Opinion dissidente de Mme la juge Donoghue

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OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE DONOGHUE
[Traduction]
Portée et sens du point 3 du dispositif de l’arrêt de 2012 — Principe de l’autorité
de la chose jugée (res judicata).
I. Introduction et résumé
1. Dans la troisième exception préliminaire qu’elle a soulevée en l’espèce,
la Colombie invoquait le principe de l’autorité de la chose jugée (res
judicata), faisant valoir que l’arrêt en l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie) (ci‑après « Nicaragua c. Colombie I »
ou « l’arrêt de 2012 » ; C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 624) rendait irrecevables
les demandes formulées dans la requête du Nicaragua. Dans le présent
arrêt, la Cour rejette cet argument et déclare recevable la première des
demandes du Nicaragua (arrêt, points 1 b) et 2 b) du dispositif). Je joins
à cet arrêt l’exposé de mon opinion dissidente parce que j’estime que cette
première demande du Nicaragua tombait en partie sous le coup de l’autorité
de la chose jugée.
2. A mon sens, la Cour a conclu en 2012 que le Nicaragua n’avait pas
apporté la preuve que le plateau continental qu’il revendique s’étend suffisamment
loin pour chevaucher celui dont la Colombie peut se prévaloir
sur 200 milles marins « à partir de sa côte continentale » (ci‑après « les
droits générés par la côte continentale colombienne ») (Nicaragua
c. Colombie I, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 669, par. 129). Cette conclusion
constituait une condition absolue de la décision qu’elle a rendue, à savoir
qu’elle n’était pas en mesure de procéder à la délimitation du plateau
continental souhaitée par le Nicaragua (ibid.) et, partant, qu’elle ne pouvait
accueillir la demande que celui‑ci avait formulée au point I. 3) de ses
conclusions finales (ibid., p. 670, par. 131 ; p. 719, par. 251 3)). Cette
conclusion de 2012 doit par conséquent être revêtue de l’autorité de la
chose jugée. Dans Nicaragua c. Colombie I, le Nicaragua a eu amplement
la possibilité de démontrer le bien‑fondé de sa demande, autrement dit,
d’apporter la preuve que le plateau continental qu’il revendique s’étend
suffisamment loin pour qu’il y ait chevauchement de ses droits et des
droits concurrents générés par la côte continentale colombienne. Mais il
ne l’a pas fait. C’est précisément en pareil cas que s’applique, au nom de
l’équité procédurale, le principe de l’autorité de la chose jugée.
3. En revanche, la Cour n’a pas tranché en 2012 la question de savoir si
le Nicaragua avait démontré l’existence ou l’étendue d’un chevauchement
entre le plateau continental qu’il revendique et celui dont la Colombie peut
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 188
92
se prévaloir au titre de ses îles (ci‑après « les droits générés par les îles
colombiennes ») dans la zone située au‑delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne. Par conséquent, le principe de l’autorité de la chose jugée
ne fait pas obstacle à la recevabilité de la première demande du Nicaragua
dans la mesure où celle‑ci concerne ce chevauchement supposé.
4. Dans le présent arrêt, la Cour dit qu’elle avait décidé, dans celui de
2012, de ne pas accueillir la demande de délimitation du Nicaragua parce
que celui‑ci n’avait pas encore communiqué à la Commission des limites du
plateau continental (ci‑après « la Commission ») des informations sur les
limites de son plateau continental au‑delà de 200 milles marins. Dans la
logique de cette conclusion, la Cour ne fait pas de distinction, dans le dispositif,
entre les deux zones de chevauchement de droits que je viens de
mentionner. Il s’ensuit, et c’est regrettable, que mes votes négatifs sur les
deux points pertinents du dispositif ne traduisent pas exactement mes vues.
En réalité, ma position concernant la troisième exception préliminaire de la
Colombie n’est que partiellement dissidente. J’exposerai ici mon interprétation
de l’arrêt de 2012, qui diffère de celle donnée dans le présent arrêt, et
qui explique mon dissentiment partiel. Ce faisant, je me référerai à l’opinion
individuelle que j’ai jointe à l’arrêt Nicaragua c. Colombie I
(C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 751), dans laquelle j’analysais précisément les
paragraphes de l’arrêt de 2012 sur lesquels la Cour est aujourd’hui divisée.
5. J’expliquerai également pourquoi je ne suis pas convaincue par la
manière dont la Cour interprète l’arrêt de 2012.
II. La question portée devant la Cour en l’espèce
6. La Colombie affirmant que la première demande du Nicaragua était
irrecevable au regard du principe de l’autorité de la chose jugée, la Cour
devait préciser le sens et la portée du point 3 du paragraphe 251 de l’arrêt
de 2012 (ci‑après « le point 3 du dispositif »). Lorsque le texte seul du dispositif
ne lui permet pas « de déterminer le sens et la portée du dispositif
de l’arrêt initial, la Cour, conformément à sa pratique, tien[t] compte des
motifs de ce dernier dans la mesure où ils éclairent l’interprétation à donner
au dispositif » (Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en
l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge
c. Thaïlande), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 306, par. 68). Même si les
arguments avancés par les parties ne sauraient être déterminants lorsqu’il
s’agit d’interpréter un arrêt, « [l]es écritures et plaidoiries … sont elles
aussi pertinentes aux fins de l’interprétation de l’arrêt, puisqu’elles
montrent quels éléments de preuve ont, à l’époque, été présentés à la
Cour — et quels éléments ne l’ont pas été —, ainsi que la manière dont les
questions soumises à celle‑ci ont été formulées par chacune des Parties »
(ibid., par. 69). Pour comprendre précisément le sens et la portée d’un
arrêt, il convient, en particulier, d’identifier dans les motifs ce qui constitue
« une condition absolue de la décision de la Cour » (ibid., p. 296,
par. 34, citant Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 189
93
no 11, 1927, C.P.J.I. série A no 13, p. 20). Par conséquent, dans la présente
affaire, la Cour devait déterminer quels éléments des motifs de l’arrêt de
2012 constituaient une condition absolue de sa décision de ne pas accueillir
la demande du Nicaragua à l’époque.
7. L’identification de ces éléments essentiels permet d’établir quelles
sont les questions qui ont été tranchées « expressément [ou] par implication
logique » dans l’arrêt de 2012 (Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine
c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 95, par. 126) et
qui doivent donc être revêtues de l’autorité de la chose jugée (voir le paragraphe
60 du présent arrêt).
III. Le contexte de l’arrêt de 2012
A. Les étapes de la procédure de fixation des limites extérieures
du plateau continental
8. Une importance particulière étant attachée, dans le présent arrêt, à
l’une des étapes de la procédure de fixation des limites extérieures du plateau
continental prévue par la Convention des Nations Unies sur le droit de la
mer (ci‑après « la CNUDM »), je résumerai ici ces étapes, au nombre de trois,
que doivent suivre les Etats parties à la convention, et qui sont définies au
paragraphe 8 de l’article 76 de cet instrument. Tout d’abord, l’Etat côtier qui
se propose de fixer les limites de son plateau continental au‑delà de 200 milles
marins de ses côtes communique des informations à ce sujet à la Commission.
Cette communication est généralement appelée « demande » (c’est le
terme que j’emploierai ici), bien que l’arrêt de 2012 parle parfois de « l’ensemble
des informations requises » ou de « toutes les informations nécessaires
» pour désigner le dossier complet. Ensuite, la Commission adresse à
l’Etat côtier des recommandations sur les limites en question. Enfin, sur la
base de ces recommandations, l’Etat côtier fixe les limites extérieures de son
plateau continental, qui deviennent définitives et de caractère obligatoire.
9. Conformément à l’article 4 de l’annexe II de la CNUDM, les Etats
côtiers doivent faire la demande susmentionnée dans les dix années suivant
l’entrée en vigueur de la convention à leur égard. Cependant, en 2008, les
Etats parties ont convenu que ce délai de dix ans serait réputé respecté dès
lors que des informations préliminaires indicatives sur les limites extérieures
du plateau continental au‑delà de 200 milles marins auraient été communiquées
au Secrétaire général (Nations Unies, doc. SPLOS/183, 2008 ; voir
également SPLOS/72, 2001). Je désignerai cette communication‑là sous le
nom d’« informations préliminaires », comme dans l’arrêt de 2012.
B. La demande I. 3) du Nicaragua et la réponse de la Colombie
10. Dans Nicaragua c. Colombie I, au point I. 3) de ses conclusions
finales (ci‑après « la demande I. 3) »), le Nicaragua priait la Cour de dire
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 190
94
et juger « que, dans le cadre géographique et juridique constitué par [s]es
côtes continentales et [celles] de la Colombie, la méthode de délimitation
à retenir consist[ait] à tracer une limite opérant une division par parts
égales de la zone du plateau continental où les droits des deux Parties sur
celui‑ci se chevauchent » (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 636, par. 17). Le
Nicaragua ne demandait pas à la Cour de délimiter la portion de plateau
continental où ses droits chevaucheraient les droits générés par les îles
colombiennes dans la zone située au‑delà de 200 milles marins de sa côte.
Ce qu’il lui demandait, c’était d’enclaver les îles colombiennes de
San Andrés, de Providencia et de Santa Catalina en leur attribuant un
espace maritime de 12 milles marins (ibid., point I. 4) des conclusions
finales du Nicaragua ; p. 663, croquis no 2 ; et opinion individuelle de
Mme la juge Donoghue, p. 755, par. 13).
11. Le Nicaragua a admis, dans Nicaragua c. Colombie I, que l’« [o]n
ne peut procéder à une délimitation qu’après avoir déterminé sur quelle
zone elle doit porter » (CR 2012/9, p. 23, par. 10 (Lowe)) et que, par
conséquent, la première étape, en 2012, consistait à établir dans quels secteurs
du plateau continental existaient des droits concurrents. La délimitation
des zones de chevauchement éventuellement constatées par la Cour
serait la seconde étape.
12. Lorsque des parties revendiquent des droits concurrents dans l’espace
maritime de 200 milles marins qui leur revient, la Cour peut habituellement
cerner la zone où ces droits se chevauchent au moyen d’un
exercice principalement mécanique, en se fondant sur la géographie des
côtes. Cependant, il n’en va pas de même lorsqu’un Etat demande la
délimitation
d’un plateau continental qu’il affirme posséder au‑delà de
200 milles marins de ses côtes, comme c’était le cas dans Nicaragua
c. Colombie I. En pareille situation, la juridiction saisie doit commencer
par résoudre une question de fait, celle de savoir s’il existe
un chevauchement
des droits. Elle ne sera en mesure de procéder à la
seconde étape — la délimitation — que seulement si elle conclut à l’existence
du chevauchement.
13. Telle est la raison pour laquelle le Nicaragua considérait l’existence
d’un plateau continental comme une question de fait essentiellement,
ainsi que le relève la Cour dans l’arrêt de 2012 (p. 666, par. 119). Il ne
contestait pas qu’une partie soit tenue de démontrer les faits qu’elle
invoque (Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex‑République
yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II),
p. 668, par. 72 ; Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine),
arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 86, par. 68), et s’est efforcé de faire la
démonstration requise, en rassemblant à cette fin des éléments de preuve.
Sa réplique contenait un chapitre intitulé « Le plateau continental dans les
Caraïbes occidentales : les éléments de preuve géologiques et géomorphologiques
» ainsi qu’une série d’annexes techniques tirées du dossier d’informations
préliminaires communiqué au Secrétaire général, et d’autres
données ou éléments de preuve scientifiques relatifs à la géologie et à la
géomorphologie de la zone concernée. Pendant deux audiences de la pro‑
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 191
95
cédure orale, un géologue de la délégation nicaraguayenne s’est employé
à démontrer que les droits du Nicaragua sur le plateau continental chevauchaient
les droits générés par la côte continentale colombienne.
14. Le Nicaragua arguait qu’un Etat côtier a droit à un plateau continental
étendu « ipso facto et ab initio » (CR 2012/15, p. 17, par. 4 (Lowe))
dès lors que le prolongement naturel de sa masse terrestre s’étend sur plus
de 200 milles marins à partir de sa côte. Il rappelait que, conformément
au paragraphe 3 de l’article 77 de la CNUDM, les droits de l’Etat côtier
sur le plateau continental sont indépendants de toute occupation ou proclamation
expresse. Il insistait sur le fait que la Commission « ne joue
aucun rôle dans l’établissement d’un droit sur le plateau continental : elle
ne fait que déterminer l’emplacement précis des limites extérieures d’un
droit préexistant » (ibid., p. 19, par. 15 (Lowe)).
15. La Colombie lui opposait comme principal argument que sa
demande était irrecevable en raison de son caractère nouveau (voir plus
loin, par. 19). Elle ajoutait que, même à supposer qu’elle soit jugée recevable,
quod non, cette demande ne pouvait être accueillie sur le fond, pour
des motifs liés à la fois au droit et à la preuve. S’agissant des failles juridiques
supposées, la Colombie invoquait deux points. Premièrement, elle
contestait que le droit à un plateau continental existât « ipso facto et ab
initio », comme l’affirmait le Nicaragua. Selon elle,
« [l]u conjointement avec le règlement intérieur de la Commission,
l’article 76 prévoit que l’Etat côtier doit soumettre une demande
concernant un plateau continental étendu à la Commission, que cette
dernière fait des recommandations concernant cette demande, et que
l’Etat côtier établit ensuite les limites extérieures de son plateau « sur
la base des » recommandations de la Commission. En vertu de l’article
45 du règlement, l’Etat côtier « soumet » … les caractéristiques
de cette demande à la Commission. Le Nicaragua ne saurait être
réputé avoir établi un droit à un plateau continental étendu à moins
d’avoir entrepris ces démarches… » (Nicaragua c. Colombie I,
duplique de la Colombie, p. 141, par. 4.42.)
Ainsi, pour la Colombie, un Etat côtier qui est partie à la CNUDM ne
peut faire valoir son droit à un plateau continental étendu qu’après avoir
accompli les trois étapes prévues au paragraphe 8 de l’article 76 de la
convention et fixé les limites extérieures de son plateau continental sur la
base des recommandations de la Commission.
16. Le second argument juridique de la Colombie était que, pour établir
des droits sur le plateau continental, le critère de la distance prime
toujours celui de l’étendue de la marge continentale. Le Nicaragua contestait
ce point de droit.
17. Au sujet des éléments de preuve, la Colombie affirmait que, « [s]ur
le plan des faits, les prétendues « preuves » [du Nicaragua] … [étaient]
complètement viciées, et n’[auraient] même pas [constitué] un commencement
de preuve pour la Commission » (CR 2012/12, p. 53, par. 46
(Bundy)). A l’appui de cette critique, elle rappelait que le Nicaragua avait
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 192
96
lui‑même admis l’insuffisance de ses preuves. Elle soulignait que le Nicaragua
avait joint à sa réplique des annexes techniques tirées du dossier
d’informations préliminaires communiqué au Secrétaire général, mais
sans pour autant produire ledit dossier devant la Cour. Elle notait qu’il
avait lui‑même indiqué dans ces informations préliminaires (disponibles
sur le site web de la Commission) que « certains des données et des profils
décrits [dans le dossier] ne rempliss[aient] pas les critères rigoureux concernant
la demande complète édictés par la Commission des limites du
plateau
continental, tels qu’ils sont précisés dans [ses] directives »
(CR 2012/12, p. 56, par. 59 (Bundy) ; voir également ibid., p. 61, par. 81
(Bundy)). La Colombie relevait d’autres aveux similaires, signalant par
exemple que « [l]’annexe technique que le Nicaragua a jointe à sa réplique
indique que les points du pied du talus « ne doivent être pris en compte
qu’à titre indicatif ». Puis lit‑on : « Des questions se posent quant à
la qualité
des données dans quelques zones. » » (Ibid., p. 58, par. 65
(Bundy).)
18. L’on voit que, dans Nicaragua c. Colombie I, l’argumentation des
Parties portait principalement non pas sur la méthodologie de la délimitation,
mais sur la question de savoir s’il était justifié, en fait et en droit,
que la Cour procède à l’étape de la délimitation.
IV. Quelle était la décision prise par la Cour en 2012 ?
19. Dans l’arrêt de 2012, la Cour rend deux décisions au sujet de la
demande I. 3) du Nicaragua. Cette demande ne figurait pas dans la
requête ; c’est dans la réplique qu’elle a été formulée pour la première fois.
