Opinion dissidente de M. Ruda (traduction)

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061-19751016-ADV-01-10-EN
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061-19751016-ADV-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. RUDA

[Traduction]

J'ai votépour la décisionde la Cour de donner suite à la demande d'avis
consultatif, ainsi que pour la réponsela question 1et la réponseà la ques-
tion II, pour autant que cettedernière se rapporteaux liensjuridiques entre
l'ensemblemauritanien et le territoire du Sahara occidental, mais je ne peux

malheureusement pas m'associer aux conclusions de la majoritéau sujet des
liens juridiques, indiqués à l'avant-dernier paragraphe de I'avis, entre le
Royaume du Maroc et ceterritoire.
J'interprète la demande formulée dans la résolution 3292 (XXIX) de
l'Assembléegénéralecomme ne visant, dans la question II, que des liens
juridiques de caractère territorial qui auraient pu êtremodifiés par le
processus de colonisation à la fin du XIXesiècle.Cette interprétation repose

sur le libellémêmede la question II et sur les débatsqui se sont déroulés en
1974 a l'Assemblée générale.
En d'autres termes, l'objet de la requêtedans son ensemble et de la ques-
tion II en particulier étaitsimplement de demanderà la Cour de dire quels
étaient les droits éventuelsdu Maroc et de l'ensemble mauritanien sur le
territoire du Sahara occidental au moment de la colonisation espagnole.
Certeslesdroits d'uneentitépolitiquesur un territoires'entendent'del'exercice

d'une compétenceàl'égarddespersonnes etdes choses etcesdroits sont donc
établisparrapport àdes personnes mais, àmon sens,l'Assembléegénérale ne
s'intéressaitqu'aux liensuridiques.dont~l'e poivstiéncleirerla ques-
tion de savoir si le Sahara occidental appartenait au Maroc et à l'ensemble
mauritanien. .
Il me sembleque lesliensjuridiques d'allégeanceet d'autorité, mentionnés
a l'avant-dernier paragraphe et dans d'autres paragraphes de I'avisconsul-

tatif, ne sont pas des liensjuridiques entre leterritoire du Sahara occidental et
le Royaume du Maroc mais seulement des liens personnels. Si la Cour avait
constatéque l'existencede cesliensjuridiques d'allégeancet 'autorité avait
créé undroit territorial, la conséquencejuridique normale d'une telle cons-
tatation aurait étéaue ie sultan du Maroc étaitsouverain des territoires sur
lesquelsces tribus vivaient et c'estce que la Cour n'a pas accepté.
Je conclus par conséquentque la réponsede la Cour necorrespond pas a ce

que l'Assembléegénéralelui a demandé.
IImesembledoncque la réponsejusteà laquestion II, pour cequi concerne
le Royaume du ~aroc, aurait consistéà dire qu'il n'existait pas de liens
juridiques entre celui-ci et leterritoire du Sahara occidental, alors que la Cour
a conclu àl'existencede liensjuridiques d'allégeance.
De plus, je ne suis pas convaincu que les lettres et documents mentionnés

dans I'avis consultatif, ou tout autre élémentfourni a la Cour, indiquent SAHARA OCCIDENTAL(OP. DISS.RUDA) 176

clairement une acceptation permanente, réelleet manifeste d'allégeanceou
encore de l'autorité politiquedu Sultan sur des tribus du Sahara occidental.
Des manifestations sporadiques d'allégeance et d'autorité, à les supposer
prouvées,ne permettent pas de conclure àI'existencede liensjuridiques, soit
de caractère territorial soit de caractère personnel. Je reconnais certes

l'influence religieuse,morale et politique du Sultan, maisje persiste àdouter
que cette influence ait créé desliensjuridiques d'une nature quelconque.
Pour ces raisons, je n'ai pas pu suivre la majoritéde la Cour sur ce point.

