Traduction
Translation
CR 2016/9
Mercredi 16 mars 2016 à 15 heures
Wednesday 16 March 2016 at 3 p.m. - 2 -
8 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court meets this afternoon to
hear the second round of oral argument of the Marshall Islands in the case of Obligations
concerning Negotiations relating to Cessation of the Nuclear Arms Race and to Nuclear
Disarmament (Marshall Islands v. United Kingdom).
I now give the floor to Mr. Phon van den Biesen, Co-Agent of the Marshall Islands.
M. van den BIESEN : Je vous remercie, Monsieur le président.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je commencerai par présenter
la réponse des Iles Marshall à la question de M. le juge Bennouna.
2. Au moment du dépôt de leur requête, le 24 avril 2014, les Iles Marshall considéraient que
l’interprétation de l’article VI du TNP qui prévalait était celle qui avait été exposée dans l’avis
consultatif rendu par la Cour le 8 juillet 1996, aux termes duquel «[i]l existe une obligation de
poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire
dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace». S’agissant de l’application
de cette disposition, les Iles Marshall estimaient que chacun des Etats dotés d’armes nucléaires
et notamment le Royaume-Uni avait manqué à ces obligations, et continuait d’ailleurs d’y
manquer. Dans le même temps, tous ces Etats violaient la règle parallèle de droit international
coutumier. C’est la position que les Iles Marshall ont, explicitement ou implicitement, adoptée
dans les cas suivants (tous ces textes sont publics et facilement accessibles ; la plupart figurent dans
des annexes de pièces de procédure écrite, comme indiqué dans les notes de bas de page) :
1) Le 22 novembre 2012, le président de la République des Iles Marshall, Christopher J. Loeak, a
adressé au comité de la jeunesse d’Hiroshima le message suivant :
«Je suis de tout cœur avec vous dans ce projet, et je souscris aux vues des
représentants de plus de 140 Etats qui se sont dits favorables à ce que soit conclue une
convention relative aux armes nucléaires … La [République des Iles Marshall], en - 3 -
9 tant que partie signataire du traité1de [non-]prolifération nucléaire, soutient sans
réserve cette cause essentielle.»
2) A la toute première réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies
consacrée au désarmement nucléaire, le 26 septembre 2013, le ministre marshallais des affaires
étrangères a déclaré ce qui suit :
«Notre objectif commun, en tant que Nations Unies, devrait être non seulement
de mettre fin à la prolifération des armes nucléaires, mais aussi de rechercher la paix et
la sécurité dans un monde exempt [d’armes nucléaires] … [L]es Iles Marshall
enjoignent à tous les Etats parties au TNP de satisfaire aux obligations énoncées dans
ce traité … Nous exhortons les Etats dotés d’armes nucléaires à intensifier leurs
efforts pour assumer leurs responsabilités en vue d’un désarmement effectif et sûr.» 2
3) Plus tard au cours de l’automne, à la première commission, les Iles Marshall ont fait, avec
124 autres Etats, une «déclaration commune sur les conséquences humanitaires de l’utilisation
des armes nucléaires», dans laquelle il était notamment indiqué ce qui suit :
«La seule manière d’être certain que plus jamais aucune arme nucléaire ne sera
utilisée, c’est de les éliminer totalement. Les Etats ont la responsabilité collective de
prévenir l’utilisation d’armes nucléaires ainsi que leur prolifération verticale et
horizontale, et de parvenir au désarmement nucléaire, notamment en atteignant les
3
objectifs énoncés dans le TNP et en rendant cet instrument universel.»
4) Le 5 décembre 2013, les Iles Marshall ont voté la résolution de l’Assemblée générale faisant
4
suite à cette réunion de haut niveau , dans laquelle l’Assemblée «[d]emand[ait] que des
négociations commencent au plus tôt, dans le cadre de la Conférence du désarmement, en vue
de l’adoption rapide d’une convention globale».
10 5) Le même jour, les Iles Marshall ont voté la résolution de l’Assemblée générale faisant suite à
5
l’avis consultatif rendu par la Cour en 1996 . Dans le premier paragraphe du dispositif de cette
1Message adressé le 22 novembre 2012 au comité de la jeunesse d’Hiroshima de la campagne internationale pour
l’abolition des armes nucléaires par S. Exc. Christopher J. Loeak, président de la République des Iles Marshall,
www.es.icanw.org/wp-content/uploads/2012/12/Response-PaperCranes-Marsha… ; http ://www.icanw.org/
projects/paper-crane-project/letter-from-the-president-of-the-marshall-islands ; dossier de plaidoiries, onglet n 1.1.
2Déclaration faite le 26 septembre 2013 par M. Phillip Muller, ministre des affaires étrangères de la République
des Iles Marshall, à la réunion de haut niveau de l’ONU sur le désarmement nucléaire, http ://www.un.org/en/ga/
68/meetings/nucleardisarmament/pdf/MH_en.pdf, citée dans l’exposé écrit des Iles Marshall (EEIM), p. 15, par. 32 ;
dossier de plaidoiries, onglet n 1.2.
3 Déclaration commune sur les conséquences humanitaires de l’utilisation des armes nucléaires, lue par
l’ambassadeur Dell Higgie au nom de 125 Etats, Nouvelle-Zélande, 21 octobre 2013, http ://papersmart.unmeetings.org/
media2/703026/joint-new-zealand.pdf ; dossier de plaidoiries, onglet n 1.3.
4 A/RES/68/32, Suivi de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale sur le désarmement nucléaire
de 2013, 5 décembre 2013 (137-28-20) ; requête des Iles Marshall (RIM), par. 80 ; mémoire des Iles Marshall (MIM),
par. 30, http ://www.un.org/fr/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/68/32, dossier de plaidoiries, onglet n 1.4.
5A/RES/68/42, Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur la licéité de la menace ou
de l’emploi d’armes nucléaires, 5 décembre 2013 (133-24-25) ; RIM, par. 71 ; MIM, par. 200, note de bas de page 323 ;
http ://www.un.org/fr/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/68/47 ; dossier de plaidoiries, onglet n 1.5. - 4 -
résolution, l’Assemblée se félicitait de la conclusion unanime de la Cour. Au deuxième
paragraphe du dispositif, elle «[d]emand[ait] de nouveau à tous les Etats de satisfaire
immédiatement à cette obligation en engageant des négociations multilatérales afin de parvenir
sans tarder à la conclusion d’une convention relative aux armes nucléaires».
6) Toujours à cette même date, les Iles Marshall ont voté la résolution de l’Assemblée générale
intitulée «Désarmement nucléaire» . 6 Dans cette résolution, l’Assemblée rappelait l’avis
consultatif de la Cour et qualifiait le TNP de pierre angulaire de la non-prolifération et du
désarmement nucléaires. En outre, elle appelait la conférence du désarmement à «engager des
négociations sur un programme échelonné devant mener à l’élimination totale des armes
nucléaires dans des délais déterminés» et demandait «que soit convoquée rapidement une
7
conférence internationale sur le désarmement nucléaire sous tous ses aspects» .
7) Lors de la deuxième conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, qui s’est tenue à
Nayarit, au Mexique, les 13 et 14 février 2014, les Iles Marshall ont fait la déclaration suivante :
«Les Iles Marshall sont convaincues que des négociations multilatérales visant à
créer un monde à jamais dépourvu d’armes nucléaires auraient dû être engagées
depuis longtemps. Nous estimons en effet que les Etats possédant un arsenal nucléaire
ne respectent pas leurs obligations à cet égard. L’obligation d’œuvrer au désarmement
nucléaire qui incombe à chaque Etat en vertu de l’article VI du traité de
non-prolifération nucléaire et du droit international coutumier impose l’ouverture
immédiate et l’aboutissement de telles négociations. Celles-ci permettraient
également d’atteindre l’objectif de désarmement nucléaire établi depuis longtemps et
réaffirmé sans relâche par les Nations Unies, et d’honorer nos responsabilités envers
les générations présentes et futures, tout en rendant hommage aux générations
passées.» 8
3. Monsieur le président, il ne fait aucun doute que la position que soutenaient les
Iles Marshall le 24 avril 2014 était que le Royaume-Uni, Etat possédant des armes nucléaires,
n’avait pas respecté et continuait de ne pas respecter les obligations énoncées à l’article VI du TNP
11 telles qu’elles ont été analysées et précisées au point F de l’alinéa 2) du dispositif de l’avis
consultatif de la Cour. C’est là, Monsieur le président, notre réponse à la question posée par
M. le juge Bennouna.
6 A/RES/68/47, Désarmement nucléaire, 5 décembre 2013 (122-44-17) ; MIM, par. 201, http ://www.un.org/fr/
ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/68/47 ; dossier de plaidoiries, onglet n 1.6.