La Cour rejette d’abord l’argument de la Colombie selon lequel la
demande I. 3) serait irrecevable en raison de son caractère nouveau (Nicaragua
c. Colombie I, p. 719, par. 251 2)). Les motifs qui sous‑tendent cette
décision sont exposés dans la partie III, intitulée « Recevabilité de la
demande du Nicaragua tendant à la délimitation d’un plateau continental
s’étendant au‑delà de 200 milles marins ». La Cour conclut, à la fin de
cette partie, que la demande I. 3) du Nicaragua est recevable (ibid., p. 665,
par. 112). La seule et unique référence à la recevabilité dans l’arrêt de
2012 concerne l’objection exprimée par la Colombie au sujet de la nouveauté
de la demande.
20. La partie IV de l’arrêt de 2012 est intitulée « Examen de la demande
du Nicaragua tendant à la délimitation d’un plateau continental s’étendant
au‑delà de 200 milles marins ». La Cour y expose les motifs
qui sous‑tendent sa seconde décision sur les griefs du Nicaragua, à
savoir celle de ne pas « accueillir la demande formulée par la République
du Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales » (ibid.,
p. 719, par. 251 3)). Vu la structure de l’arrêt, et puisque rien ne donne
à penser que la Cour ait examiné une quelconque question de recevabilité
dans la partie IV, il est évident que sa décision de ne pas accueillir
la demande I. 3) est une décision sur le fond.
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 193
97
21. Dans la présente affaire, chacune des Parties a attaché une grande
importance à l’expression « ne peut accueillir » employée par la Cour pour
exprimer sa décision sur le fond de la demande I. 3).
22. Pour le Nicaragua, la Cour, en 2012, ne s’est pas prononcée positivement
sur la demande I. 3), mais ne l’a pas rejetée non plus. Selon lui,
elle s’est « content[ée], négativement, de « ne pas accueillir » une conclusion
— c’est‑à‑dire de ne pas se prononcer sur celle‑ci » (CR 2015/27,
p. 39, par. 25 (Pellet)). Le Nicaragua n’a toutefois invoqué aucune autre
affaire où la Cour aurait employé l’expression « ne peut accueillir » pour
signifier qu’elle ne se prononcerait pas sur le fond d’une demande recevable
et relevant de sa compétence.
23. La Colombie considérait que la décision de la Cour de ne pas
accueillir la demande I. 3) signifiait un rejet de la délimitation demandée
par le Nicaragua. Elle renvoyait à cet égard à plusieurs arrêts dans lesquels
la Cour avait employé la même expression pour rejeter une demande
(voir CR 2015/28, p. 18‑21, par. 3‑12 (Reisman)).
24. Les arrêts invoqués par la Colombie infirment la thèse du Nicaragua,
selon laquelle la Cour aurait employé l’expression « ne peut accueillir
» au point 3 du dispositif de l’arrêt de 2012 pour indiquer qu’elle ne se
prononçait pas. Cependant, en affirmant que la Cour a rejeté dans sa
totalité la demande de délimitation du Nicaragua, la Colombie perd de
vue que la Cour statuait sur une demande qui requiert deux étapes,
comme nous l’avons vu plus haut (par. 12). La Cour n’ayant jamais entrepris
l’étape de la délimitation, on ne saurait conclure qu’elle a « rejeté » la
délimitation proposée par le Nicaragua. En déclarant « ne [pouvoir]
accueillir » la demande I. 3), elle voulait plutôt dire que, dans la mesure
où la première des deux étapes inhérentes à cette demande n’avait pas été
accomplie, elle ne pouvait pas procéder à la seconde — la délimitation
proprement dite.
25. Ce qui divise la Cour dans la présente affaire, c’est la question de
savoir pourquoi, en 2012, elle a conclu ne pas être en mesure d’effectuer
la délimitation demandée par le Nicaragua et, partant, d’accueillir sa
demande I. 3). Puisque la réponse ne se trouve pas dans le dispositif de
l’arrêt, c’est dans les motifs qu’il convient de la chercher. J’exposerai donc
à présent mon interprétation des motifs qui constituaient une condition
absolue de la décision de 2012.
26. Au premier paragraphe de la partie IV de l’arrêt, la Cour formule
la question suivante : est‑elle « en mesure de tracer « une limite opérant
une division par parts égales de la zone du plateau continental où les
droits des deux Parties sur celui‑ci se chevauchent », ainsi que le Nicaragua
le lui demande au point I. 3) de ses conclusions finales » ? (Nicaragua
c. Colombie I, p. 665, par. 113.)
27. Une juridiction n’est « en mesure » d’effectuer une délimitation que
s’il y a chevauchement des droits des parties (voir Différend relatif à la délimitation
de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le
golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, TIDM
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 194
98
Recueil 2012 (ci‑après « Bangladesh/Myanmar »), p. 105, par. 397). C’est
pourquoi, après avoir indiqué que le droit applicable est le droit international
coutumier (Nicaragua c. Colombie I, p. 666, par. 118), la Cour entreprend
d’examiner les positions respectives des Parties à l’égard de la
première étape inhérente à la demande du Nicaragua, qui consiste à établir
l’existence d’un éventuel chevauchement des droits de celui‑ci sur le plateau
continental et des droits générés par la côte continentale colombienne.
28. La Cour commence par résumer la position du Nicaragua en rappelant
l’argument factuel que ce dernier avançait, à savoir que le prolongement
naturel de sa masse terrestre, appelé « seuil nicaraguayen »,
chevauche le plateau continental auquel la Colombie peut prétendre au
titre de sa côte continentale (ibid., p. 666, par. 119). Elle note que le Nicaragua
a communiqué des informations préliminaires au Secrétaire général
dans le délai décennal prévu (ibid., p. 667, par. 120).
29. La Cour note également que le Nicaragua a souhaité la rassurer
sur la qualité des éléments de preuve produits, rappelant que, selon lui, les
travaux nécessaires à la communication d’une demande à la Commission
étaient « bien avancés », et qu’il envisageait d’acquérir d’autres données
topographiques afin de compléter les informations destinées à la Commission
(ibid., p. 667, par. 120). Elle indique en outre qu’il a affirmé avoir
« établi les limites extérieures de son plateau continental au‑delà de
200 milles marins sur la base de données relevant du domaine public »
(ibid.).
30. La Cour résume ensuite la position de la Colombie, rappelant que,
selon celle‑ci, le caractère inadéquat des éléments de preuve produits par
le Nicaragua fait obstacle à toute délimitation :
« La Colombie soutient que le droit à un plateau continental étendu
que le Nicaragua prétend détenir jusqu’au rebord externe de la marge
continentale, au‑delà de 200 milles marins, n’a jamais été reconnu ni
même soumis pour examen à la Commission. Selon elle, les données
communiquées à la Cour par le Nicaragua, sur la base des « informations
préliminaires » qu’il a soumises à la Commission, sont « totalement
insuffisantes ». La Colombie souligne que ces « informations préliminaires
» ne satisfont pas aux exigences requises pour que la Commission
puisse formuler des recommandations ; le Nicaragua n’aurait donc pas
établi qu’il possédait le moindre droit à un plateau continental étendu.
Partant, affirme‑t‑elle, le Nicaragua ne saurait se contenter de postuler
qu’il détient de tels droits en l’espèce, ni demander à la Cour de procéder
à une délimitation « sur la base de renseignements techniques rudimentaires
et incomplets ». » (Ibid., p. 667, par. 122.)
Il ressort des vues de la Colombie ainsi résumées par la Cour que l’insuffisance
des éléments de preuve produits par le Nicaragua tient au fait, premièrement,
que les limites du plateau continental nicaraguayen n’ont
« jamais été reconnu[es] ni même soumis[es] » à la Commission, et, deuxièmement,
que les informations préliminaires dont provenaient ces éléments
n’étaient même pas celles que pouvait attendre la Commission. Pour la
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 195
99
Colombie, puisque les éléments de preuve du Nicaragua étaient « rudimentaires
et incomplets », la Cour ne pouvait pas procéder à la délimitation.
31. Après avoir résumé les positions des Parties, la Cour se penche sur la
« jurisprudence » invoquée par le Nicaragua (Nicaragua c. Colombie I,
p. 668, par. 125). Elle commence par commenter l’arrêt rendu en l’affaire
Bangladesh/Myanmar, dans lequel le TDIM a estimé que rien ne l’empêchait
de délimiter des zones de plateau continental étendu. La Cour explique
d’abord ce qui distingue cette affaire‑là de Nicaragua c. Colombie I (par
exemple, le TDIM n’a pas eu besoin de fixer les limites extérieures du plateau
continental, le golfe du Bengale présentait une situation particulière, les
deux Etats étaient parties à la CNUDM et avaient tous deux présenté une
demande à la Commission). Cette énumération des différences entre les deux
affaires peut laisser entendre que la Cour y voyait des raisons de ne pas procéder
à la délimitation dans Nicaragua c. Colombie I, même si le TDIM
l’avait fait dans Bangladesh/Myanmar. Cependant, la Cour conclut ensuite
son commentaire de l’affaire Bangladesh/Myanmar en faisant observer que
le TDIM a établi une nette distinction entre la délimitation du plateau continental
et le tracé de sa limite extérieure, distinction que l’on retrouve dans le
présent arrêt (par. 112). Ainsi, lu dans son ensemble, le commentaire de la
Cour sur Bangladesh/Myanmar semble envisager une certaine souplesse
dans la délimitation des portions de plateau continental étendu.
32. Poursuivant son examen de la jurisprudence, la Cour passe de Bangladesh/
Myanmar à son propre arrêt en l’affaire du Différend territorial et
maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras), mais en adoptant le raisonnement inverse. Citant cet
arrêt de 2007, elle rappelle que « toute prétention [d’un Etat partie à la
CNUDM] relative à des droits sur le plateau continental au‑delà de
200 milles d[oit] être conforme à l’article 76 de la CNUDM et examinée par
la Commission des limites du plateau continental constituée en vertu de ce
traité » (Nicaragua c. Colombie I, p. 669, par. 126, citant C.I.J. Recueil
2007 (II), p. 759, par. 319). Ce faisant, la Cour laisse clairement entendre
qu’elle serait réticente à connaître d’une demande de délimitation du plateau
continental étendu en l’absence d’examen par la Commission (j’ai exprimé
des doutes sur ce point dans l’exposé de mon opinion individuelle de 2012).
(Dans le présent arrêt, cependant, elle conclut le contraire, en rejetant la
cinquième exception préliminaire de la Colombie.) La Cour rappelle ensuite
que, si la Colombie n’est pas partie à la CNUDM, cela n’exonère pas pour
autant le Nicaragua des obligations qu’il tient de l’article 76 de cet instrument
(Nicaragua c. Colombie I, p. 669, par. 126).
33. Après son commentaire de la jurisprudence, la Cour se penche sur
les éléments de preuve du Nicaragua. Elle note que ce dernier a présenté
des informations préliminaires qui sont, « comme [il] l’admet [lui‑même], …
loin de satisfaire aux exigences requises pour pouvoir être considérées
comme des informations » conformes aux prescriptions du paragraphe 8
de l’article 76 de la CNUDM. Elle note aussi qu’il a produit les annexes
jointes auxdites informations préliminaires, et qu’il a précisé que l’intégralité
du dossier figurait sur le site de la Commission (ibid., p. 669,
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 196
100
par. 127). Du fait de leur insuffisance manifeste, la Cour n’avait pas lieu
de s’appesantir sur les éléments de preuve produits par le Nicaragua, ni
sur les critiques formulées à leur sujet par la Colombie. En l’absence de
recommandations de la Commission, elle ne pouvait s’appuyer sur une
expertise, comme elle l’avait fait dans d’autres affaires (Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie
c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 76, par. 190‑191). Le Nicaragua
a reconnu que les informations qu’il avait produites étaient loin d’être
équivalentes à celles requises par la Commission ; or, la Cour attache une
importance particulière aux aveux qu’une partie fait à son propre détriment
(voir, par exemple, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui‑ci (Nicaragua c. Etats‑Unis d’Amérique), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 43, par. 69 ; Activités armées sur le territoire du
Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J.
Recueil 2005, p. 201, par. 61). Ainsi, le fait que le Nicaragua, dans Nicaragua
c. Colombie I, se soit appuyé sur des éléments tirés de ses informations
préliminaires, et non d’une demande complète à la Commission, est
l’une des raisons pour lesquelles la Cour a conclu qu’il n’avait pas démontré
le bien‑fondé de sa demande aux fins de la première étape.
34. A l’issue de son examen des éléments de preuve du Nicaragua, la
Cour rappelle que ce dernier, au cours des audiences, lui a suggéré de
définir la délimitation, plutôt que de situer précisément la limite extérieure
de son plateau continental, faisant valoir qu’il pourrait appliquer la formulation
proposée une fois qu’il aurait fixé ladite limite extérieure sur la
base des recommandations de la Commission (Nicaragua c. Colombie I,
p. 669, par. 128). Après avoir résumé la solution proposée par le
Nicaragua,
la Cour conclut comme suit ses motifs sur le fond de la
demande I. 3) :
« [L]e Nicaragua n’ayant pas, dans la présente instance, apporté la
preuve que sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour
chevaucher le plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir
sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale, la Cour n’est
pas en mesure de délimiter les portions du plateau continental relevant
de chacune des Parties, comme le lui demande le Nicaragua,
même en utilisant la formulation générale proposée par ce dernier. »
(Ibid., p. 669, par. 129.)
35. La Cour répond ainsi, dans ce paragraphe, à la question qu’elle
s’est posée avant de commencer l’examen de la demande I. 3), celle de
savoir si elle est « en mesure » de départager le plateau continental comme
le lui demande le Nicaragua (ibid., p. 665, par. 113). Ainsi qu’il est dit
dans ce paragraphe, dans Nicaragua c. Colombie I, le Nicaragua n’a pas
démontré les faits sur lesquels il fondait sa demande — autrement dit, que
le plateau continental qu’il revendique s’étend suffisamment loin pour
qu’il y ait chevauchement de ses droits et des droits générés par la côte
continentale colombienne. A partir de cette constatation dans la première
étape inhérente à la demande, la Cour conclut qu’elle n’est pas « en
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 197
101
mesure » de procéder à la seconde étape — délimiter les portions du plateau
continental revenant à chacune des Parties, comme l’en prie le Nicaragua
—, que ce soit par le tracé d’une ligne médiane ou au moyen d’une
formulation. Cette conclusion constituait une condition absolue de la
décision de la Cour de ne pas accueillir la demande I. 3) du Nicaragua.
36. Dans l’exposé de mon opinion individuelle de 2012, je faisais observer
que les éléments de preuve produits par le Nicaragua n’offraient pas de
base factuelle suffisante pour permettre à la Cour de procéder à la délimitation,
et je regrettais que ces lacunes n’aient pas été décrites plus précisément
dans les motifs (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 756, par. 17). La Cour considère
aujourd’hui que l’absence d’analyse de ces éléments dans l’arrêt
de 2012 confirme l’absence de décision à leur sujet, ainsi qu’elle le souligne
dans le présent arrêt (par. 82). Cependant, comme nous l’avons vu plus
haut, l’insuffisance des éléments de preuve du Nicaragua ressortait clairement
des déclarations faites par les deux Parties, sans qu’il fût nécessaire
d’examiner les données géologiques et géomorphologiques pertinentes. En
outre, en la présente espèce, la Cour semble oublier que si, dans certains
arrêts, elle a développé sa propre analyse des éléments de preuve ou de
l’argumentation juridique des parties, la manière dont elle rédige ses décisions
(parfois qualifiée de « laconique ») consiste souvent à résumer les positions
des parties sur un point particulier avant de s’en tenir à une brève
conclusion sur ledit point (par exemple, en constatant que les éléments de
preuve ne suffisent pas à établir un fait allégué). J’ai déjà exprimé par le
passé mes réserves à l’égard de cette forme de rédaction, soulignant en particulier
l’obscurité du raisonnement qui peut en résulter (Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie
c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), déclaration de Mme la juge Donoghue,
p. 392, par. 9). Il n’y a toutefois rien d’extraordinaire à ce que la Cour
ait procédé de cette manière dans Nicaragua c. Colombie I pour conclure
que le Nicaragua n’avait pas démontré les faits qu’il alléguait.
