Volume I Observations écrites

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10413
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE DU DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME
(NICARAGUA c. COLOMBIE)
OBSERVATIONS ÉCRITES DU NICARAGUA
VOLUME I
26 JANVIER 2004
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
Introduction ..................................................................................................................................... 1
Chapitre I Le statut juridique du traité de 1928............................................................................ 7
I. Introduction............................................................................................................................ 7
II. La nullité du traité de 1928 .................................................................................................... 7
A. Le traité de 1928 fut conclu en violation manifeste de la Constitution
nicaraguayenne ................................................................................................................. 7
B. Le Gouvernement nicaraguayen n’avait pas, sur le plan international, la capacité
d’être lié par des traités..................................................................................................... 9
III. Le contenu et l’analyse juridique du traité de 1928............................................................. 12
A. L’étendue de l’archipel de San Andrés........................................................................... 13
B. La référence au 82e
méridien figurant dans le protocole d’échange des
ratifications du traité de 1928 ......................................................................................... 18
1. Le point de vue prévalant en 1930 ............................................................................ 18
2. De 1930 à 1969 ......................................................................................................... 21
3. Première période de négociations, 1977 ................................................................... 22
4. Deuxième période de négociations, 1995 ................................................................. 22
5. Troisième période de «négociations», 2001.............................................................. 25
IV. Violation d’un traité............................................................................................................. 26
Chapitre II Exceptions préliminaires relatives au pacte de Bogotá ............................................. 29
Chapitre III Exceptions préliminaires relatives à la clause facultative ......................................... 46
Chapitre III Exceptions préliminaires relatives à la clause facultative ......................................... 47
I. Première exception préliminaire : étant donné que le différend entre le Nicaragua et
la Colombie a été réglé et est terminé, il n’existerait plus de différend porté devant la
Cour à l’égard duquel la juridiction en vertu de la clause facultative pourrait
s’appliquer ........................................................................................................................... 47
II. Deuxième exception préliminaire : la juridiction en vertu de la clause facultative ne
s’appliquerait pas, puisque la déclaration de la Colombie n’était plus en vigueur à la
date du dépôt de la requête du Nicaragua ............................................................................ 47
III. Troisième exception préliminaire : si la déclaration de 1937 de la Colombie est
réputée être en vigueur, ses termes excluent les prétentions du Nicaragua, le différend
allégué ayant pour origine des faits antérieurs au 6 janvier 1932........................................ 57
A. L’objet du différend........................................................................................................ 57
B. Les règles pertinentes applicables à la compétence de la Cour ratione temporis........... 60
IV. Quatrième exception préliminaire : l’acceptation par la Colombie, à travers son
comportement, de l’obligation de donner un préavis raisonnable en cas de
dénonciation......................................................................................................................... 68
A. Les déclarations publiques du président Aleman Lacayo en 2001 ................................. 68
B. Négociations menées au niveau des ministres des affaires étrangères en 2001.............. 69
Chapitre IV L’existence d’un différend à la lumière du pacte de Bogotá et de la
compétence en vertu de la clause facultative............................................................. 71
Conclusions ................................................................................................................................... 75
INTRODUCTION
1. L’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) a été portée devant
la Cour par une requête déposée par la République du Nicaragua contre la République de Colombie
le 6 décembre 2001. Dans son ordonnance du 26 février 2002, la Cour a fixé au 28 avril 2003 la
date d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire du Nicaragua et au 28 juin 2004 la date
d’expiration du délai pour le dépôt du contre-mémoire de la Colombie. Le Nicaragua a déposé son
mémoire dans les délais prescrits par la Cour. Le 21 juillet 2003, la Colombie a, d’une part, déposé
des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour et, d’autre part, demandé à la Cour de
déclarer le différend terminé.
1
2. Dans son ordonnance du 24 septembre 2003, la Cour a fixé au 26 janvier 2004 la date
d’expiration du délai dans lequel la République du Nicaragua pouvait présenter un exposé écrit
contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par la
République de Colombie. Les présentes observations écrites sont déposées conformément à
l’ordonnance susvisée.
3. L’instance introduite par la République du Nicaragua contre la République de Colombie
porte sur un différend concernant un titre territorial et une délimitation maritime dans la mer des
Caraïbes. Le 24 mars 1928, le Nicaragua signa avec la Colombie un traité de règlement territorial,
au sujet notamment de la souveraineté sur l’archipel de San Andrés, revendiquée par les
deux Parties. Ce traité fut ratifié par le Congrès nicaraguayen le 6 mars 1930. Pour le Nicaragua,
ce traité était nul ab initio étant donné qu’il violait ouvertement la Constitution en vigueur à
l’époque, qui interdisait toute cession du territoire du Nicaragua. Par ailleurs, il a été signé et
ratifié alors que le Nicaragua était sous l’occupation des Etats-Unis d’Amérique et que son
gouvernement, privé de sa capacité internationale, ne pouvait pas exprimer librement son
consentement à être lié par des traités. Le Nicaragua est aussi d’avis que l’Etat occupant avait un
intérêt national particulier à voir ce traité conclu1
.
2
4. Dans le cas où la Cour jugerait que le traité de 1928 a été valablement conclu, le
Nicaragua estime que l’interprétation unilatérale que la Colombie fit de cet instrument en 1969 en
constitue une violation qui peut être invoquée par le Nicaragua comme motif pour mettre fin au
traité. Ces points sont exposés plus bas, aux paragraphes 1.85 à 1.92, et dans le mémoire du
Nicaragua, aux paragraphes 2.254 à 2.263 de la section IV du chapitre II. En bref, lorsque,
en 1930, deux ans après la signature du traité, et plus d’un an après sa ratification par le Congrès
colombien, le Congrès nicaraguayen le ratifia à son tour, il précisa qu’il le faisait étant entendu que
l’archipel de San Andrés ne s’étendait pas à l’ouest du 82e
méridien de longitude ouest. Le
Congrès nicaraguayen ajouta cette disposition parce qu’il craignait qu’en l’absence de cette
précision, la Colombie pourrait affirmer dans l’avenir que l’archipel comprenait toutes les îles et
cayes situées au large de la côte atlantique du Nicaragua. Ce méridien s’étend entre 70
et 100 milles de la côte nicaraguayenne et à quelque 20 milles de San Andrés. Il est simplement
intenable de penser que cette précision ait pu être apportée en 1930 dans l’intention d’établir des
délimitations dans ce qui à l’époque était considéré comme la haute mer sur laquelle aucune nation
n’avait de souveraineté ou d’autres droits exclusifs. En déclarant en 1969, presque quarante ans
après la ratification du traité de 1928, que le 82e
méridien constitue une frontière maritime, la
Colombie formulait une interprétation unilatérale par laquelle elle violait ouvertement un traité qui,
pour reprendre les termes qui y sont employés, visait à résoudre «le conflit territorial» pendant
entre les deux Parties.
3

1
Voir plus bas, par. 1.15.
- 2 -
5. Le Nicaragua fait valoir par ailleurs que dans le cas où la Cour conclurait que le traité
de 1928 est toujours en vigueur ⎯ bien qu’il ait été initialement dénué de toute validité ou violé
par la suite ⎯, l’interprétation unilatérale par la Colombie de la «précision» apportée par le
Congrès nicaraguayen au moment de la ratification dudit traité n’impliquait pas de délimitation
maritime mais un simple alignement fixant l’attribution des îles.
6. Se pose également la question de la détermination de l’étendue de l’archipel de
San Andrés. Selon la Colombie, cet archipel de 17 milles carrés2
s’étend sur des centaines de
milles au large de l’île de San Andrés. Le Nicaragua fait valoir que l’archipel, tel que défini à
l’article premier du traité de 1928, n’inclut pas les cayes et récifs qui avaient été explicitement
exclus dudit traité ni les îles et cayes qui ne pouvaient être considérées comme étant
géographiquement rattachées à l’archipel en 19283
.
7. La Colombie a essayé de présenter la position du Nicaragua comme une nouvelle
revendication formulée par le gouvernement au pouvoir pendant les années quatre-vingt. Il n’en
est rien. La Colombie a soutenu pour la première fois en juin 1969 que la ligne d’attribution des
îles qui était considérée comme incluse dans le traité de 1928 au moment de sa ratification était en
réalité une ligne de délimitation d’espaces maritimes. Cette position fut contredite par le Nicaragua
quelques jours plus tard4
. La question de la souveraineté sur les cayes qui ne sont pas réputées
faire partie de l’archipel de San Andrés s’est posée en juin 1971 au moment de l’ouverture des
négociations entre la Colombie et les Etats-Unis d’Amérique au sujet de la revendication de la
souveraineté sur ces cayes5
. La question de la non-validité du traité de 1928 remonte également à
une période antérieure à 1980. Le 8 septembre 1972, la Colombie et les Etats-Unis conclurent un
traité relatif au statut du banc de Quitasueño et des petites cayes émergeant des bancs de Roncador
et de Serrana. Le 8 octobre 1972, le ministre nicaraguayen des affaires étrangères,
M. Lorenzo Guerrero, envoya deux notes de protestation aux signataires du traité susmentionné.
Ces deux lettres contiennent le paragraphe suivant :
4
«Sans s’étendre, pour l’instant, sur la validité du traité Bárcenas
Meneses-Esguerra, sur le contexte historique et juridique et les circonstances dans
lesquels il fut conclu, le Nicaragua réaffirme que les bancs situés dans cette zone font
partie de son plateau continental et entend de ce fait recourir à toutes les procédures
pacifiques prévues en droit international afin de préserver ses droits légitimes.»6

8. La compétence de la Cour est fondée sur les paragraphes 1 et 2 de l’article 36 de son
Statut. En application du paragraphe 1 de cet article, la Cour est compétente en vertu de
l’article XXXI du traité américain de règlement pacifique (pacte de Bogotá), adopté à Bogotá, en
Colombie, le 30 avril 1948, et auquel le Nicaragua et la Colombie sont parties. La compétence de
la Cour est également fondée sur les déclarations par lesquelles les deux Parties ont accepté sa
juridiction obligatoire en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour.

2
Selon l’Encyclopædia Britannica, 2001, Standard Ed. CD-ROM, 1994-2000, Publisher Britannica.com Inc.
3
Voir plus bas, par. 1.26, 1.31, 1.33, 1.35, 1.41, 1.43, 1.44 et 1.45.
4
Voir plus bas, par. 1.64 et 2.38.
5
MN, vol. I, par. 2.158-2.159 et 2.165.
6 Ibid., vol. II, annexes 34-35 ; les italiques sont de nous.
- 3 -
9. C’est à l’occasion de la ratification par le Honduras, le 30 novembre 1999, du traité de
délimitation signé avec la Colombie le 2 août 1986 que le Gouvernement nicaraguayen a décidé de
porter la présente affaire devant la Cour7
. Il annonça alors publiquement au plus haut niveau qu’il
introduirait une instance contre la Colombie. S’il ne le fit pas immédiatement, ce fut uniquement
en raison du fardeau que représentait pour le Nicaragua, en ressources humaines et économiques,
une double saisine de la Cour dans des instances se déroulant simultanément et au même rythme.
A l’origine, le Nicaragua envisageait d’introduire l’instance contre la Colombie au début de
l’année 2001 après qu’il eut déposé son mémoire contre le Honduras en l’affaire de la Délimitation
maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras).
5
10. Contrairement à ce qu’il avait prévu, le Nicaragua ne saisit pas la Cour au début de
l’année 2001 parce que le ministre colombien des affaires étrangères demanda à son homologue
nicaraguayen de ne pas le faire immédiatement et de privilégier dans un premier temps la voie de la
négociation. Le ministre nicaraguayen des affaires étrangères ne se doutait pas qu’en réalité, en
formulant cette demande, les autorités colombiennes essayaient de se donner le temps nécessaire
pour engager la procédure juridique interne qui leur permettrait de retirer la reconnaissance de la
compétence de la Cour formulée dans la déclaration du 30 octobre 1937 en vertu du paragraphe 2
de l’article 36 du Statut de la Cour8
. En effet, moins de vingt-quatre heures avant que le Nicaragua
ne dépose sa requête le 6 décembre 2001, la Colombie essaya de retirer sa déclaration de 1937. De
fait, quand le Nicaragua déposa sa requête, il ignorait que le Secrétaire général des Nations Unies
avait reçu une lettre de la Colombie l’informant de son intention de retirer la déclaration. Etant
donné le décalage horaire entre La Haye et New York, il est même probable qu’au moment où le
greffier recevait la requête du Nicaragua, le Secrétaire général commençait à peine à faire connaître
la démarche entreprise par la Colombie.
6
11. L’autre base de compétence invoquée par le Nicaragua est l’article XXXI du pacte de
Bogotá. Dans une interprétation sui generis dudit pacte, la Colombie, qui prétend se fonder sur
l’article 79 du Règlement, demande à la Cour de dire et juger qu’en application des articles VI
et XXXIV, elle n’est pas compétente pour connaître du différend, et de le déclarer terminé. Le
pacte de Bogotá ne prévoit pas que cette déclaration, si elle était jugée applicable par la Cour,
devrait être faite au stade de la procédure consacré à l’examen des exceptions préliminaires. Si
l’on s’en tient précisément aux dispositions de l’article 79 du Règlement de la Cour, celle-ci ne
peut déclarer le différend terminé au stade de l’examen des exceptions préliminaires en l’espèce.
Le Règlement n’autorise la Cour à déclarer un différend terminé qu’à l’issue de l’examen de
l’affaire au fond. La Colombie le sait très bien, et c’est pour cela que, dans ses exceptions
préliminaires, elle s’attarde longuement sur des questions de fond, bien que le paragraphe 7 de
l’article 79 du Règlement de la Cour prévoie explicitement que cette pièce de procédure est
uniquement consacrée aux points ayant trait à l’exception. Il suffit de parcourir rapidement texte
des «exceptions préliminaires» de la Colombie pour constater que bien plus de la moitié des points
qui y sont soulevés portent sur des questions relatives au fond de l’affaire.
12. Cette tentative de la Colombie pour échapper à la compétence de la Cour doit être placée
dans le contexte des menaces permanentes de recours à la force auxquelles se livre ce pays pour
préserver ses prétendus droits sur l’archipel de San Andrés et les cayes en litige, et sur le plateau
continental et les espaces maritimes situés à l’est du 82e
méridien de longitude ouest. Outre qu’elle
fait peser une menace permanente en maintenant ses forces navales dans cette zone et empêche de
7 ce fait le Nicaragua et sa population d’utiliser les ressources qui s’y trouvent, la Colombie a

7
Requête du Nicaragua, par. 7.
8
Les motifs de ce retard sont exposés dans la déclaration sous serment faite par le ministre nicaraguayen des
affaires étrangères en 2001. Voir OEN, vol. II, annexe 22.
- 4 -
menacé au plus haut niveau de recourir à la force contre le Nicaragua. Le 24 avril 2003, soit
quelques jours à peine avant le dépôt du mémoire du Nicaragua contre la Colombie, le président
colombien, M. Alvaro Uribe, a déclaré dans un entretien que si le Nicaragua commençait à explorer
le pétrole, «bien entendu, nous ferions intervenir la marine pour l’en empêcher»9
.
13. Le lendemain, le vice-amiral David René Moreno, inspecteur général de la marine
colombienne, déclarait :
«Il existe un dispositif de sécurité dans la zone de San Andrés et Providencia
qui permet à notre pays d’empêcher l’utilisation illicite des eaux sur lesquelles nous
avons la souveraineté…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’officier a ajouté que les unités spéciales de San Andrés et Providencia, des
unités navales, des troupes navales d’infanterie et des éléments de l’armée de l’air
assuraient la sécurité de San Andrés.
El Tiempo a annoncé que des éléments des forces navales patrouillaient
San Andrés à bord d’un avion de reconnaissance, de plusieurs vedettes, de
deux frégates et avec l’aide d’environ six cents éléments de la marine.
La marine envisage la construction d’une station de la garde côtière et d’un
radar pour San Andrés afin de renforcer l’ampleur des opérations.»10
8 14. Quelques mois plus tard, lorsque Mme Marta Lucía Ramírez, ministre colombien de la
défense, s’est rendue à San Andrés en compagnie du président colombien Uribe, elle a rappelé que
le gouvernement avait l’intention de construire une station de la garde côtière :
«Cet objectif est une priorité que s’est fixée le ministère de la défense pour
l’année à venir. C’est un projet que nous espérons mener à bien avec les autorités de
San Andrés et les dirigeants locaux étant donné que la station de la garde côtière revêt
une importance stratégique pour l’exercice de la souveraineté maritime.»11
15. Ces exemples ne représentent que quelques-unes des plus récentes menaces militaires
brandies par la Colombie. Or, ces menaces ont été constantes depuis que le différend a éclaté
en 1969. Le stade initial de ce différend est décrit de façon circonstanciée dans le mémoire du
Nicaragua12. Pour résumer, le 17 février 1967, le Nicaragua accorda à la Western Caribbean
Petroleum Co. une concession pour l’exploration du pétrole qui s’étendait à des zones maritimes
situées à l’est du 82º méridien de longitude ouest. La Colombie s’objecta à cette concession dans
une note diplomatique datée du 4 juin 1969, qui fut suivie de l’annonce du lancement de
manœuvres militaires dans la zone en litige : «la marine nationale a ordonné que
deux destroyers … patrouillent en permanence la zone maritime en litige pour faire respecter la
souveraineté sur les cayes…»13.

9
OEN, vol. II, annexe 8.
10 Ibid., annexe 9.
11 Ibid., annexe 10.
12 MN, vol. I, par. 2.204-2.205, et 2.212.
13 OEN, vol. II, annexe 11.
- 5 -
16. Pour bien saisir le sens de cette déclaration, il convient de comprendre la situation
militaire. L’armée nationale nicaraguayenne (Guardia Nacional) ne possédait pas en 1969 de
vedettes pouvant aller au-delà des îles et cayes situées à proximité de la côte continentale. La
présence de deux destroyers colombiens, qui venait compléter celle des vedettes habituelles
déployées dans la zone, constituait une menace considérable à l’encontre du Nicaragua.
9
17. L’attitude de la Colombie en dit long. D’une part, elle essaie d’échapper à la compétence
de la Cour en affirmant notamment que le différend a déjà été résolu par voie d’entente entre les
Parties, ce qui n’est évidemment pas le cas. D’autre part, elle a recouru à la force et menacé d’y
recourir pour imposer une interprétation unilatérale d’un traité prétendument en vigueur.
18. L’allégation de la Colombie selon laquelle le différend a déjà été résolu par voie
d’entente entre les Parties est démentie par sa conduite. En 1977, le président colombien,
M. Alfonso López Michelsen, annonça publiquement que des négociations allaient être ouvertes
avec le Nicaragua en vue d’une délimitation maritime dans la mer des Caraïbes. A la suite de cette
déclaration, l’ambassadeur colombien, M. Julio Londoño, effectua plusieurs visites à Managua
pour discuter de ces questions avec le ministre nicaraguayen des affaires étrangères14. Presque
vingt ans plus tard, en septembre 1995, le président colombien, M. Ernesto Samper Pizano, et son
ministre des affaires étrangères, M. Rodrigo Pardo García-Peña, annoncèrent l’ouverture avec le
Nicaragua de négociations portant sur la délimitation maritime et sur d’autres questions en
suspens15.
19. Enfin, en 2001, les autorités colombiennes proposèrent des négociations diplomatiques.
Bien entendu, comme il a été dit au paragraphe 10, cette proposition s’avéra une simple manœuvre
visant à gagner du temps pour essayer de revenir sur la déclaration colombienne d’acceptation de la
compétence de la Cour en vertu de la clause facultative16.
10
20. Dans les présentes observations écrites, le Nicaragua répond aux exceptions
préliminaires de la Colombie de la manière suivante :
⎯ le chapitre I résume la position du Nicaragua sur le statut juridique du traité de 1928 ;
⎯ le chapitre II traite des exceptions préliminaires relatives au pacte de Bogotá ;
⎯ le chapitre III traite des exceptions préliminaires relatives aux déclarations formulées en vertu
de la clause facultative ;
⎯ le chapitre IV traite de l’existence d’un différend à la lumière du pacte de Bogotá et de la
clause facultative relative à la juridiction obligatoire.

14 Voir plus bas, par. 1.67.
15 Voir plus bas, par. 1.70.
16 Voir plus bas, par. 1.82-1.84.
- 6 -
- 7 -
CHAPITRE I
LE STATUT JURIDIQUE DU TRAITÉ DE 1928
11
I. INTRODUCTION
1.1. Le chapitre II du mémoire du Nicaragua traite longuement du statut juridique du traité
Bárcenas-Esguerra de 1928. Le Nicaragua ne reprendra pas l’énoncé des faits et les arguments de
fond qui constituent la teneur de ce chapitre de plus de cent vingt pages. Cependant, ainsi qu’il a
été indiqué dans l’introduction, plus de la moitié des exceptions préliminaires de la Colombie sont
en réalité des arguments sur les faits et sur le fond de l’affaire. Une mise au point s’impose donc,
même s’il faudra pour cela examiner des faits et des arguments qu’il conviendrait de réserver pour
le stade du fond.
1.2. La section I du chapitre II du mémoire du Nicaragua explique en détail le contexte
historique et les événements qui, à l’époque, donnèrent lieu à la signature et à la ratification du
traité de 1928. Nous ne reviendrons pas ici sur ces éléments, si ce n’est par des renvois. Le présent
chapitre portera donc sur les questions de fond suivantes, que la Colombie a soulevées dans ses
exceptions préliminaires : i) les motifs de nullité du traité de 1928 ; ii) le contenu et l’analyse
juridique du traité et iii) les raisons pour lesquelles le traité, dans l’éventualité où il serait considéré
comme étant entré en vigueur ⎯ ce que le Nicaragua conteste ⎯, a été abrogé du fait de sa
violation par la Colombie.
II. LA NULLITÉ DU TRAITÉ DE 1928
12 1.3. Dans les conclusions de son mémoire, le Nicaragua a prié la Cour de dire et juger que
«4) le traité Bárcenas-Esguerra signé à Managua le 24 mars 1928 n’était pas juridiquement valable
et en particulier ne constituait pas une base juridique justifiant les prétentions de la Colombie sur
San Andrés et Providencia».
1.4. La base juridique de la demande nicaraguayenne comporte deux volets. Premièrement,
le traité fut conclu en violation flagrante de la Constitution nicaraguayenne de 1911, qui était en
vigueur en 1928, ce que la Colombie savait parfaitement. Deuxièmement, le Gouvernement
nicaraguayen qui était en exercice à l’époque où le traité fut conclu n’avait pas, sur le plan
international, la capacité d’exprimer librement son consentement à être lié par des traités.
A. Le traité de 1928 fut conclu en violation manifeste
de la Constitution nicaraguayenne
1.5. La question de savoir si la conclusion du traité de 1928 constituait une violation
manifeste de la Constitution du Nicaragua est examinée aux paragraphes 2.103 à 2.121 du mémoire
du Nicaragua. La Colombie traite cette question aux paragraphes 1.108 à 1.111 de ses exceptions
préliminaires.
- 8 -
1.6. Les arguments que la Colombie oppose à cette affirmation du Nicaragua sont que :
i) «la violation alléguée de la Constitution nicaraguayenne n’était pas manifeste, ni pour la
Colombie ou tout Etat tiers» ;
13 ii) «la constitution en vigueur à l’époque ne précisait pas … que l’archipel de San Andrés
faisait partie du territoire du Nicaragua ; à vrai dire, aucune constitution nicaraguayenne
n’a jamais comporté une telle disposition» (EPC, vol. I, par. 1.110).
1.7. La Constitution nicaraguayenne qui était en vigueur en 1928 était celle de 1911. Le sens
des dispositions constitutionnelles nicaraguayennes qui intéressent la présente affaire fut soumis à
la Cour de justice centraméricaine dans le cadre d’une instance introduite par El Salvador. Celui-ci
prétendait que le traité Chamorro-Bryan que le Nicaragua avait conclu avec les Etats-Unis
en 1914 ⎯ et par lequel il leur avait cédé à bail une partie de son territoire ⎯ violait la
Constitution nicaraguayenne. Le 9 janvier 1917, la Cour déclara que la conclusion du traité allait
effectivement à l’encontre de la Constitution du Nicaragua, qui «requ[érait] le maintien de
l’intégrité territoriale»17.
1.8. Cette décision était notoire dans la région, et même à l’échelle internationale. Elle fut
par exemple publiée in extenso dans l’American Journal of International Law18. Elle portait sur un
traité auquel les Etats-Unis étaient partie, et non simplement sur un différend local mineur. La
Colombie avait donc parfaitement connaissance de ces dispositions constitutionnelles, tout comme
des Etats tiers tels que les Etats-Unis d’Amérique, qui furent le véritable vis-à-vis de la Colombie
lors des négociations et de la conclusion du traité de 192819.
1.9. Le fait que la Constitution du Nicaragua qui était en vigueur en 1928 ne précisait pas
que San Andrés faisait partie du territoire nicaraguayen n’est ni surprenant, ni significatif. Aucune
constitution du Nicaragua n’a jamais nommément désigné l’une quelconque des îles appartenant au
territoire nicaraguayen. Les constitutions nicaraguayennes, y compris celle de 1911, désignaient
traditionnellement les formations «adjacentes». Il n’y est pas fait spécifiquement mention de
San Andrés, ni d’ailleurs d’aucune autre île revendiquée par le Nicaragua, comme les îles du Maïs
(Islas del Maíz) ou les Miskito Cays.
14
1.10. Mais cela n’a aucune importance. La Colombie savait parfaitement que le Nicaragua
revendiquait San Andrés. Elle ne peut même pas s’empêcher de le reconnaître dans ses exceptions
préliminaires. Il suffit de lire les paragraphes 11 à 13 de l’introduction des exceptions
préliminaires pour voir clairement que la Colombie savait que le Nicaragua considérait San Andrés
comme partie de son territoire et que cette prétention découlait de sa revendication de souveraineté
sur la côte atlantique, laquelle était fondée sur l’uti possidetis juris de 1821.