7 o
Ibid., par. 21-22 ; dossier de plaidoiries, onglet n 1.7.
8 Déclaration des Iles Marshall, deuxième conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, Nayarit,
Mexique, 13-14 février 2014 ; MIM, par. 99 ; EEIM, par. 45 ; dossier de plaidoiries,onglet n 1.8.
http ://reachingcriticalwill.org/images/documents/Disarmament-fora/nayarit-2014/statements/MarshallIslands.pdf. - 5 -
4. Je voudrais à présent formuler quelques observations supplémentaires. Notre confrère
sir Daniel Bethlehem, dans les observations liminaires qu’il a faites à l’audience lundi dernier, n’a
pas été avare de jugements et de qualificatifs, notamment en ce qui concerne la position des
9
Iles Marshall. Entre autres exemples, il a parlé d’«actions collusoires» , des Iles Marshall qui
«prennent des libertés» et qui «réinvente[nt] le droit» , d’affaire «artificielle» , etc. Monsieur le
président, tout cela prouve peut-être que le Royaume-Uni est mécontent d’avoir été mis sur la
sellette par les Iles Marshall pour ses manquements aux obligations essentielles qui lui incombent,
mais cela ne montre nullement que les affirmations des Iles Marshall sont erronées.
5. Puisque ce tir de barrage ne portait ni sur la question de la compétence, ni sur celle de la
recevabilité, nous ne reviendrons pas sur ces commentaires, sauf sur l’un d’entre eux. Monsieur le
président, après avoir versé quelques larmes en se remémorant le témoignage incroyablement
bouleversant qu’avait fait Mme Lijon Eknilang lors de la procédure consultative de 1995, le conseil
du Royaume-Uni est aussitôt revenu sur l’émouvante introduction de notre argumentation par mon
confrère Tony deBrum vendredi dernier, mais pour affirmer cette fois que «[l]a charge
émotive … ne suffit pas pour donner à la Cour le pouvoir d’accorder, dans l’exercice de sa fonction
13
judiciaire, la réparation sollicitée» .
6. Cela n’était guère respectueux envers M. Tony deBrum ni, du reste, envers les membres
de la Cour, puisque de toute évidence, quiconque ayant entendu l’introduction de notre coagent a
forcément compris que celui-ci n’expliquait pas pourquoi les Iles Marshall avaient qualité pour agir
devant la Cour, mais qu’il ne faisait que préciser les raisons pour lesquelles celles-ci avaient
introduit l’instance. D’un point de vue judiciaire, si le demandeur saisit la Cour, c’est simplement
parce qu’il a de bonnes raisons de penser qu’il est fondé à exiger le respect d’un engagement pris
de longue date par le Royaume-Uni et qui revêt une importance vitale. Rien de plus, rien de moins.
12 7. Monsieur le président, j’en viens à présent à une autre question. Le 31 décembre 2014, le
Royaume-Uni a déposé au bureau du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies un
9
CR 2016/7, p. 11, par. 10.
10Ibid.
11Ibid., p. 18, par. 33.
12
Ibid., p. 20, par. 39.
13Ibid., p. 10, par. 5. - 6 -
amendement à la déclaration qu’il avait faite au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. Cet
amendement ajoute une nouvelle exception à l’article 1 de la déclaration en excluant de la
compétence de la Cour «tout différend identique, quant au fond, à un différend dont [celle-ci] a
déjà été saisie par la même ou une autre partie». Il ressort des plaidoiries du Royaume-Uni de
mercredi dernier que l’amendement est directement inspiré par la présente affaire. Son objectif
était, comme l’a dit Sir Daniel, d’empêcher les Iles Marshall de «réintrodu[ire]» leur requête «[de
façon] abusive», au cas où, je suppose, elles voudraient remédier à un prétendu défaut affectant la
14
précédente . Monsieur le président, les Iles Marshall n’ont rien envisagé de tel, mais il est
remarquable que le Royaume-Uni ait immédiatement modifié sa déclaration afin d’empêcher à tout
jamais les Iles Marshall de saisir de nouveau la Cour au sujet du présent différend.
8. Force est de constater que cet amendement a deux conséquences : premièrement, il
empêche les Iles Marshall de déposer une requête modifiée, mais il empêche également tout autre
Etat qui aurait avec le Royaume-Uni un différend identique quant au fond d’envisager de suivre
l’exemple des Iles Marshall et de déposer sa propre requête. L’amendement est révélateur en ce
sens qu’il a été conçu pour ne s’appliquer que lorsque la requête initiale est fondée sur un différend
existant, ce qui confirme l’objet de la requête des Iles Marshall. Cet amendement, Monsieur le
président, garantit que la présente instance introduite contre le Royaume-Uni est et
demeurera totalement unique, ce qui revient à dire que nous nous trouvons dans une situation
qui doit être traitée «maintenant ou jamais».
9. L’amendement révèle non seulement que le Royaume-Uni considérait, dès le premier jour,
que la présente affaire avait trait à un différend, mais il apporte également un éclairage totalement
différent au débat sur la supposée nécessité d’une notification préalable «peu onéreuse» , pour 15
reprendre les mots employés par le défendeur. Compte tenu de la désinvolture avec laquelle le
Royaume-Uni modifie la déclaration qu’il a faite au titre du paragraphe 2 de l’article 36 pour
empêcher que certaines affaires soient engagées contre lui, toute notification préalable faite à
l’avenir par un quelconque Etat dans le cadre d’un quelconque différend pourra
14CR 2016/3, p. 18, par. 19.
15CR 2016/7, p. 13, par. 18. - 7 -
implicitement susciter une modification — elle aussi, «peu onéreuse» — de l’offre
permanente normalement exprimée par une telle déclaration.
13 10. Monsieur le président, avant d’en venir à mes observations finales, je reviendrai
brièvement sur la position du défendeur en qui concerne la question centrale de la présente affaire,
qui, bien entendu, fera l’objet d’une analyse détaillée au stade de l’examen au fond, mais qui est
également tout à fait pertinente pour les questions qui sont en jeu à ce stade préliminaire.
11. A aucun moment depuis le 8 juillet 1996 le Royaume-Uni n’a fait savoir qu’il
reconnaissait que l’avis consultatif constituait le droit et encore moins que c’était à cette aune qu’il
devait définir son comportement pour parvenir au résultat requis par l’obligation énoncée au
point F de l’alinéa 2) du dispositif ; comme nous l’avons démontré dans notre requête, dans notre
mémoire et dans notre exposé en date du 15 octobre 2015, il a fait tout le contraire. Je résumerai
ci-après les documents pertinents à cet égard :
1) le 19 octobre 2010, le premier ministre britannique, M. Cameron, s’exprimant devant le
parlement en réponse à la question qui lui avait été posée de savoir si le système Trident devait
être considéré comme illicite au regard du TNP, a déclaré «[n]os propositions sont conformes à
l’esprit et à la lettre du traité de non-prolifération» .6
2) En décembre 2012, l’Assemblée générale a créé le groupe de travail à composition non limitée
chargé d’élaborer des propositions pour faire avancer les négociations multilatérales sur le
17
désarmement nucléaire, aux fins de l’avènement définitif d’un monde sans armes nucléaires .
Le Royaume-Uni a voté contre cette résolution 18 et n’a pris part à aucune des réunions du
19
groupe . Il a, avec la France et les Etats-Unis, déclaré à la Première Commission en
novembre 2012 qu’il n’était «en mesure de soutenir ni la résolution [en question] … ni les
20
conclusions que [le groupe de travail était] susceptible de tirer» .
16 Débat à la Chambre des communes, 16 octobre 2010, col. 814 (http ://www.publications.parliament.
uk/pa/cm201011/cmhansrd/cm101019/debtext/101019-0001.htm), cité dans EEIM, par. 39.
17 A/RES/67/56, «Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire, aux fins de
l’avènement définitif d’un monde sans armes nucléaires», 3 décembre 2012 (147-4-31),
http ://www.un.org/fr/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/67/56, cité dans MIM, par. 76.
18
Nations Unies, doc. A/67/PV.48, p. 20-21, cité dans MIM, par. 76.
19Hansard, débat à la Chambre des lords, 15 juillet 2013, col. WA93, cité dans MIM, par. 76.