En revanche, j'ai votéen faveur de I'existence de liens juridiques entre
l'ensemblemauritanien au sens où l'entend la Cour et leterritoire du Sahara

occidental, car les liens indiqués à l'avant-dernier paragraphe de l'avis
étaient,selon moi, des liensjuridiques de caractère territorial. Personne n'a
contestéque lesdifférentestribus vivant sur lesterritoires du Bilad Chinguiti,
pour employer la formule utiliséepar la Courpour exprimersaconception de
l'ensemble mauritanien, étaient des unités politiques indépendantes qui

possédaientdesdroits, notamment sur lespâturages, lespuits etlescimetières,
que les tribus se reconnaissaient mutuellement. Les zones de migration
normalesétaientleterritoire de chaquetribu, cequi n'empêchait pascertaines
tribus de traverser souvent le territoire d'autres groupes. Chaque tribu
jouissait donc de droits de caractère territorial dans les zones du Sahara

occidental ou se trouvait son parcours de nomadisation à l'époquede la
colonisation espagnole. Toutefois, l'indépendance de ces tribus avait pour
effetd'ôter au Bilad Chinguiti tout caractère d'unité politiquejuridiquement
capable par elle-mêmed'être titulaird ee droits territoriaux.
On trouvelaconfirmation que lesliensjuridiques mentionnés plus haut ont
étémodifiéspar le processus de colonisation dans l'arrangement adminis-

tratif conclu en 1934par l'Espagne et la France, qui reconnaissait la liberté
traditionnelle des nomades de traverser les frontières.
En outre, je ne peux pas ne pas soulignerque, bien que cela n'établisse pas
I'existencede liensjuridiques entre le Royaume du Maroc et le territoire, les
fractions nomades Tekna indépendantes dont il a été établqiue les parcours

de nomadisation traversaient la Sakiet El Hamra et le Sud marocain
possédaientdans leur zone de migration des droits territoriaux comparables
àceux que l'avisconsultatif reconnaît aux tribus vivant sur les territoires du
Bilad Chinguiti.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE RUDA

1have voted in favour of the decision of the Court to comply with the
request for an advisory opinion, in favour of the reply given to Question 1,
and in favour of the reply givento Question II in sofar as it concernsthe legal
ties between the Mauritanian entity and the territory of Western Sahara, but
unfortunately 1cannot go along with the conclusions of the majority,of the
Court concerning the legal ties between the Kingdom of Morocco and this

territory, as indicated in the penultimate paragraph of the Opinion.
My interpretation of the request in General Assembly resolution 3292
(XXIXj is that in Question II it refers only to legal ties of a territorial
character, which could have been affected by the process of colonization at
the end of the nineteenth century. Such interpretation is based on the actual
text of Question II and on the debates in the General Assembly in 1974.

In other words, the purpose of the request as a whole,and of Question II in
particular was simply to find out from the Court what were the rights, if any,
of Morocco and the Mauritanian entity over the territory of Western Sahara,
at the time of Spanish colonization. Of course, the rights of a political entity
over a territory mean the exerciseofjurisdiction over Rersonsand things, and

those rights are therefore established in relation to people, but, to my mind,
the General Assembly was only interested in those legal tiesthe existence of
whichcould throw light on thequestion whether Western Sahara belonged to
Morocco and the Mauritanian entity.

It appears to me that the legal ties ofallegiance and authority, as described

in the penultimate paragraph and other paragraphs of the Opinion, arenot
legal ties between the territory of Western Sahara and the Kingdom of
Morocco, but merely personal ties. If the Courthad foundthat the existence
of such legal ties ofallegiance and authority had created a territorial right, the
legal inferenceof such a finding would normally have been that the Sultan of
Morocco was the sovereign of the territories where these tribes lived;but this

is a proposition that the Court has not accepted.
1,therefore, concliide that the reply of the Court does not correspond to
what has been requested by the General Assembly.
It seemsto me, therefore, that the correct reply to Question II as far as the
Kingdom of hiorocco isconcerned would have been that there were no legal
ties between the territory of Western Sahara and the Kingdom of Morocco,

whereas the Court has found that there were legal tiesof allegiance.
Moreover, 1 have not been convinced that the letters and documents
mentioned in the Advisory Opinion, or any other information submitted to OPINION DISSIDENTE DE M. RUDA

