alléguaient que
l’Afrique du Sud agissait en violation de diverses dispositions du Pacte de
la Société des Nations et du mandat pour le Sud‑Ouest africain, y compris
en pratiquant l’apartheid dans l’administration du territoire. A titre
préliminaire, la Cour a examiné la question de savoir si l’objet des requêtes
déposées par le Libéria et l’Ethiopie était ou non un différend entre les
demandeurs et l’Afrique du Sud. La Cour a repris la définition d’un différend
figurant dans l’arrêt de la CPJI en l’affaire des Concessions Mavrommatis
(que j’ai citée plus haut) et a noté qu’il ne suffisait pas, pour prouver
l’existence d’un différend, qu’une partie affirme ou nie cette existence,
position qui concordait avec son intention de procéder à une appréciation
objective :
« La simple affirmation ne suffit pas pour prouver l’existence d’un
différend, tout comme le simple fait que l’existence d’un différend est
contestée ne prouve pas que ce différend n’existe pas. Il n’est pas
suffisant non plus de démontrer que les intérêts des deux parties à
une telle affaire sont en conflit. Il faut démontrer que la réclamation
de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre. » 19
La Cour a constaté que l’application de ce critère aux faits de la cause
dont elle était saisie montrait que l’existence d’un différend entre les parties
ne pouvait pas « faire de doute ». Selon elle, le différend « résult[ait]
clairement » des attitudes opposées des parties à propos de l’exécution par
l’Afrique du Sud des obligations internationales qui lui incombaient en
tant que mandataire 20.
21. Dans l’exposé de son opinion dissidente joint à l’arrêt en ces
affaires, le juge Morelli a opéré une distinction entre un différend et un
désaccord, ainsi qu’entre un différend et un conflit d’intérêts. Il a relevé
18 Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt no 11, 1927, C.P.J.I.
série A no 13, p. 10‑11.
19 Sud‑Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
20 Ibid.
496 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
245
of a “manifestation of the will” or a “course of conduct by means of
which the party pursuing that course directly achieves its own interest”
which is “inconsistent with the claim. And this is the case too where there
is in the first place a course of conduct by one of the parties to achieve its
own interest, which the other party meets by a protest.” 21 The Judgment,
at paragraphs 37 and 52, also acknowledges the evidentiary value of a
party’s conduct in the determination of a dispute.
22. Here, again, the Court made no explicit or implicit reference to
awareness as a criterion for finding the existence of a dispute. Rather, the
Court’s stress was on the parties’ “opposing attitudes relating to the performance
of the obligations” 22. In searching for positive opposition, the
Court was reaffirming the test that it had set out in Interpretation of Peace
Treaties, that a dispute was constituted where the parties held “clearly
opposite views concerning the question of the performance or non‑performance”
of international obligations. It was not developing a new test nor
establishing any additional criteria ; whether States hold “clearly opposite
views” or whether “the claim of one party is positively opposed by the
other” is essentially the same question, inviting the same objective determination,
without recourse to any mental element, such as awareness, on
the part of the Respondent.
IV. Paragraph 38 of the Judgment
23. The manner in which the Court considers opposition of views in
the current case calls for close examination. As noted above, paragraph 38
provides :
“The evidence must show that the parties ‘hold clearly opposite
views’ with respect to the issue brought before the Court (see paragraph
34 above). As reflected in previous decisions of the Court in
which the existence of a dispute was under consideration, a dispute
exists when it is demonstrated, on the basis of the evidence, that the
respondent was aware, or could not have been unaware, that its views
were ‘positively opposed’ by the applicant (Alleged Violations of Sovereign
Rights and Maritime Spaces in the Caribbean Sea (Nicaragua v.
Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I),
21 Dissenting opinion of Judge Morelli, South West Africa (Ethiopia v. South Africa;
Liberia v. South Africa), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1962, p. 567.
22 Ibid., p. 328.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 496
245
que les attitudes opposées des parties pouvaient consister en « une manifestation
de volonté » ou « une conduite, par laquelle la partie, qui adopte
une telle conduite, réalise directement son propre intérêt » par un comportement
« contraire » à la prétention de l’autre partie. Toujours selon le
juge Morelli, « c’est le cas aussi où il y a, en premier lieu, une conduite de
l’une des parties réalisant l’intérêt de celle‑ci, conduite à laquelle l’autre
partie oppose sa protestation » 21. Aux paragraphes 37 et 52 de l’arrêt, la
Cour reconnaît la valeur probante que peut avoir la conduite d’une partie
lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe un différend.
22. Dans l’arrêt qu’elle a rendu dans les affaires du Sud‑Ouest africain, la
Cour n’a pas non plus fait explicitement ou implicitement référence à la
connaissance préalable, de la part du défendeur, de la position du demandeur
en tant que critère de l’existence d’un différend. Elle a en revanche insisté sur
les « attitudes opposées [des parties] à propos de l’accomplissement des obligations
» 22. Lorsqu’il s’est agi pour elle de déterminer s’il y avait opposition
manifeste, la Cour a réaffirmé la validité du critère qu’elle avait énoncé dans
son arrêt sur l’Interprétation des traités de paix, à savoir qu’il existe un différend
lorsque « les points de vue des deux parties, quant à l’exécution ou à la
non‑exécution » d’obligations internationales, sont « nettement opposés ».
Elle n’a pas entrepris de définir un nouveau critère, ni de poser des conditions
supplémentaires ; dire que les parties doivent avoir des points de vue « nettement
opposés » ou que « la réclamation de l’une des parties [doit] se heurte[r]
à l’opposition manifeste de l’autre » revient essentiellement au même, l’une et
l’autre formule tendant à la même appréciation objective, exempte de référence
à des facteurs cognitifs tels que le point de savoir si le défendeur avait
eu ou non connaissance de la position du demandeur.
IV. Le paragraphe 38 de l’arrêt
23. La manière dont la Cour a traité la question de l’opposition des
points de vue mérite d’être examinée de près. Le paragraphe 38 de l’arrêt,
que j’ai déjà eu l’occasion de citer, est libellé comme suit :
« Les éléments de preuve doivent montrer que les « points de vue
des … parties [sont] nettement opposés » en ce qui concerne la question
portée devant la Cour (voir le paragraphe 34 ci‑dessus). Ainsi
que cela ressort de décisions antérieures de la Cour dans lesquelles la
question de l’existence d’un différend était à l’examen, un différend
existe lorsqu’il est démontré, sur la base des éléments de preuve, que
le défendeur avait connaissance, ou ne pouvait pas ne pas avoir
connaissance, de ce que ses vues se heurtaient à l’« opposition manifeste
» du demandeur (Violations alléguées de droits souverains et d’es-
21 Opinion dissidente du juge Morelli, Sud‑Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ;
Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 567.
22 Ibid., p. 328.
497 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
246
p. 32, para. 73 ; Application of the International Convention on the
Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v.
Russian
Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports
2011 (I), p. 99, para. 61, pp. 109‑110, para. 87, p. 117, para. 104).”
24. The first point to note about this paragraph is that it plunges us,
quite unnecessarily, into the murky legal world of the state of mind of a
State. The emphasis placed on awareness would seem to introduce
through the back door a requirement that the Court has previously
rejected 23, i.e., an obligation on the applicant to notify the other State of
its claim.
25. It is a misinterpretation of the approach set out by the Court in its
prior case law (and discussed earlier in this opinion) to state that the
determination that a dispute exists requires a showing of the respondent’s
awareness of the applicant’s positive opposition to its views. To establish
whether the parties hold clearly opposite views, it is sufficient to examine
the positions of the parties on the issue as objectively revealed by the evidence
before the Court, without regard to their awareness of the other
party’s position. It is, of course, perfectly possible to conduct an objective
examination of a subjective factor ; however, the issue in this case is
whether there is any legal basis for that subjective element.
26. In paragraph 38, the majority refers to two cases in support of its
position : Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime Space in the
Caribbean Sea (Nicaragua v. Colombia) (Alleged Violations) and Application
of the Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Georgia v. Russian Federation) (Application of the CERD).
In paragraph 73 of Alleged Violations, cited by the majority, the Court
was responding to Colombia’s argument that Nicaragua had not
23 See paragraph 38 of the Judgment. In Alleged Violations of Sovereign Rights and
Maritime Space in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 32, para. 72, the Court stated:
“Concerning Colombia’s argument that Nicaragua did not lodge a complaint
of alleged violations with Colombia through diplomatic channels until long after it
filed the Application, the Court is of the view that although a formal diplomatic
protest may be an important step to bring a claim of one party to the attention of
the other, such a formal protest is not a necessary condition. As the Court held in
the case concerning Application of the International Convention on the Elimination of
All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), in determining
whether a dispute exists or not, ‘[t]he matter is one of substance, not of form’ (Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 84, para. 30).”
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 497
246
paces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 32, par. 73 ;
Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 99, par. 61,
p. 109‑110, par. 87, p. 117, par. 104). »
24. Le premier point à relever à propos de ce paragraphe est que, sans
nécessité aucune, il nous force à nous aventurer dans le bourbier juridique
que constitue l’appréciation de l’état d’esprit dans lequel agit un Etat. Il
semble que le poids accordé à la connaissance que peut avoir le défendeur
de la position de l’Etat demandeur introduit par la bande une condition
de l’existence d’un différend que la Cour avait précédemment rejetée 23, à
savoir l’obligation qu’aurait le demandeur d’informer l’autre Etat de sa
prétention.
25. Affirmer que, pour qu’il existe un différend, il doit être démontré
que le défendeur avait connaissance de ce que ses vues se heurtaient à l’opposition
manifeste du demandeur procède d’une interprétation erronée de
la méthode précédemment suivie par la Cour, telle qu’elle ressort de sa
jurisprudence. Pour établir que les vues des parties sont nettement opposées,
il suffit en effet à la Cour d’examiner les positions de ces dernières sur
la question en cause telles qu’elles sont révélées objectivement par les éléments
de preuve qui ont été versés au dossier, sans chercher à savoir si
l’une avait connaissance de la position de l’autre. Il est certes tout à fait
possible de procéder à une appréciation objective d’un facteur subjectif ;
cependant, en la présente affaire, se pose la question de savoir si la prise en
considération d’un tel élément subjectif est juridiquement fondée.