20 La déclaration peut être consultée sur le site Internet suivant : http ://www.reachingcriticalwill.org/images/
documents/Disarmament-fora/1com/1com12/eov/L46_France-UK-US.pdf, citée dans MIM, par. 77 ; les italiques sont de
nous. - 8 -
3) Le 26 septembre 2013, à la réunion de haut niveau des Nations Unies sur le désarmement
nucléaire, le Royaume-Uni a salué «le surcroît d’énergie et d’enthousiasme déployés pour faire
avancer le débat sur le désarmement nucléaire», tout en «déplorant que ces efforts soient
consacrés à des initiatives telles que la réunion de haut niveau [en question], la campagne sur
14 les conséquences humanitaires, le groupe de travail à composition non limitée et l’appel à
conclure une convention relative aux armes nucléaires» . La position du Royaume-Uni se
réduit donc au martèlement d’un seul mot : non, non et non. Et par la suite encore le défendeur
a voté contre la résolution de l’Assemblée générale faisant suite à une réunion de haut niveau et
appelant au commencement de négociations en vue de conclure une convention sur les armes
22
nucléaires .
4) Le 27 septembre 2013, le ministre britannique de la défense a déclaré que «[l]e renouvellement
de [la] dissuasion nucléaire [britannique était] pleinement conforme aux obligations découlant
du traité [de non-prolifération]» .23
Dans le même temps, le Royaume-Uni votait contre les résolutions des Nations Unies que
j’ai mentionnées tout à l’heure lorsque j’ai exposé la position des Iles Marshall.
En deux tours de plaidoiries, il n’a présenté aucun élément de preuve qui pourrait infirmer
ces déclarations publiques.
12. Monsieur le président, permettez-moi de faire une remarque au sujet des éléments que le
Royaume-Uni a présentés à l’appui de sa réponse à la question posée par M. le juge Bennouna. Le
défendeur s’est en effet référé à plusieurs déclarations postérieures au 24 avril 2014, ce qui est
remarquable à plus d’un titre, mais place également, là encore, le long débat sur la prétendue
nécessité d’une notification préalable dans une nouvelle perspective. Ces documents montrent que,
comme on pouvait évidemment s’y attendre, la position du Royaume-Uni après le 24 avril 2014 est
en tous points identique à celle qui était la sienne avant cette date. Le Royaume-Uni n’a donc
21 La déclaration peut être consultée sur le site Internet suivant : http ://www.reachingcriticalwill.org/images/
documents/Disarmament-fora/HLM/26Sep_UKUSFrance.pdf, annexe 69 du mémoire, citée dans MIM, par. 90 ; les
italiques sont de nous.
22
Nations Unies, résolution A/RES/68/32 de l’Assemblée générale (5 décembre 2013),
http ://www.un.org/fr/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/68/32, citée dans MIM, par. 91.
23
Lettre du ministre d’Etat aux forces armées, Andrew Robathan, en date du 27 septembre 2013
(https ://www.gov.uk/government/publications/mod-response-about-the-uks-nuclear-d…), citée dans EEIM, par. 39. - 9 -
donné aucune raison de penser que la situation aurait été différente si les Iles Marshall lui avait
préalablement notifié l’existence d’un différend.
13. Voilà, Monsieur le président, qui m’amène à ma dernière observation. Dans leur exposé
de vendredi dernier , les Iles Marshall ont soutenu avec force que la Cour ne disposait pas d’un
pouvoir discrétionnaire résiduel lui permettant de refuser de statuer sur des questions soulevées
dans le cadre d’affaires contentieuses parce qu’elle redouterait les éventuelles retombées politiques
de ses arrêts. Elle ne devrait pas non plus refuser de se prononcer sur de telles questions au motif
que cela pourrait nuire au système de la clause facultative. Le nombre d’Etats acceptant de faire
une déclaration au titre de cette clause a toujours été décevant. Que la présente affaire entraîne des
retraits du système de la clause facultative ou une diminution à l’avenir du nombre des Etats qui y
15 adhèrent serait fâcheux, mais pas davantage que l’autre issue possible, à savoir une interprétation
de la clause facultative ayant pour conséquence que la Cour ne pourrait jamais statuer sur des
affaires politiquement importantes. Cela aussi risquerait de dissuader les Etats d’adhérer au
système. Les grandes puissances telles que le Royaume-Uni, tout comme les petits Etats tels que
les Iles Marshall, ont intérêt à ce que le droit prime et à ce qu’il puisse être appliqué même dans les
situations les plus tendues politiquement. En tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation
des Nations Unies, la Cour a son propre rôle à jouer pour contribuer aux nobles objectifs de la
Charte, notamment le règlement pacifique des différends et le maintien de la paix et de la sécurité
internationales.
14. J’ajouterai, Monsieur le président, que, contrairement à ce que laisse entendre le
Royaume-Uni , les Iles Marshall ne tentent pas, en la présente espèce, d’obtenir un «nouvel» avis
consultatif. Bien au contraire, elles prennent l’avis consultatif de 1996 comme une base de départ
et cherchent à donner effet aux obligations découlant de l’article VI du TNP et du droit
international coutumier qui y sont expliquées. Il existe une différence fondamentale entre le type
de questions abstraites qui peuvent être posées dans le cadre d’une procédure consultative et les
questions très concrètes de fait et de droit que soulèvent les Iles Marshall par les remèdes qu’elles
sollicitent au fond. Mais la réponse à ces questions devra être apportée au stade de l’examen au
24
CR 2016/5, p. 49, par. 15 (Grief).
25CR 2016/7, p. 21, par. 43 (Bethlehem). - 10 -
fond de la présente instance, et les Iles Marshall résisteront donc à la tentation de les aborder dès
maintenant.
15. Les Iles Marshall relèvent que, depuis le 8 juillet 1996, l’avis consultatif a été au cœur
des efforts menés par une majorité d’Etats pour obtenir de ceux qui sont dotés d’armes nucléaires
qu’ils s’assoient à la table des négociations afin de conclure une convention sur les armes
nucléaires. Le demande formulée par la majorité des Etats dans la résolution relative à la «Suite
donnée à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de
l’emploi d’armes nucléaires» n’a pas été honorée par le défendeur ni par aucun autre Etat doté
d’armes nucléaires. Il est donc naturel qu’un Etat introduise une instance devant la Cour dès lors
que certains comportements et certaines mesures auxquels il peut juridiquement prétendre ne sont
pas adoptés volontairement.
16 16. C’est ainsi, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, que s’achève mon
exposé. Je remercie sincèrement la Cour pour l’attention qu’elle accorde aux vues des deux Parties
à la présente espèce et vous saurais gré, Monsieur le président, de bien vouloir appeler à la barre
M. Condorelli.
The PRESIDENT: Thank you. I give the floor to Professor Condorelli.
Mr. CONDORELLI:
EXISTENCE OF A DISPUTE BETWEEN THE R EPUBLIC OF THE M ARSHALL ISLANDS
AND THE U NITED KINGDOM
1. Mr. President, Members of the Court, it falls to me to follow up on the question of the
existence of a dispute between the Marshall Islands and the United Kingdom in the present
proceedings, by responding to the criticisms and objections levelled against us on Monday by
Sir Daniel Bethlehem. The existence of a dispute is — as we well know — the primary condition
for the exercise of the Court’s judicial function. Yet, according to our opponents, there are two
reasons why, in this case, it cannot be said that there exists a dispute (which must “in principle”
have manifested itself “at the time the Application is submitted to the Court”): first, because all
the constituents of the dispute must be satisfied precisely “at the time the Application is submitted
to the Court”, which would mean that nothing after that time could be taken into consideration in - 11 -
ascertaining whether or not the dispute exists; and, second, because a dispute cannot exist if the
State intending to refer it to the courts has not first brought its complaint against the other State to
the latter’s attention by giving notice of it.
2. Truth be told, Mr. President, it is somewhat paradoxical to be obliged to debate the
question of whether or not a dispute exists between the Marshall Islands and the United Kingdom
regarding compliance with the obligation to pursue in good faith and conclude negotiations leading
to nuclear disarmament in all its aspects under strict and effective international control. I say
paradoxical, because the dispute in question is there, undeniably there, for the Court to see: it is —
you might say — in plain view, unless, perhaps, you are looking through the extremely thick lenses
of a lawyer. On this side, we have the Marshall Islands contending that the United Kingdom has
breached and is continuing to breach its obligations under Article VI of the Non-Proliferation
Treaty (NPT). On the other side, our opponents are claiming that “les allégations … sont, selon le
17 Royaume-Uni, dépourvues de fondement”. It is hard to deny that a dispute exists! That the claim
of one Party is indeed positively opposed by the other! That there is indisputably a disagreement
on a point of law or fact, a conflict of legal views or of interests between two persons!
3. In any event, the dispute under discussion is by no means sudden or unexpected — it has
not come out of the blue. Its origins are clearly visible in international relations and in the relations
between the two States, in particular.