37. (Je relève également que, dans la présente procédure, la Colombie
(CR 2015/26, p. 31, par. 6 (Herdegen) ; CR 2015/28, p. 43‑44, par. 17‑23
(Bundy)) et le Nicaragua (CR 2015/27, p. 41, par. 29 ; p. 44, par. 37 (Pellet)
; CR 2015/29, p. 25, par. 23 ; p. 26, par. 25 ; p. 26‑27, par. 27 (Pellet))
ont tous deux convenu que c’était par manque de preuves que la Cour
avait décidé en 2012 qu’elle ne pouvait accueillir la demande du Nicaragua,
même si, bien entendu, leurs positions divergeaient quant à savoir si
cela signifiait que la première demande de celui‑ci dans la présente affaire
tombait sous le coup de l’autorité de la chose jugée.)
38. Il n’y a rien d’inhabituel à ce que la Cour, en 2012, ait choisi de ne
pas traiter certaines des questions juridiques soulevées par les Parties,
comme celle de la relation entre le droit d’un Etat à un plateau continental
étendu et la zone de 200 milles marins d’un autre Etat, ou celle du caractère
coutumier ou non des différents paragraphes de l’article 76 de la CNUDM
(Nicaragua c. Colombie I, p. 666‑668, par. 118, 121 et 123 ; p. 669‑670,
par. 130). Ces questions juridiques avaient des implications allant au‑delà
de l’affaire en cause. Pour procéder à la délimitation, il aurait fallu que la
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 198
102
Cour examine chacune d’elles, mais l’insuffisance manifeste des éléments de
preuve du Nicaragua l’autorisait à s’en abstenir. Là encore, elle a adopté
une démarche totalement conforme à sa pratique traditionnelle en matière
de rédaction judiciaire, consistant notamment à choisir l’ordre dans lequel
elle traite les questions présentées dans une requête, ce qui lui permet de ne
pas avoir à trancher les points de droit qui ne seraient pas essentiels au
règlement du différend particulier dont elle est saisie.
39. Puisque la Cour, dans ses motifs (Nicaragua c. Colombie I, p. 669,
par. 129, cité plus haut au paragraphe 34), ne fait référence qu’à la
demande du Nicaragua relative à un chevauchement des droits nicaraguayens
et des droits générés par la côte continentale colombienne, je ne
vois pas de raison de conclure qu’elle a tranché la question de l’existence
ou de l’étendue d’un quelconque chevauchement des droits du Nicaragua
sur le plateau continental et des droits générés par les îles colombiennes
dans la zone située au‑delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne.
La réponse de la Cour est conforme aux conclusions finales du Nicaragua
dans Nicaragua c. Colombie I.
V. Les implications de la décision de la Cour de ne pas accueillir
la demande I. 3) du Nicaragua (res judicata)
40. La Cour rappelle, dans le présent arrêt, la condition notoirement
requise pour l’application du principe de l’autorité de la chose jugée (res judicata)
: identité des parties, de la base juridique et de l’objet. Elle y relève aussi
à juste titre que, pour savoir si ce principe fait obstacle à une requête introduisant
une nouvelle affaire, elle doit déterminer si, et dans quelle mesure, il a été
statué définitivement sur la réclamation en cause dans l’affaire antérieure, ou,
comme elle l’a dit à une autre occasion, « [s]i un point [a] en fait … été tranché
… expressément [ou] par implication logique » (voir plus haut, par. 7).
41. Je ne remets pas en cause l’état du droit dressé par la Cour. Si mes
vues diffèrent de celles qui sont exprimées dans le présent arrêt, c’est parce
que je ne partage pas l’interprétation que la majorité y donne du point 3
du dispositif de l’arrêt de 2012.
42. Dans l’arrêt de 2012, la Cour constate « expressément [ou] par implication
logique » que le Nicaragua n’a pas apporté la preuve que son plateau
continental s’étend suffisamment loin pour que ses droits chevauchent ceux
générés par la côte continentale colombienne, et qu’elle n’est donc pas en
mesure de procéder à la délimitation demandée. Il s’ensuit que le principe
de l’autorité de la chose jugée empêche le Nicaragua de revenir démontrer
une seconde fois, dans une seconde affaire, les mêmes faits contre le même
défendeur, dans l’espoir de s’acquitter cette fois de la charge de la preuve
qui lui incombe. Le Nicaragua a eu amplement la possibilité de démontrer
l’existence d’un chevauchement de ses droits et des droits générés par la
côte continentale colombienne dans Nicaragua c. Colombie I. Dans ces
conditions, il serait injuste, et contraire à la bonne administration de la
justice, de donner à un Etat une seconde chance de démontrer les mêmes
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 199
103
faits dans une seconde affaire. Par conséquent, l’effet de la chose jugée produit
par l’arrêt de 2012 empêche le Nicaragua de demander de nouveau à
un tribunal de dire si ses droits sur le plateau continental chevauchent ceux
dont la Colombie peut se prévaloir au titre de sa côte continentale.
43. Il reste que la Cour ne s’est pas prononcée sur la question de savoir
s’il existait un chevauchement des droits du Nicaragua et des droits générés
par les îles colombiennes dans la zone située au‑delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne, puisqu’elle n’a pas examiné cette question
dans l’arrêt de 2012. Par conséquent, rien ne permet d’appliquer le
principe de l’autorité de la chose jugée à l’égard de ce chevauchement‑là.
44. Pour ces raisons, je suis d’avis que la première demande du Nicaragua
en la présente affaire était irrecevable en ce qu’elle concerne un chevauchement
des droits du Nicaragua et des droits générés par la côte
continentale colombienne (question couverte par l’effet de la chose jugée),
mais recevable en ce qu’elle concerne un chevauchement des droits du
Nicaragua et des droits générés par les îles colombiennes dans la zone
située au‑delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (question
non couverte par l’effet de la chose jugée).
45. S’agissant de l’application du principe de l’autorité de la chose
jugée aux décisions contenues dans l’arrêt de 2012, je souhaite faire deux
observations finales. Premièrement, lorsque la Cour conclut qu’une partie
n’a pas démontré un fait particulier, cela ne signifie pas nécessairement
que le fait inverse soit vrai. La Chambre de la Cour en a convenu dans
l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), déclarant
que « le rejet éventuel de tel ou tel argument, motif pris de ce que les
allégations de fait sur lesquelles il repose n’ont pas été prouvées, ne suffit
pas en lui‑même pour que la thèse contraire puisse être retenue » (arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 588, par. 65). En 2012, la Cour ne s’est pas prononcée,
ni expressément ni par implication logique, sur les faits relatifs à la
géologie et à la géomorphologie de la zone concernée. Elle n’a pas dit que
le Nicaragua n’avait pas de droits qui chevaucheraient ceux générés par la
côte continentale colombienne, ni qu’il n’avait pas de droits au‑delà de
200 milles marins de sa propre côte. Elle s’est bornée à dire qu’il n’avait
pas produit d’éléments de preuve suffisants pour s’acquitter de la charge
qui lui incombait de démontrer que ses droits sur le plateau continental
chevauchaient ceux dont la Colombie pouvait se prévaloir au titre de sa
côte continentale. Le principe de l’autorité de la chose jugée empêche le
Nicaragua de tenter une seconde fois de s’acquitter de la charge de la
preuve devant un tribunal, mais ne l’empêche pas de chercher à fixer les
limites extérieures de son plateau continental dans le cadre de la CNUDM.
En outre, les Parties restent libres de s’accorder, par voie de négociations
ou tout autre moyen convenu de règlement pacifique des différends, sur la
délimitation de tout secteur où leurs droits se chevaucheraient dans la
zone située au‑delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne.
46. Deuxièmement, la décision rendue par la Cour en 2012, selon
laquelle le Nicaragua ne s’était pas acquitté de la charge de la preuve en
l’affaire, ne produit pas d’effet à l’égard d’Etats tiers.
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 200
104
VI. L’interprétation que donne la Cour du point 3 du dispositif
de l’arrêt de 2012
47. Dans le présent arrêt, la Cour conclut que, en 2012, elle a décidé ne
pouvoir accueillir la demande du Nicaragua parce que celui‑ci « devait
encore satisfaire à l’obligation lui incombant en vertu du paragraphe 8 de
l’article 76 de la CNUDM de déposer, auprès de la Commission, les
informations sur les limites de son plateau continental au‑delà de
200 milles marins prévues par cette disposition et par l’article 4 de l’annexe
II de la convention » (par. 84). Je souhaite faire quelques observations
sur cette conclusion, à laquelle je ne souscris pas.
48. La Cour rappelle avoir souligné dans l’arrêt de 2012 que « le fait
que la Colombie [ne fût] pas partie [à la CNUDM] n’exon[érait] pas le
Nicaragua des obligations qu’il tient de l’article 76 de cet instrument »
(Nicaragua c. Colombie I, p. 669, par. 126), ce qui confirmerait, selon elle,
qu’elle a effectivement décidé en 2012 de ne pas procéder à la délimitation
du plateau continental en l’absence de demande à la Commission. Cette
remarque, qui ne mentionne même pas l’obligation de soumettre une telle
demande, ne peut toutefois expliquer l’interprétation que donne la Cour
de l’arrêt de 2012. Certes, ayant manifestement l’intention de fixer les
limites de son plateau continental au‑delà de 200 milles marins de sa côte,
le Nicaragua devait s’acquitter de certaines obligations au titre de la
CNUDM. Mais il l’avait fait en 2012, puisqu’il avait communiqué des
informations préliminaires au Secrétaire général dans le délai décennal
prévu. En omettant de soumettre une demande complète à la Commission,
le Nicaragua n’a pas omis de « satisfaire à l’obligation lui incombant
» (arrêt, par. 84) ; cette omission n’est qu’un indice, parmi plusieurs
autres, de l’insuffisance manifeste de ses éléments de preuve.
49. En outre, l’obligation de soumettre une demande à la Commission
ne s’applique que dans le cadre d’une procédure de tracé de la limite
extérieure
du plateau continental. La CNUDM n’impose pas aux Etats
parties de saisir la Commission avant de chercher à obtenir par voie
arbitrale
ou judiciaire la délimitation du plateau continental au‑delà de
200 milles marins de leur côte. Au contraire, elle fait une distinction entre,
d’une part, la délimitation d’une frontière maritime et, d’autre part, le tracé
des limites extérieures du plateau continental (art. 76, par. 10, de la
CNUDM ; voir aussi Bangladesh/Myanmar, p. 107‑108, par. 406‑410). La
Cour fait cette même distinction dans le présent arrêt (par. 112), concluant
que l’absence de recommandations de la Commission ne rend pas irrecevable
la demande d’un Etat qui cherche à faire délimiter le plateau continental
dans une zone située à plus de 200 milles marins de sa côte.
50. Même à supposer, arguendo, que la Cour soit fondée à subordonner
son examen d’une demande de délimitation à l’accomplissement d’une étape
précise de la procédure prévue par la CNUDM pour la fixation des limites
extérieures du plateau continental, son interprétation de l’arrêt de 2012, telle
qu’exposée dans le présent arrêt, ne saurait convaincre. Comme il a été dit
plus haut, dans l’arrêt de 2012 (p. 668‑669, par. 126), la Cour posait expres‑
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 201
105
sément comme condition à la délimitation du plateau continental étendu
l’existence d’une demande unilatérale qui ait été non seulement soumise par
l’Etat côtier à la Commission, mais surtout « examinée » par celle‑ci, rappelant
ainsi un point qu’elle avait déjà souligné en 2007. Comme je l’ai dit dans
l’exposé de mon opinion individuelle de 2012 (C.I.J. Recueil 2012 (II),
p. 756, par. 18 ; p. 758, par. 25), je craignais que la Cour, en renvoyant à ce
précédent, ne donne à entendre que, d’une manière générale, aucune
demande de délimitation ne peut prospérer en l’absence de recommandations
de la Commission, ou si les limites extérieures du plateau continental
n’ont pas été fixées sur la base de telles recommandations. (C’est pourquoi
j’approuve que la Cour rejette dans le présent arrêt la cinquième exception
préliminaire de la Colombie, même si je regrette qu’elle ne fasse pas état,
dans le raisonnement de la partie VI, de la contradiction manifeste entre ses
présentes conclusions et ce qu’elle a dit en 2007 et en 2012.)
51. Si la Cour avait décidé en 2012 d’imposer une condition préalable aux
demandes de délimitation (à savoir la saisine de la Commission, selon le
présent arrêt), pareille condition serait le produit exclusif de sa propre pratique
judiciaire ; on n’en trouverait pas trace dans le droit régissant les différends
entre les Parties, qui est le droit international coutumier et non la
CNUDM (à laquelle la Colombie n’est pas partie). Si la Cour avait conclu
qu’elle ne pouvait accueillir la demande I. 3) du Nicaragua parce que celui‑ci
n’avait pas satisfait à ladite condition, il aurait été permis de s’attendre à ce
que, dans l’arrêt de 2012, au lieu de se borner à citer simplement, sans autre
commentaire, un arrêt antérieur (relatif à une affaire entre deux Etats parties
à la CNUDM) dans lequel il est fait expressément référence à une condition
préalable différente (l’« examen par la Commission »), elle explique sa nouvelle
démarche, qui est d’exiger la présentation d’une demande à la Commission
comme condition préalable à la délimitation, ainsi que les raisons de ce
choix. Or, la Cour ne fait rien de tel dans l’arrêt de 2012.
52. Une dernière faille dans l’interprétation que la Cour donne aujourd’hui
de l’arrêt de 2012 est que la question de savoir si la délimitation exige l’accomplissement
préalable d’une quelconque étape de la procédure devant la
Commission est une question qui relève de la recevabilité et non du fond.
Cela ressort clairement de l’analyse de la cinquième exception préliminaire
de la Colombie, que la Cour traite ici comme une question de recevabilité.
Si la Cour avait imposé comme condition préalable une autre étape de la
procédure devant la Commission (la présentation d’une demande), il s’agirait
toujours de recevabilité. Or, comme nous l’avons vu plus haut (par. 20),
la décision prise en 2012 de ne pas accueillir la demande du Nicaragua était
une décision sur le fond, et non une décision d’irrecevabilité.
(Signé) Joan E. Donoghue.

Bilingual Content

187
91
DISSENTING OPINION OF JUDGE DONOGHUE
Scope and meaning of dispositive subparagraph (3) of the 2012 Judgment —
Res judicata.
I. Introduction and Summary
1. In its third preliminary objection in this case, Colombia invoked the
doctrine of res judicata, contending that the Judgment in Territorial and
Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia) (hereinafter the “Nicaragua v.
Colombia I ” or the “2012 Judgment” (I.C.J. Reports 2012 (II), p. 624))
renders the claims in Nicaragua’s present Application inadmissible.
Today the Court rejects this contention and finds Nicaragua’s First
Request to be admissible (subparagraphs (1) (b) and (2) (b) of the dispositif).
I submit this dissenting opinion because I believe that res judicata
bars Nicaragua’s First Request in part.
2. I consider that the Court determined in 2012 that Nicaragua had
not proven that its continental shelf entitlement extended far enough to
overlap with the 200‑nautical‑mile continental shelf entitlement “measured
from Colombia’s mainland coast” (hereinafter, “Colombia’s mainland
entitlement”) (Nicaragua v. Colombia I, I.C.J. Reports 2012 (II),
p. 669, para. 129). This determination was essential to the Court’s conclusion
that it was not in a position to delimit continental shelf, as Nicaragua
requested (ibid.), and thus that it could not uphold Nicaragua’s
submission I (3) in that case (ibid., p. 670, para. 131 ; p. 719, para. 251 (3)).
Accordingly, this 2012 determination must be given res judicata effect. In
Nicaragua v. Colombia I, Nicaragua made full use of the opportunity to
prove its claim that its continental shelf entitlement extended far enough
to overlap with Colombia’s mainland entitlement. It failed to do so. This
is precisely the sort of situation in which, for reasons of procedural fairness,
the doctrine of res judicata applies.
3. On the other hand, the Court did not determine in 2012 whether
Nicaragua had proven the existence or extent of any overlap between its
continental shelf entitlement and the continental shelf entitlement gener‑
187
91
OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE DONOGHUE
[Traduction]
Portée et sens du point 3 du dispositif de l’arrêt de 2012 — Principe de l’autorité
de la chose jugée (res judicata).
I. Introduction et résumé
1. Dans la troisième exception préliminaire qu’elle a soulevée en l’espèce,
la Colombie invoquait le principe de l’autorité de la chose jugée (res
judicata), faisant valoir que l’arrêt en l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie) (ci‑après « Nicaragua c. Colombie I »
ou « l’arrêt de 2012 » ; C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 624) rendait irrecevables
les demandes formulées dans la requête du Nicaragua. Dans le présent
arrêt, la Cour rejette cet argument et déclare recevable la première des
demandes du Nicaragua (arrêt, points 1 b) et 2 b) du dispositif). Je joins
à cet arrêt l’exposé de mon opinion dissidente parce que j’estime que cette
première demande du Nicaragua tombait en partie sous le coup de l’autorité
de la chose jugée.
