Déclaration de M. Herczegh

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095-19960708-ADV-01-02-EN
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095-19960708-ADV-01-00-EN
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DÉCLARATION DE M. HERCZEGH

Selon l'article du Statut de la Cour internationale de Justice, les
membres de celle-ci ((assurent dans l'ensemble la représentation des
grandes formes de civilisation et des principaux systèmesjuridiques du
monde». En conséquence, il est inévitableque des différencesd'approche
théorique surgissent entre eux concernant les traits caractéristiques du
systèmedu droit international et de ses branches, l'existence ou la non-
existence de lacunes dans ce systèmeet la solution des conflits éventuels

entre ses règles, ainsi que d'autres questions plus ou moins fondamen-
tales. La préparation d'un avis consultatif sur la question fort complexe
poséepar l'Assemblée généralaeu sujet de la licéitéde la menace ou de
l'em~loides armes nucléaires«en toute circonstance» a mis en relief les
différentesconceptions du droit international qui existent au sein de la
Cour. La diversitéde ces conceptions a empêché celle-cide pouvoir arri-
ver àune solution plus complète, et partantàun résultatplus satisfaisant.
La rédactiondes motifs comme celle des conclusions de l'avisconsultatif
reflètent ces divergences.l convient toutefois de noter que la Cour, sur
plusieurs points très importants, s'est expriméede manière unanime.
A mon avis, l'état actueldu droit international aurait cependant per-
mis, dans le cadre de l'avisconsultatif, la formulation d'une réponseplus
préciseet moins chargée d'incertitudes et d'hésitationsà la demande de
l'Assemblée générale D.ans les domaines où l'on ne trouve pas d'interdic-
tion complèteet universelle de certains actesen tant que tels», l'applica-

tion des principes générauxdu droit permet de réglerle comportement
des sujets de l'ordre juridique international, les obligeant ou les autori-
sant, selon le cas,s'abstenir ouà agir d'une manièreou d'une autre. Les
principes fondamentaux du droit international humanitaire, correcte-
ment mis en valeur dans les motifs de l'avisconsultatif, interdisent d'une
manière catégoriqueet sans équivoquel'emploi desarmes de destruction
massive et, parmi celles-ci, des armes nucléaires. Ledroit international
humanitaire ne connaît pas d'exception à ces principes.
Je considère aue la Cour aurait dû éviterentièrement de traiter de la
question des représailles en temps de conflits armés, dont un examen
minutieux aurait,à mon avis, dépassé le cadre de la demande soumise par
l'Assemblée générale E.n l'état,la Cour a pensé utilede mentionner la
question dans son avis, mais l'a fait de manière trop brève,ce qui risque
de donner lieu à des interprétations hâtives et mal fondées.

Les rapports entre lespoints C et E, tels qu'ils apparaisseàl'alinéa2
du paragraphe 105de l'avisconsultatif, ne semblent pas tout à fait clairs,
et la cohérence de leur contenu respectif n'apparaît pas parfaite. La
menace ou l'emploi de la force au moyen d'armes nucléairesdoit, selon le276 MENACE OU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (DÉCLH .ERCZEGH)

point C, satisfaireà toutes les prescriptions)) de l'article 51 de la Charte
des Nations Unies, qui concerne le droit naturel de légitimedéfense,tan-
dis que la seconde phrase du point E indique que

«la Cour ne peut cependant conclure de façon définitiveque la
menace ou l'emploi d'armes nucléaires seraitlicite ou illicite dans
une circonstance extrême delégitimedéfensedans laquelle la survie
mêmed'un Etat serait en cause)).

Or, le libelléde cette dernière phrase n'estpaàmon avis aisément conci-
liable avec la référence faiteauparavant à ((toutes les prescriptions)) de
l'article51de la Charte. Les paragraphes 40 et41 de l'avisont préciséque
le droit de recourirà la légitimedéfense est soumis à des restrictions et
qu'il existe une «règle spécifique ..bien établieen droit international
coutumier)) selon laquelle «la Iégitimedéfensene justifierait que des

mesures proportionnées a l'agression armée subie, etnécessairespour y
riposter)). Je pense que la Cour aurait pu faire de cette constatation
l'objet de conclusions formelles au paragraphe 105 de l'avis consultatif,
qui aurait ainsi gagnéen précision.
L'une des nombreuses tâches assignées à l'Assembléegénéralevise -
selon l'article 13 de la Charte des Nations Unies - «le développement
progressif du droit international et sa codification)).Transformer, par
voie de codification, des principes générauxdu droit et des règlescoutu-
mières en règlesde droit conventionnel pourrait exclurecertaines des fai-
blesses inhérentesau droit coutumier et pourrait sûrement contribuer à

mettre fin aux controverses qui ont préludé àla demande d'avis adressée
à la Cour par l'Assembléegénéralequant à la licéitou à l'illicéide la
menace ou de l'emploi des armes nucléaires,et cela en attendant le désar-
mement nucléaire complet sous un contrôle international strict et effi-
cace.
J'ai votéen faveur du point E de l'alinéa2 du paragraphe 105de l'avis,
bien que j'estime que ledit point aurait pu résumer d'une manière plus
précisel'état actueldu droit international quant à la question de la
menace et de l'emploi d'armes nucléaires «en toute circonstance». En
effet, voter contre ce point aurait signifiéprendre une position négative

vis-à-vis de certaines conclusions essentielles- exprimées également
dans cet avis et auxquelles le point E fait allusi-n que je fais miennes
entièrement.

