Opinion individuelle de M. le juge Tomka

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158-20161005-JUD-01-04-EN
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O PINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE T OMKA

[Traduction]

Compétence de la Cour au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut  Existence d’un
différend  Négociations ou notification préalables n’étant pas requises pour saisir la
Cour  Existence d’un différend étant une condition à l’exercice de la compétence  Différend

devant exister en principe à la date du dépôt de la requête  Cour ayant appliqué cette condition
avec souplesse et tenu compte des événements ultérieurs  Présente instance ayant clairement
révélé qu’un différend existait entre les Iles Marshall et l’Inde  Fait que la Cour aurait dû
examiner les autres arguments avancés pour contester sa compétence.

Recevabilité  Allégation selon laquelle le droit international coutumier impose des
obligations relatives au désarmement nucléaire  Nature de ces obligations

alléguées  Désarmement exigeant la coopération de tous les Etats, notamment les puissances
nucléaires  Cour ne pouvant apprécier la position d’un Etat doté d’armes nucléaires sans
prendre en considération celles des autres puissances nucléaires  Absence à l’instance des
autres puissances nucléaires ayant empêché la Cour d’examiner les demandes des Iles Marshall

dans le contexte multilatéral qui les caractérisait  Requête étant irrecevable.

1. Pour la première fois depuis près d’un siècle qu’elle règle les différends entre Etats dans
l’enceinte du Palais de la Paix, la Cour «mondiale» (la Cour permanente de Justice internationale,

puis la Cour internationale de Justice) a écarté une affaire au motif qu’il n’existait, a1ant le dépôt
de la requête introductive d’instance, aucun différend entre le demandeur et le défendeur ; elle n’a
pas semblé s’intéresser à la question de savoir si pareil différend existe aujourd’hui.

2. Je ne suis pas convaincu par l’approche suivie dans l’arrêt, et ce, en dépit des nombreux
renvois à la jurisprudence de la Cour qui y sont contenus. Selon moi, d’autres décisions rendues
par celle-ci, ainsi que par sa devancière, ne vont pas dans le même sens, et je regrette donc de ne
pouvoir souscrire à la conclusion de la Cour fondée sur l’absence de différend.

3. Est-il vraiment exact qu’il n’existait, en avril 2014, aucun différend entre les Iles Marshall
et l’Inde concernant l’exécution par cette dernière des obligations relatives au désarmement
nucléaire qui, selon le demandeur, lui incombent au titre du droit international coutumier ? Est-il
vraiment exact qu’il n’existe aucun différend entre les Parties aujourd’hui ? Celles-ci ont-elles des

positions concordantes sur la question de l’exécution par l’Inde des obligations alléguées ?

4. Dans leur requête, les Iles Marshall soutenaient notamment que

1 Ne sont pas ici prises en compte les demandes en interprétation au sens de l’article 60 du Statut, qui mentionne
également, dans sa version anglaise, le terme «dispute» (le texte français se référant à une «contestation») (voir
notamment Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (Colombie/Pérou),
arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 403). En l’absence de désaccord entre les parties sur le sens et la portée de l’arrêt, il n’y a
rien à interpréter (voir Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants
mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 17,
par. 45). Les demandes en interprétation ne peuvent servir à rechercher une décision de la Cour sur des questions dont
elle n’a pas été saisie dans l’instance initiale (voir notamment Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en
l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), arrêt, C.I.J. Recueil 2013,
p. 303-304, par. 56). - 2 -

«[l]’Inde, au lieu de s’acquitter de l’obligation que lui impose le droit international

coutumier de poursuivre de bonne foi des négociations pour mettre fin à la course aux
armements nucléaires à une date rapprochée, cherch[ait] à améliorer et à accroître ses
forces nucléaires et à les conserver pour une durée illimitée.

De même, l’Inde a manqué de s’acquitter de l’obligation que lui impose le droit
international coutumier de poursuivre de bonne foi des négociations conduisant à un

désarmement nucléaire dans tous ses aspects effectué sous un contrôle international
strict et efficace, et ce, en particulier, en adoptant une ligne de conduite qui, en visant
à accroître et à améliorer ses forces nucléaires, est contraire à l’objectif du
désarmement nucléaire.»

Les Iles Marshall priaient la Cour, sur le fondement de ces allégations, de rendre un

jugement déclaratoire indiquant que, par un certain nombre d’actes et d’omissions, «l’Inde a[vait]
manqué et continu[ait] de manquer aux obligations internat2onales qui lui incombent au regard du
droit international coutumier» (les italiques sont de moi) . Elles demandaient également à la Cour

«d’ordonner à l’Inde de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer,
dans un délai d’un an à compter du prononcé de l’arrêt, aux obligations que lui impose

le droit international coutumier en ce qui concerne la cessation de la course aux
armements nucléaires à une date rapprochée et le désarmement nucléaire, parmi
lesquelles celle de mener des négociations de bonne foi, si nécessaire en engageant
celles-ci, en vue de conclure une convention relative à un désarmement nucléaire dans
tous ses aspects effectué sous un contrôle international strict et efficace».

5. Le point de savoir s’il existe des obligations de droit international coutumier au sens où le
demandeur les entend, et qui incombent donc notamment à l’Inde, relève de l’examen au fond. Ce
nonobstant, le défendeur contestait les allégations des Iles Marshall en la présente espèce. Dans
son contre-mémoire, il avait ainsi «sout[enu] que la thèse de la République des Iles Marshall [était]
totalement dépourvue de fondement».

I. COMPÉTENCE

6. Pour l’essentiel, l’Inde avait avancé quatre arguments pour contester la compétence de la
Cour et la recevabilité de la requête. Le premier consistait à affirmer qu’«il n’exist[ait] aucun
différend entre les Parties».

7. La Cour a conclu qu’elle «n’a[vait] pas compétence en la présente espèce au titre du
paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut» (paragraphe 54 de l’arrêt).

8. Il y a lieu de rappeler que les Iles Marshall invoquaient, comme base de compétence, les
déclarations faites par les Parties en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, celle des

Iles Marshall ayant été déposée le 24 avril 2013, et celle de l’Inde, le 18 septembre 1974.

9. Lorsqu’elle se penche sur des questions de compétence, la Cour doit faire preuve de
prudence avant de s’appuyer sur des conclusions qu’elle a pu formuler par le passé, notamment
dans le contexte de déclarations d’acceptation de sa juridiction ou de clauses compromissoires

figurant dans des traités, qui peuvent, les unes et les autres, établir certaines conditions préalables à

2Pour le texte intégral des demandes, voir le paragraphe 11 du présent arrêt. - 3 -

sa saisine. La jurisprudence de la Cour doit donc être examinée à la lumière des dispositions
particulières qui fondaient sa compétence dans chaque affaire.

10. Dans le présent arrêt (voir paragraphe 35), la Cour rappelle la position qu’elle a déjà
exprimée, selon laquelle, lorsqu’«[e]lle a été saisie sur la base de déclarations … qui ne contiennent
aucune condition relative à des négociations préalables à mener dans un délai raisonnable»
(Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 322, par. 109), la tenue de pareilles négociations
préalables au dépôt de la requête n’est pas requise. La Cour avait précisé, dans cette même

décision, que l’Etat n’était pas «tenu d’informer l’[autre] de son intention de [la] saisir» (ibid.,
p. 297, par. 39).

11. L’Inde a estimé que «la première condition mise à l’exercice de [la] compétence [de la
Cour] est qu’il existe un différend entre les parties».

12. Bien que la Cour ait maintes fois déclaré que l’existence d’un différend était une
condition pour qu’elle ait compétence, il est, selon moi, plus exact de considérer  avec l’Inde 
qu’il s’agit en réalité d’une condition à l’exercice de cette compétence. La compétence de la Cour
est fondée sur le consentement des Etats. Lorsqu’ils font une déclaration en vertu du paragraphe 2
de l’article 36 du Statut, ceux-ci «reconna[issent] comme obligatoire de plein droit et sans
convention spéciale, à l’égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la
Cour sur tous les différends d’ordre juridique ayant pour objet [les questions visées aux alinéas a)

à d) de ce paragraphe]». La compétence de la Cour à l’égard d’un Etat ayant fait pareille
déclaration est donc établie à compter du moment où ladite déclaration est déposée auprès du
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, et demeure en vigueur jusqu’à son retrait
ou, si elle a été faite pour une durée déterminée, son expiration. La Cour a ainsi confirmé que,

«par le dépôt de sa déclaration d’acceptation [de la juridiction de la Cour au titre du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut] entre les mains du Secrétaire général, l’Etat

acceptant dev[enait] partie au système de la disposition facultative à l’égard de tous
autres Etats déclarants, avec tous les droits et obligations qui découlent de l’article 36.
Le rapport contractuel entre les Parties et la juridiction obligatoire de la Cour qui en
découle sont établis «de plein droit et sans convention spéciale» du fait du dépôt de la
déclaration.» (Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 146 ; les italiques sont de moi.)

La Cour a également précisé que c’est à la date à laquelle est déposée la déclaration du second Etat

que «le lien consensuel qui constitue la base de la disposition facultative prend naissance entre les
Etats intéressés» (ibid.).

13. La compétence de la Cour ne se trouve donc pas établie ou parachevée par la naissance
d’un différend, laquelle est une condition nécessaire à son exercice, dans l’hypothèse où un Etat
ayant accepté la juridiction de la Cour décide d’introduire une instance devant elle contre un autre
Etat lui aussi auteur d’une déclaration en vigueur. La disparition d’un différend en cours de

procédure  parce que les parties sont parvenues à un arrangement ou en raison de
développements nouveaux  ne prive pas la Cour de sa compétence, mais celle-ci n’a plus, en
pareil cas, à se prononcer au fond, aucune question ne restant à trancher. Elle se contente alors de
prendre acte, par voie d’ordonnance, de l’arrangement intervenu en demandant au greffier «que
l’affaire soit rayée du rôle» (voir notamment Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark),
ordonnance du 10 septembre 1992, C.I.J. Recueil 1992, p. 348-349), ou de conclure que la

demande «est désormais sans objet et qu’il n’y a dès lors pas lieu à statuer» (voir notamment Essais - 4 -

nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 272, par. 62 ; Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 478, par. 65).

14. La Cour a pour mission «de régler conformément au droit international les différends qui
lui sont soumis» (paragraphe 1 de l’article 38 du Statut), mission dont elle s’acquitte en sa qualité
d’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, apportant ainsi sa contribution
aux buts de l’Organisation, et notamment à celui de «réaliser, par des moyens pacifiques,
conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de
différends … de caractère international» (paragraphe 1 de l’article 1 de la Charte des

Nations Unies). Elle ne peut effectivement le faire que si le différend entre les parties existe
toujours au moment où elle est appelée à se prononcer au fond, et à condition qu’elle ait
compétence et que la requête soit recevable. Toutefois, et même si la formulation du paragraphe 1
de l’article 38 implique que le différend existe déjà lorsque l’instance est introduite devant la Cour,
le membre de phrase relatif à la mission de celle-ci, qui a été ajouté au texte dudit article à la
conférence de San Francisco, ne visait pas à énoncer une condition à sa compétence. L’article 38 a
en effet pour objet de définir le droit que la Cour est tenue d’appliquer, les dispositions concernant

plus particulièrement sa compétence étant  outre les articles 34 et 35  les articles 36 et 37. Ce
qui est indiqué au paragraphe 39 du présent arrêt doit donc être considéré comme une simple
observation de la Cour, et non comme un élément déterminant aux fins d’établir sa compétence.

15. Ainsi que la Cour l’a souligné à plusieurs reprises, «[e]n principe, le différend doit
exister au moment où la requête [lui] est soumise» (Questions concernant l’obligation de

poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 442, par. 46,
citant Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30 ; les italiques sont de moi) ; voir également Violations
alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 52 ; Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions

préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 438, par. 80 et p. 437-438, par. 79, citant Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 613, par. 26).

16. Bien qu’ayant rappelé cette règle générale (voir le paragraphe 39 du présent arrêt), la
Cour a choisi d’adopter un critère très strict, estimant que le différend devait avoir existé avant le
dépôt de la requête par les Iles Marshall.

17. Dans certaines circonstances, le différend doit effectivement exister à la date à laquelle la
requête est déposée. Tel était par exemple le cas dans la récente affaire relative aux Violations
alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), puisque la dénonciation du pacte de Bogotá par la Colombie avait pris effet presque
immédiatement après le dépôt de la requête (voir exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016,
par. 17, 24, 34 et 48). L’acceptation par la Colombie de la juridiction de la Cour au titre du pacte

ayant expiré dès la prise d’effet de ladite dénonciation, le Nicaragua ne pouvait plus, après cela,
introduire une instance contre cet Etat, et la Cour a donc recherché si un différend s’était fait jour
antérieurement (ibid., par. 52 et suivants). De la même manière, en l’affaire Géorgie c. Fédération
de Russie, la Cour a été amenée à examiner une clause compromissoire particulière contenue dans
la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui
exigeait qu’il existât un «différend … touchant l’interprétation ou l’application de la … Convention
qui n’aura[it] pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément

prévues par ladite Convention…» (art. 22, cité dans Application de la convention internationale - 5 -

sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 81, par. 20 ; les italiques sont de moi). Il

devait donc exister un différend qui n’eût «pas été réglé par voie de négociation», exigence dont la
Cour a estimé qu’elle faisait partie des «conditions préalables auxquelles il d[evait] être satisfait
avant toute saisine de la Cour» (ibid., p. 128, par. 141). Lorsqu’une clause compromissoire
impose, parmi les «conditions préalables» à la saisine de la Cour, que des négociations soient
menées avant le dépôt de la requête, le différend doit logiquement s’être fait jour avant
l’introduction de l’instance. De surcroît, le différend et les négociations ainsi prescrites doivent
porter sur l’objet de la convention dans laquelle figure ladite clause compromissoire  soit, dans le

cas de l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie, celle relative à la discrimination raciale ,
condition à laquelle il ne saurait être satisfait par n’importe quel type de discussions politiques
bilatérales. L’arrêt Géorgie c. Fédération de Russie doit donc être analysé à la lumière de ce qui
précède, et je ne partage pas l’idée selon laquelle cette décision aurait marqué l’apparition, dans la
jurisprudence de la Cour, d’une approche plus formaliste quant à la question de l’existence d’un
différend.

