Opinion individuelle de M. le juge Greenwood

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154-20160317-JUD-01-03-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE GREENWOOD
[Traduction]
Nature de l’autorité de la chose jugée en droit international — Question de
savoir ce qui génère la chose jugée — Effets — Portée de l’arrêt de 2012 — Nature
de la demande du Nicaragua relativement au point I. 3) — Silence de l’arrêt de
2012 sur la demande du Nicaragua relative à un plateau continental s’étendant
au‑delà de 200 milles marins des côtes continentales des deux Parties — Absence
d’une quelconque décision de la Cour sur le fond de cette demande — Question de
savoir si la demande du Nicaragua relative à un plateau continental qui
chevaucherait celui dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à
partir de sa côte continentale est couverte par l’autorité de la chose jugée.
1. Le résultat serré du vote sur la troisième exception préliminaire de la
Colombie montre qu’il n’a pas été facile pour la Cour de résoudre les
questions que soulevait ladite exception. Pour cette raison, et parce qu’à
mon grand regret je suis en désaccord avec plusieurs de mes collègues, il
me semble opportun d’expliquer, dans la présente opinion individuelle,
pourquoi j’ai souscrit à la décision de rejeter l’argument que la Colombie
tire du principe de l’autorité de la chose jugée.
I. La doctrine de l’autorité de la chose jugée (res judicata)
en droit international
2. Si la doctrine de l’autorité de la chose jugée (res judicata) trouve ses
origines dans les principes généraux du droit (voir l’opinion du juge Anzilotti
en l’affaire de l’Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów),
arrêt no 11, 1927, C.P.J.I. série A no 13, p. 27, et Bin Cheng, General Principles
of Law as Applied by International Courts and Tribunals, 1953,
p. 336‑372), elle est désormais fermement établie dans la jurisprudence de
la Cour (voir, notamment, Demande en interprétation de l’arrêt du
11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun
et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria
c. Cameroun), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 36, par. 12, et Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I),
p. 90‑91, par. 115‑116). La doctrine de l’autorité de la chose jugée est
également
bien ancrée dans la jurisprudence d’autres juridictions internationales
(voir, par exemple, la sentence définitive du Tribunal d’arbitrage
en l’affaire de la Fonderie du Trail (Etats‑Unis d’Amérique
c. Canada), en date du 11 mars 1941 (Nations Unies, Recueil des sentences
arbitrales (RSA), vol. III, p. 1950‑1951), dans laquelle ce principe est
défini comme « une règle essentielle et constante du droit international »).
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 178
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3. La Cour, dans son arrêt en l’affaire Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro,
explique comme suit ce qui sous‑tend le principe de l’autorité
de la chose jugée :
« Le principe de l’autorité de la chose jugée répond, tant dans
l’ordre international que dans l’ordre interne, à deux objectifs, l’un
général, l’autre particulier. Premièrement, la stabilité des relations
juridiques exige qu’il soit mis un terme au différend considéré. La
fonction de la Cour est, selon l’article 38 du Statut, de « régler » les
« différends qui lui sont soumis », c’est‑à‑dire d’y mettre un terme.
Deuxièmement, il est dans l’intérêt de chacune des parties qu’une
affaire qui a d’ores et déjà été tranchée en sa faveur ne soit pas rouverte.
L’article 60 du Statut explicite ce caractère définitif des arrêts.
Priver une partie du bénéfice d’un arrêt rendu en sa faveur doit, de
manière générale, être considéré comme contraire aux principes auxquels
obéit le règlement judiciaire des différends. » (Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil
2007 (I), p. 90‑91, par. 116.)
4. Point n’est besoin, par conséquent, de s’attarder sur les grandes différences
que revêt la notion d’autorité de la chose jugée dans les divers
systèmes juridiques nationaux (à ce propos, voir Albrecht Zuener et
Harald Koch, « Effects of Judgments : Res Judicata », Mauro Cappelletti
(dir. publ.), International Encyclopaedia of Comparative Law, vol. XVI,
2014, chap. 9). En l’espèce, ce qu’il convient d’appliquer, c’est le principe
de l’autorité de la chose jugée tel qu’il est consacré en droit international,
et en particulier tel qu’il a été précisé dans la jurisprudence de la Cour.
Ainsi qu’il ressort clairement de l’arrêt rendu dans la présente affaire, ce
principe ne s’applique que s’il y a identité des parties, de l’objet et de la
base juridique (autrement dit, des personae, du petitum et de la causa
petendi). Cependant, l’identité de ces trois éléments, si elle est une condition
nécessaire à l’application du principe de l’autorité de la chose jugée,
n’est pas suffisante. Il est également primordial que la question en cause
ait été tranchée à l’issue d’une procédure antérieure. Ainsi que la Cour l’a
dit en l’affaire Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro, « [s]i un point
n’a en fait pas été tranché, ni expressément ni par implication logique,
l’arrêt n’a pas force de chose jugée sur celui‑ci ; et il peut être nécessaire de
lire une conclusion générale dans son contexte afin de déterminer si elle
recouvre tel point en particulier » (C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 95, par. 126).
5. Une fois qu’une décision de la Cour fait qu’une question donnée
devient chose jugée, les effets ainsi produits ont une portée considérable.
Entre les parties concernées par la décision, la question est réputée réglée
et ne peut plus être portée à nouveau devant la Cour, ni devant aucune
autre juridiction internationale 1. Mais les effets ne se limitent pas à la
1 Une question devenue chose jugée par la décision d’une juridiction internationale ne
peut d’ailleurs être rouverte entre les mêmes parties devant une juridiction nationale (voir,
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 179
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procédure judiciaire. Comme la Cour l’a rappelé en l’affaire Bosnie‑Herzégovine
c. Serbie‑et‑Monténégro, la doctrine de l’autorité de la chose
jugée est un corollaire des règles énoncées à l’article 59 du Statut, à savoir
que les arrêts de la Cour sont obligatoires pour les parties, et à l’article 60,
à savoir qu’ils sont définitifs et sans recours. Une conséquence est que
l’autorité de la chose jugée produit des effets sur le fond autant que sur la
procédure. La décision par laquelle a été tranché le litige ayant force obligatoire
pour les parties, celles‑ci ne peuvent, ni l’une ni l’autre, la contester
en droit. Cela vaut autant pour les initiatives individuelles que pour les
procédures judiciaires. Ainsi, dès lors qu’une juridiction, dans une affaire
opposant deux Etats, a jugé que l’un d’entre eux n’avait pas de droit sur
le plateau continental dans une zone déterminée, cet Etat n’est pas autorisé,
en droit international, à revendiquer par la suite un tel droit vis‑à‑vis
de l’autre Etat dans la zone concernée. Comme l’a rappelé la Commission
mixte des réclamations France‑Venezuela, « un droit, une question ou un
fait spécifiquement mis en cause et directement tranché par une juridiction
compétente ne peut, aux fins de réclamation, être contesté » (affaire de la
Compagnie générale de l’Orénoque, 31 juillet 1905 (Nations Unies, Recueil
des sentences arbitrales (RSA), vol. X, p. 276) ; les italiques sont dans
l’original). Ce principe s’applique aussi bien aux décisions relatives à la
charge de la preuve qu’à celles qui tranchent un point de droit. Lorsqu’une
partie revendique un droit subordonné à des faits dont il lui
incombe de prouver l’existence, et qu’il est constaté par une décision
qu’elle ne s’est pas acquittée de cette charge de la preuve, alors ladite
décision revient à statuer sur l’existence du droit en question. La question
du droit en soi (ou de l’absence de droit) sera donc revêtue de l’autorité
de la chose jugée entre les parties concernées.
6. La Colombie considère que tel est précisément l’effet produit par
l’arrêt de 2012. Selon elle, la Cour a décidé dans cet arrêt que le Nicaragua
n’avait pas démontré, comme il lui revenait de le faire, qu’il avait
droit à un plateau continental au‑delà de 200 milles marins de sa côte
continentale (exceptions préliminaires de la Colombie, par. 5.31). Si la
Colombie avait raison, la question de ce droit serait alors réglée, entre le
Nicaragua et elle‑même, à perpétuité. Le Nicaragua non seulement ne
pourrait plus revendiquer devant la Cour, ni maintenant ni ultérieurement,
ni devant aucune autre juridiction compétente, un quelconque droit
à un plateau continental au‑delà de 200 milles marins vis‑à‑vis de la
Colombie, mais, en outre, il ne pourrait pas davantage se prévaloir d’un
tel droit pour qualifier d’illicite le comportement de la Colombie dans la
zone concernée, ni pour prendre des mesures en réponse à ce comportepar
exemple, l’arrêt en l’affaire Dallal c. Bank Mellat (1986), QB 441, International Law
Reports (ILR) (1985), vol. 75, p. 151, dans lequel la Haute Cour de justice (Angleterre
et pays de Galles) a estimé qu’une décision du Tribunal des réclamations Etats‑Unis‑Iran
était revêtue de l’autorité de la chose jugée et qu’un grief rejeté par ce tribunal ne pouvait
donc pas être porté devant les tribunaux britanniques). Il est toutefois très rare que les
parties à une procédure nationale soient les mêmes que celles à une procédure internationale,
en particulier si ce sont des Etats qui s’opposent dans ce cadre.
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 180
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ment. Certes, si l’arrêt de 2012 produisait les effets que lui attribue la
Colombie, le Nicaragua ne serait pas empêché de poursuivre la procédure
engagée devant la Commission des limites du plateau continental,
puisqu’il cherche, par cette procédure, à fixer la limite extérieure de son
plateau continental vis‑à‑vis de toutes les parties à la Convention des
Nations Unies sur le droit de la mer (ci‑après « la CNUDM »). Il ne pourrait
toutefois opposer à la Colombie aucune limite extérieure du plateau
continental qu’il fixerait à plus de 200 milles marins de sa côte continentale,
même s’il a suivi en cela une recommandation de la Commission.
Puisqu’une décision ne produit l’effet de la chose jugée qu’entre les parties
au différend qu’elle règle, l’arrêt de 2012 n’empêcherait pas le Nicaragua
de revendiquer un droit à un plateau continental au‑delà de 200 milles
marins vis‑à‑vis de ses autres voisins. Mais rien ne lui permettrait de le
faire à l’égard de la Colombie.