26. Au paragraphe 38, la majorité, pour étayer sa position, invoque
deux affaires : Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes
dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie) et Application de
la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie). Au paragraphe 73 de
l’arrêt en l’affaire des Violations alléguées, que la majorité a cité, la Cour
répondait à l’argument de la Colombie selon lequel le Nicaragua « ne lui
23 Voir le paragraphe 38 de l’arrêt. En l’affaire des Violations alléguées de droits souverains
et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 32, par. 72, la Cour a dit ce qui suit :
« S’agissant de l’argument de la Colombie selon lequel le Nicaragua ne s’est, par
la voie diplomatique, plaint auprès d’elle de violations que longtemps après avoir
déposé sa requête, la Cour estime que, si la protestation diplomatique officielle peut
constituer un moyen important pour une partie de porter à l’attention de l’autre une
prétention, pareille protestation officielle n’est pas une condition nécessaire. Comme
elle l’a affirmé dans l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de
Russie), la Cour, lorsqu’elle détermine s’il existe ou non un différend, s’attache au
« fond, et non [à la] forme » (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I),
p. 84, par. 30). »
498 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
247
“indicate[d]... by any modality, that Colombia was violating . . .” 24 its
international obligations vis‑à‑vis Nicaragua, and had not raised any
complaints until it sent a diplomatic Note after the Application had been
filed. The Court noted :
“although Nicaragua did not send its formal diplomatic Note to
Colombia in protest at the latter’s alleged violations of its maritime
rights at sea until 13 September 2014, almost ten months after the
filing of the Application, in the specific circumstances of the present
case, the evidence clearly indicates that, at the time when the Application
was filed, Colombia was aware that its enactment of Decree
1946 and its conduct in the maritime areas declared by the 2012 Judgment
to belong to Nicaragua were positively opposed by Nicaragua.
Given the public statements made by the highest representatives of
the Parties, such as those referred to in paragraph 69, Colombia could
not have misunderstood the position of Nicaragua over such differences.”
(I.C.J. Reports 2016 (I), pp. 32‑33, para. 73.)
27. The Court’s statement represents the application of an objective
standard, with the Court eschewing formalities as a particular bar to finding
a dispute. The Court examined the evidence presented and emphasized
by the Parties, including statements and conduct, to conclude that
there was positive opposition. Far from establishing awareness as a criterion
of the dispute, the references to awareness and understanding are
factual statements made in the specific circumstances of the case in support
of the Court’s conclusion. There is no suggestion that these references
are an expression of a legal test. While the element of awareness
may sharpen the positive opposition, it is not expressed as a prerequisite
for that opposition. Moreover, the Court emphasized that the finding of
a dispute is a matter of substance and not of form 25.
28. The majority’s reliance on Application of the CERD is as unsatisfactory
as the use it made of Alleged Violations. The Court’s primary purpose
in carrying out an examination of the documents and exchanges
presented by the applicant as evidence of a dispute was to establish
whether, in light of the specific objections raised, Russia was the intended
addressee of the documents, and, if so, whether the documents related to
the application or interpretation of the Convention on the Elimination of
24 Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime Space in the Caribbean Sea
(Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 28,
para. 55 et seq.
25 Ibid., paras. 50 and 72.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 498
247
avait [pas] indiqué, sous quelque forme que ce fût, qu’elle violait … » 24 ses
obligations internationales envers lui, et n’avait jamais élevé de protestation
avant de lui adresser une note diplomatique postérieurement au
dépôt de sa requête. Dans ce paragraphe, la Cour a noté ce qui suit :
« même si ce n’est que le 13 septembre 2014 — soit près de dix mois
après le dépôt de la requête — que le Nicaragua a envoyé à la Colombie
une note diplomatique officielle pour protester contre les violations
de ses droits maritimes auxquelles celle‑ci se serait livrée en
mer, les éléments de preuve indiquent clairement, dans les circonstances
propres à l’affaire, que, à la date de ce dépôt, la Colombie
savait que la promulgation du décret 1946 et son comportement dans
les espaces maritimes que la Cour avait reconnus au Nicaragua dans
son arrêt de 2012 se heurtaient à l’opposition manifeste du Nicaragua.
Compte tenu des déclarations publiques faites par les plus hauts
représentants des Parties, telles que celles qui sont mentionnées au
paragraphe 69, la Colombie n’aurait pu se méprendre sur la position
du Nicaragua quant à leurs divergences. » (C.I.J. Recueil 2016 (I),
p. 32‑33, par. 73.)
27. Ce que la Cour a dit là montre qu’elle a appliqué un critère objectif
pour établir l’existence d’un différend, sans s’arrêter à la question du respect
des formes. Elle a examiné les éléments de preuve avancés par les
parties, dont des déclarations et des comportements, pour conclure que
leurs positions étaient manifestement opposées. Loin de faire de la connaissance
préalable, de la part du défendeur, de la position du demandeur un
critère de l’existence d’un différend, les références à ce que savait et comprenait
la Colombie sont de simples constatations de faits et, dans les circonstances
propres à l’affaire, confortent la Cour dans sa conclusion. Rien
ne donne à penser que ces références puissent être l’expression de l’application
d’un critère juridique. Bien que la connaissance préalable de la position
du demandeur puisse donner plus de relief à l’opposition manifeste
qu’il y a lieu d’établir, la Cour ne la présente pas comme une condition
nécessaire de la constatation de cette opposition. De plus, elle souligne,
dans les paragraphes précédents, que la détermination de l’existence d’un
différend repose sur des considérations de fond plutôt que de forme 25.
28. Les arguments que la majorité tire de l’affaire relative à l’Application
de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale sont tout aussi peu satisfaisants que ceux qu’elle tire
de l’affaire des Violations alléguées. En l’affaire relative à l’Application de
la convention, le but premier de l’examen par la Cour des documents et
des échanges présentés par le demandeur comme preuves de l’existence
d’un différend était d’établir si, au vu des points soulevés dans les excep-
24 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I),
p. 28, par. 55 et suiv.
25 Ibid., par. 50 et 72.
499 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
248
All Forms of Racial Discrimination (CERD). In many instances, the
Court found that the documents were not addressed to Russia and, in any
event, that they did not reveal a dispute concerning the application and
interpretation of the CERD, as per Article 22.
29. At the outset, it is worth noting the particular circumstances before
the Court in Application of the CERD. The Court upheld Russia’s second
preliminary objection in this case because it decided that Georgia had not
satisfied the negotiations and procedures expressly provided for in the
CERD before a dispute could be brought under Article 22. This decision
is of limited value as a precedent in the circumstances of this case.
30. In any case, the passages relied upon by the majority do not support
its conclusion that the Court, in Application of the CERD, invoked
awareness as a requirement in the finding of a dispute. Given the Court’s
cautionary statement as to the significance of the analysis it carried out in
Section II (4) of the Judgment, it is not at all clear how reliance on the
finding in paragraph 61 becomes helpful to the position of the majority.
Section II (4) is devoted to documents and statements from the period
before the CERD entered into force between the parties on 2 July 1999.
The Court was careful to explain in paragraph 50 that it was only carrying
out an examination of documents and statements in that period
because Georgia contended that its dispute with the Russian Federation
was “long‑standing and legitimate and not of recent invention”. The
Court then went on to say that those earlier documents “may help to put
into context those documents or statements which were issued or made
after the entry into force of CERD between the Parties” 26. Why anyone
would rely on a dictum from that section in relation to the question of the
existence of a dispute is difficult to understand, since, for the purposes of
that case, there could be no dispute which fell within the terms of CERD
between the parties at the time under examination, and the Court had
explained the limited and very specific context in which it was examining
documents and statements from that period.
31. Paragraph 61 relevantly reads: “There is no evidence that this Parliamentary
statement, directed at ‘separatists’ and alleging violations of
agreements which could not at that time have included CERD, was
known to the authorities of the Russian Federation.” One of the issues
26 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of
Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2011 (I), p. 94, para. 50.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 499
248
tions préliminaires, les documents s’adressaient bien à la Russie et, dans
l’affirmative, s’ils portaient sur l’application ou l’interprétation de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (CIEDR). Dans bien des cas, la Cour a constaté que les
documents ne s’adressaient pas à la Russie et que, de toute manière, ils ne
révélaient pas un différend concernant l’application ou l’interprétation de
la convention au sens de son article 22.
29. Il me paraît utile de relever d’abord que des circonstances particulières
se présentaient à la Cour en l’affaire relative à l’Application de la
CIEDR. La Cour a retenu la deuxième exception préliminaire soulevée
par la Russie parce qu’elle avait constaté que la Géorgie, avant d’introduire
une instance en invoquant l’article 22 de la convention, aurait dû
remplir certaines conditions de négociation et de procédure expressément
stipulées dans la CIEDR. Au regard des circonstances de la présente
affaire, cette décision n’a guère valeur de précédent.
30. En tout état de cause, les passages auxquels la majorité a fait référence
ne viennent pas étayer sa conclusion, selon laquelle la Cour, en l’affaire
relative à l’Application de la CIEDR, aurait fait de la connaissance
préalable de la position du demandeur une condition nécessaire de la
constatation de l’existence d’un différend. Etant donné ce qu’avait dit la
Cour quant à la prudence avec laquelle il convenait de mesurer le poids
de l’analyse exposée à la section II 4) de son arrêt, on ne voit pas bien en
quoi une référence aux constatations énoncées au paragraphe 61 de l’arrêt
vient conforter la position de la majorité. La section II 4) est en effet
consacrée à des documents et des déclarations antérieurs à l’entrée en
vigueur de la CIEDR entre les parties le 2 juillet 1999. La Cour a pris soin
d’expliquer, au paragraphe 50, qu’elle n’examinait les documents et déclarations
datant de cette période que parce que la Géorgie prétendait que
son différend avec la Fédération de Russie « exist[ait] depuis longtemps,
[était] fondé et n’[était] pas [une] invention récente ». La Cour a dit ensuite
que ces documents et déclarations « [pouvaient] aider à replacer dans leur
contexte les documents ou déclarations postérieurs à l’entrée en vigueur
de la CIEDR entre les Parties » 26. On voit mal comment quiconque pourrait
s’appuyer sur un dictum énoncé dans cette section de l’arrêt quant à
la question de l’existence d’un différend, étant donné que, pendant la
période considérée, il n’avait pas pu exister de différend entre les parties
au sens de la CIEDR, et que la Cour a expliqué dans quelles limites et
dans quel contexte très précis elle procédait à l’examen des documents et
déclarations remontant à ladite période.
