Déclaration de M. Shi (traduction)

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095-19960708-ADV-01-03-EN
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095-19960708-ADV-01-00-EN
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DÉCLARATION DE M. SHI

[Traduction]

J'ai votépour l'ensembledu dispositif de l'avisconsultatif donnépar la
Cour car j'approuve d'un manière générale lesmotifs sur lesquels il se
fonde et les conclusions auxquelles il aboutit.
J'ai toutefois des réservesàformuler au sujet du rôle que la Cour attri-
bue à la politique de dissuasion dans la détermination dela lex lata rela-
tive àl'emploi desarmes nucléaires.

C'est ainsi,par exemple, que le paragraphe 67 de l'avis précise:
«Elle [la Cour] constate qu'il est de fait qu'un certain nombre
d'Etats ont adhéré à cette pratique pendant la plus grande partie de
la guerre froide et continuent d'y adhérer.De surcroît, les membres

de la communauté internationale sont profondément diviséssur le
point de savoir si le non-recours aux armes nucléairespendant les
cinquante dernières années constitue l'expression d'une opiniojuris.
Dans ces conditions, la Cour n'estime pas pouvoir conclure à I'exis-
tence d'une telle opiniojuris))

Plus loin il est dit au paragraphe 96, qui est essentiel:
((Elle [la Cour] ne peut davantage ignorer la pratique dénommée
((politique de dissuasion)) à laquelle une partie appréciable de la
communauté internationale a adhérépendant des années. ))

Selon moi, la «dissuasion nucléaire))est un instrument de politique que
certains Etats dotés d'armes nucléaires utilisendtans leurs relations avec
d'autres Etats et qui serait censéeempêcherle déclenchement de conflits
armésou de guerres de grande ampleur et maintenir la paix et la sécurité
entre lesnations.Il ne fait aucun doute que cette pratique de certains Etats

détenteurs del'arme nucléairerelèvede la politique internationale et non
du droit. Elle est sans valeur juridique du point de vue de la formation
d'une règlecoutumièreinterdisant le recours aux armes nucléaires entant
que telles. C'estle droit qui devrait réglementerla politique de dissuasion
nucléaireet non pas l'inverse. Lorsque,dans l'exercicede sa fonction judi-
ciaire, elledoit définir unerèglede droit existante applicablel'emploides
armes nucléaires,la Cour ne saurait tenir compte de la politique ainsipra-
tiquéepar certains Etatscar, siellelefaisait, ellemettrait ledroit en accord
avec les exigencesde la politique de dissuasion. Non seulement la Cour

confondrait politique et droit, mais elle définirait une position juridique
l'égard dela politique de dissuasion, intervenant ainsi dans la politique
internationale, cequi ne serait guère compatible avecsafonctionjudiciaire.
En outre, si on laissede côtéla nature de la politique de dissuasion, on
voit que cette ((partie appréciable dela communauté internationale)) qui MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (DÉCLS.HI) 278

adhère à cette politique se compose de certains Etats dotés d'armes
nucléaires et des Etats qui acceptent la protection du ((parapluie
nucléaire)).Certes,ces Etats sont desmembres importants et puissants de
la communauté internationale et jouent un grand rôle sur la scèneinter-
nationale.Il reste que la Cour, organe judiciaire principal de l'organisa-
tion des Nations Unies, ne saurait considérer cette((partie appréciablede
la communauté internationale)) sous l'angle de la puissance matérielle.

Elle ne peut que l'envisager du point de vue du droit international. La
communauté internationale des Etats compte aujourd'hui plus de cent
quatre-vingt-cinq Etats. La partie appréciable de cette communauté,
mentionnéedans l'avis, ne constitue nullement une fraction considérable
de cet ensemble, la structure de la communauté internationale reposant
sur le principe de l'égalité souveraine. En conséquence,n accordant une
importance indue à la pratique de cette ((partie appréciable)),non seule-
ment on irait à l'encontre du principe mêmede l'égalité souverainedes
Etats, mais encore il deviendrait plus difficilede donner une idéeexacteet
juste de l'existence d'une règlecoutumière relativeà l'emploi de l'arme
nucléaire.

(SignéS )HIJiuyong.

Bilingual Content

DECLARATION OF JUDGE SHI

1 have voted in favour of the operative paragraphs of the Advisory
Opinion of the Court, because 1 am generally in agreement with its
reasoning and conclusions.
However, 1 have reservations with regard to the role which the Court
assigns to the policy of deterrence in determining lex lataon the use of

nuclear weapons.
Thus, for instance, paragraph 67 of the Opinion states
"It [the Court] notes that it is a fact that a number of States
adhered to that practice during the greater part of the Cold War and
continue to adhere to it. Furthermore, the members of the interna-

tional community are profoundly divided on the matter of whether
non-recourse to nuclear weapons over the past 50 years constitutes
the expression of an opinio juris. Under these circumstances the
Court does not consider itself able to find that there is such an opinio
juris."
Then in the crucial paragraph 96 it is stated

"nor can it [the Court] ignore the practice referred to as 'policy of
deterrence', to which an appreciable section of the international
community adhered for many years".