II. La portée de l’arrêt de 2012
7. A strictement parler, seul le dispositif d’un arrêt peut avoir force de
chose jugée. Le paragraphe pertinent du dispositif de l’arrêt de 2012 est le
point 3, dans lequel la Cour dit à l’unanimité qu’elle « ne peut accueillir la
demande formulée par la République du Nicaragua au point I. 3) de ses
conclusions finales » (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 719, par. 251 3)). Au
cours de la présente procédure, les deux Parties ont passé beaucoup de
temps à débattre du sens exact de l’expression « ne peut accueillir ». Pour
le Nicaragua, le fait que la Cour ait choisi d’employer cette expression, au
lieu de « rejeter » la demande formulée au point I. 3), revêtait la plus haute
importance. Selon lui, ce choix montrait que la Cour ne statuait pas sur le
fond de cette demande. La Colombie, pour sa part, soutenait que l’expression
« ne peut accueillir » était synonyme de « rejeter ». A l’appui de cet
argument, elle invoquait trois arrêts dans lesquels la Cour emploie les
termes « ne peut accueillir », ou une expression très similaire, dans le sens
de « rejeter » (Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février
1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne)
(Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 192 ;
Plates‑formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats‑Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 161 ; Différend frontalier (Burkina
Faso/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 44).
8. La Cour a estimé — à juste titre, me semble‑t‑il — que ces analyses
du dispositif de l’arrêt de 2012 n’étaient pas convaincantes (voir le paragraphe
174 de l’arrêt). Le Nicaragua accordait beaucoup trop d’importance
à un choix de termes qui, en soi, ne permettait aucunement de
conclure que la Cour n’avait pas statué sur le fond. Quant à la Colombie,
elle déduisait trop hâtivement, des trois arrêts invoqués, que la Cour
employait de manière interchangeable les expressions « ne peut accueillir »
et « rejette ». Le plus récent de ces arrêts, relatif au Différend frontalier, ne
confirme en rien cet argument. Si, dans cette affaire, la Cour a conclu
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 181
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qu’elle ne pouvait accueillir certaines des demandes du Burkina Faso, ce
n’est pas parce que celui‑ci n’avait pas démontré le fondement factuel de
ses griefs, mais parce qu’aucun différend ne l’opposait au Niger sur les
secteurs de la frontière visés par ces demandes, et que la condition essentielle
à l’exercice, par la Cour, de sa fonction judiciaire n’était donc pas
remplie (C.I.J. Recueil 2013, p. 71, par. 52). Dans l’affaire Tunisie c. Jamahiriya
arabe libyenne, la Cour s’exprimait dans le contexte particulier de
l’interprétation d’un arrêt antérieur (C.I.J. Recueil 1985, p. 219‑220,
par. 50). Quant à l’affaire des Plates‑formes pétrolières, si elle semble
apporter quelque appui à l’argument de la Colombie, elle est toutefois
loin de démontrer que l’expression « ne peut accueillir » traduit nécessairement
un rejet sur le fond.
9. Une piste plus efficace — celle qui est suivie dans le présent arrêt —
consiste à rechercher pourquoi la Cour a décidé de ne pas accueillir la
demande formulée au point I. 3) des conclusions finales du Nicaragua,
par laquelle celui‑ci la priait de dire et juger que,
« dans le cadre géographique et juridique constitué par les côtes continentales
du Nicaragua et de la Colombie, la méthode de délimitation
à retenir consiste à tracer une limite opérant une division par parts
égales de la zone du plateau continental où les droits des deux Parties
sur celui‑ci se chevauchent » (conclusions finales du Nicaragua,
C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 636, par. 17 ; les italiques sont de moi).
Ainsi formulée, cette demande mettait en opposition les prétentions du
Nicaragua à un plateau continental étendu au‑delà de 200 milles marins à
partir de sa côte continentale et les droits de la Colombie à un plateau
continental s’étendant sur 200 milles marins à partir de sa propre côte
continentale (voir le croquis no 2, ibid., p. 663).
10. Dans ce contexte, il est important de comprendre le cadre géographique
inhabituel dans lequel s’inscrivent les prétentions du Nicaragua.
Les côtes continentales nicaraguayenne (à l’ouest) et colombienne (à l’est)
se font face et se trouvent « à bien plus de 400 milles marins l’une de
l’autre » (ibid., p. 670, par. 132). Le Nicaragua revendique un plateau
continental étendu qui se poursuit vers l’est, au‑delà de la ligne de
200 milles marins mesurée à partir de sa côte continentale (point terminal
de la délimitation établie dans l’arrêt de 2012 ; voir ibid., p. 683, par. 159
et p. 714, croquis no 11), jusqu’à chevaucher le plateau continental et la
zone économique exclusive de la Colombie qui s’étendent sur 200 milles
marins vers l’ouest à partir de la côte continentale colombienne. C’est
cette zone de chevauchement, située à moins de 200 milles marins de la
côte continentale colombienne, que le Nicaragua, au point I. 3) de ses
conclusions finales, demandait à la Cour de délimiter entre les Parties, au
moyen d’une division par parts égales (comme on le voit clairement sur le
croquis no 2, ibid., p. 663). Toutefois, cette zone n’est pas la seule où le
plateau continental étendu revendiqué par le Nicaragua chevauche celui
dont la Colombie peut se prévaloir. Entre la ligne de 200 milles marins
mesurée à partir de la côte continentale nicaraguayenne et la ligne de
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 182
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200 milles marins mesurée à partir de la côte colombienne, le plateau
continental étendu auquel prétend le Nicaragua chevauche celui dont la
Colombie peut se prévaloir du fait que ses îles, situées à l’ouest de la ligne
de 200 milles marins mesurée à partir de la côte continentale nicaraguayenne,
génèrent un droit à un plateau continental et à une zone économique
exclusive sur 200 milles marins à partir de leurs côtes orientales.
Au point I. 3) de ses conclusions finales, le Nicaragua n’avait pas abordé
directement la question de ce chevauchement‑là.
11. La conclusion de la Cour sur la demande formulée au point I. 3)
des conclusions finales du Nicaragua est énoncée au paragraphe 129 de
l’arrêt de 2012. Ce sont les motifs exposés dans ce paragraphe qui définissent
la portée du point 3 du dispositif. La Cour y dit que,
« le Nicaragua n’ayant pas, dans la présente instance, apporté la
preuve que sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour
chevaucher le plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir
sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale, [elle] n’est pas
en mesure de délimiter les portions du plateau continental relevant
de chacune des Parties, comme le lui demande le Nicaragua… »
(C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 669, par. 129 ; les italiques sont de moi).
Dans la présente affaire, la Colombie affirmait que la Cour, dans l’arrêt
de 2012, avait constaté que le Nicaragua n’avait « nullement établi un
quelconque droit à une portion du plateau continental au‑delà de
200 milles marins de ses lignes de base » et conclu « à l’absence de zones
de chevauchement des droits de chacune des Parties au‑delà de 200 milles
marins des lignes de base du Nicaragua pouvant faire l’objet d’une délimitation
» (exceptions préliminaires de la Colombie, par. 5.31). Sur la
base de cet argument, la Colombie considérait que l’ensemble des
demandes du Nicaragua en l’espèce tombaient sous le coup de l’autorité
de la chose jugée générée par l’arrêt de 2012.
12. Il ne saurait en être ainsi. Le paragraphe 129 de l’arrêt de 2012 est
expressément limité à la demande du Nicaragua relative à un plateau
continental étendu chevauchant celui « dont la Colombie peut se prévaloir
sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale » (les italiques sont
de moi). Il ne dit absolument rien de la demande du Nicaragua relative à
la zone située à plus de 200 milles marins de la côte continentale colombienne
mais à moins de 200 milles marins des îles colombiennes. Quel que
soit l’effet produit par le paragraphe 129 et, partant, par le point 3 du
dispositif, en ce qui concerne la zone située à moins de 200 milles marins
de la côte continentale colombienne (nous y reviendrons plus loin), le
silence complet de la Cour au sujet de la zone située à plus de 200 milles
marins des côtes continentales respectives des Parties ne saurait être
interprété
comme une décision sur les prétentions du Nicaragua dans
ladite zone. Pour reprendre les termes de l’affaire Bosnie‑Herzégovine
c. Serbie‑et‑Monténégro (voir plus haut, par. 4), ces prétentions ne constituent
pas un point qui a été tranché et, partant, sur lequel l’arrêt pourrait
avoir force de chose jugée.
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 183
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13. Dans la présente procédure, il est clair que le Nicaragua demande
la délimitation des secteurs auxquels la Colombie et lui‑même peuvent
prétendre dans cette zone. Dans sa requête, il prie la Cour de déterminer
« [l]e tracé précis de la frontière maritime entre les portions de plateau
continental relevant du Nicaragua et de la Colombie au‑delà des limites
établies par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012 » (requête, p. 9,
par. 12). La Colombie ayant soulevé ses exceptions préliminaires en l’espèce
avant le dépôt du mémoire (arrêt, par. 5), le Nicaragua doit encore
développer les arguments sur lesquels il fonde sa demande. Cependant,
cette phrase tirée de sa requête montre clairement que, cette fois, il cherche
directement à obtenir la délimitation de toutes les portions du plateau
continental étendu qu’il revendique et qui pourraient chevaucher celui
dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de ses
côtes, aussi bien continentale (à l’est) qu’insulaires (à l’ouest).
14. Par conséquent, il me semble évident que la troisième exception préliminaire,
soulevée par la Colombie au motif que l’arrêt de 2012 est revêtu
de l’autorité de la chose jugée, devait être rejetée en ce qui concerne la
demande du Nicaragua relative à la zone située à plus de 200 milles marins
de la côte continentale colombienne. Quelle que soit la manière dont
l’arrêt
de 2012 est analysé, on ne saurait y lire une décision sur cette
demande‑là.
15. Reste la question de savoir si l’arrêt de 2012 contient une décision
sur la demande du Nicaragua relative à un plateau continental étendu chevauchant
celui « dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à
partir de sa côte continentale », décision qui serait revêtue de l’autorité de la
chose jugée et empêcherait donc le Nicaragua de présenter une demande à
l’égard de la zone en question. Selon la Colombie, la Cour n’a pas accueilli
la demande formulée au point I. 3) des conclusions finales du Nicaragua
parce que celui‑ci n’avait pas démontré, comme il lui revenait de le faire,
que sa marge continentale s’étendait au‑delà de la ligne de 200 milles marins
mesurée à partir de la côte continentale colombienne (exceptions préliminaires
de la Colombie, par. 5.30). S’il en était ainsi, l’arrêt de 2012, pour les
raisons exposées précédemment, emporterait la décision que le Nicaragua
n’a pas droit à un plateau continental chevauchant celui dont la Colombie
peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale (voir
plus haut, par. 6). Cette décision aurait force de chose jugée.
