Opinion individuelle de M. Jiménez de Aréchaga (traduction)

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057-19730712-ADV-01-05-EN
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057-19730712-ADV-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. JIMÉNEZ DE ARÉCHAGA

[Traduction]

Bien que j'appuie sans réserve les motifset le dispositif de l'avisde la
Cour, je voudrais prksenter ici certaines considérations supplémentaires
qui font qu'à mon sens un refus de donner suite à la requêtepour avis
consultatif ne serait pas justifié.

Lorsqu'elle a établien 1955le systèmeactuel de réformationjudiciaire,
l'Assembléegénérales'est inspiréedans une certaine mesure d'observa-
tions de caractèregénéraq l uela Cour avait formuléesdans son avis con-
sultatif de 1954en 1'a.ffairerelatiàel'Effetdejugements du Tribunalad-
ministratif des Nations Uniesaccordant indemnité.Dans cet avis, la Cour
avait interprété la questionqui lui étaitsoumise comme visant des juge-
ments «rendus ..dans les limites de la compétencedu Tribunal)), et non
des jugements «qui pourraient dépasserles limites de cette compétence
statutaire» (C.I.J. Recueil1954,p. 50). C'està propos des premiers que la
Cour avait déclaré qiue«l'Organisation est tenue en droit d'exécuterle
jugement)) et que «l'Assembléegénérale,l'un des organes des Nations
Unies, doit de même t3treliéepar lejugement)) (ibid.,p. 53)..

Etant parvenue à cette conclusion, la Cour s'est demandé «si, dans
certaines circonstances exceptionnelles, l'Assemblée généra sleeraitfondée
en droit à refuser d'exécuterlesjugements du Tribunal administratif ac-
cordant indemnité))(i,id..r .55),
Après avoir rappeléque «la premièrequestion posée à la Cour deman-
de, en fait, siyAsseniblée a le droit, «pour une raison quelconque)), de
refuser de lefaire)),la Cour a poursuivi en cestermes:

«Lorsque la Cour a définiplus haut la portée de cette question,
elle est arrivée la conclusion que la question a trait uniquement à
desjugements accordant indemnitérendus par letribunal administra-
tif régulièrementconstituéet agissant dans les limites de sa compé-
tence statutaire. et les considérationsénoncées ci-dessusDarla Cour
reposent sur cette base. Si, cependant, en insérant les mots «pour
une raison quelconque)), l'Assemblée générale avait entendu se
référeraussi àdesjugements dépassantla compétencedu tribunal ou
à quelque autre vice pouvant affecter un jugement, un problème se

poserait qui appelle quelques observations générales.)) (C.I.J.
Recueil 1954,p. 55.)
Les «observations gé:nérales» de la Cour qui font suite à ce paragraphe
concernent donc le cas oùla validitéd'unjugement accordant indemnité
est contestée pourla raison que letribunal aurait excédésacompétenceou
que d'autres vices gralvesaffecteraient sa décision. A ce sujet, la Cour a déclaré:

«Pour que les jugements prononcés par un tel tribunal pussent
êtrereviséspar un corps autre que ce tribunal lui-même,il faudrait,
de l'avisde la Cour, que le statut de ce tribunal ou les autres instru-
mentsjuridiques qui le régissent, continssentdes dispositions expres-
sesà cet effet. L'Assemblée généralaele pouvoir d'amender le swtut
du Tribunal administratif, en vertu de l'article Il de ce statut, et de
prévoirdes voies de recours devant un autre organe. Mais comme le
statut actuel ne contient aucune disposition de ce genre, il n'y a pas
de motifs de droit sur lesquels l'Assemblée générale puisse sfonder
pour reviser les jiugements déjàprononcéspar ce tribunal. Si l'As-

semblée générale envisageaid t'instituer, pour les différendsa venir,
des dispositions]prévoyantla revision des jugements du tribunal, la
Cour estime que l'Assemblée générale elle-mêm éet,ant donné sa
composition et ses fonctions, ne pourrait guère agir comme un or-
gane judiciaire examinant les arguments des parties, appréciant les
preuves produites par elles, établissantles faits, et disant le droit qui
s'yapplique - alors surtout que l'une des parties aux différendsest
l'Organisation des Nations Unies elle-même ). (Ibid.,p. 56.)