2. A mon sens, la Cour a conclu en 2012 que le Nicaragua n’avait pas
apporté la preuve que le plateau continental qu’il revendique s’étend suffisamment
loin pour chevaucher celui dont la Colombie peut se prévaloir
sur 200 milles marins « à partir de sa côte continentale » (ci‑après « les
droits générés par la côte continentale colombienne ») (Nicaragua
c. Colombie I, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 669, par. 129). Cette conclusion
constituait une condition absolue de la décision qu’elle a rendue, à savoir
qu’elle n’était pas en mesure de procéder à la délimitation du plateau
continental souhaitée par le Nicaragua (ibid.) et, partant, qu’elle ne pouvait
accueillir la demande que celui‑ci avait formulée au point I. 3) de ses
conclusions finales (ibid., p. 670, par. 131 ; p. 719, par. 251 3)). Cette
conclusion de 2012 doit par conséquent être revêtue de l’autorité de la
chose jugée. Dans Nicaragua c. Colombie I, le Nicaragua a eu amplement
la possibilité de démontrer le bien‑fondé de sa demande, autrement dit,
d’apporter la preuve que le plateau continental qu’il revendique s’étend
suffisamment loin pour qu’il y ait chevauchement de ses droits et des
droits concurrents générés par la côte continentale colombienne. Mais il
ne l’a pas fait. C’est précisément en pareil cas que s’applique, au nom de
l’équité procédurale, le principe de l’autorité de la chose jugée.
3. En revanche, la Cour n’a pas tranché en 2012 la question de savoir si
le Nicaragua avait démontré l’existence ou l’étendue d’un chevauchement
entre le plateau continental qu’il revendique et celui dont la Colombie peut
188 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
92
ated by Colombia’s islands (hereinafter, “Colombia’s insular entitlement”)
in the area more than 200 nautical miles from Nicaragua’s coast.
Thus, to the extent that Nicaragua’s First Request is based on a claim of
any such overlap, the doctrine of res judicata does not pose an obstacle to
admissibility.
4. According to today’s Judgment, the Court decided in its 2012 Judgment
that Nicaragua’s delimitation claim could not be upheld because
Nicaragua had not yet submitted to the Commission on the Limits of the
Continental Shelf (“CLCS” or “Commission”) information on the limits
of its continental shelf beyond 200 nautical miles. Consistent with this
conclusion, the two relevant subparagraphs of today’s dispositif do not
draw a distinction between the two areas of overlapping entitlement that
I describe above. The unfortunate consequence is that my dissenting votes
with respect to these two subparagraphs do not accurately reflect my
views. My position in respect of Colombia’s third preliminary objection
is, in fact, a partial dissent. I set out below my interpretation of the
2012 Judgment, which is at odds with the interpretation in today’s Judgment,
and which gives rise to my partial dissent. In so doing, I recall my
2012 separate opinion (I.C.J. Reports 2012 (II), p. 751), in which I
addressed the very paragraphs of the 2012 Judgment that divide the
Court today.
5. I also indicate in this opinion the reasons why I am unconvinced by
the Court’s interpretation of the 2012 Judgment.
II. The Question before the Court Today
6. Colombia’s contention that the doctrine of res judicata renders
Nicaragua’s First Request inadmissible requires the Court to specify the
meaning and scope of paragraph 251, subparagraph (3), of the 2012 Judgment
(hereinafter, “dispositive subparagraph (3)”). If this cannot be
determined from the text of the dispositif alone, “[i]n determining the
meaning and scope of the operative clause of the original Judgment, the
Court, in accordance with its practice, will have regard to the reasoning
of that Judgment to the extent that it sheds light on the proper interpretation
of the operative clause” (Request for Interpretation of the Judgment
of 15 June 1962 in the Case concerning the Temple of Preah Vihear (Cambodia
v. Thailand) (Cambodia v. Thailand), Judgment, I.C.J. Reports
2013, p. 306, para. 68). Although the contentions that the parties advance
in a case cannot be determinative of the interpretation of a judgment,
“[t]he pleadings and the record of the oral proceedings . . . are also relevant
to the interpretation of the Judgment, as they show what evidence
was, or was not, before the Court and how the issues before it were formulated
by each Party” (ibid., para. 69). A precise understanding of the
meaning and scope of a judgment requires, in particular, the identification
of each element of the reasoning that constitutes “a condition essential
to the Court’s decision” (ibid., p. 296, para. 34, citing Interpretation of
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 188
92
se prévaloir au titre de ses îles (ci‑après « les droits générés par les îles
colombiennes ») dans la zone située au‑delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne. Par conséquent, le principe de l’autorité de la chose jugée
ne fait pas obstacle à la recevabilité de la première demande du Nicaragua
dans la mesure où celle‑ci concerne ce chevauchement supposé.
4. Dans le présent arrêt, la Cour dit qu’elle avait décidé, dans celui de
2012, de ne pas accueillir la demande de délimitation du Nicaragua parce
que celui‑ci n’avait pas encore communiqué à la Commission des limites du
plateau continental (ci‑après « la Commission ») des informations sur les
limites de son plateau continental au‑delà de 200 milles marins. Dans la
logique de cette conclusion, la Cour ne fait pas de distinction, dans le dispositif,
entre les deux zones de chevauchement de droits que je viens de
mentionner. Il s’ensuit, et c’est regrettable, que mes votes négatifs sur les
deux points pertinents du dispositif ne traduisent pas exactement mes vues.
En réalité, ma position concernant la troisième exception préliminaire de la
Colombie n’est que partiellement dissidente. J’exposerai ici mon interprétation
de l’arrêt de 2012, qui diffère de celle donnée dans le présent arrêt, et
qui explique mon dissentiment partiel. Ce faisant, je me référerai à l’opinion
individuelle que j’ai jointe à l’arrêt Nicaragua c. Colombie I
(C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 751), dans laquelle j’analysais précisément les
paragraphes de l’arrêt de 2012 sur lesquels la Cour est aujourd’hui divisée.
5. J’expliquerai également pourquoi je ne suis pas convaincue par la
manière dont la Cour interprète l’arrêt de 2012.
II. La question portée devant la Cour en l’espèce
6. La Colombie affirmant que la première demande du Nicaragua était
irrecevable au regard du principe de l’autorité de la chose jugée, la Cour
devait préciser le sens et la portée du point 3 du paragraphe 251 de l’arrêt
de 2012 (ci‑après « le point 3 du dispositif »). Lorsque le texte seul du dispositif
ne lui permet pas « de déterminer le sens et la portée du dispositif
de l’arrêt initial, la Cour, conformément à sa pratique, tien[t] compte des
motifs de ce dernier dans la mesure où ils éclairent l’interprétation à donner
au dispositif » (Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en
l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge
c. Thaïlande), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 306, par. 68). Même si les
arguments avancés par les parties ne sauraient être déterminants lorsqu’il
s’agit d’interpréter un arrêt, « [l]es écritures et plaidoiries … sont elles
aussi pertinentes aux fins de l’interprétation de l’arrêt, puisqu’elles
montrent quels éléments de preuve ont, à l’époque, été présentés à la
Cour — et quels éléments ne l’ont pas été —, ainsi que la manière dont les
questions soumises à celle‑ci ont été formulées par chacune des Parties »
(ibid., par. 69). Pour comprendre précisément le sens et la portée d’un
arrêt, il convient, en particulier, d’identifier dans les motifs ce qui constitue
« une condition absolue de la décision de la Cour » (ibid., p. 296,
par. 34, citant Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt
189 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
93
Judgments Nos. 7 and 8 (Factory at Chorzów), Judgment No. 11, 1927,
P.C.I.J., Series A, No. 13, p. 20). Thus, the Court today must identify the
elements of the Court’s 2012 reasoning that were essential to its 2012 decision
that it could not uphold Nicaragua’s submission.
7. Identification of these essential elements provides a basis to ascertain
the points that were “determined, expressly or by necessary implication”
by the Court’s 2012 Judgment (Application of the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina
v. Serbia and Montenegro), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (I),
p. 95, para. 126), which must be given res judicata effect (see paragraph 60
of today’s Judgment).
III. The Context for the 2012 Judgment
A. The Procedural Steps related to Establishment of the Outer Limits
of the Continental Shelf
8. Because today’s Judgment attaches singular importance to one step
in the procedure for establishing the outer limits of the continental shelf
that is contained in the United Nations Convention on the Law of the
Sea (“UNCLOS”), I summarize here the three steps that apply to
UNCLOS States parties, which are set out in Article 76, paragraph 8, of
UNCLOS. First, a coastal State that intends to establish the outer limits
of its continental shelf beyond 200 nautical miles of its coast is required
to submit information regarding such limits to the CLCS. This document
is usually called a “submission” (the term that I use today), although the
2012 Judgment sometimes refers to it as a “full submission”. Secondly,
the Commission makes recommendations regarding the outer limits to
the coastal State. Thirdly, on the basis of the Commission’s recommendations,
the coastal State establishes the outer limits of its continental shelf.
Such limits are final and binding.
9. Article 4 of Annex II to UNCLOS requires any submission to be
made within ten years of entry into force of the Convention for a State
party. In 2008, however, the UNCLOS States parties decided that this
ten‑year deadline could be met by a State’s transmission to the
Secretary‑General
of Preliminary Information indicative of the outer limits
of the continental shelf beyond 200 nautical miles (UN doc. SPLOS/183,
2008 ; see also UN doc. SPLOS/72, 2001). Consistent with the 2012 Judgment,
I refer to such a document as “Preliminary Information”.
B Nicaragua’s Submission I (3) and Colombia’s Response
10. In Nicaragua v. Colombia I, Nicaragua’s submission I (3) (hereinafter,
“submission I (3)”) requested the Court to adjudge and declare that:
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 189
93
no 11, 1927, C.P.J.I. série A no 13, p. 20). Par conséquent, dans la présente
affaire, la Cour devait déterminer quels éléments des motifs de l’arrêt de
2012 constituaient une condition absolue de sa décision de ne pas accueillir
la demande du Nicaragua à l’époque.
7. L’identification de ces éléments essentiels permet d’établir quelles
sont les questions qui ont été tranchées « expressément [ou] par implication
logique » dans l’arrêt de 2012 (Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie‑Herzégovine
c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 95, par. 126) et
qui doivent donc être revêtues de l’autorité de la chose jugée (voir le paragraphe
60 du présent arrêt).
III. Le contexte de l’arrêt de 2012
A. Les étapes de la procédure de fixation des limites extérieures
du plateau continental
8. Une importance particulière étant attachée, dans le présent arrêt, à
l’une des étapes de la procédure de fixation des limites extérieures du plateau
continental prévue par la Convention des Nations Unies sur le droit de la
mer (ci‑après « la CNUDM »), je résumerai ici ces étapes, au nombre de trois,
que doivent suivre les Etats parties à la convention, et qui sont définies au
paragraphe 8 de l’article 76 de cet instrument. Tout d’abord, l’Etat côtier qui
se propose de fixer les limites de son plateau continental au‑delà de 200 milles
marins de ses côtes communique des informations à ce sujet à la Commission.
Cette communication est généralement appelée « demande » (c’est le
terme que j’emploierai ici), bien que l’arrêt de 2012 parle parfois de « l’ensemble
des informations requises » ou de « toutes les informations nécessaires
» pour désigner le dossier complet. Ensuite, la Commission adresse à
l’Etat côtier des recommandations sur les limites en question. Enfin, sur la
base de ces recommandations, l’Etat côtier fixe les limites extérieures de son
plateau continental, qui deviennent définitives et de caractère obligatoire.
9. Conformément à l’article 4 de l’annexe II de la CNUDM, les Etats
côtiers doivent faire la demande susmentionnée dans les dix années suivant
l’entrée en vigueur de la convention à leur égard. Cependant, en 2008, les
Etats parties ont convenu que ce délai de dix ans serait réputé respecté dès
lors que des informations préliminaires indicatives sur les limites extérieures
du plateau continental au‑delà de 200 milles marins auraient été communiquées
au Secrétaire général (Nations Unies, doc. SPLOS/183, 2008 ; voir
également SPLOS/72, 2001). Je désignerai cette communication‑là sous le
nom d’« informations préliminaires », comme dans l’arrêt de 2012.
B. La demande I. 3) du Nicaragua et la réponse de la Colombie
10. Dans Nicaragua c. Colombie I, au point I. 3) de ses conclusions
finales (ci‑après « la demande I. 3) »), le Nicaragua priait la Cour de dire
190 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
94
“(3) The appropriate form of delimitation, within the geographical and
legal framework constituted by the mainland coasts of Nicaragua and
Colombia, is a continental shelf boundary dividing by equal parts the
overlapping entitlements to a continental shelf of both Parties.”
(I.C.J. Reports 2012 (II), p. 636, para. 17.) Nicaragua did not ask the
Court to effect a delimitation in respect of any overlap of Nicaragua’s
entitlement with Colombia’s insular entitlement in the area beyond
200 nautical miles of Nicaragua’s coast. Instead, it asked the Court to
enclave the Colombian islands of San Andrés and Providencia and Santa
Catalina by giving them maritime entitlements of 12 nautical miles
(
submission I (4) ; see sketch‑map No. 2 in ibid., p. 663 and the separate
opinion of Judge Donoghue, ibid., p. 755, para. 13).
11. Nicaragua recognized in Nicaragua v. Colombia I that “[d]elimitation
can only take place after one has decided what is the area that needs
to be delimited” (CR 2012/9, p. 23, para. 10 (Lowe)) and thus that the
first step in those proceedings was for the Court to determine the area of
overlapping entitlement to continental shelf. The next step would be the
delimitation of any area of overlap identified by the Court.
12. When maritime entitlements claimed by the parties correspond to
their respective 200‑nautical‑mile zones, the Court can normally identify
the area of overlapping entitlement through an exercise that is largely
mechanical, on the basis of coastal geography. This is not the situation,
however, when a delimitation claim is predicated on the applicant’s
asserted entitlement to continental shelf beyond 200 nautical miles from
its coast, as was the case in Nicaragua v. Colombia I. In those circumstances,
a court or tribunal is required, as a first step, to resolve the question
of fact as to whether an overlap exists. Only if an overlap is found
will the court or tribunal be in a position to proceed to the second step of
delimitation.
13. Accordingly, as the 2012 Judgment notes, Nicaragua considered in
that case that the existence of continental shelf “is essentially a question
of fact” (p. 666, para. 119). Nicaragua did not question that a party bears
the burden of proving the facts that it asserts (Application of the Interim
Accord of 13 September 1995 (the former Yugoslav Republic of Macedonia
v. Greece), Judgment, I.C.J. Reports 2011 (II), p. 668, para. 72 ; Maritime
Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment,
I.C.J. Reports 2009, p. 86, para. 68). It marshalled its evidence in an
attempt to do so. Its Reply included a chapter entitled “The Continental
Shelf in the Western Caribbean : The Geological and Geomorphological
Evidence”, as well as a series of technical annexes taken from the Preliminary
Information that it had transmitted to the Secretary‑General
and other scientific data and evidence regarding the geology and geomorphology
of the area in question. During two sessions of the oral proceedings,
a geologist on Nicaragua’s team presented evidence in support of
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 190
94
et juger « que, dans le cadre géographique et juridique constitué par [s]es
côtes continentales et [celles] de la Colombie, la méthode de délimitation
à retenir consist[ait] à tracer une limite opérant une division par parts
égales de la zone du plateau continental où les droits des deux Parties sur
celui‑ci se chevauchent » (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 636, par. 17). Le
Nicaragua ne demandait pas à la Cour de délimiter la portion de plateau
continental où ses droits chevaucheraient les droits générés par les îles
colombiennes dans la zone située au‑delà de 200 milles marins de sa côte.
Ce qu’il lui demandait, c’était d’enclaver les îles colombiennes de
San Andrés, de Providencia et de Santa Catalina en leur attribuant un
espace maritime de 12 milles marins (ibid., point I. 4) des conclusions
finales du Nicaragua ; p. 663, croquis no 2 ; et opinion individuelle de
Mme la juge Donoghue, p. 755, par. 13).
