Opinion individuelle de M. Weeramantry, vice-président (traduction)

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100-19990429-ADV-01-01-EN
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100-19990429-ADV-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. WEERAMANTRY,
VICE-PRESIDENT

[Traduction]

Importance de la protection dupersonnel des Nations Unies - Distinction
entre les immunités des,fonctionnairesdes Nations Unies et celles des représen-
tants d'un Etat- Caract2redéterminantde lu décisiondu Secrétairegénéra l
Nécessitéd'unejurisprudence internationale uniJorrneen la matière - Devoir
des rapporteursde veiller a ne pas outrepasser leslimites de leurmandat.

Je souscris aux conclusions dela Cour telles qu'exposéesdans son avis.

Je voudrais aussi souligner mon accord avec, en particulier, les principes
énoncésau paragraphe 61de l'avis,qui veulent que lorsque des tribunaux
nationaux sont saisis d'une affaire mettant en cause l'immunité d'un
agent de l'organisation des Nations Unies, toute conclusion du Secré-
taire généralrelative à cette immunité leur soit immédiatementnotifiée
avec les documents dans lesquels elle s'exprime et que ladite conclusion
emporte une présomption d'immunité qui ne puisse êtreécartéeque
pour les motifs les plus impérieux,de sorte que les tribunaux nationaux

doivent lui accorder le plus grand poids.
Je souhaiterais toutefois ajouter quelques observations inspiréespar les
questions soulevées a propos de cet avis.

A l'évidence,la protection des fonctionnaires du systèmedes Nations
Unies, dans l'exercice de leurs fonctions, revêtune importance primor-
diale pour le bon fonctionnement de ce dernier.
Les rapporteurs doivent être à mêmede s'acquitter de leurs fonctions

sans êtreinquiétésni bénéficier de faveurs, car leurs investigations tou-
chent souvent a des domaines sensibles dans le pays dont les organes font
l'objet de leur examen. Ils ne sauraient s'acquitter de leurs responsabilités
dans l'indépendancequ'exige une enquêtelibre et exhaustive s'illeur fal-
lait s'inquiéterà tout instant des conséquences fâcheusesqui pourraient
résulterpour leur propre personne d'une telle mission. En irait-il ainsi que
l'efficacitédu rapporteur et l'intégritéde l'ensembledu mécanismefondé

sur des enquêtes indépendantes - mécanismeparticulièrement vital pour
le fonctionnement des Nations Unies - se trouveraient amoindries.
Pareille protection est importante aussi pour préserverla capacité des
Nations Unies de recruter les personnes les plus qualifiéesqui se trouvent
disponibles. Les intérêtsde l'organisation seraient bien mal servis si les
personnes les plus aptes a s'acquitter d'une tâche particulière devaient
renoncer à exercer cette responsabilité par crainte d'êtrevictimes d'inti- IMMUNITÉ DE JURlDICTION (OP. IND.WEERAMANTRY) 93

midations dans l'accomplissement de leurs devoirs. Comme la Cour l'a
fait observer en l'affaire de laRéparation: «Pour que l'agent puisse
s'acquitter de ses devoirs de façon satisfaisante, il faut qu'il sente que
cette protection lui est assuréepar l'organisation et qu'il peut compter
sur elle.'
En dehors de telles considérations fondamentales et des principes
conventionnels en la matière, de nombreuses résolutionsde l'Assemblée
générale desNations Unies ont souligné lanécessitéde protéger le per-
sonnel des Nations Unies contre toute entrave apportée au bon accom-

olissement de ses devoirs.
Une telle protection revêtune importance particulière quand des
membres du personnel de l'organisation examinent des questions qui con-
cernent 1'Etat hôte ou ses institutions gouvernementales. De mêmeque
1'Etathôte a ledevoir exprès deprendre toutes mesuresen son pouvoir pour
éviterles situations de nature empêcher des fonctionnairesde l'organi-
sation des Nations Unies de poursuivre librement leur investigation,
l'organisation des Nations Unies a le devoir exprès de faire tout ce qui
est en son pouvoir pour que ceux-cijouissent d'une telle liberté.De plus,
les responsabilitésqui sont cellesdetout Etat étranger sont d'autant plus
impérativeslorsque cet Etat, comme c'est le cas en la présenteaffaire, est
le pays d'origine de membres du personnel des Nations Unies appelés à
exercer des fonctions internationales dans leur pays d'origine lui-même.

ANTÉCÉDEN TSNS LA CONCEPTION DES IMMUNITÉS DU SYSTÈME DES
NATIONS UNIES

L'élaboration,au sein du systèmejuridique international, d'un dispositif
qui garantisse l'immunitéaux fonctionnaires des Nations Unies agissant
dans l'exercicede leurs fonctions officielless'est fondéesur l'expérience

passéeen ce qui concerne l'immunitédes diplomates, agents consulaires,
membres des forces arméeset autres personnes physiquementprésentessur
le territoire d'un Etat étrangerlorsqu'elles exercent desfonctions pour le
compte de leur Etat d'origine. Lesdispositions applicables'organisation
des Nations Unies sont énoncéesdans la section 22 de l'article VI de la
convention de 1946sur les privilègeset immunités desNations Unies.
En droit international coutumier, chaque fois qu'une immunité est
invoquée,il se pose deux questions importantes qui ont un rapport avec
cellesdont la Cour est actuellement saisie: le fonctionnaire a-t-il accompli
l'acte litigieux au cours de sa mission officielle; et quelle est, en la
matière, la compétencedes tribunaux internes du pays hôte?
On trouve dans lajurisprudence relativeà I'immunitédiplomatique une
abondante sériede décisionsindiquant que les tribunaux nationaux ont

affirméavec vigueur et avec succèsleurdroit de trancher de cette question.

'R6puration des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultutif; C.I.J.
Recueil 1949, p. 183.

35 Au nombre des décisions représentativesrendues dans ce domaine,
qu'il me suffise de mentionner l'affaire jugéeen 1928devant des tribu-
naux français intéressant le sieur Bigelow,directeur du service des passe-

ports du consulat des Etats-Unis a Paris2; I'affaire jugée en 1955ar des
tribunaux japonais intéressant le soldat américain Cheney3; I'affaire
jugéeen 1982par des tribunaux belges intéressantle directeur de l'office
portugais du commerce a Bruxelles4et I'affaire jugéeen 1988par des tri-
bunaux chiliens mettant en cause le conseiller de l'ambassade d'Alle-
magne au Chili5. II apparaît amplement au vu de ces quelques affaires
que lestribunaux ont en règlegénérale affirmé leudrroit exclusifde déter-
miner, dans le cas d'une immunitérelative, si l'acte litigieux avait été
accompli par l'intéressé dans le cadre de ses fonctions officielles.