31. Il est utile de noter qu’au paragraphe 61 de l’arrêt figure l’observation
suivante : « Rien n’atteste que les autorités de la Fédération de
Russie
aient eu connaissance de cette déclaration du Parlement géorgien
visant les « séparatistes » et contenant des allégations selon lesquelles des
26 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 94, par. 50.
500 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
249
before the Court was Russia’s argument that it was not a party to a dispute
with Georgia ; that and it was nothing more than a facilitator and
that the real disputants were Abkhazia and South Ossetia 27. Thus, the
reference to Russia’s lack of knowledge should also be viewed in light of
the fact that much of the evidence pointed to by Georgia as relevant to
the question of the existence of a dispute was actually directed to other
parties. The reference to Russia’s lack of knowledge was a factual statement
highlighting that Russia was not the addressee of the Parliamentary
statement. There is nothing, either in express or implied terms, in paragraph
61 to suggest that the Court was setting up awareness or knowledge
that its views were positively opposed on the part of the Respondent
as a requirement for a finding of a dispute. The Court dismissed the statement
on the basis that it did not have any legal significance in the determination
of the dispute.
32. In paragraph 87, the Court notes that Russia was aware of a Georgian
Parliamentary action relating to Russia’s peacekeeping operations.
However, the Court makes this statement without seeking to develop it
and with no suggestion that this was a vital element in its consideration
of the question of the existence of a dispute. Indeed, the Court went on to
dismiss the documents as not having any legal significance in the determination
of the dispute. Again, the Court’s analysis must be viewed in light
of the disagreement about the proper parties to the dispute and, more
particularly, whether Georgia’s claims were made against Russia. The difficulty
for the majority in relying upon paragraph 87 in support of its
position that awareness is a condition for the finding of a dispute is that
the Court in the Application of the CERD does not state this explicitly,
nor is there anything in the text that allows the reader to infer awareness
as such a condition. In fact, the Court does not develop its analysis in any
way beyond a factual statement of the particular circumstances surrounding
the documents in question. Moreover, the majority decision itself
offers no explanation as to how paragraph 87 is an authority for the
proposition that awareness is a prerequisite for the finding of the existence
of a dispute.
27 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of
Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2011 (I), p. 87, para. 38.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 500
249
accords qui ne pouvaient, à l’époque, inclure la CIEDR auraient été
violés.
» La Cour devait entre autres se prononcer sur la validité de
l’
argumentation
de la Russie, qui soutenait qu’il n’y avait pas de différend
entre elle et la Géorgie, qu’elle n’avait agi qu’en qualité de facilitateur et
que le véritable différend opposait la Géorgie à l’Abkhazie et à l’Ossétie du
Sud 27. La référence au défaut de connaissance, de la part de la Russie, de
l’existence d’un différend devrait donc être également considérée à la
lumière du fait qu’une bonne partie des éléments de preuve avancés par la
Géorgie comme pertinents pour trancher la question de l’existence d’un
différend était en réalité des documents et déclarations s’adressant à
d’autres parties. La référence au défaut de connaissance, de la part de la
Russie, de l’existence d’un différend n’était autre qu’une constatation
factuelle
faisant ressortir que la déclaration du Parlement géorgien ne
s’adressait pas à la Russie. Rien de ce que dit expressément ou implicitement
le paragraphe 61 ne peut donner à penser que la Cour ait voulu faire de la
connaissance ou de la conscience, de la part du défendeur, de l’opposition
manifeste de ses vues à celles du demandeur une condition nécessaire de la
détermination de l’existence d’un différend. La Cour a écarté la déclaration
du Parlement géorgien au motif qu’elle n’avait aucune valeur juridique
aux fins de la détermination de l’existence d’un différend.
32. Au paragraphe 87 de son arrêt, la Cour a relevé que la Russie avait
eu connaissance d’une décision du Parlement géorgien concernant ses
opérations de maintien de la paix. Cependant, la Cour a énoncé cette
constatation sans chercher à la développer ni donner à entendre qu’il
s’agissait là d’un élément essentiel de la détermination de l’existence d’un
différend. De fait, elle en est venue à rejeter les documents comme n’ayant
aucune valeur juridique aux fins de l’établissement de l’existence d’un différend.
Une fois encore, l’analyse à laquelle a procédé la Cour doit être
considérée compte tenu de ce qu’il y avait désaccord entre les deux Etats
sur le point de savoir qui étaient les véritables parties au différend et, en
particulier, si les griefs de la Géorgie s’adressaient bien à la Russie. La
faiblesse du parti qu’a pris la majorité d’invoquer le paragraphe 87 de
l’arrêt en l’affaire relative à l’Application de la CIEDR pour étayer sa
position, selon laquelle la connaissance préalable serait une condition de
l’existence d’un différend, tient à ce que la Cour, dans ladite affaire, n’a
rien dit explicitement de tel, et à ce que rien, dans le texte considéré, ne
permet au lecteur d’inférer pareille condition. En fait, la Cour s’est bornée
à énoncer une constatation de fait portant sur les circonstances dans lesquelles
les documents en question avaient été établis et utilisés, sans chercher
à développer plus avant son analyse. De plus, la majorité n’offre
dans sa décision aucune explication montrant que le paragraphe 87 ferait
autorité pour valider la proposition selon laquelle la connaissance préalable
serait une condition nécessaire de l’existence d’un différend.
27 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 87‑88, par. 38.
501 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
250
33. The discussion in paragraph 104 of the Application of the CERD as
to whether a press release was brought to Russia’s attention is cited by
the majority as evidence that previous decisions set down awareness as a
condition of finding the existence of a dispute. The Court, in paragraph
104, does not make clear the significance to be attached to this
statement. It is expressed in terms that show that it is nothing more than
a simple statement of fact, which does not expressly or impliedly set out
an additional limb for the legal test for the finding of a dispute. Again,
the Court’s statement must be seen in the context of the particular facts
of the case : whether Russia was truly a party to the dispute, or whether
Georgia’s grievances lay elsewhere, and whether the dispute concerned
the interpretation and application of the CERD. In any event, the Court
dismissed the press release as having no legal significance in the determination
of the dispute.
34. An inescapable comment on the four citations taken from Application
of the CERD and Alleged Violations in paragraph 38 is that, surely, if
the Court intended to set up awareness as a criterion for determining the
existence of a dispute, it would have spent much more time examining
and explaining the basis and rationale for its approach, including looking
at its case law. There would have been no need for the Court to introduce
an additional limb of the test in such an indirect and non‑transparent
manner.
35. The paragraphs relied upon by the majority as establishing awareness
as a criterion of a dispute should be contrasted with the establishment
of an “awareness” or “knowledge” test in other decisions of the
Court, and the care the Court takes in setting up a test of this nature. For
example, in the Bosnia Genocide case, the Court stated :
“But whatever the reply to this question, there is no doubt that the
conduct of an organ or a person furnishing aid or assistance to a
perpetrator of the crime of genocide cannot be treated as complicity
in genocide unless at the least that organ or person acted knowingly,
that is to say, in particular, was aware of the specific intent (dolus
specialis) of the principal perpetrator.” 28
28 Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Judgment, I.C.J. Reports
2007 (I), p. 218, para. 421.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 501
250
33. Le paragraphe 104 de l’arrêt, où il est question d’un communiqué de
presse dont la Cour a relevé qu’il n’était pas certain qu’il ait été porté à la
connaissance de la Russie, est cité par la majorité comme preuve qu’il y a
des précédents dans lesquels la Cour a fait de la connaissance préalable
d’une divergence entre les parties une condition de la constatation de l’existence
d’un différend. Cependant, dans ce même paragraphe, la Cour a indiqué
clairement quelle importance il y avait lieu d’attacher à ce qu’elle disait
de la connaissance du communiqué. Ce qu’elle en disait était exprimé dans
des termes qui montrent qu’il ne s’agissait que de la simple constatation
d’un fait, constatation qui, expressément ou implicitement, n’ajoutait rien
aux éléments juridiques de la détermination de l’existence d’un différend.
Là encore, ce qu’a dit la Cour doit être considéré dans le contexte des faits
de la cause, qui pouvaient porter à douter que la Russie fût véritablement
partie au différend allégué, ou à se demander si ce différend portait bien sur
l’interprétation et l’application de la CIEDR. De toute façon, la Cour a
écarté le communiqué de presse parce qu’il n’avait à son avis aucune valeur
juridique aux fins de la détermination de l’existence du différend.
34. Les quatre citations de l’arrêt rendu en l’affaire relative à l’Application
de la CIEDR et de celui qui a été rendu en l’affaire des Violations
alléguées que la majorité a fait figurer au paragraphe 38 du présent arrêt
donnent inéluctablement à penser que, si la Cour avait vraiment voulu
faire de la connaissance préalable d’une divergence un critère de détermination
de l’existence d’un différend, elle n’aurait pas manqué de consacrer
beaucoup plus de temps à exposer les fondements et à expliquer la logique
de sa démarche, notamment en explorant sa jurisprudence. Elle ne se
serait pas contentée, pour introduire un nouvel élément d’appréciation,
de la formulation oblique et opaque que j’ai évoquée.
35. Les paragraphes de l’exposé de son raisonnement sur lesquels la
majorité s’est fondée pour faire de la connaissance préalable un critère de
l’existence d’un différend doivent être comparés aux passages pertinents
des autres arrêts dans lesquels elle a retenu un critère de « conscience » ou
de « connaissance », en tenant compte des précautions qu’elle a prises
dans chaque cas avant de le retenir. Ainsi, en l’affaire relative à l’Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro), par exemple, la Cour
a dit ce qui suit :
« Mais quelle que soit la réponse que l’on donne à cette question,
il n’est pas douteux que le comportement d’un organe ou d’une personne
qui fournit aide ou assistance à l’auteur du crime de génocide
ne peut être qualifié de complicité dans le génocide que si, à tout le
moins, cet organe ou cette personne agit en connaissance de cause,
c’est‑à‑dire, notamment, connaît l’existence de l’intention spécifique
(dolus specialis) qui anime l’auteur principal. » 28
28 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 218,
par. 421.
502 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
251
Even though the element of knowledge or awareness is necessarily a part
of complicity in genocide, it is nonetheless noteworthy how assiduously
and explicitly the Court approaches the construction of a test which contains
the criterion of awareness.