C'est donc dans cette perspective qu'en 1954la Cour avait suggéré d'une
façon à peine voiléela création d'un systèmede réformation judiciaire
excluant toute possibilité de revision par l'Assemblée générale elle-
même.En formulant les observations précitéese ,lle a dû tenir compte du
fait qu'une décision a étéadoptéeen 1946par l'Assembléede la Société
des Nations et que dei5arguments ont été avancés en1953devant 1'Assem-
bléegénéralede l'organisation des Nations Unies, qui présupposaient
que ces organes politiques pouvaient refuser de donner suite à des juge-
ments qu'ils estimaient dépasser la compétencedu tribunal administratif
intéressé.
Les amendements apportésau statutdu Tribunal administratif en 1955
paraissent donc avoir eu essentiellement pour objet de traiter le problème
évoquédans les observations généralesde la Cour, reproduites plus haut
de la manièrequi y est indiquée. Celaexpliquequele systèmede réforma-
tion judiciaireinstitu'éen 1955n'envisage que certains motifs déterminés
de réformation, à savoir les cas où la validitéd'unjugement est contestée

pour cause d'excès au de non-exercice de juridiction ou parce qu'une
erreur essentielle aurait étécommise dans le droit applicable ou dans la
procSdure. On voit aussi pourquoi les amendements adoptésexcluent que
l'Assembléegénérale puisse seprononcer elle-mêmesur la validitéd'un
jugement contesté.
La caractéristique essentielle du système de réformation judiciaire
adoptéen 1955est qu'unjugement dontla validitéa été contestén ee peut
êtreconsidéré commenul et non avenu par l'organisation des Nations
Unies ou par toute autre organisation internationale intéresséeque si la
Cour a conclu, dans iunavis consultatif, au bien-fondéde la contestation. En adoptant ce systèmede réformation judiciaire, l'Assemblée géné-
rale s'esten somme prnvéedu pouvoird'annuler ou de refuser unilatérale-
ment d'exécuterun jugement dont la validitéaurait étémise en cause.

Ce système,pris comme un tout, représentedonc un net pas en avant car
il tendà garantir que la validitéde sentences internationales contestées
srra soumise à un con1:rôlejudiciaire et, en confiant ce contràlla Cour,
il souligne le rôle juridictionnel du Tribunal administratif et le caractère
judiciaire de ses décis:ions.

Le fait qu'un organe comme le Comitédes demandes de réformation
soit appelé à filtrer lei$demandes eà saisir la Cour ne saurait êtrecon-
sidérécommeun défauttellement grave qu'il effacele pas ainsi franchi, et
encore moins comme justifiant que la Cour adopte à présent uneposition
négative,contraire à l'objet mêmedu systèmede réformation judiciaire
instituéen 1955.
On ne saurait nierIcanécessitd'un organe de filtrage quelconque pour
éviterque des objections frivoles ou injustifiéesne soient soumisesà la

Cour. On ne serait pas non plus fondé à reprocher à cet organe d'appli-
quer des critères stricts ou mêmerigoureux pour déterminer si une de-
mande d'avis consultatif adressée à la Cour repose sur des ((bases sé-
rieuses)). Il ne faut pas présumer que cetteattitude soit l'effetd'une poli-
tique délibéréoeu d'instructions déplacées;c'estsimplement que, comme
la Cour elle-mêmel'aconstatéen 1954,lesaffairesoù c'estla validitéd'un
jugement et non son bien-fondé qui estmise en cause rentrent par défini-
tion dans la catégorie des ((circonstancesexceptionnelles))(C.1.J. Recueil
1954, p. 55).
Bien que la réformationn'ait étédemandée que rarement, le systèmea
un effet bénéfiquepar son existence même,en raison du soin qu'il oblige
le Tribunal administratifà apporter à chacun de sesjugements. En effet,
un tribunal de première instance ne peut pas savoirà l'avance laquelle de

ses décisionsseraexaminéeultérieurementpar unejuridiction supérieure.
Quant à la composition politique du Comité, c'est là une objection
dont il ne faut pas exagérer l'importance et les conséquencesnégatives
qu'on en tire ne me paraissent -pas justifiées.II s'agit ici après tout de
jugements internationaux affectantdes Etats, lesquels sont tenus en fin de
compte depayer, directement ou indirectement, les indemnités accordées.