16. L’argument de la Colombie trouve un certain appui dans la version
française du paragraphe 129 de l’arrêt de 2012 :
« le Nicaragua n’ayant pas, dans la présente instance, apporté la
preuve que sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour
chevaucher le plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir
sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale, la Cour n’est
pas en mesure de délimiter les portions du plateau continental relevant
de chacune des Parties, comme le lui demande le Nicaragua… »
(C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 669, par. 129.)
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 184
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L’expression française « n’ayant pas … apporté la preuve » est plus catégorique
que son équivalent « Nicaragua has not … established » dans la
version anglaise. Ainsi formulé, ce constat de la Cour peut, en soi, confirmer
l’interprétation que fait la Colombie de l’arrêt de 2012.
17. Cependant, lorsque l’on lit ce constat dans son contexte, l’argument
de la Colombie devient moins convaincant. La Cour, avant de
conclure qu’une partie ne s’est pas acquittée de la charge de la preuve
— en particulier lorsqu’il s’agit d’un point central de l’affaire — analyse
les éléments qui lui ont été présentés et explique en quoi ils sont insuffisants.
Or, bien que les éléments de preuve invoqués par le Nicaragua à
l’appui de sa demande eussent été amplement débattus par les Parties
dans leurs plaidoiries, elle n’a pas évalué leur qualité ou leur caractère
convaincant dans l’arrêt de 2012. Il n’est guère concevable que la Cour, si
elle entendait décider que le Nicaragua n’avait pas démontré que sa marge
continentale s’étendait au‑delà de 200 milles marins — décision aux
conséquences considérables pour les deux pays et leurs populations —, ait
pris une telle décision sans analyser dans son arrêt les preuves produites,
ou à tout le moins rendre compte du fruit de cette analyse. La Cour avait
assurément connaissance des débats dont ces preuves avaient fait l’objet
— elle les résume aux paragraphes 119 à 124 de l’arrêt —, mais, dans ses
motifs, elle ne dit rien du caractère convaincant des données et autres
éléments sur lesquels s’appuie le Nicaragua. L’arrêt de 2012 ne dit pas
pourquoi les preuves du Nicaragua étaient insuffisantes.
18. L’arrêt de 2012 ne dit pas davantage ce que le Nicaragua aurait dû
prouver. La Colombie n’étant pas partie à la CNUDM, la Cour a nécessairement
considéré que le droit applicable était le droit international
coutumier (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666, par. 118). Elle a estimé que la
définition du plateau continental énoncée au paragraphe 1 de l’article 76
de la convention faisait partie du droit international coutumier. Cette
définition est la suivante :
« Le plateau continental d’un Etat côtier comprend les fonds
marins et leur sous‑sol au‑delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue
du prolongement naturel du territoire terrestre de cet Etat
jusqu’au rebord externe de la marge continentale, ou jusqu’à
200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la
largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge
continentale se trouve à une distance inférieure. »
La Cour a donc admis que le droit international coutumier, comme la
CNUDM, reconnaît deux fondements distincts aux droits d’un Etat sur le
plateau continental : le critère de la distance et l’existence d’une marge
continentale constituant le prolongement naturel du territoire terrestre de
l’Etat. Pour prétendre à une zone donnée au titre du premier fondement,
l’Etat doit seulement démontrer que cette zone est située à moins de
200 milles marins de ses lignes de base. Les demandes au titre du second
fondement sont en revanche plus compliquées. L’Etat qui fait valoir ce
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 185
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motif doit démontrer que sa marge continentale constitue le prolongement
naturel de son territoire terrestre et que la zone qu’il revendique est
située en deçà du rebord externe de cette marge. C’est ce que le Nicaragua
entendait démontrer en 2012.
19. Cependant, pour savoir si le Nicaragua avait effectivement démontré
cela, il aurait fallu que la Cour détermine quels critères, selon le droit
applicable, permettent de situer le rebord externe de la marge continentale.
La définition du plateau continental contenue au paragraphe 1 de
l’article 76 de la CNUDM ne donne aucune indication à ce sujet. Aux
paragraphes 3 à 6 du même article sont énoncés les critères correspondant
aux situations envisagées par la convention, mais ces paragraphes ne pouvaient
être pertinents qu’à la condition de refléter le droit international
coutumier, puisque c’est celui‑ci, et non la convention, qui était le droit
applicable en l’affaire de 2012. La Cour n’a toutefois pas jugé nécessaire
d’établir le caractère coutumier de ces autres dispositions. Au paragraphe
118, après avoir conclu que la définition du plateau continental
donnée au paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM fait partie du droit
international coutumier, elle déclare ainsi :
« A ce stade, la Cour ayant simplement à examiner la question de
savoir si elle est en mesure de délimiter le plateau continental, comme
le lui demande le Nicaragua, point n’est besoin pour elle de déterminer
si d’autres dispositions de l’article 76 de la CNUDM font partie
du droit international coutumier. » (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666,
par. 118.)
La Cour n’a pas non plus recherché s’il existait, en droit international
coutumier, d’autres critères, distincts de ceux énoncés aux paragraphes 3
à 6 de l’article 76, permettant de vérifier si la marge continentale d’un
Etat s’étend à plus de 200 milles marins de ses lignes de base. Si la Cour
est partie du principe qu’il n’y avait pas lieu de définir les critères qu’un
Etat doit appliquer pour établir son droit à un plateau continental étendu
au regard du droit international coutumier, elle ne peut avoir décidé si le
Nicaragua avait ou non satisfait à ces critères.
20. La Cour n’ayant pas évalué ce que le Nicaragua avait démontré, ni
défini ce qu’il devait démontrer, force m’est de conclure que l’on ne peut
lire dans l’arrêt de 2012 une décision sur la charge de la preuve, qui répondrait
de manière définitive à la question de savoir si le Nicaragua peut
prétendre à un plateau continental chevauchant celui dont la Colombie
peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale.
Pour cette raison, j’ai voté en faveur du rejet, dans sa totalité, de l’argument
que la Colombie tire du principe de l’autorité de la chose jugée.
21. Je vois cependant une distinction dans le raisonnement suivi,
quoique sans incidence sur le résultat, selon que l’argument de la Colombie
s’applique aux demandes que le Nicaragua a formulées en l’espèce à
l’égard de la zone située à plus de 200 milles marins de la côte continentale
de la Colombie mais à moins de 200 milles marins de ses îles, ou à
celles qu’il a formulées à l’égard de la zone située à moins de 200 milles
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 186
90
marins de la côte continentale colombienne. S’agissant de cette zone‑là, ce
qui nous permet de conclure qu’il n’y a pas chose jugée, c’est la manière
dont la Cour a défini ce qu’elle était appelée à trancher et le fait qu’elle
n’ait pas examiné le moindre élément de preuve du Nicaragua (comme
j’ai tenté de le démontrer plus haut, aux paragraphes 17 à 19). Cela vaut
également pour la zone située à plus de 200 milles marins de la côte continentale
de la Colombie mais à moins de 200 milles marins de ses îles.
S’agissant de cette dernière, cependant, l’absence de toute référence à son
sujet dans le paragraphe 129 est un motif distinct et supplémentaire de
rejeter l’argument de l’autorité de la chose jugée. Bien que je ne le fasse
pas moi‑même, il est permis de penser que ce motif est déterminant, et
qu’il y a donc lieu de ne rejeter la troisième exception préliminaire de la
Colombie qu’en ce qu’elle a trait à la demande du Nicaragua à l’égard de
cette zone, et de la retenir en ce qu’elle a trait à la demande du Nicaragua
à l’égard de la zone située à moins de 200 milles marins de la côte continentale
colombienne. Telle est précisément la conclusion à laquelle est
parvenu un membre de la Cour. C’est pourquoi il aurait été préférable
que la Cour se prononce séparément sur l’application du principe de l’autorité
de la chose jugée aux demandes du Nicaragua à l’égard de chacune
de ces zones. Je regrette qu’elle ne l’ait pas fait.
(Signé) Christopher Greenwood.

Bilingual Content

177
81
SEPARATE OPINION OF JUDGE GREENWOOD
Nature of res judicata in international law — What creates a res judicata —
Effects — Scope of the 2012 Judgment — Nature of Nicaragua’s claim in relation
to submission I (3) — Silence of the 2012 Judgment regarding Nicaragua’s claims
to a continental shelf more than 200 nautical miles from the mainland coasts of
both Nicaragua and Colombia — Absence of any ruling by the Court on the merits
of that claim — Whether Nicaragua’s claim to a continental shelf overlapping with
Colombia’s entitlement to a continental shelf extending 200 nautical miles from
Colombia’s mainland coast is barred by res judicata.
1. The closeness of the vote on Colombia’s third preliminary objection
shows that the issues presented by that objection have not been easy for
the Court to resolve. For that reason, and because I have the misfortune
to disagree with several of my colleagues, I have thought it right to set out
in this separate opinion why I agree with the decision to reject Colombia’s
res judicata argument.
I. The Doctrine of Res Judicata
in International Law
2. Although the doctrine of res judicata has its origins in the general
principles of law (see the opinion of Judge Anzilotti in Interpretation of
Judgments Nos. 7 and 8 (Factory at Chorzów), Judgment No. 11, 1927,
P.C.I.J., Series A, No. 13, p. 27, and Bin Cheng, General Principles of
Law as Applied by International Court and Tribunals, 1953, pp. 336‑372),
it is now firmly established in the jurisprudence of the Court (see, in particular,
Request for Interpretation of the Judgment of 11 June 1998 in the
Case concerning the Land and Maritime Boundary between Cameroon
and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Preliminary Objections (Nigeria v.