II convient toutefois d'être attentif certaines différencesimportantes
qui existent entre les immunités des fonctionnaires d'un Etat et cellesdes
fonctionnaires de l'organisation des Nations Unies.
Ces derniers ne s'acquittent pas de leur tâche au service exclusif d'un

Etat particulier mais au service de la communauté des Etats représentée
par l'organisation des Nations Unies. Les limites de leurs fonctions ne
sont pas déterminéespar un Etat particulier mais sont définiespar le
Secrétaire générad l e l'organisation des Nations Unies au nom de la
communauté internationale. Leur protection est demandée non pas au
nom d'un Etat déterminé maisau nom de la communauté internationale
au servicede laquelle ils se trouvent. Un différendsurgissant à propos de
leurs activitésne peut êtrejugédans la seule perspective étroitedes Etats
concernés, mais engageles intérêts globaux desNations Unies. Or, les
fonctions et intérêtdse l'organisation des Nations Unies, qui est «le type
le plus élevéd'organisation internati~nale))~, se placent sur un plan
différentde ceux de n'importe quel Etat nation.

Ces différences fondamentales obligent a situer les choses dans un
cadre de référencedifférentet ne peuvent passer inaperçues au moment
où le droit international évoluevers un systèmede jurisprudence admi-
nistrative universellement applicable régissant laconduite etla protection
des membres du personnel des Nations Unies, ou que leur mission les
conduise dans le monde.
Il s'ensuit que la jurisprudence qui a pris corps concernant le droit

Princess Zizianoff'v. Kahn and Bigelow, 1927-1928, ILR (Annual Digest), vol. 4,
p. 384.
JPortugal v. Goncalves, 1990.ILR, vol. 82, p. 115.
Szurgelies and Szurgrlies v. Spohn, 1992,ILR, vol. 89, p. 44.
Répurutiondes dornrnagc~ssubis au service dcs Nations Unies, avis consultatif; C.I.J.
Recueil 1949. p. 179. IMMUNITÉ DE JURIDICTION (OP. IND. WEERAMANTRY) 95

exclusifdesjuridictions internes de I'Etat hôte de déciderde ces questions
n'est pas nécessairementapplicable dans sa totalité lorsque l'intéressé est
membre du personnel de I'Organisation desNations Unies. Il se peut qu'il

faille adopter une approche quelque peu différentequi, tout en respectant
comme il se doit l'autonomie des tribunaux nationaux, prenne également
en considérationles intérêts plus vastes de la communauté mondiale et la
compétence etles responsabilités spéciales de l'organisation des Nations
Unies en tant que représentante de cette communauté. Comme l'a fait
observer la Cour à propos de I'Organisation des Nations Unies:
«On doit admettre que ses Membres, en lui assignant certaines

fonctions, avec les devoirs et les responsabilités qui les accompa-
gnent, l'ont revêtuede la compétencenécessairepour lui permettre
de s'acquitter effectivement de ces fonctions.'
L'activitéde I'Organisation des Nations Unies dans un certain nombre
de domaines sensibles risque de se heurter à toutes sortes de problèmessi
une juridiction interne est libre de passer outre a une décisiondu Secré-
taire général,l'autorité administrative suprêmede I'Organisation, concer-
nant l'immunitédont jouit un fonctionnaire de celle-ci.

Une foule de questions localement sensibles pourraient obérerles pers-
pectives d'élaboration de normes mondiales applicables a ce type de
situations. L'adoption de décisionsinternes divergentes et incompatibles
pourrait rendre confus les principes générauxapplicables. L'autorité
d'opinions soigneusement pesées,émisesau plus haut niveau de l'admi-
nistration de I'Organisation des Nations Unies concernant les fonctions
de son propre personnel, pourrait êtreaffaiblie. La capacité de I'Organi-
sation des Nations Unies a s'acquitter avec efficacitéde sesvastes respon-
sabilitéspourrait êtreentravée.
Toutes ces questions sont des sujets importants de préoccupation mis
en lumièrepar l'affaire a l'examen.

NÉCESSITÉ D'UNE JURISPRUDENCE UNIFORME EN LA MATIÈRE

Si on laisse les tribunaux nationaux statuer sans tenir compte de I'opi-
nion du Secrétairegénéral, l'absence d'uniformitédans leurs décisionset
les différentsprincipes et normes qui seraient de ce fait appliqués dans
différents pays seraient préjudiciablestantà un fonctionnement équitable
de la fonction publique internationalequ'a l'édificationd'un droit admi-
nistratif international homogène.
Mêmesi I'autonomie interne est un principe qui méritele plus grand

respect, il importe de reconnaître que le système desNations Unies, qui
agit dans l'intérêtde la communauté internationale, ne peut faire un
usage efficacede son autorité à cette fin que si ses agents peuventccom-

Recueil 1949, p.179.mages subis au service des Nations Unies, avis consultatif. C.I.J.plir leur tâche dans le respect d'un ensemble de principes communs, ce
qui ne serait plus lecas si les règlesrégissant leuraction variaient selon les
pays en fonction de la manière discordante dont diverses juridictions
nationales pourraient déciderde trancher une mêmequestion.
La portée et la complexitégrandissantes des activitésde l'organisation

des Nations Unies rendent impératif l'établissementd'une jurisprudence
administrative uniforme dans ce domaine. Cettejurisprudence, sans négli-
ger les diverses nuances tenant aux conditions ou aux contextes locaux
différents, feraitapparaître un ensemble de normes et de principes géné-
raux harmonieux et ordonnés appelant une reconnaissance internationale.
L'acceptation du caractère obligatoire de l'opinion du Secrétaire géné-
ral, à moins qu'il n'yait une raison évidentede s'en écarter, contribue
dans une mesure considérable à créercette uniformité, quel que soit le
lieu ou l'enquêteest effectuée.
En assurant une plus grande uniformitédu droit international admi-
nistratif, l'élaboration d'unensemble de principes communs applicables à
ce type d'affaires auraità son tour pour effet de renforcer l'autorité des-

dits principes dans des situations données, quel que soit le lieu où elles se
produiraient. Cela éviterait aussi de se trouver dans la situation incon-
grue, où différents rapporteurs - voire un mêmerapporteur - joui-
raient de degrésd'immunité variablesselon les pays ou ils accompliraient
leur mission. Cette situation est très bien illustréepar le cas du présent
rapporteur, qui est appelépar ses fonctions à travailler sous différentes
juridictions. Il importe d'éviter celadans toute la mesure possible et
autant que le permettent les principes applicables.
Dans un domaine aussi sensible que celui des droits de l'homme, la
liberté et l'indépendance des rapporteurs seraient gravement compro-
mises si des normes variables faisaient naître l'incertitude quant aux prin-
cipes applicables en la matière.