17 MN, vol. I, par. 2.110.
18 The American Journal of International Law, vol. 11, 1917, p. 650, 674-730.
19 MN, vol. I, sect. I, chap. II.
- 9 -
1.11. La Colombie déclare de manière fallacieuse qu’«[e]n 1913, le Nicaragua revendiqua
pour la première fois un droit sur certaines îles de l’archipel de San Andrés»20. Par cette
déclaration, elle tente probablement de jeter les bases qui lui permettront ensuite d’arguer que la
Constitution de 1911 était antérieure à la prétention du Nicaragua sur San Andrés, ce qui
expliquerait pourquoi ces îles n’étaient pas spécifiquement mentionnées dans la Constitution.
1.12. Un exemple qui bat cette déclaration en brèche est celui de la sentence arbitrale rendue
en 1900 par le président français Loubet. La sentence portait sur des revendications territoriales de
la Colombie et du Costa Rica. La Colombie avait inclus San Andrés parmi les territoires qu’elle
revendiquait face au Costa Rica. Ce dernier n’avait aucune prétention sur San Andrés et n’éleva
pas d’objection, et le président Loubet statua en faveur de la Colombie. Le Nicaragua, qui n’était
pas partie à l’arbitrage, protesta contre la décision déclarant la souveraineté de la Colombie sur
San Andrés. Le 22 octobre 1900, le ministre français des affaires étrangères, Théophile Delcassé,
reconnut le bien-fondé de cette protestation et confirma que «les droits du Nicaragua sur ces îles
rest[ai]ent inchangés et intacts comme auparavant»21.
15
1.13. Comme il a été dit au paragraphe 1.10 ci-dessus, les prétentions du Nicaragua sur
l’archipel sont fondées sur l’uti possidetis juris de 1821 et remontent naturellement à cette époque.
Bien entendu, cette question sera examinée lorsque la Cour se penchera sur le fond de la présente
affaire. Si l’exemple de l’arbitrage Loubet est cité à ce stade, c’est parce qu’il démontre
simplement et indéniablement le caractère spécieux des déclarations colombiennes.
1.14. En somme, le traité constituait une violation claire et nette de la Constitution
nicaraguayenne, ce que la Colombie savait.
B. Le Gouvernement nicaraguayen n’avait pas, sur le plan international,
la capacité d’être lié par des traités
1.15. La position du Nicaragua sur la question de la nullité du traité de 1928 est que, à
l’époque où ce traité fut conclu, le Nicaragua n’avait pas la capacité juridique voulue pour exprimer
librement son consentement à être lié par traité. L’incapacité du Gouvernement nicaraguayen à
agir librement est amplement illustrée dans la section I du chapitre II du mémoire du Nicaragua, et
nous n’y reviendrons pas ici. Qu’il suffise de citer le paragraphe 2.132 du mémoire :
«il se fait qu’à la date de la signature et de la ratification du traité Bárcenas-Esguerra,
le territoire du Nicaragua était sous l’occupation militaire et la domination financière
et politique de facto des Etats-Unis. Les faits suivants, par exemple, sont irréfutables
et sont directement basés sur des documents rendus publics par le département d’Etat
des Etats-Unis et présentés de façon détaillée à la section I, paragraphes 2.41 à 2.81 :
16
⎯ plus de cinq mille marines des Etats-Unis occupaient le Nicaragua à l’époque où
le traité a été conclu ;
⎯ le chef de la garde nationale du Nicaragua était un général des Etats-Unis et les
officiers étaient des marines des Etats-Unis ;

20 EPC, vol. I, introduction, par. 13.
21 MN, vol. I, par. 1.108, p. 53, note 89.
- 10 -
⎯ les élections furent organisées sous l’entière autorité des marines des Etats-Unis.
Le président du Nicaragua fut contraint d’ignorer le Congrès et de promulguer un
décret exécutif inconstitutionnel conférant aux marines des Etats-Unis des
pouvoirs absolus pour les élections. Ce décret inconstitutionnel fut promulgué
le 21 mars 1928, soit trois jours avant la conclusion du traité tout aussi
inconstitutionnel du 24 mars 1928, le traité Bárcenas-Esguerra ;
⎯ les recettes des douanes étaient perçues par un fonctionnaire nommé par le
département d’Etat ;
⎯ les finances étaient gérées par des personnes désignées de facto par le général des
Etats-Unis McCoy ; et
⎯ l’unique banque et l’unique société des chemins de fer du Nicaragua étaient
placées sous l’autorité de personnes nommées avec l’accord du département
d’Etat.» (Notes de bas de page omises.)
17 1.16. Dans ses exceptions préliminaires, la Colombie fait tout bonnement fi de l’histoire pour
tomber dans l’invective politique :
«Le 19 juillet 1979, le mouvement sandiniste arrive au pouvoir au Nicaragua.
Après cette date, commence au Nicaragua un processus de renforcement du potentiel
militaire sans précédent dans l’histoire de l’Amérique centrale... Quelque sept mois
plus tard, le Nicaragua prétend remettre en cause le règlement territorial et maritime
consacré un demi-siècle plus tôt par le traité Esguerra-Bárcenas de 1928 et son
protocole d’échange des ratifications de 1930.»22
1.17. La Colombie brosse le même tableau du mémoire du Nicaragua : «Dans son mémoire,
le Nicaragua adopte et développe l’analyse «patriotique et révolutionnaire» exposée dans son livre
blanc de 1980.»23
1.18. Bref, les arguments de la Colombie sont des arguments ad hominem visant à faire
passer toute la question de la nullité du traité pour une affaire de zèle «révolutionnaire» : «La
prétendue nullité du traité de 1928 aurait ainsi été découverte par la junte révolutionnaire
en 1980.»24
1.19. S’agissant de la manière dont la Colombie dépeint le Gouvernement nicaraguayen
de 1980, le Nicaragua se bornera à relever que la Colombie se ferait peut-être une meilleure idée de
la situation en examinant l’arrêt que la Cour a rendu en 1986 dans l’affaire des Activités militaires
et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique). Cela lui
permettrait peut-être aussi de mieux comprendre ce qui se passait au Nicaragua entre 1928 et 1930,
lorsque le pays était occupé par les Etats-Unis.
18

22 EPC, vol. I, par. 1.93.
23 Ibid., par. 1.99.
24 Ibid., par. 1.105.
- 11 -
1.20. Quant à la question de la conduite des Parties, il est nécessaire de faire une mise au
point et de souligner combien l’attitude du Nicaragua a été différente de celle de la Colombie. Bien
qu’il ne soit pas partie à la convention de Vienne de 1969, le Nicaragua a respecté les dispositions
de cette convention qui reflètent le droit coutumier. En particulier, le Nicaragua a pris soin,
lorsqu’il y avait lieu, de suivre la procédure prévue aux articles 65 et 67 de la convention de Vienne
sur le droit des traités. Ainsi, quand le Gouvernement nicaraguayen déclara que le traité
Bárcenas-Esguerra était nul, il fut donné lecture de cette déclaration à tous les membres du corps
diplomatique qui étaient accrédités dans le pays, dont l’ambassadeur de Colombie. La déclaration
expliquait également les motifs de la déclaration et les mesures que le Gouvernement nicaraguayen
entendait prendre. Ces mesures étaient exposées dans l’avis précédant la déclaration de nullité du
traité. L’avis du Gouvernement nicaraguayen indiquait ce qui suit :
«Nous voulons et comptons résolument régler ce problème, qui semble
malheureusement diviser deux peuples frères, d’une manière bilatérale et en nous
conformant aux principes de respect et d’amitié les plus stricts qui soient reconnus par
le droit international, sans laisser entendre d’aucune façon que le Nicaragua accorde la
moindre validité au traité Bárcenas Meneses-Esguerra, mais en indiquant simplement
que nous défendons au plus haut point l’unité et l’harmonie de l’Amérique latine, la
communauté régionale dont nos deux nations font partie.»25
19 1.21. Il est vrai que le Nicaragua a déclaré unilatéralement le traité nul et non avenu mais,
mis à part la déclaration proprement dite, il n’a pris aucune mesure unilatérale qui modifiât la
situation. En d’autres termes, à la suite de sa déclaration, le Nicaragua n’a pas tenté de s’approprier
San Andrés ou de dicter la politique de ces îles. Pour lui, il était parfaitement clair que la seule
manière d’atteindre cet objectif était de passer par les mécanismes prévus par le droit international.
S’il ne l’a pas fait dans les années quatre-vingt, après la déclaration de nullité, c’est manifestement
en raison de la passe difficile que le pays traversait à l’époque. Il était en effet très malaisé, pour le
Gouvernement nicaraguayen d’alors, d’envisager un recours à la justice ou à l’arbitrage alors qu’il
avait fort à faire sur tous les fronts, notamment dans le cadre de plusieurs affaires pendantes devant
la Cour. C’est seulement dans les années quatre-vingt-dix, et surtout après la conclusion de la
dernière procédure devant la Cour qui intéressait le Nicaragua ⎯ procédure qui prit fin avec l’arrêt
rendu en 1992 dans l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)) ⎯ que le Nicaragua fut en mesure pour la
première fois de songer sérieusement à s’attaquer à cette affaire. En fait, en 1995, le Nicaragua et
la Colombie entreprirent des négociations qui avortèrent à cause de l’opposition interne en
Colombie26.
1.22. La conduite de la Colombie a été fort différente de celle du Nicaragua. Tout d’abord,
la Colombie a interprété à son avantage le traité de 1928 ⎯ en inventant dans les faits une frontière
inexistante qui ampute de plus de la moitié les espaces maritimes dont le Nicaragua dispose le long
de sa façade caraïbe. Deuxièmement, cette interprétation, dont les conséquences radicales et graves
ont brutalement modifié la situation, n’a pas été soumise à un dialogue bilatéral ou à un règlement
par tierce partie : au contraire, la Colombie a imposé cette interprétation intéressée en faisant usage
de la force ou en menaçant d’y avoir recours. En fait, les exceptions préliminaires s’inscrivent
elles-mêmes dans le prolongement de cette politique consistant à refuser de régler le différend
20

25 Libro Blanco sobre el caso de San Andrés y Providencia [Livre blanc du Nicaragua sur le cas de San Andrés et
Providencia]. Ministerio de Relaciones Exteriores de la República de Nicaragua, Managua, 4 février 1980, p. 4. MN,
vol. II, annexe 73.
26 Voir plus bas, par. 1.70-1.79.
- 12 -
conformément au droit international. Rien n’empêchait la Colombie de soumettre son
«interprétation» du traité à un tiers avant de l’imposer par la force. Le Nicaragua, bien au
contraire, n’a pas tenté d’imposer sa volonté de facto mais a eu recours à des moyens pacifiques de
règlement27.
1.23. Là encore, le Nicaragua tient à préciser que ces questions sont brièvement examinées
dans cette section parce que la Colombie leur a consacré plus de quatre-vingt-dix des
cent quarante-cinq pages de ses exceptions préliminaires. Le Nicaragua répète toutefois qu’elles
relèvent du fond même de l’affaire, non de la phase préliminaire qui nous occupe ici.
1.24. Selon la thèse de la Colombie, la déclaration nicaraguayenne de nullité du traité
de 1928 serait en outre une simple affaire révolutionnaire qui aurait éclaté ex nihilo, comme par
combustion spontanée, en 1980. C’est tout simplement faux. Dans l’introduction des présentes
observations écrites figure une citation d’une note diplomatique adressée en 1972 à la Colombie et
aux Etats-Unis par le ministre nicaraguayen des affaires étrangères, dans laquelle le ministre
exprimait la position du Nicaragua selon laquelle une question subsistait concernant la «validité du
traité Bárcenas Meneses-Esguerra, son contexte historique et juridique et les circonstances dans
lesquelles il fut conclu». Par la suite, quand un débat eut lieu au Nicaragua au sujet de l’offre
colombienne de négociations28, M. Alejandro Montiel Argüello, le ministre nicaraguayen des
affaires étrangères de l’époque, répéta dans un entretien accordé à la presse le 30 janvier 1977 que
la question de la validité du traité de 1928 n’était pas une affaire classée.
21
«En ce qui concerne le traité Bárcenas Meneses-Esguerra, le ministère l’a mis à
l’étude, d’un point de vue tant historique que judiciaire et géographique. Je ne puis
dire à l’avance quels seront les résultats de cette étude, mon opinion étant que,
lorsqu’il est question d’affaires internationales touchant la souveraineté de la nation, il
faut se garder de formuler des conclusions prématurées car, bien souvent, c’est ainsi
que l’on perd sa cause. Tous les Nicaraguayens qui connaissent le sujet peuvent
contribuer à cette étude ou fournir des informations et des arguments. En outre,
comme vous le comprendrez, Monsieur le journaliste, toute opinion que je pourrais
exprimer en ma qualité de ministre compromettra la position du Nicaragua ; un
particulier peut toutefois exprimer une opinion, quelle qu’elle soit, sans faire de tort à
quiconque.»29
En 1980, le Gouvernement nicaraguayen s’est borné à tirer les conclusions logiques de la position
qui était traditionnellement adoptée sur cette question. Les trois gouvernements nicaraguayens qui
ont succédé aux gouvernements des années quatre-vingt ont maintenu cette position. Il s’agit là
d’une politique nationale constante.
22 III. LE CONTENU ET L’ANALYSE JURIDIQUE DU TRAITÉ DE 1928
1.25. La présente section est consacrée à deux questions centrales qui divisent le Nicaragua
et la Colombie. La première question a trait à l’étendue de l’archipel de San Andrés sur lequel le
traité de 1928 reconnut la souveraineté colombienne. La Colombie soutient que cet archipel, d’une

27 La question de la conduite des Parties est analysée plus loin, aux paragraphes 1.46-1.84 et 3.91-3.104.
28 Voir plus bas, par. 1.67.
29 Montiel Argüello, Alejandro. Diálogos con el Canciller. Ministerio de Relaciones Exteriores. Imprenta
Nacional. Managua, p. 14-16. OEN, vol. II, annexe 2.
- 13 -
superficie de 17 milles carrés30, s’étend sur des centaines de milles dans la mer des Caraïbes et
qu’il engendre des milliers de milles carrés d’espaces maritimes au profit de la Colombie et au
détriment du Nicaragua. Cette question est traitée dans la sous-section A ci-dessous. La seconde
question concerne l’interprétation colombienne, formulée pour la première fois en 1969, selon
laquelle les termes utilisés dans le protocole d’échange des ratifications du traité de 1928 auraient
eu pour effet de modifier radicalement la nature de cet instrument, en transformant ce traité
concernant la souveraineté territoriale en un traité de délimitation en haute mer, une délimitation
maritime s’étendant sur plus de deux cent cinquante milles marins. Cette seconde question sera
examinée dans la sous-section B.
A. L’étendue de l’archipel de San Andrés
1.26. Dans son mémoire, le Nicaragua soutient que l’archipel de San Andrés comprend
uniquement les îles de San Andrés et de Providencia et les îlots et cayes adjacents, mais non, entre
autres, les formations dénommées Serrana, Roncador, Quitasueño, Serranilla et Bajo Nuevo31. Il
conclut que Roncador, Serrana et Quitasueño, qui étaient «explicitement exclues du traité
Bárcenas-Esguerra[,] ne font pas partie, ni du point de vue juridique ni du point de vue
géographique, de l’archipel de San Andrés et Providencia»32. Le mémoire indique en outre que
23
«Le traité Bárcenas-Esguerra ne mentionne pas Serranilla ni Bajo Nuevo, étant
donné qu’à cette époque, la Colombie ne revendiquait pas ces formations. Le fait que
ces formations ne sont pas mentionnées dans le traité et qu’elles se situent
respectivement à 165 et 205 milles marins de l’île la plus proche de l’archipel de
San Andrés, qui est l’île de Providencia, prouve qu’elles ne font pas partie, ni du point
de vue géographique ni du point de vue juridique, de l’«archipel de San Andrés».
Elles appartiennent au Nicaragua, étant donné qu’elles sont situées sur son plateau
continental et en conséquence de l’application de l’uti possidetis juris, elles
appartiennent également au Nicaragua, car elles sont plus proches de son territoire
continental.»33
1.27. Dans ses exceptions préliminaires, la Colombie prétend au contraire que l’archipel de
San Andrés comprend Serrana, Roncador, Quitasueño, Serranilla et Bajo Nuevo34. La Colombie
affirme que sa position est étayée par des arguments d’ordre géographique, historique et
juridique35. Comme il sera démontré dans les paragraphes suivants, aucun de ces arguments n’est
convaincant ni conforté par la moindre preuve tangible.
24 1.28. En ce qui concerne les arguments d’ordre géographique et historique, les exceptions
préliminaires indiquent que :
«D’un point de vue géographique et historique, l’archipel de San Andrés était
réputé comprendre le chapelet d’îles, cayes, îlots et bancs s’étendant entre
Albuquerque au sud et Serranilla et Bajo Nuevo au nord — y compris les

30 Voir plus haut, note 2.
31 MN, vol. I, par. 2.139 et suiv.
32 Ibid., par. 2.187.
33 Ibid., par. 2.188 (note de bas de page omise).
34 Voir, par exemple, EPC, vol. I, par. 1.72, 2.26 et 2.27.
35 EPC, vol. I, par. 2.26-2.28.
- 14 -
Islas Mangles (îles du Maïs) — ainsi que les espaces maritimes en dépendant. Il
ressort clairement de la carte no
3 que ces formations constituent une chaîne insulaire
unique correspondant à l’archipel.»36
1.29. La Colombie ne produit aucune preuve qui démontre que, historiquement, l’archipel
était ainsi considéré. Dans son mémoire, en revanche, le Nicaragua apporte la preuve que de tout
temps, l’archipel a été réputé comprendre uniquement les îles de San Andrés, Providencia,
Santa Catalina et les îles du Maïs, qui étaient entourées de plusieurs îlots et cayes du même type37.
1.30. L’allégation de la Colombie selon laquelle l’archipel de San Andrés, tel qu’elle le
définit, constituerait un chapelet d’îles, d’îlots et de bancs ou une chaîne insulaire unique tend à
forcer le sens ordinaire des termes «chapelet» et «chaîne unique». Ainsi qu’il ressort de la
carte no
3 que la Colombie invoque, les formations dénommées Serrana, Roncador, Quitasueño,
Serranilla et Bajo Nuevo sont disséminées bien loin les unes des autres, dans un vaste pan des
Caraïbes occidentales. Par exemple, le banc de Serrana se trouve à 80 milles marins de
Providencia, l’île de l’archipel la plus proche, et Low Cay, sur le banc de Bajo Nuevo, à 205 milles
marins de cette île38. Comme le Nicaragua l’a déjà signalé dans son mémoire, ces formations sont
toutes situées sur le sommet de bancs isolés39. C’est là une preuve supplémentaire du fait que,
géographiquement et géomorphologiquement, ces formations sont distinctes et ne forment pas un
tout.
25
1.31. La pratique suivie à l’époque du traité de 1928 montre que ces formations ne
constituaient pas non plus un archipel unique au sens juridique. La définition du terme «archipel»
fut quelque peu discutée lors de la conférence de la Société des Nations pour la codification, qui eut
lieu à La Haye en 1930. Dans son rapport, la deuxième sous-commission nota à cet égard : «En ce
qui concerne un groupe d’îles (archipel) et les îles situées le long de la côte, la majorité de la
sous-commission a été d’avis qu’il faudrait adopter la distance de dix milles comme base pour la
mesure de la mer territoriale vers la haute mer.»40
1.32. La distance qui sépare Serrana, Roncador, Quitasueño, Serranilla et Bajo Nuevo des
îles de San Andrés et de Providencia est largement supérieure aux 10 milles proposés lors de la
conférence de La Haye.
1.33. La notion juridique d’archipel et d’Etat archipel a été développée plus avant dans le
droit de la mer moderne. Cette évolution du droit est sans pertinence pour la définition de
l’archipel de San Andrés qui était visé par le traité de 1928. Toutefois, le Nicaragua tient à faire
observer qu’aucune des îles situées dans le secteur pertinent aux fins de la délimitation ne peut être
considérée comme faisant partie d’un archipel au sens du droit actuel, et qu’il n’est pas permis de
tracer des lignes de base archipélagiques droites entre des îles du secteur qui est pertinent aux fins
de la délimitation entre le Nicaragua et la Colombie.
26

36 EPC, vol. I, par. 2.26. La carte no
3 dont il est fait mention est celle qui figure dans le volume III des
exceptions préliminaires de la Colombie.
37 MN, vol. I, par. 2.141.
38 Pour des données sur les autres formations concernées voir ibid., par. 3.118-3.123.
39 Ibid., par. 3.115 et suiv.
40 Société des Nations, Actes de la conférence pour la codification du droit international, vol. III, Procès-verbaux
de la Deuxième Commission, eaux territoriales, p. 219. La question des archipels ne fut pas examinée plus avant en
séance plénière lors de la conférence.
- 15 -
1.34. La Colombie prétend aussi que, traditionnellement et historiquement, «les cayes» ⎯ il
n’est nullement précisé de quelles cayes il s’agit exactement ⎯ sont des zones de pêche pour la
population de l’archipel de San Andrés41. Dans ses exceptions préliminaires, elle ne corrobore
cette allégation avec aucune preuve, pas plus qu’elle ne démontre que c’est elle qui,
historiquement, a réglementé les activités en question. En tout état de cause, le simple fait que des
ressortissants d’un Etat pêchent dans une zone donnée ne revêt aucune pertinence pour établir un
titre territorial.
1.35. Enfin, la Colombie soutient que les cartes publiées montrent que les îles composant
l’archipel de San Andrés comprennent aussi les formations dénommées Serrana, Roncador,
Quitasueño, Serranilla et Bajo Nuevo42. Une première chose à signaler au sujet de ces cartes est
qu’elles ont été publiées par la Colombie. Aucune carte n’était annexée au traité de 1928, qui
définit l’étendue de l’archipel de San Andrés. C’est le texte de ce traité qui importe avant tout, et
non les cartes invoquées par la Colombie. Comme le Nicaragua l’exposera au paragraphe 1.43
ci-après, le texte du traité indique que l’archipel de San Andrés, tel qu’il doit s’entendre aux fins du
traité, ne comprend pas Serrana, Roncador, Quitasueño, Serranilla et Bajo Nuevo.
27 1.36. Un examen attentif des cartes présentées par la Colombie révèle que celles-ci sont loin
d’indiquer clairement quelles îles et autres formations la Colombie estimait incluses dans l’archipel
de San Andrés. Par exemple, l’encart de la carte publiée en 1931, auquel la Colombie renvoie au
paragraphe 2.27 des exceptions préliminaires et qui est reproduit dans le volume III de celles-ci en
tant que carte no
4 bis, n’indique pas quelles îles font partie de l’archipel en accolant une mention à
chacune des formations figurant sur la carte. La mention «República de Nicaragua» qui est placée
à l’ouest des îles de San Andrés et de Providencia, et non plus au nord, donne également à penser
que la Colombie estimait à l’époque que le traité de 1928 intéressait ces îles, et non les divers bancs
situés plus au nord.
1.37. Une note incluse dans l’encart de la carte de 1931 révèle encore plus clairement que
celui-ci ne démontre pas quelles îles et cayes étaient comprises dans l’archipel de San Andrés. La
note précise que certaines îles ne sont pas représentées dans l’encart. Il s’agit entre autres du
rocher de Vigía, au nord de l’embouchure du fleuve Magdalena, qui se trouve sur la côte
continentale colombienne donnant sur la mer des Caraïbes. Si l’on accepte l’assertion de la
Colombie voulant que l’encart montre l’étendue de l’archipel de San Andrés, la note en question
supposerait que le rocher de Vigía fait partie de l’archipel. Tel n’est manifestement pas le cas, ce
qui indique que les formations apparaissant dans l’encart ne font pas nécessairement partie non plus
de l’archipel. Les observations formulées à l’égard de l’encart reproduit sur la carte no
4 bis
s’appliquent également aux encarts de cartes colombiennes qui sont reproduits sur les
cartes nos 5 bis à 8 bis, dans le volume III des exceptions préliminaires de la Colombie.
1.38. Les encarts des cartes colombiennes qui figurent sous les numéros 9 bis à 11 bis, dans
le volume III des exceptions préliminaires, ne font aucune mention de l’archipel de San Andrés et
Providencia. Ces cartes ne donnent donc aucune indication sur l’étendue de l’archipel de
San Andrés.
28
1.39. La Colombie affirme que, du point de vue juridique, le Nicaragua a déjà reconnu dans
le traité de 1928 que Roncador, Quitasueño et Serrana faisaient partie de l’archipel de San Andrés
et Providencia. Pour en arriver à cette conclusion, la Colombie donne une interprétation spéciale

41 EPC, vol. I, par. 1.15.
42 Ibid., par. 2.27.
- 16 -
du traité de 1928. Elle prétend que l’article premier du traité vise les îles de San Andrés et de
Providencia et l’ensemble des autres îles, îlots et cayes qui font partie de l’archipel de San Andrés.
La Colombie prétend en outre que l’inclusion d’une référence à Roncador, Quitasueño et Serrana
dans le paragraphe suivant de cet article signifie que le Nicaragua aurait reconnu que ces
formations faisaient partie de l’archipel et que, n’eût été de cette disposition, elles auraient été
traitées de la même manière que les îles mentionnées dans la première partie de l’article premier43.
1.40. Dans le mémoire, le Nicaragua a déjà expliqué pourquoi il était faux de prétendre qu’il
avait renoncé à sa souveraineté sur Serrana, Roncador et Quitasueño d’après les termes du traité
de 192844. Les exceptions préliminaires de la Colombie appellent quelques observations
supplémentaires sur ce point.
1.41. L’argument colombien part du postulat que la définition de l’archipel de San Andrés
figurant dans le traité de 1928 englobe Roncador, Quitasueño et Serrana. Le Nicaragua considère
cette interprétation de l’article premier du traité de 1928 comme erronée. Ainsi qu’on peut le
constater, cette définition ne désigne que trois îles par leur nom, à savoir San Andrés, Providencia
et Santa Catalina. Les autres formations sont incluses sur la base de leur appartenance à l’archipel
de San Andrés. Comme il a été indiqué au paragraphe 1.29 ci-dessus, du point de vue historique,
l’archipel n’était pas réputé comprendre Serrana, Roncador et Quitasueño. Aussi est-il impossible
d’accepter l’idée que celles-ci soient incluses dans la définition du traité de 1928 sous l’effet d’une
simple référence générale à l’archipel de San Andrés. A ce sujet, il peut être noté que, dans une
situation similaire concernant les îlots de Ligitan et de Sipadan, la Cour a fait observer que
29
«les relations entre les Pays-Bas et le Sultanat du Bouloungan avaient été fixées par
une série de contrats passés entre eux. Les contrats des 12 novembre 1850 et
2 juin 1878 précisaient les limites du Sultanat. Ces limites s’étendaient au nord de la
frontière terrestre qui fut finalement agréée en 1891 par les Pays-Bas et la
Grande-Bretagne. C’est pourquoi les Pays-Bas avaient consulté le sultan avant de
conclure la convention avec la Grande-Bretagne; ils s’étaient en outre trouvés dans
l’obligation de modifier en 1893 le contrat de 1878, afin de tenir compte de la
délimitation intervenue en 1891. Le nouveau texte précisait que les îles de Tarakan et
de Nanoukan et la partie de l’île de Sebatik située au sud de la ligne frontière
appartenaient au Bouloungan, et qu’il en était de même des «petites îles se rattachant
aux îles susmentionnées, pour autant qu’elles soient situées au sud de la ligne
frontière». La Cour note que ces trois îles sont entourées de nombreuses îles plus
petites, qui peuvent être considérées comme «se rattachant» géographiquement à
celles-ci. Elle estime en revanche que tel ne saurait être le cas de Ligitan et Sipadan,
situées à une distance de plus de 40 milles marins de ces trois îles.»45
30
1.42. Roncador, Quitasueño et Serrana sont situées à une distance comparable ou supérieure
des îles qui sont mentionnées nommément à l’article premier du traité de 1928, comme Ligitan et
Sipadan par rapport à Tarakan, Nanoukan et Sebatik.
1.43. Ayant conclu que la définition de l’archipel de San Andrés énoncée à l’article premier
du traité de 1928 n’englobe pas Roncador, Quitasueño et Serrana, il reste à déterminer si la
référence expresse à ces formations qui figure dans le traité a pour effet de les inclure dans la

43 EPC, vol. I, par. 2.27.
44 MN, vol. I, par. 2.149 et suiv.
45 Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 657,
par. 64.
- 17 -
définition, comme le soutient la Colombie. Rien dans le traité ne donne à penser que tel soit le cas.
Comme son titre l’indique, le traité porte sur des questions territoriales entre la Colombie et le
Nicaragua. De même, le préambule du traité évoque le différend territorial pendant entre les
deux Etats. Le traité ne se rapportait donc pas uniquement à des formations faisant partie de
l’archipel de San Andrés, mais aussi à d’autres territoires. En outre, la deuxième partie de
l’article premier du traité dit ceci : «Le présent traité ne s’applique pas aux récifs de Roncador,
Quitasueño et Serrana.»46 Il n’indique donc pas que ces trois formations sont comprises dans
l’archipel. Si les rédacteurs du traité avaient eu l’intention de dire que ces formations faisaient
partie de l’archipel, ils auraient vraisemblablement pu préciser dans la seconde partie de
l’article premier que, «aux fins du présent traité, la définition de l’archipel de San Andrés ne
s’applique pas» à Roncador, Quitasueño et Serrana.
1.44. Ces arguments concernant la définition de l’archipel de San Andrés valent d’autant
plus pour Serranilla et Bajo Nuevo. Ces formations sont encore plus éloignées des îles désignées
nommément à l’article premier du traité de 1928 et, historiquement, elles n’étaient pas non plus
réputées faire partie de l’archipel. A la différence des trois autres formations, Bajo Nuevo et
Serranilla ne sont mentionnées nulle part dans le traité de 1928. Il faut donc rejeter l’assertion
colombienne selon laquelle ces formations seraient incluses dans la définition de l’archipel de
San Andrés qui figure dans le traité de 192847. Ainsi qu’il a été exposé dans le mémoire, en
application du principe de l’uti possidetis juris, Roncador, Quitasueño, Serrana, Serranilla et
Bajo Nuevo appartiennent au Nicaragua48. Il a été rappelé que ces formations n’étaient pas
expressément mentionnées dans les lois de la Couronne espagnole. En l’espèce, l’application du
principe de l’uti possidetis juris doit tenir compte du rattachement ou de la dépendance par rapport
au territoire continental le plus proche, celui du Nicaragua49.
31
1.45. Le Nicaragua et la Colombie sont également divisés sur l’effet de la référence à
Roncador, Quitasueño et Serrana qui figure dans le traité de 1928. Selon la Colombie, cette
disposition signifie que le Nicaragua et elle étaient convenus que ces formations n’appartenaient
pas au Nicaragua50. Dans son mémoire, en revanche, le Nicaragua conclut que cette disposition
n’emportait aucune renonciation à ses droits, mais indiquait qu’une tierce partie était concernée :
les Etats-Unis51. Cette conclusion est basée sur le libellé de la disposition en question et sur
l’histoire de sa rédaction52. Le fait que le Nicaragua n’ait pas entendu renoncer à ses droits sur
Roncador, Quitasueño et Serrana dans le traité de 1928 est confirmé par les circonstances qui
entourèrent la conclusion et la ratification du traité Saccio-Vázquez de 1972 entre la Colombie et
les Etats-Unis, en vertu duquel les Etats-Unis renoncèrent à leur droits sur ces formations. Comme
il l’a relaté en détail dans son mémoire, le Nicaragua a tout fait pour sauvegarder ses droits à
l’égard de ces trois formations pendant tout ce processus53. En conclusion, le mémoire relève que
32
«les Etats-Unis renoncèrent à tous leurs droits hypothétiques sur les cayes aux termes
du traité Saccio-Vázquez, mais ils ne le firent pas en reconnaissant les droits de la
Colombie. Au contraire, lorsqu’ils ratifièrent le traité, les Etats-Unis prirent soin
d’exprimer leur neutralité quant aux revendications et intérêts légitimes des tiers, en

46 Les italiques sont de nous.
47 EPC, vol. I, par. 2.25.
48 MN, vol. I, par. 2.179-2.188.
49 Ibid., par. 2.179.
50 EPC, vol. I, par. 2.29.
51 MN, vol. I, par. 2.156.
52 Ibid., par. 2.140-2.155.
53 Ibid., par. 2.162-2.178.
- 18 -
particulier du Nicaragua ; en effet, ils affirmèrent clairement que le traité ne conférait
pas à la Colombie plus de droits que ceux qu’elle possédait auparavant et qu’il ne
portait pas atteinte aux droits du Nicaragua.»54
B. La référence au 82e
méridien figurant dans le protocole
d’échange des ratifications du traité de 1928
1.46. Dans son mémoire, le Nicaragua consacre plus de trente pages (p. 146-177) à expliquer
l’origine et l’objet de la référence au 82e
méridien de longitude ouest faite par le Congrès
nicaraguayen lors de la ratification du traité de 1928. Le Nicaragua est conscient du fait que
l’interprétation de cette référence est une partie essentielle de la décision qui sera rendue au fond en
la présente affaire et que cette question ne peut être tranchée au stade des exceptions préliminaires.
Dans la présente section, le Nicaragua commencera par rappeler brièvement l’origine et l’objet de
la référence qui a été faite en 1930 au 82e
méridien de longitude ouest afin de démontrer que le but
n’était pas de délimiter des espaces maritimes. Le Nicaragua montrera ensuite, de manière
irréfutable, que la pratique ultérieure des Parties, loin de confirmer les allégations de la Colombie
(EPC, vol. I, par. 2.56), les infirme totalement : deux gouvernements colombiens différents ⎯ l’un
en 1977 et l’autre en 1995 ⎯ ont mené des négociations avec le Nicaragua sur les questions dont la
Cour a actuellement à connaître et ont, notamment, reconnu publiquement et sans ambiguïté qu’une
délimitation maritime avec le Nicaragua devait être établie, le 82e
méridien de longitude ouest ne
constituant donc pas une ligne de délimitation.
33
1. Le point de vue prévalant en 1930
1.47. Le traité de 1928 est limpide. Son préambule en précise l’objet : «La République de
Colombie et la République du Nicaragua, désireuses de mettre un terme au conflit territorial
pendant entre elles et de resserrer les liens traditionnels d’amitié qui les unissent, ont décidé de
conclure le présent traité…»
1.48. L’objet de ce traité était donc clairement de mettre un terme à un différend territorial et
non d’établir une délimitation maritime.
1.49. L’article pertinent du traité ne contredit d’ailleurs en rien ce préambule.
«Article premier
La République de Colombie reconnaît la souveraineté pleine et entière de la
République du Nicaragua sur la côte de Mosquitos, comprise entre le cap de
Gracias a Dios et la rivière San Juan, et sur les îles Mangle Grande et Mangle Chico
dans l’océan Atlantique (Great Corn Island et Little Corn Island). La République du
Nicaragua reconnaît la souveraineté pleine et entière de la République de Colombie
sur les îles de San Andrés, Providencia, Santa Catalina, et sur les autres îles, îlots et
récifs qui font partie de l’archipel de San Andrés.
34
Le présent traité ne s’applique pas aux récifs de Roncador, Quitasueño et
Serrana, dont la possession fait actuellement l’objet d’un litige entre la Colombie et les
Etats-Unis d’Amérique.»55

