Annexes - volume I

Document Number
19062
Parent Document Number
16644
Document File
Document

12092
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE AUX IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L’ÉTAT
(ALLEMAGNE c. ITALIE)
ANNEXES AU MÉMOIRE DE LA RÉPUBLIQUE
FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE
Volume I
Annexes 1-15
12 juin 2009
[Traduction du Greffe]
Volume I
Table des Matières
Annexe 1 Cour de cassation, arrêt no
5044/2004, Ferrini, 11 mars 2004, Rivista di
diritto internazionale, vol. 87 (2004), p. 539 , Traduction anglaise : ILR,
vol. 128, p. 659.
Annexe 2 Déclaration conjointe des gouvernements de la République fédérale
d’Allemagne et de la République italienne, 18 novembre 2008.
Annexe 3 Traité de paix avec l’Italie, 10 février 1947, Nations Unies, Recueil des
traités, volume 49, no
747, page 3, article 77.
Annexe 4 Traité conclu entre la République fédérale d’Allemagne et la République
italienne portant règlement de certaines questions d’ordre patrimonial,
économique et financier, le 2 juin 1961.
Annexe 5 Traité relatif à l’indemnisation des ressortissants italiens ayant fait l’objet
de mesures de persécution sous le régime national-socialiste,
le 2 juin 1961.
Annexe 6 Décret du président de la République n 2043 du 6 octobre 1963.
Annexe 7 Cour de cassation, arrêt, 30 octobre 1986/2 mars 1987
Annexe 8 Liste de toutes les affaires judiciaires en
instance contre l’Allemagne.
Annexe 9 Préfecture de Voiotia c. la République fédérale d’Allemagne, arrêt du
4 mai 2000, traduction anglaise : ILR, vol. 129, p. 514.
Annexe 10 Parquet général près la Cour de cassation, conclusions du
22 novembre 2007.
Annexe 11 Secrétaire général de la Présidence du conseil des ministres italiens, lettre
du 24 avril 2008 à l’avocat général.
Annexe 12 Avocat général, conclusions soumises à la Cour de cassation,
28 avril 2008.
Annexe 13 Cour de cassation, affaires Giovanni Mantelli et Liberato Maietta,
29 mai 2008.
Annexe 14 Tribunal militaire de La Spezia, affaire Max Josef Milde, jugement du
10 octobre 2006
Annexe 15 Cour militaire d’appel, Rome, affaire Max Josef Milde, arrêt du
18 décembre 2007
Attestation
Le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne certifie par la présente que les
documents reproduits dans les deux volumes d’annexes sont des copies conformes aux documents
originaux et que les traductions qu’il a fournies dans l’une ou l’autre langue officielle de la Cour
sont exactes.
Berlin, le 13 juin 2009
___________
ANNEXE 1
COUR DE CASSATION
ARRÊT NO 5044/2004, FERRINI, 11 MARS 2004
Rivista di diritto internazionale, vol. 87 (2004), p. 539
Traduction anglaise : ILR, vol. 128, p. 659
Immunité des Etats ⎯ Immunité de juridiction ⎯ Demande introduite par une personne
contre un Etat étranger pour dommages corporels ⎯ Déportation pour le travail forcé par les
forces d’occupation allemandes durant la deuxième guerre mondiale ⎯ Violation des règles du jus
cogens ⎯ Question de savoir si la commission de violations graves des droits de l’homme interdit
d’invoquer l’immunité de l’Etat en vertu du droit international coutumier ⎯ Convention
européenne de 1972 sur l’immunité des Etats, articles 11 et 31 ⎯ Question de savoir si le droit
d’invoquer l’immunité est réservé aux actes des forces armées ⎯ Question de savoir si la
commission de violations graves des droits de l’homme entraîne automatiquement la renonciation
de l’Etat à son immunité.
Droit pénal international ⎯ Crimes de guerre ⎯ Déportation pour le travail forcé ⎯
Alinéa b) de l’article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg et jugement de
ce tribunal ⎯ Dispositions de la convention de La Haye de 1907 et de la convention de Genève
de 1929 ⎯ Question de savoir si ces dispositions étaient reconnues comme déclaratoires du droit
international coutumier avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale ⎯ Qualification
de la déportation pour le travail forcé de crime international ⎯ Confirmation dans les statuts des
Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda et dans le statut de la
Cour pénale internationale de 1998.
Liens entre droit international et droit interne ⎯ Crimes contre le droit international ⎯
Droit international coutumier ⎯ Immunité de juridiction des Etats étrangers à l’égard des actes
accomplis jure imperii ⎯ Crimes internationaux concernant des violations graves des droits
fondamentaux de l’homme ⎯ Demandes de réparation formulées par des personnes pour perte et
préjudice découlant de la commission de ces crimes ⎯ Question de savoir si les Etats peuvent
invoquer l’immunité ⎯ Pratique des tribunaux nationaux et internationaux ⎯ Question de savoir
si cette pratique est concluante ⎯ Question de savoir si le fait que les actes sont accomplis jure
imperii est pertinent ⎯ Question de savoir si la protection des droits fondamentaux des personnes
priment à présent le droit des Etats à l’immunité de juridiction ⎯ Question de savoir s’il existe un
parallèle entre l’immunité fonctionnelle des organes de l’Etat et l’immunité des Etats.
Guerre et conflit armé ⎯ Conduite des opérations militaires ⎯ Question de savoir si le
choix de la méthode pour la conduite des hostilités est justiciable ⎯ Question de savoir si la
non-justiciabilité empêche l’examen des crimes de guerre ayant pu être commis contre des
personnes ⎯ Droit italien.
Ferrini c. République fédérale d’Allemagne
(Arrêt no
5044/2004)
Italie, Cour de cassation (siégeant en formation plénière, le 11 mars 2004)
- 2 -
(M. CARBONE, PRÉSIDENT)
Résumé :
En fait – En 1998, Ferrini a introduit une instance contre la République fédérale
d’Allemagne devant les juridictions italiennes au sujet d’une demande de réparation pour avoir été
emprisonné, déporté et soumis aux travaux forcés aux mains des forces d’occupation allemandes
en 1944. Il prétend avoir été interné dans un camp d’extermination nazi et forcé de travailler dans
une usine de munitions jusqu’à sa libération en avril 1945. L’Allemagne a soulevé une exception
d’immunité de juridiction que les juridictions de première instance et d’appel ont retenue. Ferrrini a
formé un pourvoi devant la Cour de Cassation.
Décision – La Cour a fait droit au recours. Les juridictions italiennes étaient autorisées à
connaître de la demande et l’affaire a été renvoyée pour une audience sur le fond.
1) La conduite d’opérations militaires en temps de guerre était une expression de la fonction
«politique» de l’Etat et, en tant que telle, n’était pas soumise à un contrôle judiciaire étant
donné que la portée et l’envergure des opérations de sécurité ne pouvaient pas être établies au
préalable. Toutefois, si la manière avec laquelle ces hostilités étaient conduites ne pouvait faire
l’objet d’un examen, cela n’interdisait pas de mener une enquête judiciaire sur les crimes qui
auraient été commis au cours de ces activités et sur leurs auteurs. En outre, conformément au
principe d’adaptation consacré à l’alinéa 1) de l’article 10 de la Constitution italienne, les
normes de droit international «généralement reconnues» qui garantissent la liberté et la dignité
des personnes en tant que droits fondamentaux et qui qualifient de «crimes internationaux» les
activités constituant une menace grave à la protection de ces droits étaient automatiquement
devenues partie intégrante du droit italien (par. 7-7.1).
2) Les faits invoqués par le requérant à l’appui de sa demande de réparation contre l’Allemagne
consistaient en la «déportation pour le travail forcé», qui avait été qualifiée de crime de guerre
par l’alinéa b) de l’article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg et par le
jugement de ce tribunal et, en tant que tel, de crime contraire au droit international. En effet,
selon le Tribunal, ces crimes étaient reconnus par toutes les nations civilisées avant l’éclatement
de la deuxième guerre mondiale après que les dispositions en la matière de la convention de
La Haye de 1907 et de la convention de Genève de 1929 avaient été acceptées comme
déclaratoires des lois et coutumes de la guerre avant 1939. La qualification de la déportation
pour le travail forcé de crime international avait par la suite été confirmée par les dispositions
des statuts des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda ainsi
que de la Cour pénale internationale (par. 7.2-7.3).
3) Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 4 mai 2000, la Cour suprême de Grèce a dénié l’immunité de
l’Allemagne à l’égard d’une demande de réparation introduite au civil par des citoyens grecs
concernant des violations graves des droits de l’homme que ses forces d’occupation auraient
commises en Grèce durant la deuxième guerre mondiale1
. La Cour suprême s’était
principalement fondée sur l’article 11 de la convention européenne de 1972 sur l’immunité des
Etats, qui interdisait aux Etats contractants d’invoquer l’immunité de juridiction dans des
procédures ayant trait à la réparation d'un préjudice corporel ou matériel causé sur le territoire
de l’Etat du for. Bien que l’article 31 de la convention garantissait l’immunité à l’égard des
actes commis par les forces armées d’un Etat contractant sur le territoire d’un autre Etat
contractant, la Cour suprême grecque a considéré que la violation par un Etat des normes

1
Il semble que la Cour de cassation n’a pas tenu compte du fait que cette décision de la Cour suprême de Grèce a
été annulée par une décision de la Cour suprême spéciale (qui a compétence pour se prononcer sur les questions de droit
international) dans un arrêt du 17 septembre 2002. Ces arrêts seront publiés dans un prochain volume de International
Law Reports.
- 3 -
obligatoires de droit international destinées à garantir les droits fondamentaux de l’homme
supposait une renonciation de cet Etat à son immunité. Toutefois, la Cour de cassation italienne
n’était pas du même avis et a considéré que l’on ne pouvait pas supposer que l’Allemagne
entendait renoncer à son immunité en l’absence d’éléments prouvant qu’elle en avait fermement
l’intention (par. 8-8.2).
4) Les juridictions nationales et internationales avaient affirmé à maintes reprises que les crimes
internationaux constituaient des violations graves des droits fondamentaux de l’homme. Ces
droits étaient garantis par des normes qui ne souffraient aucune exception et qui primaient
toutes les autres normes de droit conventionnel ou de droit international coutumier, y compris
celles ayant trait à l’immunité des Etats. Il est vrai qu’aucune norme de droit international ne
prévoyait expressément une telle exception au principe de l’immunité des Etats. Cela étant, le
droit des Etats d’invoquer l’immunité à l’égard de demandes de réparation découlant de la
commission de crimes internationaux avait récemment été réaffirmé dans plusieurs décisions
judiciaires rendues par des juridictions nationales et internationales. Mais ces décisions étaient
différentes de la présente demande étant donné qu’elles concernaient des actes illicites qui
n’avaient pas été commis dans l’Etat du for (par. 9-9.2).
5) Quoi qu’il en soit, la Cour de cassation ne pouvait pas souscrire à la proposition selon laquelle
seule une disposition normative expresse pourrait justifier de faire exception au principe de
l’immunité des Etats. Ainsi qu’il a clairement été énoncé dans l’opinion dissidente jointe à
l’arrêt McElhinney de la Cour européenne des droits de l’homme, l’exception à l’immunité des
Etats s’appliquait aux cas de préjudice intentionnel découlant d’actes criminels tels que le
meurtre ou l’agression pour des raisons politiques et la distinction traditionnelle entre les actes
commis jure imperii et jure gestionis était dénuée de pertinence en l’affaire. D’ailleurs, il était
possible de trouver confirmation, dans la pratique internationale relative aux activités
criminelles particulièrement graves, du statut prioritaire désormais accordé à la protection des
droits fondamentaux de l’homme par rapport à la protection des intérêts de l’Etat à travers la
reconnaissance de l’immunité de juridiction (par.10-10.2).
6) Enfin, il était désormais accepté dans la pratique judiciaire que l’immunité fonctionnelle des
représentants de l’Etat n’empêchait plus l’exercice de la compétence à l’égard des crimes
internationaux. Il n’y avait aucune raison valable de maintenir l’immunité de l’Etat dans des
circonstances similaires où les actes allégués constituaient des crimes internationaux (par. 11).
Le texte de l’arrêt de la Cour est reproduit ci-après:
Historique de la procédure
1. Par voie d’une demande introduite le 23 septembre 1998, M. Luigi Ferrini a engagé une
procédure judiciaire contre la République fédérale d’Allemagne devant le tribunal d’Arezzo, dans
laquelle il réclamait des dommages patrimoniaux et non patrimoniaux pour son arrestation par les
forces armées allemandes dans la province d’Arezzo le 4 août 1944 puis pour sa déportation en
Allemagne où il a été utilisé par des sociétés allemandes pour des travaux «forcés». Le requérant
prétend que son internement dans un camp d’extermination à Kahla, où les sociétés Reimagh
Werke (Reichsmarschall Hermann Goering Werke) et Messerschmitt fabriquaient des avions, des
missiles et d’autres armes de guerre, a duré jusqu’au 20 avril 1945.
La partie défenderesse a soulevé une exception d’incompétence des juridictions italiennes en
l’affaire et a réfuté la version contradictoire des faits présentée par le requérant en l’espèce.
- 4 -
1.1. Dans son arrêt du 3 novembre 2000, la Cour a déclaré que l’affaire ne relevait pas de la
compétence du système juridique italien au motif que la demande présentée par le requérant
découlait d’actes accomplis par un Etat étranger dans l’exercice de ses pouvoirs souverains et que
le différend n’engageait pas la responsabilité de l’Etat territorial en vertu du principe de l’immunité
de l’Etat, conformément au droit international coutumier.
1.2. La cour d’appel de Florence a rejeté le recours de Ferrini, confirmant la décision de
l’instance inférieure et faisant notamment observer que toute proposition selon laquelle les
juridictions italiennes étaient compétentes pour connaître du différend en question était dépourvue
de fondement :
⎯ que ce soit dans la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions
en matière civile et commerciale signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 (dénommée ci-après
«la convention») qui, selon les directives constantes données par la Cour de justice des
Communautés européennes, exclut de son champ les affaires ayant trait à l’exercice de la
puissance publique par les autorités nationales ;
⎯ ou dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale
des Nations Unies, dont les dispositions ne visent pas les personnes mais les Etats et qui est, en
tout état de cause, dépourvue d’application normative directe.
1.3. Ferrini fonde son recours de cette décision sur les quatre griefs exposés dans la requête.
La République fédérale d’Allemagne conteste ce recours.
Motifs de la décision
2. Le premier grief – qui fait état de la violation et de l’application non fondée des articles 1,
5 3) et 57 de la convention – conteste l’arrêt dont il est appelé pour avoir dénié aux juridictions
italiennes la compétence pour connaître de l’affaire sans examiner si les critères permettant
d’établir la compétence juridictionnelle prévus dans la convention étaient applicables à l’espèce,
comme suit :
⎯ le différend oppose une personne domiciliée dans un Etat contractant (l’Italie) et un autre Etat
contractant (la République fédérale d’Allemagne). Par définition, le différend entre dans le
cadre territorial de la convention ;
⎯ la demande de réparation est fondée sur des événements qui ont eu lieu sur le sol italien ;
⎯ en droit italien et allemand, les demandes de réparation introduites contre des entités publiques
sont qualifiées d’actions «civiles» ;
⎯ les dispositions prévues par la convention priment les normes du droit international coutumier,
y compris le principe de l’immunité des Etats ;
⎯ selon le critère prévu à l’alinéa 3 de l’article 5, «en matière délictuelle ou quasi délictuelle»,
une partie domiciliée dans un Etat contractant peut être attraite devant les tribunaux de l’Etat
où le fait dommageable s’est produit, même lorsque ce dernier n’est pas l’Etat contractant de
résidence de la partie.
2.1. Cette contestation, formulée dans les termes qui précèdent, est manifestement dépourvue
de fondement.
- 5 -
En réalité, la convention (dont les dispositions sont passées dans le droit interne de tous les
Etats membres de l’Union européenne à l’exception du Danemark en application du
règlement 44/01 de l’Union européenne, publié par le Conseil de l’Union européenne le 22
décembre 2000) est inapplicable aux différends concernant des activités qui constituent
l’expression de la souveraineté individuelle des Etats exercée sous les auspices de l’administration
publique (comme l’a, à maintes reprises, clairement affirmé la Cour de justice de l’Union
européenne). Dans ces conditions, une demande de réparation ne peut être de nature «civile» (et
entrer dans le champ de la convention) que si elle a pour origine des actes qui ne sont pas
accomplis par l’administration publique «dans l’exercice de ses pouvoirs souverains» (arrêts du
21 avril 1993, C.171/91, du 16 décembre 1980, C.814/79, et du 14 octobre 1976, C.29/76).
3. Pour les raisons indiquées au paragraphe précédent, l’invalidité de la contestation exposée
dans le cadre du premier grief vaut également pour le troisième grief, dans lequel le requérant, qui
invoque une violation des articles 2 et 3 du protocole additionnel à la convention, se plaint que la
juridiction interne n’a pas renvoyé l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne afin
d’établir si la demande de réparation introduite contre l’Allemagne entrait dans le champ
opérationnel de la convention.
De fait, même lorsque la juridiction interne est tenue de renvoyer une affaire devant la Cour
de justice des Communautés européennes, elle devrait toujours garder à l’esprit que l’obligation de
renvoi n’est pas absolue (il n’y avait, en l’espèce, aucune obligation de renvoi étant donné que la
cour d’appel n’opérait pas en tant que cour de dernière instance et n’était donc pas liée par les
conditions régissant l’application du principe établi au dernier paragraphe de l’article 234 du Traité
instituant la Communauté européenne). Compte tenu de la nécessité d’assurer l’application
correcte et uniforme du droit communautaire dans l’ensemble des Etats membres, même une Cour
de dernière instance peut légitimement choisir de ne pas renvoyer une question d’interprétation
juridique à l’examen de la Cour européenne lorsque la réponse s’impose avec une évidence telle
qu’elle ne laisse aucun doute raisonnable (Cour de justice des Communautés européennes, 6
octobre 1982, C. 283/81 ; 16 janvier 1974, C. 166/73 ; 27 mars 1963, affaires jointes 28-30/62 ;
Cour de cassation, 22 novembre 1996, no
10359).
4. Pour ce qui est des deuxième et quatrième griefs, qui sont étroitement liés l’un à l’autre, le
requérant, qui invoque des violations des articles 10 et 24 de la Constitution, conteste l’arrêt dont il
est appelé pour avoir déclaré que :
⎯ le principe de l’immunité des Etats avait le caractère et le rang d’un principe général de droit
international coutumier ;
⎯ que ce principe était susceptible de jouer même dans les cas où les normes du jus cogens
avaient été violées et plus particulièrement lorsque ces violations avaient trait à la dignité
humaine et aux droits inviolables de la personne.
5. Contrairement à ce que prétend le requérant, nul ne conteste l’existence ni l’application de
la norme de droit international coutumier qui interdit à un Etat d’exercer un pouvoir juridictionnel à
l’égard d’un autre Etat et qui a été incorporée dans notre système en vertu de la disposition prévue
à l’alinéa 1) de l’article 10 de la Constitution. Toutefois, il convient de reconnaître que la portée de
ce principe (qui était, à une certaine époque, absolu, en ce qu’il conférait à l’Etat étranger une
immunité totale à l’égard de l’Etat territorial, quels que soient la nature et l’objet du différend) est
de plus en plus limitée (Cour de cassation, session plénière, 3 août 2000, no
530 ; 3 février 1996,
no
919).
Le recours du requérant est, sur cette base, manifestement dépourvu de fondement.
- 6 -
6. Il convient à présent d’examiner plus en détail et sous un autre angle le principe de
l’immunité des Etats.
Dans l’arrêt no
530/2000 évoqué plus haut, la Cour devait examiner «le risque» que les
activités de formation en matière de défense menées par des aéronefs militaires américains sur le
sol italien en vertu des dispositions du Traité de l’OTAN posaient pour la santé physique et la
sécurité des résidents. La Cour a confirmé que l’immunité de juridiction civile se limitait aux
activités constituant «une manifestation immédiate et directe» de la souveraineté de l’Etat étranger
et, tenant compte de leur lien avec «la sphère du droit public» et du fait qu’elles visaient à «réaliser
les objectifs institutionnels de l’Etat», a refusé d’admettre que «les éventuelles conséquences
négatives» de ces activités «pour les droits fondamentaux de l’homme» étaient susceptibles de
revêtir «le caractère et la portée d’une exception». A cet égard, la Cour a précisé qu’elle était
seulement disposée à déclarer que ces activités pouvaient être préjudiciables dans les conditions
susmentionnées et qu’elle ne contesterait pas le caractère souverain des activités ici en cause,
activités qui, en tant que telles, ne relevaient pas du pouvoir juridictionnel de l’Etat territorial.
C’était parce que les exercices militaires effectués par les forces armées aux fins de la défense
nationale «représent[aient] un objectif public essentiel ... de l’Etat» et, partant, une activité
«indiscutablement et ontologiquement accomplie jure imperii».
La même opinion semble avoir été adoptée par la Cour suprême d’Irlande dans l’arrêt qu’elle
a prononcé le 15 décembre 1995 en l’affaire McElhinney. Une action en justice avait été engagée
contre le Royaume-Uni par un citoyen de la République d’Irlande devant les juridictions irlandaises
au sujet de préjudices résultant d’«un choc post-traumatique» causé par un soldat anglais en faction
à la frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord. Alors qu’il traversait la frontière,
la voiture de M. McElhinney avait heurté le soldat, qui l’avait alors poursuivi de l’autre côté de la
frontière et lui avait tiré dessus plusieurs fois, dont trois fois sur le sol irlandais. Après l’avoir
rattrapé, le soldat l’avait mis en joue et avait appuyé sur la gâchette ; mais le pistolet s’était enrayé.
La Cour a jugé que le Royaume-Uni pouvait se prévaloir de l’immunité de juridiction, faisant
observer que le soldat avait agi dans l’exercice des pouvoirs inhérents à l’activité de contrôle de la
frontière, laquelle était, à son tour, imputable à l’exercice de la souveraineté de l’Etat défendeur.
Cette conclusion a été confirmée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt qu’elle
a rendu le 21 novembre 2001 (McElhinney c. Irlande) sur la base de considérations qui seront
discutées plus loin dans le présent arrêt (le requérant avait fait appel au motif qu’en se déniant toute
compétence en la matière, la République d’Irlande l’avait privé de son droit à une procédure
régulière, violant ainsi le paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne sur les droits de
l’homme).
7. Le problème que nous devons examiner en la présente affaire est tout autre. L’argument
avancé par Ferrini se fonde sur le postulat que, même si les actes accomplis par l’Allemagne
pouvaient être une expression du pouvoir souverain de cet Etat, dans les faits, cela n’a pas été établi
au-delà de tout doute, ces actes ayant été accomplis durant des opérations de guerre. En réalité, il
faut se poser la question de savoir si l’immunité de juridiction peut jouer même à l’égard d’une
conduite qui, contrairement à celle envisagée aux paragraphes précédents, est d’une telle gravité
que, sur le plan du droit international coutumier, elle appartient à la catégorie des crimes
internationaux qui enfreignent tellement les valeurs universelles qu’ils transcendent les intérêts de
l’Etat.
7.1. Les circonstances dans lesquelles une telle conduite est adoptée durant des opérations
menées en temps de guerre soulèvent toutefois une question préliminaire. Dans la décision no
8157
du 5 juin 2002, la session plénière de la Cour a jugé que les actes accomplis par un Etat durant la
conduite d’hostilités en temps de guerre constituant l’expression d’une fonction «politique» et dans
des conditions où «il est impossible d’organiser une opération de sécurité dont la portée d’action
peut être déterminée» sont exonérés de tout contrôle juridictionnel. En appliquant ce principe, la
- 7 -
Cour a conclu qu’il y avait défaut de compétence pour connaître d’une demande de réparation
introduite contre le président du Conseil de l’Etat et contre le ministre italien de la défense au sujet
de la destruction, durant des frappes aériennes de l’OTAN contre la République fédérale de
Yougoslavie, de cibles non militaires et des pertes civiles qui en ont résulté.
Toutefois, bien qu’il soit accepté que le modus operandi de telles activités ne peut pas être
jugé lorsqu’elles sont menées sous la direction suprême de la puissance publique, cela n’empêche
pas de lancer des enquêtes sur les crimes ayant pu être commis au cours de ces activités et sur
leurs auteurs (articles 90 et 96 de la Constitution, paragraphe 1 de l’article 15 de la loi
constitutionnelle no
1 du 11 mars 1953, article 30 de la loi no
20 du 25 janvier 1962). En outre,
conformément au principe d’adaptation consacré au paragraphe 1 de l’article 10 de la Constitution
italienne, les normes de droit international «généralement reconnues» qui garantissent, en tant que
droits fondamentaux, la liberté et la dignité de la personne humaine et qui qualifient de «crimes
internationaux» les activités posant une menace grave à l’intégrité de ces droits deviennent
automatiquement partie intégrante du droit italien. Dans ces conditions, elles constituent
clairement un paramètre judiciaire légitime à l’égard de préjudices découlant d’un acte délictueux
ou fautif.
Il est donc évident que les principes énoncés dans la décision susmentionnée de la Cour ne
sauraient être pris en compte en l’espèce.
7.2. Comme indiqué plus haut, les faits sur lesquels se fonde la demande de réparation
formulée par le requérant concernent son arrestation et sa déportation en Allemagne pour y être
utilisé comme «main d’œuvre involontaire» au service de sociétés allemandes.
Dans sa résolution 95-I du 11 décembre 1946 par laquelle l’Assemblée générale des Nations
Unies a «confirm[é]» les principes de droit international reconnus par le statut et le jugement du
Tribunal militaire international de Nuremberg, la déportation comme les travaux forcés sont
énumérés comme «crimes de guerre» et, en tant que tels, comme crimes de droit international. Le
statut lui-même, signé à Londres le 8 août 1945, énonce clairement que «la déportation pour des
travaux forcés» (alinéa b) de l’article 6) entre dans le champ de la définition d’un «crime de
guerre».
Dans le jugement que le Tribunal de Nuremberg a rendu le 30 septembre 1946, il est
souligné qu’une telle conduite constitue une violation «flagrante» de la convention concernant les
lois et coutumes de la guerre sur terre signée à La Haye le 18 octobre 1907 et du règlement y
annexé qui prévoit que des «services» ne peuvent être réclamés des «habitants» de la population
civile (que) «pour les besoins de l’armée d’occupation» (art. 52), excluant ainsi la possibilité de
réclamer ces services à toute autre fin. L’applicabilité de cette dernière disposition a été contestée
par les avocats des accusés de Nuremberg qui ont cherché à invoquer l’article 2 de la convention en
faisant valoir que certains Etats belligérants n’étaient pas partie à la convention. Cette objection a
toutefois été rejetée par le Tribunal qui a fait observer qu’en 1939 (et donc avant le début du
conflit), les «règles» prévues par la convention était reconnues et acceptées par toutes les nations
civilisées et revêtaient donc la force et la portée de normes de droit international coutumier.
7.3. La catégorisation de la déportation et de la déportation pour les travaux forcés comme
«crime international» trouve confirmation dans le principe VI des principes du droit international
adoptés en juin 1950 par la Commission du droit international des Nations Unies, dans les articles 2
et 5 de la résolution 927/93 du 23 mai 1993 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptant le
Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, dans l’article 3 de la
résolution 955/94 du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptant le Statut
du Tribunal pénal international pour le Rwanda et dans les articles 7 et 8 de la convention portant
- 8 -
création de la Cour pénale internationale signée à Rome le 17 juillet 1998 par 139 Etats (dont
120 l’ont ratifiée) et entrée en vigueur le 1er juillet 2002.
7.4. Ainsi, indépendamment de ce qui est affirmé dans le jugement de Nuremberg mentionné
au paragraphe précédent, il est ici question, à n’en pas douter, d’une norme de droit coutumier qui
s’applique généralement à tous les Etats de la communauté internationale.
La gravité de ces crimes est également reconnue par l’Allemagne qui, consciente des
souffrances infligées par l’Etat nazi aux personnes déportées et soumises aux «travaux forcés » et
disposée à assumer la responsabilité morale et politique à cet égard, a créé, en collaboration avec
les sociétés allemandes qui ont tiré profit de ces services «involontaires», une fondation appelée
«Mémoire, responsabilité et futur» afin de perpétuer un intérêt pour ce qui s’est réellement passé et
d’indemniser les victimes, en donnant la priorité au traitement des demandes spécifiques par
rapport au lieu de résidence des «personnes pouvant prétendre à indemnisation» (voir article 11 de
la loi BGBI 2000, I, 1263 du 2 août 2000). Le droit allemand applicable couvre également un autre
élément important, en ce qu’il confirme que les faits sur lesquels le requérant fonde sa demande ne
doivent pas consister en de simples épisodes mais doivent correspondre à une stratégie précise mise
en œuvre avec détermination par l’Etat allemand durant cette période.
8. La Cour suprême de Grèce a dénié l’immunité de juridiction civile des Etats étrangers à
l’égard d’une demande introduite contre l’Allemagne par des citoyens grecs qui réclamaient des
dommages et intérêts au titre de violations graves des droits de l’homme commises sur le sol grec
par les forces d’occupation durant la deuxième guerre mondiale (l’exécution, en guise de
représailles, de quelque 200 personnes qui n’avaient aucun lien, direct ou indirect, avec les
opérations militaires) : Prefettura do Voiotia c. République fédérale d’Allemagne, arrêt no
11 du
4 mai 2000. La Cour s’est principalement fondée sur l’article 11 de la convention européenne sur
l’immunité des Etats, conclue le 16 mai 1972, qui interdit à un Etat d’invoquer l’immunité de
juridiction civile lorsqu’il est poursuivi pour dommages et intérêts devant les juridictions d’un Etat
étranger au sujet d’un fait illicite survenu sur un territoire placé sous la souveraineté de ce dernier.
Selon l’arrêt en question, cette règle s’applique même aux faits illicites commis dans l’exercice
d’une activité jure imperii et est l’expression d’un principe qui est coutumier par nature. Elle
s’applique donc même à l’égard de pays comme la Grèce qui n’ont pas signé la convention.
8.1. Toutefois, le fait que la Cour ait mentionné cette disposition n’est pas décisif en la
matière, en raison de l’objection qui aurait pu être formulée – ce que les jugent n’ignoraient pas –
au titre de l’article 31 de la convention où il est clairement énoncé que celle-ci ne s’applique pas
aux faits survenus dans le cadre d’un conflit armé. La Cour a estimé que cette objection pouvait
être écartée au motif que la violation des normes obligatoires destinées à sauvegarder les droits
fondamentaux de l’homme entraîne une renonciation aux avantages et privilèges conférés par le
droit international. On devrait donc considérer qu’en commentant ces crimes, l’Allemagne avait
implicitement renoncé à son immunité.
8.2. En réponse, [la Cour estime que] la situation en question ne présuppose pas
nécessairement une intention manifeste de la part de l’Allemagne. Une renonciation de cette nature
ne saurait être interprétée sur une base purement conjecturale, mais doit se fonder sur des faits
concrets et établis révélant une intention manifeste de «renonciation». En tout état de cause, il est
improbable qu’un Etat se livrant à des violations graves entende renoncer aux avantages que lui
confère une immunité de juridiction, prérogative qui rend très difficile, voire absolument
impossible, l’établissement de la culpabilité. L’argumentation sur laquelle se fonde l’arrêt est
manifestement peu convaincante et la conclusion à laquelle est arrivée la Cour grecque doit en
- 9 -
conséquence être écartée, et ce même pour des raisons autres que celles qui viennent d’être
examinées.
9. Il a été répété à maintes reprises que les crimes internationaux «menacent l’humanité dans
son ensemble et sapent le fondement des relations internationales pacifiques» (Cour
constitutionnelle de Hongrie, 13 octobre 1993, no
53). Dans les faits, ces crimes prennent la forme
de violations graves des droits fondamentaux de l’homme (quant à leur intensité ou leur caractère
systématique ou les deux – voir le paragraphe 2 de l’article 40 du projet d’articles sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, adopté en août 2001 par la Commission
du droit international des Nations Unies). Ces droits sont protégés par des normes auxquelles il ne
saurait être dérogé, qui sont au cœur de l’ordre international et qui prévalent sur toutes les autres
normes conventionnelles et coutumières, y compris celles qui ont trait à l’immunité de l’Etat (voir
Furundžija, Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, 10 décembre 1998, 153-5 ;
Krupeskić, 14 janvier 2000, par. 520 ; Al-Adsani c. Royaume-Uni, Cour européenne des droits de
l’homme, 21 novembre 2001, par. 61).
Pour cette raison, ces droits sont considérés comme inviolables (voir la convention des
Nations Unies sur les droits de l’homme du 26 novembre 1968 et la convention du Conseil de
l’Europe du 25 janvier 1974) et il est reconnu que tous les Etats sont autorisés à faire cesser la
violation de ces droits, quel que soit le lieu où ladite violation est commise, conformément aux
principes de la compétence universelle (voir l’arrêt Furundžija, p. 15-16) : dans certains cas, on
considère même que les Etats sont tenus de faire cesser la violation de ces droits (voir notamment
l’article 146 de la quatrième convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes
civiles en temps de guerre). C’est pourquoi il n’est pas douteux que le principe de la compétence
universelle s’applique également aux actions civiles qui trouvent leur origine dans de tels crimes.
Cette conclusion renforce la conviction selon laquelle ces violations graves appellent, même
à l’égard des Etats, une réponse qui, sur le plan qualitatif, est différente et plus dure que celle
réservée aux autres actes illicites. Conformément à cette tendance, il est affirmé dans l’arrêt
Furundžija que les Etats qui ne sont pas impliqués dans l’acte illicite sont tenus de ne pas
reconnaître la légitimité des conditions qui ont donné lieu à sa commission (voir page 155). Sur le
même sujet, le projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite
évoqué plus haut «interdit» aux Etats d’aider à maintenir des situations qui conduisent à des
violations et les «oblige» à user de tous les moyens légitimes pour mettre fin aux activités illicites
(art. 41).
9.1. Il y a un contraste saisissant entre la reconnaissance de l’immunité de juridiction des
Etats responsables de telles infractions et l’analyse normative exposée plus haut, en ce qu’une telle
reconnaissance ne contribue pas à protéger, mais entrave au contraire, ces normes et principes
considérés par la communauté des nations comme étant si essentiels qu’ils justifient l’adoption de
mesures obligatoires en cas de violations graves. Il ne fait aucun doute qu’en cas de contradiction
entre deux normes également contraignantes, c’est la norme ayant le statut le plus élevé qui doit
prévaloir. Cela a été mis en évidence dans l’arrêt dissident de la minorité (huit contre neuf) rendu
dans l’affaire Al-Adsani, où les juges étaient d’avis que, dans ces conditions, l’Etat fautif ne devrait
pas pouvoir jouir d’une immunité de juridiction étrangère. Il semble que le même point de vue ait
été exprimé dans l’arrêt Furundžija qui mentionne la possibilité pour la victime «d’engager une
action civile pour dommages et intérêts devant les juridictions d’un Etat étranger» comme l’une des
conséquences d’une violation normative de ce type commise «à un niveau interétatique».
9.2. L’objection selon laquelle il n’existe aucune norme de droit international prévoyant
expressément une telle exception au principe de l’immunité des Etats est irrecevable (voir
Al-Adsani, 61 ; Houshang Bouzari c. République islamique d’Iran, Cour suprême d’Ontario
- 10 -
(Canada), 1er mai 2002, par. 63). Le respect des droits inviolables de la personne humaine jouit
désormais véritablement du statut de principe fondamental de l’ordre juridique international (outre
les affaires déjà mentionnées, voir Royaume-Uni c. Albanie, Cour internationale de Justice,
9 avril 1949 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Cour
internationale de justice, 27 juin 1986, par. 219). Il est impossible que ces principes n’apparaissent
pas dans la portée des autres principes qui se trouvent traditionnellement au cœur même de l’ordre
juridique international, notamment le principe de l’«égalité souveraine» des Etats, qui prend en
compte la reconnaissance de l’immunité de juridiction d’un Etat devant les juridictions civiles
d’autres Etats.
Dans les faits, les normes juridiques ne sont jamais interprétées séparément les unes des
autres, parce qu’elles se précisent et se complémentent entre elles et parce qu’elles dépendent les
unes des autres dans leur application (voir Al-Adsani, par. 55 ; McElhinney, par. 36). Ces décisions
font spécifiquement référence aux normes conventionnelles, mais il ne fait aucun doute que des
critères analogues s’appliquent à l’interprétation des normes coutumières qui, comme les normes
conventionnelles, appartiennent à un système juridique et ne peuvent donc qu’être interprétées
correctement lorsque replacées dans le cadre des autres normes qui en font partie intégrante (voir
l’article 30 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’Assemblée générale
des Nations Unies le 10 décembre 1948).
10. La Cour est consciente que le droit des Etats de se prévaloir de l’immunité de juridiction
à l’égard des demandes de réparation découlant de la commission de crimes internationaux a
récemment été affirmé. Toutefois, les arrêts en question concernent des affaires relatives à des
actes illicites commis dans un Etat autre que celui où l’affaire a été jugée (outre les arrêts rendus
dans les affaires Al-Adsani et Houshang Bouzari, voir R v. Bow Street Metropolitan Magistrate and
others, ex parte Pinochet, Chambre des lords, 24 mars 1999, et plus particulièrement l’opinion
exprimée obiter dicta par Lord Hutton selon laquelle le Chili, bien que jugé internationalement
responsable pour les crimes commis durant le régime Pinochet, aurait pu invoquer l’immunité à
l’égard de toute demande de réparation introduite contre lui devant les juridictions anglaises). Ces
arrêts portent sur une situation différente de celle actuellement à l’examen. En effet, ainsi qu’il a
déjà été établi, en la présente espèce, l’acte criminel a été commis dans le pays où l’action en
justice a été engagée et a été jugé comme constituant un crime international.
Aussi, les délibérations exposées dans ces arrêts n’invalident-elles pas les conclusions déjà
tirées plus haut. De fait, elles peuvent être résumées dans la proposition (implicitement formulée
par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kalogeropoulou et autres c. la Grèce
et l’Allemagne du 12 décembre 2002 où l’immunité de juridiction exécutive a été expressément
évoquée comme étant différente de celle examinée en l’espèce) selon laquelle seule une disposition
normative expresse pourrait justifier de faire exception au principe de l’immunité de l’Etat. Cela
dit, quelle que soit la fréquence avec laquelle cette proposition est répétée, la Cour ne saurait
l’admettre.
10.1. L’avis exprimé aux paragraphes précédents est ainsi réaffirmé. En outre, l’approche
générale adoptée envers la responsabilité pour faits illicites est en train de changer grâce à
l’adoption d’un autre critère que celui fondé sur les actes accomplis jure imperii et jure gestionis
dont l’insuffisance a été amplement démontrée à l’égard de ce type de différend. Cela ressort
clairement des arrêts Al-Adsani et Houshang Bouzari qui portaient l’un et l’autre sur des actes de
torture commis par des agents de police sur des prisonniers (et relevaient, en tant que tels, de
l’exercice du pouvoir souverain). Toutefois, dans ces deux affaires, les juridictions ont constaté
que l’Etat étranger jouissait d’une immunité de juridiction au motif que les actes illicites avaient été
commis dans un Etat autre que celui où l’action en justice avait été introduite.
- 11 -
Dans la pratique, conformément aux normes applicables en Angleterre et au Canada, la
faculté d’un Etat étranger de se soustraire à une action en justice tendant à obtenir la réparation d'un
préjudice corporel ou matériel en invoquant l’immunité de juridiction civile est réglementée par cet
autre critère. La section 5 de la loi de 1978 intitulée State Immunity Act prévoit que l’immunité ne
constitue pas une défense face à une demande de réparation pour un préjudice «causé par un acte
ou une omission survenus au Royaume-Uni». Par analogie, la section 6 de la loi canadienne
intitulée State Immunity Act prive elle aussi un Etat étranger du privilège de l’immunité à l’égard
d’une demande de réparation pour un préjudice «qui a lieu au Canada». Il importe de garder à
l’esprit que les mêmes principes sous-tendent :
⎯ la convention européenne sur l’immunité de l’Etat, entrée en vigueur le 11 juin 1976 et ratifiée
à ce jour par huit Etats, dont le Royaume-Uni ;
⎯ la législation interne d’autres pays non signataires de cette convention, dont, outre le Canada,
les Etats-Unis d’Amérique (section 1605 5) de la loi de 1976 intitulée Foreign Sovereign
Immunities Act), l’Afrique du Sud (section 3 de la loi de 1981 intitulée Foreign States
Immunity Act ) et l’Australie (loi de 1985 intitulée Foreign States Immunity Act) ;
⎯ l’article 12 du projet d’articles sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens
rédigé par la Commission du droit international des Nations Unies.
Contrairement à ce qu’affirme la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt qu’elle
a rendu le 21 novembre 2001 en l’affaire McElhinney, la portée expresse des normes à l’examen ne
s’applique pas uniquement à un préjudice découlant d’actes sans lien avec l’exercice de
souveraineté de l’Etat étranger. La Cour a fondé son affirmation sur un passage du rapport
explicatif que la Commission du droit international a établi pour le projet de convention des
Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens, dans lequel il est affirmé
que l’article 12 concerne «essentiellement» les dommages «assurables», tels que ceux causés par
des accidents de la circulation (voir le paragraphe 38 de l’arrêt). Toutefois, comme les juges
Caflisch, Cabral, Barreto et Vajic l’ont bien précisé dans leur «opinion dissidente», cette
affirmation s’inscrit dans un contexte très large où il est clair que l’exception au principe de
l’immunité de l’Etat, sur la base des normes dont il est ici question, s’étend même aux préjudices
«internationaux» et aux préjudices causés par des actes criminels, dont l’homicide et l’assassinat
politique. Ils ont également ajouté (par une précision concluante pour notre démonstration) que la
distinction entre des actes accomplis jure imperii et des actes accomplis jure gestionis est
dépourvue de pertinence en ce qui concerne les demandes de réparation pour «atteintes à l’intégrité
physique d’une personne» ou pour dommage ou perte d’un bien «corporel».
Comme l’ont reconnu les avocats de l’accusé à la page 9 de leurs demandes, ces déclarations
semblent ainsi indiquer une tendance consistant à passer outre la théorie de l’immunité restreinte.
En outre, selon l’arrêt rendu en l’affaire Voiotia, le même critère constitue désormais une norme
coutumière. Il est donc incontestable que le critère fondé sur la nature de l’acte nuisible ne peut
plus être considéré comme généralement applicable.
10.2. On trouve une nouvelle confirmation du déclin progressif de la pertinence de ce critère
à l’égard des différends découlant de demandes de réparation fondées sur des actes illicites
(évoquée dans le rapport du groupe de travail sur l’immunité de l’Etat de la Commission du droit
international rédigé le 6 juillet 1999, voir appendices 9 et 10) dans l’amendement apporté à la loi
américaine de 1976 intitulée Foreign Sovereign Immunities Act. Cet amendement ajoute un
nouveau cas de figure à ceux déjà envisagés à la section 1605 de la loi dans lequel les Etats
étrangers ne peuvent pas invoquer l’immunité de juridiction. L’amendement exclut expressément
l’immunité de juridiction à l’égard des demandes de réparation en cas de décès ou de dommages
corporels résultant d’«actes de torture, d’un meurtre, d’un sabotage aérien et d’une prise d’otage»
(section 221 de la loi intitulée Anti-Terrorism and Effective Death Penalty Act).
- 12 -
Le champ d’application de cet amendement est limité puisque l’exception n’est valide qu’à
l’égard des Etats nommément désignés par le Département d’Etat des Etats-Unis comme
«promoteurs» du terrorisme. De ce fait, son introduction a été accueillie avec une certaine réserve
étant donné que la création, par la décision unilatérale d’un seul pays, d’une catégorie d’Etats
privés d’une prérogative qui s’applique à tous les autres Etats de la communauté internationale ne
semble pas être conforme au principe de l’«égalité souveraine» des Etats, lequel présuppose que
tous les Etats sont juridiquement égaux et à même de conduire leur relations mutuelles dans des
conditions de parfaite parité tout en jouissant de l’ensemble des droits inhérents à leur
«souveraineté» (Déclaration des Nations Unies relative aux relations amicales et à la coopération
entre les Etats adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 24 octobre 1970).