Etant donnéqu'il est essentielque les membres du personnel de I'Orga-
nisation des Nations Unies jouissent d'une protection suffisante pour
pouvoir s'acquitter de leurs missions en toute indépendance, et que le
devoir de protection de ce personnel dans l'exercice de ses fonctions
incombe au premier chef à l'Organisation elle-même,une très grande
importance doit êtreattachée aux opinions du plus haut fonctionnaire de
l'organisation des Nations Unies, le Secrétaire général,concernant le
point de savoir si l'immunité s'appliqueou non dans un cas déterminé.
Le Secrétairegénéral est mieuxinforméque tout autre organe extérieur

des aspects tels que les limites des attributions d'un agent donné,la ou les
fins que la nomination de celui-ci est censée servir et les besoins de
l'organisation des Nations Unies concernant l'enquêteconsidérée. Il
connaît mieux que tout autre organe la pratique en la matière et les cir-
constances de l'affaire enquestion. De par sa position unique qui lui per-met d'avoir une vue d'ensemble sur toutes les opérations de I'Organisa-
tion des Nations Unies, il est mieux placéque quiconque pour évaluerles
fonctions d'un agent donné,en les replaçant dans le contexte général des
buts et objectifs, des traditions et du cadre opérationnel des activitésde
l'organisation dans leur ensemble.

Essayer de déterminer I'applicabilité des privilèges etimmunités des
Nations Unies a un rapporteur donné dans des circonstances particu-
lières sans tenir compte de l'opinion du Secrétairegénéral revient a se
priver d'une part importante des éléments indispensables à la prise d'une
décision éclairée.
De plus, il est d'usage au sein du système des Nations Unies de recon-
naître le caractère déterminant des décisionsdu Secrétairegénéral enla
matière et plusieurs résolutionsde l'Assemblée générale c,omme la réso-
lution 361238du 18décembre1981,montrent l'importance spécialequi est
accordéeaux vues du Secrétairegénéralsur toutes les questions relatives

a l'administration de l'organisation. L'opinion de la plus haute autorité
administrative de l'organisation sur une question essentiellement admi-
nistrative telle que l'étenduedes attributions d'un fonctionnaire déter-
miné - question sur laquelle il est mieux que quiconque informé et
habilité a exercer des fonctions de supervision - ne peut êtrenégligée
sans dommage pour l'ensemble du système.
Un tribunal national se doit donc de considérercomme obligatoire la
décisiondu Secrétairegénéralsur le point de savoir si telle ou telle action
entrait dans les attributions d'un fonctionnaire ou d'un rapporteur à
moins qu'il ne puisseêtre établq iue des raisons impérieusesconduisent à

rejeter cette lourde présomption. Je suis en total et respectueux accord
avec la Cour à cet égard.Il n'ya là rien d'arbitraire car si un Etat contes-
tait une telle décisiondu Secrétaire générali,l lui serait toujours loisible
de porter l'affaire devant la Cour pour lui demander de donner un avis
consultatif au regard de la section 30 de la convention.

Dans la présente espèce, laCommission des droits de l'homme a noté
avec satisfaction le travail du rapporteur spécial, ainsique cela ressort des
résolutions 1995136du 3 mars 1995, 1996134du 9 avril 1996, 1997123du
11avril 1997et 1998135du 17avril 1998 La Commission, par sa résolu-
tion 1997123 9,a aussi prorogéle mandat du rapporteur spécialpour une
nouvelle période de trois ans après avoir fait la déclaration en question.

Le Secrétairegénérala conclu que les déclarations du rapporteur spécial
avaient été faiteau coursde sa mission de rapporteur spécialde la Com-
mission. La Cour a reconnu nommément la justesse de la conclusion du

Dossier,piècesnos5-8.
Dossier,pièceno7. IMMUNITÉ DE JURIDICTION (OP. IND. WEERAMANTRY) 98

Secrétairegénéral(par. 56). Pour les besoins de la présenterequête,les
choses sont donc définitivementréglées.
Mais cette requête offrel'occasion de souligner qu'il est essentielque
lesrapporteurs, de même d'ailleursque tous lesfonctionnaires des Nations

Unies, veillent constamment à agir selon les termes et dans les limites de
leur mandat.
Ainsi que la Cour l'a fait observer:
«il est a peine besoin d'ajouter que tous les agents de l'organisation
des Nations Unies, quelle que soit la qualitéofficielleen laquelle ils

agissent,doivent veilleràne pas excéderleslimites de leurs fonctions
et doivent se comporter de manière a éviterque des demandes soient
dirigéscontre l'Organisation» 'O.
Une des prémisses essentiellessous-tendant l'avisde la Cour, ainsi que

la présenteopinion individuelle, est qu'un devoir de protection incombe à
l'organisation des Nations Unies pour assurer que ses fonctionnaires ne
subissent aucun tort pour des actes accomplis dans le cadre de leurs fonc-
tions. Il s'ensuit que tout droit dont jouit un fonctionnaire des Nations
Unies en vertu de ce principe s'accompagne d'un devoir correspondant.
Un important corollaire des propositions énoncéesplus haut dans la
présente opinion est que, au devoir des Nations Unies de protéger ses
fonctionnaires correspond un devoir et une responsabilité de tous les
membres du personnel des Nations Unies de veiller àce que, quelles que
soient les mesures qu'ils prennent ou les déclarations qu'ils font, celles-ci
s'inscrivent toujours dans le cadre de leurs fonctions- ce qui revient à

transposer dans ce domaine spécifiquedu droit international le principe
de corrélativitési bien reconnu dans la jurisprudence analytique. Si cette
condition préalable n'est pas satisfaite, le personnel des Nations Unies
s'aventure hors du domaine de la protection qui lui est reconnue, alors
qu'en respectant cette règle les fonctionnaires des Nations Unies pro-
tègent aussi bien eux-mêmesque l'organisation, qui a à leur égard un
devoir de protection. Cette obligation s'applique tout spécialementen ce
qui concerne lesdéclarations publiques que ce personnel peut parfois être
amené à faire dans le cadre de ses fonctions concernant son travail.

Pour toutes ces raisons, je souscris aux conclusions de la Cour au sujet
de la question qui lui a étéposée.

(SignéC )hristopher Gregory WEERAMANTRY.