Cameroon), Judgment, I.C.J. Reports 1999 (I), p. 36, para. 12 and Application
of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Judgment,
I.C.J. Reports 2007 (I), pp. 90‑91, paras. 115‑116). Res judicata is also
well established in the case law of other international tribunals (see, e.g.,
the Final Award of the Arbitral Tribunal in the Trail Smelter case,
11 March 1941 (United Nations, Reports of International Arbitral
Awards (RIAA), Vol. III, pp. 1950‑1951), where res judicata is described
as “an essential and settled rule of international law”).
177
81
OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE GREENWOOD
[Traduction]
Nature de l’autorité de la chose jugée en droit international — Question de
savoir ce qui génère la chose jugée — Effets — Portée de l’arrêt de 2012 — Nature
de la demande du Nicaragua relativement au point I. 3) — Silence de l’arrêt de
2012 sur la demande du Nicaragua relative à un plateau continental s’étendant
au‑delà de 200 milles marins des côtes continentales des deux Parties — Absence
d’une quelconque décision de la Cour sur le fond de cette demande — Question de
savoir si la demande du Nicaragua relative à un plateau continental qui
chevaucherait celui dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à
partir de sa côte continentale est couverte par l’autorité de la chose jugée.
1. Le résultat serré du vote sur la troisième exception préliminaire de la
Colombie montre qu’il n’a pas été facile pour la Cour de résoudre les
questions que soulevait ladite exception. Pour cette raison, et parce qu’à
mon grand regret je suis en désaccord avec plusieurs de mes collègues, il
me semble opportun d’expliquer, dans la présente opinion individuelle,
pourquoi j’ai souscrit à la décision de rejeter l’argument que la Colombie
tire du principe de l’autorité de la chose jugée.
I. La doctrine de l’autorité de la chose jugée (res judicata)
en droit international
2. Si la doctrine de l’autorité de la chose jugée (res judicata) trouve ses
origines dans les principes généraux du droit (voir l’opinion du juge Anzilotti
en l’affaire de l’Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów),
arrêt no 11, 1927, C.P.J.I. série A no 13, p. 27, et Bin Cheng, General Principles
of Law as Applied by International Courts and Tribunals, 1953,
p. 336‑372), elle est désormais fermement établie dans la jurisprudence de
la Cour (voir, notamment, Demande en interprétation de l’arrêt du
11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun
et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria
c. Cameroun), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 36, par. 12, et Application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I),
p. 90‑91, par. 115‑116). La doctrine de l’autorité de la chose jugée est
également
bien ancrée dans la jurisprudence d’autres juridictions internationales
(voir, par exemple, la sentence définitive du Tribunal d’arbitrage
en l’affaire de la Fonderie du Trail (Etats‑Unis d’Amérique
c. Canada), en date du 11 mars 1941 (Nations Unies, Recueil des sentences
arbitrales (RSA), vol. III, p. 1950‑1951), dans laquelle ce principe est
défini comme « une règle essentielle et constante du droit international »).
178 delimitation of the continental shelf (sep. op. greenwood)
82
3. In its Judgment in the Bosnia case, the Court explained the rationale
for the principle of res judicata in the following terms :
“Two purposes, one general, the other specific, underlie the principle
of res judicata, internationally as nationally. First, the stability of
legal relations requires that litigation come to an end. The Court’s
function, according to Article 38 of its Statute, is to ‘decide’, that is,
to bring to an end ‘such disputes as are submitted to it’. Secondly, it
is in the interest of each party that an issue which has already been
adjudicated in favour of that party be not argued again. Article 60 of
the Statute articulates this finality of judgments. Depriving a litigant
of the benefit of a judgment it has already obtained must in general
be seen as a breach of the principles governing the legal settlement of
disputes.” (Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia
and Montenegro), Judgment, I.C.J. Reports 2007 (I), pp. 90‑91,
para. 116.)
4. It is therefore unnecessary to examine the not inconsiderable differences
which exist between different national legal systems regarding the
concept of res judicata (as to which, see Albrecht Zuener and Harald Koch,
“Effects of Judgments : Res Judicata” in Mauro Cappelletti (ed.), International
Encyclopaedia of Comparative Law, Vol. XVI, 2014, Chapter 9). It
is the principle of res judicata in international law, in particular as developed
in the jurisprudence of the Court, which has to be applied. As the
Judgment in the present case makes clear, res judicata applies only where
the parties, the object and the legal ground (i.e., the personae, the petitum
and the causa petendi) are the same. However, the identity of these three
elements is a necessary, but not a sufficient, condition for the application
of res judicata. It is also essential that the matter at issue must have been
decided in the earlier proceedings. As the Court stated in the Bosnia case:
“If a matter has not in fact been determined, expressly or by necessary
implication, then no force of res judicata attaches to it ; and a general
finding may have to be read in context in order to ascertain whether a
particular matter is or is not contained in it.” (I.C.J. Reports 2007 (I),
p. 95, para. 126.)
5. Once a decision of the Court has rendered a matter res judicata, the
consequences are far‑reaching. As between the parties to that decision,
the matter is settled and may not be reopened in the Court or in any other
international court or tribunal 1. However, the effects are not confined to
litigation. As the Court explained in the Bosnia case, the doctrine of res
1 Indeed, a judgment of an international court or tribunal creates a res judicata which
may not be reopened between the same parties in a national court (see, e.g., the judg‑
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 178
82
3. La Cour, dans son arrêt en l’affaire Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro,
explique comme suit ce qui sous‑tend le principe de l’autorité
de la chose jugée :
« Le principe de l’autorité de la chose jugée répond, tant dans
l’ordre international que dans l’ordre interne, à deux objectifs, l’un
général, l’autre particulier. Premièrement, la stabilité des relations
juridiques exige qu’il soit mis un terme au différend considéré. La
fonction de la Cour est, selon l’article 38 du Statut, de « régler » les
« différends qui lui sont soumis », c’est‑à‑dire d’y mettre un terme.
Deuxièmement, il est dans l’intérêt de chacune des parties qu’une
affaire qui a d’ores et déjà été tranchée en sa faveur ne soit pas rouverte.
L’article 60 du Statut explicite ce caractère définitif des arrêts.
Priver une partie du bénéfice d’un arrêt rendu en sa faveur doit, de
manière générale, être considéré comme contraire aux principes auxquels
obéit le règlement judiciaire des différends. » (Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil
2007 (I), p. 90‑91, par. 116.)
4. Point n’est besoin, par conséquent, de s’attarder sur les grandes différences
que revêt la notion d’autorité de la chose jugée dans les divers
systèmes juridiques nationaux (à ce propos, voir Albrecht Zuener et
Harald Koch, « Effects of Judgments : Res Judicata », Mauro Cappelletti
(dir. publ.), International Encyclopaedia of Comparative Law, vol. XVI,
2014, chap. 9). En l’espèce, ce qu’il convient d’appliquer, c’est le principe
de l’autorité de la chose jugée tel qu’il est consacré en droit international,
et en particulier tel qu’il a été précisé dans la jurisprudence de la Cour.
Ainsi qu’il ressort clairement de l’arrêt rendu dans la présente affaire, ce
principe ne s’applique que s’il y a identité des parties, de l’objet et de la
base juridique (autrement dit, des personae, du petitum et de la causa
petendi). Cependant, l’identité de ces trois éléments, si elle est une condition
nécessaire à l’application du principe de l’autorité de la chose jugée,
n’est pas suffisante. Il est également primordial que la question en cause
ait été tranchée à l’issue d’une procédure antérieure. Ainsi que la Cour l’a
dit en l’affaire Bosnie‑Herzégovine c. Serbie‑et‑Monténégro, « [s]i un point
n’a en fait pas été tranché, ni expressément ni par implication logique,
l’arrêt n’a pas force de chose jugée sur celui‑ci ; et il peut être nécessaire de
lire une conclusion générale dans son contexte afin de déterminer si elle
recouvre tel point en particulier » (C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 95, par. 126).
5. Une fois qu’une décision de la Cour fait qu’une question donnée
devient chose jugée, les effets ainsi produits ont une portée considérable.
Entre les parties concernées par la décision, la question est réputée réglée
et ne peut plus être portée à nouveau devant la Cour, ni devant aucune
autre juridiction internationale 1. Mais les effets ne se limitent pas à la
1 Une question devenue chose jugée par la décision d’une juridiction internationale ne
peut d’ailleurs être rouverte entre les mêmes parties devant une juridiction nationale (voir,
179 delimitation of the continental shelf (sep. op. greenwood)
83
judicata is a corollary of the rules in Articles 59 of the Statute, that judgments
of the Court are binding on the parties, and Article 60, that they
are final and without appeal. One consequence is that the effects of
res judicata are substantive, rather than procedural. Since the decision on
the point in issue is binding on the parties, neither party is entitled to call
it into question as a matter of law. That is true of self‑help measures, just
as much as of litigation. Thus, if a court or tribunal, in a case between
two States, determines that one of those States has no entitlement to a
continental shelf in a particular area, international law does not permit
that State thereafter to assert such an entitlement in that area vis‑à‑vis the
other State party. As the French‑Venezuelan Mixed Claims Commission
put it, “a right, question, or fact distinctly put in issue and directly determined
by a court of competent jurisdiction, as a ground of recovery, cannot
be disputed” (Company General of the Orinoco Case, 31 July 1905
(United Nations, Reports of International Arbitral Awards (RIAA),
Vol. X, p. 276) ; original emphasis). That principle applies as much to a
ruling on the burden of proof as to a ruling on law. If the legal entitlement
claimed by a party is dependent upon the existence of facts the burden
of proving which rests on that party, then a finding that that party
has not discharged its burden of proof amounts to a determination of
whether or not it has that entitlement. The question of entitlement (or the
lack thereof) will thenceforth be res judicata between those parties.
6. That is precisely the effect, according to Colombia, of the Court’s
2012 Judgment. Colombia maintains that the Court there decided that
Nicaragua had failed to discharge its burden of proving that it had an
entitlement to a continental shelf more than 200 nautical miles from the
Nicaraguan mainland (Preliminary Objections of Colombia, para. 5.31).
If that is correct, then the question of such entitlement is settled, between
Nicaragua and Colombia, in perpetuity. Not only can Nicaragua not
contest this issue with Colombia in these, or any subsequent, proceedings
in the Court or any other competent tribunal, it cannot rely upon an
assertion of an entitlement to a shelf beyond 200 nautical miles as the
basis for alleging the illegality of Colombian conduct in the area in question
or taking measures in response thereto. Such a judgment would not
prevent Nicaragua from taking forward its submission to the Commisment
of the High Court in England in Dallal v. Bank Mellat (1986), QB 441 ; ILR (1985),
Vol. 75, p. 151, which decided that a decision of the Iran‑United States Claims Tribunal
created a res judicata which precluded a claimant from pursuing in the English courts a
claim which had been rejected by the Tribunal). It will, of course, be very rare that the
parties in national proceedings will be the same as those in international proceedings, especially
where the international proceedings take place between States.