18. Lorsqu’aucune circonstance ne requérait qu’un différend ait existé entre les parties à une
date particulière, la Cour a en revanche fait preuve de souplesse à cet égard en ne limitant pas son
examen à la période antérieure au dépôt de la requête.

19. En l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), la Cour, amenée à «vérifier s’il

exist[ait] entre les Parties un différend entrant dans les prévisions de [l’article IX de la
convention]» (C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 614, par. 27), a ainsi relevé ce qui suit :

«[s]i la Yougoslavie s’est abstenue de déposer un contre-mémoire au fond et a soulevé
des exceptions préliminaires, elle n’en a pas moins globalement rejeté toutes les
allégations de la Bosnie-Herzégovine, que ce soit au stade des procédures afférentes
aux demandes en indication de mesures conservatoires, ou au stade de la présente

procédure relative auxdites exceptions» (ibid., par. 28, les italiques sont de moi).

Il était manifeste que, lorsque la requête avait été déposée le 20 mars 1993, un très grave conflit
militaire faisait déjà rage depuis un an en Bosnie-Herzégovine, la guerre ayant éclaté sur son
territoire peu de temps après sa déclaration d’indépendance le 6 mars 1992. La Cour n’a cependant
pas recherché si le demandeur avait formulé quelque allégation ou prétention fondée sur un
manquement aux obligations découlant de la convention avant l’introduction de l’instance. Elle
s’est contentée de relever que «les demandes présentées à titre principal par la Bosnie-Herzégovine

tend[aient] à ce qu[’elle] dise et juge que la Yougoslavie a[vait] violé de diverses façons la
convention sur le génocide» (ibid.), avant de constater, dans le passage précité, que le défendeur
avait rejeté ces allégations au cours de la procédure, sans faire aucune mention d’un rejet antérieur
à sa saisine par le demandeur.

20. Par ailleurs, s’agissant de la date à laquelle il doit être satisfait aux conditions de sa
compétence, la Cour mondiale a, depuis ses premières années d’existence, toujours fait preuve

d’une relative souplesse, s’abstenant de tout formalisme excessif (sur ce point, voir Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 438, par. 81).

21. Dans une affaire tranchée en 1925, le défendeur avait notamment allégué que «[l]a Cour
n[’était] pas compétente parce qu’une divergence de vues au sujet de l’interprétation et de
l’application de la convention de Genève n’[avait] pas été constatée avant l’introduction de la - 6 -

o
requête» (Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, C.P.J.I. série A, n 6, p. 13, les
italiques sont de moi). La Cour permanente a toutefois relevé que la clause compromissoire «ne
pos[ait] pas la condition de négociations diplomatiques qui devraient être tentées en première
ligne», et que, en vertu de cette clause, «[elle] p[ouvait] être saisie … aussitôt que l’une des parties
estim[ait] qu’il y a[vait] divergence d’opinion résultant de l’interprétation et de l’application de

[certaines dispositions de la convention]» (ibid., p. 14). Rejetant l’exception qui lui était soumise,
la Cour a fait un prononcé qui, selon moi, est clairement pertinent aux fins de la présente espèce. Il
se lit comme suit :

«Or, une divergence d’opinion se manifeste dès qu’un des gouvernements en

cause constate que l’attitude observée par l’autre est contraire à la manière de voir du
premier. Même si la nécessité d’une contestation formelle ressortait de [la clause
compromissoire], cette condition pourrait être à tout moment remplie par un acte
unilatéral de la Partie demanderesse. La Cour ne pourrait s’arrêter à un défaut de
forme qu’il dépendrait de la seule Partie intéressée de faire disparaître.» (Ibid.,
3
p. 14.)

22. Ce dictum trouvait son origine dans le principe que la Cour permanente avait énoncé un
an auparavant, en 1924, en l’affaire des Concessions Mavromatis en Palestine (voir Application de

la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 613, par. 26).
Examinant un argument suivant lequel la requête introductive d’instance n’était pas valide au motif
«qu’elle [était] antérieure à l’époque où le [protocole invoqué] [était] devenu applicable», la Cour
permanente avait souligné ceci :

«Même si la base de l’introduction d’instance était défectueuse pour la raison
mentionnée, ce ne serait pas une raison suffisante pour débouter le demandeur de sa
requête. La Cour, exerçant une juridiction internationale, n’est pas tenue d’attacher à
des considérations de forme la même importance qu’elles pourraient avoir dans le
droit interne. Dans ces conditions, même si l’introduction avait été prématurée, parce

que le Traité de Lausanne n’était pas encore ratifié, ce fait aurait été couvert par le
dépôt ultérieur des ratifications requises.» (Concessions Mavromatis en Palestine,
C.P.J.I. série A, n 2, p. 34.)

23. La Cour internationale de Justice a appliqué ce principe dans l’arrêt qu’elle a rendu au
stade des exceptions préliminaires en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie)
(C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 613-614, par. 26), relevant (ibid.) qu’elle en avait fait de même dans
son arrêt sur les exceptions préliminaires en l’affaire du Cameroun septentrional (Cameroun

c. Royaume-Uni) (C.I.J. Recueil 1963, p. 28), ainsi que dans son arrêt sur la compétence et la
recevabilité en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429, par. 83). Dans le premier
arrêt susmentionné, la Cour a ainsi rappelé que, «comme sa devancière, la Cour permanente de
Justice internationale, [elle] a[vait] toujours eu recours au principe selon lequel elle ne d[evait] pas

sanctionner un défaut qui affecterait un acte de procédure et auquel la partie requérante pourrait
aisément porter remède» (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 613,
par. 26 ; les italiques sont de moi).

3Cet énoncé a d’autant plus de force qu’il reflétait, semble-t-il, un consensus de l’ensemble des membres élus de
la Cour ; seul un «juge national», ainsi qu’étaient alors désignés les juges ad hoc, choisi par le défendeur, s’y était
opposé. - 7 -

24. Plus récemment, la Cour a invoqué ce même principe en 2008, dans l’arrêt qu’elle a
rendu au stade des exceptions préliminaires en l’affaire relative à l’Application de la convention

pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie) (C.I.J. Recueil 2008,
p. 412). Après avoir «soulign[é] qu’un Etat qui décide de saisir la Cour [devait] vérifier avec
attention que toutes les conditions nécessaires à la compétence de celle-ci sont remplies à la date à
laquelle l’instance est introduite» (ibid., p. 438, par. 80), elle a néanmoins relevé qu’elle «a[vait]
aussi fait preuve de réalisme et de souplesse dans certaines hypothèses où les conditions de [s]a
compétence … n’étaient pas toutes remplies à la date de l’introduction de l’instance mais l’avaient
été postérieurement» (ibid., p. 438, par. 81). Se référant (ibid., p. 439, par. 82) au principe précité

qui avait été énoncé en l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine  selon lequel la
Cour «n’est pas tenue d’attacher à des considérations de forme la même importance qu’elles
pourraient avoir dans le droit interne» , elle a conclu que

«ce qui import[ait], c’[était] que, au plus tard à la date à laquelle la Cour statu[ait] sur
sa compétence, le demandeur [fût] en droit, s’il le souhait[ait], d’introduire une

nouvelle instance dans le cadre de laquelle la condition qui faisait initialement défaut
serait remplie. En pareil cas, cela ne servirait pas l’intérêt d’une bonne administration
de la justice d’obliger le demandeur à recommencer la procédure  ou à en
commencer une nouvelle  et il est préférable, sauf circonstances spéciales, de
constater que la condition est désormais remplie.» (Ibid., p. 441, par. 85.)

Pour expliquer la logique sous-tendant ce principe, la Cour a précisé que

«c’[était] le souci d’économie de procédure, qui est une composante des exigences de
bonne administration de la justice, qui justifi[ait], dans les cas appropriés, l’application
de la jurisprudence issue de l’arrêt Mavrommatis. Cette jurisprudence vise à éviter la
multiplication inutile des procédures.» (Ibid., p. 443, par. 89.)

25. Si l’on considère que l’existence d’un différend est une condition nécessaire à la

compétence de Cour (ou plutôt, selon moi, à l’exercice de cette compétence, ainsi que je l’ai
précisé au paragraphe 12 ci-dessus), aucune raison impérieuse ne fait obstacle à ce que le principe
en question soit appliqué à cette condition. Telle est, comme je l’ai déjà exposé, la position qui fut
adoptée en l’affaire relative à Certains intérêts allemands, à laquelle la Cour s’est référée dans une
affaire plus récente, celle qui a opposé la Croatie à la Serbie (voir ibid., p. 439, par. 82), soulignant,
de fait, que «peu import[ait] la condition qui, à la date d’introduction de l’instance, faisait défaut,
empêchant ainsi la Cour, à ce moment-là, d’exercer sa compétence, dès lors qu’elle a[vait] été

remplie par la suite» (ibid., p. 442, par. 87).

26. A mon sens, la jurisprudence de la Cour relative aux conditions auxquelles il doit être
satisfait pour que celle-ci ait compétence appelle donc une approche raisonnable, sans formalisme
excessif, qui lui permette d’exercer sa mission consistant à régler les différends que lui soumettent
les Etats. Je ne puis souscrire à l’idée selon laquelle, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire
relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal)

(C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 422), la Cour s’en serait écartée. Dans cette affaire, il était reproché au
Sénégal de n’avoir pas traduit M. Hissène Habré en justice pour qu’il réponde de certains actes
commis alors qu’il était président du Tchad. Dans les échanges diplomatiques antérieurs à
l’introduction de l’instance devant la Cour, la Belgique avait toujours invoqué des obligations
découlant de la convention contre la torture (ibid., p. 444-445, par. 54). Ce n’est que dans la
requête qu’avaient été formulées des allégations de crimes contre l’humanité au titre du droit
international coutumier. Dans son arrêt, la Cour a conclu qu’il existait un différend concernant

«l’interprétation et l’application de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 7, paragraphe 1, de la
convention» (ibid., p. 444, par. 52), mais que ce différend «n’était pas relatif à des manquements à
des obligations relevant du droit international coutumier» (ibid., p. 445, par. 55). Elle savait - 8 -

qu’elle avait ainsi compétence au titre de la clause compromissoire figurant au paragraphe 1 de
l’article 30 de la convention contre la torture pour connaître de l’instance introduite devant elle et

pouvait, en conséquence, régler le différend. Il était évident que la Belgique n’envisagerait pas de
la saisir à nouveau au sujet d’obligations découlant du droit international coutumier ; de fait, le
demandeur s’est félicité de l’arrêt et a fait partie des Etats qui ont, aux côtés de l’Union africaine et
de l’Union Européenne, apporté leur concours  notamment financier  pour aider le Sénégal à
s’y conformer. Déployant de louables efforts à cet effet, ce dernier a inculpé M. Habré, qui, par
une décision rendue le 30 mai 2016, a été notamment reconnu coupable de torture et condamné à
une peine d’emprisonnement à perpétuité. Plus d’un quart de siècle après les faits, les victimes ont

ainsi enfin obtenu que justice leur soit rendue. Au vu de ce qui précède, l’arrêt de la Cour en
l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique
c. Sénégal) se caractérise donc par sa sagesse, et non par un formalisme excessif. La Cour a
assurément fait preuve de prudence en n’excluant aucune évolution future en ce qui concerne les
obligations de droit international coutumier susceptibles de prescrire aux Etats de poursuivre les
auteurs présumés de crimes contre l’humanité.

27. Il est vrai que, pendant un certain temps, les Iles Marshall ne se sont pas montrées
particulièrement actives, dans les enceintes multilatérales, sur la question du désarmement
nucléaire, notamment — pour des raisons qu’il n’y a pas lieu d’expliciter — par les votes qu’elles
ont exprimés à cet égard au sein de l’Organisation des Nations Unies jusqu’en 2012. Il ressort
toutefois du dossier de l’affaire qu’elles ont, au moins depuis 2013, revu leur position et manifesté
leur mécontentement quant à l’exécution  ou plutôt l’inexécution  de certaines obligations

relatives au désarmement nucléaire qui, selon elles, incombent aux puissances nucléaires, dont
l’Inde, notamment au titre du droit international coutumier. Ainsi, au mois de septembre 2013, leur
ministre des affaires étrangères a, en des termes diplomatiques, «appel[é] instamment toutes les
puissances nucléaires [à] intensifier leurs efforts pour assumer leurs responsabilités en vue d’un
désarmement effectif réalisé en toute sécurité» (voir le paragraphe 46 du présent arrêt ; les italiques
sont de moi). Quoique je ne conteste pas l’analyse qu’en fait la Cour, cette déclaration indique
bien un changement dans la position des Iles Marshall.