[Traduction]

J'ai votépour la décisionde la Cour de donner suite à la demande d'avis
consultatif, ainsi que pour la réponsela question 1et la réponseà la ques-
tion II, pour autant que cettedernière se rapporteaux liensjuridiques entre
l'ensemblemauritanien et le territoire du Sahara occidental, mais je ne peux

malheureusement pas m'associer aux conclusions de la majoritéau sujet des
liens juridiques, indiqués à l'avant-dernier paragraphe de I'avis, entre le
Royaume du Maroc et ceterritoire.
J'interprète la demande formulée dans la résolution 3292 (XXIX) de
l'Assembléegénéralecomme ne visant, dans la question II, que des liens
juridiques de caractère territorial qui auraient pu êtremodifiés par le
processus de colonisation à la fin du XIXesiècle.Cette interprétation repose

sur le libellémêmede la question II et sur les débatsqui se sont déroulés en
1974 a l'Assemblée générale.
En d'autres termes, l'objet de la requêtedans son ensemble et de la ques-
tion II en particulier étaitsimplement de demanderà la Cour de dire quels
étaient les droits éventuelsdu Maroc et de l'ensemble mauritanien sur le
territoire du Sahara occidental au moment de la colonisation espagnole.
Certeslesdroits d'uneentitépolitiquesur un territoires'entendent'del'exercice

d'une compétenceàl'égarddespersonnes etdes choses etcesdroits sont donc
établisparrapport àdes personnes mais, àmon sens,l'Assembléegénérale ne
s'intéressaitqu'aux liensuridiques.dont~l'e poivstiéncleirerla ques-
tion de savoir si le Sahara occidental appartenait au Maroc et à l'ensemble
mauritanien. .
Il me sembleque lesliensjuridiques d'allégeanceet d'autorité, mentionnés
a l'avant-dernier paragraphe et dans d'autres paragraphes de I'avisconsul-

tatif, ne sont pas des liensjuridiques entre leterritoire du Sahara occidental et
le Royaume du Maroc mais seulement des liens personnels. Si la Cour avait
constatéque l'existencede cesliensjuridiques d'allégeancet 'autorité avait
créé undroit territorial, la conséquencejuridique normale d'une telle cons-
tatation aurait étéaue ie sultan du Maroc étaitsouverain des territoires sur
lesquelsces tribus vivaient et c'estce que la Cour n'a pas accepté.
Je conclus par conséquentque la réponsede la Cour necorrespond pas a ce

que l'Assembléegénéralelui a demandé.
IImesembledoncque la réponsejusteà laquestion II, pour cequi concerne
le Royaume du ~aroc, aurait consistéà dire qu'il n'existait pas de liens
juridiques entre celui-ci et leterritoire du Sahara occidental, alors que la Cour
a conclu àl'existencede liensjuridiques d'allégeance.
De plus, je ne suis pas convaincu que les lettres et documents mentionnés

dans I'avis consultatif, ou tout autre élémentfourni a la Cour, indiquent 176 WESTERN SAHARA(DISS.OP. RUDA)

the Court, afford clear indication of permanent, real and manifested
acceptance either of allegiance, or of the Sultan's political authority over

tribes in Western Sahara. Sporadic manifestations of allegiance and
authority, even if established, are not sufficient toeclare the existence of
legal ties, whether of a territorial or personal character. 1 do however
recognize the religious, moral and political influence of the Sultan, but 1
remain unconvinced that such influencehas created legal ties of any nature.
For these reasons 1have been unable to concur with the majority of the