54 MN, vol. I, par. 2.177.
55 Ibid., vol. II, annexe 19.
- 19 -
1.50. Le traité reconnaît simplement la souveraineté sur un territoire et il n’est question
d’aucune délimitation maritime.
1.51. Il n’aurait pas pu en être autrement. En 1930, le Nicaragua revendiquait une mer
territoriale d’une largeur de 3 milles et la Colombie venait juste de formuler sa revendication sur
une mer territoriale d’une largeur de 6 milles. Aucune des parties ne revendiquait de droits de
pêche au-delà de ces zones et encore moins de droits sur un plateau continental ou sur quelque
autre zone maritime s’étant fait jour après la déclaration Truman de 1945. Affirmer qu’en 1930 le
Nicaragua et la Colombie ont fixé des limites maritimes à près de 60 milles du territoire
nicaraguayen le plus proche et à des dizaines de milles de l’archipel de San Andrés est tout
simplement absurde d’un point de vue historique.
1.52. La Colombie le reconnaît d’ailleurs dans ses exceptions préliminaires. Au
paragraphe 2.53, elle admet qu’«[i]l ne fait aucun doute qu’en 1930, le 82e
méridien de longitude
ouest ne pouvait pas être considéré comme une frontière maritime au sens moderne du terme». Et
pourtant, la Colombie se sert de cette frontière, qui n’est pas «une frontière maritime au sens
moderne du terme», pour s’approprier plus de la moitié du plateau continental et de la zone
économique exclusive du Nicaragua.
35
1.53. La Colombie tente de s’en sortir en invoquant ce qu’elle présente comme les travaux
préparatoires du processus de ratification du traité de 1928 au Congrès nicaraguayen. Les
véritables travaux préparatoires sont les négociations qui ont mené à la signature du traité
le 24 mars 1928, et qui n’ont porté que sur le différend territorial, aucune mention n’ayant été faite
d’un quelconque différend maritime, alors inexistant. La Colombie tente d’écarter cet argument
comme suit :
«Il est vrai que le règlement de 1928-1930 concernait principalement la
souveraineté sur certains territoires… Cependant, si ce règlement avait été limité à la
souveraineté territoriale et avait laissé en suspens la question du partage des zones
maritimes, le but de la négociation n’aurait pas été atteint, lequel était, comme il a été
rappelé à plusieurs reprises au Congrès nicaraguayen, le règlement définitif et complet
du différend entre les deux pays.»56
1.54. Cette observation de la Colombie est tout simplement fausse. Les négociations
relatives à la souveraineté sur certains territoires sont les seules négociations qui eurent lieu sous
les auspices très contraignants des Etats-Unis d’Amérique. La Colombie ne fournit ⎯ et pour
cause ⎯ aucun compte rendu de négociations contenant une quelconque référence à une
délimitation maritime. Des débats se tinrent au Congrès colombien avant que le pays ne fasse au
Nicaragua la proposition qui devait aboutir au traité de 1928. Ces véritables travaux préparatoires
du traité de 1928 ne portèrent que sur la souveraineté territoriale et il ne s’y trouve aucune mention
d’un différend relatif à des espaces maritimes. San Andrés étant situé à plus de 105 milles de la
côte nicaraguayenne et à 385 milles de la côte colombienne, aucun différend maritime ne pouvait
exister entre 1928 et 1930.
36
1.55. Quoi qu’il en soit, l’approche colombienne dans son ensemble est absurde. La
Colombie ne peut se contenter de se fonder sur certains termes employés par des sénateurs
nicaraguayens lors des débats relatifs à la ratification pour démontrer qu’un traité dont l’objet
exprimé de manière non équivoque était de mettre fin à un différend territorial s’est transformé en

56 EPC, vol. I, par. 2.41.
- 20 -
un traité portant délimitation de ce qui était considéré en 1930 comme la haute mer. Les termes
employés par certains sénateurs nicaraguayens ⎯ lesquels n’ont même pas le sens que leur prête la
Colombie ⎯ sont le seul fondement sur lequel celle-ci s’appuie pour soutenir que le 82e
méridien
de longitude ouest était conçu comme «une ligne de partage, une ligne séparant les juridictions
[colombienne et nicaraguayenne] ou titres, quels qu’ils fussent, qui existaient à cette époque ou
pouvaient exister à une époque ultérieure»57.
1.56. Voilà à quoi se réduit l’argument de la Colombie visant à prouver que le méridien était
considéré comme une délimitation maritime. La Colombie soutient que les parties voyaient dans le
méridien une ligne départageant entre elles les «juridictions ou titres quels qu’ils fussent qui
existaient à cette époque», mais elle ne précise pas quels étaient, en 1930, ces titres ou juridictions.
Pas le moindre élément de preuve n’atteste qu’en 1930 le Nicaragua ou la Colombie aient
revendiqué d’autres espaces maritimes que leurs mers territoriales respectives. La Colombie ne
présente aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation ⎯ ce qu’elle serait d’ailleurs bien en
peine de faire. Afin de combler cette lacune abyssale, la Colombie pousse l’absurdité jusqu’à
prétendre que les sénateurs nicaraguayens ⎯ sans doute en lisant l’avenir dans une boule de
cristal ⎯ auraient alors considéré ce méridien comme une ligne séparant les juridictions ou titres
qui auraient pu exister à une époque ultérieure.
37 1.57. La Colombie allègue que le débat au Congrès nicaraguayen
«ne laisse aucun doute quant à la signification du 82e
méridien de longitude ouest visé
dans le texte du protocole d’échange des ratifications de 1930 : une frontière, une
ligne de partage des zones maritimes en litige, une délimitation, une démarcation de la
ligne de partage (límite, línea divisoria de las aguas en disputa, delimitación,
demarcacíon de la línea divisoria) ⎯ en d’autres termes : une frontière maritime»58.
1.58. La seule expression qui pourrait être considérée comme incompatible avec l’objet du
traité est celle employée par l’un des sénateurs lorsqu’il a, à tort, parlé d’une ligne de partage des
espaces maritimes en litige. Le fait que les autres sénateurs aient utilisé les termes «délimitation»
ou «frontière» est tout à fait compréhensible : ils délimitaient l’archipel. Dans la terminologie
moderne, on utiliserait aujourd’hui pour définir clairement l’objet du méridien l’expression plus
précise de «ligne d’attribution d’îles». Les sénateurs nicaraguayens, qui n’étaient pas des experts,
ne disposaient pas de ces concepts modernes, et aujourd’hui encore, il serait tout à fait concevable
que des profanes utilisent des termes erronés.
1.59. Le paragraphe 2.192 du mémoire du Nicaragua traite du moment où, lors des débats au
Sénat nicaraguayen, le ministre nicaraguayen des affaires étrangères fut appelé à exposer l’objet de
l’explication qu’il avait été proposé d’inclure dans l’acte de ratification du traité de 1928. Voici la
teneur de son exposé :
«l’explication ne modifiait pas le traité, parce qu’elle avait seulement pour but
d’indiquer une limite entre les archipels à l’origine du différend et que le
Gouvernement colombien avait déjà accepté cette explication par l’intermédiaire de
son ministre plénipotentiaire, en déclarant seulement que l’explication devait figurer
dans l’acte de ratification du traité : que cette explication était nécessaire pour l’avenir
38

57 EPC, vol. I, par. 2.53.
58 Ibid., par. 2.41.
- 21 -
des deux nations, car elle indiquait la limite géographique entre les archipels litigieux,
sans laquelle la question ne serait pas complètement réglée ; et que dès lors, il
demandait à l’honorable Chambre d’approuver le traité avec l’explication
proposée...»59
1.60. Il ressort des propos du ministre que l’objet de la déclaration (ou «explication»)
proposée lors de la ratification était d’indiquer la limite «entre les archipels». Cela recoupe assez
bien le sens de l’expression «ligne d’attribution d’îles».
1.61. Cette précision a été insérée dans le décret de ratification du Congrès en date du
6 mars 1930, lequel a été promulgué par le président du Nicaragua dans le Journal officiel de la
République du Nicaragua le 22 juillet 193060. Le décret porte ratification du traité,
«étant entendu que l’archipel de San Andrés mentionné à l’article premier du traité ne
s’étend pas à l’ouest du méridien de 82° de longitude Greenwich, tracé sur la carte
marine publiée en octobre 1885 par le Bureau hydrographique de Washington sous
l’autorité du secrétaire de la marine des Etats-Unis d’Amérique du Nord».
39 1.62. Il convient de relever que la Colombie ne présente aucun compte rendu ni élément des
travaux préparatoires émanant de son pays et se fonde uniquement sur les termes employés par des
sénateurs nicaraguayens. Si la Colombie ne peut produire de tels comptes rendus, c’est parce que
ni les débats qui ont précédé la signature du traité de 1928 ni ceux qui ont suivi la ratification
nicaraguayenne dans laquelle figurait l’explication relative au 82e
méridien n’ont suscité de
discussions sur la délimitation maritime en Colombie, que ce soit au sein du ministère des affaires
étrangères ou au Congrès.
2. De 1930 à 1969
1.63. Au cours des quelque quarante années qui ont suivi la ratification, la Colombie n’a
jamais soutenu que le méridien était une ligne délimitant des espaces maritimes. Les cartes qu’elle
a produites sont présentées comme la seule pratique attestant qu’elle considérait le méridien
comme une limite maritime. Aucun élément de preuve d’une autre nature n’est présenté : aucun
texte de loi, aucune pratique halieutique, rien que des cartes. La question des cartes est traitée aux
paragraphes 1.36 à 1.38. Nous nous contenterons à ce stade de dire que sur aucune des cartes
présentées, du moins celles antérieures à 1958, ne sont indiquées des limites maritimes.
1.64. La question de l’interprétation de l’objet du 82e
méridien s’est posée pour la première
fois ouvertement lorsque, en 1967, le Nicaragua a octroyé une concession pétrolière à la Western
Carribean Petroleum Co. Cette concession portait en partie sur des espaces maritimes situés à l’est
du 82e
méridien de longitude ouest. La Colombie a protesté contre l’octroi de cette concession le
4 juin 1969, affirmant pour la première fois que ce méridien de longitude constituait une ligne de
délimitation d’espaces maritimes entre le Nicaragua et la Colombie. Le Nicaragua a
immédiatement réfuté la thèse colombienne61.

59 MN, vol. II, annexe 80 ; OEN, vol. II, annexe 24 b).
60 La Gaceta, Diario Oficial, Año XXXIV, Managua, D.N., mercredi 2 juillet 1930, no
144, p. 1145-1146.
61 MN, vol. II, annexe 29.
- 22 -
40 1.65. Cependant, la Colombie a depuis lors imposé cette limite par les armes. Le fait de
déclarer un traité nul n’est pas en soi internationalement illicite, contrairement à ce qu’affirme la
Colombie au paragraphe 1.111 de ses exceptions préliminaires. En revanche, le fait d’interpréter
unilatéralement un traité sur le fondement le plus ténu qui soit, quarante ans après sa ratification,
puis d’imposer cette réinterprétation par la force est internationalement illicite et vraiment
inadmissible.
1.66. En réalité, la Colombie a vu dans l’évolution du droit, particulièrement après la
première Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer en 1958, une occasion de s’octroyer
d’immenses espaces maritimes aux dépens du Nicaragua. Même si son titre sur San Andrés était
déclaré valable et confirmé, la Colombie a fait le pari que, en comparaison avec les espaces
maritimes qu’elle pouvait espérer obtenir si une délimitation équitable était effectuée entre
les 17 milles carrés62 de l’archipel de San Andrés et la longue côte du Nicaragua, il valait la peine
d’invoquer le méridien.
3. Première période de négociations, 1977
1.67. En 1977, le Gouvernement colombien chargea l’ambassadeur Julio Londoño Paredes
de négocier avec le Gouvernement nicaraguayen la question du différend territorial et frontalier
dans la mer des Caraïbes. Dans le cadre de son mandat, M. Londoño rencontra à plusieurs reprises
M. Alejandro Montiel Argüello, alors ministre nicaraguayen des affaires étrangères. Aucun accord
n’ayant été trouvé, le Nicaragua décida de mettre un terme aux négociations, dans la mesure où,
ainsi que l’a expliqué M. Montiel Argüello dans son compte rendu de ces négociations63, la
proposition colombienne lui semblait inacceptable. La révolution qui éclata en 1978 au Nicaragua
rendit impossible toute nouvelle évocation de l’objet de ces négociations avec la Colombie avant
les années qutatre-vingt-dix.
41
1.68. Les déclarations faites par le président colombien de l’époque,
M. Alfonso López Michelsen, attestent la nature et l’existence de ces premières négociations. En
mars 1977, M. López déclara : «Nous espérons parvenir à des accords sur les délimitations par le
biais de négociations directes non seulement avec le Nicaragua, mais également avec le Venezuela,
ce qui est plus difficile…»64
1.69. M. López fit cette déclaration lors d’une visite d’Etat au Costa Rica, pays voisin du
Nicaragua, où il se rendit afin de signer un traité de délimitation maritime dans les Caraïbes. Bien
que le Nicaragua ait protesté contre ce traité ⎯ lequel n’a pas encore été ratifié par le
Costa Rica ⎯ le fait que cette déclaration ait été faite dans ce contexte lui confère encore
davantage de poids et son sens n’en est que plus clair.
4. Deuxième période de négociations, 1995
1.70. En 1995, une délégation nicaraguayenne et une délégation colombienne, présidées par
les ministres des affaires étrangères, participèrent à une réunion au Siège de l’Organisation des
Nations Unies à New York. A cette occasion, le ministre colombien des affaires étrangères,
M. Rodrigo Pardo García-Peña, invita son homologue nicaraguayen, M. Ernesto Leal Sanchez, à un

62 Voir plus haut, par. 1.25.
63 OEN, vol. II, annexe 20.
64 Ibid., annexe 12.
- 23 -
déjeuner de travail. M. Julio Londoño Paredes, alors ambassadeur de la Colombie auprès de
l’Organisation des Nations Unies, y participa également. Il convient de rappeler que M. Londoño
avait dirigé les négociations avec le Nicaragua en 1977 du côté colombien (voir par. 1.67
ci-dessus). Fut également convié à ce déjeuner l’ambassadeur Mauricio Herdocia Sacasa, alors
conseiller juridique et politique du ministre nicaraguayen des affaires étrangères.
42
1.71. Une déclaration sous serment du ministre des affaires étrangères de l’époque,
M. Ernesto Leal, est jointe aux présentes observations écrites ; l’ancien ministre y expose le
contenu des négociations qui eurent lieu lors de cette réunion et lors d’une réunion ultérieure entre
les chefs d’Etat nicaraguayen, Mme Violeta Barrios de Chamorro, et colombien, M. Ernesto
Samper Pizano. Cette réunion se tint dans le cadre du neuvième sommet des chefs d’Etat et de
gouvernement des pays d’Amérique latine (groupe de Rio), à Quito, en Equateur, le
4 septembre 1995.
1.72. Ainsi que l’ancien ministre Leal l’a indiqué dans son compte rendu, ces réunions
avaient pour objet
«d’entamer des discussions sur les négociations relatives aux différends territoriaux et
maritimes entre la Colombie et le Nicaragua dans la mer des Caraïbes, afin
d’améliorer le contexte politique et de lever tous les obstacles affectant les relations
d’amitié et de coopération entre les deux pays.
A cette occasion, la Colombie souhaitait réexaminer avec le Nicaragua les
problèmes relatifs au 82e
méridien, précisant que cette question était plus facile à
traiter que celle de San Andrés, et que de hautes personnalités colombiennes avaient
admis que la thèse colombienne relative au 82e
méridien était discutable au regard du
droit international et des décisions rendues par les juridictions internationales. Ces
prises de position ont facilité l’examen de la question. La délégation nicaraguayenne a
indiqué que la question de San Andrés était tout aussi importante que celle
du 82e
méridien. Elle a précisé que, même si les deux questions étaient étroitement
liées, les discussions pouvaient commencer par le premier de ces deux sujets, à
condition toutefois qu’elles revêtent un caractère général, n’impliquent aucune
renonciation, et se déroulent au calme, loin de la presse.»65
43
1.73. Le ministre colombien des affaires étrangères expliqua l’objet de ces négociations dans
un article intitulé «Vers un bon voisinage», publié le 10 septembre 1995 dans le journal El tiempo,
dans la rubrique «Tribune». Il écrivit ce qui suit :
«De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’initier un vaste dialogue sur l’ensemble des
questions qui demeurent manifestement pendantes et nécessitent une collaboration, à
savoir celles qui ne sont ni définies ni réglées par les accords en vigueur, parmi
lesquels le traité Esguerra-Bárcenas. S’agissant de deux pays frontaliers, un tel
dialogue est tout simplement essentiel.»66
1.74. M. Pardo ajoutait que ces négociations

65 OEN, vol. II, annexe 21.
66 Ibid., annexe 4.
- 24 -
«permettraient d’analyser, dans un cadre cordial et constructif, les arguments des
parties quant à la nature du 82e
méridien. Les entretiens que les ministères des affaires
étrangères des deux pays entameront prochainement, sur la base d’un mandat
présidentiel, porteront donc, notamment, sur cet important sujet.»67
44 1.75. L’article du ministre des affaires étrangères se terminait comme suit : «Du point de vue
des intérêts nationaux et de la coopération entre les deux pays, lever tout doute sur la nature
du 82e
méridien contribuera à éclaircir l’horizon.»68 On ne saurait trop insister sur l’importance de
ces événements et de ces déclarations. En l’espace d’une vingtaine d’années, d’abord en 1977, puis
en 1995, deux présidents et deux gouvernements colombiens différents ont publiquement annoncé
l’ouverture de négociations avec le Nicaragua sur une délimitation maritime et d’autres questions
dont la Cour est actuellement saisie. La Colombie nie aujourd’hui que le traité de 1928 ait laissé en
suspens certaines questions ; pourtant, l’attitude adoptée par deux gouvernements colombiens
différents dément tout à fait cette position.
1.76. Une éminente personnalité colombienne, M. Rafael Nieto Navia, ancien juge et
président de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et, jusqu’à récemment, juge au Tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie de La Haye, a indiqué ce qui suit s’agissant des
déclarations publiques des plus hautes autorités de son pays.
«J’ai entendu le président déclarer à la télévision … que les ministres des
affaires étrangères de la Colombie et du Nicaragua devaient se rencontrer pour parler
de «la nature du 82e
méridien» de longitude ouest de Greenwich, défini dans le traité
Esguerra-Bárcenas comme une frontière de l’archipel de San Andrés…
Si ce point est accepté, dans la mesure où le traité indique que l’archipel ne
s’étend pas «à l’ouest», il est évident que ces négociations porteront sur la zone située
à l’est, c’est-à-dire celle qui a traditionnellement été considérée comme
45 colombienne…
Qu’est-ce que le président entendait par «nature» du méridien ? Eh bien, il
faisait de toute évidence référence au fait de savoir si le méridien était ou non une
limite. Exprimant des doutes sur ce point, il a ainsi ouvert la voie à une possible
extension des espaces maritimes et sous-marins du Nicaragua à l’est du
méridien… Prenez garde, Monsieur le président, vous exprimez la position officielle
de la Colombie. Demain, le Nicaragua produira vos déclarations devant la Cour
internationale de Justice.»69
1.77. En réalité, le juge Nieto redoutait précisément ce qui est en train de se produire
aujourd’hui : que le Nicaragua produise lesdites déclarations devant la Cour internationale de
Justice.
1.78. Malheureusement, la pression politique suscitée en Colombie par l’annonce de ces
négociations a, apparemment, contraint le gouvernement Samper à revenir sur l’accord qu’il avait
donné à la tenue de négociations et les réunions ont été annulées.

67 OEN, vo. II, annexe 4.
68 Ibid.
69 OEN, vol. II, annexe 3.
- 25 -
1.79. Le Nicaragua l’a d’ailleurs rappelé dans sa requête du 6 décembre 2001 :
«Les négociations diplomatiques ont échoué. La dernière tentative faite au plus
haut niveau remonte au 6 septembre 1995, à l’occasion de la neuvième réunion des
chefs d’Etat et de gouvernement du groupe de Rio, qui s’est tenue à Quito (Equateur).
Lors de cette rencontre, M. Ernesto Samper, président de la Colombie, déclara qu’il
allait donner pour instruction à son ministre des affaires étrangères de rencontrer son
homologue nicaraguayen avant la fin du mois de septembre afin d’examiner les
problèmes bilatéraux opposant les deux pays. Il s’agissait entre autres, selon les
termes de M. Samper, de «divergences éventuelles en matière de frontières» (posibles
diferencias que existen en materia de límites). Cette réunion fut annulée à la demande
du ministre colombien des affaires étrangères qui déclara, le 12 septembre 1995, que
la Colombie ne discuterait jamais avec le Nicaragua de ses possessions dans les
Caraïbes car il s’agissait là «d’une question ayant été définitivement tranchée par traité
international». Cinq jours plus tard, le ministre colombien de la défense, accompagné
de militaires de haut rang et de membres du gouvernement et du Congrès, présidait à
un «acte de souveraineté» consistant en un déploiement de forces navales sur
le 82e
méridien, à la hauteur du 12e
parallèle. Le 6 août 1996, le ministre colombien
des affaires étrangères affirma que la question de la souveraineté sur les îles de
Providencia et de San Andrés n’était «pas sujette à discussion» et, le 14 août, qu’il n’y
avait «rien à discuter» dans cette affaire.»
46
5. Troisième période de «négociations», 2001
1.80. Les entretiens entre M. Francisco X. Aguirre Sacasa, qui avait récemment été nommé
ministre des affaires étrangères du Nicaragua, et son homologue colombien,
M. Guillermo Fernández de Soto, sont évoqués ici non pas à l’appui de la thèse selon laquelle la
Colombie avait reconnu, en 2001, que des questions territoriales et de délimitation restaient à
négocier avec le Nicaragua, mais dans le but de mettre en lumière le comportement de la Colombie
47 envers le Nicaragua en ce qui concerne l’introduction de la présente instance devant la Cour.
1.81. Les faits sont les suivants. Quelques semaines après la ratification par le Honduras le
30 novembre 1999 du traité du 2 août 1986 portant délimitation, M. Arnoldo Alemán Lacayo, alors
président du Nicaragua, annonça publiquement que son pays allait introduire une instance devant la
Cour internationale de Justice contre la Colombie70. Cette annonce fut réitérée à plusieurs
reprises71. L’ambassadeur Londoño, agent de la Colombie, dans une interview accordée peu de
temps après le dépôt de la requête en la présente affaire, reconnut que la Colombie savait que le
Nicaragua allait introduire cette instance puisque celui-ci «n’avait cessé de l’annoncer au cours des
deux dernières années»72.
1.82. La Colombie savait parfaitement que cette affaire serait portée devant la Cour.
En 2001, le ministre nicaraguayen des affaires étrangères, M. Aguirre, a relaté dans une déclaration
sous serment73 que son homologue colombien, M. Fernández de Soto, avait demandé le report du
dépôt de la requête du Nicaragua afin de permettre la tenue de négociations sur les questions
territoriales et de délimitation pendantes entre leurs Etats respectifs. Ayant accepté cette
proposition de bonne foi, le ministre fut surpris de constater que cette demande et les offres de

70 OEN, vol. II, annexe 13.
71 Ibid., annexe 14-16.
72 Ibid., annexe 7 et plus bas, par. 3.103-3.104.
73 Ibid., annexe 22.
- 26 -
négociation ne visaient qu’à permettre à la Colombie de gagner du temps pour accomplir les
différentes démarches juridiques et politiques nécessaires au retrait de son acceptation de la
juridiction de la Cour formulée en 1937.
1.83. Ces tentatives de la Colombie pour surprendre la bonne foi des autorités
nicaraguayennes afin de gagner du temps pour retirer son acceptation sont ⎯ pour reprendre un
propos moralisateur de la Colombie74 ⎯ un véritable outrage.
48
1.84. Du fait de sa conduite dans les circonstances, le Gouvernement colombien ne pouvait
pas modifier le statu quo juridictionnel sans respecter un préavis raisonnable. En tout état de cause,
un préavis de moins de vingt-quatre heures ne peut en aucun cas être considéré comme raisonnable.
Les conséquences juridiques de la conduite de la Colombie seront examinées au chapitre III,
section IV.
IV. VIOLATION D’UN TRAITÉ
1.85. Dans la cinquième conclusion de son mémoire, le Nicaragua prie la Cour de dire et
juger que «[d]ans le cas où la Cour conclurait que le traité Bárcenas-Esguerra a été valablement
conclu, la violation de ce traité par la Colombie autorisait le Nicaragua à le dénoncer».
1.86. Cette question est examinée aux paragraphes 2.254 à 2.263 du mémoire du Nicaragua.
La dénonciation est fondée sur le fait que le 82e
méridien de longitude ouest n’est pas une ligne de
délimitation d’espaces maritimes mais une ligne d’attribution de souveraineté sur des îles75. Si tel
est bien le cas, la question est de savoir si l’interprétation unilatérale de la Colombie en 1969, qui
fut suivie par ni plus ni moins qu’un blocus empêchant le Nicaragua et ses citoyens d’utiliser les
ressources maritimes des espaces situés à l’est du 82e
méridien de longitude ouest, constitue une
violation substantielle du traité.
49
1.87 La réponse à cette question concerne l’interprétation d’un traité, ce qui relève
évidemment de la compétence de la Cour. Il s’agit d’ailleurs du premier type de différends d’ordre
juridique énoncés au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour. Si la réponse est, ainsi que
le soutient le Nicaragua, que la Colombie a interprété ce traité d’une manière qui lui était favorable
et non en se référant à ses buts ou à son sens clairement formulé, se pose alors la question de savoir
si cette interprétation constitue une violation d’un engagement international, laquelle relève du
troisième type de différends d’ordre juridique visés au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut.
1.88. En tout état de cause, il est évident que cette question doit être tranchée lors de
l’examen au fond de l’affaire. A ce stade, nous nous contenterons de réfuter certaines allégations
de la Colombie.

74 EPC, vol. I, par. 1.111.
75 Voir plus haut, sect. III, par. 1.58.
- 27 -
1.89. Tout d’abord, la Colombie affirme au paragraphe 1.116 de ses exceptions préliminaires
que,
«[e]n droit, même s’il était vrai … que … la Colombie «a unilatéralement transformé»
le 82e
méridien de longitude ouest en une frontière maritime, le fait qu’une partie
avance un argument relatif à l’interprétation d’un traité ne peut pas constituer en soi
une «violation substantielle» de celui-ci».
1.90. Le problème est que non seulement la Colombie a transformé un traité qui avait pour
objet de résoudre un «différend territorial entre les deux pays» en un autre différend territorial et de
délimitation, mais elle n’a pas cantonné son «interprétation» dudit traité à des notes et à des
entretiens diplomatiques. Le fait de prétendre, en l’«interprétant», qu’un traité portant
détermination de la souveraineté sur un territoire portait en réalité également établissement d’une
frontière maritime de 250 milles nautiques ne saurait constituer qu’une violation substantielle du
traité en question.
50
1.91. Au paragraphe 1.117, la Colombie cite l’article 45 de la convention sur le droit des
traités, pour tenter de démontrer que le Nicaragua ne peut plus invoquer ce motif de terminaison du
traité sous prétexte qu’il aurait accepté cette interprétation. La Colombie a formulé cette
interprétation pour la première fois en 1969, le Nicaragua a immédiatement protesté et il a
renouvelé ses protestations chaque fois qu’il convenait de le faire. On ne saurait donc parler
d’acquiescement.
1.92. La Colombie croit pouvoir déduire un acquiescement de plusieurs cartes qu’elle a
jointes à ses exceptions préliminaires. Cette question a été examinée aux paragraphes 1.36 à 1.38.
Pour l’heure, le Nicaragua soulignera que ces cartes n’étayent aucune des allégations de la
Colombie. Il convient toutefois de rappeler qu’elles sont le seul élément de preuve présenté à
l’appui de la thèse de l’acquiescement colombienne. Il n’existe aucun acte souverain de la
Colombie, comme l’adoption de lois ou de décrets, par lequel elle aurait défini ses espaces
maritimes ou accordé des concessions de pêche ou d’exploration pétrolière, qui soit antérieur
à 1969.
- 28 -
- 29 -
CHAPITRE II
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES RELATIVES AU PACTE DE BOGOTÁ
51
2.1. Dans sa requête du 6 décembre 2001, la République du Nicaragua invoque,
conformément au paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour, l’article XXXI du traité
américain de règlement pacifique (pacte de Bogotá) adopté le 30 avril 1948, comme étant l’une des
bases de compétence de la Cour à l’égard du présent différend76.
2.2. En vertu de l’article XXXI du pacte de Bogotá :
«Conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour
internationale de Justice, les Hautes Parties contractantes en ce qui concerne tout autre
Etat américain déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et sans
convention spéciale tant que le présent traité restera en vigueur, la juridiction de la
Cour sur tous les différends d’ordre juridique surgissant entre elles et ayant pour
objet :
a) l’interprétation d’un traité ;
b) toute question de droit international ;
c) l’existence de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un
engagement international ;
d) la nature ou l’étendue de la réparation qui découle de la rupture d’un engagement
international.»
2.3. La République du Nicaragua et la République de Colombie sont toutes deux parties au
pacte de Bogotá. Le Nicaragua l’a ratifié le 21 juin 1950 sans formuler de réserve pertinente en
l’espèce, et la Colombie l’a ratifié le 14 octobre 1968 en n’émettant aucune réserve.
52
2.4. Néanmoins, le 21 juillet 2003, la République de Colombie a présenté à la Cour ses
exceptions préliminaires, la priant de dire et juger que, «en vertu du pacte de Bogotá, et en
particulier en vertu des articles VI et XXXIV, la Cour n’a[vait] pas compétence pour examiner le
différend qui lui [était] soumis par le Nicaragua en vertu de l’article XXXI et de déclarer ce
différend terminé»77.
2.5. Aux termes de l’article VI du pacte de Bogotá, les procédures prévues dans ce traité, «ne
pourront non plus s’appliquer ni aux questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les
parties, ou d’une décision arbitrale ou d’une décision d’un tribunal international, ni à celles régies
par des accords ou traités en vigueur à la date de la signature du présent pacte».
2.6. En vertu de l’article XXXIV du pacte de Bogotá : «Si, pour les motifs indiqués aux
articles 5, 6 et 7 de ce traité, la Cour se déclarait incompétente pour juger le différend, celui-ci sera
déclaré terminé.»