On trouve aisément, dans la norme susmentionnée, confirmation du statut prioritaire qui,
dans le cas d’activités criminelles particulièrement graves, est désormais accordé à la protection des
droits de l’homme fondamentaux, laquelle prime sur la protection des intérêts de l’Etat à travers la
reconnaissance de l’immunité de juridiction à l’égard des tribunaux étrangers. Cela est même vrai
de pays comme les Etats-Unis qui, encore récemment, souscrivaient farouchement à la théorie de
l’immunité absolue. Cela est d’autant plus pertinent lorsque l’on tient compte du fait que de
nombreuses décisions judiciaires se sont fondées sur le même principe : fin 2001, les juridictions
américaines avaient rendu au moins douze arrêts contre des Etats étrangers (Alejandre v. Republic
of Cuba, 17 décembre 1997 ; Flatow v. Islamic Republic of Iran, 11 mars 1998 ; Cicippio
v. Islamic Republic of Iran, 27 août 1998 ; Anderson v. Islamic Republic of Iran, 24 mars 2000 ;
Eisenfeld v. Islamic Republic of Iran, 11 juillet 2000 ; Higgins v. Islamic Republic of Iran,
21 septembre 2000 ; Sutherland v. Islamic Republic of Iran, 25 juin 2001 ; Polhill v. Islamic
Republic of Iran, 23 août 2001 ; Wagner v. Islamic Republic of Iran, 6 novembre 2001 ; Mousa
v. Islamic Republic of Iran, 19 septembre 2001 ; Jenco v. Islamic Republic of Iran, 2001 ;
Da Liberti v. Islamic Republic of Iran, 5 décembre 2001), dont trois ont été prononcés avant
l’introduction de la présente affaire le 23 septembre 1998. Il convient également d’ajouter à ces
arrêts les directives publiées par le tribunal du district de New York le 26 février 1998 et par la
Cour d’appel pour le deuxième circuit le 15 décembre 1998 qui, appliquant le même principe, ont
déclaré que les juridictions américaines étaient compétentes pour connaître de l’affaire
Royaume-Uni c. Libye relative à l’explosion de Lockerbie.
11. Une dernière observation s’impose. Il est à présent évident que l’immunité fonctionnelle
des organes de l’Etat étranger ne peut plus être invoquée à l’égard des crimes internationaux. Les
dispositions conventionnelles sont ambiguës à cet égard (l’article 27 du statut de la Cour pénale
internationale renforce un principe déjà présent dans les statuts du Tribunal militaire international
de Nuremberg et des tribunaux pénaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda). Cela dit, pour ce qui
est de la pratique judiciaire, il suffit de rappeler l’arrêt rendu par la Cour suprême d’Israël en
l’affaire Eichmann le 29 mai 1962, l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale pour le deuxième
circuit des Etats-Unis le 30 mai 1980 en l’affaire Filartiga v. Pena-Irala, l’arrêt rendu le
12 avril 1995 par le tribunal du district du Massachusetts en l’affaire Xuncax v. Gramajo et celui
prononcé par le tribunal du district de New York le 18 avril 1998 en l’affaire Cabiri v. Assassie
Gymah, autant de décisions qui ont conclu que l’immunité de l’Etat ne constituait pas une défense
contre la commission d’un crime international.
Selon l’opinion dominante, l’immunité fonctionnelle constitue une sous-catégorie de
l’immunité de l’Etat, en ce qu’elle permet d’empêcher que des requérants déjouent cette dernière
en engageant une action en justice contre la personne agissant pour le compte de l’Etat. Toutefois,
s’il est vrai – comme la Cour semble le penser – que cette immunité fonctionnelle ne s’applique pas
aux cas où l’acte mis en cause constitue un crime international, rien ne justifie, dans les mêmes
conditions, d’affirmer l’immunité de l’Etat et d’empêcher ainsi que la responsabilité d’un Etat pour
de tels crimes soit examinée devant les juridictions d’un autre Etat.
- 13 -
12. Tout cela confirme qu’en l’espèce, la République fédérale d’Allemagne n’a pas le droit
de bénéficier d’une immunité de juridiction devant les tribunaux italiens et que, partant, leur
compétence doit être affirmée. Par ailleurs, sur le plan normatif, cela était déjà le cas lorsque cette
action a été engagée.
Il a été porté à l’attention de la Cour que les actes sur lesquels se fonde la présente demande
ont eu lieu en Italie. Toutefois, étant donné qu’ils relèvent de la catégorie des crimes
internationaux, la compétence serait, en tout état de cause, établie conformément aux principes de
la compétence universelle...
La Cour de cassation fait droit au recours et confirme la compétence des juridictions
italiennes. L’arrêt est annulé et l’affaire est renvoyée devant la juridiction d’Arezzo.
[Rapport : RDI2004, p. 540 (en italien)]
Note – Un commentaire critique de l’arrêt ci-dessus, «Crimes de guerre et immunité de l’Etat
dans l’arrêt Ferrini» [War Crimes and State immunity in the Ferrini Decision] d’Andrea Gartini,
est reproduit dans la revue intitulée Journal of International Criminal Justice, 2005, p. 224. Voir
également «Déni de l’immunité des Etats étrangers à l’égard de la commission de crimes
internationaux : l’arrêt Ferrini» [Denying Foreign State Immunity for Commission of International
Crimes : The Ferrini Decision], Carlo Focarelli, 54 ICLQ, 2005, p. 951.
___________
- 14 -
ANNEXE 2
DÉCLARATION CONJOINTE DES GOUVERNEMENTS DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE
D’ALLEMAGNE ET DE LA RÉPUBLIQUE ITALIENNE
18 NOVEMBRE 2008
Déclaration conjointe
L’Italie et l’Allemagne partagent les mêmes idéaux en termes de réconciliation, de solidarité
et d’intégration, idéaux qui constituent le fondement de la construction européenne à laquelle les
deux pays ont participé avec conviction, continueront de participer et s’efforcent de faire
progresser.
Conformément à ce principe de coopération, ils se penchent également ensemble sur les
douloureux événements passés de la Seconde Guerre mondiale ; de conserve avec l’Italie,
l’Allemagne reconnaît sans réserve les épouvantables souffrances infligées aux Italiens et aux
Italiennes, en particulier durant les massacres, ainsi qu’aux anciens internés militaires italiens, et
garde en mémoire ces terribles faits.
Dans cet esprit, le vice-chancelier et ministre fédéral des affaires étrangères
Frank-Walter Steinmeier, accompagné du ministre des affaires étrangères Franco Frattini, s’est
rendu à la Risiera di San Sabba ⎯ faisant ainsi un geste empreint d’une grande valeur morale et
humanitaire ⎯ pour rendre hommage aux internés militaires italiens qui ont été maintenus dans ce
camp de transit avant d’être déportés en Allemagne, ainsi qu’à toutes les victimes que ce lieu
représente.
L’Italie respecte la décision de l’Allemagne de saisir la Cour internationale de Justice pour
qu’elle se prononce sur le principe d’immunité des Etats. L’Italie, tout comme l’Allemagne, est un
Etat parti à la convention européenne de 1957 pour le règlement pacifique des différends, et
considère le droit international comme un principe directeur de ses actions. C’est pourquoi l’Italie
estime que la décision de la CIJ sur l’immunité des Etats contribuera à éclaircir cette question
complexe.
___________
- 15 -
ANNEXE 3
TRAITÉ DE PAIX AVEC L’ITALIE
10 FÉVRIER 1947
Nations Unies, Recueil des traités, volume 49, no
747, page 3, article 77
' i
" 1
Treaties and international agreements registered
or filed and recorded with the Secretariat
of the United Nations
VOLUME 49 1950 I. No. 747
TABLE OF CONTENTS
1
Treaty registered on 15 March 1950
No. 747. Union of Soviet Sodalist Repuhlics, United Kingdom of
Great Britain ancl Northern lreland, United States of
America, France, Australia, etc. :
Treaty of Peace with Italy. Signed at Paris, on 10 February 1947
(For. maps a11nexed to Treaty, see Volume 50)
Page
3
Traités et accords internationaux enregistrés
ou classés et inscrits au répertoire au Secrétariat
de l'Organisation des Nations Unies
VOLUME 49 1950 i. N' 747
TABLE DES MATIERES
I
T raité enregistré le 15 mars 1950
No 747. Union des Répuhliques socialistes soviétiques, RoyaumeUni
de Grande-Bretagne .et d'Irlande du Nord, EtatsUnis
d'Amérique, France, Australie, etc.:
Traité de paix avec l'Italie. Signé à Paris, le l 0 février 194 7
(Voir cartes annexées au Traité, olume 50)
Page
3
160 United Nations - Treaty Series 1950
6. The provisions of this Article shall not be deemed to affect the
ownership of suhmarine cables . which, at the outbreak of the war~ were
owned by the ltalian Government or ltalian nationals. This paragraph shall
not preclude the application of Article 79 and Annex XIV to suhmarine
cables.
Article 77
l. From the coming into force of the present Treaty property in Germany
of Ital y and of. Italian nationals shall no longer be treated as tmemy
property and ali restrictions based on such treatment shall be removed.
2. Identifiable property of ltaly and of Italian nationals removed hy
force or duress from Italian territory to Germany hy Gerrilan forces or
authorities after September 3, 1943, shall be eligible for· restitution.
3. The restoration and restitution of Italian property in Germany shall
be efiected in accordance with meas~es which will be . determined hy the
Powers in occupation of Germany.
4. Without prejudice to these and to any other dispositions in favour of
ltaly and ltalian nationals hy the Powers occupying Gerniimy, ltaly waives ~
on its own behalf and on hehalf of Italian nationals all cla:ims against
German y and German nationals outstanding on May 8, 1945, except those
arising out of cOntracts and other obligations entered into, and rights acquired,
hefore September 1, 1939. This waiver shall be deemed to include
debts, au · inter-governmental claims in respect of arrangements entered into
in the course of the war, and ail claims for loss or damage arising during
the war.
5. Italy agrees to take all neces.sary measures to facilitate s.uch hansfers
of German assets in Italy as may be determined by those of the Powers
occupying Germany which are empowered to dispose of the said assets.
PART VII
PROPERTY, RIGHTS AND INTERESTS
SECTION I-UNITED NATIONS PROPERTY IN ITAL Y
Article 78
1. In so far as Italy bas not already done so, Italy shall restore ali legal
rights and interests in Italy of the United Nations and their nationals as
1950 Nations Unies - Recueil des Traités 161
they existed on June 10, 1940, and !:\hall return ail property in Italy of the
United Nations and theil· nationals as it now exists.
2. The Italian Government undertakes that ali prope~ty, rights and
interests passing und er this Article shall be restored free of ail encumbrances
and charges of any kind to which they may have become subject as a result
of the war and without the imposition of any charges by the ltalian Government
in- connection with their return. The Italian Government shill nullify
ail measmes, including seizures, sequestration or control, taken by it against
United Nations property between Jnne 10, 1940, and the coming into force
of the present 'I:reaty. In cases w}:J.ere the property has not been returned
within six moaths from the coming into force of the present Treaty, application
shall be made to the Italian authorities not later than twelve months
from the coming into force of the present Treaty, except iii cases in which the
claimant is able to show that he could not file his application within this ·
period. . . .
3. The ltalian Government shall invalidate trilllSfers involvin~ prop-
. erty, rights and interests of any description belonging to United Nations
nationals, wh~re such transfers resulted from force or duress exerted by
Axis Governments or their agencies during the war,
4. (a) The ltalian Government shall be responsible for the resto ration
to complete gocid order of the property retilffied to United Nations nationals
w1der paragraph 1 of this Alticle. In cases where property cannot be returned
or where, as a result of the war; a United Nations national has suffered
a ·Ioss by reason of in jury or damage to property in Ital y; he shall
œceive from· the Italian Government compensation in lire to the extent of
two-thirds of the sum ~ecessary, at the date of payment, to purchase similar
property or to make good the loss suffered. In no event shall United Nations
nationals receive less favourable treatment with respect to compensation
than that accorded to Italian nationals.
(b) United Nations nationals who hold, directly or Ï11directly, ov{n·
ership interests Îll corporations or associations which .are not United Nations
nationals within the meaning of paragraph 9 (a) of this A1ticle, but which
have su:ffered a loss by reason of injury or damage to property in Italy, sball
receive compensation in aceordance with sub-paragraph (a) above. This
il l t,
·l
,ii
. !
42 United Nations- Treaty Series 1950
6. Les dispositions du présent articl~ ne devront pas être considérées
comme affectant les droits de propriété sur les câbles sous-marins qui, au
début de la guerre, appartenaient au Gouvernement italien ou à des
ressortissants italiens. Ce paragraphe ne fera pas obstacle à l'application
aux câbles sous-marins de l'altièle 79 et de l'annexe xrv.
Article 77
1. A dater de l'entrée en vigueur du présent Traité, les biens en
Allemagne de l'Etat et des ressmtissants italiens ne seront plus considérés
comme biens ennemis et toutes les restrictions résultant de leur caractère
ennemi seront levées.
2. Les biens identifiables de l'Etat et des ressortissants italiens que
les forces armées ou les autorités allemandes ont enlevés, par force ou par
· contrainte, du territoire italien et emportés en Allemagne après le 3 septembre
1943, donneront lieu à restitution.
3. Le rétablissement des droits de propriété ainsi que la restitution
des biens italiens en Allemagne seront effectués ~onformément aux mesures
qui seront arrêtées par les Puissances occupant l'Allemagne.
4. Sans préjudice de ces dispositions et de toutes autres qui seraient
prises en faveur de l'Italie et des ressortissants italiens par les Puissances
occupant l'Allemagne, l'Italie renonce, en son nom et au nom des ressortissants
italiens, à toutes réclamations contre l'Allemagne et les ressortissants
allemands~ qui n'étaient pas réglées au 8 mai 1945, à l'exception de celles
qui résultent de contrats et d'autres obligations qui étaient en vigueur
ainsi que ~ droits qui étaient acquis avant le 1..,. septembre 1939. Cette
renonciation sera considérée comme s'appliquant aJL'C créances, à toutes
les i·éclamations de caractère intergouvernemental relatives à des accords
conclus au cours de la guerre et à toutes les réclamations portant sur des
pertes ou des dommages survenus pendant la: guerre.
5. L'Italie s'engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour
faciliter les transferts des biens allemands se t:J:ouvant en Italie, qui pourront
être décidés par celles des Puissances occupant l'Allemagne qui ont
-- -~ ;- rl.,. rli•mMP:r des biens allemands se trouvant en Italie.
Nations Unies- Recueil des Traités
PARTIE VII
BIENS, DROITS ET INTERETS
SECTION !-BIENS DES NATIONS ÜNIES EN ITALIE
Article 78
43
l. Pour autant qù'elle ne l'a pas déjà fait, l'Italie rétablira tous les
droits et intérêts légaux en Italie des Natioris Unies et de leurs ressortissants,
tels qu'ils existaient au lü juin 194.0, et restituera: à ces Nations
Unies et à leurs ressortissants tous les biens leur appartenant en Italie
dans l'état où ils se trouvent actuellement."
2. Lé Gouvernement italien restituera tous les biens, droits et intérêts
visés au présent article, libres de toutes hypothèques et charges quelconques
dont ils auraient pu être grevés du fait de la guerre, et sans que la restitution
donne lieu à la perception d'aucune somme de la part du Gouvernement
italien .. Le Gouvernement italien annulera toutes mesures, y compris
les mesures de saisie, de séquestre ou de contrôle, prises par lui à l'égard
des bieris des Nations Unies entre le 10 juin 1940 et la date d'entrée en
vigueur du présent Traité. Dans le cas où le bien n'aurait pas été restitué
dans les six mois à compter de la date d'entrée en vigueur du présent
Traité,· la demande devra être présentée aux autorités italiennes dans un
délai maximum de douze mois à compter de cette même date, sauf dans les
cas où le demandeur serait en mesure d'établir qu'il lui a été impossible de
présenter sa demande dàns ce délai.
3. Le Gouvernement italien annulera les transferts portant sur des
biens, droits et intérêts de toute nature appartenant à des ressortissants
des Nations Unies, lorsque ces transferts résultent de mesures de force ou
de contrainte prises au cours de la guerre par les Gouvernements des
Puissances de l'Axe ou par leurs organes.
4. (a) L.e Gouvernement italien sera responsable de la remise en
parfait état des biens restitués à des ressortissants des Nations Unies en
vertu du paragraphe l du présent article. Lorsqu'un bien ne pourra être
restitué ou que, du fait de la guerœ, le ressortissant d'une Nation Unie
aura subi une . perte par suite d'une atteinte ou d'un dommage causé à un
bien en Italie, le Gouvernement italien indemnisera le propriétaire en
versant une somme en lires jusqu'à concurrence des deux tiers de la somme
- 19 -
ANNEXE 4
TRAITÉ CONCLU ENTRE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE ET LA RÉPUBLIQUE
ITALIENNE PORTANT RÈGLEMENT DE CERTAINES QUESTIONS D’ORDRE PATRIMONIAL,
ÉCONOMIQUE ET FINANCIER
LE 2 JUIN 1961
[Traduction]
Extrait du Bundesgesetzblatt (Journal officiel de la République fédérale d’Allemagne), 1963,
partie II, p. 669-677
Traité conclu entre la République fédérale d’Allemagne et la République italienne portant
règlement de certaines questions d’ordre patrimonial, économique et financier
LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE ET LA RÉPUBLIQUE ITALIENNE
DANS L’ESPRIT D’AMITIÉ CORDIALE EXISTANT ENTRE LES DEUX PAYS
SONT CONVENUES DE CE QUI SUIT :
PREMIÈRE PARTIE
Questions économiques
Article premier
1. Aux fins du règlement des questions économiques pendantes, la République fédérale
d’Allemagne versera à la République italienne le montant de 40 millions de marks allemands.
2. Ce montant sera versé sur un compte devant être ouvert au nom du Trésor italien auprès
de la Banca Nazionale del Lavoro en deux paiements de 20 millions de marks allemands ; le
premier sera versé un mois après l’entrée en vigueur du présent traité, et le second, un an après son
entrée en vigueur.
Article 2
1. Le Gouvernement italien déclare que toutes les réclamations pendantes de la République
italienne ou de personnes physiques ou morales italiennes contre la République fédérale
d’Allemagne ou contre des personnes physiques ou morales allemandes sont réglées, pour autant
qu’elles soient fondées sur des droits et situations de fait nés au cours de la période allant
du 1er septembre 1939 au 8 mai 1945.
2. Le Gouvernement italien indemnisera la République fédérale d’Allemagne et les
personnes physiques ou morales allemandes à la suite d’éventuelles poursuites judiciaires ou autres
actions intentées par des personnes physiques ou morales italiennes ayant un rapport avec les
réclamations susmentionnées.
Article 3
Le présent traité est sans préjudice des questions des restitutions extérieures et des biens
expropriés.
- 20 -
Article 4
1. Le présent traité ne s’applique pas non plus aux comptes ouverts à Rastatt, Hambourg,
Düsseldorf ou dans d’autres villes, au nom d’anciens prisonniers de guerre, déportés et travailleurs
étrangers en République fédérale d’Allemagne, sur ordre des autorités d’occupation.
2. En ce qui concerne lesdits comptes, les bénéficiaires italiens seront traités de la même
manière que les ressortissants des autres pays avec lesquels ont été conclus des accords en la
matière.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Echange de lettres
[page 676]
Le Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères
de la République fédérale d’Allemagne
Bonn, le 2 juin 1961
Monsieur l’Ambassadeur,
J’ai l’honneur de me référer à l’article 3 du traité signé ce jour entre la République fédérale
d’Allemagne et la République italienne portant règlement de certaines questions d’ordre
patrimonial, économique et financier, et de constater l’existence d’un consensus sur la question
suivante :
L’article 3 dudit traité doit être entendu simplement comme affirmant que l’accord ne
préjuge en aucune manière et à aucun égard du dénouement des litiges pendants devant la
Schiedskommission für Güter, Rechte und Interessen in Deutschland (Commission d’arbitrage
concernant les biens, droits et intérêts en Allemagne) de Coblence, devant le Bundesamt fur äußere
Restitutionen (Bureau fédéral pour les restitutions extérieures) de Bad Homburg et devant les
juridictions allemandes. De même, ledit traité est sans préjudice des questions concernant la
restitution de biens culturels ayant fait l’objet d’une spoliation.
Veuillez agréer, Monsieur l’Ambassadeur, l’assurance de ma haute considération.
(Signé) CARSTENS
A son Excellence M. Pietro Quaroni
Ambassadeur d’Italie
*
Ambassade d’Italie
Bonn, le 2 juin 1961
Monsieur le Secrétaire d’Etat,
J’ai l’honneur d’accuser réception de votre lettre de ce jour, dont la traduction se lit comme
suit :
- 21 -
«J’ai l’honneur de me référer à l’article 3 du traité signé ce jour entre la République fédérale
d’Allemagne et la République italienne portant règlement de certaines questions d’ordre
patrimonial, économique et financier, et de constater l’existence d’un consensus sur la question
suivante :
L’article 3 dudit traité doit être entendu simplement comme affirmant que l’accord ne
préjuge en aucune manière et à aucun égard du dénouement des litiges pendants devant la
Schiedskommission für Güter, Rechte und Interessen in Deutschland (Commission d’arbitrage
concernant les biens, droits et intérêts en Allemagne) de Coblence, devant le Bundesamt fur äußere
Restitutionen (Bureau fédéral pour les restitutions extérieures) de Bad Homburg et devant les
juridictions allemandes. De même, ledit traité est sans préjudice des questions concernant la
restitution de biens culturels ayant fait l’objet d’une spoliation.»
Au nom de mon gouvernement, je souscris au contenu de votre lettre.
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire d’Etat, l’assurance de ma haute considération.
(Signé) QUARONI
A son Excellence M. Karl Carstens
Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères
de la République fédérale d’Allemagne
*
Le Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères
de la République fédérale d’Allemagne
Bonn, le 2 juin 1961
Monsieur l’Ambassadeur,
J’ai l’honneur de me référer à l’article 18 de l’accord signé ce jour entre la République
fédérale d’Allemagne et la République italienne portant règlement de certaines questions d’ordre
patrimonial, économique et financier, et de vous informer au nom de mon gouvernement que celuici
se féliciterait au cas où le gouvernement italien prendrait toutes les mesures nécessaires en vue
du transfert immédiat à la République fédérale d’Allemagne des montants visés à l’article 18 ou en
vue du versement de ces montants sur un compte non résident à partir duquel les fonds pourront
être librement transférés.
Veuillez agréer, Monsieur l’Ambassadeur, l’assurance de ma haute considération.
(Signé) CARSTENS
A son Excellence M. Pietro Quaroni
Ambassadeur d’Italie
*
- 22 -
Ambassade d’Italie
Bonn, le 2 juin 1961
Monsieur le Secrétaire d’Etat,
J’ai l’honneur d’accuser réception de votre lettre de ce jour, dont la traduction se lit comme
suit :
«J’ai l’honneur de me référer à l’article 18 de l’accord signé ce jour entre la
République fédérale d’Allemagne et la République italienne portant règlement de
certaines questions d’ordre patrimonial, économique et financier, et de vous informer
au nom de mon gouvernement que celui-ci se féliciterait au cas où le gouvernement
italien prendrait toutes les mesures nécessaires en vue du transfert immédiat par la
République fédérale d’Allemagne des montants visés à l’article 18 ou en vue du
versement de ces montants sur un compte non résident à partir duquel les fonds
pourront être librement transférés.»
Au nom de mon gouvernement, je souscris au contenu de votre lettre et vous assure que le
gouvernement italien prendra toutes les mesures nécessaires en vue du transfert immédiat à la
République fédérale d’Allemagne des montants mentionnés à l’article 18 du traité auquel se réfère
le présent échange de lettres, ou en vue du versement de ces montants sur un compte non résident à
partir duquel les fonds pourront être librement transférés.
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire d’Etat, l’assurance de ma haute considération.
(Signé) QUARONI.
A son Excellence M. Karl Carstens
Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères
de la République fédérale d’Allemagne
___________
- 23 -
ANNEXE 5
TRAITÉ RELATIF À L’INDEMNISATION DES RESSORTISSANTS ITALIENS AYANT FAIT L’OBJET DE
MESURES DE PERSÉCUTION SOUS LE RÉGIME NATIONAL-SOCIALISTE
LE 2 JUIN 1961
[Traduction]
Extrait du Bundesgesetzblatt (Journal officiel de la République fédérale d’Allemagne), 1963,
partie II, pp. 793-797
Traité conclu entre la République fédérale d’Allemagne et la République italienne relatif à
l’indemnisation des ressortissants italiens ayant fait l’objet de mesures de persécution sous le
régime national-socialiste
LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE ET LA RÉPUBLIQUE ITALIENNE
SONT CONVENUES DE CE QUI SUIT :
Article premier
1. La République fédérale d’Allemagne s’engage à verser à la République italienne le
montant de 40 millions de marks allemands en faveur des ressortissants italiens qui, en raison de
leur race, croyance ou idéologie, ont fait l’objet de mesures de persécution sous le régime
national-socialiste et qui, à la suite de ces mesures de persécution, ont subi une privation de liberté
ou des atteintes à leur santé, ainsi qu’en faveur des ayants droit des personnes qui sont décédées à
la suite de telles mesures.
2. La manière dont ce montant sera utilisé en faveur de la catégorie de personnes
susmentionnées est laissée à la discrétion du Gouvernement de la République italienne.
Article 2
La République fédérale d’Allemagne mettra le montant susmentionné à la disposition de la
République italienne dans un délai d’un mois suivant l’entrée en vigueur du présent traité.
Article 3
Le paiement prévu à l’article premier porte règlement définitif entre la République fédérale
d’Allemagne et la République italienne de toutes les questions faisant l’objet du présent traité, sans
préjudice des droits éventuels de ressortissants italiens fondés sur la législation allemande en
matière d’indemnisation.
Article 4
Le présent traité s’applique également au Land de Berlin, à moins que le Gouvernement de
la République fédérale d’Allemagne ne soumette une déclaration en sens contraire au
Gouvernement de la République italienne dans les trois mois suivant l’entrée en vigueur du présent
traité.
Article 5
1. Le présent traité est soumis à ratification. Les instruments de ratification seront échangés
aussitôt que possible à Rome.
- 24 -
2. Le présent traité entrera en vigueur le lendemain de l’échange des instruments de
ratification.
EN FOI DE QUOI les plénipotentiaires, après avoir échangé leurs pouvoirs constatés en
bonne et due forme, ont signé le présent traité et y ont apposé leur sceau.
FAIT à Bonn, le 2 juin 1961, en quatre exemplaires originaux faisant également foi, deux en
langue allemande et deux en langue italienne.
Pour la République fédérale d’Allemagne :
Carstens
Westrick
Pour la République italienne :
P. Quaroni
Echange de lettres
Le Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères
de la République fédérale d’Allemagne
Bonn, le 2 juin 1961
Monsieur l’Ambassadeur,
Conformément à l’article 3 du traité relatif à l’indemnisation des ressortissants italiens ayant
fait l’objet de mesures de persécution sous le régime national-socialiste, toutes les questions régies
par ce traité ⎯ sans préjudice des droits éventuels de ressortissants italiens fondés sur la législation
allemande en matière d’indemnisation ⎯ ont fait l’objet d’un règlement définitif.
J’ai l’honneur de vous informer à cet égard que, compte tenu de la nature particulière des
droits à indemnisation à raison des préjudices causés par les mesures de persécution
national-socialiste, le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne prendra les
dispositions suivantes concernant les droits des ressortissants italiens en vertu du
Bundesentschädigungsgesetz (loi fédérale d’indemnisation, ou loi «BEG»), tel que modifié
le 29 juin 1956, et du Bundesrückerstattungsgesetz (loi fédérale de restitution, ou loi «BRüG»)
du 19 juillet 1957 :
1. a) Dans le cadre d’une procédure spéciale, les demandes présentées par des ressortissants italiens
en vertu de la loi « BEG », qui auront été rejetées par les autorités compétentes allemandes en
matière d’indemnisation en vertu de l’article 77, paragraphe 4, du traité de paix avec l’Italie du
10 février 1947, devront être examinées conformément aux dispositions de la loi « BEG »,
sans qu’aucune objection ne soit soulevée sur la base de l’article 77, paragraphe 4, dudit traité
de paix.
b) En outre, lorsque de telles demandes auront été rejetées par un acte définitif, elles feront
l’objet d’un nouvel examen conformément à l’alinéa a) ci-dessus.
c) si les demandes formulées en vertu de la loi « BEG » n’ont pas été présentées dans le délai
prescrit par cette loi, elles pourront être soumises à un examen dans le cadre de la procédure
spéciale susmentionnée, dans un délai d’un an suivant l’entrée en vigueur du présent traité.
- 25 -
2. Le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne a déjà pris des mesures visant à
empêcher que des objections ne soient soulevées en vertu de l’article 77, paragraphe 4, du traité
de paix avec l’Italie à l’égard des demandes présentées par des ressortissants italiens en
application de la loi «BRüG». Il veillera à ce que ces demandes émanant de ressortissants
italiens, lorsqu’elles auront été rejetées par un acte définitif sur le fondement de l’article 77,
paragraphe 4 du traité de paix avec l’Italie, fassent l’objet d’un nouvel examen.
Veuillez agréer, Monsieur l’Ambassadeur, l’assurance de ma considération distinguée.
(Signé) CARSTENS
A son Excellence M. Pietro Quaroni
Ambassadeur d’Italie
*
Ambassade d’Italie
Bonn, le 2 juin 1961
Monsieur le Secrétaire d’Etat,
J’ai l’honneur d’accuser réception de votre lettre de ce jour, rédigée comme suit :
«Conformément à l’article 3 du traité relatif à l’indemnisation des ressortissants
italiens ayant fait l’objet de mesures de persécution sous le régime national-socialiste,
toutes les questions régies par ce traité ⎯ sans préjudice des droits éventuels de
ressortissants italiens fondés sur la législation allemande en matière
d’indemnisation ⎯ ont fait l’objet d’un règlement définitif.
J’ai l’honneur de vous informer à cet égard que, compte tenu de la nature
particulière des droits à indemnisation à raison des préjudices causés par les mesures
de persécution national-socialiste, le Gouvernement de la République fédérale
d’Allemagne prendra les dispositions suivantes concernant les droits des ressortissants
italiens en vertu du Bundesentschädigungsgesetz (loi fédérale d’indemnisation, ou loi
«BEG»), tel que modifié le 29 juin 1956, et du Bundesrückerstattungsgesetz (loi
fédérale de restitution, ou loi «BRüG») du 19 juillet 1957 :
1.a) Dans le cadre d’une procédure spéciale, les demandes présentées par des
ressortissants italiens en vertu de la loi « BEG », qui auront été rejetées par les
autorités compétentes allemandes en matière d’indemnisation en vertu de l’article 77,
paragraphe 4, du traité de paix avec l’Italie du 10 février 1947, devront être examinées
conformément aux dispositions de la loi « BEG », sans qu’aucune objection ne soit
soulevée sur la base de l’article 77, paragraphe 4, dudit traité de paix.
b) En outre, lorsque de telles demandes auront été rejetées par un acte
définitif, elles feront l’objet d’un nouvel examen conformément à l’alinéa a) ci-dessus.
c) si les demandes formulées en vertu de la loi « BEG » n’ont pas été
présentées dans le délai prescrit par cette loi, elles pourront être soumises à un examen
dans le cadre de la procédure spéciale susmentionnée, dans un délai d’un an suivant
l’entrée en vigueur du présent traité.
- 26 -
2. Le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne a déjà pris des
mesures visant à empêcher que des objections ne soient soulevées en vertu de
l’article 77, paragraphe 4, du traité de paix avec l’Italie à l’égard des demandes
présentées par des ressortissants italiens en application de la loi «BRüG». Il veillera à
ce que ces demandes émanant de ressortissants italiens, lorsqu’elles auront été rejetées
par un acte définitif sur le fondement de l’article 77, paragraphe 4 du traité de paix
avec l’Italie, fassent l’objet d’un nouvel examen.»
Le Gouvernement de la République italienne se félicite des mesures promises par le
gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et fait savoir qu’il y souscrit.
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire d’Etat, l’assurance de ma haute considération.
(Signé) Pietro QUARONI
Ambassadeur d’Italie.

A son Excellence M. Karl Carstens
Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères
de la République fédérale d’Allemagne
___________
- 27 -
ANNEXE 6
DÉCRET DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
NO
2043 DU 6 OCTOBRE 1963
Règles régissant l’attribution de la somme versée, à titre d’indemnisation des victimes
italiennes des persécutions nazies, par le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne en
application de l’Accord de Bonn du 2 juin 1961.
LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Vu l’article 87 de la constitution ;
Vu l’article 3 de la loi no
404 du 6 février 1963 relative à l’Accord conclu à Bonn, le
2 juin 1961, entre l’Italie et l’Allemagne aux fins d’indemnisation des victimes italiennes des
persécutions nazies ;
Après avis de la commission parlementaire mentionnée à l’article 3 de la loi susmentionnée ;
Après avis du Conseil des ministres ;
Sur proposition conjointe du président du Conseil des ministres, des ministres des affaires
étrangères, du trésor et des finances ;
Décrète :
Article 1
La somme versée par le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne au
Gouvernement de la République italienne, en application de l’Accord du 2 juin 1961, à titre
d’indemnisation du préjudice moral subi par les ressortissants italiens déportés en raison de leur
race, religion ou idéologie, est répartie entre les bénéficiaires selon les règles prévues par le présent
décret.
Peuvent prétendre au bénéfice de cette indemnisation toutes (les) personnes ⎯ peu importe les
circonstances [dans lesquelles elles ont été déportées] et le lieu où elles se trouvaient, fût-ce en
dehors du territoire italien ⎯ qui, pour les raisons mentionnées au paragraphe précédent, ont été
déportées vers les camps de concentration nazis pour l’un des motifs suivants :
a) participation à des opérations de libération, ou
b) exercice d’activités politiques au mépris des ordres donnés par le régime fasciste et les forces
d’occupation allemandes, ou
c) appartenance à un parti politique interdit par les régimes national-socialiste et fasciste, ou
d) participation à des manifestations ou des protestations dirigées contre le régime fasciste ou les
forces d’occupation allemande, ou
e) participation à des grèves ou, à l’occasion de ces grèves, manifestation d’hostilité envers les
forces d’occupation allemande, ou
- 28 -
f) arrestation au cours d’une fouille, d’une grève ou d’opérations de représailles, ou
g) persécution pour des motifs d’ordre racial.
Peuvent également prétendre au bénéfice de l’indemnisation susmentionnée : les prisonniers de
guerre ainsi que les travailleurs non volontaires pour le service du travail obligatoire en Allemagne
qui, suite à des actes de résistance ou réputés tels ou des actes qualifiés de «sabotage de l’appareil
industriel allemand» ont été transférés dans des camps de concentration nazis.
Article 2
Ne peuvent prétendre au bénéfice de l’indemnisation mentionnée à l’article premier
ci-dessus tous ceux qui, directement ou indirectement, ont déjà perçu une indemnisation à cette fin
de la République fédérale d’Allemagne.
Article 3
Aux fins du présent décret, l’expression «ressortissants italiens» s’entend des personnes qui
ont perdu ladite qualité aux termes du décret no
1381 du 7 septembre 1938.
La possession de la nationalité italienne au sens de l’article premier renvoie à la possession
de ladite nationalité à la date de la déportation.
Article 4
En cas de décès du déporté, pour une raison directement ou indirectement liée à la
déportation, l’indemnisation est versée dans l’ordre de priorité suivant :
a) au conjoint survivant qui, au moment du décès n’était pas légalement séparé du défunt par sa
faute ou celle des deux parties en vertu d’une décision devenue définitive et qui ne s’est pas
remarié depuis ;
b) aux enfants légitimes, enfant légitimés, enfants naturels reconnus, enfants adoptifs ou
apparentés (famille d’accueil) conformément au droit successoral (à partager entre eux) ;
c) aux parents légitimes, naturels, adoptifs ou apparentés (famille d’accueil) conformément au
droit des successions (à partager entre-eux) ;
d) aux frères et sœurs ;
e) aux personnes ayant pourvu à la subsistance et à l’éducation du déporté, devenu orphelin de
père et de mère avant ses douze ans, jusqu’à l’âge de sa majorité ou la survenue du fait
dommageable. Si le déporté n’a perdu que l’un de ses parents, les dispositions du présent alinéa
s’appliquent également au beau-père ou à la belle-mère.
A défaut de l’une quelconque des personnes susmentionnées aucune indemnisation ne sera
versée.
Les enfants des déportés qui sont décédés avant la date limite fixée pour déposer une
demande peuvent être remplacés par leurs descendants légitimes.
- 29 -
Peuvent en outre prétendre à indemnisation les ayants droit entrant dans les catégories visées
au premier alinéa du présent article, c’est-à-dire les ayants droit d’une personne qui a été tuée ou
qui est décédée au cours du transport à partir du lieu de l’arrestation ou de détention.
Article 5
Les déportés et autres bénéficiaires énumérés à l’article 4 qui ont été condamnés pour
collaboration par décision rendue en dernier ressort sont exclus du bénéfice de l’indemnisation.
Article 6
Les demandes d’indemnisation doivent, sous peine de forclusion, être adressées au ministère
du trésor dans les six mois suivant la date de publication du présent décret au Journal officiel
(Gazzetta Ufficiale).
En plus des données personnelles et de l’adresse du demandeur, les demandes comporteront
les informations suivantes :
⎯ l’heure et la date de l’arrestation ;
⎯ un résumé des motifs de l’arrestation ;
⎯ le nom et la localisation des camps de concentration et de déportation ;
⎯ la date du rapatriement ;
⎯ la date, effective ou présumée, du décès de ceux qui sont morts en déportation ou en
conséquence de celle-ci.
Si elle est soumise par un ancien déporté, la demande devra comprendre les documents
justificatifs suivants :
a) un certificat attestant que le demandeur était de nationalité italienne au moment de la
déportation ;
b) tout document attestant l’arrestation et la déportation et en exposant les motifs, tel que le
certificat de survivant de la déportation délivré par le préfet (prefetto) conformément à
l’article 8 du Decreto Luogotenneziale n° 27 du 14 février 1946 ou une déclaration délivrée par
les autorités visées à son article 13 ;
c) une déclaration par laquelle son auteur déclare n’avoir reçu versement d’aucune somme, ni
directement, ni indirectement, de la République fédérale d’Allemagne à titre d’indemnisation.
Cette déclaration doit être rédigée selon les modalités prévues à l’article 7 du décret du
président de la République n° 678 du 2 août 1957.
Si elle est soumise par un ayant droit, la demande sera accompagnée des documents suivants, en
plus de ceux mentionnés aux alinéas a) et c) ci-dessus :
d) un livret de famille ;
e) un certificat de décès si le déporté est mort après la libération ;
f) un document établissant que le décès est survenu par suite de la déportation ;
- 30 -
g) un acte notarié, ou une déclaration équivalente au sens de l’article 7 du décret du président de la
République n° 678 du 2 août 1957, rédigé et signé par l’intéressé, attestant l’absence d’autres
ayants droit prioritaires au sens de l’article 4 ci-dessus.
Article 7
Une commission est nommée par décret du président du Conseil des ministres aux fins
d’examiner les demandes et de s’assurer qu’elles satisfont aux conditions ouvrant droit à
indemnisation ; la commission peut de sa propre initiative accepter des preuves et prendre des
dispositions pour allouer la somme.
La commission comprend :
a) un représentant de la présidence du Conseil des ministres, qui en assure la présidence ;
b) un représentant du ministère des affaires étrangères ;
c) un représentant du ministère du trésor ;
e) un représentant du ministère de la défense ;
f) les présidents, ou leurs représentants, des organisations suivantes : Associazione nazionale ex
deportati politici nei campi nazisti ; Associazione nationale ex internati; Unione delle
Comunità israelitiche italiane ;
g) un secrétaire, sans droit de vote, choisi parmi le personnel d’encadrement du ministère du
trésor.
Article 8
L’examen des demandes par la commission est mené à bonne fin dans un délai d’un an à
compter de l’expiration de la date limite fixée à l’article 6. Dans les deux mois suivants, la
commission établit les listes des demandes déclarées recevables, en faisant la distinction entre les
survivants et les parents des déportés décédés.
Les listes seront publiées une seule fois au Journal officiel et pourront, dans les trente jours
suivant leur publication, faire l’objet d’un recours auprès du ministère du trésor qui statuera en
dernier ressort dans les trois mois par décision.
Pour chaque personne dont le nom est cité doivent être fournies, en plus de son adresse et
des données personnelles, les informations suivantes : lieu de l’arrestation, nom du (ou des)
camp(s) de déportation, durée en mois de la déportation ; et, pour les déportés décédés, la date
effective ou présumée du décès.
Article 9
Le nombre des mois est déterminé sur la base des critères suivants :
a) la présence dans les camps de concentration s’entend de la durée comprise entre la date de
l’arrestation et la date de rapatriement après la libération ;
- 31 -
b) pour ceux qui sont morts en déportation ou dans un délai de deux ans à compter du 8 mai 1945,
la durée à prendre en compte est de douze mois au minimum à condition que leur décès soit la
conséquence directe de la déportation ;
c) une durée supérieure à dix jours est assimilée à un mois, toute durée inférieure à dix jours ne
sera pas prise en compte.
Cependant, le nombre de parts attribuées à chaque bénéficiaire pour le décès ou la disparition
de plusieurs membres de la famille est limité à cinq, venant s’ajouter, le cas échéant, à la part qui
lui est due à titre personnel par suite de sa déportation.
Article 10
Lorsque les listes seront devenues définitives, la commission mentionnée à l’article 7,
assistée d’un agent de la Ragioneria generale dello Stato [la Comptabilité générale nationale],
prendra les mesures nécessaires pour allouer la somme à ses destinataires dans un délai de
deux mois.
A cette fin, la somme versée par la République fédérale d’Allemagne, augmentée des intérêts
échus à la date de publication des listes, telle que prévue à l’article 8, déduction faite des montants
visés à l’article 13, sera divisée par le nombre total de mois passés dans les camps de concentration
par tous les déportés pouvant prétendre à indemnisation.
Le nombre ainsi obtenu sera multiplié par le nombre de mois passés dans les camps de
concentration par [chaque personne déportée] ; le produit de la multiplication correspondant au
montant individuel dû à chaque demandeur pouvant prétendre à indemnisation.
Article 11
Le tableau de répartition acquiert force exécutoire par décret du ministre du trésor ; le
versement de l’indemnisation aux demandeurs interviendra dans un délai maximum de six mois par
virement sur le compte postal courant du lieu de résidence de l’intéressé.
Article 12
L’indemnisation s’effectuera en un seul versement pour chaque bénéficiaire. En cas de
décès du bénéficiaire après la répartition mais avant le versement effectif dudit montant,
l’indemnisation sera versée aux personnes visées à l’article 4.
Article 13
Une fraction de la somme versée par la République fédérale d’Allemagne, dont le montant
sera fixé par la commission visée à l’article 7 et n’excédera pas 2,5% du montant total, sera
attribuée et répartie à parts égales entre les trois associations suivantes : Associazione nazionale ex
deportati politici nei campi nazisti ; Associazione nationale ex internati ; Unione delle Comunità
israelitiche italiane.
Le ministère du trésor prévoira une provison de 1 % du montant total à répartir entre toutes
des personnes qui, s’étant trouvées dans un cas de force majeure avéré, n’ont pas pu soumettre leur
demande dans le délai imparti. Le montant qui sera versé à chacune de ces personnes sera
identique à celui alloué dans le cadre de l’attribution principale ou pourra, au besoin, être minoré
proportionnellement.
- 32 -
Si, dans les cinq ans suivant la publication du présent décret, la somme consignée
conformément aux dispositions du paragraphe précédent n’a pas été utilisée dans son intégralité, le
montant restant sera réparti à parts égales entre les trois associations susmentionnées.
Article 14
La somme versée par la République fédérale d’Allemagne en application de l’Accord du
2 juin 1961 sera déposée dans son intégralité sur un compte bancaire spécial portant intérêts,
domicilié au Trésor public central, avec pour intitulé «Fonds versé par la République fédérale
d’Allemagne aux fins d’indemnisation conformément à la loi n° 404 du 6 février 1963».
Les règles régissant le versement de l’indemnité aux demandeurs et les retraits du fonds
susmentionné sont arrêtées par le ministre du trésor.
Les sommes restant sur ledit compte spécial seront, après déduction des pourcentages visés à
l’article 13 et versement de l’indemnisation, attribuées à parts égales aux trois associations
susmentionnées.
Article 15
Tous les actes et documents relatifs aux demandes et à l’attribution et la répartition de la
somme versée sont exonérés de droits de timbre et d’enregistrement. Est exonérée de tous impôts,
droits ou taxes non seulement l’indemnité versée aux anciens déportés, mais aussi celle versée aux
ayants droit des déportés décédés.
Le présent décret, muni du sceau de l’Etat, sera publié dans le Recueil officiel des lois et
décrets de la République italienne. Toutes les parties concernées sont tenues de respecter et de
faire respecter le présent décret.
Fait à Rome, le 6 octobre 1963.
(Signé) Leone PICCIONE-COLOMBO-MARTINELLI
Authentifié par le garde des sceaux : BOSCO
Enregistré à la Cour des comptes le 17 janvier 1964
Actes du gouvernement, registre n° 179, feuillet n° 106-VILLA
___________
- 33 -
ANNEXE 7
COMPÉTENCE EN MATIÈRE CIVILE
COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS DE DROIT COMMUN ET DES JURIDICTIONS
ADMINISTRATIVES
Résistants
Cadre normatif
ARTICLE 7 DU DPR [DÉCRET DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE]
N° 2043 DU 6 OCTOBRE 1963.