36. Moreover, if the three passages in Application of the CERD were
intended to set up an additional limb of the test for the existence of a
dispute, it is strange that they were not cited in paragraph 73 of Alleged
Violations. This is all the more peculiar as passages from Application of
the CERD were cited five times in the treatment of Colombia’s second
preliminary objection as authority for various other propositions in relation
to the finding of a dispute.
37. Significantly, in Section II (6), where the Court did find that the
evidence established the existence of a dispute between Russia and Georgia,
there is not a single reference to Russia’s awareness of Georgia’s
opposing views. The Court was content to conclude that the exchanges
showed that there was a dispute between the two countries about Russia’s
performance of its obligations under CERD. In fact, the Court continued
to be most concerned about the parties to the dispute and whether or not
the dispute was about the interpretation and application of CERD 29. It is
also noteworthy that, in the many instances in which the Court discounted
the documents and exchanges as having any legal value, it did so
without any reliance on Russia’s lack of awareness, including in relation
to the documents cited in paragraphs 61, 87 and 104 30. What this shows
is that the reference to awareness or knowledge in those three instances is
nothing more than a mere happenstance, similar to the references to
awareness and understanding in paragraph 73 of Alleged Violations. The
irresistible conclusion in the analysis of the four cited passages is that the
majority has confused the incidental with the essential.
38. It is indeed striking that among the many cases in the Court’s jurisprudence
on the existence of a dispute the majority has only been able to
cite two cases in support of its position, one of which — Application of the
29 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of
Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2011 (I), p. 120, para. 113.
30 Ibid., paras. 62, 89 and 104.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 502
251
S’il est vrai que, pour être qualifié de complicité du crime de génocide, un
acte doit nécessairement avoir été accompli en connaissance de cause, il
n’en importe pas moins de relever le soin méticuleux et la volonté de
clarté qui caractérisent la manière dont la Cour, dans son arrêt, a établi
un critère de qualification comportant un facteur de connaissance ou de
conscience.
36. Qui plus est, si les trois passages de l’arrêt rendu en l’affaire relative
à l’Application de la CIEDR ont été cités par la majorité dans l’intention
d’ajouter un élément aux critères de détermination de l’existence d’un différend,
on peut trouver étrange que ces mêmes passages ne soient pas
cités aussi au paragraphe 73 de l’arrêt en l’affaire des Violations alléguées.
D’autant plus étrange que, dans la partie de ce même arrêt qui traite de la
deuxième exception préliminaire soulevée par la Colombie, la Cour a cité
cinq fois lesdits passages, dont elle s’est autorisée pour avancer diverses
autres propositions concernant la détermination de l’existence d’un
différend.
37. En particulier, il importe de relever qu’à la section II 6) de l’arrêt
rendu en l’affaire relative à l’Application de la CIEDR, où la Cour constate
que les éléments de preuve établissent l’existence d’un différend entre la
Russie et la Géorgie, il n’est pas question une seule fois de la connaissance
que la Russie pouvait avoir ou non de l’opposition de ses vues à celles de
la Géorgie. La Cour s’est contentée de conclure que les échanges entre les
deux Etats montraient qu’un différend les opposait quant à l’exécution
par la Russie de ses obligations au titre de la CIEDR. En fait, il ressort de
cette section de l’arrêt que la Cour continuait de s’intéresser avant tout à
la question de savoir quelles étaient véritablement les parties en litige et à
celle de savoir si le différend portait ou non sur l’interprétation et l’application
de la CIEDR 29. Il y a lieu de noter également que, dans les nombreux
cas où la Cour a écarté les documents et échanges avancés comme
éléments de preuve parce qu’elle les jugeait dénués de valeur juridique,
elle l’a fait sans jamais invoquer le défaut de connaissance de la Russie, y
compris lorsqu’elle a écarté les documents cités aux paragraphes 61, 87
et 104 de son arrêt 30. Il en ressort que, dans les trois passages en question,
les références à la connaissance ou la conscience que la Russie pouvait
avoir ou non d’une divergence de vues étaient simplement circonstancielles,
tout comme l’est la référence analogue figurant au paragraphe 73
de l’arrêt rendu en l’affaire des Violations alléguées. L’analyse des
quatre passages cités conduit inéluctablement à conclure que la majorité
n’a pas su distinguer le circonstanciel de l’essentiel.
38. De fait, il est frappant de constater que, parmi les nombreux arrêts
qui, dans la jurisprudence, traitent des critères de l’existence d’un différend,
la majorité n’a pu en citer que deux pour étayer sa position, dont
29 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 120, par. 113.
30 Ibid., par. 62, 89 et 104.
503 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
252
CERD — is of limited value as a precedent given the peculiarities of Article
22 of the CERD, the other — Alleged Violations — clearly wrongly
construed by the majority, and both of which were handed down in the
last six years. Implicit in these citations — from 2011 and 2016 — is an
acceptance that the jurisprudence prior to April 2011 does not support
the majority’s position. In reaching this conclusion, it should be recalled
that the passages cited by the majority do not contain references to prior
jurisprudence because they are, themselves, no more than factual statements.
39. In Application of the CERD, the Court importantly confirmed that
the finding of a dispute is a matter of substance and not of form (as the
Judgment notes at paragraph 35). This is consistent with the pragmatic,
flexible approach that has already been discussed in the context of former
jurisprudence. It follows that the Court’s case law has eschewed a formal
approach, including suggestions that formalities are a precondition of the
existence of a dispute, such as notice of the intention to file a case, formal
diplomatic protest and negotiations (unless specifically required by the
optional declaration) (see paragraph 35 of the Judgment) and any specific
mental element.
40. On the basis of the examination of the jurisprudence set out above,
it is clear that :
(1) the development of the Court’s case law in this area has been linear
in the stress that it has placed on objectivity, flexibility and substance
over form ; whether or not a dispute exists is a matter for objective
determination by the Court on the basis of the evidence before it ;
(2) the enquiry, which is empirical and pragmatic, is focused on whether
or not the States concerned have shown themselves as holding opposite
views, i.e., whether the evidence reveals a difference of views,
regarding the performance or non‑performance of an international
obligation ;
(3) the positive opposition that is required by case law does not have to
be manifested in a formal manner, for example, that the positions be
set out in a diplomatic Note. Further, there is no need for notice and/
or response. The opposition of positions may be evidenced by a
course of conduct and evidence of the parties’ attitudes, and this is
the enquiry that the Court must undertake. There is no particular way
in which a claim must be made. Moreover, the case law establishes
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 503
252
l’un — celui relatif à l’Application de la CIEDR — n’a qu’une valeur limitée
en tant que précédent en raison des particularités de l’article 22 de la
convention, et l’autre — celui relatif aux Violations alléguées — a manifestement
été mal interprété par la majorité ; il convient de noter aussi que
ces arrêts se rapportent à deux affaires qui ont été réglées au cours des
six dernières années. Le choix de ces citations — qui renvoient à des arrêts
rendus en 2011 et 2016 — signifie implicitement que la majorité s’est
rendu compte que la jurisprudence de la Cour antérieure à avril 2011 ne
venait pas étayer sa position. A l’appui de cette conclusion, il y a lieu de
rappeler que les passages cités par la majorité ne renvoient aucunement à
la jurisprudence plus ancienne de la Cour, parce qu’ils ne sont eux‑mêmes
rien d’autre que des constations de faits.
39. En l’affaire relative à l’Application de la CIEDR, la Cour, il est
important de le relever, a confirmé que la détermination de l’existence
d’un différend était une question de fond et non de forme (voir le
paragraphe
35 de l’arrêt). Cette confirmation va dans le sens de la
démarche pragmatique et souple dont j’ai déjà traité à propos de la jurisprudence
antérieure à avril 2011. Il s’ensuit que la Cour s’est gardée
d’adopter une optique formaliste subordonnant la constatation de l’existence
d’un différend au respect de certaines formes, telles que la notification
par l’Etat demandeur de son intention d’introduire une instance,
l’émission d’une protestation officielle par la voie diplomatique ou l’engagement
de négociations (sauf lorsqu’une déclaration faite en vertu de la
clause facultative prévoit des obligations à cet égard) (voir le paragraphe
35 de l’arrêt), ou encore des actes attestant l’existence de tel ou tel
élément subjectif.
40. De l’analyse de la jurisprudence à laquelle j’ai procédé plus haut, il
ressort clairement ce qui suit :
1) la jurisprudence de la Cour sur la question considérée s’est développée
de façon linéaire en ce sens que l’on y relève une insistance constante
sur l’objectivité, la souplesse et la primauté du fond sur la forme ; l’existence
d’un différend doit être déterminée objectivement par la Cour sur
la foi des éléments de preuve dont elle est saisie ;
2) l’examen qui aboutit à cette détermination, auquel il doit être procédé
empiriquement et pragmatiquement, doit être centré sur le point de
savoir si les Etats concernés ont ou non manifesté qu’ils avaient des
points de vue opposés ; autrement dit, il doit tendre à déterminer si les
éléments de preuve révèlent des divergences de vues au sujet de l’exécution
ou de l’inexécution d’une obligation internationale ;
3) l’opposition manifeste des points de vue que requiert la jurisprudence
n’a pas à être formellement exprimée, par exemple dans une note diplomatique.
En outre, il n’est pas nécessaire que la divergence fasse l’objet
d’une notification suivie ou non d’une réponse. L’opposition des points
de vue peut être attestée par un comportement et des éléments de
preuve révélateurs de l’attitude des parties, et ce sont là les éléments
sur lesquels doit porter l’examen auquel procède la Cour. Peu importe
504 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
253
that the requirement that a dispute exist is not intended to set a high
threshold for the Court’s exercise of its jurisdiction, a conclusion that
is entirely consistent with the role of the Court as described in Section
II ;
(4) properly seen therefore awareness may be confirmatory of positive
opposition of views, but it is not, as paragraph 38 suggests, a prerequisite
for, nor decisive in determining the existence of a dispute.
V. The Date at which
a Dispute Must Exist
41. Another conundrum raised by the Judgment relates to the date at
which the dispute must exist. Paragraph 39 reads “[i]n principle, the date
for determining the existence of a dispute is the date on which the application
is submitted to the Court”. Similar formulations with the words
“in principle” are to be found in cases cited in the same paragraph. However,
the plain meaning of the sentence beginning with “in principle” is
that it admits of the possibility that the date at which the dispute is determined
may be a date other than the date on which the Application was
submitted to the Court, i.e., that post‑Application evidence may be determinative
of the existence of a dispute rather than simply confirmatory as
is stated in paragraph 42. Consequently, the entire analysis in paragraphs
39 and 40 fails to acknowledge the nuance and flexibility that is
denoted by the phrase “in principle”.