D'une manièregénérale,il est indéniablequ'en droit international les
Etats affectéspar des jugements internationaux ont le droit d'en contester
la validités'ilscroientavoir des motifs suffisantspour cefaire, sous réser-
ve évidemmentde l'obligation généralq eui leur incombe de rechercher le
règlement pacifiquedludifférendainsi suscité. Acet égard, le fait que la
contestation émane de cet organisme politique qu'est indéniablement
1'Etatn'a jamais soul.evéd'objection.
Dans le cas des jugements du Tribunal administratif, l'adoption de

l'article 11du Tribunal administratif a représentéun certain progrès. Ce
ne sont plus dés0rma.i~les Etats intéressésqui,à titre individuel, conser-vent le droit d'attaquer le jugement: un organe des Nations Unies est
appelé à décider à la majorité si la contestation repose sur des ((bases
sérieuses)),indispensiables pour que la Cour soit saisie. De plus, il est
expressément prévuque la procédure de réformation peut êtreengagée
sur requête del'une quelconque des parties au différendsur lequel porte
lejugement, ce qui donne à chacune de ces parties la garantie supplémen-
taire de pouvoir enta.mer la procédure de réformation. (Soit dit en pas-
sant, dans l'article XIIdu statut du Tribunal administratif de'OIT, surla
base duquel la Cour a rendu son avis de 1956,alors que le Conseil d'ad-
ministration de l'organisation intéressée, quiest composé d'Etats, est
habilité à contester le jugement, on n'a pas jugé nécessaired'accorder

cette mêmegarantie supplémentaire aux deux parties au différendinitial.)
En outre ilest obligiîtoire de soumettre la contestationà la juridiction
consultative de la Cour, et les avis rendus par celle-ci ont un effetéci-
soire.
Dire que la Cour devrait refuser de donner suitea la requêteen raison
de la composition du Comitéou de la rigueur avec laquelle il examine les
demandes qui Iiiisont soumises aurait des conséquences pratiques qui
pourraient aggraver les défautsimputésau système.
Dans ce cas la situation ne serait pas modifiéeen ce qui concerne les
affaires oùl'onn'aurait découvertaucune base sérieusede contestation; le
jugement du Tribunal administratif demeurerait définitif etsans recours.
Une attitude négativede la Cour ne ferait alors que nuire aux effets pré-

ventifs favorablesteriantà l'existence même d'un systèmede réformation
des jugements du Tribunal administratif.

Mais dans les affaires ou le Comité aurait conclu à la majoritéque la
contestation reposait. sur des bases sérieuses, uneattitude négativede la
Cour aurait des conséquences plus graves: un jugement que plus de la
moitié des membres d'un organe où sont représentésvingt-cinq Etats
auraient cru devoir soumettre à la Cour ne pourrait faire l'objet d'aucun
réexamenjudiciaire. II serait alors a craindre que, si certaines circons-
tances venaient à se reproduire, la disparition du systèmede réformation
judiciaire établi en 1955 ne ressuscite les théorieset suggestions qui pré-
dominaient en 1946et qui ont étéde nouveau énergiquement défendues

en 1953,selon lesquelles l'Assembléegénéralepourrait refuser d'exécuter
ou annuler lesjugements attaqués par des Etats Membres comme outre-
passant les pouvoirs du Tribunal.