Court on this point.
On the other hand, 1have voted in favour of the existence of legal ties
between the Mauritanian entity,asunderstood by the Court, and the territory
of Western Sahara, because the tiesindicated in the penultimate paragraph of
the Opinion were, in my view, legal ties of a territorial character. It has not

been contested that the various tribes living in the territories of the Bilad
Shinguitti, to use the formula employed by the Court to convey its
understanding of the concept of the Mauritanian entity, were independent
political units which possessed rights,nteralia, to pastures, water-holes and
burial grounds, which werereciprocally acknowledged amongthe tribes. The
normal migratory areas were the territory of each tribe, although often

certain tribes traversed the territories of other groups. Each tribe, therefore,
enjoyed rights of a territorial character in the zones of Western Sahara
through which their nomadic routes ran at the time of Spanish colonization.
However,theindependence of thesetribesdeprived the Bilad Shinguitti itself
of the character of a political unity, juridically capable, perse, of being the
subject of territorial rights.

The confirmation that the legal tiesreferred to above were affected by the
process of colonization is the 1934 administrative agreement between Spain
and France, which recognized the traditional freedorn of nomads to migrate
across frontiers.
1 cannot refrain from pointing out, moreover, although this does not
establish legal ties between the Kingdom of Morocco and the territory, that

the independent nomadic Tekna septs whose routes of migration are
established as traversing the Sakiet El Hamra and the Southern part of
Morocco possessed territorial rights within their migratory zones similar to
those recognized in the Advisory Opinion as belonging to the tribes living
within the territories of the Bilad Shinguitti. SAHARA OCCIDENTAL(OP. DISS.RUDA) 176

clairement une acceptation permanente, réelleet manifeste d'allégeanceou
encore de l'autorité politiquedu Sultan sur des tribus du Sahara occidental.
Des manifestations sporadiques d'allégeance et d'autorité, à les supposer
prouvées,ne permettent pas de conclure àI'existencede liensjuridiques, soit
de caractère territorial soit de caractère personnel. Je reconnais certes

l'influence religieuse,morale et politique du Sultan, maisje persiste àdouter
que cette influence ait créé desliensjuridiques d'une nature quelconque.
Pour ces raisons, je n'ai pas pu suivre la majoritéde la Cour sur ce point.

En revanche, j'ai votéen faveur de I'existence de liens juridiques entre
l'ensemblemauritanien au sens où l'entend la Cour et leterritoire du Sahara

occidental, car les liens indiqués à l'avant-dernier paragraphe de l'avis
étaient,selon moi, des liensjuridiques de caractère territorial. Personne n'a
contestéque lesdifférentestribus vivant sur lesterritoires du Bilad Chinguiti,
pour employer la formule utiliséepar la Courpour exprimersaconception de
l'ensemble mauritanien, étaient des unités politiques indépendantes qui

possédaientdesdroits, notamment sur lespâturages, lespuits etlescimetières,
que les tribus se reconnaissaient mutuellement. Les zones de migration
normalesétaientleterritoire de chaquetribu, cequi n'empêchait pascertaines
tribus de traverser souvent le territoire d'autres groupes. Chaque tribu
jouissait donc de droits de caractère territorial dans les zones du Sahara

occidental ou se trouvait son parcours de nomadisation à l'époquede la
colonisation espagnole. Toutefois, l'indépendance de ces tribus avait pour
effetd'ôter au Bilad Chinguiti tout caractère d'unité politiquejuridiquement
capable par elle-mêmed'être titulaird ee droits territoriaux.
On trouvelaconfirmation que lesliensjuridiques mentionnés plus haut ont
étémodifiéspar le processus de colonisation dans l'arrangement adminis-

tratif conclu en 1934par l'Espagne et la France, qui reconnaissait la liberté
traditionnelle des nomades de traverser les frontières.
En outre, je ne peux pas ne pas soulignerque, bien que cela n'établisse pas
I'existencede liensjuridiques entre le Royaume du Maroc et le territoire, les
fractions nomades Tekna indépendantes dont il a été établqiue les parcours

de nomadisation traversaient la Sakiet El Hamra et le Sud marocain
possédaientdans leur zone de migration des droits territoriaux comparables
àceux que l'avisconsultatif reconnaît aux tribus vivant sur les territoires du
Bilad Chinguiti.

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