42. That post‑Application evidence may be determinative of the existence
of a dispute is entirely consistent with the flexible, pragmatic
approach that is the hallmark of the Court’s jurisprudence on this question.
43. Paragraph 39 cites two cases in support of its statement that —
“[i]n principle, the date for determining the existence of a dispute is the
date on which the application is submitted to the Court” — Alleged Violations
and Application of the CERD. The relevant paragraphs of both
cases cite Questions of Interpretation and Application of the 1971 Montreal
Convention arising from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab
Jamahiriya v. United Kingdom) 31 and Questions of Interpretation and
Application of the 1971 Montreal Convention arising from the Aerial Incident
at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United States of
31 Questions of Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention arising
from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United Kingdom), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, pp. 25‑26, paras. 43-45.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 504
253
la manière dont un Etat avance ses prétentions. De plus, la jurisprudence
établit que les conditions de la constatation de l’existence d’un
différend n’ont pas été posées dans l’intention d’élever une barrière
plus élevée à l’exercice par la Cour de sa compétence, conclusion qui
cadre parfaitement avec le rôle de la Cour tel qu’il est décrit plus haut
à la section II ;
4) considérée dans la perspective qui convient, la connaissance d’une
divergence de vues peut donc venir confirmer qu’il existe une opposition
manifeste des points de vue, mais pas, comme le laisse entendre
le paragraphe 38 du présent arrêt, constituer une condition ou un facteur
décisif de la détermination de l’existence d’un différend.
V. La question de la date à laquelle doit être constatée
l’existence d’un différend
41. L’arrêt soulève une autre question difficile, celle de la date à compter
de laquelle il doit être établi qu’il existe un différend. Il y est dit ce
qui suit au paragraphe 39 : « [e]n principe, la date à laquelle doit être
appréciée l’existence d’un différend est celle du dépôt de la requête ». On
trouve des formules semblables, comprenant l’expression « en principe »,
dans les arrêts relatifs aux affaires auxquelles renvoie le paragraphe. Or,
interprétée dans son sens ordinaire, une phrase qui commence par
« en principe » admet la possibilité de retenir une date autre que celle du
dépôt de la requête, ce qui signifie que des éléments de preuve postérieurs
à cette date peuvent déterminer l’existence d’un différend au lieu de
simplement
la confirmer comme il est dit au paragraphe 42 de l’arrêt. Il
s’ensuit que, d’un bout à l’autre, l’analyse exposée aux paragraphes 39
et 40 néglige la nuance et la latitude introduites par l’expression « en principe
».
42. Admettre la possibilité que des éléments de preuve postérieurs au
dépôt de la requête déterminent l’existence d’un différend cadre tout à fait
avec la démarche souple et pragmatique qui ressort de la jurisprudence de
la Cour en la matière.
43. Au paragraphe 39 sont citées, pour étayer l’affirmation selon laquelle,
« [e]n principe, la date à laquelle doit être appréciée l’existence d’un différend
est celle du dépôt de la requête » l’affaire relative aux Violations alléguées et
celle relative à l’Application de la CIEDR. Les paragraphes pertinents des
arrêts rendus dans ces deux affaires renvoient quant à eux aux décisions
prises par la Cour dans les affaires relatives à des Questions d’interprétation
et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume‑Uni) 31 et à des
Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal
31 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant
de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume‑Uni), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 25‑26, par. 43‑45.
505 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
254
America) 32. The cited paragraphs from these cases begin: “Libya furthermore
dr[ew] the Court’s attention to the principle that ‘[t]he critical date
for determining the admissibility of an application is the date on which it
is filed’” (my emphasis) and reflect the Court’s conclusion that it would
uphold Libya’s submission in this regard. The Court concluded that “[t]he
date, 3 March 1992, on which Libya filed its Application, is in fact the
only relevant date for determining the admissibility of the Application” 33.
It may be that the difficulty arising from the phrase “in principle” could
be traced to Libya’s reference to “the principle” that the critical date was
the date on which the Application was filed. The two phrases are, of
course, totally different in meaning.
44. In paragraph 50, the majority rejected the Marshall Islands’
contention
that the Court had, in prior cases, relied upon statements
made by the parties during proceedings as evidence of the existence of a
dispute. The majority discussed the three cases cited by the Marshall
Islands in support of its contentions : Certain Property (Liechtenstein v.
Germany), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2005 ; Land
and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v.
Nigeria), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998 ; and
Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II). However, the majority’s
analysis of these three cases is too categorical and does not allow for the
flexibility that the Court has given itself in this regard. These cases show
that the Court has afforded significant weight to statements made during
proceedings in its determination of whether or not a dispute exists, and,
at times, did so, to the exclusion of other evidence.
45. In Certain Property, the Court’s analysis indicates that it relied primarily
on the positions taken by the parties before the Court in finding a
dispute. At paragraph 50, the majority states that in Certain Property
“the existence of the dispute was clearly referenced by bilateral exchanges
between the parties prior to the date of the application”. However, Germany
submitted a preliminary objection on the basis that there was no
dispute between the parties. While Liechtenstein and Germany characterized
the subject of the dispute differently, Germany’s preferred characterization
suggested that it was not a true party to the dispute and thus that
there was no dispute between the parties.
32 Questions of Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention arising
from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United States of America),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, pp. 130‑131, paras. 42-44.
33 Ibid., p. 130, paras. 42 and 43.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 505
254
de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne
c. Etats‑Unis d’Amérique) 32. Dans les deux cas, les paragraphes cités commencent
par la phrase suivante : « [l]a Libye appelle en outre l’attention de la
Cour sur le principe selon lequel « [l]a date critique à retenir pour déterminer
la recevabilité d’une requête est celle de son dépôt » » (les italiques sont de
moi), et indiquent que la Cour admet cette position de la Libye. La Cour
conclut ce qui suit : « [l]a date du 3 mars 1992 à laquelle la Libye a déposé sa
requête est en effet la seule date pertinente aux fins d’apprécier la recevabilité
de celle‑ci » 33. Il se peut que la difficulté soulevée par l’emploi de l’expression
« en principe » remonte à la référence faite par la Libye au « principe » selon
lequel, à son sens, la date critique à retenir était celle du dépôt de la requête.
Or, est‑il besoin de le préciser, invoquer un « principe » a un sens tout autre
que nuancer une affirmation en employant l’expression « en principe ».
44. Au paragraphe 50 de l’arrêt, la majorité a rejeté l’assertion des
Iles Marshall selon laquelle, dans des affaires précédentes, la Cour avait
retenu comme preuves de l’existence d’un différend des déclarations faites
par les parties en cours d’instance. Pour parvenir à cette conclusion, elle
a examiné les trois affaires citées par les Iles Marshall, à savoir : Certains
biens (Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2005 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et
le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1998 ; Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II). Cependant, la majorité s’est
montrée trop catégorique dans son analyse et ne s’est pas prévalue de la
latitude que la Cour s’était accordée précédemment pour répondre à des
assertions semblables. Il ressort des arrêts rendus dans les trois affaires
citées que la Cour, pour déterminer s’il existait ou non un différend, avait
accordé un poids important aux déclarations faites par les parties en
cours d’instance, parfois au point d’écarter tout autre élément de preuve.
45. En l’affaire relative à Certains biens, l’analyse à laquelle a procédé
la Cour indique qu’elle s’est fondée principalement sur les prises de position
des parties pour établir l’existence d’un différend. Au paragraphe 50
du présent arrêt, la majorité relève que, dans l’affaire relative à Certains
biens, « les échanges bilatéraux qui avaient eu lieu entre les parties avant
la date du dépôt de la requête attestaient clairement l’existence d’un différend
». Or, il y a lieu de relever que, dans cette affaire, l’Allemagne avait
soulevé une exception d’incompétence fondée sur l’absence de différend,
que chacune des parties qualifiait différemment l’objet des griefs du
demandeur, et que la qualification que préférait l’Allemagne donnait à
entendre qu’elle n’était pas partie au différend allégué et qu’aucun différend
ne l’opposait donc au Liechtenstein.
32 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant
de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 130‑131, par. 42-44.
33 Ibid., p. 130, par. 43.
506 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
255
46. After setting out the positions of the parties, the Court proceeded
to note :
“[t]he Court thus finds that in the present proceedings complaints of
fact and law formulated by Liechtenstein against Germany are denied
by the latter. In conformity with well‑established jurisprudence . . .
the Court concludes that ‘[b]y virtue of this denial, there is a legal
dispute’ between Liechtenstein and Germany (East Timor (Portugal
v. Australia), Judgment, I.C.J. Reports 1995, p. 100, para. 22 ;
Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide, Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports
1996 (II), p. 615, para. 29).” 34
The Court then added that pre‑Application consultations and exchanges
had “evidentiary value” in support of a finding of positive opposition.
The Court therefore relied on Germany’s denial during the proceedings as
determinative of the existence of a dispute and merely had recourse to the
pre‑Application consultations and exchanges as supporting evidence.
47. In Land and Maritime Boundary, Nigeria’s submission was that
there was no dispute as such throughout the length of the boundary and
therefore Cameroon’s request to definitively settle the boundary was
inadmissible (more specifically that there was no dispute, subject, within
Lake Chad, to the question of the title over Darak and adjacent islands,
and without prejudice to the title over the Bakassi Peninsula) 35. The
Court concluded that in the oral proceedings it had become clear that
there was also a dispute over the boundary at the village of Tipsan 36.
48. The Court noted that Nigeria had not indicated whether or not it
agreed with Cameroon’s position on the course of the boundary or its
legal basis. In reaching this conclusion, the Court relied particularly on
Nigeria’s response to a question posed by a Member of the Court. The
Court decided that, while Nigeria did not have to advance arguments pertaining
to the merits, “[the Court] cannot decline to examine the submission
of Cameroon on the ground that there is no dispute between the two
States” 37. While it is true, as stated in paragraph 50, that the Court was
concerned with the scope of the dispute (i.e., the extent to which the
34 Certain Property (Liechtenstein v. Germany), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2005, p. 19, para. 25.
35 Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, pp. 313‑314, 316.