11. Le Nicaragua a admis, dans Nicaragua c. Colombie I, que l’« [o]n
ne peut procéder à une délimitation qu’après avoir déterminé sur quelle
zone elle doit porter » (CR 2012/9, p. 23, par. 10 (Lowe)) et que, par
conséquent, la première étape, en 2012, consistait à établir dans quels secteurs
du plateau continental existaient des droits concurrents. La délimitation
des zones de chevauchement éventuellement constatées par la Cour
serait la seconde étape.
12. Lorsque des parties revendiquent des droits concurrents dans l’espace
maritime de 200 milles marins qui leur revient, la Cour peut habituellement
cerner la zone où ces droits se chevauchent au moyen d’un
exercice principalement mécanique, en se fondant sur la géographie des
côtes. Cependant, il n’en va pas de même lorsqu’un Etat demande la
délimitation
d’un plateau continental qu’il affirme posséder au‑delà de
200 milles marins de ses côtes, comme c’était le cas dans Nicaragua
c. Colombie I. En pareille situation, la juridiction saisie doit commencer
par résoudre une question de fait, celle de savoir s’il existe
un chevauchement
des droits. Elle ne sera en mesure de procéder à la
seconde étape — la délimitation — que seulement si elle conclut à l’existence
du chevauchement.
13. Telle est la raison pour laquelle le Nicaragua considérait l’existence
d’un plateau continental comme une question de fait essentiellement,
ainsi que le relève la Cour dans l’arrêt de 2012 (p. 666, par. 119). Il ne
contestait pas qu’une partie soit tenue de démontrer les faits qu’elle
invoque (Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex‑République
yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II),
p. 668, par. 72 ; Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine),
arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 86, par. 68), et s’est efforcé de faire la
démonstration requise, en rassemblant à cette fin des éléments de preuve.
Sa réplique contenait un chapitre intitulé « Le plateau continental dans les
Caraïbes occidentales : les éléments de preuve géologiques et géomorphologiques
» ainsi qu’une série d’annexes techniques tirées du dossier d’informations
préliminaires communiqué au Secrétaire général, et d’autres
données ou éléments de preuve scientifiques relatifs à la géologie et à la
géomorphologie de la zone concernée. Pendant deux audiences de la pro‑
191 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
95
Nicaragua’s assertion that its continental shelf entitlement overlapped
with Colombia’s mainland entitlement.
14. Nicaragua took the position that, if the natural prolongation of the
coastal State’s landmass extends beyond 200 nautical miles from its coast,
that State has an entitlement to extended continental shelf “ipso facto and
ab initio” (CR 2012/15, p. 17, para. 4 (Lowe)). Nicaragua pointed to Article
77, paragraph 3, of UNCLOS, which states that a coastal State’s continental
shelf entitlement does not depend on occupation or express
proclamation. It emphasized that the Commission “has no role in establishing
an entitlement to a continental shelf : it merely determines the precise
location of the outer limits of a pre‑existing entitlement” (ibid., p. 19,
para. 15 (Lowe)).
15. Colombia’s primary response (see paragraph 19 below) was that
Nicaragua’s claim was inadmissible as a new claim. However, if the claim
were found to be admissible, quod non, Colombia contended that the
claim failed on the merits, both for legal and evidentiary reasons. As to
the asserted legal defects, Colombia made two points. First, Colombia
disagreed with Nicaragua’s claim that entitlement of continental shelf
exists “ipso facto and ab initio”, stating that :
“Article 76, coupled with the Commission’s Rules of Procedure,
makes it mandatory for a coastal State to make an extended continental
shelf submission to the Commission, for the Commission to
make recommendations on that submission, and for the coastal State
then to establish the outer limits of its shelf ‘on the basis of’ the Commission’s
recommendations. Rule 45 stipulates that the coastal State
‘shall’ submit particulars of its claims to the Commission. Nicaragua
cannot be deemed to have established any rights to an extended continental
shelf unless and until these steps are followed . . .” (Nicaragua
v. Colombia I, Rejoinder of the Republic of Colombia, p. 141,
para. 4.42.)
Thus, Colombia’s position was that a coastal State that is a party to
UNCLOS has no entitlement to extended continental shelf until the three
steps set out in Article 76, paragraph 8, of UNCLOS are completed and
the coastal State has established the outer limits based on Commission
recommendations.
16. Colombia’s second legal argument was that a State’s entitlement to
continental shelf based on the distance criterion always takes precedence
over an extended continental shelf entitlement. Nicaragua disagreed on
this legal point.
17. Turning to the evidence, Colombia had this to say: “Factually, the
so‑called ‘evidence’ that Nicaragua has adduced in its Reply is woefully
deficient, and would not even begin to satisfy the Commission on the Limits
of the Continental Shelf.” (CR 2012/12, p. 53, para. 46 (Bundy).) To
support this criticism of Nicaragua’s evidence, Colombia emphasized Nica‑
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 191
95
cédure orale, un géologue de la délégation nicaraguayenne s’est employé
à démontrer que les droits du Nicaragua sur le plateau continental chevauchaient
les droits générés par la côte continentale colombienne.
14. Le Nicaragua arguait qu’un Etat côtier a droit à un plateau continental
étendu « ipso facto et ab initio » (CR 2012/15, p. 17, par. 4 (Lowe))
dès lors que le prolongement naturel de sa masse terrestre s’étend sur plus
de 200 milles marins à partir de sa côte. Il rappelait que, conformément
au paragraphe 3 de l’article 77 de la CNUDM, les droits de l’Etat côtier
sur le plateau continental sont indépendants de toute occupation ou proclamation
expresse. Il insistait sur le fait que la Commission « ne joue
aucun rôle dans l’établissement d’un droit sur le plateau continental : elle
ne fait que déterminer l’emplacement précis des limites extérieures d’un
droit préexistant » (ibid., p. 19, par. 15 (Lowe)).
15. La Colombie lui opposait comme principal argument que sa
demande était irrecevable en raison de son caractère nouveau (voir plus
loin, par. 19). Elle ajoutait que, même à supposer qu’elle soit jugée recevable,
quod non, cette demande ne pouvait être accueillie sur le fond, pour
des motifs liés à la fois au droit et à la preuve. S’agissant des failles juridiques
supposées, la Colombie invoquait deux points. Premièrement, elle
contestait que le droit à un plateau continental existât « ipso facto et ab
initio », comme l’affirmait le Nicaragua. Selon elle,
« [l]u conjointement avec le règlement intérieur de la Commission,
l’article 76 prévoit que l’Etat côtier doit soumettre une demande
concernant un plateau continental étendu à la Commission, que cette
dernière fait des recommandations concernant cette demande, et que
l’Etat côtier établit ensuite les limites extérieures de son plateau « sur
la base des » recommandations de la Commission. En vertu de l’article
45 du règlement, l’Etat côtier « soumet » … les caractéristiques
de cette demande à la Commission. Le Nicaragua ne saurait être
réputé avoir établi un droit à un plateau continental étendu à moins
d’avoir entrepris ces démarches… » (Nicaragua c. Colombie I,
duplique de la Colombie, p. 141, par. 4.42.)
Ainsi, pour la Colombie, un Etat côtier qui est partie à la CNUDM ne
peut faire valoir son droit à un plateau continental étendu qu’après avoir
accompli les trois étapes prévues au paragraphe 8 de l’article 76 de la
convention et fixé les limites extérieures de son plateau continental sur la
base des recommandations de la Commission.
16. Le second argument juridique de la Colombie était que, pour établir
des droits sur le plateau continental, le critère de la distance prime
toujours celui de l’étendue de la marge continentale. Le Nicaragua contestait
ce point de droit.
17. Au sujet des éléments de preuve, la Colombie affirmait que, « [s]ur
le plan des faits, les prétendues « preuves » [du Nicaragua] … [étaient]
complètement viciées, et n’[auraient] même pas [constitué] un commencement
de preuve pour la Commission » (CR 2012/12, p. 53, par. 46
(Bundy)). A l’appui de cette critique, elle rappelait que le Nicaragua avait
192 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
96
ragua’s admissions as to the insufficiency of its evidence. To this end,
Colombia called the Court’s attention to the fact that Nicaragua had
attached to its Reply technical annexes from the Preliminary Information
that it had transmitted to the Secretary‑General, but had not filed the Preliminary
Information itself with the Court. Colombia informed the Court
that Nicaragua’s Preliminary Information itself (which is available on the
Commission website) acknowledged that “some of the data and the profiles
[contained therein] do not satisfy the exacting standards required by the
CLCS for a full submission, as detailed in the Commission’s Guidelines”
(CR 2012/12, p. 56, para. 59 (Bundy) ; see also ibid., p. 61, para. 81 (Bundy)).
Colombia pointed to other admissions that appeared in the evidence that
Nicaragua had submitted in the proceedings in Nicaragua v. Colombia I:
“Nicaragua’s technical annex to its Reply states that its foot‑of‑slope points
‘should be treated as indicative only’. And it adds ‘there are issues with the
data quality in a few areas’.” (Ibid., p. 58, para. 65 (Bundy).)
18. As can be seen, therefore, the arguments of the Parties in Nicaragua
v. Colombia I centred not on the methodology of delimitation, but on
the question whether there was a basis in law and in fact for the Court to
proceed to the step of delimitation.
IV. What Did the Court Decide in 2012 ?
19. In the 2012 Judgment, the Court took two decisions regarding
Nicaragua’s submission I (3). That submission was not a part of Nicaragua’s
Application ; it appeared for the first time in Nicaragua’s Reply.
The Court first rejected Colombia’s contention that the claim contained
in submission I (3) was inadmissible because it was new (Nicaragua v.
Colombia I, p. 719, para. 251 (2)). The reasoning in support of this decision
appears in Section III of the 2012 Judgment, entitled “Admissibility
of Nicaragua’s Claim for Delimitation of a Continental Shelf Extending
beyond 200 Nautical Miles”. Section III concludes that the claim contained
in submission I (3) is admissible (ibid., p. 665, para. 112). The
2012 Judgment identifies no question of admissibility other than Colombia’s
objection to Nicaragua’s new claim.
20. Section IV of the 2012 Judgment is entitled “Consideration of
Nicaragua’s Claim for Delimitation of a Continental Shelf Extending
beyond 200 Nautical Miles”. It contains the reasoning on which the
Court bases its second decision on Nicaragua’s submission, i.e., that the
Court could not “uphold the Republic of Nicaragua’s claim contained in
its final submission I (3)” (ibid., p. 719, para. 251 (3)). The structure of the
Judgment and the absence of any indication that the Court was addressing
an unspecified aspect of admissibility in Part IV therefore make clear
that the Court’s decision that it could not uphold Nicaragua’s submission
I (3) was a decision on the merits.
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 192
96
lui‑même admis l’insuffisance de ses preuves. Elle soulignait que le Nicaragua
avait joint à sa réplique des annexes techniques tirées du dossier
d’informations préliminaires communiqué au Secrétaire général, mais
sans pour autant produire ledit dossier devant la Cour. Elle notait qu’il
avait lui‑même indiqué dans ces informations préliminaires (disponibles
sur le site web de la Commission) que « certains des données et des profils
décrits [dans le dossier] ne rempliss[aient] pas les critères rigoureux concernant
la demande complète édictés par la Commission des limites du
plateau
continental, tels qu’ils sont précisés dans [ses] directives »
(CR 2012/12, p. 56, par. 59 (Bundy) ; voir également ibid., p. 61, par. 81
(Bundy)). La Colombie relevait d’autres aveux similaires, signalant par
exemple que « [l]’annexe technique que le Nicaragua a jointe à sa réplique
indique que les points du pied du talus « ne doivent être pris en compte
qu’à titre indicatif ». Puis lit‑on : « Des questions se posent quant à
la qualité
des données dans quelques zones. » » (Ibid., p. 58, par. 65
(Bundy).)
18. L’on voit que, dans Nicaragua c. Colombie I, l’argumentation des
Parties portait principalement non pas sur la méthodologie de la délimitation,
mais sur la question de savoir s’il était justifié, en fait et en droit,
que la Cour procède à l’étape de la délimitation.
IV. Quelle était la décision prise par la Cour en 2012 ?
19. Dans l’arrêt de 2012, la Cour rend deux décisions au sujet de la
demande I. 3) du Nicaragua. Cette demande ne figurait pas dans la
requête ; c’est dans la réplique qu’elle a été formulée pour la première fois.
La Cour rejette d’abord l’argument de la Colombie selon lequel la
demande I. 3) serait irrecevable en raison de son caractère nouveau (Nicaragua
c. Colombie I, p. 719, par. 251 2)). Les motifs qui sous‑tendent cette
décision sont exposés dans la partie III, intitulée « Recevabilité de la
demande du Nicaragua tendant à la délimitation d’un plateau continental
s’étendant au‑delà de 200 milles marins ». La Cour conclut, à la fin de
cette partie, que la demande I. 3) du Nicaragua est recevable (ibid., p. 665,
par. 112). La seule et unique référence à la recevabilité dans l’arrêt de
2012 concerne l’objection exprimée par la Colombie au sujet de la nouveauté
de la demande.
20. La partie IV de l’arrêt de 2012 est intitulée « Examen de la demande
du Nicaragua tendant à la délimitation d’un plateau continental s’étendant
au‑delà de 200 milles marins ». La Cour y expose les motifs
qui sous‑tendent sa seconde décision sur les griefs du Nicaragua, à
savoir celle de ne pas « accueillir la demande formulée par la République
du Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales » (ibid.,
p. 719, par. 251 3)). Vu la structure de l’arrêt, et puisque rien ne donne
à penser que la Cour ait examiné une quelconque question de recevabilité
dans la partie IV, il est évident que sa décision de ne pas accueillir
la demande I. 3) est une décision sur le fond.
193 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
97
21. In the present case, each Party attached significance to the Court’s
use of the phrase “cannot uphold” to express its decision on the merits of
submission I (3).
22. According to Nicaragua, in 2012 the Court neither ruled positively
on Nicaragua’s claim, nor rejected it. Instead, it “confine[d] itself, negatively,
to ‘not upholding’ a submission — that is to say not ruling on it”
(CR 2015/27, p. 39, para. 25 (Pellet)). However, Nicaragua did not identify
any prior judgment in which the Court used the phrase “cannot
uphold” to indicate that it would not rule on the merits of a claim that fell
within its jurisdiction and was admissible.
23. Colombia’s assertion was that the decision that the Court could
not uphold Nicaragua’s claim meant that the Court had rejected the
delimitation requested in submission I (3). Colombia pointed to a series
of judgments in which the Court used the phrases “cannot uphold” or
“cannot be upheld” when it rejected a claim (see CR 2015/28, pp. 18‑21,
paras. 3‑12 (Reisman)).
24. The judgments identified by Colombia undercut Nicaragua’s suggestion
that the Court used the phrase “cannot uphold” in dispositive
subparagraph (3) in order to signal that it was not ruling on a claim.
However, Colombia’s contention that the Court rejected Nicaragua’s
delimitation claim in its entirety overlooks the fact that the Court in dispositive
subparagraph (3) ruled on a claim with the two distinct steps
described above (para. 12). The Court never proceeded to delimitation, so
it cannot be understood to have “rejected” Nicaragua’s proposed delimitation.
Instead, the phrase “cannot uphold” indicates that Nicaragua’s
submission I (3) failed at the first of the two steps inherent in Nicaragua’s
claim ; the Court was therefore not in a position to proceed to the second
step of delimitation.
25. The question that divides the Court today is why the Court determined
that it was not in a position to delimit as requested by Nicaragua,
and thus decided that it could not uphold submission I (3). As the answer
to this question cannot be found in the text of the dispositif, I turn now to
my understanding of the reasoning that was essential to the Court’s
2012 decision.
26. In the first paragraph of Section IV, the Court framed the question
to be addressed as “whether it is in a position to determine ‘a continental
shelf boundary dividing by equal parts the overlapping entitlements to a
continental shelf of both Parties’ as requested by Nicaragua in its final
submission I (3)” (Nicaragua v. Colombia I, p. 665, para. 113).
27. A court or tribunal is only “in a position” to effect a delimitation if
the entitlements of the parties overlap (see Delimitation of the Maritime
Boundary between Bangladesh and Myanmar in the Bay of Bengal (Bangladesh/
Myanmar), Judgment of 14 March 2012, ITLOS Reports 2012
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 193
97
21. Dans la présente affaire, chacune des Parties a attaché une grande
importance à l’expression « ne peut accueillir » employée par la Cour pour
exprimer sa décision sur le fond de la demande I. 3).