(Signé) E. JIMÉNEZ DE ARÉCHAGA.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE JIMÉNEZ DE ARÉCHAGA

While concurring entirely in the reasoning and the operative part of
the Court's advisory opinion 1wish to state certain additional considera-
tions which show why it would be unjustified, in my view,forthe Court to
refuse to comply with the request.
The system of judicial review established by the General Assembly in
1955 was to a certain degree inspired by certain general observations
which were made by the Court in its 1954Advisory Opinion on the Efect
of Awards of Compensation Made by the United Nations Administrative
Tribunal.In that Advisory Opinion the Court interpreted the question put
to it as directed to awards "made within the limits of the competence of
the Tribunal", and not referring to those awards "which may exceed the
scope of that statutory competence" (I.C.J. Reports 1954,p. 50). It was
with respect to the former awards that the Court advised that "the
Organization becomes legally bound to carry out the judgment", and
that "the General Assembly, as an organ of the United Nations, must
likewisebe bound by thejudgment" (ibid.,p. 53).
After reaching that conclusion the Court examined the question
"whether the General Assembly would in certain exceptional circum-
stances be legally entitled to refuse to give effectto awards of compensa-
tion made by the Administrative Tribunal" (ibid.,p. 55).
After recalling that "the first Questionbmitted to the Court asks, in "

fact, whether the General Assembly has the right to refuse to do so 'on
any grounds' ", the Court stated:
"When the Court defined the scope of that Question above, it
arrived at the conclusion that the Question refers only to awards of
compensation made by the Administrative Tribunal, properly
constituted and acting within the limits of its statutory competence,
and the previous observations of the Court are based upon that
ground. If, however, the General Assembly, by inserting the words
'on any grounds', intended also to refer to awards made in excessof
the Tribunal's competence or to any other defect which might
vitiate an award, there would arise a problem which calls for some
general observations." (I.C.J. Reports 1954, p. 55.)

The Court's "general observations", following this paragraph, were
therefore addressed to those cases in which the validity of an award had
beenchallenged ontheground of its beingin excessof the Tribunal's com-
petence or having other serious defectscapable of vitiating it.OPINION INDIVIDUELLE DE M. JIMÉNEZ DE ARÉCHAGA

[Traduction]

Bien que j'appuie sans réserve les motifset le dispositif de l'avisde la
Cour, je voudrais prksenter ici certaines considérations supplémentaires
qui font qu'à mon sens un refus de donner suite à la requêtepour avis
consultatif ne serait pas justifié.

Lorsqu'elle a établien 1955le systèmeactuel de réformationjudiciaire,
l'Assembléegénérales'est inspiréedans une certaine mesure d'observa-
tions de caractèregénéraq l uela Cour avait formuléesdans son avis con-
sultatif de 1954en 1'a.ffairerelatiàel'Effetdejugements du Tribunalad-
ministratif des Nations Uniesaccordant indemnité.Dans cet avis, la Cour
avait interprété la questionqui lui étaitsoumise comme visant des juge-
ments «rendus ..dans les limites de la compétencedu Tribunal)), et non
des jugements «qui pourraient dépasserles limites de cette compétence
statutaire» (C.I.J. Recueil1954,p. 50). C'està propos des premiers que la
Cour avait déclaré qiue«l'Organisation est tenue en droit d'exécuterle
jugement)) et que «l'Assembléegénérale,l'un des organes des Nations
Unies, doit de même t3treliéepar lejugement)) (ibid.,p. 53)..

Etant parvenue à cette conclusion, la Cour s'est demandé «si, dans
certaines circonstances exceptionnelles, l'Assemblée généra sleeraitfondée
en droit à refuser d'exécuterlesjugements du Tribunal administratif ac-
cordant indemnité))(i,id..r .55),
Après avoir rappeléque «la premièrequestion posée à la Cour deman-
de, en fait, siyAsseniblée a le droit, «pour une raison quelconque)), de
refuser de lefaire)),la Cour a poursuivi en cestermes:

«Lorsque la Cour a définiplus haut la portée de cette question,
elle est arrivée la conclusion que la question a trait uniquement à
desjugements accordant indemnitérendus par letribunal administra-
tif régulièrementconstituéet agissant dans les limites de sa compé-
tence statutaire. et les considérationsénoncées ci-dessusDarla Cour
reposent sur cette base. Si, cependant, en insérant les mots «pour
une raison quelconque)), l'Assemblée générale avait entendu se
référeraussi àdesjugements dépassantla compétencedu tribunal ou
à quelque autre vice pouvant affecter un jugement, un problème se

poserait qui appelle quelques observations générales.)) (C.I.J.
Recueil 1954,p. 55.)
Les «observations gé:nérales» de la Cour qui font suite à ce paragraphe
concernent donc le cas oùla validitéd'unjugement accordant indemnité
est contestée pourla raison que letribunal aurait excédésacompétenceou
que d'autres vices gralvesaffecteraient sa décision.243 APPLICATlON FOR REVIEW (SEP.OP.JIMÉNEZDE ARÉCHAGA)

The Court said in this respect:

"In order that the judgments pronounced by such ajudicial tribunal
could be subjected to review by any body other than the tribunal
itself, it would be necessary, in the opinion of the Court, that the
statute of that tribunal or some other legal instrument governing it
should contain an express provision to that effect. The General
Assembly has the power to amend the Statute of the Administrative
Tribunal by virtue of Article11 of that Statute and to provide for
means of redress by another organ. But as no such provisions are
inserted in the presenttatute, there is no legal ground upon which
the General Assembly could proceed to review judgments already
pronounced by that Tribunal. Should the General Assembly con-
template, for dealing with future disputes, the making of some
provision for the review of the awards of the Tribunal, the Courts
of opinion that the General Assembly itself, in view of its compo-
sition and functions, could hardly act as a judicial organ-con-

sidering the arguments of the parties, appraising the evidence
produced by them, establishing the facts and declaring the law
applicable tothem-al1 the more so as oneparty to the disputes isthe
United Nations Organization itself."(Ibid p. ,6.)
It was in this context, then, that the Court made in 1954its thinly veiled
suggestion for the establishment of a system of judicial review which
would have the consequence of excluding such a review by the General

Assembly itself. Inmaking these observations the Court must have taken
into account the fact that in 1946a decision was adopted in the Assembly
of the League of Nations and in 1953arguments were advanced in the
General Assembly of the United Nations which presupposed that these
political bodies had the power to refuse to comply with awards which
they considered to exceed the competence of an administrative tribunal.

The basic purpose of the 1955 amendments to the Statute of the
Administrative Tribunal thus appears to have been to deal with the
question raised in the general observations of the Court which have been
citedabove in the way suggested therein. This explains why the system of
judicial review established in 1955is confined to certain specificgrounds
upon which the validity of a judgment may be challenged: excess of or
failure to exercisejurisdiction or a fundamental error in substantive law
or in procedure. This alsoexplains why the amendmentsadopted exclude
the possibility that the General Assembly may itself pronounce on the
validity of an award which has been challenged.

The essential feature of the system of judicial review as adopted in
1955 is that a judgement the validity of which has been challenged may
only be treated as invalid by the United Nations or any other interna-
tional organization concerned if the Court has found, in an advisory
opinion, that the challenge is well founded. A ce sujet, la Cour a déclaré:

«Pour que les jugements prononcés par un tel tribunal pussent
êtrereviséspar un corps autre que ce tribunal lui-même,il faudrait,
de l'avisde la Cour, que le statut de ce tribunal ou les autres instru-
mentsjuridiques qui le régissent, continssentdes dispositions expres-
sesà cet effet. L'Assemblée généralaele pouvoir d'amender le swtut
du Tribunal administratif, en vertu de l'article Il de ce statut, et de
prévoirdes voies de recours devant un autre organe. Mais comme le
statut actuel ne contient aucune disposition de ce genre, il n'y a pas
de motifs de droit sur lesquels l'Assemblée générale puisse sfonder
pour reviser les jiugements déjàprononcéspar ce tribunal. Si l'As-

semblée générale envisageaid t'instituer, pour les différendsa venir,
des dispositions]prévoyantla revision des jugements du tribunal, la
Cour estime que l'Assemblée générale elle-mêm éet,ant donné sa
composition et ses fonctions, ne pourrait guère agir comme un or-
gane judiciaire examinant les arguments des parties, appréciant les
preuves produites par elles, établissantles faits, et disant le droit qui
s'yapplique - alors surtout que l'une des parties aux différendsest
l'Organisation des Nations Unies elle-même ). (Ibid.,p. 56.)