4. Both the Marshall Islands and the United Kingdom, as States parties, are bound by the
NPT. Both the United Kingdom and the Marshall Islands consider themselves, in particular, bound
by the obligations set out in Article VI of that Treaty. The United Kingdom has reiterated this
publicly during the present proceedings. On Monday, for example, the Court heard
Sir Daniel Bethlehem state that “[l]e Royaume-Uni a à maintes reprises, sans la moindre hésitation
ni la moindre réserve, réaffirmé expressément les obligations et la responsabilité particulière qu’il
assume sous le régime de l’article VI”; shortly before that he said: “le Royaume-Uni a toujours
expressément reconnu l’impératif énoncé à l’article IV du TNP et … il a agi et continue d’agir pour
atteindre l’objectif qui y est fixé”.
5. However, the United Kingdom’s interpretation, both past and present, of its obligations
deriving from Article VI is very strange indeed. In countering repeated allegations from various - 12 -
quarters, the United Kingdom has always asserted that its conduct is not in breach of Article VI of
the NPT, that it has acted and continues to act in complete conformity with that provision. The
Marshall Islands’ written pleadings provide a number of examples of the official positions taken by
the United Kingdom in this connection, and the Co-Agent of the Marshall Islands,
Mr. van den Biesen, has also just reminded the Court of these.
6. The same is true of the debates surrounding the replacement and modernization of the
United Kingdom’s nuclear weapons programme, Trident, which legal opinions of the highest level
have argued would be in breach of both customary international law and Article VI of the NPT. In
response to these allegations, senior British Government officials have said that this is not the case,
18 that “the current nuclear deterrent meets the Government’s legal obligations”. You have heard
what Prime Minister David Cameron had to say on the subject of replacing Britain’s nuclear
deterrent, that: “our proposals are within the spirit and the letter of the non-proliferation treaty”.
7. Above all, however, it is the persistent and outright rejection by the United Kingdom (and
other nuclear powers as well) of any proposal or request to initiate multilateral negotiations on
nuclear disarmament, and the repeated refusal to participate in such negotiations, in any arena,
which has prompted reactions, notably from the Marshall Islands. This was especially true
following the United Kingdom’s vote against the three General Assembly resolutions of
5 December 2013, which, in contrast, the Marshall Islands supported: Mr. van den Biesen listed
them, including the one on the follow-up to the Advisory Opinion. By voting against those
resolutions, the United Kingdom confirmed that its interpretation of Article VI runs counter to the
substance of that provision (in the eyes of the Marshall Islands certainly, but no doubt also in the
eyes of others), namely, the obligation to pursue in good faith and conclude negotiations leading to
nuclear disarmament in all its aspects under strict and effective international control .
8. The Marshall Islands’ response, which came just a few weeks after the United Kingdom’s
“no” votes in the General Assembly, was the Nayarit statement of February 2014. The Court is
familiar with it. That statement (to which the Marshall Islands has always attached and continues
to attach great importance, whether Sir Daniel Bethlehem, who did not mention it once in his last
2See previous footnote. - 13 -
presentation, likes it or not) was intended for all States possessing nuclear arsenals, including, of
course, the United Kingdom, and accuses them of breaching their obligations in respect of
negotiations leading to the cessation of the nuclear arms race and to nuclear disarmament.
9. It is true that the United Kingdom did not participate in the Nayarit conference, but this
certainly does not mean that it was unaware of the discussions taking place there, especially since it
received wide coverage in the media, which reported the conference’s results around the world.
19 Sir Daniel Bethlehem has vigorously asserted that the United Kingdom’s records contain no trace
whatsoever of any direct bilateral exchanges between the United Kingdom and the Marshall Islands
during which the issue was raised, and the last thing we wish to do is to call into question the
truthfulness of his statements. But the Marshall Islands is not claiming that bilateral diplomatic
exchanges took place. We merely think, on this side of the Bar, that it is highly unlikely that the
United Kingdom knew nothing of the serious accusations made against it publicly and officially by
the Marshall Islands in an important multilateral setting. Accusations which it no doubt preferred
to ignore by choosing not to respond to them. How can this fail to bring to mind the Court’s
observation in its 2011 Judgment in the Georgia v. Russian Federation case: “the existence of a
dispute may be inferred from the failure of a State to respond to a claim in circumstances where a
response is called for”.
10. It is also worth taking the time here to reflect on the work of Georges Abi-Saab, of which
much has been made by our opponents, and which we are asked to take into account. Consider it
done. Abi-Saab explains how, in his view, a dispute is born, and argues that this can only happen
by means of an exchange, of any kind, perhaps some form of negotiation, leading to the
crystallization of the dispute. However, no formalism, no “notification” is required. For Abi-Saab,
what matters is that the parties, “quelle que soit la manière dont elles communiquent,
formulent … des allégations contradictoires et des demandes qu’elles rejettent réciproquement …
Elle peuvent faire connaître leurs positions publiquement par l’intermédiaire des médias ou à
l’Assemblée générale des Nations Unies…” Furthermore: “une forme ou une autre d’échange ou
de négociation entre les protagonistes, ne serait-ce qu’au sein d’une enceinte multilatérale voire par
procuration, constitue un prélude nécessaire au règlement judiciaire”. - 14 -
11. Mr. President, if one accepts, as Georges Abi-Saab suggests, that formalism need not be
taken into account when ascertaining whether a dispute exists, because of the very fact that a claim
is positively opposed, then it seems undeniable that the Nayarit statement played the role of catalyst
in the present dispute. Indeed, through the Nayarit statement, the Marshall Islands protested openly
at the behaviour of the nuclear powers (including the United Kingdom), asserting that such
conduct, extending over a period of time, constitutes a breach of their international obligations
under Article VI of the NPT (and customary international law). A dispute can thus be defined as
20 already existing in a situation where there is first a course of conduct attributable to one party, the
legality of which is then contested by another party. That, as we know, was the view expressed by
Judge Morelli in his dissenting opinion appended to the Court’s 1962 Judgment in the South West
27
Africa case ; and one subsequently shared by Judge Fitzmaurice, who stated that, in order for a
dispute engaging the judicial function of the Court to exist,
“it does not matter whether the claim comes first, the rejection (in terms or by
conduct) coming afterwards, or whether the conduct comes first, followed by a
complaint, protest, or claim that is not acceded to” .8
12. Mr. President, I have spoken until now about taking account of the past in relation to the
date on which the Court was seised, in order to verify the existence of a dispute. But what about
the possibility of taking into consideration the parties’ exchanges during the proceedings (thus after
the filing of the application), again in order to ascertain whether a dispute exists? Impossible!
protests Sir Daniel Bethlehem, because — he tells us — all the constituents of that dispute must be
satisfied at the moment the application is filed. To argue the contrary would be to disregard the
Court’s jurisprudence, which is clear and to the point — the requisite conditions for the jurisdiction
of the Court must be met at the time proceedings are instituted.
13. Mr. President, the case between Croatia and Serbia, to which my opponent refers, has not
been disregarded. It is not relevant, and for one simple reason: the question the Court had to
address did not concern the existence of a dispute between the parties. It concerned something
else, namely, the satisfaction of the conditions set forth in Article 35 of the Statute, which must of
2South West Africa (Ethiopia v. South Africa; Liberia v. South Africa), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 1962, p. 567, dissenting opinion of Judge Morelli.
2Northern Cameroons (Cameroon v. United Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963,
p. 110, separate opinion of Judge Fitzmaurice. - 15 -
course be met when a matter is referred to the Court. But that is not all. None of the precedents
cited by the Court in paragraph 79 of the Judgment refers to the question of the existence of a
dispute. The case between Bosnia and Yugoslavia was another that concerned the question of the
Court’s jurisdiction ratione personae. In the Lockerbie cases, the question to be decided concerned
the objection to admissibility derived from two Security Council resolutions which came after the
filing of the Application. In respect of questions of this kind, the parties’ exchanges during the
21 proceedings do nothing to help establish the Court’s jurisdiction or the admissibility of the
application. But the same cannot be said when considering the existence of a dispute. Then, the
parties’ exchanges can actually play an important role, since they may suggest or confirm that there
was indeed a dispute between the parties when the application was filed.