28. En février 2014, tout en réitérant l’appel qu’elles avait lancé à la tribune de
l’Organisation des Nations Unies à l’intention de toutes les puissances nucléaires, les Iles Marshall
ont affirmé, de manière plus directe, que «les Etats possédant un arsenal nucléaire ne respect[aient]
pas leurs obligations» quant aux «négociations multilatérales visant à créer et à maintenir un monde
dépourvu d’armes nucléaires [qui] auraient dû être engagées depuis longtemps» (paragraphe 26 du
présent arrêt). Cette accusation visait toutes les puissances nucléaires, sans exception, comme l’a

ensuite confirmé le dépôt, par les Iles Marshall, le 24 avril 2014, de neuf requêtes contre les neuf
Etats possédant ou supposés posséder pareilles armes. L’Inde participait à cette conférence, qui
s’est tenue à Nayarit, et l’allégation des Iles Marshall visait incontestablement toutes les puissances
nucléaires, dont le défendeur.

29. A mon sens, un Etat n’est pas tenu, en droit international, d’informer un autre Etat de son
intention d’introduire contre lui une instance devant la Cour, et peut formuler ses griefs dans la

requête, s’il estime qu’un différend l’oppose à cet autre Etat ou que celui-ci manque à des
obligations internationales qui lui sont dues. Dans le système actuel de la clause facultative,
imposer pareille obligation de notification préalable risquerait de priver la Cour de sa compétence
avant qu’une requête lui soit soumise. Les déclarations faites en vertu du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut sont souvent assorties d’une possibilité de retrait ou de modification avec effet
immédiat par simple notification au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, et l’on
sait bien que certains Etats ont, y compris tout récemment, modifié leur déclaration pour empêcher

tout autre Etat de saisir la Cour d’un différend particulier ou d’une catégorie particulière de
différends. - 9 -

30. La présente instance a clairement révélé qu’un différend existait entre les Parties
concernant l’exécution, par l’Inde, de certaines obligations relatives au désarmement nucléaire qui,

selon les Iles Marshall, lui incombent au titre du droit international coutumier. Je suis donc d’avis
que la conclusion selon laquelle la Cour n’avait pas compétence au motif qu’il n’existait pas de
différend n’était pas justifiée. Pour se déclarer compétente, la Cour aurait toutefois eu à examiner
les autres exceptions d’incompétence soulevées par l’Inde. Compte tenu de la conclusion à
laquelle elle était parvenue, elle n’a pas jugé nécessaire de le faire.

II. RECEVABILITÉ

31. A supposer que tous les arguments avancés par l’Inde pour contester la compétence de la
Cour aient été rejetés, celle-ci aurait procédé à l’examen de l’affaire au fond, à condition que la
requête et les demandes qui y étaient formulées soient recevables. Or, je suis d’avis que, dans le
système peu satisfaisant qui régit aujourd’hui la compétence de la Cour, la requête des Iles
Marshall était irrecevable, et ce, en raison de la nature des obligations de droit international
coutumier qui, selon le demandeur, existent dans le domaine du désarmement nucléaire.

32. Si, dans la présente affaire, les Iles Marshall n’invoquaient pas les dispositions du traité
de 1968 sur la non-prolifération des armes nucléaires (ci-après, le «TNP»), puisque l’Inde n’y est
pas partie, les obligations qui, selon le demandeur, découlent du droit international coutumier vont
dans le même sens que l’article VI de cet instrument.

33. L’article VI du TNP se lit comme suit :

«Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des
négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux
armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un
traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et
efficace.»

34. Lorsqu’elle a analysé cette disposition dans son avis consultatif, la Cour a formulé ses
vues comme suit :

«La portée juridique de l’obligation considérée dépasse celle d’une simple
obligation de comportement ; l’obligation en cause ici est celle de parvenir à un
résultat précis — le désarmement nucléaire dans tous ses aspects — par l’adoption
d’un comportement déterminé, à savoir la poursuite de bonne foi de négociations en la
matière.» (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif,

C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 264, par. 99.)

La Cour a estimé qu’était en jeu une «double obligation»  celle «de négocier et de conclure»
(ibid., par. 100) , soulignant que «toute recherche réaliste d’un désarmement général et complet,
en particulier nucléaire, nécessit[ait] la coopération de tous les Etats» (ibid.).

35. De fait, les «traités portant sur le désarmement ou interdisant l’emploi d’armes
particulières» ont été considérés comme des exemples de traités «dont l’objectif ne peut être réalisé - 10 -

que par l’exécution, par toutes les parties et de manière interdépendante, des obligations qui y sont
énoncées» . A cet égard, un éminent auteur, devenu juge international, a relevé ce qui suit :

«Il est évident … dans le cadre d’un traité sur le désarmement, que chacun des
Etats parties ne réduit sa puissance militaire que parce que les autres le font
également, et qu’il le fait dans la même proportion. Toute inexécution ou violation

grave du traité par l’une des parties menacerait l’équilibre militaire souvent fragile
établi par cet instrument.» 5

Autrement dit, l’exécution d’une 6bligation par un Etat dépend de l’exécution de cette même
obligation par les autres Etats . Si l’existence d’obligations coutumières telles qu’alléguées par les
Iles Marshall devait être établie, ces considérations n’en seraient que plus généralement valables.
Dans le domaine du désarmement nucléaire, il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’un Etat

prenne des mesures unilatérales. Le droit international ne l’impose d’ailleurs pas. S’agissant des
obligations conventionnelles énoncées dans le TNP, il prescrit simplement d’atteindre l’objectif du
désarmement par des négociations de bonne foi et la coopération de tous les Etats. Si elles étaient
établies, les obligations coutumières en la matière iraient très probablement dans le même sens.

36. L’objectif supérieur et primordial consistant à débarrasser le monde des armes

nucléaires, qui emporte l’adhésion de la très grande majorité des nations  si ce n’est de toutes ,
ne pourra être réalistement atteint qu’en trouvant un équilibre entre les intérêts en matière de
sécurité des Etats concernés, notamment l’ensemble des puissances nucléaires et les autres Etats
dotés de capacités militaires importantes.

37. Sans doute conscientes de cette réalité, les Iles Marshall avaient déposé des requêtes
contre toutes les puissances nucléaires en alléguant que celles-ci manquaient aux obligations qui

leur incombent au titre du TNP ou du droit international coutumier. Six d’entre elles ne sont pas
parties à des instances devant la Cour, n’ayant pas, ainsi que les y invitaient les Iles Marshall,
accepté sa compétence en vertu du paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement.

38. Pour rechercher si un Etat possédant des armes nucléaires s’acquitte de ses obligations en
matière de désarmement, y compris toute obligation de négocier de bonne foi, il y a lieu de prendre
en considération l’attitude des autres puissances nucléaires à l’égard des mêmes obligations qui

leur incombent ou sont susceptibles de leur incomber. Ce n’est qu’à la lumière des positions
adoptées par d’autres Etats et de l’influence que celles-ci exercent nécessairement que la Cour peut
sérieusement apprécier le comportement d’un Etat particulier et déterminer si celui-ci est disposé,

en poursuivant des négociations de bonne foi, à œuvrer en vue de l’objectif du désarmement
nucléaire. Cela ne revient pas à dire que la détermination de la responsabilité du défendeur

4
Bruno Simma et Christian J. Tams, «1969 Vienna Convention, Article 60: Termination or Suspension of the
operation of a treaty as a consequence of its breach», dans Olivier Corten et Pierre Klein (dir. publ.), The Vienna
Convention on the Law of Treaties : A Commentary, vol. II, Oxford University Press, 2011, p. 1365. Voir également
Annuaire de la Commission du droit international (2001), vol. II, deuxième partie, p. 127, par. 13 du commentaire de
l’article 42, ou James Crawford, The International Law Commission’s Articles on State Responsibility : Introduction,
Text and Commentaries, Cambridge University Press, 2002, p. 259.
5
Linos-Alexander Sicilianos, «The Classification of Obligations and the Moltilateral Dimension of the Relations
of International Responsibility» (2002), Journal européen de droit international, vol. 13, n 5, p. 1134.
6Les commentaires des articles sur la responsabilité des Etats comprennent une description fort juste de la nature
de cette obligation, «dont l’exécution par chacune des parties dépend effectivement de son exécution par chacune des
autres parties, et exige cette exécution», Annuaire de la Commission du droit international (2001), vol. II, deuxième

partie, p. 127, par. 13 du commentaire de l’article 42 ; voir également James Crawford, The International Law
Commission’s Articles on State Responsibility : Introduction, Text and Commentaries, Cambridge University Press,
2002, p. 259. - 11 -

suppose de déterminer préalablement celle d’Etats tiers  auquel cas le principe de l’Or monétaire

s’appliquerait , la question étant plutôt, dans ce contexte, de savoir si la Cour peut examiner le
comportement d’un Etat donné sans considérer et comprendre les positions adoptées par les Etats
tiers avec lesquels ce dernier (le défendeur, dans la présente affaire) aurait dû négocier, et avec
lesquels il devrait convenir des mesures à mettre en œuvre par l’ensemble des parties concernées en
vue d’atteindre l’objectif général du désarmement nucléaire.

39. Les questions soulevées en la présente espèce n’étaient pas de nature bilatérale. Je suis

convaincu que la Cour ne pouvait se livrer à un examen sérieux du comportement de l’Inde dès lors
que d’autres Etats  dont le comportement aurait été, lui aussi, nécessairement en cause 
n’étaient pas présents devant elle pour expliquer leurs positions et leurs actes.

40. La présente affaire illustre les limites de la mission de la Cour, qui est issue de l’arbitrage
international, traditionnellement axé sur les différends bilatéraux. Le Statut de la Cour est

expressément fondé sur celui de sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale.
Lorsque ce premier texte fut rédigé en 1920, les principales puissances s’opposèrent à l’idée de
conférer à la Cour permanente une juridiction obligatoire, opposition qui se manifesta de nouveau
en 1945, lors de la création de la Cour internationale de Justice en tant qu’organe judiciaire
principal de l’Organisation des Nations Unies. Si les fondateurs de l’Organisation avaient doté la
Cour d’une juridiction obligatoire universelle, l’ensemble des Etats Membres y auraient été soumis.
Rien n’aurait alors pu faire obstacle à ce que la Cour exerce pleinement sa compétence et contribue

ainsi à la réalisation des buts et objectifs de l’Organisation.

41. A mon sincère et profond regret, je me vois contraint de conclure que l’absence à
l’instance des autres puissances nucléaires empêchait la Cour d’examiner, dans le contexte
multilatéral qui les caractérise  et qui est également déterminé par les positions adoptées par ces
autres Etats , les demandes présentées par les Iles Marshall, et que, partant, la requête était

irrecevable. C’est la raison pour laquelle je me suis rallié à ceux de mes collègues qui ont conclu
que la Cour ne pouvait procéder à l’examen de l’affaire au fond.

(Signé) Peter TOMKA .