C'est donc dans cette perspective qu'en 1954la Cour avait suggéré d'une
façon à peine voiléela création d'un systèmede réformation judiciaire
excluant toute possibilité de revision par l'Assemblée générale elle-
même.En formulant les observations précitéese ,lle a dû tenir compte du
fait qu'une décision a étéadoptéeen 1946par l'Assembléede la Société
des Nations et que dei5arguments ont été avancés en1953devant 1'Assem-
bléegénéralede l'organisation des Nations Unies, qui présupposaient
que ces organes politiques pouvaient refuser de donner suite à des juge-
ments qu'ils estimaient dépasser la compétencedu tribunal administratif
intéressé.
Les amendements apportésau statutdu Tribunal administratif en 1955
paraissent donc avoir eu essentiellement pour objet de traiter le problème
évoquédans les observations généralesde la Cour, reproduites plus haut
de la manièrequi y est indiquée. Celaexpliquequele systèmede réforma-
tion judiciaireinstitu'éen 1955n'envisage que certains motifs déterminés
de réformation, à savoir les cas où la validitéd'unjugement est contestée

pour cause d'excès au de non-exercice de juridiction ou parce qu'une
erreur essentielle aurait étécommise dans le droit applicable ou dans la
procSdure. On voit aussi pourquoi les amendements adoptésexcluent que
l'Assembléegénérale puisse seprononcer elle-mêmesur la validitéd'un
jugement contesté.
La caractéristique essentielle du système de réformation judiciaire
adoptéen 1955est qu'unjugement dontla validitéa été contestén ee peut
êtreconsidéré commenul et non avenu par l'organisation des Nations
Unies ou par toute autre organisation internationale intéresséeque si la
Cour a conclu, dans iunavis consultatif, au bien-fondéde la contestation. The system of judicial review thus adopted by the General Assembly
amounts to a self-denial of any unilateral power of annulment or of
refusal to comply with a judgement of the Administrative Tribunal the
validity of which has been challenged. Therefore, this system, viewed as
a whole, constitutes a definite step forward in the establishment of
guarantees for the judicial determination of the validity of contested

intanational awards, and by entrusting to the Court the responsibility
for such a determination, it enhances the judicial role of the Administra-
tive Tribunal andthe judicial nature of its awards.
The fact that an organ such as the Committee on Application for
Review is called upon to screen the applications and seise the Court
cannot be considered to be such a serious defect as to counteract the
progressive step taken, and still less to justify the adoption by the Court
of a negative position which would frustrate the purpose of the system of
judicial review established in 1955.
The need for some screening organ designed to avoid frivolous or
unjustified objections being brought before the Court cannot be denied.
Nor would criticism of this screening organ appear to bejustified on the
ground that it has taken a strict or even a rigorous viewas to the existence
of "substantial basis" for requesting an advisory opinion from the Court.
Such an attitude cannot be presumed to result from any deliberate policy
or improper instruction but from the fact that, as the Court itself in-
dicated in 1954,those cases in which the validity of an award, and not its

justice, is challenged, constitute, ex dejnitione, "exceptional circum-
stances" (I.C.J. Reports 1954, p. 55).

Despite the rarity of the occasions for the exercise of such a review
the mere existence of the system has beneficialeffects,because of the care
which must be exercised by the Administrative Tribunal in each of its
judgements. An organ of first instance does not know in advance which
of its decisions is going to be scrutinized later by a higher tribunal.
As to the political composition of the Committee on Applications, this
criticism may be exaggerated and the negative consequences which are
deduced from it are in my view unjustified. We are, after all, concerned
with international awards affecting member States, since those member
States are finally bound to pay, directly or indirectly, any amounts
awarded.
In respect of international awards in general, the States affected by
them possess under international law an undeniable right to challenge
their validity, if they consider that there are grounds justifying such a
challenge, subject of course to a general obligation to submit the dispute

to methods of peaceful settlement. No criticism has ever been voiced in
this respect on the ground that the challenge emanates from a political
body-which the Stateundoubtedly is.
In the case ofawards of the Administrative Tribunal, someprogress has
been made as a result of Article Il of the Statute of the Administrative
Tribunal. Instead of each State concerned retaining its individual power En adoptant ce systèmede réformation judiciaire, l'Assemblée géné-
rale s'esten somme prnvéedu pouvoird'annuler ou de refuser unilatérale-
ment d'exécuterun jugement dont la validitéaurait étémise en cause.