76 Requête du Nicaragua, par. 1 ; MN, vol. I, introduction, par. 3.
77 EPC, vol. I, chap. V, conclusions de la Colombie, point 1).
- 30 -
53 2.7. La Colombie affirme que ces «questions furent définitivement réglées» par le traité
de 1928 et qu’«en introduisant l’instance, le Nicaragua tente de relancer une affaire qui est réglée
depuis longtemps»78. Le Nicaragua estime quant à lui qu’une telle conclusion est absolument
erronée, et il le démontrera dans les paragraphes à venir.
2.8. L’argument principal de la thèse colombienne visant à établir que la Cour n’a pas
compétence est fondé sur l’interprétation commune des articles VI, XXXI et XXXIV du pacte de
Bogotá79. Selon la Colombie, la Cour devrait se déclarer incompétente et dire que le différend est
terminé dans la mesure où celui-ci porte sur une question déjà réglée au moyen d’une entente entre
les Parties ou régie par des accords ou traités en vigueur à la date de la signature du pacte de
Bogotá. La Colombie affirme que le Nicaragua et elle-même avaient signé le traité
Bárcenas-Esguerra en 1928 et l’avaient ratifié en 1930 par le protocole d’échange des ratifications,
dans le but de résoudre des différends territoriaux, y compris en effectuant des délimitations
maritimes, et que ces accords étaient en vigueur lorsque le pacte de Bogotá est lui-même entré en
vigueur80.
2.9. L’argument de la Colombie est erroné, et ce pour de nombreuses raisons ; la première
d’entre elles réside dans l’interprétation même des articles pertinents du pacte de Bogotá.
2.10. Le texte de ce qui est finalement devenu l’article VI du pacte ne figurait pas dans le
projet de système pacifique interaméricain adopté par le comité juridique interaméricain — projet
qui a servi de base de discussion lors de la neuvième conférence internationale des Etats
américains81 —, mais il est issu d’une proposition d’article additionnel formulée par le Pérou82.
54
2.11. Il ressort clairement du texte ⎯ et les travaux préparatoires le confirment ⎯ que la
restriction imposée par l’article VI du pacte ne vise pas la compétence de la Cour mais, ainsi que la
Colombie doit le reconnaître83, la mise en œuvre des différentes procédures prévues par le pacte
lui-même, et que cette disposition a pour objet d’éviter qu’il soit recouru auxdites procédures pour
reviser des traités ou pour faire appel de décisions définitives et ayant force exécutoire.

78 EPC, vol. I, introduction, par. 8.
79 Ibid., introduction, par. 27 et suiv. ; et par. 2.5 et suiv.
80 Ibid., introduction, par. 14; et par. 1.44 et suiv., 2.9, 2.35, 2.50, 2.63-2.64 ; 4.6, 4.13-4.14. Le texte du traité et
celui du protocole d’échange des ratifications figurent dans le volume II, annexe 10. Ces instruments ont déjà été
reproduits dans le mémoire du Nicaragua, vol. II, annexe 19.
81 Voir le projet, publié sous la référence CB-6 dans le cadre de la neuvième conférence des Etats américains,
actes et documents/Novena Conferencia Internacional Americana, Actas y Documentos, vol. IV, MRE, Actas y
Documentos, vol. IV, MRE, Bogotá, 1953, troisième commission, documents de la commission, p. 6-21. Voir l’extrait
pertinent figurant dans les observations écrites du Nicaragua, vol. II, annexe 18.
82 L’article II du projet ayant consacré l’engagement des parties à recourir aux procédures établies par le traité
dans le cas où, de l’avis de l’une d’entre elles, un litige ne pourrait pas être résolu par des négociations directes, la
délégation péruvienne proposa d’ajouter plusieurs articles, dont l’un se lisait comme suit : «Ces procédures ne pourront
non plus s’appliquer ni aux questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties, ou d’une décision arbitrale ou
d’une décision d’un tribunal international, ni à celles régies par des accords ou traités en vigueur à la date de la signature
du présent traité.» (En espagnol : «Tampoco podrán aplicarse dichos procedimientos a los asuntos ya resueltos por
arreglo de las partes, o por solución arbitral o judicial, o que se hallan regidos por acuerdos internacionales en vigencia
en la fecha de la celebración del presente Tratado.») (Proposition d’amendement au projet de système pacifique
interaméricain, publié sous les références CB-191/C.III-10 et CB-199/C.III-12 dans le cadre de la neuvième conférence
internationale des Etats américains, actes et documents/Novena Conferencia Internacional Americana, Actas y
Documentos, vol. IV, op. cit., troisième commission, documents de la commission, p. 69.) Voir OEN, vol. II, annexe 18.
83 EPC, vol. I, par. 2.10, 2.13 et 2.20.
- 31 -
2.12. Les réserves formulées par des pays comme la Bolivie et l’Equateur au moment de la
signature du pacte confirment que tel était bien l’objet de l’article VI. Ces réserves, ainsi que la
Colombie le reconnaît elle-même, visaient à «ménager la possibilité de reviser les traités
territoriaux qu’ils avaient conclus avec le Chili et le Pérou, respectivement»84. La Bolivie
entendait conserver un moyen permettant d’appliquer les procédures du pacte à des «différends
relatifs à des questions résolues par entente entre les parties, lorsque pareille entente touch[ait] aux
intérêts vitaux d’un Etat»85. Quant à la réserve de l’Equateur, elle «donn[ait] la possibilité de
réexaminer les traités»86, ainsi qu’il est indiqué dans le rapport de la commission des affaires
étrangères du Sénat équatorien à laquelle le pacte avait été soumis87. Si le Pérou a formulé cette
proposition qui a donné naissance à l’article VI — proposition soutenue par le Chili — c’est en
raison de son importance en tant que mécanisme permettant de prévenir la revision des traités88.
55
56 2.13. Telle est la seule raison qui explique que, bien que sa proposition ait été retenue89, le
Pérou ait formulé une réserve à l’article XXXIV, considérant, notamment, que les affaires,
«résolue[s] au moyen d’une entente entre les Parties ou régie[s] par les accords ou traités en
vigueur, empêchent, en raison de leur nature objective et péremptoire, l’application à ces cas de
toute procédure»90.
2.14. Le délégué péruvien, interprétant l’adage quieta non movere, jugea même inadmissible
d’envisager que la Cour pût intervenir en déclarant le différend «terminé» lorsqu’elle n’avait pas
compétence selon l’article VI. Lorsqu’elle ne trouve pas de fondement à sa compétence, la Cour
peut naturellement rayer une affaire de son rôle, mais elle outrepasserait sa juridiction si elle
déclarait terminé le différend en tant que tel.

84 EPC, vol. I, par. 2.15.
85 Voir la réserve de la Bolivie au pacte de Bogotá ; les italiques sont de nous.
86 «La délégation de l’Equateur, en souscrivant au présent pacte, formule une réserve expresse
relativement à l’article V [VI] et à toute disposition qui viole les principes proclamés ou les stipulations
contenues dans la Charte des Nations Unies, dans la Charte de l’Organisation des Etats américains ou
dans la Constitution de la République de l’Equateur, ou qui n’est pas en harmonie avec ceux-ci.»
En espagnol, le texte se lit comme suit :
«La delegación del Ecuador, al suscribir este Pacto, hace reserva expresa del Artículo V [VI], y,
además, de toda disposición que esté en pugna o no guarde armonía con los principios proclamados o
las estipulaciones contenidas en la Carta de las Naciones Unidas, o en la Carta de la Organización de
Estados Americanos, o en la Constitución de la República del Ecuador.»
(Neuvième conférence internationale des Etats américains, Actes et documents/Novena Conferencia
Internacional Americana, Actas y Documentos, vol. I, MRE, Bogotá, 1953, actes de la septième session plénière, p. 232.
Voir OEN, vol. II, annexe 17.)
87 Compte rendu de la séance de l’après-midi de la Chambre du Sénat du Congrès équatorien (Acta de la Sesión
Vespertina de la Honorable Cámara del Senado), 31 octobre 1949, point XXV, premier examen du projet de loi no
157,
pacte de Bogotá, p. 1923 et suiv., cité par la Colombie dans ses exceptions préliminaires, vol. I, par. 2.15, note de bas de
page no
110.
88 EPC, vol. I, par. 2.11-2.12 et 2.16.
89 Seules de légères modifications de forme furent apportées, qui n’avaient aucune incidence sur le fond de
l’article. Ainsi, «décisions arbitrales ou judicaires» devint «décision arbitrale ou … décision d’un tribunal international
(laudo arbitral o … sentencia de un tribunal internacional)», l’expression «accords ou traités (acuerdos o tratados)» fut
préférée à «accords internationaux (acuerdos internacionales)», et le terme «traité (tratado)» fut remplacé par le terme
«pacte (pacto)» à la fin du texte.
90 En espagnol, le texte se lit comme suit : «resuelta por arreglo de las partes o regida por acuerdos o tratados
vigentes, determinan, en virtud de su naturaleza objetiva y perentoria, la exclusión de estos casos de aplicación de todo
procedimiento» (neuvième conférence internationale des Etats Américains, actes et documents/Novena Conferencia
Internacional Americana, Actas y Documentos, vol. I, op. cit., Acta de la Séptima Sesión Plenaria, p. 233). Voir OEN,
vol. II, annexe 17.
- 32 -
2.15. En invoquant les travaux préparatoires du pacte de Bogotá, la Colombie n’a pas fait
preuve de la prudence préconisée par la Cour dans son arrêt rendu le 20 décembre 1988 en l’affaire
relative à des Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras)
(compétence et recevabilité). Dans cette décision, la Cour avait appelé l’attention sur le fait que
«les différents stades de la rédaction des textes lors de la conférence de Bogotá n’[avaient] pas tous
fait l’objet de procès-verbaux détaillés»91. Quoi qu’il en soit, les citations utilisées par la Colombie
pour étayer sa thèse92 ne font en réalité que la contredire. Ainsi, lorsque le délégué de l’Equateur,
M. Viteri, suggère, au sein de la troisième commission de la conférence, de chercher un libellé qui
atténue les termes de l’article VI, le délégué du Pérou, M. Belaúnde, s’oppose à cette proposition
au motif que cet article concerne des questions régies par des accords ou traités en vigueur et que
1) «ces «traités en vigueur» indiquent généralement la manière de régler les différends»93 (ce qui
semble indiquer que pour le délégué péruvien, le dernier paragraphe de l’article VI vise à soumettre
les différends concernant des traités en vigueur aux modes de règlement prévus par ces traités
eux-mêmes)94 ; et que 2) le fait d’atténuer cette formulation «serait ouvrir la porte à la création de
différends, ce qui est exactement ce que nous voulons éviter»95. Et M. Belaúnde d’ajouter : «[U]n
système pacifique américain doit non seulement régler les différends mais aussi les prévenir.»96
57
58
2.16. De même, lorsque le délégué de Cuba, M. Dihigo, après avoir rappelé que «la première
partie de l’article [VI] disposait que «[c]es procédures ne pourront non plus s’appliquer … aux
questions déjà réglées…», demande à M. Belaúnde «si les difficultés sont réglées, quel est le
problème ?»97, celui-ci répond : «[L]e danger, c’est qu’elles soient relancées, qu’on veuille les
relancer. Il s’agit de l’exception de la chose jugée.»98

91 Arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 85, par. 37.
92 EPC, vol. I, par. 2.10 et suiv.
93 En espagnol le texte se lit comme suit : «esos «tratados vigentes» generalmente indican la manera de resolver
las cuestiones».
94 «Un traité existe ; ce traité a ses procédures. C’est pourquoi la dernière partie [de l’article VI] est
importante… [Un] traité qui règle un problème prévoit généralement une procédure en vertu de laquelle
les difficultés peuvent être surmontées… Ainsi, tout est prêt, dans la mesure où ce qui forme l’objet d’un
traité en vigueur est généralement régi par une procédure propre, laquelle, ainsi que nous en avons
convenu, l’emporte sur toute autre»,
conclut M. Belaúnde. (En espagnol :
«Hay un tratado; seguramente ese tratado tiene sus procedimientos. Por eso es que la última
parte [del Artículo IV] tiene tanta importancia… [U]n tratado que resuelve un problema generalmente
establece un procedimiento en virtud del cual esas dificultades puedan resolverse… De manera que está
todo listo, porque lo que está regido por tratados en vigencia generalmente tiene su procedimiento; y ese
procedimiento, conforme lo hemos acordado, debe primar sobre cualquier otro.»)
(Neuvième conférence internationale des Etats américains, Actes et Documents/Novena Conferencia Americana, Actas y
Documentos, vol IV, Comisión Tercera, Sesión Tercera, p. 135-136). OEN, vol. II, annexe 18. Voir également les
passages figurant dans EPC, vol. II, annexe 21.
95 En espagnol, le texte se lit comme suit : «sería abrir la puerta a provocar un litigio, que es precisamente lo que
queremos evitar» ; les italiques sont de nous.
96 En espagnol, le texte se lit comme suit : «un sistema americano de paz debe no sólo resolver los litigios, sino
también impedir que se provoquen».
97 En espagnol, le texte se lit comme suit : «La primera parte del Artículo dice : «Tampoco podrán aplicarse
dichos procedimientos a los asuntos ya resueltos…» «¿Si están resueltos, cuál es el problema ?»
98 En espagnol, le texte se lit comme suit : «El peligro está en que se reabra, en que se quiera reabrir. Es la
excepción de cosa juzgada.» Neuvième conférence internationale des Etats américains, actes et documents/Novena
Conferencia Americana, Actas y Documentos, vol. IV, Comisión Tercera, Sesión Tercera, p. 136. OEN, vol. II,
annexe 18. Voir également les passages figurant dans EPC, vol II, annexe 21 ; les italiques sont de nous.
- 33 -
2.17. Cet accent mis sur la chose jugée n’est pas sans rappeler l’inclusion fréquente dans les
traités d’arbitrage entre pays d’Amérique latine de clauses interdisant le réexamen de questions
déjà tranchées. Telle est également, ainsi que la Colombie elle-même le reconnaît, la raison d’être
de l’article VI du pacte : cet article «sert de rempart contre tout usage possible des procédures
prévues par le pacte en vue de relancer des différends précédemment réglés»99.
59 2.18. Contrairement à ce que prétend la Colombie100, le Nicaragua ne cherche pas à obtenir
une revision du traité Bárcenas-Esguerra ni de quelque autre instrument connexe. Le Nicaragua
soutient plutôt 1) que, pour un certain nombre de raisons indiquées dans son mémoire101, le traité
susmentionné est un instrument entaché de nullité ; 2) que ce traité, quand bien même il serait
valide — ce que le Nicaragua réfute —, est frappé d’une cause d’extinction en raison d’une
violation grave par la Colombie102 ; 3) que le traité ne s’étend pas aux cayes de Roncador, Serrana,
Quitasueño, Serranilla et Bajo Nuevo103 ; et 4) que ni le traité ni l’accord contenu dans le protocole
d’échange des ratifications n’ont pour objet une délimitation maritime104.
2.19. Ces désaccords ne s’étaient pas fait jour à la date à laquelle le pacte a été conclu. Ainsi
que la Colombie le reconnaît, «[l]orsque le pacte de Bogotá fut signé en 1948, il existait un nombre
considérable de différends en suspens entre plusieurs Etats américains, mais aucun entre le
Nicaragua et la Colombie»105. Ces désaccords existent cependant bel et bien aujourd’hui ; ils sont
indéniables, ont été objectivement établis, ne sont pas réglés, et la restriction que l’article VI
impose à la mise en œuvre des procédures du pacte ne s’applique pas à eux.
2.20. En examinant l’exception de la Colombie, il convient donc de distinguer entre les
différents points que cet Etat, qui n’est mû à cet égard que par son propre intérêt, tente de présenter
comme une seule et même question.
60 2.21. Le premier de ces points est la validité et l’effet utile du traité de 1928 et du protocole
d’échange des ratifications de 1930106. Quel que soit le sens objectif que l’on souhaite prêter aux
mots «questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties (asuntos ya resueltos por
arreglos de las partes)», figurant à l’article VI du pacte107, la condition selon laquelle un accord ou
un traité doit être en vigueur à la date de conclusion du pacte est explicite. Sont donc exclus du
champ d’application de cet article les différends qui concernent spécifiquement la validité de
l’«entente entre les parties» et, partant, l’effet juridique du traité de 1928 et du protocole d’échange
des ratifications de 1930.
2.22. De surcroît, le différend relatif à la nullité du traité s’est fait jour après l’entrée en
vigueur du pacte, et ce bien que certains événements qui l’ont suscité soient antérieurs à cette date.
La validité du traité a été contestée par le ministre nicaraguayen des affaires étrangères,

99 EPC, vol I, par. 2.10, 2.13 et 2.20 ; voir également introduction, par. 34.
100 Ibid., Introduction, par. 8, 18 et 4.10-4.21.
101 MN, vol. I, chap. II, sect. II, par. 2.102 et suiv.
102 Ibid., sect. IV, par. 2.254 et suiv.
103 Ibid., sect. III, par. 2.140 et suiv.
104 Ibid., par. 2.189 et suiv.
105 EPC, vol. I, par. 2.4.
106 Voir MN, vol. I, chap. II, sect. I (par. 2.4-2.101) et sect. II (par. 2.102-2.138).
107 Voir plus bas, par. 2.5.
- 34 -
M. Lorenzo Guerrero, dans ses notes nos 053 et 054 du 7 octobre 1972108, et le différend n’est
devenu manifeste que le 5 février 1980, lorsque la Colombie a répondu à la déclaration de nullité
du traité formulée la veille par le Nicaragua109.
2.23. En tout état de cause, le Nicaragua ne pense pas que la Cour puisse parvenir à une
conclusion sur ce point sans aborder le fond de l’affaire. Ce seul fait rendrait impossible à ce stade
de tirer les conséquences prévues à l’article XXXIV du pacte dans le cas où se vérifieraient les
postulats qui sous-tendent l’article VI.
61
2.24. Selon la Colombie, le traité de 1928 est non seulement valide et en vigueur, mais son
objet et ses dispositions doivent être résolument interprétés (et ce, apparemment, sans discussion
possible) dans le sens défini par elle et imposé au Nicaragua. Si la Cour se déclarait incompétente
pour connaître de la validité du traité de 1928 et de ses instruments complémentaires, sa décision
ne saurait s’étendre aux autres points de controverse — lesquels ne sont pas des «questions déjà
réglées» — ni, à fortiori, aux questions qui n’avaient pas même été soulevées à l’époque où ledit
traité et ses instruments complémentaires ont été conclus.
2.25. La thèse de la Colombie est dénuée de tout fondement, et la Cour ne devrait pas faire
droit à une exégèse de l’article VI du pacte qui considère comme réglés des différends relatifs à la
portée et à l’interprétation d’un traité qui se sont fait jour, comme en l’espèce, après la conclusion
du pacte, sous prétexte que ces différends formaient l’objet de l’accord entre les parties. Si les
négociateurs du pacte avaient voulu exclure de son champ d’application ces différends «nouveaux»
susceptibles de naître dans l’avenir et liés à des questions déjà réglées, ils en auraient expressément
manifesté l’intention, ce qui n’a clairement pas été le cas.
2.26. On trouve de ce fait une confirmation indirecte dans la déclaration formulée par la
délégation de la République argentine pour justifier ses réserves au pacte en ce qui concerne les
procédures judiciaires et l’arbitrage :
«[L]a délégation ne peut accepter la façon dont se trouvent réglementées leurs
procédures de mise en application, car, à son avis, elles devraient seulement être
établies pour les différends susceptibles de se produire dans l’avenir, ne puisant leur
source dans aucun fait, cause ou situation antérieurs à la signature de cet instrument
et n’ayant aucun rapport avec ces derniers.»110
62
2.27. Contrairement à ce que l’Argentine aurait souhaité, l’article VI ne s’étend donc pas
seulement à ces différends.

108 «Sans se pencher pour le moment sur la validité du traité Bárcenas Meneses-Esguerra, sur son contexte
historique et juridique ni sur les circonstances qui ont entouré sa conclusion, le Nicaragua réaffirme que les bancs situés
dans cette zone font partie de son plateau continental…» (Les italiques sont de nous.) Voir la note dans MN, vol. II,
annexes 34 et 35. Voir également Alejandro Montiel Argüello, op. cit., p. 15, OEN, vol. II, annexe 2.
109 Voir la note colombienne du 5 février 1980 dans EPC, vol. II, annexe 19 et la déclaration du Nicaragua du
4 février 1980 dans MN, vol. II, annexe 73.
110 Pacte de Bogotá. En espagnol, le texte se lit comme suit : «la delegación no puede aceptar la forma en que se
han reglamentado los procedimientos para su aplicación, ya que a su juicio debieron establecerse sólo para las
controversias que se originen en el futuro y que no tengan su origen ni relación alguna con causas, situaciones o hechos
preexistentes a la firma de este instrumento». Voir la réserve de l’Argentine au pacte de Bogotá ; les italiques sont de
nous.
- 35 -
2.28. A l’évidence, l’article VI du pacte n’a pas pu avoir pour objet de soustraire au champ
d’application de l’article XXXI tous les différends relatifs à la validité d’un traité en vigueur. Ce
dernier article reprend à la lettre le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour, lequel inclut,
au nombre des différends juridiques qui relèvent de sa compétence, «la réalité de tout fait qui, s’il
était établi, constituerait la violation d’un engagement international». Outre ce type de différends,
il convient de rappeler que cet article prévoit également la compétence de la Cour à l’égard de tout
différend d’ordre juridique ayant pour objet «l’interprétation d’un traité» ou «tout point de droit
international».
2.29. Cela étant posé, il convient de relever que l’extinction du traité Bárcenas-Esguerra en
raison d’une violation substantielle de ses dispositions par la Colombie résulte d’un fait qui s’est
produit bien après la conclusion du traité et du pacte de Bogotá, à savoir la thèse formulée par la
Colombie en 1969 selon laquelle le 82e
méridien de longitude ouest, considéré d’un commun
accord en 1930 comme étant la limite occidentale de l’archipel de San Andrés, constituerait la
frontière maritime entre elle et le Nicaragua. Selon le Nicaragua, cette modification radicale de
l’interprétation commune et authentique du traité constitue une violation substantielle de cet
instrument, qui remplit les conditions prescrites par les principes généraux du droit international et
l’article 60 de la convention de Vienne sur le droit des traités, lesquels autorisent le Nicaragua à
mette fin au traité111.
63
2.30. Les autres points soulevés dans la requête du Nicaragua, à savoir la détermination des
formations composant l’archipel de San Andrés dans le cadre du traité de 1928 et l’interprétation
de la référence faite au 82e
méridien de longitude ouest dans le protocole d’échange des
ratifications de 1930, se rangent également dans la catégorie des questions de droit international
liées à l’interprétation des traités.
2.31. Il s’agit là de différends tout à fait actuels soulevant de toute évidence des questions de
droit international relatives à l’interprétation des traités, qui se sont fait jour après la conclusion du
pacte de 1948. La thèse selon laquelle la Cour, en vertu de l’article VI du pacte, serait
incompétente pour connaître de l’affaire est dépourvue de fondement.
2.32. Il convient de rappeler que, par le passé, la Colombie n’a pas rejeté à priori la tenue de
négociations avec le Nicaragua au motif que le traité de 1928 aurait réglé tous les différends. Les
paragraphes 1.67 à 1.79 de la section III du chapitre I des présentes observations écrites rappellent
en détail les déclarations des chefs d’Etat et des ministres des affaires étrangères colombiens dont il
ressort que la Colombie ne considérait pas comme définitivement tranchée la question de savoir si
le 82e
méridien de longitude ouest constituait une ligne de délimitation. De surcroît, la Colombie a
formulé à au moins deux reprises des offres de négociation sérieuses dans lesquelles était
ouvertement incluse la question de la délimitation maritime. Les présidents colombiens López et
Samper ont ainsi, respectivement en 1977 et 1995, annoncé publiquement l’ouverture de
négociations avec le Nicaragua sur la délimitation dans la mer des Caraïbes. L’échec de ces
négociations est dû à l’existence d’oppositions internes, au Nicaragua en 1977112, et en Colombie
en 1995113.
64

111 MN, vol. I, chap. II, sect. IV, par. 2.254-2.263.
112 OEN, vol. II, annexe 20.
113 Ibid., annexe 21.
- 36 -
2.33. L’absence de définition d’une limite maritime et l’existence d’un différend entre le
Nicaragua et la Colombie ont été constatés par les pays voisins. La Colombie ose évoquer le traité
signé avec le Costa Rica le 17 mars 1977 comme étant l’un des succès de sa politique de
délimitation maritime dans les Caraïbes, soutenant qu’«il a été appliqué bona fide par les parties
dès la date de sa signature»114. Ce faisant, elle feint d’ignorer qu’en 1996, soit dix-neuf ans après
la signature du traité, le ministre costa-ricien des affaires étrangères, M. Fernando Naranjo, a
déclaré publiquement que son pays ne le ratifierait pas tant que la Colombie n’aurait pas réglé ses
différends avec le Nicaragua115. La Colombie se garde par ailleurs d’indiquer que, pour permettre
la ratification, par le Costa Rica, du traité de délimitation maritime concernant le Pacifique
du 6 avril 1984, l’article III devait en être modifié. En effet, cet article disposait que les
deux traités de délimitation ⎯ celui de 1977 concernant l’Atlantique et celui de 1984 concernant
le Pacifique ⎯ devaient être ratifiés simultanément (voir échange de notes du 29 mai 2000)116.
65 2.34. Le différend relatif à «l’archipel de San Andrés»117, portant sur la question de savoir si
les cayes de Roncador, Serrana, Quitasueño, Serranilla, Bajo Nuevo, Cayos de Albuquerque, Este
ou Sudeste en font partie, ne s’est fait jour qu’à la fin des années soixante, lorsque la Colombie a
entamé des négociations avec les Etats-Unis d’Amérique dans le but de s’approprier ces
territoires118. Ces négociations sont devenues pressantes en raison de la formulation inopinée par
la Colombie de la thèse selon laquelle le 82e
méridien de longitude ouest constituait une frontière
maritime avec le Nicaragua, thèse qui marquait une rupture avec la conception pacifique qui avait
prévalu pendant quarante ans et qui consistait à considérer ce méridien comme une ligne visant à
attribuer des titres sur des îles.
2.35. Dans le traité de 1928, dont il conteste la validité, le Nicaragua a reconnu la
souveraineté de la Colombie sur l’archipel de San Andrés à l’est du 82e
méridien de longitude ouest
ou, autrement dit, le fait qu’aucune île appartenant à l’archipel n’était située à l’ouest du méridien.
Cela ne revenait cependant pas à reconnaître que toutes les îles des Caraïbes se trouvant à l’est
du 82e
méridien faisaient partie de l’archipel et étaient présumées appartenir à la Colombie119. Il
convient de lire attentivement le premier paragraphe de l’article premier du traité : «La République
du Nicaragua reconnaît la souveraineté pleine et entière de la République de Colombie sur les îles
San Andrés, Providencia, Santa Catalina, et sur les autres îles, îlots et récifs qui font partie de
l’archipel de San Andrés.» (Les italiques sont de nous.)
66 2.36. Ainsi qu’il est démontré dans le mémoire du Nicaragua120, la présentation
géographique et historique de l’archipel de San Andrés fournie par la Colombie ne fait pas autorité
aujourd’hui121, pas plus qu’elle n’était pertinente hier.

