Déclaration de M. le juge Robinson

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154-20160317-JUD-01-07-EN
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208
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DÉCLARATION DE M. LE JUGE ROBINSON
[Traduction]
Désaccord avec le rejet de la troisième exception préliminaire de la Colombie,
comme exposé dans l’opinion dissidente commune — Présente déclaration insistant
sur un problème particulier — Interprétation de la majorité conduisant à appliquer
le droit d’une manière qui méconnaît un principe élémentaire du droit des traités —
Droits et obligations énoncés dans un traité ne s’appliquant qu’à l’égard des autres
Etats parties à cet instrument, sauf à relever également du droit international
coutumier — Application d’un traité entre un Etat partie et un Etat non partie
compromettant les principes de souveraineté et d’égalité — Arrêt de 2012 indiquant
clairement que s’appliquait entre les Parties le droit international coutumier —
Paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM établissant un régime spécifique et
contractuel, réservé aux Etats Parties à la convention — Majorité inventant une
« condition » qui aboutit à l’application d’obligations conventionnelles entre un Etat
partie et un Etat non partie à l’instrument en cause — Incompatibilité avec le
régime prévu par le droit des traités.
1. Si je me suis associé à l’opinion dissidente commune dont l’exposé
est joint au présent arrêt, c’est parce que j’estime, pour les raisons qui
sont développées dans cet exposé, que la troisième exception préliminaire
de la Colombie aurait dû être retenue. En effet, la Cour a « déjà statué
sur » la demande du Nicaragua dans l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie) (arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 624,
ci‑après l’« arrêt de 2012 ») (voir le paragraphe 47 de l’arrêt), et cette
demande tombe donc sous le coup de l’autorité de la chose jugée.
2. La présente déclaration a pour objet de mettre l’accent sur un problème
particulier que soulève l’arrêt rendu en l’espèce, dans lequel la majorité
fait siens certains dicta de celui de 2012 et les applique d’une manière
qui revient à méconnaître un principe élémentaire du droit des traités.
3. Il est un principe fondateur du droit des traités que les droits et les
obligations
énoncés dans un tel instrument ne s’appliquent qu’aux Etats
qui y sont parties 1 et non aux Etats qui n’y sont pas parties, à moins
que les premiers entendent qu’il en soit ainsi et que les seconds y
1 Dans son rapport sur l’article 3 (pacta tertiis nec nocent nec prosunt) du projet de
convention sur le droit des traités, sir Gerald Fitzmaurice a indiqué ce qui suit : « 1. En
vertu des principes pacta tertiis nec nocent nec prosunt et res inter alios acta, comme du
principe de l’égalité juridique de tous les Etats souverains indépendants … un Etat ne
peut pour ce qui est d’un traité auquel il n’est pas partie : a) Encourir d’obligations ni
jouir de droits en vertu du traité… », deuxième partie du projet de chapitre II (effets des
traités) sur les effets des traités à l’égard des Etats tiers avec commentaires, cinquième
rapport de sir Gerald Fitzmaurice, rapporteur spécial (douzième session de la CDI, 1960),
doc. A/CN.4/130, Annuaire de la Commission du droit international, 1960, vol. II, p. 71.
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 209
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consentent 2, ou que les droits et les obligations en question relèvent également
du droit international coutumier 3.
4. Les traités lient les Etats car ceux‑ci y ont consenti. Ce consentement
est l’expression des principes de souveraineté et d’égalité des Etats 4. En donnant
leur consentement, ces derniers acceptent de s’acquitter des obligations
que le traité leur impose à l’égard des autres Etats parties et jouissent des
droits qui en sont le corollaire. La Cour permanente de Justice internationale
a ainsi souligné qu’« [u]n traité ne fai[sait] droit qu’entre les Etats qui y
[étaient] Parties ; dans le doute, des droits n’en découlent pas en faveur
d’autres Etats » 5. Le fait d’appliquer un traité entre un Etat partie à celui‑ci
et un Etat qui n’y est pas partie compromet donc les principes de souveraineté
et d’égalité des Etats. En effet, l’Etat partie n’a pas accepté de se trouver
lié par le traité en question à l’égard d’un Etat non partie à cet instrument.
5. La majorité semble avoir fait fi de ce principe dans le présent arrêt,
puisqu’elle y interprète celui de 2012 comme imposant à la délimitation
des portions du plateau continental étendu relevant respectivement du
Nicaragua et de la Colombie un « préalable » ou une « condition » qui
découle du paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM.
6. Dans l’analyse de sa décision de 2012 à laquelle elle se livre au paragraphe
82 du présent arrêt, la Cour affirme ce qui suit :
« [Le paragraphe 129 de l’arrêt de 2012] doit être lu à la lumière de
ceux qui le précèdent, dans les motifs de l’arrêt de 2012
�����������������������������������������������������������������������������������������������������������������
Troisièmement, ce sur quoi la Cour a mis l’accent, en revanche, c’est
2 Voir, par exemple, les articles 34 à 36 de la convention de Vienne sur le droit des
traités. L’article 34 insiste sur le fait qu’« [u]n traité ne crée ni obligations ni droits pour
un Etat tiers [un Etat non partie au traité] sans son consentement ». L’article 35 prévoit
qu’« [u]ne obligation naît pour un Etat tiers d’une disposition d’un traité si les parties à ce
traité entendent créer l’obligation au moyen de cette disposition et si l’Etat tiers accepte
expressément par écrit cette obligation ». Quant à l’article 36, il est ainsi libellé :
« 1. Un droit naît pour un Etat tiers d’une disposition d’un traité si les parties à
ce traité entendent, par cette disposition, conférer ce droit soit à l’Etat tiers ou à un
groupe d’Etats auquel il appartient, soit à tous les Etats, et si l’Etat tiers y consent.
Le consentement est présumé tant qu’il n’y a pas d’indication contraire, à moins que
le traité n’en dispose autrement.
2. Un Etat qui exerce un droit en application du paragraphe 1 est tenu de respecter,
pour l’exercice de ce droit, les conditions prévues dans le traité ou établies conformément
à ses dispositions. »
3 L’article 38 de la convention de Vienne sur le droit des traités se lit comme suit :
« Aucune disposition des articles 34 à 37 ne s’oppose à ce qu’une règle énoncée dans un
traité devienne obligatoire pour un Etat tiers en tant que règle coutumière de droit international
reconnue comme telle. »
4 Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923, C.P.J.I. série A no 1, p. 25 : « la faculté de contracter
des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de 1’Etat ».
5 Certains intérêts allemands en Haute‑Silésie polonaise, fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I.
série A no 7, p. 29. La version anglaise se lit comme suit : « A treaty only creates law as
between the States which are parties to it ; in case of doubt, no rights can be deduced from
it in favour of third States. » (Les italiques sont de moi.)