[La Cour]
Composée de :
M. le Dr. Antonio BRANCACCIO, président de chambre
M. le Dr. Franco BILE, président de chambre
MM. Giovanni CASSATTA, conseiller
Giuseppe PERROTTI
Ernesto TILOCCA
Luigi COSTANZA
Domenico MALTESE
Onofrio FANELLI
Giorgio CHERUBINI, rapporteur,
Rend l’arrêt que voici :
Dans le pourvoi n° 4666-78 R.G.AA.CC. formé devant elle par :
Leonora MARCONI, ayant droit d’Emilio Marconi, ayant élu domicile auprès de la Cancelleria
Civile [greffe civil] de la Cour suprême de cassation, représentée par M. Giuseppe Mori en vertu du
mandat figurant en marge du recours introductif d’instance ;
⎯ Requérante
contre
MINISTÈRE DU TRÉSOR [Ministère des finances], en la personne du Ministre en exercice, ayant
élu domicile à Rome au n° 12 via dei Portoghesi, dans les bureaux de l’Avvocatura Generale dello
Stato [Bureau des conseillers juridiques de l’Etat] qui le représente en vertu de la loi ;
Défendeur
en cassation de l’arrêt n° 424 rendu par le Conseil d’Etat et publié le 19 avril 1977 ;
- 34 -
Après lecture du rapport du juge Cherubini à l’audience du 30 octobre 1986 ;
Après avoir entendu Maître Bruno;
Après avoir entendu le Ministère public, représenté en la personne du Dr. Evandro Minetti,
Procureur adjoint près la Cour de cassation, qui a conclu au rejet du pourvoi.
Motifs de l’arrêt
Sur le moyen unique de cassation, Mme Marconi fait grief à l’arrêt attaqué de ce que tous les
motifs avancés par le Conseil d’Etat pour décliner sa compétence seraient erronés.
Plus particulièrement, la requérante observe que :
1) aucune obligation juridique à charge de qui que ce soit ne peut être mise en évidence dans
les cas régis par le DPR n° 2043 du 6 octobre 1963 si bien que la situation subjective de
ceux entre lesquels la somme versée par la République fédérale d’Allemagne [RFA] sera
répartie ne pourra jamais donner naissance à un droit subjectif; pareil droit présupposant
l’existence d’une obligation correspondante ;
2) les dispositions dudit décret ont été édictées afin de garantir un exercice, régulier et en
bonne et due forme, de l’autorité publique lorsqu’il s’agit de déterminer et de répertorier
les personnes qui bénéficieront de la répartition de la somme versée par la RFA ; il existe
donc “un intérêt public immédiat et particulier qui va au-delà de l’intérêt général à une
bonne administration” ;
3) l’activité menée à bien par la commission, qui a pour mission d’évaluer le bien-fondé des
demandes d’indemnisation présentées, implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de
sorte qu’il est impossible de considérer que la situation des intéressés donne naissance,
dans leur chef, à un droit individuel.
Le pourvoi est infondé.
Les arguments présentés par la requérante sont dépourvus de validité dans la mesure où il est
tout à fait possible dans les cas régis par le DPR n° 2043 de 1963 de mettre en évidence une
obligation ou, plus exactement, une dette : celle de la République fédérale d’Allemagne, laquelle a
mis à disposition des citoyens italiens qui, par suite à leur déportation dans des camps de
concentration nazis, ont subi un préjudice, une somme forfaitaire au titre de la réparation du
dommage moral subi.
La responsabilité de l’attribution effective de cette indemnisation a été assumée par l’Etat
italien qui, pour identifier les personnes entre lesquelles répartir la somme susmentionnée, a
opportunément décidé d’avoir recours au système prévu par le DPR n° 2043, en l’occurrence de
laisser aux intéressés l’initiative de se faire connaître, en les obligeant à présenter les documents
voulus, à charge pour une commission spéciale de les examiner afin de s’assurer que les
demandeurs remplissent les conditions leur ouvrant droit à indemnisation.
Il s’ensuit que l’activité de la commission telle que prévue par l’article 7 du DPR n° 2043
de 1963 n’est nullement discrétionnaire, sa tâche consistant simplement à constater si les
demandeurs remplissent ou non les conditions énoncées dans la loi en question aux fins
d’admission au bénéfice de l’indemnisation. En particulier, le fait, dont il est excipé dans le
pourvoi, que «la commission doive examiner attentivement les divers documents présentés par les
intéressés, en évaluer la valeur probante et la pertinence, assorti de la faculté de recueillir de sa
- 35 -
propre initiative, d’autres preuves»2
s’il y a lieu n’a pas pour effet de conférer un caractère
discrétionnaire à cette activité, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire supposant que les pouvoirs
publics3
prennent une décision à l’issue d’une évaluation minutieuse des intérêts opposés en
présence alors qu’en l’espèce [leur] activité consiste uniquement à examiner, en se conformant aux
indications précises de la loi, une situation objective à la lumière des preuves disponibles.
Il résulte de ce qui précède qu’il n’existe pas de motifs valables de casser et d’annuler l’arrêt
attaqué, dans la mesure où ⎯ attendu, d’une part, qu’il ne repose pas sur le terme “droit” [diritto]
qui est employé par le DPR n° 2043 mais la constatation que l’indemnité à allouer aux citoyens
italiens qui, pour une raison ou une autre et selon les formes précisément décrites, ont été victimes
de mesures de persécution nationale-socialistes consiste en une fraction d’une somme globale;
attendu, d’autre part, que les pouvoirs publics ne jouissent d’aucun pouvoir discrétionnaire ⎯ cet
arrêt a constaté que la situation en considération de laquelle Margherita Lippi, ayant droit de la
requérante actuelle, a intenté une action donnait naissance à un droit subjectif, d’une part ; que,
faute de relever du domaine de compétence exclusive du Conseil d’Etat, il y avait lieu de conclure
à l’irrecevabilité de l’action, d’autre part. Quant aux dépens du présent pourvoi, les chambres
réunies estiment que, compte tenu du caractère inédit du présent litige, comme il a déjà été relevé
par le Conseil d’Etat, il convient de laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens.
La Cour, statuant en formation plénière, rejette le pourvoi et laisse à chaque partie la charge
de ses propres dépens.
Rome, le 30 octobre 1986.
DÉPOSÉ AU GREFFE LE 2 MARS 1987.

2
Note du traducteur : il est supposé que la citation s’arrête à cet endroit quoique cela n’apparaisse pas clairement
à la lecture du texte italien.
3
Le texte utilise l’acronyme « PA » dont on peut penser qu’il renvoie à « pubblica amministrazione » [pouvoirs
publics ou administration publique].
- 36 -
ANNEXE 8
LISTE DE TOUTES LES AFFAIRES JUDICIAIRES EN
INSTANCE CONTRE L’ALLEMAGNE
1. Demandeur Ferrini, Luigi
Cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional d’Arezzo (depuis 1998)
Cour d’appel de Florence
Cour de cassation
Réclamation 130 000 € au minimum
2. Demandeur Solinas, Francesco
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Sassari (depuis 2004)
Cour de cassation
Réclamation 1 000 000 € au minimum
3. Demandeur Maietta, Liberato
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Sciacca (depuis 2004)
Cour de cassation
Réclamation Laissée à la discrétion de la cour
4. Demandeur Mantelli, Giovanni et al. (action collective)
Cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
- Stiftung „Erinnerung, Verantwortung und
Zukunft” (Fondation «Souvenir, responsabilité
et avenir»)
- Organisation internationale pour les
migrations (OIM)
- Daimler Chrysler.
Tribunaux saisis Tribunal régional de Turin (depuis 2004)
Cour de cassation
Réclamation 1 000 000 € chacun au minimum
- 37 -
5. Demandeur Mazzucco, Natale
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Bolzano (2004-2007)
Réclamation 25 000 €/laissée à la discrétion du tribunal
6. Demandeur Mazzucco, Giovanni
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Padoue (depuis 2004)
Cour de cassation
Réclamation 50 000 € au minimum
7. Demandeur Corosich, Olga et al. (5 actions individuelles)
Cas de travail forcé
Défendeur - République fédérale d’Allemagne
- Fondation «Souvenir, responsabilité et avenir»
Tribunaux saisis Tribunal régional de Trieste (2005-2006)
Réclamation 10 000 € chacun au minimum
8. Demandeur Mazza, Francesco et al. (7 actions
individuelles)
Cas de travail forcé
Défendeur - République fédérale d’Allemagne
- Fondation «Souvenir, responsabilité et avenir»
Tribunaux saisis Tribunal régional de Mantoue (depuis 2004)
Réclamation 10 000 € chacun au minimum
9. Demandeur Novelli, Paola et al. (action collective)
Cas de victimes de massacre
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Massa (depuis 2004)
Réclamation A déterminer
10. Demandeur Toldo, Paolo et al. (3 actions individuelles)
Cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Florence (depuis 2004)
Cour de cassation
Réclamation 25 000 € chacun au minimum
- 38 -
11. Demandeur Oresoli, Pietro Luigi et al. (2 actions
individuelles)
Cas de travail forcé
Défendeur - République fédérale d’Allemagne
- Fondation «Souvenir, responsabilité et avenir»
Tribunaux saisis Tribunal régional de Milan (depuis 2005)
Réclamation 10 000 € chacun au minimum
12. Demandeur Robotti, Secondo
Cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Florence (depuis 2005)
Cour de cassation
Réclamation 25 000 € au minimum
13. Demandeur Maroso, Corrado et al (2 actions individuelles)
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Florence (depuis 2005)
Cour de cassation
Réclamation 25 000 € chacun au minimum
14. Demandeur Sciacqua, Vincenzo
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Bari (depuis 2005)
Cour de cassation
Réclamation 25 000 € au minimum
15. Demandeur Angius, Gaetano
Cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Sassari (depuis 2005)
Cour de cassation
Réclamation 1 000 000 € au minimum
16. Demandeur Del Gaudio, Massimo
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Lagonegro (depuis 2005)
Tribunal régional de Potenza
Réclamation 50 000 €
- 39 -
17. Demandeur Proni, Gino
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Bologne (depuis 2005)
Réclamation 100 000 €
18. Demandeur Bartoli, Rita et al. (action collective)
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de La Spezia (depuis 2005)
Réclamation Laissée à la discrétion du tribunal
19. Demandeur Delle Foglie, Michele
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Bari (depuis 2005)
Réclamation 25 000 €
20. Demandeur Cerbai, Duilio et al. (2 actions individuelles)
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Florence (depuis 2005)
Réclamation 25 000 € au minimum
21. Demandeur Pennisi, Maria et al. (action collective)
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Catane (depuis 2005)
Cour de cassation
Réclamation 500 000 €
22. Demandeur De Guglielmi, Vincenzo
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Turin (depuis 2005)
Cour de cassation
Réclamation 41 400 €
- 40 -
23. Demandeur Lotto, Adriana
Cas de travail forcé
Défendeur - République fédérale d’Allemagne
- Fondation «Souvenir, responsabilité et avenir»
Tribunaux saisis Tribunal régional de Belluno (depuis 2005)
Réclamation 10 000 € au minimum
24. Demandeur Bonaiuti, Ugo
Cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Florence (depuis 2006)
Cour de cassation
Réclamation 123 004,35 €
25. Demandeur Giorgio, Angelantonio
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Modène (depuis 2006)
Réclamation Laissée à la discrétion du tribunal
26. Demandeur Reich, Giovanni
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Brescia (depuis 2006)
Cour de cassation
Réclamation 100 000 €
27. Demandeur Mignone, Romeo et al. (2 actions individuelles)
Cas de travail forcé/descendants
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Gênes (depuis 2006)
Réclamation Laissée à la discrétion du tribunal
28. Demandeur Gianni, Libero
Cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Sienne (depuis 2006)
Tribunal régional de Florence
Réclamation Laissée à la discrétion du tribunal
- 41 -
29. Demandeur Amendola, Salvatore
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Paola (depuis 2006)
Réclamation 25 000 €/ou laissée à la discrétion du tribunal
30. Demandeur Ciantelli, Enrico
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Rome (depuis 2007)
Réclamation Laissée à la discrétion du tribunal
31. Demandeur Curia, Serafino et al.
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Rossano (depuis 2007)
Réclamation 1 000 000 € au minimum
32. Demandeur Rosa, Jole
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de La Spezia (depuis 2007)
Réclamation Laissée à la discrétion du tribunal
33. Demandeur Gamba, Spartaco et al. (action collective)
Cas de travail forcé
Défendeur - République fédérale d’Allemagne
- Fondation «Souvenir, responsabilité et avenir»
Tribunaux saisis Tribunal régional de Mantoue (depuis 2007)
Tribunal régional de Brescia
Réclamation 24 000 € chacun au minimum
34. Demandeur Bottazzi, Lorenzo
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Rome (depuis 2008)
Réclamation 825 000 € au minimum
- 42 -
35. Demandeur Daugenti, Giovanni
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Bari (depuis 2008)
Réclamation 100 000 € au minimum
36. Demandeur Ricciarini, Gio Battista et al. (action collective)
Cas de massacre de victimes
Défendeur Milde, Max Josef
République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal militaire de La Spezia (depuis 2006)
Cour d’appel militaire de Rome
Cour de cassation
Réclamation 250 000 €
37. Demandeur Biondini, Faliero et al. (action collective)
Cas de victimes de massacre/descendants
Défendeur Hantschk, Herbert
République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal militaire de La Spezia (depuis 2006)
Cour d’appel militaire de Rome
Réclamation Non communiquée
38. Demandeur Oligeri, Roberto et al. (action collective)
Cas de victimes de massacre
Défendeur - Bichler, Hubert et al.
- République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal militaire de Rome (depuis 2008)
Réclamation Non communiquée
39. Demandeur Pergantas, Klearchos
Exécution de la décision de Livadia
Défendeur République fédérale d’Allemagne (depuis 2005)
Tribunaux saisis Cour d’appel de Florence (depuis 2005)
Cour de cassation
Réclamation 2 934,70 €
- 43 -
40. Demandeur Pergantas, Klearchos et al.
Exécution de la décision de Livadia
Défendeur République fédérale d’Allemagne (depuis 2005)
Tribunaux saisis Cour d’appel de Florence (depuis 2006)
Cour d’appel de Florence
Réclamation 60 000 000 € + 38 000 € de frais juridiques
41. Demandeur Fiorentino, Silvana
Déportée juive
Défendeur République fédérale d’Allemagne/Italie
Tribunaux saisis Tribunal régional de Rome (depuis 2008)
Réclamation Laissée à la discrétion du tribunal
42. Demandeur Currà, Gennaro et al. (action collective)
Prisonnier de guerre/cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Mantoue (depuis 2009)
Réclamation Au moins 24 000 € chacun
43. Demandeur Alberto, Ottavio
Cas de travail forcé
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional de Florence (depuis 2009)
Réclamation 97 200 €
44. Demandeur Pergantas, Klearchos et al.
Exécution de la décision d’Aeropag/décision de
Livadia
Défendeur République fédérale d’Allemagne
Tribunaux saisis Tribunal régional (depuis 2009)
Réclamation 50 000 000 €
___________
- 44 -
ANNEXE 9
AREIOS PAGOS
PRÉFECTURE DE VOIOTIA C. LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE, ARRÊT DU
4 MAI 2000, TRADUCTION ANGLAISE : ILR, VOL. 129, P.514
Grèce (Cour de cassation)
Préfecture De Voiotia c. La République Fédérale D’Allemagne
(Affaire du Massacre De Distomo)
4

(Affaire Numéro 11/2000)
Grèce, Cour de cassation (Areios Pagos) le 4 mai 2000
RÉSUMÉ : Les faits : ⎯ En juin 1944, les forces d’occupation allemandes en Grèce ont massacré
plus de 300 habitants du village de Distomo et ont complètement brûlé le village. En 1995, plus de
250 membres des familles des victimes du massacre ont intenté des poursuites contre l’Allemagne
devant les tribunaux grecs, exigeant un dédommagement pour décès et perte de biens. La Cour de
Livadia a tenu l’Allemagne responsable et lui a ordonné de payer un dédommagement aux
demandeurs. L’Allemagne a fait appel auprès de la Cour de Cassation pour le motif que les
tribunaux grecs ne peuvent pas exercer leur pouvoir de juridiction sur l’Allemagne.
Arrêt (par sept voix contre quatre) : ⎯ L’appel a été rejeté. Les tribunaux grecs sont
compétents pour entendre l’affaire.
1) L’immunité de l’Etat est une règle du droit international coutumier et par conséquent une règle
généralement acceptée du droit international, laquelle, conformément à l’article 28(1) de la
constitution grecque, fait partie intégrante de l’ordre juridique et prévaut. Le principe de
l’immunité de l’Etat découle de l’égalité souveraine entre les Etats et a pour but d’éviter des
perturbations des relations internationales (p. 515-16).
2) Les pays européens acceptent maintenant que l’immunité de l’Etat n’est pas absolue mais
relative, s’appliquant uniquement aux actes commis jure imperii et non aux actes commis jure
gestionis, réalisés par l’Etat de la même manière que des individus privés. L’immunité
restreinte est consacrée dans la Convention européenne sur l’immunité des Etats adoptée à Bâle
en 1972 («la Convention de Bâle»). Bien que seulement huit Etats européens (y compris
l’Allemagne) aient ratifié la Convention, tous les autres Etats européens ont accepté la doctrine
de l’immunité restreinte. La Convention de Bâle a également influencé les développements
dans de nombreux pays non européens (p. 516-17).
3) L’article 11 de la Convention de Bâle stipule qu’un Etat ne bénéficie pas de l’immunité de
juridiction pour les procédures relatives à des griefs de responsabilité civile délictuelle si les
faits considérés se sont produits sur le territoire de l’Etat de for. Il existe maintenant une règle
de droit international coutumier généralement acceptée selon laquelle un Etat a la compétence
d’exercer sa juridiction pour des demandes de dommages et intérêts à l’encontre d’un Etat
étranger, si elles sont relatives à des actes délictuels commis par ses instances envers des
personnes ou des biens sur le territoire de l’Etat de for même si ces actes ont été commis jure
imperii (p. 517-18).

4
Pour procédures connexes voir p. 525, 537 et 556 ci-dessous.
- 45 -
4) L’immunité de l’Etat ne saurait être exclue dans des procédures liées à des conflits militaires
entre les Etats si des dommages aux civils en ont été la conséquence nécessaire. Les plaintes en
découlant sont normalement réglées par des accords entre les Etats. Mais une exception à la
règle de l’immunité devrait s’appliquer aux poursuites demandant un dédommagement (surtout
dans le cas de crimes contre l’humanité) dans le cas d’actes n’ayant pas visé les civils en
général mais plutôt des individus particuliers dans un lieu donné qui n’étaient ni directement ni
indirectement liés aux opérations militaires. En outre, le droit à l’immunité est tacitement
récusé dans tous les cas où il peut être prouvé que les actes en question ont été commis en
violation des règles de jus cogens (p. 519-21).
Opinion dissidente : Quatre juges, dont le Président de la Cour, ont conclu que l’Allemagne
devrait avoir droit à l’immunité de juridiction. Les exceptions à l’immunité pour les plaintes de
responsabilité délictuelle comprises dans la Convention de Bâle et dans les articles provisoires des
Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats ne comprennent pas les plaintes
résultant de situations de conflits armés. Ce terme doit avoir une interprétation large et s’étendre
non seulement aux conflits entre les Etats mais également à la résistance armée contre les forces
d’occupation et à la réponse à cette résistance, même si elle est disproportionnée. Par ailleurs, une
exception à l’immunité ne peut pas se fonder sur la violation d’une règle de jus cogens puisqu’il
n’existe aucune règle de droit international coutumier pour laquelle une telle infraction représente
une dérogation tacite de l’immunité (p. 521-4)
Le texte suivant présente la partie pertinente de l’arrêt de la Cour :
La République fédérale d’Allemagne a présenté cet appel, fondé sur l’article 559 du Code de
Procédure civile, contre la décision no
137/1997 du Tribunal de première instance composée de
trois membres de Livadia.
En vertu de l’article 38 1) du Statut de la Cour internationale de Justice de la Haye (1946), la
coutume internationale, sous la forme d’une pratique générale acceptée au titre de loi, représente
l’une des sources du droit international. Par conséquent, deux éléments sont nécessaires pour
permettre l’existence d’une coutume internationale ; a) «un élément pragmatique externe, à savoir
une pratique constante et uniforme» et b) «un élément psychologique, à savoir la conviction que
cette pratique correspond à une obligation (ou à un droit) concrète et légale (opinion juris sine
necessitatis)».
Par conséquent, lorsque des Etats suivent une certaine pratique, positive ou négative, dans
leurs relations, avec la conviction que ceci représente une obligation légale au titre du droit
international, ils créent ainsi une coutume. Dans le domaine de la formation de la coutume
internationale, par la force des choses, les pays les plus impliqués dans le sujet sont ceux qui ont le
plus d’influence. Pour déterminer la valeur de la pratique de l’Etat, il faut prendre en considération
le facteur temps, parce que la durée démontre à la fois la permanence de son utilisation et la
confirmation de la valeur de la règle coutumière, sans pour autant exclure les situations dans
lesquelles une longue pratique n’est pas nécessaire pour établir une règle coutumière. Il est
fondamentalement important tout d’abord d’établir l’existence d’une coutume internationale
laquelle, en tant que règle généralement acceptée de droit international, fera alors partie intégrante
de la loi grecque et prévaudra sur toutes les autres dispositions juridiques contraires, conformément
à l’article 28 1) de la Constitution. En ce qui concerne les preuves nécessaires pour établir
l’existence d’une coutume, la Commission de droit international des Nations Unies a établi une
liste indicative comprenant les décisions de courts internationales et nationales, la correspondance
diplomatique, les opinions de conseillers juridiques des Etats, les conventions internationales, la
législation interne (nationale), ainsi que les pratiques des organisations internationales. L’accent
est mis sur la codification des conventions, grâce auxquelles des règles coutumières déjà en place
se cristallisent ou par lesquelles de telles règles sont créées, ainsi que les décisions judiciaires des
tribunaux nationaux et internationaux qui contribuent à établir l’existence et la teneur des règles de
droit international. Et finalement, la jurisprudence et tout particulièrement les écrits de juristes
- 46 -
internationaux proéminents de différentes nations (article 38 1 d) du Statut de la Cour
internationale de Justice) représentent des moyens secondaires de détermination des règles de droit.
L’extraterritorialité ou l’immunité souveraine des Etats étrangers, à savoir leur exclusion de
la compétence internationale des tribunaux de l’Etat de for, est une règle de droit coutumier
international et par conséquent une règle généralement acceptée de droit public international
laquelle, en vertu de l’article 28 1) de la Constitution, fait partie intégrante de la loi grecque et
prévaut sur toute disposition contraire.
Dans sa version contemporaine, l’application de l’immunité souveraine représente une
conséquence de la souveraineté, de l’indépendance et de l’égalité des nations, tandis que son
objectif est d’éviter les perturbations dans les relations internationales. La communauté juridique
internationale accepte maintenant que l’immunité des Etats étrangers ne couvre pas toutes leurs
actions (immunité absolue) mais simplement les actions représentant l’exercice de leur pouvoir
souverain par rapport à des parties tierces (acta jure imperii). Elle ne s’applique pas aux actes que
l’Etat étranger réalise en tant que fiscus dans le cadre de ses relations au titre du droit privé (acta
jure gestionis) (immunité relative ou restreinte). La distinction entre les actions réalisées jure
imperii et jure gestionis est faite sur la base de la loi dans l’Etat de for et le critère pour établir cette
distinction est la nature de l’action de l’Etat étranger, à savoir si l’acte lui-même implique
l’exercice de pouvoir souverain. En outre, la tendance internationale à limiter l’immunité des Etats
étrangers a conduit, dans le cadre du Conseil de l’Europe, à la signature (à Bâle le 16 mai 1972) de
la Convention européenne sur l’immunité des Etats. Cette Convention comprend la codification du
droit international coutumier préalablement en vigueur dans l’Europe continentale et a été ratifiée
par huit pays membres du Conseil de l’Europe : le Royaume-Uni, la République fédérale
d’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, Chypre, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède.
Le fait que cette Convention n’a, à ce jour, pas été ratifiée par d’autres pays européens ne
signifie pas nécessairement qu’il existe un désaccord au sujet de ses principes fondamentaux,
puisque la totalité des pays européens acceptent et appliquent de façon coutumière la doctrine de
l’immunité restreinte et en fait certains de ces pays ont été parmi les premiers à appliquer cette
doctrine, comme c’est le cas par exemple de l’Italie, de la France et de la Grèce.
Selon les dispositions de l’article 11 de cette Convention de codification, une Partie
Contractante ne peut pas prétendre à l’immunité de la compétence d’une cour d’une autre Partie
Contractante au sujet de sa responsabilité civile à apporter des dédommagements pour tous
préjudices causés par délit civil à l’encontre d’une personne ou de biens (notamment les dommages
corporels, qu’ils soient causés intentionnellement, par négligence, homicide involontaire coupable,
destruction de biens, incendie criminel etc.) sans distinction faite si la partie contractante
commettant le délit a agi jure imperii ou jure gestionis.
Une autre condition nécessaire pour établir la responsabilité délictuelle d’un Etat étranger est
l’existence d’un lien avec l’Etat de for. Il faut, en particulier, établir cumulativement que a) l’acte
ou l’omission s’est produit sur le territoire de l’Etat de for et que b) l’auteur de l’acte ou de
l’omission était présent sur ce territoire à la date des évènements.
En outre, la Convention européenne de 1972 a inspiré et influencé un nombre important
d’Etats étrangers à adopter des dispositions législatives relatives à l’immunité des Etats étrangers,
lesquelles excluent l’immunité pour les plaintes contre les Etats étrangers relatives à la
responsabilité délictuelle sous réserve que les mêmes conditions soient satisfaites, ce qui constitue
une expression du principe de territorialité (perpétration du délit sur le territoire de l’Etat du
tribunal et auteur de l’action présent sur ce territoire à la date à laquelle il a été perpétré). Une telle
exception à l’immunité est prévue par la loi américaine (Foreign Sovereign Immunities Act (FSIA)
de 1979, article 1605 a) 5)), britannique (Sovereign Immunity Act (SIA) de 1978, article 5),
canadienne (SIA de 1982, article 6), australienne (FSIA de 1985, article 13), sud-africaine (FSIA
de 1981, article 6) et Singapourienne (SIA de 1979, article 7). Par ailleurs, la Commission du droit
- 47 -
international des Nations Unies (CDI), composée des représentants de trente-quatre Etats membres,
notamment les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, l’Egypte, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France,
l’Italie, la Grèce, l’ancienne Union soviétique, la Chine, l’Inde et le Japon, ont présenté à
l’Assemblée générale pour adoption la version finale des «Projets d’articles sur les immunités
juridictionnelles des Etats et de leurs biens», sur lesquelles elle avait commencé à travailler
en 1978. Ce texte important, qui reflète l’opinion de la communauté internationale dans le
domaine de l’immunité souveraine et qui s’inspire également des principes figurant dans la
Convention européenne sur l’immunité des Etats, établit dans l’article 12, avec une portée plus
large et plus approfondie, une exception à l’immunité relative à la responsabilité délictuelle d’un
Etat étranger dans exactement les mêmes conditions que celles mentionnée ci-dessus, à savoir que
«l’acte ou l’omission a été commis entièrement ou partiellement sur le territoire de l’autre Etat (de
for) et que l’auteur de cet acte ou omission était présent sur le territoire à la date à laquelle cet acte
ou cette omission a été commis».
Les commentaires explicatifs du rapporteur spécial joints à l’article 12 clarifient que cette
disposition se fonde sur le principe de territorialité et concerne les délits commis
intentionnellement ou par négligence (même les assassinats politiques) à l’encontre des personnes
sur le territoire de l’Etat de for par des instances ou par des agents de l’Etat étranger,
indépendamment du fait que ces actes aient été commis jure imperii ou jure gestionis. La
résolution (datant également de 1991) préparée par l’Institut de droit international est identique au
projet de la Commission de droit international : elle reconnaît (dans l’article 2 2 e)) que les
instances de l’Etat de for sont compétentes pour recevoir les procédures relatives aux délits ayant
causé la mort, des dommages corporels ou des pertes ou dommages de biens, attribuables aux
activités d’un Etat étranger et de ses agents dans la juridiction territoriale de l’Etat de for.
Par ailleurs, les tribunaux nationaux d’un certain nombre de pays, en particulier ceux des
Etats-Unis, ont arrêté des décisions affirmant leur compétence pour entendre les plaintes déposées
par des personnes privées contre des Etats étrangers pour dommages causés par des actes délictuels
commis jure imperii sur le territoire de l’Etat de for par des auteurs qui étaient présents sur le
territoire de cet Etat lorsque ces actes ont été commis. Par exemple, les affaires suivantes se
réfèrent à Letelier c. la République du Chili (488 F. supp. 665 (1980)), dans laquelle les tribunaux
des Etats-Unis ont affirmé leur compétence pour entendre une affaire relative à l’assassinat de
l’ancien ambassadeur du Chili, Orlando Letelier, au cours d’un attentat par explosif aux Etats-Unis
ordonné par le gouvernement du Chili à l’époque et réalisé pas ses instances, en d’autres termes un
acte commis jure imperii en violation des droits de l’homme et contraire aux principes du droit
international. Les tribunaux américains ont similairement affirmé leur compétence pour entendre
Liu c. la République de Chine (642 F. supp. 297 (1986)) au sujet de l’exécution (par balle) sur le
territoire des Etats-Unis d’un activiste contre le gouvernement, Henry Liu, par des agents de la
Chine agissant au titre de la souveraineté nationale (jure imperii).
De nombreux éminents auteurs au sujet du droit international ont également adopté cette
exception à l’immunité. Compte tenu de ces faits, une pratique généralisée des Etats de la
communauté internationale ayant foi de loi se voit donc confirmée, ce qui, conformément à
l’article 28 1) de la Constitution fait partie intégrante du droit national et prévaut. Cette règle
exige, en tant qu’exception au principe de l’immunité, que les tribunaux nationaux exercent la
compétence internationale pour les demandes de dédommagement relatives à des délits commis à
l’encontre de personnes et de biens sur le territoire de l’Etat de for par les instances d’un Etat
étranger présentes sur ce territoire à la date à laquelle ces délits ont été commis quand bien même
ils résultaient d’actes d’un pouvoir souverain (acta jure imperii).
[La majorité de la Cour estime que] l’immunité de l’Etat ne peut pas être levée pour les
plaintes relatives à des dommages résultant [d’actions militaires] dans des situations de conflit
armé, lesquelles impliquent en général un conflit entre des Etats durant lequel des dommages sont
nécessairement infligés à des civils and pour lesquels les plaintes en résultant sont normalement
réglées par des accord entre les Etats après la fin de la guerre. Mais l’exception à la règle de
- 48 -
l’immunité devrait s’appliquer quand les infractions pour lesquelles un dédommagement est
réclamé (en particulier les crimes contre l’humanité) ne visaient pas les civils en général, mais des
individus particulier dans un lieu particulier ni l’un ni l’autre directement en relation avec les
opérations militaires. Tout particulièrement, dans le cas d’une occupation militaire au cours d’un
conflit armé, l’article 43 du règlement sur les lois et coutumes de la guerre terrestre annexé à la
quatrième Convention de la Haye de 1907 confirme que [dans le droit] il ne se produit ni transfert
de souveraineté, ni, dans des circonstances normales, d’abolition des lois en vigueur dans l’Etat
occupé, que les forces d’occupation ont le devoir de respecter.
En outre, l’extraterritorialité (immunité de l’Etat) ne couvre pas les actes criminels commis
par les instances d’une telle force d’occupation, s’ils ont un recours abusif au pouvoir souverain en
représailles contre des actes de sabotage de groupes de résistance, contre un nombre spécifique et
relativement restreint de civils absolument pas impliqués et tout à fait innocents, ce qui est de toute
manière contraire au principe généralement accepté par les nations civilisées que personne ne
devrait être puni pour les actes d’une autre personne (voir également l’article 50 du règlement
précité stipulant qu’aucune pénalité générale, d’ordre pécuniaire ou autre, ne pourra être infligée
aux habitants d’un pays occupé en raison d’actes d’individus pour lesquels ils ne peuvent pas être
tenus responsables).
Dans la présente affaire, en l’absence de l’Etat défendeur, la présente Cour considère que les
faits suivants sont reconnus : les Allemands, réalisant que les succès des Forces alliées sur les
fronts de la guerre encourageraient une montée constante de la résistance des Forces grecques de
libération, a lancé une campagne de terrorisme systématique avec des opérations de « nettoyage »
et des exécutions de personnes innocentes afin de démoraliser ces forces combattantes et de réduire
l’intensité de leurs efforts. C’est ainsi que, le 10 juin 1944, les Allemands au service de la Gestapo
et des SS de Livadia ont habillé vingt de leurs soldats en costume grec et se sont dirigés vers
Arachova dans deux automobiles suivies d’autres véhicules allemands. Sur leur chemin, ils ont tiré
sur et tué tous les grecs qu’ils rencontraient. Ils sont arrivés à Distomo vers midi et ont commencé
le carnage. Puis ils se sont dirigés vers le village de Stiri. Mais en chemin, les Allemands déguisés
ont été embusqués par des hommes de la résistance grecque qui ont tué dix-huit d’entre eux et l’un
de leurs chauffeurs grecs.
Suite à ceci, pour se venger, les Allemands sont retournés à Distomo et y ont ordonné un
couvre-feu. Puis ils ont encerclé le village, ont placé des gardes aux portes d’entrée et ont
commencé un massacre collectif, d’une atrocité et cruauté que l’humanité a rarement vues au
travers des siècles. Après avoir exécuté les douze otages qu’ils détenaient, des officiers supérieurs,
des officiers subalternes et des soldats se sont alors divisés en groupes et sont passés de maison en
maison, attaquant les pauvres habitants de Distomo comme des bêtes sauvages, violant, massacrant
et tuant. Des personnes âgées, des jeunes, des femmes, des garçons, des filles et même des bébés
ont été les victimes de ce bain de sang. Parmi le nombre total de victimes de cette rage vengeresse
des instances du Troisième Reich, dont l’Etat défendeur est le successeur, 201 personnes ont été
identifiées en tant que membres des familles (parents, enfants, frères, grand-pères, grand-mères,
beaux-frères, bellessœurs) des plaignants, qui réclament, entre autre, des indemnisations pour
préjudice psychologique subi en raison des circonstances énoncées ci-dessus suite à la perte des
membres de leurs familles.
[La majorité de la Cour estime que] ces crimes (de meurtre qui représentent également des
crimes contre l’humanité) ont été commis contre des personnes spécifiques en nombre relativement
limité, vivant dans un lieu particulier, avec absolument aucun lien avec le groupe de résistance qui,
dans le cadre de son activité de résistance, a été responsable de la mise à mort des soldats
allemands déguisés participant à une opération visant à terrifier la population locale. En tout état
de cause, ces meurtres cruels n’étaient pas nécessaires pour maintenir l’occupation militaire ou
pour réduire l’activité de résistance et ont été commis sur le territoire de l’Etat de for, par des
instances du Troisième Reich, en abusant de leurs pouvoirs souverains. Comme les instances de
l’Etat défendeur étaient impliquées dans la perpétration de ces crimes, les plaintes afférentes pour
- 49 -
dédommagements et compensation pécuniaire relèvent de la compétence internationale de la cour
d’instance, en tant qu’exceptions à la prérogative de l’immunité conformément à la norme de droit
coutumier international, laquelle a acquis force de loi comme noté ci-dessus.
Par conséquent, la Cour d’instance était habilitée à déclarer avoir la compétence
internationale pour entendre les requêtes de dédommagement et compensation pécuniaire
présentées par les demandeurs, quoique pour la raison différente suivante : l’Etat demandeur ne
peut pas invoquer son droit à l’immunité, auquel il a tacitement renoncé puisque les actes en raison
desquels il est poursuivi ont été perpétrés par ses instances en violation des règles de jus cogens
(article 46 du règlement sur les lois et les coutumes de guerre annexées à la quatrième Convention
de la Haye de 1907) et n’avaient pas la caractéristique d’actes d’une puissance souveraine. La
Cour d’instance a par conséquent correctement conclu, en ce qui concerne la réponse à la question
au sujet de l’existence de sa compétence internationale, que le plaidoyer de défaut de compétence
internationale n’est pas recevable.
Par conséquent [la majorité de cette Cour conclut que] les motifs de l’appel doivent être
rejetés dans la mesure où ils renvoient à des transgressions de dispositions procédurales (articles 3
et 4 du Code civil de procédure) dans le contexte de la compétence internationale des tribunaux
grecs. Tout particulièrement, l’argument qui constitue le premier motif de l’appel, selon lequel la
Cour d’instance avait tort de reconnaître une exception à l’immunité des Etats étrangers sur la base
du droit international coutumier, ne peut pas être admis et l’appel est rejeté
OPINIONS DISSIDENTES
[Une minorité de cinq membres de la Cour (le Président Matthias et le Juges Kromydas,
Rigos, Bakas et Vardavakis) ont exprimé leur opinion divergente sur les points suivants :]
La Convention européenne sur l’immunité des Etats de 1972 ne représente pas dans toutes
ses dispositions une codification du droit international formulé précédemment. L’exception à
l’extraterritorialité (immunité de l’Etat) pour délits perpétrés sur le territoire de l’Etat de for par un
auteur présent sur ce territoire, si ces délits découlent d’actes de souveraineté (jure imprerii), ne
correspond pas à une règle de droit international coutumier généralement acceptée. En outre,
seulement huit Etats ont jusqu’à présent ratifié ladite Convention, et aucun texte d’une autre
convention internationale ne prévoit une telle exception. Le fait que les Etats anglo-saxons
susnommés ont adopté une telle exception dans leurs dispositions législatives nationales, limitant
l’immunité des autres Etats devant leurs tribunaux, n’implique nullement une coutume
internationale, parce que ces textes ne font pas partie de l’ordre juridique international mais sont
seulement des lois nationales promulguées unilatéralement au sujet de la compétence des tribunaux
nationaux et ne sont pas bilatérales. Par conséquent, les deux décisions de tribunaux des Etats-Unis
opposées par la majorité ne prouvent pas l’existence d’une coutume internationale puisqu’elles
s’appliquent aux mesures législatives nationales des Etats-Unis et non pas une norme du droit
international.
En outre le projet que la Commission de droit international des Nations Unies a commencé à
élaborer en 1978 et présenté à l’Assemblée générale en 1991 (projets d’articles sur les immunités
juridictionnelles des Etats et de leurs biens) est encore aujourd’hui au stade de projet, tout comme
les projets d’articles de l’association de droit international. Ces documents témoignent du manque
de norme coutumière reconnaissant une exception à l’immunité des Etats pour des délits perpétrés
jure imperii sur le territoire de l’Etat de for. Le fait qu’aucun accord n’ai été obtenu au sujet de ces
projets de documents et qu’ils ne soient pas devenus exécutoires confirme que les réglementations
qu’ils contiennent, en ce qui concerne l’exception à l’immunité en question, ne constituent pas une
règle de droit international coutumier généralement acceptée. Par ailleurs, dans le projet d’articles
sur l’immunité souveraine pour les Etats américains élaboré par le comité juridique interaméricain
en 1983, l’exception pour délits perpétrés sur le territoire de l’Etat de for se limite aux délits
- 50 -
commis dans le cadre d’activités commerciales et ne couvre pas les délits perpétrés jure imperii
(article 6 e) en conjonction avec l’article 5 1)). La jurisprudence des tribunaux britanniques est
également importante : celle-ci reconnaît l’immunité des Etats étrangers pour les délits commis
jure imperii (Congreso del Partido, 1983 ; Kuwait Airways Corporation v. Iraqi Airways, 1995.
Pour une discussion plus générale, voir Académie de Droit International, Recueil des Cours,
1980 II, volume 167, Sir Ian Sinclair, p. 141 et seq.).
[Une minorité de quatre membres de la Cour (le Président Matthias et les Juges Rigos, Bakas
et Vardavakis) ont exprimé leur opinion dissidente à propos des points suivants :]
L’exception à la règle de l’immunité des Etats pour délits, comprise dans la Convention
européenne sur l’immunité des Etats, ne comprend pas les délits résultant de conflits armés. Selon
une clarification de l’article 12 dans le Projet d’articles des Nations Unies sur les immunités
juridictionnelles des Etats et de leurs biens, l’exception pour délits ne couvre aucune plainte
découlant de «situations impliquant des conflits armés». Cette expression est très vaste. Elle ne
s’adresse pas seulement aux actions ou incidents de guerre mais également à toutes sortes de
conflits armés dans toutes les circonstances. Il n’y a aucune distinction de faite entre les attaquants
et les victimes des attaques, ni au titre du type de conflit ou de ses résultats, ni suivant que le conflit
se limitait à des combats entre des formations militaires ou s’étendait également aux civils. Cette
ample expression est justifiée parce que les Etats qui signent les conventions internationales sur
l’immunité souveraine ou qui étudient les projets de telles conventions veulent évidemment
bénéficier de l’immunité non seulement en ce qui concerne les dommages résultant de conflits
militaires organisés mais également en ce qui concerne toutes les plaintes découlant de conflits
armés. De tels conflits constituent des expressions de confrontation dynamique sous diverses
formes, y compris la résistance armée par le pays occupé ainsi que les efforts de la part du pays
occupant de supprimer une telle résistance en utilisant la force. Les tentatives visant à partager les
conflits armés en différentes phases, certaines phases, contrairement à d’autres, faisant partie de la
notion de conflit armé, sont artificielles et ne correspondent pas à la réalité. Par conséquent, la
minorité en dissension est d’avis qu’il faudrait accepter que les Etats bénéficient de l’immunité
pour toutes les plaintes résultant d’une situation de conflit généralisé entre des pays. Cette
interprétation est appuyée par le fait que, malgré les nombreuses guerres récentes et les nombreuses
atrocités commises pendant ces guerres, il ne semble qu’aucune plainte judiciaire pour
dédommagement n’ait abouti où que ce soit dans le monde et, tout particulièrement, en se fondant
sur l’exception de la règle de l’immunité.
[Une minorité des mêmes membres de la Cour mentionnés ci-dessus a adopté l’opinion
dissidente suivante :]
Dans toutes les circonstances décrites ci-dessus, le meurtre multiple de civils à Distomo, bien
qu’horrible et cruel, était directement lié au conflit armé entre la résistance grecque et les forces
militaires ennemies. Il est en effet clairement reconnu que :
Les actes de terrorisme et les opérations de «nettoyage» et exécutions de civils innocents ont été
commis par les forces allemandes d’occupation «dans le but de saper le moral de la résistance et de
réduire l’intensité de leur combat» parce que «les succès des forces alliées sur les autres fronts
conduiraient à l’intensification de la résistance des forces de libération grecques» ;
Les allemands ont tiré sur et tué chaque Grec rencontré afin de réaliser l’objectif ci-dessus et
cette activité faisait partie du conflit armé ;
En route vers le village de Stiri, les Allemands ont fait l’objet d’une embuscade de la part
des membres de la résistance grecque qui ont tué dix-huit allemands clairement dans le cadre du
même conflit militaire ;
- 51 -
Pour se venger, les Allemands sont ensuite retournés à Distomo où … ils ont encerclé le
village … et commencé le massacre en masse.
Par conséquent, ces meurtres collectifs font également partie du même conflit armé. Ils sont
liés dans le temps et par la cause à l’assassinat de dix-huit soldats allemands qui les précédait,
puisqu’ils constituent une riposte à cet acte de résistance immédiatement précédent. Bien que cette
riposte fut évidemment disproportionnée et cruelle, elle provenait cependant clairement du même
conflit armé puisqu’elle s’est produite dans le cadre de représailles de groupe contre des opposants
[à l’occupation]. En outre, une exception à l’immunité de l’Etat allemand ne peut pas se fonder sur
la violation des normes internationale de jus cogens, puisqu’aucune règle coutumière n’établit
qu’une telle violation représente une dérogation tacite à l’immunité de l’Etat. Par conséquent,
l’opinion dissidente est que les plaintes en question ne relèvent pas de la compétence des tribunaux
grecs parce que l’Etat allemand, en ce qui concerne ces plaintes, bénéficie de l’extraterritorialité.
Par conséquent, l’appel aurait dû être accepté ...., le jugement de la Cour d’instance aurait dû être
débouté et la plainte aurait due être rejetée.
[Rapport : Jugement de la Cour de cassation (Areios Pagos) dans l’affaire no
11/2000
(traduction anglaise réalisée pour International Law Reports sur la base du texte grec non publié)]
NOTE ⎯ Suite au renvoi de l’appel de l’Allemagne, le jugement de la Cour de première
instance de Livadia attribuant une indemnisation est devenu définitif. Les autorités allemandes
n’ont pas appliqué la décision, les demandeurs ont donc demandé qu’elle soit exécutée à l’encontre
de biens allemands en Grèce. Une telle exécution à l’encontre d’un Etat étranger nécessite l’accord
du Ministre de la justice en vertu de l’article 923 du Code civil de procédure, lequel accord n’a pas
été donné. Dans un jugement du 14 septembre 2001, la Cour d’appel d’Athènes a confirmé une
objection à l’exécution présentée par l’Allemagne pour la raison que l’article 923 a un objectif
d’intérêt public, à savoir d’éviter des perturbations des relations internationales et correspond à cet
objectif. L’article 923 ne représente pas non plus un refus du droit de protection judiciaire réelle,
contrairement à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, puisqu’il n’interdit
pas totalement l’exécution mais exige simplement un accord préalable du gouvernement. Un appel
après de la Cour de cassation a été rejeté le 28 juin 2002.