IoPrésentavis consultatif, par. 66.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF VICE-PRESIDENT WEERAMANTRY

Importance of protection of United Nations personnel - Immunities of
United Nations functionaries distinguishedfrom those of State representatives
- Conclusivenessof Secretary-General's determination - Need for uniform
internationaljurisprudence on thismatter - Duty of rapporteursto ensure that
they act bvithinthe terms of their mandate.

1 agree with the conclusions of the Court as set out in the Court's

Opinion. 1 would wish also to stress my agreement, in particular, with the
principles set out in paragraph 61 of the Opinion that when national
courts are seised of a case in which the immunity of a United Nations
agent is in issue, they should immediately be notified of any finding by
the Secretary-General concerning that immunity, that the Secretary-
General's finding, and its documentary expression, create a presumption
of immunity which can only be set aside for the most compelling reasons,

and that they are thus to be given the greatest weight by national courts.

1would wish, however, to add a few observations stemming from the
issues involved in this Opinion.

It is manifest that the protection of its personnel, when engaged about
their duties, is of prime importance to the proper functioning of the

United Nations system.
Rapporteurs must be able to perform their duties without fear or
favour as their investigations often cover sensitive ground in the country
whose instrumentalities are the subjects of their enquiry. They cannot
discharge their responsibilities with the independence essential to free and
complete enquiry if they need to keep looking over their shoulder for
adverse personal consequences that may ensue from an independent
investigation. Should this be the case, there would be an impairment both

of the efficiency of the rapporteur and of the integrity of the entire
machinery of independent enquiry which is so vital to the working of the
United Nations.
This is important also in the interests of the ability of the United
Nations to recruit to its service the best talent that might be available. It
scarcely advances the interests of the Organization if individuals most
suitable for a particular assignment should keep away from such assign-
ments through fear that they may in some way be victimized when OPINION INDIVIDUELLE DE M. WEERAMANTRY,
VICE-PRESIDENT

[Traduction]

Importance de la protection dupersonnel des Nations Unies - Distinction
entre les immunités des,fonctionnairesdes Nations Unies et celles des représen-
tants d'un Etat- Caract2redéterminantde lu décisiondu Secrétairegénéra l
Nécessitéd'unejurisprudence internationale uniJorrneen la matière - Devoir
des rapporteursde veiller a ne pas outrepasser leslimites de leurmandat.

Je souscris aux conclusions dela Cour telles qu'exposéesdans son avis.

Je voudrais aussi souligner mon accord avec, en particulier, les principes
énoncésau paragraphe 61de l'avis,qui veulent que lorsque des tribunaux
nationaux sont saisis d'une affaire mettant en cause l'immunité d'un
agent de l'organisation des Nations Unies, toute conclusion du Secré-
taire généralrelative à cette immunité leur soit immédiatementnotifiée
avec les documents dans lesquels elle s'exprime et que ladite conclusion
emporte une présomption d'immunité qui ne puisse êtreécartéeque
pour les motifs les plus impérieux,de sorte que les tribunaux nationaux

doivent lui accorder le plus grand poids.
Je souhaiterais toutefois ajouter quelques observations inspiréespar les
questions soulevées a propos de cet avis.

A l'évidence,la protection des fonctionnaires du systèmedes Nations
Unies, dans l'exercice de leurs fonctions, revêtune importance primor-
diale pour le bon fonctionnement de ce dernier.
Les rapporteurs doivent être à mêmede s'acquitter de leurs fonctions

sans êtreinquiétésni bénéficier de faveurs, car leurs investigations tou-
chent souvent a des domaines sensibles dans le pays dont les organes font
l'objet de leur examen. Ils ne sauraient s'acquitter de leurs responsabilités
dans l'indépendancequ'exige une enquêtelibre et exhaustive s'illeur fal-
lait s'inquiéterà tout instant des conséquences fâcheusesqui pourraient
résulterpour leur propre personne d'une telle mission. En irait-il ainsi que
l'efficacitédu rapporteur et l'intégritéde l'ensembledu mécanismefondé

sur des enquêtes indépendantes - mécanismeparticulièrement vital pour
le fonctionnement des Nations Unies - se trouveraient amoindries.
Pareille protection est importante aussi pour préserverla capacité des
Nations Unies de recruter les personnes les plus qualifiéesqui se trouvent
disponibles. Les intérêtsde l'organisation seraient bien mal servis si les
personnes les plus aptes a s'acquitter d'une tâche particulière devaient
renoncer à exercer cette responsabilité par crainte d'êtrevictimes d'inti-93 IMMUNlTY FROM LEGAL PROCESS (SEP.OP.WEERAMANTRY)

engaged in their duties. As this Court observed in the Repurution case:
"In order that the agent may perform his duties satisfactorily, he must
feel that this protection is assured to him by the Organization, and that
he may count on it."'

Apart from such basic considerations and the conventional principles
relating to this matter, numerous resolutions of the General Assembly
have stressed the necessity for protection of United Nations personnel
against such impediments in the way of the performance of their duties.

Such protection is especially important when United Nations person-

nel are investigating matters concerning the host State or its governmen-
ta1institutions.Just as it is the special duty of the host State to take every
step within its power to avoid situations interfering with the freedom of
enquiry of functionaries of the United Nations, so also is it the special
duty of the United Nations to do al1within its power to ensure for them
the enjoyment of such freedom. Moreover, the responsibilities that apply
to foreign States apply even more strongly to States which, as in the
present case, are the home States of United Nations personnel engaged
on their international duties in their home State itself.

In working out a system of immunity for United Nations officialswho
are engaged upon their officia1duties, the international legal system has
drawn upon its past experience of the international system of immunity
which had evolved in regard to diplomats, consuls, members of armed
services, and others, who are physically within the territory of another
State, while performing functions for their home State. The relevant pro-

vision for the United Nations is to be found in Article VI, Section 22, of
the Convention on the Privileges and Immunities of the United Nations,
1946.
Al1 claims to immunity in customary international law raised two
important questions relevant to the matters now before the Court -
determining whether the act in question was performed in the course of
the official's mission,and determining questions relating to the jurisdic-
tion of domestic courts of the host countrv.
The case-lawregarding diplomatic immunity contains a strong current of
decisionsindicating that the domestic courts of the host State have strongly
and successfullyasserted their authority to determine these questions.