36 Ibid., p. 313, para. 85.
37 Ibid., p. 317, para 93.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 506
255
46. Après avoir exposé les positions des parties, la Cour a dit ce qui
suit :
« [l]a Cour relève en conséquence que, dans la présente instance, les
griefs formulés en fait et en droit par le Liechtenstein contre l’Allemagne
sont rejetés par cette dernière. Conformément à sa jurisprudence
bien établie …, la Cour conclut que, « [d]u fait de ce rejet, il
existe un différend d’ordre juridique » entre le Liechtenstein et l’Allemagne
(Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil
1995, p. 100, par. 22 ; Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide, exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 615, par. 29). » 34
La Cour a ajouté que les consultations et les échanges qui avaient eu lieu
avant le dépôt de la requête « confort[aient] » la constatation d’une opposition
manifeste des points de vue des parties. Elle a donc considéré que
les allégations avancées par l’Allemagne au cours de la procédure étaient
le facteur déterminant de l’existence d’un différend, et n’a invoqué les
consultations et échanges antérieurs au dépôt de la requête qu’à titre de
preuves complémentaires.
47. En l’affaire de la Frontière terrestre et maritime, le Nigéria soutenait
qu’il n’existait pas de différend l’opposant au Cameroun au sujet de la délimitation
de la frontière en tant que telle sur toute sa longueur et que la
demande de ce dernier tendant à la délimitation définitive de cette frontière
était donc irrecevable (plus précisément, le Nigéria affirmait qu’il n’existait
pas de différend, sans préjudice de la question du titre sur Darak et les îles
avoisinantes du lac Tchad, ni de la question du titre sur la presqu’île de
Bakassi) 35. La Cour a conclu que les audiences avaient révélé qu’il existait
également un différend sur le tracé de la frontière à hauteur du village de
Tipsan 36.
48. La Cour a relevé que le Nigéria n’avait pas indiqué s’il était ou non
d’accord avec la position du Cameroun sur le tracé de la frontière ou sur son
fondement juridique. Pour parvenir à cette conclusion, elle s’est appuyée en
particulier sur la réponse du Nigéria à une question posée par un membre de
la Cour. Elle a décidé que, bien que le Nigéria n’ait pas à avancer des arguments
se rapportant au fond, « elle ne saurait se refuser à examiner les
conclusions du Cameroun par le motif qu’il n’existerait pas de différend
entre les deux Etats » 37. Il est certes vrai que, comme il est relevé au paragraphe
50 du présent arrêt, dans l’affaire Cameroun c. Nigéria, la Cour s’intéressait
à la portée du différend (c’est‑à‑dire la mesure dans laquelle les
34 Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 19, par. 25.
35 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 313‑314, 316.
36 Ibid., p. 313, par. 85.
37 Ibid., p. 317, par. 93.
507 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
256
boundary was in dispute between the parties) 38, the Court did examine
the submissions of the parties and their positions before the Court in
determining that Nigeria had not indicated its agreement, and thus that it
could not uphold Nigeria’s objection.
49. Application of the Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia) is, perhaps,
the strongest case in support of the position taken by the Marshall
Islands because the only evidence on which the Court relied in relation to
the existence of a dispute was Yugoslavia’s denial of Bosnia and Herzegovina’s
allegations during the proceedings: “that, by reason of the rejection
by Yugoslavia of the complaints formulated against it by Bosnia and
Herzegovina, ‘there is a legal dispute’ between them (East Timor (Portugal
v. Australia), I.C.J. Reports 1995, p. 100, para. 22)” 39. The majority’s
attempt to distinguish this case is far from satisfactory.
50. The Court’s approach to this question has been less definitive and
uncompromising than the majority would like to suggest. The Court has
given itself room to afford significant weight to statements made during
the proceedings, particularly the denial of allegations by the Respondent,
not just to confirm but to establish a dispute.
51. I note that the majority has advanced the view that: “[i]f the Court
had jurisdiction with regard to disputes resulting from exchanges in the
proceedings before it, a respondent would be deprived of the opportunity
to react before the institution of proceedings to the claim made against its
own conduct” 40. This appears to be nothing more than a reflection of the
majority’s doctrinal attachment to the awareness criterion. It is inconsistent
with the case law that notification of a dispute is not required. A
respondent’s opportunity to react is more properly addressed as a question
of procedural due process rather than as an element of the dispute
criterion. If a party is embarrassed by hearing for the first time, through
the commencement of Court proceedings, a claim against it, it is surely
open to the Court to address that matter by recourse to the rules of procedure.
38 The Court’s examination of materials showed that there was a dispute “at least as
regards the legal bases of the boundary”. The Court was not able to determine “the exact
scope of the dispute”; Op. cit. supra note 35.
39 Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 1996 (II), pp. 614‑615, para. 29.
40 Paragraph 40 of the Judgment.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 507
256
parties avaient des positions divergentes sur le tracé de la frontière) 38, mais
elle n’en a pas moins examiné les conclusions des parties et leurs positions
respectives, pour conclure que le Nigéria n’avait pas signifié son accord avec
le Cameroun, et qu’elle ne pouvait donc pas retenir l’exception qu’il avait
soulevée.
49. L’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine c. Yougoslavie)
est peut‑être celle qui étaye le mieux la position adoptée par les
Iles Marshall, parce que les seuls éléments de preuve sur lesquels la Cour
s’y est appuyée pour déterminer s’il existait un différend étaient les dénégations
opposées en cours d’instance par le défendeur aux allégations
de la Bosnie‑Herzégovine : « du fait du rejet, par la Yougoslavie [(Serbieet-
Monténégro)],
des griefs formulés à son encontre par la Bosnie‑Herzégovine,
« il existe un différend d’ordre juridique » entre elles (Timor
oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil 1995, p. 100, par. 22) » 39.
Cependant, la tentative faite par la majorité pour singulariser cette décision
est loin d’être convaincante.
50. La manière dont la Cour a traité cette question est moins définitive
et intransigeante que la majorité ne voudrait le faire croire. La Cour s’est
ménagé une certaine latitude afin de pouvoir accorder un poids notable
aux déclarations faites en cours d’instance, en particulier aux dénégations
par le défendeur des griefs du demandeur, et ce, non seulement pour
confirmer, mais pour établir l’existence d’un différend.
51. Je relève que la majorité a avancé la thèse suivante : « Si la Cour
était compétente à l’égard de différends résultant d’échanges qui ont eu
lieu au cours de la procédure devant elle, le défendeur se trouverait privé
de la possibilité de réagir, avant l’introduction de l’instance, à la réclamation
visant son comportement. » 40 Cette thèse semble n’être rien d’autre
qu’un signe de l’attachement doctrinal de la majorité au critère de la
connaissance préalable. Elle s’écarte de la jurisprudence de la Cour selon
laquelle la notification préalable d’un différend n’est pas une condition
nécessaire de la constatation de son existence. La possibilité offerte au
défendeur de réagir est une question touchant le respect de formes procédurales
plutôt qu’un élément des critères de détermination de l’existence
du différend. Si un Etat défendeur se trouve dans l’embarras parce qu’il
n’a eu connaissance des griefs portés contre lui qu’à la suite de l’introduction
de l’instance, il appartient à la Cour de remédier à cette difficulté par
les moyens que lui offrent les règles de procédure.
38 L’examen par la Cour du dossier montrait qu’il existait un différend « à tout le moins
en ce qui concern[ait] les bases juridiques de la frontière ». La Cour a estimé qu’elle n’était
pas en mesure de déterminer « l’étendue exacte [du différend] ». Op. cit. supra note 35.
39 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie‑Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
1996 (II), p. 614‑615, par. 29.
40 Paragraphe 40 de l’arrêt.
508 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
257
VI. The Principle of the Sound Administration of Justice
52. Another reason for rejecting the majority decision is that it militates
against the sound administration of justice, a principle that the
Court has emphasized on more than one occasion. In Mavrommatis, the
PCIJ held :
“Even if the grounds on which the institution of proceedings was
based were defective for the reason stated, this would not be an adequate
reason for the dismissal of the applicant’s suit. The Court,
whose jurisdiction is international, is not bound to attach to matters
of form the same degree of importance which they might possess in
municipal law. Even, therefore, if the application were premature
because the Treaty of Lausanne had not yet been ratified, this circumstance
would now be covered by the subsequent deposit of the necessary
ratifications.” 41
53. This dictum is in keeping with the rejection of formalism in determining
access to international justice, as discussed throughout the opinion.
It is a principle that promotes judicial economy, and thus the sound
administration of justice. In Upper Silesia, in considering whether there
was a “difference of opinion” for the purposes of Article 23 of the Geneva
Convention (the 1922 Convention between Germany and Poland relating
to Upper Silesia), the PCIJ held :
“Even if, under Article 23, the existence of a definite dispute were
necessary, this condition could at any time be fulfilled by means of
unilateral action on the part of the applicant Party. And the Court
cannot allow itself to be hampered by a mere defect of form, the
removal of which depends solely on the Party concerned.” 42
54. This principle was also cited by the Court in the Paramilitary
Activities case, refusing to reject Nicaragua’s claim when it could remedy
a defect unilaterally (to have expressly invoked a treaty in its negotiations)
and refile the case 43. The Court continued as follows :
“It would make no sense to require Nicaragua now to institute fresh
41 Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2,
p. 34.
42 Certain German Interests in Polish Upper Silesia, Jurisdiction, Judgment No. 6, 1925,
P.C.I.J., Series A, No. 6, p. 14.
43 Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v.
United States of America), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1984,
pp. 427‑429, paras. 81-83.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 508
257
VI. Le principe de la bonne administration de la justice
52. J’ai une autre raison de ne pas être d’accord avec la décision de la
majorité, à savoir qu’elle va à l’encontre du principe de la bonne administration
de la justice, sur l’importance duquel la Cour a maintes fois insisté.