Les demandeurs ont alors déposé une plainte au titre de l’article 6 1) de la Convention
européenne des droits de l’homme auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, au sujet du
refus des autorités grecques et allemandes d’exécuter la décision de la Cour de première instance
de Livadia (voir Kalogeropoulou c. Grèce et Allemagne, p. 537 ci-dessous) et les procédures
devant les tribunaux allemands (p. 556 ci-dessous).
Maria Gavouneli a publié un commentaire critique au sujet du jugement de la Cour de
cassation ci-dessus dans 95 AJIL 92001) 198. La décision majoritaire dans l’affaire Margellos c.
Allemagne (p. 525 ci-dessous) a renversé la décision dans l’affaire ci-dessus.
___________
- 52 -
ANNEXE 10
PARQUET GÉNÉRAL PRÈS LA COUR DE CASSATION
CONCLUSIONS DU 22 NOVEMBRE 2007
No R.G. 28420/2005 + 249/2006
No
P.G. 3359/2006
Le conseiller juridique adjoint
Faits
Par requête en date du 13 avril 2004, différents civils, ou leurs héritiers, qui avaient été
déportés en Allemagne pendant la dernière Guerre mondiale et amenés à travailler de force dans
l’usine de Daimler-Benz localisée près de leur camp de concentration, ont intenté une action contre
l’Organisation internationale pour les migrations, la Fondation «Mémoire, Responsabilité et
Avenir», la République fédérale d’Allemagne et DaimlerChrysler AG (anciennement
Daimler-Benz) recherchant des déclarations que :
⎯ dans le sens et aux fins de l’article 1453 du Code civil, tous les accords entre la Fondation
«Mémoire, Responsabilité et Avenir» et l’OIM, une organisation partenaire dans le cadre du
programme d’indemnisation pour le travail forcé en Allemagne, devraient être annulés pour
cause de non-respect ;
⎯ par conséquent, dans le sens et aux fins des articles 2041 et 2042 du Code civil, la République
fédérale d’Allemagne et DaimlerChrysler AG ont obtenu un injuste enrichissement, sans cause
valide, en raison des économies réalisées et des énormes profits atteints grâce au travail forcé
des détenus des camps ;
⎯ dès lors, puisqu’il s’agit de crimes contre l’humanité, la République fédérale d’Allemagne et
DaimlerChrysler AG, ensemble et/ou à titre subsidiaire devraient faire l’objet d’une injonction
à verser une juste indemnité en raison de l’exploitation de la force de travail desdits détenus, en
supplément de tous les dédommagements, y compris pour les dommages immatériels et le
préjudice psychologique, à hauteur d’un montant d’au moins 1 000 000,00 EUR par
demandeur.
En appui de ces griefs, les demandeurs ont déclaré ce qui suit :
Dans une communication du 24 janvier 1989, Daimler-Benz AG a reconnu avoir
utilisé le travail des anciens détenus italiens de Gaggenau.
Dans les jugements 391/98, 776/01, 1292/01 et 419/03, les Corte dei Conti, section
judiciaire pour la région du Piémont, arrêtant au titre de la loi 791/80, ont confirmé les
circonstances énoncées ci-dessus et la nature de l’extermination dans le camp de
Gaggenau.
L’Allemagne a reconnu la gravité de ces crimes et, avec l’aide d’instances (dont
Daimler-Benz) qui avaient bénéficié du travail forcé, a établi une Fondation nommée
«Mémoire, Responsabilité et Avenir» dans le but de garder en mémoire ce qui s’est
- 53 -
passé et de compenser les victimes grâce à un fonds d’environ 10 milliards de marks, à
condition que les demandeurs puissent remplir certaines conditions.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a donc, à la demande de la
Fondation, envoyé un formulaire de demande d’indemnisation à l’adresse des anciens détenus dans
lequel, en échange du paiement en question, ceux-ci devaient irrévocablement renoncer à toute
autre requête en dehors de la loi allemande.
A cette date, nul paiement n’avait été versé et quelques demandes avaient été officiellement
rejetées.
Des injonctions adressées au consulat allemand et des tentatives ultérieures d’obtenir une
solution à l’amiable ont échoué.
Ils ne voulaient donc plus honorer leur engagement vis-à-vis de l’OIM.
En raison de l’inefficacité du programme d’indemnisation allemand d’un point de vue
juridique, ils ont pensé pouvoir intenter une action contre la République fédérale allemande, au
sujet de crimes internationaux commis en Italie, à l’encontre de droits de l’homme fondamentaux.
Dans sa décision no
5044 du 11 mars 2004, les sections combinées [de la Cour de cassation] ont
affirmé la recevabilité de l’action par les tribunaux italiens.
Par ailleurs, l’exploitation de main d’œuvre forcée, interdite par la loi signée à Londres le
8 août 1945 et même précédemment par l’article 52 de la Convention de la Haye du
18 octobre 1907, autorise ces demandeurs à exercer un recours collectif pour enrichissement injuste
au titre des articles 2041 et 2042 du Code civil, puisque l’Allemagne et Daimler-Benz avaient, sans
justification, bénéficié d’économies considérables et ce en infligeant des préjudices physiques et
psychologiques sévères aux détenus.
Enzo Bertino Crescete est intervenu avec les mêmes griefs que les demandeurs.
La République fédérale d’Allemagne a déposé une demande auprès des tribunaux
recherchant une déclaration, en essence, que le tribunal italien n’avait pas compétence en raison de
l’applicabilité du droit international public en ce qui concerne ce qu’on appelle le principe
d’immunité restreinte, un principe accepté, même après la décision des sections combinées, par les
cours suprêmes française, allemande et américaine.
L’Allemagne a également objecté que la demande n’était pas recevable, au titre de
l’article 77 4) du Traité de paix du 10 février 1947, selon lequel l’Italie renonçait, en son nom
propre et au nom des ressortissants italiens, au droit de présenter toute demande contre l’Allemagne
au sujet d’évènements ayant eu lieu pendant la guerre, laquelle non-recevabilité a été confirmée par
les sections combinées dans le jugement 285/1953.
Par ailleurs, le 2 juin 1961, la République fédérale d’Allemagne a conclu une convention
avec l’Italie, qui est entrée en vigueur au titre du DPR no
1263 de 1962, dans lequel le
gouvernement italien déclarait que toutes les demandes et requêtes en cours de la République
italienne ou de personnes physiques ou légales italiennes à l’encontre de la République fédérale
d’Allemagne avaient été réglées, à condition qu’elles résultent de droits obtenus pendant la période
s’étalant du 1er septembre 1939 au 8 mai 1945.
Le gouvernement italien décida à la même époque de protéger la République fédérale
d’Allemagne et les ressortissants allemands physiques ou légaux contre toute action ou autre
demande intentée par des ressortissants italiens physiques ou légaux en ce qui concerne les
demandes ou requêtes ci-dessus.
- 54 -
Puisque l’Allemagne avait versé à l’Italie, au titre d’indemnisation dans le cadre des Accords
de Bonn, les sommes convenues, si la demande était déclarée recevable, elle demandait la
permission d’intenter une action contre la République italienne parce que celle-ci l’avait libérée de
ses obligations.
DaimlerChrysler a déposé une plainte déclarant le défaut de compétence pour d’autres
raisons.
Elle indiquait que la décision no 5044 des sections combinées avait examiné la question de
l’immunité de l’Etat et de la compétence universelle au sujet des crimes perpétrés par l’Etat, mais
que dans ce cas par ailleurs, il s’agissait d’une action intentée contre une entité juridique du droit
privé relative à l’enrichissement injuste supposé de ladite entité, et que la compétence devait donc
être déterminée sur la bases de principes de loi ordinaire, le règlement (CE) no
44/2001, remplaçant
la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, s’applique ici.
L’article 2 1) de ce règlement déclare que, sous réserve de dispositions spéciales, les
personnes domiciliées dans un Etat membre devront, quelle que soit leur nationalité, être
poursuivies en justice devant les tribunaux de cet Etat membre. Dans le sens de l’article 60 de ce
règlement, une personne légale est domiciliée au lieu dans lequel elle a son siège statutaire, son
administration centrale ou son principal lieu d’activité (pour ce qui est de DaimlerChrysler, à
Stuttgart).
Les cas des compétences spéciales énoncées dans l’article 5 ⎯ et celles-ci comprennent tous
les cas afférents à la jurisprudence pertinente du tribunal ⎯ ne couvrent pas les différends
impliquant l’enrichissement injuste, sur lequel les plaintes des demandeurs sont fondées.
Par ailleurs, même si les actions sont réputées couvertes par les critères spéciaux, les
résultats ne seraient pas différents.
Si le différend concernait un contrat, les tribunaux du lieu d’exécution de l’obligation en
question seraient compétents conformément à l’article 5 1) 2). Il est par conséquent nécessaire
d’établir sur la base de quelle législation (allemande ou italienne) la détermination du lieu
d’exécution devrait être réalisée, et dans ce but se référer aux règles de droit international privé
fondées sur lex fori, à savoir la loi no 218 de 1995. L’article 61 de cette loi prévoit que
l’enrichissement injuste est soumis à la loi de l’Etat dans lequel l’événement donnant lieu à
l’obligation s’est produit. Puisque l’événement conduisant à l’obligation d’indemnisation pour
cause d’enrichissement injuste est l’exploitation du travail des demandeurs en Allemagne, il faut en
conclure que la loi compétente est la loi allemande qui prévoit que, en l’absence de tout accord, le
paiement doit être versé dans le lieu auquel le débiteur résidait au moment où l’obligation est
apparue (en Allemagne donc, en tant que siège du débiteur accusé).
Egalement dans l’alternative, même si l’article 5 3) du Règlement 44/2001 s’appliquait,
lequel identifie la juridiction compétente en cas de préjudice, délit ou quasi-délit, les tribunaux
allemands seraient compétents parce que les événements préjudiciables se sont produits en
Allemagne où le travail forcé a eu lieu. Le même commentaire s’applique dans le cas de
responsabilité au titre de l’article 2043 du Code pénal.
Les tribunaux allemands sont compétents même au titre de la loi 218/1995.
L’article 3 1) de cette loi stipule que la compétence des tribunaux italiens est prépondérante
si le défendeur est domicilié ou a sa résidence en Italie ou y a un représentant habilité à être partie à
une procédure judiciaire au titre de l’article 77 du Code de procédure civile, ou dans d’autres cas
stipulés par la loi.
- 55 -
DaimlerChrysler n’est pas domicilié en Italie et n’y dispose pas de représentant habilité à le
représenter devant les tribunaux. DaimlerChrysler Spa. est une entité légale totalement séparée.
En outre, aux fins de déterminer la compétence, l’article 3 2) reconnaît l’applicabilité de la
Convention de Bruxelles de 1968 (dont la teneur est la même que celle du règlement 44/2001 qui
l’a remplacée) et par conséquent, conformément aux dispositions énoncées dans ce règlement, les
tribunaux allemands détiennent toujours la compétence.
En tout état de cause, DaimlerChrysler déclare qu’aucune action à son encontre n’est
recevable et ne peut faire l’objet de poursuites au titre de l’article 77 4) du Traité de paix et de
l’Accord de Bonn du 2 juin 1961, mis en vigueur par le D.P.R. no
1263 du 14 avril 1962.
En ce qui concerne le fond, DaimlerChrysler est d’avis que le droit allégué est éteint et
conteste le montant de la réclamation. Elle a également demandé l’autorisation d’intenter une
action en justice contre la République italienne.
L’OIM (anciennement le Comité international pour la migration) a également déposé une
demande déclarant que les tribunaux italiens n’ont pas compétence a son égard, pour la raison qu’il
s’agit d’une organisation intergouvernementale (dont l’Italie est également membre) bénéficiant
des privilèges et immunités accordées à l’Italie pour les organisations intergouvernementales au
titre de la Convention sur les privilèges et immunités des agences spécialisées, adoptée par
l’Assemblée générale des Nations Unies par résolution du 21 novembre 1947, et des annexes
pertinentes au sujet des agences individuelles (loi no 1740 du 24 juillet 1951).
Elle a également indiqué que la République fédérale d’Allemagne avait, au moyen de la loi
du 2 août 2000, établi une Fondation connue sous le nom de «Mémoire, Responsabilité et Avenir»
dans le but d’apporter des financements, en partenariat avec d’autres organisations, pour
indemniser les anciens travailleurs forcés et ceux ayant subi d’autres injustices pendant le régime
national-socialiste.
Cette indemnisation était destinée aux personnes remplissant certains critères particuliers
suivant une procédure spéciale de vérification.
En raison de ses objectifs statutaires, l’OIM était réservée exclusivement à l’apport
d’assistance humanitaire pratique dans sa procédure d’indemnisation. Elle a donc inclus dans son
programme et dans son bilan de 2001 le programme d’indemnisation des personnes amenées à
effectuer du travail forcé en Allemagne, et a ultérieurement effectué des versements.
Il en résulte que sa participation à ce programme était une obligation statutaire et, en tant que
telle, soustraite à l’obligation italienne de soumettre des preuves.
La présidence du Conseil des ministres a déposé une demande auprès du tribunal demandant
une déclaration de non-recevabilité et le rejet des requêtes des demandeurs et ainsi le rejet des
demandes concernant l’Etat italien.
Avant l’audience pour présenter sa position, la République [sic] d’Allemagne a intenté cette
action préliminaire en vue d’établir la compétence.
Elle a maintenu, en premier lieu, qu’il n’avait pas compétence en raison de l’abandon des
demandes financières au titre de l’article 77 4) du Traité de paix de 1947 (déjà reconnu par les
sections combinées dans le jugement 285/1953) et au titre de l’article 2 de l’accord italo-allemand
du 2 juin 1961 ; ces accords, très certainement à la date à laquelle ils ont été conclus, ne pouvaient
être considérés en conflit avec aucune norme impérative du droit international général (article 53 de
la Convention de Vienne sur la loi des traités de 1969) et également parce que le cadre normatif
- 56 -
international sur lequel se basait le jugement 5044/2004 des sections combinées ne s’appliquait pas
d’un point de vue chronologique à la situation internationale de l’époque.
Elle a également demandé un réexamen du principe juridique homologué dans le
jugement 5044/2004 des sections combinées dans la mesure où il ne reflète pas l’état actuel du
droit international.
Suite à ce jugement, plusieurs décisions des cours suprêmes de la Grèce, de la France, et de
l’Allemagne ont confirmé les règles coutumières dans le domaine de l’immunité des Etats, même
dans le cas de violations graves des obligations de droit international résultant de jus cogens.
Par ailleurs, les décisions des tribunaux américains, citées par les sections combinées, se
basent sur un amendement de 1996 à la loi sur les immunités souveraines étrangères, stipulant une
exception à l’immunité pour les Etats qui appuient le terrorisme. Cet amendement stipule que
l’exception à l’immunité s’applique si la victime ou l’auteur est un citoyen américain à la date de
l’événement et que celui-ci ne s’est pas produit sur le territoire de l’Etat terroriste. La législation
provient clairement des besoins très spécifiques d’un Etat engagé dans des activités terroristes et de
nombreuses instances ont mis en doute sa compatibilité avec le droit international.
Entre temps, de nombreuses autres décisions américaines ont confirmé le principe de
l’immunité, principe qui a également été approuvé à plusieurs occasions par la Chambre des lords à
Londres qui a récemment affirmé que la Convention sur les immunités des Etats des Nations Unies,
approuvée le 9 novembre 2004 (et donc après le jugement des sections combinées) ne stipulait
aucune exception à l’immunité même dans le cas de violations de droits de l’homme (en effet,
comme dans la Convention européenne sur l’immunité des Etats de 1976, les actes de guerre sont
explicitement exclus).
DaimlerChrysler AG a déposé une requête accessoire déclarant le défaut de compétence pour
deux raisons. Premièrement et principalement parce que l’Italie a renoncé à toute exigence, en son
nom propre et au nom des ressortissants italiens à l’encontre de l’Allemagne et des ressortissants
allemands, à la fois dans le Traité de paix de Paris de 1947 et dans les accords italo-allemands
signés à Bonn en 1961.
Deuxièmement, parce que les tribunaux italiens ne sont compétents pour aucune affaire
relative aux actions intentées contre DaimlerChrysler, parce que les tribunaux allemands disposent
de la compétence en vertu du règlement (CE) no 44/2001 qui a remplacé la Convention de Bruxelles
du 27 septembre 1968.
Les deux actions en justice (l’action principale et l’action accessoire), enregistrées sous des
numéros différents, devraient être combinées parce qu’elles sont relatives à la même affaire, au titre
de l’article 273 du Code civil de procédure, lequel s’applique également à la détermination
préliminaire de compétence (sections combinées de cassation, 17823/2007).
L’action accessoire intentée par DaimlerChrysler AG est une formalité : en fait, même si la
détermination de compétence n’est pas un motif d’appel, il faut tout de même réunir toutes les
questions relatives à la compétence dans une même décision, à savoir qu’un défendeur désirant
faire valoir la question de compétence lui-même, doit le faire dans le cadre et les délais impartis de
l’action accessoire, au sens de l’article 371 C.P.C., en se rapportant à l’article 41 C.P.C. (sections
combinées 1967/2003).
Toujours à titre d’observation préliminaire, il faut noter qu’une détermination préalable de la
compétence doit être recevable en ce qui concerne les affaires liées à l’existence ou autre de la
compétence italienne au sujet des ressortissants étrangers, et l’article 37 du C.P.C n’y fait pas
obstacle. Cet article, tel qu’amendé par l’article 73 1) de la loi no 218 de 1995 abrogeant le
paragraphe 2, mentionne le défaut de compétence des tribunaux ordinaires uniquement en ce qui
- 57 -
concerne l’administration publique ou les tribunaux spéciaux, puisqu’il faut comprendre son
incorporation établie par l’article 41 du C.P.C. de l’article 37 du même code aux fins de déterminer
la portée des règles de compétence comme référant également à l’article 11 de la loi no
218 de
1995, laquelle régit la recevabilité d’une défense de défaut de compétence des tribunaux italiens
(voir sections combinées 6585 du 24 mars 2006). En outre, une décision quant à la compétence
peut être demandée si elle recherche la décision qu’aucun tribunal n’est compétent (sections
combinées 8157/2002).
D’un point de vue strictement procédurier, il faudrait noter que puisque la détermination
préalable de compétence est une phase accessoire de la procédure durant laquelle elle est soulevée,
l’action peut, si les défendeurs sont représentés par un seul avocat, être notifiée à ce dernier, par
copie unique, d’après l’article 170 2) du C.P.C. (sections combinées de cassation 8701
du 29 mai 2003).
Passant maintenant à l’examen des questions soulevées au sujet de la compétence, il faut
avant tout souligner que les demandeurs dans ces procédures sur le fond ont fait toute une séries de
requêtes hétérogènes, comme l’annulation au titre de l’article 1453 du Code civil des accords entre
la Fondation allemande et l’OIM, l’indemnisation pour enrichissement injuste, au titre des
articles 2041 et 2042 C.C. par la République [sic] d’Allemagne et DaimlerChrysler AG, pour avoir
exploité le travail forcé des détenus ; des dédommagements pour dommages non matériels pour
cause de crimes contre l’humanité.
Comme ces différentes actions n’ont aucun ordre logique de priorité, puisqu’elles sont des
alternatives les unes pour les autres plutôt que subordonnées les unes aux autres, il est important de
prime abord d’examiner si la compétence civile existe à l’encontre de l’Etat allemand.
A ce sujet, il est opportun d’indiquer que, dans une décision récente du 15 février 2007 dans
l’affaire C-292/05, dans le contexte d’un conflit présenté aux autorités judiciaires grecques entre les
membres de la famille des victimes d’actes perpétrés par les forces armées allemandes pendant
l’occupation de la Grèce par les nazi et la République fédérale d’Allemagne, dans le but d’obtenir
une indemnisation pour pertes financières et dommages immatériels, la Cour de justice des
Communautés européennes a confirmé le principe selon lequel les règles de compétence de la
Convention de Bruxelles de 1968 (maintenant Règlement (CE) no
44/2001) doivent être
interprétées dans le sens que les «affaires civiles» ne couvrent pas les poursuites intentées par des
personnes physiques dans un Etat contractant contre un autre Etat contractant dans le but d’obtenir
une indemnisation pour les pertes ou préjudices subis par les ayants-droits des victimes des actes
perpétrés par les forces armées dans le cadre d’une guerre sur le territoire du premier Etat.
Cette décision n’affecte évidemment pas la question de savoir si, une fois qu’il a été décidé
que la Convention ne s’applique pas, les Etats bénéficient toujours de l’immunité contre toute
requête d’indemnisation.
Le demandeur et le défendeur plaident tous les deux un défaut de compétence en vertu de la
disposition de l’article 77 du Traité de paix de 1947 selon lequel l’Italie renonçait en son nom
propre et au nom des ressortissants italiens à toute demande d’indemnisation pour pertes ou
préjudices subis pendant la guerre.
Comme nous le savons, les sections civiles combinées de la Cour de cassation ont interprété
ce Traité dans la décision no
235 du 29 janvier 1953, dans laquelle la Cour a arrêté qu’en vertu du
Traité, entré en vigueur en Italie suite au décret législatif no
1430/1947, les tribunaux italiens ne
sont pas compétents pour entendre les demandes faites par les citoyens italiens aux fins
d’indemnisation.
A cette occasion, après avoir établi que la renonciation ne s’appliquait pas seulement aux
réclamations fondées en droit en cours le 8 mai 1945, mais également à toutes les réclamations
- 58 -
existant à cette date, ou tout au moins relatives à des transactions réalisées ou à des événements
produits après le 1er septembre 1939 ; la Cour suprême a arrêté que la renonciation, transposée par
une loi d’Etat publiant le Traité, s’appliquait également aux ressortissants italiens (à la limite, on
pouvait débattre de savoir si, suite à cette renonciation, le gouvernement italien était dans
l’obligation d’indemniser ses propres ressortissants pour préjudices subis, mais il ne pouvait pas y
avoir de doutes en ce qui concerne l’applicabilité de la renonciation).
Les gouvernements de l’Italie et de la République fédérale d’Allemagne ont conclu divers
accords en 1961 au sujet de l’indemnisation des ressortissants italiens. Ces accords furent mis en
œuvre principalement par D.P.R. 1263/1962, qui prévoyait dans l’article 1 le versement par
l’Allemagne à l’Italie d’un paiement de 40 millions de marks allemands pour régler les questions
financières en suspens et dans l’article 2, que le gouvernement italien déclarait que toutes les
demandes et requêtes de la part de personnes physiques et morales italiennes découlant de droits
apparus pendant la guerre avaient été réglées, et également par D.P.R. 2043/1963 dans laquelle la
République italienne prenait des dispositions pour distribuer les sommes reçues au titre des accords
internationaux avec la RFA, y compris les sommes à l’intention de ce qu’on appelait les travailleurs
«non-volontaires» déportés en Allemagne.
Il est donc bien clair que les principes confirmés par les sections combinées en 1953 et
confirmées dans le fond ultérieurement dans la décision 2188 du 2 mars 1987, s’inspirent des
accords de 1961 (et des dispositions législatives de mise en œuvre de droit interne) lesquels
devraient être considérés faire partie du Traité de paix de 1947.
L’obligation de respecter ces accords internationaux représente l’exécution du principe
fondamental de droit international «pacta sunt servanda» inscrit dans la Convention de Vienne du
23 mai 1969 (également ratifié par l’Italie), dont la recevabilité actuelle a été récemment confirmée
par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa décision du 30 juin 2005 dans l’affaire
Bosphorus Hava Yollary Turizm c. Irlande.
L’objection ne peut pas être soulevée non plus que les instruments sont nuls et non avenus
parce qu’ils sont en conflit avec les normes impératives du droit international général (jus cogens)
dans le sens de l’article 53 de la Convention. La raison en est partiellement que le droit à
l’indemnisation pour préjudices civils ne fait pas partie de la norme impérative (puisqu’on ne peut
pas déroger au droit à la vie ou à la santé ou les céder) et partiellement parce que, si l’instrument
était nul, ce serait certainement un résultat de la modification de l’environnement international et
ne saperait pas la validité d’accords conclus entre deux Etats (cf. Cour de justice,
décision CE no
162 du 16 juin 1996). En outre, les accords précités (similaires à ceux conclus entre
d’autres Etats en conflit à la fin de la Deuxième Guerre mondiale) proposent un juste compromis
entre les droits fondamentaux de l’individu et le besoin de défendre la souveraineté respective, de
promouvoir les bonnes relations entre les Etats et d’éviter l’aggravation des confrontations : à cet
égard, on peut considérer que ces accords sont des substituts en remplacement de poursuites
judiciaires directes.
Il pourrait également être maintenu que les dispositions contenues dans les traités de 1947
et 1961, tels qu’ils sont formulés, font uniquement référence à des relations de droit substantielles
et non pas à la compétence, car sinon il serait difficile d’expliquer l’engagement fait par l’Italie de
protéger la République fédérale d’Allemagne contre toute poursuite ou action judiciaire.
Le problème de l’existence ou non de la part des tribunaux italiens doit cependant être résolu
en appliquant le principe de droit international sur les immunités des Etats. Ce principe est une
constante de la jurisprudence des sections combinées. La décision 1653 du 6 juin 1974 a confirmé
que, en vertu du principe coutumier universellement accepté «par in parem non habet
juridictionem», lequel est incorporé dans l’article 10 1) de la Constitution, les Etats étrangers ne
sont pas assujettis à la compétence italienne même pour des actes commis sur le territoire de la
république, si cette activité à pour but d’atteindre des objectifs d’ordre public. Ce principe a
- 59 -
également été approuvé par les décisions des sections combinées no
3062/1979, 5565/1994,
919/1996, 328/1999, 11225/2005.
Dans la décision 530 du 3 août 2000 au sujet de préjudices causés par des opérations
d’aéronefs américains stationnés en Italie (l’affaire Cermis), les sections combinées ont clarifié
plusieurs principes importants :
⎯ le principe de l’immunité envers les poursuites civiles d’un Etat étranger, dans le cas d’activités
jure imperii (qui sont de manière inhérente aptes à affecter les droits humains fondamentaux et
en particulier le droit à la vie, à l’intégrité physique et à la santé), est compris dans une norme
de droit international coutumier, c’est une norme qui existait avant l’entrée en vigueur de la
constitution italienne et a pris un statut impératif dans notre ordre juridique dans la mesure
prévoyant l’adaptation automatique aux règles de droit international généralement acceptées
contenue dans l’article 10 1) de la Constitution, et non pas au titre d’une règle avec l’effet
d’une loi ordinaire.
⎯ Il s’ensuit que5
le principe a été incorporé dans notre ordre juridique dans sa totalité ; et que la
question de compatibilité avec notre système constitutionnel ne se pose pas et ne peut pas se
poser en relation avec ce principe, à la fois à la lumière du principe, confirmé par les giudice
delle leggi dans la décision 48 du 12 juin 1979, selon laquelle l’article 10 1) de la Constitution
prévoit une incorporation automatique, sans restriction, des règles généralement acceptées de
droit international datant d’avant la mise en vigueur de la constitution ; et parce que le
problème de cohérence de normes homologues avec les principes fondamentaux de la
Constitution n’apparaissent que dans le cas de normes qui ont vu le jour après cette date ;
⎯ il n’est pas possible non plus d’opposer au contraire l’article 8 de la Déclaration universelle des
droits de l’homme approuvée par l’Assemblée générale des Nations Unies le
10 décembre 1948, laquelle reconnaît le droit de tout un chacun à un recours efficace devant les
tribunaux nationaux pour les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont accordés par la
Constitution ou par la loi. Ceci est le cas parce que, même si on ignore le fait que la règle
s’adresse aux Etats et n’a pas d’effet obligatoire immédiat, il faut reconnaître qu’elle ne
cherche qu’à réglementer les relations entre un individu et l’Etat dont il est ressortissant (dans
le sens que chaque Etat doit accorder à ses propres citoyens la protection légale de leurs droits
fondamentaux) et ne cherche pas également à réglementer le domaine différent de la rétention
de la compétence de la part de tout Etat au sujet des activités exprimant leur souveraineté, ou à
exclure ou limiter le principe de l’immunité de compétence pour les actes jure imperii.
Les sections combinées ont formé la même opinion dans une décision 8157 du 5 juin 2002
dans laquelle elles ont confirmé le principe que les actes perpétrés par l’Etat en cours d’hostilités ne
sont en aucun cas examinés par les tribunaux ordinaires et administratifs, parce que de tels actes
constituent une manifestation d’une fonction politique pour laquelle il n’est pas possible
d’envisager une situation protégeant les intérêts dans laquelle ces actes, qui sont l’expression de
cette fonction, sont pertinents.
Toutefois, dans une affaire relative à des préjudices civils causés par des troupes nazies
pendant la deuxième guerre mondiale, la Cour suprême a fait une volte-face dans la décision 5044
du 11 mars 2004.
Les arguments principaux sur lesquels se fondait cette décision étaient les suivants : la
classification de la déportation et l’imposition du travail forcé aux déportés en tant que «crime
international» est confirmé par les principes et les conventions du droit international ;

5
Note [du traducteur de l’italien à l’anglais] : l’italien dit «il ne s’ensuit pas que». Il semble qu’en regard de la
signification du paragraphe précédent l’accent sur «né» est une erreur.
- 60 -
Il est reconnu que les crimes internationaux «menacent l’humanité dans son ensemble et
minent les fondations de la coexistence internationale»; ces crimes représentent en fait une
violation particulièrement grave, en termes de leur intensité et de leur nature systématique, des
droits de l’homme fondamentaux dont la protection est comprise dans les normes impératives qui
sont prééminentes dans l’ordre international et prévalent sur toutes les normes de droit coutumier et
conventionnel ; elles ne font donc pas l’objet de prescription et il est reconnu que chaque Etat peut
punir ces crimes, où qu’ils eussent été commis, selon les principes de la compétence universelle ;
pour la même raison il n’y a aucun doute que le principe de la compétence universelle s’applique
également aux actions en justice civile résultant de ces crimes.
Reconnaissant que l’immunité de compétence des Etats ayant perpétré de tels crimes est
clairement en conflit avec les exigences normatives des conventions internationales sur les
châtiments pour de tels crimes, parce qu’une telle reconnaissance entrave plutôt qu’encourage la
protection des valeurs qui ont maintenant pris le statut de principes fondamentaux du droit
international dont il faut considérer la protection comme essentielle pour la communauté
internationale toute entière.
En fait, le privilège de l’immunité de compétence se trouve dans une relation très fragile
avec le droit fondamental des individus à disposer de recours judiciaires efficaces pour protéger sa
position légale subjective. L’ordre juridique international toutefois, en appliquant les règles de
droit coutumier et conventionnel pratiquement universellement acceptées par les tribunaux
nationaux et internationaux, même dans les décisions arrêtées après le jugement en question (dont
la signification juridique n’est certainement pas affectée par les nombreuses citations dans le
jugement de 2004), a uniformément réaffirmé l’exigence «fondamentale» de permettre l’exemption
des Etats étrangers et d’autres instances soumise à l’ordre international à la compétence territoriale
afin de défendre la souveraineté réciproque, de promouvoir les bonnes relations entre les pays et
d’éviter d’aggraver les confrontations.
L’obstacle, implicite à la reconnaissance de cette immunité, est crucial pour l’exigence
générale de non-ingérence et, comme il a en effet été soutenu, pour la résolution pacifique des
différends internationaux, et reflète également le principe de la séparation des pouvoirs, selon
lequel la compétence territoriale de l’Etat ne peut pas influencer les choix de politique du
gouvernement ou du parlement en ce qui concerne les relations externes avec un Etat bénéficiant de
l’immunité.
En ce qui concerne la jurisprudence des tribunaux nationaux d’autres Etats, les décisions
suivantes sont particulièrement pertinentes :
⎯ la décision du 17 septembre 2002 de la Cour suprême spéciale de Grèce qui a confirmé le
principe de l’immunité juridictionnelle relative à une poursuite civile pour des préjudices
résultant de l’occupation militaire en 1944 ;
⎯ la décision de la Cour suprême allemande du 26 juin 2003, au même sujet, confirmant
l’exemption de compétence même dans le cas de violation de normes impératives de droit
international et excluant la possibilité de l’existence d’un «droit international effectif» contre
cette exemption ;
⎯ la décision de la Cour de cassation française du 16 décembre 2003 rejetant une demande
d’indemnisation et de dommages et intérêts pour travail forcé en Allemagne pendant la
Deuxième Guerre mondiale, conformément au principe de l’immunité de compétence de la
République allemande [sic], qui a remplacé le Troisième Reich ; l’immunité de l’Etat pour des
demandes d’indemnisation en raison de préjudice subi résultant de torture, un crime couvert
par jus cogens et inconditionnellement puni en ce qui concerne l’individu agissant en tant
qu’agent de l’entité autorisant ce comportement, a été confirmée dans les opinions de la
Chambre des lords dans le cas de Pinochet, dans Al-Adsani (plus tard confirmé par la Cour
- 61 -
européenne des droits de l’homme) et, plus récemment, le 14 juin 2006, dans Jones c.
Ministère de l’Intérieur Al-Mamlaka Al-Arabiya AS Saudiya (le royaume d’Arabie saoudite) et
autres, qui ont examiné une large gamme de jurisprudence dans ce domaine et ont critiqué la
décision de la Cour de cassation italienne dans Ferrini («la décision Ferrini ne peut pas à mon
avis être considérée comme une déclaration exacte du droit international tel qu’il est
généralement compris ; et une hirondelle ne fait pas une règle de droit international») ; en
2002, la Cour d’appel de l’Ontario a fait une analyse similaire à celle des tribunaux européens
dans sa décision au sujet de Houshang Bouzari ; la cour canadienne a arrêté que l’interdiction
de la torture est une règle de jus cogens mais a rejeté que cela impliquait l’existence de la
compétence envers un Etat étranger dans le cas de poursuites pour indemnisation ; la Cour a
affirmé que, malgré l’existence de législations nationales à ce sujet, l’existence d’une exception
allait à l’encontre de la pratique internationale ; elle a donc étudié la jurisprudence nationale et
internationale et a conclu que, pour le moment, le droit coutumier international ne permet pas
une exception de cette nature ;
⎯ de nombreuses décisions des tribunaux américains (une liste détaillée est présentée dans les
paragraphes 18-19 de la présente demande) ont explicitement confirmé le principe de
l’immunité des Etats envers la compétence civile, même en présence de graves violations des
droits de l’homme ;
⎯ d’autres décisions contraires se fondent sur un amendement de 1996 à la loi de 1976 sur les
immunités souveraines étrangères, lequel a introduit une exception à l’immunité dans le cas de
poursuites civiles contre certains Etats, spécifiquement nommés par le Secrétaire d’Etat en tant
que promoteurs du terrorisme, en ce qui concerne les préjudices personnels causés par la
torture, l’exécution sommaire, le sabotage d’un aéronef, la prise d’otages (le demandeur ou la
victime doivent être citoyens américains au moment de la prise d’otage laquelle n’a pas besoin
de se produire sur le territoire de l’Etat terroriste) : mais il existe un élément d’ambivalence
dans le sens que l’existence de l’amendement semble militer en faveur de l’absence d’une autre
règle valable (et, par ailleurs, la compatibilité des mesures adoptées par les Etats-Unis dans le
cadre de leur effort de combattre le terrorisme reste fortement critiquée au sein de la
communauté juridique internationale).
Passant à l’examen des directives apportées par les tribunaux internationaux au sujet du droit
coutumier international, la Cour européenne des droits de l’homme a dans diverses décisions
(21 novembre 2001 Al Adsani c. Royaume-Uni ; 12 décembre 2002 Kalogeropoulos et autres c.
Grèce et Allemagne ; 14 décembre 2006 Markovic c. Italie ⎯ affaire réglée par les sections
combinées dans le jugement 8157/2002) a confirmé les principes suivants :
⎯ l’existence de l’immunité n’a pas d’impact sur les droits de fond ;
⎯ le droit d’accès à un recours juridique n’est pas absolu ; il peut être soumis à des limitations
imposées par les Etats, qui disposent d’une certaine marge de liberté dans ce domaine ; c’est au
tribunal de vérifier si ces limitations affectent la substance de la loi et de s’assurer qu’elles ont
un but légitime et qu’elles sont proportionnelles à l’objectif poursuivi ;
⎯ l’octroi de l’immunité envers la compétence civile à un Etat étranger cherche à atteindre
l’objectif légitime de respecter le droit international et de promouvoir les bonnes relations entre
les Etats en respectant leur souveraineté ; il faut interpréter la Convention européenne sur la
base des principes établis dans la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités,
article 31 3 c)) lequel stipule qu’il faut prendre en compte toutes les règles de droit
international s’appliquant aux relations entre les parties ; les dispositions adoptées par un Etat
partie à la Convention au sujet des règles de droit international assurant l’immunité des Etats
étrangers à la compétence ne peuvent pas être considérées des limitations disproportionnées ;
l’obligation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (ECHR) de ne
faire subir à personne la torture ou autre traitement ou châtiment inhumain ou humiliant
- 62 -
incarne une valeur fondamentale à toutes les sociétés démocratiques et représente une norme
impérative du droit criminel international ;
⎯ la tendance récente de la pratique des Etats a été de mettre un accent particulier sur
l’interdiction de la torture, mais il ne peut pas être affirmé que le droit international comprenne
une règle excluant l’immunité de l’Etat envers la compétence civile dans le cas d’actions
menant à des dommages liés à des actes de torture commis en dehors de l’Etat de for.
Il est donc nécessaire de clarifier qu’il n’est pas possible de conclure du cadre normatif et
judiciaire qui pénalise la responsabilité criminelle individuelle qu’il existe une règle de droit
coutumier ayant force exécutoire pour des instances internationales. La Cour internationale de
justice a clairement fait la différence, comme elle l’a démontré dans diverses décisions (cf. les
décisions du 14 février 2002 dans République démocratique du Congo c Belgique et du
3 février 2006 dans République démocratique du Congo c. Rwanda) dans lesquelles elle affirmait
qu’une violation du jus cogens n’était pas suffisante pour conférer la compétence à l’encontre d’un
Etat.
En ce qui concerne le droit international hypothétique, même la récente Convention des
Nations Unies sur les immunités de compétence des Etats adoptée le 2 décembre 2004 par
l’Assemblée générale et pas encore en vigueur, ne stipule pas d’exception au principe de
l’immunité des Etats dans le cas de violations des droits de l’homme, bien que la question ait été
examinée par le groupe de travail pertinent.
Il faut raisonnablement déduire des déclarations ci-dessus, dont la plupart sont ultérieures à
la décision de 2004, qu’il est difficile d’affirmer avec certitude que l’ordre juridique international a
vu naître des règles conventionnelles ou coutumières selon lesquelles l’immunité de juridiction
n’est plus de mise lorsqu’est invoquée la responsabilité civile de l’Etat dans la commission de
crimes internationaux.
Par conséquent, le principe de l’ajustement affirmé par la Cour constitutionnelle en ce qui
concerne l’article 10 1) ne saurait s’appliquer.
Nous ne devons pas non plus oublier l’opinion des giudice delle leggi dans son jugement 48
du 12 juin 1979 dans Russell portant que le principe de l’immunité des Etats, fondé sur des règles
internationales généralement reconnues datant d’avant l’entrée en vigueur de la Constitution,
surpasse même les droits fondamentaux inscrits dans celle-ci, avec le résultat que le mécanisme
d’ajustement automatique ne fonctionne que pour les règles créées après cette date.
Dans des procédures interlocutoires, DaimlerChrysler AG a soulevé la question de la
compétence relative à la demande à son encontre d’indemnisation pour son enrichissement injuste
allégué (articles 2041-2042 du Code civil) résultant de l’exploitation du travail forcé.
L’objection du défaut de compétence, correctement formulé sur la base du règlement du
Conseil (CE) no
44 du 22 décembre 2000, semble être bien fondée.
La requête intentant la procédure ne semble pas (la charge de preuve revient aux
demandeurs : Cass. 1974/2004) correspondre à ce qu’on appelle l’exigence générale de for de
l’article 2 de ce règlement parce que la société du défendeur ne semble pas avoir son siège légal,
son administration centrale ou sa principale activité en Italie (article 60) ou dans tous les cas un
représentant habilité à être partie à des procédures légales, au sens de l’article 3 1) de la
loi 218/1995.
Il n’est pas non plus possible d’appliquer les critères spéciaux de l’article 5 au règlement
ci-dessus.
- 63 -
Il ne s’agit certainement pas d’une affaire d’ordre contractuel, puisque la Cour de justice des
Communautés européennes a affirmé dans l’affaire C-265/02 du 5 février 2004 que le concept
d’affaires relevant de contrats ne doit pas être interprété dans le sens qu’il couvre une situation dans
laquelle il n’existe aucune obligation librement acceptée par une partie envers l’autre.
Aucune des autres situations décrites dans les dispositions spéciales ne concerne
l’enrichissement injuste, que l’article 61 du droit italien assujettit à la loi de l’Etat dans lequel les
évènements donnant lieu à l’obligation (le travail forcé en Allemagne) se produisent. La même
évaluation doit s’appliquer même si les critères spéciaux de l’article 5 3) du règlement de la CE
s’appliquaient, étant donné que l’événement préjudiciable attribué à la société (l’exploitation de la
main d’œuvre forcée) s’est produit en Allemagne.
Il n’existe aucun motif pour examiner la question de compétence soulevée par l’OIM en
cours de procédure sur le fond de l’affaire, ce qui est une question qui, si elle s’avère pertinente en
raison des liens possibles entre les demandes présentées par d’autres défendeurs, semble bien
fondée à la lumière de la convention sur les privilèges et les immunités des agences spécialisées
adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies par la résolution du 21 novembre 1947, et des
annexes relatives aux institutions individuelles (cf. sections combinées de cassation 1266/1975,
2910/1973)
Par conséquent, en ce qui concerne l’article 375 du C.P.C. ; il est demandé que, après avoir
joint les affaires 28420/2005 et 249/2003, les sections civiles combinées de la Cour suprême de
cassation, en acceptant les requêtes déposées par la République fédérale d’Allemagne et
DaimlerChrysler AG, déclare que les autorités judiciaires italiennes ne sont pas compétentes pour
entendre les plaintes déposées contre ces requérants.
Rome, le 22 novembre 2007.
Conseiller juridique adjoint, Pasquale Ciccolo.
___________
- 64 -
ANNEXE 11
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA PRÉSIDENCE DU CONSEIL DES MINISTRES ITALIENS
LETTRE DU 24 AVRIL 2008 À L’AVOCAT GÉNÉRAL
[Sceau]
Le secrétaire général
du bureau du premier ministre
Rome, le 24 avril 2008
[Cachet du bureau du premier ministre
USG 0001850 P-4.17.11
du 26 avril 2008]
BUREAU DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
(à l’attention de Maître Diana Ranucci)
Rome
Sujet : affaire T-58048/05, affaire T-11344/06, affaire T-11351/06, affaire T-11349/06,
affaire T-18429/06, affaire T-18550/06, affaire T-18709/06, affaire T-18434/06,
affaire T-27142/06, affaire T-11036/06, affaire T-15904/06, affaire T-342/07 ; affaires
soumises par d’anciens prisonniers de guerre concernant la République fédérale
d’Allemagne, Cour de cassation siégeant en formation plénière
Audience du 6 mai 2008
Nous vous écrivons en référence aux actions intentées contre la République fédérale
d’Allemagne, et dans lesquelles l’Etat italien est intervenu, qui visent à obtenir réparation pour
travail forcé dans l’industrie de la guerre du Gouvernement allemand, suite à la déportation de
prisonniers de guerre italiens en Allemagne durant la dernière phase de la Seconde Guerre
mondiale.
Le 6 mai prochain, une audience se tiendra devant la Cour de cassation siégeant en formation
plénière, dans le cadre de l’instance introduite par la République fédérale d’Allemagne en vue
d’établir la compétence dans cette affaire. L’Allemagne fait valoir que les tribunaux italiens n’ont
aucune compétence en l’espèce, en vertu du principe coutumier du droit international relatif à
l’immunité des Etats.
Ce bureau a été informé des conclusions présentées par l’avocat général à la Cour de
cassation, conclusions qui sont en accord avec l’argumentation de la République fédérale
d’Allemagne, et invoque ainsi l’incompétence totale.
Selon le premier ministre, il conviendrait d’adopter cette argumentation.