(Signé) Geza HERCZEGH.

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DÉCLARATION DE M. HERCZEGH

Selon l'article du Statut de la Cour internationale de Justice, les
membres de celle-ci ((assurent dans l'ensemble la représentation des
grandes formes de civilisation et des principaux systèmesjuridiques du
monde». En conséquence, il est inévitableque des différencesd'approche
théorique surgissent entre eux concernant les traits caractéristiques du
systèmedu droit international et de ses branches, l'existence ou la non-
existence de lacunes dans ce systèmeet la solution des conflits éventuels

entre ses règles, ainsi que d'autres questions plus ou moins fondamen-
tales. La préparation d'un avis consultatif sur la question fort complexe
poséepar l'Assemblée généralaeu sujet de la licéitéde la menace ou de
l'em~loides armes nucléaires«en toute circonstance» a mis en relief les
différentesconceptions du droit international qui existent au sein de la
Cour. La diversitéde ces conceptions a empêché celle-cide pouvoir arri-
ver àune solution plus complète, et partantàun résultatplus satisfaisant.
La rédactiondes motifs comme celle des conclusions de l'avisconsultatif
reflètent ces divergences.l convient toutefois de noter que la Cour, sur
plusieurs points très importants, s'est expriméede manière unanime.
A mon avis, l'état actueldu droit international aurait cependant per-
mis, dans le cadre de l'avisconsultatif, la formulation d'une réponseplus
préciseet moins chargée d'incertitudes et d'hésitationsà la demande de
l'Assemblée générale D.ans les domaines où l'on ne trouve pas d'interdic-
tion complèteet universelle de certains actesen tant que tels», l'applica-

tion des principes générauxdu droit permet de réglerle comportement
des sujets de l'ordre juridique international, les obligeant ou les autori-
sant, selon le cas,s'abstenir ouà agir d'une manièreou d'une autre. Les
principes fondamentaux du droit international humanitaire, correcte-
ment mis en valeur dans les motifs de l'avisconsultatif, interdisent d'une
manière catégoriqueet sans équivoquel'emploi desarmes de destruction
massive et, parmi celles-ci, des armes nucléaires. Ledroit international
humanitaire ne connaît pas d'exception à ces principes.
Je considère aue la Cour aurait dû éviterentièrement de traiter de la
question des représailles en temps de conflits armés, dont un examen
minutieux aurait,à mon avis, dépassé le cadre de la demande soumise par
l'Assemblée générale E.n l'état,la Cour a pensé utilede mentionner la
question dans son avis, mais l'a fait de manière trop brève,ce qui risque
de donner lieu à des interprétations hâtives et mal fondées.

Les rapports entre lespoints C et E, tels qu'ils apparaisseàl'alinéa2
du paragraphe 105de l'avisconsultatif, ne semblent pas tout à fait clairs,
et la cohérence de leur contenu respectif n'apparaît pas parfaite. La
menace ou l'emploi de la force au moyen d'armes nucléairesdoit, selon le DECLARATION OF JUDGE HERCZEGH

[Translation]

According to Article 9 of the Statute of the International Court of Jus-
tice, "the representation of the main forms of civilization and of the prin-
cipal legal systems of the world should be assured" in the membership of
the Court. It isinevitabletherefore that differencesof theoretical approach
will arise between the Members concerning the characteristic features of
the svstem of international law and of its branches. the Dresence or
absence of gaps in this system, and the resolution of possible conflicts
between its rules, as well as on relatively fundamental issues. The prepa-
ration of an advisory opinion on the highly complex question put by the

General Assembly concerning the legality of the threat or use of nuclear
weapons "in any circumstance" has highlighted the different conceptions
of international law within the Court. The diversity of these conceptions
prevented the Court from finding a more complete solution and therefore
a more satisfactory result. The wording of the reasons and the conclu-
sions of the Advisory Opinion reflects these divergences. It must never-
theless be noted that the Court pronounced unanimously on several very
important points.
In my view, however, in the present state of international law it would
have been possible to formulate in the Advisory Opinion a more specific
reply to the General Assembly's request, one less burdened with uncer-
tainty and reticence. In the fields where certain acts are not totally and
universallyprohibited "as such", the application of the general principles
of law makes it possible to regulate the behaviour of subjects of the inter-
national legal order, obliging or authorizing them, as the case may be, to
act or refrain from acting in one way or another. The fundamental prin-
ciples of international humanitarian law, rightly emphasized in the rea-