' Repuration for Injuries Suffered in the Service of the United Nations. Advisory Opin-
ion, I.J. Reports1949,p. 183. IMMUNITÉ DE JURlDICTION (OP. IND.WEERAMANTRY) 93

midations dans l'accomplissement de leurs devoirs. Comme la Cour l'a
fait observer en l'affaire de laRéparation: «Pour que l'agent puisse
s'acquitter de ses devoirs de façon satisfaisante, il faut qu'il sente que
cette protection lui est assuréepar l'organisation et qu'il peut compter
sur elle.'
En dehors de telles considérations fondamentales et des principes
conventionnels en la matière, de nombreuses résolutionsde l'Assemblée
générale desNations Unies ont souligné lanécessitéde protéger le per-
sonnel des Nations Unies contre toute entrave apportée au bon accom-

olissement de ses devoirs.
Une telle protection revêtune importance particulière quand des
membres du personnel de l'organisation examinent des questions qui con-
cernent 1'Etat hôte ou ses institutions gouvernementales. De mêmeque
1'Etathôte a ledevoir exprès deprendre toutes mesuresen son pouvoir pour
éviterles situations de nature empêcher des fonctionnairesde l'organi-
sation des Nations Unies de poursuivre librement leur investigation,
l'organisation des Nations Unies a le devoir exprès de faire tout ce qui
est en son pouvoir pour que ceux-cijouissent d'une telle liberté.De plus,
les responsabilitésqui sont cellesdetout Etat étranger sont d'autant plus
impérativeslorsque cet Etat, comme c'est le cas en la présenteaffaire, est
le pays d'origine de membres du personnel des Nations Unies appelés à
exercer des fonctions internationales dans leur pays d'origine lui-même.

ANTÉCÉDEN TSNS LA CONCEPTION DES IMMUNITÉS DU SYSTÈME DES
NATIONS UNIES

L'élaboration,au sein du systèmejuridique international, d'un dispositif
qui garantisse l'immunitéaux fonctionnaires des Nations Unies agissant
dans l'exercicede leurs fonctions officielless'est fondéesur l'expérience

passéeen ce qui concerne l'immunitédes diplomates, agents consulaires,
membres des forces arméeset autres personnes physiquementprésentessur
le territoire d'un Etat étrangerlorsqu'elles exercent desfonctions pour le
compte de leur Etat d'origine. Lesdispositions applicables'organisation
des Nations Unies sont énoncéesdans la section 22 de l'article VI de la
convention de 1946sur les privilègeset immunités desNations Unies.
En droit international coutumier, chaque fois qu'une immunité est
invoquée,il se pose deux questions importantes qui ont un rapport avec
cellesdont la Cour est actuellement saisie: le fonctionnaire a-t-il accompli
l'acte litigieux au cours de sa mission officielle; et quelle est, en la
matière, la compétencedes tribunaux internes du pays hôte?
On trouve dans lajurisprudence relativeà I'immunitédiplomatique une
abondante sériede décisionsindiquant que les tribunaux nationaux ont

affirméavec vigueur et avec succèsleurdroit de trancher de cette question.

'R6puration des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultutif; C.I.J.
Recueil 1949, p. 183.

3594 IMMUNITY FROM LEGAL PROCESS (SEP.OP.WEERAMANTRY)

For a representative selection of decisions on this topic, it will suffice

to refer to the 1928 case of Bigelow, the Director of the Passport Sec-
tion of the United States Consulate in Paris2 decided by the French
courts; the 1955case of the American serviceman Cheney3 decided in the
Japanese courts; the 1982case of the Director of the Portuguese Com-
mercial Officein Brussels4 decided by the Belgian courts; and the 1988
case of the Counsellor of the German Embassy in Chile5 decided by the
Chilean courts. These are sufficient to indicate that domestic courts have
in general claimed the exclusive right to determine, in cases of qualified

immunity, whether the act in question was performed within the ambit of
the officia1functions of the functionary concerned.

Some important distinguishing features must, however, be noted
between the immunities of State officialsand those of the functionariesof
the United Nations.
The duties of the latter are not restricted to the service of any particu-

lar State, but are owed to the community of States as represented by the
United Nations. The limits of their functions are not determined by any
particular State, but are defined on behalf of the international commu-
nity by the Secretary-General of the United Nations. Their protections
are claimed, not on behalf of any particular State, but on behalf of the
international community whom such functionaries serve. A dispute aris-
ing out of their activities is not justiciable within the limited perspectives
of the States involved, but engages the global interests of the United

Nations. As "the supreme type of international ~rganization"~, the func-
tions and interests of the United Nations are on a different plane from
those of any individual nation State.

These essential differences lift the matter into a different frame of ref-
erence and cannot pass unnoticed as international law moves towards a
universally applicable system of administrative jurisprudence covering

the conduct and protections of United Nations personnel wherever in the
world their missions may take them.

It follows that the jurisprudence that has grown up around the exclu-

-
* Princess Zizianoff v. Kahn and Bigelow, (1927-1928) 4 ILR (Annual Digest), p. 384.

Japan v. Cheney, (1960) 23 ILR 264.
Szurgelies und Szul.gelies v. S(1992)89 ILR 44.
ciReparationfor 1njurie.vSuffrred in the Service of the United Nations. Advisory Opin-
ion, I.C.J. Reports 1949, p. 179. Au nombre des décisions représentativesrendues dans ce domaine,
qu'il me suffise de mentionner l'affaire jugéeen 1928devant des tribu-
naux français intéressant le sieur Bigelow,directeur du service des passe-

ports du consulat des Etats-Unis a Paris2; I'affaire jugée en 1955ar des
tribunaux japonais intéressant le soldat américain Cheney3; I'affaire
jugéeen 1982par des tribunaux belges intéressantle directeur de l'office
portugais du commerce a Bruxelles4et I'affaire jugéeen 1988par des tri-
bunaux chiliens mettant en cause le conseiller de l'ambassade d'Alle-
magne au Chili5. II apparaît amplement au vu de ces quelques affaires
que lestribunaux ont en règlegénérale affirmé leudrroit exclusifde déter-
miner, dans le cas d'une immunitérelative, si l'acte litigieux avait été
accompli par l'intéressé dans le cadre de ses fonctions officielles.

II convient toutefois d'être attentif certaines différencesimportantes
qui existent entre les immunités des fonctionnaires d'un Etat et cellesdes
fonctionnaires de l'organisation des Nations Unies.
Ces derniers ne s'acquittent pas de leur tâche au service exclusif d'un

Etat particulier mais au service de la communauté des Etats représentée
par l'organisation des Nations Unies. Les limites de leurs fonctions ne
sont pas déterminéespar un Etat particulier mais sont définiespar le
Secrétaire générad l e l'organisation des Nations Unies au nom de la
communauté internationale. Leur protection est demandée non pas au
nom d'un Etat déterminé maisau nom de la communauté internationale
au servicede laquelle ils se trouvent. Un différendsurgissant à propos de
leurs activitésne peut êtrejugédans la seule perspective étroitedes Etats
concernés, mais engageles intérêts globaux desNations Unies. Or, les
fonctions et intérêtdse l'organisation des Nations Unies, qui est «le type
le plus élevéd'organisation internati~nale))~, se placent sur un plan
différentde ceux de n'importe quel Etat nation.