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 210
114
l’obligation qu’avait le Nicaragua, en tant que partie à la CNUDM, de
soumettre à la Commission des informations sur les limites du plateau
continental qu’il revendique au‑delà de 200 milles marins, conformément
au paragraphe 8 de l’article 76 de la convention. C’est parce
qu’au moment du prononcé de l’arrêt, en 2012, il n’avait pas encore
soumis ces informations que la Cour a conclu, au paragraphe 129, que
le Nicaragua « [n’avait] pas, dans la présente instance, apporté la
preuve que sa marge continentale s’étend[ait] suffisamment loin pour
chevaucher le plateau continental dont la Colombie p[ouvait] se prévaloir
sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale ». »
Au paragraphe 84 du présent arrêt, la Cour poursuit ainsi :
« Il en résulte que, si la Cour a décidé, au point 3 du dispositif,
qu’elle ne pouvait accueillir la demande du Nicaragua, c’est parce
que celui‑ci devait encore satisfaire à l’obligation lui incombant en
vertu du paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM de déposer,
auprès de la Commission, les informations sur les limites de son plateau
continental au‑delà de 200 milles marins prévues par cette disposition
et par l’article 4 de l’annexe II de la convention. »
Enfin, au paragraphe 105, elle soutient que
« le Nicaragua était dans l’obligation, conformément au paragraphe 8
de l’article 76 de la CNUDM, d’adresser à la Commission les informations
sur les limites du plateau continental qu’il revendique au‑delà
de 200 milles marins. La Cour a jugé, dans son arrêt de 2012, que la
communication de ces informations par le Nicaragua était un préalable
à la délimitation du plateau continental au‑delà de 200 milles
marins par la Cour. »
7. Ainsi que cela est indiqué dans l’exposé de l’opinion dissidente commune
joint au présent arrêt, j’estime que cette conclusion constitue une
interprétation erronée des paragraphes pertinents de l’arrêt de 2012. La
majorité interprète en effet les conclusions auxquelles la Cour est parvenue
aux paragraphes 126 et 127 de celui‑ci d’une manière qui revient à appliquer
des règles qui, en réalité, sont inapplicables entre les deux Parties.
8. La Cour a clairement précisé, au paragraphe 118 de son arrêt de 2012,
que le droit applicable en l’affaire était le droit international coutumier,
étant donné que la Colombie n’était pas partie à la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer (ci‑après la « CNUDM »). Elle a ensuite
jugé que la définition du plateau continental énoncée au paragraphe 1 de
l’article 76 de cet instrument faisait partie du droit international coutumier
et que « point n’[était] besoin pour elle de déterminer s[’il en allait de même
pour] d’autres dispositions de l’article 76 de la » convention.
9. Pourtant, lorsqu’elle s’est penchée, au paragraphe 126 de son arrêt
de 2012, sur le dictum qu’elle avait formulé en l’affaire du Différend territorial
et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Honduras) et selon lequel « toute prétention [d’un
Etat partie à la CNUDM] relative à des droits sur le plateau continental
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 211
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au‑delà de 200 milles d[evait] être conforme à l’article 76 de la CNUDM
et examinée par la Commission des limites du plateau continental constituée
en vertu de ce traité » (C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 759, par. 319), la
Cour a semblé oublier qu’elle venait de conclure que seul le droit international
coutumier s’appliquait en l’affaire.
Dans l’exposé de son opinion individuelle joint à l’arrêt de 2012,
Mme la juge Donoghue s’est d’ailleurs dite « troublée par le fait que la
Cour [ait] étend[u] à la présente affaire le raisonnement suivi dans son
arrêt de 2007 en l’affaire Nicaragua c. Honduras, alors que la Colombie
n’[était] pas partie à la CNUDM et que le droit applicable [était] donc le
droit international coutumier » 6.
10. Au paragraphe 126 de son arrêt de 2012, la Cour a poursuivi en
« rappel[ant] » que, « aux termes de son préambule, la CNUDM a[vait]
pour objet d’établir « un ordre juridique pour les mers et les océans qui
facilite les communications internationales et favorise les utilisations pacifiques
des mers et des océans [ainsi que] l’utilisation équitable et efficace de
leurs ressources » ». Dans ce même paragraphe, elle a encore estimé que,
« [e]u égard à l’objet et au but de la CNUDM, tels qu’exposés dans son
préambule, le fait que la Colombie n’y soit pas partie n’exon[érait] pas le
Nicaragua des obligations qu’il tient de l’article 76 de cet instrument ».
11. Ce raisonnement pose problème car le paragraphe 8 de l’article 76
de la CNUDM et la procédure devant la Commission des limites du plateau
continental, décrite à l’annexe II de cet instrument, sont des dispositions
spécifiques et contractuelles, réservées aux Etats parties à la
convention. En effet, ainsi que l’a relevé M. le juge ad hoc Cot dans la
déclaration qu’il a jointe à l’arrêt de 2012, le paragraphe 8 de l’article 76
institue une procédure particulière à laquelle les Etats non parties à la
CNUDM n’ont pas accès, et il est donc « difficile » de la considérer comme
une expression du droit international coutumier 7. Nombre d’autres traités
sont le fruit d’une approche similaire, certaines de leurs dispositions étant
l’expression de normes de droit international coutumier, tandis que les
mécanismes procéduraux établis à l’égard de ces dispositions sont spécifiques
au traité en question et aux Etats qui y sont parties ; à titre d’exemple,
je mentionnerai les droits accordés aux personnes physiques dans le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et la procédure par
laquelle celles‑ci peuvent présenter une communication au comité des
droits de l’homme pour se plaindre d’une violation desdits droits 8.
6 C.I.J. Recueil 2012 (II), exposé de l’opinion individuelle de Mme la juge Donoghue,
p. 758, par. 26.
7 Ibid., déclaration de M. le juge ad hoc Cot, p. 771, par. 19.
8 S’agissant de la procédure, voir le protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Voir également les procédures de demande
établies en vertu d’autres traités relatifs aux droits de l’homme, comme l’article 44 de la
convention américaine relative aux droits de l’homme et l’article 34 de la convention européenne
des droits de l’homme (« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne
physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui
se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 212
116
Mark Villiger a exposé une position intéressante à ce sujet. Il soutient
que les règles de droit international coutumier doivent être « de nature
abstraite,
c’est‑à‑dire susceptibles de régir un nombre indéterminé de
situations,
et non viser une situation concrète » 9. Aussi considère‑t‑il que
les règles adoptées par une organisation pour s’appliquer aux travaux
d’une entité particulière — selon lui trop « concrètes » — ne sauraient
devenir des règles de droit international coutumier. Bien qu’il soit permis
de se demander si l’analyse de M. Villiger reflète pleinement l’éventail des
caractéristiques que peut présenter une règle de droit international coutumier,
il ne fait aucun doute que la disposition énoncée au paragraphe 8 de
l’article 76 de la CNUDM établit une procédure qui n’est ouverte qu’aux
seuls Etats parties à la CNUDM.