22. Pour le Nicaragua, la Cour, en 2012, ne s’est pas prononcée positivement
sur la demande I. 3), mais ne l’a pas rejetée non plus. Selon lui,
elle s’est « content[ée], négativement, de « ne pas accueillir » une conclusion
— c’est‑à‑dire de ne pas se prononcer sur celle‑ci » (CR 2015/27,
p. 39, par. 25 (Pellet)). Le Nicaragua n’a toutefois invoqué aucune autre
affaire où la Cour aurait employé l’expression « ne peut accueillir » pour
signifier qu’elle ne se prononcerait pas sur le fond d’une demande recevable
et relevant de sa compétence.
23. La Colombie considérait que la décision de la Cour de ne pas
accueillir la demande I. 3) signifiait un rejet de la délimitation demandée
par le Nicaragua. Elle renvoyait à cet égard à plusieurs arrêts dans lesquels
la Cour avait employé la même expression pour rejeter une demande
(voir CR 2015/28, p. 18‑21, par. 3‑12 (Reisman)).
24. Les arrêts invoqués par la Colombie infirment la thèse du Nicaragua,
selon laquelle la Cour aurait employé l’expression « ne peut accueillir
» au point 3 du dispositif de l’arrêt de 2012 pour indiquer qu’elle ne se
prononçait pas. Cependant, en affirmant que la Cour a rejeté dans sa
totalité la demande de délimitation du Nicaragua, la Colombie perd de
vue que la Cour statuait sur une demande qui requiert deux étapes,
comme nous l’avons vu plus haut (par. 12). La Cour n’ayant jamais entrepris
l’étape de la délimitation, on ne saurait conclure qu’elle a « rejeté » la
délimitation proposée par le Nicaragua. En déclarant « ne [pouvoir]
accueillir » la demande I. 3), elle voulait plutôt dire que, dans la mesure
où la première des deux étapes inhérentes à cette demande n’avait pas été
accomplie, elle ne pouvait pas procéder à la seconde — la délimitation
proprement dite.
25. Ce qui divise la Cour dans la présente affaire, c’est la question de
savoir pourquoi, en 2012, elle a conclu ne pas être en mesure d’effectuer
la délimitation demandée par le Nicaragua et, partant, d’accueillir sa
demande I. 3). Puisque la réponse ne se trouve pas dans le dispositif de
l’arrêt, c’est dans les motifs qu’il convient de la chercher. J’exposerai donc
à présent mon interprétation des motifs qui constituaient une condition
absolue de la décision de 2012.
26. Au premier paragraphe de la partie IV de l’arrêt, la Cour formule
la question suivante : est‑elle « en mesure de tracer « une limite opérant
une division par parts égales de la zone du plateau continental où les
droits des deux Parties sur celui‑ci se chevauchent », ainsi que le Nicaragua
le lui demande au point I. 3) de ses conclusions finales » ? (Nicaragua
c. Colombie I, p. 665, par. 113.)
27. Une juridiction n’est « en mesure » d’effectuer une délimitation que
s’il y a chevauchement des droits des parties (voir Différend relatif à la délimitation
de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le
golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt du 14 mars 2012, TIDM
194 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
98
(hereinafter, “Bangladesh/Myanmar”), p. 105, para. 397). Thus, after indicating
that customary international law governs the case (Nicaragua v.
Colombia I, p. 666, para. 118), the 2012 Judgment turns to the Parties’
positions in respect of the first step of Nicaragua’s claim — the contention
that Nicaragua’s continental shelf entitlement overlaps with Colombia’s
mainland entitlement.
28. The Court’s summary of Nicaragua’s position begins with its factual
claim — that the natural prolongation of its landmass, which it
described as the “Nicaraguan Rise”, overlaps with Colombia’s mainland
entitlement (ibid., p. 666, para. 119). The Judgment notes that Nicaragua
had transmitted Preliminary Information to the Secretary‑General within
the applicable ten‑year period (ibid., p. 667, para. 120).
29. The Judgment also lays out the ways in which Nicaragua sought to
reassure the Court of the quality of its evidence, noting that, according to
Nicaragua, the work needed to complete a submission to the Commission
was “well advanced” and that it intended to acquire additional survey
data in order to complete the information to be submitted to the Commission
(ibid., p. 667, para. 120). In addition, the 2012 Judgment recalls
Nicaragua’s assertion that it had “established the outer limit of its continental
shelf beyond 200 nautical miles on the basis of available public
domain datasets” (ibid.).
30. When the Judgment turns to Colombia’s position, the Court’s
summary captures that Party’s view that the inadequacy of Nicaragua’s
evidence stood in the way of delimitation :
“Colombia contends that Nicaragua’s purported rights to the
extended continental shelf out to the outer edge of the continental
margin beyond 200 nautical miles have never been recognized or even
submitted to the Commission. According to Colombia, the information
provided to the Court, which is based on the ‘Preliminary Information’
submitted by Nicaragua to the Commission, is ‘woefully
deficient’. Colombia emphasizes that the ‘Preliminary Information’
does not fulfil the requirements for the Commission to make recommendations,
and therefore Nicaragua has not established any entitlement
to an extended continental shelf. That being the case, Colombia
asserts that Nicaragua cannot merely assume that it possesses such
rights in this case or ask the Court to proceed to a delimitation ‘based
on rudimentary and incomplete technical information’.” (Ibid., p. 667,
para. 122.)
As can be seen in the Court’s summary of Colombia’s views, the deficiencies
in Nicaragua’s evidence were revealed, first, by the fact that the limits
of its continental shelf had not been “recognized or even submitted” to
the Commission and, secondly, because the Preliminary Information
from which Nicaragua drew its evidence did not even meet the requirements
for a submission to the Commission. According to Colombia, the
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 194
98
Recueil 2012 (ci‑après « Bangladesh/Myanmar »), p. 105, par. 397). C’est
pourquoi, après avoir indiqué que le droit applicable est le droit international
coutumier (Nicaragua c. Colombie I, p. 666, par. 118), la Cour entreprend
d’examiner les positions respectives des Parties à l’égard de la
première étape inhérente à la demande du Nicaragua, qui consiste à établir
l’existence d’un éventuel chevauchement des droits de celui‑ci sur le plateau
continental et des droits générés par la côte continentale colombienne.
28. La Cour commence par résumer la position du Nicaragua en rappelant
l’argument factuel que ce dernier avançait, à savoir que le prolongement
naturel de sa masse terrestre, appelé « seuil nicaraguayen »,
chevauche le plateau continental auquel la Colombie peut prétendre au
titre de sa côte continentale (ibid., p. 666, par. 119). Elle note que le Nicaragua
a communiqué des informations préliminaires au Secrétaire général
dans le délai décennal prévu (ibid., p. 667, par. 120).
29. La Cour note également que le Nicaragua a souhaité la rassurer
sur la qualité des éléments de preuve produits, rappelant que, selon lui, les
travaux nécessaires à la communication d’une demande à la Commission
étaient « bien avancés », et qu’il envisageait d’acquérir d’autres données
topographiques afin de compléter les informations destinées à la Commission
(ibid., p. 667, par. 120). Elle indique en outre qu’il a affirmé avoir
« établi les limites extérieures de son plateau continental au‑delà de
200 milles marins sur la base de données relevant du domaine public »
(ibid.).
30. La Cour résume ensuite la position de la Colombie, rappelant que,
selon celle‑ci, le caractère inadéquat des éléments de preuve produits par
le Nicaragua fait obstacle à toute délimitation :
« La Colombie soutient que le droit à un plateau continental étendu
que le Nicaragua prétend détenir jusqu’au rebord externe de la marge
continentale, au‑delà de 200 milles marins, n’a jamais été reconnu ni
même soumis pour examen à la Commission. Selon elle, les données
communiquées à la Cour par le Nicaragua, sur la base des « informations
préliminaires » qu’il a soumises à la Commission, sont « totalement
insuffisantes ». La Colombie souligne que ces « informations préliminaires
» ne satisfont pas aux exigences requises pour que la Commission
puisse formuler des recommandations ; le Nicaragua n’aurait donc pas
établi qu’il possédait le moindre droit à un plateau continental étendu.
Partant, affirme‑t‑elle, le Nicaragua ne saurait se contenter de postuler
qu’il détient de tels droits en l’espèce, ni demander à la Cour de procéder
à une délimitation « sur la base de renseignements techniques rudimentaires
et incomplets ». » (Ibid., p. 667, par. 122.)
Il ressort des vues de la Colombie ainsi résumées par la Cour que l’insuffisance
des éléments de preuve produits par le Nicaragua tient au fait, premièrement,
que les limites du plateau continental nicaraguayen n’ont
« jamais été reconnu[es] ni même soumis[es] » à la Commission, et, deuxièmement,
que les informations préliminaires dont provenaient ces éléments
n’étaient même pas celles que pouvait attendre la Commission. Pour la
195 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
99
consequence of Nicaragua’s “rudimentary and incomplete” evidence was
that the Court could not proceed to delimitation.
31. Having summarized the Parties’ positions, the 2012 Judgment then
addresses the “jurisprudence” to which Nicaragua had referred (Nicaragua
v. Colombia I, p. 668, para. 125). It begins with observations regarding
the Judgment of ITLOS in Bangladesh/Myanmar, in which the
Tribunal rejected the contention that it should not delimit areas of
extended continental shelf. The Court first identifies circumstances that
distinguished that case from the situation in Nicaragua v. Colombia I
(e.g., ITLOS did not need to determine the outer limits of the continental
shelf ; the Bay of Bengal presents a unique situation ; both States were
parties to UNCLOS and had made submissions to the Commission). This
enumeration of differences between the two cases might have suggested
that the Court saw reasons not to proceed to delimitation in Nicaragua v.
Colombia I, even though ITLOS had done so in Bangladesh/Myanmar.
However, the discussion of Bangladesh/Myanmar closes with the observation
that ITLOS had drawn a clear distinction between delimitation of
continental shelf and delineation of its outer limits, a point that today’s
Judgment also embraces (para. 112). Taken as a whole, therefore, the
Court’s comments on Bangladesh/Myanmar suggest some openness to the
delimitation of areas of extended continental shelf.
32. When the Court’s review of jurisprudence moves from Bangladesh/
Myanmar to its own 2007 Judgment in the case concerning Territorial and
Maritime Dispute between Nicaragua and Honduras in the Caribbean Sea
(Nicaragua v. Honduras), however, the Court’s reasoning points in precisely
the opposite direction. Quoting from that 2007 Judgment, the
Court states that “any claim of continental shelf rights beyond 200 miles
[by a State party to UNCLOS] must be in accordance with Article 76 of
UNCLOS and reviewed by the Commission” (Nicaragua v. Colombia I,
p. 669, para. 126, citing I.C.J. Reports 2007 (II), p. 759, para. 319). The
clear implication (about which my 2012 separate opinion expresses misgivings)
is that the Court would hesitate to entertain an application seeking
delimitation of areas of extended continental shelf in the absence of
review by the Commission. (Today’s Judgment, however, reaches the
opposite conclusion in rejecting Colombia’s fifth preliminary objection.)
The Court then observes that the fact that Colombia is not a party to
UNCLOS does not relieve Nicaragua of its obligations under Article 76
of UNCLOS (Nicaragua v. Colombia I, p. 669, para. 126.)
33. Following its observations on jurisprudence, the Court addresses
the evidence that Nicaragua had provided to the Court. It notes that
Nicaragua’s Preliminary Information “by [Nicaragua’s] own admission,
falls short of meeting the requirements for information” specified in paragraph
8 of Article 76 of UNCLOS and that Nicaragua had provided the
Court with annexes to the Preliminary Information and had indicated
that the entire Preliminary Information was available on the Commission’s
website (ibid., p. 669, para. 127). There was no reason for the Court
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 195
99
Colombie, puisque les éléments de preuve du Nicaragua étaient « rudimentaires
et incomplets », la Cour ne pouvait pas procéder à la délimitation.
31. Après avoir résumé les positions des Parties, la Cour se penche sur la
« jurisprudence » invoquée par le Nicaragua (Nicaragua c. Colombie I,
p. 668, par. 125). Elle commence par commenter l’arrêt rendu en l’affaire
Bangladesh/Myanmar, dans lequel le TDIM a estimé que rien ne l’empêchait
de délimiter des zones de plateau continental étendu. La Cour explique
d’abord ce qui distingue cette affaire‑là de Nicaragua c. Colombie I (par
exemple, le TDIM n’a pas eu besoin de fixer les limites extérieures du plateau
continental, le golfe du Bengale présentait une situation particulière, les
deux Etats étaient parties à la CNUDM et avaient tous deux présenté une
demande à la Commission). Cette énumération des différences entre les deux
affaires peut laisser entendre que la Cour y voyait des raisons de ne pas procéder
à la délimitation dans Nicaragua c. Colombie I, même si le TDIM
l’avait fait dans Bangladesh/Myanmar. Cependant, la Cour conclut ensuite
son commentaire de l’affaire Bangladesh/Myanmar en faisant observer que
le TDIM a établi une nette distinction entre la délimitation du plateau continental
et le tracé de sa limite extérieure, distinction que l’on retrouve dans le
présent arrêt (par. 112). Ainsi, lu dans son ensemble, le commentaire de la
Cour sur Bangladesh/Myanmar semble envisager une certaine souplesse
dans la délimitation des portions de plateau continental étendu.
32. Poursuivant son examen de la jurisprudence, la Cour passe de Bangladesh/
Myanmar à son propre arrêt en l’affaire du Différend territorial et
maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras), mais en adoptant le raisonnement inverse. Citant cet
arrêt de 2007, elle rappelle que « toute prétention [d’un Etat partie à la
CNUDM] relative à des droits sur le plateau continental au‑delà de
200 milles d[oit] être conforme à l’article 76 de la CNUDM et examinée par
la Commission des limites du plateau continental constituée en vertu de ce
traité » (Nicaragua c. Colombie I, p. 669, par. 126, citant C.I.J. Recueil
2007 (II), p. 759, par. 319). Ce faisant, la Cour laisse clairement entendre
qu’elle serait réticente à connaître d’une demande de délimitation du plateau
continental étendu en l’absence d’examen par la Commission (j’ai exprimé
des doutes sur ce point dans l’exposé de mon opinion individuelle de 2012).
(Dans le présent arrêt, cependant, elle conclut le contraire, en rejetant la
cinquième exception préliminaire de la Colombie.) La Cour rappelle ensuite
que, si la Colombie n’est pas partie à la CNUDM, cela n’exonère pas pour
autant le Nicaragua des obligations qu’il tient de l’article 76 de cet instrument
(Nicaragua c. Colombie I, p. 669, par. 126).
33. Après son commentaire de la jurisprudence, la Cour se penche sur
les éléments de preuve du Nicaragua. Elle note que ce dernier a présenté
des informations préliminaires qui sont, « comme [il] l’admet [lui‑même], …
loin de satisfaire aux exigences requises pour pouvoir être considérées
comme des informations » conformes aux prescriptions du paragraphe 8
de l’article 76 de la CNUDM. Elle note aussi qu’il a produit les annexes
jointes auxdites informations préliminaires, et qu’il a précisé que l’intégralité
du dossier figurait sur le site de la Commission (ibid., p. 669,
196 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
100
to probe the details of Nicaragua’s evidence or Colombia’s criticism
thereof because the evidence that Nicaragua had presented to the Court
was facially deficient. In the absence of Commission recommendations,
the Court could not rely on the assessment of an expert body, as it has
done in other cases (Application of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide (Croatia v. Serbia), Judgment,
I.C.J. Reports 2015 (I), p. 76, paras. 190‑191). Nicaragua had admitted
that the evidence that it had introduced in Nicaragua v. Colombia I fell
short of what the Commission requires, and the Court attaches particular
evidentiary importance to admissions adverse to a party (see, e.g., Military
and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v.
United States of America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 43,
para. 69 ; Armed Activities on the Territory of the Congo (Democratic
Republic of the Congo v. Uganda), Judgment, I.C.J. Reports 2005, p. 201,
para. 61). Thus, Nicaragua’s reliance in the proceedings in the 2012 Judgment
on evidence from its Preliminary Information, and not from a submission,
was among the reasons why the Court concluded that Nicaragua
had failed to prove the facts that it asserted in the first step of its claim.
34. After addressing Nicaragua’s evidence, the 2012 Judgment recalls
that, at the hearing, Nicaragua had suggested that, rather than specifying
the precise location of the outer limits of Nicaragua’s continental shelf, the
Court had the option of proposing a formula for delimitation, which could
then be applied after Nicaragua has established the outer limits of its continental
shelf based on Commission recommendations (Nicaragua v.