___________

Bilingual Content

300
49
SEPARATE OPINION OF JUDGE TOMKA
Jurisdiction of the Court under Article 36 (2) of Statute — Existence of a
dispute — No prior negotiations or notice necessary before seising Court —
Existence of a dispute a condition for exercise of jurisdiction — Dispute in principle
to exist at date of Application — Court has applied condition flexibly and taken
into account subsequent events — Proceedings clarified that a dispute between the
Marshall Islands and India exists — Court should have considered other arguments
against jurisdiction.
Admissibility — Obligations relating to nuclear disarmament alleged to exist
under customary international law — Nature of these alleged obligations —
Disarmament requires co‑operation between all States, in particular nuclear
States — Court cannot consider position of one nuclear State without considering
and understanding positions of other nuclear States — Absence of other nuclear
powers before Court prevents consideration of claims in proper multilateral
context — Application inadmissible.
1. For the first time in almost a century of adjudication of inter‑State
disputes in the Peace Palace, the “World” Court (the Permanent Court of
International Justice and the International Court of Justice) has dismissed
a case on the ground that no dispute existed between the Applicant and
the Respondent prior to the filing of the Application instituting proceedings
1. The Court seems not to be interested in knowing whether a dispute
between them exists now.
2. I am not convinced by the approach taken by the Court, despite
many references to its case law. In my view, other decisions of the Court,
and its predecessor, point in a different direction. Therefore, to my regret,
I am unable to support the Court’s conclusion based on the absence of a
dispute.
1 This does not include requests for interpretation under Article 60 of the Court’s
Statute, which also — at least in the English version — uses the term “dispute” (the French
text of the Statute uses the term “contestation”) (see, e.g., Request for Interpretation of the
Judgment of 20 November 1950 in the Asylum Case (Colombia v. Peru), I.C.J. Reports 1950,
p. 403). Where there is no disagreement between the parties about the meaning and scope
of a Judgment, there is nothing to interpret (see Request for Interpretation of the Judgment
of 31 March 2004 in the Case concerning Avena and Other Mexican Nationals (Mexico v.
United States of America) (Mexico v. United States of America), Judgment, I.C.J. Reports
2009, p. 17, para. 45). Requests for interpretation cannot serve the purpose of seeking a
decision of the Court on matters not brought before the Court in the original proceedings
(see, e.g., Request for Interpretation of the Judgment of 15 June 1962 in the Case concerning
the Temple of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand) (Cambodia v. Thailand), Judgment,
I.C.J. Reports 2013, pp. 303‑304, para. 56).
300
49
OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE TOMKA
[Traduction]
Compétence de la Cour au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut —
Existence d’un différend — Négociations ou notification préalables n’étant pas
requises pour saisir la Cour — Existence d’un différend étant une condition à
l’exercice de la compétence — Différend devant exister en principe à la date du
dépôt de la requête — Cour ayant appliqué cette condition avec souplesse et tenu
compte des événements ultérieurs — Présente instance ayant clairement révélé
qu’un différend existait entre les Iles Marshall et l’Inde — Fait que la Cour aurait
dû examiner les autres arguments avancés pour contester sa compétence.
Recevabilité — Allégation selon laquelle le droit international coutumier impose
des obligations relatives au désarmement nucléaire — Nature de ces obligations
alléguées — Désarmement exigeant la coopération de tous les Etats, notamment
les puissances nucléaires — Cour ne pouvant apprécier la position d’un Etat doté
d’armes nucléaires sans prendre en considération celles des autres puissances
nucléaires — Absence à l’instance des autres puissances nucléaires ayant empêché
la Cour d’examiner les demandes des Iles Marshall dans le contexte multilatéral
qui les caractérisait — Requête étant irrecevable.
1. Pour la première fois depuis près d’un siècle qu’elle règle les différends
entre Etats dans l’enceinte du Palais de la Paix, la Cour « mondiale
» (la Cour permanente de Justice internationale, puis la Cour
internationale de Justice) a écarté une affaire au motif qu’il n’existait,
avant le dépôt de la requête introductive d’instance, aucun différend entre
le demandeur et le défendeur 1 ; elle n’a pas semblé s’intéresser à la question
de savoir si pareil différend existe aujourd’hui.
2. Je ne suis pas convaincu par l’approche suivie dans l’arrêt, et ce, en
dépit des nombreux renvois à la jurisprudence de la Cour qui y sont contenus.
Selon moi, d’autres décisions rendues par celle‑ci, ainsi que par sa
devancière, ne vont pas dans le même sens, et je regrette donc de ne pouvoir
souscrire à la conclusion de la Cour fondée sur l’absence de différend.
1 Ne sont pas ici prises en compte les demandes en interprétation au sens de l’article 60
du Statut, qui mentionne également, dans sa version anglaise, le terme « dispute » (le
texte français se référant à une « contestation ») (voir notamment Demande d’interprétation
de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (Colombie c. Pérou), arrêt,
C.I.J. Recueil 1950, p. 403). En l’absence de désaccord entre les parties sur le sens et la
portée de l’arrêt, il n’y a rien à interpréter (voir Demande en interprétation de l’arrêt du
31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats‑Unis
d’Amérique) (Mexique c. Etats‑Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 17,
par. 45). Les demandes en interprétation ne peuvent servir à rechercher une décision de la
Cour sur des questions dont elle n’a pas été saisie dans l’instance initiale (voir notamment
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar
(Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 303‑304,
par. 56).
301 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
50
3. Is it really the case that the Marshall Islands and India did not, by
April 2014, have a dispute relating to the latter’s compliance with the
obligations relating to nuclear disarmament that the Marshall Islands
alleges to exist under customary international law, and that they do not
have such a dispute now? Do the positions of the Marshall Islands and
India on the latter’s performance of its alleged obligations coincide?
4. The Marshall Islands in its Application alleges, inter alia, that
“India has not fulfilled its obligation under customary international
law to pursue in good faith negotiations to cease the nuclear arms
race at an early date, and instead is taking actions to improve and
expand its nuclear forces and to maintain them for the indefinite
future.
Similarly, India has not fulfilled its obligation under customary
international law to pursue in good faith negotiations leading to
nuclear disarmament in all its aspects under strict and effective international
control, in particular by engaging a course of conduct, the
quantitative build‑up and qualitative improvement of its nuclear
forces, contrary to the objective of nuclear disarmament.”
On the basis of these allegations, the Marshall Islands requests the Court
to issue a declaratory judgment finding “that India has violated and continues
to violate its international obligations under customary international
law” through various acts and omissions (emphasis added) 2. The Marshall
Islands further requests the Court
“to order India to take all steps necessary to comply with its obligations
under customary international law with respect to cessation of
the nuclear arms race at an early date and nuclear disarmament within
one year of the Judgment, including the pursuit, by initiation if necessary,
of negotiations in good faith aimed at the conclusion of a
convention on nuclear disarmament in all its aspects under strict and
effective international control”.
5. It is a question for the merits whether obligations under customary
international law exist in the terms for which the Marshall Islands contends,
thus binding also on India. However, India denies the claims made
by the Marshall Islands in this case. In its Counter‑Memorial, India
“assert[ed] that [the Marshall Islands’] position lacks any merit whatsoever”.
2 For the full text of the request, see paragraph 11 of the Judgment.
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 301
50
3. Est‑il vraiment exact qu’il n’existait, en avril 2014, aucun différend
entre les Iles Marshall et l’Inde concernant l’exécution par cette dernière
des obligations relatives au désarmement nucléaire qui, selon le demandeur,
lui incombent au titre du droit international coutumier ? Est‑il vraiment
exact qu’il n’existe aucun différend entre les Parties aujourd’hui ?
Celles‑ci ont‑elles des positions concordantes sur la question de l’exécution
par l’Inde des obligations alléguées ?
4. Dans leur requête, les Iles Marshall soutenaient notamment que
« [l]’Inde, au lieu de s’acquitter de l’obligation que lui impose le droit
international coutumier de poursuivre de bonne foi des négociations
pour mettre fin à la course aux armements nucléaires à une date rapprochée,
cherch[ait] à améliorer et à accroître ses forces nucléaires et
à les conserver pour une durée illimitée.
De même, l’Inde a manqué de s’acquitter de l’obligation que lui
impose le droit international coutumier de poursuivre de bonne foi
des négociations conduisant à un désarmement nucléaire dans tous
ses aspects effectué sous un contrôle international strict et efficace, et
ce, en particulier, en adoptant une ligne de conduite qui, en visant à
accroître et à améliorer ses forces nucléaires, est contraire à l’objectif
du désarmement nucléaire. »
Les Iles Marshall priaient la Cour, sur le fondement de ces allégations, de
rendre un jugement déclaratoire indiquant que, par un certain nombre
d’actes et d’omissions, « l’Inde a[vait] manqué et continu[ait] de manquer
aux obligations internationales qui lui incombent au regard du droit
international coutumier » (les italiques sont de moi) 2. Elles demandaient
également à la Cour
« d’ordonner à l’Inde de prendre toutes les mesures nécessaires pour
se conformer, dans un délai d’un an à compter du prononcé de l’arrêt,
aux obligations que lui impose le droit international coutumier
en ce qui concerne la cessation de la course aux armements nucléaires
à une date rapprochée et le désarmement nucléaire, parmi lesquelles
celle de mener des négociations de bonne foi, si nécessaire en engageant
celles‑ci, en vue de conclure une convention relative à un désarmement
nucléaire dans tous ses aspects effectué sous un contrôle
international strict et efficace ».
5. Le point de savoir s’il existe des obligations de droit international
coutumier au sens où le demandeur les entend, et qui incombent donc
notamment à l’Inde, relève de l’examen au fond. Ce nonobstant, le défendeur
contestait les allégations des Iles Marshall en la présente espèce. Dans
son contre‑mémoire, il avait ainsi « souten[u] que la thèse de la République
des Iles Marshall [était] totalement dépourvue de fondement ».
2 Pour le texte intégral des demandes, voir le paragraphe 11 du présent arrêt.
302 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
51
I. Jurisdiction
6. India has raised essentially four arguments against the Court having
jurisdiction over this case, and to the admissibility of the Application.
According to the first one of these, “there is no dispute between the Parties”.
7. The Court has concluded that it “does not have jurisdiction under
Article 36, paragraph 2, of its Statute” (Judgment, para. 54).
8. It is to be recalled that the basis of jurisdiction relied upon by the
Marshall Islands is two declarations under Article 36, paragraph 2, of the
Statute of the Court, one deposited by the Marshall Islands on
24 April 2013 and the other by India on 18 September 1974.
9. When analysing issues of jurisdiction, caution has to be taken in
relying on different pronouncements of the Court, in particular, depending
upon whether the basis invoked is Article 36 (2) declarations or a
compromissory clause contained in a treaty. Both declarations and compromissory
clauses may set certain preconditions for the seising of the
Court. The Court’s jurisprudence has to be viewed in light of the relevant
provisions underpinning its jurisdiction in any given case.
10. The Court in the present Judgment (see paragraph 35) recalls its
previous view, that when “[i]t has been seised on the basis of declarations
made . . . which . . . do not contain any condition relating to prior negotiations
to be conducted within a reasonable time” (Land and Maritime
Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, p. 322, para. 109), no
such negotiations are required prior to the filing of the Application. In
the same Judgment, the Court clarified that a State is “not bound to
inform [the other State] of its intention to bring proceedings before the
Court” (ibid., p. 297, para. 39).
11. India argues that “the primary condition for the exercise of [the
Court’s] jurisdiction is that there must be a dispute between the parties”.
12. Although the Court has, on a number of occasions, stated that the
existence of a dispute is a condition for its jurisdiction, in my view, it is
more properly characterized — as India has asserted — as a condition for
the exercise of the Court’s jurisdiction. The jurisdiction of this Court is
based on the consent of States. If States make declarations under Article
36 (2) of the Statute “they recognize as compulsory ipso facto and
without special agreement, in relation to any other State accepting the
same obligation, the jurisdiction of the Court in all legal disputes concerning
[the matters specified in letters (a) to (d) of that paragraph]”.
The Court’s jurisdiction in relation to a State which has made a declaration
is established from the moment the declaration is deposited with the
Secretary‑General of the United Nations, and remains in force as long as
it is either not withdrawn or has not lapsed if it has been made for a
specified period of time. The Court has explained that
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 302
51
I. Compétence
6. Pour l’essentiel, l’Inde avait avancé quatre arguments pour contester
la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête. Le premier
consistait à affirmer qu’« il n’exist[ait] aucun différend entre les Parties ».
7. La Cour a conclu qu’elle « n’a[vait] pas compétence en la présente
espèce au titre du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut » (arrêt, par. 54).
8. Il y a lieu de rappeler que les Iles Marshall invoquaient, comme base
de compétence, les déclarations faites par les Parties en vertu du paragraphe
2 de l’article 36 du Statut, celle des Iles Marshall ayant été déposée
le 24 avril 2013, et celle de l’Inde, le 18 septembre 1974.
9. Lorsqu’elle se penche sur des questions de compétence, la Cour doit
faire preuve de prudence avant de s’appuyer sur des conclusions qu’elle a
pu formuler par le passé, notamment dans le contexte de déclarations
d’acceptation de sa juridiction ou de clauses compromissoires figurant
dans des traités, qui peuvent, les unes et les autres, établir certaines conditions
préalables à sa saisine. La jurisprudence de la Cour doit donc être
examinée à la lumière des dispositions particulières qui fondaient sa compétence
dans chaque affaire.
10. Dans le présent arrêt (voir le paragraphe 35), la Cour rappelle la
position qu’elle a déjà exprimée, selon laquelle, lorsqu’« [e]lle a été saisie
sur la base de déclarations … qui ne contiennent aucune condition relative
à des négociations préalables à mener dans un délai raisonnable »
(Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun
c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 322,
par. 109), la tenue de pareilles négociations préalables au dépôt de la
requête n’est pas requise. La Cour avait précisé, dans cette même décision,
que l’Etat n’était pas « tenu d’informer [l’autre] de son intention de
[la] saisir » (ibid., p. 297, par. 39).
11. L’Inde a estimé que « la première condition mise à l’exercice de
[la] compétence [de la Cour] est qu’il existe un différend entre les
parties ».
12. Bien que la Cour ait maintes fois déclaré que l’existence d’un différend