Ce système,pris comme un tout, représentedonc un net pas en avant car
il tendà garantir que la validitéde sentences internationales contestées
srra soumise à un con1:rôlejudiciaire et, en confiant ce contràlla Cour,
il souligne le rôle juridictionnel du Tribunal administratif et le caractère
judiciaire de ses décis:ions.

Le fait qu'un organe comme le Comitédes demandes de réformation
soit appelé à filtrer lei$demandes eà saisir la Cour ne saurait êtrecon-
sidérécommeun défauttellement grave qu'il effacele pas ainsi franchi, et
encore moins comme justifiant que la Cour adopte à présent uneposition
négative,contraire à l'objet mêmedu systèmede réformation judiciaire
instituéen 1955.
On ne saurait nierIcanécessitd'un organe de filtrage quelconque pour
éviterque des objections frivoles ou injustifiéesne soient soumisesà la

Cour. On ne serait pas non plus fondé à reprocher à cet organe d'appli-
quer des critères stricts ou mêmerigoureux pour déterminer si une de-
mande d'avis consultatif adressée à la Cour repose sur des ((bases sé-
rieuses)). Il ne faut pas présumer que cetteattitude soit l'effetd'une poli-
tique délibéréoeu d'instructions déplacées;c'estsimplement que, comme
la Cour elle-mêmel'aconstatéen 1954,lesaffairesoù c'estla validitéd'un
jugement et non son bien-fondé qui estmise en cause rentrent par défini-
tion dans la catégorie des ((circonstancesexceptionnelles))(C.1.J. Recueil
1954, p. 55).
Bien que la réformationn'ait étédemandée que rarement, le systèmea
un effet bénéfiquepar son existence même,en raison du soin qu'il oblige
le Tribunal administratifà apporter à chacun de sesjugements. En effet,
un tribunal de première instance ne peut pas savoirà l'avance laquelle de

ses décisionsseraexaminéeultérieurementpar unejuridiction supérieure.
Quant à la composition politique du Comité, c'est là une objection
dont il ne faut pas exagérer l'importance et les conséquencesnégatives
qu'on en tire ne me paraissent -pas justifiées.II s'agit ici après tout de
jugements internationaux affectantdes Etats, lesquels sont tenus en fin de
compte depayer, directement ou indirectement, les indemnités accordées.

D'une manièregénérale,il est indéniablequ'en droit international les
Etats affectéspar des jugements internationaux ont le droit d'en contester
la validités'ilscroientavoir des motifs suffisantspour cefaire, sous réser-
ve évidemmentde l'obligation généralq eui leur incombe de rechercher le
règlement pacifiquedludifférendainsi suscité. Acet égard, le fait que la
contestation émane de cet organisme politique qu'est indéniablement
1'Etatn'a jamais soul.evéd'objection.
Dans le cas des jugements du Tribunal administratif, l'adoption de

l'article 11du Tribunal administratif a représentéun certain progrès. Ce
ne sont plus dés0rma.i~les Etats intéressésqui,à titre individuel, conser-of challenge, it is an organ of the United Nations which is called upon
to decide by a majority vote whether or not there is a substantial basis for

the challenge which is requisite to seisethe Court of the matter. It has also
been formally provided that the review procedure may be initiated by an
application from any of the parties to the dispute to which the award
refers,thus giving those parties the additional guarantee of being able to
set in motion the review proceedings. (Incidentally, in Art. XII of the
Statute of the IL0 Administrative Tribunal-on the basis of which the
Court gave its 1956Advisory Opinion-while the Executive Board of the
international organization concerned, composed of member States, is
empowered to challenge thejudgments, it has not been found necessary to
give the same additional guarantee to the parties of the original dispute.)
There is further an obligatory submission of the challenge to the advisory
jurisdiction of the Court followed by an opinion of the Court to which
binding force has been accorded.
~heiu~~estion tliat the Court should refuse to comply with the request