12. Par ailleurs, l’importance que la Cour attache, au paragraphe 126
de son arrêt de 2012, au membre de phrase tiré du préambule de la
CNUDM qu’elle cite pose problème. S’il est vrai que le préambule d’un
traité fait partie du contexte servant à l’interprétation de cet instrument,
celui de la CNUDM ne saurait, en soi, l’emporter sur le principe suivant
lequel les dispositions d’un traité sont res inter alios acta à l’égard d’un
Etat qui n’y est pas partie, à moins qu’elles ne constituent également des
règles de droit international coutumier. Autrement dit, les droits et les
obligations énoncés dans la CNUDM ne sauraient être appliqués de sorte
à profiter à un Etat non partie à cet instrument ou à le desservir. En
conséquence, sauf à ce qu’elles relèvent également du droit international
coutumier, les obligations prévues par la CNUDM ne sont pas opposables
au Nicaragua dans ses relations avec la Colombie, qui n’est pas
partie à cette convention. M. le juge ad hoc Mensah a fait cette même
observation dans la déclaration qu’il a jointe à l’arrêt de 2012 10 :
« Je ne pense ni ne saurais admettre que le caractère spécial de
cette dernière, tel qu’énoncé en son préambule, rende les droits et les
obligations incombant aux Etats qui y sont parties fondamentalement
différents des droits et des obligations contractés par les Etats
parties à d’autres traités. En particulier, je ne conçois pas que « l’objet
et [le] but de la CNUDM, tels qu’exposés dans son préambule »,
imposent per se aux parties à la convention des obligations vis‑à‑vis
d’Etats ayant délibérément choisi de ne pas consentir à être liés par
les dispositions de cet instrument. »
13. Il convient de relever qu’il est expressément indiqué dans la
CNUDM que le but énoncé dans son préambule — à savoir, créer un
ordre juridique mondial pour les mers et les océans — doit être atteint
« compte dûment tenu de la souveraineté de tous les Etats », membre de
reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent
à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »).
9 Mark E. Villiger, Customary International Law and Treaties, Kluwer Law International,
2e éd., p. 179.
10 C.I.J. Recueil 2012 (II), déclaration de M. le juge ad hoc Mensah, p. 765, par. 8.
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 213
117
phrase qui n’est pas reproduit au paragraphe 126 de l’arrêt de 2012. Le
noble et louable objectif visé dans ce préambule ne saurait donc être
atteint en faisant fi du principe de la souveraineté des Etats ou en y portant
atteinte. Ce principe sous‑tend la structure tout entière de l’ordre
juridique établi par la convention. Le fait que, dans son analyse, la Cour
n’ait pas tenu compte de l’équilibre recherché entre cet ordre juridique et
la souveraineté des Etats l’a conduite à accorder une importance exagérée
au préambule de l’instrument à l’examen.
14. La délimitation du plateau continental entre un Etat partie à la
CNUDM et un Etat qui n’y est pas partie doit être effectuée en se fondant
sur : i) le droit international coutumier, ce qui signifie essentiellement que,
aux termes de l’article 83 de la CNUDM, il faut « aboutir à une solution
équitable » et, par ailleurs, que la définition énoncée au paragraphe 1 de
l’article 76 de ce même instrument doit être respectée ; et ii) les autres
règles que les parties conviendraient d’appliquer ; il serait ainsi notable
que celles‑ci décident d’appliquer les dispositions figurant aux paragraphes
2 à 7 de l’article 76 (dont l’appartenance au droit international
coutumier ne fait pas consensus). Quant à la délimitation du plateau
continental entre des Etats non parties à la CNUDM, elle doit être effectuée
sur la base : i) du droit international coutumier ; et ii) des autres
règles que les parties conviendraient d’appliquer.
15. Suivant l’interprétation de l’arrêt de 2012 faite par la majorité, la
Cour n’avait pu « accueillir » alors la demande du Nicaragua car le paragraphe
8 de l’article 76 de la CNUDM créait une « condition » à laquelle
celui‑ci devait satisfaire avant qu’elle ne puisse procéder à la délimitation
du plateau continental au‑delà de 200 milles marins. Aux paragraphes 86
et 87 du présent arrêt, la majorité constate que « le Nicaragua a souligné
avoir transmis à la Commission [des limites du plateau continental], le
24 juin 2013, les informations « finales » » et « considère, par conséquent,
que la condition à laquelle [la Cour] a subordonné, dans son arrêt de 2012,
l’examen de la demande formulée par le Nicaragua au point I. 3) de ses
conclusions finales est remplie dans la présente instance ».
16. L’incohérence de cette interprétation fait l’objet d’une analyse
exhaustive dans l’exposé de l’opinion dissidente commune joint au présent
arrêt (voir la section V de cet exposé). Une autre question qui y est
abordée est celle de savoir pourquoi, dans son arrêt de 2012, la Cour a
expressément déterminé que le droit applicable entre les parties était le
droit international coutumier pour ensuite, dans la même section de l’exposé
des motifs, méconnaître ce principe en appliquant entre les parties
des obligations énoncées dans un traité et ne relevant pas du droit
international
coutumier. Cela est en soi contradictoire. La majorité, en
inventant ainsi une condition procédurale, applique des obligations
conventionnelles d’une manière qui revient à créer une relation asymétrique
entre le Nicaragua et la Colombie, relation à laquelle aucun des
deux Etats n’a consenti. Ce faisant, elle ne tient pas dûment compte des
principes de souveraineté et d’égalité des Etats.
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 214
118
17. L’on peut soutenir que la tâche dont la Cour devait s’acquitter
dans le présent arrêt consistait simplement à établir ce qu’elle avait dit
dans son arrêt de 2012 afin de déterminer si la question qui lui était soumise
tombait sous le coup de l’autorité de la chose jugée, et non à apprécier
le bien‑fondé des conclusions qu’elle avait formulées dans sa décision
antérieure ; si une erreur avait été commise dans l’arrêt de 2012, il n’appartenait
pas à la Cour de la corriger aujourd’hui. Ce nonobstant, dans
les circonstances de la présente espèce, la majorité a retenu l’interprétation
erronée, et elle ne saurait, au motif qu’elle s’est contentée de rappeler
ce que la Cour avait effectivement dit dans son arrêt de 2012, se soustraire
à sa responsabilité pour avoir formulé une conclusion contredisant un
principe fondamental du droit des traités.
18. Le résultat de cette curieuse application du paragraphe 8 de l’article
76 de la CNUDM est que la Colombie, qui n’est pas partie à la
convention, s’est vu accorder quelque chose qui, selon moi, s’apparente à
un avantage au titre de cet instrument, puisque la disposition en cause,
qui ne reflète aucune règle de droit international coutumier, a été opposée
au Nicaragua dans ses relations avec elle. Cela pose la question de savoir
si l’approche suivie par la Cour est compatible avec le régime prévu aux
articles 34 à 36 de la convention de Vienne sur le droit des traités (« Traités
et Etats tiers ») 11.
19. Le fâcheux précédent que pourrait constituer la position de la majorité
est examiné dans l’exposé de l’opinion dissidente commune. La présente
déclaration avait pour objet de mettre en lumière un problème supplémentaire,
à savoir que l’interprétation de la majorité a conduit à une conclusion
faisant peu de cas d’un principe fondamental du droit des traités.
(Signé) Patrick Robinson.
11 Voir la note de bas de page 2 ci‑dessus.

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DECLARATION OF JUDGE ROBINSON
As set out in joint dissent, Colombia’s third preliminary objection should be
upheld — Declaration elaborates on a particular point of concern — The majority’s
interpretation results in the application of law in a way that overrides an elementary
principle of the Law of Treaties — Rights and obligations under a treaty apply
only in relation to other States parties unless also part of customary international
law — Application of a treaty between a State party and a non‑State party
compromises the principles of sovereignty and equality — 2012 Judgment clear
that customary international law applied between the Parties — Article 76 (8) of
UNCLOS sets up a régime that is special, contractual and confined to States
parties to UNCLOS — Majority invents a “condition” which results in application
of treaty obligations between a State party and a non‑State party — Incompatible
with régime envisaged by Law of Treaties.