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 179
83
procédure judiciaire. Comme la Cour l’a rappelé en l’affaire Bosnie‑Herzégovine
c. Serbie‑et‑Monténégro, la doctrine de l’autorité de la chose
jugée est un corollaire des règles énoncées à l’article 59 du Statut, à savoir
que les arrêts de la Cour sont obligatoires pour les parties, et à l’article 60,
à savoir qu’ils sont définitifs et sans recours. Une conséquence est que
l’autorité de la chose jugée produit des effets sur le fond autant que sur la
procédure. La décision par laquelle a été tranché le litige ayant force obligatoire
pour les parties, celles‑ci ne peuvent, ni l’une ni l’autre, la contester
en droit. Cela vaut autant pour les initiatives individuelles que pour les
procédures judiciaires. Ainsi, dès lors qu’une juridiction, dans une affaire
opposant deux Etats, a jugé que l’un d’entre eux n’avait pas de droit sur
le plateau continental dans une zone déterminée, cet Etat n’est pas autorisé,
en droit international, à revendiquer par la suite un tel droit vis‑à‑vis
de l’autre Etat dans la zone concernée. Comme l’a rappelé la Commission
mixte des réclamations France‑Venezuela, « un droit, une question ou un
fait spécifiquement mis en cause et directement tranché par une juridiction
compétente ne peut, aux fins de réclamation, être contesté » (affaire de la
Compagnie générale de l’Orénoque, 31 juillet 1905 (Nations Unies, Recueil
des sentences arbitrales (RSA), vol. X, p. 276) ; les italiques sont dans
l’original). Ce principe s’applique aussi bien aux décisions relatives à la
charge de la preuve qu’à celles qui tranchent un point de droit. Lorsqu’une
partie revendique un droit subordonné à des faits dont il lui
incombe de prouver l’existence, et qu’il est constaté par une décision
qu’elle ne s’est pas acquittée de cette charge de la preuve, alors ladite
décision revient à statuer sur l’existence du droit en question. La question
du droit en soi (ou de l’absence de droit) sera donc revêtue de l’autorité
de la chose jugée entre les parties concernées.
6. La Colombie considère que tel est précisément l’effet produit par
l’arrêt de 2012. Selon elle, la Cour a décidé dans cet arrêt que le Nicaragua
n’avait pas démontré, comme il lui revenait de le faire, qu’il avait
droit à un plateau continental au‑delà de 200 milles marins de sa côte
continentale (exceptions préliminaires de la Colombie, par. 5.31). Si la
Colombie avait raison, la question de ce droit serait alors réglée, entre le
Nicaragua et elle‑même, à perpétuité. Le Nicaragua non seulement ne
pourrait plus revendiquer devant la Cour, ni maintenant ni ultérieurement,
ni devant aucune autre juridiction compétente, un quelconque droit
à un plateau continental au‑delà de 200 milles marins vis‑à‑vis de la
Colombie, mais, en outre, il ne pourrait pas davantage se prévaloir d’un
tel droit pour qualifier d’illicite le comportement de la Colombie dans la
zone concernée, ni pour prendre des mesures en réponse à ce comportepar
exemple, l’arrêt en l’affaire Dallal c. Bank Mellat (1986), QB 441, International Law
Reports (ILR) (1985), vol. 75, p. 151, dans lequel la Haute Cour de justice (Angleterre
et pays de Galles) a estimé qu’une décision du Tribunal des réclamations Etats‑Unis‑Iran
était revêtue de l’autorité de la chose jugée et qu’un grief rejeté par ce tribunal ne pouvait
donc pas être porté devant les tribunaux britanniques). Il est toutefois très rare que les
parties à une procédure nationale soient les mêmes que celles à une procédure internationale,
en particulier si ce sont des Etats qui s’opposent dans ce cadre.
180 delimitation of the continental shelf (sep. op. greenwood)
84
sion on the Limits of the Continental Shelf (“CLCS”), since the CLCS
process is about establishing the outer limits of the continental margin
vis‑à‑vis all parties to UNCLOS. However, no outer limits to a continental
shelf beyond 200 nautical miles from the Nicaraguan mainland which
Nicaragua might establish — whether or not on the basis of any recommendations
from the CLCS — could be opposable to Colombia. Since a
judgment creates res judicata only as between the parties to the case in
which that judgment is given, the 2012 Judgment could not prevent Nicaragua
from asserting an entitlement to a continental shelf beyond 200 nautical
miles against other neighbouring States. As between Nicaragua and
Colombia, however, Nicaragua would have no scope for any such assertion.
II. The Scope of the 2012 Judgment
7. Strictly speaking, it is only the dispositif of a judgment which can
have the force of res judicata. The relevant paragraph of the dispositif in
the 2012 Judgment is paragraph 3, in which the Court unanimously found
that “it cannot uphold the Republic of Nicaragua’s claim contained in its
final submission I (3)” (I.C.J. Reports 2012 (II), p. 719, para. 251 (3)). In
the present proceedings, both Parties have spent much of their time debating
the precise meaning of the phrase “cannot uphold”. Nicaragua maintains
that it was of the utmost significance that the Court chose to use
that term, rather than saying that it “rejects” submission I (3). For Nicaragua,
that choice indicates that the Court was not making a decision on
the merits in relation to the submission. Colombia, on the other hand,
contends that “cannot uphold” is synonymous with “rejects”. In support
of that argument it invokes three judgments in which, it maintains, the
Court used “cannot uphold” to mean “rejects” (Application for Revision
and Interpretation of the Judgment of 24 February 1982 in the Case concerning
the Continental Shelf (Tunisia/Libyan Arab Jamahiriya) (Tunisia
v. Libyan Arab Jamahiriya), Judgment, I.C.J. Reports 1985, p. 192 ;
Oil Platforms (Islamic Republic of Iran v. United States of America),
Judgment, I.C.J. Reports 2003, p. 161 ; Frontier Dispute (Burkina Faso/
Niger), Judgment, I.C.J. Reports 2013, p. 44).
8. The Court — rightly, in my opinion — has concluded that neither
analysis of the 2012 dispositif is persuasive (see paragraph 74 of the Judgment).
Nicaragua places far too much emphasis on a choice of words
which cannot be said, in and of itself, to compel the conclusion that the
Court did not make a determination on the merits. Colombia, on the
other hand, is too quick to draw from the three judgments to which it
refers the conclusion that the Court uses “cannot uphold” and “rejects”
interchangeably. The most recent of those judgments, that in Burkina Faso/
Niger, does not assist Colombia’s argument. The reason why the Court
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 180
84
ment. Certes, si l’arrêt de 2012 produisait les effets que lui attribue la
Colombie, le Nicaragua ne serait pas empêché de poursuivre la procédure
engagée devant la Commission des limites du plateau continental,
puisqu’il cherche, par cette procédure, à fixer la limite extérieure de son
plateau continental vis‑à‑vis de toutes les parties à la Convention des
Nations Unies sur le droit de la mer (ci‑après « la CNUDM »). Il ne pourrait
toutefois opposer à la Colombie aucune limite extérieure du plateau
continental qu’il fixerait à plus de 200 milles marins de sa côte continentale,
même s’il a suivi en cela une recommandation de la Commission.
Puisqu’une décision ne produit l’effet de la chose jugée qu’entre les parties
au différend qu’elle règle, l’arrêt de 2012 n’empêcherait pas le Nicaragua
de revendiquer un droit à un plateau continental au‑delà de 200 milles
marins vis‑à‑vis de ses autres voisins. Mais rien ne lui permettrait de le
faire à l’égard de la Colombie.
II. La portée de l’arrêt de 2012
7. A strictement parler, seul le dispositif d’un arrêt peut avoir force de
chose jugée. Le paragraphe pertinent du dispositif de l’arrêt de 2012 est le
point 3, dans lequel la Cour dit à l’unanimité qu’elle « ne peut accueillir la
demande formulée par la République du Nicaragua au point I. 3) de ses
conclusions finales » (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 719, par. 251 3)). Au
cours de la présente procédure, les deux Parties ont passé beaucoup de
temps à débattre du sens exact de l’expression « ne peut accueillir ». Pour
le Nicaragua, le fait que la Cour ait choisi d’employer cette expression, au
lieu de « rejeter » la demande formulée au point I. 3), revêtait la plus haute
importance. Selon lui, ce choix montrait que la Cour ne statuait pas sur le
fond de cette demande. La Colombie, pour sa part, soutenait que l’expression
« ne peut accueillir » était synonyme de « rejeter ». A l’appui de cet
argument, elle invoquait trois arrêts dans lesquels la Cour emploie les
termes « ne peut accueillir », ou une expression très similaire, dans le sens
de « rejeter » (Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février
1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne)
(Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 192 ;
Plates‑formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats‑Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 161 ; Différend frontalier (Burkina
Faso/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 44).
8. La Cour a estimé — à juste titre, me semble‑t‑il — que ces analyses
du dispositif de l’arrêt de 2012 n’étaient pas convaincantes (voir le paragraphe
174 de l’arrêt). Le Nicaragua accordait beaucoup trop d’importance
à un choix de termes qui, en soi, ne permettait aucunement de
conclure que la Cour n’avait pas statué sur le fond. Quant à la Colombie,
elle déduisait trop hâtivement, des trois arrêts invoqués, que la Cour
employait de manière interchangeable les expressions « ne peut accueillir »
et « rejette ». Le plus récent de ces arrêts, relatif au Différend frontalier, ne
confirme en rien cet argument. Si, dans cette affaire, la Cour a conclu
181 delimitation of the continental shelf (sep. op. greenwood)
85
found that it could not uphold the relevant submissions of Burkina Faso
was not that Burkina Faso had failed to establish a factual predicate for
its claims but that there was no dispute between Burkina Faso and Niger
on the section of the boundary to which those submissions related and
thus the primary condition for the Court to exercise its judicial function
was absent (I.C.J. Reports 2013, p. 71, para. 52). In the Tunisia v. Libya
case, the Court used the phrase in the particular context of the interpretation
of a previous judgment (I.C.J. Reports 1985, pp. 219‑220, para. 50).