Ces différences fondamentales obligent a situer les choses dans un
cadre de référencedifférentet ne peuvent passer inaperçues au moment
où le droit international évoluevers un systèmede jurisprudence admi-
nistrative universellement applicable régissant laconduite etla protection
des membres du personnel des Nations Unies, ou que leur mission les
conduise dans le monde.
Il s'ensuit que la jurisprudence qui a pris corps concernant le droit

Princess Zizianoff'v. Kahn and Bigelow, 1927-1928, ILR (Annual Digest), vol. 4,
p. 384.
JPortugal v. Goncalves, 1990.ILR, vol. 82, p. 115.
Szurgelies and Szurgrlies v. Spohn, 1992,ILR, vol. 89, p. 44.
Répurutiondes dornrnagc~ssubis au service dcs Nations Unies, avis consultatif; C.I.J.
Recueil 1949. p. 179.sive rights of the domestic courts of the host State to determine these
questions is not necessarily applicable in its totality where United Nations

personnel are involved. There may well need to be some differences of
approach which, while paying due regard to the autonomy of domestic
courts, also take into account the wider interests of the world commu-
nity, and the competence and special responsibilities ofthe United Nations
as representing that community. As this Court has observed concerning
the United Nations:

"It must be acknowledged that its Members, by entrusting certain
functions to it, with the attendant duties and responsibilities, have
clothed it with the competence required to enable those functions to
be effectively di~charged."~
United Nations activity in a number of sensitive areas is fraught with a
diversity of problems if a domestic court is free to disregard the determi-
nation of the Secretary-General, the chief administrative authority of the
United Nations, in relation to the immunity enjoyed by a United Nations

functionary.
Locally sensitive issuescould crowd out perspectives regarding the glo-
bal noms applicable to such situations. Divergent and incompatible
domestic decisions in different countries could blur the general principles
applicable. The authority of considered opinions reached at the highest
possible level of United Nations administration regarding the functions
of its own personnel could be weakened. The effectiveness of the United
Nations in discharging its far-flung responsibilities could be impaired.

Al1these are important concerns raised by the matter under considera-
tion by the Court.

Ifdomestic courts can make their rulings without regard to the opinion
of the Secretary-General, the lack of uniformity among these rulings, and
the different principles and standards thereby applied in different coun-
tries would impede both the fairness of international administration and
the evolution of a uniform system of international administrative law.

While domestic autonomy is a principle which must be accorded the
greatest respect, it must be acknowledged that the United Nations sys-
tem, asan organization functioning in the global interest, can only use its
authority effectivelyin that global interest if its agents can discharge their

Repurationfor Injuries Suflrrd in tlle Sqfvthe Uflited Nations, Advisory Opin-
ion. I.C.J. Repor1949.p. 179.
37 IMMUNITÉ DE JURIDICTION (OP. IND. WEERAMANTRY) 95

exclusifdesjuridictions internes de I'Etat hôte de déciderde ces questions
n'est pas nécessairementapplicable dans sa totalité lorsque l'intéressé est
membre du personnel de I'Organisation desNations Unies. Il se peut qu'il

faille adopter une approche quelque peu différentequi, tout en respectant
comme il se doit l'autonomie des tribunaux nationaux, prenne également
en considérationles intérêts plus vastes de la communauté mondiale et la
compétence etles responsabilités spéciales de l'organisation des Nations
Unies en tant que représentante de cette communauté. Comme l'a fait
observer la Cour à propos de I'Organisation des Nations Unies:
«On doit admettre que ses Membres, en lui assignant certaines

fonctions, avec les devoirs et les responsabilités qui les accompa-
gnent, l'ont revêtuede la compétencenécessairepour lui permettre
de s'acquitter effectivement de ces fonctions.'
L'activitéde I'Organisation des Nations Unies dans un certain nombre
de domaines sensibles risque de se heurter à toutes sortes de problèmessi
une juridiction interne est libre de passer outre a une décisiondu Secré-
taire général,l'autorité administrative suprêmede I'Organisation, concer-
nant l'immunitédont jouit un fonctionnaire de celle-ci.

Une foule de questions localement sensibles pourraient obérerles pers-
pectives d'élaboration de normes mondiales applicables a ce type de
situations. L'adoption de décisionsinternes divergentes et incompatibles
pourrait rendre confus les principes générauxapplicables. L'autorité
d'opinions soigneusement pesées,émisesau plus haut niveau de l'admi-
nistration de I'Organisation des Nations Unies concernant les fonctions
de son propre personnel, pourrait êtreaffaiblie. La capacité de I'Organi-
sation des Nations Unies a s'acquitter avec efficacitéde sesvastes respon-
sabilitéspourrait êtreentravée.
Toutes ces questions sont des sujets importants de préoccupation mis
en lumièrepar l'affaire a l'examen.

NÉCESSITÉ D'UNE JURISPRUDENCE UNIFORME EN LA MATIÈRE

Si on laisse les tribunaux nationaux statuer sans tenir compte de I'opi-
nion du Secrétairegénéral, l'absence d'uniformitédans leurs décisionset
les différentsprincipes et normes qui seraient de ce fait appliqués dans
différents pays seraient préjudiciablestantà un fonctionnement équitable
de la fonction publique internationalequ'a l'édificationd'un droit admi-
nistratif international homogène.
Mêmesi I'autonomie interne est un principe qui méritele plus grand

respect, il importe de reconnaître que le système desNations Unies, qui
agit dans l'intérêtde la communauté internationale, ne peut faire un
usage efficacede son autorité à cette fin que si ses agents peuventccom-

Recueil 1949, p.179.mages subis au service des Nations Unies, avis consultatif. C.I.J.96 IMMUNITY FROM LEGAL PROCESS (SEP.OP.WEERAMANTRY)

duties according to a common set of principles, andnot if the régimegov-
erning their actions varies from country to country depending on the dis-
parate ways in which various domestic judiciaries may choose to deter-

mine the self-same issue.
The expanding scope and growing complexity of United Nations activi-
ties render the evolution of a uniform administrativejurisprudence in this
area a matter of vital importance. That jurisprudence, while not neglect-
ful of the varying nuances of different local conditions and backgrounds,
would at the same time exhibit an ordered harmony of general principles
and standards commanding international recognition.
Acceptance of the binding nature of the Secretary-General's opinion,
unless there is manifest reason to depart therefrom, helps considerably
towards establishing such uniformity, irrespective of the venue of the
investigation.
The evolution of a common set of principles applicable to matters of

this sort would, by producing a more uniform system of international
administrative law, in turn reinforce the authority of these principles in
specific situations wherever they may occur. It would also avoid the
incongruous situation of different rapporteurs - or indeed the same rap-
porteur - enjoying djfferent degrees of immunity in different countries,
depending on where the relevant duties are performed. This possibility is
well illustrated by the case of the present Rapporteur, whose duties
require him to function in a diversity of jurisdictions. Such a result is to
be avoided as far as is possible within the limits of the principles appli-
cable.
In so sensitive a field ashuman rights, the freedom and independence
of rapporteurs would be gravely affected if there should be varying stand-
ards and hence a resulting uncertainty regarding the principles applicable

to this matter.