114 EPC, vol. I, par. 1.6. Le texte du traité figure dans EPC, vol. II, annexe I c).
115 OEN, vol. II, annexe 5. El Espectador, 15 mars 1996, p. 9-A. Par la suite, dans le document final de la
commission bipartite Nicaragua-Costa Rica (mai 1997), le ministre Naranjo a réaffirmé «l’engagement résolu de son
gouvernement de ne prendre aucune mesure relative à sa revendication frontalière dans le nord des Caraïbes avant que les
Gouvernements du Nicaragua et de la Colombie soient parvenus à un accord permettant à ces deux nations pacifiques de
surmonter leurs différends», voir OEN, vol. II, annexe 26.
116 OEN, vol. II, annexe 27.
117 Voir plus haut, par. 1.26-1.45.
118 MN, vol. I, chap. II, sect. III A, par. 2.140-2.188 ; et vol. II, annexes 31, 34 et 35.
119 Ibid., vol. I, par. 2.249 et suiv.
120 Ibid., par. 2.141 et suiv., par. 2.179 et suiv.
121 EPC, vol. I, par. 1.8 et 2.26.
- 37 -
2.37. Il est révélateur que lorsque la Colombie s’est opposée, dans sa note diplomatique
du 4 juin 1969, aux concessions pétrolières accordées par le Nicaragua à l’est du 82e
méridien de
longitude ouest, elle a établi une distinction expresse entre la concession du «groupe de
Quitasueño» et les autres concessions, n’invoquant qu’à l’égard de ces dernières l’argument selon
lequel le 82e
méridien de longitude ouest constituait une frontière maritime122.
2.38. La délimitation des espaces maritimes entre le Nicaragua et la Colombie est l’objet
d’un différend entre les Parties qui n’a été résolu par aucun traité123, et elle relève clairement de la
compétence de la Cour, conformément à l’article XXXI du pacte de Bogotá. La Colombie a
affirmé pour la première fois que le 82e
méridien de longitude ouest constituait une frontière
maritime dans sa note no
092 du 4 juin 1969, lorsqu’elle a tenté de réserver ses droits supposés
après que le Nicaragua eut exercé sa souveraineté sur le plateau continental situé à l’est du
méridien124. Le Nicaragua a aussitôt répondu point par point à ce document dans sa note no
0021
du 12 juin de la même année125.
2.39. Dans ses exceptions préliminaires du 21 juillet 2003, la Colombie a été incapable de
fournir le moindre élément de preuve d’une revendication antérieure, ni même de son affirmation
péremptoire selon laquelle, depuis les accords conclus entre 1928 et 1930, elle aurait toujours agi
en considérant que telle était bien la frontière maritime convenue126.
67
2.40. L’insistance lassante avec laquelle la Colombie persiste à prétendre que c’est le
gouvernement sandiniste, arrivé au pouvoir en 1979, qui s’est opposé au «règlement maritime»
prétendument accepté d’un commun accord en 1930127 est démentie par le fait que c’est le
Nicaragua, et non la Colombie, qui a exercé sa souveraineté sur le plateau continental situé à l’est
du 82e
méridien dans les années 1960, ce qui a éveillé la cupidité colombienne.
2.41. Si la Cour estime, comme elle devrait effectivement le faire, que le protocole
d’échange des ratifications de 1930 n’a rien à voir avec l’établissement d’une ligne de délimitation
maritime, alors l’article VI du pacte se trouve dépourvu de pertinence. A l’évidence, il ne s’agit
pas là d’une question résolue par un traité en vigueur.
2.42. Il convient notamment de relever que le discours de la Colombie sur le fait que
le 82e
méridien de longitude ouest constituerait une ligne de délimitation maritime est aussi
grandiloquent que vide de sens, et qu’il repose sur une rhétorique à la fois vaine et répétitive
réfutée par avance par le mémoire du Nicaragua, dans lequel les règles régissant l’interprétation des
traités telles qu’étayées par la jurisprudence de la Cour ont été correctement appliquées128. Au bout
du compte, les allégations de la Colombie se réduisent à une allusion faite par un sénateur du

122 Cette note figure dans MN, vol. II, annexe 28 ; des passages en sont cités dans EPC, vol. II, annexe 18.
123 MN, vol. I, chap. II, sect. III B, par. 2.189-2.253.
124 Ibid., par. 2.203 et suiv. Voir la note no
092 de la Colombie du 4 juin 1969, MN, vol. II, annexe 28 ; des
passages de cette note figurent dans EPC vol. II, annexe 18, la Colombie ayant insisté sur ce point dans une note
du 22 septembre 1969 (voir MN, vol. II, annexe 30).
125 MN, vol. I, par. 2.212 et suiv. Le texte de la note figure dans MN, vol. II, annexe 29.
126 EPC, vol. I, Introduction, par. 15, 17, 40, 46 ; et par. 1.29-1.30, 1.34, 1.89, 1.91, 2.56, 4.7-4.8.
127 Ibid., par. 1.93 et suiv.
128 MN, vol. I, par. 2.225 et suiv.
- 38 -
Nicaragua à la «ligne de partage des zones maritimes en litige (la línea divisoria de aguas en
disputa)» lors du débat parlementaire sur la ratification du traité de 1928129, et au fait que le
82e
méridien a commencé à être tracé sur des cartes colombiennes à partir de 1931130.
68
2.43. Une simple phrase prononcée par un sénateur au beau milieu d’un débat parlementaire
n’a pas suffisamment de poids pour transformer l’interprétation grammaticale, logique et
méthodique du protocole d’échange des ratifications, ni même pour modifier le sens des travaux
préparatoires sur lesquels la Colombie entend s’appuyer131. Il est totalement faux de prétendre que
l’on peut déduire de ces travaux ⎯ qui constituent, en tout état de cause, un moyen d’interprétation
complémentaire132 ⎯ que le Nicaragua, en proposant une disposition relative au 82e
méridien de
longitude ouest, avait l’intention «de définir une limite maritime séparant les juridictions des
deux pays»133. La déclaration faite par le ministre des affaires étrangères au cours de la procédure
d’approbation du traité de 1928 par le Sénat colombien, que cite la Colombie, exprime on ne peut
plus clairement à quel point l’idée de tracer une frontière maritime avec le Nicaragua était
étrangère aux autorités colombiennes. «Cette entente», a dit le ministre, «consolide[]
définitivement la situation de la République dans l’archipel de San Andrés et Providencia, car elle
écarte toute prétention contraire et reconnaît à notre pays, à titre perpétuel, la souveraineté et la
pleine propriété de cette partie importante de la République»134.
2.44. Pour parvenir à une interprétation authentique du traité, il convient d’analyser
l’ensemble des archives parlementaires et des déclarations publiques de l’exécutif du Nicaragua qui
concernent l’inclusion d’une référence au 82e
méridien de longitude ouest, la négociation menée
avec le ministre colombien à Managua — que la Colombie cite elle-même dans ses exceptions
préliminaires135 et reprend en partie dans les annexes136 —, ainsi que les textes du décret relatif à
l’approbation du traité par le Congrès nicaraguayen137 et du protocole d’échange des ratifications
de 1930138. Tous ces documents confirment que le traité avait pour but d’établir «la frontière
géographique entre les archipels en litige» («el límite geográfico entre los archipiélagos en
disputa»)139, et non de délimiter des zones maritimes. Aucun d’entre eux ne prévoyait une
délimitation de la haute mer, ce qui aurait en tout état de cause nécessité une modification préalable
69

129 EPC, vol. I, par. 1.61, 2.37, 2.48, 2.56, 2.63.
130 Ibid., Introduction, par. 46, 1.92, 1.115, 2.47, 2.56, 4.8.
131 Voir, par exemple, ibid., par. 2.56.
132 Article 32 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. La convention a été ratifiée par
la Colombie le 10 avril 1985. Le Nicaragua n’y est pas partie. Il reconnaît toutefois que, s’agissant de l’interprétation
des traités (art. 31 et 32), la convention a codifié des règles existantes de droit international coutumier (voir MN, vol. I,
par. 2.3).
133 EPC, vol. I, par. 2.49-2.50, 2.53, 2.57.
134 Ibid., par. 1.47 ; les italiques sont dans l’original.
135 EPC, vol. I, par. 1.52 et suiv.
136 Ibid., vol. II, annexes 7 à 9, dans lesquelles sont reproduits des passages des comptes rendus des
séances XLVIII (annexe 7) et XLIX (annexe 8) de la Chambre du Sénat (4 et 5 mars 1930), et de la séance LVIII
(annexe 9) de la Chambre des députés (1er avril 1930) du Congrès du Nicaragua. Les textes en espagnol figurent dans la
Gaceta, Diario Oficial, 1er mai 1930, no
94, p. 746 et suiv, 7 mai 1930, no
98, p. 777 et suiv, et 20 août 1930, no
182,
p. 1457 et suiv. Des passages des comptes rendus des séances de la Chambre du Sénat figurent également dans MN,
vol. II, annexe 80. Le Nicaragua reproduit les comptes rendus des séances susmentionnées des chambres dans ses
observations écrites, vol. II, annexes 24 a), 24 b) et 25.
137 EPC, vol. I, par. 1.67 ; vol. II, annexe 10.
138 Ibid., par. 1.69. Voir l’instrument de ratification et le protocole d’échange des ratifications du traité
Bárcenas-Esguerra dans MN, vol. II, annexe 19.
139 EPC, vol. I, par. 1.67 ; vol. II, annexe 10.
- 39 -
de l’objet du traité140. La Colombie ne parvenant pas à trouver de documents pour étayer ses
allégations, elle n’hésite pas à recourir à des arguments qui déforment le sens141 de certaines
expressions ou déclarations.
70 2.45. Si le 82e
méridien de longitude ouest a été évoqué dans les débats du Sénat
nicaraguayen, c’est que l’on a pensé que la Colombie pourrait un jour prétendre que toutes les îles
qui n’avaient pas été reconnues eo nomine comme appartenant au Nicaragua (les îles du Maïs)
faisaient partie de l’archipel de San Andrés. A l’époque, selon les termes du sénateur
Demetrio Cuadra, «il [était] urgent pour nous de préciser nos droits sur le territoire des Mosquitos
et sur les îles dont la propriété a[vait] été accordée au Nicaragua par le traité Bryan-Chamorro pour
la construction du canal»142. Cette préoccupation était justifiée, dans la mesure où les îles du Maïs
avaient été revendiquées par la Colombie comme faisant partie de l’archipel avant le traité
Bárcenas-Esguerra. Aujourd’hui encore, lorsque la Colombie évoque l’archipel de San Andrés
dans ses exceptions préliminaires, elle le fait tantôt en englobant les îles du Maïs, tantôt en ne les
englobant pas, selon le point de vue qu’elle souhaite mettre en avant143.
2.46. L’affirmation de la Colombie selon laquelle c’est la commission d’étude du Sénat
nicaraguayen qui aurait émis l’idée que, pour mettre un terme au différend avec la Colombie, il
convenait de définir les frontières tant terrestres que maritimes144 entre les deux pays, est en réalité
dépourvue de tout fondement. Les termes sur lesquels les membres de la commission se sont
entendus, qui sont repris par la Colombie dans ses exceptions préliminaires145 (et reproduits
partiellement dans une annexe)146 sont très explicites. La commission fait observer que «le traité
met un terme à la question pendante entre les deux républiques au sujet de l’archipel de San Andrés
et Providencia et de la Mosquitia nicaraguayenne», et en recommande la ratification «[étant]
entendu que l’archipel de San Andrés mentionné à l’article premier du traité ne s’étend pas à
l’ouest du 82e
méridien de longitude Greenwich…» Les explications fournies au Sénat par le
ministre des affaires étrangères, Manuel Cordero Reyes, sont claires : «l’explication n’amende pas
le traité car elle vise simplement à indiquer une limite entre les archipels qui ont suscité le
différend…»147
71
2.47. Si, conformément à la thèse de la Colombie, «la désignation du 82e
méridien de
longitude ouest comme limite maritime constituait un élément fondamental de l’accord»148, il est
inexplicable que le Congrès colombien n’en ait pas entendu parler. Ainsi que le démontre la
pratique constitutionnelle et parlementaire colombienne, l’intervention du Congrès était requise par
la loi chaque fois qu’un traité déjà approuvé faisait l’objet de modifications par l’autre partie.

140 MN, vol. I, par. 2.191 et suiv.
141 Voir, par exemple, EPC, vol. I, Introduction, par. 38 et 40.
142 EPC, vol. I, par. 164 et vol. II, annexe 8.
143 Ibid., Introduction, par. 8 ; et par. 1.1, 1.17, 1.19, 1.23-1.24, 1.26, 1.29-1.32, 1.34-1.35, 1.38, 1.71, 2.26.
144 Ibid., par. 2.44 et 1.114.
145 Ibid., par. 1.59.
146 Ibid., vol. II, annexe 7.
147 MN, vol. II, annexe 80, et OEN, vol. II, annexe 24 b) (comptes rendus des séances de la Chambre du Sénat du
Nicaragua, 4 et 5 mars 1930). Le texte espagnol se lit comme suit : «la aclaración no reforma el tratado; pues sólo
tenía por objeto señalar un límite entre los archipiélagos que habían sido motivo de la disputa…» La Colombie le
traduit comme suit : «la clarification n’a pas constitué une revision du traité, dès lors que son seul objectif était d’établir
une frontière entre les archipels qui étaient à l’origine du différend…» (EPC, vol. II, annexe 8).
148 Ibid., par. 2.47.
- 40 -
2.48. Tel fut le cas, par exemple, du traité signé le 6 avril 1914 par la Colombie et les
Etats-Unis d’Amérique «aux fins de résoudre leurs différends nés des événements qui s[’étaient]
produits dans l’isthme du Panama en novembre 1903» [traduction du Greffe]. Ce traité, approuvé
en Colombie par la loi no
14 du 9 juin 1914, fut renvoyé devant le Congrès colombien à la suite
d’une résolution du 20 avril 1921 dans laquelle le Sénat des Etats-Unis d’Amérique l’approuvait et
en recommandait la ratification, tout en l’assortissant d’un certain nombre de modifications. Le
Congrès colombien approuva le traité ainsi modifié dans la loi no
56 du 22 décembre 1921, et le
protocole d’échange des ratifications comprenait une déclaration de conformité avec la demande
des Etats-Unis d’Amérique d’exclure le libre droit de passage des soldats, du matériel et des
navires de guerre colombiens par le canal de Panama en cas de guerre avec un autre pays. Cette
disposition avait été acceptée par le Sénat colombien, étant entendu que (en la inteligencia)149 la
Colombie elle-même ne serait pas, dans des circonstances similaires150, mise dans une situation
défavorable par rapport à une autre nation.
72
2.49. Dès lors qu’il n’y avait pas, entre 1928 et 1930, d’«espaces maritimes en litige», rien
ne permettait de conclure, contrairement à ce que la Colombie prétend aujourd’hui, qu’une
délimitation maritime était nécessaire pour que soit atteint le but du traité, lequel était de régler
l’ensemble des différends territoriaux alors pendants entre les parties151.
2.50. L’exposé des motifs (exposición de motivos) du projet de loi présenté au Sénat
colombien en septembre 1928 précise qu’est soumis à son examen «un traité concernant des
questions territoriales» («tratado sobre cuestiones territoriales») entre la Colombie et le Nicaragua,
en vue de «mettre un terme au différend territorial pendant entre [eux]» («poner término al litigio
territorial entre ellas pendiente»)152, expression tirée du préambule du traité153 lui-même et reprise
dans la loi no
93 du 17 novembre 1928 adoptée par le Congrès colombien154.
73
2.51. L’objet du différend et la solution qui y fut apportée sont énoncés dans l’article premier
du traité, dont la formulation fut ensuite reprise, en la paraphrasant, dans des documents officiels
successifs, au fil des procédures parlementaires qui aboutirent à la ratification du traité par la
Colombie. Ainsi qu’il est indiqué dans l’exposé des motifs de la loi susmentionnée, cette entente,
«consolide définitivement la situation de la République dans l’archipel de San Andrés et
Providencia… En échange, la souveraineté nicaraguayenne sur les îles Mosquitia … et Mangles
(îles du Maïs) … est reconnue.»155

149 Soit dit en passant, cette «précision» formulée par le Sénat colombien au moment de la ratification n’a pas été
considérée comme ayant modifié l’objet du traité, et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique n’a pas jugé nécessaire
de prendre d’autres mesures. De la même manière, la «précision» formulée par le Sénat nicaraguayen au moment de la
ratification du traité de 1928 n’en a pas modifié l’objet, et le Gouvernement colombien n’a pas pris d’autres mesures.
150 Voir G. Cavalier, Tratados de Colombia, vol. II, 1911-1936, Kelly, Bogotá, 1984, p. 85 et suiv.
151 EPC, vol. I, par. 2.41.
152 República de Colombia, Historias de las Leyes, vol. XI, 1928, législature. Publication commandée par la
Chambre des représentants et éditée par son secrétaire, Fernando Restrepo Briceño, Bogotá, Imprenta Nacional, 1930,
p. 523 ; OEN, vol. II, annexe 1.
153 EPC, vol. II, annexe 1.a.
154 República de Colombia, Historias de las Leyes, vol. XI, législature de 1928, p. 534 ; voir OEN, vol. II,
annexe 1.
155 Ibid., p. 523 ; voir OEN, vol. II, annexe 1.
- 41 -
2.52. Le rapport de la commission des relations extérieures du Sénat du 18 octobre 1928 est
libellé en des termes très similaires : «Ce pacte consolide définitivement notre souveraineté sur
l’archipel» et «met un terme à un long et fâcheux différend»156. De même, le rapport établi par la
commission équivalente de la Chambre des représentants déclare que,
«par ce traité, le Gouvernement de la République a souhaité parvenir à un accord
amiable sur le différend opposant de longue date les Hautes Parties contractantes au
sujet de la souveraineté sur la côte des Mosquitos et les îles Mangles (îles du Maïs), et
des prétentions nicaraguayennes sur l’archipel de San Andrés et Providencia»157. 74
2.53. Bien que la Colombie ose parler d’«espaces maritimes … dépendant» des îles, cayes et
bancs de l’archipel et des cayes s’étendant entre Albuquerque et Serranilla et Bajo Nuevo158, ni les
lois colombiennes ⎯ ni d’ailleurs le droit international ⎯ ne reconnaissaient à l’époque la notion
d’archipel comme concept juridique pertinent pour les zones de souveraineté et de juridiction
maritime. Il en va de même pour les zones maritimes qui ne sont apparues qu’au cours du dernier
demi-siècle.
2.54. Sur ce même point, la Colombie se trahit lorsqu’elle admet, dans ses exceptions
préliminaires, qu’«[i]l ne fait aucun doute qu’en 1930, le 82e
méridien de longitude ouest ne
pouvait pas être considéré comme une frontière maritime au sens moderne du terme»159. Elle n’en
prétend pas moins aujourd’hui qu’aurait été fixée en 1930 une frontière maritime en haute mer
restée «applicable, quels que soient les changements qu’a connus le droit de la mer depuis cette
date»160. Ainsi les Parties se seraient-elles, sans le savoir, comportées comme des spéculateurs
investissant sur le marché à terme. La Colombie ne se contente pas de transformer le traité
Bárcenas-Esguerra en traité de délimitation maritime, elle prétend en outre l’interpréter au regard
du droit international de la mer contemporain. Il est clair que, à tout le moins, il existe un différend
entre les Parties au sujet de l’interprétation du traité Bárcenas-Esguerra et des instruments qui l’ont
suivi.
75 2.55. Que les cartes colombiennes représentent, à partir de 1931, le 82e
méridien de
longitude ouest ne prouve pas en soi que celui-ci était censé marquer la frontière maritime, et
aucune légende ni indication n’apparaît sur les cartes qui donnerait à le penser. Si le 82e
méridien
servait à délimiter l’archipel à des fins d’attribution de la souveraineté sur les îles et cayes, il était
logique qu’il fût représenté sur ces cartes. Les cartes ne montrant rien d’autre, il est parfaitement
compréhensible que le Nicaragua n’ait pas protesté contre un état de fait conforme aux dispositions
du traité.
2.56. Il convient de souligner que, ainsi qu’il ressort des données et annexes qu’elle prodigue
en abondance161, la politique conventionnelle de délimitation maritime de la Colombie a pris corps
dans les années soixante-dix, dans le contexte d’une évolution du droit de la mer marquée par
l’élargissement de la souveraineté et de la juridiction des Etats côtiers. D’après la thèse subitement
épousée par la Colombie162, le traité de 1928 conclu avec le Nicaragua aurait été un instrument

156 Ibid., p. 530. Voir OEN, vol. II, annexe 1.
157 República de Colombia, Historias de las Leyes, vol. XI, législature de 1928, p. 531. Voir OEN, vol. II,
annexe 1.
158 EPC, vol. I, par. 2.26 et 1.89.
159 Ibid., par. 2.53.
160 Ibid., par. 2.55.
161 EPC, vol. I, par. 1.5 ; vol. II, annexe 1.
162 Ibid., par. 2.60-2.61.
- 42 -
précurseur et isolé qui, pendant quarante ans, en silence et à l’état latent, aurait délimité les espaces
maritimes. Le traité Bárcenas-Esguerra a toutefois été présenté comme un «traité de règlement de
certaines questions territoriales (tratado sobre cuestiones territoriales) en litige entre la Colombie
et le Nicaragua»163. Or, même les «traités de délimitation (tratados de límites)» proprement dits
datant de la même époque que le traité Bárcenas-Esguerra, comme le traité du 20 août 1924 entre la
Colombie et le Panama164, ont dû être complétés un demi-siècle plus tard par une délimitation des
espaces maritimes.
2.57. La Colombie ne peut espérer, en s’abritant derrière le traité de 1928, occulter le
différend opposant les Parties. Si le Nicaragua en est venu à saisir la Cour, c’est précisément en
raison de l’échec des divers efforts qu’il a déployés en vue de parvenir à un accord au moyen de
négociations bilatérales. La demande de la Colombie tendant à ce que la Cour déclare le différend
terminé revient à l’inviter à faire l’impasse sur des désaccords existants qui mettent en péril la
paix ⎯ effet pervers, si l’on songe que l’objectif, mentionné à plusieurs reprises dans le pacte, est
l’existence d’une «procédure obligatoire, aboutissant à une solution définitive, de telle sorte
qu’aucun différend ne puisse rester sans règlement passé une période raisonnable». Cet objectif,
unanimement approuvé par les participants à la conférence165, est en tous points conforme aux
dispositions de la charte de l’Organisation des Etats américains, qui disposait en son article 26
(actuel article 27) : «Un traité spécial (le pacte) établira les moyens propres à régler les différends
et fixera les procédures qui conviennent à chacun des moyens pacifiques, de façon qu’aucun
différend entre les Etats américains ne reste sans règlement définitif au-delà d’une période
raisonnable.»166
76
77 2.58. Dans un rapport sur l’issue de la conférence présenté au conseil de l’Organisation des
Etats américains le 3 novembre 1948, le secrétaire général de cette organisation a rappelé qu’un
système de règlement pacifique des différends qui n’envisagerait pas une dernière étape obligatoire
irait dorénavant au rebours de la volonté des Etats américains, telle qu’exprimée dans la charte167.
Dans son arrêt du 20 décembre 1988 (affaire relative à des Actions armées frontalières et
transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité), la Cour a observé qu’«il
ressort[ait] nettement du pacte que les Etats américains, en élaborant cet instrument, [avaie]nt
entendu renforcer leurs engagements mutuels en matière de règlement judiciaire»168.

163 Voir G. Cavalier, op. cit., p. 102 et suiv.
164 Traité relatif à la délimitation des zones maritimes et sous-marines et à des sujets connexes entre la
République de Colombie et la République de Panama, 20 novembre 1976 (EPC, vol. II, annexe 1b).
165 Voir Informe de la Subcomisión encargada del estudio de una fórmula fundamental sobre el Sistema
Interamericano de Paz (CB-381/C.III-Sub A-7), neuvième conférence internationale des Etats américains, Actes et
Documents/Novena Conferencia Americana, Actas y Documentos, vol. IV, Comisión Tercera, Cuarta Sesión, p. 79-80,
187. Voir OEN, vol. II, annexe 18.
166 Le texte en espagnol se lit comme suit :
«Un Tratado especial (el Pacto) establecerá los medios adecuados para resolver las
controversias y determinará los procedimientos pertinentes a cada uno de los medios pacíficos, en forma
de no dejar que ninguna controversia que surja entre los Estados Americanos pueda quedar sin solución
definitiva dentro de un plazo razonable.»
167 Neuvième conférence internationale des Etats américains, Annales de l’Organisation des Etats américains,
Washington D.C., publication trimestrielle du département de l’information, 1949-1958, vol. I, no
1, 1949, p. 49. Voir
OEN, vol. II, annexe 19.
168 C.I.J. Recueil 1988, p. 89, par. 46.
- 43 -
2.59. Il est intéressant de rappeler que le pacte fut appelé «pacte de Bogotá»169 par suite
d’une motion présentée par le Nicaragua à l’issue de la neuvième conférence internationale des
Etats américains en vue d’honorer le rôle joué par le pays hôte170. A cette occasion, la Colombie
s’était de fait distinguée par la vigueur particulière avec laquelle elle avait défendu la procédure
judiciaire obligatoire en tant que moyen de règlement définitif des différends171.
2.60. Affirmer le principe du règlement définitif des différends pour le saper immédiatement
après en avançant une interprétation erronée de l’article VI va à l’encontre de l’objet et du but du
pacte. Le pacte, qui tend au règlement définitif et pacifique des différends, ne doit donc pas être
interprété de telle manière que demeurent sans solution des litiges ne comportant pas un examen de
traités ou de décisions antérieures. En outre, il convient de rappeler les propos du délégué péruvien
(dont la proposition est à l’origine de l’actuel article VI du pacte de Bogotá) au sujet de la référence
faite dans cet article aux «accords ou traités en vigueur». Le délégué péruvien relevait que la
plupart des traités prévoyaient leurs propres mécanismes de règlement des différends relatifs à leur
application ou interprétation, mécanismes que le pacte ne remettrait pas en question. A l’évidence,
le traité de 1928 ne rentre pas dans cette catégorie.
78
2.61. Ainsi que l’a opportunément noté le Secrétaire général, dont le rapport présenté au
conseil de l’Organisation des Etats américains sur l’issue de la conférence de Bogotá est cité
ci-dessus :
«Dans l’histoire du droit international, le règlement pacifique obligatoire des
différends et des conflits a été rattaché au concept de souveraineté le plus aigu, pour
une raison élémentaire : parce que ne pas régler un différend par une méthode
pacifique laisse toujours la possibilité du recours à la force. Les nations faibles ou
désarmées ont toujours été les championnes de l’arbitrage et du règlement judiciaire.
Les fortes ont hésité devant un procédure qui implique, à l’origine, qu’elles
déposeront, devant les juges ou les arbitres, toutes les attributions de leur puissance
matérielle, pour se mettre au niveau des autres nations dans la présentation des faits et
l’appréciation juridique des circonstances politiques qui avaient provoqué le
différend.»172
79
2.62. Si la Cour doit en tout état de cause rejeter les exceptions formulées par la Colombie en
ce qui a trait à sa compétence, à tout le moins ne saurait-elle en aucun cas les admettre à ce stade
préliminaire de la procédure. L’on trouvera difficilement meilleur exemple d’exception n’ayant
«pas dans les circonstances de l’espèce un caractère exclusivement préliminaire»173. Pour rendre la
décision voulue par la Colombie, la Cour doit d’abord procéder à l’examen du fond de l’affaire,
puisqu’elle ne saurait déclarer le différend terminé qu’en statuant sur celui-ci.