14. All that remains, Mr. President, is for me to say something on the question of whether it
is true that a dispute cannot exist if the State intending to refer it to the courts has not first brought
its complaint to the attention of the other State by “giving notice” of it. In fact, as I have pointed
out, there is nothing to prevent an application to the Court from being regarded as an appropriate
and perfectly legitimate method by which the injured State “give[s] notice of its claim” to the State
whose international responsibility is invoked. What is important is that the Court is seised in such
a way as to demonstrate that there is clear and substantiated positive opposition to the applicant’s
claim on the part of the State against which the proceedings have been brought — such a conflict of
legal views can then be considered a dispute that has sufficiently crystallized. Neither the Articles
on the Responsibility of States, nor the International Law Commission’s commentary to those
Articles state otherwise, contrary to our opponents’ claims. The “notice of claim by an injured
State” cannot, in any event, be regarded as an additional condition of admissibility for proceedings
brought before the Court or for the Court’s jurisdiction: it is not provided for in either the Statute
or the Rules of Court. The commentary to the Articles is, I would stress, clear in this regard when
it states that: “[t]he present articles are not concerned with questions of the jurisdiction of
international courts and tribunals, or in general with the conditions for the admissibility of cases
brought before such courts or tribunals” . 29 In other words, the Articles in question are not
29Yearbook of the International Law Commission (YILC), 2001, Vol. II, Part Two, p. 120. - 16 -
concerned with access to judicial settlement for international disputes involving international
responsibility, nor do they lay down any special conditions to which such access might be subject.
The sentence I have just read out is, of course, taken from the commentary to Article 44, not
22 Article 43, but there is no doubt from the use of the plural (“articles” and not “article”) that it must
refer to all of the Articles in question.
15. This is a possibility which certainly cannot be considered common, given that there are
generally communications and contacts between the parties before a matter is submitted to the
courts, to which the latter can then refer in order to identify precisely the constituents of the
dispute. However, there may well be situations in which the dispute can be identified without
having to examine the events that took place prior to the institution of proceedings, for example,
when the claim of one party and the opposition of the other come to light at the very moment the
application is filed. What is more, this possibility is acknowledged by our opponents, although for
exceptional cases, in respect of which it would be accepted that no prior notification is required.
16. Mr. President, Members of the Court, thank you very much for your attention and your
patience; Mr. President, I would ask that you give the floor to my colleague and friend,
Professor Nick Grief.
The PRESIDENT: Thank you. Professor Grief has the floor.
M. GRIEF :
L’EXPRESSION «U NIQUEMENT … AUX FINS DE »ET LA LIMITATION
RATIONE T EMPORIS
1. Je vous remercie, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Je
commencerai par examiner brièvement l’exception préliminaire que le Royaume-Uni prétend
fonder sur l’expression «uniquement … aux fins de» employée au point 1 iii) de la première
réserve. Lundi dernier, le Royaume-Uni a réitéré que cette réserve faisait obstacle à la compétence
de la Cour au motif que les Iles Marshall auraient accepté la juridiction obligatoire de celle-ci
uniquement en ce qui concerne le présent différend ou aux fins de celui-ci. Mais l’argument du
Royaume-Uni était et demeure erroné, pour l’ensemble des raisons qui ont déjà été exposées par
Mme Ashton lors de notre premier tour de plaidoiries. - 17 -
2. Le Royaume-Uni s’est tout simplement gardé d’analyser la signification de l’adverbe
«uniquement» dans la réserve, ou de revenir sur le fait que la position qu’il a maintenue dans le
cadre de la présente instance était contredite par le seul élément de jurisprudence qu’il ait cité à
propos de l’intention des auteurs d’une réserve .
23 3. En revanche, il n’a pas hésité à appliquer deux poids deux mesures en prétendant que la
formulation très générale employée permettait d’établir l’intention sous-tendant sa propre réserve,
mais que cette même formulation très générale dans la réserve marshallaise ne permettait pas
d’établir l’intention des Iles Marshall. Comment pourrait-il en être ainsi ?
4. Enfin, le Royaume-Uni a de nouveau mis l’accent sur la différence de sens qui existerait
entre les locutions «en ce qui concerne» et «aux fins de» mais cette fois encore, son argument a
porté à faux. Ce que les Iles Marshall ont bien démontré, vendredi dernier, c’est que, dans les
circonstances de l’espèce, si les deux locutions sont effectivement distinctes, cette distinction
n’implique pas de différence de sens.
5. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à la
limitation ratione temporis. Le présent différend a pour objet le comportement du Royaume-Uni
(ses actes et omissions) après le 30 janvier 1995, date à laquelle les Iles Marshall sont devenues
parties au TNP, sachant que, quelque dix-huit mois plus tard, le 8 juillet 1996, la Cour, par son avis
consultatif, a précisé en quoi consistait l’obligation imposée aux Etats Parties par l’article VI et
reconnu à l’unanimité l’existence d’une règle équivalente de droit international coutumier.
6. Le présent différend ne concerne pas des situations ou faits antérieurs au
17 septembre 1991, date à laquelle les Iles Marshall sont devenues Membres de l’Organisation des
Nations Unies, parties au Statut de la Cour, et pleinement intégrées à la communauté internationale.
Nous avons dit que le 17 septembre 1991 constituait la date de référence aux fins de la limitation
ratione temporis des Iles Marshall, et qu’une «situation nouvelle» avait été créée ce jour-là. Fait
significatif, lundi dernier, le Royaume-Uni ne l’a pas contesté. Il n’a pas davantage contesté que
l’adhésion des Iles Marshall au TNP en 1995 constituait une autre «situation nouvelle». Or,
Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui nous ramène au cœur même de la question du fait
30CR 2016/3, p. 42, par. 39 (Verdirame). - 18 -
générateur ou de la cause réelle du présent différend, car cela bat en brèche l’argument du
Royaume-Uni selon lequel la situation serait une et indivisible.
7. A cet égard, permettez-moi de faire une observation en réponse aux arguments du
Royaume-Uni quant à l’affaire des Immunités juridictionnelles. L’ordonnance de la Cour sur la
demande reconventionnelle indiquait clairement que le traité de paix de 1947 faisait partie du
«régime juridique» qui «déterminait le statut des biens italiens en Allemagne et portait sur le
rétablissement des droits de propriété et la restitution des biens de l’Italie et de ses ressortissants»,
et que d’autres mesures et accords postérieurs à cette date n’étaient pas constitutifs d’une «situation
nouvelle» .1 Dans le cas d’espèce, en revanche, le TNP est devenu le «régime juridique»
24
déterminant dès son entrée en vigueur à l’égard des Iles Marshall, en janvier 1995. Avant le TNP,
il n’y avait rien : il constituait donc une «situation nouvelle» et, dès lors, seul un comportement
postérieur à cette entrée en vigueur peut être pris en compte en tant que fait générateur ou que
cause réelle du présent différend.
8. Le 17 septembre prochain le 17 septembre 2016, donc marquera le vingt-cinquième
anniversaire de l’adhésion des Iles Marshall à l’Organisation des Nations Unies. Les Iles Marshall
sont un Etat jeune, trop jeune pour avoir jamais eu à songer à avancer la date critique qu’elles ont
arrêtée aux fins de l’exercice de la juridiction de la Cour. Le Royaume-Uni a modifié à
trois reprises la date critique fixée dans sa déclaration au titre de la clause facultative. En 2004,
er
lorsque cette date est passée du 24 octobre 1945 au 1 janvier 1974, un ministre britannique a
expliqué au Parlement que cette mesure visait à avancer «la date limite aux fins de l’acceptation de
32
la juridiction de la Cour, afin d’écarter les réclamations caduques» . Cette déclaration, Mesdames
et Messieurs les juges, figure à l’onglet 3 de vos dossiers d’audience.
9. Monsieur le président, la présente demande n’est pas une demande caduque. Elle met en
jeu une violation qui persiste depuis le 30 janvier 1995, date à laquelle les Iles Marshall sont
devenues parties au TNP. Lundi dernier, M. Verdirame, au nom du Royaume-Uni, a concédé que
«l’entrée en vigueur du TNP entre le Royaume-Uni et les Iles Marshall en 1995 pourrait offrir une
31Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle, ordonnance du
6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 320, par. 27-30.
32Hansard, House of Lords (7 juillet 2004), colonne WS35 (onglet 3) [traduction du Greffe]. - 19 -
base juridique [au] différend» , à supposer, dans son esprit, que celui-ci existe. Et de répéter ce
qu’il avait déjà dit au premier tour que les faits générateurs du différend seraient
inextricablement liés à des situations antérieures à 1995, et que l’affaire serait fondée «sur une
situation générale et continue qui remont[erait] à 1970, voire au-delà» . 34
10. Mais les Iles Marshall n’ont jamais formulé leur réclamation dans cette optique. Ces
quelques mots «voire au-delà» sont tout à fait révélateurs. Comment donc pourrait-il exister des
violations continues du TNP remontant plus loin que 1970 soit avant l’entrée en vigueur de
celui-ci, y compris pour le Royaume-Uni, et même avant sa signature, en 1968 ? C’est tout
bonnement impossible. Dans leur requête, les Iles Marshall ont relaté l’historique de la politique et
de la pratique du Royaume-Uni en matière d’armes nucléaires, depuis non pas 1970 seulement
mais leurs origines, au début des années 1950 soit près de vingt ans avant l’entrée en vigueur
du TNP. Elles n’ont pas arrêté ou plutôt fait commencer cette chronologie en 1970. Les
«antécédents» du Royaume-Uni ne se limitent pas au comportement qu’il a manifesté relativement
au TNP. Voilà qui montre bien que c’est uniquement aux fins de fournir des éléments de contexte
25 historique que les Iles Marshall ont rendu compte du comportement du Royaume-Uni avant 1995,
et qui permet donc de dissiper le mythe voulant que l’origine ou la cause réelle du présent différend
entre les Iles Marshall et le Royaume-Uni à propos du comportement de ce dernier au regard de
l’article VI et de la règle qui en constitue le pendant en droit international coutumier serait à
rechercher dans des situations ou faits antérieurs à 1991.