because of the coniposition of, or the strict policy followed by, the Com-
mittee in dealing with applications would lead to practical consequences
that could only aggravate the supposed defects.
The situation would not be changed with respect to those cases in which
no substantial basis has been found; for them the judgement of the Ad-
ministrative Tribunal would remain final and unreviewable. The only
difference arising in this respect from a negative position of the Court
would be that the beneficial preventive effects of the mere existence of a
review system on administrative tribunals' judgements in general would
be eliminated.
In those cases where it has been found by a majority decision of the
Committee on Applications that there is substantial basis for the chal-
lenge, the situation (should the Court take a negative position) would be
much worse: there would be no judicial review of a judgement in respect

of which at least a majority of a body composed of 25 States had con-
sidered it should be referred to the Court. It may be feared that the
disappearance of the system of judicial review established in 1955might
again resurrect, in the event of a repetition of certain circumstances,
those ideas and proposals which prevailed in 1946 and were forcefully
advanced again in 1953advocating the power of the General Assembly
to refuse to comply with, or to pronounce the invalidity of, awards
challenged by member States as being ultravires.

(Signed) E. JIMÉNEZ DE ARÉCHAGA.vent le droit d'attaquer le jugement: un organe des Nations Unies est
appelé à décider à la majorité si la contestation repose sur des ((bases
sérieuses)),indispensiables pour que la Cour soit saisie. De plus, il est
expressément prévuque la procédure de réformation peut êtreengagée
sur requête del'une quelconque des parties au différendsur lequel porte
lejugement, ce qui donne à chacune de ces parties la garantie supplémen-
taire de pouvoir enta.mer la procédure de réformation. (Soit dit en pas-
sant, dans l'article XIIdu statut du Tribunal administratif de'OIT, surla
base duquel la Cour a rendu son avis de 1956,alors que le Conseil d'ad-
ministration de l'organisation intéressée, quiest composé d'Etats, est
habilité à contester le jugement, on n'a pas jugé nécessaired'accorder

cette mêmegarantie supplémentaire aux deux parties au différendinitial.)
En outre ilest obligiîtoire de soumettre la contestationà la juridiction
consultative de la Cour, et les avis rendus par celle-ci ont un effetéci-
soire.
Dire que la Cour devrait refuser de donner suitea la requêteen raison
de la composition du Comitéou de la rigueur avec laquelle il examine les
demandes qui Iiiisont soumises aurait des conséquences pratiques qui
pourraient aggraver les défautsimputésau système.
Dans ce cas la situation ne serait pas modifiéeen ce qui concerne les
affaires oùl'onn'aurait découvertaucune base sérieusede contestation; le
jugement du Tribunal administratif demeurerait définitif etsans recours.
Une attitude négativede la Cour ne ferait alors que nuire aux effets pré-

ventifs favorablesteriantà l'existence même d'un systèmede réformation
des jugements du Tribunal administratif.

Mais dans les affaires ou le Comité aurait conclu à la majoritéque la
contestation reposait. sur des bases sérieuses, uneattitude négativede la
Cour aurait des conséquences plus graves: un jugement que plus de la
moitié des membres d'un organe où sont représentésvingt-cinq Etats
auraient cru devoir soumettre à la Cour ne pourrait faire l'objet d'aucun
réexamenjudiciaire. II serait alors a craindre que, si certaines circons-
tances venaient à se reproduire, la disparition du systèmede réformation
judiciaire établi en 1955 ne ressuscite les théorieset suggestions qui pré-
dominaient en 1946et qui ont étéde nouveau énergiquement défendues

en 1953,selon lesquelles l'Assembléegénéralepourrait refuser d'exécuter
ou annuler lesjugements attaqués par des Etats Membres comme outre-
passant les pouvoirs du Tribunal.

(Signé) E. JIMÉNEZ DE ARÉCHAGA.

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Opinion individuelle de M. Jiménez de Aréchaga (traduction)

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