sons of the Advisory Opinion, categorically and unequivocally prohibit
the use of weapons of mass destruction, including nuclear weapons.
International humanitarian law does not recognize any exceptions to
these principles.
1 believe that the Court should have completely avoided dealing with
the question of reprisals in time of armed conflict, for a detailedconsid-
eration, in my view, would have been beyond the scope of the request
submitted by the General Assembly.As it happened, the Court saw fit to
mention the question in its Opinion, but did so too briefly, thus perhaps
encouraging hasty and unjustified interpretations.
The relationship between paragraphs 2 C and 2 E of paragraph 105of
the Advisory Opinion is not entirely clear, and their respective content
does not seem wholly consistent. According to paragraph 2 C, the threat
or use of force by means of nuclear weapons must satisfy "al1the require-276 MENACE OU EMPLOI D'ARMES NUCLÉAIRES (DÉCLH .ERCZEGH)

point C, satisfaireà toutes les prescriptions)) de l'article 51 de la Charte
des Nations Unies, qui concerne le droit naturel de légitimedéfense,tan-
dis que la seconde phrase du point E indique que

«la Cour ne peut cependant conclure de façon définitiveque la
menace ou l'emploi d'armes nucléaires seraitlicite ou illicite dans
une circonstance extrême delégitimedéfensedans laquelle la survie
mêmed'un Etat serait en cause)).

Or, le libelléde cette dernière phrase n'estpaàmon avis aisément conci-
liable avec la référence faiteauparavant à ((toutes les prescriptions)) de
l'article51de la Charte. Les paragraphes 40 et41 de l'avisont préciséque
le droit de recourirà la légitimedéfense est soumis à des restrictions et
qu'il existe une «règle spécifique ..bien établieen droit international
coutumier)) selon laquelle «la Iégitimedéfensene justifierait que des

mesures proportionnées a l'agression armée subie, etnécessairespour y
riposter)). Je pense que la Cour aurait pu faire de cette constatation
l'objet de conclusions formelles au paragraphe 105 de l'avis consultatif,
qui aurait ainsi gagnéen précision.
L'une des nombreuses tâches assignées à l'Assembléegénéralevise -
selon l'article 13 de la Charte des Nations Unies - «le développement
progressif du droit international et sa codification)).Transformer, par
voie de codification, des principes générauxdu droit et des règlescoutu-
mières en règlesde droit conventionnel pourrait exclurecertaines des fai-
blesses inhérentesau droit coutumier et pourrait sûrement contribuer à

mettre fin aux controverses qui ont préludé àla demande d'avis adressée
à la Cour par l'Assembléegénéralequant à la licéitou à l'illicéide la
menace ou de l'emploi des armes nucléaires,et cela en attendant le désar-
mement nucléaire complet sous un contrôle international strict et effi-
cace.
J'ai votéen faveur du point E de l'alinéa2 du paragraphe 105de l'avis,
bien que j'estime que ledit point aurait pu résumer d'une manière plus
précisel'état actueldu droit international quant à la question de la
menace et de l'emploi d'armes nucléaires «en toute circonstance». En
effet, voter contre ce point aurait signifiéprendre une position négative

vis-à-vis de certaines conclusions essentielles- exprimées également
dans cet avis et auxquelles le point E fait allusi-n que je fais miennes
entièrement.

(Signé) Geza HERCZEGH.ments" of Article 51 of the Charter of the United Nations, concern-
ing natural law and self-defence, whereas the second sentence of para-
graph 2 E states that

"However . ..the Court cannot conclude definitivelywhether the
threat or use of nuclear weapons would be lawful or unlawful in an
extreme circumstance of self-defence, in whichthe very survival of a
State would be at stake."

In my view,the wording of this sentence cannot easily be reconciled with
the earlier reference to "al1the requirements" of Article 51 of the Char-
ter. Paragraphs 40 and 41 of the Opinion stated that the entitlement to
resort to self-defenceis subject to certain constraints and that there is "a
specificrule . ..wellestablished in customary international law" whereby
"self-defence wouldwarrant only measures which are proportional to the
armed attack and necessary to respond to it". 1 think that the Court
could have made this statement the subject of forma1conclusions in para-
graph 105of the Advisory Opinion, thus rendering it more specific.
One of the many tasks assigned to the General Assembly - under

Article 13of the Charter of the United Nations - is "the progressivedevel-
opment of international law and its codification". The transformation, by
means of codification, of the general principles of law and customary
rules into rules of treaty law might remove some of the weaknesses inher-
ent in customary law and could certainly help to put an end to the dis-
putes which led up to the request for an opinion addressed to the Court
by the General Assembly as to the legality or illegalityof the threat or use
of nuclear weapons, pending complete nuclear disarmament under strict
and effectiveinternational control.

1 voted in favour of paragraph 2 E of paragraph 105 of the Opinion,
although 1think that it could have summarized more accurately the cur-
rent state of international law regarding the question of the threat or use
of nuclear weapons "in any circumstance". In fact, to have voted against
this paragraph would have meant adopting a negative stance on certain
essential conclusions - also set forth in this Opinion and alluded to in
paragraph 2 E - which 1 fully endorse.

(Signed) Geza HERCZEGH.

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Déclaration de M. Herczegh

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