11. Les Iles Marshall ont affirmé que, quarante-cinq ans (et même quarante-six, à présent)
après l’entrée en vigueur du TNP, le retard pris par le Royaume-Uni dans l’exécution de ses
36
obligations en vertu de l’article VI était manifestement déraisonnable . M. Verdirame a fait grand
cas de cette déclaration, et prétendu qu’elle viendrait prouver que la Cour n’a pas compétence
ratione temporis. Mais une fois de plus, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour,
c’est là méconnaître l’objet du différend, et le fait que l’adhésion des Iles Marshall au TNP
33
CR 2016/7, p. 26, par. 19 (Verdirame).
34Ibid., par. 16 (Verdirame).
35RIM, par. 24.
36
CR 2016/7, p. 25, par. 13 (Verdirame). - 20 -
en janvier 1995 a constitué une «situation nouvelle». Les Iles Marshall n’ont pas mis en cause une
situation continue qui remonterait à 1970.
12. Les deux exemples spécifiques cités par M. Verdirame à l’appui de l’argument selon
lequel la demande des Iles Marshall se heurterait à la réserve ratione temporis viennent également
le confirmer. L’accord de défense mutuelle remonte à 1958 et le système de présence nucléaire
37
continue en mer, à 1968 deux dates antérieures, donc, à l’entrée en vigueur du TNP. Sans ces
éléments, toutefois, la chronologie eût été incomplète et des situations ou faits constituant la toile
de fond du différend eussent été omis. Ils ne s’agit pas pour autant de faits générateurs du
différend, ou qui en seraient la cause réelle. Il existe une situation continue mais qui, pour les
raisons déjà exposées, remonte à 1995 soit vingt et un ans déjà.
13. Le Royaume-Uni a soutenu que les Iles Marshall devaient prouver que leur grief était
38
effectivement tiré d’une situation postérieure à 1995 . Or, c’est précisément ce qu’établissent la
requête et le mémoire. Il en ressort en effet que, depuis 1995, le Royaume-Uni a pris et continue de
prendre des mesures pour améliorer son arsenal nucléaire ; qu’il s’est systématiquement opposé à
l’engagement, dans le cadre de la conférence du désarmement, de négociations visant à conclure
une convention relative aux armes nucléaires ; qu’il a refusé de participer au groupe de travail à
composition non limitée et a d’emblée déclaré qu’il ne soutiendrait pas les conclusions auxquelles
ce groupe de travail pourrait aboutir ; et enfin, qu’il a distinctement fait l’état de son intention de
26 s’appuyer sur son arsenal nucléaire pendant les décennies à venir . Autant d’exemples spécifiques
de comportement postérieur à 1995, et postérieur, même, au prononcé de l’avis consultatif. Or, ce
sont ces faits et situations qui constituent l’origine ou la cause réelle du présent différend.
14. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, M. Verdirame a aussi insisté
pour que vous étendiez votre cadre de référence aux quarante-cinq dernières années au lieu de le
limiter aux vingt et une dernières années, pour une autre raison encore : selon lui, il serait «tout à
fait possible … que certains éléments cruciaux prouvant le caractère raisonnable du comportement
37
CR 2016/7, par. 15 (Verdirame).
38Ibid., p. 24-25, par. 12 (Verdirame).
39
RMI, partie IV ; MIM, partie 7. - 21 -
du Royaume-Uni ne puissent être appréciés que sur une période aussi longue» . 40 Ce que
M. Verdirame donne ainsi à entendre, c’est qu’un comportement qui, lorsqu’on le replace dans le
contexte des vingt et une dernières années, est déraisonnable et, partant, constitutif d’une violation
de l’article VI, ne serait ni déraisonnable ni constitutif d’une telle violation dès lors qu’on le
situerait dans le contexte des quarante-cinq dernières années. A l’évidence, Mesdames et
Messieurs de la Cour, M. Verdirame cherche là à protéger ses arrières. Mais, en tout état de cause,
il s’agit d’une question qui touche au fond, et n’a pas sa place au présent stade de la procédure.
15. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui met fin à ma
plaidoirie. Je vous remercie de votre aimable attention et vous prierai, Monsieur le président, de
bien vouloir appeler à la barre M. Palchetti. Je vous remercie.
The PRESIDENT: I give the floor to Professor Palchetti.
M. PALCHETTI :
A BSENCE DE TIERCES PARTIES
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les audiences de lundi dernier
ont clairement fait apparaître qu’une question fondamentale continuait de diviser les Parties en ce
qui concerne l’exception fondée sur l’absence de tiers. Cette question centrale est celle du critère à
retenir pour déterminer si le principe de l’Or monétaire trouve à s’appliquer. Le Royaume-Uni
estime que tel est le cas dès lors que, pour rendre un arrêt, la Cour pourrait être amenée à apprécier
également le comportement d’un Etat tiers, tandis que les Iles Marshall ont un point de vue bien
plus restrictif à cet égard. Selon elles, le principe en cause ne s’applique en effet que lorsque la
Cour, pour se prononcer sur la responsabilité du défendeur, doit nécessairement déterminer au
préalable celle d’un Etat tiers.
27 2. Lundi, Mme Wells a affirmé que la position du Royaume-Uni découlait directement de
l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire relative au Timor oriental, que j’avais selon elle oublié
40CR 2016/7, p. 27, par. 20 (Verdirame). - 22 -
41 42
d’évoquer . En réalité, les Iles Marshall s’étaient référées à cet arrêt dans leur exposé écrit , mais,
compte tenu de l’importance que le Royaume-Uni y attache, il me semble utile de revenir dessus.
3. Je me pencherai donc tout d’abord sur l’arrêt rendu en l’affaire relative au Timor oriental,
et répondrai ensuite brièvement à d’autres points que le Royaume-Uni a soulevés lundi dernier.
I. L’arrêt rendu en l’affaire relative au Timor oriental
4. Monsieur le président, en l’affaire relative au Timor oriental, le raisonnement de la Cour
s’articule comme suit : aux paragraphes 23 à 28, la Cour se penche sur l’exception soulevée par
l’Australie sur la base du principe de l’Or monétaire ; aux paragraphes 29 à 33, elle examine un
certain nombre d’autres arguments avancés par le Portugal ; enfin, aux paragraphes 34 et 35, elle
formule quelques observations finales.
5. Le paragraphe 28 occupe une place centrale dans le raisonnement de la Cour, car y sont
exposées les raisons sur lesquelles elle s’est appuyée pour justifier l’application du principe de
l’Or monétaire. La Cour y précise ainsi qu’«[e]lle est ... d’avis qu’il ne lui est pas possible de
porter un jugement sur le comportement de l’Australie sans examiner d’abord les raisons pour
lesquelles l’Indonésie n’aurait pu licitement conclure le traité de 1989 alors que le Portugal aurait
pu le faire» . «[S]ans examiner d’abord» : le critère employé par la Cour est clair. Si le principe
de l’Or monétaire s’applique, c’est parce que l’examen de la licéité du comportement de
l’Indonésie est une condition préalable à la détermination de la responsabilité de l’Australie. Il
s’agit là précisément du critère que les Iles Marshall prient la Cour d’appliquer en la présente
espèce.
6. Le Royaume-Uni s’appuie non pas sur ce paragraphe 28 mais sur le paragraphe 29, où la
Cour ne recherche pas si l’Indonésie devrait être considérée comme une partie indispensable, mais
examine un autre argument du Portugal fondé sur l’opposabilité erga omnes de l’obligation qui
n’aurait pas été respectée. Dans ce contexte, la Cour observe qu’elle «ne saurait statuer sur la
licéité du comportement d’un Etat lorsque la décision à prendre implique une appréciation de la
41CR 2016/7, p. 28, par. 3 (Wells).
42EEIM, p. 19.