169 Article LX du traité américain de règlement pacifique («Pacte de Bogotá»)
170 Neuvième conférence internationale américaine, Annales de l’Organisation des Etats américains, op. cit.,
p. 204 et suiv. Voir OEN, vol. II, annexe 18.
171 Neuvième conférence internationale américaine, Annales de l’Organisation des Etats américains, op. cit.,
p. 50. Voir OEN, vol. II, annexe 19.
172 Neuvième conférence internationale des Etats américains, op. cit., p. 48. Voir OEN, vol. II, annexe 19.
173 Règlement de la Cour, art. 79, par. 9. Voir l’affaire relative à des Questions d’interprétation et d’application
de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c.
Royaume-Uni), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1998, p. 26-29, par. 46-51 ; et l’affaire de la Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1998,
p. 322-325, par. 112-117.
- 44 -
2.63. Si la Colombie formule son raisonnement relatif au pacte de Bogotá en termes
d’exception préliminaire, son véritable objectif, lorsqu’elle demande à la Cour de retenir cette
exception, est d’obtenir une décision qui lui soit favorable sur le fond des questions ⎯ les points de
désaccord concernant la validité et l’extinction du traité de 1928 ainsi que l’interprétation de ses
dispositions ⎯ dont le Nicaragua l’a saisie. A cet égard, il convient de citer une observation
formulée par la Cour dans son arrêt sur les exceptions préliminaires dans les affaires Lockerbie :
«50. La Cour doit donc rechercher en l’espèce si l’exception que le
Royaume-Uni tire des décisions du Conseil de sécurité comporte ou non «à la fois des
aspects préliminaires et des aspects de fond».
80 Cette exception s’attache à de multiples aspects du litige. En soutenant que les
résolutions 748 (1992) et 883 (1993) du Conseil de sécurité ont privé les demandes de
la Libye de tout objet, le Royaume-Uni tente d’obtenir de la Cour une décision de
non-lieu qui mettrait immédiatement fin à l’instance. Or, en sollicitant une telle
décision, le Royaume-Uni en sollicite, en réalité, au moins deux autres, que le
prononcé d’un non-lieu postulerait nécessairement : d’une part une décision
établissant que les droits revendiqués par la Libye aux termes de la convention de
Montréal sont incompatibles avec les obligations découlant pour elle des résolutions
du Conseil de sécurité ; et d’autre part une décision faisant prévaloir ces obligations
sur ces droits par le jeu des articles 25 et 103 de la Charte.
Il ne fait dès lors pas de doute pour la Cour que les droits de la Libye au fond
seraient non seulement touchés par une décision de non-lieu rendue à ce stade de la
procédure, mais constitueraient, à maints égards, l’objet même de cette décision.
L’exception soulevée par le Royaume-Uni sur ce point a le caractère d’une défense au
fond. De l’avis de la Cour, cette exception fait bien plus qu’«effleurer des sujets
appartenant au fond de l’affaire» (Certains intérêts allemands en Haute-Silésie
polonaise, compétence, arrêt no
6, 1925, C.P.J.I. série A no
6, p. 15) ; elle est
«inextricablement liée» à celui-ci (Barcelona Traction, Light and Power Company,
Limited, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964, p. 46).
81
La Cour relèvera d’ailleurs que le Royaume-Uni a lui-même abordé de
nombreux problèmes de fond dans ses écritures et ses plaidoiries à ce stade, et qu’il a
souligné que ces problèmes avaient fait l’objet de débats exhaustifs devant la Cour ; ce
gouvernement a ainsi implicitement reconnu l’existence entre l’exception soulevée et
le fond du litige d’une «connexité … intime» (Barcelona Traction, Light and Power
Company, Limited, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964, p. 46, et
référence à Pajzs, Csáky, Esterházy, ordonnance du 23 mai 1936, C.P.J.I. série A/B
no 66, p. 9).
Si la Cour devait statuer sur cette exception, elle statuerait donc
immanquablement sur le fond ; or, en invoquant le bénéfice des dispositions de
l’article 79 du Règlement, le défendeur a mis en œuvre une procédure qui vise
précisément à empêcher la Cour de ce faire.
La Cour conclut de ce qui précède que l’exception du Royaume-Uni selon
laquelle les demandes libyennes auraient été privées de tout objet n’a pas un
«caractère exclusivement préliminaire» au sens de cet article.»174

174 C.I.J. Recueil 1998, p. 28-29.
- 45 -
82 2.64. L’intime connexité entre les exceptions colombiennes et le fond de l’affaire est
confirmée par la teneur même des exceptions préliminaires déposées par la Colombie
le 21 juillet 2003. Bien que le Règlement de la Cour énonce on ne peut plus clairement que les
exposés de fait et de droit présentés aux différents stades d’une procédure sur une exception «sont
limités aux points ayant trait à l’exception»175, la Colombie consacre plus de la moitié de son
volume d’exceptions préliminaires aux questions de fond soulevées par le Nicaragua dans son
mémoire176. Son objectif paraît clair : devancer et minimiser, par ses exceptions préliminaires, le
débat sur le fond.
2.65. Sous l’intitulé «Historique de la procédure», la Colombie formule dans le
premier chapitre de ses exceptions préliminaires force affirmations dogmatiques que n’étaye aucun
document ni autre preuve177. Il en va globalement de même des sections IV et VI du chapitre
intitulé «En vertu des articles VI et XXXIV du pacte de Bogotá, la Cour est «incompétente pour
juger le différend» et doit donc déclarer celui-ci «terminé»». Le Nicaragua exprime sa plus
complète réserve à l’égard des allégations de la Colombie sur le fond de l’affaire et s’en tient à ce
qu’il a affirmé et démontré dans son mémoire.
2.66. Selon la Colombie, dès lors que la Cour déclarerait le différend terminé en vertu des
articles VI et XXXIV du pacte de Bogotá, les déclarations d’acceptation de sa juridiction faites par
les Parties conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut178, que le Nicaragua a également
invoquées dans sa requête179, deviendraient inopérantes.
83 2.67. Il ne saurait toutefois être admis que, parce qu’il «régirait» la compétence, le pacte
priverait les déclarations faites en vertu de la clause facultative de tout effet en tant que base de
compétence autonome. Les déclarations ont à cet égard une valeur intrinsèque, et leur mise en
œuvre n’est pas subordonnée à d’autres chefs de compétence. La Cour l’a du reste elle-même
affirmé dans l’affaire relative à des Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua
c. Honduras) (compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 69), en déclarant que les
dispositions du pacte étaient indépendantes des déclarations faites au titre du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut180 ⎯ la réciproque, en toute logique, étant également vraie181. Les parties au
pacte de Bogotá n’en ont disconvenu ni explicitement ni implicitement. Si la situation envisagée à
l’article VI devait se produire, la Cour, en se déclarant incompétente, devrait, aux termes du pacte,
déclarer le différend terminé (art. XXXIV), mais ce résultat doit être interprété dans les limites du
pacte lui-même : le différend serait terminé uniquement en tant que le pacte ne pourrait être
invoqué comme base de compétence.

175 Règlement de la Cour, art. 79, par. 7
176 EPC, vol. I, chap. I, p. 23-72.
177 Ibid., par. 1.26, note de bas de page 21, qui omet toute mention de la source ; 1.43, 1.83, 1.91.
178 EPC, vol. I, Introduction, par. 50, 51 ; 3.2-3.11, 3.50, 4.15.
179 Requête du Nicaragua, par. 1 ; MN, vol. I, par. 3.
180 C.I.J. Recueil 1988, p. 84-88, par. 32-41, voir notamment les paragraphes 36 et 41. Voir aussi S. Rosenne,
1997, II, p. 670-677.
181 Voir plus bas, par. 4.15-4.17.
- 46 -
84
- 47 -
CHAPITRE III
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES RELATIVES À LA CLAUSE FACULTATIVE
85
3.1. La Colombie présente plusieurs exceptions préliminaires relatives à la compétence que
la Cour tient de la clause facultative. Ses arguments sont fallacieux et supposent une grande part
d’interprétation.
I. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : ÉTANT DONNÉ QUE LE DIFFÉREND ENTRE LE
NICARAGUA ET LA COLOMBIE A ÉTÉ RÉGLÉ ET EST TERMINÉ, IL N’EXISTERAIT
PLUS DE DIFFÉREND PORTÉ DEVANT LA COUR À L’ÉGARD DUQUEL
LA JURIDICTION EN VERTU DE LA CLAUSE FACULTATIVE
POURRAIT S’APPLIQUER
3.2. Cette exception repose sur le postulat selon lequel les dispositions du pacte de Bogotá
primeraient en tous points et à toutes fins ⎯ postulat que nous avons réfuté au chapitre précédent.
Nous avons également souligné que l’application de l’article VI du pacte de Bogotá requerrait que
soient tranchées des questions n’ayant pas elles-mêmes un caractère préliminaire.
3.3. Cette exception implique également une interprétation relativement improbable de
l’article XXXIV du pacte de Bogotá.
II. DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LA JURIDICTION EN VERTU DE LA CLAUSE
FACULTATIVE NE S’APPLIQUERAIT PAS, PUISQUE LA DÉCLARATION DE LA
COLOMBIE N’ÉTAIT PLUS EN VIGUEUR À LA DATE DU DÉPÔT
DE LA REQUÊTE DU NICARAGUA
86
3.4. La Colombie a entendu retirer sa déclaration en date du 30 octobre 1937 «avec effet
immédiat» au 5 décembre 2001. La déclaration se lit comme suit :
«La République de Colombie reconnaît comme obligatoire de plein droit et sans
convention spéciale sous condition de réciprocité, vis-à-vis de tout autre Etat acceptant
la même obligation, la juridiction de la Cour permanente de Justice internationale,
conformément à l’article 36 du Statut.
La présente déclaration ne s’applique qu’aux différends nés de faits postérieurs
au 6 janvier 1932.»
3.5. La déclaration ne comporte aucune clause temporelle et la Colombie affirme qu’il peut
dès lors y être mis fin sans préavis (exceptions préliminaires, vol. I., p. 114-115).
3.6. La jurisprudence de la Cour infirme clairement cette affirmation. Dans son arrêt en
l’affaire Nicaragua, la Cour a dit ceci :
«Le maintien en vigueur de la déclaration des Etats-Unis pendant les six mois
de préavis est un engagement positif, découlant de la clause de durée, mais la
déclaration nicaraguayenne ne comporte quant à elle aucune restriction expresse. Il 87 est donc clair que les Etats-Unis ne peuvent pas invoquer la réciprocité comme base de
- 48 -
l’initiative qu’ils ont prise en procédant à la notification de 1984 par laquelle ils
entendaient modifier la teneur de leur déclaration de 1946. C’est au contraire le
Nicaragua qui peut leur opposer la clause de préavis de six mois ⎯ non pas, certes, au
titre de la réciprocité, mais parce qu’elle constitue un engagement faisant partie
intégrante de l’instrument où elle figure.
63. De plus, puisque les Etats-Unis entendaient, le 6 avril 1984, modifier leur
déclaration de 1946 avec un effet suffisamment immédiat pour faire obstacle à la
requête du 9 avril 1984, il faudrait, pour invoquer la réciprocité, que la déclaration
nicaraguayenne soit dénonçable sans préavis. Or le droit de mettre fin immédiatement
à des déclarations de durée indéfinie est loin d’être établi. L’exigence de bonne foi
paraît imposer de leur appliquer par analogie le traitement prévu par le droit des
traités, qui prescrit un délai raisonnable pour le retrait ou la dénonciation de traités
ne renfermant aucune clause de durée. Puisque le Nicaragua n’a manifesté en fait
aucune intention de retirer sa propre déclaration la question de savoir quel délai
raisonnable devrait être respecté n’a pas à être approfondie : il suffira d’observer que
le laps de temps du 6 au 9 avril ne constitue pas un «délai raisonnable».»182
88 3.7. La Cour est parvenue à cette décision par onze voix contre cinq (dispositif, par. 1 a)).
Sur les cinq juges ayant voté contre, seuls trois étaient en désaccord avec le raisonnement exposé
dans le passage ci-dessus (voir les opinions dissidentes des juges Oda, Jennings et Schwebel).
3.8. La jurisprudence de la Cour confirme l’exigence d’un délai raisonnable pour le retrait ou
la dénonciation de traités ne renfermant aucune clause de durée. Ainsi, au stade des exceptions
préliminaires en l’affaire Cameroun c. Nigéria, le raisonnement de la Cour a été le suivant :
«30. La Cour notera que le régime de remise et de transmission des déclarations
d’acceptation de la juridiction obligatoire établi au paragraphe 4 de l’article 36 du
Statut de la Cour est distinct du régime prévu pour les traités par la convention de
Vienne. Dès lors, les dispositions de cette convention ne sauraient éventuellement être
appliquées aux déclarations que par analogie (Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 420, par. 63).
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
32. Le Nigéria souligne cependant qu’en tout état de cause le Cameroun ne
pouvait déposer une requête devant la Cour sans laisser s’écouler un délai raisonnable
«pour permettre au Secrétaire général de s’acquitter de la tâche qu’il devait remplir
pour ce qui est de la déclaration du Cameroun du 3 mars 1994». Le respect d’un tel
délai s’imposerait d’autant plus que, selon le Nigéria, la Cour, dans son arrêt
du 26 novembre 1984 rendu en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci, a exigé un délai raisonnable pour le retrait des
déclarations facultatives d’acceptation de la juridiction obligatoire.
89
33. La Cour, dans l’arrêt ainsi évoqué, a constaté que les Etats-Unis avaient
remis en 1984 au Secrétaire général, trois jours avant le dépôt d’une requête par le
Nicaragua, une notification limitant la portée de leur déclaration d’acceptation de la
juridiction de la Cour. La Cour a constaté que cette déclaration comportait une clause
de préavis de six mois. Elle a estimé que cette condition devait être respectée en cas
de retrait ou de modification de la déclaration et en a conclu que la notification de

182 C.I.J. Recueil 1984, p. 419-420 ; les italiques sont de nous.
- 49 -
modification de 1984 ne pouvait abolir avec effet immédiat l’obligation
antérieurement assumée par les Etats-Unis (Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et
recevabilité, C.I.J. Recueil 1984, p. 421, par. 65).
La Cour a noté en outre, à propos de la déclaration du Nicaragua dont les
Etats-Unis se prévalaient par voie de réciprocité, qu’en tout état de cause
«le droit de mettre fin immédiatement à des déclarations de durée
indéfinie est loin d’être établi. L’exigence de bonne foi paraît imposer de
leur appliquer par analogie le traitement prévu par le droit des traités, qui
prescrit un délai raisonnable pour le retrait ou la dénonciation de traités
ne renfermant aucune clause de durée» (ibid., p. 420, par. 63).
90
La Cour a ajouté : «la question de savoir quel délai raisonnable devrait être
respecté n’a pas à être approfondie : il suffira d’observer qu’[un] laps de temps [de
trois jours] ne constitue pas un «délai raisonnable» (ibid.).
34. La Cour estime que cette solution relative au retrait des déclarations
d’acceptation de la juridiction obligatoire n’est pas transposable au cas de la remise de
ces déclarations. En effet, le retrait met fin à des liens consensuels existants alors que la
remise établit de tels liens. Par suite, le retrait a pour conséquence de priver purement et
simplement les autres Etats ayant antérieurement accepté la compétence de la Cour du
droit qu’ils avaient de saisir cette dernière d’un différend les opposant à l’Etat ayant
retiré sa déclaration. A l’inverse, la remise d’une déclaration ne prive ces mêmes Etats
d’aucun droit acquis. A la suite d’une telle remise, aucun délai n’est dès lors requis pour
l’établissement d’un lien consensuel.
35. La Cour observera en outre qu’imposer l’écoulement d’un délai raisonnable
avant qu’une déclaration puisse prendre effet serait introduire un élément d’incertitude
dans le jeu du système de la clause facultative. Ainsi qu’il a été rappelé au
paragraphe 26 ci-dessus, la Cour avait, dans l’affaire du Droit de passage sur territoire
indien, estimé ne pouvoir créer une telle incertitude. Les conclusions auxquelles elle
était alors parvenue demeurent valables et s’imposent d’autant plus que l’augmentation
du nombre des Etats parties au Statut et l’intensification des relations interétatiques ont
depuis 1957 multiplié les occasions de différends juridiques susceptibles d’être soumis à
la Cour. Celle-ci ne saurait introduire dans la clause facultative une condition
supplémentaire de délai qui n’y figure pas.»183
91
3.9. Ce raisonnement n’a pas été remis en question dans les opinions individuelles et
dissidentes jointes à l’arrêt.
3.10. Il convient de souligner que dans l’un et l’autre des cas, la question de la bonne foi et
de la nécessité d’un délai raisonnable avait été exhaustivement débattue.
3.11. Au vu de cette jurisprudence, l’on ne s’étonnera guère de voir la Colombie contrainte
de lancer des affirmations réductrices et de recourir à des tours de passe-passe simplistes, procédés
que nous passerons maintenant en revue.

183 C.I.J. Recueil 1998, p. 293-296.
- 50 -
a) Absence d’unanimité en ce qui concerne la conclusion énoncée en l’affaire Nicaragua,
trois juges s’en étant dissociés (voir exceptions préliminaires, vol. I, p. 116, par. 3.17)
En réponse à ce fait incontestable, il convient toutefois de relever que treize juges ont
soutenu la position de la majorité ou ne s’en sont pas dissociés sur ce point en particulier. De plus,
dans l’affaire Cameroun c. Nigéria, le raisonnement en question a été adopté à l’unanimité par
les dix-sept juges.
92 b) Opinion exprimée par sir Humphrey Waldock en qualité de rapporteur spécial de la
Commission du droit international
La Colombie affirme :
«Le rapporteur spécial de la Commission du droit international sur le droit des
traités, qui deviendra par la suite juge et président de la Cour, sir Humphrey Waldock,
est arrivé à la conclusion que la pratique des Etats en vertu de la clause facultative
ainsi qu’en vertu des traités d’arbitrage, de conciliation et de règlement judiciaire
confirmait l’abrogation sans préavis.»184
Cette affirmation renvoie au deuxième rapport de Waldock sur le droit des traités ; Annuaire de
la Commission du droit international, 1963, vol. II, p. 71.
3.12. Il convient de souligner, en réponse, que les rapports soumis par la Commission du
droit international à l’Assemblée générale n’ont pas un caractère législatif, et moins encore ceux
soumis par les rapporteurs spéciaux, aussi éminents soient-ils. Le fait est que le projet d’article 17
proposé dans le deuxième rapport de Waldock sur le droit des traités de 1963 n’a pas été retenu.
Dans le rapport présenté par la Commission à l’Assemblée générale en 1966, la disposition
équivalente est d’une teneur fort différente, étant ainsi libellée :
«Article 53
Dénonciation d’un traité ne contenant pas de dispositions relatives à son extinction
1. Un traité qui ne contient pas de dispositions relatives à son extinction et ne
prévoit pas qu’on puisse le dénoncer ou s’en retirer n’est pas susceptible de
dénonciation ou de retrait, à moins qu’il ne soit établi qu’il entrait dans l’intention des
parties d’admettre la possibilité d’une dénonciation ou d’un retrait.
93
2. Une partie doit notifier au moins douze mois à l’avance son intention de
dénoncer le traité ou de s’en retirer conformément aux dispositions du paragraphe 1 du
présent article.»
3.13. Dans le commentaire sur le projet d’article, aucune référence n’est faite aux traités
d’arbitrage, de conciliation ou de règlement judiciaire, ni à la clause facultative. Quoi qu’il en soit,
le commentaire comprend deux paragraphes pertinents aux fins qui nous occupent :
«5) L’article dispose qu’un traité qui ne contient pas de dispositions relatives à son
extinction et qui ne prévoit pas que l’on puisse le dénoncer ou s’en retirer n’est pas
susceptible de dénonciation ou de retrait, à moins qu’«il ne soit établi qu’il entrait
dans l’intention des parties d’admettre la possibilité d’une dénonciation ou d’un

184 EPC, vol. I, p. 116, par. 3.17.
- 51 -
retrait». D’après cette règle, le caractère du traité ne constitue que l’un des
éléments qui doivent entrer en ligne de compte, et le droit de dénonciation ou de
retrait ne sera présumé que si les circonstances générales de l’espèce indiquent que
les parties avaient l’intention d’admettre la possibilité d’une dénonciation ou d’un
retrait unilatéral.
6) La Commission a jugé indispensable que l’exercice d’un droit implicite de
dénoncer le traité ou de s’en retirer soit soumis à l’obligation d’un préavis de durée
raisonnable. Certaines clauses d’extinction ne prévoient parfois qu’un préavis de
six mois, mais ces clauses figurent généralement dans les traités tacitement
renouvelables et susceptibles de dénonciation par une notification envoyée avant
ou au moment du renouvellement. Lorsque la durée du traité est indéfinie, sous
réserve de l’exercice d’un droit de dénonciation, le délai de notification est plus
fréquemment de douze mois, bien que dans certains cas il ne soit exigé aucun délai
de préavis. Dans l’énoncé d’une règle générale, la Commission a jugé souhaitable
de fixer un délai plus long afin de protéger suffisamment les intérêts des autres
parties au traité. Elle a donc préféré spécifier au paragraphe 2 qu’il faut donner un
préavis de douze mois au moins de l’intention de dénoncer le traité ou de s’en
retirer conformément à l’article 53.»185
94
3.14. Dans ces deux paragraphes, la Commission se montre fort peu encline à appuyer la
dénonciation ou le retrait unilatéral.
3.15. La disposition qui a en fin de compte été adoptée (en tant qu’article 56) dans la
convention de Vienne sur le droit des traités est ainsi libellée :
«Dénonciation ou retrait dans le cas d’un traité ne contenant pas de dispositions
relatives à l’extinction, à la dénonciation ou au retrait
1. Un traité qui ne contient pas de dispositions relatives à son extinction et ne
prévoit pas qu’on puisse le dénoncer ou s’en retirer ne peut faire l’objet d’une
dénonciation ou d’un retrait, à moins :
a) qu’il ne soit établi qu’il entrait dans l’intention des parties d’admettre la possibilité
d’une dénonciation ou d’un retrait ; ou
95 b) que le droit de dénonciation ou de retrait ne puisse être déduit de la nature du
traité.
2. Une partie doit notifier au moins douze mois à l’avance son intention de
dénoncer un traité ou de s’en retirer conformément aux dispositions du paragraphe 1.»
3.16. Le Gouvernement colombien cherche à s’appuyer sur les vues de
sir Humphrey Waldock telles qu’exposées dans son rapport de 1963. Cette démarche lui est de peu
d’utilité à divers égards : premièrement, la Commission du droit international fonctionne
collégialement et les rapporteurs spéciaux tiennent compte de la volonté collective.
Deuxièmement, ainsi qu’il ressort des documents cités ci-dessus, les versions finales issues des
travaux de la Commission ne faisaient pas mention de la clause facultative et ne semblaient guère
favorables à la dénonciation sans préavis.

185 Annuaire de la CDI, 1966, II, p. 274.
- 52 -
c) Caractère général des références faites aux publications de «commentateurs des procédures
et de la jurisprudence de la Cour» (voir exceptions préliminaires, vol. I, p. 116)
3.17. La Colombie cite ces références dans une longue note de bas de page, sans toutefois
chercher à examiner les passages prétendument pertinents. Citons quelques exemples. Mention est
faite de l’important article de Greig paru dans le British Year Book, vol. 62 (1994), p. 119, mais
aucun passage en particulier n’en est cité. Reste que, de manière générale, Greig ne s’inscrit pas en
faux contre le raisonnement de la Cour sur la nature des déclarations. Les observations
d’Orrego Vicuña sur la question bien précise du préavis raisonnable sont, quant à elles, fort
mesurées et l’auteur se garde de tout dogmatisme : voir Oda, Liber Amicorum, 2002, vol. I,
p. 475-476.
96 d) La Colombie affirme que «les mentions d’«un délai raisonnable» par la Cour étaient des
obiter dicta» (exceptions préliminaires, vol. I, p. 117)
3.18. La faiblesse de cette défense de la Colombie est manifeste. Les passages concernant le
«délai raisonnable» sont des prononcés majeurs sur la nature juridique des déclarations et les
conséquences qui en découlent en droit. La Cour s’est appuyée à l’unanimité sur ces passages dans
l’affaire opposant le Cameroun et le Nigéria précisément en raison de leur importance. Chercher à
diminuer l’importance du raisonnement de la Cour en empruntant à la common law l’expression
«obiter dicta» est un procédé peu adroit qui n’apporte rien au débat sur les questions de
compétence.
3.19. Orrego Vicuña, citant Merrills, dit que les «remarques» relatives à la dénonciation «ont
été considérées comme des obiter dicta». En fait, la position de Merrills est couchée en des termes
très nuancés. Voici ce que dit cet auteur :
«Compte tenu de la décision prise par la Cour sur la question de la réciprocité,
ses observations concernant la dénonciation hypothétique de la déclaration du
Nicaragua ne sont, à vrai dire, rien de plus que des obiter dicta. Elles présentent
néanmoins manifestement quelque importance. La conclusion selon laquelle les
déclarations muettes sur les modalités de la dénonciation peuvent être dénoncées dans
un délai raisonnable, même si elle est controversée, évite les incertitudes du rebus sic
stantibus, tout en insistant sur le concept de bonne foi et en donnant quelque sens à
l’idée d’un engagement indéfini. Il aurait sans aucun doute été utile que la notion de
«délai raisonnable» fusse développée, mais il serait peu réaliste de l’escompter dans
une affaire où cette question n’était pas en jeu. Pour les treize Etats dont les
déclarations sont de durée indéfinie, la portée précise de leur engagement est donc
toujours incertaine.»186
97
3.20. Quoi qu’il en soit, compte tenu du contexte dans lequel s’insérait le raisonnement de la
Cour, il est loin d’être évident que «la décision prise par la Cour sur la question de la réciprocité»
justifie de qualifier d’«obiter dicta» le raisonnement sur la question de la dénonciation. La
conclusion de la Cour sur la nature de la déclaration du Nicaragua dans ce contexte répondait à un
point important de l’argumentation des Etats-Unis. La référence à la nature de la déclaration n’était
pas «hypothétique», en quelque sens que ce soit, mais constituait un élément essentiel de l’analyse.
3.21. A ce sujet, les extraits pertinents de l’arrêt de 1984 révèlent la faiblesse de l’analyse de
Merrills. La Cour a dit :

186 British Year Book, vol. 64, p. 208-209 ; les italiques sont de nous.
- 53 -
«61. La question la plus importante qui se pose à propos de la notification
de 1984 est de savoir s’il était loisible aux Etats-Unis de ne tenir aucun compte de la
clause de préavis de six mois qu’ils avaient librement choisi d’insérer dans leur
déclaration de 1946. Ce faisant, ils avaient assumé une obligation contraignante à
l’égard des autres Etats parties au système de la clause facultative. Les Etats-Unis ont
certes le droit, inhérent à tout acte unilatéral d’un Etat, de changer la teneur de leur
déclaration ou d’y mettre fin ; ils ont néanmoins assumé une obligation irrévocable à
l’égard des autres Etats qui acceptent la clause facultative, en déclarant formellement
et solennellement que tout changement semblable ne prendrait effet qu’après
l’expiration des six mois de préavis.
98
62. Les Etats-Unis ont fait valoir que la déclaration nicaraguayenne de 1929,
étant d’une durée indéfinie, était dénonçable sans préavis ; en conséquence le
Nicaragua n’avait pas accepté la «même obligation» qu’eux-mêmes aux fins de
l’article 36, paragraphe 2, et ne pouvait leur opposer la clause de préavis de six mois.
La Cour ne considère cependant pas que cet argument autorise les Etats-Unis à passer
outre à la clause de préavis figurant dans leur déclaration de 1946. La notion de
réciprocité porte sur l’étendue et la substance des engagements, y compris les réserves
dont ils s’accompagnent, et non sur les conditions formelles relatives à leur création,
leur durée ou leur dénonciation. Il apparaît nettement que la réciprocité ne peut être
invoquée par un Etat pour ne pas respecter les termes de sa propre déclaration, quel
qu’en soit le champ d’application, les limites ou les conditions…
Le maintien en vigueur de la déclaration des Etats-Unis pendant les six mois de
préavis est un engagement positif, découlant de la clause de durée, mais la déclaration
nicaraguayenne ne comporte quant à elle aucune restriction expresse. Il est donc clair
que les Etats-Unis ne peuvent pas invoquer la réciprocité comme base de l’initiative
qu’ils ont prise en procédant à la notification de 1984 par laquelle ils entendaient
modifier la teneur de leur déclaration de 1946. C’est au contraire le Nicaragua qui
peut leur opposer la clause de préavis de six mois ⎯ non pas, certes, au titre de la
réciprocité, mais parce qu’elle constitue un engagement faisant partie intégrante de
l’instrument où elle figure.
99
63. De plus, puisque les Etats-Unis entendaient, le 6 avril 1984, modifier leur
déclaration de 1946 avec un effet suffisamment immédiat pour faire obstacle à la
requête du 9 avril 1984, il faudrait, pour invoquer la réciprocité, que la déclaration
nicaraguayenne soit dénonçable sans préavis. Or le droit de mettre fin immédiatement
à des déclarations de durée indéfinie est loin d’être établi. L’exigence de bonne foi
paraît imposer de leur appliquer par analogie le traitement prévu par le droit des
traités, qui prescrit un délai raisonnable pour le retrait ou la dénonciation de traités ne
renfermant aucune clause de durée. Puisque le Nicaragua n’a manifesté en fait aucune
intention de retirer sa propre déclaration la question de savoir quel délai raisonnable
devrait être respecté n’a pas à être approfondie : il suffira d’observer que le laps de
temps du 6 au 9 avril ne constitue pas un «délai raisonnable».»187

187 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 419-420.
- 54 -
3.22. Dans le raisonnement exposé aux paragraphes 61 à 63, la Cour s’attache à la nature de
la relation qu’établit entre les Etats leur adhésion au système de la clause facultative, à savoir si
cette relation laisse place aux actes unilatéraux ou crée d’autres types de rapports. Ce point était au
cœur du raisonnement de la Cour.
100 3.23. Avant d’abandonner cette question, nous devons examiner un autre point. Le
raisonnement de la Cour, qui évoque l’analogie avec le droit des traités, n’est en aucun cas nouveau
ou radical. Il est regrettable qu’aucun précédent ne soit mentionné dans les exceptions
préliminaires. Ainsi, la Cour permanente avait reconnu la nature contractuelle de l’obligation dans
l’affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie (arrêt, 1939, série A/B no
77, p. 64).
En outre, sir Waldock soutenait entièrement cette opinion et, dans les années cinquante, il analysa
l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co. en ces termes :
«Dans l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co., la nouvelle Cour a eu l’occasion
d’examiner la nature juridique des déclarations faites en vertu de la clause facultative
à propos de l’interprétation de la déclaration iranienne. L’Iran affirmait que les
déclarations n’établissaient pas une relation contractuelle entre les Etats concernés,
mais que, dans la mesure où elles coïncidaient, elles créaient des obligations pour
chacun des Etats à l’égard de la Cour. Le Royaume-Uni soutenait quant à lui que
deux déclarations données établissaient un lien essentiellement contractuel entre les
Etats concernés. La Cour, examinant l’argument du Royaume-Uni selon lequel la
déclaration iranienne devait, si possible, être interprétée de manière à donner un sens à
tous les termes employés, a fait observer :
«On peut dire que ce principe doit s’appliquer en général quand il
s’agit d’interpréter le texte d’un traité. Mais le texte de la déclaration de
l’Iran n’est pas un texte contractuel résultant de négociations entre
deux ou plusieurs Etats. Il résulte d’une rédaction unilatérale par le
Gouvernement de l’Iran, qui semble avoir apporté une prudence
particulière à la rédaction du texte de la déclaration. Il semble y avoir
inséré ex abundanti cautela des mots qui peuvent, à strictement parler,
sembler superflus.»
101
On notera que la Cour, tout en soulignant la rédaction unilatérale de
l’instrument, n’en a pas contesté la nature juridique de texte contractuel. Néanmoins,
il ressort effectivement de cet extrait, ainsi que de celui de l’arrêt rendu dans l’affaire
des Phosphates du Maroc déjà cité, que pour interpréter les termes des déclarations
individuelles, il faudra tenir compte de l’original unilatéral de celles-ci.»188
3.24. Dans les conclusions de sir Waldock sur «la nature du lien juridique en vertu de la
clause facultative» figure le passage marquant qui suit :
«A notre sens, les origines et la nature contractuelle de la clause facultative, le
rôle du Secrétaire général des Nations Unies lors du dépôt et de l’enregistrement des
notifications de déclarations faites en vertu de la clause facultative, la pratique suivie
par les Etats lorsqu’ils font leurs déclarations et la jurisprudence de la Cour ne laissent
pas de véritable doute sur la nature consensuelle du lien juridique que les déclarations
créent entre les Etats. Il ne s’agit pas de nier le caractère unilatéral de l’acte par lequel
un Etat adhère aux obligations de la clause facultative. Le choix des termes figurant
102 dans sa déclaration n’est pas une question négociable avec les autres Etats mais relève

188 British Year Book, vol. 32, 1955-1956, p. 252-253.
- 55 -
intégralement de son propre pouvoir discrétionnaire aussi longtemps que celui-ci
s’inscrit dans le cadre du Statut. La rédaction unilatérale de l’instrument peut avoir,
selon la Cour, une influence sur l’application des principes ordinaires de
l’interprétation des traités à celui-ci. Mais la rédaction de l’instrument n’est un acte
unilatéral que de la même façon qu’adhérer à un traité préexistant ou ratifier le texte
d’un traité négocié préalablement est un acte unilatéral. Le juge Alvarez est allé
jusqu’à qualifier une déclaration faite en vertu de la clause facultative d’«acte
multilatéral d’une nature particulière». Elle est multilatérale au sens où elle crée des
liens entre plusieurs Etats ; mais le lien existant entre deux Etats qui ont fait des
déclarations n’est pas, selon nous, exactement de la même nature que celui qui existe
entre les parties à un traité multilatéral. Le lien existant entre deux Etats en vertu de la
clause facultative semble être plus bilatéral que multilatéral.»189
3.25. Ces antécédents situent dans son contexte l’analyse qui fut faite en 1984 de la question
de la dénonciation. La nature de l’obligation était au centre de l’analyse juridique. Il en ressort
donc que la thèse de l’obiter dictum est superficielle et qu’elle se caractérise par une curieuse
insistance à privilégier l’accessoire au principal.
103 e) La Colombie affirme que «dans la pratique, le Nicaragua et la Colombie ont considéré que
leurs déclarations pouvaient être dénoncées sans préavis» (exceptions préliminaires, vol. I,
p. 118)
3.26. L’effet juridique de la pratique invoquée par la Colombie reste obscur : en particulier,
il n’est pas démontré que l’intention était, dans chacune des affaires, de dénoncer ou de modifier la
déclaration en question avec effet immédiat.
3.27. En premier lieu, le critère appliqué est l’intention de chacun des Etats : voir l’affaire de
l’Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1952,
p. 103-107.
3.28. En ce qui concerne la déclaration déposée par la Colombie le 30 octobre 1937, le texte
ne renferme aucune indication sur la possibilité de dénoncer l’instrument sans préavis. En outre,
lorsqu’il a dénoncé la déclaration, le 5 décembre 2001, le Gouvernement colombien n’a pas précisé
si la dénonciation avait un effet immédiat.
3.29. De la même manière, lorsque le Nicaragua a notifié au Secrétaire général l’insertion
d’une réserve dans sa déclaration de 1929, cette notification (datée du 7 novembre 2001) ne
précisait pas si la réserve était à effet immédiat (voir les exceptions préliminaires, vol. II,
annexes 23 et 24).
3.30. Enfin, lorsqu’elle a prétendu dénoncer, le 5 décembre 2001, sa déclaration de 1937, la
Colombie n’a donné aucune indication de nature à éclairer la situation juridique. Comme nous
l’avons déjà dit, la déclaration de 1937 est muette sur les modalités de dénonciation.