En particulier, nous souscrivons à l’opinion selon laquelle le système judiciaire international,
avec ses règlements coutumiers et conventionnels, presque unanimement adoptés par les tribunaux
internationaux et nationaux, admet le besoin «fondamental» de reconnaître l’exemption de
compétence territoriale des Etats membres et des autres parties qui s’inscrivent dans ce système
judiciaire, afin de «défendre la souveraineté mutuelle, promouvoir les bonnes relations entre les
Etats et éviter une escalade des conflits». La reconnaissance de l’immunité par la
potestas judicandi est due à la nécessité de respecter les obligations générales de non-ingérence
dans les relations entre les Etats, et elle reflète le principe de la séparation des pouvoirs, selon
lequel les autorités juridictionnelles d’un Etat territorial ne sauraient intervenir dans les choix de
politiques étrangères, opérés par le gouvernement ou par le parlement, concernant les relations avec
l’Etat pour lequel l’immunité est reconnue.
- 65 -
Notre position quant aux conclusions devant être adoptées dans l’affaire sus-mentionnée doit
être interprétée compte tenu de ce qui est exposé ci-dessus.
(Signé) Le secrétaire général.
*
Ministère des affaires étrangères
Rome, le 28 avril 2008
Réf. n° 061-P-0148958
Note verbale
Le ministre des affaires étrangères présente ses compliments à la République fédérale
d’Allemagne et, suite à la séance tenue entre les représentants italiens et allemands dans ce
ministère le 22 avril dernier concernant la question des procédures judiciaires engagées dans les
tribunaux italiens contre l’Allemagne pour des événements survenus durant la période de 1943
à 1945, et sur la base de la lettre d’engagement envoyée par les autorités allemandes datée
d’aujourd’hui, a l’honneur de transmettre une copie de la lettre envoyée par le secrétaire général du
bureau du premier ministre à l’avocat général, avant l’audience en formation plénière de la Cour de
cassation fixée au 6 mai prochain.
Le ministre des affaires étrangères profite de cette occasion pour renouveler à l’Ambassade
de la République fédérale d’Allemagne l’assurance de sa plus haute considération.
[sceau] [signature]
Ambassade de la
République fédérale d’Allemagne
4 via San Martino della Battaglia
Rome 00185
___________
- 66 -
ANNEXE 12
AVOCAT GÉNÉRAL
CONCLUSIONS SOUMISES À LA COUR DE CASSATION
28 AVRIL 2008
Bureau de l’avocat général - Cour de cassation siégeant en formation plénière
Audience à huis-clos du 6 mai 2008 ⎯ registre du Greffe no
[supprimé] 6247/87
Devant le Juge Morelli
Mémoire déposé à titre d’amicus curiae pour le compte de [M. Accolti]
La présidence du conseil des ministres, en la personne du président en exercice, représentée
conformément à la loi par le bureau des conseillers juridiques de l’Etat, domicilié à Rome,
12 via dei Portoghesi, en l’instance introduite par :
La République fédérale d’Allemagne, en la personne de l’ambassadeur en exercice,
représentée par MM. Achille Accolti Gil et Augusto Dossena, avocats.
Faits
La Cour est appelée à statuer sur l’instance introduite par la République fédérale
d’Allemagne relative à la compétence pour connaître des actions en indemnisation intentées par
d’anciens prisonnier de guerre italiens devant les tribunaux italiens, lesquels ont lancé des citations
à comparaître à la République [fédérale] d’Allemagne et aux entreprises toujours en activité qui, à
l’époque des faits, ont tiré profit du travail des prisonniers de guerre italiens.
Nul n’ignore que l’instance relative à la compétence, introduite par la demanderesse,
concerne les actions en réparation intentées par les descendants des soldats italiens qui, pendant la
Seconde Guerre mondiale, ont été internés dans des camps de concentration comme prisonniers de
guerre alors qu’en réalité ils étaient obligés de travailler comme s’il se fût agi de civils.
La défenderesse en l’affaire, la République [fédérale] d’Allemagne, a comparu devant la
Cour en faisant valoir que les tribunaux italiens n’avaient pas compétence pour connaître de ces
actions. Elle a invoqué le principe de l’immunité souveraine de l’Etat, principe reconnu de droit
international qui interdit aux tribunaux d’un Etat de connaître des actions dirigées contre un autre
Etat souverain. La République fédérale d’Allemagne a par ailleurs soutenu que les droits invoqués
étaient prescrits et de proposer que l’Italie soit tenue de l’indemniser si les juridictions italiennes
devaient faire droit aux demandes d’indemnisation.
L’Allemagne a avancé les moyens suivants à l’appui de sa requête :
1) L’Italie a expressément, par l’article 77, alinéa 4, du traité de paix du 10 février 1947,
renoncé, pour son compte mais aussi celui de ses citoyens, à toutes les demandes
d’indemnisation intentées contre l’Allemagne qui étaient pendantes à la date du
8 mai 1945. Les dispositions de l’article 77 ont, du reste, été codifiées à l’article 2 de
l’accord de Bonn du 2 juin 1961 qui a été ratifié par le décret n° 1263/1962 du Président
de la République.
- 67 -
2) D’autres juridictions suprêmes en Europe telles que la Cour suprême spéciale de Grèce, la
Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne et la Cour de cassation française ont
récemment statué sur des affaires analogues se prononçant à l’unanimité en faveur de la
reconnaissance du principe de droit international de l’immunité souveraine (relative) en
présence d’actes de souveraineté.
Le parquet près la Cour de cassation a déposé un mémoire à titre de partie intervenante
(amicus curiae) auprès de la Cour dans lequel il l’invite à statuer à huis-clos sur la requête
introduite par l’Allemagne, comme l’y autorise l’article 375 du Code de procédure civile, compte
tenu de la légitimité manifeste de celle-là.
La présidence du Conseil des ministres, représenté par le président en exercice, se rallie pour
les motifs suivants à la proposition du parquet :
Motifs
1) En premier lieu, il faut observer que la République fédérale d’Allemagne a intenté plusieurs
actions devant les tribunaux dont le contenu est identique à celui de la présente instance ; du
reste, certaines d’entre-elles seront également examinées par la Cour au cours de l’audience à
huis-clos qu’elle tiendra le 6 mai 2008. Elles portent sur les conclusions auxquelles sont
parvenus les différents procureurs. A cet égard, on ne peut pas ne pas relever que les
procureurs sont parvenus à des conclusions différentes, certains d’entre-eux se sont prononcés
en faveur de la recevabilité de l’action intentée par la République [fédérale] d’Allemagne étant
donné sa légitimité manifeste; d’autres ont invité la Cour à conclure à son irrecevabilité sur le
fondement de l’article 366a du Code de procédure civile, faute d’avoir soulevé la question.
2) L’exception procédurale qui a été soulevée par plusieurs procureurs semble toutefois infondée
vu les arrêts rendus antérieurement par cette Cour (cf. CC, Assemblée générale, affaire
n° 22059/2007) dans lesquels elle constate que l’article 366a du Code de procédure civile ne
trouve pas à s’appliquer à la procédure préliminaire aux fins d’établir la compétence des
tribunaux.
Sur le fond, la requête est bien fondée. A cet égard, il paraît opportun, pour commencer, de
mettre un terme à la confusion générée par l’arrêt n° 5044/04 que cette Cour a rendu en l’affaire
Ferrini. Par cet arrêt, la Cour dit pour droit que le principe de l’immunité de juridiction ne trouvait
pas à s’appliquer aux actes constitutifs de violations graves de normes impératives du droit
international et qui, de ce fait, doivent être qualifiés de «crimes internationaux», lesquels sont
imprescriptibles et à l’égard desquels les juridictions nationales jouissent d’une compétence
universelle.
Le parquet souligne très opportunément que cet arrêt, même s’il met en exergue un certain
nombre de questions importantes, ne semble plus concorder avec la position actuelle du droit
international. Il est sans équivalent dans la jurisprudence, que ce soit au plan national ou
international. Il paraît d’autant plus singulier dans le contexte de divers arrêts rendus par des
juridictions européennes depuis 2004, lesquelles parviennent à des conclusions diamétralement
opposées à l’arrêt Ferrini. En réalité, outre le fait que la jurisprudence invoquée et sur laquelle
repose l’arrêt Ferrini a davantage trait à la jurisprudence des tribunaux américains relative à la
responsabilité pénale des individus qu’à la responsabilité civile, en jeu dans la présente instance, il
est vrai que la décision attaquée en l’espèce va à l’encontre du principe universellement admis de
l’immunité de juridiction qui est reconnue aux Etats pour les actes dits de jure imperii (pour
reprendre les termes de la Cour constitutionnelle dans l’arrêt n° 48/1979) qui se rattachent à
l’exercice de droits souverains.
- 68 -
C’est à l’aune de ce principe juridique qu’il y a lieu résoudre la question soulevée par la
République fédérale d’Allemagne. Il est donc inutile d’invoquer l’article 77 du traité de paix
de 1947 et les dispositions de l’accord de Bonn qui a été introduit dans l’ordre juridique italien par
les décrets du Président de la République n° 1263 et 2043, la position étant manifestement fondée,
d’une part ; les instruments précités devant en tout état de cause être examinés à la lumière du
principe pacta sunt servanda.
Comme le remarque très justement le procureur, M. Ciccolo, dans ses conclusions en date du
27 novembre 2007, «le principe de l’immunité qui veut qu’un Etat ne peut être attrait devant les
juridictions civiles d’un autre Etat à raison d’actes iure imperii est en fait garanti par un principe
reconnu de droit international qui est antérieur à la ratification de la constitution italienne, les actes
incriminés seraient-ils intrinsèquement susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux de
l’homme. Ce principe a acquis force de loi dans notre ordre juridique actuel par effet de l’alinéa
premier de l’article 10 de la Constitution qui énonce que «l’ordre juridique italien se conforme aux
règles du droit international généralement reconnues».
Le raisonnement sur lequel repose ce principe est simple : il s’agit de promouvoir les bonnes
relations entre les Etats, de défendre leur souveraineté réciproque et d’éviter l’escalade des conflits
en se conformant aux principes de la séparation des pouvoirs et de la non-ingérence dans les
affaires intérieures des Etats pour éviter qu’une autorité judiciaire étrangère ne puisse, de quelque
manière que ce soit, influer sur la politique d’un autre Etat.
Il s’avère qu’hormis l’arrêt rendu en l’affaire Ferrini, la Cour de cassation a invariablement
eu présent à l’esprit ce principe de droit international et que les divers arrêts rendus en la matière
par les tribunaux nationaux qui, à maintes reprises, ont été appelés à s’exprimer sur le sujet ont
donné naissance à une jurisprudence solidement établie qui exclut toute dérogation au principe de
l’immunité de juridiction des Etats étrangers en présence de violations graves des droits
fondamentaux de la personne humaine. Ainsi l’arrêt n° 1653 rendu en 1974 réitère-t-il le principe
par in parem non habet juridictionem et d’affirmer l’immunité de juridiction absolue des «[Etats]
qui, par leur action, ont en vue l’intérêt national». Des arrêts plus récents, en l’occurrence l’arrêt
n° 530/2000 rendu en l’affaire Cernia et l’arrêt n° 8157/2002 qui plus clairement encore énonce
que «les actes des Etats qui se rattachent à la conduite des hostilités … sont la manifestation d’une
fonction politique à l’égard de laquelle l’on ne saurait faire valoir un intérêt, quel qu’il soit, que la
loi serait susceptible de protéger. Ils échappent complètement à la compétence des tribunaux».
Ce principe commun est à la jurisprudence des tribunaux d’autres Etats : l’Aeropagos grec le
consacre dans sa décision rendue le 17 septembre 2002. De même en est-il de la Cour de cassation
française par arrêt en date du 16 décembre 2003, lequel portait sur des faits présentant une grande
similitude avec ceux en cause en l’espèce puisqu’elle était saisie d’une demande d’indemnisation
du préjudice subi par suite au travail forcé effectué en Allemagne pendant la Seconde Guerre
mondiale.
Il nous faut aussi rappeler les arrêts rendus récemment par les juridictions internationales,
lesquelles reconnaissent le principe de l’immunité de juridiction, en particulier la CREDH de
Strasbourg (cf. arrêt du 14 décembre 2006 Markovic c. Italie). Bien que la CREDH réaffirme
l’importance du lien unissant les droits fondamentaux de l’individu et l’immunité de juridiction des
Etats, elle n’en conclut pas moins que «le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu ; il souffre des
limitations implicites ; certaines de ces limitations sont inhérentes au droit d’accès à un tribunal,
telles que celles qui relèvent de l’immunité des Etats en droit international».
Enfin, mention doit être faite de l’arrêt rendu le 15 février 2007 par la Cour de justice de
l’Union européenne en l’affaire C-292/05 que le parquet cite également dans ses conclusions.
Statuant sur la demande de décision préjudicielle portant sur plusieurs questions soulevées dans le
cadre des actions en réparation intentées contre l’Allemagne devant les juridictions civiles grecques
en raison des agissements de ses forces armées au cours de la Seconde Guerre mondiale, la Cour
- 69 -
répond à la première question posée par la juridiction de renvoi que «[…] l’article 1er, premier
alinéa, première phrase, de la Convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens que ne relève
pas de la «matière civile», au sens de cette disposition, une action juridictionnelle intentée par des
personnes physiques dans un Etat contractant à l’encontre d’un autre Etat contractant et visant à
obtenir réparation du préjudice subi par les ayants droit des victimes des agissements de forces
armées dans le cadre d’opérations de guerre sur le territoire du premier Etat».
La CJE n’a, semble-t-il, pas répondu à la deuxième question posée par la juridiction de
renvoi qui concernait directement le problème de l’immunité souveraine de l’Etat défendeur devant
les juridictions civiles du for se contentant de répondre à la première question posée qui portait sur
le point de savoir si l’affaire entrait dans le champ d’application de la Convention de Bruxelles
concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
La Cour dit pour droit que l’affaire n’est pas de nature civile mais qu’elle met en jeu des actes iure
imperii de sorte que l’action en réparation engagée devant la juridiction de renvoi ne relève pas du
champ d’application matériel de la Convention de Bruxelles.
Cependant, l’on ne peut s’empêcher de relever qu’en adoptant pareil raisonnement, la Cour
fait implicitement sien le point de vue qui veut que ce type d’action ne saurait être qualifiée
d’action en réparation du préjudice subi au sens propre du terme. Et la Cour de réaffirmer, dans ces
conditions, le principe suivant lequel les individus ne peuvent pas poursuivre un Etat étranger
devant les tribunaux du for pour des agissements commis par temps de guerre.
Il est évident au vu de ces arguments que le précédent établi par l’arrêt rendu par la Cour de
cassation en l’affaire n° 5044/2004 est complètement inadapté pour «créer une règle de droit
international» (cf. les conclusions du 27 novembre 2007, p. 12). Il ne saurait donc constituer une
règle à laquelle il y aurait lieu de se conformer en l’espèce.
Pour ces motifs
Nous invitons la Cour de cassation à faire droit à la requête relative à la compétence des
tribunaux introduite par la République fédérale d’Allemagne.
Rome, le 28 avril 2008.
(Signé) Diana RANUCCI,
Avocat général.
___________
- 70 -
ANNEXE 13
COUR DE CASSATION
AFFAIRES GIOVANNI MANTELLI ET LIBERATO MAIETTA, 29 MAI 2008
14201/08 [Sceau : République italienne]
COUR DE CASSATION [tampon : Cour
de cassation
CHAMBRE CIVILE – SIEGEANT EN FORMATION
PLÉNIÈRE

Objet : IMMUNITÉ
DE JURIDICTION DES
Composée des Juges : ÉTATS ÉTRANGERS
DEVANT LES
M. Vincenzo CARBONE - Premier président - JURIDICTIONS
CIVILES -
RESPONSABILITÉ POUR
M. Alessandro CRISCUOLO - Président de chambre - CRIMES DE GUERRE -
EXCLUSION
M. Marion Rosario MORELLI - Juge rapporteur -
M. Giovanni SETTIMJ - Juge - Numéro d’inscription au
registre général : 28420/05
M. Giuseppe SALME’ - Juge -
M. Salvatore SALVAGO - Juge - 249/06
M. Aldo DE MATTEIS - Juge -
M. Fabrizio FORTE - Juge - Chron. 14201
M. Stefano BENINI - Juge -
Index.
Audience du 6 mai 2008
c.c.
Ordonnance
Statuant sur le pourvoi formé par :
La République fédérale d’Allemagne, en la personne de l’ambassadeur en exercice en Italie,
ayant élu domicile au cabinet de M. Andreo Petrillo, avocat, sis à Rome, 13 via Duilio, représentée
et défendue par M. Achille Accolti Gil, avocat, en vertu de la procuration figurant au bas de la
requête introductive d’instance ;
⎯ Requérante
contre
La présidence du Conseil des ministres, en la personne du président en exercice, ayant élu
domicile au bureau des conseillers juridiques de l’Etat, sis à Rome, 12 via dei Portoghesi qui,
conformément à la loi, en assure la représentation et la défense en justice ;
- 71 -
⎯ Défenderesse
contre
Lorenzo Marocco, Maurilio Borello, en son nom et pour son propre compte et en qualité
d’héritier d’Achille Borello, Franco Fino, Domenico Bertasso, Franco Siccardi, Ottavia Battista
Pietro Allasio, Ersilia Goffi, Elsa Oddenino (les deux derniers nommés en qualité d’héritiers de
Rinaldo Oddenino), Anna Maria Panicco, Riccardo Carnino, Lorenzo Carnino (les trois derniers
nommés en qualité d’héritiers d’Elisio Carnino) et Bertino Crescente, ayant élu domicile à Rome,
204 via Nazionale, au cabinet de M. Alessandro Bozza, avocat, chargé en vertu de la procuration
spéciale reçue devant M. Pierangelo Martucci, notaire établi à Turin, enregistrée au registre, le
21 février 2007, sous le n° 72.785, d’assurer leur représentation et leur défense en justice ;
⎯ Défendeurs en vertu de la procuration
et également contre :
Giovanni Mantelli, OMI ⎯ Organisation des migrations internationales ⎯, DaimlerChrysler
AG, et la Fondation du Souvenir, de la Responsabilité et pour l’Avenir ;
⎯ Défendeurs au principal
et sur le deuxième pourvoi n° 249/06 du registre général, formé par DaimlerChrysler AG, en la
personne de ses représentants légaux pro tempore, ayant élu domicile au cabinet de M. Pietro
Cavasola, avocat, sis à Rome, 86 via A. Depretis, qui représente et défend la société de concert
avec M. Fabio Bortolotti, avocat, M. Paolo Mollea Ceirano, avocat, et Mme Cristina Martinetti,
avocate, conformément à la procuration spéciale reçue, le 23 novembre 2005, devant M. Oehrle,
notaire établi à Singelfingen, ci-jointe au dossier ;
⎯ Défendeurs et requérants incidents
contre
Giovanni Mantelli, Lorenzo Marocco, Maurilio Borello, Franco Fino, Domenico Bertasso,
Franco Siccardi, Ottavia Battista Pietro Allasio, Ersilia Goffi, Elsa Oddenino, Anna Maria Panicco,
Riccardo Carnino, Lorenzo Carnino, Enzo Bertino Crescente, OMI, la Fondation du Souvenir, de la
Responsabilité et pour l’Avenir, la République fédérale d’Allemagne et la Présidence du Conseil
des ministres ;
⎯ Défendeurs
dans la procédure préliminaire visant à statuer sur la compétence des tribunaux en l’affaire
n° 16123/04 qui est pendante devant le tribunal de Turin ;
Ayant entendu les arguments présentés par M. Augusto Dossena, avocat, sur délégation de
MM. Achille Accolti Gil et Pietro Cavasola, avocats ;
Ayant entendu l’exposé de la cause fait par le juge Mario Rosario Morelli à l’audience qui
s’est tenue en chambre de conseil le 6 mai 2008 ;
Après lecture des conclusions écrites présentées par le substitut du Procureur, M. Pasquale
Ciccolo qui s’appuyant à cet effet sur l’article 375 du Code de procédure civile, invite la Cour de
- 72 -
cassation, siégeant en formation plénière, après jonction des instances n° 28420/05 et 249/06, à
faire droit aux pourvois formés par la République fédérale d’Allemagne et DailerChrysler AG, et à
conclure à l’incompétence des tribunaux italiens pour connaître des demandes formulées à
l’encontre desdites requérantes.
En fait et en droit
Attendu que :
⎯ une action en réparation a, conformément à l’article 2041 du Code civil, été introduite devant le
tribunal de Turin, respectivement contre la République fédérale d’Allemagne et
DaimlerChrysler, par M. Giovanni Mantelli et d’autres citoyens italiens qui avaient été
déportés en Allemagne après le 8 septembre 1943 et astreints au travail forcé dans l’industrie
de guerre du Reich. La République fédérale d’Allemagne a, par requête accompagnée d’un
mémoire à laquelle les défendeurs ont répliqué, demandé à la Cour de constater que les
tribunaux italiens n’avaient pas compétence pour connaître des actions engagées à son
encontre ;
⎯ DaimlerChrysler a comparu devant la Cour formant une demande reconventionnelle qu’il
convient, conformément à l’article 335 du Code de procédure civile, de joindre à l’instance
principale ;
⎯ la présidence du Conseil des ministres de l’Italie a également comparu devant la Cour ;
⎯ dans ses conclusions présentées par écrit, le procureur plaide le défaut de compétence des
tribunaux italiens pour connaître des actions intentées contre la République fédérale
d’Allemagne.
D’emblée, il est observé qu’il y a lieu de considérer que la procédure visant à statuer sur la
compétence des tribunaux a trait à la question de la compétence des tribunaux italiens pour
connaître des actions intentées contre des entités étrangères. Le fait que l’article 37 du Code de
procédure civile telle que modifié par l’article 73 de la loi n° 218 renvoie uniquement au défaut de
compétence des juges de droit commun pour connaître des actions dirigées contre les autorités
publiques et les juges spéciaux ne fait pas obstacle à la recevabilité du présent pourvoi. Il en est
ainsi car le renvoi qu’opère l’article 41 du Code de procédure civile à l’article 37 de ce même code
aux fins de définir le domaine d’application de la procédure visant à statuer sur la compétence des
tribunaux doit s’entendre désormais en ce qu’il vise également l’article 11 de la loi n° 218 de 1995
qui dispose précisément de la détermination du défaut de compétence des tribunaux italiens (en ce
sens : Cour de cassation, siégeant en formation plénière, n 6585 du 24 mars 2006) ;
«Ne fait pas davantage obstacle à la recevabilité du présent pourvoi le fait qu’il
ne s’achève pas par l’énonciation de questions juridiques précises, la question de
l’inapplicabilité de l’article 366 a) du Code de procédure civile ⎯ qui exige pareille
énonciation finale aux fins d’examen ⎯ à l’instrument que constitue l’établissement
préliminaire de la compétence tel que prévu à l’article 41 du Code de procédure civile,
qui n’est pas une voie de recours mais davantage un instrument conçu pour permettre
aux parties d’obtenir une décision définitive sur la compétence en première instance
déjà à condition cependant qu’aucune décision sur le fond de l’affaire ou sur des
questions procédurales n’ait été rendue, étant d’ores et déjà acquise (cf. Cassation,
Assemblée plénière, no
22059/07 et d’autres arrêts postérieurs abondant dans le même
sens).
- 73 -
Il est pris acte des arguments présentés par la requérante, la République fédérale
d’Allemagne, à l’appui du défaut de compétence des tribunaux italiens et, en particulier des
moyens suivants :
⎯ l’Italie a expressément, par l’article 77, alinéa 4, du Traité de paix du 10 février 1947 (décret
législatif n° 1430 du 28 novembre 1947 adopté par le chef de l’Etat par intérim), renoncé, en
son nom propre et au nom de ses citoyens, à toutes les demandes d’indemnisation intentées
contre l’Allemagne et des ressortissants allemands qui étaient pendantes à la date du
8 mai 1945, exception faite de celles se rapportant à des droits acquis avant le
1er septembre 1939 ;
⎯ il y a lieu de considérer que tout problème relatif à l’applicabilité de ce traité à la République
fédérale d’Allemagne (qui n’est pas Partie à ce traité) est réglé par l’accord conclu
postérieurement par celle-ci, le 2 juin 1961 à Bonn, avec la République italienne «pour le
règlement de certaines questions relatives aux biens, aux revenus et aux capitaux» (accord mis
en œuvre par décret du Président de la République n° 1263 du 14 avril 1962) par lequel le
Gouvernement italien déclare «que toutes les demandes d’indemnisation ⎯ des personnes
physiques et morales italiennes ⎯ trouvant leur origine dans des droits ou des griefs nés entre
le 1er septembre [1939] et le 8 mai 1945 sont, par le présent accord, liquidées», en vue «de tenir
la République fédérale d’Allemagne à couvert d’éventuelles actions et autres poursuites
judiciaires» ;
⎯ à la suite de cet accord, la République italienne a, en outre, par décret du Président de la
République n° 2043 du 6 octobre 1963, réparti la somme reçue de l’Allemagne entre les
«travailleurs non volontaires» ;
⎯ s’agissant de ce litige, le principe de l’immunité qui est reconnue aux Etats pour les actes se
rattachant à l’exercice de droits souverains fait en tout état de cause obstacle à la compétence
des tribunaux italiens. Ce principe est universellement reconnu ; il relève des dispositions de
l’article 10, alinéa premier, de la Constitution qui lui est postérieure (voir arrêt de la Cour
constitutionnelle, n° 48 de 1979). De même, la Cour, siégeant en formation plénière, n’a eu de
cesse de confirmer ledit principe (pour le dernier arrêt en date voir : Cassation, Assemblée,
n° 11225 de 2005 qui renvoie à l’affaire des «obligations argentines»), à une exception près
que la requérante, la République fédérale d’Allemagne, critique fermement. Dans cet arrêt
n° 5044 de 2004 qui portait sur une affaire analogue à celle à l’examen, la Cour a refusé de
faire application du principe susmentionné au motif notamment que le respect des droits
inviolables de la personne humaine avait valeur de principe fondamental en droit international,
réduisant ainsi la portée et le champ d’application d’autres principes sur lesquels repose
traditionnellement ce système tels que le principe de «l’égalité souveraine» des Etats qui est lié
à l’immunité dont jouit un Etat devant les juridictions civiles d’un autre Etat.
En l’espèce, il est encore relevé à l’appui de la validité constante du principe de l’immunité
qui est reconnue aux Etats étrangers devant les juridictions civiles du for pour les actes se
rattachant à l’exercice de leurs droits souverains (acta iure imperii) :
⎯ les arrêts rendus récemment par d’autres Cours suprêmes en Europe parmi lesquels l’arrêt de la
Cour suprême grecque en date du 17 septembre 2002, l’arrêt de la Cour de cassation fédérale
d’Allemagne du 26 juin 2003, l’arrêt de la Cour de cassation française du 16 décembre 2003, la
décision de la House of Lords du Parlement britannique du 14 juin 2006 (en l’affaire Jones v.
Ministry Interior Al-Maulaka Al-Arabine AS Saudise and others) ;
⎯ un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario de 2002 (en l’affaire Houshang Bouzari) ;
- 74 -
⎯ certains arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)
[21 novembre 2001 Al-Adsani c. Royaume-Uni; 12 décembre 2002 Kalogeropoulou et autres c.
Grèce et Allemagne ; 14 décembre 2006 Markovic c. Italie] ;
Par ailleurs, il est observé que les arrêts rendus par les tribunaux américains qui sont cités
dans l’arrêt no
5044, reposant sur une disposition expresse de la loi (la loi de 1996 portant
modification de la loi de 1976 relative à l’immunité des Etats étrangers (Foreign Sovereign
Immunities Act)), concernent uniquement des Etats qui «soutiennent» le terrorisme alors que le
principe traditionnel de l’immunité a été réaffirmé dans un grand nombre d’autres décisions des
juridictions américaines.
Considérant, en premier lieu que les dispositions des traités de 1947 et de 1961
susmentionnées ne permettent pas à bon droit d’exclure la compétence des tribunaux italiens. En
effet :
⎯ telles que formulées, ces dispositions ont trait à des questions de droit matériel et non de
compétence (puisqu’il appartient au Président du tribunal de statuer sur les demandes visées
par la renonciation et, en premier lieu, sur la date d’acquisition du droit) ;
⎯ en décider autrement conduirait à une situation où il serait impossible d’expliquer que l’Italie
ait pris l’engagement de «tenir la République fédérale d’Allemagne à couvert d’éventuelles
actions et autres poursuites judiciaires», pas plus du reste que le fait que la République fédérale
d’Allemagne ait, de concert avec les entreprises allemandes qui ont eu recours au travail des
déportés, créé une fondation («la Fondation du Souvenir, de la Responsabilité et pour
l’Avenir») pour, entre autres, garantir l’indemnisation des victimes ;
⎯ l’on ne saurait davantage considérer que la prétendue incompétence du tribunal saisi soit
inhérente aux principes de droit international qui consacrent l’immunité des Etats étrangers
devant les juridictions civiles du for ;
⎯ considéré sous cet angle, les arrêts rendus par les cours suprêmes en Italie et dans les autres
pays européens qui sont invoqués par la requérante ne démontrent rien de plus que ce dont
cette Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, s’est d’ores et déjà dite
consciente dans son arrêt n° 5044 de 2004, à savoir le fait qu’à cette époque il n’existait aucune
coutume internationale certaine et explicite aux termes de laquelle l’on pourrait considérer
qu’il peut être dérogé à l’immunité dont jouit un Etat étranger devant les juridictions civiles du
for pour les actes accomplis en vertu de ses prérogatives de puissance publique (acta iure
imperii) (dont relèvent notamment et incontestablement les actes se rattachant à la conduite des
opérations de guerre : cf. Cassation, Assemblée plénière, n° 8157/02)) lorsque ceux-ci sont
d’une gravité telle qu’ils constituent des «crimes contre l’humanité» ;
⎯ de surcroît, les arrêts susmentionnés (en raison notamment de la nature particulière des affaires
en cause et du contexte particulier dans lequel ils ont été adoptés) ne sauraient assurément, de
même, passer pour être l’expression d’une coutume contraire distincte ;
⎯ au contraire, ainsi qu’il ressort de l’opinion dissidente jointe à l’arrêt de la CEDH, Al-Adsani
c. Royaume-Uni, du 21 novembre 2001 (qui déduit l’inapplicabilité des règles relatives à
l’immunité des Etats du caractère impératif (règle de jus cogens) de l’interdiction de la torture)
et de l’important obiter dictum contenu dans les motifs de l’arrêt rendu par cette même cour
le 12 décembre 2002 en l’affaire Kalogeropourou et autres c. Grèce et Allemagne, on peut
présumer que le principe limitant l’immunité d’un Etat ayant commis des crimes contre
l’humanité peut être considéré comme ayant alors été «en gestation».
- 75 -
⎯ qu’en effet le principe coutumier de l’immunité dont jouit un Etat étranger devant les
juridictions civiles du for (qui vise à favoriser les relations internationales par le respect mutuel
de la souveraineté des Etats) coexiste de fait en droit international avec cet autre principe,
parallèle, de portée non moins générale que le précédent, aux termes duquel les crimes
internationaux «sont une menace pour l’humanité toute entière et sapent les fondements mêmes
de la coexistence des peuples» [comme il est énoncé textuellement dans l’arrêt de la Cour
constitutionnelle de Hongrie n° 53 de 2003 ainsi que dans les arrêts du Tribunal pénal pour
l’ex-Yougoslavie des 10 décembre 1998 et 14 janvier 2000 ou encore dans l’arrêt de la CEDH
du 21 novembre 2001, notamment). Au niveau de la communauté internationale, «la
déportation et l’assujettissement des déportés au travail forcé» sont considérés comme des
«crimes contre l’humanité» comme il ressort de manière univoque, en particulier, de la Charte
des Nations unies signée à Londres le 8 août 1945 (article 6, b)); de la résolution 95 de
l’Assemblée générale des Nations unies du 11 décembre 1946; des principes de droit
international adoptés par la Commission des Nations unies en juin 1950, sub. VI; des
résolutions n° 827/93 et 955/94 du Conseil de sécurité qui portent adoption de la Charte du
Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (articles 2 et 5) et la Charte du Tribunal pénal
international pour le Rwanda (article 3) et enfin de la convention à l’origine de la création de la
Cour pénale internationale qui a été signée à Rome le 17 juillet 1998 par 139 Etats (et ratifiée
par 120 des signataires) et qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2002 (articles 7 et 8) ;
⎯ la Cour de cassation, siégeant en formation plénière, est convaincue que l’indéniable
«antinomie» qui existe entre les principes susmentionnés ⎯ qui tous deux ont ipso facto été
introduits dans notre ordre juridique par effet des dispositions de l’article 10 de la
Constitution ⎯ lorsqu’ils entrent en jeu simultanément et en produisant des effets opposés,
comme c’est le cas en l’espèce, ne peut être surmontée que sur le plan systémique en faisant
prévaloir les dispositions hiérarchiquement supérieures (selon le critère déjà proposé par les
auteurs de l’opinion dissidente jointe à l’arrêt précité du 21 novembre 2001 de la CEDH) ;
⎯ en effet, comme le soulignait déjà cette Cour dans l’arrêt dans l’arrêt n° 5044 de 2004, le
respect des droits inviolables de la personne humaine a aussi valeur de principe fondamental en
droit international du fait de son contenu axiologique de valeur suprême ;
⎯ en réaffirmant en l’espèce les conclusions auxquelles elle est déjà parvenue dans le précédent
susmentionné, cette cour, siégeant en formation plénière, a conscience de contribuer ainsi à
l’émergence d’une règle définissant l’immunité de l’Etat étranger qui, en tout état de cause, est
déjà considérée comme partie intégrante de l’ordre juridique international ;
⎯ d’où il résulte, comme il a du reste également été souligné par la doctrine internationaliste qui
suit le plus attentivement cette question, qu’il serait «incohérent», pour ne pas dire davantage,
que les juridictions civiles que l’ordre juridique international autorise déjà à connaître des
actions dirigées contre un Etat étranger pour violations de ses obligations contractuelles, ne
puissent pas connaître de violations beaucoup plus graves comme le sont, par exemple, les
violations constitutives de crimes contre l’humanité, lesquelles marquent aussi le point de
rupture entre l’exercice de la souveraineté qui peut être toléré et celui qui ne le peut pas ;
⎯ il résulte de tout ce qui précède que la République fédérale d’Allemagne n’a aucun droit à se
voir reconnaître l’immunité de juridiction devant les tribunaux civils italiens dans la présente
affaire ⎯ et cela étant, il y a lieu de le constater expressis verbis ⎯ même si la conduite illicite
s’est pour partie produite en Italie ;
⎯ cette conclusion est sans effet sur toutes les questions relatives à l’existence du droit invoqué
en l’espèce et à la qualité pour agir (article 386 du Code de procédure civile) ;
- 76 -
⎯ une conclusion différente s’impose toutefois s’agissant du moyen tiré du défaut de compétence,
soulevé par DaimlerChrysler, relativement à l’action en réparation pour enrichissement sans
cause, que les plaignants ont intentée contre la société ;
⎯ en effet, il s’avère, à la lumière de la norme de référence (Règlement CE n° 44 du
22 décembre 2000 qui a été invoqué à bon droit par le plaignant) que l’action n’est pas
susceptible de relever de la compétence générale prévue à l’article 2 car il n’a pas été démontré
(la charge de la preuve pèse sur les plaignants : Cassation n° 2004, 1974) que la société
défenderesse avait son siège statutaire ou une administration centrale ou son principal
établissement en Italie (article 60 du règlement CE), ou, en tout état de cause, conformément à
l’article 3 de la loi n° 218/1995, un représentant dûment habilité à comparaître devant un
tribunal en Italie ;
⎯ les critères spéciaux qui sont énoncés à l’article 5 du règlement sont de même inapplicables en
l’espèce ;
⎯ en fait, la cause à l’examen n’a pas trait à un contrat, la Cour de justice de l’Union européenne
ayant invariablement constaté que la notion de «matière contractuelle» ne saurait être comprise
comme visant une situation dans laquelle il n’existe aucun engagement librement assumé d’une
partie envers une autre (voir l’arrêt du 5 février 2004 en l’affaire 265/02) alors qu’aucune des
autres hypothèses énumérées dans la disposition spéciale ne porte sur l’enrichissement sans
cause qui, selon l’article 61 de la loi italienne, est régi par la loi de l’Etat où les faits ayant
donné naissance à l’obligation se sont produits ;
⎯ la conclusion à laquelle l’on aboutirait si l’on faisait application du critère spécial de l’article 5,
point 3 du règlement CE ne serait pas différente, le fait dommageable qui est reproché à la
société (l’exploitation du travail forcé) s’étant produit sur le territoire allemand ;
⎯ le caractère délicat et complexe des implications qu’ont les questions relatives à la compétence
des tribunaux soulevées en l’espèce justifie de laisser à chaque partie la charge de ses propres
dépens.
Pour ces motifs
La Cour, siégeant en formation plénière, après jonction des deux instances, déclare que les
tribunaux italiens ont compétence pour connaître des actions en réparation intentées contre la
République fédérale d’Allemagne et qu’ils n’ont pas compétence pour connaître de l’action en
réparation parallèle visant DaimlerChrysler. Leurs dépens sont laissés à la charge de chaque partie.
Rome, le 6 mai 2008.
[paraphe] Le président
[tampon et signature du greffier de la Cour]
[tampon] : déposé au greffe de la Cour
29 mai 2008 [signature]
[tampon]
Copie conforme à l’original fournie sur demande
de M. [signature manuscrite] Petrillo en forme légale
- 77 -
Rome, 6 JUIN 2008
[tampon et signature de la greffière de la Cour C1
Antonella Fontana]
N.I. COPIE : légale Numéro : 14201
DROITS € : 0
TIMBRES N° : 0 Année : 2008
PAR M. PETRILLO
DATE/06/06/2008 Civil
N.I. COPIE : pour le
cabinet
DROITS € : 0
TIMBRES N° : 0
De M. : Off.
DATE : 05/06/2008
N.I. COPIE :
légale
DROITS € : 0
TIMBRES N° : 0
De
M. CAVASOLA
DATE :
05/06/2008
N.I. COPI É :
légale
DROITS € : 0
TIMBRES N° : 0
De M. :
DATE :
05/06/2008
N.I. COPIE :
légale
DROITS € : 3.1
TIMBRES N° : 0
De M. : [illisible]
DATE :
05/06/2008
N.I. COPIE :
légale
DROITS € : 3.1
TIMBRES N° : 0
De M. : [illisible]
DATE :
05/06/2008
___________
- 78 -
ANNEXE 14
TRIBUNAL MILITAIRE DE LA SPEZIA
AFFAIRE MAX JOSEF MILDE, JUGEMENT DU 10 OCTOBRE 2006
No
64/05 Reg. DIB Sentence no
49
République italienne
Au nom du peuple italien,
Le tribunal militaire de la Spezia
Composé de la manière suivante :
1. Dr. Marco Bacci Président
2. Dr. Piergiorgio Ponticelli Juge
3. Sous-lieutenant Andrea Carrozza Juge
4.
5.
avec l’intervention du procureur public en la personne du Dr. Marco De Paolis
et avec l’aide de l’assistant juridique, sous-lieutenant Alessandro Carpitelli
A prononcé la suivante
SENTENCE
A une audience publique tenue dans le procès criminel contre
1) Siegfried Böttcher, né le 28/03/1921 (certificat de naissance no //) à Berlin (Allemagne) et
résidant à 72076 Tübingen (Allemagne), Ligusterweg 3, ayant domicile aux fins de recevoir des
notifications, conformément à l’article 169 CPP [code de procédure criminelle], au cabinet de
son défenseur d’office, Alessandro Orlando, du barreau de La Spezia, au moment des faits
lieutenant (Oberleutnant), commandant de l’unité de réaction rapide «Vesuvius» (Chef der
Alarmkompanie «Vesuv») de la division parachutiste blindée de renfort
(Fallschirm-Panzer-Nachschub-Truppen) H. G. de la division parachutiste blindée Hermann
Göring (Fallschirm-Panzer-Division), actuellement en liberté ;
2) Max Josef Milde, né le 20/11/1922 à Niederherms (Allemagne) et résidant à Brême
(Allemagne), Lübbeckerstrasse 9, ayant domicile aux fins de recevoir des notifications,
conformément à l’article 169 CPP [Code de procédure criminelle]), au cabinet de son défenseur
d’office, Mario MAzzella, du barreau de La Spezia, au moment des faits sergent (Unteroffizier),
affecté à la fanfare musicale (Musikkapelle) de la division parachutiste blindée Hermann Göring
(Fallschirm-Panzer-Division), actuellement en liberté ;
- 79 -
Inculpés De :
«Complicité dans des actes de violence prolongée contre des personnes ennemies et
d’homicide avec circonstances aggravantes»
(61 nos 1, 4 et 5 ⎯ art. 81, par. ⎯ 110-112 par. 1 ns 1 et 3 575, 377, nos 3 et 4; code pénal :
articles 13 et 185 du code militaire pénal de guerre ; article 47 2) et 3) ⎯ 58, par. 1 du code pénal
militaire de paix) :
pour les motifs que pendant l’état de guerre entre l’Italie et l’Allemagne, lorsqu’il
servait dans les forces armés allemandes, ⎯ l’ennemi de l’Etat italien ⎯ avec le rang
et dans l’exercice des fonctions indiqués ci-dessus et avec les unités également
indiquées ci-dessus de la division parachutiste blindée «Hermann Göering», au cours
de plusieurs opérations ayant le même objet criminel, agissant en complicité avec
d’autres soldats affectés à la division parachutiste blindée «Hermann Göering» et dont
quelques-uns appartenaient à des unités de la Feldgendarmerie, le Musikkorps et des
unités de réaction rapide «VESUV» et «Pauke», tous ces soldats ayant, selon leurs
rangs et fonctions spécifiques, joué un rôle dans la commission matérielle de ces
crimes et, en tout état de cause, se prêtant mutuellement assistance pour
l’accomplissement de leurs fins criminelles, ont, le 29 juin 1944, sur les territoires des
municipalités de Civitella, Cornia et San Pancrazio (Arezzo), sans nécessité ni
justification, pour des raisons non sans lien avec la guerre et, en fait, dans le contexte
et pour les fins d’une opération étendue de ratissage, planifiée et exécutée contre les
partisans et la population civile qui avait fait preuve de solidarité avec eux, ce qui a
provoqué la mort d’un grand nombre de personnes ⎯ environ 200 (deux-cent) ⎯ , y
compris des personnes âgées, des femmes et des enfants, qui ne participaient pas à des
opérations militaires, ayant commis ces crimes avec cruauté et préméditation et, en
outre, en s’adonnant à de la violence sexuelle contre nombre de femmes, et,
finalement, en mutilant beaucoup de cadavres.
Et tout cela avec les circonstances aggravantes prévues :
⎯ à l’article 47 2) CPMP [Code pénal militaire de paix], du fait de leurs rangs ;
⎯ à l’article 47 3) CPMP [Code pénal militaire de paix], pour avoir agi en utilisant des armes qui
leur avaient été réglementairement assignées ;
⎯ à l’article 58, par. 1, CPMP [Code pénal militaire de paix], pour avoir agi avec la complicité de
militaires de rang inférieur ;
⎯ à l’article 112, par. 1, no 1 CP [Code pénal], pour avoir agi, en commettant le crime, avec la
complicité de plus de quatre personnes ;
⎯ à l’article 112, par. 1, no 3 CP, pour avoir incité des personnes soumises à leur autorité ou
supervision à commettre le crime ;
⎯ à l’article 61 no 1, CP, pour avoir agi pour des motifs vils ;
⎯ à l’article 61 no 4 CP, pour avoir agi en usant de la torture et la cruauté contre leurs victimes ;
⎯ à l’article 61 no 5 CP, pour avoir agi en profitant de circonstances de temps, de lieu et de
personnes rendant impossible toute défense de nature publique ou privée ;
⎯ à l’article 577 no 3 CP, pour avoir agi avec préméditation.».
- 80 -
MOTIFS EN FAIT ET EN DROIT
LE DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE (P. 10)
1) Issue de l’audience préliminaire et préparation du dossier de l’affaire en vue de la
procédure orale.
2) La constitution des parties à l’instance devant le tribunal militaire.
3) La citation de l’entité responsable au civil.
4) La phase orale du procès.
5) Les arguments des parties.
LES FAITS (P. 19)
6) Rassemblement des moyens de preuve.
7) La division parachutiste blindée Hermann Göring.
8) Le Musikkorps de la division parachutiste blindée Hermann Göring.
9) Les uniformes de la division parachutiste blindée Hermann Göring.
10) La participation de la division Hermann Göring
11) Le meurtre des soldats allemands à proximité du club de récréation de Civitella.
12) Les jours qui ont précédé le massacre.
13) Le 29 juin 1944, jour du massacre.
Civitella in Val di Chiana et les environs.
Cornia et les environs.
San Pancrazio.
14) Les événements qui ont suivi le massacre.
15) Les autres preuves concernant Siegfried Böttcher.
16) Les autres preuves concernant Max Josef Milde.
LE DROIT (P. 85)
17) La compétence du Tribunal militaire.