Oil Platforms affords more support to Colombia’s argument but still falls
short of demonstrating that “cannot uphold” is necessarily to be equated
with a rejection on the merits.
9. A more fruitful line of inquiry — which is pursued in the present
Judgment — is to examine why the Court decided that it could not uphold
submission I (3). In that submission, Nicaragua asked the Court to
adjudge and declare that :
“The appropriate form of delimitation, within the geographical and
legal framework constituted by the mainland coasts of Nicaragua and
Colombia, is a continental shelf boundary dividing by equal parts the
overlapping entitlements to a continental shelf of both Parties.” (Final
submissions of Nicaragua, I.C.J. Reports 2012 (II), p. 636, para. 17 ;
emphasis added.)
The claim thus stated pitched Nicaragua’s claim to an outer, or extended,
continental shelf beyond 200 nautical miles from the Nicaraguan mainland
coast against Colombia’s entitlement to a continental shelf extending
200 nautical miles from the mainland coast of Colombia (see sketch‑map
No. 2, ibid., p. 663).
10. In this context, it is important to understand the unusual geographical
framework within which Nicaragua’s claim was advanced. The
mainland coasts of Nicaragua (in the west) and Colombia (in the east)
face one another and are “significantly more than 400 nautical miles
apart” (ibid., p. 670, para. 132). Nicaragua’s claim to an outer continental
shelf extended eastwards from the line 200 nautical miles from the Nicaraguan
mainland coast (at which the delimitation effected by the
2012 Judgment stopped ; see ibid., p. 683, para. 159 and p. 714, sketch‑map
No. 11) until it overlapped with the Colombian continental shelf and
exclusive economic zone extending 200 nautical miles westwards from the
Colombian mainland coast. It was this area of overlapping claims, within
200 nautical miles of the Colombian mainland coast, which submission
I (3) invited the Court to divide between the Parties by effecting a
delimitation based upon a division into equal parts (as is clear from
sketch‑map No. 2, ibid., p. 663). However, that was not the only area in
which the Nicaraguan claim to an outer continental shelf competed with
Colombian claims. In the area between the line 200 nautical miles from
the Nicaraguan mainland coast and the line 200 nautical miles from the
Colombian mainland coast, Nicaragua’s claim to an outer continental
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 181
85
qu’elle ne pouvait accueillir certaines des demandes du Burkina Faso, ce
n’est pas parce que celui‑ci n’avait pas démontré le fondement factuel de
ses griefs, mais parce qu’aucun différend ne l’opposait au Niger sur les
secteurs de la frontière visés par ces demandes, et que la condition essentielle
à l’exercice, par la Cour, de sa fonction judiciaire n’était donc pas
remplie (C.I.J. Recueil 2013, p. 71, par. 52). Dans l’affaire Tunisie c. Jamahiriya
arabe libyenne, la Cour s’exprimait dans le contexte particulier de
l’interprétation d’un arrêt antérieur (C.I.J. Recueil 1985, p. 219‑220,
par. 50). Quant à l’affaire des Plates‑formes pétrolières, si elle semble
apporter quelque appui à l’argument de la Colombie, elle est toutefois
loin de démontrer que l’expression « ne peut accueillir » traduit nécessairement
un rejet sur le fond.
9. Une piste plus efficace — celle qui est suivie dans le présent arrêt —
consiste à rechercher pourquoi la Cour a décidé de ne pas accueillir la
demande formulée au point I. 3) des conclusions finales du Nicaragua,
par laquelle celui‑ci la priait de dire et juger que,
« dans le cadre géographique et juridique constitué par les côtes continentales
du Nicaragua et de la Colombie, la méthode de délimitation
à retenir consiste à tracer une limite opérant une division par parts
égales de la zone du plateau continental où les droits des deux Parties
sur celui‑ci se chevauchent » (conclusions finales du Nicaragua,
C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 636, par. 17 ; les italiques sont de moi).
Ainsi formulée, cette demande mettait en opposition les prétentions du
Nicaragua à un plateau continental étendu au‑delà de 200 milles marins à
partir de sa côte continentale et les droits de la Colombie à un plateau
continental s’étendant sur 200 milles marins à partir de sa propre côte
continentale (voir le croquis no 2, ibid., p. 663).
10. Dans ce contexte, il est important de comprendre le cadre géographique
inhabituel dans lequel s’inscrivent les prétentions du Nicaragua.
Les côtes continentales nicaraguayenne (à l’ouest) et colombienne (à l’est)
se font face et se trouvent « à bien plus de 400 milles marins l’une de
l’autre » (ibid., p. 670, par. 132). Le Nicaragua revendique un plateau
continental étendu qui se poursuit vers l’est, au‑delà de la ligne de
200 milles marins mesurée à partir de sa côte continentale (point terminal
de la délimitation établie dans l’arrêt de 2012 ; voir ibid., p. 683, par. 159
et p. 714, croquis no 11), jusqu’à chevaucher le plateau continental et la
zone économique exclusive de la Colombie qui s’étendent sur 200 milles
marins vers l’ouest à partir de la côte continentale colombienne. C’est
cette zone de chevauchement, située à moins de 200 milles marins de la
côte continentale colombienne, que le Nicaragua, au point I. 3) de ses
conclusions finales, demandait à la Cour de délimiter entre les Parties, au
moyen d’une division par parts égales (comme on le voit clairement sur le
croquis no 2, ibid., p. 663). Toutefois, cette zone n’est pas la seule où le
plateau continental étendu revendiqué par le Nicaragua chevauche celui
dont la Colombie peut se prévaloir. Entre la ligne de 200 milles marins
mesurée à partir de la côte continentale nicaraguayenne et la ligne de
182 delimitation of the continental shelf (sep. op. greenwood)
86
shelf competed with Colombia’s claims that the Colombian islands which
lie to the west of the line 200 nautical miles from the Nicaraguan mainland
coast are entitled to a continental shelf and exclusive economic zone
extending 200 nautical miles from their east‑facing coasts. Nicaragua’s
submission I (3) did not directly address that overlap.
11. The Court’s conclusion regarding Nicaragua’s submission I (3) is
set out in paragraph 129 of the 2012 Judgment. It is the reasoning in this
paragraph which indicates the scope of paragraph 3 of the dispositif. In
paragraph 129, the Court states :
“since Nicaragua, in the present proceedings, has not established that
it has a continental margin that extends far enough to overlap with
Colombia’s 200‑nautical‑mile entitlement to the continental shelf,
measured from Colombia’s mainland coast, the Court is not in a position
to delimit the continental shelf boundary between Nicaragua and
Colombia, as requested by Nicaragua . . .” (I.C.J. Reports 2012 (II),
p. 669, para. 129 ; emphasis added).
In the present case, Colombia maintains that, in the 2012 Judgment, the
Court determined that “Nicaragua had not established any continental
shelf entitlement beyond 200 nautical miles from its baselines” and contends
that “the Court concluded that there were no overlapping entitlements
between the Parties situated more than 200 nautical miles from
Nicaragua’s baselines that could be delimited” (Preliminary Objections of
Colombia, para. 5.31). On that basis, Colombia argues that the whole of
Nicaragua’s claim in the present proceedings is barred by the res judicata
created by the 2012 Judgment.
12. That cannot be correct. Paragraph 129 of the 2012 Judgment is
expressly limited to Nicaragua’s claim to an outer continental shelf overlapping
with “Colombia’s 200‑nautical‑mile entitlement to the continental
shelf, measured from Colombia’s mainland coast” [emphasis added]. It
says nothing whatsoever about Nicaragua’s claim in the area lying more
than 200 nautical miles from the Colombian mainland coast but within
200 nautical miles of the Colombian islands. Whatever effect paragraph
129 and, therefore, paragraph 3 of the dispositif may have in relation
to the area within 200 nautical miles of the Colombian mainland
coast (a matter considered below), the complete silence regarding the area
more than 200 nautical miles from either mainland coast cannot be interpreted
as a decision regarding Nicaragua’s claims in that area. In the language
of the Bosnia Judgment (quoted in paragraph 4, above), there is no
determination to which the force of res judicata could attach in relation to
those claims.
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 182
86
200 milles marins mesurée à partir de la côte colombienne, le plateau
continental étendu auquel prétend le Nicaragua chevauche celui dont la
Colombie peut se prévaloir du fait que ses îles, situées à l’ouest de la ligne
de 200 milles marins mesurée à partir de la côte continentale nicaraguayenne,
génèrent un droit à un plateau continental et à une zone économique
exclusive sur 200 milles marins à partir de leurs côtes orientales.
Au point I. 3) de ses conclusions finales, le Nicaragua n’avait pas abordé
directement la question de ce chevauchement‑là.
11. La conclusion de la Cour sur la demande formulée au point I. 3)
des conclusions finales du Nicaragua est énoncée au paragraphe 129 de
l’arrêt de 2012. Ce sont les motifs exposés dans ce paragraphe qui définissent
la portée du point 3 du dispositif. La Cour y dit que,
« le Nicaragua n’ayant pas, dans la présente instance, apporté la
preuve que sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour
chevaucher le plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir
sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale, [elle] n’est pas
en mesure de délimiter les portions du plateau continental relevant
de chacune des Parties, comme le lui demande le Nicaragua… »
(C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 669, par. 129 ; les italiques sont de moi).
Dans la présente affaire, la Colombie affirmait que la Cour, dans l’arrêt
de 2012, avait constaté que le Nicaragua n’avait « nullement établi un
quelconque droit à une portion du plateau continental au‑delà de
200 milles marins de ses lignes de base » et conclu « à l’absence de zones
de chevauchement des droits de chacune des Parties au‑delà de 200 milles
marins des lignes de base du Nicaragua pouvant faire l’objet d’une délimitation
» (exceptions préliminaires de la Colombie, par. 5.31). Sur la
base de cet argument, la Colombie considérait que l’ensemble des
demandes du Nicaragua en l’espèce tombaient sous le coup de l’autorité
de la chose jugée générée par l’arrêt de 2012.