In my view, "nuclear deterrence" is an instrument of policy which cer-
tain nuclear-weapon States use in their relations with other States and
which is said to prevent the outbreak of a massive armed conflict or war,
and to maintain peace and security among nations. Undoubtedly, this
practice of certain nuclear-weapon States is within the realm of interna-
tional politics, not that of law. It has no legal significancefrom thetand-
point of the formation of a customary rule prohibiting the use of nuclear
weapons as such. Rather, the policy of nuclear deterrence should be an
object of regulation by law, not viceversa. The Court, when exercisingits
judicial function of determining a rule of existing law governing the use

of nuclear weapons, simply cannot have regard to this policy practice of
certain States as, if it were to do so, it would bemaking the law accord
with the needs of the policy of deterrence. The Court would not only be
confusing policy with law, but also taking a legal position with respect to
the policy of nuclear deterrence,thus involving itself in international poli-
tics- which would be hardly compatible with its judicial function.

Also, leaving aside the nature of the policy of deterrence, this "appre-
ciable section of the international community" adhering to the policy of DÉCLARATION DE M. SHI

[Traduction]

J'ai votépour l'ensembledu dispositif de l'avisconsultatif donnépar la
Cour car j'approuve d'un manière générale lesmotifs sur lesquels il se
fonde et les conclusions auxquelles il aboutit.
J'ai toutefois des réservesàformuler au sujet du rôle que la Cour attri-
bue à la politique de dissuasion dans la détermination dela lex lata rela-
tive àl'emploi desarmes nucléaires.

C'est ainsi,par exemple, que le paragraphe 67 de l'avis précise:
«Elle [la Cour] constate qu'il est de fait qu'un certain nombre
d'Etats ont adhéré à cette pratique pendant la plus grande partie de
la guerre froide et continuent d'y adhérer.De surcroît, les membres

de la communauté internationale sont profondément diviséssur le
point de savoir si le non-recours aux armes nucléairespendant les
cinquante dernières années constitue l'expression d'une opiniojuris.
Dans ces conditions, la Cour n'estime pas pouvoir conclure à I'exis-
tence d'une telle opiniojuris))

Plus loin il est dit au paragraphe 96, qui est essentiel:
((Elle [la Cour] ne peut davantage ignorer la pratique dénommée
((politique de dissuasion)) à laquelle une partie appréciable de la
communauté internationale a adhérépendant des années. ))

Selon moi, la «dissuasion nucléaire))est un instrument de politique que
certains Etats dotés d'armes nucléaires utilisendtans leurs relations avec
d'autres Etats et qui serait censéeempêcherle déclenchement de conflits
armésou de guerres de grande ampleur et maintenir la paix et la sécurité
entre lesnations.Il ne fait aucun doute que cette pratique de certains Etats

détenteurs del'arme nucléairerelèvede la politique internationale et non
du droit. Elle est sans valeur juridique du point de vue de la formation
d'une règlecoutumièreinterdisant le recours aux armes nucléaires entant
que telles. C'estle droit qui devrait réglementerla politique de dissuasion
nucléaireet non pas l'inverse. Lorsque,dans l'exercicede sa fonction judi-
ciaire, elledoit définir unerèglede droit existante applicablel'emploides
armes nucléaires,la Cour ne saurait tenir compte de la politique ainsipra-
tiquéepar certains Etatscar, siellelefaisait, ellemettrait ledroit en accord
avec les exigencesde la politique de dissuasion. Non seulement la Cour

confondrait politique et droit, mais elle définirait une position juridique
l'égard dela politique de dissuasion, intervenant ainsi dans la politique
internationale, cequi ne serait guère compatible avecsafonctionjudiciaire.
En outre, si on laissede côtéla nature de la politique de dissuasion, on
voit que cette ((partie appréciable dela communauté internationale)) quideterrence is composed of certain nuclear-weapon States and those States
that accept the protection of the "nuclear umbrella". No doubt, these
States are important and powerful members of the international commu-
nity and play an important role on the stage of international politics.
However, the Court, as the principaljudicial organ of the United Nations,
cannot view this "appreciable section of the international community" in
terms of material power. The Court can only have regard to it from the
standpoint of international law. Today the international community of
States has a membership of over 185 States. The appreciable section of
this community to which the Opinion refers by no means constitutes a
large proportion of that membership, and the structure of the interna-
tional community is built on the principle of sovereign equality. There-
fore, any undue emphasis on the practice of this "appreciable section"
would not only be contrary to the very principle of sovereign equality of
States, but would also make it more difficult to give an accurate and
proper view of the existence of a customary rule on the use of the

weapon.

(Signed) SHIJiuyong. MENACEOU EMPLOID'ARMES NUCLÉAIRES (DÉCLS.HI) 278

adhère à cette politique se compose de certains Etats dotés d'armes
nucléaires et des Etats qui acceptent la protection du ((parapluie
nucléaire)).Certes,ces Etats sont desmembres importants et puissants de
la communauté internationale et jouent un grand rôle sur la scèneinter-
nationale.Il reste que la Cour, organe judiciaire principal de l'organisa-
tion des Nations Unies, ne saurait considérer cette((partie appréciablede
la communauté internationale)) sous l'angle de la puissance matérielle.

Elle ne peut que l'envisager du point de vue du droit international. La
communauté internationale des Etats compte aujourd'hui plus de cent
quatre-vingt-cinq Etats. La partie appréciable de cette communauté,
mentionnéedans l'avis, ne constitue nullement une fraction considérable
de cet ensemble, la structure de la communauté internationale reposant
sur le principe de l'égalité souveraine. En conséquence,n accordant une
importance indue à la pratique de cette ((partie appréciable)),non seule-
ment on irait à l'encontre du principe mêmede l'égalité souverainedes
Etats, mais encore il deviendrait plus difficilede donner une idéeexacteet
juste de l'existence d'une règlecoutumière relativeà l'emploi de l'arme
nucléaire.

(SignéS )HIJiuyong.

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