était une condition pour qu’elle ait compétence, il est, selon moi,
plus exact de considérer — avec l’Inde — qu’il s’agit en réalité d’une
condition à l’exercice de cette compétence. La compétence de la Cour est
fondée sur le consentement des Etats. Lorsqu’ils font une déclaration en
vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, ceux‑ci « reconna[issent]
comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l’égard de
tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour sur
tous les différends d’ordre juridique ayant pour objet [les questions visées
aux alinéas a) à d) de ce paragraphe] ». La compétence de la Cour à
l’égard d’un Etat ayant fait pareille déclaration est donc établie à compter
du moment où ladite déclaration est déposée auprès du Secrétaire général
de l’Organisation des Nations Unies, et demeure en vigueur jusqu’à son
retrait ou, si elle a été faite pour une durée déterminée, son expiration. La
Cour a ainsi confirmé que,
303 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
52
“by the deposit of its Declaration of Acceptance [of the Court’s jurisdiction
under Article 36 (2) of the Statute] with the Secretary‑General,
the accepting State becomes a Party to the system of the Optional
Clause in relation to the other declarant States, with all the rights and
obligations deriving from Article 36. The contractual relation between
the Parties and the compulsory jurisdiction of the Court resulting
therefrom are established, ‘ipso facto and without special agreement’,
by the fact of the making of the Declaration.” (Right of Passage over
Indian Territory (Portugal v. India), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 1957, p. 146; emphasis added.)
The Court further specified that it is on the date when the second declarant
State deposits its Declaration of Acceptance “that the consensual
bond, which is the basis of the Optional Clause, comes into being between
the States concerned” (ibid.).
13. Thus, it is not the emergence of a dispute which establishes the
Court’s jurisdiction or perfects it. The emergence of a dispute is a necessary
condition, in the event that one of the disputing parties which has
accepted the Court’s jurisdiction decides to bring an Application instituting
proceedings before the Court against another State with an Article 36
declaration in force, for the Court to exercise that jurisdiction. The disappearance
of the dispute during the proceedings, either because the parties
have reached a settlement or because of intervening circumstances, does
not deprive the Court of its jurisdiction. However, the Court in such a
situation will not give any judgment on the merits, as there is nothing
upon which to decide. It would limit itself either to taking note of the
settlement in its Order and directing the Registrar “that the case be
removed from the list” (see, e.g., Passage through the Great Belt (Finland
v. Denmark), Order of 10 September 1992, I.C.J. Reports 1992,
pp. 348‑349) or concluding that a claim “no longer has any object and
that the Court is therefore not called upon to give a decision thereon”
(see, e.g., Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports
1974, p. 272, para. 62; Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judgment,
I.C.J. Reports 1974, p. 478, para. 65).
14. The function of the Court “is to decide in accordance with international
law such disputes as are submitted to it” (Article 38, paragraph 1,
of the Statute). The Court does so as the principal judicial organ of the
United Nations, thus contributing to the achievement of its purposes, one
of them being “to bring about by peaceful means, and in conformity with
the principles of justice and international law, adjustment or settlement of
international disputes” (Article 1, paragraph 1, of the Charter of the
United Nations). In order to discharge this function, the dispute must still
exist when the Court decides on its merits, provided that it has jurisdiction
and the Application is admissible. While the formulation of Article
38, paragraph 1, of the Statute implies that the dispute will already
exist when proceedings before the Court are instituted, the phrase about
the Court’s function, added to the text of Article 38 at the Conference in
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 303
52
« par le dépôt de sa déclaration d’acceptation [de la juridiction de la
Cour au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut] entre les
mains du Secrétaire général, l’Etat acceptant dev[enait] partie au système
de la disposition facultative à l’égard de tous autres Etats déclarants,
avec tous les droits et obligations qui découlent de l’article 36.
Le rapport contractuel entre les Parties et la juridiction obligatoire de
la Cour qui en découle sont établis « de plein droit et sans convention
spéciale » du fait du dépôt de la déclaration. » (Droit de passage sur
territoire indien (Portugal c. Inde), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1957, p. 146 ; les italiques sont de moi.)
La Cour a également précisé que c’est à la date à laquelle est déposée la
déclaration du second Etat que « le lien consensuel qui constitue la base
de la disposition facultative prend naissance entre les Etats intéressés »
(ibid.).
13. La compétence de la Cour ne se trouve donc pas établie ou parachevée
par la naissance d’un différend, laquelle est une condition nécessaire
à son exercice, dans l’hypothèse où un Etat ayant accepté la
juridiction de la Cour décide d’introduire une instance devant elle contre
un autre Etat, lui aussi auteur d’une déclaration en vigueur. La disparition
d’un différend en cours de procédure — parce que les parties sont parvenues
à un arrangement ou en raison de développements nouveaux — ne
prive pas la Cour de sa compétence, mais celle‑ci n’a plus, en pareil cas, à
se prononcer au fond, aucune question ne restant à trancher. Elle se
contente alors de prendre acte, par voie d’ordonnance, de l’arrangement
intervenu en demandant au greffier « que l’affaire soit rayée du rôle » (voir
notamment Passage par le Grand‑Belt (Finlande c. Danemark), ordonnance
du 10 septembre 1992, C.I.J. Recueil 1992, p. 348-349), ou de
conclure que la demande « est désormais sans objet et qu’il n’y a dès lors
pas lieu à statuer » (voir notamment Essais nucléaires (Australie c. France),
arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 272, par. 62 ; Essais nucléaires (Nouvelle‑Zélande
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 478, par. 65).
14. La Cour a pour mission « de régler conformément au droit international
les différends qui lui sont soumis » (paragraphe 1 de l’article 38 du
Statut), mission dont elle s’acquitte en sa qualité d’organe judiciaire principal
de l’Organisation des Nations Unies, apportant ainsi sa contribution
aux buts de l’Organisation, et notamment à celui de « réaliser, par
des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du
droit international, l’ajustement ou le règlement de différends … de caractère
international » (paragraphe 1 de l’article 1 de la Charte des
Nations Unies). Elle ne peut effectivement le faire que si le différend entre
les parties existe toujours au moment où elle est appelée à se prononcer
au fond, et à condition qu’elle ait compétence et que la requête soit recevable.
Toutefois, et même si la formulation du paragraphe 1 de l’article 38
implique que le différend existe déjà lorsque l’instance est introduite
304 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
53
San Francisco, was not intended to constitute a condition for the Court’s
jurisdiction. Article 38 concerns the law to be applied by the Court, while
for its jurisdiction — in addition to Articles 34 and 35 — Articles 36 and
37 are particularly relevant. What the Court says in paragraph 39 of its
present Judgment should thus be viewed as a mere observation and not as
determinative for its jurisdiction.
15. As the Court has stated on a number of occasions the “dispute
must in principle exist at the time the Application is submitted to the
Court” (Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite
(Belgium v. Senegal), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II), p. 442, para. 46,
quoting Application of the International Convention on the Elimination of
All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 85, para. 30;
emphasis added); see also Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime
Spaces in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Colombia), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 61, para. 52; Application
of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(Croatia v. Serbia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports
2008, p. 438, para. 80 and pp. 437‑438, para. 79, quoting Application of
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 1996 (II), p. 613, para. 26).
16. Despite repeating this general rule (see Judgment, paragraph 39),
the Court has, however, adopted rather a very strict requirement that the
dispute must have existed prior to the filing of the Marshall Islands’
Application.
17. In some cases, circumstances will dictate that the dispute must
indeed exist as at the date of the Application. Such was the situation in
the recent case concerning Alleged Violations of Sovereign Rights and
Maritime Spaces in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Colombia), for in
that case Colombia’s denunciation of the Pact of Bogotá took effect
almost immediately after the Application was filed (see Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), pp. 13‑14, 18-20, paras. 17, 24,
34, 48). As Colombia’s acceptance of the jurisdiction of the Court under
the Pact had thus been terminated upon the taking effect of its denunciation,
Nicaragua could not have subsequently filed an Application and the
Court thus considered whether a dispute had previously emerged (ibid.,
paras. 52 et seq.). Likewise, in the Georgia v. Russia case, the Court was
considering a specific compromissory clause contained in the International
Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
that required that there be a “dispute . . . with respect to the
interpretation or application of this Convention, which is not settled by
negotiation or by the procedures expressly provided for in this Convention
. . .” (Article 22, quoted in Application of the International Convention
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 304
53
devant la Cour, le membre de phrase relatif à la mission de celle‑ci, qui a
été ajouté au texte dudit article à la conférence de San Francisco, ne visait
pas à énoncer une condition à sa compétence. L’article 38 a en effet pour
objet de définir le droit que la Cour est tenue d’appliquer, les dispositions
concernant plus particulièrement sa compétence étant — outre les
articles 34 et 35 — les articles 36 et 37. Ce qui est indiqué au paragraphe
39 du présent arrêt doit donc être considéré comme une simple
observation de la Cour, et non comme un élément déterminant aux fins
d’établir sa compétence.
15. Ainsi que la Cour l’a souligné à plusieurs reprises, « [e]n principe,
le différend doit exister au moment où la requête [lui] est soumise » (Questions
concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal),
arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 442, par. 46, citant Application de
la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30 ; les italiques sont de
moi) ; voir également Violations alléguées de droits souverains et d’espaces
maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 27, par. 52 ; Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008,
p. 437‑438, par. 79-80, citant Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine c. Yougoslavie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 613,
par. 26).
16. Bien qu’ayant rappelé cette règle générale (voir arrêt, par. 39), la
Cour a choisi d’adopter un critère très strict, estimant que le différend
devait avoir existé avant le dépôt de la requête par les Iles Marshall.
17. Dans certaines circonstances, le différend doit effectivement exister à
la date à laquelle la requête est déposée. Tel était par exemple le cas dans la
récente affaire relative aux Violations alléguées de droits souverains et d’espaces
maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), puisque
la dénonciation du pacte de Bogotá par la Colombie avait pris effet presque
immédiatement après le dépôt de la requête (voir exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 49‑50, par. 17, p. 52‑53, par. 24, p. 56,
par. 34, et p. 60, par. 48). L’acceptation par la Colombie de la juridiction de
la Cour au titre du pacte ayant expiré dès la prise d’effet de ladite dénonciation,
le Nicaragua ne pouvait plus, après cela, introduire une instance contre
cet Etat, et la Cour a donc recherché si un différend s’était fait jour antérieurement
(ibid., par. 52 et suiv.). De la même manière, en l’affaire Géorgie
c. Fédération de Russie, la Cour a été amenée à examiner une clause compromissoire
particulière contenue dans la convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale, qui exigeait qu’il existât
un « différend … touchant l’interprétation ou l’application de la … Convention
qui n’aura[it] pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des
procédures expressément prévues par ladite Convention… » (art. 22, cité dans
305 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
54
on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian
Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports
2011 (I), p. 81, para. 20; emphasis added). There thus had to be a dispute
that “is not settled by negotiation”, a requirement which the Court characterized
as among the “preconditions to be fulfilled before the seisin of
the Court” (ibid., p. 128, para. 141). If a compromissory clause requires
prior negotiations before filing the Application as one of the “preconditions”
for seising the Court, logically the dispute should have arisen prior
to instituting the proceedings before the Court. Moreover, the dispute
and the required negotiations should have been related to the subject‑matter
of the Convention which contains the compromissory clause —
racial discrimination in the Georgia v. Russia case. Any kind of bilateral
political talks would not satisfy that requirement. The Judgment in Georgia
v. Russia should be viewed in this light. Therefore, I cannot agree with
the view of those who consider that it indicates the beginning of a more
formalistic approach to the existence of a dispute in the Court’s jurisprudence.
18. Where there are no circumstances requiring that the dispute exist
by a particular date, the Court has been rather more flexible in not limiting
itself only to the period prior to the filing of the Application in order
to ascertain whether a dispute existed between the parties before it.
19. In the Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia)
case, that Court, when “verify[ing] whether there [was] a dispute between
the Parties that falls within the scope of [the] provision [of Article IX of
the Convention]” (Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports
1996 (II), p. 614, para. 27), observed that
“[w]hile Yugoslavia has refrained from filing a Counter‑Memorial on
the merits and has raised preliminary objections, it has nevertheless
wholly denied all of Bosnia and Herzegovina’s allegations, whether at
the stage of proceedings relating to the requests for the indication of
provisional measures, or at the stage of the present proceedings relating
to those objections” (ibid., para. 28; emphasis added).
Manifestly, a very serious military conflict in Bosnia and Herzegovina
had been going on already for a year prior to the filing of the Application
on 20 March 1993. The war on the territory of Bosnia and Herzegovina
broke out shortly after its declaration of independence on 6 March 1992.
The Court, however, did not inquire whether any allegation or claim of a
breach of the obligations under the Genocide Convention had been made
prior to the submission of the case to the Court. It limited itself to noting
that “the principal requests submitted by Bosnia and Herzegovina are for
the Court to adjudge and declare that Yugoslavia has in several ways
violated the Genocide Convention” (ibid.) and then noting, in the passage
quoted above, the denial of these allegations by the Respondent in
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 305
54
Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 81, par. 20 ; les italiques sont
de moi). Il devait donc exister un différend qui n’eût « pas été réglé par voie
de négociation », exigence dont la Cour a estimé qu’elle faisait partie des
« conditions préalables auxquelles il d[evait] être satisfait avant toute saisine
de la Cour » (ibid., p. 128, par. 141). Lorsqu’une clause compromissoire
impose, parmi les « conditions préalables » à la saisine de la Cour, que des
négociations soient menées avant le dépôt de la requête, le différend doit
logiquement s’être fait jour avant l’introduction de l’instance. De surcroît, le
différend et les négociations ainsi prescrites doivent porter sur l’objet de la
convention dans laquelle figure ladite clause compromissoire — soit, dans le
cas de l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie, celle relative à la discrimination
raciale —, condition à laquelle il ne saurait être satisfait par n’importe
quel type de discussions politiques bilatérales. L’arrêt Géorgie c. Fédération
de Russie doit donc être analysé à la lumière de ce qui précède, et je ne partage
pas l’idée selon laquelle cette décision aurait marqué l’apparition, dans
la jurisprudence de la Cour, d’une approche plus formaliste quant à la question
de l’existence d’un différend.
18. Quand aucune circonstance ne requérait qu’un différend ait existé
entre les parties à une date particulière, la Cour a en revanche fait preuve
de souplesse à cet égard en ne limitant pas son examen à la période antérieure
au dépôt de la requête.
19. En l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine c. Yougoslavie),
la Cour, amenée à « vérifier s’il exist[ait] entre les Parties un
différend entrant dans les prévisions de [l’article IX de la convention] »
(exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 614, par. 27),
a ainsi relevé ce qui suit :
« [s]i la Yougoslavie s’est abstenue de déposer un contre‑mémoire au
fond et a soulevé des exceptions préliminaires, elle n’en a pas moins
globalement rejeté toutes les allégations de la Bosnie‑Herzégovine,
que ce soit au stade des procédures afférentes aux demandes en indication
de mesures conservatoires, ou au stade de la présente procédure
relative auxdites exceptions » (ibid., par. 28 ; les italiques sont de moi).
Il était manifeste que, lorsque la requête avait été déposée le 20 mars 1993,
un très grave conflit militaire faisait déjà rage depuis un an en Bosnie‑Herzégovine,
la guerre ayant éclaté sur son territoire peu de temps après
sa déclaration d’indépendance le 6 mars 1992. La Cour n’a cependant pas
recherché si le demandeur avait formulé quelque allégation ou prétention
fondée sur un manquement aux obligations découlant de la convention
avant l’introduction de l’instance. Elle s’est contentée de relever que « les
demandes présentées à titre principal par la Bosnie‑Herzégovine
tend[aient] à ce qu[’elle] dise et juge que la Yougoslavie a[vait] violé de
diverses façons la convention sur le génocide » (ibid.), avant de constater,
dans le passage précité, que le défendeur avait rejeté ces allégations au
306 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
55
the course of the proceedings before the Court. The Court did not refer
to a denial of such allegations prior to its seisin by the Applicant.
20. Moreover, from an early period of its adjudication the World
Court has shown a reasonable amount of flexibility, not being overly formalistic,
when it comes to the timing at which jurisdictional requirements
are to be met (see similarly Application of the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide (Croatia v. Serbia), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2008, p. 438, para. 81).
21. In a case decided in 1925, the Respondent argued, inter alia, “that
the Court has no jurisdiction because the existence of a difference of opinion
in regard to the construction and application of the Geneva Convention
had not been established before the filing of the Application” (Certain
German Interests in Polish Upper Silesia, Jurisdiction, Judgment No. 6,
1925, P.C.I.J., Series A, No. 6, p. 13; emphasis added). The Court looked
at the compromissory clause, and noticed that it “does not stipulate that
diplomatic negotiations must first of all be tried” and that under that
clause “recourse may be had to the Court as soon as one of the Parties
considers that a difference of opinion arising out of the construction and
application of [certain Articles of the Convention] exists” (ibid., p. 14). In
dismissing the objection the Court made a pronouncement which, in my
view, is clearly apposite to the case at hand. It said:
“Now a difference of opinion does exist as soon as one of the Governments
concerned points out that the attitude adopted by the other
conflicts with its own views. Even if, under [the compromissory clause],
the existence of a definite dispute were necessary, this condition could
at any time be fulfilled by means of unilateral action on the part of the
applicant Party. And the Court cannot allow itself to be hampered by
a mere defect of form, the removal of which depends solely on the
Party concerned.” (Ibid.) 3
22. This dictum originated from the principle which the Permanent
Court had enunciated a year earlier, in 1924, in the Mavrommatis Palestine
Concessions case (see Application of the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v.
Yugoslavia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II),
p. 613, para. 26). In response to an argument that the proceedings were
not validly instituted because “the application was filed before [the relevant
protocol] had become applicable”, the Permanent Court stated:
“Even if the grounds on which the institution of proceedings was
based were defective for the reason stated, this would not be an ade-
3 The force of this statement is strengthened by the fact that it seems all elected judges
were in agreement with it; only a “National Judge”, as judges ad hoc were at that time
designated, chosen by the Respondent, dissented.
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 306
55
cours de la procédure, sans faire aucune mention d’un rejet antérieur à sa
saisine par le demandeur.
20. Par ailleurs, s’agissant de la date à laquelle il doit être satisfait aux
conditions de sa compétence, la Cour mondiale a, depuis ses premières
années d’existence, toujours fait preuve d’une relative souplesse, s’abstenant
de tout formalisme excessif (sur ce point, voir Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 438, par. 81).
21. Dans une affaire tranchée en 1925, le défendeur avait notamment
allégué que « [l]a Cour n[’était] pas compétente parce qu’une divergence
de vues au sujet de l’interprétation et de l’application de la convention de
Genève n’[avait] pas été constatée avant l’introduction de la requête »
(Certains intérêts allemands en Haute‑Silésie polonaise, compétence,
arrêt no 6, 1925, C.P.J.I. série A, no 6, p. 13 ; les italiques sont de moi). La
Cour permanente a toutefois relevé que la clause compromissoire « ne
pos[ait] pas la condition de négociations diplomatiques qui devraient être
tentées en première ligne », et que, en vertu de cette clause, « [elle]
p[ouvait] être saisie … aussitôt que l’une des Parties estim[ait] qu’il y
a[vait] divergence d’opinion résultant de l’interprétation et de l’application
de [certaines dispositions de la convention] » (ibid., p. 14). Rejetant
l’exception
qui lui était soumise, la Cour a fait un prononcé qui, selon
moi, est clairement pertinent aux fins de la présente espèce. Il se lit
comme suit :
« Or, une divergence d’opinion se manifeste dès qu’un des gouvernements
en cause constate que l’attitude observée par l’autre est
contraire à la manière de voir du premier. Même si la nécessité d’une
contestation formelle ressortait de [la clause compromissoire], cette
condition pourrait être à tout moment remplie par un acte unilatéral
de la Partie demanderesse. La Cour ne pourrait s’arrêter à un défaut
de forme qu’il dépendrait de la seule Partie intéressée de faire disparaître.
» (Ibid.) 3
22. Ce dictum trouvait son origine dans le principe que la Cour permanente
avait énoncé un an auparavant, en 1924, en l’affaire des Concessions
Mavrommatis en Palestine (voir Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine c. Yougoslavie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 613, par. 26).
Examinant un argument suivant lequel la requête introductive d’instance
n’était pas valide au motif « qu’elle [était] antérieure à l’époque où le [protocole
invoqué] [était] devenu applicable », la Cour permanente avait souligné
ceci :
« Même si la base de l’introduction d’instance était défectueuse
pour la raison mentionnée, ce ne serait pas une raison suffisante pour
3 Cet énoncé a d’autant plus de force qu’il reflétait, semble-t-il, un consensus de l’ensemble
des membres élus de la Cour ; seul un « juge national », ainsi qu’étaient alors désignés
les juges ad hoc, choisi par le défendeur, s’y était opposé.
307 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
56
quate reason for the dismissal of the applicant’s suit. The Court,
whose jurisdiction is international, is not bound to attach to matters
of form the same degree of importance which they might possess in
municipal law. Even, therefore, if the application were premature
because the Treaty of Lausanne had not yet been ratified, this circumstance
would now be covered by the subsequent deposit of the necessary
ratifications.” (Mavrommatis Palestine Concessions, Judgment
No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 34.)
23. The Court applied this principle in Application of the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina
v. Yugoslavia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports
1996 (II), pp. 613‑614, para. 26. As the Court there observed (ibid.), it
also did so in Northern Cameroons (Cameroon v. United Kingdom), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963, p. 28, and in Military
and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United
States of America), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports
1984, pp. 428‑429, para. 83. Indeed, in the former Judgment, the Court
highlighted that “the Court, like its predecessor, the Permanent Court of
International Justice, has always had recourse to the principle according
to which it should not penalize a defect in a procedural act which the
applicant could easily remedy” (Application of the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina
v. Yugoslavia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports
1996 (II), p. 613, para. 26; emphasis added).
24. More recently, the Court invoked this principle in 2008 in the case
concerning the Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Croatia v. Serbia), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2008, p. 412. The Court “emphasized that
a State which decides to bring proceedings before the Court should carefully
ascertain that all the requisite conditions for the jurisdiction of the
Court have been met at the time proceedings are instituted” (ibid., p. 438,
para. 80). Nonetheless, the Court went on that it “has also shown realism
and flexibility in certain situations in which the conditions governing the
Court’s jurisdiction were not fully satisfied when proceedings were initiated
but were subsequently satisfied” (ibid., p. 438, para. 81). It referred
(ibid., p. 439, para. 82) to the principle outlined in the Mavrommatis case,
noted above, whereby the Court “is not bound to attach to matters of
form the same degree of importance which they might possess in municipal
law”. The Court concluded that
“What matters is that, at the latest by the date when the Court decides
on its jurisdiction, the applicant must be entitled, if it so wishes, to
bring fresh proceedings in which the initially unmet condition would
be fulfilled. In such a situation, it is not in the interests of the sound
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 307
56
débouter le demandeur de sa requête. La Cour, exerçant une juridiction
internationale, n’est pas tenue d’attacher à des considérations de
forme la même importance qu’elles pourraient avoir dans le droit
interne. Dans ces conditions, même si l’introduction avait été prématurée,
parce que le Traité de Lausanne n’était pas encore ratifié, ce
fait aurait été couvert par le dépôt ultérieur des ratifications requises. »
(Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I.
série A no 2, p. 34.)
23. La Cour internationale de Justice a appliqué ce principe dans
l’arrêt
qu’elle a rendu au stade des exceptions préliminaires en l’affaire
relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine c. Yougoslavie) (C.I.J.
Recueil 1996 (II), p. 613‑614, par. 26), relevant (ibid.) qu’elle en avait
fait de même dans son arrêt sur les exceptions préliminaires en l’affaire du
Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume‑Uni) (C.I.J. Recueil 1963,
p. 28), ainsi que dans son arrêt sur la compétence et la recevabilité en
l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui‑ci (Nicaragua c. Etats‑Unis d’Amérique) (C.I.J. Recueil 1984,
p. 428‑429, par. 83). Dans le premier arrêt susmentionné, la Cour a ainsi
rappelé que, « comme sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale,
[elle] a[vait] toujours eu recours au principe selon lequel elle ne
d[evait] pas sanctionner un défaut qui affecterait un acte de procédure et
auquel la partie requérante pourrait aisément porter remède » (Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie‑Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 613, par. 26 ; les italiques sont de moi).
24. Plus récemment, la Cour a invoqué ce même principe en 2008, dans
l’arrêt qu’elle a rendu au stade des exceptions préliminaires en l’affaire
relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Croatie c. Serbie) (C.I.J. Recueil 2008, p. 412).
Après avoir « soulign[é] qu’un Etat qui décide de saisir la Cour d[evait]
vérifier avec attention que toutes les conditions nécessaires à la compétence
de celle‑ci sont remplies à la date à laquelle l’instance est introduite »
(ibid., p. 438, par. 80), elle a néanmoins relevé qu’elle « a[vait] aussi fait
preuve de réalisme et de souplesse dans certaines hypothèses où les conditions
de [s]a compétence … n’étaient pas toutes remplies à la date de l’introduction
de l’instance, mais l’avaient été postérieurement » (ibid., p. 438,
par. 81). Se référant (ibid., p. 439, par. 82) au principe précité qui avait été
énoncé en l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine — selon
lequel la Cour « n’est pas tenue d’attacher à des considérations de forme
la même importance qu’elles pourraient avoir dans le droit interne » —,
elle a conclu que
« ce qui import[ait], c’[était] que, au plus tard à la date à laquelle la
Cour statu[ait] sur sa compétence, le demandeur [fût] en droit, s’il le
souhait[ait], d’introduire une nouvelle instance dans le cadre de
laquelle la condition qui faisait initialement défaut serait remplie. En
308 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
57
administration of justice to compel the applicant to begin the proceedings
anew — or to initiate fresh proceedings — and it is preferable,
except in special circumstances, to conclude that the condition
has, from that point on, been fulfilled.” (Application of the Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Croatia v.
Serbia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2008,
p. 441, para. 85.)
It explained the rationale behind the principle as follows:
“it is concern for judicial economy, an element of the requirements of
the sound administration of justice, which justifies application of the
jurisprudence deriving from the Mavrommatis Judgment in appropriate
cases. The purpose of this jurisprudence is to prevent the needless
proliferation of proceedings.” (Ibid., p. 443, para. 89.)
25. If the existence of a dispute is considered necessary for the Court’s
jurisdiction (as stated above in paragraph 12, I consider it rather a condition
for the exercise of the Court’s jurisdiction), there is no compelling
reason why the principle cannot be applied to such a condition. As I have
already outlined, that was the position taken in the Certain German Interests
case, which was cited by the Court in the more recent Croatia v. Serbia
case (see ibid., p. 439, para. 82). Indeed, the Court in the latter case
highlighted that “it is of no importance which condition was unmet at the