12. Il ne saurait en être ainsi. Le paragraphe 129 de l’arrêt de 2012 est
expressément limité à la demande du Nicaragua relative à un plateau
continental étendu chevauchant celui « dont la Colombie peut se prévaloir
sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale » (les italiques sont
de moi). Il ne dit absolument rien de la demande du Nicaragua relative à
la zone située à plus de 200 milles marins de la côte continentale colombienne
mais à moins de 200 milles marins des îles colombiennes. Quel que
soit l’effet produit par le paragraphe 129 et, partant, par le point 3 du
dispositif, en ce qui concerne la zone située à moins de 200 milles marins
de la côte continentale colombienne (nous y reviendrons plus loin), le
silence complet de la Cour au sujet de la zone située à plus de 200 milles
marins des côtes continentales respectives des Parties ne saurait être
interprété
comme une décision sur les prétentions du Nicaragua dans
ladite zone. Pour reprendre les termes de l’affaire Bosnie‑Herzégovine
c. Serbie‑et‑Monténégro (voir plus haut, par. 4), ces prétentions ne constituent
pas un point qui a été tranché et, partant, sur lequel l’arrêt pourrait
avoir force de chose jugée.
183 delimitation of the continental shelf (sep. op. greenwood)
87
13. In the present proceedings, Nicaragua is clearly seeking a delimitation
between its claims and those of Colombia in that area. In its Application,
Nicaragua requests the Court to adjudge and declare “the precise
course of the maritime boundary between Nicaragua and Colombia in the
areas of the continental shelf which appertain to each of them beyond the
boundaries determined by the Court in its Judgment of 19 November 2012”
(Application, p. 8, para. 12). Since Colombia lodged its preliminary objections
in the present case before Nicaragua had filed its Memorial (see paragraph
5 of the Judgment), the arguments on which Nicaragua bases this
claim have yet to be developed. Nevertheless, it is plain from the terms of
the passage quoted from the Application that this time Nicaragua is directly
seeking a delimitation in all areas in which its claim to an outer continental
shelf overlaps with Colombia’s 200‑nautical‑mile entitlements, irrespective
of whether those entitlements are measured from the Colombian mainland
coast (in the east) or the coasts of Colombia’s islands (in the west).
14. Accordingly, it seems to me plain that Colombia’s third preliminary
objection, based on the res judicata effect of the 2012 Judgment,
should be rejected with regard to Nicaragua’s claims in relation to the
area lying more than 200 nautical miles from the Colombian mainland
coast. On any analysis, the 2012 Judgment did not decide upon those
claims.
15. That leaves the question whether the 2012 Judgment contained a
decision regarding Nicaragua’s claim to an outer continental shelf overlapping
with “Colombia’s 200‑nautical‑mile entitlement to the continental
shelf, measured from Colombia’s mainland coast” which has the force
of res judicata and thus bars Nicaragua’s claim in respect of this area.
Colombia argues that the Court rejected Nicaragua’s submission I (3) on
the ground that Nicaragua had failed to discharge its burden of proving
that it had a continental margin which extended to within 200 nautical
miles of the Colombian mainland coast (Preliminary Objections of
Colombia, para. 5.30). If that was indeed the case, then, for the reasons
already discussed, the 2012 Judgment would amount to a finding that
Nicaragua did not possess an entitlement to a continental shelf within
200 nautical miles of the Colombian mainland coast (see paragraph 6,
above). That finding would have the force of res judicata.
16. Colombia’s argument derives some support from the French text of
paragraph 129 of the 2012 Judgment, the relevant part of which states that :
“le Nicaragua n’ayant pas, dans la présente instance, apporté la
preuve que sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour
chevaucher le plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir
sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale, la Cour n’est
pas en mesure de délimiter les portions du plateau continental relevant
de chacune des Parties, comme le lui demande le Nicaragua . . .”
(I.C.J. Reports 2012 (II), p. 669, para. 129).
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 183
87
13. Dans la présente procédure, il est clair que le Nicaragua demande
la délimitation des secteurs auxquels la Colombie et lui‑même peuvent
prétendre dans cette zone. Dans sa requête, il prie la Cour de déterminer
« [l]e tracé précis de la frontière maritime entre les portions de plateau
continental relevant du Nicaragua et de la Colombie au‑delà des limites
établies par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012 » (requête, p. 9,
par. 12). La Colombie ayant soulevé ses exceptions préliminaires en l’espèce
avant le dépôt du mémoire (arrêt, par. 5), le Nicaragua doit encore
développer les arguments sur lesquels il fonde sa demande. Cependant,
cette phrase tirée de sa requête montre clairement que, cette fois, il cherche
directement à obtenir la délimitation de toutes les portions du plateau
continental étendu qu’il revendique et qui pourraient chevaucher celui
dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de ses
côtes, aussi bien continentale (à l’est) qu’insulaires (à l’ouest).
14. Par conséquent, il me semble évident que la troisième exception préliminaire,
soulevée par la Colombie au motif que l’arrêt de 2012 est revêtu
de l’autorité de la chose jugée, devait être rejetée en ce qui concerne la
demande du Nicaragua relative à la zone située à plus de 200 milles marins
de la côte continentale colombienne. Quelle que soit la manière dont
l’arrêt
de 2012 est analysé, on ne saurait y lire une décision sur cette
demande‑là.
15. Reste la question de savoir si l’arrêt de 2012 contient une décision
sur la demande du Nicaragua relative à un plateau continental étendu chevauchant
celui « dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à
partir de sa côte continentale », décision qui serait revêtue de l’autorité de la
chose jugée et empêcherait donc le Nicaragua de présenter une demande à
l’égard de la zone en question. Selon la Colombie, la Cour n’a pas accueilli
la demande formulée au point I. 3) des conclusions finales du Nicaragua
parce que celui‑ci n’avait pas démontré, comme il lui revenait de le faire,
que sa marge continentale s’étendait au‑delà de la ligne de 200 milles marins
mesurée à partir de la côte continentale colombienne (exceptions préliminaires
de la Colombie, par. 5.30). S’il en était ainsi, l’arrêt de 2012, pour les
raisons exposées précédemment, emporterait la décision que le Nicaragua
n’a pas droit à un plateau continental chevauchant celui dont la Colombie
peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale (voir
plus haut, par. 6). Cette décision aurait force de chose jugée.
16. L’argument de la Colombie trouve un certain appui dans la version
française du paragraphe 129 de l’arrêt de 2012 :
« le Nicaragua n’ayant pas, dans la présente instance, apporté la
preuve que sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour
chevaucher le plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir
sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale, la Cour n’est
pas en mesure de délimiter les portions du plateau continental relevant
de chacune des Parties, comme le lui demande le Nicaragua… »
(C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 669, par. 129.)
184 delimitation of the continental shelf (sep. op. greenwood)
88
The statement in the English text that “Nicaragua has not . . . established”
is thus rendered more starkly as “le Nicaragua n’ayant pas . . .
apporté la preuve”. Taken by itself, such a statement is capable of supporting
Colombia’s interpretation of the 2012 Judgment.
17. When the Court’s statement is read in context, however, Colombia’s
case becomes less persuasive. A finding — especially on a central
element of the case before the Court — that a party has failed to discharge
its burden of proof must rest upon an analysis by the Court of the
evidence adduced and a demonstration of why that evidence is insufficient.
Although the Parties said much in their arguments in the 2012
proceedings
about the evidence advanced by Nicaragua in support of its
submission I (3), the Judgment discloses no analysis by the Court of the
quality or persuasiveness of that evidence. If the Court was taking a
decision
that Nicaragua had not proved that it had a continental
margin
beyond 200 nautical miles — a decision which would have had the
most important consequences for both Nicaragua and Colombia and
their peoples — it is hardly to be believed that it would have done so
without making any analysis of the evidence put before it or without
revealing at least the results of that analysis in its Judgment. The Court
was certainly aware of the arguments on that evidence — it summarizes
them in paragraphs 119 to 124 of the Judgment — but in the reasoning of
the Court, there is not a word about the persuasiveness of the data and
other evidence relied upon by Nicaragua. The 2012 Judgment gives
no indication of why the proof offered by Nicaragua was insufficient.
18. Nor does the 2012 Judgment give any indication of what it was that
Nicaragua had to prove. Since Colombia was not a party to the 1982 United
Nations Convention on the Law of the Sea (“UNCLOS”), the Court necessarily
held that the applicable law was customary international law
(I.C.J. Reports 2012 (II), p. 666, para. 118). It concluded that the definition
of the continental shelf contained in paragraph 1 of Article 76 of UNCLOS
forms part of customary international law. That provision states :
“The continental shelf of a coastal State comprises the sea-bed and
subsoil of the submarine areas that extend beyond its territorial sea
throughout the natural prolongation of its land territory to the outer
edge of the continental margin, or to a distance of 200 nautical miles
from the baselines from which the breadth of the territorial sea is
measured where the outer edge of the continental margin does not
extend up to that distance.”
The Court thus accepted that customary international law, like UNCLOS,
recognizes two distinct grounds for entitlement to a continental shelf, one
based upon distance and the other upon the possession of a continental
margin which constitutes a natural prolongation of the coastal State’s
land territory. To assert a claim to an area based upon the first ground, a
State need only establish that the area claimed lies within 200 nautical
miles of its baselines. Claims based upon the second ground are, however,
rather more complicated. A State asserting such a claim in respect of a
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 184
88
L’expression française « n’ayant pas … apporté la preuve » est plus catégorique
que son équivalent « Nicaragua has not … established » dans la
version anglaise. Ainsi formulé, ce constat de la Cour peut, en soi, confirmer
l’interprétation que fait la Colombie de l’arrêt de 2012.
17. Cependant, lorsque l’on lit ce constat dans son contexte, l’argument
de la Colombie devient moins convaincant. La Cour, avant de
conclure qu’une partie ne s’est pas acquittée de la charge de la preuve
— en particulier lorsqu’il s’agit d’un point central de l’affaire — analyse
les éléments qui lui ont été présentés et explique en quoi ils sont insuffisants.