43
Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 28. - 23 -
44
28 licéité du comportement d’un autre Etat qui n’est pas partie à l’instance» . Cette phrase doit être
lue dans son contexte, et plus particulièrement à la lumière de ce que la Cour venait de dire au
paragraphe précédent. Il est tout simplement absurde de considérer que les paragraphes 28 et 29
énoncent deux critères différents. Il ne peut y avoir qu’un seul et unique critère, et c’est celui sur
lequel la Cour s’est appuyée pour conclure que l’Indonésie était une partie indispensable.
7. S’il subsistait le moindre doute, j’invite les membres de la Cour à se reporter à la
conclusion de l’arrêt. En y résumant sa position, la Cour précise en effet
«qu’elle ne saurait, en l’espèce, exercer la compétence qu’elle tient des déclarations
faites par les Parties conformément au paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut car,
pour se prononcer sur les demandes du Portugal, elle devrait statuer à titre préalable
sur la licéité du comportement de l’Indonésie en l’absence du consentement de cet
45
Etat» .
8. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je suis persuadé qu’à ce stade,
vous n’avez pas la moindre envie de m’entendre répéter une fois de plus les passages pertinents de
l’arrêt rendu en l’affaire Nauru ; je le conçois fort bien et vous en ferai grâce. Permettez-moi
simplement de souligner qu’un seul et même critère a été appliqué en l’affaire relative au
Timor oriental et en l’affaire Nauru. Et il ne s’agit pas du critère avancé par le Royaume-Uni, mais
de celui que les Iles Marshall prient la Cour d’appliquer en la présente espèce.
9. Dès lors qu’il est clair que le principe de l’Or monétaire ne s’applique que lorsque la
détermination de la responsabilité de l’Etat défendeur requiert la détermination préalable de la
responsabilité d’un Etat tiers, tout l’édifice soigneusement bâti par le Royaume-Uni s’effondre.
L’on ne saurait en effet affirmer sérieusement que, pour statuer sur la responsabilité de cet Etat, la
Cour devrait examiner préalablement la responsabilité des autres Etats dotés d’armes nucléaires.
Tout au plus pourrait-on dire que la détermination, par la Cour, de la responsabilité du
Royaume-Uni pourrait avoir quelque incidence sur la position juridique de ces autres Etats. Si l’on
applique en la présente espèce le critère employé par la Cour en l’affaire relative au Timor oriental,
il apparaît immédiatement qu’il n’existe pas de tiers indispensables. Ils ont disparu, comme dans
44
C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
45Ibid., p. 105, par. 35. - 24 -
La Tempête de Shakespeare ; c’«étaient tous des esprits : ils se sont dissipés dans l’air, dans l’air si
46
léger» .
29 II. La jurisprudence de la Cour étaye la position des Iles Marshall
10. Monsieur le président, je vais à présent répondre brièvement à un certain nombre
d’autres points que le Royaume-Uni a soulevés lundi dernier.
11. Le défendeur a ainsi allégué que l’arrêt rendu en l’affaire relative à l’Obligation de
négocier un accès à l’océan Pacifique n’était pas pertinent, puisque celle-ci ne mettait pas en cause
des «parties essentielles» . On voit cependant mal en quoi cela aurait la moindre importance. La
Cour doit nécessairement se fonder sur quelque chose pour définir l’objet d’un différend et, comme
elle l’a précisé en l’affaire Bolivie c. Chili, il ne peut s’agir que de la requête, ainsi que des exposés
48
écrits et oraux des parties . Ce qui compte, c’est bien évidemment le fond, et pas seulement la
forme, mais, en la présente espèce, ces deux aspects coïncident. En effet, tant sur le plan de la
forme que du fond, l’objet du différend est la question de savoir si le Royaume-Uni, par le
comportement de ses organes, a manqué à son obligation de négocier de bonne foi en vue du
désarmement nucléaire.
12. Ma collègue de la partie adverse a également contesté la pertinence de l’arrêt rendu en
l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, au motif que celle-ci ne mettait pas non plus en
cause des «parties essentielles» . Elle a notamment relevé que l’arrêt en question restait muet sur
50
l’application ou la portée du principe de l’Or monétaire . Les Iles Marshall n’ont cependant
jamais prétendu que l’affaire relative à des Usines de pâte à papier était pertinente pour déterminer
la portée du principe de l’Or monétaire. Si cet arrêt est important, c’est parce qu’il démontre que la
Cour peut rechercher si un Etat a manqué à son obligation de négocier en n’examinant que le
comportement unilatéral de celui-ci.
46 W. Shakespeare, La Tempête, acte IV, scène 1.
47 CR 2016/7, p. 29, par. 7 (Wells).
48
Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exceptions préliminaires, arrêt du
24 septembre 2015, par. 26.
49
CR 2016/7, p. 29, par. 9 (Wells).
50 Ibid., p. 30, par. 10 (Wells). - 25 -
13. Par ailleurs, le Royaume-Uni a établi une distinction entre la présente espèce et l’affaire
relative à l’Application de l’accord intérimaire en faisant valoir que, dans cette dernière, ni
l’OTAN ni les Etats qui en étaient membres n’étaient liés par l’obligation qui incombait à la Grèce.
Or, ce n’est pas là la raison sur laquelle s’était appuyée la Cour. En réalité, celle-ci n’avait pas jugé
nécessaire de déterminer au préalable la responsabilité de parties absentes, précisant que «point
n’[était] besoin, aux fins d’apprécier le comportement du défendeur, que la Cour détermin[ât] la
30 51
responsabilité de l’OTAN ou de ses Etats membres» . Ce critère est le même que celui retenu en
l’affaire Nauru et en l’affaire relative au Timor oriental, et il régit également la présente espèce.
14. Ma dernière observation a trait à la faculté de la Cour de dissocier les allégations
formulées par une partie et de n’appliquer le principe de l’Or monétaire qu’à certaines d’entre
elles. La semaine dernière, j’ai relevé que le Royaume-Uni n’avait évoqué que certains actes bien
précis pour étayer son argument relatif aux Etats tiers absents. J’ai également observé que, en fin
de compte, la Cour n’avait pas besoin de se fonder sur ces actes pour déterminer la responsabilité
du Royaume-Uni, ce que celui-ci a contesté. Selon lui, la Cour ne pourrait en effet statuer sur une
affaire en ne se concentrant que sur certaines allégations .2
15. Ce point de vue est erroné, car il est loisible à la Cour d’isoler une demande spécifique
ou un certain aspect d’une demande et de refuser d’exercer sa compétence uniquement à l’égard de
ces éléments. A ce stade, la question demeure toutefois purement théorique, le Royaume-Uni
n’ayant pas pu invoquer un seul acte dont l’appréciation justifierait l’application du principe de
l’Or monétaire ; il n’y en a tout simplement pas.
16. Monsieur le président, ainsi s’achève mon exposé. Je remercie les membres de la Cour
de leur aimable attention et vous saurais gré, Monsieur le président, de bien vouloir donner la
parole à M. Tony deBrum, coagent des Iles Marshall, pour qu’il présente ses conclusions.
The PRESIDENT: Thank you. I give the floor to Mr. Tony deBrum, Co-Agent of the
Marshall Islands.
51Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce),
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 660-661, par. 43.
52CR 2016/7, p. 31, par. 18 (Wells). - 26 -
M. deBRUM :
C ONCLUSIONS
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, si les Iles Marshall ont décidé
de saisir la Cour, c’est, ainsi que je l’ai indiqué la semaine dernière, parce qu’elles ont foi en la
primauté du droit et se fondent sur ce principe.
2. Depuis 2013, les Iles Marshall ont voté en faveur de résolutions demandant :
31 a) que s’ouvrent immédiatement des négociations en vue de l’adoption d’une convention relative
aux armes nucléaires ; et
b) qu’une «suite [soit] donnée à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur la licéité
54
de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires» .
Le Royaume-Uni, en revanche, a voté contre ces résolutions.
Aux termes de la dernière de ces résolutions sur la suite donnée à l’avis consultatif ,
l’Assemblée générale des Nations Unies :
«1. Souligne de nouveau la conclusion unanime de la Cour internationale de
Justice selon laquelle il existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à
terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire sous tous ses aspects,
assorti d’un contrôle international strict et efficace ;
2. Demande de nouveau à tous les Etats de s’acquitter immédiatement de cette
obligation en engageant des négociations multilatérales afin de parvenir sans tarder à
la conclusion d’une convention relative aux armes nucléaires interdisant la mise au
point, la fabrication, l’essai, le déploiement, le stockage, le transfert, la menace ou
l’emploi de ces armes et prévoyant leur élimination.»
3. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, comme nous l’avons indiqué
dans l’exposé que nous avons présenté à la Cour en 1995, nous avions de sérieuses raisons
d’adhérer au TNP. Parmi les éléments qui ont pesé dans notre décision figuraient entre autres son
article VI, sur lequel est fondée la présente instance contre le Royaume-Uni, ainsi que son
53 Voir, par exemple, Nations Unies, résolution A/RES/68/32 de l’Assemblée générale (5 décembre 2013),
137-28-20.