189 Ibid., p. 254.
- 56 -
3.31. La pratique invoquée par la Colombie ne démontre pas suffisamment l’intention qui
était à l’origine de ces quelques épisodes. En l’espèce, l’existence d’une conduite continue, sans
équivoque et stable qui pourrait, en droit, être assimilée à une pratique liant le Nicaragua n’est pas
démontrée. En particulier, il n’est pas démontré que le Nicaragua aurait renoncé à bénéficier de
l’analyse faite par la Cour dans l’arrêt de 1984, selon laquelle un délai raisonnable doit être
respecté pour le retrait ou la dénonciation de déclarations ne contenant pas de disposition expresse
à ce sujet.
104
3.32. Quoi qu’il en soit, il existe dans la période récente des éléments de preuve
convaincants qui démontrent que, dans la pratique, le Nicaragua n’accepte pas que les déclarations
soient modifiées ou dénoncées sans préavis. Ainsi, le paragraphe 3 de l’accord conclu entre le
Costa Rica et le Nicaragua le 26 septembre 2002 se lit comme suit :
«Le Gouvernement du Nicaragua s’engage à maintenir, pendant trois ans à
compter d’aujourd’hui, la situation juridique existante concernant sa déclaration
d’acceptation de la compétence de la Cour internationale de Justice. Pour sa part, le
Gouvernement du Costa Rica s’engage, pendant la même période, à n’introduire
aucune instance ou réclamation internationale contre le Nicaragua, ni devant ladite
cour, ni devant aucune autre entité internationale concernant une affaire ou
réclamation mentionnée dans des traités ou accords actuellement en vigueur entre les
deux pays.»190
3.33. Si cette disposition a été insérée dans l’accord, c’est que le Costa Rica croyait que la
réserve émise par le Nicaragua le 7 novembre 2001 prendrait effet un an après cette date. Aussi,
en septembre 2002, le Gouvernement costa-ricien entrevoyait-il une difficulté : s’il n’introduisait
pas son instance contre le Nicaragua avant le 1er novembre 2002, la réserve entrerait en vigueur et il
serait en position de faiblesse dans toute affaire engagée après cette date. En conséquence, ce
paragraphe avait pour objet de fixer la situation concernant la déclaration du Nicaragua en l’état où
elle se trouvait au jour de la signature de l’accord.
105
3.34. L’accord avec le Costa Rica fut conclu au nom du Nicaragua par M. Caldera, alors
ministre des affaires étrangères. Dans sa déclaration sous serment, l’ancien ministre décrit
clairement les raisons qui sont à l’origine du paragraphe 3 de l’accord avec le Costa Rica191.
3.35. Il est tout à fait clair que dans les circonstances de l’espèce, le Gouvernement
colombien a, par sa conduite, créé une obligation de ne pas dénoncer son acceptation de la
juridiction de la Cour sans un préavis raisonnable. Ce point sera examiné de manière plus
approfondie à la section IV.

190 OEN, vol. II, annexe 28.
191 Ibid., annexe 23.
- 57 -
III. TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : SI LA DÉCLARATION DE 1937 DE LA COLOMBIE
EST RÉPUTÉE ÊTRE EN VIGUEUR, SES TERMES EXCLUENT LES PRÉTENTIONS
DU NICARAGUA, LE DIFFÉREND ALLÉGUÉ AYANT POUR ORIGINE
DES FAITS ANTÉRIEURS AU 6 JANVIER 1932
3.36. Le Nicaragua a démontré dans les sections précédentes du présent chapitre que la
déclaration faite par la Colombie en 1937 en vertu de la clause facultative était toujours en vigueur
lorsque le Nicaragua a déposé sa requête. Probablement consciente de ce fait, la Colombie affirme
que :
106 «Même si, contrairement à ce que soutient la Colombie, la Cour devait constater
que les déclarations de la Colombie et du Nicaragua étaient en vigueur à la date du
dépôt de la requête du Nicaragua, ladite requête serait exclue du champ d’application
de la déclaration de la Colombie et la Cour n’aurait pas compétence pour statuer sur le
fond de l’affaire en raison de l’effet de la réserve qui exclut les différends nés de faits
antérieurs au 6 janvier 1932.»192
3.37. L’exception de la Colombie à ce sujet est fondée sur une interprétation erronée de la
jurisprudence de la Cour et sur une dénaturation totale de l’objet du différend.
A. L’objet du différend
3.38. Le cœur du différend porte sur la délimitation maritime entre les Parties. Tant la
requête du Nicaragua que son mémoire le font ressortir clairement. Et, comme l’a précisé la Cour
permanente de Justice internationale dans l’affaire relative à l’Administration du prince von Pless
(exceptions préliminaires) : «[A]ux termes de l’article 40 du Statut, c’est la requête qui indique
l’objet du différend.»193
107 3.39. Le mémoire, quant à lui, «p[eut] éclaircir les termes de la requête» sans «dépasser les
limites de la demande qu’elle contient»194.
3.40. Dans sa requête du 6 décembre 2001, le Nicaragua a indiqué ce qui suit :
«la Cour est priée :
Premièrement, de dire et juger que la République du Nicaragua a la
souveraineté sur les îles de Providencia, San Andrés et Santa Catalina et toutes les îles
et cayes qui en dépendent, ainsi que sur les cayes de Roncador, Serrana, Serranilla et
Quitasueño (pour autant qu’elles soient susceptibles d’appropriation) ;

192 EPC, vol. I, par. 3.30.
193 Administration du prince von Pless, ordonnance du 4 février 1933, C.P.J.I. série A/B n° 52, p. 14 ; voir
également l’affaire de l’Interhandel (Suisse c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1959, p. 21.
194 Ibid. ; voir également, par exemple, l’affaire de la Société commerciale de Belgique, arrêt, 15 juin 1939,
C.P.J.I. série A/B no
78, p. 173 ; l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 427, par. 80 ; l’affaire de
Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 267,
par. 69.
- 58 -
Deuxièmement, à la lumière des conclusions auxquelles elle sera parvenue
concernant le titre revendiqué ci-dessus, de déterminer le tracé d’une frontière
maritime unique entre les portions de plateau continental et les zones économiques
exclusives relevant respectivement du Nicaragua et de la Colombie, conformément
aux principes équitables et aux circonstances pertinentes que le droit international
général reconnaît comme s’appliquant à une délimitation de cet ordre.» (Par. 8.)
3.41. La formulation de ces demandes, si on les examine séparément, est peut-être
légèrement maladroite, car elle semble indiquer qu’il est demandé à la Cour «premièrement» de se
prononcer relativement au titre sur les îles et cayes et, «deuxièmement», de délimiter les zones
maritimes respectives des Parties. Mais, compte tenu tant du contexte de la requête même que des
précisions apportées dans le mémoire, il devient évident :
108
⎯ que l’objet du différend est de déterminer une frontière maritime unique entre les zones du
plateau continental et les zones économiques exclusives appartenant respectivement à la
Colombie et au Nicaragua ; et
⎯ qu’à cette fin, la Cour ne saurait éviter de se prononcer sur la souveraineté concernant les îles
et cayes mentionnées dans la requête.
3.42. Comme il est indiqué au paragraphe de la requête suivant immédiatement celui qui
vient d’être cité, «la présente requête a[] pour objet principal d’obtenir une décision en matière de
titre et de détermination de frontières maritimes…» (par. 9 ; les italiques sont de nous).
3.43. En outre, tel qu’il apparaît clairement au paragraphe 3 de la requête :
«Ces questions de titre territorial revêtent une importance particulière dans la
mesure où leur règlement définitif constitue un préalable à la délimitation complète et
définitive des espaces maritimes relevant du Nicaragua, ainsi qu’à toute délimitation à
laquelle il pourrait y avoir lieu de procéder en ce qui concerne les espaces maritimes
susceptibles de revenir à la Colombie.»
3.44. Il ne fait par conséquent aucun doute que la question du titre n’est pas l’objet du
différend mais une condition préalable nécessaire, «un préalable à la délimitation complète et
définitive des espaces maritimes» (par. 3) qui ne peut être établie qu’«à la lumière des conclusions
qu[e la Cour] aura tirées concernant le titre» (par. 8).
109
3.45. Cela est également confirmé par le compte rendu des faits pertinents figurant dans la
requête, dont il ressort à l’évidence que le Nicaragua se fonde sur le développement du droit
international général depuis 1945, lequel
«a évolué de telle manière qu’il englobe désormais les droits souverains d’exploration
et d’exploitation des ressources du plateau continental ainsi que le droit à une zone
économique exclusive d’une largeur de 200 milles. La convention sur le droit de la
mer de 1982 a reconnu et confirmé les intérêts légitimes des Etats côtiers en la
matière.» (Par. 3.)
- 59 -
3.46. Il est en outre expliqué dans la requête que les prétentions de la Colombie sur
d’énormes espaces maritimes appartenant au Nicaragua compromettent sérieusement les moyens de
subsistance des Nicaraguayens et ont donné lieu à de graves incidents maritimes dans les
années quatre-vingt-dix.
3.47. De la même façon, il est expliqué dans la requête que les négociations entre les deux
pays ont échoué définitivement en 1995 (par. 6) et que le facteur qui a déclenché le dépôt de la
requête du Nicaragua est la ratification en 1999, par la Colombie, du traité conclu par ce pays
en 1986 avec le Honduras, traité qui constitue une violation de la souveraineté et des droits
territoriaux du Nicaragua (par. 7).
3.48. Dans son mémoire, le Nicaragua a en outre souligné les liens qui existent entre, d’une
part, la prétention de souveraineté sur l’archipel de San Andrés ainsi que d’autres îlots et cayes
pertinents et, d’autre part, la délimitation maritime. Comme nous l’avons expliqué au
paragraphe 3.1 :
110 «La présente partie du mémoire examine la délimitation des frontières
maritimes entre le Nicaragua et la Colombie à la lumière de la décision que rendra la
Cour lorsqu’elle statuera sur la souveraineté. Plusieurs possibilités peuvent être
envisagées à cet égard. La Cour peut juger que l’ensemble du groupe San Andrés et
Providencia est nicaraguayen ou colombien. Outre cette décision, la Cour peut
également décider que les îles mentionnées à l’article premier, paragraphe 1, du traité
de 1928 sont colombiennes et que les autres formations non incluses dans le traité sont
nicaraguayennes. Etant donné que l’issue du différend territorial est incertaine, il est
nécessaire d’examiner les possibilités exposées ci-dessus, ainsi que les autres
décisions possibles, ce que nous faisons dans la section ci-dessous consacrée à cette
question.»
3.49. Dans les sections suivantes de son mémoire, le Nicaragua s’appuie, pour étayer sa
thèse, sur les règles et principes applicables du droit de la mer, en tenant compte de la législation et
des revendications pertinentes des Parties depuis la fin des années cinquante195. Le Nicaragua
examine ensuite la délimitation maritime dans la région de San Andrés,
⎯ «sur la base du titre du Nicaragua»196 ;
⎯ puis, sur la base du «titre allégué de la Colombie»197.
3.50. Le Nicaragua poursuit en analysant les effets de la «[p]résence de petites cayes dans
l’aire de délimitation maritime»198. Encore une fois, le Nicaragua soutient qu’il a la souveraineté
sur ces formations maritimes et ajoute :
111

195 MN, vol. I, par. 3.25-3.36.
196 Ibid., par. 3.93-3.96.
197 Ibid., par. 3.97-3.113.
198 Ibid., par. 3.114-3.136.
- 60 -
«On ne peut cependant exclure que la Cour aboutisse à des conclusions
différentes sur cette question. La présente section examinera le rôle des cayes dans la
délimitation maritime entre le Nicaragua et la Colombie, en tenant compte des
différentes issues possibles en ce qui concerne la question de la souveraineté.»199
3.51. Le Nicaragua conclut cette partie de son mémoire en expliquant que l’analyse qu’il a
faite des côtes qui définissent l’aire de délimitation «n’est pas foncièrement remise en cause par la
question de savoir si San Andrés et ses dépendances sont réputées être nicaraguayennes ou
colombiennes»200. Toutefois, il envisage séparément les hypothèses selon lesquelles la Cour
jugerait que soit le Nicaragua, soit la Colombie a la souveraineté sur les îles de San Andrés et
Providencia201 et sur d’autres cayes ou formations maritimes202.
3.52. Cette approche se confirme dans les conclusions, où les questions de délimitation
maritime sont traitées de façon distincte selon :
⎯ que le traité Bárcenas-Esguerra a été ou non valablement conclu et est ou non toujours en
vigueur ; et
⎯ que la souveraineté sur les îles de San Andrés et Providencia, d’une part, et sur les cayes,
d’autre part, revient au Nicaragua ou à la Colombie (MN, vol. I, p. 266).
112 3.53. Tout cela démontre sans l’ombre d’un doute que
a) le véritable objet du présent différend est la délimitation des zones maritimes appartenant
respectivement à la Colombie et au Nicaragua ; et
b) cette question décisive ne peut être tranchée sans tout d’abord déterminer lequel des deux Etats
a la souveraineté sur les îles et les cayes se trouvant dans la zone considérée.
B. Les règles pertinentes applicables à la compétence de la Cour ratione temporis
3.54. Les règles pertinentes applicables à la compétence de la Cour ratione temporis doivent
être examinées au regard des considérations qui précèdent, dont la Colombie ne tient aucunement
compte lorsqu’elle s’efforce de décrire la jurisprudence de la Cour et de l’appliquer à l’espèce.
3.55. La Colombie accorde une grande importance à l’arrêt sur les exceptions préliminaires
rendu par la Cour permanente de Justice internationale le 14 juin 1938 dans l’affaire des
Phosphates du Maroc (C.P.J.I. série A/B no
74) qui opposa l’Italie et la France ⎯ elle consacre à
cet arrêt six pages entières de ses exceptions préliminaires203. Le Nicaragua ne conteste pas que cet
arrêt soit, à certains égards, pertinent pour la présente instance. Toutefois, l’interprétation qu’en
donne la Colombie est à plusieurs égards tendancieuse et ne tient pas compte d’un élément décisif,
à savoir que les faits de cette affaire se distinguent de ceux de la présente instance sous plusieurs
aspects fondamentaux.

199 MN, par. 3.122 et 3.126.
200 Ibid., par. 3.139.
201 Ibid., par. 3.143.
202 Ibid., par. 3.144-3.147.
203 EPC, vol. 1, par. 3.34-3.39.
- 61 -
113 3.56. Le Nicaragua souhaite préciser sur-le-champ qu’il ne conteste pas que «[l]a juridiction
[de la Cour] n’existe que dans les termes où elle a été acceptée»204. Autrement dit, il reconnaît tout
à fait que la déclaration faite par la Colombie en vertu de la clause facultative ne s’applique qu’aux
«différends nés … de faits postérieurs [au 6 janvier 1932]»205. Par conséquent, «seuls relèvent de
la juridiction obligatoire les situations ou les faits postérieurs [au 6 janvier 1932] au sujet desquels
s’est élevé le différend, c’est-à-dire ceux qui doivent être considérés comme générateurs du
différend» (le texte français faisant foi)206.
3.57. Il faut cependant noter que «[l’]antériorité ou la postériorité d’une situation ou d’un fait
par rapport à une certaine date est une question d’espèce, tout comme constitue une question
d’espèce le point de savoir quels sont les situations ou les faits au sujet desquels s’est élevé le
différend»207.
3.58. C’est précisément à ce sujet que la présente instance est tout à fait différente de celle
des Phosphates du Maroc.
114 3.59. Dans cette affaire, le Gouvernement italien avait présenté l’objet du différend «sous
deux aspects distincts. L’aspect général … [qui] concern[ait] ce que ce gouvernement a[vait]
désigné sous l’expression «accaparement des phosphates marocains»» et «[l]’aspect plus limité …
[qui] a[vait] trait à la décision du 8 janvier 1925, par laquelle le service des mines a[vait] rejeté la
demande de M. Tassara[208]
, et au prétendu déni de justice opposé à lui-même et à ses
successeurs…»209. La Cour a jugé que, sous les deux aspects, le différend «ne s’[était] pas élevé au
sujet de situations ou de faits postérieurs à» la «date critique» fixée dans la déclaration française en
vertu de la clause facultative210.
3.60. Ces conclusions étaient indéniables :
⎯ s’agissant de «l’aspect général» du différend, le Gouvernement italien avait constamment
présenté l’«accaparement des phosphates marocains» «comme un régime institué par les dahirs
de 1920…»211 ; et
⎯ s’agissant de l’aspect plus limité, «[l]e Gouvernement italien n[’avait pas] contest[é] que la
prétendue éviction de M. Tassara [était] bien l’effet de la décision du service des mines
de 1925» 212.

204 Phosphates du Maroc, arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B no 74, p. 23.
205 Ibid., voir également Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), compétence de la Cour,
arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 453, par. 44 ou Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures
conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 135, par. 30.
206 C.P.J.I. série A/B no
74, p. 23 ; les italiques sont de nous.
207 Ibid., p. 24.
208 M. Tassara était le propriétaire italien des permis de prospection relatifs aux phosphates du Maroc.
209 C.P.J.I. série A/B no
74, p. 25.
210 Ibid., p. 29.
211 Ibid., p. 25.
212 Ibid., p. 27.
- 62 -
3.61. Il ne pouvait donc y avoir aucun doute sur la question de savoir si le différend s’était
élevé après ce que la Cour a appelé la «date critique»213, à savoir la date à partir de laquelle la
France avait accepté la juridiction obligatoire de la Cour «au sujet des situations ou des faits
postérieurs à» la ratification de sa déclaration, intervenue le 25 avril 1931214.
115
3.62. La présente instance est en fait (et, par voie de conséquence, en droit) totalement
différente.
3.63. Comme nous l’avons expliqué plus haut, le véritable objet du différend est la
délimitation des zones maritimes respectives sur lesquelles la Colombie et le Nicaragua ont
juridiction. Cette question ne pouvait tout simplement pas se poser avant 1932.
3.64. Selon la Colombie, «la signature du traité de 1928 et de son protocole d’échange des
ratifications de 1930 … ont réglé le différend concernant la souveraineté sur certains territoires et
ont déterminé la frontière maritime entre les deux pays»215.
3.65. Il ne peut tout simplement pas en être ainsi. Comme le Nicaragua l’a expliqué dans
son mémoire :
«Non seulement aucune délimitation maritime n’était nécessaire entre les deux
pays, mais, à cette époque, cela était tout simplement impensable : la largeur
maximale autorisée de la mer territoriale était traditionnellement de 3 milles, 6 au plus
(comme la Colombie l’a décidé en 1930), et il ne pouvait être question de plateau
continental, concept qui fit son apparition dans la sphère juridique en 1945 seulement,
et encore moins de zone économique exclusive.»216
116
3.66. Le problème posé à la Cour est précisément celui de déterminer cette frontière
maritime, une frontière qui n’était pas, et ne pouvait être, l’objet du traité de 1928. Telle est la
question sur laquelle les Parties ne parviennent pas à se mettre d’accord depuis 1969 et c’est cette
absence de détermination qui a, depuis lors, donné lieu à de nombreux incidents maritimes217.
3.67. Contrairement aux allégations de la Colombie et à la différence de l’argument avancé
par l’Italie dans l’affaire des Phosphates du Maroc, le Nicaragua ne soutient pas que «la
persistance des effets du traité de 1928 et de son protocole d’échange des ratifications de 1930
emporte la compétence de la Cour»218. Le Nicaragua fait simplement observer que son affaire
porte sur la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive de chacune des
Parties et que cette question, qui ne pouvait pas s’être posée avant le milieu des années soixante au

213 Ibid., p. 23.
214 Ibid., p. 22.
215 EPC, vol. I, par. 3.39 ; les italiques sont de nous.
216 MN, vol. I, par. 2.240 et 2.246 ; voir également, par exemple, la sentence arbitrale rendue le 31 juillet 1989
dans le différend opposant la Guinée-Bissau et le Sénégal citée dans MN, vol. I, par. 2.245.
217 MN, vol. I, par. 2.203-2.224 ; voir également la requête du Nicaragua, par. 3 et 5-7.
218 EPC, vol. I, par. 3.38.
- 63 -
plus tôt, divise les Parties depuis 1969, année où la Colombie a notifié au Nicaragua, le 4 juin219,
que le traité de 1928 établissait une frontière maritime et que, par conséquent, le Nicaragua n’avait
pas de zones maritimes, et notamment ni plateau continental ni zone économique exclusive, à l’est
du 82e
méridien220.
117 3.68. Loin d’être en présence d’«un fait illicite continué et progressif» depuis 1928221, le
Gouvernement du Nicaragua s’est trouvé confronté à une revendication entièrement nouvelle de la
Colombie, un changement radical, une nouvelle donne juridique. C’est cette nouvelle donne qui
constitue le fait générateur du présent différend, fait bien postérieur au 6 janvier 1932.
Contrairement aux affirmations de la Colombie, ce n’est pas le Nicaragua qui tente de raviver un
différend déjà réglé222, mais la Colombie qui a créé, en 1969, un différend entièrement nouveau.
3.69. En revanche, dans l’affaire des Phosphates du Maroc, la rupture de la situation
existante était due aux dahirs de 1920 et à la décision de 1925, comme l’a lui-même reconnu le
Gouvernement italien : «C’est dans ces dahirs [et dans cette décision] qu’il faut voir les faits
essentiels constitutifs du prétendu accaparement et, par conséquent, les véritables faits générateurs
du différend»223.
3.70. De la même façon, dans l’affaire de la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie
c. Belgique), le différend d’ordre juridique a «surgi» lorsque «les bombardements en cause ont
commencé le 24 mars 1999», c’est-à-dire «bien avant le 25 avril 1999», date de la signature de la
déclaration par laquelle la Yougoslavie avait accepté la juridiction de la Cour pour «tous les
différends, surgissant ou pouvant surgir…, qui ont trait à des situations ou à des faits postérieurs à
ladite signature»224. Au contraire, en l’espèce, «le[] fait[] essentiel[,] … véritable[] fait[]
générateur[] du différend» est le refus exprimé par la Colombie, à compter de 1969, de reconnaître
au Nicaragua une zone maritime sur laquelle ce dernier bénéficiait de droits souverains à l’est du
82e
méridien. Contrairement aux allégations de la Colombie225, il s’agissait précisément de
l’inverse de «[l]a confirmation, après la date critique, de faits antérieurs aux déclarations» : c’était
leur négation.
118
3.71. La Colombie ne saurait par conséquent échapper à l’acceptation de la juridiction de la
Cour en s’appuyant sur la réserve d’ordre temporel dont elle a assorti sa déclaration en vertu de la
clause facultative en 1937. Elle avait tout à fait le droit d’exclure de son acceptation certains
différends antérieurs, mais elle est à présent liée par cette acceptation dans les termes qu’elle a
librement choisis (tu patere legem quem fecisti) et n’a pas le droit d’élargir artificiellement sa
réserve à des faits postérieurs qui remettent clairement en question la situation existante.