date the proceedings were instituted, and thereby prevented the Court at
that time from exercising its jurisdiction, once it has been fulfilled subsequently”
(ibid., p. 442, para. 87).
26. This is, as I understand it, the jurisprudence of the Court on the
conditions to be met for its jurisdiction — not excessively formalistic, but
rather reasonable, allowing it to exercise its function to resolve disputes
between States brought before it. I cannot agree with the view that the
Judgment in Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite
(Belgium v. Senegal) (I.C.J. Reports 2012 (II), p. 422) represents a
departure in the Court’s jurisprudence. That case was about the failure of
Senegal to bring to justice Hissène Habré to account for acts committed
during his rule as President of Chad. In the diplomatic exchanges prior to
bringing the matter before the Court, Belgium always argued in terms of
obligations under the Convention against Torture (ibid., pp. 444‑445,
para. 54). It was only in the Application instituting proceedings that the
alleged crimes against humanity under customary international law were
mentioned. The Court concluded that there existed a dispute in regard to
“the interpretation and application of Articles 6, paragraph 2, and 7,
paragraph 1, of the Convention” (ibid., p. 444, para. 52), but that it “did
not relate to breaches of obligations under customary international law”
(ibid., p. 445, para. 55). The Court knew that it thus had jurisdiction,
under the compromissory clause contained in Article 30, paragraph 1, of
the Convention against Torture, to deal with the matter brought before
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 308
57
pareil cas, cela ne servirait pas l’intérêt d’une bonne administration
de la justice d’obliger le demandeur à recommencer la procédure
— ou à en commencer une nouvelle — et il est préférable, sauf circonstances
spéciales, de constater que la condition est désormais
remplie. » (Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 441, par. 85.)
Pour expliquer la logique sous‑tendant ce principe, la Cour a précisé que
« c’[était] le souci d’économie de procédure, qui est une composante
des exigences de bonne administration de la justice, qui justifi[ait],
dans les cas appropriés, l’application de la jurisprudence issue de
l’arrêt Mavrommatis. Cette jurisprudence vise à éviter la multiplication
inutile des procédures. » (Ibid., p. 443, par. 89.)
25. Si l’on considère que l’existence d’un différend est une condition
nécessaire à la compétence de Cour (ou plutôt, selon moi, à l’exercice de
cette compétence, ainsi que je l’ai précisé au paragraphe 12 ci‑dessus),
aucune raison impérieuse ne fait obstacle à ce que le principe en question
soit appliqué à cette condition. Telle est, comme je l’ai déjà exposé, la
position qui fut adoptée en l’affaire relative à Certains intérêts allemands,
à laquelle la Cour s’est référée dans une affaire plus récente, celle qui a
opposé la Croatie à la Serbie (voir ibid., p. 439, par. 82), soulignant, de
fait, que « peu import[ait] la condition qui, à la date d’introduction de
l’instance, faisait défaut, empêchant ainsi la Cour, à ce moment‑là, d’exercer
sa compétence, dès lors qu’elle a[vait] été remplie par la suite » (ibid.,
p. 442, par. 87).
26. A mon sens, la jurisprudence de la Cour relative aux conditions auxquelles
il doit être satisfait pour que celle‑ci ait compétence appelle donc une
approche raisonnable, sans formalisme excessif, qui lui permette d’exercer sa
mission consistant à régler les différends que lui soumettent les Etats. Je ne
puis souscrire à l’idée selon laquelle, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire
relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal) (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 422), la Cour s’en serait
écartée. Dans cette affaire, il était reproché au Sénégal de n’avoir pas traduit
M. Hissène Habré en justice pour qu’il réponde de certains actes commis
alors qu’il était président du Tchad. Dans les échanges diplomatiques antérieurs
à l’introduction de l’instance devant la Cour, la Belgique avait toujours
invoqué des obligations découlant de la convention contre la torture
(ibid., p. 444‑445, par. 54). Ce n’est que dans la requête qu’avaient été formulées
des allégations de crimes contre l’humanité au titre du droit international
coutumier. Dans son arrêt, la Cour a conclu qu’il existait un différend
concernant « l’interprétation et l’application de l’article 6, paragraphe 2, et
de l’article 7, paragraphe 1, de la convention » (ibid., p. 444, par. 52), mais
que ce différend « n’était pas relatif à des manquements à des obligations
relevant du droit international coutumier » (ibid., p. 445, par. 55). Elle savait
qu’elle avait ainsi compétence au titre de la clause compromissoire figurant
309 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
58
it, and it could thus resolve the dispute. It was clear that Belgium would
not contemplate re‑submitting to the Court a dispute relating to obligations
under customary international law. In fact, Belgium welcomed the
Judgment and was among those States which, in addition to the African
Union and the European Union, assisted Senegal — in particular financially
— to comply with the Judgment. Senegal is to be commended for
the measures it has taken in the implementation of its obligations. It
charged Hissène Habré, who was found guilty of, inter alia, torture by a
Judgment rendered on 30 May 2016 and sentenced to life imprisonment.
The victims finally, after more than a quarter of a century, have seen justice
delivered. In light of these facts, the Court’s Judgment in Questions
relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal)
should rather be seen as wise and not overly formalistic. The Court was
certainly prudent not to foreclose any future developments in respect of
obligations of States that might exist under customary international law
to prosecute perpetrators of alleged crimes against humanity.
27. It is true that the Marshall Islands had, for some time, not taken a
particularly active position on nuclear disarmament in multilateral fora,
including in its voting until 2012 in the United Nations on these issues,
for reasons which do not need elaboration. However, as it appears from
the record, the Marshall Islands has, since at least 2013, revisited its position
and voiced its dissatisfaction about the compliance, or rather lack
thereof, with obligations related to nuclear disarmament alleged to exist
under, inter alia, customary international law by nuclear powers, among
them India. In September 2013, its Foreign Minister diplomatically
“urge[d] all nuclear weapons states to intensify efforts to address their
responsibilities in moving towards an effective and secure disarmament”
(see Judgment, paragraph 46; emphasis added). I do not take issue with
the Court’s analysis of this statement, although it does indicate a shift in
the Marshall Islands’ approach.
28. In February 2014, the Marshall Islands, while renewing its call to
all nuclear powers made in the United Nations in September 2013,
expressed its views more openly, asserting that “States possessing nuclear
arsenals are failing to fulfil their legal obligations” regarding “multilateral
negotiations on achieving and sustaining a world free of nuclear weapons
[which] are long overdue” (Judgment, para. 26). The allegation is made
against all nuclear‑weapon States, without exception. This has been subsequently
confirmed by the fact that the Marshall Islands filed, on
24 April 2014, nine Applications against the nine States which are known
or believed to possess nuclear weapons. India did participate at that Conference
in Nayarit. No doubt, the Marshall Islands’ assertion was aimed
at all nuclear States, including India.
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 309
58
au paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture pour
connaître de l’instance introduite devant elle et pouvait, en conséquence,
régler le différend. Il était évident que la Belgique n’envisagerait pas de la
saisir à nouveau au sujet d’obligations découlant du droit international coutumier
; de fait, le demandeur s’est félicité de l’arrêt et a fait partie des Etats
qui ont, aux côtés de l’Union africaine et de l’Union européenne, apporté
leur concours — notamment financier — pour aider le Sénégal à s’y conformer.
Déployant de louables efforts à cet effet, ce dernier a inculpé M. Habré,
qui, par une décision rendue le 30 mai 2016, a été notamment reconnu coupable
de torture et condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Plus d’un quart de siècle après les faits, les victimes ont ainsi enfin obtenu
que justice leur soit rendue. Au vu de ce qui précède, l’arrêt de la Cour en
l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal) se caractérise donc par sa sagesse, et non par un
formalisme excessif. La Cour a assurément fait preuve de prudence en n’excluant
aucune évolution future en ce qui concerne les obligations de droit
international coutumier susceptibles de prescrire aux Etats de poursuivre les
auteurs présumés de crimes contre l’humanité.
27. Il est vrai que, pendant un certain temps, les Iles Marshall ne se
sont pas montrées particulièrement actives, dans les enceintes multilatérales,
sur la question du désarmement nucléaire, notamment — pour des
raisons qu’il n’y a pas lieu d’expliciter — par les votes qu’elles ont exprimés
à cet égard au sein de l’Organisation des Nations Unies jusqu’en
2012. Il ressort toutefois du dossier de l’affaire qu’elles ont, au moins
depuis 2013, revu leur position et manifesté leur mécontentement quant à
l’exécution — ou plutôt l’inexécution — de certaines obligations relatives
au désarmement nucléaire qui, selon elles, incombent aux puissances
nucléaires, dont l’Inde, notamment au titre du droit international coutumier.
Ainsi, au mois de septembre 2013, leur ministre des affaires étrangères
a, en des termes diplomatiques, « appel[é] instamment toutes les
puissances nucléaires [à] intensifier leurs efforts pour assumer leurs responsabilités
en vue d’un désarmement effectif réalisé en toute sécurité »
(voir arrêt, par. 46 ; les italiques sont de moi). Quoique je ne conteste pas
l’analyse qu’en fait la Cour, cette déclaration indique bien un changement
dans la position des Iles Marshall.
28. En février 2014, tout en réitérant l’appel qu’elles avaient lancé à la
tribune de l’Organisation des Nations Unies en septembre 2013 à l’intention
de toutes les puissances nucléaires, les Iles Marshall ont affirmé, de manière
plus directe, que « les Etats possédant un arsenal nucléaire ne respect[aient]
pas leurs obligations » quant aux « négociations multilatérales visant à créer
et à maintenir un monde dépourvu d’armes nucléaires [qui] auraient dû être
engagées depuis longtemps » (arrêt, par. 26). Cette accusation visait toutes
les puissances nucléaires, sans exception, comme l’a ensuite confirmé le
dépôt, par les Iles Marshall, le 24 avril 2014, de neuf requêtes contre les neuf
Etats possédant ou supposés posséder pareilles armes. L’Inde participait à
cette conférence, qui s’est tenue à Nayarit, et l’allégation des Iles Marshall
visait incontestablement toutes les puissances nucléaires, dont le défendeur.
310 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
59
29. In my view, a State is not required, under international law, to give
notice to another State of its intention to institute proceedings before the
Court. A State can formulate its claim in the Application seising the
Court if it believes that it has a dispute with another State, or considers
that the other State is in breach of international obligations owed to the
Applicant. To require a State to give prior notice may entail, in the present
optional clause system of the Court’s compulsory jurisdiction, a risk
that the Court will be deprived of its jurisdiction prior to receiving an
Application instituting proceedings. A number of declarations made
under Article 36, paragraph 2, of the Court’s Statute may be modified or
withdrawn with immediate effect by simple notification to the Secretary‑General
of the United Nations. And it is not unknown that some declarations
have been modified in the past, including recently, in order to
prevent another State from bringing before the Court a particular dispute
or a particular category of disputes.
30. The proceedings before the Court in this case have clarified that
there is a dispute between the Marshall Islands and India about the latter’s
performance of obligations related to nuclear disarmament and
alleged to exist under customary international law. Therefore, in my view,
the conclusion that the Court has no jurisdiction in the absence of a dispute
is not justified in the case at hand. In order to affirm its jurisdiction
the Court would have to deal with the other arguments of India against
its having jurisdiction. The Court did not consider it necessary to proceed
that way in light of the conclusion it reached.
II. Admissibility
31. Assuming that all of the arguments raised by India against the
Court’s having jurisdiction were to be rejected, the Court would proceed
to the merits, provided that the Application and the claims formulated
therein are admissible. In my view, however, the nature of the obligations
said to exist under customary international law in the field of nuclear
disarmament which are relied upon in this case renders the Application
inadmissible under the present, rather unsatisfactory, system of the
Court’s jurisdiction.
32. The Marshall Islands does not invoke, in this case, the provisions
of the 1968 Treaty on the Non‑Proliferation of Nuclear Weapons (hereinafter
the “NPT”), as India is not a party thereto. Nonetheless, the obligations
that it alleges to exist under customary international law are in
similar terms to Article VI thereof.
33. Article VI of the NPT reads as follows:
“Each of the Parties to the Treaty undertakes to pursue negotiations
in good faith on effective measures relating to cessation of the
nuclear arms race at an early date and to nuclear disarmament, and
on a treaty on general and complete disarmament under strict and
effective international control.”
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 310
59
29. A mon sens, un Etat n’est pas tenu, en droit international, d’informer
un autre Etat de son intention d’introduire contre lui une instance
devant la Cour, et peut formuler ses griefs dans la requête, s’il estime
qu’un différend l’oppose à cet autre Etat ou que celui‑ci manque à des
obligations internationales qui lui sont dues. Dans le système actuel de la
clause facultative, imposer pareille obligation de notification préalable
risquerait de priver la Cour de sa compétence avant qu’une requête ne lui
soit soumise. Les déclarations faites en vertu du paragraphe 2 de l’article
36 du Statut sont souvent assorties d’une possibilité de retrait ou de
modification avec effet immédiat par simple notification au Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies, et l’on sait bien que certains
Etats ont, y compris tout récemment, modifié leur déclaration pour empêcher
tout autre Etat de saisir la Cour d’un différend particulier ou d’une
catégorie particulière de différends.
30. La présente instance a clairement révélé qu’un différend existait
entre les Parties concernant l’exécution, par l’Inde, de certaines obligations
relatives au désarmement nucléaire, qui, selon les Iles Marshall, lui
incombent au titre du droit international coutumier. Je suis donc d’avis
que la conclusion selon laquelle la Cour n’avait pas compétence au motif
qu’il n’existait pas de différend n’était pas justifiée. Pour se déclarer compétente,
la Cour aurait toutefois eu à examiner les autres exceptions d’incompétence
soulevées par l’Inde. Compte tenu de la conclusion à laquelle
elle était parvenue, elle n’a pas jugé nécessaire de le faire.
II. Recevabilité
31. A supposer que tous les arguments avancés par l’Inde pour contester
la compétence de la Cour aient été rejetés, celle‑ci aurait procédé à
l’examen de l’affaire au fond, à condition que la requête et les demandes
qui y étaient formulées soient recevables. Or, je suis d’avis que, dans le
système peu satisfaisant qui régit aujourd’hui la compétence de la Cour,
la requête des Iles Marshall était irrecevable, et ce, en raison de la nature
des obligations de droit international coutumier qui, selon le demandeur,
existent dans le domaine du désarmement nucléaire.