Dans l’affaire des Concessions Mavrommatis, par exemple, la CPJI a dit
ce qui suit :
« Même si la base de l’introduction d’instance était défectueuse
pour la raison mentionnée, ce ne serait pas une raison suffisante pour
débouter le demandeur de sa requête. La Cour, exerçant une juridiction
internationale, n’est pas tenue d’attacher à des considérations de
forme la même importance qu’elles pourraient avoir dans le droit
interne. Dans ces conditions, même si l’introduction avait été prématurée,
parce que le Traité de Lausanne n’était pas encore ratifié,
ce fait aurait été couvert par le dépôt ultérieur des ratifications
requises. » 41
53. Ce dictum va dans le sens du rejet du formalisme dans la
détermination
des conditions d’accès à la justice internationale, thème
récurrent de la présente opinion. Il pose un principe qui procède du souci
d’économie de procédure, et donc du souci de la bonne administration de
la justice. En l’affaire relative à la Haute‑Silésie, la CPJI, pour déterminer
s’il y avait « une divergence de vues » entre les parties au sens de
l’article
23 de la convention de Genève (la convention de 1922 entre
l’Allemagne
et la Pologne relative à la Haute‑Silésie), a retenu ce qui
suit :
« Même si la nécessité d’une contestation formelle ressortait de
l’article 23, cette condition pourrait être à tout moment remplie par
un acte unilatéral de la Partie demanderesse. La Cour ne pourrait
s’arrêter à un défaut de forme qu’il dépendrait de la seule Partie intéressée
de faire disparaître. » 42
54. Ce principe a également été cité par la Cour actuelle en l’affaire des
Activités militaires et paramilitaires, pour étayer son refus de rejeter la
demande du Nicaragua alors que celui‑ci pouvait remédier unilatéralement
à un défaut (consistant à ne pas avoir expressément invoqué un
traité au cours de négociations) et ensuite engager une nouvelle procédure
43. Et la Cour d’ajouter :
« Il n’y aurait aucun sens à obliger maintenant le Nicaragua à
41 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 34.
42 Certains intérêts allemands en Haute‑Silésie polonaise, compétence, arrêt no 6, 1925,
C.P.J.I. série A no 6, p. 14.
43 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui‑ci (Nicaragua
c. Etats‑Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 427‑429,
par. 81‑83.
509 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
258
proceedings based on the Treaty, which it would be fully entitled to
do. As the Permanent Court observed, ‘the Court cannot allow itself
to be hampered by a mere defect of form, the removal of which
depends solely on the party concerned.” (Certain German Interests in
Polish Upper Silesia, Jurisdiction, Judgment No. 6, 1925, P.C.I.J.,
Series A, No. 6, p. 14.)
55. Further, in Croatia v. Serbia, the Court cited the passage from
Mavrommatis and held that :
“What matters is that, at the latest by the date when the Court
decides on its jurisdiction, the applicant must be entitled, if it so
wishes, to bring fresh proceedings in which the initially unmet condition
would be fulfilled. In such a situation, it is not in the interests of
the sound administration of justice to compel the applicant to begin
the proceedings anew — or to initiate fresh proceedings — and it is
preferable, except in special circumstances, to conclude that the condition
has, from that point on, been fulfilled.” 44
The Court spoke against an approach that would lead to, what it termed
the “needless proliferation of proceedings” 45 or what Judge Crawford in
his dissent calls a “circularity of procedure” 46. An odd result of the majority
Judgment is that, given the basis on which the claim has been dismissed,
the Marshall Islands could, in theory, file another Application
against India. Any objection based on lack of awareness of “opposite
views” could not be upheld. The “unmet condition” would have already
been remedied. The formal approach adopted by the majority Judgment
is incongruous with previous dicta on this point, and militates against
judicial economy and the sound administration of justice.
VII. Facts
56. The Marshall Islands argues that India is bound by a customary
obligation to pursue in good faith and bring to a conclusion negotiations
leading to nuclear disarmament in all its aspects under strict and effective
international control, and that India’s conduct has violated that
obligation,
“in particular the quantitative build-up and qualitative
44 Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(Croatia v. Serbia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2008, p. 441,
para. 85.
45 Ibid., p. 443, para. 89.
46 See dissenting opinion of Judge Crawford in this case, para. 8.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 509
258
entamer une nouvelle procédure sur la base du traité — ce qu’il
aurait pleinement le droit de faire. Pour citer la Cour permanente :
« La Cour ne pourrait s’arrêter à un défaut de forme qu’il dépendrait
de la seule Partie intéressée de faire disparaître. » (Certains intérêts
allemands en Haute-Silésie
polonaise, compétence, arrêt no 6, 1925,
C.P.J.I. série A no 6, p. 14.)
55. De plus, en l’affaire Croatie c. Serbie, la Cour, après avoir cité le
passage de l’arrêt rendu en l’affaire des Concessions Mavrommatis, a
poursuivi en ces termes :
« En effet, ce qui importe, c’est que, au plus tard à la date à laquelle
la Cour statue sur sa compétence, le demandeur soit en droit, s’il le
souhaite, d’introduire une nouvelle instance dans le cadre de laquelle
la condition qui faisait initialement défaut serait remplie. En pareil
cas, cela ne servirait pas l’intérêt d’une bonne administration de la
justice d’obliger le demandeur à recommencer la procédure — ou à
en commencer une nouvelle — et il est préférable, sauf circonstances
spéciales, de constater que la condition est désormais remplie. » 44
La Cour s’est ainsi prononcée contre une démarche conduisant, pour
reprendre ses termes, à « la multiplication inutile des procédures » 45, ou à
ce que le juge Crawford, dans l’exposé de son opinion dissidente joint au
présent arrêt, appelle « la circularité de la procédure » 46. L’une des conséquences
perverses de l’arrêt voté par la majorité est que, vu le motif du
rejet de leur demande, les Iles Marshall pourraient fort bien, en théorie,
déposé une nouvelle requête contre l’Inde. Toute exception fondée sur le
défaut de connaissance, de la part du défendeur, de l’« opposition » du
demandeur à son point de vue ne pourrait alors qu’être rejetée, la condition
qui « faisait initialement défaut » étant désormais remplie. Le formalisme
que dénote la décision de la majorité va à l’encontre des dicta
précédemment énoncés en la matière, ainsi que de l’économie de procédure
et du principe de la bonne administration de la justice.
VII. Les faits
56. Les Iles Marshall soutenaient que l’Inde était liée par une obligation
de droit international coutumier de poursuivre de bonne foi et de
mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire
dans tous ses aspects, effectué sous un contrôle international strict et efficace,
et que par son comportement, en particulier en ce qu’il a consisté à
44 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 441, par. 85.
45 Ibid., p. 443, par. 89.
46 Voir l’exposé de l’opinion dissidente du juge Crawford joint à l’arrêt en la présente
affaire, par. 8.
510 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
259
improvement of its nuclear arsenal” 47. India refutes the Marshall Islands’
claims.
57. India argues that it has consistently pursued a policy of supporting
universal, non‑discriminatory global nuclear disarmament 48. The Marshall
Islands does not appear to dispute India’s public support for nuclear
disarmament and multilateral negotiations to achieve this end 49. The evidence
put before the Court does not demonstrate positive opposition
regarding the approach to negotiations.
58. However, the Parties have clearly distinguishable positions relating
to the build‑up of India’s nuclear arsenal. The Marshall Islands details
evidence of what it describes as a “quantitative build‑up and qualitative
improvement of [India’s] nuclear arsenal” 50, which, in the Marshall
Islands’ view, violates India’s customary obligation 51. The Marshall
Islands points to various factors in support of its argument, for example,
India’s spending on nuclear weapons and its actions in respect of its
stockpile of weapons-grade plutonium and plutonium production reactor
52.
47 CR 2016/1, p. 19, para. 15 (deBrum).
48 For example, India has, since 1982, tabled a resolution on a Convention on the
Prohibition of the Use of Nuclear Weapons, and has consistently supported the UN
General Assembly resolutions calling for States to take action on the disposition of the
Court’s Advisory Opinion on the Legality of Nuclear Weapons, Counter‑Memorial of
India (CMI), p. 8, paras. 11 and 12.
49 See, for example, the Marshall Islands’ reply to the question put by Judge
Cançado Trindade at the end of the public sitting of 16 March 2016 at 10 a.m., paragraph
8 in respect of General Assembly resolutions. See, also, India’s arguments on this
point: CMI, para. 93 (i) and (ii).
50 Marshall Island Memorial (MMI), p. 10, para. 19.
51 On 26 September 2013, at the High‑Level Meeting of the General Assembly on
Nuclear Disarmament, the Marshall Islands “urge[d] all nuclear weapon States to intensify
efforts to address their responsibilities in moving towards an effective and secure disarmament”.
At the Second Conference on the Humanitarian Impact of Nuclear Weapons in
Nayarit, Mexico, 13‑14 February 2014, at which India was present, the Marshall Islands
stated:
“the Marshall Islands is convinced that multilateral negotiations on achieving and
sustaining a world free of nuclear weapons are long overdue. Indeed we believe that
States possessing nuclear arsenals are failing to fulfil their legal obligations in this
regard. Immediate commencement and conclusion of such negotiations is required
by legal obligation of nuclear disarmament resting upon each and every state under
Article VI of the Non-Proliferation
Treaty and customary international law.” (MMI,
p. 19, para. 45.)
52 Application of the Marshall Islands (AMI), p. 24, para. 34. See generally Part II (C)
of the AMI. The Marshall Islands also points to Security Council resolution 1172 calling on
India and Pakistan “immediately to stop their nuclear weapon development programmes,
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 510
259
« renforc[er] quantitativement et qualitativement son arsenal nucléaire » 47,
elle avait manqué à cette obligation. L’Inde réfutait quant à elle les allégations
des Iles Marshall.
57. L’Inde soutenait qu’elle avait constamment suivi une politique
favorable à un désarmement nucléaire mondial, universel et non discriminatoire
48. Les Iles Marshall ne semblaient pas contester que l’Inde ait
publiquement soutenu le désarmement nucléaire et la poursuite de négociations
multilatérales en vue de celui‑ci 49. Les éléments de preuve soumis
à la Cour ne montraient pas qu’il y avait opposition manifeste des points
de vue des Parties sur la conception des négociations.
58. Cependant, les Parties avaient des positions bien tranchées au sujet
de l’accroissement de l’arsenal nucléaire de l’Inde. Les Iles Marshall avançaient
une série d’éléments de preuve qui, selon elles, montraient que
l’Inde s’employait « à accroître et à améliorer ses forces nucléaires » 50, ce
qui constituait, toujours selon elles, un manquement du défendeur à son
obligation de droit international coutumier 51. A l’appui de leur argumentation,
les Iles Marshall citaient plusieurs facteurs, comme les dépenses
consacrées par l’Inde à son armement nucléaire et les mesures qu’elle
avait prises au sujet de ses réserves de plutonium utilisable à des fins militaires
et de son réacteur de production de plutonium 52.