18) Les critères pour l’évaluation des preuves.
19) La définition légale de l’acte et son illégalité objective.
- 81 -
20) La complicité des accusés dans la commission du délit.
21) Evaluations, conformément aux articles 531, paragraphe 1, et 129, paragraphe 2, CPP
[Code de procédure criminelle] pour ce qui est de l’accusé qui est décédé, Siegfried
Böttcher.
22) La responsabilité criminelle de l’accusé Max Josef Milde.
23) Les circonstances aggravantes.
24) Les circonstances atténuantes.
25) L’application de la peine principale.
26) L’application de la peine accessoire.
27) La décision sur les questions civiles.
Les notifications aux parties lésées ont été effectuées régulièrement, au moyen d’annonces.
3) La citation de l’entité responsable au civil
La capacité des parties à participer au procès ayant été établie, la seule question préliminaire
à être soulevée à cet égard a été celle de la citation de l’entité responsable au civil, c’est-à-dire la
République fédérale d’Allemagne.
Les avocats agissant pour le compte des parties réclamant des dommages-intérêts,
Gio Battista Ricciarini, Pierina Ricciarini, Vanda Buracchi, Fabrizio Ricciarini, Alessandro
Ricciarini, Metella Ricciarini et les avocats agissant pour le compte des parties réclamant des
dommages-intérêts, Florio Pietrelli et Ranieri Pietrelli, ont demandé que la République fédérale
d’Allemagne soit citée à comparaître en tant que partie responsable au civil.
Le procureur public y fit objection, et ce pour des motifs qui, pour ce qui est du droit, se
fondent sur l’impossibilité de tenir un Etat souverain pour responsable. Les autres parties s’en sont
remis au Tribunal á cet égard.
Le tribunal a fait droit à la demande des parties réclamant des dommages-intérêts,
susmentionnées, en suspendant la procédure jusqu’à l’audience du 18 avril 2006, afin que soient
prises les mesures nécessaires pour que soit convoquée l’entité responsable au civil.
Les dissentiments qui ont surgi concernant le bien-fondé de la demande en question, et qui ont été
soulevés de nouveau à l’occasion de la présentation des arguments, conduisent le Tribunal à
observer que les parties qui les ont présentés ont exercé un droit qui ne peut être contesté, visant à
promouvoir des intérêts de nature civile qu’elles cherchent individuellement à satisfaire dans la
présente instance criminelle.
En réexaminant les motifs contenus dans l’ordonnance faisant droit à la demande tendant à
ce que l’entité responsable au civil soit citée à comparaître, le tribunal a estimé nécessaire, étant
donné le temps qui s’était écoulé depuis la commission des actes en question, de considérer la
possibilité que le droit de réclamer une indemnisation pour les dommages subis par suite de ces
actes ne soit devenue caduque.
A cet égard il faut noter que, conformément à l’article 2947 du Code civil, «si selon le droit
l’acte constitue un crime et une période plus longue est établie pour la prescription de ce crime,
celle-ci s’appliquera également à l’instance civile». Il s’ensuit que si le délit dont les défendeurs
- 82 -
sont inculpés n’est pas sujet à prescription, il en va de même pour ce qui est de l’action civile pour
dommages-intérêts.
Pour ce qui est du fond de la demande tendant à ce que la République fédérale d’Allemagne
soit citée à comparaître en tant que partie responsable au civil, il faut d’abord examiner ce qu’on
appelle l’identité ou la continuité des Etats au regard de leurs relations juridiques préexistantes, afin
de rechercher si la République fédérale d’Allemagne peut être contrainte à répondre des actes
attribuables à l’Allemagne nationale socialiste du Troisième Reich.
Dans le cadre du droit international, parmi les questions concernant la succession d’Etats, le
principe relatif à la continuité des relations juridiques entre Etats là où se produisent des
changements de gouvernement par suite de révolutions, coups d’Etat ou changements de frontières
territoriales a pris une importance toute particulière.
Pour ce qui est du changement du système politique institutionnel de l’Etat, la pratique
internationale a donné naissance à la règle de la continuité de l’Etat, consacrée, de manière
emblématique, dans le Protocole signé à Londres, le 19 février 1831, par les plénipotentiaires des
principales puissances européennes, qui se réunissaient pour discuter de la crise belge. Entre autres
choses, le Protocole dispose, en ce qui concerne les changements ayant eu lieu dans l’organisation
interne des nations, que les changements qui se sont produits dans la situation d’un Etat
n’autorisent pas cet Etat à se considérer comme relevé de ses engagements précédents.
Ce principe, qui n’était pas étranger à la pratique diplomatique, a été confirmé par la suite en
vue du règlement des réclamations de certains gouvernements qui, comme le gouvernement
soviétique, étaient issus de révolutions.
A son tour la jurisprudence internationale a démontré qu’elle acceptait le principe ainsi
établi. Importante à cet égard est la sentence arbitrale du 18 octobre 1923, rendue, pour régler le
différend entre le Royaume-Uni et le Costa Rica dans l’affaire connue comme l’affaire Tinoco :
«Des changements survenus dans le gouvernement ou la politique intérieure
d’un Etat n’affectent pas d’ordinaire sa position vis-à-vis du droit international. Une
monarchie peut se transformer en république, ou une république en monarchie ; des
principes absolus peuvent prendre la place de principes constitutionnels, ou à
l’inverse. Mais malgré les changements des gouvernements, la nation demeure, avec
ses droits et obligations inchangés».
La sentence appelle l’attention, par ailleurs, sur la manière dont Louis XVIII et
Louis-Philippe dédommagèrent, dans la mesure du possible, les ressortissants d’Etats étrangers des
pertes causées par le gouvernement de Napoléon. La sentence fait observer aussi que le roi des
Deux Siciles a agi de même en indemnisant les ressortissants des Etats-Unis des actes
internationalement illicites commis par Murat.
La question de la continuité de l’Etat allemand a été débattue peu après la fin de la Seconde
Guerre mondiale. (Voir M. Giuliano, La situazione attuale della Germania, Modena, 1949.)
Plus particulièrement, dans l’après-guerre immédiat la question de la possible dissolution de
l’Etat allemand surgit par suite de l’occupation du territoire allemand, qui, comme on le sait, fut
divisé par les puissances alliées en quatre zones d’occupation différentes, sous l’autorité des
commandants en chef correspondants.
En dépit de cette situation inusuelle, les juristes académiques allemands inclinaient à penser
que l’Etat allemand subsistait et continuait d’exister en tant que sujet du droit international. Voir
M. Giuliano, op. cit., 3 et suiv.)
- 83 -
Quelques tribunaux nationaux ont pris des décisions allant essentiellement dans le même
sens. Ainsi les décisions du 1er décembre 1945 de l’Obergericht du Canton de Zurich et du
24 janvier 1946 du Bundesgericht autrichien ont confirmé que l’Etat allemand subsistait en tant que
sujet du droit international. Le développement politique ultérieur de l’Allemagne ne fait que
confirmer cette vue.
En outre, pendant la période de l’après-guerre, la République fédérale d’Allemagne a
elle-même montré quelle s’en tenait à la règle de la continuité des Etats ; à preuve les accords pour
mitiger les préjudices causés par la déportation de ressortissants italiens et leur utilisation comme
travailleurs forcés.
Cela dit, il faut observer que, au moment des faits, les accusés étaient des sous-officiers
servant dans une division de l’armée allemande et participaient à des actes de guerre pour
promouvoir les intérêts de l’Etat auquel ils appartenaient.
D’après un arrêt récent des chambres réunies civiles de la Cour suprême de cassation (Cass.
Civ. Sez. Un., 11-03-04, n 5044), la responsabilité civile solidaire d’un Etat souverain pour actes
constitutifs de crimes internationaux commis par ses ressortissants peut être établie si, en tout état
de cause, ces actes se rattachent à l’exercice de fonctions dans le contexte d’une relation de service
ou de travail.
Les parties ayant demandé que l’entité responsable au civil soit citée à comparaître se
considèrent en droit de réclamer une indemnisation pour des préjudices pécuniaires et
non-pécuniaires en raison du meurtre de Metello Ricciarini et Ranieri Petrelli, dans des
circonstances qui seront examinées.
En outre, la Cour suprême s’est prononcée au sujet de l’immunité de la République fédérale
d’Allemagne vis-à-vis des tribunaux italiens dans l’affaire de la déportation en Allemagne d’un
ressortissant italien qui avait été employé comme travailleur force jusqu’en avril 1945.
Tout en admettant la règle de droit international coutumier d’après laquelle les Etats doivent
s’abstenir d’exercer leur juridiction par rapport à des Etats étrangers, la Cour s’est prononcée dans
le sens que la portée de ce principe, jadis absolu, avait été graduellement rétrécie (Cass. sez. Un.,
3 août 2000, no 530/SU ; 3 février 1966, no
919), au point où il ne s’appliquait plus en ce qui
concerne les crimes internationaux.
A ce propos, de l’avis de la Cour, de tels crimes menacent l’humanité tout entière et
ébranlent les bases de la coexistence internationale, car ils constituent une violation
particulièrement grave des droits fondamentaux de la personne.
Des règles péremptoires ont été créées pour assurer la protection de ces droits ; elles se
situent au sommet de l’ordre juridique international et l’emportent sur toute autre règle coutumière
ou conventionnelle, y compris celles concernant l’immunité. Par conséquent, l’immunité d’un Etat
étranger par rapport à la juridiction civile ne s’applique pas à des conduites qui, conformément à
des règles du droit international coutumier, sont d’une nature extrêmement grave, telles que les
crimes internationaux incompatibles avec des valeurs universelles qui vont au-delà des intérêts des
communautés étatiques à titre individuel.
Quant à l’applicabilité de l’article 77 4) du traité de paix entre l’Italie et les puissances
alliées et associées, précité, il faut noter que le libellé de cette disposition limite la validité de l’acte
de renonciation aux réclamations contre l’Allemagne et ses ressortissants existant au 8 mai 1945 et
concernant exclusivement les droits réels.
Cette interprétation est exigée par l’article 2 de la Constitution, aux termes duquel «[l]a
république reconnaît et garantit les droits inviolables de l‘homme; » elle est indirectement
- 84 -
confirmée par la signature postérieure des accords entre l’Italie et l’Allemagne du 2 juin 1961
(«traité entre la République italienne et la République fédérale d’Allemagne relatif à
l’indemnisation des ressortissants italiens ayant fait l’objet de mesures de persécution sous le
régime national-socialiste»), dont la ratification et l’exécution ont été autorisées par la loi no 404 du
6 février 1963, et le «traité entre la République italienne et la République fédérale d’Allemagne
portant règlement de certaines questions d’ordre patrimonial, économique et financier»), mis en
exécution par le Décret présidentiel no 1263 du 14 avril 1962.
Comme il ressort clairement de la référence spécifique contenue dans l’article 2 de la loi qui
autorise la ratification, le règlement final de ces questions, se posant dans les rapports entre les
deux Etats et ne concernant que les déportations et leurs conséquences, est l’objet de l’article 4 du
traité de règlement. Il s’ensuit que cet accord n’est pas applicable à la présente instance.
L’article 2 du second accord portant règlement de certaines questions d’ordre patrimonial,
économique et financier, est conçu en ces termes :
« 1) Le Gouvernement italien déclare que sont réglées toutes les réclamations et
demandes de la République italienne ou de personnes physiques et morales
italiennes encore pendantes au regard de la République fédérale d’Allemagne
ou de personnes physiques ou morales allemandes, et découlant de droits ou
de questions qui ont surgi pendant la période allant du 1er septembre 1939 au
8 mai 1945.
2) Le gouvernement italien assurera l’immunité de la République fédérale
d’Allemagne et des personnes physiques et morales allemandes au regard de
toute action ou autre réclamation juridique de personnes physiques ou
morales italiennes en rapport avec les réclamations et demandes visées
ci-dessus.»
Pour ce qui est de l’applicabilité de cet accord à la présente affaire, il faut signaler qu’il
concerne également des revendications et réclamations encore pendantes à la date d’entrée en
vigueur de l’accord. Plus important est, toutefois, le fait que, par rapport à cet accord, le Parlement
n’a pas adopté de loi autorisant sa ratification conformément à l’article 80 de la Constitution, et ce
bien qu’une telle loi soit exigée pour les traités internationaux qui sont de nature politique,
prévoient l’arbitrage ou le règlement judiciaire, apportent des changements au territoire national,
imposent des charges financières ou modifient les lois. Par conséquent, comme son titre semble
l’indiquer, l’accord en question ne porte pas sur des questions de nature judiciaire, est de nature
purement économique et ne peut d’aucune façon être considéré comme pouvant limiter les droits
qui ne peuvent être revendiqués que dans la sphère judiciaire.
4) La phase orale du procès
A l’audience du 18 avril 2006, après notification à l’entité responsable au civil de
l’ordonnance la citant à comparaître, la procédure a été engagée et les parties ont demandé que
leurs preuves respectives fussent admises.
Le procureur public a fait une correction à l’acte d’accusation, pour éliminer une légère
erreur de frappe portant sur l’expression «e in prevalenza» («principalement») ; partant, en se
fondant sur ce qui est inscrit à la liste prévue à l’article 468 CPP [Code de procédure criminelle], le
procureur public a demandé l’examen des témoins, des témoins experts, des défendeurs et des
défendeurs au regard de délits connexes.
- 85 -
Le lendemain, à l’audience du 20 juin 2006, le tribunal a ordonné que la demande
d’assistance judiciaire en matière criminelle soit traduite en allemand ; par conséquent la procédure
a été suspendue en attendant l’arrivée des évaluations d’experts fournies par le bureau du procureur
de Stuttgart.
A l’ouverture de l’audience du 22 septembre 2006, le défenseur de l’accusé Milde a déclaré
qu’il n’objectait pas à la prorogation des audiences instituée par l’Organismo Unitario
dell’Avvocatura (Barreau unitaire des avocats). Ayant reconnu que le défenseur était légitimement
empêché d’assister, le tribunal a différé l’audience.
A l’audience du 10 octobre 2006, le procureur public a d’abord retiré sa demande tendant à
ce que d’autres témoins soient admis, annexée au procès-verbal de l’audience du 12 juin 2006 ; il a
alors présenté le certificat de décès de l’accusé Siegfried Harald Böttcher, délivré le 3 août 2006
par l’officier d’état civil de Tübingen.
Ayant pris acte de ces déclarations, le tribunal a mis à l’écart les rapports concernant l’état
psychologique et physique de l’accusé Böttcher. Il s’est donc reporté, en ce qui concerne la
décision, à tous les actes et documents réunis dans le dossier de l’affaire et, comme il n’y a pas eu
de demande de lecture, a invité les parties à présenter leurs arguments.
5) Les arguments des parties
Le procureur public a présenté au tribunal, séparément, les demandes ci-après :
1) En ce qui concerne l’accusé Siegfried Böttcher, que le tribunal mette fin à la procédure, du
fait que le crime qu’on lui imputait était éteint en raison de son décès.
2) En ce qui concerne l’accusé Max Josef Milde, qu’il soit condamné à l’emprisonnement à
vie et qu’il lui soit ordonné de payer les frais de justice et des dommages-intérêts, à régler
à une audience séparée, au bénéfice des parties réclamant des dommages-intérêts.
Les parties réclamant des dommages-intérêt, y compris Paolo Lammioni, actuellement
décédé, ont appuyé la demande du procureur public et présenté leurs mémoires. Pour ce qui est des
deux défendeurs, leurs avocats ont demandé qu’ils soient absous pour le motif qu’ils n’étaient pas
coupables des actes en question.
A la fin de la procédure, le tribunal a déclaré qu’il ne procèderait pas contre Siegfried
Böttcher, au motif qu’il était décédé, et condamna Max Josef Milde à l’emprisonnement à vie et les
conséquences que la loi en tire. De plus le tribunal a ordonné au défendeur Milde de payer des
dommages-intérêts, de faire des paiements intérimaires et de payer les frais des parties réclamant
des dommages-intérêts ; et, seulement à l’égard des parties qui avaient demandé qu’elle soit citée à
comparaître, le tribunal a ordonné à l’entité responsable au civil de comparaître, étant donné son
obligation conjointe et solidaire.
La décision sur les questions se posant au civil
La responsabilité criminelle de Max Josef Milde ayant été établie, le tribunal lui ordonne en
outre de payer des dommages-intérêts pour les préjudices pécuniaires et non-pécuniaires causés par
suite du crime commis, au bénéfice des parties s’étant constituées parties civiles, l’indemnité
correspondante devant être réglée devant des tribunaux civils, puisque les preuves présentées ne
permettaient pas de quantifier avec précision les montants des dommages subis.
- 86 -
Le président du Conseil des ministres et les entités régionales (Regione Toscana, Provincia
di Arezzo et municipalités de Civitella in Val di Chiana et Bucine) ont agi en qualité de parties
lésées dans la décharge de leurs responsabilités en ce qui concerne la protection des intérêts des
communautés locales qu’elles représentent. (Cass. Sez. VI, arrêt no 59 du 10 janvier 1990,
Monticelli, 11 03 04, Cass. Sez. I, arrêt no 10371 du 18 octobre 1955, Costioli). D’ailleurs le
massacre de nombreuses personnes, les souffrances infligées à la communauté, la réduction du
nombre des travailleurs et des moyens de subsistance, par suite du meurtre systématique de la
population masculine et de la destruction de régions entières, ont eu un impact négatif sur les
possibilités de développement social, économique et culturel de ces municipalités, qui ont été
marquées par ces événements pendant des générations.
Il a été établi par ailleurs que les personnes physiques qui se sont constituées parties civiles
et réclament des dommages-intérêts ont subi des préjudices pour les raisons suivantes :
⎯ Malentacchi Sestilio, par suite du meurtre de son père Malentacchi Nello, blessé mortellement
à Civitella le 29 juin 1944 et mort de ses blessures chez lui quelques heures plus tard.
⎯ Ricciarini Gio Battista (fils), Biancucci Barbara, Biancucci Beatrice (héritiers succédant à
Ricciarini Pierina, décédée, fille de la victime), Ricciarini Metella (fille), Buracchi Vanda
(belle-fille), Ricciarini Fabrizio (neveu), Ricciarini Alessandro (neveu), par suite du meurtre de
leur parent Ricciarini Metello près du Ponte di Palazzina, le 29 juin 1944.
⎯ Pietrelli Florio et Pietrelli Ranieri, par suite du meurtre de Pietrelli Ranieri, qui eut lieu près de
la ferme Burrone le 29 juin 1944.
⎯ La demande de la partie Lammioni Paolo à être admis comme partie civile est considérée,
implicitement, comme ayant été retirée, puisqu’elle n’a fait aucune déclaration, orale ou écrite ;
par ailleurs, à la lecture du dispositif, la mort de cette partie, survenue avant que les arguments
soient présentés, a été portée à la connaissance du tribunal, au moyen d’annexe au
procès-verbal.
En outre le tribunal ordonne au défendeur de faire immédiatement, sous peine de contrainte,
des paiements intérimaires aux parties réclamant des dommages-intérêts ; à cet égard le tribunal est
d’avis que cela se justifie, étant donné l’importance des dommages subis et le temps qui s’est
écoulé depuis que se sont produits les faits ; par ailleurs le tribunal a décidé d’ordonner également
des paiements intérimaires imposés aux personnes physiques qui se sont jointes à la procédure mais
n’ont pas expressément demandé de tels paiements (Ricciarini Gio Battista, Biancucci Barbara,
Biancucci Beatrice, Ricciarini Metella, Buracchi Vanda, Ricciarini Fabrizio, Ricciarini Alessandro,
Pietrelli Florio et Pietrelli Ranieri) (voir C. Cass. 4 11 1999, Crepalci, CED, no 216128). Le
montant des paiements intérimaires, limité aux dommages pour lesquels il est considéré que des
preuves ont déjà été soumises, et eu égard au calendrier de la Cour de Milan (Tribunale di Milano),
et, dans la mesure où les personnes physiques sont concernées, leurs rapports à titre individuel, est
fixé comme suit : Regione Toscana €200.000 (deux cent mille), Provincia di Arezzo €350.000
(trois cent cinquante mille), municipalité de Civitella in Val di Chiana €500.000
(cinq cent cinquante mille), municipalité de Bucine €500.000 (cinq cent mille), Malentacchi
Sestilio €200.000 (deux cent mille), Ricciarini Gio Battista et Ricciarini Metella €200.000
(deux cent mille) chacun, Biancucci Barbara, Biancucci Beatrice, Pietrelli Florio et Pietrelli
Ranieri, €100.000 (cent mille) chacun, Buracchi Vanda, Ricciarini Fabrizio et Ricciarini
Alessandro €66.000 (soixante-six mille) chacun.
Le tribunal ordonne au défendant, en outre, à payer les frais des parties qui se sont jointes à
la procédure, eu égard à l’importance des services de défense prêtés, ainsi qu’à l’article 3 du tarif
des frais en matière pénale [Tariffa penale] (approuvé par le décret no 127 du ministre de la justice
du 8 avril 2004), comme suit :
- 87 -
⎯ Président du Conseil des ministres : €2.250 (deux mille deux cent cinquante), dont €250 pour
frais généraux, Regione Toscana, Provincia di Arezzo, municipalité de Civitella in Val di
Chiana et municipalité de Bucine : €9.000 (neuf mille), dont €1.000 (mille) pour frais
généraux, Malentacchi Sestilio : €4.500 (quatre mille cinq cents), dont €500 (cinq cents) pour
frais généraux ; Ricciarini Gio Battista, Buracchi Vanda, Ricciarini Fabrizio, Ricciarini
Alessandro, RICCIARINI Metella, €6.075 (six mille soixante-quinze), dont €675
(six cent soixante-quinze) pour frais généraux, Pietrelli Florio et Pietrelli Ranieri, €6.075
(six mille soixante-quinze), dont €675 (six cent soixante-quinze) pour frais généraux.
⎯ Finalement le tribunal ordonne à l’entité responsable au civil (la République fédérale
d’Allemagne) de payer, conjointement et solidairement avec le défendeur Milde, et pour les
sommes indiquées ci-dessus, une indemnisation, de faire un paiement intérimaire immédiat,
sous peine de contrainte, et de rembourser les frais, seulement au bénéfice des parties qui ont
demandé qu’elle soit citée à comparaître :
⎯ Ricciarini Gio Battista, Buracchi Vanda, Ricciarini Fabrizio, Ricciarini Alessandro, Ricciarini
Metella, Pietrelli Florio, Pietrelli Ranieri, Biancucci Barbara et Biancucci Beatrice.
PAR CES MOTIFS
Eu égard à l’article 531 CPP (code de procédure criminelle), l’article 261 CMPM (code
pénal militaire de paix) et l’article 150 CP (code pénal),
LE TRIBUNAL DÉCLARE
Que fin doit être mise à la procédure à l’égard de Siegfried Böttcher, du fait que son décès a
emporté l’extinction du délit dont il est accusé,
Eu égard aux articles 531 CPP (code de procédure pénale) et 261 CPMP (code de procédure
pénale militaire),
LE TRIBUNAL DÉCLARE
Que Max Josef Milde, en contumace, est coupable des crimes dont il a été inculpé et que les
circonstances aggravantes susmentionnées ont été prouvées, à l’exception, seulement, de celle
prévue à l’article 112, paragraphe 1, no 3 ;
le condamne à l’emprisonnement à vie, la peine accessoire de rétrogradation, le paiement des
frais de procédure et toute autre conséquence imposée par la loi.
Eu égard à l’article 32, paragraphes 1 et 2 CPMP.
ORDONNE
La publication de la sentence sur les panneaux d’affichage des municipalités de la Spezia,
Civitella in Val di Chiana (AR) et Bucine (AR) ; et, aux frais du défendeur, en abrégé et pour une
seule fois, dans les journaux Corriere della Sera et La Nazione.
Eu égard aux articles 538 et suivants et 82, paragraphe 2, CPP et 261 CPMP, déclare que
Paolo Lammioni est considéré ipso jure comme ayant cessé d’être partie à l’instance réclamant des
dommages-intérêts.
- 88 -
ORDONNE
Au défendeur de payer une indemnité, à régler à une audience séparée, aux parties
suivantes :
⎯ président du Conseil des ministres ;
⎯ Regione Toscana ;
⎯ Provincia di Arezzo ;
⎯ municipalité de Civitella in Val di Chiana ;
⎯ municipalité de Bucine ;
⎯ Sestilio Malentacchi ;
et de verser aux parties qui en ont fait la demande, à titre de paiement intérimaire à faire
immédiatement, sous peine de contrainte, les sommes suivantes :
⎯ regione Toscana €200.000 (deux cent mille),
⎯ provincia di Arezzo €350.000 (trois-cent cinquante mille),
⎯ municipalité de Civitella in Val di Chiana €500.000 (cinq cent mille), municipalité de
Bucine €500.000 (cinq cent mille), Sestilio Malentacchi €200.000 (deux cent mille).
ORDONNE
Au défendeur de rembourser les frais de procédure, ainsi que la TVA et ce qui est légalement
dû à la Cassa Providenza Avvocati (Fonds de prévoyance des avocats), comme suit :
⎯ président du Conseil des ministres : €2.250 (deux mille deux cent cinquante), dont €250
(deux cent cinquante) à titre de frais généraux ;
⎯ regione Toscana, Provincia di Arezzo, municipalité de Civitella in Val di Chiana et
municipalité de Bucine : €9.000 (neuf mille), dont €1000 (mille) à titre de frais généraux ;
Sestilio Malentacchi : €4.500 (quatre mille cinq cent), dont €500 (cinq cents) à titre de frais
généraux.
ORDONNE
Au défendeur et à l’entité responsable au civil, c’est-à-dire la République fédérale
d’Allemagne, de payer, à titre d’indemnisation, conjointement et solidairement, et d’une manière à
déterminer à une audience séparée, les sommes suivantes aux parties réclamant des
dommages-intérêts :
⎯ Gio Battista Ricciarini;
⎯ Vanda Buracchi ;
⎯ Fabrizio Ricciarini;
- 89 -
⎯ Alessandro Ricciarini ;
⎯ Metella Ricciarini ;
⎯ Barbara Biancucci ;
⎯ Beatrice Biancucci;
⎯ Florio Pietrelli;
⎯ Ranieri Pietrelli ;
ainsi qu’à, de nouveau, verser, conjointement et solidairement, à titre intérimaire,
immédiatement et sous peine de contrainte, les sommes suivantes à :
Gio Battista Ricciarini et Metella Ricciarini, €200.000 (deux-cent mille) chacun, Barbara
Biancucci, Beatrice Biancucci, Florio Pietrelli et Ranieri Pietrelli, €100.000 (cent mille) chacun,
Vanda Buracchi, Fabricio Ricciarini et Alessandro Ricciarini, €66.000 (soixante-six mille) chacun .
ORDONNE
Au défendeur et à l’entité responsable au civil de payer, conjointement et solidairement, les
frais de procédure, ainsi que la TVA et ce qui est légalement dû a la Cassa Providenza Avvocati
(Fonds de prévoyance des avocats), au bénéfice des parties réclamant des dommages-intérêts, et
pour les montants ci-après indiqués, de la manière suivante :
⎯ Gio Battista Ricciarini, Vanda Buracchi, Fabricio Ricciarini, Alessandro Ricciarini, Metella
Ricciarini, €6.075 (six mille soixante-quinze), dont €675 (six cent soixante quinze) à titre de
frais généraux ;
⎯ Beatrice Biancucci et Barbara Biancucci, €6.075 (six mille soixante-quinze), dont €675
(six cent soixante-quinze) à titre de frais généraux ;
⎯ Florio Pietrelli et Ranieri Pietrelli, €6.075 (six mille soixante-quinze), dont €675
(six cent soixante quinze) à titre de frais généraux.
Ce jugement doit être enregistré dans un délai de quatre-vingt-dix jours.
La Spezia, le 10 octobre 2006
Le président
(chargé de rédiger la sentence)
Dr. Marco BACCI
[Signé]
La présente sentence a été enregistrée le 2 février 2007,
conformément à l’article 548 [CPP]
___________
- 90 -
ANNEXE 15
COUR MILITAIRE D’APPEL, ROME
AFFAIRE MAX JOSEF MILDE, ARRÊT DU 18 DÉCEMBRE 2007
N0
5?/2007 [sic] R. G. Arrêt N0 72/07
République italienne
Au nom du peuple italien
La cour militaire d’appel
Composée de la manière suivante :
⎯ 1) Dr. Giuseppe Monica Président
⎯ 2) Dr. Giuseppe Mazzi Juge
⎯ 3) Dr. Luigi Maria Flamini Juge
⎯ 4) Gén. Div. G.d.F. Flavio Zanini Juge
⎯ 5) Lieut. Col. Carmelo Fazzini Juge
avec l’intervention du Dr. Domenico Giordano, procureur militaire assistant, et l’assistance
du Dr. Renato Rocca, membre du Greffe, a rendu, à une audience publique, l’arrêt conçu en ces
termes :
ARRET*
A une audience publique tenue dans le procès criminel contre :
Milde Max Josef, né le 20 novembre 1922 à Niederherms et résidant à 28203 Brême
(Allemagne), Lübbeckerstrasse 9, (Allemagne), ayant domicile aux fins de recevoir des
notifications, conformément à l’article 169 du code de procédure criminelle, au cabinet de son
défenseur, Jacopo Memo, 7 via Sant’Antonio, La Spezia, sergent, affecté à la fanfare musicale de la
division parachutiste blindée Hermann Göring, actuellement en liberté et absent, déjà condamné
par contumace ; à la suite de l’appel interjeté par le défenseur de l’accusé et par celui de l’entité
responsable au civil, et également partie au procès, c’est-à-dire la République fédérale
d’Allemagne, contre la sentence rendue le 10 octobre 2006 par le tribunal militaire de La Spezia.
1. Par ordonnance du 12 octobre 2005, Milde Max Josef et Böttcher Siegfried ont été cités à
comparaître devant le tribunal militaire de la Spezia pour répondre à l’accusation d’avoir commis :
«DES ACTES CONSTITUTIFS DE COMPLICITE DANS DES ACTES DE
VIOLENCE PROLONGEE CONTRE DES PERSONNES ENNEMIES ET
D’HOMICIDE VOLONTAIRE, AVEC CIRCONSTANCES AGGRAVANTES»
- 91 -
(61 1), 4) et 5) art. 81, sections 110-112 par. 1,1) et 3), 575, 577 3) et 4) du code
pénal ; art. 13 et 185 du code militaire pénal de guerre, art. 47 2) et 3) ⎯ 58 1) du
code pénal militaire de paix) :
«pour les motifs que, pendant l’état de guerre entre l’Italie et l’Allemagne, lorsqu’il
servait dans les forces armées allemandes, ⎯ ennemies de l’Etat italien ⎯ avec les
rangs et fonctions susmentionnés, dans les unités indiquées ci-dessus de la division
parachutiste blindée «Hermann Göering», également mentionnée ci-dessus, certains
membres d’unités de la police militaire, la fanfare militaire et des unités de réaction
rapide «VESUV» et «Pauke», tous contribuant, conformément à leurs qualités et
fonctions particulières, à la commission effective du crime et aussi s’encourageant
mutuellement pour l’accomplissement du plan criminel, ont, le 29 juin 1944, sur le
territoire des municipalités de Civitella, Cornia et San Pancrazio (Arezzo), sans
nécessité ni justification et pour des raisons non sans lien avec la guerre, dans le
contexte et aux fins d’une opération de ratissage plus vaste, planifiée et menée contre
les partisans et des membres de la population civile qui les appuyaient, causé la mort
de nombreuses personnes ⎯ environ 200 (deux cents) ⎯ comprenant des personnes
âgées, des femmes et des enfants ⎯ qui ne participaient pas aux opérations militaires,
ayant commis ces crimes avec cruauté et préméditation et en violant de nombreuses
femmes, et, finalement, en mutilant beaucoup de cadavres.»
Et cela avec les circonstances aggravantes prévues :
⎯ à l’article 47 2) c.p.m.p. [code pénal militaire de paix], étant donné leurs rangs ;
⎯ à l’article 47 3) c.p.m.p. [code pénal militaire de paix], pour avoir commis le
crime en utilisant du matériel militaire qui leur avait été assigné ;
⎯ à l’article 58, par. 1, c.p.m.p. [code pénal militaire de paix], pour avoir agi avec la
complicité de militaires de rang inférieur ;
⎯ à l’article 112, par. 1 c.p. [code pénal], pour avoir commis le crime avec la
complicité de plus de quatre personnes ;
⎯ à l’article 112, par. 2 et 3 c.p. [code pénal], pour avoir incité des personnes sous
leur autorité ou surveillance à commettre le crime ;
⎯ à l’article 61 1) c.p. [code pénal], pour avoir agi pour des motifs vils ;
⎯ à l’article 61 4) c.p. [code pénal], pour avoir agi en étant de service et en traitant
leurs victimes avec cruauté ;
⎯ à l’article 61 5) c.p. [code pénal], pour avoir agi en profitant des circonstances de
temps, de lieu et de personnes, de manière à rendre impossible toute défense de
nature publique ou privée ;
⎯ à l’article 577 3) c.p. [code pénal], pour avoir agi avec préméditation.»
Par sa sentence du 10 octobre 2006, le tribunal militaire de la Spezia a condamné Milde Max
Josef à emprisonnement à vie et décidé qu’il n’y avait pas lieu de continuer la procédure contre
Böttcher Siegfried, étant donné que le crime dont il était accusé avait été éteint par son décès. A
cet égard la décision de première instance n’a pas été contestée.
Dans ses motifs, le tribunal, après avoir décrit le déroulement de la phase orale de la
procédure (en indiquant, en particulier, les raisons pour lesquelles il avait fait droit à la demande
des parties qui réclament des dommages-intérêt á l’entité responsable au civil, à savoir la
- 92 -
République fédérale d’Allemagne, tendant à ce que celle-ci soit citée à comparaître) donne une
description particulièrement précise et compréhensive des événements objet de la présente instance
criminelle, laquelle porte sur le massacre commis le 29 juin 1944, à Civitella in Val di Chiana,
Cornia et S. Pancrazio, par des troupes allemandes de la division «Hermann Göring» et au cours
duquel ont été tués les 203 civils dont la liste figure dans l’acte d’accusation. Ainsi, sur la base des
preuves rassemblées, il a été établi que, après que trois soldats allemands eurent été tués le
18 juin 1944 au centre de récréation à Civitella et un autre allemand servant dans la police militaire
eut été tué le 21 juin 1944 sur le chemin de Monte S. Savino à Bucine, une opération militaire a été
planifiée et exécutée le 29 juin par des membres d’unités de police militaire (y compris quelques
membres de la fanfare musicale) et des membres des unités de réponse rapide Vesuv et Pauke, ce
qui a mené à une tuerie sauvage et aveugle des civils présents aux endroits susmentionnés et dans
la campagne les entourant.
Dans la sentence, qui à cet égard devrait être citée in extenso (p. 41-69), car il n’est pas
possible de résumer les faits sans diminuer la nature tragique de l’événement, les divers actes de
violence sont décrits avec un luxe de détail qui saisit sur le vif, et d’une manière impressionnante,
ce qui est arrivé, et cela sur la base de ce qu’en ont rapporté les survivants. De plus, bien qu’il ait
été établi que dans certains cas les troupes allemandes ont épargné les femmes et les enfants, dans
d’autres, et particulièrement à proximité de Cornia, tous ceux qui n’ont pas pu s’enfuir, y compris
tous les enfants, les femmes et les personnes âgées, ont été tués sans exception.
La juridiction de première instance a conclu qu’il avait été démontré que Milde avait pris
part au massacre (bien qu’il n’ait pas été prouvé qu’il a été coupable des actes de violence les plus
brutaux), et ce sur la base des preuves suivantes :
⎯ La déposition, à la phase orale, de Carletti Felicina (fille du propriétaire de la Villa Carletti),
qui, ayant examiné une photographie de l’accusé, l’a reconnu, se rappelant bien son nom et les
circonstances dans lesquelles elle avait fait sa connaissance (en particulier le fait que Milde
paraissait être au courant des décisions concernant les prisonniers, ce qui implique un certain
degré de participation de la part de ses supérieurs hiérarchiques, en raison du rôle qu’il jouait
en tant que sous-officier) ;
⎯ le fait que l’accusé, qui avait été membre de la fanfare militaire de la division avant qu’elle fût
dissoute, avait été muté à la police militaire qui était affectée à la Villa Carletti à l’époque ;
⎯ le fait que les membres de la police militaire cantonnés à la Villa Carletti ont participé aux
actions du 29 juin, comme le montre en particulier le fait que c’est justement là que furent
amenées les personnes tuées à Cornia et dans ses environs ;
⎯ la déposition d’EISINGER Philipp, qui était également membre de la police militaire, avait au
début été membre de la fanfare et a confirmé que les musiciens n’étaient pas dispensés
d’opérations militaires comme celle en question ;
⎯ les déclarations d’autres membres de la fanfare : Huhn Fritz, qui a reconnu les campagnes de
Cornia et Solaia et se rappelait avoir vu quinze ou vingt cadavres d’hommes, femmes et
enfants ; Wolf Gerhard, qui se rappelait l’opération du 29 juin (et a déclaré que le sous-officier
Milde y avait également participé) et a reconnu la Villa Carletti ; Bernhold Hermann ;
⎯ les déclarations de l’accusé lui-même, qui au début a dit qu’il avait fait partie d’un groupe
d’arrière-garde et était retourné après avoir rencontré d’autres troupes qui lui avaient dit que
l’action était terminée et que des choses épouvantables étaient arrivées à la population locale
(quant à la note contenant son adresse, qu’il avait remise entre les mains de Carletti Felicina,
l’accusé a dit qu’il espérait la revoir un jour, en ajoutant que s’il n’avait pas eu la conscience
tranquille il ne lui aurait pas donné de détails sur sa personne ; à cet égard le tribunal militaire a
observé qu’une simple note, donnée à une femme dans les conditions troublées de la guerre, ne
- 93 -
revêtait pas une importance suffisante pour l’emporter sur les nombreux éléments de preuve
contre l’accusé). En fin de compte Milde admit également qu’il avait vu plus d’un cadavre. (Il
a justifié ses dénégations antérieures en prétendant avoir subi une perte partielle de la mémoire
par rapport à l’expérience, décrite par lui comme une torture et un acte effroyable). Il était
resté huit jours à la Villa Carletti et se rappelait avoir eu l’occasion d’aller chercher de l’eau
avec Carletti Felicina. Milde a affirmé n’avoir pas eu connaissance des crimes commis dans la
Villa ; mais, d’après le tribunal de première instance, «la confirmation donnée par de nombreux
témoins en ce qui concerne les cris et hurlements de gens qui subissaient des tortures et qui
provenaient d’endroits proches de la maison du régisseur montrent qu’aucune personne
présente à l’intérieur de la Villa aurait pu ne pas s’en apercevoir». Et il ressort des déclarations
d’Eisenberg et de Bernhold que l’accusé n’aurait pu ne pas se rendre compte de la nature
manifestement criminelle des activités de l’unité dont il faisait partie en qualité de
sous-officier.
Le tribunal militaire, ayant noté que toutes les preuves rassemblées sont recevables aux fins
de sa décision, a estimé que l’acte imputé à l’accusé peut être considéré comme constitutif du délit
objet de l’article 185 c.p.m.g. [code pénal militaire de guerre] et qu’il est impossible de trouver
aucune nécessité militaire ou justification sur lesquelles pourrait se fonder la commission de ce
crime.
Outre ce qui s’est passé aux lieux où la police militaire était déployée, Milde doit aussi
répondre des actes commis dans les autres zones où des actes criminels ont été perpétrés.
L’ensemble de ce qui s’est passé constitue fait partie d’un seul acte, parce qu’un seul ordre a été
donné et aussi en raison de la coordination étroite entre les forces participant à l’opération, ce qui
ressort, d’une part, de la manière orchestrée dont, sur le plan temporel, des actions ont été menées
au cours desquelles les mêmes méthodes ont été mises en œuvre, et, d’autre part, de la proximité
des zones de campagne visées, tout cela étant idéal pour la mise en œuvre d’une stratégie précise de
ratissage.
En particulier, en divisant en petites patrouilles les contingents qui devaient accomplir les
actes en question, on a pu fouiller les principales zones habitées, rassembler les habitants de la zone
visée et barrer toutes les voies de fuite possibles. Il s’ensuit que l’activité de chacune des
patrouilles a aidé et facilité l’exécution du plan criminel. Quant aux conditions subjectives devant
être réunies pour qu’il y ait complicité personnelle, le tribunal a constaté que Milde certainement
connaissait le rapport entre sa conduite et celle des autres participants. Il n’est pas douteux non
plus que, en tant que sous-officier, l’accusé avait connaissance des grandes lignes de l’opération, de
ses objectifs, et du modus operandi correspondant, particulièrement du fait que des réunions
spéciales avaient été tenues auparavant. Il existe donc des preuves définitives que le sous-officier a
sciemment participé à la planification et l’exécution de l’acte manifestement criminel dont il est
accusé.
Etant donné en outre les circonstances aggravantes dont le défendeur est accusé, le tribunal
militaire lui a imposé la peine d’emprisonnement à vie, avec les peines accessoires de
rétrogradation et de publication de la sentence, en ordonnant aussi que l’accusé (et, seulement en ce
qui concerne ceux qui ont demandé que soit citée à comparaître l’entité responsable au civil,
c’est-à-dire la République fédérale d’Allemagne) paie une indemnité aux parties réclamant des
dommages-intérêts, le montant correspondant devant être déterminé pour chacune de celles
inscrites sur la liste (y compris la présidence du Conseil des ministres).
Le défenseur de l’accusé a immédiatement fait appel de la sentence, en demandant que
l’accusé soit acquitté du délit qui lui était imputé au motif qu’il ne l’avait pas commis. L’entité
responsable au civil a aussi fait appel, en demandant à la Cour de reviser la sentence contestée et de
rejeter les demandes en indemnisation présentées contre l’entité responsable au civil, soit la
République fédérale d’Allemagne.
- 94 -
A l’audience tenue ce jour, les avocats représentant les parties réclamant une indemnisation
ont d’abord demandé par écrit que l’appel fait pour le compte de l’entité responsable au civil soit
rejeté ; la Cour réserve sa position à cet égard. En concluant, le procureur public et les avocats
représentant les parties réclamant des dommages-intérêts demandent que la sentence de première
instance soit confirmée ; les avocats représentant l’accusé et l’entité responsable au civil se sont
reportés aux motifs de leur appel, en demandant qu’ils soient retenus.
2. De l’avis de la Cour, qui a d’abord observé que le mémoire présenté par les parties
réclamant des dommages-intérêts est recevable conformément aux articles 121 et 483 c. p. p. [code
de procédure criminelle], ni l’appel de l’accusé ni celui de l’entité responsable au civil ne sont
recevables et la sentence de première instance doit être confirmée.
En premier lieu, dans son appel, l’accusé invoque deux moyens :
2.1. Tout d’abord, l’accusé soutient que les preuves relatives à la responsabilité de Milde
se contredisent et sont insuffisantes, que la sentence contestée viole l’article 192 2) c. p. p.
[code de procédure criminelle] et que la sentence contestée est illogique : aucun des
résultats de la procédure ne prouve que l’accusé ait en réalité pris part au massacre de
civils. Puis, en ce qui concerne spécifiquement les déclarations des «compagnons
d’armes» de l’accusé, le tribunal militaire aurait dû déterminer si, eu égard aux critères
énoncés à l’article 192 3) c. p. p. [code de procédure criminelle], elles appuyaient la
conclusion que Milde était coupable. D’après l’appelant, aucune preuve contenue dans le
dossier n’appuie l’affirmation du tribunal suivant laquelle «le modus operandi» de la
patrouille de Milde était semblable à celui des autres unités opérationnelles et il faut
conclure «que le sous-officier a sciemment participé à la planification et à l’exécution de
l’acte manifestement criminel». Il paraît donc évident que «les preuves par présomption
ne remplissent pas les conditions requises sur le plan du caractère et de la précision et de la
preuve»
2.2. Par son second moyen, l’appelant soutient que les preuves rassemblées en violation de
l’article 63 c. p. p. [code de procédure criminelle] est irrecevable et que les critères
applicables à l’appréciation des preuves revêtant la forme de déclarations ont été mal
appliqués. Puisque l’accusation s’organise autour de déclarations de soldats de rang
inférieur à celui de l’accusé (Wolf, Bernhold et Huhn), ces déclarations, soutient-on,
doivent être déclarées irrecevables (d’une manière absolue et concluante, conformément à
l’article 63 c. p. p. (code procédure criminelle), parce que faites par des personnes qui,
étant déjà comprises dans l’acte d’accusation, auraient dû avoir été entendues dès le début,
avec les garanties assurées dans le cas de l’accusé, en particulier la reconnaissance du droit
au silence. En tout état de cause, ces déclarations auraient dû être traitées avec les
précautions exigées par la loi au regard des dépositions faites par des coaccusés ou des
personnes accusées dans des procédures connexes.