1. I have signed the joint dissent because, for the reasons set out
therein, I am of the opinion that Colombia’s third preliminary objection
should be upheld. The Court “has already adjudicated” Nicaragua’s
request in Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia)
(Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II), p. 624, hereinafter referred to as the
“2012 Judgment”) (see paragraph 47 of the Judgment) and Nicaragua’s
request is thus res judicata.
2. I write this declaration to elaborate further upon a particular concern
that arises from today’s Judgment, in which the majority embraces
and applies dicta contained within the 2012 Judgment in such a way as to
override an elementary principle of the Law of Treaties.
3. It is a foundational principle of the Law of Treaties that the rights
and obligations under a treaty arise and apply only in relation to other
States parties 1. The obligations and rights do not apply to non‑States
parties unless either, the States parties intend this to be the case and the
1 Sir Gerald Fitzmaurice in his Draft Report on Article 3 (pacta tertiis nec nocent nec
prosunt) of the proposed Convention on the Law of Treaties said as follows: “1. By virtue
of the principles pacta tertiis nec nocent nec prosunt and res inter alios acta, and also of
the principle of the legal equality of all sovereign independent States . . . a State cannot in
respect of a treaty to which it is not a party: (a) [i]ncur obligations or enjoy rights under
the treaty . . .”, Part II of the proposed second chapter (effects of treaties) on the effects of
treaties in relation to third States with commentaries. Fifth Report of the Special Rapporteur,
Sir Gerald Fitzmaurice, (12th session of the ILC, 1960), A/CN.4/130, Yearbook of the
International Law Commission, 1960, Vol. II, pp. 75‑76.
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DÉCLARATION DE M. LE JUGE ROBINSON
[Traduction]
Désaccord avec le rejet de la troisième exception préliminaire de la Colombie,
comme exposé dans l’opinion dissidente commune — Présente déclaration insistant
sur un problème particulier — Interprétation de la majorité conduisant à appliquer
le droit d’une manière qui méconnaît un principe élémentaire du droit des traités —
Droits et obligations énoncés dans un traité ne s’appliquant qu’à l’égard des autres
Etats parties à cet instrument, sauf à relever également du droit international
coutumier — Application d’un traité entre un Etat partie et un Etat non partie
compromettant les principes de souveraineté et d’égalité — Arrêt de 2012 indiquant
clairement que s’appliquait entre les Parties le droit international coutumier —
Paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM établissant un régime spécifique et
contractuel, réservé aux Etats Parties à la convention — Majorité inventant une
« condition » qui aboutit à l’application d’obligations conventionnelles entre un Etat
partie et un Etat non partie à l’instrument en cause — Incompatibilité avec le
régime prévu par le droit des traités.
1. Si je me suis associé à l’opinion dissidente commune dont l’exposé
est joint au présent arrêt, c’est parce que j’estime, pour les raisons qui
sont développées dans cet exposé, que la troisième exception préliminaire
de la Colombie aurait dû être retenue. En effet, la Cour a « déjà statué
sur » la demande du Nicaragua dans l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie) (arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 624,
ci‑après l’« arrêt de 2012 ») (voir le paragraphe 47 de l’arrêt), et cette
demande tombe donc sous le coup de l’autorité de la chose jugée.
2. La présente déclaration a pour objet de mettre l’accent sur un problème
particulier que soulève l’arrêt rendu en l’espèce, dans lequel la majorité
fait siens certains dicta de celui de 2012 et les applique d’une manière
qui revient à méconnaître un principe élémentaire du droit des traités.
3. Il est un principe fondateur du droit des traités que les droits et les
obligations
énoncés dans un tel instrument ne s’appliquent qu’aux Etats
qui y sont parties 1 et non aux Etats qui n’y sont pas parties, à moins
que les premiers entendent qu’il en soit ainsi et que les seconds y
1 Dans son rapport sur l’article 3 (pacta tertiis nec nocent nec prosunt) du projet de
convention sur le droit des traités, sir Gerald Fitzmaurice a indiqué ce qui suit : « 1. En
vertu des principes pacta tertiis nec nocent nec prosunt et res inter alios acta, comme du
principe de l’égalité juridique de tous les Etats souverains indépendants … un Etat ne
peut pour ce qui est d’un traité auquel il n’est pas partie : a) Encourir d’obligations ni
jouir de droits en vertu du traité… », deuxième partie du projet de chapitre II (effets des
traités) sur les effets des traités à l’égard des Etats tiers avec commentaires, cinquième
rapport de sir Gerald Fitzmaurice, rapporteur spécial (douzième session de la CDI, 1960),
doc. A/CN.4/130, Annuaire de la Commission du droit international, 1960, vol. II, p. 71.
209 delimitation of the continental shelf (decl. robinson)
113
non‑States parties consent 2, or the relevant rights and obligations also
form part of customary international law 3.
4. Treaties are binding on States because they have so consented. This
consent is an expression of the principles of sovereignty and equality of
States 4. In giving their consent, States agree to respect the obligations,
and benefit from the corollary rights, vis‑à‑vis other States parties to the
treaty. The Permanent Court of International Justice emphasized that:
“[a] treaty only creates law as between the States which are parties to it ;
in case of doubt, no rights can be deduced from it in favour of third
States” 5. Therefore to apply a treaty between a State party and a non‑State
party compromises the principles of sovereignty and equality of States.
The State party has not agreed to be bound by the treaty in its relationship
with a non‑State party.
5. This principle seems to have been overlooked in today’s Judgment,
where the majority reads the 2012 Judgment as imposing a “prerequisite”
or a “condition”, pursuant to Article 76 (8) of UNCLOS, for the delimitation
of extended continental shelf entitlements between Nicaragua and
Colombia.
6. In its analysis of the 2012 Judgment, paragraph 82 of today’s Judgment
reads :
“[Paragraph 129 of the 2012 Judgment] must be read in the light of
those preceding it in the reasoning of the 2012 Judgment
�����������������������������������������������������������������������������������������������������������������
Thirdly, what the Court did emphasize was the obligation on
2 See, e.g., Articles 34-36 of the Vienna Convention on the Law of Treaties (VCLT).
Article 34 emphasizes that “[a] treaty does not create either obligations or rights for a third
State [a State not party to the treaty] without its consent”. Article 35 states: “An obligation
arises for a third State from a provision of a treaty if the parties to the treaty intend
the provision to be the means of establishing the obligation and the third State expressly
accepts that obligation in writing.” Article 36 states :
“(1) A right arises for a third State from a provision of a treaty if the parties to the
treaty intend the provision to accord that right either to the third State, or to a group
of States to which it belongs, or to all States, and the third State assents thereto. Its
assent shall be presumed so long as the contrary is not indicated, unless the treaty
otherwise provides.
(2) A State exercising a right in accordance with paragraph 1 shall comply with
the conditions for its exercise provided for in the treaty or established in conformity
with the treaty.”
3 Article 38 of the VCLT states: “Nothing in Articles 34 to 37 precludes a rule set forth
in a treaty from becoming binding upon a third State as a customary rule of international
law, recognized as such.”
4 S.S. “Wimbledon”, Judgments, 1923, P.C.I.J., Series A, No. 1, p. 25: “the right of
entering into international engagements is an attribute of State sovereignty”.
5 Certain German Interests in Polish Upper Silesia, Merits, Judgment No. 7, 1926,
P.C.I.J., Series A, No. 7, p. 29. The French version reads: “Un traité ne fait droit qu’entre
les Etats qui y sont parties ; dans le doute, des droits n’en découlent pas en faveur d’autres
Etats.” (Emphasis added.)