32. Si, dans la présente affaire, les Iles Marshall n’invoquaient pas les
dispositions du traité de 1968 sur la non‑prolifération des armes nucléaires
(ci‑après, le « TNP »), puisque l’Inde n’y est pas partie, les obligations qui,
selon le demandeur, découlent du droit international coutumier vont dans
le même sens que l’article VI de cet instrument.
33. L’article VI du TNP se lit comme suit :
« Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi
des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de
la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au
désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et
complet sous un contrôle international strict et efficace. »
311 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
60
34. The Court in its advisory opinion analysed this provision and
expressed its view in the following terms:
“The legal import of that obligation goes beyond that of a mere
obligation of conduct; the obligation involved here is an obligation
to achieve a precise result — nuclear disarmament in all its aspects —
by adopting a particular course of conduct, namely, the pursuit of
negotiations on the matter in good faith.” (Legality of the Threat or
Use of Nuclear Weapons, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1996 (I),
p. 264, para. 99.)
The Court characterized the obligation as “twofold” — as an “obligation
to pursue and to conclude negotiations” (ibid., para. 100). It emphasized
that “any realistic search for general and complete disarmament, especially
nuclear disarmament, necessitates the co‑operation of all States” (ibid.).
35. Indeed, “disarmament treaties or treaties prohibiting the use of
particular weapons” have been regarded as an instance of the kind of
treaty, “the objective of which can only be achieved through the interdependent
performance of obligations by all parties” 4. One respected
scholar, and now international judge, observes in this respect:
“It is clear . . . in the context of a disarmament treaty, that each
State reduces its military power because and to the extent that the
other parties do likewise. Non‑performance, or material breach, of
the treaty by one of its parties would threaten the often fragile military
balance brought by the agreement.” 5
In other words, the performance of the obligation by a State is conditional
on the performance of the same obligation by the other States 6. If
customary obligations were found to exist in the terms for which the
4 Bruno Simma and Christian J. Tams, “1969 Vienna Convention, Article 60: Termination
or suspension of the operation of a treaty as a consequence of its breach”, in Olivier
Corten and Pierre Klein (eds.), The Vienna Convention on the Law of Treaties: A Commentary,
Vol. II, Oxford University Press, 2011, p. 1365. See also Yearbook of the International
Law Commission, 2001, Vol. II, Part Two, p. 119, paragraph 13 of the commentary
to Article 42, or James Crawford, The International Law Commission’s Articles on State
Responsibility: Introduction, Text and Commentaries, Cambridge University Press, 2002,
p. 259.
5 Linos‑Alexander Sicilianos, “The Classification of Obligations and the Multilateral
Dimension of the Relations of International Responsibility” (2002) 13, (5) European
Journal of International Law 1127, p. 1134.
6 The nature of the obligation is well described in the commentary to the Articles on
State Responsibility as referring to an obligation “where each party’s performance is effectively
conditioned upon and requires the performance of each of the others”: Yearbook of
the International Law Commission, 2001, Vol. II, Part Two, p. 119, paragraph 13 of the
commentary to Article 42; see also James Crawford, The International Law Commission’s
Articles on State Responsibility: Introduction, Text and Commentaries, Cambridge University
Press, 2002, p. 259.
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 311
60
34. Lorsqu’elle a analysé cette disposition dans son avis consultatif, la
Cour a formulé ses vues comme suit :
« La portée juridique de l’obligation considérée dépasse celle d’une
simple obligation de comportement ; l’obligation en cause ici est celle
de parvenir à un résultat précis — le désarmement nucléaire dans
tous ses aspects — par l’adoption d’un comportement déterminé, à
savoir la poursuite de bonne foi de négociations en la matière. »
(Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 264, par. 99.)
La Cour a estimé qu’était en jeu une « double obligation » — celle « de
négocier et de conclure » (ibid., par. 100) —, soulignant que « toute
recherche réaliste d’un désarmement général et complet, en particulier
nucléaire, nécessit[ait] la coopération de tous les Etats » (ibid.).
35. De fait, les « traités portant sur le désarmement ou interdisant l’emploi
d’armes particulières » ont été considérés comme des exemples de
traités « dont l’objectif ne peut être réalisé que par l’exécution, par toutes
les parties et de manière interdépendante, des obligations qui y sont énoncées
» 4. A cet égard, un éminent auteur, devenu juge international, a
relevé ce qui suit :
« Il est évident … dans le cadre d’un traité sur le désarmement, que
chacun des Etats parties ne réduit sa puissance militaire que parce
que les autres le font également, et qu’il le fait dans la même proportion.
Toute inexécution ou violation grave du traité par l’une des
parties menacerait l’équilibre militaire souvent fragile établi par cet
instrument. » 5
Autrement dit, l’exécution d’une obligation par un Etat dépend de l’exécution
de cette même obligation par les autres Etats 6. Si l’existence d’obligations
coutumières telles qu’alléguées par les Iles Marshall devait être
4 Bruno Simma et Christian J. Tams, « 1969 Vienna Convention, Article 60: Termination
or suspension of the operation of a treaty as a consequence of its breach », dans
Olivier Corten et Pierre Klein (dir. publ.), The Vienna Convention on the Law of Treaties :
A Commentary, vol. II, Oxford University Press, 2011, p. 1365. Voir également Annuaire de
la Commission du droit international (2001), vol. II, deuxième partie, p. 127, paragraphe 13
du commentaire de l’article 42, ou James Crawford, The International Law Commission’s
Articles on State Responsibility: Introduction, Text and Commentaries, Cambridge University
Press, 2002, p. 259.
5 Linos-Alexander
Sicilianos, « The Classification of Obligations and the Multilateral
Dimension of the Relations of International Responsibility » (2002), Journal européen de
droit international, vol. 13, no 5, p. 1134.
6 Les commentaires des articles sur la responsabilité des Etats comprennent une description
fort juste de la nature de cette obligation, « dont l’exécution par chacune des parties
dépend effectivement de son exécution par chacune des autres parties, et exige cette exécution
», Annuaire de la Commission du droit international (2001), vol. II, deuxième partie,
p. 127, paragraphe 13 du commentaire de l’article 42 ; voir également James Crawford,
The International Law Commission’s Articles on State Responsibility: Introduction, Text and
Commentaries, Cambridge University Press, 2002, p. 259.
312 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
61
Marshall Islands has contended, these considerations would be more generally
relevant. In the field of nuclear disarmament, it is unrealistic to
expect that a State will disarm unilaterally. International law does not
impose such an obligation. In respect of the treaty‑based obligations of
the NPT, it rather provides for achieving that goal through negotiations
in good faith, through the co‑operation of all States. Customary obligations
in this field, if they were proved to exist, would most likely not
differ.
36. The most noble and important goal of getting the world rid of
nuclear arms, to which the absolute majority — if not all — nations subscribe,
can realistically be achieved only through balancing the security
interests of the States concerned, in particular all nuclear powers and
other countries with significant military capabilities.
37. It seems that the Marshall Islands is aware of this reality. It has
filed Applications against all nuclear powers alleging that they are in
breach of their obligations under the NPT and/or customary international
law. Six of the nuclear powers are not before the Court as they
have not accepted the Marshall Islands’ invitation to accept the Court’s
jurisdiction under Article 38, paragraph 5, of the Rules of Court.
38. Enquiry into the compliance by one nuclear power with its obligations
relating to nuclear disarmament, including any obligation to negotiate
in good faith, invites consideration of the position taken by all other
nuclear powers in relation to the same obligations which are or may be
binding on them. It is only with an understanding of the positions taken
by other States that the Court can stand on safe ground in considering
the conduct of any one State alone, which necessarily is influenced by the
positions of those other States, and whether that one State alone is open
to achieving the goal of nuclear disarmament through bona fide negotiations.
This is not a question of ruling on the responsibility of those other
States as a precondition for ruling on the responsibility of the Respondent
such that the Monetary Gold principle would apply. It is rather a
question of whether it is possible for the Court, in this context, to undertake
consideration of a single State’s conduct without considering and
understanding the positions taken by the other States with which that
State (the Respondent in the case at hand) would need to have negotiated,
and with which it would need to agree on the steps and measures to
be taken by all concerned in order to achieve the overall goal of nuclear
disarmament.
39. The issues raised in the present proceedings are not of a bilateral
nature between the Marshall Islands and India. I am convinced that the
Court cannot meaningfully engage in a consideration of India’s conduct
when other States — whose conduct would necessarily also be at issue —
are not present before the Court to explain their positions and actions.
40. This case illustrates the limits of the Court’s function, resulting
from the fact that it has evolved from international arbitration, which is
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 312
61
établie, ces considérations n’en seraient que plus généralement valables.
Dans le domaine du désarmement nucléaire, il n’est pas réaliste de s’attendre
à ce qu’un Etat prenne des mesures unilatérales. Le droit international
ne l’impose d’ailleurs pas. S’agissant des obligations conventionnelles
énoncées dans le TNP, il prescrit simplement d’atteindre l’objectif du
désarmement par des négociations de bonne foi et la coopération de tous
les Etats. Si elles étaient établies, les obligations coutumières en la matière
iraient très probablement dans le même sens.
36. L’objectif supérieur et primordial consistant à débarrasser le monde
des armes nucléaires, qui emporte l’adhésion de la très grande majorité
des nations — si ce n’est de toutes —, ne pourra être réalistement atteint
qu’en trouvant un équilibre entre les intérêts en matière de sécurité des
Etats concernés, notamment l’ensemble des puissances nucléaires et les
autres Etats dotés de capacités militaires importantes.
37. Sans doute conscientes de cette réalité, les Iles Marshall avaient
déposé des requêtes contre toutes les puissances nucléaires en alléguant
que celles‑ci manquaient aux obligations qui leur incombent au titre du
TNP ou du droit international coutumier. Six d’entre elles ne sont pas
parties à des instances devant la Cour, n’ayant pas, ainsi que les y invitaient
les Iles Marshall, accepté sa compétence en vertu du paragraphe 5
de l’article 38 du Règlement.
38. Pour rechercher si un Etat possédant des armes nucléaires s’acquitte
de ses obligations en matière de désarmement, y compris toute
obligation de négocier de bonne foi, il y a lieu de prendre en considération
l’attitude des autres puissances nucléaires à l’égard des mêmes obligations
qui leur incombent ou sont susceptibles de leur incomber. Ce n’est
qu’à la lumière des positions adoptées par d’autres Etats et de l’influence
que celles‑ci exercent nécessairement que la Cour peut sérieusement
apprécier le comportement d’un Etat particulier et déterminer si celui‑ci
est disposé, en poursuivant des négociations de bonne foi, à oeuvrer en
vue de l’objectif du désarmement nucléaire. Cela ne revient pas à dire que
la détermination de la responsabilité du défendeur suppose de déterminer
préalablement celle d’Etats tiers — auquel cas le principe de l’Or monétaire
s’appliquerait —, la question étant plutôt, dans ce contexte, de
savoir si la Cour peut examiner le comportement d’un Etat donné sans
considérer et comprendre les positions adoptées par les Etats tiers avec
lesquels ce dernier (le défendeur, dans la présente affaire) aurait dû négocier,
et avec lesquels il devrait convenir des mesures à mettre en oeuvre par
l’ensemble des parties concernées en vue d’atteindre l’objectif général du
désarmement nucléaire.
39. Les questions soulevées en la présente espèce n’étaient pas de nature
bilatérale. Je suis convaincu que la Cour ne pouvait se livrer à un examen
sérieux du comportement de l’Inde dès lors que d’autres Etats — dont le
comportement aurait été, lui aussi, nécessairement en cause — n’étaient
pas présents devant elle pour expliquer leurs positions et leurs actes.
40. La présente affaire illustre les limites de la mission de la Cour, qui
est issue de l’arbitrage international, traditionnellement axé sur les diffé-
313 nuclear arms and disarmament (sep. op. tomka)
62
traditionally focused on bilateral disputes. The Statute of the Court is
expressly based on the Statute of its predecessor, the Permanent Court of
International Justice. That Statute was drafted in 1920 and major powers
opposed the idea of granting the Court compulsory jurisdiction. That
approach did not change in 1945 when the International Court of Justice
was conceived as the principal judicial organ of the United Nations. Had
the founders of that Organization endowed the Court with universal compulsory
jurisdiction, all Members of the United Nations would have been
subject to its jurisdiction. There would not have then existed obstacles to
the Court’s exercising its jurisdiction fully and thus contributing to the
achievement of the purposes and goals of the Organization.
41. To my sincere and profound regret, I have to conclude that the
absence of other nuclear powers in the proceedings prevents the Court
from considering the Marshall Islands’ claims in their proper multilateral
context, which is also determined by the positions taken by those other
powers, and thus renders the Application inadmissible. For this reason I
have joined those of my colleagues who have concluded that the Court
cannot proceed to the merits of the case.
(Signed) Peter Tomka.
armes nucléaires et désarmement (op. ind. tomka) 313
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rends bilatéraux. Le Statut de la Cour est expressément fondé sur celui de
sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale. Lorsque ce
premier texte fut rédigé en 1920, les principales puissances s’opposèrent à
l’idée de conférer à la Cour permanente une juridiction obligatoire, opposition
qui se manifesta de nouveau en 1945, lors de la création de la Cour
internationale de Justice en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation
des Nations Unies. Si les fondateurs de l’Organisation avaient
doté la Cour d’une juridiction obligatoire universelle, tous les Etats
Membres y auraient été soumis. Rien n’aurait alors pu faire obstacle à ce
que la Cour exerce pleinement sa compétence et contribue ainsi à la réalisation
des buts et des objectifs de l’Organisation.
41. A mon sincère et profond regret, je me vois contraint de conclure
que l’absence à l’instance des autres puissances nucléaires empêchait la
Cour d’examiner, dans le contexte multilatéral qui les caractérise — et qui
est également déterminé par les positions adoptées par ces autres Etats —,
les demandes présentées par les Iles Marshall, et que, partant, la requête
était irrecevable. C’est la raison pour laquelle je me suis rallié à ceux de
mes collègues qui ont conclu que la Cour ne pouvait procéder à l’examen
de l’affaire au fond.
(Signé) Peter Tomka.

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Opinion individuelle de M. le juge Tomka

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