Au dire de l’appelant, «il est vrai que la plupart des déclarations des soldats servant avec
l’accusé sont largement confirmées par des faits objectifs, tels les faits que Milde était
effectivement aux endroits où les massacres eurent lieu, au moment où ils eurent lieu, qu’il
était effectivement membre de la fanfare, qu’il servait dans la police militaire et qu’il était
à la Villa Carletti» ; mais tout cela n’est pas pertinent, la seule question à trancher étant
celle de savoir si Milde avait pris part aux atrocités commises. A cet égard «il n’existe pas
de faits confirmant leurs déclarations, à l’exception des faits qui se situent purement et
simplement dans le contexte général dans lequel les actes ont eu lieu». Les preuves
obtenues, outre qu’elles sont en tout état de cause absolument irrecevables, sont, en plus,
tout à fait insuffisantes pour pouvoir fonder une sentence condamnatoire.
- 95 -
2.3. Puisque, en raison de son caractère préjudiciel, l’allégation concernant la violation de
l’article 63 c. p. p. [code de procédure criminelle] doit aussi être examinée, il faut noter
que, d’après le tribunal militaire, les déclarations faites par les soldats allemands au cours
de la procédure en tant que témoins sont parfaitement recevables aux fins de la décision.
Comme cette Cour l’a décidé dans des affaires semblables (voir cour militaire d’appel,
Corte mil. App. 21 novembre 2006, Sommer et consorts) le fait que des hommes servant
comme simples soldats aient été présents au site des opérations n’indique pas en soi
l’existence de responsabilité criminelle (à la différence de ce qui a lieu s’agissant
d’hommes qui ont été assignés à une place comportant quelque responsabilité dans la
structure de l’unité et peuvent être considérés comme responsables, compte dûment tenu
des particularités de la hiérarchie militaire). Dès lors, comme l’a déclaré la cour de
cassation (Sez. III, 26 avril 2005, no 21747), on ne peut douter que la prohibition des
déclarations erga omnes faites par une personne qui aurait dû être examinée dès le
commencement présuppose l’existence préalable d’indices, antérieurs à la déposition, de la
culpabilité de la personne à interroger : cela n’a pas été le cas dans la présente instance,
particulièrement du fait qu’aucun indice n’a surgi de la culpabilité desdits Wolf, Bernhold
et Huhn, même à une date postérieure.
2.4. Cela étant, il est également à remarquer que, même si on fait abstraction des
dépositions de témoins susmentionnées, la reconstruction matérielle des faits sur la base
des preuves obtenues paraît pour l’essentiel non controversée : après ses dénégations
initiales, l’accusé lui-même a fini par admettre qu’il avait fait partie de l’unité de police
militaire postée à la Villa Carletti et aussi qu’il avait pris part à l’opération du 29 juin, en
tant que membre d’une des patrouilles déployées à cet effet, mais en prétendant,
néanmoins, qu’il n’avait pris part directement à aucun meurtre. A cet égard, les questions
de fait susmentionnées peuvent être considérées comme non sujettes à controverse. Il ne
paraît donc pas nécessaire de rien ajouter aux motifs exhaustifs et convaincants dont la
sentence de première instance fait état à ce propos.
La question juridique que soulève la défense est donc, essentiellement, la suivante : peut-on
estimer que Milde est coupable du crime dont on l’accuse alors qu’il n’a pas été prouvé qu’il a
personnellement tué aucune des victimes ou qu’il a ordonné qu’elles soient tuées ? De plus, ainsi
formulée, la question ne se pose pas. En fait Milde n’est pas accusé d’avoir directement causé la
mort d’une ou plusieurs des 203 personnes dont les noms figurent dans l’acte d’accusation ; ce dont
il est accusé c’est plutôt de complicité personnelle dans le crime de violence prolongée et
d’homicide intentionnel. Il est dès lors essentiel d’établir que les conditions nécessaires pour que la
complicité personnelle existe ont été remplies, ce qui pour le tribunal militaire était bien le cas,
pour des motifs que cette Cour partage pleinement et qui sont cités comme faisant partie intégrante
du présent arrêt.
D’une manière générale, on peut dire que, pour ce qui est de l’établissement, conformément
à l’article 110 c. p. [code pénal), de la connexion causale dans les cas de complicité personnelle
dans le délit, d’après la jurisprudence la plus récente, les conditions structurelles à remplir en ce qui
concerne cette complicité exigent, entre autres choses, que la contribution atypique du participant
complice ait eu un effet causal réel, qu’elle ait été une condition «nécessaire» pour
l’accomplissement effectif de l’acte criminel, en conformité avec un modèle unique et non
différencié, fondé sur le système de la condicio sine qua non, adéquat dans les cas ouverts et
déterminés de manière causale. De sorte que le critère applicable pour l’attribution d’une cause au
résultat de la conduite complice constitue, conformément au modèle classique de conditionnalité,
préalable essentiel pour que le système de la complicité personnelle dans le délit soit typique et
constitue la raison pour laquelle la responsabilité est attribuée à un individu complice déterminé
(voir Cour de cassation, chambres réunies, Cass. Sez. Un., 12 juillet 2005, Mannino).
D’après la jurisprudence sur la légitimité (voir Cour de cassation, chambres réunies,
Cass. Sez. Un. 10 juillet 2002, Franzese), sur la base de l’article 40 c. p. [code pénal], les causes
- 96 -
criminellement pertinentes comprennent la conduite humaine, qui représente une condition
nécessaire ⎯ condicio sine qua non ⎯ dans la chaîne des antécédents qui ont contribué à la
détermination du résultat, sans laquelle l’événement ne se serait pas produit : la détermination de la
causalité implique donc recourir à un «jugement contre-factuel», dans le sens que la conduite
humaine est une condition nécessaire de l’événement si, à supposer, à nouveau, que celle-ci fait
défaut, l’événement ne se serait pas produit. Il faut ajouter que la recherche des causes de
l’événement hic et nunc, celui-ci étant unique et impossible à répéter, peut être dictée par
l’expérience basée sur des résultats fiables de l’exercice du sens commun, ou par un recours au
modèle général sous lequel l’événement en question est subsumé par des lois scientifiques
expliquant les phénomènes. On a de nouveau mis l’accent sur l’effet standardisateur de la
connexion causale et, en particulier, sur la fonction sélective remplie par la conduite en question
pour la définition du champ de l’illégalité criminelle dans des cas déterminés de manière causale.
Quant à la disposition de l’article 41 2), en ce qui concerne l’exclusion de la connexion
causale par suite de l’intervention de causes contributoires additionnelles suffisantes en
elles-mêmes pour produire l’événement, il a été considéré que cette disposition modifie le système
de la conditionnalité, mais qu’il est possible qu’elle couvre seulement les cas où la cause
additionnelle, qui n’est qu’une parmi un certain nombre de causes, est exceptionnelle, atypique et
imprévisible, donnant donc naissance à une chaîne d’événements imprévisible et au-delà du
contrôle de l’agent (Cour de cassation, Cass. 27 mars 1991, Rossini ; Cass. 4 décembre 2001,
Taddeo ; Cass, 10 juin 1998, Cerando, arrêts d’après lesquels le concept des causes additionnelles
suffisantes en elles-mêmes pour exclure la connexion causale conformément à l’article 41 2) c.
p. [code pénal], même s’il n’implique pas nécessairement que la cause immédiate est entièrement
indépendante de la cause plus lointaine, exige néanmoins que la cause immédiate ne dépende pas
strictement de la cause plus lointaine et qu’elle ne se situe pas sur une quelconque ligne prévisible
de développement de cette cause lointaine).
En bref, les critères juridiques que la Cour croit devoir retenir aux fins de déterminer si, en
l’espèce, il existe ou non une connexion causale entre l’ événement mentionné dans l’acte
d’accusation et la conduite de Milde, se fondent sur la théorie de la conditionnalité, applicable aussi
bien dans les cas où le crime a été commis par un seul individu que dans ceux où il a été commis
par plus d’un individu, sans perdre de vue qu’il faut aussi rechercher si l’événement n’a pas été
déterminé aussi par des causes contributoires additionnelles, que l’accusé aurait pu prévoir au
moment où la conduite en question eut lieu (voir à cet égard, cour militaire d’appel, Corte mil.
App. 24 novembre 2005, Langer).
Sur la base de ces critères juridiques, Milde doit être considéré, d’un point de vue objectif,
comme responsable du délit en question. Aux fins de déterminer la connexion causale, on doit
estimer que la contribution que l’accusé a apportée à l’événement a (comme il ressort d’une
manière parfaitement claire des preuves recueillies aux audiences) pris la forme de participation à
l’opération du 29 juin 1944 en tant que membre, dans un rôle correspondant, hiérarchiquement, à
son rang de sous-officier, d’une des patrouilles qui opéraient dans la zone de Cornia, zone où, par
l’utilisation de méthodes correspondant à celles employées à Civitella in Val di Chiana et à
S. Pancrazio (et même avec plus de cruauté qu’ailleurs), des hommes, femmes et enfants ont été
systématiquement tués et de nombreuses maisons appartenant à des civils ont été incendiées.
La connexion causale ne peut être exclue au motif qu’il n’a pas été prouvé que Milde ait
participé directement à au moins l’un des homicides commis ce jour ; on ne peut pas non plus
attribuer une importance décisive au fait que, comme elle l’a fait pour les autres membres de la
fanfare, le témoin, Mme Carletti, l’a exclu du noyau des membres particulièrement cruels de la
police militaire qui s’adonnaient à la torture à la Villa Carletti et dont on pouvait partant présumer
qu’ils étaient coupables des pires atrocités, y compris le viol, commises le 29 juin 1944 dans la
zone de Cornia.
- 97 -
En premier lieu, aux fins de trancher de manière juridiquement correcte le point de savoir si
une connexion causale existait, il faut considérer la question suivante : si Milde avait refusé de
participer à l’opération militaire susmentionnée, se serait-t-elle déroulée dans des circonstances
exactement identiques, de sorte qu’en fait sa décision personnelle d’obéir aux ordres qui lui avaient
été donnés n’a joué aucun rôle pour ce qui est de la manière dont les événements se sont déroulés ?
A cet égard, bien qu’il semble clair qu’en fait Milde n’a pas eu un rôle central dans le
massacre en question (selon les preuves recueillies), il est également clair qu’une décision de sa
part de ne pas obtempérer à l’ordre manifestement criminel qu’il avait reçu (décision qu’il était
tenu de prendre, en raison de la législation nationale et internationale en vigueur au moment des
faits) aurait affecté l’exécution du plan criminel organisé dans le cadre de la division Hermann
Göring, au moins en limitant le nombre des victimes du massacre.
En fait l’exécution de l’opération militaire en question, qui avait été préparée avec soin et à
l’avance, nécessitait une bonne coordination entre les patrouilles qui y participèrent, de manière à
ne pas laisser de voie de fuite ouverte aux victimes et pouvoir procéder au massacre, dont
l’efficacité, en tant qu’exemple de nature à inspirer de la crainte, ne pouvait être assurée que si la
tuerie était à une échelle suffisamment impressionnante.
Dès lors, l’absence de n’importe lequel des sous-officiers affectés aux unités déployées ce
jour aurait rendu nécessaire un changement correspondant du plan, de sorte que, quoiqu’elle n’eût
pas empêché le massacre, elle en aurait affecté le cours, permettant à quelques unes des personnes
qui ont été tuées de sauver leur vie. Pour ne rien dire du fait qu’une telle décision aurait pu inciter
d’autres membres de l’unité, particulièrement ceux de rang inférieur et les hommes qui avaient
appartenu à la fanfare, à suivre l’exemple, plutôt que de supposer qu’il leur était inévitable de
devenir conjointement coupables d’un crime si grave et abominable ; ainsi, la décision d’un
sous-officier d’obtempérer nécessairement renforçait l’effet du plan criminel dans l’esprit de tous
les autres membres de l’unité.
Dès lors il n’y a aucune raison de supposer qu’il existait des causes contributoires
supplémentaires ayant déterminé le dénouement : les comportements des autres soldats dont la
participation a été alléguée, en particulier de ceux qui ont commis les divers homicides, n’a pas
provoqué une chaîne imprévisible d’événements échappant au contrôle de l’accusé. Au contraire,
cette conduite était prévue dès le début comme étant essentielle au succès de l’action criminelle
militaire à mettre en marche, laquelle a été délibérément conçue en vue de tuer les civils rencontrés
sur les lieux en question.
2.5. Il ne peut non plus y avoir de doute quant à l’aspect subjectif du crime, particulièrement
en ce qui concerne la connaissance de la nature de l’acte criminel et le consentement à y participer
avec tout les autres soldats qui en ont fait autant. D’ailleurs, même abstraction faite de la réunion
spéciale tenue le soir de la veille du massacre (à laquelle on peut supposer que Milde participa, bien
que ceci n’ait pas été définitivement établi), il semble certain que :
⎯ les officiers et sous-officiers étaient au moins informés spécifiquement par le quartier général
des détails essentiels de l’opération avant son démarrage, de manière qu’ils pussent diriger
leurs propres hommes dans les diverses zones qui leur étaient assignées et faire dans ces zones
ce qu’on leur avait ordonné d’y faire ;
⎯ les ordres sans aucun doute comprenaient ceux de se livrer au meurtre systématique de civils et
de détruire leurs maisons (il est impossible d’imaginer que plusieurs unités militaires très
disciplinées, appliquant toutes le même modus operandi, auraient pu exécuter indépendamment
des actes qui étaient contraires à toutes les lois connues et à leur propre code d’honneur
militaire, à moins qu’ils n’aient reçu des ordres précis à l’avance) ;
- 98 -
⎯ étant donné que celui du 29 juin n’était pas le premier crime perpétré contre des civils par des
unités de la division Hermann Göring (parce qu’il y avait déjà eu, en avril 1944, des épisodes
tout aussi cruels et terribles à Stia, Vallucciola, Partina et Moscaio, également dans la province
d’Arezzo), il est absolument certain que, quand, le matin du 29 juin 1944, Milde décida de
participer à l’opération qui avait été décidée il avait sans aucun doute été informé des détails
essentiels de celle-ci et qu’en conséquence il a assumé une responsabilité juridique qui, malgré
le temps écoulé, l’engage à titre personnel.
2.6. Le tribunal de première instance a donné des raisons multiples à l’appui de sa décision
de ne pas considérer le comportement de l’accusé comme justifié, particulièrement en ce qui
concerne la possibilité d’alléguer, en tant que circonstance atténuante, qu’il agissait dans
l’accomplissement de son devoir et dans un cas de nécessité urgente. D’ailleurs l’appel ne contient
pas d’observations relatives à ces points.
Il suffit dès lors d’indiquer, à cet égard, que, conformément à un ensemble de précédents
judiciaires concordants (bien que le fait qu’un individu fasse partie d’un corps organisé selon des
principes strictement hiérarchiques peut tendre à l’exonérer de responsabilité pour des actes
accomplis sur ordre de ses supérieurs), pour ce qui est des crimes contre l’humanité et les crimes de
guerre, l’obéissance à des ordres qui sont manifestement et indiscutablement criminels ne peut
jamais être un motif d’exonération. En particulier les officiers et sous-officiers des forces armées
doivent montrer l’exemple à leurs hommes et en prenant leurs propres décisions ils assument une
responsabilité qui s’étend au-delà de leurs propres actes et inclut l’influence que la conduite d’un
supérieur exerce sur le personnel de rang inférieur.
2.7. A l’audience de ce jour, le défenseur de l’accusé a demandé aussi que les circonstances
atténuantes générales soient retenues et que, par conséquent, l’emprisonnement à vie, qui est la
sanction obligatoire pour le crime commis, soit écarté. De l’avis de la Cour il ne paraît pas
raisonnable, pour ce qui est des critères énoncés à l’article 133 c. p. [code pénal], d’accorder à
l’accusé le bénéfice des circonstances atténuantes générales en vertu de l’article 62a c. p. [code
pénal], disposition qui permet à un tribunal de prendre en compte des circonstances autres que
celles qui sont expressément mentionnées par l’article 62 précédent «s’il les considère comme étant
de nature à justifier une sentence réduite» (en permettant ainsi une évaluation spécifique de l’acte
«pour assurer que la sentence est adéquate et qu’elle se conforme au principe qui exige une
décision raisonnable et rendant possible la réhabilitation qui est voulue» ; Cour de cassation,
Cass. 18 juillet 1995, Faletto).
Dans le présent cas, on ne peut pas prendre en considération les circonstances atténuantes en
question, étant donné la gravité intrinsèque de l’acte qui constitue le crime commis, eu égard au
nombre et au genre des victimes, qui étaient des civils sans armes, y compris des enfants, des
femmes et des personnes âgées (la gravité d’un crime pour l’appréciation duquel on ne peut
attribuer qu’une importance secondaire à des considérations relatives au rôle effectivement joué par
Milde, qui, en tant que sous-officier, n’était certainement pas au nombre des militaires ayant
ordonné et planifié le massacre) et l’absence, relativement à la capacité d’effectuer des activités
criminelles, et même après la conduite incriminée, de faits susceptibles de peser d’une manière
décisive en faveur de l’accusé.
En particulier on ne peut retenir, comme une considération décisive en faveur de Milde, le
fait qu’il avait été membre de la fanfare de la division et la circonstance que, comme Mme Carletti
l’a dit, et en sa présence, Milde, en reflétant sur les horreurs de la guerre, ait cédé, momentanément,
à un sentiment de regret ; d’ailleurs le fait que, indiscutablement, l’accusé était, pour quelqu’un de
son âge, une personne cultivée et qui s’adonnait à des activités artistiques signifiait qu’il était plus
conscient que d’autres de la nature manifestement criminelle et, qui plus est, «sauvage» des actes
auxquels il a participé. Toutefois, à la différence de quelques autres de ses compagnons d’armes,
- 99 -
qui ont au moins essayé, autant qu’ils l’ont pu, de limiter les effets des décisions des officiers
auxquels ils étaient subordonnés, il s’est borné à l’accès d’émotion signalé, lequel ne l’a pas amené
à rien faire de concret.
Quant à sa conduite postérieure, quoiqu’il ne paraisse pas que Milde ait commis d’autres
délits au cours des décennies qui ont suivi le 29 juin 1944, il n’y a pas de preuve documentaire sur
laquelle on puisse fonder une évaluation positive : au contraire, il semble tout à fait significatif,
comme indication de l’impossibilité d’une évaluation positive, qu’à ce jour il n’a d’aucune manière
reconnu que ce qu’il a fait était mal, ni manifesté aucun intérêt dans le sort de ceux qui ont été tués
ou leurs familles (sur la vue suivant laquelle le temps qui s’est passé sans qu’il commette d’autres
délits et l’âge extrêmement avancé de l’accusé semblent être des facteurs marginaux et
négligeables par rapport à la gravité sans précédent de l’acte en question, voir Cour militaire
d’appel, 7 mars 1998, Haas).
3. Dans son appel, l’entité responsable au civil conteste la décision de première instance,
pour autant qu’elle concerne des questions de nature civile.
Elle déclare en premier lieu que la force avec laquelle le dissentiment du tribunal militaire
est exprimé dans les passages de la sentence correspondant à la réparation est due au fait que
l’entité responsable au civil, en état de contumace en première instance, a inclus dans son appel des
questions qui, comme l’affirme l’avocat de l’entité responsable au civil, n’ont pas été considérées
par cette juridiction, ni dans aucun autre procès pénal. La complexité et le caractère délicat du
problème soulevé exige donc un examen particulièrement sérieux, bien qu’il soit clair que la
décision sur des matières civiles est nécessairement accessoire par rapport à la décision sur les
aspects criminels de l’affaire.
Cela dit, il est à noter que l’appel de l’entité responsable au civil s’articule autour de deux
moyens.
3.1. En premier lieu l’entité responsable au civil soutient que l’action civile est irrecevable et
ne peut être intentée, et ce en raison des obligations internationales assumées par l’Italie et des
principes établis du droit national.
En particulier, aux termes de l’article 77 4) du Traité de paix avec l’Italie du 10 février 1947
(décret législatif, d. legs. 28. 11. 1947, no 1430) «l’Italie renonce, en son nom et au nom des
ressortissants italiens, à toutes réclamations contre l’Allemagne et les ressortissants allemands qui
n’étaient pas réglées au 8 mai 1945». La Cour de cassation, chambres réunies (Corte di
cassazione, sez. no 285/1953) a à cet égard considéré que cette «renonciation» n’est pas limitée aux
réclamations portées en justice qui n’étaient pas réglées au 8 mai 1945, mais s’appliquait à toutes
les réclamations issues de rapports nés depuis le 10 septembre 1939, comme le confirme le terme
«all claims» utilisé dans le texte anglais du traité.
De même, dans «l’accord pour le règlement de certaines questions de nature pécuniaire,
économique et financière» entre la République fédérale d’Allemagne et l’Italie signé à Bonn le
2 juin 1961 (décret du Président de la République, d. PR. 14 avril 1962, no 1263) il a été disposé par
ailleurs que :
2. «1. Le gouvernement italien déclare que sont réglées toutes les réclamations et
demandes de la République italienne ou de personnes physiques et morales
italiennes encore pendantes au regard de la République fédérale d’Allemagne
ou de personnes physiques ou morales allemandes, et découlant de droits ou
de questions qui ont surgi pendant la période allant du 1er septembre 1939 au
8 mai 1945.
- 100 -
Le gouvernement italien assurera l’immunité de la République fédérale
d’Allemagne et des personnes physiques et morales allemandes au regard de
toute action ou autre réclamation juridique de personnes physiques ou
morales italiennes en rapport avec les réclamations et demandes visées
ci-dessus».
D’après l’entité responsable au civil, le tribunal militaire de La Spezia n’a pas appliqué ladite
convention de Bonn, dont le texte «rendait absolument impossible toute interprétation de
l’expression qui n’étaient pas réglées au 8 mai 1945 qui la rendrait applicable seulement aux
réclamations fondées sur des actions judiciaires intentées entre 1939 et 1945”. Puisqu’une loi a été
adoptée en Italie pour l’exécution de ladite convention de Bonn (décret du Président de la
République, d. P. R. 6 octobre 1963, no 2043), on prétend également que le tribunal de première
instance a commis l’erreur de ne pas appliquer la législation interne. On soutient que cet aspect de
la question n’a pas été pris en considération par l’arrêt de la Cour de cassation, Corte di cassazione,
Sez. un. Civ. No 5044/04 : le droit à réparation pour des pertes ou dommages encourus par des civils
peut faire l’objet de renonciation ou négociations de la part d’un Etat agissant pour le compte de
ses propres ressortissants et les traités en question ne paraissaient pas incompatibles avec des règles
impératives au moment ou ils ont été conclus. En outre, pour ce qui est de l’observation faite par le
tribunal de première instance en ce sens que le Parlement, contrairement à ce que prévoit
l’article 80 de la Constitution, n’a pas adopté de loi autorisant la ratification (en relation avec
l’accord en question), qui est obligatoire pour les traités internationaux qui sont d’une nature
politique ou qui prévoient l’arbitrage ou le règlement judiciaire, l’appelant fait observer que le
tribunal n’aurait pu, dans aucun cas, ne pas appliquer la législation nationale mais aurait pu, si
nécessaire, avoir soulevé une question de constitutionnalité par rapport au décret,
d. P. R. 6 octobre 1963, no 2043, qui contient l’ordre d’exécuter l’accord.
3.2. De l’avis de la Cour, les moyens de l’appelant susmentionnés ne sont pas fondés. Quant
au traité de paix du 10 février 1947, il est à noter, en premier lieu, qu’il n’est pas contraignant pour
l’Italie et la République fédérale d’Allemagne dans leurs rapports réciproques (puisque la
République fédérale d’Allemagne n’est pas partie au traité) et qu’en tout cas il se réfère (voir aussi
le décret législatif du Conseil d’Etat provisoire, d .lgs. C.p.S. 28 novembre 1947, no 1430, ratifié par
loi, legge 25 novembre 1952, no 3054) à des réclamations déjà pendantes au 8 mai 1945 (voir aussi
à ce propos tribunal militaire, La Spezia, Tribunale mil. della Spezia, 3 novembre 2006, Nordhorn.
De plus la vue exprimée par le tribunal de première instance et contestée par l’appelant selon
laquelle l’article 77 précité ne vise que les réclamations concernant les droits réels, paraît être bien
fondée. La seconde partie du paragraphe 4 de l’article 77 précité, paragraphe 4, qui dispose que
«[c]ette renonciation sera considérée comme s’appliquant aux dettes, à toutes les réclamations de
caractère intergouvernemental relatives à des accords conclus au cours de la guerre ; l’expression
«pertes ou dommages survenus pendant la guerre» semble ne viser et à toutes les réclamations
portant sur des pertes ou des dommages survenus pendant la guerre», semble ne viser que les
dommages matériels et non les dommages consistant en pertes ou dommages autres que des
dommages à des biens, pour lesquels des dommages-intérêts doivent être accordés à des familles de
victimes de crimes de guerre).
La vue contenue dans l’arrêt no 285/1953 de la Cour de cassation et favorable à l’accusé a
clairement perdu sa validité en vertu de l’accord ultérieur du 2 juin 1961 : si toute question relative
à de possibles réclamations que l’Etat italien ou des ressortissants italiens auraient pu porter en
justice contre l’Allemagne ou des ressortissants allemands avait été réglée par le traité de paix
de 1947, pourquoi a-t-on conclu l’accord ultérieur de 1961 ?
Par ailleurs, (même si on laisse de côté le problème posé par l’absence d’autorisation en vue
de sa ratification) cet accord est tout à fait clair à cet égard, car il mentionne seulement des
réclamations et demandes «encore» pendantes, ou seulement des réclamations, non encore
déterminées, à l’égard desquelles des procédures judiciaires, non encore déterminées, avaient déjà
- 101 -
été engagées, et non des réclamations pouvant être portées en justice à l’avenir (voir de nouveau
Trib. Mil. La Spezia, 3 novembre 2006, cité ci-dessus). Il est aisé d’observer, à cet égard, qu’il ne
s’ensuit pas que les parties qui actuellement essaient d’obtenir des dommages-intérêts et qui ont
demandé que l’entité responsable au civil soit citée à comparaître, avaient des procédures
pendantes au 2 juin 1961 contre l’Allemagne ou des ressortissants allemands en vue d’obtenir
réparation pour pertes ou dommages subis ; c’est toutefois à l’accusé, ou à l’entité responsable au
civil, qu’il incombait de prouver que de telles procédures étaient pendantes ou avaient à un moment
quelconque été engagées.
Le fait que l’accord se réfère seulement aux demandes en réparation déjà présentées au
2 juin 1961 (pour des droits datant de la période du 1er septembre 1939 au 8 mai 1945) est
confirmé, implicitement, non seulement par le même arrêt de la Cour de cassation, Corte di
Cassazione, no 5044 de 2004, mais aussi par de nombreuses décisions judiciaires rendues ces
dernières années et par lesquelles des troupes nazies ont été déclarées coupables de crimes de
guerre commis durant la Seconde guerre mondiale et des réparations ont été accordées pour pertes
ou dommages subis par les parties réclamant des dommages-intérêts dans ces affaires.
Si la vue selon laquelle l’accord de 1961 couvre toute demande relative à des droits datant de
la période en question (et non seulement les réclamations qui étaient «encore pendantes» et avaient
partant déjà fait l’objet de procès) était bien-fondée, il s’ensuivrait que toute possibilité d’intenter
une action civile, non seulement contre l’Etat allemand mais aussi contre des ressortissants
allemands, serait écartée en raison du langage exprès de l’accord susmentionné (voir le procès dans
le tribunal militaire, Rome, Trib. Mil. Roma, 22 juillet 1997, Hass et Priebke, d’après lequel il ne
peut y avoir de doute que les conditions nécessaires sont réunies pour pouvoir ordonner aux
accusés de payer des dommages-intérêts à la lumière de l’accord signé le 2 juin 1962, puisque cet
acte normatif ne peut produire d’effets dans le cas de deux accusés, qui, à la date où le décret
présidentiel pertinent est entré en vigueur, n’avaient pas de «réclamations et demandes» pendantes
contre eux, portées en justice par les parties essayant actuellement d’obtenir des dommages-intérêts
pour les actes en question. Il est également indiqué, dans la décision judiciaire susmentionnée,
qu’au cours de l’audience préliminaire du procès contre Priebke, la question a été soulevée de la
constitutionnalité de la disposition de l’article 270 1) c. p. m. p. [code pénal militaire de paix] qui
défend d’intenter une action civile devant une juridiction militaire, question que la Cour
constitutionnelle a tranchée en déclarant que cette disposition était inconstitutionnelle : cela aurait
été impossible dans la juridiction de première instance, et ce par manque de pertinence, puisque le
décret d. P. R. 1263/62, précité, aurait fait obstacle à la naissance d’obligations civiles à la charge
des accusés. Cette conclusion est également étayée par l’observation (contenue dans la décision du
Tribunal d’Arezzo, Trib. Arezzo, 13 mars 2007, Ferrini c. République fédérale d’Allemagne)
suivant laquelle il est clair que, par suite de la conclusion des accords du 2 juin 1961, il n’est plus
possible de parler de l’irrecevabilité de la réclamation, position que la Cour de cassation, chambres
réunies, avait prise par son arrêt no 285/1953 : par la décision judiciaire susmentionnée l’exception
d’irrecevabilité et/ou d’impossibilité de donner suite aux réclamations a été donc rejetée (voir les
pages 16-18, où il est jugé aussi que la validité de l’obligation assumée par l’Etat italien en vertu
des accords de 1961, d’assurer l’immunité de l’Etat allemand contre toutes actions civiles intentées
contre lui doit été reconnue).
Sur la base des conclusions précédentes, la question (voir p. 12-13 de l’appel) de la
recevabilité d’un accord international par lequel des Etats s’engagent à négocier en matière d’
aspects civils du droit à la réparation pour pertes ou dommages résultant de crimes de guerre, et
également de ce faire au nom de leurs ressortissants, cesse d’être pertinente. Ce qui, par rapport à
la thèse de l’entité responsable au civil, est contesté, ce n’est pas la prétention que l’accord de 1961
est sans effet, mais la thèse suivant laquelle il est n’est pas applicable au procès sous examen.
4. Faisant valoir un second moyen, l’entité responsable au civil prétend que le principe
juridique dont fait état l’arrêt no 5044/04, prononcé par les chambres réunies de la Cour de
- 102 -
cassation le 11 mars 2004 (et d’après lequel le principe de l’immunité juridictionnelle de l’Etat ne
peut être invoqué dans les cas de violations graves des droits de l’homme) ne correspond pas à
l’état actuel du droit international, à la lumière de la jurisprudence récente de quatre des Etats
membres de l’Union européenne et de la Convention des Nations Unies sur l’immunité
juridictionnelle des Etats et de leurs biens.
4.1. De l’avis de l’appelant, il faut également tenir compte des décisions judiciaires
suivantes :
⎯ La Cour suprême spéciale grecque, dans son arrêt du 6-17 septembre 2002, en révisant le
principe précédemment retenu par la Cour suprême grecque le 4 mai 2000 (soit le principe cité
par les chambres réunies dans l’arrêt no 5044/04) a jugé que :
«au stade actuel du développement du droit international, aucune règle généralement
valable n’a été établie dans le sens qu’un Etat pourrait, par dérogation au principe de
l’immunité des Etats, être licitement cité à comparaître devant le tribunal d’un autre
Etat en relation avec la réparation pour des pertes ou dommages causés par un acte
illicite de quelque nature que ce soit, ayant eu lieu dans l’Etat du for et dans lequel les
forces armées de l’Etat défendeur ont pris part d’une certaine manière … sans que l’on
distingue si ces actes ont violé le jus cogens ou non, ou s’il ont comporté des combats
avec d’autres unités armées ou non» ;
⎯ Dans son arrêt du 26 juin 2003, la Cour suprême allemande a jugé que, «conformément au
principe international de l’immunité (restreinte) des Etats, un Etat peut demander ⎯ même
durant la phase de l’examen judiciaire ⎯ à être soustrait à la juridiction d’un Etat étranger dans
la mesure où cela entraîne l’appréciation de sa conduite souveraine («acta jure imperii»), y
compris aussi les cas où il s’agirait de la violation de normes péremptoires du droit
international ; la vue selon laquelle le principe de l’immunité restreinte est actuellement en
vigueur a également été exprimée par la Cour constitutionnelle allemande, par son arrêt du
15 février 2006 ;
⎯ La Cour de cassation française, dans un arrêt du 16 décembre 2003, a reconnu que les actes
dont il s’agissait, à savoir la mobilisation de personnes pour en faire des travailleurs forcés,
accomplis par la puissance occupante ne sont pas de nature à faire échec au principe de
l’immunité juridictionnelle ;
⎯ Dans son arrêt du 14 juin 2006, la Chambre des lords du Royaume-Uni «a de nouveau
confirmé que la règle de l’immunité à l’égard de la juridiction civile s’applique même dans les
cas de violation grave des droits de l’homme» et a énoncé que l’arrêt des chambres réunies
no 5044/04 était «un unicum qui n’était pas en conformité avec l’état actuel du droit
international».
D’après l’appelant, le principe de l’immunité restreinte par rapport à la juridiction civile,
même à l’égard de la matière sur laquelle porte la présente instance, est donc pleinement
applicable, étant donné qu’au niveau judiciaire la communauté internationale s’est, de manière
constante, prononcée en faveur de l’application de l’immunité : il convient à ce propos d’attirer
également l’attention sur trois décisions de la Cour européenne des droits de l’homme qui ont rejeté
(bien que contestant l’arrêt no 5044/04) l’applicabilité de la règle de l’immunité, même dans les cas
de violation de règles péremptoires de jus cogens.
On soutient au contraire, que les décisions des tribunaux des Etats-Unis d’Amérique fondés
sur l’amendement apporté à la Sovereign Immunities Act de 1996, qui établit une dérogation à
l’immunité juridictionnelle dans les cas d’actions civiles intentées contre certains Etats,
- 103 -
nommément désignés comme sponsors du terrorisme, sont sans pertinence ici ; dans ce cas la
dérogation à l’immunité n’est pas fondée sur la détermination d’un noyau de normes péremptoires
du jus cogens, mais seulement sur la détermination de la législature américaine à assurer à ses
propres ressortissants la possibilité d’obtenir réparation dans leurs rapports avec les Etats désignés
à cette fin.
Quant à certaines décisions de tribunaux canadiens et britanniques qui ont reconnu
l’immunité, bien qu’il soit assurément hors de doute que les uns et les autres ont noté l’absence de
l’élément du forum commissi delicti dans les affaires dont ils ont connu, il paraît tout aussi
indiscutable que «le critère est de toute façon sans pertinence lorsqu’on retient que la violation
d’une norme péremptoire de jus cogens implique l’application du principe de la juridiction
universelle».
L’entité responsable au civil fait observer également que le comité établi en relation avec le
projet de convention sur l’immunité des Etats, qui avait été chargé expressément de donner son avis
sur la possibilité d’inclure un article sur l’inapplicabilité de l’immunité des Etats dans le cas de
violations des droits de l’homme, a affirmé que, sur la base de la jurisprudence nationale examinée
et après mûr examen, il était convaincu que même dans ces cas, le principe de l’immunité devrait
demeurer applicable et prévaloir. A la conclusion des travaux du groupe de travail, la convention
sur les immunités des Etats fut adoptée le 9 novembre 2004 ; il s’agit d’une convention «dans
laquelle on a décidé de n’inclure aucune dérogation à l’immunité même dans les cas de violation
des droits de l’homme (les actes de guerre furent expressément exclus, comme ils l’avaient déjà été
dans la convention européenne sur l’immunité des Etats de 1976)».
Finalement, de l’avis de l’appelant, la jurisprudence abondante et extrêmement récente, ainsi
que les développements spécifiques au niveau conventionnel, justifie de conclure qu’à présent «le
principe de l’accès à la juridiction civile pour les victimes de violations graves des droits de
l’homme ne l’emporte pas sur la règle de l’immunité de l’Etat à l’égard de la juridiction civile» ; la
raison en est aussi que, à la différence des actes criminels, les actions civiles ayant pour objet la
réparation pour pertes ou dommages soufferts par la victime n’entrent pas dans le domaine protégé
par les normes péremptoires du jus cogens ; et elles ne sont pas non plus limitées aux cas de
violations graves des droits de l’homme.
5. De l’avis de la Cour les arguments mis en avant par l’entité responsable au civil méritent
un examen approfondi.
On ne peut nier tout fondement à la préoccupation exprimée par l’appelant quant à la
possibilité que certaines questions de nature civile qui pourraient donner lieu à un différend entre
Etats puissent être réglées de manière unilatérale par les organes judiciaires d’un des Etats parties
au différend et que cette manière de procéder pourrait ne pas assurer les conditions d’impartialité
nécessaires (tout comme quelqu’un l’a observé, hypothétiquement, que les organes judiciaires de
l’Etat défendeur pourraient, de même, ne pas assurer l’impartialité nécessaire).
Ceci paraît particulièrement pertinent, si l’on tient compte de ce que les relations entre les
Etats doivent être conduites de manière à assurer aussi bien la certitude dans les relations juridiques
que le règlement pacifique des différends : une décision unilatérale sur une action civile prise par
les autorités judiciaires d’un seul Etat pourraient bien ne pas être le moyen le plus adéquat de
parvenir à un règlement consensuel satisfaisant et pourraient ainsi, dans certains cas, avoir un effet
déstabilisant sur les relations diplomatiques (voir ce que dit le préambule de la Convention de New
York du 2 décembre 2004 à propos du renforcement de la prééminence du droit et de la sécurité
juridique, envisagé comme but à atteindre).
- 104 -
Le principe général de l’immunité juridictionnel de l’Etat est donc fermement établi ; mais la
portée du principe doit néanmoins être déterminée à la lumière du développement continuel du
droit international.
5.1. Cela étant, il faut observer, tout d’abord, que bien des arguments avancés par l’appelant
ont déjà été pris en considération dans l’arrêt no 5044/04 de la Cour de cassation, chambres civiles
réunies, dans lequel la question sous examen a fait l’objet d’une analyse approfondie et exhaustive ;
c’est sur cet arrêt que le tribunal de première instance a fondé sa décision de faire droit à la
demande des parties réclamant des dommages-intérêts tendant à ce que la République fédérale
d’Allemagne soit citée à comparaître en tant que partie responsable au civil.
En bref, l’arrêt de la Cour de cassation commence par déclarer que :
«conformément au principe de la conformité consacré à l’article 10 1) de la
Constitution italienne, «les principes généralement reconnus» du droit international,
qui protègent la liberté et la dignité de l’individu en tant que valeurs fondamentales et
pour lesquels les comportements qui portent sérieusement atteinte à l’intégrité de ces
valeurs sont des «crimes internationaux», font à l’heure actuelle «automatiquement»
partie intégrante de notre ordre juridique et sont par conséquent des paramètres tout à
fait appropriés pour évaluer l’injustice des pertes ou dommages causés par l’«acte»
d’autrui, qu’il ait été commis intentionnellement ou par négligence».
La Cour déclare ensuite que les crimes internationaux «menacent l’humanité tout entière et
sapent les bases de la coexistence internationale» ; et, s’agissant de crimes qui constituent, de par
leur gravité ou leur caractère systématique, des violations particulièrement graves des droits
fondamentaux de la personne, dont la protection est confiée à des normes inébranlables situées au
sommet de l’ordre juridique international et qui l’emportent sur toutes autres règles établies par
convention ou coutume et par conséquent sur celles concernant les immunités ; c’est pourquoi on a
établi, pour ces crimes, les principes de l’imprescriptibilité et de la juridiction universelle.
Dès lors, «la reconnaissance de l’immunité juridictionnelle des Etats qui ont été responsables
de tels crimes est clairement contraire aux règles susmentionnées, parce que cette reconnaissance,
loin d’encourager, en fait entrave la protection de valeurs qui, à l’instar de ces règles et principes,
doivent, au contraire, être réputées essentielles à la communauté internationale tout entière. Et il ne
peut y avoir de doute que la contradiction signalée doit être résolue en faisant prévaloir la règle de
«rang plus élevé», faisant obstacle à la possibilité que dans de tels cas l’Etat jouisse d’immunité par
rapport à la juridiction étrangère».
Les chambres réunies affirment derechef que «le respect des droits inviolables de l’individu
a acquis la valeur d’un principe fondamental de l’ordre juridique international. Et l’émergence de
ce principe doit inévitablement être reflété dans la portée des autres principes qui ont
traditionnellement inspiré cet ordre juridique et, en particulier, celui de l’égalité souveraine des
Etats, à laquelle se rattache la reconnaissance de l’immunité des Etats par rapport aux juridictions
étrangères».
5.2. Il est à noter que les principes exprimés dans l’arrêt susmentionné ont été confirmés,
dans le contexte de la jurisprudence italienne, dans les considérants d’un arrêt ultérieur de la Cour
de cassation, chambres civiles réunies (arrêt du 21 avril 2005, Borri), où, après avoir affirmé que,
conformément à l’article 10 de la constitution, l’ordre juridique italien a accepté le principe de
l’immunité restreinte ou relative, sur la base duquel l’immunité des Etats étrangers par rapport à la
juridiction civile est limitée aux actes jure imperii et ne s’étend pas aux actes jure gestionis, la Cour
rappelle la restriction supplémentaire (récemment mise en évidence par le fait que l’obligation de
respecter les droits inviolables de la personne est acceptée comme un principe fondamental de
- 105 -
l’ordre juridique international), en vertu de laquelle il est accepté que même l’exercice de la
souveraineté n’est pas couvert par l’immunité quand il s’agit de comportements de l’Etat étranger
préjudiciables précisément à ces valeurs universelles, qui exigent le respect de la dignité de
l’individu et sont donc au-delà des intérêts des communautés étatiques prises individuellement».
En ce qui concerne la jurisprudence, il convient de mentionner l’arrêt de la Cour d’appel de
Florence, qui a rejeté l’appel fait par la République fédérale d’Allemagne contre une décision
précédente sur le droit de faire exécuter l’arrêt prononcé par la Cour de cassation grecque le
13 avril ⎯ 4 mai 2000 et relatif à la demande en réparation présentée par les héritiers des victimes
d’un massacre de civils commis par l’armée allemande en Grèce pendant la Seconde guerre
mondiale. Dans cette décision il a été confirmé que la vue selon laquelle les Etats son soustraits à
la juridiction civile ne saurait être acceptée en ce qui concerne la question sur laquelle portait
l’affaire. L’arrêt de la cour d’appel de Florence a trait à la phase de l’exécution, laquelle fait l’objet
spécifiquement de l’article 18 et suivants de la Convention de New York, où il est établi, d’une
manière générale, qu’aucune mesure de contrainte, telle une saisie ou saisi-arrêt, ne peut être prise
contre les biens d’un Etat en liaison avec une procédure intentée devant un tribunal d’un autre Etat.
A cet égard on considère que le problème du droit de faire exécuter des jugements civils
contre un Etat étranger, particulièrement s’il s’agit de reconnaître le droit de faire exécuter les
jugements prononcés par des tribunaux étrangers, est extrêmement sui generis, puisqu’en cette
matière il est nécessaire de tenir compte de la possible pertinence de la Convention de Bruxelles du
27 septembre 1968 et du Règlement (CE) no 44/2001 (voir, à ce propos, Cour de justice des
communautés européennes, arrêt du 15 février 2007, Lechouritou ; voir également la Cour
constitutionnelle, Corte cos., 2 juillet 1992, no 329, où il a été jugé que l’article 1 du décret royal
r .d .l. du 30 août 1925, no
1261, converti en loi, 15 juillet 1926, no 1263, était inconstitutionnel
«dans la mesure où il soumettait à l’autorisation du ministère de grâce et justice les mesures
d’exécution ou de saisie contre les biens appartenant à un Etat étranger, autres que ceux qui,
conformément aux règles généralement reconnues du droit international, ne peuvent faire l’objet de
mesures de contrainte»).
Par ailleurs, l’arrêt du tribunal d’Arezzo du 13 mars 2007, Ferrini c. République fédérale
d’Allemagne, cité ci-dessus, n’a qu’une pertinence marginale quant au problème sous examen, car
dans ses considérants il est signalé que «pour ce qui est de la prétention suivant laquelle le tribunal
devant lequel cette affaire a été portée n’est pas compétent, du fait que, soutient-on, le principe de
l’immunité en vertu du droit international public est à l’heure actuelle applicable à la matière en
cause, il faut observer que, sur ce point, ce tribunal n’a d’autre alternative que de se conformer au
principe juridique adopté par la Cour suprême».
6. Tel étant l’état actuel de la jurisprudence italienne pertinente, il faut maintenant examiner
les deux thèses principales de l’appelant, à savoir : a) la référence à de nombreuses décisions de
tribunaux étrangers qui ont adopté des principes différents de ceux des chambres réunies de la Cour
de cassation et b) la pertinence de la Convention de New York sur l’immunité juridictionnelle des
Etats et de leurs biens.