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 209
113
consentent 2, ou que les droits et les obligations en question relèvent également
du droit international coutumier 3.
4. Les traités lient les Etats car ceux‑ci y ont consenti. Ce consentement
est l’expression des principes de souveraineté et d’égalité des Etats 4. En donnant
leur consentement, ces derniers acceptent de s’acquitter des obligations
que le traité leur impose à l’égard des autres Etats parties et jouissent des
droits qui en sont le corollaire. La Cour permanente de Justice internationale
a ainsi souligné qu’« [u]n traité ne fai[sait] droit qu’entre les Etats qui y
[étaient] Parties ; dans le doute, des droits n’en découlent pas en faveur
d’autres Etats » 5. Le fait d’appliquer un traité entre un Etat partie à celui‑ci
et un Etat qui n’y est pas partie compromet donc les principes de souveraineté
et d’égalité des Etats. En effet, l’Etat partie n’a pas accepté de se trouver
lié par le traité en question à l’égard d’un Etat non partie à cet instrument.
5. La majorité semble avoir fait fi de ce principe dans le présent arrêt,
puisqu’elle y interprète celui de 2012 comme imposant à la délimitation
des portions du plateau continental étendu relevant respectivement du
Nicaragua et de la Colombie un « préalable » ou une « condition » qui
découle du paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM.
6. Dans l’analyse de sa décision de 2012 à laquelle elle se livre au paragraphe
82 du présent arrêt, la Cour affirme ce qui suit :
« [Le paragraphe 129 de l’arrêt de 2012] doit être lu à la lumière de
ceux qui le précèdent, dans les motifs de l’arrêt de 2012
�����������������������������������������������������������������������������������������������������������������
Troisièmement, ce sur quoi la Cour a mis l’accent, en revanche, c’est
2 Voir, par exemple, les articles 34 à 36 de la convention de Vienne sur le droit des
traités. L’article 34 insiste sur le fait qu’« [u]n traité ne crée ni obligations ni droits pour
un Etat tiers [un Etat non partie au traité] sans son consentement ». L’article 35 prévoit
qu’« [u]ne obligation naît pour un Etat tiers d’une disposition d’un traité si les parties à ce
traité entendent créer l’obligation au moyen de cette disposition et si l’Etat tiers accepte
expressément par écrit cette obligation ». Quant à l’article 36, il est ainsi libellé :
« 1. Un droit naît pour un Etat tiers d’une disposition d’un traité si les parties à
ce traité entendent, par cette disposition, conférer ce droit soit à l’Etat tiers ou à un
groupe d’Etats auquel il appartient, soit à tous les Etats, et si l’Etat tiers y consent.
Le consentement est présumé tant qu’il n’y a pas d’indication contraire, à moins que
le traité n’en dispose autrement.
2. Un Etat qui exerce un droit en application du paragraphe 1 est tenu de respecter,
pour l’exercice de ce droit, les conditions prévues dans le traité ou établies conformément
à ses dispositions. »
3 L’article 38 de la convention de Vienne sur le droit des traités se lit comme suit :
« Aucune disposition des articles 34 à 37 ne s’oppose à ce qu’une règle énoncée dans un
traité devienne obligatoire pour un Etat tiers en tant que règle coutumière de droit international
reconnue comme telle. »
4 Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923, C.P.J.I. série A no 1, p. 25 : « la faculté de contracter
des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de 1’Etat ».
5 Certains intérêts allemands en Haute‑Silésie polonaise, fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I.
série A no 7, p. 29. La version anglaise se lit comme suit : « A treaty only creates law as
between the States which are parties to it ; in case of doubt, no rights can be deduced from
it in favour of third States. » (Les italiques sont de moi.)
210 delimitation of the continental shelf (decl. robinson)
114
Nicaragua,
as a party to UNCLOS, to submit information on the
limits of the continental shelf it claims beyond 200 nautical miles, in
accordance with Article 76, paragraph 8, of UNCLOS, to the CLCS.
It is because, at the time of the 2012 Judgment, Nicaragua had not
yet submitted such information that the Court concluded, in paragraph
129 that ‘Nicaragua, in the present proceedings has not established
that it has a continental margin that extends far enough to
overlap with Colombia’s 200‑nautical‑mile entitlement to the continental
shelf, measured from Colombia’s mainland coast’.”
Paragraph 84 of today’s Judgment continues :
“It therefore follows that while the Court decided, in subparagraph
3 of the operative clause of the 2012 Judgment, that Nicaragua’s
claim could not be upheld, it did so because the latter had yet
to discharge its obligation, under paragraph 8 of Article 76 of
UNCLOS, to deposit with the CLCS the information on the limits of
its continental shelf beyond 200 nautical miles required by that provision
and by Article 4 of Annex II of UNCLOS.”
And at paragraph 105 :
“Nicaragua was under an obligation, pursuant to paragraph 8 of Article
76 of UNCLOS, to submit information on the limits of the continental
shelf it claims beyond 200 nautical miles to the CLCS. The
Court held, in its 2012 Judgment, that Nicaragua had to submit such
information as a prerequisite for the delimitation of the continental
shelf beyond 200 nautical miles by the Court.”
7. As set out in the joint dissent, I believe that this conclusion misconstrues
the relevant paragraphs of the 2012 Judgment. The majority interprets
the Court’s findings in paragraphs 126 and 127 of the 2012 Judgment
in such a way as to result in the application of law that is, in fact, inapplicable
between the two Parties.
8. The Court stated quite directly in paragraph 118 of the 2012 Judgment
that the applicable law in the case was customary international law,
as Colombia was not a State party to UNCLOS. The Court then noted
that it considered that the definition of the continental shelf set out in
UNCLOS Article 76 (1) formed part of customary international law, and
that, it “d[id] not need to decide whether other provisions of Article 76 of
UNCLOS form[ed] part of customary international law”.
9. Yet, in paragraph 126 of the 2012 Judgment, the Court seemed to
forget its earlier determination that only customary international law
applied in the case, when it discussed its dictum in Territorial and Maritime
Dispute between Nicaragua and Honduras in the Caribbean Sea
(Nicaragua v. Honduras) that, “any claim of continental shelf rights
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 210
114
l’obligation qu’avait le Nicaragua, en tant que partie à la CNUDM, de
soumettre à la Commission des informations sur les limites du plateau
continental qu’il revendique au‑delà de 200 milles marins, conformément
au paragraphe 8 de l’article 76 de la convention. C’est parce
qu’au moment du prononcé de l’arrêt, en 2012, il n’avait pas encore
soumis ces informations que la Cour a conclu, au paragraphe 129, que
le Nicaragua « [n’avait] pas, dans la présente instance, apporté la
preuve que sa marge continentale s’étend[ait] suffisamment loin pour
chevaucher le plateau continental dont la Colombie p[ouvait] se prévaloir
sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale ». »
Au paragraphe 84 du présent arrêt, la Cour poursuit ainsi :
« Il en résulte que, si la Cour a décidé, au point 3 du dispositif,
qu’elle ne pouvait accueillir la demande du Nicaragua, c’est parce
que celui‑ci devait encore satisfaire à l’obligation lui incombant en
vertu du paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM de déposer,
auprès de la Commission, les informations sur les limites de son plateau
continental au‑delà de 200 milles marins prévues par cette disposition
et par l’article 4 de l’annexe II de la convention. »
Enfin, au paragraphe 105, elle soutient que
« le Nicaragua était dans l’obligation, conformément au paragraphe 8
de l’article 76 de la CNUDM, d’adresser à la Commission les informations
sur les limites du plateau continental qu’il revendique au‑delà
de 200 milles marins. La Cour a jugé, dans son arrêt de 2012, que la
communication de ces informations par le Nicaragua était un préalable
à la délimitation du plateau continental au‑delà de 200 milles
marins par la Cour. »
7. Ainsi que cela est indiqué dans l’exposé de l’opinion dissidente commune
joint au présent arrêt, j’estime que cette conclusion constitue une
interprétation erronée des paragraphes pertinents de l’arrêt de 2012. La
majorité interprète en effet les conclusions auxquelles la Cour est parvenue
aux paragraphes 126 et 127 de celui‑ci d’une manière qui revient à appliquer
des règles qui, en réalité, sont inapplicables entre les deux Parties.