47 CR 2016/1, p. 19, par. 15 (deBrum).
48 Par exemple, l’Inde, depuis 1982, a déposé chaque année sur le bureau de l’Assemblée
générale des Nations Unies un projet de résolution prévoyant la conclusion d’une convention
sur l’interdiction de l’utilisation des armes nucléaires et a constamment voté pour la
résolution de l’Assemblée relative à la suite donnée à l’avis consultatif de la Cour sur la
licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires ; contre‑mémoire de l’Inde (CMI),
p. 8, par. 11 et 12.
49 Voir, par exemple, ce que disent les Iles Marshall au sujet des résolutions de l’Assemblée
générale au paragraphe 8 de leur réponse à la question posée par le juge Cançado Trindade
à l’issue de l’audience tenue le 16 mars 2016, à 10 heures. Voir également, sur ce point,
CMI, par. 93, alinéas i) et ii).
50 Mémoire des Iles Marshall (MIM), p. 10, par. 19.
51 Le 26 septembre 2013, lors de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des
Nations Unies sur le désarmement nucléaire, le représentant des Iles Marshall a instamment
prié « toutes les puissances nucléaires à intensifier leurs efforts pour faire face à leurs
responsabilités à l’égard d’un désarmement effectif et sûr ». Lors de la deuxième conférence
sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, tenue à Nayarit, au Mexique, les
13 et 14 février 2014, à laquelle l’Inde était représentée, la délégation des Iles Marshall a
déclaré ce qui suit :
« [L]es Iles Marshall sont convaincues que des négociations multilatérales visant
à créer et à maintenir un monde dépourvu d’armes nucléaires auraient dû être engagées
depuis longtemps. Nous estimons en effet que les Etats possédant un arsenal
nucléaire ne respectent pas leurs obligations à cet égard. L’obligation d’oeuvrer au
désarmement nucléaire qui incombe à chaque Etat en vertu de l’article VI du traité
de non‑prolifération nucléaire et du droit international coutumier impose l’ouverture
immédiate de telles négociations et leur aboutissement. » (MIM, p. 19, par. 45.)
52 Requête des Iles Marshall (RIM), p. 25, par. 34. Plus spécialement, voir la section II C
de la requête. Les Iles Marshall ont également fait référence à la résolution 1172 du Conseil
de sécurité où celui-
ci demandait « à l’Inde et au Pakistan de mettre immédiatement fin à
511 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
260
59. India disputes that it is bound by a customary obligation, as argued
by the Marshall Islands, and that, in any case, its actions in respect of its
nuclear arsenal would breach any customary obligation 53.
60. The substantiation of the Marshall Islands’ allegations is an issue
for the merits. However, these claims, India’s conduct and India’s denial
are sufficient to effect a dispute between the two countries. The most
important part of the obligation in that regard is that States should pursue
negotiations in good faith.
VIII. Conclusion
61. The majority decision in this case represents a conspicuous aberration
and an unwelcome deviation from the Court’s long‑applied position
on this question. International law, like any other branch of law, is not
static and some of the greatest developments in history would not have
taken place but for the dynamism of law. But where current law can be
applied to serve the interests of the international community as a whole,
such a dramatic change is only warranted if there is a compelling consideration
in favour of doing so. Indeed such an approach is confirmed by
the Court’s own holding that :
“To the extent that the decisions contain findings of law, the Court
will treat them as it treats all previous decisions : that is to say that,
while those decisions are in no way binding on the Court, it will not
to refrain from weaponization or from the deployment of nuclear weapons, to cease development
of ballistic missiles capable of delivering nuclear weapons and any further production
of fissile material for nuclear weapons”. AMI, p. 32, para. 49.
The Marshall Islands also discusses India’s nuclear policy, that “[n]uclear weapons form
an integral part of our national security and will remain so, pending the global elimination
of all nuclear weapons on a universal, non‑discriminatory basis” (Conference on Disarmament,
CD/PV.1139, final record of the one thousand one hundred and thirty‑ninth plenary
meeting on 29 May 2009, p. 8, as cited in AMI, p. 11, para. 24.); and that, while India
would only use nuclear weapons in retaliation to a nuclear attack on Indian territory,
“retaliation to a first strike would be massive and designed to inflict unacceptable damage”
(The Cabinet Committee on Security Reviews Operationalization of India’s Nuclear
Doctrine, Indian Government Statement, New Delhi, 4 January 2003, cited in AMI, p. 11,
para. 25); further, that, in response to a major attack by biological or chemical weapons,
India retained the option of retaliating with nuclear weapons.
53 E.g., CMI, p. 4, para. 6: “the RMI[’s] position lacks any merit whatsoever”;
CR 2016/4, p. 26, paras. 38‑39 (Salve).
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 511
260
59. L’Inde, quant à elle, soutenait que, contrairement à ce que prétendaient
les Iles Marshall, elle n’était pas liée par une obligation de droit
international coutumier, et que, en tout état de cause, les mesures qu’elle
avait prises au sujet de son arsenal nucléaire n’étaient contraires à aucune
obligation de droit international coutumier 53.
60. L’appréciation des allégations des Iles Marshall relève certes du
fond. Cependant, ces allégations, leur rejet par l’Inde et le comportement
de cette dernière suffisent à montrer qu’un différend opposait les deux
Etats. L’élément essentiel de l’obligation en cause est qu’elle impose aux
Etats de poursuivre de bonne foi des négociations.
VIII. Conclusion
61. La décision prise en l’espèce par la majorité est une aberration
patente et s’écarte fâcheusement de la position à laquelle la Cour s’est
longtemps tenue pour établir l’existence d’un différend. Comme toute
autre branche du droit, le droit international n’est certes pas immuable, et
certains des grands changements du cours de l’histoire n’auraient pas été
possibles si le droit était statique. Cependant, lorsque l’application du
droit existant peut servir les intérêts de la communauté internationale
tout entière, s’en écarter radicalement ne saurait se justifier que si des
raisons impérieuses le commandent, comme la Cour l’a d’ailleurs
elle‑même confirmé :
« Pour autant que les décisions en question contiennent des conclusions
de droit, la Cour en tiendra compte, comme elle le fait habituellement
de sa jurisprudence ; autrement dit, quoique ces décisions ne
leurs programmes de développement d’armes nucléaires, de s’abstenir de fabriquer ou de
déployer des armes nucléaires, de cesser de développer des missiles balistiques pouvant
emporter des armes nucléaires et de cesser toute nouvelle production de matières fissiles
pour des armes nucléaires »; RIM, p. 33, par. 49.
Les Iles Marshall ont également mis en cause la politique nucléaire de l’Inde, citant
une déclaration de celle-
ci selon laquelle « [l]es armes nucléaires [étaient] partie intégrante
de [sa] sécurité nationale et le rester[aie]nt tant que les armes nucléaires n’aur[aie]nt pas
été globalement éliminées sur une base universelle et non discriminatoire » (conférence
du désarmement, CD/PV.1139, compte rendu définitif de la 1139e séance plénière du
29 mai 2009, p. 8, cité dans la requête, p. 7, par. 24 ; elles ont de plus cité (requête, p. 7‑8,
par. 25) une déclaration du Gouvernement indien selon laquelle les armes nucléaires ne
seraient employées qu’en représailles à une attaque nucléaire visant le territoire indien,
mais que « ces représailles à une première attaque ser[aie]nt massives et viser[aie]nt à
infliger des dommages inacceptables » (The Cabinet Committee on Security Reviews
Operationalization of India’s Nuclear Doctrine, New Delhi, 4 janvier 2003, cité dans
la requête, p. 7‑8, par. 25) ; les Iles Marshall ont en outre relevé que, selon la même
déclaration, l’Inde, en cas d’attaque massive au moyen d’armes biologiques, se réservait la
possibilité d’une riposte nucléaire.
53 Voir, par exemple, CMI, p. 4, par. 6 : la thèse des Iles Marshall « est totalement
dépourvue de fondement » ; CR 2016/4, p. 26, par. 38-39 (Salve).
512 nuclear arms and disarmament (diss. op. robinson)
261
depart from its settled jurisprudence unless it finds very particular
reasons to do so.” 54
62. The majority has advanced no such reasons. Its holding today has
placed an additional and unwarranted hurdle in the way of claims that
may proceed to be examined on the merits. In so doing, it has detracted
from the potential of the Court to play the role envisaged for it as a
standing body for the peaceful settlement of the disputes and through this
function, as an important contributor to the maintenance of international
peace and security. This conclusion is rendered even more telling by the
subject‑matter of the dispute before us today.
63. Seen in the light of the considerations set out in Sections I and II
of this opinion, one would be forgiven for concluding that, with this
Judgment, it is as though the Court has written the Foreword in a book
on its irrelevance to the role envisaged for it in the peaceful settlement of
disputes that implicate highly sensitive issues such as nuclear disarmament.
(Signed) Patrick Robinson.
54 Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(Croatia v. Serbia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2008, p. 428,
para. 53.
armes nucléaires et désarmement (op. diss. robinson) 512
261
s’imposent pas à la Cour, celle‑ci ne s’écartera pas de sa jurisprudence
établie, sauf si elle estime avoir pour cela des raisons très particulières.
» 54
62. La majorité n’a nullement avancé de telles raisons. La position
adoptée aujourd’hui par la Cour crée sans nécessité une entrave supplémentaire
à l’examen au fond des demandes portées devant elle. La Cour
a ainsi restreint le rôle qu’elle peut jouer en tant qu’organe permanent
ayant pour mission de régler pacifiquement des différends et, partant,
d’apporter une importante contribution au maintien de la paix et de la
sécurité internationales. L’objet de l’affaire dont la Cour s’est aujourd’hui
dessaisie ne peut que mettre en relief la justesse de cette constatation.
63. A la lumière des considérations exposées aux sections I et II de la
présente opinion, on ne peut s’empêcher de penser que, en rendant le présent
arrêt, la Cour vient d’écrire l’avant‑propos d’un ouvrage annonçant
qu’elle n’est plus à la hauteur du rôle qui lui a été assigné dans le règlement
pacifique des différends lorsque sont en jeu des questions cruciales
et difficiles telles que le désarmement nucléaire.
(Signé) Patrick Robinson.
54 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 428, par. 53.

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Opinion dissidente de M. le juge Robinson

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