Since it is essential to United Nations staff that they receive sufficient
protection to be able to discharge their missions with independence, and
since the duty of protecting its staff in the exercise of such duties lies so
heavily on the United Nations, great importance must attach to the views
of its chief functionary, the Secretary-General, regarding the question
whether immunity does or does not attach in a given case.

The Secretary-General is better informed than any external authority
regarding such questions as the limits of a given agent's functions, the
purpose or purposes the appointment was intended to serve, and the
needs of the United Nations in relation to any particular enquiry. He is
better informed than any other authority of the practice relating to, and
the factual background surrounding, the particular matter. With hisplir leur tâche dans le respect d'un ensemble de principes communs, ce
qui ne serait plus lecas si les règlesrégissant leuraction variaient selon les
pays en fonction de la manière discordante dont diverses juridictions
nationales pourraient déciderde trancher une mêmequestion.
La portée et la complexitégrandissantes des activitésde l'organisation

des Nations Unies rendent impératif l'établissementd'une jurisprudence
administrative uniforme dans ce domaine. Cettejurisprudence, sans négli-
ger les diverses nuances tenant aux conditions ou aux contextes locaux
différents, feraitapparaître un ensemble de normes et de principes géné-
raux harmonieux et ordonnés appelant une reconnaissance internationale.
L'acceptation du caractère obligatoire de l'opinion du Secrétaire géné-
ral, à moins qu'il n'yait une raison évidentede s'en écarter, contribue
dans une mesure considérable à créercette uniformité, quel que soit le
lieu ou l'enquêteest effectuée.
En assurant une plus grande uniformitédu droit international admi-
nistratif, l'élaboration d'unensemble de principes communs applicables à
ce type d'affaires auraità son tour pour effet de renforcer l'autorité des-

dits principes dans des situations données, quel que soit le lieu où elles se
produiraient. Cela éviterait aussi de se trouver dans la situation incon-
grue, où différents rapporteurs - voire un mêmerapporteur - joui-
raient de degrésd'immunité variablesselon les pays ou ils accompliraient
leur mission. Cette situation est très bien illustréepar le cas du présent
rapporteur, qui est appelépar ses fonctions à travailler sous différentes
juridictions. Il importe d'éviter celadans toute la mesure possible et
autant que le permettent les principes applicables.
Dans un domaine aussi sensible que celui des droits de l'homme, la
liberté et l'indépendance des rapporteurs seraient gravement compro-
mises si des normes variables faisaient naître l'incertitude quant aux prin-
cipes applicables en la matière.

Etant donnéqu'il est essentielque les membres du personnel de I'Orga-
nisation des Nations Unies jouissent d'une protection suffisante pour
pouvoir s'acquitter de leurs missions en toute indépendance, et que le
devoir de protection de ce personnel dans l'exercice de ses fonctions
incombe au premier chef à l'Organisation elle-même,une très grande
importance doit êtreattachée aux opinions du plus haut fonctionnaire de
l'organisation des Nations Unies, le Secrétaire général,concernant le
point de savoir si l'immunité s'appliqueou non dans un cas déterminé.
Le Secrétairegénéral est mieuxinforméque tout autre organe extérieur

des aspects tels que les limites des attributions d'un agent donné,la ou les
fins que la nomination de celui-ci est censée servir et les besoins de
l'organisation des Nations Unies concernant l'enquêteconsidérée. Il
connaît mieux que tout autre organe la pratique en la matière et les cir-
constances de l'affaire enquestion. De par sa position unique qui lui per-unique overview of the entire scheme of United Nations operations, he,
more than any other authority, can assess a given agent's functions
within the overall context of the rationale, traditions and operational
framework of United Nations activities as a whole.

Any attempt to determine the applicability of the privileges and immu-
nities of the United Nations to a particular rapporteur in particular cir-
cumstances without reference to the opinion of the Secretary-General
would fail to takeinto account an important part of the material essential

to an informed decision.
Moreover, within the United Nations system, there is a practice of
recognition of the conclusiveness of the Secretary-General's authority in
this regard, and there are General Assembly resolutions, such as resolu-
tion 361238of 18 December 1981,which indicate the special importance
accorded to the view of the Secretary-General on the entire range of
matters relating to administration within the Organization. The views of
the United Nations' highest administrative authority on an essentially
administrative matter such as the extent of a particular official's sphere
of authority - a question so eminently within his knowledge and super-
visory functions - cannot be disregarded without detriment to the
entire system.
The Secretary-General's determination as to whether a particularaction
was within an official'sor rapporteur's sphere of authority should there-
fore be viewed as binding on the domestic tribunal, unless compelling

reasons can be establishedfor displacing that weighty presumption. 1 am
in complete and respectful agreement with the Court in this regard.There
is no element of arbitrariness here, for if a State disputesch a ruling by
the Secretary-General, there is always room for the matter to be brought
before this Court for an advisory opinion in terms of Section 30 of the
Convention.

In the present case, the Human Rights Commission has noted with
appreciation the work of the Special Rapporteur, as shown in resolutions
1995136of 3 March 1995, 1996134of 9 April 1996, 1997123of 11 April
1997, and 1998135of 17 April 19988. It has also extended the Special
Rapporteur's mandate for an additional period of three years by resolu-
tion 19971239,after the statement in question. The Secretary-General has
determined that the Special Rapporteur's statements were made while
acting in the course of the performance of his mission as Special Rap-
porteur of the Commission. The Court has specificallyendorsed the cor-

Dossier Nos. 5-8.
Dossier No. 7.met d'avoir une vue d'ensemble sur toutes les opérations de I'Organisa-
tion des Nations Unies, il est mieux placéque quiconque pour évaluerles
fonctions d'un agent donné,en les replaçant dans le contexte général des
buts et objectifs, des traditions et du cadre opérationnel des activitésde
l'organisation dans leur ensemble.