Colombia I, p. 669, para. 128). Following its summary of Nicaragua’s alternative
proposal, the Court concludes its reasoning on the merits with
respect to Nicaragua’s submission I (3) as follows :
“[S]ince Nicaragua, in the present proceedings, has not established
[in French: ‘n’ayant pas . . . apporté la preuve’] that it has a continental
margin that extends far enough to overlap with Colombia’s
200‑nautical‑mile entitlement to the continental shelf, measured from
Colombia’s mainland coast, the Court is not in a position to delimit
the continental shelf boundary between Nicaragua and Colombia, as
requested by Nicaragua, even using the general formulation proposed
by it.” (Ibid., p. 669, para. 129.)
35. Thus, having begun its consideration of Nicaragua’s submission
I (3) with the question whether it was “in a position” to determine a
continental shelf boundary as requested by Nicaragua (ibid., p. 665,
para. 113), the Court answered that question in the above‑quoted paragraph.
As that paragraph indicates, in the proceedings in Nicaragua v.
Colombia I, Nicaragua had not proven the facts on which its claim was
predicated — that its continental shelf entitlement extended far enough to
overlap with Colombia’s mainland entitlement. This conclusion as to the
first step of Nicaragua’s claim led the Court to determine that it was “not
in a position” to proceed to the second step — delimitation of the conti‑
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 196
100
par. 127). Du fait de leur insuffisance manifeste, la Cour n’avait pas lieu
de s’appesantir sur les éléments de preuve produits par le Nicaragua, ni
sur les critiques formulées à leur sujet par la Colombie. En l’absence de
recommandations de la Commission, elle ne pouvait s’appuyer sur une
expertise, comme elle l’avait fait dans d’autres affaires (Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie
c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 76, par. 190‑191). Le Nicaragua
a reconnu que les informations qu’il avait produites étaient loin d’être
équivalentes à celles requises par la Commission ; or, la Cour attache une
importance particulière aux aveux qu’une partie fait à son propre détriment
(voir, par exemple, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui‑ci (Nicaragua c. Etats‑Unis d’Amérique), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 43, par. 69 ; Activités armées sur le territoire du
Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J.
Recueil 2005, p. 201, par. 61). Ainsi, le fait que le Nicaragua, dans Nicaragua
c. Colombie I, se soit appuyé sur des éléments tirés de ses informations
préliminaires, et non d’une demande complète à la Commission, est
l’une des raisons pour lesquelles la Cour a conclu qu’il n’avait pas démontré
le bien‑fondé de sa demande aux fins de la première étape.
34. A l’issue de son examen des éléments de preuve du Nicaragua, la
Cour rappelle que ce dernier, au cours des audiences, lui a suggéré de
définir la délimitation, plutôt que de situer précisément la limite extérieure
de son plateau continental, faisant valoir qu’il pourrait appliquer la formulation
proposée une fois qu’il aurait fixé ladite limite extérieure sur la
base des recommandations de la Commission (Nicaragua c. Colombie I,
p. 669, par. 128). Après avoir résumé la solution proposée par le
Nicaragua,
la Cour conclut comme suit ses motifs sur le fond de la
demande I. 3) :
« [L]e Nicaragua n’ayant pas, dans la présente instance, apporté la
preuve que sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour
chevaucher le plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir
sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale, la Cour n’est
pas en mesure de délimiter les portions du plateau continental relevant
de chacune des Parties, comme le lui demande le Nicaragua,
même en utilisant la formulation générale proposée par ce dernier. »
(Ibid., p. 669, par. 129.)
35. La Cour répond ainsi, dans ce paragraphe, à la question qu’elle
s’est posée avant de commencer l’examen de la demande I. 3), celle de
savoir si elle est « en mesure » de départager le plateau continental comme
le lui demande le Nicaragua (ibid., p. 665, par. 113). Ainsi qu’il est dit
dans ce paragraphe, dans Nicaragua c. Colombie I, le Nicaragua n’a pas
démontré les faits sur lesquels il fondait sa demande — autrement dit, que
le plateau continental qu’il revendique s’étend suffisamment loin pour
qu’il y ait chevauchement de ses droits et des droits générés par la côte
continentale colombienne. A partir de cette constatation dans la première
étape inhérente à la demande, la Cour conclut qu’elle n’est pas « en
197 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
101
nental shelf boundary requested by Nicaragua — either through identification
of a specific median line or through articulation of a formula. This
reasoning was essential to the Court’s decision that Nicaragua’s submission
I (3) could not be upheld.
36. In my 2012 separate opinion, I observed that the evidence presented
by Nicaragua did not provide a sufficient factual basis for the
Court to proceed to delimitation, and I expressed regret that the Court
did not set out in its reasoning the specific inadequacies of Nicaragua’s
evidence (I.C.J. Reports 2012 (II), p. 756, para. 17). In today’s Judgment
(para. 82), the Court points to the fact that the 2012 Judgment did not
analyse the evidence to support its conclusion that the Court made no
determination about that evidence in 2012. As noted above, however, the
deficiencies in Nicaragua’s evidence were obvious from the Parties’ positions,
without examination of the underlying geological and geomorphological
facts. In addition, today’s Judgment ignores the fact that, while
the Court in some cases presents its own analysis of the evidence or legal
positions presented by the parties, the Court’s style of drafting (sometimes
described as “laconic”) often follows another pattern, in which
party positions on a particular issue are summarized, followed only by a
brief statement of the Court’s conclusion on that issue (e.g., that the
evidence
fails to establish an asserted fact). I have expressed my own
concerns
about this drafting style in the past, noting in particular
the obscurity of reasoning that can result from it (Application of the
Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(Croatia v. Serbia), Judgment, I.C.J. Reports 2015 (I), declaration of
Judge Donoghue, p. 392, para. 9). However, there is nothing exceptional
about the Court’s use of this style in Nicaragua v. Colombia I to indicate
the Court’s conclusion that Nicaragua failed to establish the facts that it
asserted.
37. (I also note that, during the proceedings in the present case, both
Colombia (CR 2015/26, p. 31, para. 6 (Herdegen) ; CR 2015/28, pp. 43‑44,
paras. 17‑23 (Bundy)) and Nicaragua (CR 2015/27, p. 41, para. 29 ; p. 44,
para. 37 (Pellet) ; CR 2015/29, p. 25, para. 23 ; p. 26, para. 25 ; pp. 26‑27,
para. 27 (Pellet)) expressed the view that the Court had decided in 2012
that it could not uphold Nicaragua’s submission for want of evidence. Of
course, the Parties disagreed about whether this lack of evidence meant
that Nicaragua’s First Request in the present case was barred by the doctrine
of res judicata.)
38. There is also nothing unusual in the fact that the Court in 2012
declined to address certain of the legal issues presented by the Parties,
including the relationship between one State’s extended continental shelf
entitlement and another State’s 200‑nautical‑mile zone and the question
whether the various paragraphs of Article 76 of UNCLOS are part of customary
international law (Nicaragua v. Colombia I, pp. 666‑668, paras. 118,
121 and 123 ; pp. 669‑670, para. 130). These legal questions had implications
well beyond Nicaragua v. Colombia I. The Court would have had to
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 197
101
mesure » de procéder à la seconde étape — délimiter les portions du plateau
continental revenant à chacune des Parties, comme l’en prie le Nicaragua
—, que ce soit par le tracé d’une ligne médiane ou au moyen d’une
formulation. Cette conclusion constituait une condition absolue de la
décision de la Cour de ne pas accueillir la demande I. 3) du Nicaragua.
36. Dans l’exposé de mon opinion individuelle de 2012, je faisais observer
que les éléments de preuve produits par le Nicaragua n’offraient pas de
base factuelle suffisante pour permettre à la Cour de procéder à la délimitation,
et je regrettais que ces lacunes n’aient pas été décrites plus précisément
dans les motifs (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 756, par. 17). La Cour considère
aujourd’hui que l’absence d’analyse de ces éléments dans l’arrêt
de 2012 confirme l’absence de décision à leur sujet, ainsi qu’elle le souligne
dans le présent arrêt (par. 82). Cependant, comme nous l’avons vu plus
haut, l’insuffisance des éléments de preuve du Nicaragua ressortait clairement
des déclarations faites par les deux Parties, sans qu’il fût nécessaire
d’examiner les données géologiques et géomorphologiques pertinentes. En
outre, en la présente espèce, la Cour semble oublier que si, dans certains
arrêts, elle a développé sa propre analyse des éléments de preuve ou de
l’argumentation juridique des parties, la manière dont elle rédige ses décisions
(parfois qualifiée de « laconique ») consiste souvent à résumer les positions
des parties sur un point particulier avant de s’en tenir à une brève
conclusion sur ledit point (par exemple, en constatant que les éléments de
preuve ne suffisent pas à établir un fait allégué). J’ai déjà exprimé par le
passé mes réserves à l’égard de cette forme de rédaction, soulignant en particulier
l’obscurité du raisonnement qui peut en résulter (Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie
c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), déclaration de Mme la juge Donoghue,
p. 392, par. 9). Il n’y a toutefois rien d’extraordinaire à ce que la Cour
ait procédé de cette manière dans Nicaragua c. Colombie I pour conclure
que le Nicaragua n’avait pas démontré les faits qu’il alléguait.
37. (Je relève également que, dans la présente procédure, la Colombie
(CR 2015/26, p. 31, par. 6 (Herdegen) ; CR 2015/28, p. 43‑44, par. 17‑23
(Bundy)) et le Nicaragua (CR 2015/27, p. 41, par. 29 ; p. 44, par. 37 (Pellet)
; CR 2015/29, p. 25, par. 23 ; p. 26, par. 25 ; p. 26‑27, par. 27 (Pellet))
ont tous deux convenu que c’était par manque de preuves que la Cour
avait décidé en 2012 qu’elle ne pouvait accueillir la demande du Nicaragua,
même si, bien entendu, leurs positions divergeaient quant à savoir si
cela signifiait que la première demande de celui‑ci dans la présente affaire
tombait sous le coup de l’autorité de la chose jugée.)
38. Il n’y a rien d’inhabituel à ce que la Cour, en 2012, ait choisi de ne
pas traiter certaines des questions juridiques soulevées par les Parties,
comme celle de la relation entre le droit d’un Etat à un plateau continental
étendu et la zone de 200 milles marins d’un autre Etat, ou celle du caractère
coutumier ou non des différents paragraphes de l’article 76 de la CNUDM
(Nicaragua c. Colombie I, p. 666‑668, par. 118, 121 et 123 ; p. 669‑670,
par. 130). Ces questions juridiques avaient des implications allant au‑delà
de l’affaire en cause. Pour procéder à la délimitation, il aurait fallu que la
198 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
102
confront each of them in order to proceed to delimitation, but the facial
inadequacy of Nicaragua’s evidence meant that it was free to decline to
address them. Once again, the Court’s approach is entirely in line with its
traditions of judicial drafting, pursuant to which it takes a flexible approach
to the sequence in which it addresses questions presented by an application,
which can obviate the need to decide questions of law not essential to settlement
of the particular dispute before it.
39. Because the Court in its reasoning (Nicaragua v. Colombia I,
p. 669, para. 129, quoted above in para. 34) referred only to Nicaragua’s
claim of an overlap with Colombia’s mainland entitlement, I see no basis
to conclude that the Court made a determination about the existence or
extent of any overlap between Nicaragua’s continental shelf entitlement
in the area more than 200 nautical miles from its coast and Colombia’s
insular entitlement. This conclusion is consistent with Nicaragua’s submissions
in Nicaragua v. Colombia I.
V. The Implications of the Decision that the Court Could not
Uphold Nicaragua’s Submission I (3) (Res Judicata)
40. Today’s Judgment recites the well‑known requirements for the
application of res judicata — same parties, object and legal ground. The
Court also quite correctly observes that, in order to decide whether the
doctrine of res judicata bars an application in a second case, the Court
must determine whether and to what extent a claim was definitively settled
in the first case, or, as the Court has stated elsewhere, whether “a
matter has . . . been determined, expressly or by necessary implication”
(see paragraph 7 above).
41. I do not take issue with the Court’s summary of the law. My differences
with the Court stem from my disagreement with the interpretation
of dispositive subparagraph (3) of the 2012 Judgment advanced by the
Court today.
42. In its 2012 Judgment, the Court “determined, expressly or by necessary
implication”, that Nicaragua had not established that its continental
shelf extended far enough to overlap with Colombia’s mainland
entitlement and thus that the Court was not in a position to delimit.
Under these circumstances, the doctrine of res judicata denies Nicaragua
the opportunity to prove the same facts for a second time in a second case
against the same respondent, in the hope that it will meet its burden of
proof in the second case. Nicaragua took full advantage of the opportunity
to prove the overlap of its entitlement with Colombia’s mainland
entitlement in Nicaragua v. Colombia I. In such a situation, it is unfair,
and inconsistent with the sound administration of justice, to give a State
a second chance to prove the same facts in a second case. Thus, the
res judicata effect of the 2012 Judgment prevents Nicaragua from request‑
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 198
102
Cour examine chacune d’elles, mais l’insuffisance manifeste des éléments de
preuve du Nicaragua l’autorisait à s’en abstenir. Là encore, elle a adopté
une démarche totalement conforme à sa pratique traditionnelle en matière
de rédaction judiciaire, consistant notamment à choisir l’ordre dans lequel
elle traite les questions présentées dans une requête, ce qui lui permet de ne
pas avoir à trancher les points de droit qui ne seraient pas essentiels au
règlement du différend particulier dont elle est saisie.
39. Puisque la Cour, dans ses motifs (Nicaragua c. Colombie I, p. 669,
par. 129, cité plus haut au paragraphe 34), ne fait référence qu’à la
demande du Nicaragua relative à un chevauchement des droits nicaraguayens
et des droits générés par la côte continentale colombienne, je ne
vois pas de raison de conclure qu’elle a tranché la question de l’existence
ou de l’étendue d’un quelconque chevauchement des droits du Nicaragua
sur le plateau continental et des droits générés par les îles colombiennes
dans la zone située au‑delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne.
La réponse de la Cour est conforme aux conclusions finales du Nicaragua
dans Nicaragua c. Colombie I.
V. Les implications de la décision de la Cour de ne pas accueillir
la demande I. 3) du Nicaragua (res judicata)
40. La Cour rappelle, dans le présent arrêt, la condition notoirement
requise pour l’application du principe de l’autorité de la chose jugée (res judicata)
: identité des parties, de la base juridique et de l’objet. Elle y relève aussi
à juste titre que, pour savoir si ce principe fait obstacle à une requête introduisant
une nouvelle affaire, elle doit déterminer si, et dans quelle mesure, il a été
statué définitivement sur la réclamation en cause dans l’affaire antérieure, ou,
comme elle l’a dit à une autre occasion, « [s]i un point [a] en fait … été tranché
… expressément [ou] par implication logique » (voir plus haut, par. 7).
41. Je ne remets pas en cause l’état du droit dressé par la Cour. Si mes
vues diffèrent de celles qui sont exprimées dans le présent arrêt, c’est parce
que je ne partage pas l’interprétation que la majorité y donne du point 3
du dispositif de l’arrêt de 2012.
42. Dans l’arrêt de 2012, la Cour constate « expressément [ou] par implication
logique » que le Nicaragua n’a pas apporté la preuve que son plateau
continental s’étend suffisamment loin pour que ses droits chevauchent ceux
générés par la côte continentale colombienne, et qu’elle n’est donc pas en
mesure de procéder à la délimitation demandée. Il s’ensuit que le principe
de l’autorité de la chose jugée empêche le Nicaragua de revenir démontrer
une seconde fois, dans une seconde affaire, les mêmes faits contre le même
défendeur, dans l’espoir de s’acquitter cette fois de la charge de la preuve
qui lui incombe. Le Nicaragua a eu amplement la possibilité de démontrer
l’existence d’un chevauchement de ses droits et des droits générés par la
côte continentale colombienne dans Nicaragua c. Colombie I. Dans ces
conditions, il serait injuste, et contraire à la bonne administration de la
justice, de donner à un Etat une seconde chance de démontrer les mêmes
199 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
103
ing a court anew to ascertain that its continental shelf entitlement overlaps
with Colombia’s mainland entitlement.
43. As the 2012 Judgment did not address the question whether there
was an overlap between Nicaragua’s entitlement and Colombia’s insular
entitlement in the area located more than 200 nautical miles from Nicaragua’s
coast, however, the Court did not make any determination on that
issue. For that reason, there is no basis to apply the doctrine of res judicata
in respect of any such overlap.