8. La Cour a clairement précisé, au paragraphe 118 de son arrêt de 2012,
que le droit applicable en l’affaire était le droit international coutumier,
étant donné que la Colombie n’était pas partie à la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer (ci‑après la « CNUDM »). Elle a ensuite
jugé que la définition du plateau continental énoncée au paragraphe 1 de
l’article 76 de cet instrument faisait partie du droit international coutumier
et que « point n’[était] besoin pour elle de déterminer s[’il en allait de même
pour] d’autres dispositions de l’article 76 de la » convention.
9. Pourtant, lorsqu’elle s’est penchée, au paragraphe 126 de son arrêt
de 2012, sur le dictum qu’elle avait formulé en l’affaire du Différend territorial
et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Honduras) et selon lequel « toute prétention [d’un
Etat partie à la CNUDM] relative à des droits sur le plateau continental
211 delimitation of the continental shelf (decl. robinson)
115
beyond 200 miles [by a State party to UNCLOS] must be in accordance
with Article 76 of UNCLOS and reviewed by the Commission on the
Limits of the Continental Shelf established thereunder” (I.C.J. Reports
2007 (II), p. 759, para. 319).
Judge Donoghue, in her separate opinion to the 2012 Judgment, noted
that she was “troubled that the Court . . . extend[ed] the reasoning of the
2007 Nicaragua v. Honduras Judgment to the present case, despite the
fact that Colombia is not an UNCLOS State party and customary international
law thus governs” 6.
10. In paragraph 126 of the 2012 Judgment, the Court went on to
“recall” that “UNCLOS, according to its Preamble, is intended to establish
‘a legal order for the seas and oceans which will facilitate international
communication, and will promote the peaceful uses of the seas and
oceans, the equitable and efficient utilization of their resources’”. In the
same paragraph, the Court went on to state that “[g]iven the object and
purpose of UNCLOS, as stipulated in its Preamble, the fact that Colombia
is not a party thereto does not relieve Nicaragua of its obligations
under Article 76 of that Convention”.
11. There is a flaw in this reasoning : Article 76 (8) of UNCLOS and
the Commission’s procedure in Annex 2 are obviously special, contractual
and confined to States parties to UNCLOS. As noted by
Judge ad hoc Cot in his declaration to the 2012 Judgment, Article 76 (8)
institutes a specific procedure that is not accessible by non‑States parties
to UNCLOS and it is thus “difficult” to view Article 76 (8) as an expression
of customary international law 7. Many other treaties reflect a similar
approach, whereby provisions contained in the treaty may mirror norms
of customary international law, but particular procedural mechanisms
established in respect of those provisions are peculiar to the treaty and
States parties to that treaty ; for example, generally, the rights set out in
the International Covenant on Civil and Political Rights to which persons
are entitled and the procedure by which persons may petition the Human
Rights Committee alleging a breach of those rights 8. Mark Villiger makes
an interesting argument in this regard. He contends that customary international
law rules must be “of an abstract nature, that is potentially regulatory
of an abstract number of situations rather than concerning a
6 I.C.J. Reports 2012 (II), separate opinion of Judge Donoghue, p. 758, para. 26.
7 Ibid., declaration of Judge ad hoc Cot, p. 771, para. 19.
8 For the procedure see the Optional Protocol to the International Covenant on
Civil and Political Rights. See also the petition procedures established under other
human rights treaties, for example, Article 44 of the American Convention on Human
Rights, Article 34 of the European Convention on Human Rights (“The Court may
receive applications from any person, non‑governmental organization or group of
individuals claiming to be the victim of a violation by one of the High Contracting
Parties of the rights set forth in the Convention or the Protocols thereto. The High
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 211
115
au‑delà de 200 milles d[evait] être conforme à l’article 76 de la CNUDM
et examinée par la Commission des limites du plateau continental constituée
en vertu de ce traité » (C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 759, par. 319), la
Cour a semblé oublier qu’elle venait de conclure que seul le droit international
coutumier s’appliquait en l’affaire.
Dans l’exposé de son opinion individuelle joint à l’arrêt de 2012,
Mme la juge Donoghue s’est d’ailleurs dite « troublée par le fait que la
Cour [ait] étend[u] à la présente affaire le raisonnement suivi dans son
arrêt de 2007 en l’affaire Nicaragua c. Honduras, alors que la Colombie
n’[était] pas partie à la CNUDM et que le droit applicable [était] donc le
droit international coutumier » 6.
10. Au paragraphe 126 de son arrêt de 2012, la Cour a poursuivi en
« rappel[ant] » que, « aux termes de son préambule, la CNUDM a[vait]
pour objet d’établir « un ordre juridique pour les mers et les océans qui
facilite les communications internationales et favorise les utilisations pacifiques
des mers et des océans [ainsi que] l’utilisation équitable et efficace de
leurs ressources » ». Dans ce même paragraphe, elle a encore estimé que,
« [e]u égard à l’objet et au but de la CNUDM, tels qu’exposés dans son
préambule, le fait que la Colombie n’y soit pas partie n’exon[érait] pas le
Nicaragua des obligations qu’il tient de l’article 76 de cet instrument ».
11. Ce raisonnement pose problème car le paragraphe 8 de l’article 76
de la CNUDM et la procédure devant la Commission des limites du plateau
continental, décrite à l’annexe II de cet instrument, sont des dispositions
spécifiques et contractuelles, réservées aux Etats parties à la
convention. En effet, ainsi que l’a relevé M. le juge ad hoc Cot dans la
déclaration qu’il a jointe à l’arrêt de 2012, le paragraphe 8 de l’article 76
institue une procédure particulière à laquelle les Etats non parties à la
CNUDM n’ont pas accès, et il est donc « difficile » de la considérer comme
une expression du droit international coutumier 7. Nombre d’autres traités
sont le fruit d’une approche similaire, certaines de leurs dispositions étant
l’expression de normes de droit international coutumier, tandis que les
mécanismes procéduraux établis à l’égard de ces dispositions sont spécifiques
au traité en question et aux Etats qui y sont parties ; à titre d’exemple,
je mentionnerai les droits accordés aux personnes physiques dans le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et la procédure par
laquelle celles‑ci peuvent présenter une communication au comité des
droits de l’homme pour se plaindre d’une violation desdits droits 8.
6 C.I.J. Recueil 2012 (II), exposé de l’opinion individuelle de Mme la juge Donoghue,
p. 758, par. 26.