Or, bien que les éléments de preuve invoqués par le Nicaragua à
l’appui de sa demande eussent été amplement débattus par les Parties
dans leurs plaidoiries, elle n’a pas évalué leur qualité ou leur caractère
convaincant dans l’arrêt de 2012. Il n’est guère concevable que la Cour, si
elle entendait décider que le Nicaragua n’avait pas démontré que sa marge
continentale s’étendait au‑delà de 200 milles marins — décision aux
conséquences considérables pour les deux pays et leurs populations —, ait
pris une telle décision sans analyser dans son arrêt les preuves produites,
ou à tout le moins rendre compte du fruit de cette analyse. La Cour avait
assurément connaissance des débats dont ces preuves avaient fait l’objet
— elle les résume aux paragraphes 119 à 124 de l’arrêt —, mais, dans ses
motifs, elle ne dit rien du caractère convaincant des données et autres
éléments sur lesquels s’appuie le Nicaragua. L’arrêt de 2012 ne dit pas
pourquoi les preuves du Nicaragua étaient insuffisantes.
18. L’arrêt de 2012 ne dit pas davantage ce que le Nicaragua aurait dû
prouver. La Colombie n’étant pas partie à la CNUDM, la Cour a nécessairement
considéré que le droit applicable était le droit international
coutumier (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666, par. 118). Elle a estimé que la
définition du plateau continental énoncée au paragraphe 1 de l’article 76
de la convention faisait partie du droit international coutumier. Cette
définition est la suivante :
« Le plateau continental d’un Etat côtier comprend les fonds
marins et leur sous‑sol au‑delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue
du prolongement naturel du territoire terrestre de cet Etat
jusqu’au rebord externe de la marge continentale, ou jusqu’à
200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la
largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge
continentale se trouve à une distance inférieure. »
La Cour a donc admis que le droit international coutumier, comme la
CNUDM, reconnaît deux fondements distincts aux droits d’un Etat sur le
plateau continental : le critère de la distance et l’existence d’une marge
continentale constituant le prolongement naturel du territoire terrestre de
l’Etat. Pour prétendre à une zone donnée au titre du premier fondement,
l’Etat doit seulement démontrer que cette zone est située à moins de
200 milles marins de ses lignes de base. Les demandes au titre du second
fondement sont en revanche plus compliquées. L’Etat qui fait valoir ce
185 delimitation of the continental shelf (sep. op. greenwood)
89
particular area must demonstrate that it possesses a continental margin
which constitutes a natural prolongation of its land territory and that the
area in question falls within the outer limits of that continental margin.
That is what Nicaragua was seeking to prove in 2012.
19. To ascertain whether or not Nicaragua had succeeded, however,
would have required the Court to decide what are the criteria, under the
applicable law, for determining the outer limits of the continental margin.
The definition of the continental shelf in paragraph 1 of Article 76 gives
no indication as to what those criteria might be. Paragraphs 3 to 6 of
Article 76 lay down the criteria applicable to cases governed by UNCLOS.
Since, however, the applicable law in the 2012 case was not UNCLOS but
customary international law, those paragraphs would have been relevant
to the case only if they reflected customary international law. Yet the
Court considered that it had no need to decide whether or not the provisions
of those paragraphs form part of customary international law. In
paragraph 118 of the 2012 Judgment, the Court, after finding that the
definition of the continental shelf in Article 76, paragraph 1, was part of
customary international law, went on to say that :
“At this stage, in view of the fact that the Court’s task is limited to
the examination of whether it is in a position to carry out a continental
shelf delimitation as requested by Nicaragua, it does not need to
decide whether other provisions of Article 76 of UNCLOS form part
of customary international law.” (I.C.J. Reports 2012 (II), p. 666,
para. 118.)
Nor did the Court consider whether customary international law contained
any other criteria, distinct from those in paragraphs 3 to 6 of Article
76, for determining whether or not the continental margin of a State
extends more than 200 nautical miles from its baselines. Yet if the Court
was proceeding on the basis that it did not need to decide what criteria a
State seeking to establish an entitlement to an outer continental shelf has
to prove as a matter of customary international law, it could not have
decided whether or not Nicaragua had satisfied those criteria.
20. Since the Court did not assess what Nicaragua had proved and did
not decide what Nicaragua had to prove, I have come to the conclusion
that the 2012 Judgment cannot be read as a finding on the evidence that
definitively decided whether Nicaragua was entitled to a continental shelf
which overlapped with Colombia’s 200‑nautical‑mile entitlement measured
from the Colombian mainland coast. I have therefore voted to
reject Colombia’s res judicata argument in its entirety.
21. Nevertheless, I see a distinction in the reasoning, though not in the
result, between Colombia’s argument regarding the Nicaraguan claims in
the present case concerning the area lying more than 200 nautical miles
from the Colombian mainland but within 200 nautical miles of the
Colombian islands and those relating to the area within 200 nautical
miles of the Colombian mainland coast. The conclusion that there is no
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 185
89
motif doit démontrer que sa marge continentale constitue le prolongement
naturel de son territoire terrestre et que la zone qu’il revendique est
située en deçà du rebord externe de cette marge. C’est ce que le Nicaragua
entendait démontrer en 2012.
19. Cependant, pour savoir si le Nicaragua avait effectivement démontré
cela, il aurait fallu que la Cour détermine quels critères, selon le droit
applicable, permettent de situer le rebord externe de la marge continentale.
La définition du plateau continental contenue au paragraphe 1 de
l’article 76 de la CNUDM ne donne aucune indication à ce sujet. Aux
paragraphes 3 à 6 du même article sont énoncés les critères correspondant
aux situations envisagées par la convention, mais ces paragraphes ne pouvaient
être pertinents qu’à la condition de refléter le droit international
coutumier, puisque c’est celui‑ci, et non la convention, qui était le droit
applicable en l’affaire de 2012. La Cour n’a toutefois pas jugé nécessaire
d’établir le caractère coutumier de ces autres dispositions. Au paragraphe
118, après avoir conclu que la définition du plateau continental
donnée au paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM fait partie du droit
international coutumier, elle déclare ainsi :
« A ce stade, la Cour ayant simplement à examiner la question de
savoir si elle est en mesure de délimiter le plateau continental, comme
le lui demande le Nicaragua, point n’est besoin pour elle de déterminer
si d’autres dispositions de l’article 76 de la CNUDM font partie
du droit international coutumier. » (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666,
par. 118.)
La Cour n’a pas non plus recherché s’il existait, en droit international
coutumier, d’autres critères, distincts de ceux énoncés aux paragraphes 3
à 6 de l’article 76, permettant de vérifier si la marge continentale d’un
Etat s’étend à plus de 200 milles marins de ses lignes de base. Si la Cour
est partie du principe qu’il n’y avait pas lieu de définir les critères qu’un
Etat doit appliquer pour établir son droit à un plateau continental étendu
au regard du droit international coutumier, elle ne peut avoir décidé si le
Nicaragua avait ou non satisfait à ces critères.
20. La Cour n’ayant pas évalué ce que le Nicaragua avait démontré, ni
défini ce qu’il devait démontrer, force m’est de conclure que l’on ne peut
lire dans l’arrêt de 2012 une décision sur la charge de la preuve, qui répondrait
de manière définitive à la question de savoir si le Nicaragua peut
prétendre à un plateau continental chevauchant celui dont la Colombie
peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale.
Pour cette raison, j’ai voté en faveur du rejet, dans sa totalité, de l’argument
que la Colombie tire du principe de l’autorité de la chose jugée.
21. Je vois cependant une distinction dans le raisonnement suivi,
quoique sans incidence sur le résultat, selon que l’argument de la Colombie
s’applique aux demandes que le Nicaragua a formulées en l’espèce à
l’égard de la zone située à plus de 200 milles marins de la côte continentale
de la Colombie mais à moins de 200 milles marins de ses îles, ou à
celles qu’il a formulées à l’égard de la zone située à moins de 200 milles
186 delimitation of the continental shelf (sep. op. greenwood)
90
res judicata in relation to the area within 200 nautical miles of the Colombian
mainland is based (as I have tried to demonstrate in paragraphs 17
to 19 of this opinion) on the way in which the Court determined what
were the issues it had to decide and on the absence of any analysis of the
Nicaraguan evidence. Those considerations are also pertinent to the issue
of whether the 2012 Judgment created a res judicata which bars Nicaragua’s
claims relating to the area more than 200 nautical miles from the
Colombian mainland but within 200 nautical miles of the Colombian
islands. Yet with regard to that area, the fact that paragraph 129 is wholly
silent about it provides an additional and distinct reason for rejecting the
res judicata argument. Although I do not do so, it is possible to consider
that reason conclusive and thus to reject the third preliminary objection
only in respect of Nicaragua’s claims in this area while upholding it in
relation to the claims concerning the area within 200 nautical miles of the
Colombian mainland. Indeed, one of my colleagues has come to just that
conclusion. In these circumstances, it would have been much better if the
Court had given separate rulings in respect of the application of res judicata
in relation to Nicaragua’s claims in these two areas. I regret that it
has not done so.
(Signed) Christopher Greenwood.
délimitation du plateau continental (op. ind. greenwood) 186
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marins de la côte continentale colombienne. S’agissant de cette zone‑là, ce
qui nous permet de conclure qu’il n’y a pas chose jugée, c’est la manière
dont la Cour a défini ce qu’elle était appelée à trancher et le fait qu’elle
n’ait pas examiné le moindre élément de preuve du Nicaragua (comme
j’ai tenté de le démontrer plus haut, aux paragraphes 17 à 19). Cela vaut
également pour la zone située à plus de 200 milles marins de la côte continentale
de la Colombie mais à moins de 200 milles marins de ses îles.
S’agissant de cette dernière, cependant, l’absence de toute référence à son
sujet dans le paragraphe 129 est un motif distinct et supplémentaire de
rejeter l’argument de l’autorité de la chose jugée. Bien que je ne le fasse
pas moi‑même, il est permis de penser que ce motif est déterminant, et
qu’il y a donc lieu de ne rejeter la troisième exception préliminaire de la
Colombie qu’en ce qu’elle a trait à la demande du Nicaragua à l’égard de
cette zone, et de la retenir en ce qu’elle a trait à la demande du Nicaragua
à l’égard de la zone située à moins de 200 milles marins de la côte continentale
colombienne. Telle est précisément la conclusion à laquelle est
parvenu un membre de la Cour. C’est pourquoi il aurait été préférable
que la Cour se prononce séparément sur l’application du principe de l’autorité
de la chose jugée aux demandes du Nicaragua à l’égard de chacune
de ces zones. Je regrette qu’elle ne l’ait pas fait.
(Signé) Christopher Greenwood.

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Opinion individuelle de M. le juge Greenwood

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