Essayer de déterminer I'applicabilité des privilèges etimmunités des
Nations Unies a un rapporteur donné dans des circonstances particu-
lières sans tenir compte de l'opinion du Secrétairegénéral revient a se
priver d'une part importante des éléments indispensables à la prise d'une
décision éclairée.
De plus, il est d'usage au sein du système des Nations Unies de recon-
naître le caractère déterminant des décisionsdu Secrétairegénéral enla
matière et plusieurs résolutionsde l'Assemblée générale c,omme la réso-
lution 361238du 18décembre1981,montrent l'importance spécialequi est
accordéeaux vues du Secrétairegénéralsur toutes les questions relatives

a l'administration de l'organisation. L'opinion de la plus haute autorité
administrative de l'organisation sur une question essentiellement admi-
nistrative telle que l'étenduedes attributions d'un fonctionnaire déter-
miné - question sur laquelle il est mieux que quiconque informé et
habilité a exercer des fonctions de supervision - ne peut êtrenégligée
sans dommage pour l'ensemble du système.
Un tribunal national se doit donc de considérercomme obligatoire la
décisiondu Secrétairegénéralsur le point de savoir si telle ou telle action
entrait dans les attributions d'un fonctionnaire ou d'un rapporteur à
moins qu'il ne puisseêtre établq iue des raisons impérieusesconduisent à

rejeter cette lourde présomption. Je suis en total et respectueux accord
avec la Cour à cet égard.Il n'ya là rien d'arbitraire car si un Etat contes-
tait une telle décisiondu Secrétaire générali,l lui serait toujours loisible
de porter l'affaire devant la Cour pour lui demander de donner un avis
consultatif au regard de la section 30 de la convention.

Dans la présente espèce, laCommission des droits de l'homme a noté
avec satisfaction le travail du rapporteur spécial, ainsique cela ressort des
résolutions 1995136du 3 mars 1995, 1996134du 9 avril 1996, 1997123du
11avril 1997et 1998135du 17avril 1998 La Commission, par sa résolu-
tion 1997123 9,a aussi prorogéle mandat du rapporteur spécialpour une
nouvelle période de trois ans après avoir fait la déclaration en question.

Le Secrétairegénérala conclu que les déclarations du rapporteur spécial
avaient été faiteau coursde sa mission de rapporteur spécialde la Com-
mission. La Cour a reconnu nommément la justesse de la conclusion du

Dossier,piècesnos5-8.
Dossier,pièceno7.rectness of the Secretary-General's determination (para. 56).For the pur-
poses of this reference, matters are thus definitively settled.
Yet this reference affords an opportunity to stress the essentiality of
the duty of rapporteurs, and indeed of al1United Nations functionaries,
to ensure always that they act within the terms and the limits of their

mandate.
As the Court has observed:
"it need hardly be said that al1 agents of the United Nations, in
whatever officia1capacity they act, must take care not to exceed the

scope of their functions, and should so comport themselves as to
avoid claims against the United Nations" 'O.

A basic premise underlying the Court's Opinion, as well as this sepa-
rate opinion, is that there is a duty of protection lying upon the United

Nations to ensure that its officiaisare preserved harmless for acts per-
formed in the course of their duty. It follows that any right a United
Nations official enjoys by virtue of this principle is matched by a correla-
tive duty.
Itis thus an important corollary to the propositions set out earlier in
this opinion that, complementary to the United Nations' duty of protec-
tion of its functionaries, a corresponding duty and responsibility lieon al1
United Nations personnel to ensure that whatever actions they take or
statements they make are always within the limits of the performance of
their duties - thus translating into this specific sphere of international
law the principle of correlativity so well recognized in analytical jurispru-

dence. Unless this precondition is satisfied, United Nations personnel
would be travelling outside the area of protection accorded to them. In
this way, they protect both themselves and the United Nations, which
owes a duty of protection to them. This obligation applies especially in
regard to public statements which their duties may oblige them to make
from time to time regarding their work.

For al1these reasons, 1 am in agreement with the Court in its conclu-
sions regarding the question referred to it.

(Signed) Christopher Gregory WEERAMANTRY.

'OPresent AdvisoryOpinion,para. 66.

40 IMMUNITÉ DE JURIDICTION (OP. IND. WEERAMANTRY) 98

Secrétairegénéral(par. 56). Pour les besoins de la présenterequête,les
choses sont donc définitivementréglées.
Mais cette requête offrel'occasion de souligner qu'il est essentielque
lesrapporteurs, de même d'ailleursque tous lesfonctionnaires des Nations

Unies, veillent constamment à agir selon les termes et dans les limites de
leur mandat.
Ainsi que la Cour l'a fait observer:
«il est a peine besoin d'ajouter que tous les agents de l'organisation
des Nations Unies, quelle que soit la qualitéofficielleen laquelle ils

agissent,doivent veilleràne pas excéderleslimites de leurs fonctions
et doivent se comporter de manière a éviterque des demandes soient
dirigéscontre l'Organisation» 'O.
Une des prémisses essentiellessous-tendant l'avisde la Cour, ainsi que

la présenteopinion individuelle, est qu'un devoir de protection incombe à
l'organisation des Nations Unies pour assurer que ses fonctionnaires ne
subissent aucun tort pour des actes accomplis dans le cadre de leurs fonc-
tions. Il s'ensuit que tout droit dont jouit un fonctionnaire des Nations
Unies en vertu de ce principe s'accompagne d'un devoir correspondant.
Un important corollaire des propositions énoncéesplus haut dans la
présente opinion est que, au devoir des Nations Unies de protéger ses
fonctionnaires correspond un devoir et une responsabilité de tous les
membres du personnel des Nations Unies de veiller àce que, quelles que
soient les mesures qu'ils prennent ou les déclarations qu'ils font, celles-ci
s'inscrivent toujours dans le cadre de leurs fonctions- ce qui revient à

transposer dans ce domaine spécifiquedu droit international le principe
de corrélativitési bien reconnu dans la jurisprudence analytique. Si cette
condition préalable n'est pas satisfaite, le personnel des Nations Unies
s'aventure hors du domaine de la protection qui lui est reconnue, alors
qu'en respectant cette règle les fonctionnaires des Nations Unies pro-
tègent aussi bien eux-mêmesque l'organisation, qui a à leur égard un
devoir de protection. Cette obligation s'applique tout spécialementen ce
qui concerne lesdéclarations publiques que ce personnel peut parfois être
amené à faire dans le cadre de ses fonctions concernant son travail.

Pour toutes ces raisons, je souscris aux conclusions de la Cour au sujet
de la question qui lui a étéposée.

(SignéC )hristopher Gregory WEERAMANTRY.

IoPrésentavis consultatif, par. 66.

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. Weeramantry, vice-président (traduction)

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