7 Ibid., déclaration de M. le juge ad hoc Cot, p. 771, par. 19.
8 S’agissant de la procédure, voir le protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Voir également les procédures de demande
établies en vertu d’autres traités relatifs aux droits de l’homme, comme l’article 44 de la
convention américaine relative aux droits de l’homme et l’article 34 de la convention européenne
des droits de l’homme (« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne
physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui
se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits
212 delimitation of the continental shelf (decl. robinson)
116
concrete situation” 9. Villiger argues that norms of an organization
directed at the workings of a specific body could not therefore become
rules of customary international law. Such procedural rules are too “concrete”.
Though one may question whether Villiger’s analysis is fully reflective
of the range of potential characteristics of a rule of customary
international law, there can be no doubt that the provision in Article
76 (8) of UNCLOS establishes a procedure that is only open to States
parties to UNCLOS.
12. Further, the importance attached by the Court in paragraph 126 of
the 2012 Judgment to the phrase it cites from the Preamble of UNCLOS
is problematic. While it is true that the Preamble to a treaty forms part of
the context for the purpose of the interpretation of that treaty, the Preamble
of UNCLOS cannot, by itself, serve to override the principle that
the provisions of a treaty are res inter alios acta for a non‑State party
unless they constitute customary international law. In other words, the
rights and obligations under UNCLOS cannot be applied so as to benefit
or adversely affect a non‑State party. Therefore, obligations under
UNCLOS are not opposable to Nicaragua in its relationship with Colombia,
a non‑State party, unless they form part of customary international
law. Judge ad hoc Mensah also made this point in his declaration to the
2012 Judgment 10:
“I do not believe or agree that the special character of UNCLOS,
as set out in its Preamble, makes the rights and obligations of States
parties to UNCLOS fundamentally different from the rights and obligations
of States parties under other treaties. Specifically, I do not
subscribe to the view that the ‘object and purpose of UNCLOS, as
stipulated in its Preamble’, in and by themselves, impose on parties
to the Convention obligations vis‑à‑vis other States which have taken
a conscious decision not to agree to be bound by that Convention.”
13. It is noteworthy that the aim set out in the Preamble of UNCLOS —
to create a world legal order for the seas and oceans — is expressly to be
achieved with “due regard for the sovereignty of all States”, a phrase
omitted from paragraph 126 of the 2012 Judgment. The noble and laud‑
Contracting Parties undertake not to hinder in any way the effective exercise of this
right.”).
9 Mark E. Villiger, Customary International Law and Treaties, Kluwer Law International,
2nd ed., 1997, p. 179.
10 I.C.J. Reports 2012 (II), declaration of Judge ad hoc Mensah, p. 765, para. 8.
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 212
116
Mark Villiger a exposé une position intéressante à ce sujet. Il soutient
que les règles de droit international coutumier doivent être « de nature
abstraite,
c’est‑à‑dire susceptibles de régir un nombre indéterminé de
situations,
et non viser une situation concrète » 9. Aussi considère‑t‑il que
les règles adoptées par une organisation pour s’appliquer aux travaux
d’une entité particulière — selon lui trop « concrètes » — ne sauraient
devenir des règles de droit international coutumier. Bien qu’il soit permis
de se demander si l’analyse de M. Villiger reflète pleinement l’éventail des
caractéristiques que peut présenter une règle de droit international coutumier,
il ne fait aucun doute que la disposition énoncée au paragraphe 8 de
l’article 76 de la CNUDM établit une procédure qui n’est ouverte qu’aux
seuls Etats parties à la CNUDM.
12. Par ailleurs, l’importance que la Cour attache, au paragraphe 126
de son arrêt de 2012, au membre de phrase tiré du préambule de la
CNUDM qu’elle cite pose problème. S’il est vrai que le préambule d’un
traité fait partie du contexte servant à l’interprétation de cet instrument,
celui de la CNUDM ne saurait, en soi, l’emporter sur le principe suivant
lequel les dispositions d’un traité sont res inter alios acta à l’égard d’un
Etat qui n’y est pas partie, à moins qu’elles ne constituent également des
règles de droit international coutumier. Autrement dit, les droits et les
obligations énoncés dans la CNUDM ne sauraient être appliqués de sorte
à profiter à un Etat non partie à cet instrument ou à le desservir. En
conséquence, sauf à ce qu’elles relèvent également du droit international
coutumier, les obligations prévues par la CNUDM ne sont pas opposables
au Nicaragua dans ses relations avec la Colombie, qui n’est pas
partie à cette convention. M. le juge ad hoc Mensah a fait cette même
observation dans la déclaration qu’il a jointe à l’arrêt de 2012 10 :
« Je ne pense ni ne saurais admettre que le caractère spécial de
cette dernière, tel qu’énoncé en son préambule, rende les droits et les
obligations incombant aux Etats qui y sont parties fondamentalement
différents des droits et des obligations contractés par les Etats
parties à d’autres traités. En particulier, je ne conçois pas que « l’objet
et [le] but de la CNUDM, tels qu’exposés dans son préambule »,
imposent per se aux parties à la convention des obligations vis‑à‑vis
d’Etats ayant délibérément choisi de ne pas consentir à être liés par
les dispositions de cet instrument. »
13. Il convient de relever qu’il est expressément indiqué dans la
CNUDM que le but énoncé dans son préambule — à savoir, créer un
ordre juridique mondial pour les mers et les océans — doit être atteint
« compte dûment tenu de la souveraineté de tous les Etats », membre de
reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent
à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »).
9 Mark E. Villiger, Customary International Law and Treaties, Kluwer Law International,
2e éd., p. 179.
10 C.I.J. Recueil 2012 (II), déclaration de M. le juge ad hoc Mensah, p. 765, par. 8.
213 delimitation of the continental shelf (decl. robinson)
117
able aim set out in the Preamble cannot be accomplished by disregarding
or compromising the principle of State sovereignty. The principle of sovereignty
is like a thread woven throughout the fabric of the legal order
established by UNCLOS. The failure of the Court to take into account in
its analysis the intended balance between the legal order and sovereignty
results in the Court exaggerating the importance of the Preamble.
14. Delimitation of the continental shelf of a State party to UNCLOS
and a non‑State party to UNCLOS should be carried out on the basis of:
(i) customary international law, which principally means, by virtue of
Article 83 of UNCLOS, an obligation to effect the delimitation “in order
to achieve an equitable solution”, and also, that the definition contained
in Article 76 (1) of UNCLOS is observed ; and (ii) such other rules as the
parties may agree to apply, for example, significantly, they could agree to
apply the provisions of Articles 76 (2)‑(7) (in relation to which there is no
general agreement that they form part of customary international law).
Delimitation of the continental shelf between States that are not parties
to UNCLOS should be carried out on the basis of: (i) customary international
law ; and (ii) such other rules as the Parties may agree to apply.
15. The majority’s decision today has interpreted the 2012 Judgment
as deciding that the Court could not “uphold” Nicaragua’s claim in 2012
because Article 76 (8) of UNCLOS created a “condition” that Nicaragua
had to satisfy before the Court could proceed to delimit the continental
shelf beyond 200 nautical miles. In paragraphs 86 and 87 of today’s Judgment,
the majority finds that as “Nicaragua states that on 24 June 2013 it
provided the CLCS with ‘final’ information”, the majority “accordingly
considers that the condition imposed by it in its 2012 Judgment in order
for it to be able to examine the claim of Nicaragua contained in the final
submission I (3) has been fulfilled in the present case”.