219 Le Nicaragua présente ses excuses pour la faute de frappe contenue dans son mémoire (vol. I, p. 8, par. 18),
dans lequel il a daté cette note du 6 juin 1969 au lieu du 4 juin.
220 MN, vol. II, annexe 28.
221 Voir l’affaire des Phosphates du Maroc, arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B no
74, p. 26 ; voir également l’affaire
de la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 134, par. 28.
222 EPC, vol. I, par. 3.49 et 3.50 g).
223 C.P.J.I. série A/B no
74, p. 26 ; voir également p. 27.
224 Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 133, par. 28 et par. 23.
225 EPC, vol. I, par. 3.39.
- 64 -
3.72. Cette conclusion est confirmée par d’autres affaires tranchées par la Cour et sa
devancière, dont la Colombie mentionne certaines ⎯ sans les citer toutes.
3.73. C’est le cas tout d’abord de l’arrêt rendu par la Cour permanente de Justice
internationale sur les exceptions préliminaires en l’affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et
de Bulgarie226. Comme l’a judicieusement fait remarquer Rosenne, il est possible de soutenir que,
dans l’affaire des Phosphates du Maroc, «la Cour permanente a peut-être simplifié à l’excès les
questions» que soulève une réserve d’ordre temporel contenue dans une déclaration faite en vertu
de la clause facultative, telle que celle faite par la France en cette affaire ou par la Colombie en
l’espèce ; l’affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, jugée l’année suivante, fut
l’occasion que la Cour saisit pour lever les incertitudes qui subsistaient227.
119 3.74. Dans cette affaire, la Belgique avait reconnu par une déclaration ratifiée le
10 mars 1926 la compétence obligatoire de la Cour «sur tous les différends qui s’élèveraient après
la ratification de la[dite] déclaration au sujet de situations ou de faits postérieurs à cette
ratification…». Par l’effet de la condition de réciprocité, le Gouvernement bulgare allégua ce qui
suit :
«Bien que les faits incriminés par le Gouvernement belge dans les conclusions
de sa requête … se situent tous à une époque postérieure à la date du 10 mars 1926, la
situation … serait créée par les sentences du tribunal arbitral mixte belgo-bulgare, et
spécialement par la formule établie par les sentences du 5 juillet 1923 et
du 27 mai 1925… On fait valoir également que, la situation qui en procède étant
antérieure à la date décisive du 10 mars 1926, le Gouvernement bulgare serait autorisé
à considérer le différend qui s’est élevé à ce sujet comme échappant, en raison de la
limitation ratione temporis contenue dans la déclaration belge, à la juridiction de la
Cour.»228
3.75. Comme la Colombie elle-même l’admet incidemment, «[l]a Cour ne s’est pas ralliée au
point de vue défendu par la Bulgarie»229. En revanche, s’il est vrai que la Cour permanente rappela
son arrêt rendu dans l’affaire des Phosphates du Maroc, la Colombie omet de citer dans son
intégralité le passage pertinent230 qui donne des précisions des plus importantes sur la portée de
l’arrêt antérieur :
120 «Il est vrai qu’un différend peut présupposer l’existence d’une situation ou d’un
fait antérieur, mais il ne s’ensuit pas que le différend s’élève au sujet de cette situation
ou de ce fait. Il faut que la situation ou le fait au sujet duquel on prétend que s’est
élevé le différend en soit réellement la cause. Ce qui, dans l’espèce, est au centre de la
discussion et doit être considéré comme les faits au sujet desquels le différend est né,
ce sont les actes ultérieurs reprochés par le Gouvernement belge aux autorités bulgares
relativement à une application particulière de la formule… Les griefs formulés à ce
sujet par le Gouvernement belge visent la décision de l’administration des mines de

226 Arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B no
77.
227 The law and Practice of the International Court, 1920-1996, Nijhoff, La Haye, Boston, Londres, 1997, vol. II,
Jurisdiction, p. 793-794.
228 Compagnie d’électricité de Sophia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B no 77, p. 81.
229 EPC, vol. I, par. 3.40.
230 Ibid.
- 65 -
l’Etat bulgare en date du 24 novembre 1934, ainsi que les sentences des tribunaux
bulgares du 24 octobre 1936 et du 27 mars 1937… En conséquence, la Cour estime
que l’argument déduit de la limitation ratione temporis contenue dans la déclaration
belge n’est pas fondé.»231
3.76. Cet argument peut être transposé mutatis mutandis à la présente affaire, c’est-à-dire
pratiquement mot pour mot, en ne changeant que les dates et les faits :
«Ce qui, dans l’espèce, est au centre de la discussion et doit être considéré
comme les faits au sujet desquels le différend est né, ce sont les actes ultérieurs
reprochés par le Gouvernement nicaraguayen aux autorités colombiennes relativement
à une application particulière du traité de 1928. Les griefs formulés à ce sujet par le
Gouvernement nicaraguayen visent la décision du Gouvernement colombien en date
du 4 juin 1969… En conséquence, la Cour doit estimer que l’argument déduit de la
limitation ratione temporis contenue dans la déclaration colombienne n’est pas
fondé.»
121
3.77. Pareille précision était inutile en l’affaire des Phosphates du Maroc, dans laquelle,
manifestement, les «faits générateurs» du différend étaient antérieurs à la «date critique» procédant
de la déclaration faite par la France en vertu de la clause facultative (cette constatation vaut
également pour l’ordonnance rendue par la Cour actuelle au sujet de la demande en indication de
mesures conservatoires en l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie
c. Belgique)232. En revanche, l’éclaircissement était indispensable dans l’affaire de la Compagnie
d’électricité de Sofia et de Bulgarie, comme il l’est dans la présente espèce, dans laquelle «les faits
au sujet desquels le différend est né» résultent précisément de la mise en cause de la situation
antérieure par l’Etat défendeur après la «date critique».
3.78. L’interprétation plus restreinte ⎯ et certes logique ⎯ qui fut donnée au principe des
Phosphates du Maroc invoqué dans l’affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie
a été fermement maintenue par la Cour actuelle. Dans l’affaire de l’Interhandel, la Cour se borna à
dire que «les faits et les situations [ayant] mené à un différend ne sauraient être confondus avec le
différend même»233. Cet énoncé fut développé et explicité l’année suivante lors de l’affaire du
Droit de passage sur territoire indien, dans laquelle la Cour fit l’exégèse suivante des termes
«source» ou «cause réelle» du différend employés par sa devancière dans son arrêt de 1939 :
122 «Ainsi la Cour permanente a distingué entre les situations ou faits qui
constituent la source des droits revendiqués par l’une des Parties et les situations ou
faits générateurs du différend. Seuls ces derniers doivent être retenus pour
l’application de la déclaration portant acceptation de la juridiction de la Cour.»234
3.79. Dans la présente espèce, «les situations ou faits qui constituent la source des droits» du
Nicaragua sont une série de faits, de décisions et de traités qui, comme l’a expliqué le Nicaragua

231 Compagnie d’électricité de Sophia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B no 77, p. 82 ; voir aussi
l’opinion dissidente du Jonkheer Van Eysinga et l’opinion individuelle de M. Cheng Tien-Hsi annexées à l’arrêt rendu
par la CPJI dans l’affaire des Phosphates du Maroc, série A/B no 74, p. 35 et p. 37, dans lesquelles fut aussi relevée
l’ambiguïté de l’arrêt rendu par la Cour en l’espèce.
232 Mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 132-135, par. 22-30.
233 Interhandel, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 22 ; voir aussi Sentence arbitrale du
31 juillet 1989, arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 62, par. 24.
234 Droit de passage sur territoire indien, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 35.
- 66 -
dans son mémoire, remontent au début du XIXe
siècle. En revanche, les faits générateurs du
différend — ceux au sujet desquels le différend est né — sont les décisions prises par la Colombie
en 1969 et maintenues depuis lors, visant à nier au Nicaragua tout droit de souveraineté sur le
plateau continental (et sur une zone économique exclusive) à l’est du 82e
méridien.
3.80. La Colombie allègue à tort que,
«[d]ans la présente instance, la source du différend allégué, sa cause réelle, est
constituée par les sujets de désaccord entre les deux pays concernant la souveraineté
sur la côte des Mosquitos, les Islas Mangles (îles du Maïs) et la revendication de
l’archipel de San Andrés formulée par le Nicaragua en 1913, lesquels sujets de
désaccord ont tous été résolus en 1928, ainsi que par l’existence d’un traité en vigueur,
ratifié en 1930, qui a définitivement réglé le différend, … déterminant une frontière
maritime entre la Colombie et le Nicaragua»235.
123 3.81. Rien n’est plus faux : ainsi qu’il est rappelé plus haut, à la sous-section B de la
section II du chapitre I et aux paragraphes 3.65 et 3.66 de la sous-section B de la section III, et
exposé de façon plus circonstanciée dans le mémoire du Nicaragua, le traité de 1928 n’aurait pas
pu établir de frontière maritime entre les Parties ; c’est parce que la Colombie affirme le contraire
depuis 1969 que le différend est né.
3.82. Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’à l’occasion du présent différend, la Cour doit
tenir compte de la situation relative à la souveraineté sur l’archipel et sur diverses cayes de la
région, ce dont elle a le pouvoir inhérent. Mais c’est là une toute autre question, sur laquelle l’arrêt
rendu en 1960 dans l’affaire du Droit de passage jette un éclairage très différent de la position
colombienne.
3.83. Dans cette affaire, la Cour jugea que ce n’était qu’en 1954 — c’est-à-dire longtemps
après le 5 février 1930, date limitant l’acceptation de la compétence de la Cour par l’Inde — que le
différend s’était élevé au sujet de «l’existence d’un droit de passage pour accéder aux territoires
enclavés et du manquement de l’Inde aux obligations qui, selon le Portugal, lui incomberaient à cet
égard». Et la Cour ajouta : «Cet ensemble, quelle que soit l’origine ancienne de l’une de ses
parties, n’a existé qu’après le 5 février 1930. La condition de date mise à la compétence de la Cour
par la déclaration de l’Inde se trouve donc remplie.»236
124 3.84. La Cour précisa en outre :
«En vain invoquerait-on que les arguments sur l’existence du droit de passage
auraient été les mêmes si cette question avait été débattue avant 1930 que lorsqu’elle
l’est aujourd’hui. Outre que cette considération ne se réfère qu’à une partie du présent
différend, elle perd de vue que la condition mise à la compétence de la Cour ne se
réfère pas à la nature des arguments susceptibles d’être invoqués. Le fait qu’un traité
plus ou moins ancien, qu’une règle de droit international établie depuis plus ou moins

235 EPC, vol. I., par. 3.44.
236 C.I.J. Recueil 1960, p. 35.
- 67 -
longtemps sont invoqués ne sert aucunement de mesure à la juridiction de la Cour
selon la déclaration de l’Inde. Celle-ci s’en tient au fait que le différend concerne une
situation ou des faits postérieurs au 5 février 1930 : le présent différend satisfait à cette
exigence»237,
tout comme le différend dont est à présent saisie la Cour satisfait à l’exigence imposée dans la
déclaration colombienne.
3.85. Ayant ainsi rejeté la sixième exception préliminaire de l’Inde, la Cour, dans son arrêt
de 1960, se pencha ensuite sur le fond de l’affaire. A cette fin, elle étudia d’abord la question de
«l’existence en 1954 au profit du Portugal d’un droit de passage»238. A ce sujet, la Cour examina
les arguments des deux Parties concernant la validité d’un traité conclu en 1779 et celle de décrets
pris en 1783 et 1785 par le souverain mahratte (soit 150 ans avant la «date critique»)239. Elle
examina ensuite les arguments des Parties concernant la portée de ces instruments et, plus
précisément, la question de savoir s’ils avaient ou non opéré en faveur du Portugal un transfert de
souveraineté sur les enclaves240 ; la Cour conclut que ce n’était pas le cas, mais que «la situation
s[’était] modifi[ée] avec l’accession des Britanniques à la souveraineté sur cette partie du pays au
lieu et place des Mahrattes»241, c’est-à-dire, là encore, principalement, avant 1930. On constate
donc que, dans cette affaire, la Cour avait examiné tous les faits historiques relatifs au différend
afin d’en apprécier la validité et la portée juridique.
125
3.86. Ce faisant, comme elle le précisa, la Cour ne «donn[a] [pas] à l’acceptation par l’Inde
de la juridiction obligatoire un effet rétroactif»242, pas davantage qu’elle ne fera abstraction, dans la
présente espèce, de la condition temporelle incluse dans la déclaration facultative de la Colombie
en examinant la validité et la portée du traité Bárcenas-Esguerra dans la mesure où il lui faudra
trancher ces questions pour déterminer les zones maritimes respectives des Parties ⎯ bref, en
réglant le différend né des prétentions colombiennes concernant d’énormes pans de zones
maritimes sur lesquelles le Nicaragua a les droits et la juridiction.
3.87. Pour clore ce volet de l’exception préliminaire colombienne, le Nicaragua souligne que
sa position à cet égard doit être entendue sans égard à la question de la compétence de la Cour sur
l’ensemble des conclusions nicaraguayennes reposant sur le pacte de Bogotá.
126 3.88. Comme le souligna la Cour permanente dans l’affaire de la Compagnie d’électricité de
Sofia et de Bulgarie :
«la multiplicité d’engagements conclus en faveur de la juridiction obligatoire atteste
chez les contractants la volonté d’ouvrir de nouvelles voies d’accès à la Cour plutôt
que de fermer les anciennes ou de les laisser se neutraliser mutuellement pour aboutir
finalement à l’incompétence»243.

237 C.I.J. Recueil 1960, p. 36.
238 Ibid.
239 Ibid., p. 37.
240 Ibid., p. 38.
241 Ibid., p. 39.
242 Ibid., p. 35.
243 C.P.J.I. série A/B no 77, p. 76.
- 68 -
3.89. En l’espèce, la compétence de la Cour repose sur le pacte de Bogotá et les déclarations
faites par les Parties en vertu de la clause facultative, fondements qui, loin de s’exclure
mutuellement, sont complémentaires. Il appartient à la Cour de décider laquelle de ces deux bases
juridiques est la plus pertinente dans la présente affaire244 ou s’il convient de les combiner. Le
Nicaragua est convaincu que chacune d’entre elles «donne compétence à la Cour pour connaître du
différend qui lui est soumis»245.
IV. QUATRIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : L’ACCEPTATION PAR LA COLOMBIE,
À TRAVERS SON COMPORTEMENT, DE L’OBLIGATION DE DONNER
UN PRÉAVIS RAISONNABLE EN CAS DE DÉNONCIATION
3.90. L’histoire politique récente de la région permet au Nicaragua d’affirmer que la
Colombie a, par son comportement, accepté l’obligation de donner un préavis raisonnable dans le
cas où elle dénoncerait sa déclaration faite en vertu de la clause facultative et que, par conséquent,
la notification colombienne du 5 décembre 2001 ne saurait avoir les conséquences juridiques
avancées par la Colombie.
127
A. Les déclarations publiques du président Aleman Lacayo en 2001
3.91. Quelques semaines après la ratification par le Honduras, le 30 novembre 1999, du traité
de délimitation du 2 août 1986, M. Arnoldo Alemán, à l’époque président du Nicaragua, annonça
qu’une instance serait introduite devant la Cour contre la Colombie. Cette annonce fut faite
le 24 décembre 1999246 (voir par. 3.93 et 3.102 ci-dessous).
3.92. Cette décision du président Alemán fut réitérée publiquement à plusieurs reprises. Par
exemple, à son retour du troisième sommet des Amériques tenu au Canada, il déclara : «Nous
allons aussi introduire une instance contre la Colombie, comme nous l’avons fait contre le
Honduras.»247
3.93. Plus tard au cours de la même année, le 9 octobre 2001, le président Alemán annonça
que l’instance contre la Colombie allait être introduite devant la Cour.
«Nous allons introduire une instance contre la Colombie. Nous inscrirons aussi
au budget national la provision nécessaire pour financer la poursuite de cette affaire,
car, comme vous n’êtes pas sans le savoir, ces affaires sont débattues devant des
juridictions internationales, ce qui entraîne des dépenses énormes. Mais comme je l’ai
dit, la souveraineté de notre pays doit prévaloir sur tout le reste.»248
128
3.94. La presse colombienne se fit l’écho de ces déclarations. Par exemple, la dernière
annonce parut comme suit dans le journal colombien El Espectador :

244 Voir par exemple : Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 90, par. 48.
245 Ibid.
246 OEN, vol. II, annexe 13.
247 Ibid., annexe 14.
248 Ibid., annexe 15.
- 69 -
«Le président du Nicaragua, Arnoldo Alemán, a annoncé hier qu’avant
le 10 janvier, date à laquelle il devra procéder à la passation des pouvoirs, une requête
contre la Colombie serait déposée à la Cour internationale de Justice à La Haye au
sujet d’un traité frontalier signé avec le Honduras, traité qui aurait des conséquences
pour le Nicaragua.»249
B. Négociations menées au niveau des ministres des affaires étrangères en 2001
3.95. Tel était le contexte politique lorsque M. Francisco Aguirre fut nommé ministre des
affaires étrangères du Nicaragua en octobre 2000. M. Aguirre, dans une déclaration écrite sous
serment250, relate la manière dont son homologue colombien, M. Fernández de Soto, demanda que
le dépôt de la requête nicaraguayenne fût reporté pour pouvoir mener des négociations sur les
questions de délimitation territoriale et maritime qui étaient pendantes entre leurs Etats respectifs.
129 3.96. Pour M. Aguirre, cette proposition n’était pas complètement inattendue. Il y avait déjà
eu des tentatives de négociation au cours des vingt-cinq dernières années (voir plus haut, chap. I,
par. 1.67-1.84).
3.97. M. Aguirre accepta en toute confiance, pour apprendre ensuite avec étonnement que
cette requête et les offres de négociations avaient pour seul but de permettre à la Colombie de
gagner du temps et de prendre les mesures juridiques et politiques nécessaires pour retirer sa
déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour faite en 1937.
3.98. A l’issue de ces événements, le Gouvernement nicaraguayen s’est trouvé dans la
situation où son vis-à-vis colombien s’était, par son comportement, engagé à ne pas modifier le
statu quo juridictionnel à l’égard de la Cour internationale de Justice. Telle était en effet la
conséquence juridique inévitable de la demande de report du dépôt de la requête nicaraguayenne.
La conduite de la Colombie doit être interprétée dans le cadre de la présomption de bonne foi. La
requête du ministre colombien des affaires étrangères visant à faire reporter le dépôt de la requête
nicaraguayenne comportait implicitement l’engagement de ne pas retirer la déclaration
colombienne d’acceptation de la compétence sans préavis raisonnable.
3.99. En conséquence, le Gouvernement colombien était empêché (estoppel) de modifier le
statu quo juridictionnel sans préavis raisonnable. De nombreuses autorités estiment que l’estoppel
est un principe général de droit international qui repose essentiellement sur le principe de bonne
foi.
3.100. La Cour a défini les conditions de l’existence d’un estoppel à plusieurs reprises.
Ainsi, dans l’arrêt qu’elle rendit dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, la Cour
indiqua que,
130 «[e]u égard à ces considérations de principe, [elle était] d’avis que seule l’existence
d’une situation d’estoppel pourrait étayer pareille thèse : il faudrait que la
République fédérale ne puisse plus contester l’application du régime conventionnel, en
raison d’un comportement, de déclarations, etc., qui n’auraient pas seulement attesté

249 OEN, vol. II, annexe 6.
250 Ibid., annexe 22.
- 70 -
d’une manière claire et constante son acceptation de ce régime mais auraient
également amené le Danemark ou les Pays-Bas, se fondant sur cette attitude, à
modifier leur position à leur détriment ou à subir un préjudice quelconque. Rien
n’indique qu’il en soit ainsi en l’espèce.»251
3.101. Cette définition fut adoptée par la Chambre constituée par la Cour en l’affaire du
Golfe du Maine (C.I.J. Recueil 1984, p. 309, par. 145) ; et par la Cour plénière en l’affaire
concernant les Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. Etats-Unis d’Amérique) (C.I.J. Recueil 1984, p. 414-415, par. 51), et en l’affaire de la Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria) (C.I.J. Recueil 1998,
p. 303, par. 57).
3.102. Dans les circonstances de la présente instance, le président et le ministre des affaires
étrangères nicaraguayens avaient annoncé publiquement l’intention du Nicaragua de déposer
devant la Cour une requête dans laquelle la Colombie serait l’Etat défendeur. Ces déclarations
publiques furent faites dans la période comprise entre décembre 1999 et la fin novembre 2001 et
relayées par la presse nicaraguayenne et colombienne. Il ne fait aucun doute que la Colombie
connaissait l’intention du Nicaragua, compte tenu, surtout, des négociations tenues au niveau des
ministres des affaires étrangères à la même période.
131
3.103. L’agent de la Colombie, l’ambassadeur Julio Londoño, reconnut, au cours d’une
entrevue accordée à la presse peu après le dépôt de la requête, que la Colombie connaissait depuis
deux ans la décision du Nicaragua de porter la présente affaire devant la Cour. L’ambassadeur
Londoño fit ces commentaires en réponse à la question, souvent posée, de savoir si ce n’était que
pure coïncidence que le Nicaragua avait déposé sa requête le 6 décembre 2001 et la Colombie retiré
son acceptation la veille.
«La Colombie ne voit qu’une seule explication : c’était une coïncidence.
L’ambassadeur de la Colombie à Cuba, Julio Londoño, chargé de coordonner le
groupe qui plaidera la cause de la Colombie devant la Cour, a déclaré que la Colombie
avait retiré sa déclaration le 5 décembre sans savoir exactement la date à laquelle le
Nicaragua introduirait l’instance. Ce que l’on savait, c’était que la requête serait
déposée à un moment ou à un autre, puisque cela faisait deux ans que le Nicaragua
l’annonçait.»252
3.104. C’est dans ces conditions que le ministre colombien des affaires étrangères,
M. Fernández de Soto, demanda à son homologue nicaraguayen, M. Aguirre, de reporter le dépôt
de la requête. Il ne donna aucune indication quant à une modification ou à un retrait de
l’acceptation de la compétence de la Cour par la Colombie.
132

251 C.I.J. Recueil 1969, p. 26, par. 30.
252 OEN, vol. II, annexe 7.
- 71 -
133
CHAPITRE IV
L’EXISTENCE D’UN DIFFÉREND À LA LUMIÈRE DU PACTE DE BOGOTÁ
ET DE LA COMPÉTENCE EN VERTU DE LA CLAUSE FACULTATIVE
4.1. L’article VI du pacte de Bogotá se lit comme suit :
«Ces procédures ne pourront non plus s’appliquer ni aux questions déjà réglées
au moyen d’une entente entre les parties, ou d’une décision arbitrale ou d’une décision
d’un tribunal international, ni à celles régies par des accords ou traités en vigueur à la
date de la signature du présent pacte.» (Les italiques sont de nous.)
4.2. Dans ses exceptions préliminaires, la Colombie soutient que les questions soulevées
dans la requête du Nicaragua sont «déjà réglées» par le traité de Esguerra-Bárcenas de 1928 et le
protocole d’échanges de ratifications de 1930 (voir EPC, vol. I, par. 2.1-2.35, 2.63-2.64 et 3.1-3.9).
4.3. La Colombie invoque aussi l’article XXXIV du pacte de Bogotá qui dispose que : «[s]i,
pour les motifs indiqués aux articles 5, 6 et 7 de ce traité, la Cour se déclarait incompétente pour
juger le différend, celui-ci sera déclaré terminé.»
4.4. La Colombie invoque les travaux préparatoires des articles VI et XXXIV du pacte
de Bogotá (EPC, vol. I, par. 2.10-2.14). En fait, les éléments avancés dans ces paragraphes ne
règlent pas la question. Les travaux préparatoires des deux articles ne font que confirmer que les
mécanismes de ces dispositions doivent être précisés. Les travaux confirment tout simplement ce
fait.
134
4.5. En dernière analyse, l’expression «déjà réglées» doit être appliquée in concreto et
recouvre inévitablement une pétition de principe. La question qui demeure est celle de savoir si
l’objet de la requête a «déjà [été] réglé au moyen d’une entente entre les Parties».
4.6. D’un point de vue analytique, la question préliminaire, mais déterminante, est de savoir
s’il existe un différend entre les Parties. La teneur du différend comprendrait le point de savoir si
les questions ont «déjà [été] réglées». Ce dernier point se rapporte manifestement au fond de
l’affaire.
4.7. En tout état de cause, il est logique de présumer que l’expression «déjà réglées» connote
un règlement conforme aux principes du droit international public. En conséquence, le terme
«réglées» appelle une revision et la revision peut, en soi, constituer un différend.
4.8. Dans ce contexte, les juridictions internationales, et en particulier la Cour, ont abordé
avec réalisme la question de l’identification d’un différend. Les passages suivants de l’avis
consultatif rendu en l’affaire de l’Accord relatif au siège sont assez représentatifs à cet égard :
«34. Pour répondre à la question posée, la Cour doit déterminer si un différend
existe entre l’Organisation des Nations Unies et les Etats-Unis et, dans l’affirmative,
s’il s’agit d’un différend «au sujet de l’interprétation ou de l’application» de l’accord
- 72 -
135 de siège au sens de la section 21 dudit accord. Si elle conclut à l’existence d’un tel
différend, elle doit s’assurer, conformément à cette section, qu’il n’a pu être «réglé par
voie de négociations» ou par «tout autre mode de règlement agréé par les Parties».
35. Comme la Cour l’a fait observer dans l’affaire de l’Interprétation des traités
de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, «l’existence d’un
différend international demande à être établie objectivement» (C.I.J. Recueil 1950,
p. 74). A cet égard, la Cour permanente de Justice internationale avait, dans l’affaire
des Concessions Mavrommatis en Palestine, défini un différend comme «un désaccord
sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques
ou d’intérêts entre deux personnes» (C.P.J.I. série A n° 2, p. 11). Cette définition fut
depuis lors appliquée et précisée à plusieurs reprises. Dans l’avis consultatif
du 30 mars 1950, la Cour, après avoir examiné la correspondance diplomatique
échangée entre les Etats concernés, observa que «les points de vue des deux Parties,
quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations découlant des
traités» de paix, étaient «nettement opposés» et en a conclu que «des différends
internationaux [s’étaient] produits» (Interprétation des traités de paix conclus avec la
Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, C.I.J. Recueil 1950, p. 74). Par
ailleurs, dans son arrêt du 21 décembre 1962 dans les affaires du Sud-Ouest africain,
la Cour précisa que, pour démontrer l’existence d’un différend, «il ne suffit pas que
l’une des Parties à une affaire contentieuse affirme l’existence d’un différend avec
l’autre Partie. La simple affirmation ne suffit pas pour prouver l’existence d’un
différend,
«tout comme le simple fait que l’existence d’un différend est contestée ne
prouve pas que ce différend n’existe pas. Il n’est pas suffisant non plus
de démontrer que les intérêts des deux Parties à une telle affaire sont en
conflit. Il faut démontrer que la réclamation de l’une des Parties se
heurte à l’opposition manifeste de l’autre» (C.I.J. Recueil 1962, p. 328).
136
La Cour a estimé que l’attitude opposée des Parties établissait clairement l’existence
d’un différend (ibid. ; voir aussi l’affaire du Cameroun septentrional, C.I.J. Recueil
1963, p. 27).»253
4.9. Et, dans l’affaire du Cameroun septentrional, la Cour fit observer
«[qu’elle] n’a[vait] pas à se préoccuper de savoir si un différend portant sur le même
objet a[vait] existé ou non entre la République du Cameroun et les Nations Unies ou
l’Assemblée générale. De l’avis de la Cour, il suffi[sai]t de constater que, eu égard
aux faits déjà exposés dans le présent arrêt, les positions opposées des Parties pour ce
qui concerne l’interprétation et l’application des articles pertinents de l’accord de
tutelle révèl[ai]ent l’existence entre la République du Cameroun et le Royaume-Uni, à
la date de la requête, d’un différend au sens admis par la jurisprudence de la Cour
actuelle et de l’ancienne Cour.»254
4.10. Ces passages s’appliquent très pertinemment aux circonstances de la présente espèce.
Les comportements opposés des Parties traduisent clairement l’existence d’un différend. L’objet
de ce différend comporte certes plusieurs facettes, mais l’une d’entre elles est le statut juridique des
obligations conventionnelles (voir chap. I plus haut).
137

253 Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 relatif au siège
de l’Organisation des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1988, p. 27.
254 Cameroun septentrional, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 27.
- 73 -
4.11. Une comparaison de l’objet du mémoire du Nicaragua et du texte du volume I des
exceptions préliminaires de la Colombie fournit d’abondantes preuves des positions opposées des
Parties sur toute une série de questions de droit et de fait. Il suffit de se reporter aux chapitres I
et II des exceptions préliminaires pour en avoir la confirmation.
4.12. Dans son argumentation, la Colombie tente de faire fond sur les conclusions de la Cour
dans l’affaire des Actions armées frontalières et transfrontalières pour soutenir que, même si elle
est compétente en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, la Cour demeure tenue de juger
de sa compétence aux termes de l’article VI du pacte de Bogotá. La Colombie conclut que :
«Dès lors, même si la Colombie était toujours liée par sa déclaration
du 30 octobre 1937 lorsque le Nicaragua a déposé sa requête ⎯ quod non ⎯, le pacte
de Bogotá ⎯ la lex specialis ⎯ serait tout de même applicable; la Cour devrait malgré
tout «se déclarer incompétente» et le différend devrait être «déclaré terminé».»255
4.13. Cette conclusion de la Colombie repose sur une interprétation erronée de la décision
rendue par la Cour dans l’affaire des Actions armées. Dans cette affaire, le Honduras avait soutenu
ce qui suit :
138 «Selon l’interprétation la plus littérale et par conséquent la plus simple des
dispositions du pacte, son article XXXI, en établissant la juridiction obligatoire de la
Cour, impose en même temps à chacune des Parties de souscrire en outre une
déclaration unilatérale d’acceptation de cette juridiction suivant les dispositions de
l’article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour auquel l’article XXXI du pacte fait
expressément référence. Les réserves jointes à de telles déclarations, comme dans le
cas de la déclaration du Honduras en date du 22 mai 1986 [citée au paragraphe 24
ci-dessus], s’appliquent par conséquent tant dans le cadre de la mise en application de
l’article XXXI que sur la base exclusive de la déclaration hondurienne elle-même.»256
4.14. La Cour rejeta l’argument et tira la conclusion suivante :
«[L]a Cour est amenée à constater que l’engagement figurant à l’article XXXI
du pacte est indépendant des déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire
effectuées par application du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut et remises au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies conformément au paragraphe 4
de cet article. Par voie de conséquence, il n’est pas nécessaire de décider si la
déclaration de 1986 du Honduras peut être opposée ou non au Nicaragua en l’espèce ;
cette déclaration ne saurait en tout état de cause restreindre l’engagement pris par ce
pays en vertu de l’article XXXI. Dès lors l’argumentation du Honduras concernant
l’effet des réserves à sa déclaration de 1986 sur l’engagement qu’il a pris à
l’article XXXI du pacte ne peut pas être accueillie.»257
139

255 EPC, vol. I., par. 3.6.
256 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 82, par. 29.
257 Ibid., p. 88, par. 41.
- 74 -
4.15. Cette décision de la Cour revient tout simplement à indiquer que la compétence sur la
base de l’article XXXI du pacte résulte d’un engagement autonome des parties, indépendamment
de la compétence en vertu de la clause facultative258. Pourtant, cette décision n’a pas institué
d’hégémonie du pacte, et le principe d’autonomie, appliqué avec logique, empêcherait pareille
hégémonie. En fait, les obligations découlant du pacte ne peuvent pas être modifiées au moyen
d’une déclaration unilatérale faite ultérieurement en vertu du Statut259.
4.16. Il faut en déduire que, sauf indication contraire expresse, la notion de différend
applicable est identique pour les deux titres de compétence. Il n’y a aucune raison de supposer que
le libellé de l’article VI du pacte de Bogotá conduise à la définition d’un critère indépendant et
spécifique pour établir l’existence d’un différend. En réalité, le libellé de l’article XXXI du pacte
de Bogotá exclut pareille hypothèse. Il se lit comme suit :
«Article XXXI. Conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la
Cour internationale de Justice, les Hautes Parties contractantes en ce qui concerne tout
autre Etat américain déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et sans
convention spéciale tant que le présent traité restera en vigueur, la juridiction de la
Cour sur tous les différends d’ordre juridique surgissant entre elles et ayant pour
objet :
140
a) l’interprétation d’un traité ;
b) toute question de droit international ;
c) l’existence de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un
engagement international ;
d) la nature ou l’étendue de la réparation qui découle de la rupture d’un engagement
international.» (Les italiques sont de nous.)
4.17. Ce libellé donne fort à penser que les deux sources de compétence ressortissent aux
mêmes concepts. De surcroît, on ne saurait supposer que la notion de différend varie en fonction
du titre de compétence.

258 C.I.J. Recueil 1988, p. 85, par. 36.
259 Voir l’arrêt rendu dans l’affaire des Actions armées, C.I.J. Recueil 1988, p. 84, par. 34.
- 75 -
141 CONCLUSIONS
1. Au vu des motifs exposés, la République du Nicaragua prie la Cour de dire et juger que les
exceptions préliminaires soulevées par la République de Colombie au sujet de la compétence au
titre du pacte de Bogotá et de la compétence au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la
Cour sont dénuées de validité.
2. A titre subsidiaire, la Cour est priée de dire et juger que, conformément aux dispositions
du paragraphe 7 de l’article 79 du Règlement de la Cour, les exceptions soulevées par la
République de Colombie ne revêtent pas un caractère exclusivement préliminaire.
3. En outre, la République du Nicaragua prie la Cour de rejeter la demande de la République
de Colombie tendant à ce que le différend dont l’a saisie le Nicaragua, en vertu de l’article XXXI
du pacte de Bogotá soit déclaré «terminé», conformément aux articles VI et XXXIV dudit
instrument.
4. Toutes les questions qui n’auraient pas été explicitement traitées dans les observations
écrites qui précèdent sont expressément réservées pour le stade de l’examen au fond de la présente
instance.
La Haye, le 26 janvier 2004
(Signé) Carlos J. ARGÜELLO GÓMEZ,
Agent de la République du Nicaragua.
___________

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Volume I Observations écrites

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