44. For these reasons, I consider that Nicaragua’s First Request in the
present case is inadmissible as to any overlap between Nicaragua’s entitlement
and Colombia’s mainland entitlement (res judicata effect), but
admissible as to any overlap between Nicaragua’s entitlement and Colombia’s
insular entitlement in the area beyond 200 nautical miles of Nicaragua’s
coast (no res judicata effect).
45. Concerning the application of the doctrine of res judicata to the
2012 Judgment, I offer two final comments. First, the Court’s determination
that a party has failed to prove a particular fact that it alleged does
not automatically prove the opposite fact. The Chamber of the Court
recognized this in the case concerning the Frontier Dispute (Burkina Faso/
Republic of Mali), wherein it observed that “the rejection of any particular
argument on the ground that the factual allegations on which it is
based have not been proved is not sufficient to warrant upholding the
contrary argument” (Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 588, para. 65). In
2012, the Court did not make a determination, expressly or impliedly, as
to the underlying geological and geomorphological facts in the area at
issue. It neither decided that Nicaragua’s entitlement did not overlap with
Colombia’s mainland entitlement, nor that Nicaragua had no entitlement
beyond 200 nautical miles of its coast. It determined only that the evidence
submitted by Nicaragua did not meet that Party’s burden to prove
that its continental shelf entitlement overlapped with Colombia’s mainland
entitlement. The doctrine of res judicata denies Nicaragua a second
chance to meet its burden of proof in court, but it does not preclude
Nicaragua from pursuing the delineation of the outer limits of its continental
shelf within the framework of UNCLOS. Moreover, it remains
open to the Parties, whether through negotiation or another agreed means
of peaceful dispute settlement, to agree on the delimitation of any area of
overlapping entitlement located more than 200 nautical miles from Nicaragua’s
coast.
46. Secondly, the Court’s decision in 2012 that Nicaragua failed to
meet its burden of proof in that case has no effect on third States.
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 199
103
faits dans une seconde affaire. Par conséquent, l’effet de la chose jugée produit
par l’arrêt de 2012 empêche le Nicaragua de demander de nouveau à
un tribunal de dire si ses droits sur le plateau continental chevauchent ceux
dont la Colombie peut se prévaloir au titre de sa côte continentale.
43. Il reste que la Cour ne s’est pas prononcée sur la question de savoir
s’il existait un chevauchement des droits du Nicaragua et des droits générés
par les îles colombiennes dans la zone située au‑delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne, puisqu’elle n’a pas examiné cette question
dans l’arrêt de 2012. Par conséquent, rien ne permet d’appliquer le
principe de l’autorité de la chose jugée à l’égard de ce chevauchement‑là.
44. Pour ces raisons, je suis d’avis que la première demande du Nicaragua
en la présente affaire était irrecevable en ce qu’elle concerne un chevauchement
des droits du Nicaragua et des droits générés par la côte
continentale colombienne (question couverte par l’effet de la chose jugée),
mais recevable en ce qu’elle concerne un chevauchement des droits du
Nicaragua et des droits générés par les îles colombiennes dans la zone
située au‑delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (question
non couverte par l’effet de la chose jugée).
45. S’agissant de l’application du principe de l’autorité de la chose
jugée aux décisions contenues dans l’arrêt de 2012, je souhaite faire deux
observations finales. Premièrement, lorsque la Cour conclut qu’une partie
n’a pas démontré un fait particulier, cela ne signifie pas nécessairement
que le fait inverse soit vrai. La Chambre de la Cour en a convenu dans
l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), déclarant
que « le rejet éventuel de tel ou tel argument, motif pris de ce que les
allégations de fait sur lesquelles il repose n’ont pas été prouvées, ne suffit
pas en lui‑même pour que la thèse contraire puisse être retenue » (arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 588, par. 65). En 2012, la Cour ne s’est pas prononcée,
ni expressément ni par implication logique, sur les faits relatifs à la
géologie et à la géomorphologie de la zone concernée. Elle n’a pas dit que
le Nicaragua n’avait pas de droits qui chevaucheraient ceux générés par la
côte continentale colombienne, ni qu’il n’avait pas de droits au‑delà de
200 milles marins de sa propre côte. Elle s’est bornée à dire qu’il n’avait
pas produit d’éléments de preuve suffisants pour s’acquitter de la charge
qui lui incombait de démontrer que ses droits sur le plateau continental
chevauchaient ceux dont la Colombie pouvait se prévaloir au titre de sa
côte continentale. Le principe de l’autorité de la chose jugée empêche le
Nicaragua de tenter une seconde fois de s’acquitter de la charge de la
preuve devant un tribunal, mais ne l’empêche pas de chercher à fixer les
limites extérieures de son plateau continental dans le cadre de la CNUDM.
En outre, les Parties restent libres de s’accorder, par voie de négociations
ou tout autre moyen convenu de règlement pacifique des différends, sur la
délimitation de tout secteur où leurs droits se chevaucheraient dans la
zone située au‑delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne.
46. Deuxièmement, la décision rendue par la Cour en 2012, selon
laquelle le Nicaragua ne s’était pas acquitté de la charge de la preuve en
l’affaire, ne produit pas d’effet à l’égard d’Etats tiers.
200 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
104
VI. The Court’s Interpretation
of Dispositive Subparagraph (3)
47. According to today’s Judgment, the Court decided in 2012 that it
could not uphold Nicaragua’s claim because Nicaragua “had yet to discharge
its obligation, under paragraph 8 of Article 76 of UNCLOS, to
deposit with the CLCS the information on the limits of its continental
shelf beyond 200 nautical miles required by that provision and by Article
4 of Annex II of UNCLOS” (para. 84). I offer some observations on
this conclusion, with which I disagree.
48. To support its conclusion that the Court in 2012 held that it would
not delimit continental shelf in the absence of a submission to the CLCS,
today’s Judgment apparently relies on the statement in the 2012 Judgment
that “the fact that Colombia is not a party [to UNCLOS] does not
relieve Nicaragua of its obligations under Article 76 of that Convention”
(Nicaragua v. Colombia I, p. 669, para. 126). This remark, which does not
even mention the requirement of a submission, cannot explain today’s
interpretation. To be sure, given that Nicaragua apparently intends to
establish the outer limits of its continental shelf beyond 200 nautical miles
of its coast, it has obligations under UNCLOS. However, in 2012, Nicaragua
had met those obligations, due to its transmission of Preliminary
Information to the Secretary‑General within the applicable ten‑year
period. Nicaragua’s failure to make a submission was not a failure to
“discharge its obligation” (Judgment, para. 84) ; it was one of several
indicators of the facial inadequacy of Nicaragua’s evidence.
49. Moreover, the obligation to make a submission to the Commission
applies only to the process of delineating the outer limits of the continental
shelf. UNCLOS imposes no obligation on a State party to make a submission
to the Commission prior to seeking judicial or arbitral delimitation of
continental shelf beyond 200 nautical miles of its coast. On the contrary, it
draws a distinction between delimitation of a maritime boundary, on the
one hand, and delineation of the outer limits of the continental shelf, on
the other hand (Art. 76, para. 10, of UNCLOS ; see also Bangladesh/
Myanmar, pp. 107‑108, paras. 406‑410). The Court embraces that very distinction
today (para. 112) when it concludes that the absence of Commission
recommendations does not render inadmissible
an application seeking
delimitation of continental shelf in areas located more than 200 nautical
miles from the applicant’s coast.
50. Even assuming, arguendo, that there is a basis for the Court to condition
its consideration of an application for delimitation on the completion
of a particular phase in the UNCLOS process for the establishment
of the outer limits of the continental shelf, the interpretation of the
2012 Judgment that is contained in today’s Judgment fails. As noted
above, the 2012 Judgment (pp. 668‑669, para. 126) expressly links delimi‑
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 200
104
VI. L’interprétation que donne la Cour du point 3 du dispositif
de l’arrêt de 2012
47. Dans le présent arrêt, la Cour conclut que, en 2012, elle a décidé ne
pouvoir accueillir la demande du Nicaragua parce que celui‑ci « devait
encore satisfaire à l’obligation lui incombant en vertu du paragraphe 8 de
l’article 76 de la CNUDM de déposer, auprès de la Commission, les
informations sur les limites de son plateau continental au‑delà de
200 milles marins prévues par cette disposition et par l’article 4 de l’annexe
II de la convention » (par. 84). Je souhaite faire quelques observations
sur cette conclusion, à laquelle je ne souscris pas.
48. La Cour rappelle avoir souligné dans l’arrêt de 2012 que « le fait
que la Colombie [ne fût] pas partie [à la CNUDM] n’exon[érait] pas le
Nicaragua des obligations qu’il tient de l’article 76 de cet instrument »
(Nicaragua c. Colombie I, p. 669, par. 126), ce qui confirmerait, selon elle,
qu’elle a effectivement décidé en 2012 de ne pas procéder à la délimitation
du plateau continental en l’absence de demande à la Commission. Cette
remarque, qui ne mentionne même pas l’obligation de soumettre une telle
demande, ne peut toutefois expliquer l’interprétation que donne la Cour
de l’arrêt de 2012. Certes, ayant manifestement l’intention de fixer les
limites de son plateau continental au‑delà de 200 milles marins de sa côte,
le Nicaragua devait s’acquitter de certaines obligations au titre de la
CNUDM. Mais il l’avait fait en 2012, puisqu’il avait communiqué des
informations préliminaires au Secrétaire général dans le délai décennal
prévu. En omettant de soumettre une demande complète à la Commission,
le Nicaragua n’a pas omis de « satisfaire à l’obligation lui incombant
» (arrêt, par. 84) ; cette omission n’est qu’un indice, parmi plusieurs
autres, de l’insuffisance manifeste de ses éléments de preuve.
49. En outre, l’obligation de soumettre une demande à la Commission
ne s’applique que dans le cadre d’une procédure de tracé de la limite
extérieure
du plateau continental. La CNUDM n’impose pas aux Etats
parties de saisir la Commission avant de chercher à obtenir par voie
arbitrale
ou judiciaire la délimitation du plateau continental au‑delà de
200 milles marins de leur côte. Au contraire, elle fait une distinction entre,
d’une part, la délimitation d’une frontière maritime et, d’autre part, le tracé
des limites extérieures du plateau continental (art. 76, par. 10, de la
CNUDM ; voir aussi Bangladesh/Myanmar, p. 107‑108, par. 406‑410). La
Cour fait cette même distinction dans le présent arrêt (par. 112), concluant
que l’absence de recommandations de la Commission ne rend pas irrecevable
la demande d’un Etat qui cherche à faire délimiter le plateau continental
dans une zone située à plus de 200 milles marins de sa côte.
50. Même à supposer, arguendo, que la Cour soit fondée à subordonner
son examen d’une demande de délimitation à l’accomplissement d’une étape
précise de la procédure prévue par la CNUDM pour la fixation des limites
extérieures du plateau continental, son interprétation de l’arrêt de 2012, telle
qu’exposée dans le présent arrêt, ne saurait convaincre. Comme il a été dit
plus haut, dans l’arrêt de 2012 (p. 668‑669, par. 126), la Cour posait expres‑
201 delimitation of the continental shelf (diss. op. donoghue)
105
tation of extended continental shelf not to a unilateral submission by the
coastal State to the Commission, but rather to such a submission having
been “reviewed” by the Commission, reprising a point that the Court had
made in 2007. In my 2012 opinion (I.C.J. Reports 2012 (II), p. 756,
para. 18 ; p. 758, para. 25), I expressed the concern that this quotation
suggested a generally‑applicable bar on delimitation applications in the
absence of Commission recommendations or the establishment of the
outer limits on the basis of those recommendations. (For this reason, I
am pleased that the Court today rejects Colombia’s fifth preliminary
objection, although I regret that the reasoning in Part VI of today’s Judgment
does not mention the apparent inconsistency between today’s conclusion
and statements that the Court made in 2007 and 2012.)
51. Had the Court decided in 2012 to impose a precondition on delimitation
cases (submission to the Commission, according to today’s Judgment),
this precondition could not have been found in the law governing
the dispute between the Parties, which was customary international law,
not UNCLOS (to which Colombia is not a State party). It would have
been a consequence of a judicial policy entirely of the Court’s own making.
If Nicaragua’s failure to meet this precondition has been the reason
for the Court’s decision that it could not uphold submission I (3), one
would have expected the 2012 Judgment not merely to quote without
comment an earlier Judgment (in a case between two UNCLOS States
parties) that expressly referred to a different precondition (“review . . . by
the Commission”), but instead to set out its new approach (submission to
the Commission as a precondition to delimitation) and the reasons for it.
the 2012 Judgment, however, does nothing of the sort.
52. A final shortcoming in the interpretation of the 2012 Judgment
that the Court sets out today is that the question whether any one of the
procedural steps in the Commission process is a precondition to delimitation
would be a matter of admissibility, not a question of the merits. This
is clear from the Court’s analysis today of Colombia’s fifth preliminary
objection, which the Court treats as a question of admissibility. Had the
Court imposed a precondition at a different stage of the Commission proceeding
(that of submission), the label of admissibility would also have
applied. For the reasons set forth above (para. 20), however, the Court’s
2012 decision that it could not uphold Nicaragua’s claim was a decision
on the merits, not a decision as to admissibility.
(Signed) Joan E. Donoghue.
délimitation du plateau continental (op. diss. donoghue) 201
105
sément comme condition à la délimitation du plateau continental étendu
l’existence d’une demande unilatérale qui ait été non seulement soumise par
l’Etat côtier à la Commission, mais surtout « examinée » par celle‑ci, rappelant
ainsi un point qu’elle avait déjà souligné en 2007. Comme je l’ai dit dans
l’exposé de mon opinion individuelle de 2012 (C.I.J. Recueil 2012 (II),
p. 756, par. 18 ; p. 758, par. 25), je craignais que la Cour, en renvoyant à ce
précédent, ne donne à entendre que, d’une manière générale, aucune
demande de délimitation ne peut prospérer en l’absence de recommandations
de la Commission, ou si les limites extérieures du plateau continental
n’ont pas été fixées sur la base de telles recommandations. (C’est pourquoi
j’approuve que la Cour rejette dans le présent arrêt la cinquième exception
préliminaire de la Colombie, même si je regrette qu’elle ne fasse pas état,
dans le raisonnement de la partie VI, de la contradiction manifeste entre ses
présentes conclusions et ce qu’elle a dit en 2007 et en 2012.)
51. Si la Cour avait décidé en 2012 d’imposer une condition préalable aux
demandes de délimitation (à savoir la saisine de la Commission, selon le
présent arrêt), pareille condition serait le produit exclusif de sa propre pratique
judiciaire ; on n’en trouverait pas trace dans le droit régissant les différends
entre les Parties, qui est le droit international coutumier et non la
CNUDM (à laquelle la Colombie n’est pas partie). Si la Cour avait conclu
qu’elle ne pouvait accueillir la demande I. 3) du Nicaragua parce que celui‑ci
n’avait pas satisfait à ladite condition, il aurait été permis de s’attendre à ce
que, dans l’arrêt de 2012, au lieu de se borner à citer simplement, sans autre
commentaire, un arrêt antérieur (relatif à une affaire entre deux Etats parties
à la CNUDM) dans lequel il est fait expressément référence à une condition
préalable différente (l’« examen par la Commission »), elle explique sa nouvelle
démarche, qui est d’exiger la présentation d’une demande à la Commission
comme condition préalable à la délimitation, ainsi que les raisons de ce
choix. Or, la Cour ne fait rien de tel dans l’arrêt de 2012.
52. Une dernière faille dans l’interprétation que la Cour donne aujourd’hui
de l’arrêt de 2012 est que la question de savoir si la délimitation exige l’accomplissement
préalable d’une quelconque étape de la procédure devant la
Commission est une question qui relève de la recevabilité et non du fond.
Cela ressort clairement de l’analyse de la cinquième exception préliminaire
de la Colombie, que la Cour traite ici comme une question de recevabilité.
Si la Cour avait imposé comme condition préalable une autre étape de la
procédure devant la Commission (la présentation d’une demande), il s’agirait
toujours de recevabilité. Or, comme nous l’avons vu plus haut (par. 20),
la décision prise en 2012 de ne pas accueillir la demande du Nicaragua était
une décision sur le fond, et non une décision d’irrecevabilité.
(Signé) Joan E. Donoghue.

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Opinion dissidente de Mme la juge Donoghue

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