16. The disjointed logic of this interpretation is fully discussed in the
joint dissent (see Section V of the joint dissent). Further, as discussed
therein, why would the Court, in the 2012 Judgment, have explicitly
determined that the law applicable between the parties was customary
international law, and then, within the same section of reasoning, override
this principle by applying as between the parties obligations under a
treaty which do not form part of customary international law ? This is
inherently contradictory. The majority, by its invention of a procedural
condition, applies treaty obligations in such a way as to create an asymmetrical
relationship between Nicaragua and Colombia ; a relationship to
which neither State has consented. In so doing, the majority fails to
accord due respect to the principles of sovereignty and equality between
States.
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 213
117
phrase qui n’est pas reproduit au paragraphe 126 de l’arrêt de 2012. Le
noble et louable objectif visé dans ce préambule ne saurait donc être
atteint en faisant fi du principe de la souveraineté des Etats ou en y portant
atteinte. Ce principe sous‑tend la structure tout entière de l’ordre
juridique établi par la convention. Le fait que, dans son analyse, la Cour
n’ait pas tenu compte de l’équilibre recherché entre cet ordre juridique et
la souveraineté des Etats l’a conduite à accorder une importance exagérée
au préambule de l’instrument à l’examen.
14. La délimitation du plateau continental entre un Etat partie à la
CNUDM et un Etat qui n’y est pas partie doit être effectuée en se fondant
sur : i) le droit international coutumier, ce qui signifie essentiellement que,
aux termes de l’article 83 de la CNUDM, il faut « aboutir à une solution
équitable » et, par ailleurs, que la définition énoncée au paragraphe 1 de
l’article 76 de ce même instrument doit être respectée ; et ii) les autres
règles que les parties conviendraient d’appliquer ; il serait ainsi notable
que celles‑ci décident d’appliquer les dispositions figurant aux paragraphes
2 à 7 de l’article 76 (dont l’appartenance au droit international
coutumier ne fait pas consensus). Quant à la délimitation du plateau
continental entre des Etats non parties à la CNUDM, elle doit être effectuée
sur la base : i) du droit international coutumier ; et ii) des autres
règles que les parties conviendraient d’appliquer.
15. Suivant l’interprétation de l’arrêt de 2012 faite par la majorité, la
Cour n’avait pu « accueillir » alors la demande du Nicaragua car le paragraphe
8 de l’article 76 de la CNUDM créait une « condition » à laquelle
celui‑ci devait satisfaire avant qu’elle ne puisse procéder à la délimitation
du plateau continental au‑delà de 200 milles marins. Aux paragraphes 86
et 87 du présent arrêt, la majorité constate que « le Nicaragua a souligné
avoir transmis à la Commission [des limites du plateau continental], le
24 juin 2013, les informations « finales » » et « considère, par conséquent,
que la condition à laquelle [la Cour] a subordonné, dans son arrêt de 2012,
l’examen de la demande formulée par le Nicaragua au point I. 3) de ses
conclusions finales est remplie dans la présente instance ».
16. L’incohérence de cette interprétation fait l’objet d’une analyse
exhaustive dans l’exposé de l’opinion dissidente commune joint au présent
arrêt (voir la section V de cet exposé). Une autre question qui y est
abordée est celle de savoir pourquoi, dans son arrêt de 2012, la Cour a
expressément déterminé que le droit applicable entre les parties était le
droit international coutumier pour ensuite, dans la même section de l’exposé
des motifs, méconnaître ce principe en appliquant entre les parties
des obligations énoncées dans un traité et ne relevant pas du droit
international
coutumier. Cela est en soi contradictoire. La majorité, en
inventant ainsi une condition procédurale, applique des obligations
conventionnelles d’une manière qui revient à créer une relation asymétrique
entre le Nicaragua et la Colombie, relation à laquelle aucun des
deux Etats n’a consenti. Ce faisant, elle ne tient pas dûment compte des
principes de souveraineté et d’égalité des Etats.
214 delimitation of the continental shelf (decl. robinson)
118
17. It may be argued that the task before the Court today is simply to
determine what the Court said in the 2012 Judgment in order to decide
whether the question before it is res judicata, and not to consider the correctness
of findings made in the 2012 Judgment. If a mistake was made in
the 2012 Judgment, it is not for the Court to correct it at this juncture.
Yet, in the circumstances of this case, the majority chooses the wrong
interpretation, and it is not in a position to shrug off its responsibility for
a conclusion that contravenes a fundamental principle of the law of treaties
by saying that it is merely reciting what the 2012 Judgment actually
said.
18. The result of this strange application of Article 76 (8) of UNCLOS
is that Colombia, a non‑State party, is accorded something that, in my
view, is akin to a benefit under UNCLOS, since the provision, which does
not mirror a rule of customary international law, has been enforced
against Nicaragua in its relations with Colombia. This raises questions
about the compatibility of the Court’s approach with the régime envisaged
by Articles 34‑36 of the Vienna Convention on the Law of Treaties
(Treaties and Third States) 11.
19. The joint dissent discusses concerning precedents that could
be drawn from the majority’s position. I submit this declaration to highlight
one more : that the majority’s interpretation today adopts a conclusion
that runs roughshod over a fundamental principle of the Law of
Treaties.
(Signed) Patrick Robinson.
11 See footnote 2 above.
délimitation du plateau continental (décl. robinson) 214
118
17. L’on peut soutenir que la tâche dont la Cour devait s’acquitter
dans le présent arrêt consistait simplement à établir ce qu’elle avait dit
dans son arrêt de 2012 afin de déterminer si la question qui lui était soumise
tombait sous le coup de l’autorité de la chose jugée, et non à apprécier
le bien‑fondé des conclusions qu’elle avait formulées dans sa décision
antérieure ; si une erreur avait été commise dans l’arrêt de 2012, il n’appartenait
pas à la Cour de la corriger aujourd’hui. Ce nonobstant, dans
les circonstances de la présente espèce, la majorité a retenu l’interprétation
erronée, et elle ne saurait, au motif qu’elle s’est contentée de rappeler
ce que la Cour avait effectivement dit dans son arrêt de 2012, se soustraire
à sa responsabilité pour avoir formulé une conclusion contredisant un
principe fondamental du droit des traités.
18. Le résultat de cette curieuse application du paragraphe 8 de l’article
76 de la CNUDM est que la Colombie, qui n’est pas partie à la
convention, s’est vu accorder quelque chose qui, selon moi, s’apparente à
un avantage au titre de cet instrument, puisque la disposition en cause,
qui ne reflète aucune règle de droit international coutumier, a été opposée
au Nicaragua dans ses relations avec elle. Cela pose la question de savoir
si l’approche suivie par la Cour est compatible avec le régime prévu aux
articles 34 à 36 de la convention de Vienne sur le droit des traités (« Traités
et Etats tiers ») 11.
19. Le fâcheux précédent que pourrait constituer la position de la majorité
est examiné dans l’exposé de l’opinion dissidente commune. La présente
déclaration avait pour objet de mettre en lumière un problème supplémentaire,
à savoir que l’interprétation de la majorité a conduit à une conclusion
faisant peu de cas d’un principe fondamental du droit des traités.
(Signé) Patrick Robinson.
11 Voir la note de bas de page 2 ci‑dessus.

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Déclaration de M. le juge Robinson

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