54 Voir, par exemple, Nations Unies, résolution A/RES/70/56 de l’Assemblée générale (7 décembre 2015),
137-24-25. - 27 -
55
préambule, que nous citions dans notre exposé écrit de 1995 . Les passages pertinents du
préambule se lisent comme suit :
«Les Etats qui concluent le présent traité …
Considérant les dévastations qu’une guerre nucléaire ferait subir à l’humanité
entière et la nécessité qui en résulte de ne ménager aucun effort pour écarter le risque
d’une telle guerre et de prendre des mesures en vue de sauvegarder la sécurité des
peuples,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Déclarant leur intention de parvenir au plus tôt à la cessation de la course aux
armements nucléaires et de prendre des mesures efficaces dans la voie du
désarmement nucléaire …
Désireux de … faciliter la cessation de la fabrication d’armes nucléaires, la
liquidation de tous les stocks existants desdites armes, et l’élimination des armes
nucléaires et de leurs vecteurs des arsenaux nationaux en vertu d’un traité sur le
désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace …
32 Sont convenus de ce qui suit …» 56
4. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, les Etats dotés d’armes
nucléaires qui ont adhéré au TNP sont juridiquement liés par l’engagement qu’ils ont pris,
conformément aux objectifs qu’ils ont expressément adoptés dans le cadre du préambule, et aux
termes de l’article VI, de mener de bonne foi des négociations conduisant au désarmement
nucléaire et à la cessation de la course aux armements nucléaires. Le différend, en l’espèce, porte
sur la question de savoir si le Royaume-Uni a violé cette obligation juridique et convenue.
5. Disons les choses simplement : cela fait vingt-et-un ans que les Iles Marshall sont
devenues parties au TNP et ont noué cette relation juridique avec le Royaume-Uni. Or, en dépit de
l’engagement solennel qu’il a pris dans le cadre de l’article VI, les progrès que le Royaume-Uni a
réalisés depuis lors sur la voie du désarmement nucléaire ont été infimes, sinon nuls. Il y a même
eu recul, puisque le Royaume-Uni modernise, renouvelle et renforce son arsenal nucléaire dans
l’optique de le conserver encore plusieurs décennies. La position du Royaume-Uni se résume en
définitive à affirmer que l’article VI du TNP ne confère aux Iles Marshall aucun droit
55Lettre du 22 juin 1995 du représentant permanent des Iles Marshall auprès de l’Organisation des Nations Unies,
accompagnée de l’exposé écrit du Gouvernement des Iles Marshall, disponible en anglais à l’adresse suivante :
http://www.icj-cij.org/docket/files/95/8720.pdf.
56 Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de 1968, préambule, Nations Unies, Recueil des traités,
vol. 729, p. 161. - 28 -
juridiquement opposable. Or, s’il en allait ainsi, l’accord stratégique que constitue le TNP ne serait
qu’une chimère.
6. Dans son avis consultatif, la Cour a reconnu les «caractéristiques uniques de l’arme
nucléaire, et en particulier … sa puissance destructrice, … sa capacité d’infliger des souffrances
57
indicibles à l’homme, ainsi que … son pouvoir de causer des dommages aux générations à venir» .
7. Elle a aussi relevé que les armes nucléaires avaient «le pouvoir de détruire toute
58
civilisation, ainsi que l’écosystème tout entier de la planète» . En faisant cette observation, la
Cour ne formulait assurément pas une déclaration politique. Or, ce qu’elle a dit, dans le cadre de
son avis consultatif de 1996, c’est je le répète que les armes nucléaires «ont le pouvoir de
détruire toute civilisation, ainsi que l’écosystème tout entier de la planète».
8. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, notre but en la présente espèce
est d’obtenir du Royaume-Uni qu’il poursuive de bonne foi les négociations voulues, promises et
convenues en vue du désarmement nucléaire dans tous ses aspects. Et l’engagement des
Iles Marshall en faveur d’un règlement judiciaire de ce différend, bien réel, est inconditionnel.
9. Avant de donner lecture de nos conclusions finales, je tiens à remercier sincèrement la
Cour de son temps, de son attention et de sa grande compétence sur ces questions cruciales de droit
international.
33 10. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais à présent donner
lecture des conclusions finales des Iles Marshall.
C ONCLUSIONS
«Les Iles Marshall prient la Cour :
a) de rejeter les exceptions préliminaires à sa compétence et à la recevabilité des
demandes des Iles Marshall qui ont été soulevées par le Royaume-Uni de Grande-
Bretagne et d’Irlande du Nord dans ses exceptions préliminaires du 15 juin 2015 ;
b) de dire et juger qu’elle a compétence pour connaître des demandes présentées par
les Iles Marshall dans leur requête du 24 avril 2014 ; et
c) de dire et juger que les demandes des Iles Marshall sont recevables.»
57 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226,
par. 36.
58Ibid., par. 35. - 29 -
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, recevez mon plus profond respect
et toute ma gratitude. Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you, Excellency. The Court takes note of the final submissions
which you have just read out on behalf of the Republic of the Marshall Islands, as it took note, on
Monday, of the final submissions presented by the United Kingdom.
Two Members of the Court wish to put questions. The first is addressed to both Parties, and
I give the floor to Judge Cançado Trindade.
Le juge CANÇADO TRINDADE : Thank you, Mr. President. Je souhaiterais poser les
questions suivantes aux deux Parties, les Iles Marshall et le Royaume-Uni.
Les Iles Marshall, dans leurs écritures et plaidoiries, et le Royaume-Uni, dans ses exceptions
préliminaires (du 15 juin 2015), se sont tous deux référés aux résolutions de l’Assemblée générale
des Nations Unies sur le désarmement nucléaire. Parallèlement à ces résolutions, qui remontent au
début des années 1970 (première décennie du désarmement), il existe deux séries plus récentes de
résolutions, à savoir celles condamnant les armes nucléaires, qui ont été adoptées de 1982 à ce jour,
et celles concernant la suite donnée à l’avis consultatif que la Cour a rendu en 1996 sur la question
de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, qui ont jusqu’à présent été adoptées
de 1997 à 2015. S’agissant de cette dernière série de résolutions, auxquelles les Parties se sont
référées, je voudrais demander aux Iles Marshall et au Royaume-Uni si, selon eux, ces résolutions
34 constituent l’expression d’une opinio juris et, dans l’affirmative, quelle est leur pertinence en ce qui
concerne la formation d’une obligation de droit international coutumier consistant à poursuivre des
négociations conduisant au désarmement nucléaire et quelle est leur incidence sur la question de
l’existence d’un différend entre les Parties.
Je vous remercie, Monsieur le président.
The PRESIDENT: Thank you. The texts of the questions will be sent to the Parties in
writing as soon as possible. The Parties are invited to reply in writing. Replies must be submitted
no later than 6 p.m. on Wednesday 23 March. Written comments on the replies of the other Party - 30 -
may be presented no later than 30 March at 6 p.m. The second question is addressed to the
United Kingdom, and I give the floor to Judge Greenwood.
Le juge GREENWOOD : Je vous remercie, Monsieur le président.
Cet après-midi, alors qu’elles répondaient à la question de M. le juge Bennouna, les
Iles Marshall se sont référées à certains documents qui n’avaient jusqu’alors pas été présentés à la
Cour. Ces documents ont-ils, selon le Royaume-Uni, une incidence sur la question de l’existence
d’un différend, au sens où ce terme est employé dans la jurisprudence de la Cour ?
Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you. The text of the question will be sent to the Parties in writing
as soon as possible. The United Kingdom is invited to reply in writing, no later than 6 p.m.
on Wednesday 23 March. The Marshall Islands may present written comments on the
United Kingdom’s reply no later than 30 March at 6 p.m.
That brings us to the end of the hearings on the preliminary objections raised by the
United Kingdom in the case of Obligations concerning Negotiations relating to Cessation of the
Nuclear Arms Race and to Nuclear Disarmament (Marshall Islands v. United Kingdom). I should
like to thank the Agents, counsel and advocates of the two Parties for the assistance they have
given the Court through their oral statements. I would ask the Agents to remain at the Court’s
disposal to provide any additional information the Court may require.
35 With this proviso, I declare closed the oral proceedings on the preliminary objections raised
by the United Kingdom in the present case. The Court will now retire for deliberation. The Parties
will be advised by the Registrar in due course as to the date on which the Court will deliver its
Judgment at public sitting.
Thank you. The Court is adjourned.
The Court rose at 4.40 p.m.
___________
Traduction