6.1.1. Pour ce qui est de l’argument mis en avant par l’appelant relativement au nombre
d’organes judiciaires de divers Etats ayant adopté des principes contraires à ceux des chambres
réunies de la Cour de cassation, il y a lieu de noter, en premier lieu, que nombre des décisions
citées dans l’appel sont explicitement considérées dans l’arrêt no 5044/2004, précité, et la Cour de
cassation a estimé, en donnant ses motifs, que l’existence d’une ligne précédente de décisions
judiciaires incompatibles avec sa propre position ne faisait pas obstacle à ce qu’elle fasse sien le
principe suivant lequel le droit d’un Etat à l’immunité à l’égard de la juridiction civile ne pouvait
être retenu dans le cas de violations graves des droits de l’homme.
- 106 -
Il semble donc qu’il ne faut prendre en considération que les jugements cités dans l’appel qui
sont postérieurs au mois de mars 2004, date à laquelle a été enregistré l’arrêt des chambres réunies.
En particulier, en plus de l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 15 février 2006, l’entité
responsable au civil se réfère aux motifs de l’arrêt de la Chambre des lords du Royaume-Uni du
14 juin 2006, dans lequel l’arrêt no 5044/2004 des chambres réunies a été caractérisé comme un
unicum qui n’était pas en conformité avec l’état actuel du droit international. A l’audience tenue ce
jour, l’entité responsable au civil a aussi cité un arrêt récent de la Cour européenne des droits de
l’homme, prononcé le 4 septembre 2007, et qui a confirmé la position qu’elle avait prise
auparavant.
A cet égard, il convient de noter, en premier lieu, que (bien qu’il y soit affirmé, d’une
manière générale, que dans le cas de «crimes internationaux, la juridiction doit en tout cas être
déterminée en conformité avec les principes de la juridiction universelle» et que «le principe de la
juridiction universelle sans aucun doute s’applique également aux procédures civiles résultant de
tels crimes») l’arrêt des chambres réunies souligne que «les actes sur lesquels se fonde la
réclamation ont eu lieu aussi en Italie».
En outre, pour ce qui est des décisions suivant lesquelles les Etats peuvent revendiquer
l’immunité juridictionnelle même dans les cas où une réparation est demandée pour pertes ou
dommages dus à la commission de crimes internationaux, l’arrêt no 5044/2004 observe qu’il existe
«des décisions sur des affaires où l’acte illicite a été commis dans un Etat autre que l’Etat du for»
(comme dans la fameuse affaire Al-Adsani, par exemple) et «qui par conséquent ne sont
absolument pas identiques à la situation qui est à examiner dans la présente instance, laquelle,
comme il a déjà été signalé, se distingue par le fait que l’acte criminel a été perpétré dans le pays
où la juridiction a été établie et prend la forme, même dans ce contexte territorial, d’un crime
international.»
De même, en ce qui concerne les décisions récemment prononcées (et en particulier celle de
la Chambre des lords, qui avait trait à une action civile intentée au Royaume-Uni par un
ressortissant britannique contre l’Arabie saoudite pour mauvais traitement et torture sur le territoire
de cet Etat), il est à noter que dans cette affaire les circonstances étaient entièrement différentes de
celles existant dans l’affaire jugée par les chambres réunies de la Cour de cassation, puisque
l’instance avait trait à des actes accomplis hors du territoire de l’Etat du for.
Il paraît donc raisonnable de penser que, en ne voyant dans le précédent établi par la Cour de
cassation italienne qu’un cas entièrement isolé, la Chambre des lords n’entendait se référer qu’au
principe de la juridiction universelle que les chambres réunies avaient affirmé en termes généraux.
De l’avis de la Chambre des lords il n’existe d’ailleurs aucune preuve que les Etats reconnaissent
l’obligation d’exercer la juridiction universelle dans les actions intentées sur la base de prétendues
violations de règles péremptoires.
Ainsi le problème que posent les violations de droits de l’homme commises sur le territoire
de l’Etat du for demeure sans solution, même à la lumière des décisions précitées de la juridiction
britannique, surtout si l’on tient compte du fait que la section 5 du British State Immunity Act de
1978 ne permet pas de se prévaloir de l’immunité en ce qui concerne des pertes ou dommages
«causés par un acte ou une omission commis au Royaume-Uni».
La même observation peut se faire en ce qui concerne la décision de la Cour européenne des
droits de l’homme du 4 septembre 2007, citée à l’audience par l’avocat de l’entité responsable au
civil en relation avec la décision d’un tribunal allemand concernant des actes commis en dehors du
territoire de l’Etat du for.
6.1.2. Il semble, par ailleurs, impossible de partager l’opinion de l’appelant suivant laquelle
la question du forum commissi delicti «est en tout état de cause sans pertinence lorsqu’on estime
- 107 -
que la violation d’une règle péremptoire de jus cogens implique que le principe de la juridiction
universelle doit être appliqué». L’argument a été développé mieux à l’audience, où il a été dit,
littéralement, que «l’on peut être ou non d’accord avec l’arrêt no 5044/2004 (nous ne le sommes
pas), mais toujours est-il qu’il exprime un principe logique qui est le résultat final d’un
raisonnement cohérent», qui conduit à considérer la juridiction universelle comme applicable dans
les cas de violation de normes péremptoires de jus cogens, de sorte que ou bien «la juridiction
universelle est reconnue» ou elle ne l’est pas, auquel cas il n’importe plus «si un acte a eu lieu dans
le pays où la cour a son siège ou non» (voir le procès-verbal du 18 décembre 2007, p. 30-31).
Pour l’essentiel, de l’avis de l’appelant, si l’impossibilité de plaider l’immunité dans les cas
de violations graves des droits de l’homme signifie que l’on fait prévaloir les règles impératives
fondées sur la protection des droits fondamentaux de l’individu, la limitation de l’immunité doit
s’appliquer quelles que soient les frontières territoriales. Il semble donc que l’introduction de la
question du concept du forum commissi delicti, en tant que critère intégral ou subordonné, paraît
être une erreur susceptible de compromettre les conséquences que l’on devrait logiquement pouvoir
tirer des déclarations de principe émanant de la Cour de cassation.
L’argument en question n’est pas convaincant, parce que, quand il est nécessaire de trouver
une solution judiciaire dans une situation où des règles incompatibles les unes avec les autres sont
applicables, il n’est pas toujours possible de déterminer d’une manière absolue laquelle des deux
règles doit prévaloir : si l’on se propose d’établir un équilibre entre des intérêts en conflit, il arrive
souvent qu’on ne peut atteindre ce but qu’en adoptant des critères qui permettent la limitation
partielle des normes qui sont en conflit (voir, mais uniquement à titre d’exemple, l’arrêt de la Cour
constitutionnelle, Corte cost., sent. 393/2006, suivant lequel «le degré d’importance de l’intérêt
protégé par le principe de la rétroactivité de la lex mitior ⎯ qui découle du degré de protection
qu’assure le droit national, ainsi que le droit international conventionnel et le droit
communautaire ⎯ implique nécessairement que la valeur protégée par ce principe peut être
sacrifiée par une loi ordinaire seulement en faveur d’un intérêt de la même importance», d’où il
s’ensuit que l’examen de la constitutionnalité doit peser plus lourd qu’une évaluation positive et
approfondie sur le plan rationnel.
Il n’y aurait donc pas d’inconséquence palpable si, dans la perspective qu’ont adoptée les
chambres réunies de la Cour de cassation et qui fait autorité, l’on concluait que, pour ce qui est de
l’opposition entre les règles impératives sur la protection des droits de l’homme et celles qui
établissent l’immunité des Etats au regard de la juridiction civile, la pratique internationale est
parvenue à un compromis bien équilibré entre les intérêts protégés en acceptant que la limitation de
l’immunité puisse s’appliquer (à l’état actuel de développement du droit international) dans les cas
de violations graves des droits de l’homme, commise dans l’Etat du for.
A cet égard, on ne saurait objecter de manière décisive que dans le domaine du droit
international on ne peut pas, comme on le fait dans celui du droit interne, appliquer le critère
consistant à trouver un équilibre entre les intérêts protégés par des règles différentes en vue de
parvenir à une interprétation correcte de la loi ; ceci est particulièrement le cas lorsque les règles à
comparer occupent des positions différentes dans la hiérarchie des sources (en ce sens l’objection
suivant laquelle, si les normes du jus cogens sont censées l’emporter sur les autres règles du droit
international coutumier ou celles de nature conventionnelle, la primauté doit s’appliquer dans tous
les cas, aucune autre condition n’étant à retenir, est bien fondée).
La pratique des Etats, souvent fondée sur le critère du locus commissi delicti, dans le but
d’assurer une protection bien équilibrée des intérêts en conflit (même en établissant une dérogation
restreinte à l’immunité juridictionnelle de l’Etat), paraît, au contraire, décisive.
A cet égard, la limitation de l’immunité juridictionnelle n’opère pas seulement (ou le fait à
un degré moindre) en tant qu’ «effet spécial» d’une norme péremptoire du jus cogens ; elle opère
plutôt grâce à l’existence positive d’une règle de droit international coutumier : le critère de
- 108 -
l’équilibre des intérêts n’est donc pas un critère d’interprétation visant a résoudre un conflit de
principe entre des règles données (par suite de quoi l’une des règles, à savoir celle qui est de nature
impérative, fait obstacle à l’application de l’autre), mais plutôt un critère pour une nouvelle
détermination du contenu précis de la règle sur l’immunité juridictionnelle des Etats et les limites
de celle-ci en vigueur dans la communauté internationale (voir aussi le point 6. 2. 4 ci-dessous).
6.1.3. Il convient aussi d’ajouter que les décisions des autorités judiciaires ne sont qu’un des
éléments dont on peut déduire une règle générale de droit international et qu’en tout cas il ne s’agit
certainement pas de dénombrer les jugements étayant les vues en conflit ; car ce qui compte par
dessus tout, c’est le point de savoir si les arguments juridiques correspondants sont bien fondés et
cohérents.
Par ce qui précède on n’entend pas impliquer que la jurisprudence italienne peut continuer
d’affirmer sa propre position (réputée légitime dans le contexte d’une interprétation systématique et
évolutive des règles internationales) en s’isolant complètement et bien qu’il soit clair que dans tous
les autres pays une position juridique différente est considérée comme dominante.
Il semble cependant que, quoiqu’il ne soit pas établi que les autorités judiciaires d’autres
pays suivent, d’une manière générale, la ligne de la jurisprudence italienne, l’on peut dire qu’à
l’heure actuelle la question reste ouverte et exposée à des développements futurs, comme le
reconnaît, en partie, la doctrine italienne, qui appelle à la prudence à cet égard, mais soutient qu’en
tout état de cause la décision de la Cour de cassation représente une contribution à la protection des
individus victimes de graves violations de leurs droits fondamentaux, contribution qui est
susceptible d’avoir un effet positif pour le renforcement et le développement de la tendance vers
l’érosion graduelle du principe de l’immunité, tendance qui fait déjà son chemin dans la
communauté internationale.
6.2.1. Quant à l’adoption de la Convention de New York du 2 décembre 2004, il est vrai,
certes, qu’elle n’a admis aucune dérogation à l’immunité dans le cas de violation des droits de
l’homme, mais cette omission n’a pas en réalité la signification concluante que l’entité responsable
au civil essaie de lui attribuer. Par ailleurs, il faut préciser immédiatement que la convention ne
contient aucune exception expresse pour le cas d’actions de guerre, comme l’appelant l’affirme à
tort : seulement la Convention européenne signée à Bâle en 1976 contient un exception expresse,
pour le cas des actions de guerre, laquelle se trouve à l’article 31 et a trait aux privilèges et
immunités dont un Etat contractant jouit en ce qui concerne tout acte ou omission de ses forces
armées ou en relation avec celles-ci lorsqu’elles se trouvent sur le territoire d’un autre Etat
contractant ; mais cette convention est universellement considérée comme n’ayant qu’une
pertinence minime au regard du sujet traité ici, surtout en raison d’avoir été ratifiée par très peu
d’Etats, parmi lesquels l’Italie ne se trouve pas.
En revanche, la Convention de New York passe sous silence la question des activités
militaires et des activités de guerre et, quoique, de l’avis du président du comité spécial sur les
immunités, cela doit s’interpréter dans le sens qu’elles sont en dehors de la portée de la convention,
l’omission peut signifier simplement que les règles du droit international coutumier s’appliquent
encore à ces activités, par rapport aussi bien à la disposition sur le principe de l’immunité
juridictionnelle qu’à la détermination de limites applicables dans le cas de violations graves des
droits de l’homme ; en d’autres termes, dans ce cas, le «fait nouveau» que représente l’adoption de
la Convention de New York est sans pertinence aucune concernant la solution du problème en
question.
Il est à noter, à cet égard, que la Convention de New York représente le point d’arrivée d’un
parcours long et pénible, au long duquel le droit international s’est graduellement écarté du
principe de l’immunité absolue, accepté à l’origine par la plupart des Etats et ultérieurement limité
- 109 -
à mesure qu’un nombre sans cesse croissant d’Etats (dont les premiers ont été la Belgique et
l’Italie) se ralliaient au principe de l’immunité restreinte. A cet égard, l’importance de la
convention réside moins dans le principe général énoncé à l’article 5 (en vertu duquel un Etat jouit
de l’immunité par rapport à la juridiction des tribunaux d’un autre Etat) que dans les dispositions
explicites relatives aux procédures dans lesquelles l’immunité de l’Etat ne peut pas être invoquée
(article 10 et suiv.).
6.2.2. A ce propos, on doit noter la pertinence particulière de l’article 12, qui codifie le
critère connu sous le nom de tort exception et en vertu duquel un Etat ne peut pas invoquer
l’immunité à l’égard de la juridiction d’un tribunal d’un autre Etat, compétent en l’espèce, dans une
procédure se rapportant à une action en réparation pécuniaire en cas de mort ou d’atteinte à
l’intégrité physique d’une personne, ou en cas de dommage ou de perte d’un bien corporel, dus à
un acte ou à une omission prétendument attribuable à l’Etat, si cet acte ou cette omission se sont
produits, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre Etat et si l’auteur de l’acte était présent
sur ce territoire au moment de l’acte ou de l’omission.
Il est à noter à ce propos que le projet de convention sur les immunités juridictionnelles des
Etats a été pris en considération dans l’arrêt des chambres réunies no 5044/2004, y compris, en
particulier, l’article 12, précité et l’opinion suivant laquelle «la dérogation au principe de
l’immunité, établie par la règle sous examen, inclut les pertes ou dommages «intentionnels» et la
perte ou dommage dus au crime, sans exclure l’homicide intentionnel et l’assassinat politique», et
«la distinction entre les actes accomplis jure imperii et les actes accomplis jure gestionis est sans
pertinence en ce qui concerne les demandes en réparation découlant «de lésions causées à la
personne» ou de dommages causés à des «biens tangibles».
6.2.3. Le fait que l’article 12 peut, entre autres, s’appliquer à des violations des droits de
l’homme, y compris celles qui peuvent s’être produites au cours d’activités militaires, est confirmé
(malgré l’opinion contraire, à laquelle on doit certainement accorder du poids, du président du
Comité spécial chargé d’élaborer le texte de la convention), en premier lieu, par le langage même
de la règle, qui ne prévoit pas de limitations de sa portée autres que celles explicitement
mentionnées. On a indiqué ainsi que, conformément à l’article 32 de la Convention de Vienne sur
le droit des traités, on ne peut faire appel aux travaux préparatoires que lorsque l’interprétation
conformément à l’article 31 laisse le sens ambigu ou obscur ou conduit à un résultat qui est
manifestement absurde ou déraisonnable (par conséquent si les auteurs de la convention avaient
voulu exclure les situations de conflit armé de la portée de l’article 12, ils auraient dû le dire
expressément). Il paraît que ces conclusions sont étayées par les considérations suivantes :
Le message concernant la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004
sur l’immunité juridictionnelle des Etats, présenté (en vue de l’approbation de la
convention par les chambres fédérales) par le département fédéral suisse des affaires
étrangères le 17 janvier 2007 (et disponible en internet), indique, au sujet de
«l’immunité des Etats et les droits de l’homme», que, «afin de lever l’immunité d’un
Etat étranger dans «une action civile découlant d’atteintes à l’intégrité physique d’une
personne ou de dommages à des biens ou pertes de ceux-ci», la convention exige que
deux liens territoriaux soient réunis : l’acte délictuel (ou l’omission) doit s’être déroulé
sur le territoire de l’Etat du for et son auteur doit avoir été présent sur ce même
territoire au moment des faits (art. 12). Exiger un lien spécifique avec le territoire de
l’Etat du for afin d’établir la juridiction est conforme à la pratique des Etats en matière
d’immunité. Il s’agit surtout d’éviter le «forum shopping», par lequel des procès ont
lieu devant des autorités dont la position est douteuse et qui de plus se trouvent trop
loin de l’endroit où l’acte en question a eu lieu pour pouvoir résoudre le différend en
pleine connaissance de cause. Il est cependant raisonnable de se demander si une telle
exigence ne serait pas disproportionnée dans le cas de différends concernant de graves
- 110 -
violations des droits de l’homme. D’après le message précité «cette question fut
examinée par le groupe de travail de la commission du droit international en vue de
déterminer s’il convenait de prévoir une disposition spécifique permettant de faire
échec à l’immunité des Etats dans le cas d’actions civiles consécutives à des violations
graves des droits de l’homme perpétrées hors de l’Etat du for. Le groupe de travail
n’a pas fait de recommandation spécifique à cet égard». Il s’ensuit que le problème ne
se pose pas à propos des cas où toutes les conditions que prévoit l’article 12 sont
réunies (comme, souligne-t-on, elles le sont dans la présente instance, qui a trait à des
actes s’étant produits en Italie et étant accomplis par des individus qui étaient en Italie
au moment ou les actes ont été commis), mais en relation avec des violations des
droits de l’homme commises en dehors de l’Etat du for ; il ne s’agit pas, cependant,
d’une question qui soit à décider par cette Cour.
En ratifiant la Convention de New York, la Norvège a déposé une déclaration affirmant
qu’elle entendait que la convention ne s’applique pas aux activités militaires, y compris les
activités des forces armées pendant un conflit armé, selon la définition donnée à ces termes en
vertu du droit international humanitaire, et les activités entreprises par les forces militaires d’un
Etat dans l’exercice de leurs fonctions officielles. Si, afin d’exclure les activités militaires de la
portée de la convention, on a considéré nécessaire (ou en tout cas approprié) de faire une réserve
spécifique, cela confirme, a contrario, qu’on a raison de penser que, d’une manière générale, on
doit entendre que l’article 12 englobe les activités entreprises par les forces armées.
6.2.4. Des doutes ont été soulevés sur la possibilité de reconnaître des effets rétroactifs à
l’article 12 précité, en tant que règle impérative s’appliquant également à des situations juridiques
survenues avant l’entrée en vigueur de la convention (laquelle, comme le prévoit expressément son
article 4, n’a pas d’effet rétroactif).
Il se peut toutefois que la disposition sur la rétroactivité ne s’applique qu’aux dispositions de
la convention qu’on peut considérer comme nouvelles, non aux dispositions qui simplement
codifient un principe préexistant du droit international coutumier. A cet égard, (et même sans
invoquer le préambule de la Convention de New York, conformément auquel les règles du droit
international coutumier continuent de régir les questions qui n’ont pas été régulées dans les
dispositions de la convention), il est à noter que le principe du forum commissi delicti était, même
avant d’avoir été consacré à l’article 12 de la convention en question, établi tant dans la législation
d’un certain nombre de pays que dans des décisions judiciaires ; dès lors il ne paraît pas
déraisonnable d’estimer que le principe doit être considéré en vigueur aussi bien avant qu’après
l’adoption de la Convention de New York (sauf en ce qui concerne les victimes d’accidents de la
route et dans le cas d’assassinats politiques) dans les cas généralement bien plus sérieux de mort ou
blessures causés par des actes ou omissions constituant de graves violations des règles du droit
humanitaire de la guerre ou de la protection des droits de l’homme.
En outre, conformément à l’art. 5 c. p. c. (code de procédure criminelle) la compétence doit
être déterminée par rapport au temps où la réclamation a été présentée (comme la Cour de cassation
l’a également décidé dans l’arrêt no 5044/2004) : dans la présente instance, les parties cherchant à
obtenir des dommages-intérêts, qui avaient intérêt à faire comparaître l’entité responsable au civil,
sont comparues à la phase des audiences préliminaires, à l’audience tenue le 15 juin 2005.
Pour confirmer l’importance du critère de connexion basé sur le locus commissi delicti, on
peut observer, par exemple, que (avant la formulation d’un principe de l’universalité, notamment
en conformité avec le Statut de Rome de la Cour pénale internationale), aux termes de l’article 5 de
la résolution 3074 (XXVIII) de l’Assemblée générale des Nations Unies, du 3 décembre 1973, «les
individus contre lesquels il existe des preuves établissant qu’ils ont commis des crimes de guerre et
des crimes contre l’humanité doivent être traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables,
- 111 -
châtiés, en règle générale, dans les pays où ils ont commis ces crimes. A cet égard, les Etats
coopèrent pour tout ce qui touche à l’extradition de ces individus».
En ce qui concerne la coopération en matière d’extradition, l’article 88 2) du protocole
additionnel I aux Conventions de Genève dispose que les Hautes Parties contractantes «prendront
dûment en considération la demande de l’Etat sur le territoire duquel l’infraction alléguée s’est
produite».
D’autre part, dans les cas où l’on prévoit explicitement une dérogation au principe de
l’immunité juridictionnelle, aux articles 10 et suivants de la Convention de New York, on soutient
en règle générale, qu’il y a un lien entre cette dérogation et le fait que l’objet du différend a une
relation avec le territoire de l’Etat du for (voir, par exemple, l’art. 11, sur les procédures se
rapportant à un contrat de travail entre l’Etat et une personne physique pour un travail accompli ou
devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire d’un autre Etat, et l’article 13 sur les
procédures se rapportant à des biens immobiliers situés dans l’Etat du for.
Dès lors, contrairement à ce que prétend la partie appelante responsable au civil, les règles
codifiées par la Convention de New York confirment que sur ce point la décision de la juridiction
de première instance était fondée. De même, s’agissant des règles objet de l’article 12, qui accepte
une limitation de l’invocation de l’immunité, même dans le cas de violations graves des droits de
l’homme, pourvu que l’action soit intentée devant les organes judiciaires de l’Etat où la violation a
eu lieu, on peut souscrire à la vue selon laquelle «le régime créé par la Convention des Nations
Unies sur l’immunité juridictionnelle des Etats et leurs biens établit un équilibre satisfaisant entre la
nécessité de protéger les demandeurs, pris individuellement, et les prérogatives de puissance
publique dont l’Etat est investi et qui doivent être libres de toute interférence de la part de
tribunaux étrangers». (Voir aussi le message du département fédéral suisse des affaires étrangères
cité ci-dessus.)
7.1. L’appelant prétend aussi que le droit à réparation pour perte ou dommage ne peut jamais
être vu comme étant imposé par des normes péremptoires de jus cogens.
A cet égard, on peut admettre que les obligations à la charge des personnes coupables d’un
crime d’indemniser les victimes (ou leurs ayant cause, en cas de mort) pour toute perte ou
dommage donnant lieu à responsabilité civile présentent sans doute certaines particularités : en
premier lieu, conformément à l’article 185 c. p. [code pénal], l’indemnisation doit couvrir tant la
perte de biens ou les dommages qui leur sont causés, que les pertes ou dommages autres que les
pertes de biens ou les dommages qui leur sont causés ; de plus le régime de la prescription est basé
sur celui qui est prescrit pour le délit ; ceci résulte de l’article 29 3) du Code civil, suivant lequel
«en tout cas, si le fait est considéré par la loi comme un délit et pour celui-ci une prescription plus
longue est établie, celle-ci s’applique aussi à l’action civile» ; en l’espèce, comme il s’agit d’un
crime qui est imprescriptible, l’action civile ne peut pas non plus se prescrire en droit italien.
On fait observer aussi que l’indemnisation pour perte ou dommage causé par un crime est
sans doute punitive et a certaines implications pour le droit public (voir, sur ce point, les
articles 62 6) et 165 c. p. (code pénal) ; ceci est fermement établi par la disposition (article 35 du
décret législatif d .lgs 28 août 2000, no 274) d’après laquelle, dans le cas de délits relevant de la
compétence du juge de paix, le délit est réputé purgé «lorsque l’accusé montre qu’il a pris, avant
d’assister à l’audience, des mesures pour réparer le dommage causé par le délit et qu’il en a éliminé
les conséquences préjudiciables ou dangereuses par restitution ou réparation». Finalement,
conformément aux règles en vigueur, puisque la peine criminelle ne vise pas en elle-même la
réparation, le droit s’efforce de protéger la victime au moyen d’un système de règles sur la
responsabilité civile qui, à divers points de vue importants, diffèrent des règles civiles ordinaires
relatives à la responsabilité pour des actes illicites.
- 112 -
Voilà donc ce qu’il faut retenir pour ce qui est du droit interne. Quant au droit international,
il est à noter, d’abord, que, aux termes de l’article 3 de la Convention IV de la Haye de 1907, «la
partie belligérante qui violerait les dispositions dudit règlement sera tenue à indemnité, s’il y a
lieu … et sera responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée».
Etant donné le contenu objectif de cette disposition, il ne paraît pas nécessaire de noter que la
responsabilité dont il était alors question devait être une responsabilité susceptible d’être engagée
sur le plan international.
Plus tard, l’article 75 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale a habilité la Cour à
établir des principes applicables aux formes de réparation à accorder aux victimes, ou à leurs ayants
cause, telles que la restitution, l’indemnisation ou la réhabilitation ; la Cour peut rendre contre une
personne condamnée une ordonnance indiquant la réparation qu’il convient d’accorder aux
victimes ou à leurs ayants cause A cet égard il n’y a aucune raison de supposer que les droits des
victimes à la réparation soient sujets à d’autres limitations, en ce qui concerne le temps, par
exemple, que celles relatives à l’action criminelle concernant l’acte ayant donné lieu à la
responsabilité. (Voir aussi la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, ratifiée par l’Italie par loi de novembre 1988, no 489, dont l’article 13
dispose que tout Etat partie assure a toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur
tout territoire sous sa juridiction, le droit de porter plainte devant les autorités compétentes ; alors
que l’article 14 dispose que dans son système juridique, tout Etat garantit à la victime d’un acte de
torture, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y
compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. En cas de mort de la
victime résultant d’un acte de torture, les ayants cause de celle-ci auront droit à indemnisation.
Par ailleurs l’Assemblée générale des Nations Unies, par sa résolution [60/147] du
[16 décembre 2005] («Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à
réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de
violations graves du droit international humanitaire»), a lancé un appel aux Etats pour qu’ils
assurent un recours effectif aux victimes de violations graves des droits de l’homme, en les invitant
notamment à reconnaître le droit des victimes à avoir accès à un tribunal.
7.2. De même, dans la présente instance il ne semble pas faire de doute que le caractère de
jus cogens (tel que le terme est défini à l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités de 1969) doit être reconnu aux normes qui définissent les actes tels que ceux en question ici
comme des crimes et que, par conséquent, il en va de même des règles connexes, qui imposent
l’obligation, dans ces cas, d’indemniser les victimes pour la perte de biens et dommages qui sont
causés à ceux-ci, ainsi que pour d’autres pertes et dommages qu’elles ont subis.
A cet égard, il convient de mentionner également les nombreuses règles (de droit national et
international) qui étaient déjà en vigueur en 1944 ou qui en tout cas reconnaissaient un principe
général de droit international déjà existant auparavant :
⎯ En premier lieu, l’article 185 du Code pénal militaire de guerre de 1944 (cité dans l’acte
d’accusation) attribue à l’acte de tuer des civils en territoire occupé par les forces militaires
d’un Etat ennemi, le caractère de délit criminel, conformément au Libro III, Titolo IV c.
p. m. g. «Crimes contre les lois et coutumes de la guerre». (Dans le rapport sur le projet
préliminaire de ce code, il est noté que le comité a considéré qu’il convenait «d’inclure une
section spéciale sur les violations des lois et coutumes de la guerre dans le projet de code de la
guerre, en vue d’établir un système organique du droit criminel militaire international dans ce
domaine délicat et important, en harmonie avec les principes généraux du droit
international», car il ne fait pas de doute qu’ «en lui-même, l’établissement du droit criminel
international encourage la recherche de moyens d’assurer l’observation des lois naturelles et
sacrées de l’humanité et la civilisation»).
- 113 -
⎯ Aux termes de l’article 46, compris dans la Section III, («de l’autorité militaire sur le territoire
de l’Etat ennemi») de l’annexe de la Convention IV de la Haye de 1907 (règlement concernant
les lois et coutumes de la guerre sur terre), «l’honneur et les droits de la famille, la vie des
individus et la propriété privée, ainsi que les convictions religieuses et l’exercice des cultes
doivent être respectés». Il est à noter également, sous ce rapport, que dans son jugement du
30 septembre 1946, le tribunal militaire international de Nuremberg a jugé que les «règles
définies dans» la Convention IV de La Haye «étaient reconnues par toutes les nations civilisées
et étaient considérées comme une formulation des lois et coutumes de guerre» avant que le
conflit n’éclate et avaient dès lors acquis la force et la valeur de normes de droit international
coutumier (voir l’arrêt de la Cour, Corte di cassazione, Sez. un. Civ. no 5044/04, cité ci-dessus,
par. 7. 2).
⎯ L’article 28 de la “Loi de la Guerre» italienne, approuvée par décret royal r. d., 8 juillet 1938,
no 1415, dispose qu’ «à moins que la loi n’en dispose autrement, les personnes privées qui ne
commettent pas d’actes d’hostilité doivent, même si elles sont attachées aux forces armées, être
protégées de manière à assurer leur sécurité personnelle, l’inviolabilité de leurs biens et la
jouissance ainsi que l’exercice de tous leurs autres droits» ;
⎯ La charte du tribunal international pour juger et punir les grands criminels de guerre des pays
européens de l’Axe, jointe en annexe à l’Accord de Londres du 8 août 1945 (dont les principes
furent confirmés par la résolution 94 de l’Assemblée générale du 11 décembre 1946) dispose
que le meurtre de la population civile d’un territoire occupé ou s’y trouvant est réputé crime de
guerre, alors que le meurtre ou l’extermination commis contre toute population civile est réputé
crime contre l’humanité ;
⎯ Aux termes de l’article 85 du protocole additionnel I aux Conventions de Genève, le fait de
«soumettre la population civile ou des personnes civiles à une attaque» et «les actes» qui
entraînent «la mort ou causent des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé»
constituent de graves violations (et sont en conséquence considérés comme des «crimes de
guerre» conformément à la définition contenue dans le dernier paragraphe de cet article). (Voir
aussi l’article 147 de la Convention IV relative à la protection de personnes civiles en temps de
guerre, Genève, le 12 août 1949).
Dans le contexte des définitions récemment consacrées dans le Statut de Rome de la Cour
pénale internationale (ratifié par l’Italie par la loi du 12 juillet 1999, no 232), l’action qui est en
cause ici apparaît comme susceptible d’être qualifiée de crime contre l’humanité, car elle a consisté
en des actes répétés de meurtre commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique
lancée contre des populations civiles, en exécution d’une politique poursuivie par les forces armées
du Reich et consistant en des actes de nature à terroriser la population civile d’un territoire occupé
ou s’y trouvant, accomplissant ainsi un objectif contraire à la résistance menée par des partisans.
Il ne semble donc pas possible, particulièrement à la lumière des dispositions expresses
précitées, contenues dans l’article 3 de la Convention IV de Haye de 1907 et l’article 46 du
règlement figurant en annexe de cette dernière, de souscrire à l’opinion (et ce malgré le poids qu’on
doit lui accorder) d’après laquelle un certain doute paraît planer sur la possibilité de déclarer un
Etat coupable d’actes commis lorsque la responsabilité de l’Etat pour de graves violations de droits
de l’homme n’était pas reconnue internationalement, comme c’était le cas, par exemple, en ce qui
concerne les atrocités commises pendant la Seconde guerre mondiale.
8. En dernier lieu, il faut signaler essentiellement qu’il n’appartient pas à cette Cour de
prendre, en termes généraux, position sur les problèmes que suscite l’immunité juridictionnelle des
Etats et déterminer si oui ou non un principe de juridiction universelle s’applique dans des actions
civiles découlant de violations graves des droits de l’homme. (Il est à noter, incidemment, que,
pour ce qui est de la juridiction criminelle concernant les crimes de guerre, à présent le droit italien
- 114 -
n’applique pas le principe de la juridiction universelle : par exemple, l’article 185 c. p. m. g. (code
pénal militaire pénal de guerre) ne s’applique qu’aux troupes italiennes ⎯ ou, conformément à
l’article 13 de ce code, aux troupes ennemies qui ont commis l’acte contre des personnes privées
ennemies qui ne prennent pas part aux opérations militaires ; on soutient aussi dans la doctrine que,
pour que le principe de l’universalité établi dans le Statut de Rome de la Cour pénale international,
s’applique dans l’ordre juridique italien, la loi par laquelle ce statut a été ratifié n’est pas suffisante,
une loi nationale spécifique étant nécessaire à cet effet.
La question sur laquelle la Cour a juridiction n’a trait qu’au procès correspondant ; il ne
s’agit donc que d’établir si l’Etat, c’est-à-dire la République fédérale d’Allemagne, peut licitement
être cité à comparaître, dans une procédure criminelle, en tant que partie civilement responsable,
conjointement avec l’accusé, pour répondre à une réclamation présentée par les parties au procès
demandant des dommages-intérêts pour pertes ou dommages causés sur territoire italien par un
crime de guerre (et contre l’humanité) commis le 29 juin 1944 par un membre des forces armées
allemandes qui se trouvait sur territoire italien au moment de la commission du crime.
Sur ce point, finalement, la Cour se conforme à ce qui a été décidé par la Cour de cassation,
chambres civiles réunies, dans son arrêt no 5044/2004, dans le sens de reconnaître, aux fins
correspondantes, la compétence du juge pénal italien dans des procédures relatives à des crimes de
guerre et des crimes contre l’humanité commis sur territoire italien, en vue de déterminer la
responsabilité civile de l’Etat dans les forces armées duquel l’accusé servait.
A cette fin, les critères basés sur l’impossibilité de déroger à une norme péremptoire de jus
cogens et sur le principe connu comme celui de la tort exception, sont, non pas alternatifs, comme
indiqué ci-dessus, mais convergents, puisqu’il est possible de trouver une règle de droit
international coutumier ayant pour effet d’écarter la possibilité d’invoquer, dans la présente
procédure pénale, l’immunité de l’Etat cité à comparaître, en tant que partie responsable au civil,
par la juridiction ayant compétence pour connaître de la réclamation.
9. Afin de justifier, en substance, la responsabilité civile de l’Etat, c’est-à-dire de la
République fédérale d’Allemagne, conjointement avec l’accusé, Milde, il faut observer, en outre,
que les massacres de civils qui eurent lieu en Italie en 1944 pendant la retraite des troupes
allemandes (et en particulier le massacre à Civitella in Val di Chiana) n’ont pas été commis par
suite d’une décision déterminée de commandants pris individuellement (et certainement pas par
suite d’une décision indépendante prise par l’accusé en la présente instance), mais par suite d’un
plan spécifique attribuable au Haut commandement militaire allemand en Italie, et, en remontant le
plus haut possible, aux autorités politiques et militaires les plus élevées de l’Etat allemand, décision
dont le but était de réagir aux attaques des partisans, et ce, en mettant en cause la population civile,
objet de massacres d’une gravité suffisante pour décourager toutes initiatives ultérieures de la part
des forces de résistance.
9.1. A ce propos il convient également de rappeler les ordres donnés par le Maréchal
Kesselring le 17 juin et le 1er juillet 1944. L’ordre donné le 17 juin contenait le passage ci-après :
«La lutte contre les partisans doit être menée avec tous les moyens à notre
disposition et avec la plus grande sévérité. Je protègerai tout commandant qui va
au-delà de notre retenue habituelle dans le choix et la rigueur des méthodes qu’il
adopte en luttant contre les partisans. A cet égard, l’ancien dicton est applicable selon
lequel une erreur dans le choix des moyens pour accomplir un but vaut toujours mieux
que l’absence d’action ou la négligence. L’ordre donné le 1er juin dispose entre autres
qu’
- 115 -
«il est du devoir de toutes les troupes et unités de police sous mon
commandement d’adopter les mesures les plus sévères». Tout acte de
violence commis par des partisans doit être puni immédiatement. Les
rapports présentés doivent aussi contenir des détails au sujet des
contre-mesures prises. Là où des groupes de partisans sont en nombres
considérables, une partie de la population masculine dans la zone sera
arrêtée et, au cas où un acte de violence serait commis, ces hommes
seront fusillés».
Ainsi, cette Cour a déjà constaté (voir arrêt du 24 novembre 2005, Lange) que durant l’été
1944, des troupes allemandes occupant l’Italie ont été responsables d’un nombre impressionnant de
massacres, d’homicides et d’actes de brutalité contre la population civile. Ces actes, aussi bien du
fait de leur caractère systématique que parce qu’ils étaient implicites dans le système d’ordres et de
directives donnés par le Maréchal Kesselring, doivent être attribués, non tellement, ou non
seulement, à quelque animosité de la part des personnes qui les commettaient, mais à un plan
spécifique pour faire pièce aux tactiques de l’action de guérilla menée par les partisans. En
d’autres termes, il s’agissait de montrer que les troupes allemandes, ne reconnaissant pas les
partisans comme des combattants réguliers, réagissaient à des attaques contre leurs unités en se
tournant contre la population civile. Ainsi, le meurtre sans merci de tant d’enfants, de femmes et
de personnes âgées, obéissait aussi à un plan délibéré et préconçu visant à empêcher tout type de
soutien ou de sentiment en faveur de la résistance contre les forces ennemies d’occupation, en
répandant la terreur parmi la population.
9.2. En l’espèce, il est clair, entre autres, que l’échelle du massacre commis le 29 juin 1944
(au cours duquel plus de deux cents civils ont été tués) était absolument sans proportion avec les
opérations des partisans qui l’avaient précédé (les 18 et 21 juin 1944), au cours desquelles quatre
soldats allemands avaient été tués. Si l’on tient compte de ce que, au cours d’une attaque
spectaculaire contre la base des partisans à la Villa Montaltuzzo, deux autres soldats allemands
capturés par eux ont été libérés le 23 juin 1944 et que les partisans qui (en petit nombre) sont restés
dans la zone pendant les jours suivants ne se sont pas livrés à d’autres attaques, il paraît clair que
l’effroyable massacre commis le 29 juin 1944 a été décidé de sang froid et que, à cette date, les
attaques, limitées, des partisans n’ont servi que de prétexte pour exécuter un plan de violence
systématique contre la population.
Il ne peut donc y avoir le moindre doute qu’en substance, la République fédérale
d’Allemagne doit participer, en tant que partie responsable au civil, à la procédure criminelle
engagée en relation avec les attaques effectuées par ses propres forces armées en temps de guerre,
en exécution des directives des plus hautes autorités politiques et militaires, en violation des lois et
coutumes de la guerre. En outre, ceci semble être conforme non seulement aux dispositions du
droit italien, mais également à l’article 3 de la Convention IV de La Haye de 1907, déjà citée, aux
termes duquel une «partie belligérante sera responsable de tous actes commis par les personnes
faisant partie de sa force armée» (disposition qui a été reprise, dans les mêmes termes, par
l’article 91 du protocole additionnel I ⎯ adopté le 8 juin 1977 et relatif à la «protection des
victimes des conflits armés internationaux» ⎯ aux Conventions de Genève de 1944.
9.3. A propos de la reconnaissance de la responsabilité civile d’un Etat au regard d’actes
commis par des membres de ses forces armées dans des situations de conflit armé, il convient de se
reporter au principe affirmé par la Cour de cassation, chambres civiles réunies, dans l’ordonnance
no 8157 du 5 juin 2002 (suivant laquelle, en ce qui concerne l’action civile intentée par des
membres des familles de victimes à la suite du bombardement de la station radio télévision à
Belgrade, le 23 avril 1999, par des avions de l’OTAN ayant décollé d’une base italienne ⎯ les
actes de guerre sont des manifestations d’une fonction politique et «pour ce qui est d’actes de ce
type, aucune juridiction n’a le pouvoir de reviser la manière dont la fonction a été exercée» ; voir
- 116 -
aussi, sous ce rapport, Cour européenne des droits de l’homme, 14 décembre 2006, Markovic),
principe qui a déjà fait l’objet de critiques en doctrine et doit être considéré comme repoussé, au
moins dans la mesure où l’on peut le considérer comme étant, de par sa nature, absolu, par l’arrêt
suivant des chambres civiles réunies no 5044/2004, déjà cité à plusieurs reprises.
9.4. Bien qu’aucune objection spécifique n’ait été soulevée à cet égard, il convient de
confirmer que l’action civile en question ici ne tombe pas sous le coup de la prescription, car elle
découle de la commission d’un acte qui d’après la loi est passible de l’emprisonnement à vie et par
conséquent n’est pas sujet à la prescription par la loi italienne (article 157, in fine, c. p. [code pénal]
et article 2947 3) c. c. (code civil). Il y là une différence essentielle par rapport à la décision du
tribunal d’Arezzo (13 mars 2007, Ferrini c. République fédérale d’Allemagne), où il a été décidé
que le droit à réparation pour perte ou dommage était sujet à prescription au motif que «les actes
sur lesquels se fonde la réclamation ne semblent pas être passibles d’une peine d’emprisonnement à
vie» (le tribunal ayant ajouté, dans les considérants de sa décision, que «au point de vue du droit
international, l’on ne peut soutenir qu’au moment où les actes ont été commis, il existait une règle
de droit coutumier prescrivant que des soi-disants crimes internationaux ne pouvaient pas tomber
sous le coup de la prescription» ; mais cette décision demeure sans intérêt dans les cas où, comme
dans la présente instance, il existe un droit imprescriptible en droit national, de sorte qu’il n’y a
aucune raison de penser que le principe suivant lequel les crimes internationaux ne sont pas sujets à
prescription n’a été incorporé dans l’ordre juridique italien que par la ratification, le 26 juillet 1999,
du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et qu’il ne saurait s’appliquer, en tant que
principe substantiel de droit criminel, aux actes commis avant l’entrée en vigueur du statut.
Il convient d’ajouter que, s’agissant d’un droit imprescriptible à réparation pour un
dommage, aux fins de l’écoulement du délai de prescription établi à l’article 2947, cc. [code civil],
date d’extinction du délit ou date à laquelle la sentence est devenue chose jugée, la décision du
tribunal militaire de Rome du 12 juillet 1950, imp. Schmalz, relative au même crime, est sans
pertinence. Il est en tout cas improbable que cette décision, par laquelle un défendeur autre que
celui qui est partie à la présente instance a été acquitté au motif qu’il n’avait pas commis l’acte, soit
pertinente aux fins de l’article 2947 cc.[code civil].
10. En ce qui concerne la détermination des sommes dues à titre de réparation, aucune
prétention n’a été mise en avant par l’accusé ou l’entité responsable au civil. Dès lors, la sentence
de la juridiction de première instance doit également être confirmée à cet égard. Il faut aussi
condamner l’accusé à payer les frais supplémentaires encourus par la Cour et à payer les frais de la
procédure encourus par les parties réclamant des dommages-intérêts, pour la somme indiquée dans
le dispositif de la décision, en plus des honoraires et dépens ; dans le cas des défenseurs agissant
pour plusieurs parties, un montant total est indiqué qui tient compte du supplément prévu au tarif
des frais dus en raison du nombre des parties représentées.
PAR CES MOTIFS
En conformité avec les articles 261 c. p. m. p. [code de procédure militaire pénale de paix] ; e. L.
[Loi] 180/81 ; 592, 597 et 605 c. p. p. [code de procédure criminelle]
CONFIRME
La sentence objet d’appel,
- 117 -
ORDONNE
A Milde Max Josef de payer les frais de la cour de seconde instance et les frais encourus dans
l’instance par les parties réclamant des dommages-intérêts, comme suit :
a) Ricciarini Gio Battista, Buracchi Vanda, Ricciarini Fabrizio, Ricciarini Alessandro et Ricciarini
Metello, un montant total d’Euro 1000.00 à titre d’honoraires et d’Euro 240.00 à titre de frais ;
b) Biancucci Barbara et Biancucci Beatrice, un montant total d’Euro 670.00 à titre d’honoraires et
Euro 240.00 à titre de frais ;
c) Molentacchi Sestilio – Euro 560.00, à titre d’honoraires ;
d) Regione Toscana, Provincia di Arezzo et Municipalité de Civitella in Val di Chiana, et
Municipalité de Bucine, un montant total d’Euro 500.00 à titre d’honoraires ;
e) Présidence du Conseil des ministres, Euro 560.00 à titre de frais,
plus la TVA réglementaire et CPA dans le cas de toutes les parties réclamant des
dommages-intérêts.
Arrêt enregistré dans un délai de quarante jours.
Rome, le dix-huit décembre deux mil sept.
JUGE AYANT ELABORÉ LE TEXTE PRESIDENT
(signé) Giuseppe MAZZI. (signé) Giuseppe MONICA.
___________

Document file FR
Document
Document Long Title

Annexes - volume I

Links